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PURCHASED FOR THE
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
FROM THE
CANADA COUNCIL SPECIAL GRANT
FOR
ART
c
REVUE f''^'^'
ARCHÉOLOGIQUE
ou RECUEIL
DE DOCUMENTS ET DE MÉMOIRES
RELATIFS A IITODE DES MONUMEMS ET A LA PHILOLOGIE
DE l'antiquité et DU MOYEN AGE
PUBLIÉS PAR LES PRINCIPAUX ARCHÉOLOGUES
y W A N Ç A 1 s E T Ê T 11 A N G E U S y
Kl- ACCOMPAGNIS
DE PLANCHES GRAVÉES D'APRÈS LES MONUMENTS ORIGL\AVX
PREMIERE PARTIE
1844 - -^ 0
DU 15 AVRIL AU 15 SEPTEMBRE
PARIS
A. LELEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR
RUF, PIF,RRf>S\RRAZIN , !I
c c
0
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET,
9, RUE DE VAUGIRARD.
AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR.
Les recherches archéologiques ont pris en Europe , depuis une
trentaine d'années, un extrême développement. Dans toutes les par-
lies du monde civilisé, des hommes zélés et habiles se sont consacrés
à la publication ou à l'explication de monuments jusqu'alors négh'gés
ou inconnus ; et des artistes estimables ont prêté à cette tâche utile
l'assistance de leur talent et de leurs efïbrts.
Rien ne peut faire encore présumer jusqu'à quelles limites ces
études seront poussées , car chaque jour des objets nouveaux s'of-
frent à l'examen et à la sagacité des antiquaires ; on peut dire sans
exagération que les progrès marchent , à cet égard , avec une telle
rapidité qu'une différence de quelques années suffit pour faire chan-
ger ou modifier notablement la face de chacune des branches de la
science archéologique.
Il en résulte que celui qui veut suivre attentivement la marche
rapide de cette science et des découvertes qui se font en quel-
que sorte simultanément sur tous les points du globe, éprouve
de nombreuses difficultés et n'atteint presque jamais complètement
son but. La publication des ouvrages destinés à exposer l'état de la
science archéologique n'est ni assez générale, ni assez rapprochée ,
pour lui fournir toujours un tableau complet des travaux qui ont
été accomplis; et des intervalles d'années s'écoulent pendant les-
quels il demeure en arrière ou mal renseigné.
Un journal consacré à la science qu'il cultive , est le seul moyen
qui puisse parer à cet inconvénient et l'initier, le tenir au courant
de chaque pas que fait cette science ; dans ce journal seulement , il
aura sans cesse le dernier mot auquel les antiquaires de l'époque
IV AVERTISSEMENT DE L EDITEUR.
se sont arrêtés sur chaque question. Les Allemands l'ont bien senti,
et si, dans leur pays, les études archéologiques sont florissantes, il
faut peut-être l'attribuer, en partie, à l'existence de plusieurs recueils
périodiques destinés à la publication de Mémoires et de Documents
sur les antiquités.
En France où la science des monuments, si elle a moins d'inter-
prètes, n'est pas cultivée avec moins de bonheur qu'au delà du Rhin,
nous manquions d'un moyen de propager et de populariser les con-
naissances archéologiques; lacune d'autant plus sensible qu'il n'est,
en ce moment, presqu'aucune des autres branches des connaissances
humaines qui n'ait son écho et sa tribune.
L'éditeur de cette Revue, convaincu des avantages que ce genre de
publication procurerait au monde studieux , a conçu l'idée du recueil
dont il présente aujourd'hui le premier volume contenant les six pre-
mières livraisons. Comme, en créant ce recueil, il n'a pour but que
l'intérêt et l'avancement des études archéologiques, il ne veut pas
en faire l'organe exclusif de telle ou telle branche de la science en
particulier. Il croit devoir embrasser à la fois l'antiquité européenne ,
égyptienne et asiatique; et, parmi les monuments européens, il ne se
borne pas à l'antiquité , il descend jusqu'au moyen âge ; et donne une
attention convenable à l'archéologie chrétienne, qui est, depuis quel-
ques années, l'objet de recherches si intéressantes.
En agissant ainsi, il n'a point eu seulement en vue d'augmenter
le nombre des personnes que cette publication pourrait intéresser ;
mais il a été encore mû par l'idée qu'il s'est toujours faite de l'archéo-
logie elle-même, dont les diverses branches se tiennent par un lien
indissoluble. Le passage de l'antiquité au moyen âge est, pour
ainsi dire, insensible. Les différents styles d'architecture sont des
transformations successives et graduelles des principes des anciens
dans l'art de bâtir ; les mythologies et les croyances populaires, des
modifications variées d'idées et de dogmes analogues ou même identi-
ques; etbien souvent les représentations figurées ne sont que des repro-
ductions plus ou moins altérées, plus ou moins heureuses des types
AVERTISSEMENT DE L EDITEUR. V
anciens conservés par les habitudes sociales, quand le changement
des croyances semblerait avoir dû les faire disparaître. En un mot ,
il n'est guère possible d'étudier les monuments mêmes qui ne da-
tent que de trois ou quatre siècles , sans en retrouver comme les
racines et les éléments dans les temps antérieurs. Que serait donc le
moyen âge étudié isolément, en lui-même, et non rattaché à la
source féconde de l'antiquité? une lettre morte dont souvent nous ne
saisirions ni l'esprit ni la portée. Consacrer alors exclusivement la
Remeau moyen âge, par la raison que l'attention paraît maintenant
se porter vers l'étude de cette époque avec plus de force , c'eût été
mal servir l'étude de cette époque elle-même, et tarir en partie la
source des idées qui peuvent en éclaircir les ténèbres et les bizarreries.
D'un autre côté, borner exclusivement à l'antiquité une Reçue archéo-
logique, ce serait une sorte d'anachronisme; ce serait priver nos lec-
teurs de la branche de l'archéologie qui se rattache de plus près à
l'état actuel de notre société, à notre histoire et à nos institutions.
Ainsi, pour être véritablement archéologique, la Reçue a dû inscrire
sur son titre : Recueil de Documents et de Mémoires relatifs à V étude:
des monuments et à la philologie de l'antiquité et du moyen âge.
L'éditeur n'ayant pas cru devoir réduire sa publication aux limites
d'une branche unique de l'archéologie, aura encore moins voulu faire
de celle-ci l'organe d'un système d'opinions particulier à tel ou tel
savant, ou même à telle ou telle école. C'eût été tomber par un autre
côté dans un inconvénient qu'il venait d'éviter, celui de restreindre
trop son cadre. L'examen des diverses doctrines émises par ceux qui
s'occupent des monuments , constitue une partie de la science elle-
même , et pour qu'il pût trouver place dans cette publication , l'éditeur
devait permettre l'accès de son journal à toutes les écoles, à toutes
les idées. Qu'on n'attende donc pas ici de prédilection pour tel ou tel
homme, pour tel ou tel système. La Reçue est ouverte à tous les
hommes de talent et de conscience qui veulent bien l'honorer de leur
concours ; aucune acception n'est faite de leur drapeau et de leur
couleur. Chacun est responsable de l'œuvre qu'il signe, et l'éditeur
n'entend s'immiscer dans les communications qui lui seront faites que
pour adoucir, s'il y a lieu, les formes de la critique, pour en rendre
VJ AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR,
l'expression toujours convenable, bornée aux choses, et n atteignant
jamais les personnes. Quant au fond môme des articles, il ne fera nul
obstacle aux opinions quelles quelles soient; il ne s'opposera qu'à
l'introduction d'erreurs de fait ou de raisonnement qui pourraient
troubler la science; et, à cet égard, il cherchera toujours à s'éclairer
des lumières de savants distingués, d'archéologues éminents qui veu-
lent bien lui prêter l'appui de leurs conseils. Mais il le répète, tout en
réclamant leur assistance, il n'entend se ranger sous aucune bannière,
ni subir aucune influence personnelle ; il demeure libre de tout enga-
gement et de toute coterie.
Après une pareille déclaration , il est presque inutile de prévenir
que tel savant qui ce trouverait contrarié dans ses idées par un
article de la Revue, ne serait pas fondé à croire qu'il a en elle un
adversaire systématique et déclaré, puisque le lendemain il y trou-
vera pour ses opinions une tribune , comme son antagoniste en avait
trouvé la veille pour les siennes.
L'éditeur peut assurer qu'il n'épargnera aucune dépense pour que
les Documents et les Mémoires soient accompagnés de dessins qui
donnent une idée exacte des monuments. Ces dessins formeront des
planches séparées, gravées sur acier ou lithographiées; ou bien
gravées sur bois et insérées dans le texte. Déjà le premier volume,
qui contient douze planches, et environ cinquante sujets sur bois,
montre quels soins il se propose de donner à cette partie importante
de toute publication archéologique.
Puisse ce nouvel organe scientifique fournir aux archéologues et
aux amateurs un moyen plus facile et plus répandu de faire con-
naître leurs travaux et de s'instruire de ceux des autres !
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LA PREMIÈRE PARTIE (Avril a Septembre 1844.
DOCUMENTS ET MEMOIUES.
PAGE
Archéologie , par M. Ch. Lenormant , de
l'Institut I
Le Mi-SÉK DES Thermes et de l'Hôtel de
Cluny i8
Voyages et recherches archéologiques
de M. Le Bas, de l'Institut, en Grèce et en
Asie Mineure, pendant les années i843 et
i844i i"'' ^^' ^^' 4^ rapports à M. le Mi-
nistre de l'Instruction publique. 89, 98,
167, 277.
Commission des monuments historiques,
instituée au Ministère de l'Intérieur, or-
ganisation administrative et travaux par
M. K. Grille de Beuzelin Ô/j, 201
Fragment sur l'étude des vases peints
antiques, par M. Gh. Lenormant, de l'In-
stitut 81
Numismatique, par M. A. de Longpérier. . 89
Rapport de M. Egger, sur le Recueil gé-
néral des Inscriptions latines 107
Sur l'origine du nom d'Horace , par C.-L.
Grotefend 1 14
Mythologie , par M. J.-D. Guigniaut , de
l'Institut 1^5
Inscriptions romaines deBaena, par M. P.
Mérimée, de l'Institut 176
DÉCOUVERTE DE DEUX COLONNES MiLLIAIRïS
sur la frontière du Maroc, par MM. Callier
et Let ronne 182
DÉCOUVERTE d'une CHAUSSEE ROMAINE et
de l'ancien pavé de Paris, par A.-P.-M.
Gilbert 188
Ancienne chapelle du collège de Na-
varre, par M. N. Trocbe 192
NiNiVE EX Khorsabad, par M. de Longpé-
rier 2 1 3
Recherches sur l'origine des représen-
tations FIGURÉES DE LA PSYCHOSTASIE ,
par M. Alfred Maury 235, 291
Sur un bas-relief du musée de Stras-
bourg, par M. P. Mérimée 25o
Restauration de l'église de Saint-Ger-
main-l'Auxerrois , lettre de M. N. Tro-
che au directeur de la Rei>ue 254
Restauration de l'église Saint-Ouen, à
Rouen, par M. Delaquérière 257
Le musée Grégorien a Rome, par M. J. de
Wilte, correspondant de l'Institut 3o8
Lettre deM. P. Le Bas à M. Léon Renier. 3i4
Observations sur les inscriptions conte-
nues dans la lettre précédente, par M. L.
Renier 3i6
PAGE
Tombeaux du moyen âge à Kutayah et à
Nymphi ( Asie Mineure ) , par M. Ch.
Texier, correspondant de l'Institut 320
Lettre de M. L. Griffi a M. Raoul Ro-
CHETTE sur un vase peint, de la colleclion
du cardinal Lambruschini 326
Obélisque d'A.xOUM, fragment d'une lettre
de MM, Ferret et Galinier 33 1
Manche de sceau d'ivoire, explication delà
pi. 9, par M. A. L 332
Quelques observations sur le Musée
DES Antiques du Louvre, par M. F, L. 333
Les hiéroglyphes et la langue égyp-
tienne , à propos d'une critique de la
grammaire de Cliampollion, par feu le doc-
teur Dujardin, par M. deSaulcy, de l'In-
stitut 341
Rapport fait a l'Académie royale des
Inscriptions et Belles - Lettres , au
nom de la commission des anti(juités de la
France, par M. Lenormant, séance du
9 août 1844 3^ *
Rapport fait a l'Académie royale des
Inscriptions et Belles - Lettres , au
nom de la commission du prix de numis-
matique, par M. de Saulcy , séance du
5 juillet 1844 378
Sur l'absence du mot Autocrator dans
les cartouches hiéroglyphiques qui ac-
compagnent le zodiaque de Dendera, par
M. Letronne, de l'Institut 38 1
Tombeau d'enfant découvert à Athènes ,
explication de la pi. 12 388
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES.
Inscription de Rosette 62, 65, 66
Expédition DU Xanthe 66
Découverte de monuments étrusques. . 67
Monument celtique a Marly 68
Sarcophage d'Aix-la-Chapelle 68
Buste en bronze découvert près de
constantine 68
Médailles romaines trouvées en Bre-
tagne 69
Catacombes chrétiennes a Milo 69
Note de M. Buchon sur des sculptures
byzantines 69
Portique du château de Gaillon 69
Piège de canon du XVI^ siècle 70
Découverte de sépultures a Scrupt 70
Comité d'archéologie de Chalons-sur-
Marne 7»
//»
TABLR DKS MATIERES.
Documents histokiquf.s nu royaume de
Naples et de la Sicile 71
Association archéologique anglaise. ... 72
Musée DES ANTIQUES A Barcelonne 72
nécrologie. — J.-G. ScliAveigliauser ^3
Lettre de M. le Ministre de l'Instruc-
tion PUBLIQUE au directeur DE LA
Kevue 117
Monument dhuidique a Plougoumelen . 117
Destruction du Menhir de Culey ii^j
Temple d'Auguste et de Li vie a Vienne . 118
Fouilles pratiquées a l'amphitéatre de
PRÎMES n8
Découverte d'une villa et de pierres
TUMULAIRES KOMAINES A SaVERNE I20
Voie romaine près de Tarascon 121
Fragments de statues trouvées a Be-
ziers 121
Inscriptions trouvées en Afrique. . i . . . 122
Collier d'or découvert a Sain t-Géran. . 124
Ceinture trouvée près de Creil i23
Tombeaux gallo-romains découverts à
Sceaux 124
Fouilles des Champs-Elysées d'Arles ... laS
Sarcophages chrétiens d'Arli-s 127
Origines dks cloches 128
Restauration de Notre-Dame de Paris. 129
Cuve baptismale de l'église de Gonde-
couRT 129
Croix processionelle appartenant a
M. Failly r3o
Croix du cimetière d'Éleguerec i3i
Monnaies trouvées près du château de
Roquefort i3i
Pièces d'or trouvées a Noyon i3i
Peintures sur la tour du Palais de
Justice de Paris i3i
Caveaux de l'église Saint-Georges a
Caen l32
Dons faits au musée de Cluny i32
Incendie de la flèche de l'horloge de
Notre-Dame de Laon i34
Nécrologie. — M. Burnouf père i35
Lettre du docteur Lepsius '. 208
Barrow dans le Finistère 209
Arrivée de M. Le Bas a Athènes 209
Puits antique a Beuzeville 211
Bassin antique près de Jouy-aux-Arches. 21 1
Nouvelles fouilles a Beziers, . . . .• 2n
Portraits des Pharaons 261
Te-sseire et inscription de Pouzzole 261
Monuments découverts a Brindes 262
Inscription votive trouvée a Péri-
gueux 262
Armes découvertes près de Saint-Malo . 263
Coupe sassanide de la Bibliothèque
Royale 263
Oratoire des Templiers a Metz 267
Restauration du prieuré de Morlangk. 267
L'Archéologie a la Chambri; des Dé-
putés 26S
Catalogue des artistes de l'antiquité. . 338
Séance annuelle de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres 338
Denier d'argent de l'époque mérovin-
gienne 338
Document sur les émailleirs français. 339
Revue des églises de Picardie et d'Ar-
tois 339
Troubles a Mossoul . . .^ 402
Plâtres moulés sur divers objets d'an-
tiquités , envoye's à la Bibliollièque
Royale de Pari^ 40?.
Découverte d'une ville ancienne en
Toscane 4^3
Objets provenant des catacombes de
Rome 4^*3
Fouilles de Vieux-Reng (Nord) 40^
Fouilles A Fouren-le-Comte (Belgique). 406
Mosaïque DU Bellérophon a Autun 407
Chasuble de la cathédrale de Coire
(Suisse). 408
Chasuble du B. Th. Hélie 408
BIBLIOGRAPHIE.
Publications nouvelles 74, 42<*
(Ouvrages dont il a e'te' rendu compte dans
ce volume.)
Lettres sur la Saintonge et sur l'Au-
Nis , par M. Lesson 140 .
Fastes historiques , etc. , du départe-
ment DE LA Charente-Inférieure, par
M. Lesson 140
Souvenirs historiques sur l'ancienne
abbaye de Saint- Benoît -sur -Loire,
par M. Marchand i4o
Notice sur le château de Langeais... 140
Dictionnaire Iconographique , par L.-J.
Guenebault 14 1, 4*^
Éléments d'Archéologie, par Balissier. 142
Recherches sur la peinture sur émail,
par Dussieux i43
Examen critique de la découverte du
PRÉTENDU COEUR DE SAINT LoUIS , par
M . Letronne 269
Encore le prétendu coeur de Saint
Louis ! par M. F 390
Notre-Dame d'Ajaccio, par A. Arman.275, 4^9
LaTINI SERMONIS VETUSTIORIS RELIQUI^ SE-
LECTE, recueil publie' par M. A.-E. Egger. 409
MÉMOIRES publiés PAR LA SoCIÉtÉ ROYALE
DES Antiquaires de France, tome VII. . 4'o
Louis et Charles , ducs d'Orléans, leur
influence sur les arts, etc., par M. A.
CliampoUion-Figeac 4*9
REVUE ARCHÉOLOGIQiE.
ARCHEOLOGIE.
Le mot d'archéologie (1) a été détourné de son sens primitif;
chez les Grecs on désignait sous le nom d'archéologue celui qui
recueillait les plus anciens souvenirs d'un pays, d'une nation. Le
livre de Denis d'Halicarnasse sur les origines et les commence-
ments de Rome a reçu de son auteur le nom d'archéologie. Chez
nous , celui qui se consacre à la recherche des origines historiques
prend place parmi les historiens ; quel que soit d'ailleurs le mérite
de ses travaux , il ne compte au nombre des archéologues, que s'il a
appris à connaître ce qu'on appelle les monuments de V antiquité figu-
rée, c'est-à-dire s'il distingue , classe , contrôle ce qui nous reste des
produits des arts du dessin chez les peuples anciens, et sait tirer de
ces débris, des notions certaines sur les idées, les penchants, les ha-
bitudes, le degré de culture et d'industrie de ces peuples. Un archéo-
logue aujourd'hui (car l'usage de cette dénomination ne remonte
qu'à un petit nombre d'années) est ce qu'on aurait appelé autrefois
un antiquaire, si les antiquaires d'autrefois eussent été tout ce que
sont aujourd'hui les vrais archéologues. Les deux mots d'antiquaire
et d'archéologue sont encore employés concurremment, mais avec
une nuance assez délicate dans le sens. Un antiquaire est plutôt
celui qui recueille les monuments de l'antiquité que celui qui les
comprend; un antiquaire, avec du goût, du tact, de l'habitude, peut
se passer d'érudition : M. E. Durand, connu par la richesse et le
choix des collections qu'il avait formées, pouvait être considéré comme
un excellent antiquaire , mais il n'avait pas les mêmes droits au titre
di archéologue.
(l)Cet article Archéologie a paru il y a quelques années, dans V Encyclopédie du
XIX* siècle. J'aurais pu, afin de l'approprier au recueil que M.Gailhabaud \ient de
fonder, le refaire enlièiement; mais le temps m'a manqué. Tel qu'il est, il donnera
peut-être une idée exacte des deux branches les plus riches et les plus ardues de
l'archéologie, l'archéologie orientale et l'archéologie classique. Quant au moyen
âge et à l'archéologie chrétienne , un autre en parlera dans un article spécial. On
retrouvera donc cet article à peu près tel qu'il a été inséré dans V /encyclopédie
du XIX" siècle. Les notes que j'y ai jointes, et qui sont nouvelles , ont pour objet
d'indiquer les progrés les plus récents de la science.
I. 1
2 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
On doit regarder comme un des faits les plus singuliers que pré-
sente l'histoire des sciences historiques chez les modernes, la lenteur
avec laquelle les principes de la véritable archéologie se sont fondés.
Les lettres antiques, plus heureuses, n'ont pas connu d'interrup-
tion dans la série de ceux qui les ont cultivées et expliquées avec
intelligence. Les Grecs , dispersés en Europe au XV* siècle, et
fondateurs de toutes les chaires de littérature érudite, étaient la
plupart d'excellents philologues, qui, étrangers peut-être aux
procédés d'une méthode rigoureuse, y suppléaient par un sens
intime, et pour ainsi dire sympathique, des modèles qu'ils expli-
quaient. Aces Grecs, qu'on doit considérer comme les derniers des
anciens, succédèrent les Laurent Valla, les Budée, les Came-
rarius, les Estienne, les Casaubon, les Seal iger, les Burmann, les
Wetstein, les Bentley, les Markland, les Walckenaër, les Witten-
back, les Schneider, les Hermann, les Boeckh. C'est à peine si le
progrès s'aperçoit dans cette suite de noms illustres dont j'elfleure ici
les sommités; une qualité remplace l'autre; une partie du domaine
exploité est mise en valeur quand une autre rentre dans l'ombre.
Les philologues réunis de notre époque représentent beaucoup plus
que la science isolée d'Estienne ou de Casaubon ; mais, seul à seul,
qui oserait lutter avec ces colosses d'un autre siècle ? L'archéologie nous
présente un autre spectacle : d énormes travaux sur les antiquités ont
pu être accomplis, on a pu imprimer les immenses trésors deGronove,
de Graevius et de Polenus ; Fabricius a pu recueillir les matériaux
de toute une Bibliothèque antiquaire , sans pour cela que la véritable
science des antiquités fût encore fondée. Je m'explique : pour avoir
accès à cette science, il ne suffisait pas de recueillir les objets de
l'art antique, de les classer dans les musées, d'en étudier les attri-
buts , d'en publier des explications. L'absence des éléments de com-
paraison et des principes de la critique, l'ignorance absolue des
bases de l'histoire de l'art, rendaient toute étude infructueuse, toute
explication incertaine, toute réussite presque impossible.
Ajoutez à cela que, dès l'aurore de la renaissance, l'antiquité figurée,
encore étrangère aux sciences historiques , était devenue la proie des
artistes qui l'avaient copiée, multipliée, contre-épreuvée avec un talent
et une fidélité capables de confondre une critique inexpérimentée. Les
beaux esprits rassemblés autour de Laurent de Médicis croyaient déjà
reconnaître à des signes certains le véritable travail antique ; et pour-
tant un Michel Ange enfant pouvait se jouer de leur crédule con-
fiance , en enfouissant dans la terre une statue toute fraîche sortie de
ARCHÉOLOGIE. 3
l'atelier. Ce qui d'abord , de la part des artistes, avait été l'objet d'une
respectueuse émulation, d'une lutte ingénieuse , devint bientôt ma-
tière aux spéculations des faussaires. A voir les collections formées
dans le XVP siècle, il est permis de penser que dès 1550 une bonne
partie des objets qui passaient pour antiques ne l'étaient point. Qu'on
juge des progrès qu'aurait faits une telle confusion, si la corruption du
goût dans les arts du dessin n'eût rendu dès 1600 les falsifications plus
aisées à reconnaître? De nos jours, sans posséder des artistes com-
parables aux cinquecentistes italiens, nous avons été envahis par des
faussaires plus adroits encore que ceux du XVP siècle ; l'erreur et l'il-
lusion sont aussi faciles qu'elles l'ont jamais été ; mais les règles de
critique qui guident les imitateurs nous fournissent aussi les moyens
de dévoiler leurs tromperies.
La première condition pour devenir archéologue est donc de con-
naître les monuments : l'iiistoire de l'art est la base de toute archéo-
logie. Le domaine de l'antiquité est comme un vaste casier dans les
divisions duquel on doit répartir à coup sûr les objets, à mesure
qu'ils se présentent. Epuisez votre imagination à réunir dans le même
individu les qualités les plus brillantes et les plus solides; que chez
lui la pratique des hommes et des choses complète et éclaire l'expé-
rience des livres; qu'il ait appris à feuilleter dès longtemps , et avec
un goût aussi sûr qu'éclairé , l'ensemble de la littérature classique ;
qu'il sache les musées, que sa tète représente un catalogue vivant,
tout cela n'est rien si l'histoire de l'art n'a été apprise que dans les
livres , si la critique est de seconde main. Ainsi donc , après cette
première triture qui conduit à ne plus confondre trop grossièrement
les objets, si vous voulez connaître l'aptitude d'un homme à l'archéo-
logie , n'assemblez pas les académiciens : un jury plus simple suffit;
qu'en présence de quelques antiquaires, ignorants, si l'on veut, mais
exercés, le candidat puisse trier une masse d'objets antiques, distin-
guer en bloc le grec du romain , assigner les caractères de l'étrusque
et de l'égyptien , rendre une médaille à l'Asie ou la restituer à
l'Italie. Si l'épreuve réussit, on devra en conclure à une véritable
vocation archéologique ; sinon , le monde littéraire pourra compter
un historien élégant de plus , un philologue délicat , un compilateur
adroit de travaux archéologiques , mais jamais un archéologue
véritable.
Je pense aussi que , chez toute personne réellement appelée à
cultiver l'archéologie, l'initiation à l'antiquité par les monuments
devra accompagner l'initiation littéraire, si elle ne la précède pas*
4 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
Sous ce rapport, les faits les plus saillants qui se soient produits
depuis que l'archéologie existe, méritent d'être étudiés. Montfaucon,
à qui l'on doit le premier et le plus beau programme de l'archéolo-
gie, n'a point sa place néanmoins parmi les maîtres de cette science.
A quoi tient une telle exclusion ? uniquement à ce que Montfaucon,
bon philologue , comme le prouvent ses travaux sur les Pères et sa
paléographie, ne possédait, en fait de critique appliquée aux monu-
ments, que des lumières limitées. Caylus, homme tout à fait du monde,
aussi ignorant que pouvait l'être le plus érudit des grands seigneurs
de la cour de Louis XV, Caylus, plus heureux que le docte Mont-
faucon , a pris rang parmi les archéologues : c'est que Caylus vivait
parmi les monuments et les aimait; c'est que les procédés de l'art
chez les anciens étaient familiers , non-seulement à son érudition ,
mais encore à sa pratique ; c'est qu'avant Winckelmann il avait en-
trevu les lois de l'histoire de l'art. Au milieu des préjugés et des
opinions précipitées, inévitables chez un homme que sa position et
la tournure de son esprit avaient dû livrer tout entier aux travers
du XVIIP siècle, Caylus devançait son époque dans le mouvement
archéologique qui commençait à se dessiner. Winckelmann eût
existé sans Caylus, mais certainement Caylus n'a pas été inutile aux
progrès de Winckelmann, Ce dernier était-il un grand philologue?
L'étude de ses ouvrages nous démontre le contraire. Le développe-
ment de son génie lient à une éducation d'artiste; les plus impor-
tantes vérités se dévoilent à lui par le contact des monuments; l'em-
ploi des secours littéraires ne vient que subsidiairement et toujours
d'une manière secondaire , souvent embarrassée. — Zoëga compte
en Allemagne pour un grand archéologue , mais à tort , ce me
semble. Ce qui frappe en étudiant les précieux travaux de cet érudit,
c'est sa stérilité ; son Recueil de has-reliefs antiques , mine précieuse
à exploiter pour quiconque possède un fonds de richesses individuelles,
ce recueil manque d'explications neuves et fécondes; c'est, au con-
traire , là le caractère des Monuments inédits de Winckelmann, livre
dont l'érudition littéraire est incomplète et superficielle. Le grand
travail de Zoëga sur les obélisques égyptiens, avec l'apparence d'une
conception encyclopédique, n'est, en définitive, qu'un vaste amas de
matériaux pour un édifice à venir, dont les pierres ne sont ni assem-
blées ni taillées. — Notre pays présente en contraste un véritable
phénomène. Un homme contemporain de Zoëga, mais dont l'exis-
tence s'est prolongée pour la gloire de notre époque , M. Quatremère
de Quincy, le premier, sans contredit, des archéologues vivants,
ARCHEOLOGIE. 5
semble avoir professé toute sa vie une parfaite indifférence pour l'éru-
dition philologique : étranger ainsi à l'usage direct des monuments
littéraires, on dirait parfois qu'il n'a pas fait plus de cas des monu-
ments figurés; ou plutôt, quant aux productions de l'art, il s'est
borné , dans chaque genre , à certains types que son goût a large-
ment et habilement choisis , ne tenant de tout le reste aucun compte.
De là est résulté un travail concentré sur un petit nombre d'objets,
plus limité dans les exemples qu'on ne peut se l'imaginer quand on
n'en a pas fait soi-même l'expérience , mais alimenté par un fonds
d'idées aussi abondantes qu'ingénieuses ; et le résultat de ces travaux
a été de pourvoir l'archéologie de plus de faits constatés et essentiels
que n'avait pu en produire la critique prudente, l'érudition métho-
dique de Zoëga, — La grande exception à la remarque générale que
je viens de faire, c'est Visconti, unique entre les archéologues, en
ce que, dès l'enfance, il combina les deux ordres d'impression,
initié par un père, homme de goût et de savoir lui-même, à la pra-
tique des modèles littéraires de l'antiquité, puis passant de la lecture
d'Homère aux galeries du Vatican, lisant les marbres grecs dans So-
phocle , animant les mots d'Euripide par les figures que lui fournis-
sait la statuaire antique, unissant à cette double vue u-ne modération
scientifique exemplaire, un bon sens exquis, et réaHsant déjà, dans
les limites de l'antiquité classique , l'idée que nous nous faisons au-
jourd'hui de l'archéologue complet, c'est-à-dire de l'homme qui ex-
plique les monuments par les livres et les livres par les monuments.
Et pourtant , en dépit de cette parfaite éducation jointe à une telle
réunion d'inappréciables qualités, Visconti, osons le dire, a péché
quelquefois par la base même de l'archéologie ; les faussaires et les
falsifications ont plus d'une fois abusé son jugement. Admirable en
présence d'un monument certain, et sachant en développer non-seu-
lement le sens, mais les beautés, Visconti trébuche devant une
supercherie souvent grossière. Visconti se serait-il montré aussi
accessible à l'erreur, si c'eût été l'instinct et non l'éducation qui l'eût
fait archéologue?
Les personnes qui possèdent aujourd'hui la véritable expérience
archéologique ne pourront guère contester l'exactitude des observa-
tions qui précèdent. Est-ce à dire pour cela qu'une expérience anti-
cipée de la philologie, chez un homme d'ailleurs bien doué, puisse être
nuisible au développement des connaissances archéologiques? Si je
prétendais soutenir une telle opinion, l'Allemagne de nos jours
me donnerait un démenti. Nous avons vu des hommes d'un grand
6 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
savoir, et d'abord connus par des travaux d'érudition littéraire ou his-
torique, MM. K. 0. Millier et Th. Welcker (le premier desquels, à
ma connaissance, n'a vu d'autres monuments que ceux de Vienne, de
Londres et de Paris) (l), se faire postérieurement un nom respecté
parmi les archéologues, contribuer aux progrès de l'histoire de l'art,
produire des travaux non-seulement utiles et bien faits, mais encore
originaux et féconds, ce qui est le point essentiel. Les Gerhard , les
Panofka, encore plus exchLsivement archéologues que les Welcker et
les Miiller, ont été, avant de prendre rang dans cette science, des re-
jetons distingués des séminaires philologiques de l'Allemagne. Tout
cela est vrai; et pourtant les derniers érudits que je viens de citer
nous expliqueront-ils quel a été, sur la marche de leurs idées, l'effet
de l'érudition littéraire qu'ils avaient préalablement acquise? Après
avoir vu si avant dans l'antiquité, uniquement par les yeux de l'es-,
prit, ne leur a-t-il pas fallu réformer bien des impressions erronées,
quand le témoignage direct des sens est venu leur apporter des notions
plus certaines?
Ceci m'amène à conclure qu'il serait à désirer, pour l'affermisse-
ment définitif de la science, que les impressions archéologiques pris-
sent, comme chez Visconti, une assez large place dans l'éducation.
Les archéologues, formés ainsi par l'art, pourraient rendre d'aussi
grands services que Visconti lui-même, qui n'était peut-être pas
naturellement archéologue, et ceux qui appartiendraient de droit
à cette dernière catégorie , prendraient une avance qui leur permet-
trait le libre usage de toutes leurs facultés. Aujourd'hui le personnel
archéologique se divise, à peu d'exceptions près, en deux camps :
les philologues faisant de l'archéologie par occasion, mais rebelles aux
témoignages des monuments, ou les torturant au profit de leurs pré-
jugés scolaires; les archéologues d'instinct, qui, sachant d'avance
tout ce que les témoignages littéraires leur apporteraient de lumières,
n'en restent pas moins, en leur présence, d'incurables écoliers. — Disons
aussi que l'éducation, qui a fait Visconti, ne produirait aujourd'hui que
des archéologues incomplets. Depuis ce savant, que nous avons vu
mourir, le domaine de l'archéologie s'est démesurément agrandi. L'in-
forme embryon d'archéologie orientale que Winckelmann avait cousu
(1) Tout le monde connaît la fatale issue du voyage que K. O. Miiller avait en-
trepris pour donner à son admirable érudition , à son génie actif et pénétrant le
complément d'expérience directe qui lui manquait. Frappé à Delphes par l'in-
fluence du climat, il revint mourir à Athènes, et repose aujourd'hui sur l'éminence
de Colonne, à quelques pas de l'Académie.
ARCHEOLOGIE. 7
à son histoire des arts de la Grèce a pu suffire à Visionti, qui l'a-
moindrit encore quand il traite de quelque monument égyptien ou
asiatique. La question des origines était alors aussi obscure que celle
de l'archéologie orientale. Ces deux parties de la science en occu-
pent aujourd'hui les premières avenues, sollicitent la curiosité, im-
posent à ceux qui parcourent la carrière, la solution, ou du moins
l'examen des plus graves problèmes. L'archéologie est redevenue,
en quelque sorte , ce qu'elle était du temps de Denis d'Halicarnasse ,
la science des origines.
La chose en est venue au point qu'on se trouve obligé de diviser
la science archéologique en plusieurs branches, et de faire de chacune
de ces branches l'accessoire des diverses parties du programme géné-
ral des sciences historiques. Ainsi nous avons maintenant une ar-
chéologie chinoise et japonaise, une archéologie indienne, une ar-
chéologie américaine. Les rapports d'histoire primitive qui peuvent
unir les antiquités chinoises et japonaises avec le monde occidental
sont on ne peut pas plus obscurs. Quant aux Indiens, la philologie a
constitué d'une manière inébranlable les bases d'une grammaire et
d'un vocabulaire comparatifs pour un ensemble de peuples qui, décri-
vant un arc immense depuis les embouchures du Gange jusqu'à
l'océan Atlantique, dans la direction du sud-est au nord-ouest, ont
couvert de leurs tribus l'Inde occidentale, la Perse, la Bactriane,
l'Arménie, l'Asie Mineure, la Scythie, la Thrace, la Grèce, l'Italie,
la Germanie, la Scandinavie et la Gaule. Mais quant aux secours que
peut fournir à cette admirable étude l'archéologie indienne propre-
ment dite, ils sont, quoi qu'on en ait dit, faibles et incertains.
Le classement chronologique des monuments figurés de l'Inde a été
jusqu'à présent impossible , et la plupart , soit qu'ils appartiennent
à l'architecture, soit qu'ils se rapportent à la statuaire ou à la
peinture, sont de fabrique fort récente. Sans doute on peut y re-
connaître l'application d'idées déposées elles-mêmes en des livres
d'une date reculée , tels que les Védas; mais le service le plus im-
portant que puisse rendre l'archéologie, en donnant les moyens
d'établir ou de confirmer la date des monuments écrits, ce service
ne saurait être réclamé de l'étude des monuments figurés de l'Inde.
Il est donc à craindre que cette branche de l'archéologie ne reste
toujours secondaire et subordonnée.
En Amérique , l'archéologie reprend ses droits ; là manquent les
productions littéraires, et, à leur défaut, quand on veut rechercher
quels peuples ont habité d'abord ces contrées, à quel degré de civili-
8 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sation ils sont parvenus , quels rapports doivent unir ces peuples à
ceux de l'ancien monde, l'archéologie, qui rassemble les monuments du
Mexique, du Pérou et du centre de la péninsule méridionale, élève la
voix tout aussi haut que l'ethnographie; reste à apprécier ce qu'elle
peut alléguer de certain, en marchant ainsi dans sa liberté, sans la tu-
telle salutaire de l'histoire et des textes.
Au reste, l'archéologie américaine n'occupera jamais qu'une place
secondaire dans le cercle des études humaines; la chinoise et la japo-
naise ont besoin , pour réclamer notre attention , d'avoir puisé avec
persévérance dans les immenses travaux des antiquaires chinois. Il
sera longtemps encore facile à tout indianiste de quelque expérience
d'apprendre de l'archéologie indienne tout ce qu'on en peut savoir. Il
n'en est pas de même des branches de cette science qui se rapportent
plus directement à notre propre histoire, et dont le cœur, pour ainsi
dire, est l'étude des antiquités classiques. Ici, toutes les ramifications
ont entre elles des rapports étroits, et ce serait désormais une espé-
rance vaine que de prétendre à une place distinguée dans les rangs ar-
chéologiques, en limitant son horizon à une province isolée.
Ainsi la première question qui se présente est celle de savoir jus-
qu'à quel point la société classique a profité des civilisations orientales
qui l'ont précédée : de là, nécessité absolue d'étudier ces civilisations
dans les monuments figurés qu'elles nous ont transmis.
Pouvons-nous étudier les antiquités égyptiennes dans les mo-
numents eux-mêmes , ou sommes-nous réduits encore aux témoi-
gnages incertains des écrivains grecs? Qu'a produit, jusqu'à ce jour,
l'instrument découvert par Champollion? Quelles inductions fournit
l'étude philosophique du mode d'écriture employé par les Egyptiens?
Y a-t-il lieu à un classement chronologique des monuments? Ce clas-
sement conduit-il à établir des règles pour l'appréciation des phases
de l'art chez les Égyptiens, ou bien faut-il croire à cette immobilité
dans la production des arts que l'on attribue communément à ce peuple?
Quelle idée, d'après l'interprétation des monuments figurés, doit-on se
faire du degré de culture intellectuelle des Égyptiens, du caractère et de
la tendance de leur religion , de leurs institutions politiques et civiles,
des lois morales qui régissaient la vie commune, du rapport des classes
entre elles , de la prépondérance de certaines castes et du bien-être
des individus, du développement scientifique et de la capacité indus-
trielle? Et de là on devra rechercher si la civilisation égyptienne a
été, ou complètement originale, ou intégralement transmise, ou mo-
difiée après transmission, de façon à conquérir une originalité rela-
ARCHEOLOGIE. 9
tive; si le panthéon égyptien n'est point un appendice du panthéon
asiatique; si la religion de l'Egypte n'a pas droit d'être considérée
comme une réforme de la religion de l'Asie occidentale, dirigée dans
une intention de progrès moral ; si aux indications fournies par l'étude
religieuse ne répondent pas celles qu'on peut demander à l'étude des
monuments d'architecture; si, en démontrant ainsi que l'Egypte, peu-
plée d'Asiatiques, s'est modelée, à une époque très-reculée', sur un
type asiatique, on ne préjuge pas aussi l'antériorité de la civilisation
dans l'occident de l'Asie.
Ainsi, avant de s'enquérir des influences que l'Egypte a pu verser
sur d'autres contrées , on apprend que l'Egypte elle-même a eu des
maîtres et un modèle; on remonte à la source d'où les ruisseaux
de la civilisation humaine se sont répandus dans toutes les directions.
Mais ici la stérilité des documents succède à leur abondance. Le dé-
faut de rapports directs et faciles avec les localités, la nature fragile
des matériaux employés sur les bords de l'Euphrate et du Tigre , et
d'où résultent des monceaux de décombres au lieu de ruines ; l'impos-
sibilité où l'on a été jusqu'à ce jour de pénétrer les mystères de l'écri-
ture cunéiforme autrement que dans les produits du système per-
sique, le plus récent de tous, toutes ces causes réunies ont empêché
l'archéologie moderne d'émettre, sur les antiquités babyloniennes et
assyriennes, autre chose que de vagues conjectures (l). Pour combler
autant que possible cette lacune, la plus grave de toutes, on est obligé
d'avoir recours à des procédés hardis, à examiner, par exemple, si,
indépendamment du secours des inscriptions, on ne peut pas tirer quel-
ques lumières d'attributs fréquemment répétés, de compositions dont
les circonstances principales se reproduisent assez souvent pour qu'on
les range en classes sufGsamment définies. Ainsi, l'on a pu interpré-
ter, avec quelque bonheur, un certain nombre de monuments égyp-
tiens, avant que le mystère de l'écriture hiéroglyphique ne fût dé-
voilé; mais la difficulté se complique, en ce qui concerne Babylone et
l'Assyrie, par la petite dimension et le travail négligé des monuments
(1) En 1843 , M. Botla, consul de France à Mosoul, a découvert, au village de
Khorsabâd, non loin des ruines de l'ancienne Ninive, les restes d'un immense édi-
fice assyrien, tout rempli d'inscriptions cunéiformes et de bas reliefs historiques.
Les détails que M. Botta a donnés sur le résultat de ses travaux, et les dessins qui
accompagnaient ses lettres, ont excité dans le monde savant une vive curiosité. Si
ces premières recherches , puissamment encouragées par le gouvernement français ,
se continuent avec un succès semblable , il n'y a rien de hasardé à comparer la
lumière jetée ainsi tout à coup sur le monde sémitique, à la transformation que subit
l'archéologie égyptienne lors" des travaux de la grande expédition française.
10 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
qui, la plupart, sont des cylindres ou des amulettes. Les témoignages
classiques, dans cette recherche périlleuse, ne sont ni nombreux, ni
d'un secours très-efficace : on supplée en partie à leur silence par l'é-
tude de la Bible, mine précieuse et qui n'a pas encore été épuisée.
On peut chercher aussi des éclaircissements (et c'est ce qu'a tenté l'au-
teur de cet article) dans les doctrines des sectes demi-chrétiennes qui
se sont formées sur le terriiin de l'antique influence babylonienne, et
qui paraissent avoir donné asile à ces croyances vivaces dont l'exis-
tence cachée succède pendant si longtemps à l'éclat florissant des re-
ligions. Mais on sent combien, dans ces agglomérations d'idées neuves
et anciennes, le point de départ est difficile à établir entre ce qui a
précédé et ce qui a suivi. On ne saurait donc blâmer, jusqu'à nouvel
ordre, les archéologues plus prudents qui, mettant un frein à leur
curiosité, se contentent de recueillir et de classer des matériaux,
dont ils lèguent l'interprétation à une génération destinée à devenir
plus riche que la nôtre en documents de cette nature.
L'archéologie est la première qui, par la simple comparaison des
cylindres babyloniens et des sculptures monumentales de Tchihil-Mi-
nar, ait deviné la connexion qui a existé entre la civilisation des bords
de l'Euphrate et celle qui fleurit dans les montagnes de la Perside.
Mais cette route n'est qu'indiquée, et les conclusions anticipées qu'on
avait tirées du parallèle étaient d'abord le contre-pied de la vérité ,
puisqu'on y préjugeait l'influence de la Perse sur Babylone. Aujour-
d'hui la Perse n'est plus le seul terrain sur lequel on puisse poursui-
vre la trace de la domination intellectuelle de Babylone ; l'Arménie,
l'Asie Mineure surtout, grâce aux découvertes de nouveaux voyageurs,
nous offrent des monuments qu'on peut rattacher à la même origine.
Les sculptures de la Phénicie sont plus rares, plus imparfaites, ou
d'une époque beaucoup plus récente. Mais les inscriptions dont plu-
sieurs philologues ont scruté, non sans succès, les mystères, suppléent
au défaut des représentations figurées. Enfin, les témoignages classi-
ques et bibliques s'accordent à nous démontrer l'identité presque ab-
solue des idées religieuses sur les bords de l'Euphrate et sur les côtes
de la Phénicie; à partir de ce point, la même influence, le même sys-
tème religieux s'étendent sur toute la côte septentrionale de l'Afrique,
en Espagne, très-probablement dans le midi de la Gaule. La Grèce
et l'Italie, ces deux domaines de l'érudition classique, se trouvent donc
comme enveloppées par un réseau d'établissements phéniciens, et la
certitude absolue que nous avons de la transmission de l'écriture phé-
nicienne aux peuples de la Grèce et de l'Italie nous conduit à préju-
ARCHEOLOGIE. 11
ger la solution d'une foule de problèmes, solution dans laquelle se
montre la domination intellectuelle d'un peuple plus avancé en civili-
sation sur des nations encore barbares.
Cependant les peuples dont on ne peut mettre en doute la soumis-
sion aux exemples venus de laPhénicieont traversé plusieurs périodes
historiques avant d'avoir pu laisser, par l'architecture et la statuaire,
des témoignages durables de leur histoire. S'il s'agit de scruter les
temps héroïques, l'archéologie n'a d'autre guide que le reflet répandu
sur des époques plus récentes par le souvenir de ces premiers âges; à
peine si quelques vestiges épars dans la Béotie, l'Argolide, la Laco-
nie, les tombeaux de Mycènes et d'Orchomène, les murs deTirynthe,
viennent servir de preuve et de commentaire à ce que l'épopée ren-
ferme de réellement historique. Les murs pélasgiques se reconnais-
sent encore en Italie à leur informe grandeur; mais on doit se garder
d'enfler au gré de l'imagination le catalogue de ces débris des âges
primitifs ; d'autant plus qu'on a reconnu le procédé de construction
regardé par quelques-uns comme exclusivement pélasgique dans- des
murailles grecques d'une date postérieure à la guerre du Péloponnèse.
Cependant l'horizon s'éclaircit peu à peu ; entre le retour des Héra-
clides et l'époque de Pisistrate, les monuments épigraphiques com-
mencent à apparaître. Déjà toutes les tribus occupent sur le sol des
deux péninsules leur place historique; les migrations postérieures
sont toutes connues; on en sait la date, l'importance et l'elTet. La
Grèce et l'Italie dissipent ce brouillard demi- oriental qui les enve-
loppait; mais quelle part, dans cette existence nouvelle, assignerons-
nous aux causes précédentes? Quel domaine d'idées à eux propres
auront gardé les habitants de la Grèce, frères par l'origine des In-
diens et des Perses ? Que donner à cette persistance des traditions
dans les tribus héroïques des Hellènes? Que reconnaître comme
l'efl'et des rapports établis avec les Phéniciens? Et dans ces peuples
qui couvrent la Grèce et l'Italie, que d'origines encore obscures! Les
Étrusques sont-ils Lydiens, ou sont-ils descendus des Alpes, selon
l'hypothèse fiivorite de Niebuhr? Jusqu'à quel point l'élément méri-
dional de l'Asie a-t-il pénétré non-seulement dans les institutions,
mais dans la formation même du peuple pélasgique, cette couche
humaine qu'on découvre constamment et en tous lieux sous les ori-
gines helléniques?
Ces questions principales et un grand nombre de celles qui s'y rat-
tachent sont encore pendantes entre les savants. La critique philolo-
gique, l'intuition historique n'ont répandu sur elles qu'une faible
12 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
lumière : si jamais ces problèmes sont résolus, on en sera rede-
vable, pour une grande part, aux efforts de l'arcbéologie. Après
Pisistrate, en effet, commence l'âge où les monuments figurés, mé-
dailles, vases peints, terres cuites, bronze modelé, marbre sculpté,
se multiplient sur le sol classique. S'il ne s'agit que de l'origine de
ces arts qui prennent dès lors un si ricbe développement , on n'hési-
tera plus maintenant à reconnaître les traces de l'influence orientale.
Les partisans d'une production spontanée ont dû battre en retraite.
Mais dès que la Grèce revêt une physionomie originale, un nouveau
principe, inconnu à l'Orient, se développe et imprime aux pro-
ductions de l'art une physionomie particulière. Jusqu'à quel point
cette loi, à laquelle on a attribué le nom d'anthropomorphisme, a-t-elle
altéré le fonds oriental? N'avons-nous ici qu'une apparence, ou la
pensée grecque traverse-t-elle un âge entièrement possédé par les
illusions de l'art avant de retomber dans le symbolisme de l'Egypte
et de la Chaldée? Devons-nous reconnaître chez les Grecs l'existence
d'un code qui, gouvernant la religion aussi bien que les arts, assi-
gnait à chaque divinité son domaine distinct de culte, de surnoms,
de fonctions et d'attributs ? ou bien le syncrétisme, qu'on a voulu con-
centrer dans l'époque postérieure à Alexandre, est-il un élément essen-
tiel du génie de la religion chez les Grecs? Ce sont là des propositions
que la science débat encore, et sur lesquelles elle n'a pu oflrir, jus-
qu'à ce jour, un corps de doctrines à l'abri de toute objection.
Quant au reste, la route est battue, les principes posés, la tâche
quelquefois accomplie. Tout ce que l'archéologie pouvait fournir
de lumières à la géographie, aux annales des royaumes, à l'histoire
de l'art, de l'économie politique et des sciences, a été exploité avec
conscience et talent. C'est dans ces matières surtout que l'archéologie
peut être fière des services qu'elle a rendus, en donnant une base de
certitude absolue aux récits de l'histoire, et en permettant ainsi de
préjuger la même réalité pour les lieux et les temps qui manquent
d'un tel secours. Citer dans les différentes branches, après les noms
que nous avons rappelés au commencement de ce travail , ceux des
Vaillant, des Pellerin, des Eckhel, des Froelich, des Corsini, des
Pacciaudi, des Dodwell, des Noris, des Marini , des Ignarra, des
Mazzocchi, des Gori, des Passeri, des Fea, des Sestini, des Zannoni,
des Barthélémy, des Mariette, des Millin, des Hirt, des Boettiger,
des Raoul Rochette, des Florez, des Bayer, des Émeric David,
des Gesenius, c'est offrir au lecteur une des réunions intellectuelles
les plus dignes d'honorer l'esprit humain ; heureux qui méritera à
AilCHÉOLOGIE. 13
l'avenir d'être adjoint à une phalange dont les rangs sont déjà si
pressés et si bien occupés !
J'ai dit en commençant que le sentiment de l'art me paraissait être
caractéristique de la vocation archéologique, et que, parle passé,
certains hommes doués au plus haut degré de ce sentiment avaient
pu être de grands archéologues en dépit de leur inexpérience philolo-
gique. Ce n'est pas à dire pour cela que le néophyte de cette science
soit dispensé de profondes études littéraires; ce que l'archéologie
pouvait produire, réduite à ses propres lumières, est accompli; le
reste, et le plus important sans aucun doute, dépend d'une alliance
intime de l'archéologie et de la philologie. Nul ne saurait donc désor-
mais se flatter d'ajouter aux conquêtes de la science , s'il ne se met
en état de bien comprendre les écrivains des littératures grecque et
latine. L'archéologue doit avoir en sa possession la faculté de corriger
un passage corrompu ; il faut qu'il sache assez de philologie pour
juger sainement de ce que les opinions des philologues peuvent
avoir d'exclusif et de trop absolu. Toute archéologie dont l'application
se rattache, de près ou de loin, à la formation ou à l'influence des
sociétés hellénique ou romaine, doit, selon nous, procéder de l'intel-
ligence des auteurs classiques. La plupart des interprètes n'ont pas
appliqué les lumières archéologiques à l'explication de ces auteurs,
et il reste dans les textes une foule d'éclaircissements qui attendent
encore l'esprit qui saura les découvrir. N'oublions pas d'ailleurs que
les écrivains classiques ont été nos prédécesseurs, et souvent encore
nos maîtres , dans cet emploi de l'analyse et de la critique qui a fondé
les sciences historiques chez les modernes : que de choses ces écri-
vains n'ont-ils pas sainement observées, dont nous ne trouvons plus
la trace, et qui, déposées dans leurs écrits, servent d'un riche sup-
plément à nos observations directes I
L'archéologue de nos jours ne devra pas se borner à l'étude appro-
fondie du grec et du latin; je ne parle pas des langues de l'érudition ,
l'allemand, l'anglais, l'italien et l'espagnol, dont l'usage lui sera in-
dispensable. Je ne crois pas même qu'il puisse désormais se former
un sujet de quelque valeur, sans qu'il ait puisé à la source de la phi-
lologie orientale. La famille des langues sémitiques représente la plus
large part des origines de notre civilisation : le dialecte araméen était
parlé du Tigre jusqu'à la Méditerranée ; l'idiome dont les Phéni-
ciens faisaient usage ne différait pas sensiblement de l'hébreu ; ce qui
manque pour compléter la connaissance de l'hébreu, du chaldaïque et
du syriaque, se retrouve dans l'arabe et dans l'éthiopien; unecon-
14 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
naissance avancée de l'hébreu et du chaldaïque; une teinture suffisante
des autres dialectes sémitiques, me semblent désormais nécessaires
aux progrès de l'archéologie. J'ai tâché, dans une autre occasion,
de démontrer la connexité de ces idiomes et de celui qu'on parlait
dans l'antique Egypte : cette connexité n'existerait pas, qu'il serait
toujours du devoir de l'archéologue de se tenir au courant des
études égyptiennes , et de se mettre en état, par la connaissance
de la langue copte, de profiter de leurs progrès. Je serais moins frappé
de la nécessité d'étudier les langues , telles que le zend et le sanscrit^
dont le domaine a été plus reculé dans l'Orient, si l'habitude n'avait
point prévalu, dans les écoles philologiques de la moderne Allemagne,
de recourir à ces langues comme à la source exclusive de toute éty-
mologie. Si donc l'archéologue , guidé par les rapports que lui four-
nissent les monuments de l'antiquité figurée, trouvée renouer encore
les idées que lui ont fournies ces monuments par un rapprochement
entre les vocabulaires sémitique, grec et latin, il faut qu'il puisse se
tenir en garde contre les arguments qui pourraient lui venir du camp
des indo-germanistes exclusifs, et se mettre en état d'en peser équita-
blement la valeur (l).
Les connaissances philologiques dont je viens d'esquisser le pro-
gramme sont comme la préparation , et doivent devenir le guide con-
stant des études archéologiques. L'épigraphie est une science intermé-
diaire entre celle des langues et celle des antiquités. Tout philologue
profond et sagace acquerra facilement l'expérience nécessaire pour
bien interpréter les inscriptions: les travaux des Jacobs, des Welcker,
des K. 0. Millier, des Boissonade, des Hase, des Le Bas, et surtout
des Boeckh et des Letronne, en sont la preuve. Toutefois , le philo-
logue qui se consacre à l'épigraphie a besoin des lumières archéo-
(1) Ici j'avais été certainement trop loin, en m'efforçant d'exclure l'étude des
langues de la famille indienne et persique. du cercle des obligations imposées aujour-
d'hui à l'archéologue. Les travaux de Prinscp dans l'Inde, les découvertes de M. Fel-
lows dans la Lycie, la publication de la chronique de Kaschmyr, par M. Troyer
et du Rig-P^éda par Rosen, la prochaine apparition des recherches de M Eugène
Burnouf, sur l'origine du Bouddhisme, le parti que ce dernier érudit et que
M. La?sen ont tiré des inscriptions de la Perse, ont déjà ouvert ou vont ouvrir des
voies nouvelles à la science qui explique les monuments de l'antiquité figurée. Nous
aurons certainement bientôt une chronologie indienne; en Lycie, des sculptures
imitées des ouvrages grecs, se montrent accompagnées d'inscriptions conçues dans
une langue qui procède du zend et du sanscrit ; dans leurs travaux sur les médailles
de l'Inde et de la Baclriane, iM. Lasscn et M. Wilson ont démontré la liaison néces-
saire de celte partie de la numismatique grecque avec les monuments liliéraires de
l'Hindoustan. En si peu d'années, que de progrès nouveaux, et par conséquent ,
que de problèmes de plus !
ARCHEOLOGIE. 15
logiques pour apprécier l'âge , l'intention et la destination des
monuments de l'antiquité figurée, dont les inscriptions ne sont très-
souvent que l'accessoire. La paléographie s'occupe non pas du sens
des inscriptions, mais de la forme, de la valeur et de l'âge des carac-
tères au moyen desquels les inscriptions sont tracées. L'art de former
les caractères est dans son genre une espèce de peinture. Un phi-
lologue tirera un mauvais parti des éléments de critique que la
paléographie peut fournir, s'il n'est pourvu, jusqu'à un certain
point, du sens archéologique.
La numismatique procède à la fois de l'archéologie, quant aux
figures dont les monnaies antiques sont ornées, de la philologie, quant
aux inscriptions qui accompagnent ces figures, de la paléographie,
quant à la forme des caractères qui composent les inscriptions, et de
l'économie politique, quant k 1 appréciation de la valeur des monnaies
et de leur usage. Ainsi obligée à une foule de connaissances acces-
soires, elle réclame de celui qui se consacre à son étude une vocation
toute particulière. Ses produits sont si multipliés qu'un don de la
mémoire peut seul suffire à embrasser l'étendue de son domaine ;
les différences qui servent de guide à la critique sont si déli-
cates que le sentiment le plus exquis de l'art est à peine capable
de les apprécier toutes; le nombre des falsifications, l'adresse des
faussaires, exigent du numismatiste une pratique sans relâche des
monuments originaux.
Les autres classes d'objets antiques, tels que les marbres , ronde-
bosse et bas-relief , les bronzes , les terres cuites , les vases peints , ne
présentent point de distinctions aussi tranchées. C'est ici surtout que
trouve sa place la division en diverses archéologies, selon la différence
des contrées dont on étudie les produits. On n'oubliera pas, toutefois,
que les archéologies grecque, romaine, étrusque et italiote, ne sau-
raient être scindées sans désavantage pour la science.
L'histoire de l'architecture forme une branche particulière de l'ar-
chéologie, cultivée avec succès dans ce siècle. Des artistes habiles
ont reconnu l'avantage qu'il y avait à joindre l'expérience de l'anti-
quaire aux connaissances indispensables à leur profession; en tête de
ces artistes il faut placer les Cockerell, les Stieglitz, les Donaldson,
les Semper, les Hittorf ; n'oublions pas non plus les beaux travaux
des pensionnaires de l'Académie de France à Rome , entre lesquels
on doit citer les Huyot, lesDuban, les Blouet, les deux frères
Labrouste.
Le degré de culture des sciences mathématiques et physiques, chez
16 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
les anciens, intéresse au plus haut point l'histoire de l'esprit humain.
Les monuments de l'antiquité figurée renferment une foule de rensei-
gnements utiles à la solution de ce problème. Si, jusqu'à ce jour, il
n'a pas été résolu , c'est moins au silence des monuments qu'il faut
s'en prendre qu'aux savants modernes eux-mêmes, qui se sont diffi-
cilement asservis à rester dans le point de vue de l'antiquité. L'ar-
chéologue à qui manqueront presque toujours l'expérience et les fa-
cultés nécessaires pour approfondir ces questions, doit se trouver à
chaque instant, faute d'un guide sûr, arrêté dans ses recherches. En
attendant qu'en suivant la route ouverte par les Ideler, les Biot, et les
Letronne, tous les obstacles que présente l'histoire des sciences, chez
les anciens, aient été aplanis, l'archéologue devra se mettre en état
d'étudier ce qu'on rencontre de notions mathématiques et physiques
dans les écrivains tels qu'Empédocle et Timée, dont les opinions ont pu
influer sur les doctrines religieuses, ou d;)ns ceux qui, à l'exemple de
Platon et de Plutarque, de Proclus et des autres néoplatoniciens, pa-
raissent avoir fait des emprunts aux religions scientifiques de l'Orient.
Le rôle de l'astronomie paraît surtout évident dans l'origine et le déve-
loppement des doctrines orientales. Une connaissance assez dévelop-
pée de l'astronomie apparente sera nécessaire à l'archéologue qui ne
craindra pas d'aborder ces importantes mais périlleuses questions. Je
ne parle pas ici d'une foule d'autres connaissances pratiques qui réagis-
sent sur l'intelligence de l'antiquité. On sait toutes les lumières que
produit l'esprit d'observation dans les voyages; on connaît l'analogie
permanente des idées, des mœurs, des usages dans l'antique comme
dans le moderne Orient, les pratiques agricoles dictées par le climat
et conformes encore au code d'Hésiode et de Virgile, les procédés in-
dustriels qui, étudiés sous la main des artisans de la Perse, de l'Egypte
ou de l'Asie Mineure, expliquent les particularités de la fabrication
chez les anciens. La science qui consiste à déterminer les causes de
la production et de la richesse, appliquée à l'antiquité par des esprits
supérieurs, a produi?; aussi des résultats remarquables. Grâce aux
Boeckh, aux Letronne, aux Bureau de La Malle, nous pouvons
raisonner presque aussi juste sur le marché d'Athènes, à l'époque
de Périclès, sur celui de Rome, à l'époque d'Auguste, que sur la
bourse de Londres et les mouvements du port au Havre et à Mar-
seille.
On sera peut-être effrayé de l'étendue des connaissances que j'exige
de rarchéolo[;ue pour gage de son succès. Sans doute personne ne
réunira l'ensemble de ces connaissances; nul surtout ne les possédera
ARCHEOLOGIE. 17
toutes au même degré. Dans un cadn^ aussi vaste, il sera toujours
utile que chacun choisisse une spécialité à laquelle il se livrera de
préférence, selon la nature de ses facultés. Je ne m'en crois pas moins
autorisé à affirmer que la garantie du progrès réside dans l'étendue
des connaissances. La culture de l'esprit que je demande doit être
d'ailleurs le résultat tout naturel des succès simultanés de la mé-
thode dans toutes les applications de l'intelligence humaine. Les fa-
cultés individuelles ne croîtront pas sans doute; mais l'existence d'une
foule de guides et de manuels, conçus dans un esprit philosophique,
permettra à l'esprit de se répandre sans efforts dans les voies les plus
opposées. La tendance encyclopédique des travaux allemands est un
progrès de ce peuple sur la France; lorsque j'ai cherché à m'expli-
quer les causes de cette supériorité, je n'en ai pas découvert de plus
évidente que l'existence en Allemagne d'un grand nombre d'ouvrages
élémentaires, composés par les sommités intellectuelles de la nation :
chez nous, on laisse trop souvent cette tâche aux esprits du quatrième
ordre.
Ne nous lassons donc pas d'apprendre, et ne craignons pas, en vou-
lant trop apprendre, de perdre l'occasion d'appliquer nos connais-
sances. En toutes choses, en désirs de connaissance comme en désirs
de jouissance, l'infini est toujours devant nos yeux. N'est-ce pas une
des conditions essentielles du bonheur de l'homme, que de voir jus-
qu'au dernier jour un but qui lui paraît proche, et pourtant recule
toujours?
Ch. Lenokmant, de l'Institut.
LE MUSÉE DU PALAIS DES THERMES ET DE L'HOTEL
DE CLUNY.
PREMIER ARTICLE.
En 1793 , tandis que la populace jetait au vent la cendre des rois,
un vieux soldat qui l'avait suivie dans les caveaux de Saint -Denis,
ne voulut point permettre qu'on insultât les restes de Henri IV. Cet
homme , si fidèle à l'honneur national , n'était heureusement pas le
seul qui pensât que pour répudier l'ancien régime il fût nécessaire de
renoncer à la gloire acquise par nos pères. Quand la bande noire
s'abattait sur une abbaye, quand le fanatisme mutilait un vieux châ-
teau , bien des gens , et c'était souvent les partisans du nouvel ordre
de choses , bien des gens exposaient leur vie pour arracher à la des-
truction les chefs-d'œuvre de l'art. Qui ne sait qu'Alexandre Lenoir
fut blessé lorsqu'il faisait au monument de Richelieu un rempart de
son corps?
Lenoir, ce respectable vieillard qui ne nous a quitté que depuis
quelques années, était alors plein de jeunesse et d'enthousiasme.
Dans son enfance il avait vu les églises de Paris toutes remplies de
tombes, de statues, de vitraux resplendissants; ces chefs-d'œuvre
avaient enflammé son ardente imagination. Lorsqu'un ignare officier
municipal osa lancer contre eux un arrêt de proscription et les décla-
rer traîtres à la patrie, lorsque les rois de Notre-Dame furent, en
vertu d'un décret de la commune , violemment arrachés de leurs pié-
destaux, le jeune artiste ne craignit point de dénoncer à l'opinion
publique un tel attentat. Sa voix fut heureusement entendue. Bientôt
le vieux cloître des Petits-Augustins ofl"rit un asile aux nobles débris
qu'on chassait de Maubuisson ou des Célestins.
Pendant dix ans ce Musée des Monuments français ofl*rit un magni-
fique spectacle. Plus de cinq cents monuments d'architecture, de
sculpture ou de peinture y avaient été rassemblés et classés avec
grand soin. Sous les arceaux des cloîtres, on voyait rangées les statues
de nos rois. Ces statues n'étaient point isolées, une foule d'illustres
personnages, jadis comblés d'honneurs, jadis morts pour la patrie,
maintenant proscrits, ainsi que leurs maîtres, semblent s'être donné
rendez-vous dans ce sanctuaire consacré à toutes les gloires de la
France, Près de Charles V on voyait Duguesclin et Olivier de Clisson,
près de Louis XH Georges d'Amboise , près de Henri H l'inflexible
MUSÉE DES THERMES Eï DE L HOTEL DE CLIJNY. 19
Montmorency; comme si ces fidèles serviteurs avaient cru de leur
devoir d'escorter encore dans ces lieux ceux à qui ils avaient dévoué
leur vie tout entière.
Dans le préau, dans les cours c'étaient des bas- reliefs et des chapi-
teaux romans qui montraient leurs bizarres et symboliques sculptures,
des arcades et des pignons gothiques avec leurs nobles et sveltes
proportions , tandis qu'un peu plus loin le XVP siècle étalait ses
capricieuses fantaisies sur les façades du château d'Anet, que le
Laid'Aristote, le Laide Virgile, un rébus picard, ou quelque merveil-
leuse histoire de la Table Ronde mêlaient leurs joyeusetés aux images
de l'Ancien et du Nouveau Testament.
Tout le monde en France applaudissait aux efforts de Lenoir, tout
le monde allait admirer cette merveille ; l'empereur l'encouragea de
son approbation. La restauration de 1814 ne put même paralyser
l'enthousiasme général. Les hommes du Nord ne se lassaient pas
d'admirer ce Musée unique en son genre , et tous ils se. portaient en
foule aux Petits-Augustins. Qu'on nous permette de rapporter une
anecdote qui peindra combien les grandeurs passées de la France in-
spiraientde respect à ces étrangers. Un jour, le 1*' avril 1814, le len-
demain de l'arrivée des alliés, Lenoir entendit brusquement frapper à la
porte de son Musée, puis il vit s'avancer dans la cour un détachement
de Cosaques qui accompagnait un général russe. Celui-ci demanda à vi-
siter les salles, il dit qu'un de ses plus vifs désirs en arrivant à Paris
était d'admirer ces belles collections qui n'avaient point de pareilles en
Europe, Lenoir l'accompagna. Parvenu à l'extrémité du Musée, le
Russe s'arrêta tout à coup devant une grande figure de marbre dont
l'attitude parut le frapper. Quelle est cette tête, demanda-t-il? Celle
de Henri IV, répondit Lenoir. Alors il vit, non sans émotion, ces
Tartares se découvrir et fléchir le genou devant la noble figure du
Béarnais.
Un an plus tard cependant l'arrière-petit-fils de Henri IV,
Louis XVni, faisait fermer le Musée des Petits-Augustins. Pour mo-
tiver un tel acte on prétendit qu'il fallait rendre aux édifices religieux
ce que la terreur leur avait enlevé, comme s'il y avait encore une ab-
baye de Sainte Geneviève pour recevoir les sarcophages de Clovis et
de Clotilde , un Paraclet pour abriter Héloïse et Abélard?
La répartition des monuments des Petits-Augustins se fit avec peu
d'intelligence; Saint-Étienne-du-Mont reçut quelques tombes de
Port-Royal ; Saint-Étienne de Meaux la statue de Charles d'Espagne,
qui ne lui avait jamais appartenu; Saint-Denis les cénotaphes de
20 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Saint-Gennain-des-Prés, de Sainte-Geneviève et une foule d'autres
objets qu'on ne savait plus où loger; le reste fut abandonné à la pluie
et à la gelée pendant plus de vingt ans, gisant au milieu des cours
où l'herbe poussait comme dans un désert. En i836 bien des sculp-
tures curieuses étaient encore jetées pêle-mêle là où la restauration
les avait entassées.
Louis XVIIÏ, en détruisant le Musée des Monuments français,
n'avait heureusement pas détruit dans les cœurs le culte et l'admiration
des antiquités nationales. Lenoir, non content de conserver nos mo-
numents, s'était attaché à les décrire, il avait formé des élèves. Un
homme de cœur, enthousiaste pour les chefs-d'œuvre du moyen âge ,
M. Alexandre Dusorï^raerard, consacrait alors sa fortune à sauver les
débris que le temps avait épargnés. Vers 183Ô, sa collection, la plus
riche eh son genre , s'ouvrait aux artistes et aux archéologues avec
une libéralité qu'on ne saurait trop louer; heureux de pouvoir com-
muniquer ses richesses aux hommes capables de les apprécier, M. Du-
sommerard avait fait de sa maison un autre Musée des Monuments
français.
Bientôt l'appartement qu'il habitait devint trop étroit pour contenir
tant de richesses. Il songea à choisir une demeure plus vaste et plus
digne de les renfermer. Paris alors n'avait plus que trois hôtels du
moyen âge; c'était l'hôtel de Sens, l'hôtel de La Tréniouille, l'hôtel
de Cluny. M. Dusommerard choisit le plus curieux de tous , l'hôtel
de Cluny. L'hôtel de La Trémouille n'est plus. L'hôtel de Sens, mu-
tilé de toutes parts, est à peine reconnaissable. L'hôtel de Cluny se
trouve encore tel qu'il était en 1830 et c'est à son généreux locataire
qu'on doit certainement la conservation de cette précieuse relique des
temps passés.
Nous ne dirons pas avec quel empressement les gens du monde et
les artistes couraient à la rue des Mathurins-Saint-Jacques, ce serait
dire ce que chacun sait; nous ne dirons pas non plus que par la noble
générosité avec laquelle il communiquait ses collections, M. Dusom-
merard n'a pas peu contribué aux progrès que l'archéologie nationale
a faits dans ces derniers temps: à qui l'apprendrions-nous? Il n'est
personne qui n'ait eu l'occasion d'apprécier son obligeance et son
désintéressement.
Tandis que la collection Dusommerard se formait, Louis XVIII
en était à regretter l'arrêt de 1816 par lequel il avait ordonné la
clôture du Musée des Monuments français, et il songeait sérieuse-
ment à réorganiser cette précieuse institution. La branche aînée de la
MUSÉE DES THERMES ET DE I/HOTEL DR CLUNY. 21
famille des Bourbons ne fut en eflét jamais hostile aux beaux-arts :
un de ses membres, le duc d'Angoulême, se rappela un jour qu'il exis-
tait dans la rue de la Harpe une vieille ruine romaine connue sous le
nom de Palais des Thermes; cette ruine, il alla la visiter, admira le
grandiose de ses proportions architecturales et en reconnut toute
l'importance. Le palais des Thermes appartenait à l'hospice de Cha-
renton qui le louait moyennant 2 000 francs à un tonnelier; dans
la grande salle se trouvait son atelier, sur les combles un jardin qu'om-
brageaient des arbres d'une prodigieuse grosseur. Le duc ordonna
que le jardin serait jeté bas, que les combles seraient protégés par
un toit, et que le tonnelier irait autre part porter ses magasins.
Non content d'avoir sauvé l'édifice, M. le duc d'Angoulême voulut
l'utiliser; il projeta d'établir sous ces voûtes majestueuses un Musée
Gallo-Romain, M. Quatremère de Quincy fit un rapport sur ce projet,
le ministère de l'intérieur obtint pour cinq ans un crédit annuel
de 30 000 francs destinés à couvrir les frais nécessaires, et un
membre de la Société des Antiquaires de France, M. Auguis, fut
nommé conservateur du nouveau Musée. Tout ceci se passait en 1 81 9;
cependant en 1830 rien encore n'était terminé; les Thermes mêmes
n'avaient pas été achetés, et l'hospice de Charenton à qui l'on discon-
tinuait de payer sa rente annuelle allait les mettre en vente. Heu-
reusement alors le vieux Paris et ses pittoresques édifices étaient
passés sous la protection de la mode. Les artistes et les hommes
éclairés n'étaient pas les seuls qui demandassent à grands cris la con-
servation des monuments historiques; peut-être, il faut bien le dire,
peut-être le goût du jour autant que l'amour de Fart sauva le plus
ancien palais des rois de France, que pour de mesquines considéra-
tions on allait sacrifier. En 1831 , sur la proposition de M. Boulay
(de la Meurthe), la salle des Thermes fut acquise par la ville de
Paris. Dès lors toutes les fois qu'une vieille église tombait devant la
nécessité des alignements, qu'un édifice était restaurée neuf, on
trouva tout naturellement où déposer une foule de restes précieux
autrefois employés comme des moellons. C'est ainsi que les chapi-
teaux de Saint-Germain-des-Prés, les tombeaux de laruedel'Arbre-
Sec et de Saint Germain-l'Auxerrois, le curieux pavé romain de la
rue Saint-Jacques nous ont été conservés. Certes, sans cette heu-
reuse circonstance, tout cela, comme les statues de Notre-Dame, eût
servi de bornes dans quelque quartier perdu ou de remblai dans
quelque fondation d'édifices. La ville, en ordonnant le dépôt de ces
objets dans la salle des Thermes, avait conçu le projet de reconsti-
22 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
tuer tôt ou tard un Musée des Monuments nationaux » elle était en
cela d'accord avec l'esprit public ; car, alors c'était à qui présenterait
un projet pour l'établissement d'un musée de ce genre; l'un désignait
l'École des Beaux-Arts, qui s'élevait sur les ruines des Petits- Au-
gustins, un autre l'église de Saint-Germain l'Auxerrois qu'une
émeute avait récemment enlevée au culte. Parmi tous ces projets il en
est un qu'on doit surtout distinguer, c'est celui de M. Albert Lenoir,
fils de l'homme qui arracha à la fureur des terroristes tant d'objets pré-
cieux< Ce projet fit, à l'époque oii il parut (en 1 833), une assez grande
sensation dans le monde des arts. L'habile architecte proposait à peu
prèscequi se réalise aujourd'hui, la réunion du Palais desThermesà
l'hôtel de Cluny, et la réorganisation dans ces deux splendides mo-
numents du Musée jadis créé par son père.
M. Vitet était déjà inspecteur des monuments historiques; il ap-
puya de tout son crédit M. Lenoir auprès du ministère, il fit tout ce
qui dépendait de lui pour hâter la réalisation d'un tel projet ; c'est
grâce à son zèle sans doute et grâce à celui des autres membres de la
Commission des monuments historiques, instituée près le ministère de
l'intérieur, que, depuis deux ou trois ans, le Musée des Thermes a
été commencé.
Déjà l'ignoble cloison en planches qui , du côté de la rue de la
Harpe , masquait le vieil édifice , avait disparu , et une cour avait été
construite en avant de la grande salle, lorsque, au mois d'août 1842,
la mort vint frapper M. Dusommerard : c'était au moment oii il ter-
minait un livre dont il avait rassemblé les matériaux pendant toute
sa vie; ce livre porte pour titre : les Arts au moyen âge.
M. Dusommerard, comme la Commission des monuments histo-
riques, hâtait de tous ses vœux la formation d'un musée dont les
Thermes et l'hôtel de Cluny auraient fourni le local. Ce qu'il ne put
voir pendant sa vie fut exécuté un an après sa mort. Le 29 juillet
1843, une loi autorisa l'acquisition par l'État de ces deux édifices et
la belle collection qu'il avait rassemblée avec tant de peine et de sol-
licitude. Dès lors , sous le titre de Musée du palais des Thermes et de
Ykôtel de Cluny, on put espérer de voir combler la lacune qu'avait
laissée la destruction du Musée des Petits- Auguslins.
Qu'il nous soit permis de mentionner ici le désintéressement d'une
famille qui, sacrifiant au bien public son intérêt personnel, n'a point
voulu permettre qu'une si belle collection fût perdue pour la France.
Madame veuve Dusommerard , repoussant des offres considérables , a
préféré, moyennant une somme comparativement modique, aban-
MUSÉE DES THERMES ET DE T/HOTET. DE CUJNY. 23
donner à l'État toutes ses richesses archéologiques. Félicitons en
même temps M. le ministre de l'intérieur, M. le directeur des beaux-
arts et MM. les membres de la Commission des monuments historiques,
d'avoir su apprécier une si noble conduite et d'en avoir profité.
Après les travaux nécessités pour l'appropriation du local , ce
nouveau Musée, oii se presse une foule avide, a été ouvert au public
le 17 mars 1844.
M. Edmond Dusommerard a été nommé agent-conservateur du Mu-
sée. Qui mieux que lui était capable de remplir ce poste important et
d'introduire les artistes et les antiquaires au milieu des trésors que, dès
son enfance, son père lui avait appris à apprécier? C'est à M. Albert
Lenoir que la direction des constructions et appropriations nécessaires
a été remise. Qui pouvait mieux exécuter un tel plan que celui qui l'a-
vait conçu? Le conservateur et l'architecte, n'en doutons pas, seront
fidèles aux traditions de famille. Dépendance du ministère de Tinté-
rieur, le Musée des Thermes et de l'hôtel de Clany fait partie de la di-
rection des beaux- arts , et est soumis à la surveillance de MM. les
membres de la Commission des monuments historiques, c'est-à-dire
des hommes que leur science spéciale a fait préposer à la conserva-
tion des richesses que, malgré ses trop nombreuses et trop récentes
pertes, notre belle France possède encore en si grand nombre.
D'ordinaire , lorsqu'on entre dans un musée quel qu'il soit , ce qui
frappe le plus, ce sont les objets d'art qu'il renferme; ici, au con-
24 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
traire , on ne sait sur quoi arrôter d'abord son attention. La pré-
cieuse collection qui tapisse les murs à l'intérieur, le monument
lui-même, les souvenirs qui se groupent en foule autour de ces vé-
nérables restes , tout cela se présente à la fois , éblouit , étonne et
captive.
C'est là que sous les Césars on bâtit un somptueux palais et que
Julien rêva la réhabilitation du vieux culte; c'est de là que, proclamé
Auguste par l'acclamation des soldats, dont il était l'idole, l'Apostat
partit pour galvaniser un instant le cadavre du paganisme. Plus tard,
le rusé Clovis, le sanguinaire Childebert, le débauché Caribert, Sige-
bert, Chilpéric, Dagobert, tous nos rois francs, se sont tour à tour
succédé dans le palais romain; Clotilde y a vu couler le sang de ses
petits-fils; Bathilde, cette bonne sainte Baudour, dont les habitants du
Parisis ont gardé le souvenir, Bathilde y a guidé l'enfance de Clo-
tairelll. Lorsque l'Austrasie l'emporta sur la Neustrie, lorsque Aix-
la-Chapelle devint la capitale de l'empire, délaissé par les rois de la
race de Pépin et par les rois fils de Hugues Capet, le vieux palais
tombait déjà en ruines, et la tradition vint animer de ses poétiques
récits ses salles abandonnées. La famille de Charlemagne, cet Aga-
memnon du moyen âge, joue encore le premier rôle dans ces contes
populaires ; ce sont les propres filles du grand roi, Gilde et Rotrude,
coupables d'avoir trop aimé, que Louis, leur frère, est accusé d'y
avoir retenues captives....
En 1180, si l'on en croit les chroniqueurs, le palais des Thermes
était encore un majestueux édifice. C'est alors que Philippe Auguste
en fit présent à Henri, son chambellan. En 1340, l'abbé de Cluny,
Pierre de Chalus, l'acheta au nom de sa communauté.
Vers la fin du XV* siècle, l'abbé de Cluny, qui, dans ses vastes pos-
sessions de Paris, n'avait point un hôtel digne de l'abriter lorsqu'il
venait faire sa cour au roi, l'abbé de Cluny résolut de construire en
cet endroit une demeure princière. Dès lors l'hôtel fut projeté. Le bâ-
tard du duc Jehan de Bourbon , l'abbé Jehan, en jeta les premiers fon-
dements ; mais bientôt il mourut, laissant son œuvre inachevé (2 dé-
cembre 1485). C'était à Jacques d'Amboise, le sixième frère du minis-
tre de Louis XH, qu'il appartenait d'édifier cette somptueuse demeure.
c( Dom Jacques.... par un compte de trois années, reçut de son re-
« ceveur 50 000 angelots (plus de 2 400 000 francs) des dépouilles
c( d'Angleterre, lesquels il employa à la réparation du collège.... et à
« l'édification et bâtiment, de fond en cime, de la superbe et magni-
<( fique maison de Cluny, » dit un contemporain qui prétend l'avoir
MUSÉE DES THERMES ET DE L'HOTEL DE CLUNY. 25
SU de bonne part. Presque dès l'origine celte maison fut rarement ha-
bitée par les abbés de Cluny qui la prêtaient volontiers à de grands
personnages. C'est à ce titre sans doute que Marie d'Angleterre, veuve
de Louis Xïl, l'habita pendant quelque temps après la mort de son
mari. Parmi les hôtes passagers de cette maison , on cite encore des
légats du pape. Peu à peu et à mesure que des habitations d'un autre
goût se multiplièrent dans Paris, l'hôtel devint désert, des baux em-
phytéotiques le livrèrent à de nouveaux maîtres, jusqu'à ce que la
révolution vînt effacer le titre de propriété des abbés de Cluny.
Du côté de la rue de la Harpe , une grille donne accès dans le
Musée des Thermes et de Vhôlel de Cluny. Une cour soigneusement
dressée s'offre d'abord au visiteur; à droite et à gauche, deux murs
construits en pierres de petit appareil, que de distance en distance
viennent soutenir des chaînes de briques, annoncent qu'on se trouve
au milieu de ruines romaines. Cette cour, en effet, n'est autre
que l'ancien tepidarium des Thermes; c'est là qu'on prenait les
bains tièdes , dans les dix niches à plein cintre dont on aperçoit les
restes. Le long des murs étaient placées les baignoires ; plus à
l'ouest était Thypocauste; plus à l'ouest encore , un égout, toujours
bien conservé, mais caché aujourd'hui par les constructions mo-
dernes, et qui sans doute se continuait jusqu'à la Seine.
La cour des Thermes n'a point été arrangée pour le nouveau
Musée. Il y a deux ou trois ans , lorsque la ville possédait encore le
vieux palais et qu'elle donnait asile aux débris provenant des édifices
qu'on détruisait , on jugea à propos de la paver. Alors c'était peut-
être une nécessité ; mais cette nécessité , quelque puissante qu'elle
fût à cette époque, on nous permettra, à nous autres antiquaires,
de la déplorer, tin musée n'est point un édifice fait pour flatter les
yeux de la foule, c'est un sanctuaire réservé à l'étude; l'art ne doit
rien à ces mondaines considérations qui, presque partout, le forcent
de céder aux besoins du jour. Dans un musée, l'art doit régner en
maître : aussi , quelque disgracieuses que fussent aux yeux du vul-
gaire les ruines antiques telles que les avait laissées le moyen âge, il
eût été bien préférable, à notre sens, de ne pas les ensevelir.
En face de la grille d'entrée , et servant pour ainsi dire de façade à
l'édifice, s'élève un mur, également romain, que soutiennent de mo-
dernes constructions. Il est percé de trois portes à plein cintre,
dont les archivoltes sont formées par de petits claveaux , tous égaux
entre eux et entremêlés de briques. Une grande fenêtre de même
forme surmonte ces trois portes. Autrefois, ce mur, qu'ont dégradé
26 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
les hommes plutôt que le temps, offrait aux regards une cime inégale,
ébréchée par l'injure des siècles. Certes, la pluie ou la bise la plus fu-
rieuse ne pouvaient rien contre ces pierres si fortement cimentées, et
qui étalaient d'une manière si pittoresque et si majestueuse leurs nom-
breuses cicatrices. Si ces vénérables restes tombaient en ruines, rien
n'était plus facile que de les consolider avec une couche de béton....
Cependant on a jugé à propos de les recouvrir d'un fronton en pierre
de petit appareil qui donne au vieux mur païen l'aspect d'une basili-
que latine. Puisse bientôt disparaître cette décoration , qui heureu-
sement n'a point attaqué l'ancien édifice I
Lorsqu'on a franchi la porte qui perce ce mur, on pénètre dans
une petite chambre servant à faire communiquer le tepidarium et le
frigidar'mm, l'endroit où l'on prenait les bains tièdes et l'endroit où
l'on prenait les bains froids. Ce frigidarium est une magnifique salle
encore intacte , la seule peut-être en son genre qu'on possède en
France. C'est là que se trouvent les monuments de pierre déposés
dans le Musée.
Le frjgidarium a été construit sur des proportions colossales ; c'est
un parallélogramme de 20 mètres de long sur 11 mètres 50 centi-
mètres de large et 18 mètres d'élévation. Une vaste voûte lui sert de
plafond, et huit consoles sculptées, en forme de proues de navire,
soutiennent la retombée de cette voûte , dont une partie est en ber-
ceau et l'autre en arête. Ces consoles sont les seuls ornements qu'on
y distingue ; toute la décoration consiste, ainsi que dans le reste du
palais, en de longues chaînes alternés de briques et de pierres.
Si l'on en croyait quelques antiquaires, les proues de navire feraient
allusion aux victoires que le César Constance Chlore remporta dans
la Grande-Bretagne : aussi regardent-ils, mais malheureusement sans
appuyer leur opinion d'aucune preuve, le père de Constantin comme
le constructeur du palais des Thermes. Pour nous, nous y verrons les
plus anciennes insignes de la ville de Paris. Paris porte encore pour
armes : de gueules au navire d'argent, voguant sur une mer de même.
Sa marchandise de Veau, si importante autrefois, cette confrérie, qui
dominait les autres confréries parisiennes, ne descend-elle point, en
ligne directe, des nautœ parisiaci, déjà si puissants sous Tibère? Dans
le moyen âge , la marchandise de Veau a doté la ville de son blason :
pourquoi n'aurait-elle pas emprunté elle-même l'emblème des nautœ,
et pourquoi ces nautœ n'auraient-ils point prêté cet emblème à Lutèce?
De tout temps, on s'est appliqué , quand on l'a pu , une origine ro-
maine; de tout temps, on s'est enorgueilli des souvenirs antiques
MUSEE DES THERMES ET DE 1/llOTEL DU CI.UNY. 27
qu'on possédait encore. Trêves, sur les monnaies , s'appelle parfois la
seconde Rome et y figure sa porte Manche. Besançon nous y montre
aussi sa porte noire, qui est également un monument romain. Quant à
Nîmes, elle a placé sur ses poids sa tour Magne, et sur son écu le cro-
codile enchaîné, qu'en mémoire d'Actium, et pour flatterie vain-
queur d'Antoine, elle avait jadis gravé sur ses monnaies de bronze.
Puisque nous avons tant d'exemples analogues, qui nous empêche
de croire qu'à Paris, comme à Trêves, comme à Besançon, comme à
Nîmes, l'on n'a fait que conserver une tradition antique?
Dans le mur méridional du frigidariiim s'ouvraient deux larges ar-
cades aujourd'hui fermées ; elles communiquaient avec deux autres
salles, dont l'une, encore intacte, est une propriété particulière, l'au-
tre n'existe plus. Le mur occidental est décoré absolument comme
celui du tepidarium que nous avons décrit plus haut. On y voit trois
portes, dont deux, celle du milieu et celle du nord, ont toujours été
bouchées ; une large fenêtre les surmonte. Cette fenêtre recevait le
jour d'une petite cour parallèle à la chambre située entre les deux
grandes pièces. Le mur oriental est en tout semblable à celui-ci.
C'est au nord que se trouve la piscine ; elle est de forme quadrila-
tère; son aire plus basse de 1 mètre environ que celle du frigida-
rium a 10 mètres de long sur 5 de large. Elle était autrefois éclai-
rée par une fenêtre plus petite que celles qui, au midi, à l'est et à
l'ouest, donnent du jour à la grande salle. Deux ouvertures de forme
carrée , percées dans un arcature en plein cintre dont le tympan a
toujours été muré, accompagnaient cette fenêtre. Une large voûte
fait communiquer la piscine avec le frigidarium.
Le plancher du frigidarium paraît avoir été un peu plus élevé qu'il
ne l'est aujourd'hui ; entre le sol antique et le sol actuel circulaient
des canaux qui communiquaient avec h piscine et le tepidarium. Ces
canaux dont quelques traces existent encore, notamment dans le mur
du tepidarium, étaient alimentés par un château d'eau placé au midi
du frigidarium. Des restes des conduits destinés à cet usage subsis-
tent encore dans le mur méridional. Au milieu des trois arcades si-
mulées qui font face à la piscine, on peut les apercevoir, ainsi que
les débris de ceux qui alimentaient le frigidarium.
Rien , on le sait , ne coûtait aux Romains, lorsqu'il s'agissait de se
procurer une eau pure et abondante; aussi est-ce à Rungis, à trois
lieues de Lutèce, qu'ils étaient allé chercher celle qu'ils destinaient à
alimenter les Thermes du palais des Césars. Depuis Rungis jus-
qu'à Paris, les traces de l'aqueduc des Romains sont reconnais-
28 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
sables. M. Albert Lenoir a relevé avec grand soin la .direction que
suivaient les canaux sons la terre; et au village d'Arcueil, chacun
peut encore admirer les restes imposants de ces arcs qu'ils avaient
jetés sur la vallée de Bièvre pour la lui faire traverser. Ces arcs,
qu'une restauration indique avoir longtemps servi pendant le moyen
âge, sont maintenant en ruine, comme le réservoir qu'ils alimentaient.
Depuis bien des années sans doute ils ont été rompus, ainsi que les
canaux du grand égout destiné à recevoir les eaux de la piscine et du
frigidarium. Depuis bien des années aussi , les curieux seuls sont
descendus dans les souterrains creusés sous la grande salle pour ad-
mirer le curieux plafond en pierre qui se soutient depuis tant de
siècles par la seule force de la cohésion des matériaux et du ciment
dont il est composé.
En passant du palais des Thermes à l'hôtel de Cluny, on se trouve
transporté dans un tout autre monde. A la noble sévérité romaine
succède tout à coup la coquetterie surchargée d'ornements, mais
cependant gracieuse, des xv^ et xvi^ siècles. Ce ne sont plus seu-
lement les masses et l'harmonie des proportions qui captivent l'œil ,
c'est encore la profusion, la délicatesse, le nombre infini, bizarre
et capricieux des détails qui forcent à admirer.
A peine entre-t-on, que le noble propriétaire, l'homme dont les
angelots ont fait éclore toutes ces merveilles, décline son nom et ses
titres. Nous sommes dans une charmante petite salle voûtée en ogive
dont les nervures vont, en s'entre-croisant, retomber sur sept con-
soles, un pied-droit et une légère colonnette. Cette colonnette, qui
semble à elle seule soutenir tout l'édifice, est le premier objet qu'on
regarde; c'est précisément la place que le maître a choisie pour y placer
ses insignes. Il en a décoré la corbeille du chapiteau. D'abord, en bon
courtisan , il a commencé par faire graver le chiffre du roi régnant ,
Charles VIII; c'est le K couronné qu'on aperçoit dans un coin ; puis
vient, en y tenant une place plus importante, la coquille de saint Jac-
ques, allusion au nom de baptême que porte l'auteur du monument ;
enfin paraît l'écu de gueules chargé de trois pals d'or de la maison d'Am-
boise. Cet écu s'y trouve répété trois fois, timbré de la crosse épiscopale
ou abbatiale; car Jacques n'était pas seulement abbé de Cluny, il était
encore évêque de Clermont. En pieux bénéficiaire, comme supports
de son écu, Jacques a d'abord choisi deux anges à longues robes, à
grandes ailes semi-éployées. Les prélats en agissaient ordinairement de
cette façon. Cependant, quelque dévot qu'il fût, le somptueux abbé
ne put s'empêcher de sacrifier à la pompe du siècle, et de faire porter
MUSEE DES THERMES ET DE L'HOTEL DE CLUNY. 29
son autre écusson par deux sauvages. Les sauvages étaient alors de
mode, car en aucun temps Lancelot du Lac n'avait été lu avec plus
d'ardeur ; le roi lui-même ne rêvait que chevalerie. Sur ce chapi-
teau, les sauvages, ces gardiens des trésors et des belles prison-
nières, ces hideux complices du traître Ganne, se trouvent donc repré-
sentés, pour ainsi dire, avec prédilection. On les a placés dans un
bois, leur demeure ordinaire, comme l'indiquent les arbres qui les en-
tourent. Le sauvage est généralement armé d'un arbre déraciné ou
d'une énorme massue; au moins le figure-t-on ainsi presque partout:
mais ici, le sculpteur semble avoir voulu s'écarter de la voie com-
mune; un sauvage y paraît armé, p.ortant d'une main un écu mal
taillé, et de l'autre un long croc de fer terminé en griffe de lion,
absolument semblable à ceux que les peintres-miniateurs de la même
époque prêtent aux démons qu'ils peignent dans les miniatures des
missels. Il a voulu sans doute renchérir sur l'épouvante qu'inspiraient
ces monstres. Les consoles ne, sont point richement ornementées
comme le chapiteau, ou au moins les sculptures qui les décoraient
ont été grattées ; une seule reste encore et ne présente qu'un faible
intérêt; un homme à longue barbe, coiffé d'un ample bonnet, vêtu
d'une large robe qu'une cordelière sépare par le milieu, y est repré-
senté tenant un phylactère. C'est un des motifs les plus usités de cette
époque.
La petite salle , que nous venons de décrire , n'a jamais été fermée.
Deux gracieuses ogives ouvertes ont de tout temps donné accès dans
un préau, aujourd'hui transformé en jardin; c'est au midi et à l'ouest
de ce préau que s'élèvent les bâtiments de l'hôtel. Le principal corps
de logis est la partie méridionale. C'est un édifice à la fois simple et
gracieux ; il se compose d'un rez-de-chaussée , d'un premier étage et
d'un galetas (c'est ainsi qu'on désignait alors ce qui aujourd'hui s'ap-
pelle un étage en mansarde). Dans l'origine , cinq croisées éclairaient
les appartements. Celles du rez-de-chaussée et du premier étaient fort
simples; des moulures prismatiques les encadraient. Les croisées du
galetas sont plus curieuses de beaucoup ; chacune d'elles a un fronton
le long duquel rampent des feuilles de chou qui se terminent par un
bouquet de feuillage ; dans leur tympan, Jacques d'Amboise avait fait
peindre son écu, surmonté soit de sa crosse, soit des coquilles, de la
pannetière et du bourdon de saint Jacques. L'intempérie n'a point
épargné les écussons dont les traces se devinent plutôt qu'elles ne se
voient. Rien dans ce corps de bâtiment, qui semble avoir été le
premier ébauché , n'indique la renaissance , tout y est gothique. Nulle
30 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
part le maître de l'œuvre n'a consulté les monuments de l'antiquité.
Du reste ce côté n'est point terminé ; la frise qui devait courir au-des-
sous du toit n'existe pas , le ciseau n'a point entamé la pierre qui
l'attend toujours; en revanche, les monstres, qui semblent garder
les fenêtres, n'ont point été oubliés ; là ce sont des lions, ici des
dragons, plus loin des fous qui grimacent ou rient, tandis que des
gargouilles à figures effrayantes semblent menacer le spectateur.
Tout le luxe architectonique paraît avoir été réservé pour le corps
de logis de l'ouest, c'était justice: car l'abbé avait placé là sa chapelle.
Du préau on aperçoit une demi-tourelle ou abside en encorbellement,
dans laquelle on a établi l'autel ; cette tourelle vient finir précisément
entre deux ogives qui donnent accès dans le petit narthex que nous
avons décrit tout d'abord^ et qu'on a décoré du nom de chapelle basse.
Trois fenêtres ogivales, séparées chacune en deux parties par un
meneau ) en font presque une verrière continue; sa partie inférieure
est décorée àe moulures et de deux au trois guirlandes de feuilles fri-
sées de la plus riche élégance, tandis que sous son toit de plomb,
défendu par trois petites gargouilles, serpente une bande délicate de
feuillage semblable, entremêlé de limaçons, de monstres et d'ani-
maux fantastiques. Ce n'est pas tout, deux fenêtres ogivales donnent
encore du jour à la chapelle haute dont le toit est un peu plus élevé
que celui du reste de l'édifice. Enfin, selon la mode d'alors, ces
fenêtres posent sur de petites plinthes semblables à l'entablement de
la demi-tourelle, qui s'étendent horizontalement au-dessous des fenê-
tres , puis descendent verticalement jusqu'à l'endroit oii la tourelle
se termine par une trompe. Pour que la demeure civile luttât de ri-
chesse avec la demeure de Dieu, on ne l'a point oubliée; l'unique
fenêtre du galetas qui se trouve de'ce côté est beaucoup plus riche et
beaucoup plus ornée que les autres. Mais gravissons le petit escalier
qui de la chapelle basse nous conduit à la chapelle haute , cette vis
où le sttjle ogival flamboyant a déployé toutes ces moulures contour-
MUSÉE DES THERMES ET DE L'HOTEL DK CLUNY. 31
nées qu'il est impossible de décrire. Nous avons franchi la cage de cet
escalier dont la délicate ornementation n'est pas le seul mérite; car
les monuments de ce genre ne se rencontrent plus guère maintenant.
C'est aux soins de la Commission, aux soins de l'architecte M. Albert
Lenoir que nous devons la connaissance de ce charmant échantillon
d'architecture ; il y a peu de jours un mur le masquait entièrement.
Ce mur on l'a détruit dernièrement, et les matériaux qui le compo-
saient sont venus enrichir le Musée. Jadis la chapelle haute était
ornée de statues représentant tous les membres de la famille d*Am-
boise; on s'était servi des fragments de ces statues qui n'existent plus
maintenant, comme de matériaux , pour édifier le, mur qui masquait
l'escalier.
Jacques d'Amboise avait seize frères ou sœurs, il les avait tous fait -
poiirtraire ainsi que lui , de grandeur naturelle, à genoux et priant
Dieu. L'effet devait en être agréable, puisque Piganiol de La Force,
et sans doute comme lui les hommes du XVIIP siècle , avaient dai-
gné remarquer cette çeuvre de barbarie , et déclarer que ces figures
«placées par groupes contre les murs en forme de mausolées....,
c( avec les habillements de leur siècle très-singuliers, étaient bien
« sculptées. » Un peu plus haut, le même Piganiol décidait « que le
« gothique de cette chapelle était sans aucun goût pour le dessin. »
Pour la disposition générale, nous retrouvons à peu près l'ordon-
nance de la chapelle basse, la colonnette centrale soutient de même'
tout l'édifice; son chapiteau, orné de larges feuilles de vignes entre-
mêlées de grappes de raisin , donne naissance à une innombrable
quantité de nervures accompagnées de moulures prismatiques , qui
tapissent la voûte et viennent retomber sur huit consoles ornées de
feuillages. Six plinthes, chargées chacune, de deux rangs de feuilles
de chou entre lesquelles se cachent des animaux fantastiques, sou-
tiennent douze niches, maintenant vides, que couronnent douze
dais de la plus riche ornementation. De nombreux écussons aux
armes d'Amboise brillaient parmi ces plinthes ; aujourd'hui ils sont
complètement effacés.
Une obscurité , qui porte au recueillement, règne dans cette cha-
pelle -, elle le doit aux nombreux vitraux dont l'a garnie M. Dusom-
merard : les anciens avaient disparu ; elle le doit aussi aux soins de
M. Lenoir: il n'a pas oublié de fermer deux ouvertures modernes qui
faisaient le plus mauvais effet.
L'autel , on l'a vu , est situé dans une abside en encorbellement
sur la cour, et presque percée à jour. Cette abside est entière-
32 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ment peinte à fresque , ce sont les seules peintures anciennes qui
restent à l'hôtel de Cluny ; car on ne peut donner ce nom aux croix
de consécration qui décorent les murs de ce môme oratoire.
A droite et à gauche du sanctuaire , une main fort habile a peint à
l'huile sur le mur deux saintes femmes: Marie Jacohéet Marie Salomé;
leur nom y est écrit en toutes lettres près du vase à parfum qui sert à
les caractériser; la douleur est empreinte sur leur visage. Elles assis-
tent évidemment à l'ensevelissement du Christ. En effet, Pigauiol
nous dit encore ; « Devant l'autel on voit un groupe de quatre figu-
<(res de grandeur naturelle, oii la Vierge est représentée tenant le
(( corps de Jésus-Christ détaché de la croix et couché sur ses genoux. »
Puis il ajoute : « Ces figures sont d'une bonne main et très-bien
.c( dçssinées pour le temps. » Renseignement précieux pour apprécier
le mérite de cette sculpture aujourd'hui malheureusement perdue
pour jamais. La description de Piganiol n'est pas complète ; selon
Saint-Victor, on y voyait encore Jean et Joseph d'Arimathie. Nous
sommes persuadé que, parmi les personnages, Piganiol. n'a pas compté
Jésus-Christ; s'il en était ainsi, le quatrième ne serait pas difficile à
retrouver, il faudrait y reconnaître Marie-Magdeleine, la plus vénérée
des saintes femmes. Comme à cette époque la sculpture et la pein-
ture s'entr'aidaient l'une l'autre , cela expliquerait comment le peintre
n'a eu à traiter que les figures de Marie Jacobé et de Marie Salomé.
' Ne nous étonnons pas au surplus de voir un sépulcre dans la cha-
pelle de Cluny. Les sépulcres étaient de mode à la fin du XV* siècle.
Ils le furent également pendant tout le XVP.
Le chœur, nous l'avons dit, est peint du haut en bas, depuis les
deux consoles qui l'accompagnent en recevant les retombées de la
voûte de la nef, et dont les feuilles de chou sont d'or et d'azur, jus-
qu'aux montants des ogives que garnissent des arabesques dans le
goût de la renaissance. Au milieu de ces arabesques se trouve un
cartouche sur lequel on lit : CARBON en caractères romains de cette
époque. Ce mot, personne, que nous sachions du moins, ne l'a re-
cueilli ; c'est cependant une indication précieuse, car c'est sur les car-
touches qu'au XVP siècle on gravait les dates. N'est-ce pas là aussi la
place naturelle que devait choisir un artiste pour y placer son nom?
Jusqu'ici, les artistes qui ont coopéré à l'édification de l'hôtel de Cluny
ont été complètement ignorés; voici le nom de l'un d'eux retrouvé,
espérons que, tôt ou tard, une recherche patiente ou un heureux hasard
nous apprendra ceux des autres. Carbon était certainement peintre ;
est-ce lui qui a représenté les deux saintes femmes? nous n'osons le
MUSÉE DES THERMES ET DE L*HOTEL DE CLUNY. 33
eroire ; les ornements qui les entourent sont trop supérieurs aux
arabesques parmi lesquelles Carbon inscrivait son nom; d'ailleurs,
les deux inscriptions M. lACOBI, MARIA SALOMI sont en minus-
cules gothiques.
La richesse de la voûte qui couronne l'autel ne le cède pas au
reste ; sur un fond bleu paraît le Père éternel coiffé du trirègne et
bénissant au milieu d'un nuage ; au bas est Jésus-Christ sur la croix ;
deux anges placés à ses côtés reçoivent dans des calices son précieux
sang, tandis que huit autres, chargés chacun d'un ou de plusieurs
instruments de la passion, semblent les offrir au Père éternel. Une
légende en caractères gothiques est placée en bas de chacun d'eux.
De chaque côté de la chapelle, enfin, deux autres anges, de plus
grande dimension, semblent s'élever vers Dieu le père en priant.
Cette chapelle , si curieuse , comme on voit , et que cependant nous
n'avons étudiée qu'avec une grande rapidité , cette chapelle n'est pas
intéressante sous le rapport de l'art seulement; elle l'est aussi par
les souvenirs qu'elle rappelle. C'est là, dit-on, que François I" unit
Marie d'Angleterre et Charles Brandon , duc de Suffolk. Bayle , du
reste, est sur ce fait notre autorité la plus ancienne. Bréquigny, qui
a consciencieusement étudié la vie de cette veuve de Louis XII, ne
dit rien de tout cela.
De la chapelle on entre dans une salle connue depuis longtemps
sous le nom de chambre de la reine Blanche. C'est encore là, dit une
chronique citée par M. Dusommerard , c'est là qu'habitait la belle
Marie, et que François I", sacrifiant son amour à l'ambition d'un
trône, lui tendit un piège, et la surprit avec Suffolk. Bréquigny avait
d'avance encore démontré la fausseté de cette autre fable ; peut-être
même serait-il possible de prouver que ce nom de chambre de la reine
Blanche tient à une tout autre cause.
Il paraît certain, et des textes positifs l'affirment, que les veuves
des rois de France portaient, au moyen âge, le nom de reines
blanches; mais la véritable reine blanche, Blanche de Castille, la
mère de saint Louis , est bien la seule que le peuple connaisse. Le
peuple, qui ne lit ni les histoires ni les chroniques, n'oublie cepen-
dant point ces grandes et nobles figures qui dominent tout un siècle.
Répétés de bouche en bouche, leurs noms se transmettent de généra-
tion en génération , et finissent par se confondre avec les mystères et
les croyances populaires. D'un autre côté, le nouveau venu dans la
vie ne passe point devant un édifice bâti par ses aïeux sans être frappé
de la différence que cet édifice présente avec ceux qui s'élèvent; il
1. 3
34 PEVUE ARCHÉOLOGIQUE.
consulte les vieillards ; ceux-ci dans leur jeunesse ont éprouvé la mênoe
impression; ils n'ont connu ni le prenjier propriétaire ni l'architecte,
mais ils se rappellent confusément la tradition vulgaire et hasardent
une conjecture; cette conjecture le jeune homme l'adopte, puis il la
reproduit comme une certitude. C'est pour cette raison que , dans la
Normandie et dans le Poitou, tout est attribué aux Anglais, dans le
midi tout aux Sarrasins, dans le Maine, dans l'Anjou, la Touraine, tout
à la reine Bérangère, à Foulques Nerra, à Thibault le Tricheur; dans
la France entière , tout à César, aux fées , aux chevaliers du Temple.
La reine Blanche et la belle Gabrielle sont les héros favoris des
Parisiens; chaque village, chaque ancien quartier de la ville possède
une ou plusieurs piaisons qu'on donne à ces deux femmes célèbres ,
et il se trouve presque toujours, comme à Bagneux et à Bourg-la-
Reine , par exemple , que c'est le même édifice que le peuple veut
désigner. Des érudits , qui ne comprenaient rien au génie de la tra-
dition et voulaient tout expliquer, se sont évertués pour trouver des
reines douairières à chacune de ces maisons. Et ils en ont découvert
même pour l'hôtel de la Trémouille, même pour l'hôtel de Sens.
Pourtant, ne leur en déplaise, le peuple, lorsqu'il prononce le nom
de la reine Blanche , ne veut pas parler d'une autre Blanche que de la
mère de saint Louis. C'est bien celle qu'a chantée Villon, cet enfant du
peuple, lorsque, dans sa gracieuse ballade des iVei^esd'an^an, il s'écrie :
Mais où est ceste blanche reine
Qui chantoit à voie de sereiqe.
Autant vaudrait dire que, sous le nom d'Hercule, des Cyclopés , de
Dédale , le peuple de la Grèce entendait autre chose que le vainqueur
de l'hydre , les compagnons de Vulcain , ou l'inventeur du taureau de
Pasiphaé.
Pour nous, nous croirons que la chambre où nous entrons, la
chambre de la reine Blanche, est bien, dans l'esprit de celui qui l'a le
premier désignée ainsi , celle où Blanche de Castille a demeuré. Cette
désignation , elle la doit sans doute à la richesse de son ornementa-
tion primitive. C'était probablement l'appartement le mieux décoré
de tout l'hôtel. En effet, lorsqu'on arracha des murs des tapisseries que
M. Dusommerard y avait tendues , on y découvrit quelques traces de
peintures dans le goût des arabesques antiques , imitées par Raphaël
dans la Loge du Vatican.
Malheureusement le temps les avait presque détruites ; il n'existait
plus sur ce mur qu'une légère silhouette. M. Albert Lenoir l'a pré-
cieusement calquée; grâce à son obligeance, nous pouvons donner
MUSÉE DES THERMES ET DE L'HOTEL DE CLUNY. 35
ici ce qu'il a vu. Une peinture dans le goût antique exécutée au
XVP siècle est sans doute en France quelque chose de précieux.
Peut-être comme celle-ci se trouvait dans un Musée , aurait-il été
bien de la conserver telle quelle, et malgré sa dégradation. Il en a été
auta^ement décidé; ces fresques ont été repeintes absolument dans le
même style. Le goût des hommes qui ont présidé à la restauration de
l'hôtel de Cluny nous est garant qu'il était difficile de faire autre chose
que ce qu'ils ont fait.
La chambre de la reine Blanche communique avec le jardin par
un petit escalier en vis situé dans un angle ; avec le principal corps de
logis par une porte qui permet l'accès de deux vastes pièces et d'une
longue galerie par laquelle on se rendait jadis dans un jardin situé sur
les ruines des Thermes. Çà et là, dans l'hôtel, on remarque des dé-
bris de vieux murs romains. Toutes ces pièces, ainsi que celles du
bas, seraient complètement dénudées, si M. Dusommerard ne les
avait pas splendidement décorées de sa riche collection. Traversons-
les vite pour nous trouver dans la cour principale , celle qui fait face à
la rue des Mathurins.
Au nord, à l'est, à l'ouest, elle est bordée par les bâtiments de
l'hôtel ; au midi, un mur la sépare de la voie publique jusqu'à la porte
d'entrée; puis, sur la même ligne, s'élève une construction peu im-
36 ' REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
portante, qui va rejoindre le corps de logis de l'ouest. Ce mur est tout
à fait nu ; cependant il faut y remarquer un grand cercle de 9 mètres
de circonférence qui s'y dessine en rouge. C'est le contour de Georges
d'Amhoise, la grosse cloche de la tour de Beurre à la cathédrale de
Rouen, cloche qui pesait 37 360 livres y compris son battant, et qui
exigeait le concours de seize hommes pour être mise en branle. C'est
de l'hôtel que le cardinal-archevêque l'avait, dit-on, fait jeter en moule.
Aujourd'hui , nous oublions les cloches aux sommets des clochers.
Autrefois il n'en était pas sans doute ainsi, puisqu'elles ont inspiré
Jeanne d'Arc, donné un proverbe aux buveurs (l), prédit la rhairie de
Londres à Witington , débité une foule d'oracles précieux à Panurge.
Certes , les cloches méritaient bien alors d'être pourtraites. Ne nous
étonnons donc pas, si le ministre de Louis XJI a voulu laisser
à la postérité le souvenir de celle qu'il avait fondue. Un habitant
d'Arcueil s'est bien rendu jusqu'en Espagne à Compostelle , afin d'y
prendre le contour de la cloche de l'église de Saint-Jacques, et la
faire graver sur les murs de sa paroisse. Cependant, qui le croirait,
des Parisiens et des habitants d'Arcueil reprochent à leurs voisins de
Bagneux d'avoir sacrifié leurs fontaines pour une b^ne sonnerie; et
ils leur jettent sans cesse à la face ce dicton populaire : Ce sont les
fols de Bagneux qui ont vendu leurs eaux pour avoir du son.
Nous sommes dans la cour d'honneur ; aussi les bâtiments de l'hô-
tel y sont-ils ornementés avec plus de soin. C'est bien toujours la
même ordonnance; rez-de-chaussée, premier étage , ^ato^ ; les fe-
nêtres du corps de logis sont toujours encadrées dans des moulures
prismatiques , celles du galetas sont conçues dans le même système
que les autres , elles ont chacune un fronton aigu qui portait autre-
fois les armoiries de l'abbé; mais elles sont plus chargées d'orne-
ments et en outre la plate-bande de l'entablement est sculptée avec
grand soin dans le goût gothique; c'est encore un enroulement con-
tinuel de feuillages et d'animaux fantastiques qui se prolonge d'un
bout à l'autre de l'édifice ; enfin une curieuse balustrade oii les mou-
lures prismatiques du gothique expirant sont aux prises avec les gra-
cieuses créations de la renaissance forme une galerie qui règne tout
le long des toits. Nous devons à la restauration moderne l'entière con-
naissance de ce beau détail, naguère noyé dans le plâtre. Comme
dans tous les hôtels et maisons seigneuriales construites à cette épo-
que, l'escalier se trouve contenu dans une cage de forme octogone
placée à l'extérieur du corps de logis. Cette tourelle, qu'une plus petite
(1) Boire à tire la RigauU. La Rigault était à Rouen la compagne de George
d'Amboisێ
MUSEE DES THERMES ET DE LHOTEL DE CLUNY.
37
accompagne , reçoit le jour par des fenêtres à linteau légèrement
ëpannelé et surmonté d'ogives en accolades. Ces petites fenêtres ne
manquent pas d'une certaine grâce non plus que la tour, sur les parois
de laquelle les emblèmes de Jacques se montrent encore ; heureuse-
ment ils ont été sculptés, et, malgré leur dégradation, on distingue
au milieu des bourdons et des coquilles quelques lettres tracées sur
des banderoles; restes des devises adoptées par Jacques. Disons-le à
sa louange, elles sont toutes pieuses : c'est d'abord le verset 16 de
l'Ecclésiastique : INITIVM SAPI MOR DOML. [initium sa-
piendœ timor Dommi). Puis d'autres sentences que leur état de dé-
gradation nous a empêché de bien comprendre. Nous les donnons
telles que nous les avons vues : on lit d'abord TIMES...., puis en
différents endroits quelques mots qui semblent se rapporter à une
même phrase : SERVAS MANDATA....
REG.... EST.... dont nous ignorons le
véritable sens.
Nous ne dirons rien du bâtiment de
l'est, ce serait nous répéter d'une ma-
nière fastidieuse , car pour les ornements
et les dispositions générales c'est tou-
jours à peu près la même chose. Celui de
l'ouest au contraire offre à l'œil un nou-
veau spectacle. Là, quatre arcades ogi-
vales flanquées de contre-forts à cloche-
tons élégants , ornés de feuilles frisées et
de moulures profondément refouillées,
présentent une disposition particulière,
enfin la seule fenêtre du galetas qu'on
y ait sculptée est un véritable bijou du
style de la renaissance. On dirait un défi
lancé par les romantiques de l'époque aux
partisans de l'ancienne routine , de l'ar-
chitecture nouvelle qui s'introduisait en
France à la vieille architecture nationale.
Cependant là il y a éclectisme : au mo-
ment oii l'on reconnaît les oves et les tor-
sades antiques, tout à coup les figures
géométriques et angulaires reparaissent;
c'est le gothique revêtu de nouvelles
moulures, et l'essence des deux écoles
38 ilEVUE ARCHEOLOGIQUE.
est tellement confondue qu'on ne sait comment les distinguer.
Qu'on nous pardonne cette longue description, si loin cependant
d'être complète; et après s'être arrêté un instant devant la porte
d'entrée qu'un pignon découpé à jour et détruit il y a quelque vingt-
cinq ans rendait digne autrefois du somptueux édifice, qu'on veuille
bien nous suivre encore au palais des Thermes, pour apprécier une à
Une les richesses dont le Musée a été doté, et queM. E. Dusommerard,
guidé par les conseils de la Commission, a disposé avec tant de goût.
Pourtant, si le temps et l'espace ne nous pressaient, bien des choses
nous resteraient encore à étudier ï témoin ces admirables cheminées
en bfiques et en pierre qui surmontent l'édifice, et qui, sans celle du
Palais-de- Justice, seraient les plus anciennes de Paris. Aujourd'hui les
cheminées font le désespoir des architectes; au moyen âge et à la re-
naissance, c'était l'occasion pour eux de faire éclore de nouveaux
chefs-d'œuvre. En voyant les cheminées deChambord ou de l'hôtel de
Cluny on ne s'étonne plus qu'un poëte du XIV*^ siècle, l'auteur du
roman de Berthe aus grans pies, le roi Adenès , ait classé les chemi-
nées de son temps parmi les merveilles de Paris, cette ville que sous
Philippe le Bel , comme sous Henri IV, on pouvait déjà nommer
Paris la grand' ville.
La darae est à Montmartre, s'esgarda la vallée,
VIst la cist de Paris qui est longue et lée ,
Mainte tour , mainte salle et mainte cheminée.
A.».
VOYAGES ET RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES
DE M. LEBAS, MEMBRE DE l'INSTITUT ,
EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE,
PENDANT LES ANNÉES 1845 ET 1844.
RAPPORTS A M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
M. Villemain, ministre de l'instruction publique, qui a déjà donné
tant de preuves de son intérêt éclairé pour le progrès de toutes les
hautes connaissances et de l'archéologie en particulier, a chargé, il y
a quinze mois , M. Lebas , membre de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, d'aller explorer la Grèce, ses îles et l'Asie Mineure,
afin d'y rechercher et d'y copier les inscriptions antiques dont ces terres
classiques par excellence , mieux interrogées chaque jour, n'ont pas
cessé d'enrichir l'histoire et la philologie. M. Lebas, si bien préparé
par ses travaux épigraphiques antérieurs à cette belle et laborieuse
mission , continue de s'en acquitter avec un zèle infatigable, avec un
succès croissant. C'est ce dont témoignent les rapports nombreux,
étendus, pleins de faits et de résultats nouveaux, qu'il adresse à
M. le ministre, qui sont communiqués successivement à l'Académie
par ses ordres, et que M. Villemain a voulu, dès à présent, porter à
la connaissance du public en nous autorisant à les imprimer dans
notre recueil. En lisant les récits du savant voyageur, en parcourant
avec lui ces lieux célèbres qu'il a visités après tant d'autres, on sera
frappé de tout ce que ses consciencieuses recherches doivent ajouter
de lumières nouvelles à ce que l'on savait sur l'état ancien de ces pays^
stir la géographie comparée , sur les monuments des diverses époques,
sur les institutions, les mœurs, les usages publics et privés des
peuples et des villes , quelquefois même sur des faits ou des événe-
ments qui intéressent l'histoire générale de l'antiquité. Une part bien
légitime de l'honneur de ces travaux et de ces découvertes revient à
l'homme d'État éminent, au savant et habile ministre qui en est le
promoteur si actif, et qui , tout en soutenant avec courage et talent
les droits de l'Etat et ceux de la raison dans les questions politiques
dti jour, n'en suit pas avec moins d'attention les progrès de la science,
n'en seconde pas avec tnoins d'ardeur ses intérêts qui sont ceux de
40 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
tous les temps. A peine M. Minoïde Mynas était-il de retour de la
terre classique de Grèce, en même temps sa terre natale, avec une
riche moisson de manuscrits, dont quelques-uns seront bientôt pu-
bliés, que M. Lebas partait pour les mêmes contrées afin d'y recueillir
les inscriptions, et que M. Flandin allait, sous la même et féconde
influence , mettre son crayon exercé au service de M. Botta , notre
consul à Mossoul, et coopérer avec lui à l'exhumation inespérée des
monuments de l'antique civilisation assyrienne de Ninive, sur lesquels
nous aurons bientôt à appeler l'admiration de nos lecteurs.
PREMIER RAPPORT :
ATHÈNBS, léLKDSIS, EXCURSION AU SUNIUM PAR LA CÔTE DU GOLFE SARONIQUE , ET, EN
REMONTANT PAR LA CÔTE E., A MARATHON, RHAMNUNTf: , ETC.) CÉPHISSIA ET LES
MONUMENTS D'HÉRODE ATTICUS ; INSCRIPTIONS DIVERSES,
Monsieur le mimstre,
Chargé par vous de recueillir en Grèce tous les monuments épi-
graphiques restés inconnus jusqu'à ce jour, et de prendre des copies
exactes de celles des inscriptions qui ont été déjà publiées , je viens ,
après environ six mois d'absence,, aujourd'hui, pour la première fois ,
vous rendre compte de mes travaux. Ce retard , est-il bien nécessaire
de le dire, n'a eu d'autre cause que le vif désir de vous présenter des
résultats dignes de fixer l'attention du monde savant ; aucun effort ,
aucune fatigue ne m'a coûté pour atteindre ce but et justifier l'ho-
norable preuve de confiance que vous m'avez donnée. Vous jugerez ,
monsieur le ministre , si je puis me flatter d'y être parvenu.
Un voyage dans l'ancien monde hellénique devait nécessairement
me conduire à Marseille: je m'y suis arrêté deux jours, mais je n'y
ai retrouvé aucune trace de l'époque phocéenne. Tout a disparu , si
ce n'est quelques mots qui survivent dans le langage du peuple, et
encore tendent-ils chaque jour à s'effacer. Le Musée, dit-on, contient
quelques inscriptions et quelques sculptures, mais j'ai vainement de-
mandé à les visiter ; mon titre de membre de l'Institut voyageant avec
une mission scientifique n'a rien pu contre la rigueur d'un règlement
dont le conservateur a beaucoup plus à se louer que les amateurs
des beaux-arts. Le même motif qui m'a retenu deux jours à Marseille,
m'en a fait passer dix à Naples. J'ai revu les Stadj, Pompeii, Sorrenle,
où. tout est encore grec, le costume, la coiffure des femmes, et même
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE, 4l
quelques noms propres, notamment celui de mon guide Vincenzo Acan-
foro, altération manifeste de Ay,<xvBo(f6poç. J'ai revu aussi les doctes
membres de l'Académie d'Herculanum , MM. Gervasio , Quaranta ,
Guarini et Avellino. Ce dernier venait de commencer la publication
d'un bulletin archéologique destiné à mettre en lumière les décou-
vertes que l'on fait chaque jour dans le royaume des Deux-Siciles.
Comme ce journal ne peut manquer d'être parvenu à Paris , je crois
devoir me dispenser de vous entretenir et de la découverte assez ré-
cente d'un temple et d'une charmante statue aujourd'hui en la pos-
session de M. le duc de Montebello , et de celle d'une inscription
longtemps perdue et enfin retrouvée, laquelle fait connaître le nom
de l'une des anciennes phratries de Néapolis, les Théotades (Secùza^at).
A Malte peu de monuments rappellent l'antique MélUé, La plu-
part des inscriptions qu'on voit dans la bibliothèque proviennent de la
Grèce, et particulièrement d'Athènes. A Syros, où nous avons en-
suite relâché, un assez grand nombre des inscriptions du Musée public,
confié aux soins intelligents de M. Valetta , ont été apportées de Délos ;
mais plusieurs proviennent de l'île même, notamment une inscription
assez longue, mais malheureusement fort mutilée et restée inédite
par ce motif. Ce monument, un autre encore publié par M. Ross, et
un troisième que j'ai copié à Athènes, chez M. Gasperi, ancien con-
sul de France, m'offriront, je l'espère, assez de renseignements pour
tenter, à l'égard de l'île de Syros, un travail de restitution historique
dans le genre de celui que j'ai publié sur Égine. Retenu à Syra par
le mauvais temps, j'ai mis à profit ce séjour forcé en transcrivant
tous les monuments écrits conservés dans le- Musée , à l'église princi-
pale, et dans quelques demeures particulières, au nombre de trente
environ. J'ai même eu la satisfaction de déchiffrer dans l'une de mes
excursions une inscription métrique restée inédite jusqu'à ce jour,
par la raison très-simple que les caractères en sont très-fins , et que
la plus grande partie de la stèle oii elle est gravée était encastrée dans
une sorte de fronton rustique qui surmontait la porte d'un jardin, à
quelque distance de la ville. Je vous la transmets ici en caractères
courants :
Eo-6)^ôv Tïj^' lzpr}(x. xat eyo-sêvj à|:zçpixa).ii7rTSt
XGwv ïj^s K'kziroffôôvxx tôv EpacnaBévox)'
It-hl-ov S' ecTYjo-sç , crû Tzxrip , stti <7riy.a.Ti rriv^e*
Aù^oOffa f-hpi-tiv Trarpôç zb^lzri ypxfri.
Cette petite pièce n'a guère de remarquable que le mètre dans
42 REVUE Archéologique.
lequel elle est écrite. En effet , le deuxième vers de chaque distique
est, non pas, suivant l'usage le plus commun, un pentamètre dacty-
lique, mais un iambique trimètre. Du reste l'ellipse qu'offre le qua-
trième vers a quelque chose d'assez choquant, et le génitif Épao-io-Gevou
dénote une époque oii l'on avait déjà commencé à ne plus respecter
les formes consacrées par les bons auteurs.
A peine débarqué au Pirée, je dus à l'obligeance d'un compatriote,
M. Léon Badin, capitaine du port, la satisfaction de transcrire un
monument inédit. C'était Un début de bon augure. Mais Athènes me
réservait de plus importants travaux ; les trois Musées improvisés aux
Propylées , au temple de Thésée et au portiqtie d'Adrien renferment
eux seuls près de dix-huit cents inscriptions; si l'on y ajoute celles qui
sont contenues dans l'enceinte et dans les dépôts de l'acropole, celles
qu'on trouve éparses dans les églises , devant les demeures des habi-
tants , dans quelques collections particulières telles que celles de
M. le chevalier Prokesch d'Osten, ministre plénipotentiaire d'Au-
triche; de M* Finlay, l'un des plus anciens philhellènes anglais; de
M. Gasperi, dont j'ai déjà eu occasion de parler plus haut; de
M. Kontostavlos près du Pirée , le chiffre ne s'éloignera guère de
deux mille quatre cents, c'est-à-dire du chiffre auquel s'élèvent les
quatre premiers cahiers du Corpus inscripûonam grœcarum, publié par
M. Boeckh. J'ai tout estampé avec le soin le plus religieux, et copié
ensuite, quand il y avait lieu, avec la plus scrupuleuse exactitude, et
deux mois ont suffi à cette tâche, grâce à la bienveillance avec la-
quelle le roi des Grecs s'est plu à favoriser mes travaux, et à l'empres-
sement de ses ministres, MM.Rizo et Christidès, à me donner toutes
les autorisations et les facilités nécessaires. Vous comprendrez, mon-
sieur le ministre, que j'ai copié sans pouvoir m'arrêtersur aucun de
ces monuments, sans même m'attacher à rechercher quels sont ceux
d'entre eux qui sont déjà publiés et ceux qui sont inédits; mais je suis
fondé à croire qu'un assez grand nombre de ces matériaux, le tiers
au moms, n'a pas encore vu le jour. En effet, les inscriptions de
l'Attique dans le Corpus occupent mille quarante-neuf numéros dont
la plupart figurent aujourd'hui dans les Musées de la France, de
l'Angleterre et de l'Italie, etc. , dont quelques autres ont disparu et
dont par conséquent un très-petit nombre , cent cinquante à peine ,
se trouve encore sur le lieu de la provenance. Si à ces cent cinquante
nous ajoutons les huit cents environ publiées par M. Pittakis dans le
Journal archéologique d'Athènes , et cent environ insérées jusqu'ici
par M. Rizo Rangabé ^ dans ses Antiquités helléniques , deux cents
VOYAGES EN GliÈCË Et ÉJV k^tt iVIINEURE. 4â
autres que M. Ross va publier dans le troisième cahier de son re-
cueil , et qui sont particulièrement relatives aux dèmes de l'Attique ,
-et quelques autres encore qui ont été l'objet de travaux spéciaux en
Europe, comme par exemple l'inscription d'Êgine, dont je me suïs
occupé et qu'on voit aujourd'hui au temple de Thésée, on peut sans
exagération affirmer que des deUx mille quatre cents inscriptions exis-
tant aujourd'hui à Athènes, mille au moins sont encore inédites.
Dans ce nombre se trouvent comprises sans doute beaucoup d'inscrip-
tions funéraires qui n'offrent que des noms propres et des noms de lieux \
mais il en est d'autres d'un intérêt plus réel , des décrets , des catalo-
gues, desépitaphesen vers, etc. > et qui, je l'espère, combleront plus
d'une lacune historique ou ajouteront encore à nos conMissances sur
l'organisation politique et religieuse d'Athènes, et sur la vie intérieure
des Grecs. Il faut d'ailleurs bien se garder de croire que les huit cents
monuments du Journal archéologique aient été l'objet d'un travail
suffisant et soient expliqués de manière à ne plus rien laisser à faire
aux archéologues. M. Pittakis est un homme plein de zèle, animé du
plus ardent amour pour les antiquités de sa patrie, et ayant constam-
ment» même dans les temps les plus difficiles, veillé à leur conser-
vation avec une activité digne des plus grands éloges ; mais M. Pit-
takis n'est pas ce qu'on peut appeler un savant; ses connaissances
historiques ont peu d'étendue ; il a plus d'instinct que de science
réelle ; la critique verbale lui est complètement inconnue, et ses res-
titutions, comme ses interprétations, laissent souvent beaucoup à
désirer. M. Rizo Rangabé lui-même, qui a plus d'érudition que
M. Pittakis, ce qu'il a prouvé dans plusieurs dissertations sur les
comptes du trésor d'Athènes (l), a la modestie de reconnaître qu'il
est loin d'avoir tout dit sur les questions qu'il a traitées. Quoi qu'il en
soit , il sera utile de posséder à Paris un fac-similé des monuments
qui peuvent encore appeler l'attention des critiques, tels que ceux
qui sont relatifs au trésor de l'acropole» aux tributs des alliés, à la
marine d'Athènes , etc. , et les érudits français vous devront cet im-
portant service.
C'est au procédé de l'estampage que je dois d'avoir pu faire en deux
mois ce qui en eût réclamé au moins quatre s'il eût tout fallu trans-
crire. Ce procédé , je l'ai également appliqué à un certain nombre de
(1) M. Rangabé prépare en ce moment une édition des marbres récemment décou-
verts, où se trouvent inscrits année par année, pendant un espace d'environ dix-
huit ans , les noms des alliés d'Athènes et le montant des tributs qu'ils payaient à
letir ambitieuse protectrice.
44 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
bas-reliefs , et ce seront encore autant de ressources nouvelles dont
les antiquaires vous seront redevables.
Cette tâche accomplie, il fallait, comme complément indispen-
sable, s'occuper de l'Attique. M. le général Prokesch d'Osten, dont
le deuxième nom est une récompense décernée par le gouvernement
autrichien à d'importants écrits sur l'Orient, et notamment à un
voyage très-remarquable en Egypte et en Nubie , qui se délasse de ses
occupations diplomatiques en se livrant à l'étude des antiquités et
surtout de la numismatique , m'a offert de me servir de guide dans
celte excursion , et vous devez penser, monsieur le ministre, que j'ai
accueilli avec empressement une offre aussi aimable et aussi utile.
C'était profiter de l'expérience d'un archéologue habile et apprendre
sous un maître exercé l'art assez difficile de voyager dans un pays qui
n'a pas de routes et qui n'offre encore que de très-insuffisantes res-
sources. Une première excursion a été consacrée à Eleusis. Nous
avons visité successivement le monastère de Daphné , qui , comme le
croit avec fondement M. Buchon, d'après des sarcophages portant
des armoiries fleurdelisées, dut être, à l'époque de la domination
française, le lieu de sépulture, le Saint-Denis des ducs d'Athènes.
De là, en suivant les traces de l'antique voie Sacrée, nous avons visité
le rocher consacré à Vénus, à l'entrée de la vallée d'Eleusis, et sur le-
quel on voit encore quelques niches destinées à recevoir les dvaQ'nixoczx ,
comme l'atteste cette inscription gravée au-dessous de l'une d'elles
dans la pierre vive :
EYANAPIAAO
POAITEIEYIAM
ENHANEOHKE
Et cette autre :
O1AHA0POA1TH
Là se lisent encore ces deux lignes :
GMNH20HenArAon
nY00NIKH2MAAIK02
touchant souvenir d'un frère , d'un époux, d'un père ou d'un amant,
dont M. Franz , dans ses Elementa epigrapUces gmcœ, a cité plu-
sieurs exemples empruntés au Corpus inscr, gr, et à la dissertation
de M. Letronne sur la statue vocale de Memnon. Vous le voyez ,
monsieur le ministre , l'usage d'écrire son nom sur les murs des
lieux que l'on visite ou que l'on habite temporairement ne date pas
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 45
d'hier. Les murs des Propylées en offrent plus d'une preuve. Je n'en
citerai qu'une seule :
OIAGAKPOOYAAKeC
nPIMOC
enAFAOïnN
ePMHC
Avant d'arriver à Eleusis nous nous sommes arrêtés pour exarai -
lier sur la droite de la route les débris d'un tombeau en marbre blanc
destiné à la famille d'un certain Straton, comme l'atteste l'inscription
suivante , en beaux caractères de l'époque romaine , déjà publiée par
le colonel Leake , et je crois aussi par M. Boeckh :
2TPATnNI2IA0T0YKYA[A]G[HNAIEY2]
nnAAAMOYNATIAnAKAlA
l2IAOTO22TPATnNO2KYAA0HNAIEY[2]
Si je n'étais aussi sûr de l'exactitude de ma copie, je corrigerais
sans hésiter à la fin de la deuxième ligne Tl AAfKA au lieu de ITAKAI A.
Le nom d'Isidotos devint assez fréquent dans les premiers siècles de
l'empire ; on le retrouve encore sur une colonne funèbre conservée à
Eleusis, dans l'église de Saint-Zacharie, servant aujourd'hui de
Musée public :
I2IA0TH
I21A0T0Y
MIAH2IA
Au-dessous est un bas-relief qui représente une femme assise tenant
une feuille de lotus. Ce monument est inédit.
Il ne me reste rien à dire aujourd'hui sur les ruines d'Eleusis, après
tant de voyageurs. L'aspect des lieux n a pas changé depuis le passage
de M. de Chateaubriand. Pour retrouver avec exactitude le plan et les
débris de l'antique sanctuaire , il faudrait transporter dans le voisi-
nage le village de Lefsina, très-malsain d'ailleurs, enlever toutes les
baraques qui recouvrent le sol et faire des fouilles qui ne manque-
raient pas d'être fort dispendieuses. M. Ross l'avait proposé, alors
qu'il était conservateur des monuments antiques de la Grèce ; mais
l'état financier du royaume s'opposa alors et s'oppose aujourd'hui
plus que jamais à ce qu'on réalise un pareil projet.
A Eleusis je n'ai retrouvé que quinze inscriptions, dont quelques-
unes sont inédites , notamment la dédicace d'un édicule consacré à
Tibère. Cette dernière consiste en cinq lignes dont la partie droite
manque ; elle est gravée sur l'architrave même du monument. Je ne
4Ç RI5VUE ARCHEOLOGIQUE.
range pas dans la menue classe un long décret des artistes dionysia-
ques d'ÉIeusis, copié il y a deux ans par mon ami M. Ch. Lenormant,
qui me l'a rapporté pour en faire l'objet d'une publication spé-
ciale. Il avait été publié par M. Pittakis quelques mois avant le
passage démon savant confrère à Athènes. Je n'en persiste pas moins
dans l'intention d'en faire l'objet d'un Mémoire spécial pour lequel
j'ai fait déjà de nombreuses recherches , et qui serait prêt depuis
longtemps si mon départ pour la Grèce n'était venu en interrompre
la rédaction.
Quelques jours après nous sommes sortis d'Athènes par la porte
d'Adrien , et , longeant le bord de la mer , nous avons laissé à notre
gauche le cap Colias et les lieux où exista jadis le dème d'Halae iExo-
nides, et traversé successivement les ruines ou l'emplacement d'axone,
de Prospalta et d'Anagyre; à ce dernier dème appartiennent sans
doute quelques stèles et un fragment de statue équestre qu'on voit
dans l'église du petit village de Bari. De ce point nous avons été
visiter sur l'Hymette la grotte de Pan, ses antiques sculptures et
ses inscriptions. De là, suivant la côte, nous avons parcouru les
champs oii furent Thoree, Lamptra, Sphettus, ^Egilia, Olympus
(Elympo), Anaphlystus, Azenia, Laurium et ses mines, et nous
sommes parvenus au cap Sunium. Je ne tenterai point de vous pein-
dre , monsieur le ministre , les sentiments qui m'ont animé en visitant
ce promontoire célèbre auquel se rattache le souvenir glorieux de
Platon. Vous n'attendez pas de moi des impressions de voyage. Je
me bornerai à vous dire qu'en parcourant les ruines du temple de
Minerve, dont les colonnes en marbre blanc, rendu plus blanc encore
par l'influence du voisinage de la mer, se détachent si étincelantes
sous ce beau ciel bleu de la Grèce, j'ai vainement cherché des in-
scriptions qui eussent quelque rapport au culte de la déesse. Trois
seulement ont été gravées par des voyageurs païens sur les parois
des antes. La première est mutilée et inédite ; il en est de même de
la deuxième ; la troisième est déjà connue. Je ne rapporterai que les
deux dernières ;
[eiVINHjCOHZnCIMOC
[APilcnniNneiPAieYC
ONHCIMOC
eMNHCOH
THï=AAEA<t>HC
XPHCTHC
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 47
Mais si les inscriptions antiques sont rares à Sunium , en revanche
les modernes y pullulent. Pas de mince aspirant de marine, d'obscur
touriste anglais qui ne croie devoir apprendre à la postérité qu'il est
venu s'asseoir sur les débris du sanctuaire de Minerve Poliade. Parmi
tant de noms destinés à un éternel oubli, j'en ai lu trois qui certes ne
mourront pas :
SUFFREN.
1775.
RIGNY.
1814.
BYRON.
A environ une demi-lieue de Sunium, en remontant vers le nord
pour nous rendre à Thoriscus , nous avons rencontré deux stèles à
antes fixes récemment découvertes lors des travaux exécutés pour amé-
liorer la route. Elles sont d'un très-beau travail en marbre du Pen-
télique. On y lit sur la première :
AHMArOPA
E0OAIONO2
20Nin20YrATHP
Ensuite une rosace avec couronne au-dessous , puis
MENEKYAH2
[M1ENE2TPAT0Y
EK[20]Y[NI0Y]
Et au-dessous :
MENE2TPAT02
MENEKYAOY
Enfin une quatrième inscription :
AI2I2TPAT02
MENEKYAOY
20YNLIEY2]
La seconde stèle porte ;
MENE[KYAH2] ou;!MENE[2TPAT02]
KAAAini2[AI2]XPnN[02]
20YNIEn20YrA[THP]
D'où l'on peut conclure que le tombeau que décoraient ces stèles,
et qu'il faut peut-être reconnaître dans un tumulus voisin, était la
sépulture d'une famille dans laquelle, suivant l'usage antique, alter-
naient de père en fils les noms de Ménécyde et de Ménestrate. Cette
48 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
famille devait être une des plus opulentes de Sunium, à en juger par
l'élégance des deux stèles et d'un torse d'homme en marbre blanc et
d'un très-beau style , trouvé dans le même endroit.
Thoriscus, son théâtre et les ruines de son temple ont ensuite fixé
notre attention -, puis nous sommes venus chercher un gîte au beau
village de Keratia. Le lendemain nous étions de bonne heure à Me-
renda, nom dans lequel il faut certainement reconnaître une altéra-
tion de Myrrhinunte. Ce qu'il y a de certain c'est qu'on y trouve des
restes assez considérables d'un temple restauré et embelli par Hérode
Atticus dont une inscription comme rappelle le nom et les bienfaits (l ),
mais qui devait être d'une haute antiquité à en juger par une autre
inscription en caractères archaïque^, et par plusieurs fragments de
dalles en marbre d'Eleusis , par des colonnettes votives , et par un
bas-relief mutilé formant l'une des dalles de l'église qui a remplacé le
temple et représentant une Minerve assise dans le style le plus ancien
et semblable à beaucoup d'égards au fragment de statue retrouvé à
l'est du temple d'Érechthée sur l'acropole d'Athènes , à diverses sta-
tues ou statuettes du Parthénon et à celle dont on voit encore la
partie inférieure dans la grotte de Pan sur l'Hymette. Je dois encore
ajouter, au sujet de la dernière inscription dont je viens de parler,
qu'elle porte des traces évidentes de mutilation. Quelle main peut
l'avoir mise en cet état si ce n'est celle de Fourmont auquel on en doit
la copie (voy. Boeckh, C. I., n** 28). Voilà donc encore une preuve
incontestable, selon moi, du vandalisme de ce voyageur et un argu-
ment à opposer aux savants qui veulent que les inscriptions en ca-
ractères archaïques rapportées par lui , n'aient aucune authenticité et
soient regardées comme l'ouvrage d'un faussaire.
Non loin de ce temple j'ai trouvé, au milieu de pierres amoncelées,
un fragment de grand bas-relief oii l'on distingue encore le pied d'une
femme assise et les pieds d'un enfant qui devait se tenir debout de-
vant elle. Au-dessous on lit: A0nNI02 ce qui ne peut être que la fin
du mot [M APA]0nNI02. Sur un fragment appartenant, suivant toute
vraisemblance, au même bas-relief que le précédent, on reconnaît
(0 HPHAHEATTIKOE
MAPA0 VN NIOETONNE H N
EnEEREYArENKAITO
ArAAMAANE0HKEN
THA0HNAIA
C. inscr, gr., n' 490.
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 49
un homme debout. C'était peut-être quelqu'un des ancêtres d'Hérode
Atticus qui, comme on le sait, était du bourg de Marathon.
De ce lieu intéressant nous nous sommes rendus à Prasiae, aujour-
d'hui Porto Raphti, ainsi nommé d'une statue romaine dans des pro-
portions colossales qu'on voit encore sur le sommet d'une île qui
forme l'entrée de cette baie et que les marins grecs ont assimilée à un
tailleur ipaTirnç); puis à Braona (prononcez Vraona) où. l'opinion
commune place l'antique Brauron (l) qu'il faut aller chercher beau-
coup plus au nord près des bords de l'Érasinus, non Idtn de la baie ap-
pelée aujourd'hui Porlo Livadhi. On trouve en effet dans ce dernier
lieu une église occupant l'emplacement d'un petit temple ancien q^i
s'appuyait latéralement sur un rocher taillé à cet effet et dans la partie^
supérieure duquel on voit encore des trous faits de main d'homme
pour recevoir des statues ou des offrandes. C'est là sans doute que se
trouvait le temple de Diane Brauronia où Oreste vint déposer la sta-
tue qu'il avait enlevée de la Chersonnèse Taurique. Sur la colline qui
s'élève au-dessus de ce rocher et qui peut avoir environ 3 kilomètres
de circonférence on distingue encore les soubassements de l'enceinte
d'une ville (Brauron) et des ruines d'édifices anciens qui ont dû ap-
partenir à cette ville.
Notre route nous conduisit ensuite dans le lieu appelé Velanidésa
(c'est-à-dire chênaie, plantée de chênes vallons), lieu couvert de tu-
muli dans l'un desquels on a trouvé ce fameux bas-relief peint repré-
sentant un guerrier contemporain des guerres médiques (2) et peut-
(1) Braona , bâtie près d'un cours d'eau assez considérable , et près duquel on voit
encore une tour dont la construction doit remonter à l'époque française , a peut-être
remplacé l'antique Képhalé. C'est ce que me porterait à croire une stèle à anléfixe
existant dans l'église bâtie sur la montagne qui s'élève en face de ce raétochi :
N
KE*AAHeEN
deux rosaces
*ANOSTPATH
, ANAPOKAEOT
KE*AAH0EN
rïNH
ANTIS0ENHS
ANAPOKAEOTi:
KE<ΫAAH©EN
ÂNTIS0ENHS
AAKIS6EN0Ï
KE*AAH0EN
(2) Le peuple l'a surnommé Barba Jani^ « mon oncle Jani. »
t. 4
50 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
être même antérieur à cette époque, lequel bas-relief est aujourd'hui
conservé dans le temple de Thésée. Beaucoup de fouilles y ont été
pratiquées, mais au hasard, sans autre inspiration que celle de l'avi-
dité. Il y avait cependant là une étude intéressante à faire de la dis-
position intérieure de ces vastes tombeaux, de l'ordre dans lequel étaient
rangés les sarcophages, de la place réservée aux chefs de famille ou
de tribu. Un pareil travail pourrait se faire en assez peu de temps et
n'exigerait pas de très-grands frais. La seule difficulté serait de trou-
ver des hommes dans le voisinage, car ce pays est presque désert.
Vourna, oii nous avons passé la nuit, est bâtie sur une hauteur
qui doit avoir été habitée dans l'antiquité. C'est ce qu'on peut inférer
d'un bas-relief d'un bon style, gravé sur une stèle en marbre du
Pentélique, représentant deux hommes debout se donnant la main ,
avec cette inscription :
GE0B0A02
[ElYBOAO
lAO
I. . IAII2
Delà, redescendant à la côte que nous avons suivie à travers les
broussailles, nous sommes venus à Raphena [Apocc^-nv)^ lieu désert
arrosé par un grand ruisseau; on n'y. trouve qu'une église de la Pa-
nagia bâtie sur une colline avec des débris antiques, parmi lesquels
on distingue un fragment de colonne et un autre de tuile en marbre
du Pentélique. A quelque distance de là on voit un immense sarco-
phage; dans la plaine qu'on rencontre après avoir passé le ruisseau
on reconnaît quelques traces des soubassements d'un temple, et un
peu plus au nord , à deux pieds de la mer, on montre une fontaine
d'eau douce à laquelle se rattachait sans doute quelque tradition my-
thologique.
Au moment oii nous sommes parvenus sur la grève qu'occupait
Probalinthus, on venait de découvrir près du rivage une statue de style
égyptien en marbre blanc, évidemment de l'époque romaine et, sui-
vant toute probabilité, du temps où vivait le riche Hérode Atticus,
qui avait une maison de campagne dans ce lieu et possédait de grands
biens à Marathon, sa patrie, ainsi que nous l'apprend Philostrate et
que l'attestent un assez grand nombre de monuments, entre lesquels
je me bornerai à citer une porte en marbre blanc ornée de deux sta-
tues assises , et sur l'archivolte de laquelle on lit l'inscription suivante :
0M0N0IA2A0ANAT0Y
nVAH
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASÏE MINEURE. 51
Et plus bas :
HPnAOYOxnpoi
EI[20N]EI[2E]PXEI (1)
A mon retour à Athènes, monsieur le ministre, je me propose de
retourner dans ce lieu accompagné d'un artiste , et d'y recueillir tous
les éléments nécessaires pour tenter une restauration architectonique
d'un monument qui me paraît digne d'intérêt, puisqu'il se rapporte à
l'union conjugale d'Hérode et de sa femme dont j'aurai occasion de
vous parler encore un peu plus loin.
Je n'ai pu me trouver à Marathon sans examiner avec soin les dif-
férentes opinions relativement à la position de l'armée grecque et de
l'armée persane dans la bataille célèbre qui a illustré le nom de Mil-
tiade. Je reste convaincu que le bourg de Marathon actuel n'a pas été
le centre des opérations , qu'il a probablement usurpé ce nom , et que
ce nom célèbre appartiendrait plus justement aux ruines voisines du
monastère de Varna, au milieu desquelles sont encore deux églises
bâties en grande partie avec des débris antiques et ombragées par des
chênes séculaires. L'exposition des motifs sur lesquels repose mon
opinion serait hors de propos en ce moment, mais vous me croire/
sans peine quand j'ajouterai que les questions de cette nature ne
peuvent être bien jugées que sur les lieux. J'oubliais de vous dire,
monsieur le ministre , qu'on ne trouve au Marathon actuel aucune
inscription, tandis qu'il en existe trois à Varna, dont une surtout est
en lettres d'un très-beau style qu'on peut faire remonter au IIP siècle
avant notre ère. Elle est gravée sur une stèle de 1"33 environ, cou-
ronnée par un antéfixe élégant et ornée d'un bas-relief représentant
une femme debout tenant un vase à une seule anse dans la main
gauche. Devant elle est un homme debout, la tête ceinte d'un ban-
deau , la poitrine nue et étendant la main vers elle : au-dessus du bas-
relief on lit :
APXinnHKAAAeni
PAMN0Y2I0Y
Rhamnunte est trop près de Marathon pour qu'un voyageur se
dispense d'aller visiter son double temple et son acropole en marbre
blauc- Il serait bien à désirer qu'un architecte de talent s'occupât de
constater letat actuel de ces importantes ruines, car chaque jour elles
. sont mutilées par les touristes; en voici la preuve : au mois d'août 1838
(1) Les ruines de cette porte se trouvent sur le penchant de la vallée «rrosée par
le ruisseau qui couie dans le boarg actuel de Marathon.
52 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
M. Prokescli a vu à l'entrée du temple situé du coté des terres
et séparé de l'autre par un mur polygonal, deux sièges semblables
en marbre blanc. Sur la partie antérieure de chacun d'eux on lisait :
NEME2EI
iniTPATOl
ANEOHKEN
Sur celui de gauche :
OEMIAI
2n2TPAT02
ANEOHKEN
Eh bien ! celui de droite a disparu et à sa place on voit celui qui
autrefois était à gauche. Le premier a donc été enlevé malgré son
poids , et décore peut-être aujourd'hui quelque obscur musée ; le se-
cond a pris sa place pour avoir sans doute un jour le même sort.
En revenante Athènes nous sommes passés par le beau village de-
Képhissia où le Céphise prend sa source, et là j'ai copié deux inscrip-
tions fort curieuses contenant l'une et l'autre les mêmes imprécations
contre tout propriétaire qui déplacerait des statues dont une devait
être celle de la femme d'Hérode , deRégilla , ainsi qu'on peut en juger
par les deux premières lignes de l'une des deux inscriptions qui sont
conçues en ces termes :
AnniAANNIAPHriAAAHPnAOYrYNHTO
<t>n2TH20IKIA2
D'où l'on apprend ce qu'on ignorait encore, que Régilla appartenait
à la gens Appia et non pas à je ne sais plus quelle autre maison.
C'est ce que prouve encore une autre inscription trouvée dans le
même village et où la dixième ligne porte :
PHriAAHlAmiJOY... TOY....
Vous voyez, monsieur le ministre, que Marathon et Képhissia,
propriétés du riche Hérode Atticus, sont encore remplis de sa re-
nommée. Il y a, je crois , dans tous ces monuments et dans d'autres
encore qu'il me sera facile de recueillir, des éléments pour ajouter
beaucoup de faits nouveaux à la biographie de ce riche Athénien que
nous a laissée Philostrate. C'est un travail dont je me propose de
m'occuper à mon retour et qui offrira, je l'espère, quelque intérêt,
puisqu'il pourra jeter des lumières sur l'état de FAttique au IP siècle
après notre ère.
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 53
Je ne suis encore parvenu qu'au 6 avril , monsieur le ministre , je
suis donc loin d'avoir terminé le récit de mes excursions jusqu'à ce
jour. J'aurais voulu pouvoir vous le transmettre aujourd'hui dans son
entier, mais je me vois forcé d'interrompre pour éviter un retard de
dix jours. Par le prochain bateau à vapeur vous recevrez la suite de
cet exposé et le compte rendu de mes travaux ultérieurs ; qu'il vous
suffise de savoir dès à présent que j'ai successivement visité Égine,
Calaurie, Trézène, Phylé, Acharne, Décélie, Éleuthère, ^Ego-
sthenae, Pagœ , OEnoé, le promontoire de Junon Acraea, Corinthe,
Sicyone, Vostitza (l'ancien ^Egium), Patras, Elis, Olympie, Phi-
galie, Messène, Geronthraî et Sparte; qu'à iEgosthenee j'ai trouvé
des inscriptions très-longues et très-propres à jeter du jour sur l'his-
toire de cette ville , sur ses rapports avec Mégare, Siphœ, Onches-
tus, etc.; que Pagae a aussi fourni son contingent; que si la récolte
jusqu'à Messène a été peu productive, j'en ai été dédommagé par les
fouilles que j'ai fait exécuter dans ce lieu. Elles ont amené la décou-
verte d'un temple d'ordre ionique resté inconnu jusqu'à ce jour. Enfin
à Geronthrœ j'ai eu la satisfaction de retrouver quatre inscriptions
formant neuf colonnes de 60 lignes environ chacune, et qui ne sont
rien moins que la traduction en grec d'une partie considérable de la
loi de maximum publiée par Dioclétien dans la dix-huitième année
de son règne, c'est-à-dire en 301. Ce seul résultat, monsieur le mi-
nistre , justifierait la mission que vous m'avez confiée, car il est im-
possible qu'une partie des 540 lignes grecques ne remplisse pas
quelques-unes des nombreuses lacunes qu'offre l'original latin d'un
monument qui répand tant de lumière sur l'économie politique des
Romains et sur l'administration impériale. J'apprendrais avec joie,
monsieur le ministre, que telle est votre opinion et celle de l'Acadé-
mie des Inscriptions, et je trouverais dans votre assentiment et dans
celui de mes savants confrères la plus précieuse récompense des
fatigues que je supporte pour ajouter de nouvelles richesses aux tré-
sors de la science.
Je suis avec respect,
Monsieur le ministre.
Votre dévoué serviteur,
Ph. Lebas.
Sparte, le ?6 juin 1843.
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES
INSTITUÉE AU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.
OUGANISATION ADMINISTHATIVE.
Bien des monuments ont disparu du sol de la France. Ils ont été
détruits par le temps et par les hommes, par les hommes plus que
par le temps. Les guerres étrangères civiles et religieuses ont fait,
bien des ruines; l'orgueil des idées nouvelles qui produit le dédain
pour les objets admirés dans l'époque immédiatement précédente en
ont fait plus encore. Les Romains ont renversé les pierres élevées
par le culte des Druides, les nations barbares et chrétiennes ont dé-
moli les temples et les autres édifices de la civilisation romaine, les
rois ont démantelé les forteresses féodales, les protestants ont dévasté
les églises catholiques, les révolutionnaires de 93 ont ravagé les monu-
ments de toutes les époques de la monarchie en haine des institutions
dont ces monuments étaient les symboles. — Toutes ces manifestations
du fanatisme religieux ou politique ont jonché le sol de débris, mais
leur action dévastatrice a peut-être été moins funeste aux productions
de l'art que celle des artistes de toutes les époques. C'était avec mé-
thode que ceux-ci renversaient de fond en comble les monuments
construits par leurs devanciers, ou les mutilaient sous prétexte de
restauration et d'achèvement. L'abandon eût été préférable. Il aurait
laissé aux ruines leur caractère. La guerre, une guerre acharnée et
impitoyable du présent contre le passé a duré sans interruption depuis
les temps les plus reculés jusqu'à nos jours ; c'est une idée toute nou-
velle que celle du respect pour les monuments de l'art de toutes les
époques, et peut-être la payons-nous bien cher si nous la devons à
la perte ou du moins à l'affaiblissement de la faculté créatrice.
Sans en rechercher la cause , nous pouvons constater comme un
fait l'application pratique de cette idée ; elle se traduit dans un cha-
pitre du budget qui ouvre au ministre de l'intérieur un crédit affecté
à la conservation des monuments historiques. — C'est en 1831 que ce
chapitre fut pour la première fois proposé par le gouvernement du
roi et voté par les chambres : il était de 80 000 fr., et l'administra-
tion en fut confiée à la division des beaux-arts . qui jusqu'alors , dans
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. 55
de rares circonstances, avait alloué les fonds nécessaires pour des ré-
parations urgentes fà des monuments en péril , sur le crédit des en-
couragements aux beaux-arts; ces allocations, toujours sans impor-
tance, étaient subordonnées aux besoins des autres services imputés
sur le même crédit, tandis que le fonds spécial, qui fut alors voté par
les chambres, avait une destination exprimée dans le titre du cha-
pitre, et ne pouvait en être détourné. Un inspecteur général avait été
nommé, dès les premiers jours qui suivirent la révolution de 1830,
sous le premier ministère de M. Guizot , pour former dans les dépar-
tements la liste des édifices dont l'importance monumentale était
incontestable et les besoins urgents. M. Vitet, auteur de plusieurs
ouvrages historiques d'un grand mérite, et qui s'était livré à des
études sérieuses sur l'archéologie antique et chrétienne, fut chargé
de cette mission, et l'accomplit pendant deux ans avec un zèle et une
activité intelligente qui stimulèrent dans toute la France un mouve-
ment d'études dont les effets se firent bientôt sentir. — De toutes
parts se formèrent des sociétés savantes qui explorèrent les contrées
voisines des villes où elles avaient été fondées, afin de rechercher les
monuments qu'il fallait conserver et réparer, et d'arrêter les mutila-
tions que des spéculateurs exerçaient sur des édifices anciens pour en
vendre les matériaux. Chacun alors, gouvernement et administrés,
comprit qu'il était temps de mettre un terme au vandalisme qui
sévissait sur les monuments de la France, et une réaction s'opéra de
toutes parts contre les démolisseurs. Jusqu'alors l'admiration servile
professée pour les types grecs et romains, qui étaient pourtant en
général peu connus et mal étudiés, avait exclu toute autre recherche
et renfermé dans la même réprobation toutes les œuvres de l'art na-
tional ; dès ce moment, au contraire, les études archéologiques em-
brassèrent toutes les époques de l'art. La réaction imprimée en 1831
fut suivie par M. Mérimée, nommé inspecteur général en remplace-
ment de M. Vitet auquel l'activité de la vie politique ne permettait
plus de s'occuper uniquement de travaux d'art. — M. Mérimée,
déjà célèbre comme littérateur, se livra à de vastes recherches ar-
chéologiques; il parcourut la France dans tous les sens en plusieurs
années, et ses rapports éclairèrent l'administration sur les besoins
immenses du nouveau service qui avait été institué. Les chambres
en furent informées, et augmentèrent successivement le fonds qu'elles
y avaient atfecté.
En 1834, M. Guizot, alors ministre de l'instruction publique,
avait voulu suivre en France l'exemple donné par l'Angleterre pour
56 REVUE ARCHÉOLOGIQUE,
la publication des Records, et, par la haute autorité de son nom, il
obtint facilement des chambres une allocation affectée à la publica-
tion des documents historiques qui jusqu'alors étaient restés enfouis
en manuscrits dans les bibliothèques et les dépôts d'archives. Un co-
mité d'hommes spéciaux fut chargé de juger l'importance des docu-
ments qui seraient publiés ; bientôt le ministre sentit le besoin de
joindre la publication des monuments de l'art à celle des documents
inédits : un second comité, désigné sous le nom de Comité des arts et
monuments fut institué; MM. Vitet, Mérimée, Lenormant, Le Pré-
vost, Lenoir, etc., en firent partie. Il proposa la publication d'une
Statistique monumentale de la France, pour la préparation de laquelle
plusieurs archéologues recevaient la mission d'explorer les départe-
ments, commune par commune, afin d'y rechercher les monuments
de toutes les époques, et de les décrire et dessiner tous sans excep-
tion. L'auteur de cet article fut chargé de visiter de cette manière
deux arrondissements du département de la Meurthe; l'année sui-
vante le département des Pyrénées-Orientales, et en 1837, celui du
Lot. De ces trois ouvrages, le premier fut seul publié comme spéci-
men; l'étendue de cette publication ne permit pas de la continuer,
elle aurait absorbé tous les fonds alloués pour la publication des
documents pendant plusieurs années. On préféra la laisser exécuter
par les départements eux-mêmes, et des instructions furent adressées
aux correspondants du Comité dans les départements avec des ques-
tionnaires rédigés de façon à obtenir des réponses utiles même de la
part des personnes les moins versées dans l'étude de la science ar-
chéologiquje. De nombreux matériaux ont été ainsi réunis, mais ils
n'ont pas encore été livrés à la publicité.
La nature des attributions du ministère de l'instruction publique
ne lui permettait pas de s'immiscer dans la répartition du fonds destiné
à la conservation des monuments, qui dépendait de l'administration
de l'intérieur, et avait été porté à la somme de 200 000 fr. Une com-
mission fut nommée à ce ministère pour donner des avis sur l'em-
ploi de ce crédit. Elle fut ainsi composée : M. Vatout , directeur des
travaux publics , président ; MM. Le Prévost, Vitet, comte de Mon-
tesquiou, baron Taylor; et MM. Caristie et Duban , architectes;
M. Mérimée, inspecteur général et secrétaire.
Le premier acte de cette commission fut de proposer à la signa-
ture du ministre des circulaires qui devaient exciter le zèle des pré-
fets pour la recherche et la conservation des monuments historiques.
Les effets ne s'en firent pas longtemps attendre , et bientôt le grand
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. 57
nombre d'édifices qui avaient été jugés dignes de figurer sur la liste
des monuments historiques , engagea les chambres à doubler le crédit
qui avait été affecté à leur conservation : il fut porté à 400 000 fr.
Mais alors il fallait une administration spéciale à un service qui
prenait une aussi grande importance; d'ailleurs la direction des
bâtiments civils venait d'être adjointe au ministère des travaux pu-
blics , la conservation des monuments historiques devait rester à la
direction des beaux-arts. L'organisation fut complétée en consé-
quence. La commission fut augmentée de plusieurs membres :
M. Lenormant de l'Institut , connu par de nombreux travaux archéo-
logiques; M. Léon de La Borde, auteur de plusieurs ouvrages sur
l'architecture; MM. A. Passy, de Golbery, de Sade, A. Denis, dépu-
tés , la plupart ayant fait d'utiles recherches sur les monuments de
diverses parties de la France y furent adjoints. M. le ministre de l'in-
térieur se réserva la présidence de cette commission. M. Vatout con-
tinua à en faire partie comme président du conseil des bâtiments
civils, et M. Gavé comme directeur des Beaux-Arts ; MM. Vitet et
Mérimée furent nommés vice-présidents, et l'auteur de cet article
fut chargé des fonctions de secrétaire et en même temps de celles de
chef du bureau institué à la direction des beaux-arts pour l'expédi-
tion des affaires relatives à ce service. Des circulaires ministérielles
firent connaître aux préfets la marche régulière qui devait être suivie
désormais. Toutes les décisions du ministre sont motivées sur des
avis émis à la suite d'une délibération de la commission d'après le
rapport d'un de ses membres. Aussitôt que la correspondance signale
un monument encore inconnu à classer, ou une restauration à entre-
prendre, le secrétaire réunit les pièces réclamées par les circulaires,
lesquelles sont , dans le premier cas, une notice historique et descrip-
tive, un plan, une coupe et une élévation de l'édifice, et dans le second,
un devis détaillé des travaux projetés classés d'après leur degré d'ur-
gence en trois catégories, avec des plans et détails à l'appui. Ces pièces
sont envoyées à un membre de la commission, qui fait à une des
séances suivantes un rapport sur lequel s'engage la discussion suivie
d'un vote à la majorité des voix. Le résumé de cette discussion et le vote
sont consignés dans le procès-verbal rédigé par le secrétaire. Il en
extrait ensuite les dépêches et les actes qu'il soumet à la signature
du ministre par l'entremise du directeur des beaux-arts. Telle est la
marche adoptée pour toutes les affaires sans exception. L'influence
de la commission s'étend donc sur tout le service. Elle a compris qu'en
58 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
présence des besoins immenses qu'éprouvaient les monuments de la
France, après les épreuves que leur ont fait subir les guerres, les
révolutions, le temps et les réparations mal entendues; le crédit,
même depuis qu'il a été porté à 600 000 fr., était à peine suffisant
pour prévenir la ruine imminente des édifices les plus remarquables,
et qu'il fallait renoncer, quant à présent, aux restaurations com-
plètes. Pour quelques-uns d'ailleurs, une restauration serait plus fu-
neste que l'effet du temps. Pour les ruines romaines, par exemple,
dont la masse seulement et quelques détails sont restés debout, il
faudrait les revêtir presqu'en entier, et une pareille entreprise serait
un acte de vandalisme; pour ces ruines, on doit se borner à consoli-
der les fragments qui menacent de s'écrouler, les déblayer et acheter
le sol sur lequel ils s'étendent, afin d'empêcher les spéculateurs d'en
exploiter les matériaux. Il en est de même des monuments drui-
diques, des abbayes et des églises abandonnées, ainsi que des châ-
teaux forts en ruines, et qui ne servent plus à aucun usage. Le
crédit des monuments historiques fournit ordinairement seul toute la
dépense que nécessitent leur consolidation, leur déblayement, l'acqui-
sition des habitations modernes qui les entourent , et pour laquelle
on procède par expropriation pour cause d'utilité publique, quand
les propriétaires se refusent à les vendre. Il n'en est pas de même des
monuments qui servent encore à un usage public : comme les églises,
les forteresses qui ont été transformées en casernes et en prisons , les
châteaux appropriés à des besoins administratifs ; les hôtels de ville
devenus mairies; les palais de justice, les beffrois, etc., etc. Ces édi-
fices reçoivent des secours du gouvernement à divers titres , et le
ministre de l'intérieur ne leur alloue que des fonds supplémentaires
pour diriger les travaux dans le sens de l'art, et empêcher les admi-
nistrations particulières de les défigurer dans un but d'appropriation
à leur usage actuel. Les rapports du bureau des monuments histo-
riques sont surtout fréquents avec le ministère des cultes, et des
communications perpétuelles permettent de combiner les secours des
deux administrations de manière à assurer à l'avenir la conservation
de toutes les églises remarquables sous le rapport de l'art.
Il est à regretter seulement que les cathédrales restent en dehors
de cette organisation; le crédit spécial, affecté à l'entretien des édi-
fices diocésains, est compris dans les attributions du ministère de la
justice et des cultes , et si le ministre, qui est à la tête de cette admi-
nistration , peut seul juger de l'opportunité des secours et de leur im-
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. 69
portance, il serait peut-être à désirer que la direction des travaux
fût confiée à la Commission des monuments historiques.
Les conseils généraux et municipaux sont appelés à voter souvent
des fonds pour l'entretien des édifices du département et de la com-
mune, et avec les secours du ministre des cultes, les fonds accordés
par le ministre de l'Intérieur sont, dans la plupart des affaires, triplés
par des ressources étrangères au crédit.
Il reste à expliquer à quelles sources sont puisés les renseigne-
ments qui servent de base aux délibérations de la Commission.
D'abord, l'inspecteur général fait tous les ans un voyage de plusieurs
mois, dont les comptes rendus ont déjà fourni la matière de quatre
volumes publiés; ensuite, un correspondant du ministère est institué
dans chaque département à l'effet de fournir au préfet tous les rensei-
gnements archéologiques dont il a besoin ; il peut même correspondre
sur ces matières avec le ministre. Des sociétés ou commissions sa-
vantes remplissent, dans plusieurs départements, le même office au-
près du préfet, et en outre, les correspondants s'adressent directement
au ministre toutes les fois que les besoins du service l'exigent. Leurs
fonctions sont gratuites, ils reçoivent quelquefois des indemnités de
déplacement sur les fonds du département, mais ordinairement ce
sont des propriétaires aisés qui occupent honorablement à ces travaux
scientifiques les loisirs de la vie de province. Ils font par an deux
rapports généraux, l'un au printemps, à l'époque de l'ouverture de
la campagne, l'autre en automne lorsque les travaux sont exécutés.
Telle est l'organisation actuelle du service de la conservation des mo-
numents historiques en France; un établissement nouveau vient
d être créé pour remplir une lacune qui s'y faisait sentir. Des objets
anciens, qui ne servent plus aux usages du culte ou de la vie privée,
mais qui sont précieux sous le rapport de l'art , et des fragments de
monuments détruits étaient perdus ou disséminés faute d'ufi centre
de conservation appartenante l'État, depuis la déplorable dispersion
du Musée des Monuments français en 1815. Ils étaient souvent
achetés à vil prix par des étrangers qui les exportaient, ou des Fran-
çais qui les enfermaient dans des cabinets inaccessibles au public; l'un
de ces amateurs, celui qui le premier s'était occupé de réunir une
collection de ce genre, M. Dusommerard étant mort, son cabinet a
été acheté par l'État ainsi que l'hôtel de Cluny dans une partie du-
quel il l'avait réunie. Cet édifice, construit par Jacques d'Amboise à
la fin du XV^ siècle, communique par une cour intérieure avec les
ruines du palais des Thermes romains attribués par quelques auteurs
60 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
à Julien l'Apostat, et dont il reste plusieurs salles dans un bel état
de conservation. Ces deux monuments ont été réunis et serviront de
local à un Musée dans lequel seront rassemblés les objets d'art an-
tiques, du moyen âge et de la renaissance trouvés en France, et qui
seront rangés suivant un ordre chronologique. C'est ainsi que tous
les ans de nouvelles améliorations sont introduites dans cette admi-
nistration qui est sans doute destinée à recevoir encore de nombreuses
modifications ; mais cependant d'heureux résultats ont été déjà obte-
nus ou sont en voie de l'être incessamment.
Dans le mouvement général qui s'est manifesté en France pour la
conservation des monuments historiques , il est nécessaire, afin d'être
juste envers tout le monde, de distinguer ce qui a été le fruit du mou-
vement spontané des particuliers, et ce qui appartient à l'action gou-
vernementale. L'élan a été donné par les poëtes, les gens de lettres et
les savants. Taudis que la société des Antiquaires de Normandie, dans
le sein de laquelle se distinguaient surtout MM. de Gerville, Le Pré-
vost, Deville et de Caumont, recueillait la première les éléments
d'une histoire de l'art en France pendant les siècles du moyen âge ,
le baron Taylor organisait, dans le même but, une croisade d'ar-
tistes, et Charles Nodier écrivait pour lui quelques-unes de ses pages
les plus brillantes; M. Victor Hugo convertissait au moyen âge
l'imagination des jeunes gens, M. de Montalembert communiquait
l'impulsion au clergé , M. de Caumont excitait l'ardeur des congrès
scientifiques par toute la France. Bientôt le gouvernement est entraîné
lui-même dans cette voie, et les chambres s'associent à l'impulsion
qu'il donne à son tour. L'action du gouvernement a pour foyer : le
Comité des arts et des monuments et la Commission des monuments
historiques; ces deux institutions répondent à leur but. Si l'une est
plus connue et occupe plus les esprits, l'autre est plus directement
utile. Le Comité, par ses instructions , son bulletin, sa correspon-
dance étendue, a créé par toute la France un zèle extraordinaire
pour les intérêts archéologiques. Son président, M. le comte de Gas-
parin, son secrétaire, M. Didron, ont parfaitement compris leur
mission. Il est à regretter seulement qu'un fonds annuel déterminé
ne soit pas affecté à la publication des monuments. Sur la somme
votée par les chambres , le Comité des monuments n'a en quelque
sorte que les glanures qui lui sont abandonnées par le Comité des
chartes et diplômes.
La Commission des monuments historiques dispose au contraire
d'une somme annuelle de 600 000 fr., à elle appartient la répartition
COM3IISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. 61
équitable et éclairée d'un fonds considérable en apparence, mais bien
insuffisant, si l'on tient compte des besoins réels: l'accomplissement
d'une telle tâche a dû nécessairement imprimer à ses travaux un ca-
ractère de méthode et de prudence; chargée d'un service entièrement
nouveau, il lui fallu créer les règles qu'elle applique; c'est ce côté
pratique de la question que le public connaît peu, et sur lequel nous
avons voulu appeler son attention.
Dans un prochain article nous ferons connaître les travaux déjà
achevés , ceux qui sont en voie d'exécution et enfin ceux dont l'en-
treprise est prévue et doit incessamment avoir lieu.
E. Grille de Beuzelin.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
Most important discovery, tel est le titre que porte un article
inséré dans le dernier numéro de la Gazette littéraire de Londres du
10 février; et si la découverte qu'il annonce est bien réelle, comme
il n'est guère possible d'en douter, l'épithète de très-importante est
parfaitement méritée.
11 ne s'agit, en effet, de rien moins que d'un nouvel exemplaire
complet de la fameuse inscription de Rosette, qui aurait été trouvée
dans l'île de Méroé par M. le docteur Lepsius, chef de l'expédition
scientifique envoyée par S. M. le roi de Prusse pour explorer la
vallée du Nil.
On appréciera toute l'importance de cette découverte , si l'on se
souvient que le bloc de granit appelé pierre de Rosette, du nom de
la ville où il a été découvert par les Français en 1799, porte sur une
de ses faces trois inscriptions superposées, les deux premières en
égyptien, écrites l'une en caractères hiéroglyphiques ou sacrés; l'autre
en caractères démotiques ou populaires; et la troisième en grec; et
que chacune d'elles n'est qu'une expression différente du même dé-
cret, rendu à Memphis par les prêtres égyptiens, en l'honneur de
Ptolémée V, dit Épiphane.
La découverte de ce document du premier ordre produisit , au
commencement de ce siècle , une sensation extraordinaire ; car elle
ranimait tout à coup l'espoir, alors presque entièrement perdu , de
retrouver l'idiome et les systèmes graphiques de l'ancienne Egypte,
au moyen de la comparaison de trois textes, dont l'un était parfaite-
ment connu. Elle fut donc le signal de recherches poursuivies parles
premiers savants de l'Europe, les Sylvestre de Sacy, les Akerblad,
les Thomas Young et les Champollion , pour ne citer que les plus il-
lustres:
Champollion est celui qui a le plus avancé le déchiffrement des
deux traductions égyptiennes, puisqu'il est parvenu à une transcrip-
tion presque complète du texte intermédiaire, et, par le rapproche-
ment d'une foule d'indices, à une intelligence très-avancée du texte
sacré , comme l'attestent et sa Grammaire égyptienne et son Diction-
naire hiéroglyphique.
Mais les efforts de ce génie pénétrant , comme ceux de ses devan-
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES- 63
ciers, ont été, en partie du moins, arrêtés par cette fâcheuse cir-
constance, que le texte hiéroglyphique est réduit au tiers environ de
l'étendue qu'il avait primitivement, la partie supérieure ayant été
emportée avec un éclat de la pierre.
A en juger par les pas immenses que l'interprétation des hiéro-
glyphes a faits, malgré ce grand obstacle , on peut croire qu'elle se-
rait à présent bien avancée, si l'on avait pu , dès l'origine, s'appuyer
sur une comparaison complète des trois textes. Or, sur le nouvel
exemplaire trouvé par M. Lepsius, le texte hiéroglyphique est ex-
Iraordinairement bien conservé ( the hieroglyphic portion is unusiially
perfect) selon l'expression de la Gazette littéraire, et l'on peut croire
à l'exactitude du fait , puisqu'il est consigné dans une lettre adressée
par le docteur Lepsius à M. Bunsen , ministre de Prusse à Londres ,
qui est lui-même un savant très-distingué , occupé depuis longtemps
de grands travaux sur l'histoire et la chronologie égyptiennes.
C'est assurément là une des nouvelles les plus intéressantes que
pût recevoir le monde savant. Dans l'état oii se trouvent maintenant
les études égyptiennes , ce texte hiéroglyphique complet doit les
éclairer d'une vive lumière. Ici va donc se présenter une épreuve
décisive pour le système de Champollion, qui, dans ce qu'il a d'es-
sentiel et de fondamental, a obtenu, dès l'origine, et conservé de-
puis, l'assentiment des plus habiles philologues de l'Europe. Niebuhr
l'avait proclamé la plus belle découverte historique des temps modernes;
Silvestre de Sacy a plusieurs fois exprimé l'opinion qu'un second
monument, tel que l'inscription de Rosette, ne ferait qu'en con-
firmer les bases ; et cette confiance est encore partagée par tous
ceux qui ont pris la peine d'étudier avec soin les écrits de Cham-
pollion : ainsi ils n'auront probablement nulle inquiétude pour cette
gloire de notre siècle et de notre pays ; mais la vérification n'en sera
pas moins attendue avec grand intérêt par tous Içs amis de la science
historique.
Du reste, la découverte d'une nouvelle copie du décret de Mem-
phis n'a en elle-même rien qui puisse surprendre.
Dans un récent ouvrage, j'ai indiqué (1), pour stimuler et soutenir
le zèle des voyageurs, tous les motifs qui donnent lieu de croire que
des fouilles bien dirigées devront amener tôt ou tard la connaissance
soit d'un nouvel exemplaire de l'inscription de Rosette, soit de toute
autre inscription 6i7m^we analogue , àont l'étude comparée, ai-je dit,
(l) Recueil des Inscriptions grecques et latines de V Egypte, t. I", p. 332.
64 REVUE AUCHÉOLOGIQUE.
fournira le moyen de déchirer tout à fait le voile que notre illustre
Champollion a si heureusement soulevé.
Mais ce qu'il y a de vraiment extraordinaire dans la découverte
annoncée, c'est qu'elle ait été faite, non en Egypte , mais à Méroé.
Cette circonstance, sur laquelle l'auteur de l'article dans la Gazette
littéraire de Londres n'a fait aucune remarque, comme si elle n'avait
rien que de naturel , est cependant tellement inattendue, qu'il n'est
pas un homme instruit qui ne soit tenté de la croire historiquement
presque impossible. En effet , le décret des prêtres égyptiens , trans-
crit sur la pierre de Rosette , ne concerne que l'Egypte dans toutes
ses dispositions ; il y est dit qu'un exemplaire doit en être envoyé et
déposé dans les divers temples du pays. C'est donc en Egypte seule-
ment qu'on devrait en trouver des copies, depuis la mer jusqu'à
Philes , ou tout au plus dans la portion de la Basse-Nubie, qu'on ap-
pelait le dodecaschœnon (espace de douze schœnes) qui se terminait
à Hiera-SycaminoSy limite méridionale de la domination des Ptolémées
et des Romains.
Quant à Méroé, contrée reculée si loin vers le midi , elle fit partie
d'un État indépendant appelé le royaume d'Ethiopie, qui arrivait au
nord jusque vers la seconde cataracte. Il confinait donc au royaume
d'Egypte. De là des guerres continuelles, dans lesquelles les Éthio-
piens ont pu être souvent battus ; mais rien n'annonce que les Pto-
lémées aient jamais porté leurs armes jusqu'à Méroé, encore moins
que cette presqu'île aient jamais fait partie intégrante de l'Egypte.
Or c'est, à ce qu'il semble, ce qu'il faudrait conclure de la présence
à iferoe d'une copie du décret rendu par les prêtres de Memphis. Je
passe sous silence bien d'autres considérations qui toutes feraient
ressortir \ invraisemblance du fait.
De cette invraisemblance je ne conclus pas que le fait n'est pas
vrai ; je veux dire seulement qu'il paraît contraire à toutes les induc-
tions raisonnables qu'on peut tirer des faits connus. Si donc il se
confirme que la pierre a été trouvée à Méroé, ce sera une nouvelle
preuve des immenses lacunes qui restent encore dans l'histoire de
l'Egypte sous la domination grecque. C'est surtout à propos de cette'
branche si importante de l'histoire de l'antiquité , qu'après même les
plus grands efforts pour tâcher de savoir quelque chose , il ne doit
rien coûter à un esprit sincère de dire : Quantum est quod nescinmsî
Letronne.
DECOUVERTES ET NOUVELLES. 65
Paris , ce (> maiM.
Monsieur ,
La nouvelle que je vous ai transmise, le 20 février dernier, de la
découverte faite par M. le docteur Lepsius d'un second exemplaire
de Yinscription de Rosette est confirmée par la lettre même adressée
par ce voyageur à M. le baron A. de Humboldt.
Cette lettre (du 20 novembre) , datée de Korusko , dans la Basse-
Nubie , a été publiée en entier dans la Gazette générale de Prusse
( 9 janvier), et par extrait dans VAthenœum (2 mars). Entre autres
détails intéressants, on y lit que, dans la cour du grand temple
d'isis , à Philes , il a été découvert deux décrets des prêtres égyp-
tiens, en caractères hiéroglyphiques et démotiques, dont l'un présente
le même texte que celui de Yinscription de Rosette; du moins M. Lep-
sius s'est assuré que les sept dernières lignes sont les mêmes dans
les deux monuments, quant au contenu et aussi quant à la longueur
des lignes. Les quatre premières lignes de la partie hiéroglyphique,
jusqu'à l'énoncé du décret, manquent; mais le reste est complet, et
doit fournir les plus précieuses lumières. A côté est gravé un second
décret qui appartient également au règne de Ptolémée-Épiphane.
Mais on n'a trouvé le texte grec ni de l'un ni de l'autre.
Cette lettre ne laisse donc plus de doute sur la réalité de la dé-
couverte, qui, bien que moins complète qu'on pouvait le croire d'après
la Gazette littéraire de Londres, est encore la plus importante qui ait
été faite en Egypte depuis celle de la pierre de Rosette.
Quant au lieu oii cette copie a été trouvée, on se souvient que,
d'après la Gazette littéraire, ce lieu éiùii Méroé. J'avais montré com-
bien ce renseignement était invraisemblable; et, tout en m'y soumet-
tant d'avance, s'il venait à être démontré, j'avais dit qu'il me parais-
sait historiquement presque impossible. La lettre prouve que mes
doutes étaient bien fondés , puisque la pierre a été découverte dans
la cour du grand temple d'isis, à Philes, sur la limite même de
1^ l'Egypte et de l'Ethiopie.
^^ Ainsi disparaît cette circonstance extraordinaire qui, si elle se fût
^Êk confirmée, eût renversé, sur un des points les plus importants, l'his-
^H toire connue de l'Egypte sous les Ptolémées.
^P II reste à présent ce fait remarquable , que le décret des prêtres à
Memphis a été trouvé aux deux extrémités de l'Egypte , à Rosette et
à Philes ; ce qui achève de montrer avec quelle fidélité fut remplie
la prescription ordonnée dans ce décret, d'en envoyer un exemplaire
I. 5
66 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
à tous les temples du pays; et, comme il est bien vraisemblable
qu'une pareille prescription accompagnait tous les actes publics de
ce caractère, on peut être assuré, comme je l'ai dit ailleurs, que des
fouilles bien dirigées dans l'emplacement des anciens temples doivent
amener tôt ou tard d'autres découvertes du même genre.
Letronne ( de l'Institut ) .
— La première lettre de M. Letronne a été traduite textuellement
dans le Journal général de Prusse, du 26 février, le rédacteur l'an-
nonce en ces termes : « Le feuilleton du Journal des Débats, arrivé
(( aujourd'hui même , contient une lettre de Letronne , sur un des
c( résultats de l'expédition scientifique du docteur Lepsius. Cette lettre
« est ainsi conçue : »
Puis le texte de la lettre. A la suite , le rédacteur (M. Zinkeisen ,
auteur d'une Histoire de la Grèce moderne) ajoute cette note :
(( Nous croyons devoir communiquer cette lettre intéressante à nos
(( lecteurs. L'erreur qui s'y trouve, tirée de la Literary Gazette, sur
<cle lieu où l'importante découverte du docteur Lepsius a été faite,
c( n'a servi , comme on voit , qu'à montrer la sagacité et la science de
c( Letronne. Il a compris tout de suite combien il était invraisemblable
« que le lieu de la découverte fut Méroé; et, en effet, ce renseignement
(( reposait sur une pure inadvertance du rédacteur de la gazette ; car,
(( dans la lettre du docteur Lepsius , adressée à Alexandre de Hum-
(c boldt, il est dit expressément que l'inscription bilingue a été trouvée
« dans le grand temple d'Isis à PMles, La domination des Ptolémées
(c ne s'est jamais étendue que jusqu'à Hiéra-Sycaminos ; et , à cet
c( égard, la justesse de l'observation de Letronne ressort également
c( de ce que dit le docteur Lepsius, dans la lettre susdite, que Hiéra-
« Sycaminos est le lieu le plus méridional où l'on ait trouvé des
c( inscriptions grecques. Ainsi disparaît l'invraisemblance qui pouvait
(( planer sur cette découverte ; il ne reste plus que la grande impor-
(( tance dont elle doit être pour la science , et que Letronne a si cor-
« dialement proclamée. »
— On lit dans le Standard :
(( M. Fellows et les autres savants envoyés par le Musée britan-
nique pour faire partie de l'expédition de Xanthe ont donné de leurs
nouvelles en date du 20 janvier. Ils ont découvert le tombeau d'une
chimère , contrairement à l'opinion générale des antiquaires que de
semblables monuments ne pouvaient se trouver dans l'Asie Mineure.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 67
Ce tombeau, construit tout en marbre, est couvert de figures d'hom-
mes, de femmes et d'animaux. Un des groupes représente, dit-on,
Bellérophon apprivoisant l'animal fabuleux appelé chimère. »
— Une découverte archéologique assez importante vient d'être faite
presque sous les yeux de notre collaborateur M. Ernest Breton. En
fouillant un champ au lieu appelé la Casa bianca, à deux milles en-
viron au midi de Volterre ( Toscane) , cette ville si célèbre par ses an-
tiquités, on a trouvé à peu de profondeur dans la terre et sans
aucune apparence de construction divers objets de bronze tous
étrusques à l'exception d'un seul.
l^Six serpents de diflerentes grosseurs ayant tous la tête surmontée
de crêtes de coq plus ou moins proéminentes, et au milieu du ventre
un tenon qui dut servir à les fixer sur un support. Le plus long étant
développé aurait environ O^eo.
2« Un pigeon en bronze massif presque de grandeur naturelle,
d'un travail barbare , et offrant beaucoup d'aimlogie avec les colom-
baires de moyen ûge. Il porte siir l'aile droite l'inscriplion suivante en
caractères étrusques :
i-^ai/imAHH' iSTv^e.^j3
al^l^1...JV^^t...
TIVI/l-At/^il
3° Trois figures grossières démesurément longues. Les deux pre-
mières sont des femmes entières, drapées, et tenant en main despa-
tères. La troisième, qui est mâle, est beaucoup plus curieuse; la tête
est couronnée, et le corps est remplacé par une lame comme celle
d'une épée. Au-dessous de la tête naissent deux bras , dont le droit
entièrement détaché du corps tient une patère. Le bras gauche ,
mince outre mesure, n'est indiqué que par une saillie le long de la
lame jusqu'à la hauteur des parties sexuelles qui se voient également
appliquées contre la lame. A cette hauteur la main se relève et tient
un petit vase avec trois fruits ou trois boules.
4« Une petite figure de cheval au galop du style le plus barbare.
5° Enfin une statuette de travail romain. C'est un jeune homme
amplement drapé , et ayant au col la bulle. Sa hauteur est de 0™35 ;
son poids de 5^50, Sa conservation est satisfaisante, il manque seule-
ment le pied gauche.
Ces divers objets sont en la possession de M. Pilastri , propriétaire
68 KKVUK AKCHÉOLOGiQUE.
du champ , et on doit espérer qu'il en fera hommage au musée de
Volterre , et qu'ainsi ils seront conservés à la curiosité et à l'étude des
antiquaires.
— On vient de faire, à peu de distance de Paris, une découverte
tout à fait digne d'exciter l'intérêt des archéologues. Au sommet du
coteau de Marly , du côté qui regarde la vallée , dans un champ
nommé le Mississipi, et près d'un endroit appelé la Tour-aux-
Païens , on a mis à jour un de ces monuments celtiques connu sous
le nom d'Allée Couverte ou Grotte aux Fées. Ce monument, com-
posé de pierres d'épaisseur et de grandeur inégales , toutes égale-
ment brutes , affecte la forme d'une galerie dont la hauteur peut
être environ d'un mètre et demi. Les grosses pierres qui la compo-
sent sont appuyées des deux côtés sur un blocage de pierres sèches ,
de nature calcaire , parfaitement encastrées dans le terrain. Le mo-
nument est orienté de l'Ouest à l'Est, et son entrée se trouve sur le
penchant d'une colline du côté de la Seine. Les fouilles que la Com-
mission des Monuments Historiques fait pratiquer en cet endroit per-
mettront de se rendre un compte plus exact de son étendue et de sa
construction ; on doit même espérer qu elles conduiront à la décou-
verte de fragments précieux; jusqu'ici on n'y a trouvé qu'une grande
quantité d'ossements.
— On mande d'Aix-la-Chapelle, le 13 mars :
« Le célèbre sarcophage en marbre représentant le Rapt de Pro-
serpine, et qui, jusque vers la fin du XIl^ siècle, avait été placé en
guise de marchepied dans le caveau de Charlemagne , après quoi on
l'avait mis à part comme un monument distingué de l'art ancien
dans notre vénérable cathédrale, devait être transporté aujourd'hui,
de la chapelle oii il était , au jubé de la même église. Déjà ce sarco-
phage, dont le poids dépasse deux mille livres, touchait presque au
lieu de sa destination , quand un crochet de l'une des moufles vint à
se rompre et entraîna la chute épouvantable du fardeau. C'est un
grand bonheur qu'aucun ouvrier n'ait été atteint et que le sarcophage
ne se soit point brisé. Les parois latérales et de derrière ont seules
souffert, mais le côté de devant qui contient les figures ne s'est
fendu qu'à une place où, depuis plusieurs siècles, il y avait une fê-
lure, en sorte que le dommage n'est pas grand et sera bientôt ré-
paré. »
' — On écrit de Sétif (province de Constantine), que des ouvriers
du génie militaire, occupés à travailler aux fondations de l'hôpital
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 69
qu'on élève dans cette ville, ont découvert un buste en bronze, par-
faitement bien conservé , qu'on suppose être celui d'un empereur ro-
main. Cette découverte est d'autant plus précieuse pour l'archéologie
qu'elle est la première qu'on ait faite d'un tel métal en Afrique. Des
ordres ont été donnés pour continuer les fouilles ; on espère obtenir
des résultats aussi heureux que celui-ci.
— Il vient d'être trouvé , près de Hédé , en Bretagne , dans une
excavation carrée, une très-grande quantité de pièces romaines de
petit module du Bas-Empire, à l'effigie des empereurs Gallien,
Claude, Tétricus, Victorinus, etc. Le poids pouvait en être évalué
à deux livres et demie au plus.
— Dans l'une des séances du mois de mars dernier, M. Raoul
Rochette a communiqué à l'Académie des Ifiscriptions et Belles-
Lettres le passage d'une lettre de M. le baron de Prokesch, ministre
d'Autriche à Athènes, qui annonce que le professeur Ross et lui ont
découvert à Milo, non loin du lieu oii fut trouvée l'admirable Vénus
qui est maintenant au Louvre, des catacombes chrétiennes remon-
tant, selon toute apparence, aux premiers temps de l'établissement
du christianisme. M. Ross se propose de publier quelques inscriptions
des tombeaux que le temps n'a pas complètement effacées. Les ca-
tacombes de Milo sont les premières chrétiennes qu'on ait décou-
vertes en Grèce.
— M. Buchon a communiqué à l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres , dans l'une des séances du mois de mars dernier, une
note relative à des sculptures particulières qu'il a observées, pendant
son voyage en Grèce , dans l'église byzantine de Saint-Luc , lesquelles
ont, suivant lui, de l'analogie avec des monuments persépolitains.
— M. Deville, directeur du Musée des Antiquités de Rouen , vient
de découvrir, dans les archives du département de la Seine-Infé-
rieure , le nom de l'architecte auquel on doit le beau portique du
château de Gaillon qui décore la cour de l'École des Beaux- Arts.
Cet architecte se nommait Pierre Fain, et était de Rouen. Il entre-
prit la construction de ce portique, à forfait, pour la somme de
650 livres tournois, et l'acheva dans le mois de septembre de l'année
1509. La date de 1500, que l'on a inscrite sur le portique, devrait
donc être rectifiée. Il serait bien à désirer que l'on donnât suite au
projet de publication des comptes de la construction du château de
7Çi REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Gaillon , dont ce portique faisait partie , que M. Deville a retrouvés
en manuscrit dans les anciens papiers du cardinal d'Amboise; cette
publication serait du plus baut intérêt pour l'histoire de l'art et de
notre école française. Nous formons des vœux pour que M. le mi-
nistre de l'instruction publique accueille favorablement la demande
qui lui en a été faite, si nous sommes bien instruits, par le Comité
des Arts et Monuments.
— Le journal V Algérie annonce qu'on a trouvé, dans le Bordj de
Biskra, une pièce de canon du temps de Henri II; elle porte le
millésime de 1549 , et le chiffre et le croissant de Diane de Poitiers.
On doit , dit-on , amener cette pièce en France.
— On écrit de Vitry-le-Français :
A l'extrémité Nord-Est du village de Scrupt , canton de Thiéble-
ment, arrondissement de Vitry-le-Français, on a trouvé, il y a une
quinzaine de jours, une grande quantité de squelettes encore bien
conservés et dont l'existence remonte très-haut. Tous ces squelettes
ont les pieds dirigés vers l'Orient. De petits vases en terre, de diffé-
rentes formes et grandeurs, se trouvaient entre les fémurs. Dans un
de ces vases existait encore une substance noire et légère, ressem-
blant exactement par la couleur et la forme à des fragments de paille
carbonisée ou de vanille détériorée.
Dans un même endroit se trouvaient les uns sur les autres plus
de cinquante squelettes, avec quelques armures, des colliers, des
sabres courts, des poignards, quelques ceinturons en cuivre. Les
grains des colliers sont en verroterie et en terre cuite émaillée. La
disposition de ces squelettes fait supposer qu'à la suite d'un sanglant
combat les cadavres de nombreux guerriers avaient été jetés pêle-
mêle dans une fosse commune ; et , ce qui donne de l'assertion à
cette supposition , c'est que la plupart des squelettes avaient la face
en dessous , et n'étaient point rangés symétriquement comme dans
les autres parties de ce cimetière.
Parmi les objets les plus curieux trouvés à Scrupt, sont deux
pièces de monnaie en cuivre, à l'effigie de Constantin; l'une, d'un
module d'une pièce de i franc , porte pour exergue : Constantinus
prœfectus Augustus; l'autre, d'un module de 25 centimes, porto
Constantinus Maximus,
Ce cimetière doit être vaste, si l'on en juge par les découvertes
faites beaucoup plus loin. — On avait déjà trouvé dans ce même
village , l'an dernier, une pièce d'argent de Clovis : Clovis rex.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 71
— Le Comité d'Archéologie de l'arrondissement de Châlons s'est
réuni le 30 mars, dans une des salles de la préfecture , sous la pré-
sidence de M. le préfet. Dans cette séance, M. l'abbé Gallois, curé
de Bussy-Lettrée, présente un travail sur les églises de Soudron et
Bussy-Lettrée ; M. l'abbé Boitel, une notice sur l'église Saint- Alpin,
et M. Liénard, une notice sur les frères Jacques, sculpteurs, dont
les œuvres ornent encore aujourd'hui plusieurs églises de ce départe-
ment. M. Barbât offre un dessin colorié d'un reliquaire en émail qui
se trouve à la cathédrale de Châlons. On fait remarquer sa ressem-
blance avec un reliquaire de même forme qui se trouve dans l'église
de Villemaure (Aube), et dont la description existe dans le Voyage
archéologique et pittoresque de ce département , par M. Arnaud. Il
serait à désirer qu'un tel travail pût être entrepris pour le départe-
ment de la Marne. M. le préfet recommande de nouveau l'ouvrage
intitulé : Éléments dArcJiéologie^ par Batissier ; et il fait connaître que
plusieurs secours ont été accordés pour les monuments historiques,
et en particulier pour l'église Notre-Dame-de-Lépine. M. le pré-
fet appelle l'attention du Comité sur le mauvais état d'entretien dans
lequel se trouvent plusieurs de ces monuments , notamment la crypte
de l'église Saint-Martin-de- Vertus , celle de l'église de Jalons, les
églises de Loisy-en-Brie , Bussy-Lettrée et Champigneul. Des com-
missaires sont désignés pour visiter ces divers édifices , indiquer les
réparations les plus urgentes, ainsi que les dalles, inscriptions qui
mériteraient d'être estampées, et les fragments d'architecture qui,
par leur petit volume et la perfection de leurs détails , pourraient
être utilement reproduits en plâtre et placés dans les collections de
la Commission d'Archéologie ou des Comités d'arrondissement. M. le
préfet fait connaître que son intention est d'affecter à cette destina-
tion une partie des fonds mis à sa disposition par le Conseil général
dans sa dernière session. Il place sous les yeux de la commission
l'inscription du tombeau de Saint-Domitien , successeur de Saint-
Memmie, estampée à la mine de plomb et offerte par M. Moutié,
archéologue du département de l'Oise. MM. les commissaires devront
faire leur rapport sur les divers édifices qu'ils sont chargés de visiter,
dans une prochaine séance qui est fixée au 29 avril.
— S. M. le roi de Naples vient de nommer une commission char-
gée de publier tous les documents remarquables inédits qui se
trouvent dans les bibliothèques publiques et particulières du royaume
de Naples et de Sicile , concernant l'histoire de ces deux pays, depuis
72 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'invasion de l'Italie par les Lombards, jusqu'à l'avènement de
Charles de Bourbon au trône des Deux-Siciles (1735). La commission
à laquelle cet immense travail a été confié se compose de vingt-
deux membres, parmi lesquels se trouvent les philologues et les
historiens les plus distingués. On calcule que l'accomplissement de
sa tâche durera au moins de douze à quinze années ; car on estime
le nombre des documents qu'elle aura à compulser à plus de soixante
raille.
— Une nouvelle société vient de se former à Londres sous le nom
d'Association archéologique anglaise. Son but est de provoquer et d'en-
courager toute espèce de recherches sur les arts et monuments an-
ciens et du moyen âge, particulièrement en Angleterre. Cette société
compte déjà au nombre de ses premiers membres inscrits les hommes
les plus éminents de la science. Son programme offre une très-grande
analogie avec le Comité des Arts et Monuments en France. Le premier
numéro du journal de cette association , qui est annoncé dans notre
Bibliographie sous le ihre de Britisharcheologicalquarterlyjoarnal(i),
a devancé de très-peu de jours la mise en vente de notre Revue Ar-
chéologique. On nous apprend aussi qu'il paraît à Naples un recueil
d'archéologie (2). Cette coïncidence de publications à Paris, à Londres
et à Naples , indépendamment des journaux analogues qui existaient
déjà en France et à l'Étranger, nous paraît un fait assez important
pour qu'il doive être signalé à l'attention de nos lecteurs , et nous le
considérerons comme une nouvelle preuve du besoin qu'on éprouve
partout de propager une science qui est destinée à rendre les plus
grands services aux études historiques.
— L'Académie deBarcelonne vient de fonder un Musée des Antiques
dans les cloîtres du vieux couvent de San Juan. Elle a déjà réuni
beaucoup de débris romans et gothiques. — On ne saurait trop
applaudir à la création de ces musées qui sont appelés à sauver un
très-grand nombre de fragments de tout genre, fragments qu'on aban-
donnait autrefois et dont il faut aujourd'hui regretter vivement la
perte. Faisons des vœux pour que notre voix soit entendue et que
nous ayons bientôt la satisfaction de pouvoir annoncer la formation
de collections historiques dans toutes les localités où se trouvent
encore des débris de monuments.
(1) Voyez Revue Archéologique, T. I, page 7H.
(2) Ibid., page 41.
DECOUVEKTES ET NOUVELLES. 73
Nécrologie. — M. Jean GeotTroiSchweighfeuser, membre corres-
pondant de l'Académie des Inscriptions, professeur de littérature grec-
que à la faculté de Strasbourg, fils d'un savant illustre dans toute l'Eu-
rope, vient de s'éteindre à l'âge de soixante-hnit ans. Depuis quinze ans
il était cloué sur son fauteuil par une paralysie, ne vivant plus que de
la vie intellectuelle. Homme d'un cbarmant esprit et d'un vaste savoir,
il avait pris une part active aux excellentes éditions d'Hérodote, de
Polybe, d'Appien, d'Athénée, d'Arrien, d'Épictète, etc. Ce fut lui
qui collationna sur le manuscrit de la bibliothèque de Strasbourg
l'édition des Épîtres de Sénèque, signée par son père , et qui n'a point
été surpassée, non plus que les éditions des auteurs grecs. Depuis
une vingtaine d'années M. J. G. Schweighœuser s'était adonné plus
particulièrement aux recherches archéologiques. On lui doit ce qui a
été écrit de meilleur sur le mont Saint-Odile , sur la cathédrale de
Strasbourg, le Champ du Feu, etc., etc. Il avait vécu longtemps à
Paris dans la société intime de Millin , de madame de Staël , de
Benjamin Constant, de Courier.
BIBLIOGRAPHIE.
PlJBIilCAXIOJVS ARCHÉOIiOQIf^UES.
PREMIER BULLETIN.
FRANCE.
Champollion jeune, Dictionnaire hiéroglyphique, 1 vol. petit
in-fol.; sera publié en quatre livraisons; trois sont en vente, à Paris,
chez Firmin Didot frères.
Champollion jeune, Monunjents de l'Egypte et de la Nubie,
d'après les dessins exécutés sur les lieux et les descriptions autogra-
phes qu'il a laissées ; chez Firmin Didot frères ; 44 livraisons, format
grand in-fol., sont en vente.
LENORMANT(Ch.) et DE WiTTE , Élite dcs monuments céramo-
graphiques, matériaux pour servir à l'histoire des religions et des
mœurs de l'antiquité; Paris, Leleux; il paraît en ce moment 53 li-
vraisons, format in-fol., avec planches noires ou coloriées.
Gailhabaud (Jules), etc., etc.. Monuments anciens et modernes,
formant une Histoire de l'Architecture à toutes les époques, livrai-
son 49^; Paris, Firmin Didot frères, in-4, pi.
Isabelle (C. E.), les Édifices circulaires et les Dômes, classés
par ordre chronologique et considérés sous le rapport de leur disposi-
tion, de leur construction et de leur décoration ; par livraisons in-fol.
avec planches, dont quelques-unes coloriées; il en paraît déjà cinq
livraisons, chez Firmin Didot frères.
Batissier (Louis), Éléments d'Archéologie nationale, précédés
d'une Histoire de l'Art monumental chez les anciens ; Paris, 1843,
Leleux, 1 vol. gr. in-18, avec nombreuses vignettes sur bois inter-
calées dans le texte.
Herbe, Histoire des Beaux- Arts, en France, par les monuments
spécialement de sculpture et de peinture, depuis la domination ro-
maine jusqu'à l'époque de la renaissance ; Paris, in-4, avec planches;
les huit premières livraisons sont en vente.
Ddsommerard, les Arts au Moyen Age ; Paris, 5 vol. grand in-8,
avec atlas et album in-fol.
Gdenebadlï (L.), Dictionnaire iconographique des monuments de
l'antiquité chrétienne et du Moyen Age, depuis le Bas-Empire jusqu'à
la fin du XVP siècle , indiquant l'état de l'art et de la civilisation à
BIBLIOGRAPHIE. 75
ces diveres époques ; Paris , Leleux , in-8 ; les quatre premières li-
vraisons sont en vente.
Lenoir (Alb.) et Lenormant (Ch.), Instructions du Comité des
Arts et Monuments : 1 ^^ cahier, Monuments gaulois, grecs et romains;
ceux de style latin et byzantin; in-4, avec un très-grand nombre de
vignettes gravées sur bois intercalées dans le texte.
Lenoir (Alb.), Instructions du Comité des Arts et Monuments,
2^ cahier, Monuments de style roman et ogival; in-4, avec vignettes
intercalées dans le texte.
Mérimée et Lenoir (Albert), Instructions du Comité des Arts et
Monuments, a*' cahier, Architecture militaire du Moyen Age; in-4,
avec de nombreuses vignettes dans le texte.
DiDRON, Instructions du Comité des Arts et Monuments : Icono-
graphie chrétienne; 1 vol. in-4, avec 150 vignettes gravées sur bois,
d'après les dessins de MM. Paul Durand et E. Boeswillwald.
Bottée de Toulmon, Instructions du Comité des Arts et Monu-
ments : Musique; in-4 avec planches.
Lenoir (Albert), Statistique monumentale de Paris, publiée par
le ministère de l'instruction publique; Paris, in-fol.; il paraît 13 li-
vraisons de planches.
Lassus et DiDRON, Monographie de la cathédrale de Chartres,
publiée par le ministère de l'instruction publique ; par livraisons
in-fol.
Cahier et Martin, Vitraux de la cathédrale de Bourges, collec-
tion format gr. in-fol., avec planches coloriées. Les premières livrai-
sons de ce savant et magnifique ouvrage sont en vente.
Horeau (Hector), Panorama de l'Egypte et de la Nubie; Paris,
chez l'auteur; en vente les 6 premières livraisons, format in-fol.,
avec planches coloriées et vignettes sur bois intercalées dans le texte;
l'ouvrage entier comprendra 12 livraisons.
Texier (Charles), Description de l'Asie Mineure, faite par ordre
du ministre de l'instruction publique, de 1833 à 1837; Paris, Fir-
min Didot frères, in-fol. avec planches ; il paraît 31 livraisons.
Texier (Charles), l'Arménie, la Perse et la Mésopotamie, Géo-
graphie et Géologie de ces contrées, monuments anciens et moder-
nes, histoire, mœurs et coutumes, pour faire suite à la Description
de VAsie Mineure; Paris, Firmin Didot frères, in-fol. avec planches.
Les huit premières livraisons sont en vente.
Coste et Flandin , Voyage en Perse , avec texte rédigé par
MM. E. Burnouf, H. Lebas et Ach. Leclère. Recueil d'architecture
76 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ancienne, bas-reliefs, inscriptions cunéiformes et pehlvis, plans lo-
pographiques et vues pittoresques; par livraisons in-fol. avec plan-
ches. Les deux premières sont en vente.
De la Borde (Léon), Voyage en Orient: Asie Mineure, Syrie,
Palestine, etc.; par livraisons grand in-fol., avec planches lithogra-
phiées.
Taylor (baron). Voyages pittoresques et romantiques dans l'an-
cienne France : Picardie, Bretagne, Champagne, etc.; par livraisons
in-fol., avec planches lithographiées et gravées.
Michel (Adolphe), etc., l'Ancienne Auvergne et le Vélay, his-
toire, archéologie, mœurs, topographie; Moulins, Desroziers, par
livraisons in-fol., avec texte; les premières sont en vente.
LuYNEs(duc de) et Huillard-Bréholles , Recherches sur les
monuments et l'histoire des Normands et de la maison de Souabe
dans l'Italie méridionale; Paris, 1844, 1 vol. grand in-fol. avec
35 planches.
Mémoires de l'Institut royal de France : Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres; in-4 avec planches.
Journal des Savants, rédigé par les notabilités scientifiques de la
France; paraît par cahiers, format in-4.
LuYNEs (duc de), etc.. Annales de l'Institut archéologique de
Rome; publiées par cahiers in-8, avec planches.
L'Institut (partie historique), journal publié par cahiers men-
suels.
De Caumont, etc., Bulletin monumental, ou Collection de Mé-
moires et de renseignements pour servir à la confection d'une statisti-
que des monuments de la France, classés chronologiquement; Paris,
Derache. Il paraît par cahiers mensuels, format in-8, avec planches;
neuf volumes sont en vente.
DiDR0i> , Bulletin archéologique , publié par le Comité des Arts
et Monuments; paraissant par cahiers in-8. Deux volumes sont
publiés.
Cartier et de la Saussaye, Revue numismatique, paraissant
par cahiers mensuels, format in-8, avec planches. Paris, Rollin.
PiOT, etc., etc., le Cabinet de l'amateur et de l'antiquaire; Paris,
in-8, planches; publication mensuelle.
Daly (César), etc., etc., Revue générale de l'architecture et des
travaux publics; Paris, in-4, planches. Les trois premiers volumes
sont en vente.
Bibliothèque de l'École des chartes , paraissant par cahiers men-
BIBLiOGRAPHIK. 77
vsuels, dans le format iii-8, chez Dumoulin , éditeur, quai des Grands-
Augustins.
ALLEMAGNE (1)
Abeken (W.), Mittel Italien vor den Zeiten rômischer Herrschafl;
nach seinen Denkmàlen dargestellt; Stuttgard, in- 8, avec 11 planches.
Aloé (Stanislas), Les peintures deGiotto, de l'église de l'Incoro-
nnta àNaples, publiées et expliquées pour la première fois; Berlin,
in-4 , avec 8 planches.
Biiaun(E), Antike Marmorwerke, zum erslenmal bekannt gemachl ;
Leipsig, 1 "" et S'' décade , 24 planches iii-foL
Becker ( W. a.) , Handbach der roemischen AUerlhdmer nach den
Qiiellen bearbeilet, tome I"; Leipsig, in-8, avec 5 planches.
BuNSEiv (C), Die Basiliken des christlichen Roms nach ihrem Ziisam-
menhange mitideeund Geschichte der Kirchenbaakunst dargestellt; Mu-
nich, in-4, avec une planche. — L'atlas par Guttensohn et Knapp,
sept livraisons in-fol.
Emmich (W.), Versuch eines Ubersicht sammtlicher bekannten
Baiiwerke der Vorzeit und derenDenkmàler, als Beitrag ziir Geschichte
und Archàologie derBaukunst; Francfort-sur-l'Oder, in-8 , avec fron-
tispice.
Gerhard (E), Coupes grecques et étrusques du Musée royal de
Berlin; Berlin, in-fol., avec 35 planches.
, Vases étrusques et campaniens du Musée royal de Berlin ;
Berlin, in-fol., avec 18 planches.
, Archàologische Zeilangy herausgegeben von E. Gehrard,
Berlin , 4 cahiers in-4 , avec figures chaque année ; la 1 '" année
en 1843.
Hefner (de). Costume du moyen âge chrétien, d'après les mo-
numents contemporains : la première division ; du temps le plus
ancien jusqu'à la lin du XIII" siècle. — La deuxième division : XIV"
et XV" siècles. — La troisième division : XVP siècle; Mannheim,
in-4, par livraisons, avec planches noires ou coloriées. — 21 livrai-
sons, prises dans les trois divisions, sont en vente.
Heideloff (C), Les ornements du Moyen Age. Collection d'or-
(1) On trouvera tous les ouvrages allemands et anglais que nous annonçons dans
ce premier bulletin , à la Librairie étrangère de Friederich Klincksieck , rue de
Lille, 11.
k
78 REVUE \KCHÉOLOGIQUE.
nements choisis et de profils de l'architecture byzantine et allemande ;
Nuremberg, in-4, planches; les 9 premières livraisons sont en
vente.
LAssEN(Ch.), Indische AUerthumskande ; Bonn, tome P', 1" par-
tie, in-8.
MiLDE (C. J.), Denkmdler bildender Kunst in Liiheck, begleitet
mit Erlàiiterndem îiistorischen, Text vonE. Deecke, Lûbeck, T" cahier,
in-4, avec 7 planches. L'ouvrage entier formera 6 livraisons.
MiJLLEU (C. 0.), Archàologische Mittheilungen ans Griechenland ,
nach den hinterlassenen papieren herausgeg. von A. Scholl; Franc-
fort-sur-Mein, 1'^ livraison, in-4, avec 6 planches in-fol. oblongues.
Panofka (T.), Bilder antiketi Lebens; Berlin, 4 cahiers in-4, avec
20 planches imprimées.
Platner (E.), Bcnsen (C), Gerhard (E.), Bostell (W.),
und Urlichs (L.), Beschreihung der stadt Rom; Stuttgard, 6 volumes,
formant 3 tomes in-8, et 2 atlas contenant 25 planches in-fol.
PopPE (C), Sammlung von Ornamenten und Fragmenten antiker
Architeclar, Sculptur, Mosaik und Toreutik , aufeiner Reise durai Grie-
chenland, Italien und Sicilien» aufgenommen ; Berlin, 1*^' et 2 "^ ca-
hiers, in-fol.
Schafarik (P. J.), Slawische Alterthûmer. Deutsch von Mosig von
Achrenfeld herausgeg, von H, Wuttke; Leipsig, 2 vol. in-8.
AIVGLETERRE.
Archœologia, or Miscellaneous treatiesrelating to antiquity,published
by the Society of Antiquaries ofLondon; in-4, avec planches.
Barrington (A.), Pocket manual offoreign architecture, chrono-
logically arranged , presenting at one view a séries of examples of the
fwe orders of architecture , etc.; London, 1 feuille in-fol.
British archeological quarterly journal, n° \,aprH; London, 1844,
in-8.
RiCHARDSON (E.), The monumental effigies of the Temple Church;
with an account oftheir restoration in the y car 1842 ; London, 1842,
in-4, avec 11 planches iithographiées et coloriées.
Rose (H.) , Three lectures on architecture in England, from the car-
liest to the présent time ; London, 1 vol. in-8, avec 12 planches.
Weales quarterly papers on architecture ; London, in-4, planches,
le 3^ cahier vient de paraître.
BIBLIOGRAPHIE. 79
ITALIK.
Campana (Gio. Pietro), Antiche opère in plastica, etc.; Roma,
in-fol., planches; les 6 premières livraisons sont en vente.
Secchi (P. Gianpietro), Monamenti inediti d'un antico sepolcro di
famigUa greca scoperto in Roma sulla Via Latina; Roma, in-fol., avec
planches noires et coloriées (l).
(1) Ces deux derniers ouvrages se trouvent, à Paris, chez Leleux, libraire-édi
leur, rue Pierre-Sarrazin , 9.
GRAVURES
PUBLIÉES DANS LA PREMIÈRE LIVRAISON
DE LA
REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
TEMPS ANCIENS.
ART GREC.
SCULPTURE ET ICONOGRAPHIE : — Bas-relief trouvé dans un
tumulus près de Marathon; voir ce qu'en dit M. Lebas, p. 49 et 50.
— Ce monument , si digne d'intérêt sous plusieurs rapports, doit
être étudié plus tard d'une manière spéciale lorsque nous offri-
rons à nos lecteurs des Mémoires sur YHistoire de la Sculpture et
Y Iconographie militaire des Grecs.
MOYEN AGE.
ART CHRÉTIEN.
ARCHITECTURE : — Siège épiscopal {thronus, cathedra) dans l'église
de Saint-Césaire à Rome. — Ce meuble religieux ouvre la publi-
cation d'une série de Planches destinées à illustrer un article sur
Y Ameublement des Églises pendant le Moyen Age.
VIGNETTES SUR BOIS
INTERCALÉES DANS LA NOTICE
SIR LE MISÉE m PALAIS DES THERMES ET DE L'HOTEL DE (ILINV :
Architecture : — Plan géométral des deux monuments.
— Elévation d'une section de la façade Ouest, si-
tuée dans la cour d'honneur de l'Hôtel.
— Cheminées en pierres et en briques.
Sculpture : -— Détail de l'encorbellement de la chapelle.
Peinture : — Ensemble et détail des peinturesre trouvées dans
la Chambre de la Reine Blanche.
FRAGMENT
SUR l'Étude
DES VASES PEINTS ANTIQUES,
PAR M. LENORMANT , membre de l'académie des inscriptions et belles-lettres.
(Lu dans la séance publique des cinq académies de l'Institut de France,
le 2 mai 1844.)
L
Il y a quinze ans , on découvrit dans la nécropole d'une ville de l'Étru-
rie une prodigieuse quantité de vases antiques ornés de peintures ; plus
de six mille, les plus beaux, les plus intéressants, si on les considère
en masse, qui eussent jusqu'alors paru à la surface du sol classique
de l'Italie. Une telle découverte devait naturellement donner une im-
pulsion nouvelle à l'étude de cette classe de monuments. Tandis que
les explorateurs redoublaient d'activité et que le royaume de Naples,
jusque-là le plus riche en vases peints , cherchait à reconquérir la
prééminence qui venait de passer à l'État romain (1 ) , les savants de toute
l'Europe discutaient, non sans quelque chaleur, les problèmes qu'a-
vait soulevés cette apparition inattendue. Depuis quelques années ,
pourtant, le calme s'est rétabli dans les découvertes et dans la dis-
cussion. On regarde comme presque épuisées les localités jusqu'ici
les plus fécondes ; c'est le moment peut-être de résumer le débat et
de marquer la mesure des progrès que l'archéologie a faits dans cette
voie.
La tâche est difficile ; car il faut tirer des monuments eux-mêmes
à peu près tout ce qu'on en peut dire. Les anciens n'en ont, en
quelque sorte, point parlé : leur attention s'est exclusivement portée
sur ces composés d'or et d'ivoire dont nous n'avons plus aucune
idée, sur ces merveilles du pinceau dont pas une n'a survécu, sur ces
chefs-d'œuvre de la toreutique qui ont tous également disparu. Les
humbles poteries dont nous faisons aujourd'hui si grand cas , n'exci-
taient l'intérêt des contemporains, ni par la matière, ni probablement
par le travail ; ce n'était qu'un reflet des grandes conceptions , des
(1) Le territoire de Tancienne Vulci (Ponte délia Badia, près de Canino) est
situé dans la partie de l'ancienne Étrurie qui appartient à l'État pontifical.
I. 6
82 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
productions directes du génie, et ce reflet se retrouvait alors partout.
Pour nous, qui recueillons pieusement ces débris, nous répugnons à
nous croire égarés par une admiration qui nous semble si légitime ;
il nous arrive encore ce qui arrivait à Winckelmann, quand, à l'aide
des statues qui sont à Rome, il restituait le code de l'art grec à
l'époque de sa plus grande perfection ; les débris du Parthénon ont
suffi pour détruire l'illusion que Winckelmann avait créée. Quelle que
soit pourtant la défiance avec laquelle nous devons étudier les pro-
duits de la céramique grecque, les vases peints n'en ont pas moins pour
nous une importance capitale. Si nous devons renoncer à les consi-
dérer comme l'œuvre des premiers artistes de l'antiquité, nous ne
pouvons douter qu'ils n'appartiennent à la plus belle époque de l'art,
et ce n'est point se passionner mal à propos que d'admirer des ou-
vrages contemporains de Phidias et de Polygnote, des productions
enfin sur lesquelles a passé un souffle de ces artistes souverains.
Et , en efi'et , quoiqu'il ne s'agisse ici que de vases découverts en
Étrurie , c'est de l'art grec , de l'influence grecque qu'il sera seule-
ment question. Sur ce point, il est vrai, les savants n'ont pas toujours
été du même avis. Les premiers vases ayant été trouvés en Étrurie,
on considéra d'abord le sol toscan comme la patrie originaire de cette
branche de l'art. La vanité nationale s'exalta ; des hommes d'un vrai
mérite donnèrent créance à un système étrange, suivant lequel les
Tyrrhéniens auraient joui d'une civilisation florissante et cultivé les
arts du dessin , longtemps avec les Grecs , avant Homère. C'est alors
que commença à prévaloir la dénomination de vases étrusques , aussi
peu exacte dans son genre que celle d'architecture gothique , et qui ,
comme cette dernière , menace de rester dans notre langue.
Malgré l'infatuation des uns et la docilité des autres, une opinion
aussi erronée ne pouvait longtemps conserver son crédit. On re-
marqua que la Toscane n'était pas seule à fournir des vases peints ;
on réclama en faveur de la Sicile et de la Grande Grèce. Bientôt les
vases de Gorinthe, ceux d'Athènes, commencèrent à être connus ; on
ne trouvait d'ailleurs sur ces vases que des inscriptions grecques,
que des sujets grecs, que des imitations des ouvrages de la Grèce ; il
fallut rentrer dans une voie plus simple , adopter une opinion plus
conforme à ce qu'on savait de la marche des arts dans l'antiquité. Le
nom de vases étrusques resta la dénomination vulgaire j mais les
savants ne reconnurent plus que des vases grecs.
On en était à cette conclusion qui paraissait définitive , lorsque
les matériaux presque innombrables , fournis par les fouilles de Ca-
FRAGMENT SUR L'ÉTUDE DES VASES PEINTS ANTIQUES. 83
nino, vinrent de nouveau compliquer la question. Il fallut recon-
naître qu'on avait compté l'Étrurie pour trop peu de chose ; ce que
n'avait donné aucune des cités dominantes de- la Grèce, ni Athènes,
ni Corinthe, ni Agrigente, ni Syracuse, ni Naples, ni Tarente, on
venait de le découvrir dans une province exclusivement étrusque,
au sein des tombeaux d'une ville à peine mentionnée par les géogra-
phes, et dont tout souvenir historique aurait disparu, sans la men-
tion du triomphe des Romains sur les habitants de Vulci , qui s'est
trouvée dans les débris des fastes du Capitole : De Vulsîmensibas et
Vulcientibus, Si une ville étrusque du second ordre, comme Vulci ,
avait possédé tant et de si beaux vases , on était forcé d'en revenir,
en partie du moins , à l'opinion de ceux qui , dans l'inventaire des
richesses céramiques, faisaient la part de la Toscane plus grande que
celle de la Grèce elle-même.
Avant tout, ce qu'il fallait expliquer, c'était cette affluence de
vases peints d'un mérite supérieur, dans les tombeaux d'une ville
aussi obscure que Vulci. Le silence universel des écrivains de l'an-
tiquité ouvrait une libre carrière aux hypothèses les plus hardies.
Dans le premier moment, la difficulté du problème avait rétabli
l'égalité entre les savants ; les explications proposées avaient toutes,
quels qu'en fussent les auteurs , le même caractère d'audace et pres-
que de caprice. Les uns bâtissaient une Grèce idéale dans l'Étrurie ;
à les entendre, la population de ces contrées, ayant avec les Grecs
une origine commune, avait marché du même pas qu'eux dans la
carrière des arts. D'autres imaginaient l'existence de corporations
exclusivement composées d'artistes grecs, et vivant au milieu des
Étrusques , avec des lois et une constitution particulières. Ceux qui
repoussaient ces conjectures voulaient, au contraire, que tous les
vases de Vulci fabriqués dans les villes de la Grèce , eussent été in-
troduits en Toscane par les voies du commerce et de la navigation.
De ces explications, la dernière était la plus sérieuse : elle a eu
pour elle le suffrage de quelques-uns des plus habiles interprètes de
l'antiquité, et pourtant elle donne lieu à de graves objections. Dans
l'antique Italie , le morcellement politique était poussé à un degré dont
on a peine à se faire une juste idée, quand on n'a pas fait de ces ques-
tions une étude spéciale. Au lieu du droit des gens, tel qu'il règne dans
la société moderne , c'était, entre les différents peuples, une hostilité
acharnée, perpétuelle; les relations commerciales rencontraient mille
obstacles. Aussi chaque ville se suffisait-elle à elle-même et trouvait
dans les produits de son sol et dans son industrie particulière , les
84 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
. moyens de satisfaire aux besoins de la vie matérielle comme à ceux de
l'imagination. Si des obstacles d'une nature toute spéciale n'avaient pas
entravé le transport des objets, même les moins encombrants ; si les mé-
taux précieux avaient circulé avec la liberté qui appartient à toute so-
ciété régulière, d'oii seraient venus les contrastes inouïs qu'on découvre
entre les différents systèmes monétaires d'une seule et même contrée?
Comment pourrions-nous expliquer l'existence simultanée en Italie,
que dis-je? au sein d'une même province de l'Italie, par exemple, en
Apulie, en Étrurie , dans le Latium, de systèmes ayant pour base
les uns l'argent, les autres le bronze? Et l'on voudrait qu'entre des
peuples dont les échanges étaient si limités , des objets d'une nature
aussi fragile, et d'un transport aussi difficile que les vases, eussent
donné lieu à un commerce florissant et étendu. L'un des rhéteurs les
plus spirituels de l'antiquité, Dion Chrysostome, compare l'éclat
éphémère et la grâce frivole d'un de ses discours à ces jolis vases que
les voyageurs achetaient dans les îles de la Grèce. « Il arrive à mes
discours, dit-il, à peu près ce qui arrive aux vases de Ténédos : bien
que chaque navigateur en emporte à son passage , aucun ne les trouve
sains et entiers en arrivant. On croyait avoir un vase, on n'a plus
que des tessons. » Évidemment , l'esprit de spéculation ne pouvait
consentir à joindre ce risque particulier à tous les autres.
Chose étrange pourtant ! c'est l'étude de la numismatique italienne
qui nous a fourni la preuve de l'isolement réciproque dans lequel
vivaient les peuples de cette contrée; et c'est en contemplant les
mêmes monnaies que nous voyons à quel point le sentiment et la
pratique des arts de la Grèce s'étaient répandus dans les pays qu'on
est tenté de considérer comme placés en dehors de cette influence.
Ici c'est une force qui renverse toutes les barrières et se joue de tous
les obstacles. Nous retrouvons l'empreinte de l'hellénisme sur l'as le
plus pesant du Latium , comme sur la drachme la plus délicate de
Naples ou de Tarente.
Je viens de parler de l'hellénisme , et je sens qu'il est nécessaire
d'expliquer ce que j'entends par cette expression. L'hellénisme, c'est
le caractère propre à la civilisation grecque : l'essence de l'hellé-
nisme , c'est la liberté, le mouvement. L'Egypte a pour elle l'ordre et
la durée , la grandeur des proportions nous frappe dans les monar-
chies asiatiques , les Romains sont supérieurs dans la guerre , les
Phéniciens dans le commerce : mais s'il s'agit de ces conditions par-
ticulières dans lesquelles l'activité de l'intelligence et du goût est
perpétuellement excitée, la prééminence appartient sans contesta-
FRAGMENT SUR L*ETUDE DES VASES PEINTS ANTIQUES. 85
tion à la société grecque. L'hellénisme qui se révèle avec évidence
dans les œuvres littéraires , dans les mœurs , dans les événements de
l'histoire, a son expression la plus frappante dans les productions
des arts du dessin. Depuis qu'on a appris à connaître les monuments
de l'Egypte et de l'Asie, l'art grec n'en paraît que plus manifestement
l'art complet et fécond, l'art véritable, le seul qui ait eu pour prin-
cipe constant ce qui ailleurs n'a été qu'une rare et fugitive exception,
la liberté, le mouvement, par conséquent la vérité, la vie.
Cette prérogative sublime ne s'est pourtant manifestée qu'assez
tard dans la Grèce. Depuis longtemps la poésie avait atteint son apo-
gée, et l'art n'en était encore qu'à des essais, fort inférieurs aux
beaux ouvrages que l'Egypte et l'Asie produisaient depuis tant de
siècles : le mouvement toutefois s'y manifestait déjà à l'état de
symptôme, et pour ainsi dire de besoin. Tout à coup, le feu qui
couvait sous la cendre de l'archaïsme éclate par une prodigieuse
éruption. La lutte de la nation contre les Perses avait communiqué
au génie grec un ébranlement suprême : Athènes , foyer de la ré-
sistance et centre de la gloire , recueillit la première le fruit de ces
triomphes : Phidias et Polygnote , dans cette nouvelle carrière , mar-
chèrent d'un pas aussi rapide que le firent Michel Ange et Raphaël
lors de la renaissance des arts.
Athènes venait de donner l'impulsion : la Grèce entière y répondit
avec une spontanéité merveilleuse. Un cachet de nouveauté, une
marque de révolution s'imprima , dès lors , sur toutes les productions
de l'art, même sur celles qui, soit involontairement, soit à dessein,
conservaient l'apparence de l'ancien style ; l'étude des médailles four-
nit, sur ce point, les renseignements les plus précieux. Quelle que
soit la ville grecque dont on étudie la série numismatique, on voit
d'abord, à l'approche de la grande transformation, c'est-à-dire dans
l'intervalle de quarante années , qui s'étend depuis la bataille de
Salamine jusqu'à l'administration de Périclès , le suc de l'hellénisme
parfait monter graduellement comme le mercure dans son tube, puis
tout à coup l'enveloppe se rompre , et la création du génie s'élancer
dans tout l'éclat de la perfection. C'est un fait qui n'a point eu de pré-
cédents , et dont l'exemple a déterminé dans l'Italie moderne la seule
révolution du môme genre qui depuis se soit produite.
Les artistes étaient les missionnaires, partout bien accueillis , de
cette religion de la beauté. Leur action ne se bornait pas aux villes
purement grecques : tous les peuples qui se trouvaient en contact
avec l'hellénisme subissaient son irrésistible influence ; nous le savons
86 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
par les monuments eux-mêmes, des envahisseurs carthaginois,
comme des satrapes de l'Asie Mineure , des Scythes campés sur les
bords du Tanaïs comme des Lucumons de l'Étrurie, poëtes, philo-
sophes, généraux, tous les Grecs, il faut le dire, acceptaient sans
répugnance un établissement chez les barbares, quand les barbares
se montraient généreux pour les représentants du génie grec : pour-
quoi les artistes auraient-ils témoigné plus de scrupules qu'un Xéno-
phon , un Agésilas, un Euripide? Pourquoi n auraient-ils pas profité
de la trêve perpétuelle qui, en dépit des séparations, des inimitiés et
des guerres, s'était établie en leur faveur?
L'Etrurie n'est pas le seul pays qui ait fourni des renseignements
précieux sur cet ordre de faits jusqu'ici mal observés. Au même mo-
ment, et pour ainsi dire aux deux extrémités de la même mer, on dé-
couvrait la preuve de la présence des artistes grecs chez des peuples
que la langue et les mœurs semblaient avoir dû rendre étrangers à une
telle influence. Les tumulus scythiques de la Grimée ont révélé des
faits delà même nature, et tenu en quelque sorte le même langage que
la nécropole étrusque de Vulçi. Au lieu de l'empreinte nationale, c'est
la Grèce, c'est Athènes surtout dont l'influence prédomine dans ces sé-
pultures. Nous nous servons du motd'influence , parce que nous parlons
d'une chose devenue vénérable à force d'antiquité ; mais s'il s'agissait des
temps modernes, nous ne dirions plus l'influence, nous dirions la mode.
Le règne exclusif de la mode athénienne dans la ville étrusque de
Vulci , c'est là un résultat si peu attendu, qu'il a fallu pour l'ad-
mettre une surabondance de preuves : mais comment résister au
témoignage concordant de plusieurs milliers de peintures? On croyait
d'abord que tous ces vases , ornés de sujets athéniens , chargés d'in-
scriptions conçues dans le dialecte de l'Attique , avaient été importés
en Etrurie : après mûr examen , la chose s'est trouvée impossible.
Nous avons vu quels obstacles s'opposaient à cette importation :
nous savons de plus que les vases de Vulci difl'èrent pour la plupart
de ceux d'Athènes, par la forme, parla terre qui les compose,
par le vernis qui les recouvre, par les nuances même du style. Il faut
donc admettre qu'on fabriquait à Vulci des vases à la manière
d'Athènes , quand on n'en pouvait pas tirer d'Athènes elle-même :
les sujets des peintures qui ornaient ces vases , c'étaient des traits de
la mythologie particulière aux Athéniens , des compositions inspirées
par leurs poëtes , des figures de leurs monuments , des scènes em-
pruntées à leurs usages , à leurs gymnases, à leurs jeux publics : pour
toutes ces séduisantes nouveautés athéniennes , les Étrusques avaient
FRAGMENT SUR L'ÉTUDE DES VASES PEINTS ANTIQUES. 87
en quelque sorte abjuré tout ce qui leur était propre, mythologie,
religion, langue, coutume et préjugé national.
Aujourd'hui, bien que l'étude des antiquités étrusques soit encore
environnée de grandes obscurités , nous pouvons constater trois
phases principales dans la marche de la civilisation chez ce peuple ,
une phase asiatique , une phase corinthienne , une phase athénienne.
Les monuments ont tranché la question en faveur de ceux des écri-
vains de l'antiquité qui avaient assigné une origine lydienne au
peuple qui dominait dans l'Étrurie. Une liaison certaine unit les plus
anciennes productions étrusques avec ce que nous connaissons de
l'art qui florissait à une époque extrêmement reculée sur les bords
de l'Euphrate. On ne sait, il est vrai, dans quel temps les Étrusques
sont venus de l'Asie ; mais on reconnaît en eux , avec Hérodote et
Tacite, le démembrement d'une nation asiatique, à laquelle, lors de
sa migration , la pratique des arts du dessin était déjà familière.
Plus tard, beaucoup plus tard sans doute, le Corinthien Déma-
rate , débris d'une dynastie qui venait d'être renversée du trône ,
cherche un asile en Étrurie , et y arrive escorté d'artistes habiles dans
la plastique et la peinture. Au bout d'une ou deux générations, les
descendants de Démarate semblent avoir perdu toute trace de leur
origine hellénique : ses fils s'appellent Aruns et Tarquin. Mais l'art
grec n'en a pas moins pris pied en Etrurie : quoique encore enveloppé
dans les langes de l'archaïsme, il a fait école à Tarquinies, et les
vases d'un très-ancien style qu'on découvre dans les tombeaux de
cette ville témoignent clairement de l'influence exercée par l'éta-
blissement de Démarate.
Nous ne distinguons pas si clairement la cause qui ranima l'hellé-
nisme en Etrurie , plus d'un siècle après que Démarate l'y eut im-
porté ; mais en rassemblant avec soin les circonstances qui dévelop-
pèrent l'influence politique d'Athènes à l'époque de Périclès , nous
sommes amenés à reconnaître que la domination exercée par cette
république dans le domaine de l'art fut en grande partie la consé-
quence de son action politique. La marine tyrrhénienne , longtemps
maîtresse des mers qu'elle couvrait de pirates , venait de recevoir
un échec formidable par l'établissement des Carthaginois en Sar-
daigne , quand la victoire de Marathon révéla au monde la gran-
deur du génie athénien. A l'époque qui suivit cet événement, les
Grecs du midi de la péninsule italique, et surtout ceux de la Sicile,
commencèrent à se montrer sous un double aspect aux yeux des
Étrusques , comme des ennemis redoutables , quand il s'agissait de la
88 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
possession exclusive de la mer Tyrrhénienne, et comme des libéra-
teurs, après que la victoire d'Hyméra eut délivré l'Occident de la
conquête carthaginoise, en même temps que celles de Sa lamine et de
Platée affranchissaient la Grèce orientale de la domination des Perses.
Dès lors nous voyons les Étrusques se mêler aux affaires de la
Grèce, soit que les Syracusains brisent leur marine dans le combat
livré près de Cumes, et s'emparent à leurs portes des îles d'Elbe et
d'Ischia ; soit qu'à leur tour les Etrusques soutiennent les Athéniens
dans leur entreprise contre Syracuse , ou môme envoient des renforts
à Agathocle pour combattre les Carthaginois. Ainsi donc, à y regar-
der de près, on découvre plus d'une raison pour que les Étrusques se
soient vivement préoccupés de ce qui se passait en Grèce , et pour
que la ville qui alors fascinait par son éclat la Grèce tout entière ait
étendu son influence jusque sur la Tyrrhénie. Les Romains, malgré
leur rudesse, ne subissaient-ils pas dès lors l'ascendant de l'hellé-
nisme? Peut-on méconnaître la coïncidence des triomphes de la dé-
mocratie athénienne , et des combats que rendit alors le peuple de
Rome pour mettre sa puissance au niveau de celle du sénat? N'est-ce
pas au milieu de ces circonstances que le peuple de Rome soumettait
à l'approbation d'Athènes le code de ses lois ? Quand une nation dé-
ploie ainsi son ascendant parla guerre, la politique, la philosophie,
la littérature et les arts , tout se tient dans l'action qu'elle exerce au
dehors, et là oii elle influait comme législatrice, nous devons croire
qu'elle dominait aussi comme artiste.
Au temps oii il est certain que la plupart des vases découverts à
Vulci furent exécutés, les prisonniers athéniens, dispersés dans la
Sicile , adoucissaient la cruauté de leurs maîtres en leur récitant les
vers d'Euripide. Bien qu'on ait trouvé tant d'inscriptions attiques, et
jusqu'à des chansons, sur les vases de Vulci, je doute que les Lucu-
mons de cette ville aient eu l'oreille aussi exercée que les Siciliens
aux beautés du théâtre d'Athènes : mais celui qui se serait présenté
devant eux , tenant à la main un des charmants vases vraiment athé-
niens, qu'on a trouvés en petit nombre, et parmi tant d'autres, dans
les fouilles de l'Étrurie , aurait certainement trouvé grâce aux yeux
de ces descendants des Lydiens.
NUMISMATIQUE
Ce que l'on se propose, ou plus exactement, ce que l'on devrait
se proposer en étudiant les médailles , ce n'est pas tant de déter-
miner la rareté de ces monuments, mérite bien secondaire aux
yeux des vrais archéologues, que de les faire servir à l'histoire hu-
maine en obtenant de leur connaissance toutes les vérités générales
qu'un examen méthodique peut scientifiquement établir. Pour cela
il faut, ce me semble, après avoir approfondi dans leurs moindres
particularités toutes les branches de la numismatique, abandonner
un instant l'analyse pour embrasser d'un coup d'œil tout ce qui a
été reconnu certain. Alors, en jugeant dans leur ensemble tous ces
groupes d'idées qu'un rapprochement délicat et scrupuleux a permis
de composer, il devient possible de découvrir la loi organique qui a
dû présider à l'apparition des types monétaires, comme à toute autre
production des hommes. Aujourd'hui les grands travaux analytiques
existent, un nombre considérable de bons écrits nous offrent une
source abondante de détails , il ne s'agit plus que de les résumer,
d'en extraire la doctrine.
J'ai parlé du type monétaire, et c'est de ce sujet si fécond de nos
études que je vais entretenir les lecteurs de la Revue ; avant tout ,
nous devons définir ce terme. On nomme type, en numismatique,
l'image, l'objet, l'arrangement des figures; en un mot, la composi-
tion que représente une monnaie ou une médaille. Chaque jour on
acquiert de nouvelles preuves des fruits que peuvent retirer les
sciences historiques de l'examen des types que portent les mé-
dailles ; mais l'on ne s'est pas attaché à établir des notions générales
qui facilitassent l'appréciation du type en fixant les diverses va-
leurs qu'il convient de lui attribuer suivant l'ordre d'idées auquel
il doit son origine , suivant l'époque à laquelle il appartient ; et
bien souvent, faute de tenir compte de ces circonstances, il
est arrivé que l'on a appliqué à un type une signification que
ne comportait pas sa nature. De là des conséquences absurdes
qui sont venues frapper de discrédit des documents précieux qu'une
étude mieux entendue , basée sur un système raisonné et d'une ap-
plication générale, eût pu vivifier et présenter dans toute leur va-
90 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
leur. Nous n'entreprendrons pas de donner la nomenclature , même
abrégée, des types de médailles ; un tel travail, quelque utile d'ail-
leurs qu'il puisse être , ne saurait trouver place ici ; mais nous es-
saierons de tracer le tableau des modifications que le type a subies
dans son essence, persuadé que nous sommes de la nécessité de cette
méthode pour bien saisir le sens des médailles , ces pages écrites oii
l'art a su rendre merveilleusement significatifs les représentations les
plus petites, les types les plus restreints dans leurs dimensions.
Et d'abord, on ne doit pas oublier qu'à l'origine de la monnaie
le type n'avait d'autres fonctions que de donner une valeur légale au
morceau de métal qui en recevait l'empreinte. Ceci explique la sim-
plicité, nous dirons presque l'insignifiance des premiers types, qui
n'avaient d'ailleurs qu'un seul côté des monnaies pour se produire.
Cet état de choses ne fut pas de longue durée ; avec les perfectionne-
ments introduits dans l'exécution matérielle des monnaies se présente
un changement bien autrement important; la religion, la science,
s'emparent du type des monnaies , s'en font un moyen de communi-
cation avec le vulgaire illettré; le type eut dès ce moment un but,
une obligation à remplir. L'observation des phénomènes de l'uni-
vers, la compréhension des forces génératrices de la nature firent
naître dans l'esprit des premiers philosophes certaines idées qui furent
la base du polythéisme. Ce sont ces idées que l'on s'attacha d'abord
à exprimer dans les arts par des symboles qui ont perdu une partie
de leur sens pour nous et dont cependant une intelligente apprécia-
tion nous fait quelquefois reconnaître la portée. Bien qu'il faille ad-
mettre quelques rares exceptions , si nous considérons que le type des
monnaies antiques nous retrace d'une manière plus ou moins détour-
née les mythes particuliers à chaque contrée , les idées dominantes
d'un peuple, nous comprendrons bien vite que c'est à ces précieuses
images qu'il nous faut redemander les éléments nécessaires pour re-
construire le colosse de la pensée antique.
Le caractère sacré des premiers types devait leur assurer une longue
durée , et c'est en effet ce qui arriva.
La persistance de certains types à travers les âges n'est pas une
bizarrerie du goût des peuples ; c'est la conséquence de leurs institu-
tions. Tant que l'art demeura subordonné à la direction sacerdotale ,
tant que la reproduction d'un type consacré à l'expression d'une idée re-
ligieuse fut regardée comme un acte pieux , l'exactitude la plus rigou-
reuse dut présidera la composition des sujets que portent les médailles.
Les graveurs , comme les statuaires , comme les peintres, à Egine,
NUMISMATIQUE. 91
à Rhodes, se renfermaient dans certaines limites que le culte posait
à l'art , et qui donnaient à leur style une unité toute hiératique et
toute stationnaire. L'école novatrice de Phidias rencontra l'opposi-
tion la plus vive de la part des premiers d'entre les Grecs par le
rang, par l'intelligence.
Aux yeux de Platon , ce génie immense , l'immutabilité de l'art
égyptien , c'était la perfection ; et en exprimant cette idée le philo-
sophe ne faisait que confirmer les règles établies par les législateurs
de sa patrie. A Thèbes aussi la loi enjoignait aux artistes, sous peine
d'amende , l'exacte observation des anciens types. On ne s'étonnera
donc point de voir !e plus inconstant des peuples anciens conserver
pendant huit siècles le même type. Alors que les symboles des autres
villes disparaissaient de la monnaie pour faire place à l'effigie des
empereurs , la vierge d'Athènes ne céda pas aux maîtres du monde.
Cet attachement des peuples pour le type de leurs monnaies ne s'ex-
plique que par la valeur religieuse de ces représentations ; ainsi se
trouve exclu le système de quelques antiquaires qui ne voient dans
certains types, très-certainement mythologiques, tels que des ani-
maux , des plantes , qu'une allusion à la fertilité de la contrée , qu'un
échantillon des productions du pays. C'est méconnaître le génie de
l'antiquité que de s'arrêter à un sens aussi étroit. On conçoit aisé-
ment que chaque peuple ait de préférence exprimé ses idées au
moyen des objets qui se trouvaient le plus à sa portée ; que, suivant
sa position , l'un ait vu dans un poisson , l'autre dans un épi un sym-
bole de génération ; mais encore une fois il est difficile de croire
qu'aucune ville ait voulu enseigner à la postérité que son territoire
était fertile en céréales , que son port regorgeait de poissons.
J'insiste sur ce point, parce que je regarde comme une erreur
déplorable l'opinion qui tendrait à transformer les médailles antiques
en autant d'enseignes de marchands , en autant de mercuriales tari-
fant la disette et l'abondance.
D'ailleurs , en suivant cette manière de raisonner, que fera-t-on
du lion des monnaies de Capoue , de Vélie , de Marseille , de Reims ,
toutes villes oii cet animal n'a pu exister que par importation? Vou-
dra-t-on y voir un emblème du courage , de la force des habitants de
ces villes ? Autre erreur ; si telle eut été la signification de ce type ,
toutes les villes ne l'eussent-elles pas adopté avec empressement? et
que devrait-on penser de celles qui en avaient choisi de nature à réveil-
ler une idée tout opposée? Dira-t-on que les habitants d'Argos étaient
des lâches et des pillards parce que leur monnaie a pour type un loup?
92 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Lorsque lanimal , la plante , l'objet que représente une médaille
n'est pas l'attribut d'une divinité , il faut examiner si ce n'est pas par
sa forme ou par son nom qu'il est significatif; certaines plantes, par
exemple , étaient prises comme symboles de l'idée que leur forme
faisait naître (l). Bien plus souvent encore le type n'était qu'une ex-
pression phonétique du nom du peuple , de la ville qui l'avait adopté ;
j'en citerai plusieurs exemples. Les monnaies des Phocéens de l'Ionie
et de la Gaule portent un phoque , ^coxy? ; celle des Phéniciens de Tyr
un palmier, çpoîvi^, ou la coquille de pourpre, çpoivtzsç; celles de
Chrithote des épis d'orge, xpiQri; on trouve une chèvre, ocï'iy gén.
oùyoç, sur les monnaies d'iEgée, d'^Egine, d'iEgos-Potamos ,
d'iEgire ^ un cœur, xap(^ia, sur celles de Cardia ; une clef, yJeiùiov,
sur celles de Clides ; une grenade , ctc^ov y sur celles de Side ; une
pomme , (xtiIov^ sur celles de Melos ; une rose , po^ov, sur celles de
Rhode de Carie et de Rhode d'Espagne ; un coude , ayy.MVy sur celles
d'Ancône ; une feuille de persil , aélivov, sur celles de Selinunte ; un
renard , àXcoTryj^, sur celles d'Alopeconesus. Le cavalier qui presse un
cheval, y,élnv ^époi est une allusion au nom de Célenderis. Le
drachme de Céraïtae représente une femme cornue , Y^z^oCiaThc, ; les
monnaies d'Histiae une femme qui "fait flotter une voile, i(Jxlov, On
peut encore citer le porc, y(Xovvuov sur une monnaie de Clunia de la
Tarragonaise; la lune, Camar (Phenic.)sur les médaillesdeCamarina;
une tète de bélier, y.z(foLlri , sur des monnaies de Céphallénie. Les
savantes recherches de M. J. de Witte ont prouvé que le lion des mé-
dailles de Milet et de Vélie , le daim de Damas étaient encore des
types parlants (2).
C'est ici le lieu de citer les types obscènes que l'on voit sur quel-
ques médailles antiques. Les pièces frappées dans le mont Pangée, à
Éione, à Amphipolis, dans l'île de Thasos, à Lampsaque, présentent
des sujets que nos idées modernes ont peine à reconnaître pour des
images religieuses, et qui, pourtant, n'avaient pas d'autre significa-
tion (3).
(1) Je ne rappellerai ici que le grain d'orge était un symbole féminin de la géné-
ration que parce que je trouve par là Toccasion de consigner un exemple curieux de
la perpétuation des idées antiques. Je tiens de mon ami Ali bcn Ilamdan, d'Alger,
que dans les montagnes des Béni Djénad , où l'on fait encore des sacrifices de mou-
tons à la manière des anciens , les cheiks prononcent des paroles sur des grains
d'orge que les femmes portent ensuite à leur cou dans le but de devenir fécondes.
(2) Annales de l'Institut archéoL, t. YI, p. 343. Revue numismatique,
t. m, p. 8.
(3) Plus tard, à Rome, on fabriquait des tessères obscènes que l'on distribuait
NUMISMATIQUE. 93
Outre le type principal qui occupe le centre et pour ainsi dire la
première place du champ des médailles , on y remarque souvent de
petits types accessoires , très-finement gravés , et qui sont placés là
comme différents monétaires ; ils étaient très-certainement laissés au
choix du magistrat préposé à la fabrication de la monnaie , et fai-
saient allusion à son nom ou à quelque circonstance particulière à
l'histoire fabuleuse de sa famille.
Sur les tétradrachmes d'Athènes , trois femmes suppliantes à ge-
noux (IzsTt^at) font allusion au nom de l'archonte Hicesius. La
massue d'Hercule (EpazA-^^) accompagne le nom de l'archonte Hé-
raclides. M. Fiorelli , dans un intéressant ouvrage sur la numisma-
tique italienne, a relevé les noms des magistrats et mis en regard
les types qui accompagnent ces noms et qui s'y rapportent; ainsi,
Apollonius a pour épisème la tête radiée du soleil ; Dyonisius, une
amphore ou une tête de bacchante ; Héracletas , un arc et un car-
quois ; Léon , un lion ; Neumenius, le croissant de la lune ; Olympis,
une couronne ; Symmachus , un casque à cimier ; Nikon , un cava-
lier qui couronne son cheval vainqueur. Les rois empruntèrent cet
usage aux magistrats; le revers d'un tétradrachme de Démétrius
Soter de Syrie nous montre la figure de Cérès, en grec Anixrirnp.
Le roi indien Mayas a fait placer sur ses monnaies de cuivre une
tête d'éléphant qui rappelle celui que Maya vit en songe lorsqu'elle
portait Bouddha dans son sein.
De même l'ancre des monnaies de Seleucus n'exprime pas la puis-
sance maritime de ce roi, mais consacre la légende de sa mèreLaodice,
qui avait, en songe, reçu d'Apollon une bague sur laquelle une ancre
était gravée.
On voit donc par ce que je viens de dire que le type des médailles
des temps grecs était purement mythologique ; et si nous ajoutons
que les rois ne parurent sur la monnaie que comme divinités, et
que les types qui expriment le nom des peuples et des villes rappe-
laient aussi très-certainement les mythes inhérents à l'origine de ces
noms (l), on pourra poser en principe que, jusqu'à laprépondé-
dans les théâtres. Là il ne faut voir aucune intention religieuse, les pièces elles-
mêmes le démontrent; car leurs types ne présentent que l'idée d'une débauche
recherchée et n'ont rien de la gravité que conservent toujours les types archaïques,
même lorsqu'ils nous montrent les actions les plus matérielles.
(1) Ce sont des chèvres qui sauvèrent la ville d'Égire lorsqu'elle allait tomber au
pouvoir des habitants de Sicyone. Pausan,, VII, 26. C'est ainsi encore que la tète
de Pan forme les types des monnaies de Panlicapée.
94 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
rance de Rome, la totalité des monnaies ne porte que des types reli-
gieux sans exception.
Rome , en adoptant les divinités de la Grèce, semble n'y avoir vu
que des statues douées , malgré leur inanimation , d'une puissance
supérieure. Il y a loin de là au symbolisme oriental qui reposait sur
les idées les plus profondes. Les villes avaient adopté chacune une
forme de la divinité , Rome se les appropria toutes , et , pour aug-
menter cette collection, elle créa de nouveaux dieux, parmi lesquels
elle se plaça elle-même, ainsi que son sénat. La Grèce déchue, ré-
pudiant ses vieilles divinités protectrices , célébrait , sur ses monu-
ments, sur sa monnaie, le sénat et le peuple par excellence. Les
flgures caractérisées par les inscriptions ïepà^vvxlnroç, îgpoçA^oç,
devinrent les types de toutes les monnaies. Bientôt après, la bassesse,
l'abjection de la Grèce amenèrent une nouvelle sorte de type sur sa
monnaie : l'effigie des empereurs , non pas , comme celle des anciens
rois, cachée sous les traits des dieux, mais humaine , vivante et ac-
compagnée du nom du personnage. Toutefois, et comme si les villes
grecques avaient voulu atténuer la honte de leur soumission par le
souvenir de leur gloire passée, le revers des médailles impériales re-
présente les temples, les statues les plus fameuses, les acropoles, tous
ces vestiges d'une époque de génie et de liberté qui ne devait plus
revenir.
A Rome, vers la fin de la république , apparaît un type d'un ca-
ractère tout nouveau, le type historique; l'enlèvement des Sabines,
la mort de Tarpeïa, l'alliance avec Gabies , le serment des chefs de la
guerre sociale, la soumission du roi Arétas rentrent dans cette
catégorie. Nous verrons plus tard quel développement le type histo-
rique prit sous les empereurs. Les types parlants se retrouvent aussi
fréquemment sur les monnaies consulaires: la tête de Pan sur les
médailles de Pansa ; les Muses sur celles de Poraf). Musa ; un veau
sur celles de Voc. Vitulus; un marteau sur celles de Val. Acis-
culus ; les étoiles de la grande Ourse ; Triones sur les deniers qui
portent le nom de Lucr. Trio ; la tête du roi Philippe sur les mon-
naies frappées par un magistrat romain de ce nom ; le masque de
Silène sur celles de Silanus; un maillet sur celles de Malleolus; une
fleur sur celles de Florus. M. Ch. Lenormant a reconnu sur les
deniers de la famille Titia la tête du dieu Mutinus Titinus (i) et sur
ceux de la famille Valeria l'oiseau Valeria.
(1) Jievue numismatique, 1838 , n.
NUMISMATIQUE. 95
Mais c'est sous les empereurs que le changement de nature des
tyj3es se fait surtout sentir. Le type des médailles impériales, particu-
lièrement de celles d'or et d'argent, qui émanaient directement des
empereurs sans le contrôle du sénat, est en quelque sorte consacré
à la famille souveraine; c'est l'empereur, sa femme, ses fils, ses
proches , leurs actions , leurs vertus que célèbrent les monnaies oii
l'on voit rappelées par de pompeux trophées, par de magnifiques arcs
de triomphe, les moindres victoires, des expéditions qui n'avaient
pas toujours été couronnées de succès. Aux sujets historiques
viennent se joindre les types allégoriques; c'est la prudence, la piété ,
la santé, l'abondance, le courage, la libéralité de l'empereur; la
pudeur, la fécondité de l'impératrice. Toutes ces idées immaté-
rielles, représentées sous la forme humaine, sont caractérisées par
des attributs et de plus exprimées dans la légende de la médaille. Ce
sont ces types allégoriques qui ont induit en erreur les antiquaires
lorsqu'ils ont voulu expliquer les types plus anciens; mais ces abs-
tractions personnifiées sont essentiellement propres au génie romain
et ne doivent pas être cherchées ailleurs que sur les monuments
qu'il a produits. Quelquefois même des légendes en apparence
allégoriques se rattachent à des symboles religieux. On doit à
M. Charles Lenormant de curieux mémoires sur l'^Eon d'Hadru-
mète et le dieu d'Emèse qui prouvent que les monnaies frappées
dans l'Orient par les empereurs , tout en adoptant la phraséologie la-
tine, conservaient leurs types locaux et sacrés.
Il est à remarquer que vers le milieu du IIP siècle , alors que
les révolutions se multipliaient et que les empereurs se succédaient
rapidement, élevés et renversés presque aussitôt par la garde pré-
torienne , les types de la sécurité, du bonheur des temps et de la fidé-
lité des troupes se reproduisent continuellement. Quelle était donc
leur valeur: un heureux présage ou une affectation de confiance?
Toujours est-il que les événements en ont fait autant de mensonges.
Un type encore que nous ne devons pas oublier, c'est celui de la con-
sécration, qui revient inévitablement à la mort de tous les princes.
C'est ordinairement un char funèbre ou le bûcher sur lequel on brû-
lait les corps. Auguste, en déifiant César, avait donné un exemple
qui fut suivi par tous les empereurs jusqu'à Constantin, et que
Julien critique amèrement dans sa mordante satire des Césars (l).
Rien n'était en efl'et plus propre à renverser le polythéisme que
(1) ôtôiv oyrws 2wT»j/5wv Ip/ps êgovra sMvefôpi^aev ouroç b Ke/»07iAâffT>js , x. t. X.
96 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'admission au rang des dieux de monstres que la société humaine ne
pouvait conserver dans son sein. L'Olympe escaladé par tant d'hom-
mes , les dieux s'en allaient.
Cependant le christianisme, déjà répandu sur toute la terre , mon-
tait sur le trône impérial avec Constantin ; le signe de la foi chré-
tienne parut alors sur la monnaie. Pendant quelque temps la croix
fut placée dans la main de la Victoire ; victoire toute chrétienne , il
est vrai , puisqu'elle est figurée sous la forme d'un ange , mais qui
n'en est pas moins un reste de l'art païen (l). Plus tard la croix
occupa seule le revers des monnaies, et lors du démembrement de
l'empire, les souverains des nouveaux États la prirent pour type
de leurs monnaies , qu'ils fabriquaient à l'imitation de celles de l'em-
pereur.
Pendant le moyen âge, le type indispensable, général, c'est la
croix; symbole quelquefois politique, religieux toujours; c'est le
principe et la fin de toute action ; ornement variable à l'infini dans
sa forme, c'est la base presque unique de l'art. A plusieurs époques
on trouve des monnaies qui ont pour type une croix sur chacune de
leurs faces. Au IX^ siècle , les rois franks donnaient une tournure
cruciforme au monogramme de leur nom qui sert de type à leur
monnaie, s'effaçant ainsi devant le symbole de la foi. Un type qui pa-
rut à la même époque, et que nous devons mentionner à cause de
sa longue durée, c'est le temple chrétien. La légende qui l'accom-
pagne: XPisTiANA RELiGio, uc laisso pas de doutes qu'on y ait vu,
non pas un simple monument , mais cette puissante Église imma-
térielle à laquelle le Christ avait donné le grand apôtre pour première
pierre.
Lorsque les prélats eurent obtenu des rois les droits régaliens , ils
prirent ordinairement pour type de leur monnaie le saint patron
de leur église. Quelquefois, à l'exemple des seigneurs laïcs, ils ne
firent que copier la monnaie du souverain. C'est ici le lieu de dire un
mot de l'imitation des types, qui introduisit sur les monnaies des
singularités inexplicables pour qui n'aurait pas cette notion.
La conformité de types que l'on remarque sur les monnaies de
quelques villes de l'antiquité tient, le plus souvent, à une commu-
nauté d'idées , de culte. Cependant il est certains cas où l'imitation
(1) Les statères d'or d'Alexandre et les monnaies de plusieurs autres rois grecs
nous montrent la Victoire portant une croix qui n'est autre chose que l'armature
destinée à former un trophée.
NUMISMATIQUE. 97
servile est tout à fait sensible (1). Au moyen ège, où la monnaie
était souvent la principale source des revenus de celui qui la fabri-
(juait, on s'efforçait de lui donner le cours le plus étendu possible»
Pour cela on copiait le type en vogue ; que ce fût le florin de Flo-
rence, le gros de Tours ou le sterling d'Angleterre, peu importe.
On conçoit facilement quelles bizarreries résultèrent de cette cou-
tume. Des évoques et des comtesses se firent graver sur leurs mon-
naies, à cheval, en armure complète et la couronne royale en tête.
Le pape Clément IV fut obligé de réprimander certains évêques
qui copiaient la monnaie arabe avec le nom de Mahomet, tandis que
les sultans de la race d'Ortok battaient des monnaies à l'effigie du
Christ, de la Vierge et des empereurs (2). L'introduction des armoi-
ries sur la monnaie ne fut même pas un obstacle à l'imitation (3).
De nos jours encore les petits souverains copient la monnaie des
grands États.
Depuis deu^ siècles le type des monnaies , en général fort simple ,
est devenu fixe, c'est-à-dire qu'une fois adopté par un souverain,
il se continue pendant toute la durée de son règne, et souvent
même est adopté par ses successeurs. Bien des artistes ont émis le
vœu de voir reparaître sur la monnaie les types variés et commémo-
ratifs; mais cette rénovation ne se ferait qu'au profit de l'art seul.
Quant à l'histoire, aux idées religieuses, elles peuvent se passer
désormais de ce moyen de publicité. L'imprimerie est pour elles un
auxiliaire bien autrement puissant ; le changement continuel de type
nécessiterait des dépenses énormes et n'atteindrait pas le but qu'on
semble se proposer de laisser des monuments durables de notre
histoire. La grande circulation de nos monnaies , les refontes qui en
sont la conséquence inévitable , ne laissent subsister aucune monnaie
d'un siècle à l'autre. Quand même Louis XIV eût fait retracer sur
ses monnaies les nombreux événements de son long règne, ses écus
n'en seraient pas moins décriés et détruits ; les chefs-d'œuvre de
Warin n'ont pas trouvé grâce devant le creuset niveleur du système
décimal. Adrien de Longpérier.
(1) Les tétradraclimes de Cydonia, deGorlyna, d'Hiérapyliia , de Priansus, villes
de Crète, sont évidemment calquées sur celles d'Athènes. A Pharsale de Thessalic ,
à Héraclée d'Ionie, on trouve des imitations de la Minerve attique.
(2) Une magnilique monnaie du cabinet de feu M. le duc de Blacas n'est autre
chose que la reproduction servile d'un dinar du khalif Haroun Al'Raschid, avec
l'addition du nom du roi de Mercie , Olîa II.
(o) Les seigneurs de ^Yezemale , de Manloue, de Cugnon , d'Orange, d'Arche
ont reproduit sur leurs monnaies les trois fleurs de lis de France , sans s'inquiéter
des droits qu'ils pouvaient y avoir.
I. 7
■
VOYAGES ET RECHERCHES ARCHEOLOGIQUES
DE M. LEBAS, MEMBRE DE L'INSTITUI ,
EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE,
PENDANT LES ANNEES i845 ET 1844.
SECOND RAPPORT A ^l. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
ILgINE et SES TKMl'LES, PAL^AKHORA , INSCRIPTIONS DÉCOUVERTES; CALAIJRIE , TRÉZÈNE ,
POROS, RETOUR A ATHÈNES, VISITE A PHYLÉ ET A DÉGÊLIE.
Monsieur le ministre,
Monsieur l'amiral Kriesis , minisire de la marine du roi des Grecs,
ayant , avec l'obligeance qu'il montre à tous les érudits français qui
voyagent en Grèce, mis à ma disposition le Pollux, l'un des trois
cutters du gouvernement, commandé parle brave maître d'équipage
Antonio Sapono, d'Hydra, je partis quatre jours après mon retour à
Athènes, c'est-à-dire le 10 avril, pour l'île d'Egine dont l'histoire
m'a, comme vous le savez, occupé d'une manière toute particulière.
J'étais impatient de m'assurer, sur les lieux mêmes, si les conjectures
que j'ai émises dans mon dernier mémoire trouveraient leur confirma-
tion dans quelque monument découvert depuis le passage de la Com-
mission de Morée, et de me faire une opinion relativement à la con-
troverse qu'a excitée l'attribution du temple dont les bas-reliefs
décorent aujourd'hui le musée de Munich. A mon arrivée, je reçus
l'hospitalité la plus empressée de monsieur George Logiotatidès,
ancien démogéronte de l'île, et dès le lendemain je me mis en route
pour le temple qui devait être l'un des principaux objets de mes
recherches.
Chemin faisant, je visitai avec soin toutes les églises que je ren-
contrai : celles de Saint-Démétrius, de Saint-Michel, de Tous-les-
Saints, de la Panagia, de Saint-George, de Saint-Élie, de Saint-
Jean : presque toutes m'offrirent des tronçons de colonnes, des
fragments de pierre d'Eleusis; dans presque toutes je trouvai une de
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 99
ces colonnettes cannelées connues des antiquaires sous le nom de co-
lonnettes votives et sur lesquelles le savant M. Ross a publié une dis-
sertation spéciale. Si je ne me trompe, Monsieur le Ministre, ces
colonnettes, pour la plupart en pierre noire d'Eleusis, sont, dans
les pays qui ont été sous la domination d'Athènes, l'indice de rap-
ports religieux avec le centre du culte athénien et prouvent de plus
que les églises oii on les rencontre aujourd'hui ont été bâties sur
l'emplacement de temples anciens; aujourd'hui encore elles sont con-
sacrées au culte, et placées la base en l'air; elles servent à brûler
l'encens les jours de cérémonies pieuses. La seule église de Saint-
Eleousa que l'on rencontre un peu avant que de passer au pied de
Palœakhora, ville en ruines , située au centre de l'île sur une montagne
escarpée, m'offrit un inscription qui est certainement inédite; elle
est gravée sur une petite stèle à fronton et conçue en ces termes :
M0MMI02
0EOZENOY
XAIPE
APISTHAI
KAIOrENOY
XAI ^^ PE
Dans l'intérieur de l'église, l'autel se compose d'une colonnette
votive renversée portant un chapiteau d'un ordre que j'appellerai
volontiers égypto corinthien, car on y retrouve réunis les caractères
de l'architecture égyptienne et ceux du dernier ordre de l'architec-
ture grecque; ce chapiteau est également renversé, de telle façon
que la face sur laquelle il reposait primitivement forme aujourd'hui
la sainte Table.
Enfin, Monsieur le Ministre, j'arrivai au temple si souvent décrit
et si justement admiré. Après un examen attentif des lieux , je par-
tage complètement les convictions des savants qui voient dans ce
monument non pas le sanctuaire de Jupiter Panhellénien, mais celui
que lesÉgifiètes élevèrent à Minerve après la bataille de Salamine,
ainsi que nous l'apprend Hérodote. Quel argument plus concluant,
en effet, que la position de ce temple , à l'extrémité septentrionale
100 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de l'île, en vue d'Athènes, comme si les Éginètes eussent voulu rap-
peler à leurs ambitieux voisins qu'eux aussi ils étaient les protégés
de Minerve, qu'eux aussi ils avaient contribué à la délivrance de la
Grèce et que dans le combat décisif, l'un d'eux, Polycrate (1), avait
remporté le prix de la valeur. Quel argument encore que le sujet des
deux frontons représentant Minerve qui intervient dans deux épisodes
de la guerre de Troie , c'est-à-dire de la première lutte de la Grèce
contre l'Asie I Je dois ajouter, Monsieur le Ministre, que vainement
j'ai recherché l'inscription ATTÏÏ AN E A AH N ini qu'on prétend avoir vue
dans ce lieu il y a quelques années. Qu'est-elle devenue? Je l'ignore.
Il est des gens qui prétendent qu'elle n'a jamais existé, et qu'elle est
d'une date on ne peut plus récente; tout ce que dit M. Woodsworth
à cet égard me paraît on ne peut plus concluant. Il est hors de doute
qu'il a existé dans cette partie de l'île un sanctuaire de Minerve qui
avait une étendue considérable et proportionnée à l'importance du
temple qui en formait le centre principal : une des limites de cette
enceinte serait encore à environ deux kilomètres au sud du temple ;
c'est un morceau de marbre blanc oblong formant aujourd'hui le
chambranle d'une église consacrée à saint Athanase; sur la face prin-
cipale on lit , gravé en caractères archaïques :
HORO^
TEMEN05
AOANAIA^
J'ai copié et estampé cette inscription qui , dans le débat dont il
s'agit, est d'une autorité bien plus sûre que celle dont j'ai parlé plus
haut.
Mais où retrouver le temple de Jupiter Panhellénien dont l'origine
remonte à un fils de Jupiter, à Éaque, le héros protecteur d'Égine?
car on ne peut nier l'existence de ce sanctuaire. Évidemment c'est
dans la cime la plus élevée de l'île, sur l'Hagios Hélias. J'ai gravi
cette montagne, au pied de laquelle on reconnaît encore les substruc-
tions du temple de Damia et Auxesia ; ce sont des ruines considérables
d'un caractère antérieur au V* siècle avant notre ère. Parmi ces
débris si importants se trouve une vaste pierre, probablement des-
tinée aux sacrifices, et une colonne votive, portant toutes deux des
inscriptions copiées , pour la première fois, par Fourmont qui, il faut
(1) Notre hôte, M. Logiotatidcs, a donné ce nom à l'un de ses deux fils; l'autre
porte celui d'Éaque. C'est ainsi qu'à Messéne plus d'un enfant s'appelle Arisloméne.
Mais il ne suffit pas de faire revivre d'anciens noms.
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. lOl
bien le reconnaître, était un investigateur très-heureux et non moins
zélé. J'ai, dis-je, gravi le mont Héiins, rude ascension pour un Pari-
sien , mais non pas pour un érudifc qu'entraîne le démon des décou-
vertes! J'ai trouvé sur la cime plusieurs assises quadrangulaires
qu'on a, à différentes époques, utilisées dans les reconstructions suc-
cessives de l'église consacrée à saint Élie , lequel dans toute la Grèce
a remplacé Jupiter sur les hautes montagnes d'où tombent et le ton-
nerre et la pluie. J'y ai trouvé aussi plusieurs fragments de marbre
blanc bien travaillés et, ce qui a plus d'importance encore, des trous
assez profonds creusés avec le ciseau dans le rocher le plus élevé
pour y recevoir une statue qu'on pouvait apercevoir de toutes les
parties de l'île et même de la côte voisine.
Ces deux points observés, il me restait encore une excursion à
faire à Palœakhora, cette ville au centre de l'île dont j'ai déjà eu oc-
casion de parler plus haut. Là se rencontrent (toujours dans les
églises) des souvenirs des différents âges, des inscriptions en carac-
tères archaïques, indiquant les limites des enceintes sacrées, le dé-
cret, en dialecte dorien, que j'ai restitué dans mon mémoire, quel-
ques stèles funèbres, une épigramme inédite en six vers, quelques
épitaphes, quelques dédicaces latines du XV^ siècle, c'est-à-dire de
l'époque vénitienne, et enfin le cadavre d'une ville morte depuis
vingt ans, depuis qu'on peut impunément habiter la plaine et les
côtes; cadavre auprès duquel veille et prie, quand il ne garde pas
ses chèvres ou qu'il ne tricote pas ses bas bleus, l'une des couleurs
distinctives du clergé grec, un papas fort ignorant (ils le sont presque
tous), mais fort hospitalier. Quelles ont été les destinées de cette
ville depuis les temps les plus reculés ? c'est ce que je me propose
d'examiner un jour. Je me bornerai en ce moment à vous dire. Mon-
sieur le Ministre, que, suivant moi, cette ville n'a jamais dû être
dans l'antiquité le lieu principal de l'île, mais une retraite naturelle-
ment fortifiée, où les habitants se réfugiaient en cas d'attaque sou-
daine, comme à l'époque des pirates Ciliciens, aux temps des grandes
invasions et lors des ravages exercés par les barbaresques. Je ne vous
envoie pas , Monsieur le Ministre, l'épigramme inédite, parce que les
trois derniers vers en sont fort mutilés, et que je désire en tenter le
premier la restitution lorsque j'aurai quelques loisirs et quelques
livres à ma disposition. Je vous ferai seulement connaître celles qui
n'étant accompagnées d'aucun dessin peuvent être reproduites ici.
La première, gravée sur un marbre blanc, forme le linteau de la
porte d'A'/toç yysjylcjx^oz. Elle est ainsi conçue :
102 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
HORO^
TEMENO^
AGANAIA5
La deuxième est gravée sur un marbre qui sert de seuil à la porte
de la U(xvo(yloc (^opyincraoc. On y lit :
HORO^
TEMENOM
AnOAALHN]
0[2KAm02Ell
An[N]0[2]
Les trois dernières lignes sont en caractères d'une date plus récente.
La troisième est également gravée sur un marbre blanc dont on a
fait le linteau de la porte de l'église épiscopale. Elle consiste dans
les deux lignes suivantes :
H0R05
TEMEN05
Enfin, à la porte de l'église de la Uavayia Tiavovla, se trouve une
stèle à fronton avec une rosace au milieu. On y lit :
GEOAOTH
AHMHTPIGLY]
OEO0IAO2
/>l,HNOAnPOY
X AIPETE
Il me reste à vous entretenir de la ville d'Ègine. Elle a été si sou-
vent mutilée depuis quatorze siècles, les débris de ses monuments
ont servi à tant de constructions diverses, qu'on chercherait vaine-
ment aujourd'hui, à l'aide des indications très-vagues de Pausanias,
l'emplacement de ses principaux édifices , celui du temple de Vénus
excepté. Quant à l'^Eaceinm , le voyageur grec nous apprenant qu'il
était bâti dans l'endroit le plus en évidence de la ville, èv rw ènK^oc-
vsorarw tottw rnç irôhoiÇy je suis très-porté à croire qu'il faudrait le
chercher au-dessous du lazaret actuel, dans un lieu qu'on appelle
aujourd'hui Vardia, oiij'ai retrouvé plusieurs fragments d'assises, de
chapiteaux ioniques, en marbre blanc, et oii l'on voyait encore, il y
a quelques années, un piédestal, également en marbre blanc, qui a
été brisé pour servir à la construction de quelques cabanes. J'en ai
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 105
retrouvé dans les murs des habitations voisines los quatre fragments
suivants :
A'CO»lAAI
OGTHN T
NTinATPON
AIKAI'OBAI
lYe
NFIANTA
lABlOYTO
Arpoo
XICPeA
GBAC
PIC
Ceux qui ont vu Égine à l'époque où elle était le centre du gou-
vernement grec auraient peine à la reconnaître aujourd'hui, tant elle
est déchue. Ce n'est plus qu'un grand village avec deux vastes édi-
fices comme n'en possède pas Athènes : le Lazaret et l'Orphanotro-
pheion, tous deux déserts, et cependant dans un état qui permettrait de
les utiliser. Le musée, pour la formation duquel Capo-d'Istria avait dé-
pouillé Délos, Mégare, Calaurie, etc., est aujourd'hui dispersé. Une
partie a été transportée à Athènes, notamment la grande inscription
qui a été l'objet de mon dernier travail. Tout ce qui était trop pesant
est resté à droite et à gauche de la porte principale de l'Orphanotro-
pheion , ou dans Tun des préaux de cet établissement. Le reste, pro-
venant principalement de la localité même, est confusément entassé
dans une pauvre cabane que le démarque honore du titre pompeux
de Toirr/wov /^o-jcrst'ov. îl m'a fallu tout un jour, et deux hommes de
peine, pour passer en revue les richesses enfouies dans cette tanière.
Les deux dépôts m'ont fourni cent six inscriptions dont plusieurs ont
déjà été publiées par moi dans le grand ouvrage sur l'expédition
scientifique de Morée , et dont certaines autres sont assurément iné-
dites. Le reste de l'île a moins donné; j'en rapporte cependant qua-
torze monuments écrits.
J'étais à Égine trop près de Calaurie et de Trézène pour ne pas
visiter ces lieux célèbres; je m'y suis donc fait transporter, mais j'ai
104 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
vainement cherché dans la première les traces du temple de Neptune
et du monument appelé le tombeau de Démosthènes ; tout a presque
entièrement disparu. Les ruines de ces édifices ont été considérées ,
depuis plus de cinquante ans, comme une carrière offrant des maté-
riaux commodes, et c'est à l'aide de ces ressources qu'ont été bâtis la
ville d'Hydra, le vaste monastère de Poros et un grand nombre de
maisons de cette ville. J'ai cependant pu , ù l'aide des fouilles récem-
ment faites pour enlever les dernières assises, relever le plan de la
plus grande partie de ces lieux ; mais il fallait se hâter; car, à l'heure
qu'il est peut-être, on n'y verrait plus rien.
Trézène , qui mérite encore l'épithète d'aimable , n'a pas été beau-
coup plus respectée par les hommes ni par le temps. On y retrouve
pourtant, dans l'église de la Panagia Episcopi, des débris de colonnes
doriques qui ont dû appartenir au temple de Junon. Ce temple s'éle-
vait sur un terre-plein soutenu par des constructions cyclopéennes
en pierres brutes à joints taillés. J'ai encore remarqué une tour carrée
de construction hellénique , qui se rattachait sans doute au système
de fortification de la ville , puisqu'elle est située à l'entrée du défilé
qui conduit à Hermione, et oii se voit dans un paysage délicieux un
pont au-dessus d'un torrent, lequel est appelé le Pont du diable; et
enfin plusieurs églises où se trouvent encore la plupart des monu-
ments écrits que Fourmont a copiés , mais dont quelques-unes ont
été tellement envahies par les ronces qu'on ne pourrait y pénétrer que
la hache à la main.
Poros ne contient rien d'antique qu'une stèle funèbre servant de
banc devant la porte de l'église de Saint-Constantin, et un fragment
connu d'inscription impériale du IIP ou du IV^ siècle encastré dans
la façade de Saint-Spiridion. v
Rentré à Athènes le 1 7 avril , je me suis immédiatement occupé
des préparatifs de mon voyage dans le Péloponèse ; comme ils exi-
geaient quelques jours encore, j'ai profité de ce délai pour aller visi-
ter deux points très-importants de l'Attique : Phylé et Décélie.
APhyléj'ai déterminé, avec plus de précision et de certitude que
ne l'avait fait le colonel Leake, l'enceinte de la forteresse, l'un des
plus solides remparts d'Athènes du côté de la Béotie, et me suis
convaincu en même temps que jamais Thrasybule , lorsqu'il vint de
ïhèbes avec quelques bannis pour renverser les trente tyrans, n'aurait
pu occuper ce poste inacessible s'il n'eût eu , ce que l'on conçoit
facilement, des intelligences dans la place.
A Décélie j'ai été beaucoup moins heureux et n'ai trouvé, dans le
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 105
lieu OÙ l'on s'accorde à placer la forteresse de ce nom , aucune autre
trace des murs bâtis par les Spartiates d'après les conseils d'Alcibiade,
que les premières assises d'un monument quadrangulaire qui n'était
probablement qu'une tour ou qu'un refuge. Cette position n'est donc
pas encore bien déterminée , selon moi , et la question demande des
recherches ultérieures. Je verrai, cet automne, s'il me sera possible
d'obtenir un résultat plus satisfaisant.
Pour se rendre à Décélie on traverse le grand village de Ménidi ,
qui a remplacé l'ancienne Acharne. J'y ai copié quelques inscriptions
funéraires; les plus remarquables sont les deux suivantes :
AnOAAOAnPOI
iiAïAArnroi
A0POAI2IO2
APMENI02
J'ai aussi retrouvé dans cet antique dème le torse d'une statue
d'empereur romain en costume militaire , étendue sans gloire , quoi-
que d'un assez beau travail et en marbre blanc, à la porte d'une ca-
bane.
J'ai encore visité, la veille de mon départ, le village de Koukouvaïa
où j'ai copié une inscription latine, chose rare en Grèce et surtout
dans l'Attique, et le dème d'Amarusia dont le nom s'est conservé
presque intact dans celui de Marousia , charmant village, où les Athé-
niens vont chercher la fraîcheur pendant l'été. Je n'y ai trouvé que
l'inscription suivante, en caractères imitant l'archaïque, et publiée
dans le Corpus d'après une copie de Fourmont.
HQI^D^JAt^TE
/v\IAn$:TEME
NO^:AMAI>V
Je m'arrête ici, Monsieur le Ministre. Dans ma première lettre
je vous parlerai du résultat de mes recherches d'Éleuthères à Corinthe.
Un autre rapport sera consacré à mon voyage de Corinthe à Messène
en passant par Sicyone, yEgium, Patras, Élis, Olympie, Héraea,
Épéion, Phigalie. Un troisième vous entretiendra de mon séjour à
Messène , des travaux que j'y ai exécutés , des découvertes que j'y ai
faites, ainsi que de mes excursions à Pylos et à Thouria. Je vous par-
lerai ensuite de mon séjour à Sparte, de mon voyage à Geronthrœ et
106 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
à Marios ; et enfin un dernier compte rendu sera consacré à Hélos, à
Mulaos , aux antiquités de la côte occidentale du cap Malée, à Gythium
et à la tournée que , de cette ville, je vais entreprendre dans le Magne,
ou plutôt le long des côtes de la presqu'île qui se termine au cap Té-
nare. J'aurais voulu pouvoir vous présenter, en une seule fois, l'ex-
posé de ces diflerentes courses ; mais les chaleurs de l'été commencent
à se faire sentir avec violence , et la prudence me fait un devoir de ne
pas séjourner plus longtemps dans le sud du Péloponèse.
De Calamae , d'oiî je vous adresserai la lettre qui doit suivre celle
que vous recevrez dans dix jours, datée encore de Gythium, je me
propose d'aller visiter Sténycleros, Ira, Mégalopolis, Tégée,Man-
tinée , Argos , Mycènes , Tyrinthe , Nauplie , Epidaure ; puis, remon-
tant à l'ouest, de pénétrer encore une fois dans les montagnes de
l'Arcadie pour examiner les restes d'Orchomène, de Raphiae, de
Cleitor, de Phénée, de Stymphale, de Phliunte, de Nemée et de
Cléones ; puis enfin de rentrer à Athènes en me dirigeant par Mégare
et Salamine. De là, j'irai passer les mois d'août et de septembre
dans les Cyclades et j'aviserai alors à l'emploi le plus utile du temps
qui me restera. Je n'épargnerai ni peines ni soins pour obtenir
d'utiles résultats et pour répondre dignement à votre attente.
Je suis avec respect,
Monsieur le Ministre,
Votre dévoué serviteur,
Ph. Lebas.
Gythium, le 4 juillet 1843.
RAPPORT
DE M. EGGER,
lECR^TAIRE DU COMITÉ CHARGÉ DE PROPOSER LE PLAN ET LES PRINCIPALES DIVISIONS
BU
lU CIJFJL GÉNÉRAL DES IISSCRÏPTIOAS LATINES (1).
Monsieur le Ministre,
Le comité choisi par vous au sein de la commission d'épigraphie
latine pour proposer le plan, l'ordre, les principales divisions et la
forme d'exécution du recueil confié à cette commission , avait d'abord
à déterminer les limites chronologiques de l'ouvrage. A cet égard ,
votre intention déjà exprimée était de vous renfermer dans l'antiquité
proprement dite , et d'exclure , au moins provisoirement , le moyen
âge. Mais où finit l'antiquité, où commence le moyen âge? La chute
de Romulus Augustule et la fondation des royautés barbares semblent
d'abord marquer une époque précise ; et le comité s'y arrêtait volon-
tiers. Vos nouvelles observations. Monsieur le Ministre, appuyées dans
le sein même de la commission par de graves autorités, ont bientôt fait
reconnaître qu'il était dangereux, en pareille matière, de fixer un mil-
lésime et de juger l'état social des peuples d'après le nom de leurs
chefs. Au VP siècle , Justinien conserve encore , sur le trône de
Constantinople, le titre de consul, dernier souvenir de la république
qui survit ainsi à la ruine de l'empire d'Occident. Au VP siècle,
le Goth Théodoric est encore un empereur romain qui s'entoure de
toutes les formalités de la législation et de la chancellerie romaines ;
et, plus tard , quand les Barbares négligent de contrefaire ainsi les
vaincus, la société qu'ils gouvernent, en se mêlante elle par les in-
térêts de la conquête et les liens de la famille , n'est pas pour cela
subitement transformée. Combien de temps il a fallu au christianisme
pour régénérer les mœurs et éteindre les vieilles superstitions ; com-
bien de temps la société reste païenne, malgré l'active influence du
gouvernement épiscopal et de la morale évangélique ! Or, si le recueil
projeté doit servir à contrôler, à compléter, par le témoignage des
inscriptions, l'histoire entière, l'histoire sociale et domestique du
monde romain, on ne peut le fermer à l'avènement d'Odoacre on à
(1) Ce rapport a été lu dans la séance de la Commission d'épigraphie latine du
3 aoiH iS4:i. (M. le Ministre de l'Instruction publique, président.)
108 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
la mort de Théodoric. II vaut mieux simplement désigner pour terme
la fin du VP siècle, en permettant aux rédacteurs de recueillir,
môme au delà de celte date, toute inscription qui reproduirait quelque
chose de la vie romaine. Ainsi nos recherches s'arrêteront sur cette
limite quelquefois indécise , mais ordinairement appréciable , où le
monde n'est plus romain que par l'usage toujours perpétué de la
langue latine. Elles comprendront tout le domaine ancien d'une civi-
lisation dont nous ressentons encore l'action puissante , et d'une
langue qui a prolongé jusqu'à nous son impérieuse popularité.
' Mais s'il importait de suivre, jusque dans leur dernier développe-
ment, les mœurs, les lois et la politique de Rome, les origines de sa
langue, livrées encore aux doutes et aux conjectures, devaient être
exclues de notre plan. D'autres recueilleront les monuments des di-
vers dialectes italiques détruits par les Romains ou fondus par eux
dans l'unité de la langue latine.
Les légendes des médailles et des pierres gravées sortent aussi du
cadre de nos recherches : elles appartiennent à la numismatique et à
l'archéologie. C'est faire beaucoup déjà que de nous engager à réunir
les inscriptions déposées, soit par mesure de police ou d'intérêt mer-
cantile, soit par un simple caprice de vanité, sur les briques, sur les
tessères et sur des ustensiles de tout genre , comme il s'en retrouve
de nos jours parmi les ruines d'Herculanum et de Pompéi.
Une question plus grave concerne l'ordre à suivre dans la disposi-
tion de matériaux si nombreux et si variés. Sur ce point, le comité
vous propose de subordonner l'ordre des matières comme celui des
dates à l'ordre géographique , et cela pour diverses raisons que vous
apprécierez. Celle qui nous frappe surtout , bien qu'elle ne soit pas
restée sans contradicteurs, c'est qu'il y aura pour l'historien et le phi-
losophe un puissant intérêt à suivre, sur les monuments lapidaires,
le progrès méthodique et rapide de la civilisation romaine à travers les
peuples conquis ; c'est aussi que, sous la rigueur uniforme du gouver-
nement républicain ou impérial, le municipe, la cité, et dans le mu-
nicipe, dans la cité, les institutions et les mœurs de la famille offrent,
selon les lieux, des variétés qui appartiennent à l'histoire et que dis-
simule trop la division par ordre de matières appliquée jusqu'ici dans
les recueils d'épigraphie latine. D'ailleurs cette division, toujours un
peu arbitraire et difficile à réaliser d'une manière satisfaisante dans
des recueils d'une médiocre étendue, présentait pour le nôtre encore
plus de difficultés. Que de répétitions , que de confusions presque
inévitables, le jour où il s'agirait de ranger, par ordre de matière.
RAPPORT DE M. EGGER SUR LES INSCRIPT. LATINES. 109
soixante ou peut-être quatre-vingt mille inscriptions, qui presque
toutes, par les détails qu'elles renferment, se rattachent légitimement
à plusieurs catégories. Au contraire, sauf de rares exceptions, chaque
monument n'a qu'une place, une place nécessaire et bien déterminée,
dans l'ordre géographique. Enfin, cette distribution du travail a l'avan-
tage de s'appuyer sur une foule de recueils spéciaux antérieurement
composés, et d'autant mieux composés qu'un intérêt national y venait
seconder le zèle de la science ; et la juste prédilection des provinces
et des villes pour leurs antiquités nous assure encore dans l'avenir
plus d'amis et d'utiles collaborateurs.
En accordant, f)our ces motifs, la préférence à l'ordre des lieux, il
a semblé convenable d'y faire quelques restrictions.
La rareté des monuments épigraphiques antérieurs à la bataille
d'Actium, et leur caractère commun d'archaïsme, nous décide à en
former un chapitre distinct en tête de la première classe. Comme d'ail-
leurs ces documents ont tous été découverts sur le territoire italien,
ou dans les pays limitrophes, il s'ensuit que leur rapprochement sa-
tisfait en même temps à deux convenances.
A partir de la bataille d'Actium, les monuments seront d'abord
classés selon les grandes divisions de l'empire romain.
En tête de chaque division, on rassemblera tous les monuments
qui intéressent l'histoire générale de la contrée. Après avoir distribué
les autres par cités , on suivra , pour chacun de ces chapitres , l'ana-
logie des matières ; dans chaque subdivision , formée d'après ce
principe , les inscriptions se rangeront , autant qu'il sera possible ,
par ordre chronologique , et ainsi les monuments chrétiens forme-
ront naturellement le dernier paragraphe de chaque subdivision.
Cependant notre respect pour l'histoire locale ne pouvait aller
jusqu'à diviser les inscriptions par bourgades et hameaux dans l'inté-
rieur des anciennes cités; opération peu utile d'ailleurs, et souvent
embarrassante. En effet, on sait d'ordinaire à quel canton appartient
un monument , mais on ne sait pas toujours à quelle localité parti-
culière dans l'intérieur du canton. Il faudrait donc bien des chapitres
à part pour les inscriptions dont l'origine ne peut être précisément
assignée. Au contraire, la simplicité du plan que nous suivrons dissi-
mulera en partie et sans mensonge des erreurs ou des incertitudes
que rien aujourd'hui ne saurait corriger.
Vous le voyez , Messieurs , votre comité est loin d'espérer que la
distribution qu'il propose soit toute facile et irréprochable; il a
voulu seulement, entre beaucoup d'inconvénients et de difficultés,
110 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
choisir les moindres. 11 pense que le meilleur remède à l'insuffisance
de ces diverses méthodes se trouvera dans de bonnes tables alphabé-
tiques, et il a cru y pourvoir en ramenant les liiils épars dans le Re-
cueil à sept chefs principaux : 1" signes et abréviations; 2* noms de
divinités; 3° noms propres; 4" lois et offices publics de tous genres;
S» géographie (subdivisée en deux tables) ; 6° latinité ; 7« sujets di-
vers. Cette dernière table sera la plus riche après celle des noms
propres, et, de toutes, la plus curieuse; elle résumera, pour ainsi
dire, l'intérêt historique de l'ouvrage.
Mais une publication aussi vaste et aussi longue perdrait un peu
de ses avantages s'il fallait attendre, pour la consulter commodé-
ment, l'achèvement du dernier volume; il conviendra donc de faire
trois séries de tables, toutes trois sur le plan qu'on vient de voir, et
qui se rapporteraient, la première, aux Gaules ; la seconde à l'Italie;
la troisième aux autres provinces de l'empire romain. Par ce moyen,
la partie du recueil qui pourra être achevée la première formera
immédiatement un ouvrage complet.
La commission décidera plus tard s'il y a lieu de composer des
tables générales , où viendraient se fondre les trois séries de tables
précédemment publiées ; elle décidera en même temps quels devront
être le caractère et l'étendue de l'introduction générale, qui ne peut
paraître qu'avec le dernier volume. En attendant, quelques pages
d'avertissement, jointes à la première livraison, suffiront pour rendre
compte au public des règles qui président à notre travail.
Ces préfaces , comme toutes les notes et explications accessoires ,
seront rédigées en latin, dans la langue commune du monde savant.
Malgré l'exemple donné par Muratori au dernier siècle, et de nos
jours par M. Bœckh, nous n'admettrons pas, dans la rédaction, les
digressions historiques et philologiques. Le nombre immense des
inscriptions latines exclut de notre projet toute pensée d'un long
commentaire, et rend aussi le commentaire moins utile, parce que
beaucoup d'inscriptions s'éclairent l'une l'autre par le simple effet du
rapprochement. D'ailleurs, la science de l'épigraphie latine est plus
avancée aujourd'hui que celle de l'épigraphie grecque ne l'était , il y
a vingt ans, avant les publications de M. Bœckh. Elle compte beau-
coup de maîtres et beaucoup de chefs-d'œuvre auxquels on renverra
le lecteur curieux de plus amples développements.
San3 rien donner au luxe, l'exécution typographique doit être digne
de la grandeur de l'entreprise comme de l'autorité nationale et savante
qui la protège. Les dispositions relatives à cette partie des travaux
RAPPORT DE M. EGGER SUR LES INSCRIPT. LATINES. 111
dans le programme que nous allons vous lire se justifient assez delles-
mômes. Une seule exige peut-ôtre quelques explications. Beaucoup
d'anciens recueils présentent, quand il se peut, le fac-rsimile des ca-
ractères de l'inscription , encadré dans un dessin du monument où
elle est gravée. D'autres ne conservent pas même l'ordre des lignes
du monument original, et se contentent d'en indiquer la division par
un signe particulier. En cherchant un milieu entre une fidélité plus
dispendieuse qu'utile et les calculs d'une économie mesquine, qui
prive quelquefois le lecteur d'un élément nécessaire à la restitution
et à l'interprétation des textes épigraphiques , on a eu l'idée de faire
graver les principaux types de mormments qui offrent des inscriptions
latines, et d'en former comme un répertoire oii l'on renverra le lec-
teur par des numéros joints à toutes les inscriptions pour lesquelles
ce renvoi sera possible. Grâce à ce procédé déjà appliqué dans les
recueils de céramographie, on n'aura plus à décrire en détail que les
monuments d'une forme exceptionnelle. Pour tous les autres, le
dessin dira mieux et plus vite ce que les lecteurs ont besoin d'ap-
prendre ; la philologie restera au premier rang dans un recueil essen-
tiellement philologique, sans se priver pour cela des lumières que
doit lui prêter l'archéologie.
Telles seraient donc. Messieurs, les conditions et le plan du recueil
projeté. L'immensité d'une pareille œuvre pourrait effrayer, si nous
n'avions pour l'entreprendre d'autres ressources que les musées et les
collections comme celles de Gruter et de Muratori. Mais, hâtons-nous
de le dire , nos bibliothèques nous réservent encore des matériaux
plus immédiatement utiles. Vous le saviez, Monsieur le Ministre,
le jour où vous nous exposiez ici la première pensée de votre projet;
un savant qui s'est distingué par de belles recherches dans les sciences
naturelles, Jean-François Séguier, avait conçu, avec son illustre
ami Scipion Maffeï , le projet de recueillir en un seul corps toutes
les inscriptions grecques et latines. Détourné de ce projet par divers
obstacles, et entre autres par la publication du recueil de Muratori ,
il s'imposa une autre tâche plus utile , sans doute , si l'on songe à
l'état de la science épigraphique au commencement du XVIII" siècle,
il entreprit de rédiger le catalogue alphabétique, par lignes initiales,
des inscriptions anciennes publiées dans les ouvrages de tout genre
depuis l'invention de l'imprimerie, et durant vingt-cinq ans il pour-
suivit son travail avec cette exactitude et ce courage qui sont bien
près du génie dans les choses d'érudition. Ce dépouillement d'envi-
ron deux mille ouvrages fait monter à plus de cinquante mille le
112 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
nombre des inscriptions latines connues vers 1775. Il est précédé de
longs prolégomènes oii Séguier analyse et juge tous les auteurs qui,
jusqu'en 1 770 , ont traité de l'épigraphie. Si on joint à ces deux ou-
vrages ce qui reste aujourd'hui de la collection qu'il avait jadis com-
mencée , on verra que Séguier a vraiment posé les bases du monu-
ment que nous tentons d'élever aujourd'hui. Conçu et préparé par
un Français, ce grand projet devait s'accomplir en France, et sans
renoncer au concours des philologues étrangers, à l'avantage de cette
précieuse fraternité qui unit maintenant toute l'Europe savante, vous
vous souviendrez, Messieurs, qu'il vous appartenait, avant tous, de
publier le Recueil général des inscriptions latines. Vous ne négligerez
pas de recueillir les matériaux que de savants hommes ont pu amas-
ser, hors de France , en vue de semblables études. Mais en réali-
sant la pensée de Séguier, sur des proportions encore agrandies, avec
les précieux instruments qu'il vous a légués , vous revendiquerez une
gloire méritée pour un des noms les plus modestes de la philologie
française.
Nous avons parlé, Messieurs, de l'état des études épigraphiques au
temps de Séguier, et nous avons laissé voir que la publication du Re-
cueil projeté est plus opportune aujourd'hui qu'elle ne l'eût été au
milieu du XVIIP siècle. En effet, le nom seul de Scipion Maffeï vous
rappelle ces abus d'un scepticisme ingénieux qui, sur les plus légers
indices, sur les soupçons les plus arbitraires, proscrivait comme sup-
posées une foule d'inscriptions parfaitement authentiques. En publiant,
en 1 732, le prospectus d'une Collection universelle d'épigraphiegrecque
et latine, l'Académie de Vérone, par l'organe de Maffeï, invitait ses
souscripteurs à ne pas trop craindre l'énormité de l'entreprise ; elle
annonçait qu'une critique nouvelle débarrasserait les rédacteurs de
bien des matériaux suspects, et rendrait ainsi leur tâche plus
réalisable. Cette critique, c'était l'Jr^ cridca lapidaria, qui ne fut
jamais achevée, et qui parut après la mort de Maffeï par les soins
de Séguier. Le temps a fait justice de ces exagérations systématiques,
et rétabli à leur place bien des textes imprudemment supprimés. Les
recherches faites depuis 1775 nous ont encore enrichis d'une foule
d'inscriptions curieuses , parmi lesquelles il suffit de rappeler le
chant des Arvales, l'édit de Dioclétien, que M. Lebas vient de com-
pléter par une traduction grecque retrouvée dans le Péloponèse , et
les inscriptions découvertes en Algérie. Aussi nous n'espérons plus,
comme l'espérait , il y a cent ans , l'Académie de Vérone , renfermer
en cinq ou six volumes toutes les inscriptions païennes et chrétiennes
RAPPORT DE 31. EGGER SUR LES INSCRIPTIONS LATINES. 113
cparses dans le monde ancien. Mais en revanche la critique a fait
depuis cette époque des progrès qui favorisent de plus en plus l'ac-
complissement de l'œuvre confiée à vos soins. Des procédés nouveaux
permettent de reproduire avec une fidélité rigoureuse les inscriptions
des monuments conservés jusqu'à nous, et facilitent beaucoup, pour
l'épuration des textes, la tâche des futurs éditeurs. Les excellents
travaux de Hagenbuch, de Marini et de Morcelli nous viendront en
aide. Les exemples et les leçons toujours vivantes de notre Académie
des Inscriptions et Belles- lettres sont pour nos plus jeunes collabo-
rateurs un encouragement et une garantie de bon succès. Conduit
avec une sage et forte persévérance , ce Recueil , qu'il nous soit per-
mis de l'espérer, secondera bientôt à son tour les progrès ultérieurs
de la science épigraphique , si féconde en beaux résultats pour l'his-
toire ancieniP3 de la France et de tout l'Occident.
I.
SUÇ L ORIGINE DU NOM D HORACE
(1).
Le père d'Horace était un affranchi ; il avait par conséquent, suivant
l'usage des Romains, conservé, dans son nouvel état, le nom (je
parle dans le sens le plus restreint du mot) qu'il portait avant son
affranchissement. Or, comme les affranchis gardaient, d'ordinaire,
le nom de leur ancien maître (par exemple M. Tullius Tiron, affran-
chi de M. Tullius Cicéron), on pourrait en conclure qu'il avait reçu
son nom, avec la liberté, d'un Horatius, si l'extinction de cette noble
famille ne datait déjà des premiers siècles de la république (V. Ra-^
perd stemmatanob.gent, Rom.,^. 92). Il faut donc chercher à ce
nom une autre origine.
Deux inscriptions dans Gruter, 115,5 (Celeiœ) :
TI. CLAVDIVS
MVMCIPII CELEIAE
LIB. FAVOR. PRO. SE. ET
IVLIA PVSILLA
VOTYM SOLVIT
et 601, 6 (Celeiœ) :
TI. CLAVDIVS
MVNICIPII GELEIANI
LIB. FAVOR. V. F. SIBI
ET IVLIiE PVSILLiE
CON. SViE ET SVIS. ,
nous montrent qu'un affranchi du municipe de Céleia portait le nom
de Claudius. Or, Céleia dépendait de la tribu Claudia, comme le dé-
montrent les inscriptions suivantes (dont je ne cite que les mots qui
ont rapport à mon sujet) :
M. PETRONIVS
C. F. CLA. CELE. ( Bretzenheim , prèsMayence, Grut. 550,7,
Fuchs , Hist, Mogunt. I. Cl. 4. n. 22. Orelli , 501.)
M. SATVRNVS
M. F. CLA.
MAXIMVS
CELEIA (Rome, GruL 560, 4) *
C. VALERIO. C. F.
CLA. CVPITO
CELEIE (Rome, Grut. 565, 1) (2).
(I) Cet arliclc nous a été communiqué par M. Egger.
{•2) L'inscription 524,5 de Gruter, d'après laquelle un habitant de Céleia appar-
SUR l'origine du nom d'horace. 115
Ainsi, suivant toute probabilité, souvent les affranchis d'une
colonie ou d'un municipe recevaient le nom de la tribu à laquelle
cette colonie ou ce municipe appartenait. Si cela est vrai, le nom de
Poblicius venait de Vérone, ville dépendante de la tribu Poblicia ;
telle serait aussi l'origine du nom d'Horace le père, sans doute af-
franchi de la colonie de Vénuse, car celle-ci dépendait de la tribu
Horatia. Les inscriptions suivantes confirment encore notre opinion :
.... s. M. [F.] HOR. BASSVS. YEN. (Rome, Mur. 2039.)
G. EGNATIO.
C. F. HOR. MARO. (Près Vénuse, Orelli, 2217.)
C. ENNIO. P. F. HOR. BASSO. ^ y •„„„_ ç.„^... ...a
P. ENNIO. P. F. HOR.MAXIMO. i ^'enuse, Orelli, olo6.
C. OPTIO. T. F.
HORATIO [leg. Horatia. Reines.] Vénuse , Grut. 655 , G.
Cependant tous les affranchis d'une colonie ou d'un municipe ne
tiraient pas leur nom de la tribu; quelques-uns portaient celui de la
ville même. Ainsi on trouve dans une inscription (MeçanioBy Mur,
1548, 11) :
P. MEVANAS
MVNICIPIVM. I. (Leg. KMnicipn. m. LautiJfMmcipwmZ.)Faustus.
C'est d'après la même analogie que sont formés les noms Sassinas
et Senùnas employés, ainsi que Mevanas comme nomina. On trouve
encore les noms Àquileiensis, Veliternius et Veronius, qui n'ont cer-
tainement pas d'autre origine.
D'autres affranchis tiraient leur nom de leur ancien état. C'est-à-
dire, par exemple, que ceux qui avaient été esclaves publics {serçi
puhlici) portaient le nom de Publicius (non Poblicius), Ainsi :
L. PVBLICIVS EVTYCHES.
MVN. TAR. LIB. (Jamsii. Grut. 83,13.)
et
c. PVBLICIVS
VIRVNENSIVM
LIB. ASIATIGVS {in Carinthia , Mur. 2062,2.)
Ces deux villes , le municipe de Tarvisium comme la colonie de
Virunum, dépendaient de la tribu Claudia. On ne peut donc penser
tiendrait à la tribu Sub[urrana] est fausse et probablement fabriquée par Onu-
phrio Panviiii, qui du moins la cite le premier [in Grœv. Thés. Anl. Rom. 1,
p. 361. Édit. de Venise).
Dans l'inscription de Muratori , 814,2, où il est question d'un L. Pompilius, L. F.
Vol. Celei, il faudrait lire Celer.
116 SUR L*ORIGINE DU NOM D'HORACE.
à dériver le nom de Pablicius de la tribu Poblicia ou PohliUay formes
qui auraient été confondues. Nous citerons seulement pour preuves
quelques inscriptions :
C. TITENIVS. G. F. CL. SEGVNDYS TARVIS. (Rome, Mur. 2041.)
M. CALVICIVS. M. F. CL. FORTVNATVS. TARV. (Rome , Mur. ibid.)
P. CASSIVS. Q. [F.]
CLA.
LONGINVS (TarvisiiGrut.G7,4.)
TIB. IVLIVS. TIB. F. CL.
RYFINVS. YIR. ( Moguntiacu Fuchs Hist. Mog. l. CL 3. n. 3. Wiener
de Leg. Rom. xxii, p. 119. n. 4a.)
P. AELL P. L. [Leg.P.jP.SmeL] CLA.
FVSCL YIRVNO. (Romœ Grut. 516,9).
C. L. Grotefend, ddiîis la Zeitschrift fiir die Alterthumswissenschaf t.
1834, n. 22.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
LETTRE
ADRESSÉE PAR M. LE MINISTRE DE l'iNSTRCCTION PUBLIQUE
AU DIRECTEUR DE LA ReVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Paris, ce 2 mai 1844.
Monsieur ,
J'ai l'honneur de vous annoncer que, par arrêté en date de ce jour,
je viens de souscrire au Recueil que vous publiez sous le titre de
Reçue Archéologique.
Je suis heureux d'avoir pu , par cet encouragement , vous prouver
le cas particulier que je fais d'un ouvrage dont l'objet intéresse
l'étude des monuments de l'Antiquité et ceux du Moyen Age.
Recevez , Monsieur , etc.
— Le hasard vient de faire découvrir un monument druidique sur
la propriété du Rocher, en la commune de Plougoumelen. Il se com-
pose d'une galerie conduisant à une espèce de sanctuaire à peu près
pareil à celui de Gavrennez. La galerie est formée par d'énormes
pierres enfoncées dans la terre , et supportant une voûte en pierres
également brutes. Des vases et des instruments de sacrifice sont, à
ce qu'il paraît, les seuls objets qu'on y ait trouvés.
— D'après l'opinion du vulgaire, il existe des trésors cachés
au pied ou sous les fondements de tous les monuments antiques.
Ce préjugé vient de causer la perte d'un des plus beaux menhirs ,
celui érigé à Culey (Calvados), dans un vallon tout à fait solitaire et
pittoresque. Une mine et quelques grains de poudre ont bientôt fait
voler en éclats le monolithe que tant de siècles avaient respecté : il
n'existe plus maintenant que dans la statistique de feu M. Galeron.
Peut-être la Société pour la Conservation des Monuments jugera-t-elle
à propos de faire pratiquer à son tour quelques fouilles sous les frag-
ments de cette pierre druidique , non pour y chercher un trésor,
mais pour vérifier un fait authentique, l'opinion de la plupart des
antiquaires, qui pensent que ces menhirs ne sont que des pierres tu-
mulaires dressées sur la tombe de quelques grands personnages.
( L'abbé Vautier , curé d'Harcourt. — Bulletin Monumental)
118 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
— Il existe à Vienne un temple attribué à Auguste et Livie qui ,
s'il était dans un aussi bel état de conservation que la Maison Carrée
de Nîmes, pourrait lutter d'intérêt avec ce célèbre monument. Mal-
heureusement le temple de Vienne a subi les plus déplorables ou-
trages : la cella a été détruite, un mur a été construit entre les
colonnes, et on en a haché les parties saillantes qui ressortaient du
mur. Ce monument, d'abord affecté au culte, a été ensuite converti
en Musée et Bibliothèque , et on y a entassé des objets précieux
trouvés à Vienne et dans les environs ; mais l'espace est trop rétréci ,
et plusieurs fragments du plus haut intérêt sortent en dehors exposés
à toutes les intempéries des saisons. La Commission des Monuments
Historiques a été frappée de cet état de choses, et elle a demandé à
M. le ministre de l'intérieur de donner à M. Questel la mission de
préparer un projet destiné à y remédier. Ce projet consiste à transpor-
ter dans l'ancienne église de Saint-Pierre le Musée de Vienne, et à
restaurer le temple, qui serait rétabli dans son état primitif. L'église de
Saint-Pierre est elle-même un monument du moyen âge fort remar-
quable ; elle appartient à la fabrique de Saint-Maurice , et est louée à
un fabricant qui y a établi une usine. Une somme de 60,000 fr. serait
nécessaire pour le restaurer et l'approprier à la destination d'un mu-
sée; des négociations sont entamées avec la ville pour qu'elle prenne
à sa charge une part considérable de cette dépense, et pour que la
fabrique de l'église de Saint-Maurice, pour la conservation de laquelle
l'État a fait et fait encore de grands sacrifices , renonce au revenu du
loyer de l'église de Saint-Pierre. En outre, M. le ministre a accordé une
somme suffisante pour le dégagement de deux travées du temple
d'Auguste et de Livie. Il importe, en effet, de découvrir dans quel
état sont les colonnes à l'intérieur du mur moderne, et si après leur
isolement elles seraient susceptibles encore de supporter l'entable-
ment. Déjà une somme de 16,000 fr. avait été affectée à l'acquisition
des maisons environnantes pour le dégagement de l'édifice ; la ville
f^vait alloué une somme égale à cette utile opération.
— (c De nouvelles fouilles viennent d'être faites dans l'amphithéâtre
de Nîmes , et ont amené des découvertes intéressantes. On n'avait pas
pensé jusqu'alors que ce monument fût disposé pour les naumachies,
à cause de la position du sol antique que l'on croyait de 4"50 plus étroit
qu'il ne l'est effectivement. En 1809 on avait, il est vrai, découvert le
podium composé des quatre gradins inférieurs, les grandes dalles ver-
ticales formant le revêtement de l'enceinte intérieure, et enfin le
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 110
sol (Jq l'cîrènQ établi à 2*36 en contre-bas du sol extérieur; on avait
encore reconnu, sous l'entrée principale du Nord, un aqueduc sem-
blable, par son appareil et ses dimensions , à celui du pont du Gard;
sa direction ne laissait aucun doute sur sa destination, qui était
d'introduire dans l'amphithéâtre les eaux de la fontaine d'Eure, ou
peut-être celles de la fontaine de Nîmes, et un autre aqueduc à tra-
vers le sixième portique è l'Est de la porte du Sud, qui devait, au
couchant, servir à enlever les eaux du monument, puisque sa pente
rapide conduit à des égouts en dehors des remparts. On avait remar-
qué également que les dalles du revêtement intérieur de l'arène abou-
tissaient à un dosseret vertical séparé du mur par un espace de
19 centimètres rempli de terre glaise. Cependant ces découvertes
importantes , constatées par M. Grangent , architecte , passèrent
inaperçues, mais les conjectures qu'il avait dès lors exprimées viennent
d'être pleinement confirmées par les nouvelles fouilles exécutées sous
la direction de M. Pelet, correspondant du ministère de l'intérieur
pour les monuments historiques, et nous extrayons les détails sui-
vants de son rapport : « Sous chacun des axes de l'arène on a mis à
découvert un canal entièrement creusé dans le tuf, d'une profondeur
de 5"^20 ; ses murs de revêtement, épais de 60 à 70 centimètres et en
moellons smillés, sont détruits dans la partie supérieure, mais ils
sont conservés à 1"^80 au-dessus de leur fondation. Le canal du
grand axe a 7 mètres de largeur dans sa partie la plus rapprochée du
centre de l'ellipse, mais à 12 mètres de ce point, et des deux côtés,
il s'élargit de 1 mètre par une courbe vers les murs latéraux; trois
mètres après cet élargissement les constructions ont été trouvées
mutilées.
(( Le canal creusé sur le petit axe a 1 mètre de moins que le pre-
mier ; ses murs n'ont pas de retraits à leur base , et ne présentent
qu'un évasement dans une longueur de 10 mètres, après lequel ils
avaient été détruits.
ce II est probable que ces canaux s'élevaient dans le principe jus-
qu'à la hauteur du sol actuel, et qu'ils étaient terminés comme à Ca-
poue, Duzzale, Rome et Vérone par de grandes pierres portant une
rainure dans laquelle s'encastraient des bois destinés à recouvrir ces
canaux lorsque des combats de gladiateurs ou de bêtes féroces de-
vaient remplacer les spectacles nautiques; dans ce cas, on ouvrait les
vannes du canal par lequel l'arène était mise à sec, et comme le
radier d'écoulement était situé à 3 mètres au-dessous de l'arène et à
120 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
2 mètres au-dessus du sol des grands canaux , il restait toujours dans
ces derniers une pareille quantité d'eau après que l'arène était entiè-
rement desséchée. On peut supposer que cette disposition avait été
prise pour remiser les barques et les divers agrès de naumachie dont
on n'avait pas momentanément à se servir, mais pour la conservation
desquels l'eau était indispensable. Dernièrement , en cherchant à ré-
tablir les marches par lesquelles on descendait de la galerie extérieure
du rez-de-chaussée au sol incliné des grandes entrées, on a découvert
à la communication Sud-Ouest que la quatrième marche atteignant
ce sol n'était pas la dernière, puisqu'au -dessous d'elle il s'en trouvait
encore quatre autres de 19 centimètres de hauteur sur 30 centimètres
de largeur taillées dans un seul bloc de pierre; mais ces dernières
marches, au lieu de suivre la direction de celles qui étaient au-dessus,
se retournaient à angle droit, afin de ne pas empiéter sur l'espace
qu'on voulait conserver aussi large que possible sous les portiques de
l'Est et de l'Ouest, et, à cet effet, ces quatre marches monolithes
n'avaient que 48 centimètres de longueur au lieu de 2 mètres qu'ont
les plus élevées.
c( Enfin , au-dessous de la quatrième marche , on a trouvé le sol
antique pavé de grandes dalles dont la majeure partie est en place.
Son inclinaison est telle qu'au point le plus élevé, à 2 mètres de la
galerie extérieure , il est encore à 80 centimètres en contre-bas de
son sol ; ce qui fait supposer qu'à ce point il devait y avoir encore
quatre marches , dont une seule a été trouvée détachée. Il s'ensuit
que, quand l'arène était inondée, il y avait 1 mètre d'eau sous les
portiques de l'Est et de l'Ouest, et comme chacun a environ 100 mètres
de surface , on pouvait y faire les préparatifs des naumachies derrière
un rideau qui en cachait la vue aux spectateurs; les marches qui
viennent d'être retrouvées servaient d'embarcadère, et comme elles
étaient souvent submergées , l'architecte les avait sagement fait
tailler dans un seul bloc. M. le ministre de l'intérieur vient d'accorder
une somme de 1 000 fr. sur le crédit des monuments historiques pour
la continuation de ces fouilles intéressantes , et les réparations qu'elles
nécessitent au monument. »
— On a fait à Saverne la découverte d'une villa romaine assez
grande; et, ce qui est plus curieux, de quelques tombeaux de forme
étrange, avec des inscriptions en caractères inconnus, qui passent,
aux yeux de quelques archéologues , pour des runes mêlées à des
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
121
lettres romaines ; elles sont gravées sur des pierres énormes taillées
à peu près de cette forme :
O H ASv
A-)vj'a-Y<;
|— f r
CAAS'BAQ
R"ri iRVîM.".
— Une tranchée, pratiquée pour
l'établissement du chemin de fer
en aval de la ville de Tarascon , a
mis à découvert les restes d'une
COllNELIVvS'-VoL
PLANTA- ^IBI-ET
voie romaine, et sur les bords de|]A CQRNELIOISlETOF
la voie une pierre tumulaire d'un' -^^
grain très-fin et jaunâtre. Sur la| TE ^TAMENTO
pierre se trouve gravée l'inscription i
suivante: ITIERI'^^ ïSfSSlT
— On lit dans l'Indicateur de Béziers :
En creusant les fondements d'un mur, dans la maison Gasc, rue
du Porche, à Béziers, on vient de faire une découverte tout à fait
digne d'exciter l'intérêt des archéologues.
A un mètre environ de profondeur , on a trouvé de grandes briques
romaines à rebords prolongés. Ces briques étaient placées debout et
en dos d'âne ; elles servaient à recouvrir des ossements. Un ou deux
fragments de pavés en marbre ont été également trouvés à peu de
distance des briques; non loin des ossements était un fragment d'avant-
bras d'un beau marbre statuaire, veiné de bleu, d'un style correct.
Après examen , on a reconnu l'avant-bras gauche d'une statue co-
lossale.
}2^3 REVUE AKCHÉOLOGIQUE.
Cette découverte excita la curiosité du propriétaire , on bêcha la
terre avec plus de soin. Dans un fort court espace de temps, un nou-
veau débris fut dégagé de la terre qui le recouvrait. C'était la tête
d'une statue de femme dont la face était tournée contre la terre. Cette
tête est en beau marbre parfaitement conservé. Le port de la tête et
du cou est des plus gracieux, la sculpture en est parfaite, le dessin
correct. La coiffure est d'un style élégant. Les cheveux tressés en
natte forment coquille sur le sommet du crAne , et la tresse va se
terminer en chignon sur le derrière de la tête. Les cheveux, tou-
jours en natte , sont aplatis sur les terupes , mais ne dépassent pas
les oreilles.
De nouvelles fouilles furent pratiquées , et elles amenèrent la dé-
couverte encore d'une autre tête représentant les traits d'un adulte.
La finesse et la beauté du visage, la régularité de l'ensemble, les
particularités des détails, tout annonce que c'est évidemment un por-
trait. Le marbre est d'une transparence et d'une blancheur extraor-
dinaire, et le grain de la pierre est d'une ténuité extrême.
En continuant les travaux en ce même endroit, les ouvriers ont
encore retiré de la terre un autre fragment, également en marbre ,
d'une main droite appartenant à une statue colossale.
Une nouvelle fouille fut pratiquée, et une troisième tête fut encore
découverte.
Les fouilles vont encore recommencer, et il est vraisemblable que
la science et l'art auront encore de nouveaux fragments à étudier et
à admirer.
— On trouve dans l'un des derniers numéros de la Reme de Bibliogra-
phie analytique une lettre de M. le capitaine Azema de Montgravier,
adressée à M. Hase, où sont rapportées huit inscriptions, dont trois
découvertes à Tenez et cinq à Orléansville. L'épitaplie de l'évêque
Reparatus fait partie de ces dernières. Parmi celles de Tenez, nous
en distinguons une qui est de la plus haute importance, parce
qu'elle établit que Tenez est l'ancienne Cartenna colonia, et que les
Baquates (Bazouarat) mentionnés par Ptolémée, occupaient l'in-
térieur de la province d'Oran ; d'ailleurs elle est destinée à perpé-
tuer la mémoire d'un fait historique. La voici :
C. FVLCINIO MFQVIR
OPT ATO. . .L AMAVGI lYiR
QQPONTIFIIVIRAVGVR
AEDQV...ST0R1QVI
INRVP....NEBAQVA
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
TIVM NIAMTVI
TVSEST IMONIO
DECRETI ORDINISET
POPVLIC.RTENNITANI
ETI^^COLA. PRIMO |PSI
NECANTE VILLI
AERE CONLATO
123
Caio Fiilcinio Optato Marci filio , Quirina , flamini Angusii, daum-
viro quinquiemaU , pontifici , duumçiro augiirali, œdili, quœstori, qui
inrupdone Baquatiiim coloniam luitus est ; teslimonio decreti ordinis et
populi cartennitani el, incolarum ; primo ipsi nec ante uUi , œre
conlato,
— Le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque royale vient de
faire une acquisition précieuse. C'est un magnifique cercle d'or gau-
lois trouvé en mai 1843, sur le territoire de Saint-Leu d'Esse-
rens , canton de Creil.
Nous donnons ici (A et C) le dessin de ce cercle dont les archéolo-
124 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
gues n'ont pu encore déterminer la destination ; les uns pensent qu'il
a pu être employé comme ceinture , d'autres aiment mieux y voir
une anse de vase.
Nous y-joignons la figure d'un Torques ou collier gaulois (B et D)
aussi d'or et pesant 284 grammes, qui vient d'être découvert à Saint-
Géran , près Moulins , avec cinquante monnaies d'or gauloises ,
de celles connues sous le nom de Philippes parce qu'elles sont des
copies plus ou moins barbares des monnaies du roi Philippe de Ma-
cédoine. Les deux boutons qui terminent les extrémités de ce
torques sont creusés et paraissent avoir été ornés de pierres ou de
monnaies serties.
Deux médailles d'argent (E et F) dont l'une, qui porte la légende Se-
NODON, paraît à quelques numismatistes frappée chez les Sénonais (l),
tandis que l'autre pourrait avoir été fabriquée sur les bords du Da-
nube, nous montrent des torques tout semblables à celui de Saint-
Géran. Cet ornement est placé au cou du buste gaulois de manière
que les deux boutons qui le terminent sont au-dessus des clavicules ;
le revers de la monnaie germanique ou pannonienne présente une
figure virile drapée qui tient le collier à la main. La statue célèbre
du Capitole, connue sous le nom de Gladiateur mourant , porte au
cou un torques pareil à ceux de nos médailles ; cet ornement na-
tional est un des caractères auxquels on n'a pu méconnaître le gau-
lois, que représente très-certainement cet admirable morceau de
sculpture.
— On lit dans la Bibliothèque de T École des Chartes :
M. de Grouchy, sous-préfet de l'arrondissement de Montargis,
vient de découvrir à Sceaux, village du département du Loiret, quel-
ques tombeaux gallo-romains. Sceaux est traversé par une ancienne
voie connue dans le pays sous le nom de Chemin de César, qui con-
duisait d'Agendicum (Sens) à Genabum (Orléans). Le cimetière an-
tique qu'on vient d'y découvrir, et qui est loin encore d'avoir été
entièrement exploré, mérite de fixer l'attention; des fouilles prati-
quées dans ce lieu avec intelligence ne peuvent manquer de produire
des résultats intéressants, si l'on en juge par ceux qui ont déjà
été obtenus. Les tombeaux que M. de Grouchy a fait ouvrir sont
construits avec une pierre étrangère au pays; ils renfermaient des
(1) V. Hevue Numismatique, 18i0, p. 165 et 178, les Mémoires de MM. Du-
halais et de La Saussaye.
»
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 125
cadavres , près desquels on a trouvé des fibules , des boucles de cein-
turon, de petits poignards et quelques médailles dont la plus mo-
derne est à l'effigie de Crispus, fils de Constantin. Ces médailles
étaient connues, à l'exception d'une variété inédite, frappée au
nom deValérien, et au revers de Victoria germanica ; elle a
été donnée par M. de Grouchy au Cabinet du Roi , ainsi que les
autres objets découverts , qui , sous le rapport du dessin et du tra-
vail, offrent certaines particularités dignes de remarque. M. de
Grouchy regarde ces sépultures comme étant du IV^ ou du V°
siècle, et il y reconnaît les caractères de ceux qu'on attribue
généralement aux conquérants de la Gaule. Depuis quelque temps,
les découvertes analogues sont fréquentes par toute la France.
L'Orléanais peut, pour sa part, citer encore quatre cimetières du
même genre: ceux de Tavers, de Gravant et deRilli, canton de
Beaugency , non loin desquels se trouve celui de Briou , canton de
Marchenoir (Loir-et-Cher). La multiplicité de ces tombeaux nous
engagerait à croire qu'ils appartiennent plutôt aux Francs qu'à tout
autre peuple , ainsi que l'a dit M. Moutier, à propos d'une décou-
verte semblable faite près de Rambouillet, il y a quelques années.
Dans tous les cas , comme le cimetière antique de Tavers est contigu
au cimetière de la paroisse, et que dans celui de Briou on a trouvé
une croix sculptée sur une des tombes, il est certain que la plupart
des personnes inhumées là professaient la religion chrétienne. Un
antiquaire suisse, M. Troyon, qui a signalé dans les environs de
Lausanne une multitude de sépultures semblables , y a observé des
boucles de ceinturon sur lesquelles on avait gravé le prophète
Daniel dans la fosse aux lions ; ce sujet , si fréquemment reproduit
dans les premiers siècles du christianisme , était accompagné quel-
quefois de la légende daninil , et de la formule vtere felix ,
formule qu'on trouva aussi sur divers objets à Rambouillet, ainsi qua
Asnières, lorsque, au siècle dernier, de semblables tombeaux y furent
mis à découvert. Les mots vtere felix se rencontrent souvent
sur des ustensiles du Bas-Empire. La date assignée aux tombeaux
de cette nature est donc à peu près certaine \ il est constant d'ailleurs
que l'inhumation ne fut substituée à l'incinération que postérieure-
ment au IP siècle de notre ère.
— Depuis un mois environ (1 5 février) la ville d'Arles fait fouiller,
dans un esprit de recherches et de conservation, les terrains qui
entourent les bâtiments de l'église de Saint-Honorat, située dans
126
REVUE ARCHEOLOGIQUE.
l'ancien cimetière des Champs-Elysées. Le nombre des tombeaux en
pierre qui ont été découverts s'élève déjà à 229. Tous les sarcophages
ne peuvent malheureusement pas être conservés. Les uns, formés
d'une cuve monolithe et d'un couvercle également d'une seule pièce,
sont d'une conservation assurée; les autres, composés de petites
dalles assemblées, s'entr'ouvrent en perdant leur îbrme dès qu'on
enlève les terres qui les soutenaient par leur pression latérale. Ceux-
ci ne remontent pas au delà des XV^ et XVP siècles, derniers
temps du cimetière , oii l'ensevelissement des corps ne se faisait plus
que dans des tombes construites à la hâte.
Pas un de ces tombeaux n'est en marbre; tous ont été faits avec
des pierres extraites des carrières du Castellet et de Fontvielle, dont
la richesse fournit à la construction de l'amphithéâtre, du théâtre et
des autres monuments romains d'Arles, et qui, de nos jours, fournit
encore à toutes les constructions de notre colonie d'Afrique. Tous ces
tombeaux sont chrétiens; ils sont sans inscription, et ne présentent,
pour tout ornement, que des croix grossièrement sculptées, tantôt
sur le couvercle, tantôt sur les faces latérales de la cuve.
Une seule pierre funéraire en
marbre a été trouvée mêlée à ces
tombeaux; elle porte l'inscription
ci-contre, dont on a essayé de re-
produire, avec le plus d'exactitude
possible, la forme des lettres et
l'inégalité de leur assemblage *. on
pense que cette inscription n'a point
été exécutée avec le ciseau ; le mar-
bre paraît égratigné plutôt que creu-
sé. Il semble que l'ouvrier dut em-
ployer la pointe d'un clou ou de tout
autre instrument aigu.
L'intérêt que présente cette in-
scription est tout à fait local , et il
tient au nom du consul Aviénus qui,
en l'année 450 , avait pris la polirpre
à Arles.
Nous aurons soin de faire part
à nos lecteurs des résultats que
pourront produire les fouilles des
Champs-Elysées, cette nécropole dont
B ÎVUS
M. EAIORI
A E EVt^TA
VIXITAN
XXXVIO&
côSs
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 127
l'opulence et la sainteté obtinrent une réputation universelle pen-
dant le moyen âge.
— Les dernières fouilles (24 février) qu'a fait exécuter la ville
d'Arles dans les Champs-Elysées viennent de produire de nouveaux
tombeaux en pierre et un sarcophage en marbre. Cette dernière dé-
couverte nous paraît assez importante pour entrer, à ce sujet, dans
quelques détails qui ne seront peut-être point sans intérêt pour nos
lecteurs.
Le tombeau est orné de bas-reliefs sur trois de ses faces, les deux
faces latérales et celle de devant ; sur la face latérale gauche est un
personnage debout, entre deUx autres également dans la même position.
Il impose ses mains sur une corbeille tenue par chacun des acolytes.
C'est évidemment la représentation du miracle de la multiplication des
pains, La face latérale de droite, gravement mutilée, n'a conservé
qu'une partie du sujet qu'elle représentait. On y voit une personne
assise, tenant un volume à la main; une autre personne est debout;
mais ce dernier personnage na conservé que la moitié inférieure
du corps. La pose du personnage assis, la disposition des jambes sur-
tout sont d'une vérité frappante. Quoique les lignes n'en soient pas
très-pures j il y a, dans ce dessin, un naturel qui saisit.
Le bas-relief de devant est composé de quatre compartiments : le
premier, en partant de gauche, représente un homme dont la nudité
est presque complète; il ne porte qu'un léger manteau rejeté sur le
dos et fixé sur la poitrine par une agrafe de forme ronde ; à partir
de ce point tout le corps est nu ; les parties sexuelles sont dans une
complète évidence* Ce personnage tient par la bride le cheval sur
lequel il était monté. Le même sujet se retrouve , trait pour trait ,
dans le quatrième compartiment. Dans le deuxième, on voit un
homttjé jeune, sans barbe, placé vis-à-vis d'une jeune femme à laquelle
il semble parler. Le costume de ces deux figures est romain. Le
troisième compartiment est occupé par un homme jeune encore , mais
portant une barbe épaisse quoique peu longue. Il est placé vis-à-vis
dune femme en tout semblable à celle du précédent tableau. Ces
deux personnes se tiennent par la main ; entre elles est un autel; de
la main gauche l'homme tient un volume ou rouleau de parchemin.
Dans les espaces, ménagés au-dessus du chapiteau des colonnes, se
montre une figure à mi-corps, qui est partout la même. D'une
main, elle semble bénir; de l'autre, elle tient un rouleau sem-
blable à celui du troisième compartiment. Aux deux extrémités du
128 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
même plan supérieur sont des colonnes réunies autour d'un vase qui
renferme des grains. La figure représentée à mi-corps paraît être
celle de Jésus Christ, bénissant d'une main , et tenant le saint Evan-
gile de l'autre.
L'homme et la femme qui se tiennent par la main dans le troisième
compartiment représentent une scène de mariage. Les voyageurs
qu'on voit aux deux extrémités sont les paranymphes , ou des convives
qui arrivent pour assister à la noce. Le sujet du second compartiment
semble être celui de la demande en mariage. La femme est la même
dans les deux tableaux ; mais l'homme , imberbe dans le second ,
porte la barbe dans le troisième. Si c'est le même personnage , il
faudrait croire qu'un assez long temps se serait écoulé entre la demande
et le mariage.
Le dessin de ce tombeau a un caractère supérieur à celui de beau-
coup de tombeaux chrétiens que possède le musée de la ville d'Arles.
Il est grave et nettement expressif. Le trépan n'y est employé qu'avec
sobriété. Quoique d'une époque de décadence, on y découvre de
fréquentes réminiscences de l'art antique,
— L'origine de l'usage des cloches n'a pu être déterminée positi-
vement par aucun auteur; les uns prétendent que les païens leur
avaient déjà donné la préférence, pour donner le signal des réunions,
aux trompettes et autres instruments de bois ou de fer auxquels on
avait recours. Voici un passage qui fixerait déjà leur usage vers le
VP et VIP siècle du christianisme. Le moine de Saint-Gai, auteur
du VHP siècle, raconte le fait suivant : (c Un ouvrier avait fondu une
cloche dont le son plaisait beaucoup à Charlemagne. Cet homme dit
qu'il en ferait une dont le son serait plus agréable encore si on lui
donnait cent livres d'argent au lieu d'étain ; ayant reçu ce qu'il avait
demandé, il garda l'argent pour lui et employa de l'étain comme de
coutume. La cloche néanmoins plut au roi. On la plaça dans le clo-
cher, mais lorsque le gardien de l'église et les autres chapelains vou-
lurent la mettre en branle , ils ne purent jamais en venir à bout. L'ou-
vrier en colère prit alors la corde et tira lui-même la cloche pour la
faire sonner; mais le battant de fer lui tomba sur la tête et le tua. »
— L'usage des cloches n'a été introduit en Orient qu'au IX" siècle.
Les Turcs supprimèrent , au XV* siècle , les cloches aux chrétiens
de leur obéissance, parce qu'elles leur ofl'raient un moyen facile de
rassembler les peuples pour les soulever. Mais outre la raison poli-
tique , les musulmans ont eu encore un autre motif d'interdire les
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 129
cloches : c'est qu'ils craignent que leur son n'épouvante et ne prive
du repos dont elles jouissent les âmes qui , suivant eux, sont errantes
dans les airs. Pour ce motif, les Turcs n'emploient pas de cloches
pour marquer les heures. Elles sont indiquées par leurs prêtres, qui
crient cinq fois le jour du haut des mosquées.
— Dans une de ses dernières séances , le Conseil des Bâtiments
Civils vient d'être appelé à se prononcer, d'une manière explicite et
définitive, sur le choix à faire parmi les architectes qui ont pris part au
concours ouvert pour la restauration de Notre-Dame de Paris. Un fait
remarquable, et qui prouve toute la confiance inspirée par le Conseil,
c'est qu'en cette circonstance M. le ministre des Cultes, abandonnant
sa prérogative, a fait connaître au Conseil qu'il s'en rapportait entiè-
rement à son jugement, et qu'il était décidé à le ratifier. C'est afin
de répondre convenablement à une telle marque de confiance que le
Conseil a du procéder à un nouvel et scrupuleux examen des diverses
observations soumises à son appréciation , et c'est après avoir éclairé
ces questions par une discussion approfondie qu'il a confirmé son
premier jugement en désignant le projet de MM. Lassus et Viollet-
Leduc comme celui qui réunissait toutes les conditions désirables
pour arriver à une bonne restauration , et même comme le seul exécu-
table. Nous avons donc lieu d'espérer que l'on va donner suite à cet
important travail , et que bientôt la capitale de la France ne sera pas
plus mal partagée que la plus mince ville de province. Au reste , il
est véritablement urgent de mettre la main à l'œuvre ; car plusieurs
parties menacent ruine, et aujourd'hui que l'administration est par-
faitement éclairée par les savantes et judicieuses observations du
Conseil des Bâtiments Civils sur les dangers qui existent, elle serait
on ne peut plus coupable de rester dans une inaction qui pourrait
compromettre la solidité d'un monument aussi important et aussi in-
téressant à tant de titres.
' — Nous trouvons dans l'un des numéros du Bulletin de la Commis--
sion archéologique de Lille la description d'une cuve baptismale de
l'ancienne église de Gondecourt : « Ce fonts consiste en un mono-
lithe carré, d'un mètre de longueur sur chacune de ses faces, et de
0 m. 40 c. de hauteur. Il a été creusé, dans sa partie supérieure, de
manière à recevoir un bassin circulaire en plomb, destiné à contenir
l'eau nécessaire au baptême. La partie inférieure, aujourd'hui complè-
tement détériorée par l'exfoliation de la pierre, paraît avoir été formée
I. 9
130 REVUE ARCHÉOLOGIQCli.
d'un quart de rond, interrompu aux quatre angle» par des dessins en
spirale très-peu apparents aujourd'hui, et disposés autour d'une tail-
lure ou embrèvement qui a du recevoir le fut d'une petite colonne.
Cette disposition se retrouve dans la base du monument, également
fort endommagée, composée d'une plinthe de 0 m. 3 c. de hauteur,
d'un tore partagé en trois parties sur chacune des faces, et. ornée,
aux angles , d'une large feuille plate. La cuve paraît donc avoir été
supportée, originairement, par quatre colonnes qui ont été rempla-
cées, au XVII* siècle, par un pédicule à moulure de forme octo-
gonale, qui n'a aucun rapport avec le monument. La cuve est cou-
verte de sculptures en méplat dont nous allons donner la description.
Sur les quatre faces règne une arcature à plein cintre soutenue par
des colonnettes alternativement simples et jumelles, en s'amincissant
de haut en bas. Les colonnettes accouplées sont taillées en hélice, les
autres sont unies. Dans les entre-colonnements existent des patères
ou rosaces de formes variées. Au-dessus de cette galerie se développe
une large arabesque représentant, sur la face antérieure et sur celle
opposée, quatre dragons ailés et enlacés ; sur les deux cotés latéraux
on voit, d'une part, des oiseaux becquetant des grappes de raisin; de
l'autre, les mômes oiseaux buvant dans des vases. Enfin, autour du
bassin, on a sculpté une frise élégante et, dans le vide formé par les
angles, des dessins représentant alternativement un vase placé entre
deux oiseaux et des rameaux de feuillage. Le monument a 1 m. 4 c.
d'élévation totale. »
— La Commission archéologique du département du Nord, dont les
travaux se poursuivent avec activité, a vu avec intérêt deux dessins
exécutés par M. de Baralle , de Cambrai , et représentant les deux
faces d'une croix processionnelle en argent, qui appartenait à une
église des environs de cette ville, et qui, après avoir été vendue,
est tombée entre les mains de M. Failly, inspecteur des douanes et
amateur d'antiquités. Cette croix est en chêne blanc, entièrement re-
vêtue d'une feuille d'argent sur laquelle on a repoussé et riflé des
ornements et des figures qui représentent les symboles des quatre
évangélistes et Dieu le père. Elle a 0 m. 30 c. de l'extrémité d'un
bras à l'autre, et 0 m. 40 c. de son sommet à la douille qui reçoit
la hampe. M. de Contencin pense , avec M. de Baralle , que l'ab-
sence du nimbe crucifère , la disposition et la forme des orne-
ments doivent faire reporter la croix dont il s'agit au XIII" ou au
XlVe siècle.
DÉCOUVERTES ET KOUVELLES. I3l
— Oïl voit dans le cimetière cVEleguercc (Morbihan) une croix en
granit posée sur un piédestal de même nature en carré, dont chacune
des faces porte, dans une niche , une petite statue fort grossièrement
sculptée. On y reconnaît cependant sainte Marguerite foulant aux
pieds le dragon; un évêque, un prêtre, et (ce qui paraît plus cu-
rieux) un lalx)ureur breton, vêtu de la saie gauloise (sagum), tom-
bant à mi-corps , serré de la ceinture de cuir armée d'une boucle,
encore en usage, et ayant les larges culottes ou braies (braccœ), en
breton hragou-hras. Il tient du bras gauche une gerbe, et de la main
droite la longue faucille dont on se sert encore au pays. Sa tête est
nue. Il porte les cheveux longs. [Bulletin Monumental.)
— A peu de dislance de l'ancien château de Roquefort (Ariège) ,
un habitant de la commune de ce nom vient de découvrir dans un
tertre peu élevé une quantité considérable de pièces d'argent (blanc à
Vécu) du règne de Charles VI. Il y avait aussi dans ce trésor, qu'on
évalue à près de 20 000 francs , quelques pièces d'or de la même
époque.
— Il vient d'être trouvé à Noyon un petit pot en terre grise asse^
grossièrement travaillé qui, d'après un antiquaire, paraît dater de
plusieurs siècles, et qui renfermait dix-huit pièces en or, dont deux
de Charles IX, cinq de François h', une de Louis XI, une de
Henri II , une de Charles-Quint , sept pièces d'Espagne , dont plu-
sieurs de Philippe II, et urie de Portugal.
— En nettoyant et en lavant la façade de la tour du Palais de
Justice de Paris, du côté du Marché aux Fleurs, on a découvert,
sous un épais badigeon, une large peinture ayant à peu près la forme
d'une grande arcade, toute parsemée de belles fleurs de lis qui se
détachent sur un fond d'azur. La partie centrale de cette peinture est
occupée par une espèce de cadre ou de cartouche, orné de sculptures
dans le style de la renaissance, au milieu duquel devait primitive-
ment se trouver une inscription qui fut remplacée plus tard par celle
qu'on lit encore assez nettement aujourd'hui, et qui est d'une date peu
ancienne. Les traces de couleurs qu'on croit apercevoir sur quelques-
unes des parties sculptées portent à penser que le cartouche dut peut-
être participer, pour le mettre en harmonie, du système de coloration
employé dans la grande peinture murale fleurdelisée, et avoir reçu,
comme elle , un certain luxe de décoration. Au reste , l'état de dégra-
132 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dation assez avancé dans lequel ce monument fut trouvé ne permet
guère ici que les conjectures; il faudrait, pour pouvoir approfondir
cette question , l'examiner et l'étudier de près , ce qui n'est guère
possible vu l'inaccessibilité de sa position.
— M. le commandant de Courval ayant, il y a quelques mois, fait
déblayer l'église Saint-Georges du château à Caen, trouva une ouver-
ture scellée au moyen d'une pierre, et qui donnait issue à des caveaux
voûtés sous l'église. On y descendait par une espèce de puits carré,
dans lequel il y avait à peine assez de place pour placer une échelle.
Deux membres de la Société française pour la conservation des monu-
ments nationaux y avertis par M. le commandant de Courval, ont pé-
nétré dans ce caveau , et ils ont reconnu que les voûtes ne pouvaient
être fort anciennes : d'après la manière dont elles sont construites ,
il serait difficile de leur assigner une date antérieure à la deuxième
moitié du X VP siècle , et probablement elles ont été pratiquées
pour cacher des objets précieux. Du reste , le système qu'on a sou-
vent observé ailleurs se retrouve ici : des deux côtés d'une allée
principale sont des niches ou alcôves destinées à recevoir les objets
cachés , et qui pouvaient ensuite être murées. M. de Courval a levé
un plan détaillé de ces galeries souterraines, qui avaient, dans l'ori-
gine, une issue dans le jardin qui borne aujourd'hui l'édifice d'un
côté. (BisEUL, Bulletin Monumental, )
— Le Musée des Thermes et de l'Hôtel de Cluny est ouvert de-
puis un mois à peine, et déjà les dons y affluent de toutes parts :
non-seulement, grâce aux soins de M. le Ministre de l'Intérieur,
les monuments épars de divers côtés viennent prendre dans le nou-
veau Musée la place que leur assigne et leur époque et l'intérêt dont
ils sont dignes, mais les amateurs eux-mêmes, jaloux de concourir
au noble but que s'est proposé le Gouvernement dans la création
d'un établissement aussi utile aux arts et à l'étude de l'archéologie,
s'empressent d'ofi'rir quelques-uns de ces intéressants débris , restes
si précieux de religions et de civilisations diverses.
M. le ministre de l'Intérieur, sur l'avis de la Commission des Mo-
numents Historiques , a fait transporter à l'Hôtel de Cluny les beaux
fragments d'autels romains trouvés en 1711 à Notre-Dame. Ces cu-
rieux monuments sont aujourd'hui disposés au milieu de la grande
salle des Thermes auprès des fragments antiques trouvés dans les
fouilles de Saint-Landri et recueillis par M. Dusomraerard, et des
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 133
chapiteaux de Sainte-Geneviève, de Saint-Germain-des-Prés , et des
statues de Notre-Dame, donnés au Musée par la ville de Paris.
M. le Directeur des Beaux-Arts avait fait, à la vente du cabinet
de M. Didier Petit , l'acquisition de plusieurs pièces en émail qu'il
destinait au nouveau Musée. Ces objets , qui figurent aujourd'hui
dans les salles de l'Hôtel de Cluny, au milieu de la belle suite
d'émaux de la collection Dusommerard, sont d'une grande beauté;
ils sont au nombre de cinq; ce sont deux diptyques dont l'un
surtout est aussi remarquable par sa précieuse conservation que
par l'éclat de ses couleurs. Ils représentent le Portement de Croix, —
le Christ entouré des saintes femmes, puis le Christ et la Vierge ; —
deux grandes coupes sur pied, de forme évasée, et une coupe sur
pied à balustre, toutes trois du XV" siècle, signées, Pierre Rémond;
elles représentent divers sujets de l'histoire sacrée et de l'histoire
profane.
M. le Directeur des Beaux-Arts a également donné au Musée
deux statues en marbre du XV* siècle provenant d'Autun. Ces sta-
tues représentent des figures de saints ; elles sont d'un style remar-
quable.
Parmi les objets nouvellement offerts nous citerons encore :
Une suite de pièces gallo-romaines trou-
vées par M. Boutarel, ingénieur, dans une
tombe au milieu de la forêt de Carnoët (Fi-
nistère ) , et données au Musée par M. le
Ministre des Finances. Ce sont entre autres :
une chaîne d'or fin composée de six grands
anneaux ayant chacun quatre tours ^ une
chaîne d'argent composée de trois anneaux ;
uncasse-téle; des glaives en bronze, piques,
flèches en silex et divers ornements.
Un chapiteau et une console en marbre
provenant d'une église chrétienne d'Athènes,
rapportés et donnés par M. le baron Taylor ;
Une série d'objets gallo-romains trouvés
à Hérouval (Oise), et donnés au Musée
par M. Sanson Davilliers, membre du conseil
général de la Seine ; ce sont : 1 " une bague à
2° deux vases en terre, couleurs rouge et grise; 3" un collier ou
pierre et cassolette ;
REVUE ARCHEOLOGIQUE.
bracelet en ambre ou verroterie ; 4° une boucle ; 5" un
style; 6" une bague à chaton ; 7''des anneaux, chaînettes
et ornements en bronze; 8° un glaive; 9" une hache en
silex, et 10° quatre eschinites, talismans renommés
chez les Gaulois et appelés œufs de serpent.
Un estampage en plâtre de la belle console de Saint-
Michel de Dijon envoyé par M. de Saint-Mesmin , con-
servateur du Musée de Dijon ;
Une remarquable tapisserie du temps de Louis XIÏ
donnée par MM. Lenoir.
Divers chapiteaux, bas-reliefs, estampages en plâtre donnés par
des amateurs et des artistes.
— Le Journal de V Aisne du 9 mai donne les détails qui suivent
sur l'incendie de la flèche de l'horloge de Notre-Dame de Laon :
Hier, vers trois heures de l'après-midi, le vent souftlantdu N,-E.
amena autour de notre montagne un orage violent accompagné
d'une pluie très-abondante. Plusieurs coups de tonnerre retentissant
avec un grand éclat firent craindre que la foudre ne fût tombée sur
quelque point de notre ville. Cette crainte n'était malheureusement
point sans fondement. La tour du cloître, cette construction si svelte,
si légère, si aérienne, qui compte de la base à la plate-forme quatre-
vingt-trois mètres d'élévation, est encore exhaussée d'un clocher
en flèche d'une dizaine de mètres. Ce clocher, de forme hexagone,
et qui est terminé par un globe sur lequel se tient debout un ange
aux ailes déployées et portant une croix , présente dans sa partie
inférieure un campanile dans lequel sont placés la cloche et les timbres
de l'horloge. L'ange, haut de six mètres, est en plomb, il est du
poids d'une centaine de livres; le globe sur lequel il est debout est en
cuivre; les six côtés qui forment la flèche sont recouverts de feuilles
de plomb. C'est à quelques mètres au-dessous du globe, dans la
partie déjà très-ancienne de la flèche , que le tonnerre , en pratiquant
un trou , a introduit l'élément incendiaire. La chute du globe et de
l'ange a eu lieu et n'a heureusement amené aucun des graves acci-
dents que l'on redoutait. L'ange a été horriblement mutilé. Il y a
vingt et un ans que la flèche de l'horloge , maintenant tronquée par
l'incendie et qu'il faut raser entièrement, a été restaurée.
DECOUVERTES ET NOUVELLES. 135
— Vendredi dernier, 10 mai, ont eu lieu, à Saint-Sulpice , les
obsèques de M. Burnouf le père, dont les titres à l'estime et à
la reconnaissance publiques sont biôn connus. Un concours consi-
dérable de membres de l'Institut et de l'Université , de professeurs
du Collège de France et d'élèves de l'École Normale , de chefs et de
maîtres de la plupart des établissements d'instruction publique,
se pressait aux funérailles de ce savant homme, de cet homme de
bien , si généralement aimé et respecté.
On y remarquait M. Villemain, ministre de l'Instruction publique,
son ancien collègue, MM. Cousin et Dubois, membres du Conseil
royal, ses anciens disciples, M. Letronne , administrateur du Collège
de France, M. Lebrun, pair de France, directeur de l'Imprimerie
royale, M. Delebecque, directeur du personnel au ministère de
rinslruction publique, membre de la chambre des Députés , M. Nau-
det, directeur de la Bibliothèque royale, MM. Vitet, Mérimée, le
comte de La Borde, etc., etc. Le cortège étant arrivé au cimetière
du Père Lachaise, et les derniers devoirs de la religion ayant été
rendus au défunt, M. Guigniaut, président de l'Académie des In-
scriptions et Belles-Lettres, ancien directeur de l'École normale et
ancien élève de M. Burnouf, a pris la parole sur sa tombe et s'est
exprimé en ces termes :
Messieurs,
C'est un cruel devoir que m'impose aujourd'hui l'Académie, que
me commande le respect de nos traditions. Le confrère à qui nous
venons rendre un hommage suprême, dont je dois rappeler les titres
à vos unanimes regrets, si hautement partagés par l'Université, par
tout le monde savant, par la foule de ses collègues, de ses disciples, de
ses admirateurs ici présents, ne fut pas seulement pour moi un con-
frère, un collègue, un exemple; il fut le plus ancien, le plus cher
de mes maîtres; il fut pour moi, pendant trente-trois ans, un guide
vénéré, un ami tendre et presque un second père.
Et toutefois, je le sens, il faut faire taire ici ma douleur person-
nelle ; il faut refouler dans mon cœur les souvenirs si doux , aujour-
d'hui seulement si amers, de cette longue et précieuse intimité. Il
faut vous montrer M. Burnouf tel que vous l'avez tous connu. 11 faut
redire, en quelques mots, ses travaux, ses services, les rares qualités
'de son esprit et de son âme , tout ce qui vous le faisait estimer et
aimer. Il le faut pour vous, non pour lui; car lui il ire voulut jamais
136 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
être loué, et sa modestie n'eut d'égale que sa science profonde, que sa
passion, hélas ! trop persévérante pour l'étude et pour l'accomplisse-
ment du devoir.
L'unique et triste avantage que je trouve à cette dispensation si
imprévue, si douloureuse de la Providence, qui me destinait à parler,
au nom de l'Académie, sur la tombe de celui que j'avais suivi, là
comme ailleurs, de loin, mais qu'enfin je n'ai jamais quitté, c'est de
pouvoir vous entretenir de lui d'après mes propres impressions,
d'après ce que j'ai vu, éprouvé par moi-môme, durant tout le cours
d'une génération qui lui doit tant. Élève de l'Université de Paris, qui
lui avait décerné l'une des dernières et la plus glorieuse de ses cou-
ronnes, M. Burnouf, surpris par la tempête révolutionnaire, et quelque
temps égaré dans des voies dont ses goûts , comme le souvenir de
ses succès, l'invitaient à sortir, fut appelé, en 1810, sur la désigna-
tion de son ancien maître, M.Guéroult l'aîné, conseiller de l'Université
de France, à prendre une part doublement importante à la régénération
définitivedes études, organisées, comme toutes les forces, comme toutes
les grandes institutions du pays, sur le plan de l'unité nationale, par
le génie des temps nouveaux. Il fut, du même coup, nommé pro-
fesseur de rhétorique au lycée Charlemagne et maître des confé-
rences de littérature ancienne à l'École normale, cette colonne nais-
sante de l'Université. Dès la fin de cette première année, il donnait
à l'École son plus illustre élève, chargé des lauriers du concours
général, et il inaugurait dans son sein, de concert avec une autre
gloire de nos jeunes lycées, avec le ministre actuel de l'Instruction
publique , que le droit du talent avait fait sans noviciat notre maître
à tous, un enseignement à la fois philologique et littéraire, qui a
laissé des traces profondes, qui est devenu, pour une grande part, la
tradition vivante de la nouvelle Université. M. Burnouf ne se borna
pas là ; il voulut fixer dès l'abord une partie importante et fonda-
mentale de cette tradition, en composant sa Grammaire grecque, le
livre classique le plus populaire peut-être dans des études qui ne
sauraient l'être tout à fait, le livre qui a le plus contribué au progrès
supérieur de ces études parmi nous. Peu après, et tout en poursui-
vant sa double et laborieuse tâche d'enseignement, il commençait à
publier cette suite de traductions excellentes, inspirées de l'esprit du
traducteur de Pline l'ancien, qui ont de plus en plus perfectionné
sa méthode d'élégante fidélité, d'exactitude originale, successivement
appliquée par son disciple, et avec un bonheur croissant, à Tacite, à
Cicéron, à Pline le jeune. Mais ce qui l'avait dès longtemps et plus
DECOUVERTES ET NOUVELLES. 137
particulièrement désigné au choix de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, comme un des meilleurs humanistes de notre âge, ce
sont les remarques critiques et historiques dont il accompagna ses
traductions si françaises des auteurs anciens, ce sont les commen-
taires pleins d'un savoir choisi , écrits dans un latin digne de l'anti-
quité, qu'il joignit à son édition de Salluste, faite pour une collection
dont elle est demeurée un des plus rares ornements. Aussi les suf-
frages du Collège de France prévinrent-ils de bonne heure les nôtres
en l'appelant à remplacer M. Guéroult le jeune dans la chaire d'élo-
quence latine illustrée par de grands hommes. M. Burnouf, pour
mieux répondre à la hauteur de ce nouvel enseignement, résigna les
autres chaires, mais ne pouvait cesser d'appartenir à l'Université,
qu'il avait servie si utilement dans d'autres fonctions. Il devint inspec-
teur de l'Académie de Paris, et ce qu'il déploya de zèle, de prudence,
de lumières dans cette mission délicate , aussi bien que dans celle
d'inspecteur général des études, où l'éleva la révolution de Juillet,
ce qu'il fit pour l'ordre de l'administration , pour le redressement de
la discipline, pour l'amélioration des méthodes; l'autorité et la vigueur
avec lesquelles il lutta contre des influences diverses, contre des pré-
jugés contraires, pour le maintien des saines traditions, des fortes
études , sœurs des bonnes mœurs , c'est à d'autres , c'est à de plus
autorisés qu'il conviendrait de le dire, si leur présence n'était ré-
clamée ailleurs par un impérieux devoir, le devoir de défendre ces
grands principes, non pas seulement universitaires, mais sociaux,
mais français, de nouveau attaqués. Ce que je dirai du moins c'est
que, lorsque M. Burnouf vint, en 1836, siéger dans notre com-
pagnie pour y perpétuer la lignée respectable des professeurs érudits
de l'ancienne et de la nouvelle Université, lorsque cette couronne de
l'Institut fut posée sur sa tête déjà blanchie, il était jeune encore et
d'esprit et de cœur; il était en possession de cette plénitude de facultés
jusque dans la vieillesse, qui semble tout à la fois le privilège et la
récompense des vies pures et dévouées. Il venait de terminer son
Panégyrique de Trajan, le chef-d'œuvre peut-être de ses belles et
savantes traductions. Il méditait sa Grammaire latine, digne pendant,
complément désiré de sa Grammaire grecque, qu'il lui a été permis
d'y joindre pour donner un double instrument d'analyse simple et
philosophique,, profonde et lumineuse, aux deux grandes langues
classiques , bases nécessaires de toute instruction vraiment li-
bérale.
Il ne manquait plus. Messieurs, à l'activité si variée, si constante,
k
138 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
au savoir si pratique et si éminemment méthodique de notre confrère
qu'une application : sa démission des fonctions d'inspecteur général,
en 1840, la lui valut. En môme temps qu'il recevait la croix d'officier
de la Légion d'Honneur des mains de son premier élève, devenu
ministre de l'Instruction publique, il était nommé aux fonctions
plus paisibles, plus convenables à son âge, de bibliothécaire en
chef de l'Université. Et là , comme dans sa chaire du Collège de
France, l'infatigable professeur aimait à prodiguer à une jeunesse
studieuse, empressée autour de lui, avec les richesses littéraires
confiées à ses soins, les trésors non moins précieux de son érudition
philologique et de sa longue expérience. Il les déployait aussi, ces
trésors de zèle et de science, dans une mission plus laborieuse, quoi-
que temporaire, mais qu'il sut rendre plus efficace encore, qui dut
lui tenir lieu du premier des honneurs universitaires, et dont il se fit,
par un dévouement au-dessus de toute ambition, même légitime,
une sorte de direction intellectuelle et morale, et, si je l'ose dire,
comme un épiscopat désintéressé de la classe la plus nombreuse et
non pas, certes, la moins utile des jeunes professeurs. Je veux parler
de la présidence du concours de l'agrégation aux classes de grammaire
des collèges royaux, qu'il exerça presque sans interruption depuis 1830
jusqu'à ces derniers temps, avec une autorité ferme autant qu'éclairée,
digne autant que paternelle, avec un succès qui lui survivra par la
puissance féconde de la tradition. Qui la reprendra, cette tradition, qui la
fera fructifier de nouveau pour l'honneur de l'Université, pour le bien
de toute cette jeunesse militante qui avait foi dans M. Burnouf , pour
la force et la moralité des études, dont cet humble enseignement de
la grammaire n'est ni la source la moins sûre, ni la garantie la moins
précieuse ?
Voilà, Messieurs, l'homme que nous pleurons, que la science, que
l'Université, que le pays, où son nom était devenu populaire à force
de services, pleurent avec nous. Le simple récit de ses travaux de
quarante années suffit à son éloge; sa modestie, je l'ai déjà dit, n'en
voudrait pas d'autre. Lui encore, il était de ceux qu'on ne remplace
pas, qui laissent après eux un long et triste vide, comme Silvestre de
Sacy, comme Daunou, comme Jouffroy, bien plus jeune I On peut
remplacer la science , quoique la sienne fut rare en son genre ,
quoiqu'elle fût des plus solides et des mieux éprouvées. Ce qu'on
remplace bien difficilement, c'est l'action, c'est l'autorité, c'est le
dévouement uni aux lumières, c'est la sévère pureté, l'unité par-
faite des principes, des œuvres, de la vie. Tout cela, M. Burnouf le
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 139
possédait à un degré supérieur. Aussi la gloire lui est-elle venue,
comme à Kollin, sans qu'il l'eût désirée, sans qu'il l'eût cherchée, et
quand il ne croyait trouver que le bien, l'unique passion de son âme
vraiment chrétienne. Elle lui est venue à petit hruit , simple et mo-
deste, et faite, pour ainsi dire, à son image. Comme Rollin, et au
même titre, l'Académie des Inscriptions l'avait fait asseoir dans son sein
pour y sceller encore une fois l'alliance du savoir et de la vertu. Que
cette pensée soit notre consolation, Messieurs; qu'elle soit celle de ses
collègues, de ses disciples, parmi lesquels il comptait tant d'amis;
celle de cette fiimilie éplorée qui perd en lui un guide, un exemple,
un appui si sûr, de ce fils surtout, notre confrère, qui fut aussi sa
gloire et non pas la moins douce ni la moins durable, qu'il avait
formé de ses mains pour être, après les Sacy, les Ghampollion, les
Rémusat, l'honneur des lettres orientales parmi nous, qui a porté
hors de la France, hors de l'Europe, l'éclat d'un nom en qui sont
désormais associés , par des nœuds indissolubles, l'illustration acadé-
mique et l'illustration universitaire, le génie des découvertes et le
génie des œuvres dans le domaine de l'érudition.
Après ce discours, écouté par les nombreux assistants dans un re-
cueillement profond, M. Barthélémy Saint-Hilaire, professeur de
philosophie ancienne au Collège royal de France , a rendu, en quel-
ques paroles énergiques , un nouvel hommage aux vertus, aux talents
de son vénérable collègue, et l'assemblée s'est retirée emportant
un souvenir religieux de cette vie si pleine et si dévouée, si utile et si
pure, dont les fruits se perpétueront tant que durera, dans notre
pays, la tradition des fortes études et des bons exemples.
BIBLIOGRAPHIE.
LETTRES HISTORIQUES ET ARCHÉOLOGIQUES SUR LA SAINTONGE , ET
SUR L'AUNIS, par M. Lesson, La Rochelle, 1840, 1 vol. in-8.
FASTES HISTORIQUES, ARCHÉOLOGIQUES, BIOGRAPHIQUES, etc., DU DÉPAR-
TEMENT DE LA CHARENTE-INFÉRIEURE, par M. R. P. Lesson (Première
Partie); Rochefort, 1842, 1 vol. in-8, avec Planches.
SOUVENIRS HISTORIQUES SUR L'ANCIENNE ABBAYE DE SAINT-BENOIT-SUR-
LOIRE, ETC., par M. L. A. Marchand; Orléans, 1838, in-8, avec Planches.
NOTICE HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE SUR LE CHATEAU DE LANGEAIS
(Indre-et-Loire); Paris, 1839, Vinchon , in-8.
Le goût prononcé des études archéologiques qui s'est, il y a quel-
ques années à peine, manifesté tout à coup dans notre pays , continue
non-seulement à se propager, mais il prend même une tension à se
développer encore dans l'avenir. Sur tous les points de la France ,
des hommes intelligents se livrent avec une ardeur bien digne d'éloges
à l'étude et à la conservation de nos monuments nationaux et de
nos antiquités de tout genre, comprenant enfin tout ce que peuvent
offrir, pour l'interprétation de nos annales, des objets longtemps
dédaignés, des monuments témoins des diflerentes phases de la civi-
lisation d'un peuple. Plus d'une fois nous aurons l'occasion, pendant
le cours de la publication de cette Reçue, de signaler à l'attention de
nos lecteurs des travaux dus à ce mouvement archéologique, mouve-
ment qui a déjà produit un grand nombre de recherches précieuses
et souvent pleines de documents utiles sous le double point de vue de
l'histoire et de l'art. Nous aurons toujours des encouragements et
souvent des éloges à donner à ces pieux antiquaires qui consacrent et
leur temps et leurs veilles à de si nobles occupations , et nos sym-
pathies, qu'ils le sachent, leur sont à tout jamais acquises. Qu'ils
persévèrent donc dans cette laborieuse exploration, où il y a place
pour tous , car le champ , qui est vaste et qui n'a encore été que bien
peu défriché, réclame de nombreux travailleurs!
Parmi les ouvrages historiques qui nous ont été adressés afin qu'il
en soit rendu compte dans la Reme Archéologique, nous avons dû
choisir les premiers en date de réception; nous commencerons donc
par eux notre série d'articles bibliographiques.
M. Lesson, dans ses Lettres et ses Fastes historiques, etc., nous
paraît avoir su recueillir avec assez de bonheur plus d'une ancienne
tradition locale , et signaler quelques coutumes actuelles qu'il com-
BIBLIOGRAPHIE. l4l
pare non sans justesse avec celles de certains peuples de l'antiquité.
Historien, M. Lesson cherche d'abord les analogies, puis il en tire
des rapprochements et des déductions qui ne sont point sans intérêt;
archéologue , plus d'un monument peu connu lui doit l'honneur d'une
description souvent fort courte, mais généralement faite en explora-
teur instruit. Il y aurait bien à relever ici quelques inexactitudes de
détails , mais ces petites erreurs nous paraissent fort secondaires à
côté du grand nombre d'articles remarquables que renferment ces
deux ouvrages.
Les Soiwenirs historiques sur l'ancienne ahhaye de Saint-Benoît-sur-
Loire ont fourni à M. Marchand le sujet d'une étude sérieuse qui
mérite d'être lue et consultée par toutes les personnes qui voudraient
obtenir des renseignements positifs sur l'histoire et les monuments de
cette abbaye.
Nous recommandons encore ànos lecteurs la Notice sur le Château
de Langeais comme le travail le plus complet et le plus utile que nous
connaissions sur ce curieux monument du moyen âge.
L'exiguïté du cadre qui nous est accordé pour les comptes rendus
d'ouvrages d'archéologie ne nous permet point de suivre plus longue-
ment ces doctes antiquaires dans chacun de leurs ouvrages; nous ne
voulons point d'ailleurs enlever à nos lecteurs le plaisir qu'ils éprou-
veront à leur lecture, nous préférons donc les y renvoyer; car ils se
recommandent d'une manière spéciale par la réunion des documents
historiques qu'ils renferment, par l'intérêt et la description des mo-
numents peu connus qu'on y trouve , mais surtout par un style clair
et concis qu'on voudrait voir employé dans les ouvrages de ce genre.
DICTIONNAIRE ICONOGRAPHIQUE DES MONUMENTS DE L'ANTIQUITÉ CHRÉ-
TIENNE ET DU MOYEN AGE, par L. J. Guenebault, 2 vol. gr. in-8, divisés
en 10 livraisons a 2 fr. — La quatrième livraison est en vente ; Paris^ Leleux, édit.
Ce livre est d'un intérêt et d'une utiHté générale : on y trouve
classée par ordre alphabétique, l'indication de tout ce que les
manuscrits du moyen âge , les livres à planches gravées ou litho-
graphiées , renferment de monuments religieux , civils et mili-
taires les plus remarquables à chaque époque, depuis le IP ou
le IIP siècle jusqu'à la fin de la Renaissance. Paléographie, ar-
chitecture, peinture, broderie, tenture, tapisserie, orfèvrerie, attri-
buts des arts et sciences, attributs des saints, allégories, emblèmes,
armures, costumes, meubles, ornements de tous les genres et de
toutes les époques; sceaux, faits historiques, inscriptions, tom-
beaux, vases, etc., tout s'y trouve consigné ; c'est un véritable in-
142 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ventaire de toute la civilisation de l'ancienne Europe, indiquant les
sources où il taut aller puiser les documents dont on peut avoir besoin.
On doit savoir d'autant plus gré de ce travail au patient auteur,
que cet ouvrage, commencé il y a près de vingt ans et continué sans
relâche, est du nombre de ceux qu'on ne devait guère espérer de
voir entreprendre, et que très- probablement on ne refera jamais. Il
est dans la nature d'un aussi vaste ensemble, dit un savant anti-
quaire, d'excéder en tous genres les forces ordinaires d'un seul
homme, et de ne pouvoir être exécuté par plusieurs, tant l'unité de
plan et d'exécution est une chose indispensable pour ce genre de
travail ; c'est presque un travail de congrégation. L'auteur, qui paraît
doué d'une certaine dose de persévérance, présente le dépouillement
de plus de 3 000 ouvrages et de plus de 200 000 sujets puisés aux
meilleures sources ; il a analysé des ouvrages ou des collections qui
se composent de 250 volumes in-folio de planches; il les a analysés
par figures , par portions de costumes et a classé le tout dans l'ordre
alphabétique.
ÉLÉMENTS D'ARCHÉOLOGIE NATIONALE, précédés d'une Histwre de I'Aut
MONUMENTAL CHEZ LES ANCIENS; par M. Louis Batissier , 1 fort volume in-12 de
G08 pages , renfermant la matière de 3 ou 4 volumes in-8 , et orné de plus de
200 vignettes. —Prix : G fr. Paris ^ Leleux, éditeur.
L'archéologie a fait de nos jours de grands progrès. Cette science
a été étudiée par un bien plus grand nombre d'esprits qu'autrefois,
et elle fera partie sans doute prochainement de l'éducation. Peut-on
bien comprendre, en effet, les mœurs, les institutions civiles et
religieuses, les usages, l'état des arts chez les civilisations anciennes,
sans avoir recours à l'archéologie? Elle seule porte son flambeau
dans les ruines du passé, et ressuscite les temps qui ne sont plus.
Elle recompose les monuments et les villes. Les écrits des histo-
riens , les vers des poëtes eux-mêmes ont besoin du secours de ses
lumières. Jusqu'à notre époque , les études archéologiques ont été le
labeur de quelques artistes éruditsqui, comme Winckelmann, ont
consacré leur vie à l'histoire de l'art. De gros volumes enfouis au
fond des bibliothèques, et presque aussi bien enterrés que les débris
dont ils parlent , ont seulement témoigné de ces curieuses investi-
gations, de ces recherches importantes sur les destinées antérieures
de l'humanité. 11 faut donc remercier M. Louis Batissier d'avoir
exhumé de la poudre ces travaux inconnus , et rendu accessibles à
tous , dans un Manuel solide et précis , les éléments de cette science.
BIBLIOGRAPHIE. US
Des définitions exactes, des divisions intelligentes facilitent la
lecture de ce volume , accompagné de dessins qui éclairent encore
le texte, en donnant une idée nette et détaillée des objets dont il est
question. L'histoire de l'art monumental comprend l'indoustan , la
Phénicie , l'Assyrie , la Médie , la Perse , la Judée , la Chine , le
Mexique, le Pérou , le Canada et l'Egypte; l'art grec, l'art étrusque,
l'art romain continuent cette vaste étude , et l'auteur arrive enfin à
l'archéologie nationale , qu'il divise en trois ères , l'ère celtiqne ,
l'ère gallo-romaine et l'ère du moyen âge. Nous n'avons pas besoin
d'indiquer tout ce qu'il y a de nouveau dans cette partie , traitée
avec un soin particulier. L'ère chrétienne présente des détails d'un
rare intérêt. Les peintres y trouveront sur la figure du Christ, qui
a tant occupé les théologiens, des renseignements circonstanciés.
Une précieuse bibliographie archéologique termine ce beau travail,
accompli par un esprit sérieux, littéraire, versé profondément dans
l'histoire de l'art.
HECHERCHES SUR L'HISTOIRE DE LA PEINTURE SUR ÉMAIL DANS LES
TEMPS ANCIENS ET MODERNES, ET SPÉCIALEMENT EN FRANCE, par
L. DussiEux, 1 vol. in-8. — Prix, 3 fr. Paris ^ Leleux, éditeur.
L'histoire de la peinture sur émail présente une suite de faits très-
intéressants, mais, en général, très-mal connus. On ne sait presque
rien sur la plupart des artistes célèbres qui se sont voués à la culture
de cette branche de l'art : un nom et une date, inscrits sur l'une de
leurs productions, sont souvent les seuls renseignements que l'on
puisse se procurer. On trouve bien quelques faits dans les livres,
mais ce sont des faits isolés, souvent faux , et toujours écrits loin des
monuments. La tâche était donc difficile ; aussi n'est-ce qu'après
quatre ans de recherches assidues, que M. L. Dussieux a pu pré-
senter à l'Institut son savant Mémoire, qui a obtenu, en 1841 , une
mention honorable. Le public ne peut manquer daccueillir avec intérêt
et faveur cet excellent travail, fait avec une conscience bien rare de
nos jours.
L'auteur, après une introduction, où il explique ce qu'est la pein-
ture sur émail, fait, en vingt-cinq chapitres successifs, l'historique de
ce bel art, depuis les émaux égyptiens, babyloniens, grecs, etc., pen-
dant le moyen âge, etc., jusqu'à ceux du XIX^ siècle; puis, il
termine par une liste des peintres sur émail , et une notice sur la
manufacture royale de porcelaine de Sèvres. Nous le répétons , ce
Mémoire fait grand honneur à la science investigatrice de M. L. Dus-
sieux.
GRAVURES
PUBLIÉES DANS LA DEUXIÈME LIVRAISON
DE LA
REVUE AllCHÉOLOGIQLE.
TEMPS ANCIENS.
ARCHITECTURE : — Obélisques d'Axum. — Cet intéressant dessin
que nous devons à l'obligeance de M. le docteur Aubert Roche,
précède la publication d'une Notice spéciale qui sera insérée dans
notre prochain Numéro.
MOYEN AGE.
SCULPTURE ET ICONOGRAPHIE : — Ivoire de Saint-Jean de
Besançon. — Nous nous proposons de publier successivement
plusieurs monuments byzantins de ce genre, mais d'époques dif-
férentes, avant d'offrir à nos lecteurs un Mémoire sur cette
branche de l'histoire de l'art.
VIGNETTES SUR BOIS
INTERCALÉES DANS LE TEXTE
DES DÉCOUVERTES ET NOUVELLES.
Architecture — Pierre tumulaire, découverte à Saverne.
Inscriptions — Pierre funéraire trouvée près de Tarascon.
Idem, dans les Champs-Elysées d'Arles.
Idem. à Saverne.
Armes — — Glaive en bronze découvert dans la forêt de
Carnoët.
Fer de pique trouvée au même endroit.
Ornements — Cercle ou ceinture en or trouvé près de Creil.
Agrafe trouvée à Hérouval.
Torques ou collier en or découvert à Saint-Géran.
Numismatique — Deux médailles représentant l'usage du collier
chez les Gaulois.
MYTHOLOGIE (^'
MYTHOLOGIE , la science ou la connaissance des mythes, mot
que l'exemple de la docte Allemagne a fait passer dans notre langue,
depuis quelques années, pour remplacer l'expression équivoque de
fables, sous laquelle on comprenait les récits delà mythologie, comme
on disait, au singulier, la fable pour la mythologie elle-même. Non
pas que, dans l'origine, le mot grec pOQoç n'ait eu une acception
aussi étendue que le mot latin fabula, puisqu'il signifiait toute énon-
ciation quelconque de la pensée par la parole, un discours, un récit
qui se prononce, qui se répète, qui circule par la tradition orale, sans
distinction de vérité ou de fausseté, de réalité ou de fiction ; mais,
peu à peu, le mot [jvBoç se restreignit, par son opposition avec celui
de lôyog, d'abord tout aussi vague, aux anciennes traditions libre-
ment traitées par les poëtes, qui s'en emparèrent comme de leur do-
maine; les mythes furent les traditions poétiques suspectes de fiction ,
tandis que les logoi furent les traditions historiques, ou supposées
telles, qu'exposèrent en prose les premiers historiens grecs, nommés
pour cette raison logographes. Quant aux mythographes , dont les
plus anciens se confondent avec eux , ils firent sur les récits mythi-
ques un travail analogue; nous y reviendrons plus loin.
Les Grecs, créateurs du mot, commencèrent à avoir, entre le
temps de Pindare et celui de Platon , sinon l'idée parfaitement dis-
tincte, au moins le sentiment vrai de la chose. Tandis que loyoç
devint pour eux l'expression directe , simple et nue, d'une vérité soit
de fait, soit de raison, telle que l'énonçaient les historiens et les
philosophes, yMoç en fut l'expression indirecte, voilée, ornée de la
fiction et du merveilleux, telle que l'affectionnait le peuple et que les
poëtes aimaient à la parer. Plus tard , ils rattachèrent la notion du
(1) La mythologie étant une des principales lumières de l'archéologie, nous avons
cru devoir placer ce morceau, d'une portée que nos lecteurs apprécieront, en tête
d'une des premières livraisons de la Revue Archéologique. Nous l'avons emprunté,
avec l'autorisation de l'auteur de l'article, et avec l'agrément des éditeurs de VEn-
cyclopcdie des Gens du Monde, à cet important recueil , qui, sous un titre popu-
laire , et sous une forme accessible à tous les esprits cultivés, contient les résultais
les plus précis , les plus positifs, quelquefois les plt:s profonds , de la philosophie
et de l'histoire, des sciences, des arts et de toutes les connaissances, soit théoriques,
soit pratiques. {Note de l'Éditeur. )
I. 10
146 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
mythe aux notions plus générales de symbole et d'allégorie; ils y
virent une des formes principales du langage intuitif ou figuré, forme
propre à la haute antiquité, et qui leur parut surtout consacrée à
renonciation , à la tradition des vérités ou des faits de l'ordre re-
ligieux.
Le caractère le plus frappant que les Grecs aient reconnu dans
leur mythologie, c'est-à-dire dans l'ensemble de leurs mythes, est,
en effet, d'appartenir, du moins par l'origine, aux temps les plus re-
culés de leur nation , à ces temps dits eux-mêmes mythiques ou hé-
roïques, parce que les mythes en étaient la seule histoire, et que
cette histoire avait pour acteurs les héros, pareils aux dieux, et les
dieux dont ils descendaient. Ces temps, ils les révéraient, ils en ac-
cueillaient les traditions avec une foi implicite, et pourtant ils les
distinguaient des temps historiques, ils en faisaient le domaine à peu
près exclusif de la poésie et de l'art, qui vivent de fiction; tout en
acceptant le merveilleux, le surnaturel, l'impossible même des ré-
cits dont ils étaient l'objet, ils y soupçonnèrent de bonne heure, sans
trop s'en rendre compte, autre chose que de l'histoire. Néanmoins,
dans leurs plus hardis essais d'interprétation , aux époques philoso-
phiques, ils ne parvinrent jamais à pénétrer le secret tout entier de
la mythologie, à saisir complètement le génie de cette forme, dont
l'unité nécessaire recèle en son sein les éléments les plus divers de
la pensée et de la vie humaines.
Les modernes ont été, à cet égard, plus heureux que les anciens.
Après s'être égarés, sur leurs traces, dans des systèmes exclusifs et
opposés, tantôt voulant à toute force retrouver dans la mythologie
des faits historiques, des personnages et des événements humains
plus ou moins déguisés, tantôt y cherchant de préférence tel ou tel
ordre d'idées, d'opinions, de croyances, sous le voile de l'allégorie et
du symbole, ils ont fini par renoncer à l'hypothèse, et par demander
la vérité qu'elle leur refusait , d'une part à l'analyse comparée des
mythes, d'autre part à l'observation attentive des lois qui ont présidé
à leur création. Riches d'expérience comme ils le sont devenus de
jour en jour davantage, ayant eu occasion d'étudier un grand nombre
de peuples à tous les degrés de la barbarie et de la civilisation, la
mythologie leur est apparue, non plus comme un phénomène isolé,
particulier à l'antiquité grecque et romaine, comme un tissu acci-
dentel ou prémédité, soit de récits et de fables poétiques, soit de
fictions sacerdotales et savantes, mais comme un fait général, spon-
tané, nécessaire, qui a ses analogues à toutes les époques correspon-
MYTHOLOGIE, 147
dantes du développement de l'esprit humain , et qui ne saurait s'ex-
pliquer que par sou histoire.
De ce point de vue , la mythologie, considérée dans son principe,
est la forme même de l'esprit humain et de ses produits quelconques
aux époques dont il s'agit; considérée dans ses éléments, dans les
matériaux qui la composent, elle embrasse à la fois l'histoire, la re-
ligion, la philosophie et l'art de ces époques, si ces deux mots y peu-
vent trouver place. D'ordinaire, la poésie, fille aînée de la mytho-
logie, en est l'organe et le véhicule; mais la tradition populaire,
cette poésie naturelle, qui se confond par son origine avec la mytho-
logie elle-même, est son premier interprète. C'est assez dire que la
mythologie, en tant qu'objet d'étude, est infiniment complexe;
science historique et philosophique tout ensemble, elle emprunte de
précieuses lumières à la philologie, à l'archéologie; elle a besoin
d'une critique supérieure qui, sans exclure la méthode, soit capable
de se transporter, par la puissance de l'imagination , dans une sphère
de faits et d'idées très-différente de la sphère actuelle; telle que l'ont
faite les travaux de ces trente dernières années, elle a pris rang
comme une science sul generis, comme l'indispensable auxiliaire,
non pas seulement de la science des antiquités dans toutes ses bran-
ches, mais de la philosophie de l'histoire dans ses parties les plus éle-
vées et les plus difficiles.
Ce qu'il y a de capital pour l'intelligence de la mythologie, pour la
connaissance de la nature du mythe, c'est le rapport de la forme et
du fond dans ce récit traditionnel des temps anciens. Le fond peut
être une idée, une croyance, un sentiment ou une conception de l'es-
prit; il peut être un fait, un phénomène du monde physique ou du
monde moral , un événement de la nature ou de l'histoire. Dans cette
variété d'éléments, la forme reste invariablement la même, celle du
récit ; les sujets du mythe, quels qu'ils soient , en sont les acteurs, et
ces acteurs figurent comme des personnes;
Tout prend un corps , une âme , un esprit, un visage,
ainsi que l'a dit notre Boileau. En un mot , la personnification est
la loi fondamentale de la mythologie, et les personnages mythiques
se développent dans le temps avec tous les caractères de l'huma-
nité; ils agissent, ils parlent, ils pensent, ils sentent à la manière
de l'homme. 11 y a plus : tandis que les êtres quelconques se présen-
tent ainsi sous l'aspect de personnes; leurs accidents, leurs rapports
quelconques sous celui d'actions; que tous les phénomènes du monde
148 REVUE AUCHÉOLOGIQUE.
physique et du monde moral se traduisent en histoire apparente, l'his-
toire, à son tour, l'histoire réelle se rattache par des liens étroits à ces
personnifications idéales, et les événements, les faits humains, les
hommes eux-mêmes se mêlent et se confondent de raille manières
avec les créations fantastiques de leur pensée ou avec ses objets dans
la nature. C'est que, sous l'empire de la forme mythique, ni le monde
des idées ni celui des faits ne sont conçus distinctement, ne sont nette-
ment séparés l'un de l'autre; tour à tour l'idée se personnifie, s'indi-
vidualise, quelque générale qu'elle soit; et le fait particulier, l'événe-
ment , la personne véritable s'idéalisent au point de devenir des types
généraux , des symboles. L'imagination, reine de cet empire, média-
trice entre le corps et l'âme, entre l'esprit et la matière, crée sans
cesse des figures sensibles avec des éléments intellectuels, et transfi-
gure les réalités extérieures en les élevant jusqu'à l'idée.
De ce que nous venons de dire il résulte que , dans le mythe , le
fond fait corps avec la forme, l'idée avec le fait, que ce fait soit une
vérité qui donne à l'idée sa forme, ou qu'il ne soit autre chose que
cette forme même sous laquelle se produit l'idée. C'est en quoi le
mythe tient par ses racines au symbole, signe nécessaire, image
naturelle de l'idée prenant un corps; en quoi il diffère de l'allégorie,
où l'idée et la forme, conçues à part l'une de l'autre, s'unissent par
des rapports plus ou moins arbitraires et artificiels. Le mythe, comme
le symbole, est spontané, irréfléchi, quoiqu'à un moindre degré,
tandis que l'allégorie a conscience d'elle-même et suppose la réflexion ;
elle dit une chose et en pense une autre, ainsi que son nom l'atteste;
le mythe pense ce qu'il dit et comme il le dit , la forme avec le fond ,
l'idée avec le fait, sans avoir conscience de cette distinction, au
moins une conscience claire et vraie. Souvent même le mythe n'est
qu'un symbole mis en action par la parole; il est d'autant plus voisin
du symbole qu'il est plus ancien ; au contraire, il se rapproche d'au-
tant plus de l'allégorie qu'il appartient à une époque plus récente,
à un développement plus mûr de l'esprit. Il y a progrès, pour la
liberté de la pensée, pour la vivacité, la lumière, sinon pour l'énergie
et la profondeur de son expression, du symbole muet et immobile au
mythe animé, brillant, dramatique, à l'ingénieuse et transparente
allégorie.
Peut-être ces idées s'éclairciront-elles si , de la nature du mythe et
de ses rapports avec les formes analogues d'expression, nous remon-
tons à son berceau, nous tâchons de surprendre le secret de son ori-
gine dans l'état de l'esprit humain à l'époque oii ces formes dominent.
MYTHOLOGIlî. 149
C'est une laborieuse recherche, et où nous ne saurions mieux
faire que- de prendre encore une fois pour guide l'homme de
savoir -et de génie, qui, mieux qu'un autre, a su tout à la fois
poser et résoudre la question dans ce sens. Suivant la théorie de
M. Creuzer, théorie qui a passé dans des ouvrages plus récents que
le sien, avec des modifications peu importantes au fond (l), dans
l'enfance et dans la première jeunesse de tous les peuples, de ceux du
moins dont l'histoire a eu son cours régulier, se retrouve un mode
de conception et en même temps de croyance d'après lequel toute
chose, dans la nature, est douée de vie et de sentiment. Nulle dis-
tinction de matière et d'esprit, de corps et d'âme; dans la pensée
naïve des hommes de ces temps-là, comme des enfants de tous les
temps, et jusqu'à un certain point des hommes simples et grossiers
du nôtre, tout vit d'une vie commune et uniforme; bien plus, tout vit
à la manière de l'homme, tout se représente sous ses traits. Une
sorte de nécessité à laquelle ne saurait se soustraire absolument,
dans nos siècles de civilisation et de philosophie, l'esprit même le plus
rigoureux et le plus exact, porte l'homme à se considérer comme le
centre de la création, à se réfléchir en quelque sorte dans toute la
nature comme en un miroir, à ne voir partout que sa propre image.
De là vient que, pour lui, toute force est une personne, tout être est
soumis à ses propres lois ; de là le sexe et toutes ses conséquences
transportés aux objets quelconques de sa pensée; la génération et l'en-
fantement, l'amour et la haine, toutes les passions, tous les phénomènes
de la vie, et cet autre grand phénomène de la mort, appliqués indiffé-
remment au monde intérieur et au monde extérieur qui sont confondus
dans une même intuition.
Cette personnification générale, dont nous avons fait plus haut la
loi fondamentale de la mythologie, est donc la loi même de l'esprit
humain , et, ainsi que nous l'avons dit encore, la forme nécessaire et
spontanée de ses conceptions comme de ses produits aux époques
justement appelées mythiques , parce qu'elles ne sauraient être
mieux caractérisées que par ce phénomène du mjthe qui leur est pro-
pre. Le mythe y naît et s'y développe de lui-même sous l'inspiration
de la nature , et selon cette loi primitive de l'esprit qui fait que
(1) Nous nous contenterons de citer ici le célèbre théologien Baur, qui a combiné
la théorie symbolique de Creuzer avec la dogmatique religieuse de Srhlciermacher,
dans son livre plus philosophique que savant, intitulé : Symbolik und Mythologie,
Oder die N alun elig ion des yîllerlhums , Stuttgart, 1824, tome I; et O. Mûller,
trop tôt ravi à la science dont il était une des gloires, dans ses Prolcqomena zu
einer ff^issenschafUichen Mythologie, Gœllingen, I825, p. 267 et suiv., 332.
150 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'homme s'assimile, qu'il représente à sa propre image tout ce qu'il
voit, tout ce qu'il sent, tout ce qu'il imagine et croit tout ensemble,
au dehors et au dedans de lui. L'imagination et la foi, compagnes
inséparables, sont les deux muses de cette poésie naturelle qui est
aussi une religion, et dont les racines tout au moins s'entrelacent
avec celles de la croyance religieuse. En effet, le sentiment religieux,
à son premier essor, revôt nécessairement la forme mythique et s'unit
pour longtemps à elle. Si l'esprit de l'homme est invinciblement
porté à personnifier ce qu'il aperçoit, mAme dans le cercle de l'expé-
rience vulgaire, et s'il croit à ces personnifications au moment où il les
crée, que doit-ce donc être des idées qui lui apparaissent en dehors
de ce cercle, et qui exaltent d'autant plus en lui la puissance de
l'imagination qu'il fait plus d'efforts pour les saisir et les représenter?
Aussi personnifie-t-il de bonne heure et adore-t-il du môme coup,
pour ainsi dire, non-seulement les éléments, les astres, les grands
phénomènes de la nature, mais le pouvoir secret qui s'y manifeste à
tous les degrés, et les forces visibles ou invisibles, bienfaisantes ou fu-
nestes, sous l'empire desquelles il se sent placé. Plus tard, il per-
sonnifie et divinise de même ses propres facultés , qui sont aussi des
forces, les pouvoirs de l'esprit, les qualités morales, ainsi que les qua-
lités physiques de l'homme, son génie, ses vertus, et jusqu'à ses fai-
blesses. Enfin, il anthropomorphise jusqu'aux attributs métaphysiques
de la Divinité, tels que sa raison les lui révèle dans le monde extérieur
ou dans sa conscience, et longtemps encore après l'époque oii il le3
identifiait avec les forces de la nature ou avec les facultés humaines;
ce qui a fait dire que, si Dieu a formé l'homme à son image, l'homme
le lui a bien rendu.
Ainsi la religion , dans tous ses développements, à tous ses degrés,
par l'anthropomorphisme, contracte avec la mythologie une étroite et
durable alliance. Mais le polythéisme principalement lui est sympa-
thique, ou plutôt ils se confondent l'un avec l'autre dans cette primi-
tive et merveilleuse disposition de l'âme, que nous décrivions tout à
l'heure, et qui porte l'homme à transporter hors de soi, dans le monde
physique et moral, son individualité, sa personnalité propres, une vie,
une action semblables aux siennes, une cause enfin, vivante, volon-
taire, intelligente comme lui, là surtout oii de grands effets le frap-
pent, où lui apparaissent des phénomènes plus ou moins généraux, où
il entrevoit des lois, un pouvoir mystérieux et supérieur, quelque
émanation de la cause suprême, de la substance, de l'être infini, que
plus tard il essaiera de dégager, par l'abstraction, de toutes ces manifes-
MYTHOLOGIE. 151
talions accidentelles et finies. De là cette multitude de personnes divines,
dieux ou démons, héros ou génies, objets de la foi et du culte, dont les
légendes constituent le fonds le plus riche et en partie le plus ancien
de la mythologie. Ces légendes, la croyance qui en est le principe, le
culte qui s'y rattache, se développent de concert sous l'intluence de la
nature extérieure et des circonstances locales chez les diver^ peuples,
sous celle de leur génie non moins divers, d'où la diversité môme des
formes qu'affectent ces premières créations du polythéisme mytholo-
gique. Elles en sont la partie positive, profondément symbolique dans
l'origine, mais d'autant plus difficile à interpréter que s'unissant inti-
mement, d'une part aux localités, d'autre part aux souvenirs nationaux,
les mythes des dieux et des héros, bientôt liés en généalogies, revotent
l'aspect d'une histoire primitive. A la tôtede celte apparente histoire,
où l'élément historique est secondaire, où domine l'élément religieux,
quel qu'en soit le germe, physique ou moral, viennent ensuite prendre
place d'autres mythes, d'un caractère plus spéculatif et généralement
d'une époque plus récente, qui, sous le voile des théogonies, cachent
de véritables cosmogonies. La réflexion naissante s'y fait jour, à tra-
vers la forme mythique, pour remonter d'abstraction en abstraction à
l'origine des choses; pour expliquer, par des symboles de plus en plus
généraux, l'énigme du monde, celle de l'homme, les lois de l'uni-
vers. Mais, bien ditïerents des premiers, ces symboles sont transpa-
rents; l'idéey perce aisément son enveloppe matérielle; souvent môme
ce sont descpersonnifications voisines de l'allégorie, et où le nom
suffit pour mettre sur la trace du sens. Les mythes qui en résultent,
quoique objets de foi comme les précédents, vont de la religion à la
philosophie, et chez les Grecs, par exemple, aussi bien que chez les
Hindous, ils frayèrent la voie à cette dernière. Entre ces deux
classes de mythes, œuvres du peuple ou des sages , ou plutôt encore,
les uns comme les autres, quoique à différents degrés, inspirations
naïves d'une élite d'hommes , naïvement adoptées par les masses , se
place un troisième ordre de légendes, également religieuses et des
plus révérées, souvent aussi anciennes que les premières, aussi signi-
ficatives que les secondes, mais non pas d'un caractère aussi général,
auxquelles se rapportent celles que les Grecs nommaient kpol lôyoi,
ou traditions sacrées. Ce sont principalement des interprétations d'an-
tiques symboles du culte présentées dans de courts récits, des expli-
cations mythiques de l'origine des rites, des fôtes, des temples, des
institutions fondamentales de la vie religieuse ou civile; d'autres ex-
plications, non moins mythiques, des noms consacrés et tradition-
à
152 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
neis des dieux, des lieux saints, des peuples, des pays, des villes. Ces
.légendes, dont une partie furent l'ouvrage des prêtres, vont, les der-
nières surtout, de la religion à l'histoire, comme les mythes cosmo-
goniques de la religion à la philosophie.
Plus historiques encore, quoique toujours empreints d'un Caractère
religieux et mêlés d'éléments symboliques, sont, en partie du moins,
les mythes relatifs aux héros , qui racontent leur naissance , leurs
aventures, les migrations, les guerres, les conquêtes, les entreprises
lointaines par terre ou par mer, les fondations de colonies, et d'au-
tres événements de ce genre accomplis sous leurs auspices. Non pas
que les héros soient tous des personnages humains et réellement in-
dividuels, qu'ils aient vécu de la même vie que nous, bien qu'ils
soient censés avoir passé comme nous sur la terre , avoir joui et souf-
fert comme nous; beaucoup, la plupart peut-être, types divins de
l'humanité, modèles proposés à l'imitation des mortels, ne sont,
comme au fond les dieux , que des personnifications ou physiques ou
morales, en rapport originaire avec eux, avec la nature, mais ratta-
chées de plus près à l'homme et à l'histoire, qu'elles ravissent en
quelque sorte dans la sphère de l'idéal. Cette sphère, idéale et histo-
rique à la fois, ce sont les temps dits héroïques, oii les héros sont les
acteurs souvent supposés d'actions véritables , où ils sont les sym-
boles des peuples, des tribus, des pays; où les dieux, dont ils tiennent
l'être et qu'ils représentent ici-bas, interviennent à chaque instant
dans les affaires humaines; où tout est grand, surnaturel, merveil-
leux, parce que, dans le lointain de la tradition et dans la simplicité
des esprits, tout apparaît à travers le prisme de l'imagination et de la
croyance. Aussi ne faut-il chercher dans ces temps-là ni généalogies
certaines, ni chronologie suivie; les faits y sont groupés, développés
selon de tout autres lois que celles de l'histoire, et souvent, d'épo-
ques plus récentes, transportés au sein de l'âge héroïque, mis sur le
compte des vieux héros, par une illusion de la piété ou de l'orgueil
national. De là ces grands mythes historiques, concentrations popu-
laires d'éléments anciens et nouveaux , fictifs et réels, où domine ce
que nous nommons le merveilleux, c'est-à-dire la foi poétique, et qui
forment le tissu infiniment divers et sans cesse modifié de la tradi-
tion avant de servir de thèmes à l'épopée. Les plus sûres lumières
que la mythologie fournit à l'histoire ne consistent pas tant dans les
faits individuels, les événements particuliers, que dans les faits géné-
raux qui intéressent un pays tout entier, qui marquent les révolu-
tions de son existence et de ses mœurs, le progrès de ses établisse-
MYTHOLOGIE. 153
ments, de ses armes, de son commerce, l'extension de ses connais-
sances et de ses idées, de ses relations avec les autres peuples, les
échanges, les transformations d'opinions et de croyances, tous objets
de mythes que l'on peut. nommer, à toute rigueur, historiques, et
dont les plus positifs, sinon les plus récents, sont les mythes ethno-
graphiques et géographiques.
Nous voudrions pouvoir faire ressortir la vérité de ces distinctions,
faire toucher au doigt les caractères des différentes classes de mythes
que nous venons d'établir, par un choix d'exemples pris dans la my-
thologie classique ou dans les autres corps analogues de traditions
qui se trouvent au berceau de tous les grands peuples, à l'origine de
toutes les littératures. Mais l'espace nous manque (l), et nous nous
hâtons de joindre à cette théorie générale des mythes, du point de vue
de l'antiquité grecque et romaine principalement, un aperçu rapide
de leur histoire, des vicissitudes qu'ils ont subies dans le cours des
temps, des travaux, des systèmes auxquels ils ont donné lieu chez les
anciens et chez les modernes ; ce qui nous conduira à comparer ail-
leurs, par les traits les plus saillants de leurs rapports et de leurs
différences, les mythologies qu'on peut appeler fondamentales. Ce
sera l'objet d'un travail à part.
La plupart des mythes étant nés, pour ainsi dire, du sein du peu-
ple, ayant formé de très-bonne heure, chez les Grecs comme chez
les autres nations, une sorte de poésie naturelle, empreinte au plus
haut degré du cachet des lieux et des temps, se conservèrent d'abord
par la tradition , circulant sur les ailes de la parole, et soumis à toutes
les variables influences de la mémoire, de l'imagination , des circon-
stances historiques ou autres. Dans cette période primitive, qui
n'est autre que l'époque mythique, à la fois mère et matière des my-
thes, de simples images de la nature qu'ils étaient, de personnifica-
tions toutes symboliques déposées dans des noms expressifs, ils se
développent en récits de plus en plus libres , se compliquent de toute
sorte d'éléments, se coordonnent en généalogies et commencent à se
grouper. Vient le chant, vient la poésie, et l'art à leur suite, qui
continuent et perfectionnent , au grand profit de la forme , au grand
détriment du fond, l'œuvre ébauchée par la tradition orale et la fan-
taisie populaire. A réj3oque mythique, qui se confond avec l'âge hé-
roïque, succède une seconde époque encore toute passionnée pour
(1) Le lecteur y suppléera aisément en parcourant les nombreux articles mytho-
logiques , contenus dans V Encyclopédie des Gens du Monde , et en y appliquant
notre classiflcation et les principes de notre théorie.
154 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
les mythes, oubliant le présent pour ce passé révéré qui la charnie,
ou l'y transportant par un prestige qui lui est propre, mais idéalisant
et le passé et ce présent qu'elle combine avec lui, les hommes et les
choses, traduisant les mythes dont elle s'empare en de merveilleuses
et dramatiques histoires dont les dieux et les héros sont les acteurs.
Cette époque est celle de l'épopée, plus divine ou plus humaine,
héroïque ou didactique, mais toujours religieuse, bien que, obéissant
à la loi nouvelle du beau , cherchant à plaire en môme temps qu'à in*
struire, elle s'inquiète peu du sens des antiques symboles, s'attache
en eux aux formes extérieures, et y fasse triompher le génie de l'an-
thropomorphisme. Homère et Hésiode , les créateurs de la théologie
(plastique ) des Grecs, selon Hérodote; Valmiki et Vyasa, auteurs du
Bammjana et du Mahabharala chez les Hindous , représentent cette
époque dans son plus haut essor, et font une œuvre commune , bien
qu'ici sacerdotale, et là toute populaire. Alors se forment autour de
tel dieu, de tel héros, de tel événement traditionnel, ce qu'on appelle
les cycles épiques, lesquels s'enchaînant les uns aux autres , comme
les mythes élémentaires s'étaient groupés dans l'épopée, mais moins
artistement que ceux-ci, finissent, dans le long enfantement des
poëmes cycliques de la Grèce et des PouranasàQ l'Inde, par engendrer
le grand cercle mythique, ou le corps complet de la mythologie na-
tionale élaboré successivement par les chantres épiques. A mesure
qu'ils entrent davantage dans les temps historiques, cette mythologie
y prend davantage aussi la physionomie de l'histoire ; à mesure qu'ils
se rapprochent des époques de réflexion pratique ou spéculative et de
poésie artificielle, elle se mélange de mythes moraux, philosophiques,
scientifiques et de fictions purement poétiques, aboutissant à l'allégorie
d'une part, au conte romanesque de l'autre, lui-môme dérivé souvent
des vieux mythes symboliques, à travers une série de transformations
diverses. Chez les Grecs, le génie mythique ne cessa pas de multiplier
ses productions, tantôtpopulaires et tantôt savantes, jusqu'au VI*' siècle
qui précède notre ère, époque oii la philosophie et l'histoire s'éman-
cipant de la poésie et de la tradition, sous la double influence des
progrès de la raison et de ceux de l'écriture, parvinrent à se créer une
îbrme propre, où l'idée et le fait, perçus distinctement, trouvèrent
enfin dans la prose leur expression vraie. Et, toutefois, la forme du
mythe continua d'être employée de loin en lofn , en vers et en prose,
ou par les prêtres, ou par des sectaires tels que les orphiques, ou
môme par les philosophes, soit qu'elle leur parût atteindre mieux à
la hauteur de leurs conceptions, soit qu'ils voulussent donner à leurs
MYTHOLOGIE. 155
dogmes l'autorité de cette forme consacrée. C'est ce que fit encore
Platon pour les pressentiments sublimes de sa morale ou les spécu-
lations transcendantes de sa métaphysique ; c'est ce que les Alexan-
drins appliquèrent systématiquement aux découvertes de l'astro-
nomie, à la représentation des phénomènes célestes. Chez les Hiridous,
on le sait, et chez plusieurs autres peu[)les de l'Orient dominés par
la théocratie, jamais ni la philosophie, ni l'histoire surtout, n'ont
réussi à s'affranchir complètement du joug de la forme mythique.
Et cependant, pour revenir aux Grecs, qui, plus que d'autres, ont
parcouru toutes les phases de la mythologie, toutes celles de l'esprit
humain , ils portèrent légèrement ce joug et se plurent à le couvrir
de fleurs. Chez eux , les anciens mythes , après les chants épiques dont
ils avaient été la source, qui leur avaient donné tant de développe-
ment, de variété, d'éclat extérieur, furent doublement au service
des autres genres de poésie issus tour à tour de l'épopée , et qui les
modifièrent plus ou moins, selon leur génie propre et l'esprit des
temps. Des lyriques, comme Stésichore, comme Pindare, tout en respec-
tant la tradition d'Homère et d'Hésiode, s'en écartèrent plus d'une
fois dans un but moral ou religieux, présentèrent les dieux et les
héros sous des couleurs qui leur semblaient plus dignes de leur
auguste caractère, et produisirent au grand jour de la poésie des
mythes populaires jusque-là restés dans l'ombre. Les poëtes tragi-
ques allèrent plus loin : non-seulement ils durent plier la fable de
leurs pièces à la loi de l'intérêt dramatique, et lui donner, de gré
ou de force, une péripétie, mais il leur fallut encore, pour employer
une comparaison bien connue d'Eschyle, accommoder au goût des
Athéniens les reliefs des festins d'Homère , sacrifier à leurs opinions,
à leurs préjugés, pour obtenir leurs applaudissements. Toutefois,
Eschyle et Sophocle, génies élevés, encore pleins de foi, prirent
moins de libertés avec la tradition, avec les dieux mythiques aux-
quels ils croyaient, quoique le premier les entoure d'une auréole mys-
térieuse, le second d'une pureté idéale où perce diversement le
progrès des idées. Quant à Euripide, poussé par le besoin d'innover
pour intéresser, disciple d'ailleurs des sophistes, il se fait sur la scène
le missionnaire des lumières du siècle, et non-seulement il travestit
les mythes au gréde son imagination, mais il les interprète ouvertement
dans le sens de la philosophie dominante. C'est ce qui le rendait cher
à Socrate lui-môme, et ce qui le mit, au contraire, en butte à la rail-
lerie mordante et patriotique d'Aristophane, défenseur énergique d'un
passé glorieux. Plus tard, les poëtes d'Alexandrie, et à leur exemple
156 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ceux de Rome, sauf dans l'épopée, qui, jusqu'aux derniers temps, garda
avec une certaine fidélité le sentiment de sa mission héréditaire, firent
des inythes l'ornement obligé, mais arbitraire, l'accessoire enjoué, ou
bien encore la matière curieuse, habilement traitée ou pédantesque-
ment compilée, de leurs élégantes, érudites ou abstraites compo-
sitions. Il suffit de comparer Callimaque et Apollonius de Rhodes,
Virgile et Ovide, de penser aux élégiaques grecs et romains, de
nommer l'obscur Lycophron, le savant Nonnus de Panopolis, pour
vérifier ces remarques.
L'art, de son côté, l'art proprement dit, s'inspirant des figures divines
et héroïques créées par le génie mythique, développées par celui de
l'épopée, parvint, après de longs efforts, à se dégager des vieux sym-
boles hiératiques, et, subordonnant tout à la loi du beau, à révéler dans
la forme humaine, épurée jusqu'à l'idéal, la divinité et ses attributs.
Les temples, les tombeaux, les édifices publics et privés se peuplèrent
d'une multitude de statues, de bas-reliefs, de peintures, oii les dieux
et les héros prirent réellement un corps, où les scènes de la mytho-
logie apparurent aux regards dans toute leur variété. Il nest pas jus-
qu'aux produits inférieurs de la plastique, sans parler des monnaies,
des bronzes, des pierres gravées, des ornements et des bijoux de toute
sorte , qui , en rendant témoignage de la vie et des mœurs des anciens ,
ne jettent un jour plus vif encore sur leurs traditions religieuses.
Communément, les artistes demeurèrent fidèles à ces traditions, et
les reproduisirent par les moyens et dans les conditions qui leur
étaient propres , telles que les poètes les avaient traitées. Il s'ensuit
que les documents littéraires suffisent en général à l'intelligence des
mythes , et que les monuments leur empruntent beaucoup plus de
lumières qu'ils ne sont capables de leur en donner. Mais, d'une part, ils
suppléent à ce que nous avons perdu en fait d écrits ; ils nous pré-
sentent de temps en temps les personnages et les événements mythi-
ques sous des aspects, avec des circonstances, même avec des noms
sur lesquels les auteurs se taisent. D'autre part, il est difficile de ne
pas penser que, dans certains cas, ils sont les témoins immédiats de la
tradition, surtout pour les antiques symboles nationaux et pour les lé-
gendes locales. De jour en jour, les preuves abondent; de jour en jour,
la mythologie s'enrichit des découvertes de l'archéologie ; et quoiqu'il
faille, danj l'étude des monuments figurés, consulter avant tout les
textes, quoiqu'il faille se tenir sévèrement en garde contre les sédui-
santes mais faciles illusions de l'interprétation livrée à elle-même,
il n'en est pas moins juste de reconnaître que l'archéologie de l'art,
MYTHOLOGIE. l67
appliquée à la mythologie, lui a rendu, dans ces derniers tenfips
surtout, les plus grands services, et qu elle peut lui en rendre de plus
signalés encore.
Mais la poésie et l'art ne sont pas les seules sources de la con-
naissance que nous pouvons avoir des mythes; ils n'ont pas seuls con-
tribué à les modifier en les transmettant. Chez les Grecs, nous l'avons
déjà dit, la prose naquit au VP siècle avant notre ère; elle naquit
des progrès combinés de la raison et de l'écriture, dans la marche
générale de la société et de la civilisation. Au VP siècle aussi paru-
rent la philosophie et l'histoire, sorties du sein fécond de la mythologie,
mais émancipées par la réflexion, et presque dès l'abord se séparant
avec éclat de leur mère commune. Pourtant quelques-uns des pre-
miers logographes, tels qu'Acusilaiis d'Argos, ne firent guère que
traduire en les ordonnant, les abrégeant et les dépouillant de leurs
ornements poétiques, mais non pas du merveilleux, les traditions
quelconques déjà recueillies et jusqu'à un certain point digérées par
l'épopée. Successeurs des cycliques , conteurs , ou , si l'on veut ,
chroniqueurs en prose comme ceux-ci en vers , ils ne furent au fond
que des mythographes et les plus anciens de tous. Tel ne voulait pas
être cet illustre Hécatée de Milet, qui prétendit introduire la cri-
tique dans la logographie, commença à interpréter historiquement
les mythes, et fut, ainsi que nous l'avons nommé ailleurs, le précur-
seur d'Hérodote(l). Ce sont les logographes qui, revisant et contrôlant
les généalogies épiques, en tirèrent une sorte de chronologie en
grande partie conjecturale; ce sont eux qui achevèrent de réduire
les mythes soit divins, soit héroïques, de plus en plus assimilés à
l'histoire, en un système qui n'est rien moins qu'historique, et qu'ont
reproduit, d'après les poëtes cycliques ou autres et d'après eux, les
mythographes postérieurs. Faut -il s'étonner si des esprits moins
religieux, moins sévères qu'Hérodote et Thucydide, si des historiens
de profession comme Ephore et Théopompe, méconnurent complète-
ment, dans la suite, la notion du mythe, et, dupes de l'apparence,
crurent faire sortir de ses récits la véritable histoire, en gardant la
forme et laissant le fond, en retranchant l'élément merveilleux, en
faisant des héros, même des dieux quelquefois, des hommes comme
nous, et suscitant ainsi de vains fantômes de personnes et d'événe-
ments à la place des réalités de croyances, de mœurs , de faits géné-
(1) Ployez dans V Encyclopédie des Gens du Monde, l'article Hécatée et celui
d'HÉRODOTE , sans parler des arUcles Homère et Hésiode, qui peuvent surtout servir
d'cclaircisâcmenls au présent morceau.
158 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
raiix, qu'ils furent impuissants à dégager? Faut-il s'étonner si ces tra-
vestissements souvent ridicules d'un passé jadis respecté aboutirent,
dans la décadence de la foi , dans le progrès du scepticisme et du maté-
rialisme, au système ou au roman historico-philosophiqued'Evhémère,
qui , posant en principe que tous les dieux sans exception devaient
avoir été des hommes dans l'origine , et ne pouvant établir son asser-
tion par les seules traditions de la Grèce, imagina un voyage à l'île
chimérique Panchasa, où, suivant lui, existaient des monuments de
ces hommes déifiés? Denys de Samos, surnommé le cyclographe, que
l'on a confondu longtemps avec le vieux logographe Denys de Milet,
mais qui fut, selon toute apparence, le contemporain d'Évhémère et un
adepte de la même école , a contribué avec lui à entraîner le crédule
Diodore de Sicile dans cette voie aujourd'hui décriée de la mythologie
romanesque, où se sont égarés sur ses pas tant de savants hommes
parmi les modernes.
Les philosophes, en général, suivirent une meilleure route et se
firent de la mythologie des notions plus dignes, quoiqu'ils aient
péché par un autre excès , en traitant la forme mythique comme une
pure forme, produit de la réflexion, en y méconnaissant la part du
fait , en donnant à l'idée une importance exclusive , et se méprenant
ainsi sur les simples et naïves intuitions de la haute antiquité, qu'ils
dotèrent gratuitement de leurs spéculations les plus abstraites. Parmi
les premiers sages, tandis que les uns, tels que Xénophane, Hera-
clite etPylhagore lui -môme, du point de vue nouveau de la raison ^
proscrivaient les fables symboliques d'Homère et d'Hésiode, comme
attentatoires à la morale et à la majesté des dieux; d'autres, les Ioniens
par exemple, avec eux Phérécyde, Empédodc, Parménide, ou trou-
vaient dans le sens caché de ces fables la confirmation de leurs propres
hypothèses sur l'origine et le gouvernement du monde, ou, comme
nous l'avons déjà fait observer, reprenant pour leur propre compte
la forme consacrée du mythe, lui confiaient, par un penchant plus
ou moins réfléchi , les résultats de leurs méditations. Peu à peu
l'interprétation et l'emploi de la mythologie devinrent tout à fait ar-
bitraires; elle dut se plier successivement à tous les systèmes philo-
sophiques, accepter leurs explications, ou bien leur servir d'organe.
Les stoïciens n'y voulurent voir que de la physique, et crurent dé-
couvrir dans les poëmes d'Homère un ensemble d'allégories de ce
genre; d'autres y trouvèrent de préférence des allégories morales.
Les néo pythagoriciens et les néo platoniciens y cherchèrent avec plus
de grandeur leurs théories métaphysiques, et se flattèrent en vain de
MYTHOLOGIE. l69
raffermir le paganisme ébranlé en élargissant ses bases par l'alliance
de l'éclectisme avec le syncrétisme religieux. Le dernier et triste
fruit de cette fausse direction donnée à l'interprétation mythologique
fut la secte postérieure des allégoristes , digne pendant, quoiqu'on
un sens opposé , des Évhéméristes.
Plus utiles pour la connaissance et même pour l'intelligence de la
mythologie, senties mythographes proprement dits, qui, aux épo-
ques alexandrine et romaine, compilèrent les mythes d'après les
poëtes de tout ordre et de tout âge, les logographes, les historiens ;
plus précieux encore sont les débris des savants commentaires , oii
les grands critiques d'Alexandrie eurent occasion de les exposer et
de les expliquer. Entre ceux-ci il suffît de nommer Aristarque et
Didyme; parmi les premiers, Apollodore, de la bibliothèque mytho-
logique duquel nous avons un extrait qui nous tient lieu , jusqu'à un
certain point, de l'original et de tant d'écrits perdus*, après lui Co-
non, Hygin , etc. Une mention d'honneur est due ici à Pausanias, ce
naïf et érudit voyageur, qui , au temps d'Hadrien et des Antonins ,
étudia sur les lieiyL les antiquités de la Grèce, décrivit ses monuments
et recueillit avec un religieux scrupule, de la bouche du peuple ou
de celle des prêtres, ses traditions vivantes encore, sans parler d'une
foule d'écrivains qu'il avait consultés et dont il cite les témoignages.
On peut dire sans injustice que ce qui a toujours manqué à l'anti-
quité, c'est la véritable compréhension de cette mythologie, dont pour-
tant elle se préoccupa jusqu'aux derniers temps, et où elle ne cessa
pas de soupçonner une grande énigme. Quand régnait la foi reli-
gieuse, quand la vénération pour les anciens mythes subsistait, l'idée
était conçue comme elle se produisait encore, avec la forme et par
elle; elle demeurait identifiée au fait. Quand le doute fut éveillé par la
réflexion, quand la raison demanda compte à la foi de ses respects
et de ses croyances, la forme avait tellement prévalu sur le fond que
les meilleurs esprits, ceux qui ne se résignaient point à prendre les
mythes* au pied de la lettre, ne purent y retrouver le sens primitif,
fait ou idée, et qu'ils se virent réduits ou à le nier, en admettant la
pure fiction , ou à le tirer violemment de leurs propres hypothèses,
jyiais lorsque se fut étendu pour les Grecs l'horizon de l'expérience,
lorsque leur commerce et leurs colonies d'abord, puis l'expédition
d Alexandre. et les établissements de ses successeurs, enfin leur con-
tact avec Rome et leur absorption dans son empire, leur révélèrent
l'Asie et l'Egypte, l'Orient et l'Occident, d'une part il se fit un rap-
prochement, une combinaison de dieux, de héros, de symboles et
160 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de fables religieuses, où le génie de l'hellénisme domina quant à la
forme, oii au fond il se pénétra chaque jour davantage d'éléments
étrangers; d'autre part, les hypothèses historiques prirent place à
côté des hypothèses philosophiques dans l'explication de la mytho-
logie. Même avant les logographes, avant Hérodote et depuis, indé-
pendamment des communications plus ou moins anciennes, plus ou
moins réelles , de cultes et d'idées , une multitude de liens mythiques
se formèrent entre la Grèce, l'Egypte et diverses contrées de la basse
et de la haute Asie, venues successivement à la connaissance des
Grecs et en relation directe ou indirecte avec eux. D'abord ils paru-
rent vouloir prendre le pas sur l'Orient; ils crurent y retrouver par-
tout la trace de leurs héros et de leurs dieux ; ils les promenèrent
jusqu'au fond de la Thébaïdeou même de l'Ethiopie, jusque dans la
Colchide et dans l'Assyrie , dans la Perse et dans l'Inde. Mais bientôt,
soit reconnaissance implicite de la priorité de l'Asie, de l'Egypte, en
fait de religion et de civilisation, soit admiration sentie pour la su-
périorité, la grandeur des conceptions symboliques de l'Orient et de
ses institutions sacerdotales, soit besoin de découvrir à tout prix le
mot de l'énigme mythologique qui leur avait échappé, de rendre le
sens et l'idée à ces formes dont la beauté plastique ne suffisait plus à
leur raison , ils se retirèrent sur le second plan , et ils posèrent en
principe que ces dieux, ces héros, amalgamés déjà en partie avec les
dieux et les héros asiatiques et égyptiens, ces mythes helléniques
mariés peu à peu avec les symboles orientaux, leur étaient parvenus
dès l'origine, ou de l'Egypte ou de la Phénicie , ou de quelque contrée
encore plus reculée. Alors les faits et les idées, les personnes et les
choses, les dates et les pays se confondant et s'identifiant de plus en
plus dans cette résurrection systématique de la mythologie, œuvre
mi-partie d'érudition et d'enthousiasme, qu'Alexandrie surtout vit
s'opérer, les vieux chantres sacrés , les prophètes mythiques de la
Thrace et de la Piérie , de l'Olympe et de l'Hélicon , durent comme les
anciens sages. Thaïes et Pythagore, mais bien avant eux, voyager
en Egypte ou dans l'Inde, et puiser à la source orientale les dogmes
d'une philosophie allégorique, mêlée d'éléments fort divers, étroite-
ment rattachée aux formes anciennes, et donnée comme la religion
primitive. Orphée, tantôt Égyptien, tantôt Thrace ou Grec, Orphée,
le héros d'une secte religieuse qui paraît avoir fait de très-bonne
heure une tentative analogue, fut érigé en théologien du paganisme
ainsi restauré contre l'assaut du christianisme naissant, et sous son
nom révéré, dont le christianisme lui-même ne dédaigna pas de
MYTHOLOGIE. 161
s'autoriser dans l'occasion, se multiplièrent des poésies où les dieux,
les héros , les mythes et les symboles retrouvèrent un sens pour les
philosophes, mais ne purent retrouver la foi des peuples. Toutes ces
combinaisons historiques ou philosophiques furent impuissantes à
régénérer l'antique mythologie aussi bien qu'à en surprendre le secret.
En vain, comme nous l'avons dit déjà, l'éclectisme néo-platonicien
vint en aide au syncrétisme alexandrin , le mysticisme oriental au
mysticisme grec. Depuis que le fond et la forme, l'idéal et le réel
avaient cessé de se pénétrer réciproquement, depuis que le principe
de vie qui les unissait dans la vieille paro/e (le mythe) s'était éva-
noui, leur nécessaire alliance ne pouvait se reproduire que sous l'in-
Quenced'un principe supérieur, d'un médiateur nouveau, par l'avé-
nement du Verbe fait chair.
Mais il nous tarde d'arriver aux travaux modernes dont la mytho-
logie classique principalement a été l'objet jusqu'à nos jours, et qui ,
par une analyse à la fois plus large et plus profonde que celle qui
fut permise aux anciens, l'ont éclairée, et peu à peu les autres mytho-
logies avec elle, d'une lumière de plus en plus vive.
Quand on cherche à se rendre compte de la marche des systèmes
sur la mythologie dans les temps modernes , on trouve qu'ils se sont
succédé, sinon dans le même ordre, au moins avec les mêmes carac-
tères généraux que les systèmes anciens , mais sur une plus vaste
échelle et avec un notable progrès. Dans la double préoccupation de
la forme mythique prise à la lettre et de la tradition biblique regardée
comme la seule histoire véritable du genre humain, le système qui
prévalut d'abord fut celui qui , rapprochant , des personnages et
des événements supposés de la mythologie , les événements et les
personnages jugés historiques de l'Ancien Testament, voulut voir
exclusivement dans ceux-là ceux-ci défigurés et altérés. Le savant
Samuel Bochart {Plialeg et Canaan) mit une merveilleuse éru-
dition philologique au service de cette hypothèse aujourd'hui rui-
née, malgré les efforts récents de quelques mystiques pour la
relever. L'abbé Banier et bien d'autres chez nous , l'Anglais James
Bryant, en Allemagne Hiillmann, et à quelques égards le célèbre
archéologue Bottiger , peuvent être rangés dans la même école ,
plus étroitement ou plus largement historique, mais au fond des
mythes cherchant toujours de l'histoire, soit des hommes, soit
des institutions , grecque, égyptienne , phénicienne ou autre. Ce
sont les évhéméristes modernes, quoique dans un esprit plus ou moins
différent de celui qui animait l'ancien Evhémère. Non moins exclusifs,
I. 11
162 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
mais plus heureusement inspirés, ont été ceux qui, soupçonnant
dans les mythes un sens caché, et faisant la distinction de la forme
et du fond , mais les traitant l'une et l'autre d'une manière complè-
tement arbitraire, ont renouvelé les systèmes d'interprétation ou
physique ou morale des anciens, et forment ce qu'on peut appeler
l'école allégorique. A cette école appartiennent et Noël le Comte, ou
plutôt Conti (Natalis Cornes), pour qui les mythes furent surtout mo-
raux, et le grand Bacon , qui y trouva de préférence les maximes de
la sagesse politique de l'antiquité, et le Hollandais Jacob Tollius, qui
rapporta à la chimie naissante l'histoire fabuleuse tout entière, sans
parler des alchimistes proprement dits , qui prétendirent expliquer
la mythologie par leur vaine science , en môme temps qu'ils lui en
demandaient la clef. Mais l'hypothèse qui, dans le progrès désor-
mais assuré de toutes les connaissances physiques au XVIIl'' siècle,
et l'invasion d'un esprit philosophique à la fois sceptique et enthou-
siaste , fut développée avec le plus d'éclat, accueillie avec le plus de
faveur, est celle qui, dans les symboles et les rites des cultes an-
ciens , dans les légendes religieuses et les récits mythologiques de
tous les peuples, essaya de montrer l'histoire de la nature et principa-
lement celle du ciel. L'ingénieux abbé Pluche préluda à cette théorie,
que le savant Dupuis, dans son Origine de tous les cultes, agrandit,
généralisa et formula en un système aussi hardi qu'étroit, aussi
conséquent que faux, qui a reçu à bon droit le nom de système as-
tronomique, et dont Volney et d'autres, en le copiant avec emphase
ou le résumant avec sécheresse, ont encore exagéré les conséquences
matérialistes. Dornedden, en Allemagne, d'après le même principe
et à la même époque , mais avec moins de savoir et de rigueur que
Dupuis, a cru expliquer par le calendrier la mythologie et l'art de
la Grèce , dérivés , selon lui , de l'Egypte. Tout comme ces hypo-
thèses, confondant les dates, ont transporté dans la haute anti-
quité, et le zodiaque chaldéo-grec , et la sphère poétique des Alexan-
drins, et leurs connaissances relativement récentes en astronomie,
nn auteur de nos jours , M. Schweigger, a gratifié la mythologie des
découvertes les plus belles de la physique moderne, de celles du ma-
gnétisme et de la polarité par exemple.
Ce qui manquait également à tous ces systèmes, qui, s'attachant à
l'écorce poétique de la mythologie , au fait apparent ou réel, ou bien
plaçant son essence dans tel ou tel ordre de notions et d'idées morales,
politiques, scientifiques, arbitrairement généralisé, faisaient saillir
tour à tour, à l'exclusion des autres , un des éléments divers qui la
MYTHOLOGIE. 1G3
composent , c'était de tenir compte du plus fondamental de tous ,
l'élément religieux. Telle ne fut pas l'erreur du grand philologue
Gérard Jean Vossius ou Vossius le père, dans son livre digne en-
core d'être étudié , dont le titre complet indique le point de vue si
étendu et si élevé pour le temps : De Tlieologiâ genlill et Physiologid
christianâ , seii de origine et progressa idololalriœ ad velerum gesta et
rerum naliiram redactœ, deqae naturœ mirandis, quibas homo adda^
citur ad Deiim, lib. IX, Amstelod., 1G42, 1666, etc. Vossius vit
très-bien que la mythologie renferme à la fois des faits et des idées ,
mais que les uns et les autres y sont rapportés à un centre commun,
la religion; il en fit la théologie du polythéisme, qu'il dériva, par
une série de dégradations diQ'érentes, selon les différents cultes païens,
comparés entre eux, du monothéisme des Juifs ou du seul vrai culte
avant le Christianisme. C'était la même préoccupation que nous avons
vue dominer le système historique, bien plus étroit, de Bochart,
celle que partagèrent Huet, Bossuet, et tant d'autres pieux savants
du XVIP siècle; c'est ce qu'on peut appeler le système ou l'école
théologique, qui a trouvé jusqu'à nos jours de nombreux partisans,
surtout dans le clergé, rarement d'aussi érudits et d'aussi sincères
que Vossius. L'hypothèse moderne de la révélation primitive, faite
aux ancêtres du genre humain , restreinte depuis dans le mosaïsme,
obscurcie successivement , sans s'effacer tout à fait , dans les reli-
gions païennes, et reparaissant triomphante dans le Christianisme,
n'est qu'une modification de l'ancien système théologique, cherchant
à se mettre en accord avec le progrès des connaissances historiques ,
et pactisant avec la philosophie.
Avant que ce système, et jusqu'à un certain point tous les autres,
se transformassent dans des conceptions plus vastes et plus indépen-
dantes, où le véritable esprit philosophique s'allierait à l'érudition
historique et littéraire , il fallait que la nature de la mythologie fût
étudiée en elle-même; il fallait que fût déterminé son rapport plus ou
moins nécessaire, soit avec le polythéisme, soit avec la religion en
général. Pour cela , il était indispensable qu'une mythologie particu-
lière, et de préférence la mythologie grecque, la plus accessible,
sinon la plus riche et la plus parfaite de toutes, fût soumise à un
examen approfondi , impartial , exempt de préjugé religieux ou autre.
C'est ce qu'entreprit l'école que nous nommerons philologique , à la
tête de laquelle nul ne mérite aussi bien d'être placé que l'illustre
Heyne, pas même son âpre et sagace adversaire, Jean-Henri Voss,
dont les efforts pour fonder exclusivement l'étude de la mythologie
161 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sur la lettre et la suite en quelque sorte matérielle des textes, n'ont
abouti qu'à faire mieux sentir la nécessité d'une critique sévère dans
cette difficile recherche. En dépit de ses attaques, Heyne, grâce à
l'étude profonde et persévérante qu'il fit, pendant plus de quarante
années (de 1763 à 1807), du génie des Grecs , de leur langue, de leur
poésie etde leur histoire, garde l'honneur d'avoir le premier tenté de dé-
finir la nature du langage mythique ou symbolique, d'en avoir sondé l'ori-
gine, d'avoir déduit de là des règles d'interprétation, auxquelles il ne
demeura piis toujours fidèle dans la pratique, ayant donné beaucoup
trop aux explications allégoriques des stoïciens. Après lui , le spirituel
Philippe Butlmann insista de nouveau sur le caractère essentielle-
ment significatif du mythe, le sépara nettement de la tradition histo-
rique, ainsi que de la pure fiction, et y montra une forme d'ex-
pression simple et naïve des idées, propre aux temps primitifs, et bien
distincte de ses élaborations poétiques, même les plus anciennes.
Mais de nouveau aussi Buttmann porta son regard au delà de l'horizon
de la Grèce, vers l'Orient, vers l'Asie, qui lui parut receler la pre-
mière origine d'un certain nombre de mythes grecs ; et signalant l'ana-
logie, plus encore que l'étymologie, comme un puissant moyen d'in-
terprétation , il recommanda la comparaison des traditions orientales
et des Sagas du Nord avec la mythologie des Hellènes. C'est par là qu'il
s'écarte du système rigoureusement hellénique, tel que Heyne et
Voss l'avaient professé en général, tel que l'ont adopté et développé
à leur suite, quoique dans des voies opposées du reste , MM. Welc-
ker et 0. Miiller d'une part, Lobeck de l'autre, les deux premiers
se plaçant au point de vue symbolique et faisant hautement res-
sortir l'élément religieux qui pénètre la mythologie tout entière ;
l'autre refusant à la mythologie, comme aux cultes de l'antiquité,
toute signification élevée et sérieuse, et se tenant judaïquement,
bien que savamment, à la lettre, sans faire acception de l'esprit.
Mais longtemps avant que MM. Welcker et Mûller, avec quelques
différences dont nous ne tiendrons pas compte en ce moment, eussent
produit leurs idées sur la nature de la mythologie grecque , sur l'ori-
gine et le caractère de la forme mythique, sur le lien intime et nécessaire
qui l'unit à toutes les conceptions de l'esprit, à tous les sentiments
de l'âme, surtout au sentiment religieux, ces idées, auxquelles nous
adhérons presque de tout point, et que nous avons exposées plus
haut telles que nous les admettons, avaient été formulées et géné-
ralisées par M. Fr. Creuzer, dans la belle théorie à laquelle nous
nous sommes déjà référé. L'auteur de la Symbolique et Mythologie,
MYTHOLOGIE. 165
publiée pour la première fois de 1810 à 1812, est donc aussi
le chef, sinon le créateur, de l'école nommée, principalement
d'après son livre et son point de vue, mythique ou symbolique;
école, disons-nous, et non pas système; car le système hellénique,
le système théologique , transformé en oriental , et le système allégo-
rique ou, si l'on veut, philosophique, représenté aujourd'hui par le
célèbre Godefroy Hermann , s'y sont également donné rendez-vous,
en dépit de la polémique de ce dernier contre Creuzer. Creuzer lui-
même, il faut le reconnaître, a fait de son principe, dont la supério-
rité et la vérité se trouvent ainsi établies, une sorte d'amalgame avec
ces trois systèmes, amalgame que n'avoue pas toujours la critique,
que les esprits sévères lui ont vivement reproché, mais qui n'est
peut-être qu'une de ces anticipations hardies que les esprits élevés
comprennent et qui ont au moins le mérite de marquer le but, si elles
ne l'atteignent pas , si même elles se trompent sur les vrais moyens
de l'atteindre. Ce n'est pas ici le lieu d'aborder en détail cette grande
controverse; mais rien n'empêche que, dans le progrès ultérieur des
connaissances historiques et philologiques, dans l'accord de plus en
plus étroit de la philosophie de l'histoire avec l'étude des antiquités des
peuples, l'idée du développement propre et local de la mythologie
grecque, comme de toute autre mythologie de l'Occident, ne parvienne
à se concilier avec celle de son origine orientale; rien n'empêche que
l'influence de la Phénicie, ou de l'Egypte, ou de l'Asie Mineure sur
les cultes, les traditions, l'art de la Grèce et surtout de l'Étrurie, ne
se vérifie, quoique dans une autre mesure , par d'autres voies ou pour
d'autres époques que celles qui ont été généralement admises ; rien
n'empêche qu'il ne se forme avec le temps et d'une manière légitime
des familles de mythologies, de religions, comme des familles de
langues, dont les racines soient identiques, dont les flexions, pour
ainsi parler, soient analogues, et qui doivent s'expliquer finalement les
unes par les autres, quoiqu'elles aient, dans leur complète efflores-
cence, un caractère d'originalité relative; rien n'empêche enfin que,
de proche en proche, et par la comparaison des familles mytholo-
giques entre elles, une fois qu'elles auront été profondément étudiées
en elles-mêmes et dans leur immédiate connexité , on ne soit conduit,
au moins pour une portion considérable de notre espèce, à la pensée
d'une filiation plus générale, d'une source commune et primitive, soit
des grandes institutions religieuses, soit de leurs formes symboliques
principales, source qui ne serait ni le monothéisme hébreu, ni le
monothéisme chrétien reporté aux premiers temps du monde, mais
166 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Cette simple et féconde religion de la nature , révélant la Divinité à
l'honinfie par ses œuvres, la lui montrant dans tout ce qui l'entoure et
dans lui-môme, la diversifiant sans perdre de vue son unité, qui est
tout ensemble un culte, une philosophie, une poésie, et que l'on
entrevolt au berceau de toutes les croyances païennes, de tous leà
systèmes religieux comme de toutes les mythologies de l'antiquité^
depuis l'Inde jusqu'à la Grèce et l'Italie, et de la Scandinavie ou de
U Celtique jusqu'à l'Egypte, l'Assyrie et là Bactriane.
J. Di GuiGNiAUT de Vlmiim,
VOYAGES ET RECHERCHES ARCHEOLOGIQtlES
DE M. LEBAS, MEMBRE DE L'INSTITUT,
EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE,
PENDANT tfiS ANNÉES J845 ET 1844.
TROISIÈME RAPPORT A M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
ROUTE D*ATHÊNES A CORINTHE PAR L'OUEST DE LA MÉGARIDE ; ÉLEUTHÈRES ET jEGOSTHÈNES ,
INSCRIPTIONS IMPORTANTES; PAG^, AUTRES INSCRIPTIONS J ŒNOÉ, TEMPLE DE JUNON
ACBiEA; RECTIFICATIONS GÉOGRAPHIQUES.
Monsieur le Ministre,
Peu de jours avant mon départ pour le Péloponèse, M. le général
Prokesch d'Osten , avec lequel j'avais déjà si agréablement parcouru
l'Attique, me proposa de faire, de compagnie, route jusqu'à Mes-
sène. J'acceptai avec empressement une association qui ne pouvait
que ra'être agréable et utile.
Comme il fallait de toute nécessité que je revinsse à Athènes par
Mégare, nous convînmes de ne pas pénétrer dans le Péloponèse par
la route habituelle, mais de faire un léger circuit, de tourner le mont
Kérata , de nous diriger sur Éleulhères et de nous rendre à Corinthe
en suivant la côte occidentale de la Mégaride.
Éleuthères fut donc notre première station. Peu de lieux antiques,
monsieur le Ministre, méritent au môme degré l'attention du voya-
geur. Cette place importante, qui fermait la route la plus directe de
Thèbes à Athènes, avait été bâtie par les Athéniens avec un soin tout
particulier, sur un immense rocher escarpé de toutes parts, et situé
entre deux ravins aboutissant tous deux à un défilé. Une partie très-
considérable de l'enceinte subsiste encore aujourd'hui et ne présente
que très-peu de solutions de continuité. Toute la muraille nord-est
avec ses tours, ses murs de ronde, ses parapets semble dater d'hier,
et se prêterait par conséquent très-facilement à une restauration
architectonique de l'ensemble; cette forteresse , OEnoé, Phylé, for-
maient pour l'Attique avec les Longs Murs et Mégare un système de
défense qu'il serait intéressant d'étudier. J'ai déjà fait relever le plan
168 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de Phylé; on connaît la direction des Longs Murs; on sait comment
ils se rattachaient à l'enceinte du Pirée ; on a également, si je ne me
trompe, dessiné ceux deMégare; il ne resterait donc plus qu'à s'oc-
cuper d'Éleuthères et d'OEnoé. 11 faudrait en outre étudier les routes
qui conduisent de Marathon à Athènes, et l'on serait alors en état
de publier un travail qui expliquerait, d'une manière satisfaisante,
plus d'un point de l'histoire militaire d'Athènes, resté obscur jusqu'à
ce jour. On aurait de plus des éléments importants pour un travail
non moins utile : l'histoire de la fortification militaire chez les Grecs.
Il est d'autant plus urgent de s'en occuper que depuis la renais-
sance de la Grèce, depuis que les villes et les villages se rebâtissent,
un grand nombre de ces précieux débris ont déjà disparu , et bientôt
ils ne présenteront plus par conséquent que des données insuffi-
santes. Je me propose, si le temps et les ressources que vous avez
mises à ma disposition me le permettent , de faire dessiner et mesurer
tout ce que je trouverai, non-seulement d'OEnoé et d'Eleuthères,
mais des autres places fortes, tant du Péloponèse que de la Grèce
centrale. C'est ce que j'ai déjà fait, avec un soin tout particulier,
pour Messène et pour le mont Ithôme , ainsi que j'aurai l'occasion
de vous le dire dans une des lettres suivantes.
D'Eleuthères, longeant la pente méridionale du Cithéron, nous
nous sommes dirigés sur ^Egosthènes, appelée aujourd'hui Porto-
Germano, nom que ce lieu doit, peut-être, à ce que notre saint
Germain y a été l'objet d'un culte particulier à l'époque de la domi-
nation française. A moitié de la distance qui sépare ces deux villes,
à environ une demi-lieue du village moderne de Villia, au point oii
vient aboutir la route qui monte directement à Pagae , le colonel
Leake a retrouvé, il y a quelques années, dans une église, une
inscription existant aujourd'hui dans la collection particulière de
M. Prokesch, et d'oii il résulte que dans ce lieu même, vallée ver-
doyante et retirée, se trouvait le Mélampodéion, sanctuaire du héros
local d'iîlgosthènes. Je me propose de publier, à mon retour, cette
inscription, dont il est possible de donner une restitution plus com-
plète et plus satisfaisante que celle qu'on doit à M. Leake , et
d'en faire, avec d'autres encore dont je vais bientôt vous entretenir,
l'objet d'une monographie.
jEgosthènes, monsieur le Ministre, est située au fond d'une baie
que forment, d'une part, la prolongation occidentale du Cithéron et
de l'autre les montagnes de la Mégaride. A en juger par ce qui reste
de ses murailles, et il en reste une portion considérable, surtout dans
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE ^IINEURE. 169
la partie qu'on peut envisager comme l'Acropole , elles avaient prin-
cipalement pour but de faire de cette ville un obstacle contre une in-
vasion venant de laBéotie, et, sans doute, elles se rattachaient au
système de défense propre à la Mégaride. Si elles ne sont pas mieux
conservées aujourd'hui, c'est qu'elles ont été utilisées au moyen âge.
Suivant l'usage, nous avons visité attentivement toutes les églises.
Celle de la Panagia nous a offert d'abord cette épitaphe encastrée
dans la façade :
MEAAMnOAOPA
AXEAONO
En regardant ensuite de plus près, nous nous sommes aperçus que
sur la face extérieure de la pierre, servant de linteau à la porte, était
gravée, en caractères très-fins de l'époque macédonienne, une longue
inscription de soixante-douze lignes environ dont quarante au moins
pouvaient se lire ; et que sur la face intérieure il s'en trouvait encore
une autre un peu moins étendue, il est vrai, mais au moins aussi
lisible. La position de cette pierre rendait la lecture des deux monu-
ments, surtout du dernier, on ne peut plus difficile. Comment d'ail-
leurs songer à déchiffrer plus de cent lignes, de trente-cinq à qua-
rante lettres chacune, dans le court espace de temps dont nous pou-
vions disposer; car il avait été décidé que nous irions coucher, le
soir même, sur les ruines de Pagae. J'ai donc eu recours à l'estam-
page qui m'a parfaitement réussi , et depuis lors j'ai tenté, dans mes
très-courts instants de repos, de reproduire, par une copie fidèle, le
contenu de ces deux monuments. Si je m'en suis fait une idée exacte,
la pierre sur laquelle ils sont gravés devait faire partie de la muraille
extérieure de quelque monument public, et cette muraille elle-même
était comme un vaste registre où l'on déposait, sans observer aucune
classification méthodique, les principaux actes de l'autorité ; fait dont
notre savant confrère, M. Joseph-Victor Leclerc, a déjà fourni plus
d'un exemple dans son excellent livre sur les Journaux des liomains.
Ainsi ce que j'ai pu lire jusqu'à ce jour de la face antérieure contient
cinq actes dont deux seulement ont du rapport entre eux. Le premier
est un décret par lequel le peuple des J^gosthénitains, sur la propo-
sition d'un certain Nicias, fils de Dionysios, soumise préalablement
au sénat, accorde le droit de préséance à la ville béotienne de Syphae,
pour des preuves constantes de bienveillance, et veut que tout Syphéen
qui viendra assister aux sacrifices communs jouisse des mêmes avan-
tages que les citoyens d'^Egosthènes, Ce décret doit être gravé sur
170 REVUE archéologique;
une stèle et déposé , sans doute en copie , dans le sanctuaire de Mé-
lampe.
Chose remarquable , cet acte n'est pas écrit , comme ceux qui le
suivent, dans ce dialecte dorien commun dont plusieurs pièces offi-
cielles des autres villes de la Mégaride fournissent des exemples;
mais, autant que je puis l'affirmer, dépourvu que je suis en ce mo-
ment, au milieu des rochers de la Laconie, du seul livre qui pourrait
m'offrir des comparaisons, dans le dialecte béotien, oii V H rempla-
çant AI, on écrivait HrOSOENITHS au lieu de AirOSeENITAIS ,
KH au lieu de KAI , AEAOX0H au lieu de AEAOXeAI , ce qui, soit
dit en passant, pourrait paraître un argument en faveur des gram-
mairiens qui ne veulent pas admettre que H se soit toujours pro-
noncé 1, mais ce qui prouve en môme temps que H n'avait pas la
même prononciation que AI , puisque dans d'autres actes on lit :
Kocly dsâo^Qociy Aiy o(jQ ev iT àv , etc.; où 2", I se substituant à la
diphthongue El, on écrivait EHIAH pour HEIAH , ^YAATTI pour
^ÏAATTEI, ce qui serait encore un argument en faveur de la môme
cause; 011 3% substituant TT à S on disait OHOTTOI pour OnOSOI.
Je me borne à ces trois faits entre beaucoup d'autres que je pourrais
citer.
D oii vient cette différence marquée entre des actes qui évidem-
ment ont été gravés par la même main et probablement à la même
époque, ce qui est incontestable pour les deux premiers? Plusieurs
conjectures se présentent à l'esprit. Les hommes d'iEgosthènes
avaient-ils voulu faire une politesse à leurs voisins en employant leur
dialecte dans un décret dont une copie devait sans doute leur être
envoyée? Il est bien vrai qu'il n'est pas fait mention de cet envoi
dans l'acte en question, mais beaucoup d'autres monuments du
même genre autorisent à le supposer. Faut-il au contraire penser
qu'Jigosthènes , a une certaine époque, avait été réunie à une con-
fédération de la Béotie et employait la langue de ce pays dans ses
rapports avec les différents membres de cette confédération ? Il est
constant, par le décret en question, qu'iEgosthènes , comme Thèbes,
avait des magistrats désignés sous le nom de polémarques; d'un autre
côté, il résulte du troisième et du quatrième acte de la face A et de
tous ceux de la face B, que cette ville avait pour magistrat suprême
un Archonte qui était éponyme et dont le nom, sur les actes officiels,
était précédé de celui de Tarchonte d'Onchestus, Je me bornerai à un
seul exemple, c'est le début du n'' 2 de la face B : ApiŒzoY.leoç «p-
XovToç è[y Oyjyridzcù èm de izoXioç K«XAiyev6[o$J. De ce second fait
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 171
on déduirait encore qu a l'époque où la pierre a été gravée des liens
intimes existaient entre iEgosthènes et l'amphictyonie dont la ville
d'Onchestus était le centre.
Le second décret accorde le titre àeproxène et de bienfaiteur à un
certain Poli[ti]cos, fils de Ménon, habitant de Chaléon (Xalzvç),
ville des Locriens Ozoles, en reconnaissance des services qu'il a ren-
dus à la ville des iEgosthénitains , et cette décision , comme la précé-
dente, doit être, par les soins des polémarques, gravée sur une stèle
et déposée dans le Mélampodéion.
Dans le troisième, on trouve les noms de onze éphèbes désignés,
selon l'usage, par celai de leurs pères, et cette énumération , qui
commence par ces mots : rolâsè^if/i^m, n'est suivie d'aucun verbe
qui indique ce qu'ils ont fait, ou ce qui leur mérite cette distinction.
Le quatrième nous apprend que, dans l'année où Onasymos était
archonte à Onchestus, Alci...,, fils d'ApoIlodore , a été inscrit, sur
quelle liste? dans quelle tribu? C'est ce qu'il faudra examiner.
Le cinquième mentionne qu'une pareille inscription est accordée à
Denys, fils de Pasiclès» Les trente-deux lignes suivantes sont horri-
blement mutilées, et une étude très-longue, très-difficile et très-fati-
gante ne me conduira , je le crains bien , qu'à retrouver quelques
lettres de chaque ligne. Je n'y puis songer en ce moment.
Je passe donc à la face B qui contient quatre listes d'éphèbes
toutes dressées dans des années différentes. La première contient huit
noms, la seconde onze, et se termine par ces mots : tov (twv) onlirâtf
èny.cc(7E ùhovvœloç Epéx * ce qui porterait à croire que ces noms ,
comme ceux des listes dont j'ai déjà parlé et de celles dont je parlerai
plus bas, désignent des jeunes gens qui ont pris part à des jeux so-
lennels. Mais alors comment se fait-il que le nom du vainqueur, au
combat des hoplites , ne figure pas sur cette liste et soit mentionné
immédiatement après? Ce vainqueur appartiendrait-il à la classe des
hommes faits ; mais alors pourquoi ne donne-t-on pas une liste de
ceux qui ont combattu? Il y a là une difficulté qu'un voyageur, éloi-
gné de ses livres et de tous secours scientifiques, ne peut guère
résoudre , mais que je me propose d'examiner dans des temps plus
favorables.
Les n°* 3 et 4 sont de même nature que les précédents, mais
d'une date différente. Dès que j'aurai le Corpus à ma disposition,
j'examinerai si les inscriptions de la Béotie présentent quelques faits
analogues et, s'il en était ainsi, ce serait une preuve qu'^Egosthènes,
que tous les géographes placent dans la Mégaride, a, pendant plu*
172 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sieurs années, à l'époque macédonienne, dépendu de la Béolie, tant
sous le rapport politique que sous le rapport religieux.
C'est à des temps beaucoup plus récents qu'appartient l'inscrip-
tion suivante, découverte récemment par un paysan de Villia :
AYPHAIOIZHNLJNKAL!]
AnOAAUJNIACYNTOlLC]
TeKNOICKATAGYXLHN]
TOnPONAIONTOlLC]
GeOICeKTONIALl]
(jjNenoiHceNC^îV:.)
C'est-à-dire : Zenon et Apollonia, de la gens Aurélia, ont, avec
leurs enfants, et par suite d'un vœu, élevé, à leurs frais, ce pronaos,
en Vhonneur des Dieux.
Quels Dieux ? Peut-être Marc-Aurèle et son frère Vérus , déifiés à
iEgoslhènes , comme Antonin, sur tant d'inscriptions de Sparte, ainsi
que j'aurai occasion de le prouver dans une de mes prochaines
lettres.
Je me propose, monsieur le Ministre , de repasser par iEgosthènes
lors de mon voyage en Béotie; les murailles de celte ville me parais-
sent mériter une étude attentive; car elles offrent, selon moi, un
argument en faveur de l'opinion que j'ai conçue en étudiant les murs
de Messène, c'est à savoir que les anciens n'employaient les enceintes
continues que pour leurs acropoles, et que la ville, proprement dite,
n'était défendue par des murailles que sur les points oii elle était
directement attaquable.
Le soir môme, nous avons été chercher un gîte à Pagae, aujour-
d'hui Alopéko-Kampo , village entièrement abandonné. Nous n'y
avons pu trouver d'autre asile que l'église, sans toit, delaPanagia
dont les murs ne sont, en grande partie , que des fragments de mo-
numents antiques entassés sans art comme sans mortier, et parmi
lesquels figurent plusieurs inscriptions. Malheureusement la plus
longue et la plus importante, bien qu'elle soit de l'époque romaine,
sert de linteau à la porte du sanctuaire champêtre et ne pourrait être
lue, recouverte qu'elle est par des matériaux, qu'en démolissant cette
partie du frêle édifice, sauf à reconstruire ensuite. Cette opération
serait loin d'être difficile, mais elle exigerait cependant au moins une
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 173
journée et des travailleurs qu'on ne pourrait trouver qu'à quelques
lieues de là.
Le petit nombre de monuments écrits que j'ai trouvés dans ce lieu,
quelque courts et quelque insignifiants qu'ils soient en apparence, sont
autant de chapitres de l'histoire de PagSB, depuis l'époque de la ligue
achéenne jusqu'au règne de Constantin. En effet, un fragment de
vingt-quatre lignes prouve qu'à l'époque des Achéens, dont le nom
revient plus d'une fois dans ce décret, cette ville était gouvernée par un
magistrat portant le titre de roi; quelle avait un port désigné sous le
nom de Panorme , dont on voit effectivement encore, sur le bord de
la mer, quelques traces consistant en assises et en colonnes de marbre
blanc. Un tiutre fragment de neuf lignes doit avoir appartenu à un
décret d'une époque rapprochée, car la forme des caractères est à peu
près la môme. Malheureusement on n'y lit que les premières lettres
de neuf lignes. Vient ensuite une épitaphe qui doit être postérieure
d'un siècle :
MENEKPATH2
0AA2l!V10Y
Au premier siècle de notre ère appartient une grande colonne fu-
nèbre portant :
lENH
lAA
XAIPE
et au-dessous une femme assise , ce qui prouve que , sur ces sortes
de représentations, le personnage, dans cette attitude, n'est pas
toujours le mort.
Il faut rapporter à la même époque que ce monument une autre
colonne qu'un paysan nous a montrée dans la vallée au nord de Pagae
et sur laquelle on lit :
APIITHN
2nTEAE02 ,
XAIPE
Je considère comme plus récente l'épitaphe qui suit :
nAlAMOAIE
XPH2TE
XAIPE
La dédicace d'une statue d'Hercule, élevée gratis par le Saint Sy-
J74 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
node (tepàf r7vv[o^oç] twv HpaHA[£i]Tc5v) des adorateurs de ce dieu,
doit être, à en juger, par la forme des lettres, d'une époque plus ré-
cente encore.
EnOn la dernière , en lettres d'un travail grossier, était gravée sur
la base d'une statue élevée en l'honneur de l'empereur Constance.
Elle est ainsi conçue :
TONKYPIONHMnNTONEni
OANECTATONKAICAPAOA .
OYAAEP.KCJCTANTION
HnOAlC
Le lendemain , nous étions , à midi, dans la plaine fertile d'Aspro-
Kampo, où les murs d'une église nous offrirent plusieurs pierres avec
des caractères archaïques, mais dont malheureusement aucune ne
présente un sens , si ce n'est celle où j'ai lu :
H OSTOA ^ m a ma (oç Toâe Gà^xoc )
ce qui est le début de plus d'une inscription métrique relative à la
dédicace d'une statue.
A dix minutes de là, au sud-est, on voit, sur une élévation, une
autre église avec des soubassements en assises antiques; c'est évidem-
ment dans ce lieu qu'il faut placer OEnoé et non pas, comme l'ont
fait les officiers par lesquels a été dressée la carte de Grèce , sur un
rocher, au sud, où l'on voit un mur grossièrement construit que les
habitants honorent, fort mal à propos, du nom pompeux de PaJœo
Kaslro, et qui ne date probablement que de la dernière guerre contre
les Turcs.
Le jour suivant, nous eûmes encore l'occasion de rectifier une
erreur de la carte. A la partie la plus occidentale de la côte que nous
venions de suivre se trouve un promontoire, célèbre dans l'antiquité,
où s'élevait un temple consacré à Junon Acraea, et qu'apercevaient,
au loin, tous les navigateurs qui parcouraient le golfe de Corinlhe.
Ce temple, dont il n'existe plus aucune trace certaine, a été placé
sur la carte au point qu'occupe aujourd'hui l'église d'Hagios-Nikolaos.
Mais de ce point on n'aurait pu l'apercevoir au loin et le surnom
d'Acrœa n'aurait pas eu de sens. 11 me paraît hors de doute qu'il faut
chercher ce monument sur un plateau un peu plus élevé à 600 mètres
au moins en avant, où j'ai retrouvé les assises du soubassement d'un
temple, orienté de l'est à l'ouest, très-près et à l'ouest d'un rocher
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 175
sur le sommet duquel on retrouve une citerne antique qui devait ser-
vir aux sacrifices ; un peu en arrière et au dessous, on distingue encore
un terre-plein soutenu , du côté de la mer, par un soubassement en
assises cyclopéennes qui formaient, avec les parties inaccessibles du
rocher, l'enceinte de ce lieu vénéré.
Quant à l'église d'Hagios-Nikolaos, qui est incontestablement bâtie
sur l'emplacement d'un temple antique, entouré lui aussi de murs
pélasgiques, mais d'une construction moins belle que celui dont je
viens de parler, elle doit avoir été un sanctuaire de Neptune , car, à
l'époque oii le culle chrétien a remplacé le paganisme, saint Nicolas
a, dans plus d'un lieu, détrôné le dieu de la mer. Du reste, tout ce
promontoire, jusqu'au lac salé qui l'avoisine, a dû être habité dans
l'antiquité, ainsi que le prouvent la fertilité du lieu, les nombreux dé-
bris de tuiles antiques, les assises , les citernes taillées dans le roc vif,
que l'on rencontre sur divers points de la route.
Du cap on se rend, en cinq heures, à Corinthe oii nous vînmes
coucher le soir. De cette ville, si riche autrefois, et qui , même après
sa destruction par Mummius , avait recouvré un certain éclat sous
Auguste, il ne reste plus aujourd'hui qu'un nom, bien que le gouver-
nement grec ait fait de ce triste village le chef-lieu d'une province.
Son Acropole, dont nous avons parcouru toutes les sinuosités, n'offre
plus que bien peu de traces de l'enceinte hellénique. Ce poste, qui
a joué un si grand rôle dans toutes les guerres de la Grèce, n'a plus
aujourd'hui, pour garnison, que quatre hommes et un caporal, et
pour moyen de défense que quelques mauvais canons turcs ou véni-
tiens encloués. La désolation règne partout ! et cependant de quelle
importance pourrait être encore celle ville située sur deux mers, à
quelques heures d'Athènes, à deux jours de Constantinople ou de
l'Italie ! Espérons qu'elle renaîtra de sa cendre : il est des noms qui
ne doivent pas mourir 1
Je suis, avec respect,
Monsieur le Ministre»
Votre dévoué serviteur,
Ph» Lebas.
Gythiûm, le 8 juillet 1843.
INSCRIPTIONS ROMAINES DE BAENA,
Les inscriptions suivantes, découvertes en Andalousie au mois
d'août 1838 n'ont jamais été publiées , du moins en France ; nos lec-
teurs nous sauront gré de les leur faire connaître.
Des bergers gardant leurs troupeaux au lieu dit Cortijo de las
Virgenes, dépendant du bourg de Baena, à quelques lieues de Mon-
tilla , découvrirent un tombeau souterrain, voûté, long de 3 mètres
environ, large de 2, ayant sous clef 3 mètres 50 centimètres. Le
long des murs régnait une corniche saillante, à hauteur d'appui,
sur laquelle étaient rangées treize urnes en pierre , dont douze por-
taient des inscriptions en beaux caractères, parfaitement gravés. Ils
trouvèrent encore un grand vase de verre dans une espèce de boîte
en plomb, une lampe, des fioles et quelques poteries gros-
sières de fabrique romaine. Persuadés qu'un pareil lieu devait ren-
fermer un trésor, les bergers le mirent au pillage, dispersèrent les
cendres et les ossements calcinés que contenaient les urnes, brisè-
rent le vase de verre, en ouvrant la boîte de plomb, et n'avertirent
de leur découverte le propriétaire du terrain, M. Don Diego Pineda,
que lorsqu'ils se furent assurés que le caveau ne contenait aucun objet
en métal précieux. M. D. Diego Pineda mit les urnes en sûreté et
recueillit de son mieux les débris échappés aux mains sacrilèges des
chercheurs de trésor.
Voici les inscriptions :
1. Q. POMPEl. Q. F. SABINI
2. POMPEIAE. Q. F
NANNAE
3. VELGAN
4. ILDRONS
VELAVNIS F
5. FABIA. M. F. ANINNA
M. POMPEL Q. F
INSCRIPTIONS ROMAINES DE BÀENA, 177
6. CN. POMPEIVS. CN. F
GAL. AFER. AED
11 VIR
7. M. POMPEIVS Q. F. ICSTNIS
llVm. PRIMVS. DE FAMILIA
POMPEIA
8. IGALGHIS. ILDRONS. F
9. Q. POMPEIVS. Q. F
VELAVNIS
10. IVNIA. L. F
INSGHANA
11. SISEANBAHAN
NONIS. F
12. GRACCHI
Nous rapportons les inscriptions dans l'ordre qu'elles ont sur la
copie qui nous a été envoyée de Baena ; il est plus que probable que
telle n'était point la disposition originelle des urnes dans le tombeau.
Leur déplacement est regrettable , car l'arrangement primitif aurait
pu fournir quelques indications sur les rapports de parenté ou d'al-
liance existant entre les treize individus réunis ainsi dans une sépul-
ture commune; nous essaierons tout à l'heure d'y suppléer par nos
conjectures.
Remarquons d'abord que dans les douze urnes, portant des in-
scriptions, il n'y en a pas une seule qui renferme les restes d'un
affranchi. Cette particularité distingue ce tombeau de la plupart
des sépultures romaines, et, à notre avis, est un indice qu'il a été
construit à une époque où l'Espagne n'avait point encore adopté
complètement les usages de Rome. Le mélange de noms latins,
carthaginois et espagnols vient confirmer d'ailleurs cette présomption.
Dans toutes les provinces de l'empire, les habitants barbares pri-
rent de bonne heure des patrons parmi les conquérants et adoptèrent
leurs noms , empressés de faire oublier leur origine et de s'affilier
à la nation souveraine. La naturalisation entraînait toujours pour le
barbare un changement de nom; le patronage seul d'un Romain
illustre avait le môme résultat : on est en droit de le supposer , en
I. 12
178 ' REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
voyant sur des médailles gauloises des chefs protégés qui portent le
nom de JuUos (l). Lors donc que dans une inscription, à un nom
purement romain, se trouve joint un surnom barbare, et surtout,
lorsqu après le nom romain d'un personnage, se lit le nom barbare
de son père, on peut en conclure avec vraisemblance que peu avant
lepoque où l'inscription a été tracée, ce personnage a été naturalisé
ou bien est entré dans une clientèle romaine, et, dans certains cas,
que le pays auquel il appartient, est passé, en même temps que lui,
sous l'influence de la civilisation de Rome. Que si le nom romain est
précisément celui du magistrat de la République qui a subjugué ou
gouverné le pays auquel l'inscription se rapporte, c'est une forte
présomption pour croire qu'elle remonte à une époque peu posté-
rieure au gouvernement de ce magistrat. Faisons l'application
de la règle que nous venons de poser à l'inscription de l'arc de
Saintes, laquelle ayant une date certaine (le quatrième consulat de
Tibère) ne peut nous égarer. La dédicace du monument est faite par
un magistrat portant le prénom et le nom du conquérant de la
Gaule , et un surnom latin. Son père et son grand-père avaient les
mêmes noms et prénoms, mais des surnoms gaulois. Enfin, son
bisaïeul n'avait qu'un nom gaulois.
C. IVLÏVS. C. IVLI. OTTVANEVNL F. RVFVS. C. IVLL
GEDEDMONIS NEPOS. EPOTSOROVIDL PRONEPOS.... etc.
On voit, au premier coup d'œil, que la famille de Julius Rufus
était entrée dans une clientèle romaine , deux générations avant lui ;
que son auteur, Épotsorovide, est demeuré barbare, et que le fils
de ce dernier, Gededmon a obtenu de César le droit de cité romaine ,
ou du moins qu'il a été son protégé.
Nous allons, maintenant, rechercher dans les inscriptions deBaena
des indications analogues à celles dont nous venons de constater
la valeur. La cause qui a multiplié les Jules dans toute la Gaule a dû
répandre en Espagne le nom de Pompée. Obligés de se choisir un pro-
tecteur à Rome, les Barbares préféraient avec raison le plus puissant,
et tel était à leurs yeux celui qui les avait vaincus, ou qui les gou-
vernait. Le vainqueur, de son côté, surtout dans les derniers temps
de la République , accordait facilement son patronage aux chefs bar-
Ci) Duratius , chef des Pictons, et un certain Togirix qui n'est connu que par
des monuments numismatiques.
INSCRIPTIONS JlOMAmES P? PAENA. 179
bares : c'étaient autant de soldats dévoués pour le cas , toujours pro-
bable , d'une guerre civile.
Tous les noms ronnains inscrits sur les urnes de Baena appartiennent
à des familles illustres, dont quelques membres, par une coïnci-
dence remarquable , ont exercé une influence politique en Espagne,
pendant une période de temps antérieure à la complète soumission
de cette province, On remarque cinq Pompée, dont deux ont des
surnoms purement romains; ce sont vraisemblablement les plus mo-
dernes. Vient ensuite une Fabia Aninna (n° 5) dont le nom rappelle
celui de Q. Fabius Maxiraus, lieutenant de César ej^ Espagne. Il faut
remonter plus haut pour trouver l'origine du nom de Jania Insghana ,
(n° 10). Tite-Live nous fait connaître deux membres de la famille
Junia, qui ont tous les deux commandé en Espagne : le premier,
M. Junius Sllanus , lieutenant de Scipion en l'an de Rome 545 ; le se-
cond, M. Janias Pennus, prêteur en 579. Mais le nom le plus extraor-
dinaire à rencontrer, c'est celui de Gracclms (n^ 12). On sait, en
effet, que ce nom, ou plutôt ce surnom, s'éteignit avec les deux fa-
meux tribuns Tiberius et Caïus. Pour expliquer sa présence dans
une inscription espagnole, il faut admettre qu'il ait été introduit
dans la Péninsule ibérique, par le patronage, soit de Tiberius, ques-
teur dans la guerre de Numance , soit de son père , préteur quelques
années auparavant, dans la guerre contre les Celtibériens. On peut
inférer de ce qui précède que le tombeau de Baena aurait été con-
struit à une époque postérieure à la guerre civile de Pompée et de
César, et probablement une ou deux générations après cette lutte
mémorable.
Une dernière considération peut encore servir à confirmer la date
à laquelle nous a conduits le rapprochement des noms romains et
barbares. Nos lecteurs ont remarqué la formule très-singulière,
qui se lit sur l'urne n'' 7. Nous traduisons ainsi : Marcus Pompeius
Icstnis (nous reviendrons sur ce surnom) fils de Quintus, de la tribu
Galeria, le premier de la famille Pompeïa qui ait été daumvir. On a
quelque peine à s'empêcher de sourire à cette remarque naïve, oii le
nom de Pompée se trouve associé à l'ambition du magistrat d'une
ville de province , Munda suivant toute apparence , car Montilla qui
occupe l'emplacement de Munda est voisine de Baena (1). Il peut
paraître étrange qu'un homme prenne soin d'apprendre à la postérité
(1) y. Diccionario geograflco-historico de la Espana antigua , por dom Mi-
guel Cortès y Lopez , tomo Ul , Munda Bcelria.
180 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
que les honneurs municipaux sont nouveaux dans sa famille. Cette
modestie ou cet orgueil , si l'on veut , ne se rencontre pas d'ordinaire
chez les Anciens. On peut soupçonner une énigme; voici l'explica-
tion que nous en proposerions. Après les victoires de César et d'Au-
guste , la clientèle de la famille Pompeïa dut cesser d'être un titre à la
faveur des magistrats romains. 11 fallut que Sextus, le dernier des
Pompées, fût anéanti avec toute sa faction, pour que ce nom illustre
cessât d'être un obstacle pour parvenir aux honneurs dans une pro-
vince longtemps agitée par la guerre civile. Cette espèce de réproba-
tion ne dut cesser que sous Auguste , lorsque l'empire jouit enfin
d'une complète paix. L'inscription, alors, au lieu d'être offensante
pour les aïeux de Poinpeias lestais , marquerait seulament d'une ma-
nière détournée qu'on avait rendu tardivement justice à sa maison. Si
l'on voulait se lancer plus avant dans le champ des hypothèses , ne
pourrait-on pas supposer que M. Pompeius Icslnis dut les honneurs
municipaux à son mariage avec Fabia Aninna, dont la famille, par
le patronage d'un lieutenant de César, donnait des garanties au parti
vainqueur? Quelle que soit la valeur de cette dernière conjecture,
en réunissant les observations qui précèdent, on peut, avec beaucoup
de probabilité, placer la date des inscriptions de Baena, soit à la fin
de l'empire d'Auguste, soit au commencement du règne de Tibère.
Les rapports de l'Espagne méridionale avec l'Afrique furent tou-
jours si fréquents, que personne ne sera surpris de voir un nom car-
thaginois sur l'urne (n" 11), Siseanba, fils ou fille de Hannon.
J'ignore si ce nom de Siseanba est espagnol ou punique. Le surnom
d'Afer donné à un Cneïus Pompée (n° 6) prouve, d'ailleurs, que la
famille à laquelle appartenait le tombeau comptait des Africains
parmi ses membres.
Nous avons promis de revenir sur le surnom bizarre de Icstniy, Il
est probable qu'un tel groupe de lettres ne forme un mot dans au-
cune langue, car on ne saurait le prononcer; suivant toute appa-
rence, des voyelles ont été omises dans l'écriture, suivant l'usage
des Phéniciens, imité par les Celtibériens , autant qu'on en peut
juger par quelques-unes de leurs médailles (1). Alors, peut-être, fau-
drait-il cbercher dans Icslnis , un surnom dérivé d'Icosiam, ville de la
Mauritanie, dont Pline nomme les habitants : Icosilani, 11 y avait en-
core en Espagne une ville d^Iclosia dont l'emplacement n'est point
connu avec certitude, mais que la plupart des géographes croient
être la même que Octogesa, au confluent de la Sègre et de l'Èbre.
(1) Par exemple : Clsa , pour Celsa , Csa, pour Cissa,
INSCRIPTIONS ROMAINES DE BAENA. 181
Tâchons maintenant d'indiquer les liens de parenté ou d'alliance
qui ont pu exister entre les individus rassemblés dans le caveau de
Baena.
Le chef de la fiimille paraît être lidro ou Ildron, fils de Velamis
(n° 4); mais ce Velaunis pourrait bien être le même que Velgan
(n" 3). La difficulté de transcrire en lettres romaines des noms bar-
bares expliquerait jusqu'à un certain point la différence dans l'ortho-
graphe des deux inscriptions.
Vient ensuite Igalghis , fils d'IIdron ( n° 8).
Puis , il y a nécessairement une lacune ; la famille de Velaunis et
d'IIdron adopte le nom romain de Pompée ; un de ses membres a le
prénom de Qainlus. Ce Quintus n'est point renfermé dans le tombeau
commun. Nous pensons, cependant, que le surnom de Velaunis, que
porte son fils (n° 9), établit suffisamment son origine commune avec
les précédents. — Le même Quintus a une fille nommé Pompeia
Nanna ( n'' 2).
De Pompée Velaunis, ou de son père, Quintus Pompée.... se-
raient fils ;
M. Pomjjeius Icstnis (n*» 7), marié a Fabia Aninna (n° 5) et Q.
Pompeius Sabinus (n° 1 ).
Quant aux autres noms, il nous paraît impossible de les rattacher
avec certitude aux précédents.
Nous joignons ici un fragment d'inscription gravé sur pierre, et
trouvé plusieurs mois après la découverte du tombeau , dans le voisi-
nage du Corlijo de las Virgenes,
Q. MVMMIO
I. F. GAL
GALL 0 P
VIR. D. L.
P. Mérimée , de V Institut,
DECOUVERTE DE DEUX COLONNES MILLIAIRES
SUR LA FRONTIÈRE Dt) MAROC.
M. Letronne nous communique une lettre qu'il a reçue de son
ami M. le chef d'escadron Cailler, aide de camp de M. le Maréchal,
Ministre de la guerre. Nous en extrayons les passages suivants,
auxquels M. Letronne a joint quelques observations.
Au camp de Lalla-Magrenia , le 2 mai 1844,
(( Il faut bien commencer par vous dire oii est situé le lieu d'oii je
vous écris, car je doute fort que ce nom obscur et sans importance
soit arrivé jusqu'à vous. Lalla-Magrenia est le nom d'une musulmane
révérée à qui on a élevé un de ces monuments en coupole que nous
appelons marabout, bien que le mot marabout (attaché à Dieu) s'ap-
plique à l'individu et non à l'édifice. La pieuse musulmane à qui on
a rendu cet honneur, de couvrir ses cendres d'un monument en cou-
pole , donna son nom au lieu où nous sommes campés. Notre pré-
sence ici a pour but de créer un établissement militaire pour observer
la frontière du Maroc et pour maintenir dans la soumission les tribus
remuantes de l'ouest. Cette position, à 4 ou 5 lieues de la frontière
et à 9 ou 10 lieues en ligne droite à l'ouest de Tlemcen, a été occupée
par les Romains, qui, comme nous, avaient sans doute eu besoin d'un
poste militaire pour maintenir cette grande plaine des Angades, que
les cartes appellent à tort Désert. Nous nous établissons sur le lieu
même oii les Romains avaient construit leur prœsidium ; c'est presque
toujours ce que l'on a de mieux à faire, car messieurs les Romains
s'entendaient parfaitement à occuper les positions. Lemplacement était
facile à reconnaître par son relief et sa régularité ; il est circonscrit par
une enceinte triangulaire de 250 mètres sur 225. Le mur est en
maçonnerie de grès , sans chaux; il a 1"50 d'épaisseur. Tout l'inté-
rieur est encombré de ruines ; mais à part quelques voûtes en vous-
soirs, on ne trouve que des traces de maçonnerie. Vous vous deman-
DÉCOUVERTE DE DEUX COLONNES MILUAIRES, 183
dez sans doute à quoi bon tous ces détails; je ne suis pas, en effet,
de la commission des inscriptions latines; mais tout ceci est cepen-
dant pour arriver à vous donner une inscription et les documents qui
m ont paru devoir l'accompagner. En creusant en dedans de l'en-
ceinte, on a trouvé debout, et en face l'une de lautre, deux longues
pierres étroites en forme de bornes railliaires, portant chacune l'in-
scription suivante :
IMCAE
M. ARELIVS
IIV IIV
FELIX, m. P.P. Rç Divi A m. P.P. COS
MAGNI. ANTONI VI MAGNI
NI. FILIVS. DIVI ANTONINI
SEVERI. NEPOS FILIVS DIV
MIL. N0\^.. POS VERI NEPOS
SVIT. PER. T. AELÏ MIL. NOW POSVIT
VM. DECRIANVM PER. T. AELIVM
PROC. SVVM ^ DECRIA VM
A. N. SEVERIA PROC SVVM
NVM A. N. SEVERIA
NVM
SYR
SYR
JVPII MPIII
Je vous donnerai les deux copies comme je les ai prises hier ; elles
se complètent l'une l'autre, et diffèrent par le chiffre de la fln. Vous
reconnaîtrez les lignes effacées à dessein, comme il arrive souvent.
L'inscription me paraît bien claire jusqu'à svvm*. Mais les lettres
A.N et le mot severianum se liaient sans doute à ce qui suivait et qui
a été effacé. Le mot syr, parfaitement distinct sur les deux pierres et
isolé, serait-il le nom du lieu? Je ne saurais mieux m'adresser qu'à
vous pour avoir les éclaircissements nécessaires. Écrivez-moi donc
quelques lignes sur cette inscription , et dites-moi si elle a quelque
intérêt pour les savants; je serai alors heureux de vous l'avoir com-
muniquée, et d'être sans doute le premier à la faire connaître. On
n'a trouvé que deux médailles en bronze, l'une d'Hadrien , l'autre de
Faustine. On a trouvé aussi un petit cavalier en bronze, lançant
quelque chose de la main droite; c'est un travail assez grossier;
c'était sans doute une espèce d'amulette »
Callie».
184 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
OBSERVATIONS.
Je propose de lire de cette façon le texte qui résulte des deux
copies ;
Implerator] M[arcus~\ Aurelius [Antoninus P]ius Félix Ang[iistas]
P[ater] P[atnœ] Magni Anlonini FUiaSy Divi Sei^eri Nepos, Mil[iaria]
Nom posuit per T[iUim] Aeliam Decriamm Proc[uratorem^ suum
Severianum [LegaUim Imperatoris Augusli Anlonini] M[ilia]
Plassuuïïi] H aut IIL
Les qualifications de magni antonini ftlivs et de nivi severi
NEPOS ne peuvent convenir qu'aux deux empereurs Iléliogahale et
Alexandre Séçère. D'un autre côté , les titres de pivs, feux et pater
PATR1.E, ayant été portés également par ces deux princes, il n'y
aurait, dans l'inscription même aucun motif pour se décider entre
l'un et l'autre, sans une circonstance qui, à ce qu'il me semble, ne
permet aucun doute; c'est que, sur l'une des colonnes milliaires le
nom du prince contenu dans la troisième ligne, et sur l'autre, les
trois premières lignes, ont été effacées à dessein, selon le rapport de
M. Callier. Cette circonstance ne peut guère s'appliquer qu'à Hé-
liogabale, dont le nom fut effacé des monuments, par un décret
du sénat, au témoignage de Lampride (l) : Nomen ejus crasum
esly senalii juhente ; et, en effet, plusieurs inscriptions relatives à ce
prince ont déjà montré que ce décret fut assez fidèlement exécuté ,
tant en Italie qu'en Sicile (2). Ce nouvel exemple atteste que l'exé-
cution du décret fut poursuivie jusqu'à l'extrémité de l'empire, comme
l'avait été celle d'un semblable décret relatif à Commode (3).
La date de l'inscription peut même être déterminée avec une
approximation assez grande , au moyen du mot cos (4) qui n'était
suivi d'aucun chiffre , ce qui est évident sur la première borne où cos
est suivi immédiatement de divi. On sait qu'Héliogabale s'appropria
le consulat de Macrin, qui périt le 8 juin 218 de notre ère ; c'est-à-
dire qu'il substitua son propre consulat à celui de son prédécesseur ,
(1) In Heliogahal. §. 17.
{2j Orelli, Inscr. sclcct., n" 949, 1869.
(3) p^. mon Recueil des Inscript, grecques et latines de l'Egypte, 1. 1, p. 441.
(4) On remarquera les siglcs Çj pour COS et )^ pour AVG. qui ne sont pas
communes.
DÉCOUVERTE DE DEUX COLONNES MILLI AIRES. 185
au lieu de le continuer, selon l'usage, pendant tout le cours de
Fannéa commencée (1 ).
Ainsi la date des deux bornes milliaires se renferme dans la seconde
moitié de l'an 218 de notre ère; et, comme il a dû s'écouler un cer-
tain laps de temps entre l'avènement d'Héliogabale à Antioche, et
l'exécution de l'ordre de réparer les colonnes milliaires à l'extrémité
de la Mauritanie césarienne , la date peut se placer dans les quatre
derniers mois de cette année.
A la fin des deux inscriptions , la partie effacée est la même ; il n'y
a pas une lettre de plus ni de moins sur l'une et l'autre. M. Callier
ue s'est donc pas trompé en disant que cette partie avait été aussi
effacée à dessein. Car si la mutilation était due seulement à l'action
du temps, on y remarquerait quelque différence. On doit donc pré-
sumer qu'après Seçerianum (2), se trouvait exprimée quelque autre
circonstance qu'on avait des motifs d'envelopper dans la même
proscription.
C'est ce qui m'a fait conjecturer que ce Severianus devait porter
le titre de Legatas Aiigiisti, dont la présence serait ici d'autant plus
naturelle, comme celle du Procurator Cœsaris, que la Césarienne
était une province impériale. Ce titre ainsi que nous le mon-
trent beaucoup d'exemples, étant ordinairement suivi du nom répété
de l'empereur, il devait y avoir leg. imp. avg. antoxini; ce qui
explique assez bien pourquoi les deux lignes de la fin ont été effacées
comme celle du commencement.
Je ne sais pas d'oii proviennent les lettres syr, bien distinctes sur
les deux pierres. On s'attendrait à trouver là, selon l'usage, la mention
expresse des deux points extrêmes de la route, qu'on avait réparée ou
dont on avait refait les milliaires, comme par exemple sur une pierre
de Nicée : . . . . Viam ah Apamea adNiceam coUapsam vetastate reslilaen-
dam curant, per C. J. Aquilam, procuralorem suum (3). Dans ce cas,
les lettres syk pourraient être le reste d'un nom local qui n'a pas été
conservé ; mais j'en doute encore, parce que la place manque pour un
supplément semblable entre la ligne effacée et les lettres syr qui
semblent avoir fait partie du titre précédent. Ces lettres paraissent
trop distinctes pour que tout changement ne soit pas arbitraire.
J'ai demandé à M. le commandant Callier une empreinte. En
(1) Dio Cassius , lxxix , 2.
(2j Je ne sais trop que faire des deux lettres A. N. séparées par un point sur les
deux inscriptions.
(3) Vidua, Inscr. anliq. Tab. iv. — Journal des Savants, 1827, p. 18.— .Bockh,
Corp. Inscr., n» 3743.
186 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
attendant qu'on Tait sous les yeux, il convient de s'abstenir sur ce
point.
Quant au miliaria nom posuit, formule que je n'ai pas trouvée
ailleurs, elle doit être synonyme de miliaria renovaçit (l) ou bien de
miliaria velustale conlapsa resdtui jussit , qu'on trouve dans d'autres
inscriptions analogues (2). J'ai d'abord pensé que cela signifie qu'on
a élevé des bornes milliaires dans une partie de la route déjà faite
[slrala] mais non encore divisée par milles [miliariis disdncta); mais
il me semble qu'en ce cas on aurait dit seulement miliaria posuit ou
ponijussit, et non pas mî/tana nova posuit.
Le lieu où ces colonnes milliaires ont été trouvées donne un
certain intérêt à cette découverte ; c'est un prœsidiam ou campement,
placé, dit M. Callier, à 9 ou 10 lieues (36 à 40 kilomètres), en
ligne droite à l'ouest de Tlemcen, par conséquent tout près des fron-
tières actuelles du Maroc; il doit se trouver également sur la lisière
même de la Mauritanie césarienne, et correspondre, soit à la station
appelée ad Rabras dans l'itinéraire d'Antonin (3) , soit à Calama ,
oii commence, dans cet itinéraire, la route de 393 milles qui
aboutissait à Rusucurrus , fort près de Dellys, à l'est du cap Bengal,
en passant par Mina , Tigava et Oppidum nomm ; car on sait qu'au
delà de Calama, qui a dû être très-voisin du fleuve Maha ou Molo-
chath, l'itinéraire ne compte plus aucune station, excepté celles
qui continuent à longer la côte jusqu'à l'Océan. Nous nous trouvons
donc ici sur la frontière de la Césarienne, presqu'au point où s'est
toujours arrêtée la route romaine. C'est ce qui rend plus remarquable
le soin mis à la réparation de ces bornes milliaires, sur chacune
desquelles on prenait la peine de graver de longues inscriptions; et ce
qui ne doit pas moins attirer l'attention , c'est l'époque d'un tel travail ;
à savoir, le commencement du règne d'Héliogabale, de ce prince qui
s'occupa toujours si peu de l'empire, et qui alors n'était pas encore
venu à Rome, puisqu'il passa à Aniioche, non-seulement tout le reste
de l'an 218, mais encore l'hiver de 219, ne donnant presque d'autre
signe de vie que l'empressement à prendre de lui-même les titres
à Empereur, César, fils d'Antonin, petit-fils de Sévère, auguste , pieux ,
heureux, proconsul, revêtu de la puissance tribunitienne (4), tous titres
que nous trouvons ici, excepté pourtant les deux derniers qui existent
(1) Gud. 69, 1. Spon, Mise, p. 271.
(2) Orelli, n» 3330.
(3) Itin. Anton., p. 36-39.
(4) Dio Cas$iu$, wxix, 2.
DÉCOUVERTE DE DEUX COLOxNNES MILLI AIRES. 187
dans l'inscription des Arvales (appartenant à la même année) (1),
comme celui de père de la patrie.
Il est bien à présumer qu'un tel prince est resté étranger au renou-
vellement des bornes milliaires vers les limites occidentales de l'em-
pire. Elle a peut-être été opérée à son insu, comme une mesure
d'intérêt local, due à l'initiative du procurateur de César; mais il ne
pouvait se dispenser d'en reporter l'honneur au prince régnant, en se
gardant d'oublier les titres dont il s'était revêtu , sans attendre , selon
Tusage, qu'ils lui fussent conférés par un décret du sénat.
Cette mesure a-t-elle reçu sa complète exécution? on serait disposé
à en douter, puisque les deux bornes milliaires, avec les chiffres II
et III , ont été trouvées dans l'enceinte même au prœsidiam , enfouies
en face l'une de l'autre ; ainsi de deux choses l'une, ou elles n'avaient
pas encore été mises dans leur place respective , ou elles furent dé-
placées plus tard; dans le premier cas, l'exécution de la mesure
aura été interrompue par quelque cause, peut-être le déplacement
des magistrats qui l'avaient ordonnée.
Quoi qu'il en soit, les chiffres II et III indiquent nécessairement
qu'on était près d'une station, soit ad Rabras , soit Calama, d'où
se comptaient les milles.
Ce sont, au reste, des questions que j'ai soumises à M. Callier,
en le priant de les étudier sur les lieux mêmes, si les événements de
la guerre le lui permettent.
Letronne , de l'Institut,
(1) Marini atti dei Arv., p. clxiii. — Oreift, n» 347. Je m'étonne que ces deux
derniers titres manquent ici , puisque Dion Cassius dit qu'Héiiogabale les avait pris
en même temps, et que l'inscription des Arvales montre qu'il les portait, en (ffot,
dans les premiers six mois de son règne. On peut présumer que, les ayant pris un
peu plus tard, quoique dans la même année, la nouvelle n'était pas encore arrivée
en Mauritanie lorsqu'on répara les bornes milliaires.
DECOUVERTE D'UNE CHAUSSÉE ROMAINE
ET DE L'AIVCIEIV PAVÉ DE PARIS ^
FAITE EN JUILLET 1842.
Les fréquents travaux que nécessitent , soit l'assainissement de la
ville de Paris ou ses embellissements, offrent par fois des découvertes
fort importantes sur son état primitif qu'il est curieux de constater.
Vers la fin de juin ou au commencement de juillet 1842 , en fai-
sant les fouilles nécessaires pour la construction d'un égout sous les
rues du Petit-Pont et Saint- Jacques, on a retrouvé d'abord une grande
partie des fondations du Petit Châtelet, ancienne forteresse ayant
servi depuis de prison. M. Auxerre, dessinateur attaché aux tra-
vaux de feu M. Jollois, ingénieur en chef des ponts et chaussées,
a reconnu sous ces mômes fondations une construction romaine,
constatée par la présence des grandes briques employées en libages et
placées alternativement entre les assises des pierres. Cette décou-
verte ne laisse aucun doute sur la nature de la construction de la for-
teresse du Petit Châtelet, évidemment romaine, qui existait encore
au IV^ siècle, et qui fut remplacée au IX' par des tours en bois,
incendiées et détruites par les Normands. Ce ne fut qu'en 1369
que Charles V, pour arrêter les incursions des écoliers de l'Univer-
sité sur les bourgeois de la Cité, ordonna à Hugues Aubriot, pré-
vôt de Paris, de faire élever cette forteresse, qui après avoir servi de
prison, fut démolie en 1781 , dans la vue d'assainir ce quartier, et
dans celle de l'intérêt de la voie publique, extrêmement resserrée dans
les limites de la longue voussure ogivale qui était pratiquée sous cette
tour.
En continuant les fouilles sous le sol de la rue du Petit-Pont, on
a découverte 1 mètre 20 centimètres de profondeur, l'ancien pavé
de Paris , composé de gros quartiers ou blocs de grès de différentes
proportions, mais dont les plus grands portaient de 1 mètre 50 centi-
mètres carrés sur 35 à 40 centimètres d'épaisseur. Afin de rendre cette
démonstration plus palpable, nous joindrons ici la coupe du terrain
de la chaussée qui a été retrouvée intacte depuis le Petit- Pont jus
DÉCOUVERTE D'UNE CHAUSSÉE ROMAINE A PARIS. 189
qu'à la rue des Noyers. Cette coupe est prise devant la maison, n" 16,
de celle du Petit-Pont :
Légende de la coupe du terrain :
a. Couche de remblai
de 1 m. d'épaisseur,
mesurée du dessus
du pavé.
5. Blocs de grès ajus-
tés les uns contre les
autres, aulant que
leur irrégularité avait
pu le permettre , de
35 à 40 centimè-
tres d'épaisseur. Plu-
sieurs de ces blocs
ont été déposés au
Musée des Thermes.
c. Couche de béton grossier.
d. Sable mêlé de petites pierres calcaires de 50 centimètres d'é-
paisseur.
e. Blocage en moellons de roche de 40 centimètres d'épaisseur.
f. Couche de sable de montagne qui paraît être le sol naturel de
cette partie du terrain de la ville.
L'abbé Le Beuf fait mention d'une semblable découverte (l) faite
au mois de janvier 1739, en creusant les fondements d'une maison
près de l'hôtel de l'ancienne Poste, située alors rue des Déchargeurs
ainsi que dans la rue Saint-Jacques, à deux mètres de profondeur. On
s'aperçut qu'il existait dans l'épaisseur de la tranchée , une couche
de terre superposée qui indiquait l'existence d'un second rang de
pavés entre ce premier pavé et celui d'aujourd'hui. En 1770, en
creusant sous l'un des bas côtés de l'église de Saint-Benoît (aujour-
d'hui transformée en théâtre ) pour la construction d'un caveau , on
a découvert à 3 mètres de profondeur un rang de pavés, semblable
à celui que nous venons de signaler. On sait que Philippe Auguste,
qui, mieux que ses prédécesseurs, s'était occupé des embellissements
et de l'agrandissement de la capitale du royaume , qu'il avait fortifiée
(1) Dissertations sur l'Histoire ecclésiastique et civile de Paris, etc., tome I,
page 85 à la note.
190 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de tours, et d'un mur d'enceinte encore existant en partie , fit paver
Paris en 1185. Son historien Rigord raconte le motif qui provoqua
cette sage mesure de salubrité. «Ce monarque, occupé d'affaires
« importantes , se promenant dans son palais royal , s'approcha des
« fenêtres où il se plaçait quelquefois pour se distraire par la vue du
« cours de la Seine (l). Des voitures traînées par des chevaux tra-
ce versaient la Cité en remuant la boue, faisaient exhaler une odeur
ce insupportable , le roi ne put y tenir , et même cette exhalaison fétide
(( le poursuivit jusques dans l'intérieur de son palais. Dès lors, il
c( conçut un projet très-difficile à exécuter, mais très-nécessaire;
ce projet qu'aucun de ses prédécesseurs , à cause de la grande dé-
c( pense et des graves obstacles que présentait son exécution , n'avait
c( osé entreprendre. Il convoqua les bourgeois et le prévôt de la ville ,
« et par son autorité royale, leur ordonna de paver avec de fortes et
ce dures pierres toutes les rues et voies de "a Cité (2). » Guillaume
le Breton dit que ce pavé était composé de pierres carrées , quadratis
lapidibas.
Quelques écrivains prétendent, et entre autres Mézeray (3) , que
Gérard de Poissy qui avait le maniement des finances, faisant un re-
tour sur sa conscience , contribua aux frais de ce pavage pour une
somme de onze mille marcs d'argent (4), chose extraordinaire, ajoute
cet historien avec ce ton caustique qu'on lui connaît, tant il est vrai,
dit-il, que ces gens-là iront plutôt au gibet que de venir à restitution.
Mais ce qu'il y a de certain , c'est que d'après l'invitation du roi , le
prévôt et les bourgeois payèrent tous les frais de cette entreprise.
Cette amélioration qui intéressait la circulation et la salubrité de la
capitale, a le mérite d'un premier exemple; étendu et perfectionné
dans la suite, elle fut un bienfait pour Paris , mais ce bienfait ne s'opéra
que lentement et ne reçut son entière exécution que sous Louis XIII,
époque à laquelle la moitié des rues de Paris n'était pas encore pavée;
on s'était simplement borné sous Philippe-Auguste, à paver ce qu'on
appelait alors la chaussée de la croisée de Paris, deux rues qui se
croisaient au centre de la ville, dont l'une se dirigeait du midi au
nord , et l'autre de l'est à l'ouest comme les plus fréquentées.
(1) C'est ce même palais de nos rois, qni est devenu depuis le sanctuaire de la
justice.
(2) Gesla Philippi-AuguHi ,elc.. Recueil des Historiens de France, t. XVII,
page IG.
(3) Abrégé chronologique de l'Histoire de France; édition d'Amsterdam, 1688,
tome III. page 589.
(4) 27,500 francs au taux de Tépoque.
DÉCOUVERTE D'UNE CHAUSSÉE ROMAINE A PARIS. 191
Quant au massif en maçonnerie de blocage sur lequel s'appuyait le
pavé de Philippe Auguste, nous n'avons trouvé aucun indice de
l'époque à laquelle il fut érigé ; mais sa construction parfaitement
identique avec celle de toutes les chaussées romaines, ne permet pas
de douter qu'il ne fût de celte époque ; il porte tout le caractère et
se compose de tous les matériaux qui entraient ordinairement dans
ces sortes de constructions. Le travail des fouilles pour l'érection de
l'aqueduc qui a été pratiqué sous la rue Saint-Jacques , n'a fait que
confirmer cette opinion, par une solution de continuité du môme
massif de maçonnerie, construit avec les mêmes matériaux indiqués
dans la coupe du terrain ci-dessus gravée. Tels sont les indices cer-
tains de l'existence sous la rue Saint-Jacques de l'une de ces grandes
chaussées qui sous , la domination romaine, traversaient Lutèce, et
sur l'une desquelles on aura établi en 1185, le pavé érigé par les or-
dres de Philippe Auguste.
A.-P.-M. Gilbert,
Membr« de la Société royale des Antiquaires de France.
ANCIENNE CHAPELLE
DU
COLLEGE DE NAVARRE.
C'est une grande et noble pensée , que celle qui créa et qui nous a
dotés, il y a quelques années , du Comité Historique des Arts et Mo-
numents, pour être « le tuteur naturel de nos édifices nationaux, et
« dont la principale mission consiste, par une influence latérale, si-
ce non directe, à arrêter toute destruction projetée, toute mutila-
« tion, etc. (1). » Nous ne porterons point un regard rétrospectif sur
les innombrables actes de vandalisme qui se sont commis, même sous
la Restauration, avant l'importante institution de ce Comité, composé
d'hommes pleins de zèle, de science et de courage : mais, tout en re-
connaissant qu'il rend d'immenses services , nous ne pouvons néan-
moins nous dispenser de dire, que très-souvent aussi sa voix est
étouiïée, ou ses justes réclamations méconnues. Nous pourrions citer
des faits à l'appui de ce raisonnement, mais il nous suffit de rappeler
la démolition récente de l'hôtel historique de la Trémouille , et les
mutilations ignobles que vient de subir le vieux manoir semi-féodal
et militaire, ancienne résidence des archevêques de Sens, comme
métropolitains de Paris.
Malgré l'incessante sollicitude du Comité Historique, le percement
de nouvelles rues, l'élargissement ou le redressement des anciennes,
et les spéculations particulières, font disparaître, de temps à autre,
le peu qui reste de nos vieux monuments religieux et civils, ou chan-
gent leur forme et leur destination. Les sociétés savantes, les com-
missions d'antiquités , et les hommes de goût et de talent qui les
composent auront beau faire : le goût des lignes droites ou du
confortable, et surtout l'impérieuse loi de la nécessité en matière de
casernes et de prisons, l'emporteront sur leurs doléances : ils seront
presque toujours la voix qui crie dans le désert.
Naguère, nous avons donné un souvenir aux vénérables débris de
(1) Bulletin Archéologique , tome I, page 12.
CHAPELLE DU COLLEGE DE NAVARRE A PARIS. 193
l'abbaye Saint-Magloire , dont le sol béni est traversé maintenant par
la rue de Rambuteau. Depuis , nous avons exprimé quelques regrets
de, la destruction prochaine de la chapelle royale et priorale des Cé-
lestins : aujourd'hui nous avons à signaler la disparition imminente
d'un autre de ces rares et derniers fleurons de la couronne monumen-
tale du vieux Paris. La pioche du démolisseur officiel va s'abattre au
premier beau jour sur l'illustre chapelle de Navarre, dont le vieux et
modeste portique révèle encore le souvenir d'une gloire chère à la
France et aux lettres.
L'Ecole polytechnique existe aujourd'hui dans les localités et sur
l'emplacement où s'élevaient, il y a un demi-siècle , les collèges de
Navarre, de Boncourt et de Tournay, fondés dans la première moitié
du XIV^ siècle, réunis pendant le XVIP, par Louis XIII ; supprimés
et détruits en partie, en 1793 , avec tous les établissements religieux
ou d'instruction publique du royaume.
Le collège de Navarre, appelé aussi collège de Champagne, à cause
d'une des dignités de la royale fondatrice, rappelle les souvenirs les
plus brillants dans les fastes de l'instruction publique en France.
C'était là que se donnait l'enseignement le plus complet des établis-
sements de l'université de Paris. Dès son origine, il fut pourvu de
chaires de théologie, de philosophie et d'humanités. Cette maison
avait un corps de docteurs en théologie comme la Sorbonne, et qui
prenaient le titre de Docteurs de la société et maison royale de Na-
varre,
Ce collège, si dignement remplacé aujourd'hui, dans un autre
genre d'études, parle magnifique établissement de l'Ecole polytech-
nique, fut fondé en 1304, par le testament de Jeanne de Navarre,
femme de Philippe IV, dit le Bel, et, de son propre chef, reine de
Navarre, comtesse palatine de Champagne et de Brie, comme fille et
unique héritière de Henri III, roi de Navarre, et de Blanche, dite
aussi Jeanne d'Artois. Le testament , ordonnant cette fondation , est
datéde Vincennes, du jour de la nativité N. D., 25 mars 1304.
Par une libéralité toute nationale , et contrairement aux autres éta-
blissements de ce genre, où on n'admettait que les écoliers de la
province où était né le fondateur, ou de celle qu'il habitait, il suffi-
sait d'être Français, pour avoir droit aux bourses du collège de Na-
varre. Simon Festu, évêque de Meaux , et Gilles de Pontoise, abbé
de Saint-Denis , tous deux exécuteurs testamentaires de la reine
Jeanne, ayant été chargés, par les six autres, de tout ce qui concer-
nait la fondation de ce collège, en rédigèrent les statuts, et
I. 13
194 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
le 3 avril 1315, les maîtres et les écoliers assemblés en chapitre dans
la chapelle, dont les restes extérieurs vont être dénaturés, jurèrent de
les observer : ils furent approuvés en 1316 par le pape Jean XXII.
Depuis 1 357, les archives et le trésor de l'université étaient gar-
dés dans la maison de Navarre. On sait que l'université était divisée,
dès l'an i218, en quatre nations ou sociétés de maîtres appartenant
à une commune patrie , et régies chacune par un procureur, dont les
quatre voix réunies élisaient le recteur; savoir: la nation de France,
surnommée Honorenda; la nation de Picardie, surnommée Ftdfe/i5-
sima; la nation normande, surnommée Venerenda, et la nation alle-
mande, surnommée Conslantissima. Or, le collège de Navarre était le
chef -lieu de la nation de France ; c'est là qu'elle tenait ses assemblées ;
elle contribuait à l'entretien de la chapelle où se prononçaient les
sermons généraux de l'université. Il serait trop long d'énumérer ici
les nombreux privilèges de cet illustre établissement, dont la re-
nommée et la gloire se réfléchissent et se perpétuent dans la savante
école qui le remplace. Nous remarquerons seulement que les rois, les
princes de leur famille et les plus grands seigneurs du royaume y en-
voyaient leurs enfants comme pensionnaires ; c'est pourquoi Mézeray
l'a appelé ce l'école de la noblesse française et l'honneur de l'uni-
versité (l). »
Par suite du décret de la convention nationale du 29 juin 1793,
qui prononça la suppression de tous les collèges de plein exercice, des
facultés de théologie, de médecine , des arts et de droit, sur toute la
surface de la république , le collège de Navarre, déserté par la science,
fut loué par portions à des particuliers. On y vit bientôt des indus-
tries de toute nature. Le docteur Capuron y faisait des cours d'ana-
tomie, et il s'y établit jusqu'à des fabriques de papiers peints, de cou-
vertures et de coton. La chapelle, coupée en deux, par une cloison,
servait de magasins à deux libraires. Cet état d'abandon dura douze
ans : mais un décret impérial du 9 germinal an XIII (30 mars 1805),
ayant affecté toutes les dépendances du ci- devant collège de Navarre
au service de l'Ecole polytechnique, établie alors dans les com-
muns, la salle de spectacle et l'orangerie du Palais Bourbon, l'École
fut installée à Navarre, le 11 novembre de la même année, 490 ans
après que les maîtres et les écoliers de Navarre avaient eux-mêmes
pris possession des mômes lieux. Dès ce moment les bâtiments de
Navarre furent en grande partie démolis ou changés dans leur aspect
(1) Méz. Tome V, p. 634.
CHAPELLE DU COLLÈGE DE NAVARttE A PARIS. 195
extérieur et dans leurs divisions intérieures, par les reconstructions
nécessaires à cette grande institution.
Le cloître de Navarre, dont les fondements furent jetés en 1309,
au même temps que ceux de la chapelle , qui est le principal objet de
cet article, a été démoli en 1811. Le bâtiment élevé au sud du cloî-
tre, vers 1410, par la munificence du célèbre cardinal Pierre d'Ailly,
qui fut successivement boursier, professeur et grand maître de Na-
varre , après avoir servi de lingerie à l'École polytechnique, a été dé-
moli en 1836, pour faire place aux nouvelles constructions de l'en-
trée principale de l'École.
Il ne reste plus guère des bâtiments du moyen âge que la chapelle
et le grand bâtiment à pignons cantonnés de pinacles , que l'on aper-
çoit de la rue Descartes. Ce bâtiment, dans lequel la salle de dessin
de l'École a remplacé la bibliothèque du collège, fut bâti sous Char-
les VIII , aux frais de Jean Raulin , grand maître de Navarre, et cé-
lèbre prédicateur du XV^ siècle. Le roi donna 240 livres tournois
pour son achèvement, qui s'effectua en 1496. Suivant les calculs de
M. D***, qui a bien voulu nous communiquer son précieux travail
inédit sur les bâtiments de l'École, cette somme représentait
196 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
13 000 francs de notre monnaie et était d'une importance à peu près
égale à celle de 50 000 francs d'aujourd'hui. Au rez-de-chaussée de
ce bâtiment était la salle des actes. Cette salle , oii Bossuet fut reçu
docteur, a .servi de chapelle à l'École polytechnique sous la Restaura-
tion ; elle est maintenant divisée en deux étages et en plusieurs piè-
ces, servant aux examens.
La chapelle de Navarre, l'âme en quelque sorte de cet établisse-
ment national , et qui résume encore tous ses souvenirs et sa gloire,
doit disparaître sous peu de jours, ou du moins, la dernière transfor-
mation qu'elle va subir, achèvera de lui ôter son caractère historique
et religieux. Si les philosophes éclectiques, qui administraient sous
la Restauration , ont préféré la dénaturer intérieurement plutôt que
de lui rendre son auguste destination , du moins ils avaient respecté
sa forme extérieure, qui, bien que fort simple, n'est pas sans grâce,
ni indigne d'un intérêt conservateur. Au reste on pourra en juger par
la sommaire description que nous allons essayer d'en faire.
..îcs^i:^^^^^^^^'^
Le bâtiment de cette chapelle, qui n'est point orienté suivant le rit
catholique, mais disposé à peu près du Nord au Sud, est un parallé-
logramme terminé par une abside à trois pans. 11 est bâti tout en
CHAPELLE DU COLLEGE DE NAVARRE A PARIS. 197
pierre de cliqiiart, solidement appareillée. Les murs de flanc et les
angles sont soutenus par des contre-forts à larmiers, qui ont conservé
presque toute la vivacité de leurs profils. L'édifice est percé entre
les contre-forts, par vingt grandes fenêtres ogivales, sans meneaux, y
compris les trois de l'abside et celle de la façade, mais dont les baies
sont ornées d'une moulure en boudin, avec un petit chapiteau feuil-
lage à la naissance de l'ogive.
Les corniches qui soutiennent le toit à pentes rapides, et les ban-
deaux qui circulent autour du monument, sont d'un profil très-
simple ; ils ont une gorge dont la concavité est lisse. Cet édifice, qui
ne conserve plus que sa robe avec sa forme extérieure, et dont il se-
rait difficile de relever les dimensions dans œuvre, autrement que
sur quelque ancien plan, a 47 mètres 70 centimètres de longueur,
hors d'œuvre, sur 12 mètres 50 centimètres de largeur, et 15 mè-
tres de hauteur, du sol actuel , considérablement surélevé, jusqu'à
la pointe du pignon. 11 y a lieu d'être étonné de la grandeur de cet
édifice, destiné à être la chapelle d'un collège, peuplé d'environ qua-
tre-^vingts personnes, tant maîtres qu'écoliers : mais, suivant la ju-
dicieuse remarque de l'auteur du Mémoire précité : ce C'est que les
hommes de ce temps remplissaient leur rôle de fondateurs sur la
plus grande échelle, et comme animés par une prévision certaine des
destinées de leurs institutions. »
Aux angles du portail sont accolées deux tourelles octogones , coif-
fées de leurs toits ou lanternons en pierre, et amortis par une
houppe de plomb, jadis peut-être ciselée en fleurs de lis. Elles con-
tiennent un escalier en spirale , débouchant sur un emmarchement
de pierres, à deux pentes, incrusté en formant saillie, dans le champ
du pignon, et défendu par une main courante en fer, pour laisser ar-
river par une baie carrée sous le comble de la chapelle. La char-
pente de ce comble, bien œuvrée et conservée, est assez remarquable
par sa complication. Quelques personnes prétendent que cette char-
pente se voyait à nu dans l'intérieur du vaisseau : mais M. Ché-
ronnet, notre ami, ancien élève de la maison, nous a assuré avoir vu
cette chapelle couverte d'une voûte en bardeaux, que le temps avait
colorée d'une teinte brune très-foncée.
La crête du toit au-dessus de la nef était surmontée d'une flèche
ou clocher, couvert en plomb et ardoises , d'une construction élé-
gante , se terminaut par une croix. On voit encore sur le faîte la
naissance de ce clocher, et sous le comble, l'ingénieux assemblage
des pièces de bois se réunissant autour du poinçon sur lequel s'éle-
198 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
vait son aiguille. La pointe du pignon indique l'ancien support d'une
statue , probablement celle de Saint-Louis, patron titulaire.
Lorsque nous l'avons vu encore à peu près intact, vers 1818 , le
portail de cette chapelle nous paraissait digne d'être conservé, à cause
de sa physionomie architectonique, toute particulière. Sa façade
offrait, dans la simplicité de l'ensemble , un aspect gracieusement pit-
toresque. Entre les rampants du double escalier de pierre en porte à
faux, conduisant au comble, on voit encore (mars 1844), percée en
retraite dans le mur du pignon, une large croisée ogivale, ornée de
moulures dans l'ébrasement, et dont le champ est divisé en cinq arca-
tures, aussi en ogive, d'un style plus récent, jadis remplies de vi-
traux et aujourd'hui aveuglées avec du plâtre.
Au-dessous de cette fenêtre régnait la grande porte, aussi en
ogive, percée en retraite et partagée par un trumeau sur lequel on
voyait jadis une statue du roi Louis X, dit le Hutin, avec cette in-
scription sur le piédestal : ludovicus decus regnantium. On
voyait à droite et à gauche deux autres statues royales abritées,
comme la précédente , sous des dais gothiques. Sous les pieds de
celle à droite , on lisait : philippus pulcher , huîus domus
FONDATOR EGREG1US ; et au bas de celle à gauche était écrit:
JOANNA , FRANCItE AC ETIAM NAVARRE REGINA , HUIUS DOMUS
QUONDAM FUNDATRIX INCLVTA. ANNO DOMINI MCCCIV. CcS trois
statues du père, de la mère et du fils étaient peintes en couleur de
chair, avec des robes d'azur, semées de fleurs de lis d'or. Ce portail
a été masqué en 1830, par une construction en prolongement, pour
agrandir la bibliothèque de l'École : et par une contradiction , qui
ne peut d'ailleurs que rappeler dans la suite des temps, que ce bâ-
timent informe fut jadis un édifice consacré à Dieu , l'ignoble con-
struction qui masque aujourd'hui si désagréablement ce portail,
et qui doit bientôt, en se surélevant, faire disparaître le pignon et
sa gracieuse vitre, est percée en avant et en flanc de baies ogivales
de même dimension et style que les autres fenêtres de l'édifice. Nous
avons remarqué en le visitant récemment , qu'on a affecté aussi la
forme ogivale pour la plupart des ouvertures pratiquées dans les
cloisons et murs de refends qui fractionnent maintenant en différents
étages et pièces irrégulières d'un aspect peu agréable, l'intérieur de
la vaste et vénérable chapelle de Navarre.
La première pierre de cette chapelle fut posée le 12 avril 1309,
par Simon Festu, alors évêque de Meaux, et l'un des huit exécuteurs
testamentaires de la reine Jeanne : mais elle ne fut dédiée par Pierre
CHAPELLE DU COLLÈGE DE NAVARRE A PARIS. 199
de Villers, évoque de Nevers, que le 16 octobre 1373 , « en l'hon-
« neur de la sainte Trinité , de la victorieuse croix du Christ et de
« la glorieuse Vierge Marie, sous le vocable du bienheureux Louis,
« roi de France et de la bienheureuse Catherine vierge. » On voyait
scellée, à gauche du portail , une inscription indiquant l'époque oti
fut posée la première pierre, et à droite, une autre faisant mention
de la dédicace de la chapelle. Ces deux inscriptions latines sont insé-
rées à la page 663 des Antiquités de Paris, par D. Dubreuil.
C'est la première église de Paris qui ait été dédiée sous l'invocation
de saint Louis.
Cette chapelle servait pour les offices et services de la nation de
France; on y conservait la moitié d'une côte de Saint-Guillaume, ar-
chevêque de Bourges en 1200, qui fut donnée en 1407, par Jean,
duc (le Berry, à Jean Archer, procureur de la nation de France ; Ray-
mond Perault, cardinal de l'Église romaine et légat du saint-siége,
en Allemagne, qui avait été autrefois boursier de ce collège, lui fît
aussi présent, en 1511, de plusieurs reliques.
Au mois de janvier 1415, la nation de France y fit célébrer un
service pour Louis d'Orléans, assassiné, en 1407, par Jean sans
Peur, duc de Bourgogne. Le docteur Brevi Coxa fit l'oraison funèbre
et condamna les doctrines du docteur Jean Petit, qui, s'étant dévoué
par cupidité au duc de Bourgogne, avait fait l'apologie de ce meurtre.
C'était dans cette même chapelle oii s'agitèrent les plus impor-
tantes questions théologiques et oii s'accomplirent les plus impo-
santes cérémonies, qu'en 1491 , le roi Charles VIII, accompagné des
principaux seigneurs de la cour, vint deux fois honorer de sa pré-
sence les actes des vespéries de Louis Pinelle, le lundi, d'après Lœtare,
et de Jean Charron , la veille du dimanche de Pâques fleuries. Le roi
et sa cour étaient au jubé, et la faculté, les prélats et le parlement
dans la nef. On remarque encore, dans le mur intérieur, à la nais-
sance de la partie du chevet qui formait le chœur, un arrachement
du jubé 011 se plaçaient les princes, les évêques et autres grands per-
sonnages lors des réunions solennelles de l'université.
Parmi les doctes personnages dont les tombes à figures et épita-
phes formaient presque tout le pavement de cette chapelle, on dis-
tinguait dans le chœur celle de Nicolas Clémengis, qui fut grand
maître et une des gloires de Navarre : inhumé sous la lampe , devant
le grand autel, où il était souvent venu méditer, son épitaphe rap-
pelait, par un naïf jeu de mots, que celui qui avait été le flambeau
de l'Église, reposait maintenant sous la lampe. Dans la nef, on voyait
200 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
aussi la tombe de Jean Tessier, connu sous le nom de Ravisins Textor,
le plus fameux linguiste de son temps. Sous la couche salpêtrée, qui
a été superposée pour former le sol des salles d'escrime placées dans
la vieille chapelle , on peut retrouver encore les pierres tumulaires
d'un grand nombre de ces personnages célèbres du collège de Na-
varre, avec des inscriptions et leurs images gravées en creux, quel-
ques-unes crossées et mitrées , et même en chapeau de cardinal ; mais
toutes fort endommagées, ce local ayant servi de laboratoire de
chimie pendant plusieurs années, avant que le sol en fût recouvert
déterre (l).
Sur le mur, à droite dans la nef, on voyait un tableau fort an-
cien où étaient inscrits soixante-trois vers latins rimes , insérés dans
Dubreuil, page 662. Ces vers, qui composaient tout un poëme his-
torique à la louange de Jeanne de Navarre, sont bien propres à dé-
mentir les odieuses anecdotes répandues sur cette généreuse princesse.
On ne peut contempler ce vénérable édifice sans se rappeler avec
une douce et respectueuse émotion , que, dans son enceinte, Nico-
las Oresme, précepteur de Charles V, les cardinaux d'Ailly et Des-
champs, Jean Gerson, regardé par quelques-uns comme étant le su-
blime et modeste auteur de Vlmitadon de Jésus-Christ , et Bossuet,
vinrent puiser, dans la méditation et la prière, le génie qui les a
rendus la gloire de la religion et l'honneur de la France.
Aux premiers beaux jours qui vont luire, le pignon et le toit de la
chapelle de Navarre vont être rasés jusqu'au-dessous de la corniche,
et les constructions, qui vont s'élever au-dessus pour en faire des
salles d'étude ou des dortoirs, achèveront d'ôter à cet édifice la phy-
sionomie de son ancienne et sainte destination, sans doter autrement
l'École que d'une construction insolite, incohérente et sans harmonie.
L'ancienne chapelle de Navarre devrait être conservée telle qu'elle
est par un gouvernement qui s'impose des sacrifices pour la conser-
vation des monuments historiques : mais, si réellement un besoin im-
périeux devait l'emporter sur tant de glorieux souvenirs, du moins
que des dessins exacts et un plan la reproduisent dans la Statistique
monumentale de Paris, publiée par M. Albert Lenoir sous le patro-
nage de M. le Ministre de l'instruction publique (2). .
N. M. Troche,
Auteur d'une Monographie inédite de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois.
(1) Mém. précité.
(2) Nous pouvons annoncer à nos lecteurs que le vœu émis ici par noire docte
collaborateur, M. Troche, doit recevoir sous peu son accomplissement.
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES,
INSTITUÉE AU MINISTÈRE DE LINTÉRIEUR.
TRAVAUX.
PREMIER ARTICLE.
Je ne remonterai pas au delà de 1840 dans l'histoire des travaux
entrepris par le Ministre de l'intérieur avec le crédit aflecté à la
conservation des monuments historiques. Ce n'est qu'à partir de cette
époque que ce chapitre du budget a pris assez d'extension pour
obtenir des résultats utiles, et que son administration a été séparée
de celle des autres services de la direction des beaux-arts. Dans cette
Revue, je compte, au reste, me borner à rendre compte des princi-
pales affaires déjà traitées; on conçoit que j'ai dû négliger le détail
des petites allocations affectées à des travaux de consolidation en
quelque sorte |)rovisoires ; je me contenterai de rappeler sommaire-
ment tous les édifices auxquels des secours ont été accordés; mais je
donnerai des renseignements plus précis sur les décisions qui ont
assuré la conservation de monuments remarquables, que je classerai
dans un ordre chronologique.
La restauration des monuments druidiques est presque toujours
impossible, et serait d'ailleurs sans but; peut-être aurait-il été
curieux seulement de relever le menhir colossal de Lockmariaker,
qui gît sur le sol , brisé en trois pièces , et présente une masse com-
parable à celle de l'obélisque de Louqsor; des études ont été faites à
ce sujet; mais leur résultat n'a fait que constater les difficultés de
l'exécution d'un pareil projet; sans fournir l'assurance du succès, et
sans faire connaître le prix auquel il faudrait l'acheter; l'action du
gouvernement pour cette classe de monuments a dû se borner,
jusqu'à présent, à une protection qui n'est malheureusement pas
toujours efficace contre la cupidité des communes et des particuliers
sur les propriétés desquels ils ont été découverts. Des circulaires ont
été adressées aux autorités locales pour éclairer les populations sur
l'importance historique de ces monuments; mais leur situation,
ordinairement isolée , rend la surveillance difficile; les habitants des
lieux environnants, où la pierre est rare, vont en chercher dans ces
carrières factices; d'aufres, inspirés par une superstition générale-
ment répandue, les bouleversent pour y chercher des trésors, et les
efforts de l'administration sont quelquefois encore impuissants pour
empêcher ces déprédations. La seule allocation qui ait pu être utile-
202 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ment employée a servi à dégager un dolmen auprès de Saumur, et
dernièrement une somme a été consacrée à des fouilles et à l'acqui-
sition d'un terrain sur lequel on a découvert une de ces galeries
auxquelles on donne le nom de Grotte-aux-Fées , dans la commune
de Marly, près Paris.
La meilleure méthode d'appliquer l'action conservatrice de l'admi-
nistration aux monuments romains est aussi très- difficile à déter-
miner. Les travaux de déblaiement doivent être conduits avec de
grandes précautions, ceux de consolidation appliqués avec une
extrême réserve. La commission désigne pour les diriger des archi-
tectes auxquels leurs études sérieuses de l'antiquité permettent de
produire des projets qui sont examinés avec une scrupuleuse atten-
tion, et dont l'exécution est surveillée par l'inspecteur général et les
correspondants. En effet, les constructions modernes qu'il est souvent,
utile de juxtaposer aux anciennes pour soutenir celles-ci doivent
être de nature à ne pas se confondre avec elles, et cependant leur
aspect ne doit pas blesser l'œil par un contraste trop choquant; cette
mesure est difficile à garder; il faut se contenter de conserver l'aspect
des masses, sans reproduire les détails; les travaux exécutés à l'arc
d'Orange, sous la direction de M. Caristie, sont un excellent exemple
de celle méthode de consolidation. Elle avait été suivie à Nîmes
pour l'amphithéâtre, et le déblaiement de celui d'Arles qui était
aussi terminé en 1840. A cette époque, il restait encore dans les
villes du midi deux grandes opérations à terminer, le dégagement
des théâtres romains d'Arles et d'Orange. Elles ont été conduites
en même temps. Tous les ans une somme de 20 à 30 000 fr. y a été
employée, et cette année les acquisitions ont été complétées. Le
théâtre d'Orange, qui a conservé son mur de scène, est déjà dégagé
de manière à être fermé de toutes parts; celui d'Arles le sera dans le
courant de l'année ; alors on pourra terminer à l'intérieur les travaux
de déblaiement qui ont dû être arrêtés pour empêcher la dégradation
des parties découvertes par le public lorsqu'il n'était pas possible
d'y établir une surveillance suffisante.
Un beau travail a été aussi exécuté à la Tour Magne de Nîmes
sous la direction de M. Questel, architecte. Ce monument avait été
renfermé en 1840 dans l'enceinte du jardin public de la Fontaine,
ce qui permettait de lui restituer quelques-unes des constructions
comprises jusqu'alors dans une propriété particulière et dont la priva-
tion lui ôtait une partie de son caractère. Cet édifice fut probable-
ment destiné, dans l'origine, à servir de mausolée; son élégante sim-
plicité fut d'abord altérée par des constructions romaines qui en firent
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. 203
une tour de signaux destinés à servir à la sûreté de la colonie. Au
commencement du V^ siècle, les Barbares ravagèrent Nîmes et
n'épargnèrent pas la Tour Magne. Les Sarrasins devenus maîtres du
pays trois siècles après y ajoutèrent quelques constructions pour en
faire une forteresse. Charles Martel la démantela en 1 185 , et lorsque
le Languedoc fut réuni sous la souveraineté du comte de Toulouse,
la Tour Magne fut rétablie en château fort auquel le duc de Rohan
ajouta plus tard quelques ouvrages avancés. Toutes ces transforma-
tions avaient jusqu'alors respecté l'intérieur de l'édifice, lorqu'en 1601
Henri IV autorisa le jardinier Trancal à y exécuter des fouilles pour
y chercher un trésor ; le squelette du monument était pourtant resté
debout et intact, lorsque l'établissement d'un télégraphe en ébranlant
toute la masse pour en évider l'intérieur, avait enfin porté atteinte
à sa solidité. La partie supérieure, celle oii sont les niches, étant
moins évidée que les parties basses, reposait à faux, de sorte que le
poids principal portait justement sur des arrachements suspendus. La
construction de tout l'édifice consiste en un blocage parementé en petit
appareil, mais il n'y a ni arc ni voûte, et le massif de la partie supé-
rieure ne tenait que par l'excellence du mortier. L'établissement d'un
pilier au centre a consolidé toute cette masse; il monte jusqu'au
massif sur une épaisseur de 2 m. 50 c. de diamètre et sert de noyau
à un escalier en spirale, au moyen duquel on rejoint la cage de l'esca-
lier antique qui a été restauré et sert à monter facilement jusqu'au
faîte. Ces travaux sont terminés, ceux du Pont-du-Gard sont en voie
d'exécution. Il ne s'agissait d'abord que de réparer le dallage des aires
ou plafonds de la seconde galerie qui présentaient de larges excava-
tions, et de consolider par incrustation un certain nombre de pieds-
droits de la troisième galerie. Plus tard on établira une pente destinée
à remplacer un escalier moderne qui sert à monter au sommet de
l'édifice et il sera aussi nécessaire de remplacer en sous œuvre un
grand nombre des immenses voussoirs des arcades.
A Nîmes encore et sous la direction du même architecte, on a
reculé la grille qui fermait le temple de Diane de manière à l'isoler
et à découvrir le sol antique d'une galerie qui appartenait à l'édifice
et avait été laissée en dehors de l'ancienne clôture, et on a rétabli
une partie de l'entablement qui soutient le tympan semi-circulaire
qui est au fond du temple. Cette réparation a permis de supprimer
un pilier en moellon qui défigurait le monument; le département et
la ville ont pris une part notable à ces travaux, leur concours est
encore réclamé pour ceux que la commission des monuments histo-
riques a proposé de faire exécuter à la porte d'Auguste. Il s'agirait de
204 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
retrouver le sol antique qui est à 2 m. 60 c. du contre-bas du bou-
levard moderne. Cette porte sert actuellement d'entrée à la caserne
de la gendarmerie; M. Questel propose de donner une autre issue à
la cour de cet établissement, il serait alors possible d'exécuter une
fouille qui déborderait légèrement sur le boulevard , elle s'avancerait
de 3 mètres en face du pilier qui occupe le milieu de la porte et for-
merait une portion de cercle allant gagner à droite et à gauche les
murs des tours qui flanquaient l'entrée de la ville antique. Le fossé
se prolongerait dans la cour de la gendarmerie jusqu'à l'extrémité du
mur de refend antique formant la galerie couverte qui est à droite
et serait terminé au fond par un mur de soutènement, au-devant
duquel on établirait l'escalier par lequel on descendrait dans la fouille.
Il serait surmonté d'une grille, et cette disposition permettrait d'en
défendre l'entrée aux curieux , sans un surveillant. Du côté du bou-
levard le sol moderne pourrait être abaissé sans inconvénient jusqu'à
un mètre de celui du fossé, dont une grille défendrait l'entrée sans
empêcher de juger de l'aspect du monument. Ce projet a été adopté
par la commission , et l'administration en poursuivra incessamment
l'exécution.
A Vienne, le même architecte vient d'étudier par l'ordre du Mi-
nistre un projet de transport dans l'église Saint-Pierre , du Musée
des antiquités qui encombre l'ancien temple d'Auguste et de Livie.
Ce monument serait ensuite dégagé des édifices qui l'entourent, les
colonnes seraient débarrassées du mur en moellons qui les empâte;
les cannelures qui ont été intérieurement et extérieurement hachées
au niveau de ce mur, seraient établies par incrustation, et l'édifice
reprendrait son élévation primitive au-dessus du sol antique mis à
découvert. L'église Saint-Pierre qui est elle-même un monument
intéressant du moyen âge, malgré les travaux que Soufflot y a fait
exécuter et qui dénaturent son style, échapperait ainsi à la ruine
dont la menace l'usage industriel auquel elle est affectée par le lo-
cataire de la fabrique de Saint-Maurice qui en est propriétaire, et
serait parfaitement convenable à l'établissement d'un vaste musée
destiné à contenir les antiquités déjà réunies et celles que fournit
chaque jour le sol fécond en beaux fragments de l'ancienne cité ro-
maine. Cette affaire est difficile à conduire à une bonne fin , elle
entraînera des dépenses considérables, mais cependant elle est suivie
avec persévérance par la commission , et déjà plusieurs bâtiments
qui encombraient les abords du temple ont été achetés avec les fonds
de l'État et ceux de la ville réunis dans la proportion d'un à deux tiers.
La situation de l'arc de triomphe de Reims (porte de Mars) était
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. 205
réellement alarmante, et des travaux de restauration considérables y
étaient devenus nécessaires. Les travaux de terrassement qui doivent
s'exécuter prochainement pour la suppression d'un ancien boulevard
dégageront le monument et permettront d'apercevoir les façades la-
térales, l'une d'elles a besoin de grandes réparations, le pied-droit,
fort endommagé, étant poussé au vide par l'arcade qui s'y appuyait. Il
en résulterait inévitablement la chute d'une partie de l'édifice. L'archi-
tecte de la ville, M. Brunelte, a proposé de reprendre en sous œuvre
ce pied-droit et de. couvrir tout l'arc en asphalte pour le mettre à l'abri
des infiltrations dont il a déjà eu à souflVir ; on rétablira en même
temps quelques pierres d'entablement renversées depuis longtemps ,
mais conservées avec soin , et des mesures seront prises pour assurer
l'écoulement des eaux et dégager le pied des constructions. Ce projet
a été approuvé, la ville et le département ont pris à leur charge la
moitié de la dépense, l'autre moitié a été imputée sur le crédit des
monuments historiques et les travaux sont en voie d'exécution.
. A Saintes, on exécute en ce moment sous la direction de
M. Clerget, architecte, un travail fort important et sur lequel il est
nécessaire de donner quelques explications , car il a été l'objet de cri-
tiques qui étaient au moins prématurées. Un arc de triomphe à deux
portes avait été élevé par les Romains sur les bords de la Charente ;
ce monument, l'un des plus remarquables de même espèce que pos-
sède la France, avait subi de singulières vicissitudes, le lit de la
Charente avait changé et compris dans son cours l'arc qui fut sans
doute exposé pendant quelque temps, d'abord aux crues extraordi-
naires et ensuite au courant régulier. Un pont destiné à mettre en
communication les deux rives fut appuyé sur la pile que formaient na-
turellement ses fondations; ce pont renouvelé à plusieurs époques et
dont la dernière construction remontait à trois siècles environ , avait
changé entièrement l'aspect du monument. Tout le soubassement et
une partie des pied-sdroits avaient été compris dans la pile et le tablier
s'élevait entre les arcs à une hauteur de plus de 3 mètres dont il
diminuait d'autant l'élévation; de plus, un affaissement du sol du
côté de la rivière avait causé un tassement dans les constructions qui
faisait pencher tout le monument d'une manière notable et rendait sa
conservation problématique; le pont était d'ailleurs en très-mauvais
état, trop étroit pour les besoins de la circulation , et son radier for-
mait un des principaux obstacles à la navigation du fleuve; déjà
en 1788 sa démolition avait été jugée nécessaire: en 1835 seulement
elle fut résolue, et celle de l'arc avec lui; en 1840, sur une récla-
mation de la commission des monuments historiques, l'affaire fut
•206 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
étudiée de nouveau , on proposa d'abord de conserver la partie du
pont qui réunissait l'arc et le faubourg , le pont jusqu'à la pile qui
supporte l'arc serait resté isolé comme le Ponte Rotto à Rome;
l'administration des ponts et chaussées y consentait, et ce projet
aurait été adopté si l'arc avait été dès son origine établi sur un pont
romain dont on aurait retrouvé le sol antique, mais il n'en était pas
ainsi, et en admettant qu'un éperon eût été suffisant pour maintenir
l'arc avec son surplomb au-dessus du fleuve, le monument romain
aurait toujours été enterré dans des constructions qui liii enlevaient
une partie de son élévation et tout son caractère; la Commission des
monuments historiques a pensé qu'il était préférable de le lui rendre
en le replaçant sur le nouveau rivage de la Charente dans une po-
sition analogue à celle qu'il occupait du temps des Romains. Il
s'agissait seulement d'exécuter avec soin l'opération de déposer les
pierres en les numérotant, et leur dimension de grand appareil en
assurait le succès ; c'est ce qui a été fait sous la direction de M . Clerget,^
et la démolition de la pile a donné raison aux prévisions des archéo-
logues en amenant la découverte d'un soubassement dont l'existence
n'était pas connue et qui en restituant à la construction romaine toute
sa hauteur, a prouvé victorieusement qu'elle n'était pas dans l'ori-
gine placée sur un pont, puisque sa base antique est presque au niveau
des eaux du fleuve. Des fonds considérables et suffisants ont été
alloués pour l'achèvement des travaux, les pierres rangées par ordre ont
été déposées pendant l'hiver sous des hangars, et en ce moment l'archi-
tecte est sur les lieux pour procéder à la reconstruction du monument
antique qui retrouvera dans son ensemble l'aspect que lui avaient donné
ses fondateurs et qu'il avait perdu depuis si longtemps. — Des travaux
considérables ont été aussi exécutés à Jublains (Mayenne) pour dé-
blayer et consolider un fort gallo-romain dont les ruines importantes
présentent un ensemble des plus intéressants ; ces ruines dépendaient
d'une propriété privée qui a été acquise au moyen d'une allocation
de 3 000 fr. votée par le conseil général du département, et d'un
secours de 1000 fr. accordé par le Ministre de l'intérieur. Des murs
de 1 m. 90 c. à 2 m. d'épaisseur, conservant encore plus de 3 mètres
d'élévation et revêtus extérieurement en pierre de taille de grand
appareil, et intérieurement d'un parement en petites assises de moellons
smiilés parfaitement rejointoyés, forment une enceinte rectangulaire
de 31m. de longueur sur 18 m. 70 c. de largeur, flanquée à chaque
angle de tours ou pavillons carrés communiquant tant en dehors
qu'avec l'intérieur de l'édifice par de petites portes carrées ou pyra-
midales de i m. 10 c. à 1 m. 20 c. de largeur. Un bassin ou piscine, des
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. 207
vestiges d'hypocauste, une porte isolée et un puits creusé dans le
granit, se sont rencontrés dans l'espace compris entre l'enceinte
extérieure et l'édifice central qui est un impluvium recevant les eaux
des versants des quatre toits intérieurs avec deux aqueducs destinés à
le dégager de son trop plein. Ce spécimen curieux des constructions
militaires élevées par les Romains dans les Gaules a été dégagé des
monceaux de terre qui l'avaient encombré ; ses murs et ruines ont
été recouverts de chapes en mortier et brique qui empêchent l'infil-
tration des eaux sans en dénaturer l'aspect, et ces travaux élant
terminés, des fouilles dirigées avec intelligence dans les localités
environnantes par M. Magdeleine, ingénieur en chef du département,
ont amené la découverte d'un temple périptère, et de thermes dont
la salle principale avait 6 m. 50 c. sur 7 mètres, et était terminée à
ses deux extrémités par des hémicycles.
A Autup , des études sont faites en ce moment par M. Viollet-
Leduc, architecte, pour l'isolement et la consolidation de la porte
romaine de Saint- André; le théâtre a été acheté, il est maintenant
isolé çt clos, et on pourra y diriger utilement des fouilles dont le
résultat promet d'être intéressant; des fouilles ont été également
entreprises sur l'emplacement de l'amphithéâtre de cette ville ; des
travaux de même nature ont été exécutés depuis quatre ans à Nar-
bonne, à Aix, à Martres (Haute-Garonne), à Pomponiana, près
d'Hvères (Gard), à Apt et à Vaison (Drôme); à Évreux, trois
théâtres ont été découverts dans un espace très-rétréci , et de su-
perbes spécimens de sculpture antique ont été trouvés dans le cours
des travaux. Tous les objets précieux recueillis dans ces fouilles sont
conservés dans les musées des villes environnantes. Le gouvernement
permet, en effet, que ces fragments restent dans les départements
d'où ils proviennent pour y former comme des archives de l'histoire
locale, et pour y répandre le goût des arts. Si cependant quelques
objets d'une importance extraordinaire étaient découverts dans ces
explorations, le Ministre réclamerait leur dépôt dans les grandes
collections de la capitale , car c'est là seulement qu'ils peuvent être
d'une véritable utilité. De telles raretés intéressent tous les savants,
et ne peuvent être mieux placées que dans les musées de Paris , qui
sont de grands centres d'étude. Dans un tel cas, qui d'ailleurs ne
doit pas se présenter fréquemment , l'administration s'est engagée à
donner à la ville dans le territoire de laquelle la découverte aurait été
faite un moule de l'objet envoyé à Paris.
E. Grille de Beuzelin.
DECOUVERTES ET NOUVELLES
Extrait d'une lettre du professeur Lepsius.
E. Dahmer, 26 janvier 1844.
Les monuments nubiens ont réellement un caractère particulier,
quoique presque tous aient été élevés par les rois d'Egypte. Très-peu
sont dus à des rois éthiopiens, et encore sont-ils unis à des construc-
tions égyptiennes. Nous n'avons découvert que les noms de Tahraca,
Ergamenes et Atechramen, et en partie dans des lieux qui ont échoppé
à Champollion. La vallée entière est d'ailleurs si petite et la contrée si
désolée qu elle n'a jamais pu faire vivre une population nombreuse et
n'a pas eu de monuments avant la conquête égyptienne , parce qu'elle
ne pouvait servir de séjour à des princes riches et puissants; mais
l'adoration des dieux et de rois môme de l'Egypte offre dans ce pays
plusieurs particularités, entre autres la divinisation de Ramsès le
Grand, très-souvent confondu avec Ammon, Phre et Phtha, et qui a
comme eux le titre de divinité suprême. Au reste l'homme se sépare
de Dieu lorsque ordinairement il s'adore lui-môme. C'est ce qui a
conduit Champollion à cette opinion singulière que le Ramsès divin
n'a rien de commun avec le roi , et que Ramsès n'est que l'un des
noms que l'on joint à celui de Ra lui-môme. A E' Sebua , le roi adore
quatre divinités qui sont : 1 " le Phlha de Ramsès dans le palais
è Ammon; 2° le Phlha avec le signe da Sakriy Socharis; 3" le
Ramsès dans le palais de Phtha; 4° Ilalhor ; dans le môme lieu il
adore aussi la barque sacrée de Y Ammon de Ramsès dans le palais
d Ammon. On trouve aussi en Nubie plusieurs dieux nouveaux et in-
connus à l'Egypte. Quelques-uns d'entre eux sont considérés comme
les divinités principales des temples où on les adore. Tel est le Môrul
à Talmis. Une autre particularité est le culte fréquent en Nubie de
Sesertusen IIL Ce prince est aussi appelé précisément le seigneur de
la Nubie et les rois sont nommés /^5 aimés de Seserlasen et d'autres
divinités encore. C'est à Abu Simbel que nous avons fait le plus long
séjour. C'est là que les sculptures égyptiennes sont les plus nom-
breuses et les plus intéressantes. Nous y avons trouvé aussi sur les
genoux du colosse extérieur des inscriptions grecques et phéniciennes
très-remarquables; parmi les inscriptions grecques, qui, à la vérité,
se bornent la plupart à des noms, j'en ai découvert une en quelques
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 209
ligoes écrite à la manière dite (Soyo-rpocpsc^ov, que nous n'avons pu
encore déchiffrer en entier. J'ai fait prendre l'empreinte de toutes ces
inscriptions et j'en ai pris moi-même avec beaucoup de soin une se-
conde empreinte de manière que le texte deviendra intelligible avec
quelque étude. Parmi les autres inscriptions grecques il y en a plu-
sieurs en caractères très-anciens ; quelques-uns datent du temps des
Ptolémées,et sont écrites dans un récent système paléographique. J'ai
dressé une liste chronologique des princes éthiopiens qui ont gou-
verné le pays sous l'autorité supérieure de l'Egypte, depuis Tuth-
mès III jusqu'à Ramsès Miamun. Ces princes n'étaient pas du sang
des Pharaons, le nom de fils royaux n'était pour eux qu'un titre
comme celui de avyyzvriq sous les Ptolémées. La Nubie fournit peu
de choses utiles pour la chronologie.
— M. de la Pylaie vient de découvrir dans le Finistère, vis-à-vis
l'Anse du Fret, à main droite de la route et au milieu d'un champ ,
un petit tertre de la nature de ceux auxquels il a donné le nom de
barows-hian (avec encaissement). Ce tertre, de forme un peu ovale,
est long de 12 pieds du Nord au Midi, large de 10 de l'Est à l'Ouest,
et haut de 3 pieds au-dessus du niveau du sol ; il offre à sa circon-
férence quatre pierres établies en manière de contre-forts ou plutôt
d'encaissements , dont la principale est du côté du levant. C'est le
seul petit-baft-ow de cette nature que l'on connaisse encore dans le
Finistère, mais ces tertres sont communs à l'île de Noirmoutier et à
l'île Dieu. En examinant les environs du sommet du tertre du Fret,
on ne tarde pas à apercevoir dans le même champ une pierre isolée
qui est à trente-six pas de distance à l'Est. Cette pierre est haute
de 2 pieds et demi, épaisse de 2 pieds, alignée du Nord au Midi.
On rencontre encore à égale distance, du côté de l'Ouest» d'autres
pierres qui, sans doute, forment le complément du même système.
( Llnsdlut. )
— M. Phil. Lebas , membre de l'Institut , est arrivé à Athènes
dans les derniers jours d'avril, venant de la Carie, où il a fait d'im-
portantes découvertes archéologiques, telles que celle de la véritable
position d'Alabanda, chef-lieu judiciaire de cette province, sous
l'administration romaine, et d'AÏinda, refuge de la reine Adda , alors
qu'Alexandre le Grand vint assiéger Halicarnasse ; de cent cin-
quante inscriptions inédites et du plus haut intérêt, recueillies à
Mylasa (l); de la ville de Labranda et de son temple de Jupiter
(1) M. Lebas a pris non- seulement des copies exactes et des estampages de ces
1. 14
210 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
{ Jupiter Lahrandeniis) , l'un des sanctuaires les plus célèbres. de
l'Asie Mineure dans l'antiquité, et qui cependant s'était jusqu'à ce
jour dérobé aux recherches des archéologues; enfin, d'un grand
nombre d'inscriptions, jusqu'à ce jour jugées indéchiffrables, qu'il a
cependant lues et estampées sur les ruines d'un théâtre de l'an-
cienne Jasos, et oii il a trouvé plus d'un fait curieux pour l'histoire
de l'art dramatique dans l'antiquité. Au 19 mai, date de ses der-
nières lettres, il était sur le point de partir pour la Phocide , et
d'aller explorer les ruines de Delphes, oii les découvertes d'Ottfried
Millier, interrompues par le funeste accident qui a privé l'archéologie
de l'un de ses plus savants interprètes , prouvent qu'il y a encore une
abondante moisson à faire.
M. Lebas a fait mouler à Athènes, pour notre École des beaux-
arts, les plus beaux morceaux de sculpture que renferme cette
ville. Voici la liste des moulages qu'il a jusqu'à ce jour adressés à
Paris :
Quatorze plaques de la frise du Parthénon;
Cinq fragments de la barrière du temple de la Victoire sans ailes ;
Douze fragments de la frise du même monument ;
Une métope du Parthénon ;
Six statues, statuettes, Hermès ^
Dix bas-reliefs votifs , funèbres et autres ;
Trois têtes et bustes ;
Deux stèles funèbres ;
Un vase;
Huit fragments d'architecture.
Les travaux qui restent à exécuter sont :
1° L'entablement complet du Parthénon, avec la naissance du
fronton et le retour d'angle ; c'est une des plus grandes opérations de
ce genre qui aient été exécutées jusqu'ici ;
2° Une grande partie de l'ordre du temple d'Érechthée;
T Quelques détails du temple de Minerve Poliade ;
4" L'entablement et le stylobate du Pandrosiam.
Au moyen de ces envois déjà faits par M. Lebas , et de ces tra-
vaux que le savant archéologue espère pouvoir achever d'ici au mois
d'octobre , terme assigné à sa mission par le gouvernement , on aura
inscriptions; il rapporte les nnarbrcs mêmes de trois des plus anciennes. Ce sont
des décrets du temps d'Artaxerxès Memnon et du satrape Mausole , le mari de la
célèbre Arlémisc. Ces marbres sont assurément un des plus précieux ornemenlsde
no'.rc Musée des Antiques.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 211
l'ordre complet des quatre plus beaux temples de l'antiquité, et notre
École des beaux -arts sera dotée de modèles vraiment dignes de
l'admiration des élèves et même des artistes.
— Un puits antique, dont l'origine semble remonter aux Gaulois
ou du moins être antérieur aux Romains, a été découvert dans le
territoire de Beuzeville (Eure). Ce puits a 13 mètres de profondeur,
1 mètre 30 centimètres de diamètre ; il est pierre tout au tour en
silex , posévS à sec et sans taille , mais de façon à former un revête-
ment solide. Parmi les déblais qui remplissaient ce puits se sont
trouvés divers fragments de poterie ornés de figures en relief; le
plus grand appartient à un vase sur lequel une chasse était repré-
sentée. Plusieurs fragments portent une frise ornée d'un rang d'oves
séparés les uns des autres par un cordon pendant et terminé par un
gland. (L'Instiuu.)
— On vient de découvrir, près de Jouy- aux- Arches ( Moselle), un
bassin de forme circulaire, placé au point oii les eaux de l'aqueduc
romain, qui traverse cette commune, quittaient les arches pour en-
trer dans l'aqueduc souterrain dont on voit encore des vestiges sur
le chemin adjacent.
— En continuant les fouilles commencées à Béziers, dont nous
avons fait connaître , dans notre précédent numéro , les premiers ré-
sultats , on a fait , ainsi qu'on l'espérait , de nouvelles découvertes :
l'enlèvement des terres a mis à nu l'angle d'un mur auquel on
assigne une construction d'origine romaine. Au bas de ce mur ont
été retrouvées six têtes parfaitement conservées, en très-beau marbre
statuaire, et remarquables par la correction du dessin. Une de ces
têtes est d'une grande dimension; elle porte une barbe touffue et
une chevelure épaisse et bouclée. Jusqu'à présent le chiffre des têtes
trouvées s'élève au nombre de neuf. On espère qu'en creusant un peu
plus bas on trouvera la mosaïque ou le pavé de l'édifice qui renfer-
mait toutes ces richesses.
— Nous annonçons à nos lecteurs la mise en vente d'une publica-
tion, portant pour titre : Examen critique de la découverte du prétendu
cœur de Saint-Louis, faite à la Sainte- Chapelle , le 15 mai 1843;
accompagné d'extraits de ce qui a été publié sur cette décowerte , etc.;
par M. Letronne, garde général des Archives du royaume, membre
de l'Institut, etc.; nous nous proposons de rendre compte de cet
important ouvrage dans un de nos plus prochains numéros.
GRAVURES
PUBUÉES DANS LA TROISIÈME LIVRAISON
DE LA
REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
MOYEN AGE,
ARCHITECTURE : — Armoire aux Saintes Huiles dans l'église de
Saint-Clément à Rome. Ce meuble fait partie d'une suite de
Planches destinées à illustrer un article sur Y Ameublement des
Églises pendant le Moyen Age,
— Tombeau byzantin à Kutaya. Nous devons le dessin de ce monu-
ment à l'obligeance du savant voyageur M. Ch. Texier, qui a
bien voulu nous promettre une Notice archéologique que nous
donnerons , avec un autre monument funéraire du moyen âge ,
dans notre prochain numéro.
VIGNETTES SUR BOIS
INTERCALÉES DANS LA NOTICE
DR LA CHAPELLE DU COUÉGE M MVARRE A PARIS.
V Vue de l'Ancienne Bibliothèque.
2" Vue de la Chapelle du Collège.
NINIVE ET KHORSABAD,
Si Ton cherche bien attentivement à quelles causes la capitale de
l'empire d'Assyrie doit l'immense renommée dont elle jouit vingt-
cinq siècles après sa destruction, on se convaincra bientôt, je crois,
que ce n'est ni à un rôle important dans l'histoire, puisque l'histoire,
née plus d'un siècle après qu'elle avait péri, ne nous a transmis de
ses annales que des fables confuses, ni à des ruines imposantes qui
auraient été un témoignage matériel de son existence. On sait , en
effet, que jamais ville n'a laissé moins de traces de sa splendeur (l).
Je pense que le très-court récit de Jonas , texte qui , en présentant le
tableau d'un pardon obtenu par un repentir profond, fournissait une
parabole, frappante et toujours prête, au zèle des prédicateurs de la
loi chrétienne, a suffi pour répandre le nom de Ninive chez toutes
les nations. Adhnc très dies, et Nineçe suhvertetur; cet avertissement
terrible, mille fois répété dans la chaire du Christ, a eu autant de
puissance sur les esprits du moyen âge que les poëmes d'Homère et
de Virgile en avaient eu dans l'antiquité pour rendre célèbre le sort
de Troie. C'est un fait curieux à constater, que l'influence d'une
pensée philosophique et religieuse ait placé dans la mémoire des
peuples une ville qui n'a jamais été entrevue qu'à travers le brouillard
des fables, à côté de Rome et d'Athènes dont l'histoire nous est si
familière , dont les langues sont les bases de celle que nous parlons.
La légende du prophète Jonas est aussi populaire chez les musulmans
que chez les chrétiens, et c'est au nom deiVeôt lounas imposé par
les premiers à un tombeau voisin du Tigre que l'on reconnaît le site
de Ninive (2). A l'époque de dom Calmet, ce site était encore con-
(1) Lucien, Xapu-j. 23. 'h Nt'vo? //iv, àîro^w/sv r,o-n xal ouck tyyo^ Irt /oiTcàv aOrvî^,
ov5'àv sxTioii Stiov îtot' h- Lucien, comme on sait, était né à Samosate , à cent lieues
de Ninive.
^2) Nèbi lounas, c'est-à-dire le prophète Jonas. V. liuckinghara : Travels in Me-
sopotamia, etc., wilh rcsearchcs on the ruins of Nineveh, Bal)yionand olher ancient
cities. London, 1827, in-8°. — Rich: Narrative of a résidence in Khoordistan and
on the site of ancidnt Nincvch, etc. London, 1836, in-8\
I. 15
214 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
testé (Ij; mais, depuis quelques années, des voyageurs anglais, que
leurs prédilections bibliques attiraient vers cette partie de l'Asie, ont
tranché la question , et il est désormais constant que Ninive occupait
l'emplacement qui s'étend sur la rive orientale du Tigre et que tra-
verse la rivière nommée Khausser , en face de Mossoul.
L'enceinte, qui embrasse une étendue de terrain d'environ deux
tiers de lieue de large sur une lieue un tiers de long, est formée de
deux murs séparés par un fossé encore très-bien conservé; dans
l'espace que renferment ces fortifications , construites en blocs im-
menses, des fouilles ont fait retrouver quelques substructions , parmi
lesquelles étaient des briques et des dalles de gypse, les unes et les
autres chargées de caractères cunéiformes.
M. Rich acheta un curieux siège de pierre, qui fut trouvé dans la
colline qui supporte le tombeau de Jonas. Quelque temps aupara-
vant, on avait découvert, dans la partie nord-ouest de l'enceinte, à
un endroit où la muraille est plus haute et plus épaisse que partout
ailleurs, un immense bas-relief représentant des hommes et des ani-
maux , couvrant une pierre grise de la hauteur de deux hommes (2).
Toute la ville de Mossoul alla examiner ce curieux échantillon de
l'art assyrien , qui fut ensuite mis en pièces. Quelque vaste que fût
cette enceinte, elle paraît insuffisante pour y placer la ville que le
prophète hébreu mit trois jours à traverser, et que Diodore de
Sicile nous dit avoir eu 480 stades de tour, être fermée d'un mur
de 100 pieds de haut, sur lequel trois chars pouvaient passer de
front (ce qui équivaut à environ 10 pieds), et défendue par quinze
cents tours de 200 pieds de hauteur. Il est vrai que ces dimensions
colossales indiquées par l'écrivain grec, à une époque oii l'on faisait
de lliistoire (3), sont, pour ainsi dire, impossibles, et que nous ne
savons pas dans quelles proportions nous devons les restreindre.
Nous pourrions aussi supposer que Jonas ne traversait pas seulement
la ville, comme presque tous les écrivains l'ont entendu, mais qu'il
parcourait chaque quartier, et s'arrêtait pour crier ses menaces; en
sorte qu'il a pu employer trois journées dans un heu d'une moyenne
(1) Dictionnaire de la Bible, t. I , p. 104. Le savant bénédictin paraît s'être sin-
gulièrement préoccupé du témoignage de Diodore de Sicile.
(2) Uich, loc laud., t II, p. 41.
(3) Les rpnseiguemcnls que Jonas nous fournit sont exprimés naïvement et par
basard , sans aucune inlenlion d'établir des données historiques, il en est autre-
ment de Diodore qui , vivant à une époque annaliste , veut paraUrc érudit et bien
informé sur toutes les questions: c'est !à le genre d'écrits dont ii faut se défier.
NINIVE ET KHORSABAD. 215
étendue. Ce qui le ferait supposer avec quelque vraisemblance, c'est
que le prophète put se faire une idée de la population de la ville,
qu'il porte à plus de 120 000 houimes, qui, dit-il dans son dépit, ne
savaient pas distinguer leur main gauche de leur main droite (l).
M. Ilich, influencé peut-être parles idées qui circulent depuis tant
de siècles sur la grandeur des villes d'Assyrie, a considéré l'enceinte
qui existe encore aujourd'hui comme marquant seulement l'aire de la
résidence royale; et ce qui a contribué à faire naître chez lui cette
opinion , c'est la quantité considérable de ruines et de mouvements
de terrain qui se remarquent en dehors de la muraille, dans un
rayon fort considérable.
Un orientaliste distingué , que le gouvernement français a envoyé
récemment à Mossoul, en qualité de consul, M. Botta, près avoir
fait pratiquer quelques fouilles sur l'emplacement de Ninive, tel que
nous venons de le faire connaître, et fatigué de n'y rencontrer, de
tous côtés, que des briques et des fragments insignifiants, eut l'idée
d'envoyer quelques ouvriers dans un village voisin , nommé Khorsa-
bad , d oii l'on avait apporté déjà des briques à inscriptions cunéi-
formes. Les fouilles ne tardèrent pas à amener les plus heureux
résultats , et nous allons en donner un aperçu.
Le village de Khorsabad est à quelque distance au nord-est de
Mossoul, sur la rive gauche de la petite rivière nommée Khausser,
qui , ainsi que je l'ai déjà dit, vient se jeter dans le Tigre en traver-
sant l'antique enceinte de Ninive. Il est bâti sur un monticule
allongé de l'est à l'ouest ; l'extrémité orientale se relève en un cône
que l'on dit être artificiel et moderne; mais cela paraît douteux.
L'extrémité occidentale se bifurque, et c'est sur la pointe septentrio-
nale de cette bifurcation que les ouvriers de M. Botta firent Içurs
premières découvertes.
On mit à nu la partie inférieure de murailles parallèles qui sem-
blaient déterminer un passage d'environ 3 mètres, au bout duquel
se trouvait une salle dont les parois sont couvertes de bas-reliefs dont
(1) Jonas, C. IV, V. 2. On a généralement pensé que par ces cent vingt mille
âmes Jonas avait voulu désigner les enfants au-dessous de l'âge de raison qui ne
savent pas distinguer encore leur droite de leur gauche, et que , par conséquent,
en établissant la proportion qui doit exister entre le nombre des enfants et celui des
hommes faits, on arriverait à un chiffre de GOO.OOO habitants. J'ai connu des Arabes
hommes et femmes, d'un âge fait, qui n'avaient pas la notion de la droite et de la
gauche Gela paraîtra moins surprenant à ceux qui se rappelleront que les Orientaux
ne savent jamais leur âge et qu'il ne leur vient même pas à l'idée de s'en occuper.
Je crois donc que dans sa mauvaise humeur Jonas a simplement voulu traiter
d'ignorants les habitants de Ninive qui étaient au nombre de plus de 120,000.
216 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
le style est fort intéressant. On voit d'abord un guerrier vêtu d'une
cotte de mailles et coiffé d'un casque tombant en arrière, percé d'une
lance; derrière lui sont deux archers, habillés de même et lançant
des llèches dans la direction du guerrier (actuellement détruit) qui
portait le coup de lance à leur compagnon. Sur une autre partie de
la muraille , on voit une forteresse composée de deux tours crénelées ,
sur lesquelles sont deux personnages fort disproportionnés relative-
ment aux tours. L'un d'eux lève les bras au ciel en signe de déses-
poir, et l'autre lance un javelot; plus au sud sont deux archers , le
genou en terre, coiffés d'un casque pointu comme celui des soldats
normands du XI*' siècle, et revêtus de cottes de mailles; l'un décoche
un trait dans la direction de la forteresse; l'autre se couvre d'un
grand bouclier circulaire orné de dessins , comme les boucliers
étrusques de bronze trouvés dans les sépultures de Cere (l), ou
comme les targes de jonc recouvert de soie dont se servaient les
Mamelouks. Derrière ces deux personnages sont deux archers debout,
tirant vers la forteresse. Ces ligures sont hautes de 3 pieds , et sont
dessinées avec assez de naturel et de mouvement. Toute la scène est
surmontée d'une inscription cunéiforme très-dégradée , et dont il
manque une grande partie, car l'édifice a été, comme les maisons de
Pompei, entièrement détruit au rez du sol, et quelques figures
colossales, dont je vais parler, ne subsistent plus que jusqu'au niveau
des hanches. Dans le passage , la muraille du nord présente d'abord
un personnage de 3 pieds de haut, barbu, couvert d'une tunique
courte, et portant au côté un parazonium; delà main gauche il tient
une hampe qui peut appartenir à une lance ^ non loin se trouve la
partie inférieure d'un colosse qui devait avoir au moins 8 pieds de
haut; il était richement vêtu d'une tunique et d'une large robe à
franges; ses pieds sont munis de sandales, et il me semble que le per-
sonnage devait être un roi, si je compare cette figure à celle de Xerxès
qui se voit sur les pieds-droits de Persépolis, et qui de même est colos-
sale et accompagnée de serviteurs d'unetaille plus petite ; ce qui me
le fait supposer, c'est qu'à Khorsabad le même sujet se répète aussi
sur le mur opposé.
En face de ce bas-relief, la muraille présente la partie inférieure
de cinq personnes simplement vêtues et tournées vers l'est ; derrière
elles marche un personnage dont la tête manque, et qui semble
avoir eu des ailes, ou du moins un manteau de fourrure dont le poil
(1) V. l'ouvrage. du chevalier Luigi GriflS, inlilulé: Cerc anlica, Rome ï842,
in-folio.
IVINIVE ET KHORSABA.D.
217
est figuré en quadrille comme des plumes. Ensuite on voit un homme
ayant une épée au côté, et tenant à la main un long bâton; de sa
ceinture pend une sorte de tablier en forme d'aile qui rappelle un
ajustement égyptien; ce soldat semble pousser devant lui deux
femmes , dont l'une porte une bourse et l'autre tient par la main un
enfant nu ; elles sont précédées par une troisième femme qui paraît
porter une outre ou un sac sur ses épaules. Il semble que tout ce
côté de l'édifice représente les prisonniers faits dans l'expédition
sculptée de l'autre côté. Tous ces personnages ont 3 pieds de
haut, et sont, comme les autres, surmontés d'une inscription cu-
néiforme très-mutilée.
Le passage entre les deux massifs sur lesquels sont sculptées les
grandes figures royales est pavé d'une large pierre qui en occupe
toute l'étendue; elle est couverte d'une inscription cunéiforme de
32 lignes de beaux caractères, qui paraissent avoir été incrustés
de cuivre si l'on en juge par le résidu qui s'y trouve encore.
M. Botta, ayant fait creuser un puits à quelques pas en avant de la
muraille du nord, en découvrit une autre portant deux très-remar-
quables colosses de 8 pieds et 7 de haut, et tout à fait complets. Le
premier est un personnage barbu, marchant à l'est et portant à la
main un coffret ou une corbeille (1), Devant lui s'avance un person-
nage imberbe, à la chevelure ramassée en touffe derrière la tête; sa
robe, dont les manches étroites se terminent au coude, est large,
sans taille, finement plissée comme la saya des dames espagnoles.
Cet individu, au côté duquel pend un parazonium, et dont les pieds
sont chaussés de sandales, n'est nullement une femme, comme
M. Botta l'avait indiqué dans sa corres-
pondance, et j'y vois un prêtre suivi d'un ^^^-Y,.^:^-^j5r r?
acolyte. Ces figures portent en divers
endroits des traces évidentes de couleurs.
Je reviendrai sur ce point en parlant
d'autres bas -reliefs du même lieu.
M. Botta découvrit encore un autel de
pierre , composé d'une base triangulaire
surmontée d'une plate- forme ronde, le
tout soutenu par trois griffes de lion
très-bien sculptées; sur le bord de la
table, qui est parfaitement plane, règne
(1) Peut-être encore un gril destiné à recevoir le feu sacré.
218 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
une inscription cu^iéiforme appartenant au même système d'écriture
que les inscriptions des bas-reliefs et du dallage, et sans la présence
de laquelle on aurait pu prendre cet autel pour un monument pure-
ment grec (l). Tout l'édifice dont je viens de décrire les bas-reliefs
est bâti sur un plancher formé d'un seul rang de briques cuites
et portant des inscriptions. Au-dessous de cette aire, il y a une
couche de sable fin de 10 pouces d'épaisseur, qui est étendue sur
un autre plancher de briques, superposées sur plusieurs rangs et
fortement cimentées avec du bitume, Ornzàç âï izlivQovç elç aa^^alrou
èv^maaixirn r£ïy.oç xara(Tz£va(7£ (2). Ce sable a été apporté du Tigre,
et c'est là un trait qui rapproche ce genre de construction de celles
des Romains.
Les murailles sont formées de grandes et minces plaques de gypse
marmoriforme, connu sous le nom de marbre de Mossoul; ces dalles
sont appuyées sur des massifs de terre argileuse mêlée de chaux.
En continuant les recherches on déblaya un second, puis un
troisième passage pavé, comme le premier, d'une large pierre por-
tant une inscription cunéiforme ; celle du second passage présente
quarante-six lignes de caractères , et, quoique fendue, elle est com-
plète. L'inscription du troisième passage est un peu moins bien
conservée, et les caractères en sont très-espaces. L'une et l'autre
paraissent avoir été incrustées de cuivre, et ce métal, en s'oxydant,
a coloré d'une teinte verte la surface môme de la pierre.
La paroi occidentale du deuxième passage montre deux figures
colossales de près de 9 pieds de haut, tournées vers le sud : l'une est
un personnage ailé à tête
d'oiseau (maintenant très-
endommagée); il tient à la
main une petite corbeille
tressée, à anse; il est vêtu
d'une courte tunique, et sa
ceinture est très-riche. Je
donne ici, au lieu d'un des-
sin du bas-relief, celui d'un cône de calcédoine blanche, trouvé dans
les fouilles et envoyé par M. Botta à M. de Cadalvène. Cette pierre
gravée représente , sur chacune de ses faces , une divinité assyrienne;
l'une . montée sur un animal , a la tête ornée d'une tiare ; c'est pro-
(1) Circonférence de la table 5»», 20; hauteur totale : O'^JO; largeur de chacune
des faces de la base 0'»,74 j id. vers le haut, O^jôô.
(2) Diod. Sicul. lib. 11,7,
NINIVE ET KHOKSABAD.
219
bablement Baal; l'autre est ce môme personnage ailé à tôte d'oiseau
que nous venons de voir sur les has-rcliefs; à la base du cône se
trouventdeux figures de dieu-poisson :Supo'jç.... Tiy.àv tovç iyBîJç wç
Qso-jg (1). Au-dessous, la plante hoina ou le barsom; au-dessus, un
globe ailé à queue d'oiseau. Il semble qu'il y ait là une alliance du
culte d'Oannès et de celui d'Ormouzd.
Revenons au bas-relief : le personnage ailé est suivi par un homme
barbu , vêtu d'une tunique courte , que recouvre un long habit à
franges, ouvert sur le devant; il a le bras droit élevé, et tient de la
main gauche un instrument dont la base à trois pieds, encore peinte
en rouge, est seule conservée; c'était peut-être un candélabre ou un
trépied à feu. Un peu après se voit un petit cavalier au galop; il a
3 pieds de proportion environ; ses yeux sont teints en noir, ce qui
rappelle l'usage du kohl dont les Persans se servent encore. Ce petit
bas-relief est surmonté d'une bande d'inscription cunéiforme , au-
dessus de laquelle se trouvaient plusieurs personnages dont on ne
voit plus que les jambes.
Il faut faire observer que cette disposition est la même partout oii
les figures ne sont pas colossales; il y toujours deux bas-reliefs
superposés et séparés par une inscription tracée sur un bandeau
d'environ 0^50 de hauteur.
Cette même muraille, en retour à l'ouest, offre deux cavaliers de
front courant au galop, puis un autre marchant au pas. Presque en
face dans le troisième passage , se trouve un petit personnage de trois
pieds de haut, et plus à l'est deux cavaliers armés de lances se suivant
au galop ; au-dessus d'eux règne la bande d'inscription accoutumée;
hommes et chevaux offrent partout des traces évidentes de couleur.
En tournant au nord, la muraille du troisième passage fait voir un
(1) Diod. Sicul. lib II,
220 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
très-curieux bas-relief, qui représente un char traîné par deux che-
vaux, dans lequel se trouvent trois personnages. Le principal est un
homme fortement barbu, ayant les cheveux ramenés en touffe der-
rière la tête et coiffé d'une tiare peinte de couleur rouge; il lève la
main droite et tient un arc de la gauche ; derrière lui est un ser-
viteur imberbe, portant un parasol à franges, et à son côté gauche
estlaurige, tenant les rênes et un fouet. Le roi, car je crois que c'en
est un, et le cocher, ont des boucles d'oreille. Les roues du char sont
à huit rayons; il était orné de diverses sculptures actuellement in-
discernables. Une barre qui semble s'attacher au char par une double
bande, vient s'appuyer sur la naissance du timon ; c'était probable-
ment une tige métallique destinée à assurer la solidité du véhicule.
Les chevaux ont le caractère du pur sang arabe ; leur harnais est
très-riche et présente des traces de couleurs très-visibles. On ne dis-
tingue toutefois avec certitude que le rouge et le bleu ; les autres sont
devenues noires ; quant au bleu, il est extrêmement vif. Sur la tête des
chevaux est un panache pointu formé de trois houppes; leur front est
couvert d'un épais bandeau ; sous leur cou est un gland peint en bleu
et suspendu à une large bande rouge qui descend de derrière la tête.
Le cou semble entouré aussi d'un large collier divisé en avant en plu-
sieurs lanières et noué sur le côté par une rosette ; sur le poitrail est
un ornement formé de quatre rangées de glands, alternativement
rouges et bleus, suspendus à une courroie rouge relevée elle-même
de plusieurs ornements; quant aux rênes, attachées au mors par une
seule courroie, elles semblent ensuite divisées en trois lanières rouges
dont l'une revient se lier au char. De la boucle du collier pend un
riche gland formé de houppes rouges et bleues. Il est singulier que
ces chevaux, non plus que ceux dont j'ai parlé, n'aient pas d'oreilles
distinctes.
Derrière ce char, marche un guerrier à cheval, tenant une lance,
ayant une épée à la ceinture et le carquois à l'épaule. On aperçoit
encore la barbe, mais le reste du visage a disparu. Son cheval est
comme les précédents, richement enharnaché. Le bandeau du front
est bleu pointillé de rouge; le gland rouge et bleu suspendu sous le
cou est très-en relief; sur la tête s'élève un ornement que je ne puis
mieux comparer qu'à la crista d'un casque.
Ce bas-relief a environ trois pieds de hauteur ; l'inscription cunéi-
forme,tracée au-dessus, est malheureusement très-fruste, en sorte que
si elle contenait un nom propre, ce nom a du disparaître avec tout
le commencement de la légende. En avant du char marche un animal
KINIVE ET KHORSABAD. 221
à peine visible, et que M. Botta pense être un éléphant; un person-
nage qui le précède semble écrire et prendre livraison de six tètes
humaines empilées devant lui.
Le personnage mitre, placé dans le char, a la tête ceinte de ban-
delettes dont les extrémités tombent sur les épaules. C'est à cette
particularité que je reconnais le caractère royal ; au reste, on est
frappé de la ressemblance de cette figure traînée dans un char avec
celle que nous montrent des dariques hexadrachmes considérées par
quelques numismatistes comme frappées en Cilicie et qui me parais-
sent plutôt appartenir à l'Assyrie sous la domination perse. Sur ces
monnaies, le roi (ou peut-être le Dieu) a la main élevée; mais, au
lieu d'un serviteur qui porte un parasol, il est suivi par un jeune es-
clave tenant un chasse-mouches , ainsi qu'on le retrouve sur tant de
monuments perses (l). Sur les hexadrachmes comme à Khorsabad, les
crins des chevaux sont disposés de la même façon; il est fort curieux
de voir dans les bas-reliefs de la ville de Xanthus de Lycie ce
même mode d'arrangement qui fut conservé jusque sous les Sassanides
ainsi que je l'ai remarqué ailleurs (2). A Xanthus aussi, les bas-re-
liefs, et en particulier le harnachement des chevaux sont peints de
diverses couleurs (3), et, pour le dire en passant, la découverte de
M. Botta vient confirmer d'une façon aussi heureuse qu'inattendue, les
conjectures de M. Charles Texier qui, après avoir examiné l'état ac-
tuel de la surface des bas-reliefs de Persépolis, avait, il y a déjà plu-
sieurs années, affirmé que ces monuments avaient été peints, et avait
publié, à l'appui de cette idée, une restitution de l'un des pieds-droits,
représentant le roi Xerxès au-dessus de la tête duquel un serviteur
tient un parasol (4).
Sur la muraille orientale du deuxième passage, on voit deux cava-
liers marchant au pas et de front. Suivant la méthode antique, le se-
cond cheval n'est indiqué que par un double trait qui reproduit et
suit exactement les contours du premier; le soldat qui monte celui-ci,
le seul que l'on puisse distinguer, est armé d'une épée, un arc est
passé à son bras gauche, et sous l'aisselle du même côté, il porte un
(1) V, Sir Robert Ker Porter, PI. 48, 40, 50. V. aussi PL 41, un char traîné par
deux chevaux , et dont la roue est semblable à celle des chars qui se voient à Khor-
sabad, et sur les dariques; la crinière des chevaux offre aussi sur tous ces monu-
ments la plus frappante analogie.
(2) Annales de l'Institut archéologique. T. XV, 1843, p. 112.
(3) Ch. Fellows : Jn account of discoveries in Lycia. London , 18 il, in-8,
p. 173 et 199.
(4) royage en Arménie ei en Perse, PI. III.
2 22 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
assez long carquois ; les jambes sont recouvertes de bas à larges mail-
les probablement de métal, retenus au-dessous du genou par un an-
neau ou jarretière. Les ornements du cbeval sont peints comme ceux
des autres.
Dans un angle de la salle à laquelle on communique par le
premier et le deuxième passage, on voit deux figures colossales, im-
berbes et armées d'épées ainsi que celle dont j'ai parlé plus haut.
M. Botta croit que ce sont des eunuques. Les chevelures, les yeux et
les sourcils sont peints de noir. Devant ces figures, sont deux per-
sonnages tournés l'un vers l'autre aussi de dimensions colossales et
très-remarquablement conservés. L'un d'eux a la tête nue, ceinte d'une
bandelette rouge qui retombe sur le dos. Sa chevelure et sa barbe sont
peintes en noir et très-curieusement tressées (voyez la barbe du roi
parthe Vologès III, sur les tétradrachmes); il a des pendants d'o-
reille en forme de croix ansée , de riches bracelets au bras et au poi-
gnet et uneépée sur le pommeau de laquelle il repose sa main gauche.
L'autre personnage est coiffé dune tiare ornée de bandes rouges au
NimVÈ ET KHORSABAD. 223
sommet de laquelle est une pointe; sa chevelure, sa barbe, sa boucle
d'oreille et ses bracelets sont semblables à ceux du précédent. De la
main droite il tient un long sceptre peint en rouge; sa tunique est
ornée de rosaces et de franges; une sorte de pallium sacerdotal tombe
de son épaule et passe sur une épée courte ou parazonium. D'après
certaines données que j'ai réunies sur les sujets que représentent les
pierres gravées assyriennes et les bas-reliefs delà Perse, je crois être
fondé à penser que la ligure mitrée est celle d'un dieu, et que le per-
sonnage qui est placé debout devant elle dans une attitude de respec-
tueuse égalité (1), est le roi. Je ne puis d'ailleurs qu'indiquer sommaire-
ment ici cette opinion sur laquelle je reviendrai avec des preuves dans
un autre travail.
En entrant dans la salle située à l'extrémité nord du deuxième
passage, on voit un char semblable à celui que j'ai décrit quelques
lignes plus haut; il porte également trois figures, et, de plus, est
précédé par deux soldats; au-dessus, règne la bande ordinaire char-
gée d'une inscription, laquelle est surmontée d'un bas-relief très-dé-
gradé, dans lequel on distingue cependant un homme qui semble
nager dans une rivière, et des montagnes que gravissent des trou-
peaux.
Tout à fait en face du passage est une longue muraille, re-
présentant des scènes de guerre. Je donne ici le dessin de la portion
la plus importante de cette grande composition.
C'est l'assaut d'une forteresse ou d'une ville; elle est formée d'une
enceinte crénelée défendue par des tours un peu plus hautes que la
muraille, et toutes à égale distance; au centre de cette fortification
s'élève un tertre, sur lequel on voit un arbre et une citadelle qui
devient la proie des flammes ( peintes en rouge ) ; un personnage
barbu, placé au sommet, élève les bras en signe de désespoir. Adroite
de l'enceinte, au pied de laquelle coule un fleuve, des guerriers ar-
més de casques, de piques et de grands boucliers ronds, montent à
l'assaut par une échelle, d'autres sont déjà parvenus sur le sommet
des tours, et dans le bas on voit de plus petits soldats montant sur
six échelles. Il y a aussi des guerriers qui escaladent le côté gauche,
(1) Le roi Sapor s'adrcssant aux chrétiens qui refusaient de l'adorer, leur dit : Ne
savez-vous pas que je suis de la race des dieux? Un officier reproche à ces mêmes
chrétiens le refus qu'ils font de reconnaître la divinité du roi. Acla martyr, onenl.
Dans une lettre adressée par Ghosroés à un roi d'Arménie, on trouve le préambule
suivant : Xot/so*?? ^v-nilzit^ jSaffdéwv.... sv 6cOÎ? /aèv uvdpoiTxoç àycOà^ xxt àf-ôvco; , sv os
Tots ctvdpMTtotç 0EO2 iTTtyavsVaTos. x. t. ;.. Theoph- Slmocal lib. IV, cap. vui.
224 REVUE ARCHÉOLOGIQUE*
mais ils sont très-endommagés ; on peut distinguer seulement que l'un
d'eux frappe de son épée un défenseur de la place ; du sommet de cette
extrémité tombe up homme percé d'une flèche, et dans divers endroits
NTNIVE ET KHOUSAfeAD. 525
des personnages levant les bras au ciel. Au bas de l'enceinte il y a une
rangée de malheureux empalés par la poitrine (l). Il est à remarquer
eniin que le haut de la montagne porte un mot composé de six carac-
tères cunéiformes destinés à exprimer soit le lieu de la scène, soit
beaucoup plus probablement le nom du personnage placé au sommet.
J'avoue qu'il m'est impossible de deviner quels peuvent être la na-
ture et l'usage de l'espèce de grille ou de herse qui s'élève au-dessus
des trois tours de gauche. Une très-belle darique de grand module, que
possède la Bibliothèque royale , représente une ville munie de tours
percées de fenêtres, qui offre avec celle que je viens de faire
connaître une telle analogie, que l'on ne manquera pas de concevoir
l'idée que la monnaie appartient à la contrée où se trouve le bas-
relief.
Après avoir étudié les détails de la ville sculptée sur les murs de
Khorsabad, j'ai été frappé de la nouvelle preuve qu'ils nous donnaient
de la véracité d'Hérodote.Voici ce que cet écrivain rapporte au sujet
de Babylone.
L'Assyrie contient plusieurs grandes villes ; mais Babylone est la
plus célèbre et la plus forte ; c'était là que les rois du pays faisaient
leur résidence depuis la destruction de Ninive. Cette ville située dans
une grande plaine, est de forme carrée... Un fossé large, profond et
plein d'eau, règne tout autour; on trouve ensuite un mur de cinquante
coudées de roi d'épaisseur, sur deux cents de hauteur. A mesure que
l'on creusait les fossés, on en convertissait la terre en briques, et
lorsqu'il y en eut une quantité suffisante, on les fit cuire dans des
fourneaux. Ensuite, pour servir de liaison, on se servit de bitume
chaud, et de trente couches en trente couches de briques on mit des
lits de roseaux entrelacés. On bâtit d'abord de cette manière le bord
du fossé; on passa ensuite aux murs que l'on construisit de même;
au haut et sur le bord de cette muraille, on éleva des tours qui n'a-
vaient qu'une chambre, les unes vis-à-vis des autres, entre lesquelles
on laissa autant d'espace qu'il en fallait pour faire tourner un char à
quatre chevaux. 11 y avait à cette muraille cent portes d'airain mas-
sif (2).
Je ne parlerai pas ici des briques que l'on retrouve en grande quan-
tité sur l'emplacement de Babylone et de Ninive, avec le bitume en-
(1) roy. Herodot. L. III. 159. Cyrus ayant pris Babylone fait mettre en croix 3,000
prisonniers.
(2) Herod. Clio. CLXXVIH et CLXXIX.
226 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
core adhérent et portant l'empreinte de roseaux ; chacun connaît ces
particularités; mais je dois faire ressortir le rapport saisissant qui
existe entre les paroles de l'historien grec et la représentation décou-
verte dans une ville appartenant à la même contrée que Babylone,
et, suivant toutes probabilités, bâtie suivant le même mode. Le fossé,
la forme carrée de l'enceinte, la proximité des tours entre elles, et
les portes de métal (dans le bas-relief on distingue les clous à large
tête), tout est commun, tout est exact.
AXanthus, en Lycie, l'infatigable Fellows a découvert la frise
d'un édifice qui représente toute l'histoire de la prise de la ville par
les Grecs. C'est d'abord la ville entourée de hautes murailles et de
tours au sommet desquelles on aperçoit les sentinelles, puis les Grecs
qui s'avancent, placent des échelles et montent à l'assaut après s'être
déchaussés; puis différents épisodes du combat entre les hoplites grecs
et les archers asiatiques. Enfin, sur un trône semblable à celui do
Xerxès dans les bas-reliefs de Persépolis, et comme le roi des rois
abrité sous un parasol que soutient un esclave, un satrape assis,
coiffé d'un bonnet conique, vêtu à l'orientale, reçoit des députés au
milieu de ses officiers, dont quelques-uns se reconnaissent à leur cos-
tume grec pour des chefs de mercenaires. La frise se termine par la re-
présentation de la ville prise et désolée, tandis que deux soldats s'en
échappent emportant ce qu'ils ont jugé de plus précieux, un sac vrai-
semblablement plein de dariques , le trône et le parasol , insignes de
la royauté (l).
En voyant de quelle façon les nouveaux maîtres de Xanthus
avaient célébré la prise de cette ville en élevant sur les lieux mêmes
un monument de leur conquête, on admettra sans doute que ceux
qui construisirent les édifices de Khorsabad ont pu retracer dans les
bas-reliefs que l'on vient de retrouver quelques circonstances de la
ruine des dynasties qu'ils avaient remplacées.
Après avoir comparé les bas-reliefs découverts par M. Botta à tout
ce que nous connaissons de monuments asiatiques du même genre,
quoique je n'aie pu tirer rien encore des inscriptions, j'ai la convic-
tion de l'impossibilité de faire remonter ces ouvrages au delà des pre-
mières années du VP siècle avant l'ère chrétienne. A cette époque, Ni-
nive était détruite et l'Assyrie au pouvoir des Mèdes. Je crois que Khor-
sabad aura été élevé par un des conquérants , à côté de la ville ren-
versée, de même (\ullmm recens a succédé à Troie primitive, La
(1) Les bas-reliefs qui ornaient la frise de Xanlhus ont été apportés à Londres, et
placés au British Muséum, Us seront, je l'espère, incessamment publiés.
NINIVE ET KHORSABAD. 227
prise de Ninive par les deux confédérés Arbaces et Bélesis avait dà
être le sujet de poésies et de contes nombreux , et lorsque Astyages
et Nabopolassar s'emparèrent à leur tour du gouvernement, le sort
si dramatique de Sardanapale ne pouvait être oublié.
J'oserai donc proposer de voir dans le personnage qui au sommet
de la ville élève les bras au ciel, au milieu des flammes , le fils de
Phoul au moment oii il périt sur l'immense bûcher qu'il s'était pré-
paré (1).
C'est ainsi que dans la Grèce on reproduisit pendant des siècles
des scènes empruntées aux mythes d'Hercule et de Bellérophon ;
ainsi encore que sur une terre plus voisine de l'Assyrie, les Persans
puisent dans le Schah-Nameh des sujets pour leurs peintures. Les
Phéniciens devaient avoir une grande communauté de mœurs et
d'usages avec les Assyriens, et nous voyons précisément dans le récit
de Virgile que Didon avait fait orner les murailles du palais qu'elle
venait de construire de compositions historiques où figuraient des
héros dont le souvenir était familier à l'asiatique Mnée (2).
Après le bas-relief dont je viens d'esquisser le commentaire, vient
sur cette môme façade un char portant seulement le roi et le cocher ;
les chevaux sont au galop, dirigés vers la forteresse, et foulent aux
pieds un homme étendu par terre (3) ; devant eux court un guer-
rier. Ce char est très-dégradé, mais on distingue toutefois à l'extré-
mité un ornement en forme de pelta ou de fer de bipenne sur lequel
est sculpté un petit personnage à tête d'animal , tenant d'une
main le T mystique, et de l'autre un anneau. De cet ornement pa-
raît partir une bandelette qui va se rattacher à un pilier s'élevant du
milieu du char (ou passant derrière), et surmonté d'une boule. Le
char est suivi de quatre autres, série qui était certainement destinée
à représenter une bataille. Chacun des chars, tourné vers la forte-
resse, est traîné par deux chevaux et porte quatre personnages; le
principal d'entre eux est coiffé d'une tiare pointue et lance des
flèches; à ses côtés est l'aurige, et derrière sont deux guerriers ar-
(3) Diod. Sicul., lib. II, 27. "hx ok /j./j roU Tro^atotç yi-jr,roct xjT.oydpio^, Tro/oxy ht
zQïi èxaùziOiç /«Tcc7)'.£Ùa(7cy ÙTrsp/xsysQ/j , x«t tov rs xpM^O'i zat TÔv «pyupov «ttîcvtsc...,
(2) ^Encid. lib. I, y. 45G et seqq.
(3) Au revers de l'hexadrachme sur laquelle se voit une ville fortifiée détours, est
un roi dans un char conduit par un aurige. Les chevaux sont aussi au galop et loua-
ient aux pieds un immense bélier imprimé en creux dans la monnaie, et qui repré-
sente sans duule un mauvais dieu. Je n'ai plus de doutes maintenant sur l'origine
assyrienne^de celte rare pièce.
228 REVim ARCHÉOLOGIQUE.
mes de dards et portant des boucliers. Sous les pieds des chevaux il
y a toujours un cadavre, et au-dessus d'eux un guerrier qui paraît
blessé et jeté en l'air la tête en bas (1). M. Botta pense que la sin-
gulière position de cette figure ne peut guère s'expliquer que par
l'intention d'exprimer soit la confusion de la bataille, soit la rapidité
du char qui jette au loin avec violence tout ce qu'il rencontre.
Je crois qu'il est plus probable que l'artiste a voulu rendre la per-
spective du champ de bataille , et que ce guerrier est étendu mort
plus loin et non pas plus haut que les chevaux.
Dans la plupart de ces bas-reliefs les chevaux du char mettent leurs
pieds de devant sur la croupe d'un cheval abattu , portant un cava-
lier blessé qui tombe. Ces cinq groupes , sculptés chacun sur une
des grandes plaques de gypse qui forment la muraille, sont essentiel-
lement les mêmes, mais les détails de mouvement et d'arrangement
varient. Chaque scène est très-animée; les chevaux surtout sont
pleins d'ardeur, et les têtes encore conservées de quelques-uns des
vainqueurs sont empreintes d'un air de supériorité satisfaite très-bien
rendue. Il est à remarquer qu'il y a une grande difl'érence dans les
vêtements des vainqueurs et des vaincus. Ces derniers sont géné-
ralement couverts de cette espèce de manteau de plumes dont il a
déjà été question. M. Botta ayant remarqué à ce vêlement un ap-
pendice qui se trouve constamment sur le côté , et qui semble
la dépouille d'une patte, en a conclu que ce manteau était fait
d'une peau d'animal dont le poil est représenté par les losanges
striées, méthode toute conventionnelle qui se retrouve dans les ani-
maux de Persépolis, et même dans des ouvrages grecs, romains et
égyptiens, où souvent les crinières des lions sont exprimées par
des mèches régulières en forme de losanges. Le harnachement des
chevaux est ici très-riche et de même forme que celui du char décrit
plus haut; les couleurs sont très-belles. La série des chars est sur-
montée d'une longue inscription, qui au premier abord semble con-
tinue; il est certain cependant qu'elle doit être divisée en plusieurs
parties déterminées , chacune par le bord de la dalle sur laquelle elle
est gravée ; il y a en effet à l'extrémité de chaque plaque une ligne
verticale qui borne les inscriptions. Celles-ci d'ailleurs varient par le
nombre des lignes.
Au-dessus de ce bandeau chargé de caractères, il y a une suite de
personnages effacés; c'est une répétition de la scène sculptée au-
(1) Voyez dans la Tignelle de l'assaut, le guerrier de gauche qui tombe percé
d'une flèche.
mmVE ET KHORSABAD. 229
dessus de la forteresse assiégée : deux personnages , dont l'un est im-
berbe, assis en face l'un de l'autre, et séparés par une table; der-
rière eux plusieurs individus se tiennent debout.
Lorsqu'on sort de la salle des Batailles, par le troisième passage, et
que l'on tourne à droite vers le nord, on trouve un quatrième passage
conduisant à une grande salle; on voit d'abord (dans ce passage)
une figure colossale; sur le bas de la robe est une inscription.
Ce doit être le nom du roi , car à Persépolis la figure de Xerxès
porte de même le nom de ce prince gravé sur les plis de sa robe. Plus
loin on voit une suite de figures colossales, deux desquelles sont des
prisonniers chargés de fers aux pieds et aux mains. La tête de
l'un d'eux est bien conservée et d'un fort beau caractère. Devant ces
captifs marchent trois personnes vêtues et armées comme celle qui ,
je l'ai dit plus haut, est considérée comme un eunuque par M. Botta.
Dans la même salle, sur la face qui regarde le Nord, on remarque
une scène composée de sept personnages ; un roi, très-probable-
ment , qui se reconnaît à son riche costume : une robe longue à
franges, recouverte en partie d'une double stola (s^emblable à la cha-
suble des prêtres catholiques ) , toute parsemée de rosaces et bordée
d'une large frange; on aperçoit, malgré la ruine de la pierre, les
bandelettes qui tombent soit de la tête du roi , soit de la main du
porteur de chasse-mouches qui le suit immédiatement. Tous deux ont
des sandales peintes en rouge, et sur le bas de la robe royale court
une inscription ; aux pieds de cette figure deux captifs agenouillés,
barbus, vêtus de la peau d'animal dont j'ai déjà parlé, sont suivis par
deux autres prisonniers, debout, conduits par un garde, sur le vête-
ment duquel on distingue trois caractères cunéiformes. Les prisonniers
ont ici une chaussure recourbée à la pointe qui les fait ressembler
à la représentation de Sésostris , sculptée à Karabel , près de
Smyrne(l).
En sortant par le quatrième passage , et tournant à droite , on dé-
gagea un bas-relief qui nous apprend dans quelle marnera les artistes
assyriens traitaient le paysage. C'est une haute montagne très-escar-
pée , couverte d'arbres , au sommet de laquelle est un château cré-
nelé. Au-dessous du château une source donne naissance à un cou-
rant d'eau qui roule en cascade rapide jusqu'en bas du tableau, et
vient baigner le pied d'une ville désignée par des murailles flanquées
de tourelles tils-rapprochées. Cette ville est posée sur un tumulus
(1) Cf. Hérodol. l. 102. V. ceUe fig. dans le Archœologischezeitung, publié à Ber-
lin, par Éd. Gerhard, t. ï, pi. 2.
I. 16
Ô30 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
entouré d'une terrasse soutenue par un mur percé de quatre portes ,
et sur laquelle croissent des arbres. Évidemment , ce sont là des
jardins suspendus qui nous enseignent quelle était la nature des tra-
vaux fameux que Sémiramis fit exécuter à Babylone. Je dois dire aussi
que dans l'Inde , et notamment dans l'île de Ceylan , on voit des
Topes composés de terrasses en retraite et plantés d'arbres (1).
Un homme à tunique courte s'avance vers la ville ; quoique la par-
tie supérieure de son corps ait disparu, on voit clairement qu'il
devait dépasser de tout le buste et la ville et la montagne ; il est vrai
qu'il marche au premier plan. Dans ce paysage la surface du rocher
est rendue d'une façon étrange ; elle a l'air, littéralement, carrelée.
Les figures les plus grandes qui aient encore été découvertes se
trouvent dans un cinquième passage, parallèle au deuxième, et situé
à l'extrémité est de la salle du Dieu et du Roi, sujet dont la copie a
été donnée dans cet article (2) ; elles sont au nombre de trois, et celle
du milieu, plus importante que les deux autres, est coiffée d'une tiare
recourbée comme le bonnet phrygien, et ornée de deux bandelettes,
dont les bouts pendent sur le dos. La robe est très- riche et
semble, autant que l'on en peut juger en raison de sa dégradation,
porter cette espèce d'écharpe à franges qui caractérise toutes ces fi-
gures royales ou hiératiques. Comme à l'ordinaire, cette frange passe
sur l'épée, et la main droite du personnage est levée; l'autre est bais-
sée et tient une haste dont l'extrémité est ornée d'un fleuron en forme
de lotus (3). La tige du milieu, peinte en vert, se termine par une
boule, les deux autres s'épanouissent en fleurs. Derrière le roi, une
figure imberbe tient, de la main gauche, une double bandelette; de
la droite elle soutenait un chasse- mouches, dont on voit les restes.
En face, un homme se tient debout; il a la tète nue et est vêtu plus
simplement; sa main droite est élevée et la gauche repose sur la poi-
gnée de son épée. Les sandales de ces trois figures sont peintes en
bleu.
Tous ces bas-reliefs sont d'un grand mérite pour l'histoire de l'art,
(i) Transact. of the asiatic Society, t. III. •
(2) Je ne dois pas oublier de faire observer la ressemblance de costume qui existe
entre la flgure mitréc de Khorsabad et celle qui est scupltéeà iVahr-el-Kelb , prés
Beyrouth : celte dernière a le corps entièrement couvert de caractères cunéiformes.
(3) « ils (les Assyriens) ont chacun un bâton travaillé à la main , au haut duquel
est ou une pomme, ou une rose, ou un lys, ou un aigle, ou toute* utre ûgure ; car il
ne leur est pas permis de porter de canne ou bâton sans un ornement caractéris-
tique. » {herodoi. Lib. I. 195.) La canne et la fleur de lotus se trouvent dans les
mains de Xerxès, à Persépolis. {Ker Porter, pi, 48 et 49.)
J
NINIVE ET KHORSABAD. 231
sinon pour celle du peuple qui les a vu exécuter; mais aucun deux,
peut-ôtre, ne présente un intérêt égal à celui qu'inspire l'apparition
inattendue des grandes figures symboliques de taureaux à face hu-
maine, à demi engagées dans les pieds-droits de deux portiques signa-
lés par notre habile consul (1).
Ces colosses, séparés par un passage de deux mètres quarante cen-
timètres de large, décoraient une porte d'un caractère fort imposant
et d'une grande magnificence. Les jambessont très-naturelles et bien
musclées, ; chacun des taureaux, haut de cinq mètres et d'un seul
bloc de gypse, envoie dans l'intérieur du passage une aile qui en ta-
pisse la paroi. Des écailles régulièrement striées indiquent les plumes.
Le visage se termine par une barbe soigneusement tressée, et le fa-
non est représenté par une large bande de stries horizontales.
Jusqu'à présent on a considéré le taureau à face humaine dePersé-
polis (2), comme appartenant à la symbolique arienne, et cependant
nous le trouvons ici dans un édifice qui paraît bien assyrien. Il y a
là matière à étudier pour les érudits.
Mais un fait non moins curieux, c'est que dans l'enfoncement situé
derrière les taureaux sont deux personnages à tête d'oiseau , tout
semblables à celui que j'ai déjà décrit, et qui se voit sur un cône de
calcédoine. Cette combinaison, tout égyptienne, qui ne s'est encore
rencontrée sur aucun des cylindres que j'ai pu examiner, et qui n'a
rien absolument de Perse, appartenant à la même portion du monu-
ment que les taureaux, prouve, d'accord avec le caractère des in-
scriptions, que ces deux quadrupèdes à visage humain n'ont pas été
ajoutés au portique après coup et à l'époque de la conquête de
Xerxès.
Dans le passage on trouva en enlevant les terres un petit lion de
bronze de quarante-deux centimètres de longueur et entièrement de
ronde bosse. Cet animal est d'un travail très- fin et très-avancé. Au
dos est fixé un anneau , et M. Botta ayant observé un anneau sem-
(1) Le taureau à tête humaine, que l'on ne connaît en sculpture qu'à Persépolis,
mais qui se retrouve sur des pierres gravées sassanides (entre autres sur un cône du
cabinet de Munich), et même sur des monnaies frappées en Lycie sous l'influence
arienne, paraît à M. de Sacy représenter l'homme taureau ou Kaiomorts, qui est l'ori-
gine de la première race des rois de Perse et même du genre humain Le mot de Kaio-
morts est une ailération de son nom pehlvi Gaiomard, formé de gaw, bœuf, et de
mard, homme. Heeren y avait vu leMartichorasde Ctésias, qui, suivant cet écrivain,
était un monstre à face humaine et mangeur d'hommes ( mard, hofnme, Morden,
manger) ; mais l'opinion de M. de Sacy me paraît préférable. (V. Mém. de VAcad.
des Inscrip., 1815, p. 212.)
(2) Ker Porter , pi. 32 et 33.
232
REVUE ARCHEOLOGIQUE.
blable dans la muraille à côté, a pensé qu'autrefois ce lion était
enchaîné, idée qui me paraît très-juste. En elTet, dans le lieu oii se
rencontre le Kaïomorts, splendide et triomphant, il est tout naturel
que son ennemi le dew Epéwesch soit vaincu et enchaîné. Cette
explication ne paraîtra pas extraordinaire à ceux qui sont familiari-
sés avec la théologie asiatique (1 ).
M. de Cadalvène a bien voulu me confier une sorte d'amulette de
lapis-lazuli qui lui a été adressée par M. Botta. Elle se compose de
deux lions couchés en sens opposé et croi-
sés selon leur longueur, de façon que la
croupe de l'un vient se confondre avec la
poitrine de l'autre. Cet objet est percé,
au milieu, d'un trou qui le traverse dans
toute sa hauteur. J'en donne le dessin
de grandeur réelle. Les lions sont mu-
selés et leur disposition rappelle d'une
manière frappante les chapiteaux de Per-
sépolis (2).
Un autre type bien connu a été retrouvé sur des sceaux d'argile
non cuite, c'est le groupe du personnage frappant de son épée un
lion debout qu'il tient par la crinière. Six de ces sceaux ont été re-
cueillis à diverses places; ils sont percés d'un trou dans lequel on
distingue encore le reste d'une cordelette carbonisée; il y a toujours
surleliord quelques caractères cunéiformes qui sont de la même nature
que ceux des inscriptions du dallage et des parois. Il est certain, du
reste, que ces sceaux ont été pétris dans le creux de la main ; on y
voit encore la trace des doigts et des pores de la peau; quant à leur
destination, elle est difficile à établir; peut-être étaient-ils employés à
la fermeture des portes (3).
Jusqu'à présent on n'a pas trouvé de traces de fer dans le monu-
ment, tandis que l'on rencontre de nombreux restes d'objets de
cuivre, tels que des clous, des anneaux et même un fragment d'une
petite roue à jante mince d'environ 0,50' de diamètre.
Les briques qui ont été découvertes à Rhorsabad sont liées entre
elles avec du bitume et tout à fait semblables à celles de l'ancienne
Ninive, où M. Botta a aussi trouvé des restes de sculpture, exacte-
(1) V. Silvestrc deSacy, Mém. de l'Acad. d'^s Inscripl., 1815, p. "209, 211.
(2) Rer Porter, pi. 41.
(3) V. dans Hérodote, lib. II, 121^ l'anecdote de Rbampsinilc. Le roi ne savait qui
accuser du vol de son trésor, parce que les sceaux étaient entiers.
NINIVE ET KHORSABAD. 233
ment du même style que les bas-reliefs dont j'ai donné l'ana-
lyse.
Les murailles sont partout formées par d'immenses plaques de gypse
marmoriforme, de dix à douze pieds en carré et épaisses d'un pied;
il est probable cependant que n'étant pas assez grandes pour donner
aux chambres la hauteur nécessaire à leur destination, elles étaient
surmontées de quelques rangs de briques : on en voit, en effet, un
très-grand nombre dans les décombres qui remplissent les chambres
et les passages; elles n'ont pas la dureté de celles qui forment le plan-
cher, mais elles sont émaillées (1) ou peut-être peintes sur une de
leurs faces; la plupart sont jaunes ou blanches; quelques-unes
portent des portions d'ornements qui devaient être complétés par la
juxtaposition d'autres carreaux. Sur d'autres on voit de beaux carac-
tères cunéiformes, peints en jaune sur un fond vert obscur, le tour de
la brique étant bordé de blanc; au-dessus devait être placée une
corniche de terre cuite , composée d'oves striés que M. Botta com-
pare à un poing fermé. Cette corniche, dont les débris sont tombés
avec les briques, est peinte en jaune et a environ 15'' d'épaisseur. Le
toit ou seulement le plafond était de bois et peint en bleu; c'est du
moins ce que l'on peut conjecturer d'après la quantité de charbon et
de poutres calcinées que l'on retrouve, mêlées à de nombreux frag-
ments d'un épais enduit d'un beau bleu d'azur. Pendant un incendie
ce toit se sera écroulé et aura contribué, par l'action des flammes, à la
détérioration des bas-reliefs dont bon nombre sont devenus du plâtre.
On voit avec quel soin M. Botta a étudié les moindres parties de
sa découverte et les plus grands éloges lui sont dus pour le zèle
(l'étude que j'ai faite des monuments de l'Orient me permet d'ajouter
pour le talent) avec lequel il a su dessiner les nombreuses sculptures
dont nous ne posséderons probablement jamais d'autre souvenir. En
effet, déjà plusieurs murailles, détruites par le contact de l'air, entraî-
nées par les pluies, n'existent plus. Le dessinateur, que la libéralité
de MM. les ministres de l'Instruction publique et de l'Intérieur avait
permis d'envoyer sur les lieux, et qui, par suite de diverses circon-
stances qu'il ne m'appartient pas d'apprécier, n'est arrivé à Mossoul
que six mois après son départ, ne trouvera plus que des débris in-
formes et délités des bas-reliefs et des inscriptions (2).
(r On sait que l'abbé de Beauchamps a recueilli à Babylone plusieurs fragments
de briques parfaitement émaillées.
(2) Ces inscriptions cunéiformes sont conçues en caractères qai forment une
sixième variété à ajouter à celles que nous connaissons déjà et qui ge trouvent à Ba-
234 REVUE AHCHÉOLOGIQUE.
Notre courageux consul a donc bien fait de se hâter de recueillir
la moisson archéologique, qu'avec trop de modestie, sans doute, il pré-
sente comme insuffisante; mais il lui a fallu lutter contre la maladie
et braver les obstacles de toute nature que les autorités turques et
les missionnaires méthodistes n'ont cessé d'apporter à ses utiles
travaux.
Lenom deKhorsabad me paraît signifier demeure de Khosrouh (l),
que je crois être la forme assyrienne de Xerxès. Or le quatrième suc-
cesseur de Sémiramis se nommait ainsi ; ce n'est pas assurément que
je suppose que ces sculptures appartiennent au XXIl** siècle avant
notre ère ; mais je désire seulement constater que le nom de Xerxès
a pu être porté en Assyrie avant le fils de Darius.
Si les constructions de Rhorsabad , qu'elles aient été un palais ou
une nécropole, avaient été élevées après la conquête des Perses, nul
doute que l'on y aurait trouvé une ou plusieurs de ces inscriptions
trilingues contenant une colonne de Zend qui sont gravées sur tous
les monuments perses jusque même à Suez (2).
Après tout, les fouilles ne sont pas encore terminées et les décou-
vertes ultérieures viendront peut-être nous secourir dans l'étude de ce
problème difficile dont la solution doit vivement préoccuper le zèle
des archéologues, car elle intéresse et l'histoire de l'art et celle d'une
contrée considérée comme le berceau du monde.
Adrien de Longpérier.
bylone, à Van en Arménie, et à Persépolis (au nombre de trois dans cette dernière
Yille).
(1) De ahad, demeure- C'est ainsi qu'ont été formés Firouzabad, Djellalabad,
Kbairabad, Murschidabad et tant d'autres noms de villes.
(2) V. le Mémoire de M. de Rozière, dans le grand ouvrage de la commission
d'Egypte, 1. 1, p. 265.
RECHERCHES
SUR
rORIfill DES REPRÉSEKTATIOl FIGURÉES DE lA PSTCHCSIASIE
ou PÈSEMENT DES AMES
ET SUR LES CROYANCES QUI s'y RATTACHAIENT.
PREMIER ARTICLE.
La pensée de l'autre vie, des peines et des récompenses qui nous
y attendent, suivant la conduite que nous avons menée ici-bas, a
fortement préoccupé les esprits, au moyen âge. Dans les sermons,
comme dans les fabliaux, les écrits théologiques, comme dans les
chansons populaires, sur les vitraux et les bas-reliefs des églises,
aussi bien que sur les pierres votives et sépulcrales , on trouve la
preuve que cette idée religieuse s'associait à tous les projets, à toutes
les conceptions, à tous les actes de nos pères. L'image du paradis
et de l'enfer, du jugement dernier et de la résurrection générale,
formait, au fond de leur cerveau, comme un miroir dans lequel ve-
naient se réfléchir toutes leurs pensées. Et cette préoccupation de
l'avenir qui s'ouvre au delà du tombeau, donnait à leurs œuvres lit-
téraires ou plastiques une physionomie particulière, qui ne s'est effa-
cée qu'au moment de la Renaissance. Il importe donc à ceux qui
veulent connaître l'art au moyen âge , d'étudier les différents cercles
d'idées qui se rattachaient à la croyance à l'autre vie. Pour bien saisir
l'esprit et les détails des sujets que nos ancêtres sculptaient sur la
pierre ou peignaient sur le verre, il faut pénétrer assez avant dans les
opinions qu'ils s'étaient faites de l'existence mystérieuse à laquelle la
mort nous fait naître.
Au nombre des représentations figurées qui appartiennent à cet
ordre de croyances religieuses , nous avons surtout remarqué celles
qui offrent le jugement dernier sous l'image du pèsement de l'âme et
des actions de chaque homme. La répétition fréquente de ce sujet
dans les églises, particulièrement en France, les détails curieux qui
l'accompagnent d'ordinaire , enfin le grand nombre de légendes qui
s'y rapportent et en forment comme le commentaire, nous ont engagé
236 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
à en faire l'objet de quelques recherches. Ce sont ces recherches
que nous soumettons maintenant au lecteur.
Le pèsement des âmes, ou pour nous servir du mot adopté par les
antiquaires, la psychostasie , forme habituellement un sujet isolé qui
a été reproduit sur plusieurs chapiteaux d'église: c'est ainsi qu'on
le voit à Sainte-Croix de Saint-Lô, à l'église de Montivilliers , à celle
de Saint-Nectaire, et sur des bas-reliefs, comme à Saint-Trophime
d'Arles par exemple. On retrouve le même sujet dans les miniatures
des manuscrits du XIIP au X VP siècle. Parfois ce jugement forme
un des épisodes de la grande scène du jugement dernier ou de la
résurrection ; c'est de cette manière qu'il s'offrait à Notre-Dame de
Paris , qu'il a été placé à la cathédrale d'Amiens , à Notre-Dame de
la Couture, au Mans, à l'église Sainte -Foy de Conques et que
Van Eyck et Lelio Orsi le peignirent dans leurs tableaux. Sur cer-
tains manuscrits , c'est Dieu qui tient la redoutable balance. Ainsi
sur la Bible moralisée en latin et en français de la Bibliothèque royale,
à Paris, cotée 6829, Bible que M. Paulin Paris (1) soupçonne être
celle de Pierre Comestor, on voit, folio 1379, une miniature dont le
sujet est Dieu tenant une balance et pesant une âme représentée par
une figure nue; ces mots accompagnent la peinture: Omnesviœho-
minis patent ocuUs Bomini, spiritaum ponderator est Domimis. M. Di-
dron, dans son Iconographie chrétienne, donne, p. 576, une minia-
ture italienne d'un manuscrit du XIIP siècle , dans laquelle on a
figuré Dieu tenant un compas de la main droite et une balance de la
gauche. Dans le bas-relief qui décore un des chapiteaux de Sainte-
Croix, à Saint-Lô (*2), on observe seulement un bras qui supporte
(1) Cf. Calai, des manuscrits franc, de la Bibl. roy., t. IV, p. 4.
(2) Cotman's, ^rchilecltiral anliquities of lYormandy, l II, p. 87, in-foî.
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIE.
237
une balance. Dans le plateau de droite , est une petite figure tenue
par un ange demi-agenouillé ; dans l'autre plateau , dont le poids
paraît l'emporter, sont des objets qu'on ne peut distinguer : un bras,
sans doute celui du diable, entraîne ce plateau trébuchant. Le plus
ordinairement, c'est l'archange saint Michel qui tient le lléau de la
balance. A Notre-Dame de Paris, dans la partie supérieure du tym-
pan de la porte principale qui a été supprimée (1) , on avait figuré
cet archange tenant la balance de la justice divine et pesant les
âmes; au-dessous était le champ de la résurrection. C'est encore
le même saint Michel qu'on retrouve sur un des chapiteaux de l'église
de Montivilliers (2). A Saint-Nectaire , sur le chapiteau qui ofire la
psychosta^ie , saint Michel tient également la balance, et il est suivi
de l'ange exterminateur monté sur un cheval et portant à sa main un
grand nombre de dards (3). Dans une fresque du XÎÏP siècle de
Saint-Laurent hors-des-Murs à Rome, fresque appartenant à l'école
gréco- italienne, on voit la mort et les obsèques d'un personnage
dont saint Michel pèse les actions (4). Dans une autre fresque ita-
lienne, qui date du XV^ siècle, et qui est à Sainte- Agnès-hors-les-Murs
dans la même ville, l'archange tient une balance; une âme est dans
chaque plateau (5). Dans un des bas-reliefs du tombeau du bien-
heureux Alberto, de l'ordre de Cluny, mort au monastère de Pon-
dida, en i095, on a sculpté un homme à cheval portant une bâ-
ti) Gilbert, Descrip. de laBasiliq. métrop.de Paris, p. C?.
(2) D. Ramée, Manuel de l'histoire générale de Varchileclure, l. II, p. 170.
(3) Mallay, Essai sur les églises romaines du Puy-de-Dôme, p. 47. Pl.\L\.
(4) D'Agincourt, Hisl. de l'art, Peint. PI. XCIX.
(5) D'Agincourt, ibid.
238 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
lance et une âme dans chaque bassin (1 ). Ce personnage est très-
probablement saint Michel, ou, peut-être, l'ange monté sur un
cheval noir, qui, dans l'Apocalypse, apparaît à l'ouverture du troi-
sième sceau. Sur un des vitraux de la cathédrale de Bourges (2) ,
même pèsement, et même archange pour peser. L'emploi de samt
Michel comme grand ponderator s'est conservé à des époques plus
rapprochées de nous. A l'abbaye de Westminster, on voit sur le tom-
beau de Henri VII, saint Michel portant le fléau de la balance (3).
Sur un des bas-reliefs qui ornent le tombeau du pape Paul lïl, on a
sculpté le même saint tenant un glaive de la droite et une balance de
la gauche ;4). Molanus donne positivement la balance comme attri-
but ordinaire de saint Michel (5).
Dans presque tous ces sujets, l'âme est l'objet d'une vive contesta-
tion entre les anges et les saints patrons qui environnent le plateau
de droite, et les diables qui cherchent à faire basculer celui de
gauche, en se pendant après les cordes qui tiennent le plateau, ou
en pesant dedans du poids de leurs bras ou de leurs fourches. C'est ce
qui frappe particulièrement à Notre-Dame de la Couture, au
(1) D'Agincourt, Peint. PL \\\l.
(2) Martin et Cahier, Vitraux de la calhéd. de Bourges. PL H.
(3) Carter, Spécimens of theanc sculpt. andpainL in England. PL LVIII,
et p. 85.
(4) CrypL Falic. mon. ilL, tab. LXXVI.
(5) De Historia ss. imaginum. Ed. Paquot, Ub. 2, c. 23, p. 71 -, lib. 3^ c. 4i,
p. 366.
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIE. 239
Mans (l), à la cathédrale d'Amiens (2), à Sainte-Foy de Con-
ques (3). Souvent, comme sur les bas-reliefs de Notre-Dame de
Paris et sur un des vitraux de Bourges, on voit un diablotin placé traî-
treusement sous le bassin accusateur, et cherchant, en se crampon-
nant après, à le faire trébucher. En un mot, les artistes ne manquaient
jamais de représenter les démons très-acharnés à la perte de l'âme
dont le procès était pendant au tribunal divin. « Appirigunt etiam
nonnulli, dit Molanus (4), ad lancem in qua est anima, diabolum
eam deprementem quo significatur quod ipse sit calumniator et accu-
sator fratrum et rigidus exactor omnium eorum quae maie egimus. »
Si maintenant nous étudions les autres détails qui entraient dans
le sujet de la psychostasie , nous y reconnaîtrons quelques variantes.
Dans certaines représentations , l'âme est dans un des plateaux et
les actions dans l'autre; c'est ce qui paraît avoir été figuré à Sainte-
Croix de Saint-Lô. A la cathédrale d'Amiens, dans le bas relief en
partie mutilé qui offrait la psychostasie, l'agneau sans tache était dans
le premier plateau, l'âme dans le second. Mais plus ordinairement
il y a une âme dans chaque plateau, c'est ce que nous venons déjà
de faire observer dans divers monuments. A Saint-Trophime d'Ar-
les, saint Michel, que Millin a pris à tort pour saint Gabriel,
tient une balance , et dans chaque plateau de celle-ci , est une âme
figurée par un petit personnage nu, vu à mi-corps; une autre âme
debout qui a été trouvée de bon poids, est prête à entrer dans le pa-
radis.
Le pèsement que nous rencontrons sur tant de monuments , était-il
simplement une allégorie adoptée généralement par les artistes, comme
plus propre à exprimer la sévère justice du jugement de l'Éternel,
ainsi que nous le donnerait à penser ce passage de Molanus (5) •
« Michael Archangelus cum libra pingitur, ut simplices, inquit Ec-
kius, intelliganteum potestatem habere animas hominum suscipiendî,
eorumque mérita ponderare? » On serait tenté de le croire, si l'étude
des légendes ne nous montrait pas que cette représentation n'était pas
seulement pour les simplices dont parle Molanus , une image emblé-
matique, mais bien l'image positive d'un mode d'examen, à la réalité,
à la matérialité duquel, ils ajoutaient foi. Il nous suffira de rapporter
(1) p. Mérimée, IVoles d'un voyage dans l'ouest de la France , p. 61,
(2) Gilbert, DescripL de lacalh. d'Amiens, p. 35.
(3) P. Mérimée, Notes d'un voyage en Auvergne, p. 184.
(4) De Historiass. imaginum, Ed. Paquot, p. 374.
(5) Ibid., lib. 3, c. 39, p. 347. Ed. Paquot.
240 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
quelques-unes de ces légendes, pour convaincre le lecteur à cet
égard.
On lit dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, dans l'histoire
de saint Laurent, qu'à la mort de l'empereur saint Henri, lorsque ce
monarque était à l'agonie, un ermite, du fond de sa cellule, vit par-
devant sa fenêtre, qui était ouverte, une grande foule de diables, et il
demanda à celui qui allait le dernier de tous, où ils se rendaient, et
celui-ci lui répondit : «Nous sommes une légion de démons et nous ac-
courons vers l'empereur qui se meurt , afin de voir si nous ne trouverons
pas en lui quelque chose qui nous revienne. » Et l'ermite pria le dia-
ble de lui dire à son retour ce qui s'était passé , et le diable revint fort
triste, et dit à l'ermite : c( Nous n'avons rien eu du tout; car le bien
et le mal qu'avait fait l'empereur, ayant été mis dans la balance, les
plateaux se maintenaient dans un équilibre parfait ; mais il a été mis
dans le plateau de son côté, la grande chaudière de saint Laurent, et
son poids immense a donné un énorme avantage au bassin où étaient
les bonnes actions de l'empereur, et dans mon dépit j'ai emporté un
morceau de cette chaudière. »
Dans un manuscrit de la Bibliothèque royale de Paris (1), intitulé:
Faits et miracles de Notre-Dame , on lit le fait suivant, pag. 31 , au
chapitre : D'ang clerc qui fat pesé en la balance par monseigneur
saint Michel, sur V accusation de l'ennemy. (M. Paulin Paris a lu
par inadvertance, saint Remy) : Un clerc qui avait la dévote habi-
tude de dire tous les jours quatre Ave Maria fut mis à mort par l'en-
nemy, c'est-à dire le démon, lequel, comme on le devine bien, vou-
lait avoir son âme ; son ange gardien le défendait. L'âme fut portée
par ledit ange devant Dieu et fut mise en la balance, dit le texte,
avecques tous les biens quil avoit en sa vie ditz et faitz et les maulx
que l'ennemy mist de Vautre part. Et il se trouva que les maux pesaient
merveilleusement plus que les biens. Mais la Vierge Marie rétablit
l'équilibre et môme fit trébucher en sens inverse la terrible balance,
en apportant dans le bon plateau les Ave Maria, qu'avait journelle-
ment récités le clerc ; et en récompense l'âme du clerc obtint de ren-
trer dans son corps et de revenir à la vie, et notre pécheur dévot à
Marie vesquit en religion moult dévotement. Alain de La Roche nous a
raconté une légende analogue que nous rapporterons également : Un
certain usurier italien n'avait eu, sa vie durant, d'autre mérite que de
dire exactement tous les jours son rosaire. Au moment de mourir,
(1) Manuscrit fr., fonds J^ancelot, n° 7018. Cf. P. Paris, Catal. des manuscrits
fr., t. IV, p. 4.
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIK. 241
l'usurier eut une vision : il vit saint Michel mettant dans un des pla-
teaux d'une balance qu'il tenait à la main , les biens qu'il avait faits,
lui usurier, biens fort minces et de peu de poids, et le diable accu-
mula dans l'autre plateau les mauvaises actions cent fois plus pesantes
qu'il avait à se reprocher, et le bassin fatal l'emportait , lorsque la
Vierge accourut , et jetant le rosaire dans le plateau des bonnes ac-
tions qui s'élevait déjà léger comme s'il eût été vide , elle décida du
bonheur éternel de l'usurier (1).
L'auteur de la chronique de Turpin raconte que ce prélat étant à
Vienne, et venant de chanter la messe et de célébrer les saints mys-
tères, s'apprêtait à réciter les psaumes, lorsqu'il entendit une vio-
lente rumeur, ce qui lui fit mettre le nez à la fenêtre ; il vit alors une
innombrable troupe de démons; il interrogea le plus petit, celui
qui lui parut le moins repoussant ; ce diable lui répondit qu'ils allaient
quérir l'âme de Charlemagne qui venait d'expirer. L'archevêque le
conjura de lui dire, à leur retour, quel aurait été le résultat de leur
expédition ; et en effet, à peine eut-il achevé son psaume, qu'il en-
tendit le même bruit que précédemment , ce qui lui fit regarder de
nouveau par la fenêtre ; le petit démon lui apprit alors qu'à peine la
légion infernale avait- elle été rassemblée, l'archange Michel était
accouru avec la sienne, et que tandis qu'une lutte s'établissait entre eux,
au sujet de l'âme impériale, saint Jacques de Compostelle et saint Denis
étaient survenus, ainsi qu'on pouvait les reconnaître à l'absence de
leur chef, qu'ils avaient placé dans une balance tous les biens qu'avait
faits l'empereur, biens qui l'avaient emporté de beaucoup sur les
maux : Et in stateram miserunt cum bonis operibus qaœ in vita sua
rex fecerat , tôt ligna, lapides et structuras , ornamenta ecclesiarum et
cultus, quod mala superare et multiplicare minime potuerunt (2).
Nous citerons encore une de ces curieuses légendes que nous re-
commandons plus particulièrement à l'attention du lecteur, parce que
rien ne s'y trouve omis dans les circonstances de ce pèsement terrible
et qu'on y rencontre jusqu'aux moindres détails de cette scène,
telle que se la retraçaient les imaginations au moyen âge.
Odon , comte de Champagne, mourut après avoir mené ici-bas une
vie peu édifiante. Au moment de son trépas , Dieu songea à la vie
charnelle dans laquelle il était resté plongé , scilicet quod pubis vel
car à non spiritus esset, dum viveret cornes Odo. Toutefois, se rappelant
que ce seigneur avait fait réparer le grand monastère de Saint-Mar-
(1) Michael Nœvius, Chronic. apparit. et geslor. S. Michael., p. 286.
(2) Lenglet Dufresnoy, Dissert, sur les apparitions, t. II, p. 181 et suiv,
242 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
tin , œuvre fort méritoire à ses yeux , il eut pitié du pécheur et fit
avertir par un ange l'évêque de Tours, d'intercéder pour celui qui lui
avait conservé, au milieu de ces égarements, une dévotion particu-
lière et de le défendre contre les tentatives des démons qui allaient le
réclamer comme leur propriété. Le grand saint s'empressa d'accourir
au pied du tribunal divin et de faire valoir en faveur d'Odon , sa piété
envers lui , sa mort repentante, faisant appel surtout à la miséricorde
divine , à la rédemption dont le bénéfice s'étend sur tous les hommes.
Les diables étaient confondus de l'éloquence de saint Martin ; la
force de son raisonnement les accablait comme un coup de foudre ; ils
eurent recours à la chicane, refuge ordinaire des mauvaises causes.
Hœc Martino pro eripieiida de dentibus ursorum ovicula adversus im-
pies non transeuntis inculcatione sermonum , sed in verbi Dei omnia
penetrantis et comprehendentis collatione brevissima allegante, et
causam injustae abdicationis et delentionis captivi sui retractante illi
ejusdem verbi virtute ac si tonitrui corruscatione prœstricti non haben-
tes qui tantse auctoritatis objectionibus rationabiliter opponerent,
haerebant attoniti. Ad nota callidae machinationis commenta refu-
giunt. Les diables opposaient le grand nombre de péchés, et, comp-
tant sur la puissance de cette considération, ils demandent la terrible
épreuve de la balance. « Comitis specie sibi retinendi eum, polli-
centes, examen librae proponunt. » Ils font valoir l'excellence du
pèsement en matière d'équité. « Asserentes œquius nil videri quam
ut cujus partis opéra in eo prœponderare invenirentur, eadem illum
opéra secum sive sursum sive deorsum traherent.» Ils rappellent même
le passage dont l'interprétation littérale a suggéré l'idée de ce pèse-
ment. c( Asserunt etiam nullo mclius quam isto probari posse argu-
mente dominum suum qui miserat eum justum esse judicem de quo
scriptum sit quod ommia in numéro et pondère et mensura dispo-
suit. » On apporte donc la balance qui est suspendue dans le ciel.
« Protinus divinae virtutis potentia non parvae quantitatis trutina in
aère suspensa apparet. » Aussitôt les démons d'amonceler dans le si-
nistre plateau tous les méfaits, tous les péchés capitaux et véniels du
défunt ; ils les y entassent comme des pierres , comme des morceaux
de bois, de fer ou de plomb. « Nec mora cupidissimi feneratores et
exactores nequissimi omnes quasi totius vitae comitis scrutantes sub-
stantiam et ut brevissime multa perstringam, quidquid cogitando ,
loquendo et opérande in negligentia seu transgressione divinorum
prœceptorum deliquerat, memoriter retinentes in similitudinem lapi-
dum , lignorum ferri et plumbi et cœterorum hujusmodi in paiera si-
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIE. 243
nistrae partis ejusdem trutinge alacres etfestini coacervant. » A peine
les démons ont-ils comblé le plateau de cet affreux assemblage, que
la balance trébuche, et plus vite que la plume, dans l'air s'élève le
bon plateau, tandis que l'autre et son poids accusateur descendent
aussi bas que possible. « Fit immensa congeries et dextro cornu li-
brae in altum sublato, sinistrum, quantum descendere poterat, in
imum demergitur. » Déjà les diables crient victoire, tandis que saint
Martin et l'ange gardien d'Odon se hâtent de rassembler sur le plateau
trop léger tout ce qu'ils peuvent découvrir de bon dans la vie du
comte ; ils y placent l'œuvre pie capitale qui milite en faveur du ciel ,
brille comme l'or et le rubis et pèse comme les métaux les plus pré-
cieux. «Sed auri et argenti atque gemmarum gravitatem et pulchritu-
dinem referentiœ in patera dextrœ partis staterae convehunt. » Ce-
pendant l'équilibre est à peine rétabli , la troupe avide de Satan réclame
encore ; alors saint Martin fait valoir les prières, les veilles, les jeûnes
du défunt; il rappelle le saint sacrifice de la messe auquel Odon ne man-
quait jamais d'assister dévotement, il exalte la puissance de ce symbole
journalier de la Rédemption , qui renouvelle sans cesse les mérites qui
ont valu aux yeux de l'Éternel le salut du genre humain. Cette der-
nière considération est venue ajouter au bon plateau , ce qui lui man-
quait encore pour l'emporter ; la balance trébuche en sens inverse,
le bassin de droite s'abaisse et fait sauter en l'air celui sur lequel s'ap-
puyaient les démons. Le premier rayon de soleil ne fait pas fondre la
glace plus rapidement ^ue ne s'effectua ce mouvement : « Quo facto
pars sinistrae partis trutinae ac si vacua esset, dextera prépondérante
in sublime resilit et quicquid in ea congestum fuerat, velut glacies
a fervore solis deficiens reliquatum adnihilum redigitur. » Saint Mar-
tin entonna à son tour le chant du triomphe , et son cœur compatis-
sant tressaillit de joie, tandis que la troupe horrible des esprits impurs,
teterrimus immundorum spiritaam ille globus , s'évanouissait comme
la fumée, sicut déficit fiimus y se fondait comme la cire, sicut fiait cera
afacieignis, et était replongée dans l'abîme, in ahyssum suhplum"
hatiis (1).
La poésie populaire du moyen âge nous retrace la même image de
pèsement: écoutons pour preuve Guillaume de Deguilleville, moine
de Chalis, qni écrivait, dans la seconde moitié du XI V" siècle, le
Pèlerinage de la Vie humaine. Arrêtons-nous à la seconde partie de
(1) Anomjmi JYarratio de command. Turonicœ provinciœ et de nomin. et
ad. episcop. civ. Turon., p. 172 et suiv. à la suite de l'Histoire des Francs, de
Grégoire de Tours, Parisiis, 1610, in-12.
244 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
son poëme, le pèlerinage de Tâme. Le pèlerin est arrivé en présence
de la justice divine , les anges et les démons se le disputent avec achar-
nement. Satan l'accuse avec tant de violence devant saint Michel, que
l'archange est au moment de le damner. Mais dames Justice, Misé-
ricorde, Raison, Vérité le défendent éloquemment. Saint Benoît, le
patron de l'ordre qu'a embrassé le pèlerin, se joint à eux; saint
Michel , embarrassé, ordonne alors à la Justice de prendre sa balance,
et il dit :
En la balance tu raetras ,
Dit-il , et adroit pèseras
Quanque ait fait le pèlerin
Pour mettre tost sa cause à fin.
Qui rien y era à mettre
Soit bien , soit mal , tost li mette.
Et quant Benoist avoit escript,
Quanque aussi Sathan veult dire
Et quanque puet contredire.
Le pèlerin et ceulx qui sont
Pour li , en balance metront
Le bien saucun est à destre
Soit et les maulx à senestre.
Or que chascun appoinlement
Soit enformés du jugement.
De nul je n'ay reçeu don
Pour quoy doie estre en souppeson.
Aussi ne doit juge faire
Qui sonnour ne veult defTaire.
Après ce discours , dans lequel il est curieux de voir saint Michel
protester de sa probité déjuge et assurer qu'il n'a pas été gagné, le
poëte commence le récit du pèsement.
Lors fut Icvei ung eschafault
Sur la cortine tout en hault ,
Sur laquelle dehors se monstra
Justice , qui tost aporta
Ses balances aprestées
Et également ajustées.
Les dames allégoriques citées plus haut assistent à cette pesée solen-
nelle. Le pèlerin met dans l'un des plateaux, celui de droite, son
bourdon, son bâton, son écharpe. Dans l'autre, s'amassent les mé-
faits ; le monstre Sideresis y entre avec sa tête énorme et ses jambes
grosses et courtes (l), et déjà le diable s'efforce de faire pencher ce
(1) C'est au moins ainsi qu'il est représenté dans le manuscrit de Deguilleville
que j'ai consulté. Ce manuscrit, orné de peintures fort médiocres , appartient à la
bibliothèque de Metz où il est coté E. 1 1 0 ; il est du milieu du XIV^ siècle , et pro-
vient de la bibliothèque des Céleslins. J'en dois la communication à l'obligeance de
M. Declcrckx, bibliothécaire de Metz.
RECHERCHES SUR LA. PSYCHOSTÀSIE. 245
plateau si chargé. Saint Benoît apporte à son tour ses écrits dans le
plateau du paradis; mais le démon fait observer malicieusement que
cela ne fait point encore le poids. Le saint rapporte deux cédules et
la Justice en déclare encore l'insuffisance. Enfin, au moment où
Satan va s'adjuger sa proie, la Miséricorde accourt avec des lettres de
grâce de Jésus-Christ et de la Vierge.
. Ces légendes sont les véritables commentaires des représentations
figurées que nous avons décrites rapidement, en commençant cet
article ; nous retrouvons bien ces violences , ces tentatives traîtresses
des démons pour ravir une nouvelle proie. L'auteur anonyme du dis-
cours dans lequel est racontée la légende du comte Odon rappelle
lui-môme cet usage oii étaient les artistes de placer cette lutte comme
épisode habituel de la psychostasie. Il montre aux chrétiens quelle
salutaire pensée d'effroi ce pèsement doit jeter dans leur âme , sans
cependant nous frapper de stupeur ou nous rendre incrédules; il parle
de ces tentatives sournoises et perfides des diables, pour faire trébu-
cher le plateau accusateur, quamçis Diaholus arte pictoris supposilus,
prœposilam librœ pateram utraque manu tenenSy toto nisu ad ima conetur
detrahere. Mais saint Michel imposait par son autorité aux légions
perverses de l'enfer, et c'était à lui qu'elles étaient contraintes de
s'adresser, pour réclamer celui qui avait été trouvé trop léger.
Prévost Micbîel délivre nous
Et ajuge tost noslre proie,
disent les Sathanas, dans le Pèlerinage de la Vie humaine.
D'où venaient ces croyances? Était-ce une figure, une allégorie
qui de l'art , était passée dans les esprits et avait fini par y prendre
corps? était-ce une superstition plus ancienne, dont il faut aller
chercher les racines dans l'antiquité? Un grand nombre de passages
d'auteurs de diverses époques , nous font voir que l'expression méta-
phorique de pèsement fut employée non-seulement chez les premiers
chrétiens , mais encore chez les Juifs. Tout donne à penser que ces
expressions n'étaient que des figures de langage , pour ceux qui en
faisaient usage, tandis qu'elles étaient traduites par le peuple dans un
sens matériel et littéral.
Le fameux mot Thecel, une des trois paroles prophétiques qu'une
main mystérieuse traçait sur le mur de la salle du festin de Balthazar,
a été expliqué ainsi dans la Bible : Vous avez été pesé dans la balance,
et vous avez été trouvé trop léger. Appendat me in slalerajnsta, et sciât
Deas simplicitatem meam, dit le livre de Job (l), et le iv' livre d'Esdras
(t) XXXI, 6.
I. 17
246 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
au ch. III, verset 34 : Niinc ergo pondéra in statera nostras iniqm-
tates. Saint Augustin a développé cette idée. Il écrit dans un de ses
sermons (l) : Appendat me in stalera jasta, et sciât Deus simplicilalem
meam; et il dit ailleurs (2) : Erit tibi sine daUo compensatio bonorum
malorumque et velut in statera posita utraque pars, quœ demerserit
illa eorurn, que momentum vergitur, operariuni vendicabit si ergo
malorum muîtitado superaçerït , operarium suiim pertrahit ad gehennam.
Si vero majora faerint opéra bonorum summa vi obsistent , et repugna-
hunt malis atque operatorem suum ad regionem viçorum in ipso eliam
gehennœ confinio, convocabunt. Fortunat, dans un de ses chants
sacrés , s'écrie :
Statera faeta corporis
Prœdamque tulit Tartari,
et Prudence dit aussi :
Gentibus justam positurus œquo pondère libram .
Saint Denis l'Aréopagite nous parle de ces balances divines qui pèse-
ront notre vie : l-oïçQeiOLç l^vyoïq vnoriQeïda. rhv oUeiav ÇwfyV (3).
On lit ce distique parmi ceux qui expliquent les niellures allégo-
riques représentant des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament,
que le prélat Werner fit exécuter en 1181, par Nicolas de Verdun,
sur le parement d'autel du cloître de Klosterneuburg (4).
JVos tubaquando ciel tune quod cinis est caro fiet
Quam manet occulta lanx, surgit turba sepulta.
Cette balance cachée , occulta lanx, qui attend les ressuscites repré-
sentés au-dessous de ces vers, est une figure évidente, c'est une mé-
taphore empruntée à la même idée de psychostasie.
Un passage de Léon Diacre paraît renfermer plus qu'une figure, et
annoncer l'existence de la croyance réelle à un pèsement, ainsi que
nous l'avons constaté dans les légendes rapportées ci-dessus. Cet
historien raconte qu'au moment de mourir, l'empereur Jean Zimisces,
se rappelant ses nombreux péchés, invoqua saint Nicolas et la vierge
Marie, afin qu'ils le secourussent au jour du jugement dernier, jour
dans lequel on pèsera dans la balance les actions des hommes :
(1) Serm. De tempor. barbarie.
(2) Serm. I in vig. Penlecost. par. IG.
(3) De eccles. hierarch. c. 4 , par. 8, ap. Oper. S. Dionys. Jreop. Ed. Corde-
rii.t.i,p. 337.
(4) Cf. J. Arnelh, Das NiellQ-Antipendium zu Klosterneuburg in Oest-
reich,^, 9 (Wien, lS4i , in-S").
(
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIE. 247
Ev Y)iJ-épa rrig dœnç^ oTryjviza irapà tw vm aùrriç y,oà 0êw toc twv
(BpoTwv TrpazTga rot; àJejcaoToi? C^yotç xai ora^ptoîç raXavreuerai (l).
Il serait trop long, et sans grande utilité pour notre sujet, de rap-
porter ici les passages des écrivains plus modernes qui ont fait usage
<Je cette figure du pèsement divin, figure qu'on retrouve , jusqu'au
XVIIl"' siècle, dans le sermon de Massillon sur lejugement universel :
(( Je ne m'arrête pas, dit-il, à vous foire observer tous les titres dont
;§era revêtu celui qui vous examinera et qui annonce toutes les rigueurs
dont il doit user , enpesant dans sa balance vos œwres et vos pensées. »
Dans la bouche éloquente de Tévôque de Clermont, ce n'est qu'une
figure, et cependant à la même époque, au XVIIP siècle, dans les
idées populaires, la réalité de ce jugement était encore admise. On
croyait que l'Être infini pour lequel n'existe ni la succession des rai-
sonnements , ni la réflexion que réclame l'imperfection de notre in-
telligence, usait, dans l'examen de nos actions, des formes dont aurait
pu user la justice humaine. On se représentait encore la vie future
sous un aspect si terrestre , si anthropomorphique ! Ecoutons plutôt
le père Hyacinthe Lefébure dans son Traité du jugement dernier,
page 77 : « Ce fut un spectacle effrayant, écrit-il, qui arriva en la
personne d'un défunt. Les chanoines de Notre-Dame de Paris assis-
taient à des funérailles, au moment où le choriste entonna la première
leçon du second nocturne de l'office des morts, qui commence par ces
mots : Répondez-moi, combien ai-je d'iniquités? le cadavre se leva
sur son séant et dit d'une voix haute , qui troubla le chœur et épou-
vai'ita l'assemblée : Je suis accusé. Après quoi , il se remit dans son
cercueil; ce qui fit différer son inhumationjusqu'au lendemain, auquel
jour le corps se leva, comme le précédent, aussitôt que le choriste
eut prononcé les mômes paroles , et dit d'une voix horrible : Je suis
jugé. L'inhumation ayant été encore difl'érée jusqu'au lendemain,
au moment qu'on commença la même leçon, le cadavre se leva
derechef et proféra ces 'mots, d'une voix qui fit retentir toute l'église :
Je suis condamné. »
C'était donc un procès en bonnes formes que le peuple se figurait
devoir être soutenu devant le tribunal de Dieu : un procès qui, comme
le montre cette légende, pouvait rester pendant, durant plusieursjours,
et dans lequel la Vierge et les saints patrons jouaient le rôle d'avo-
cats, tandis que ledémonremplissaitles fonctions du ministère public :
Testis est diabolus qui ostendet nohis omnia quœ fecimus aliquando, dit
(1) Léon, Diacon, Hist. X , p. 178 , éd. Hase , Bonnœ , in 8»,
248 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
saint Bonaventure. On se rappelle ledramedeBartole : «L'homme par-
devant Jésus, le diable demandeur et la Vierge défendeur. » Le diable
réclame l'homme comme sa chose, alléguant sa longue possession.
Au sujet de cette idée toute matérielle de la justice divine, il ne
faut pas oublier de citer le singulier ouvrage du père Hyacinthe Le-
fébure qui nous a fourni la légende précédente, et qui est intitulé :
c( Traité du jugement dernier ou Procez criminel des réprouvez, accu-
sez, jugez, et condamnez de Dieu selon les formalitez de la justice,
contenant l'ordre et la forme de procéder, juger et condamner en
matière criminelle, selon les lois divines, canoniques et civiles » (Paris,
Thierry, 1671, in-4°). Dans ce livre, dédié au chancelier de France,
Pierre Séguier, l'auteur a décrit minutieusement toutes les formes
du jugement dernier, comme il l'eût fait dans un traité de procédure
criminelle. Les différentes phases du jugement sont ponctuellement
suivies, depuis la dénonciation , l'audition des accusateurs, des par-
ties plaignantes, jusqu'à l'information, la citation, la consultation.
On y retrouve tout, l'emprisonnement des réprouvés, l'interroga-
toire, le récolement et la confrontation des témoins, l'extrait du
procès criminel fait par les rapporteurs, la liste des juges qui com-
posent le tribunal, en un mot, par une puérilité qui ne peut s'expli-
quer qu'au moyen des croyances que nous avons exposées précédem-
ment, le père Hyacinthe Lefébure s'est attaché à nous initier aux
plus légers détails de ce jugement terrible.
La métaphore du pèsement a passé dans la poésie chrétienne mo-
derne, qui l'a empruntée aux représentations du moyen âge, et,
nous le verrons aussi tout à l'heure, à l'antiquité. Dans le Paradis
perdu de Milton , l'Éternel prend dans le zodiaque la balance d'or
d'Astrée, pour peser la destinée du combat entre Satan et les ar-
changes.
The Eternal , to prevent such horrid fray
Hung forth in Heaven his golden scales , yet seen
Belwixt Astrea and Ihe scorpion sign ,
Wherein ail things created first he weigh'd
The pendulous round Earlh wilh balanc 'd air
In counterpoise, now ponders ail eyenls,
Battles and realnis : in thèse he put two weights ,
The sequel each of parting and of fight :
The laltcr quick up flew and kick'd the beam ;
Which Gabriel spying, ihus bespake the fiend.
Book IV.
Klopstock, dans son immortelle Messiade, a dit aussi, par la bouche
d'Éloha:
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIE. 249
Und mit eisernem Gang die Todcsengel herabgehn !
DassdieGerichteten aile diestarren Augcn erheben
Nach d«ni Thron schaucn! Denn die Entsclieidungfasset die Wage
Bald, bald schwebt in die Himrnelhinauf die sleigendeSchale!
Also rief er. Allgegenwa;rlige, schauernde Stille
Halte sichiiber die Himmelund ûber die Erde gebreitet.
Ges. XVIII.
« Anges de la mort , descendez des cieux , hâtez votre pas de fer.
0 vous qui attendez votre arrêt, levez les yeux vers le trône du Tout-
Puissant I Voilà la balance qui va décider de voire sort. Déjà ses bas-
sins s'agitent, ils s'élèvent, ils s'abaissent et s'élèvent dans les
cieux. »
C'est cette même idée de la pesée de nos actions qui a fourni à
Schiller une de ses plus belles pensées :
Sehet zu, das Schicksal der Menschen steht unter sich in fiirchterlich
schœnem Gleichgewicht. Die Wagschale dièses Lebens sinkend, wird
hochsteigen in jenem, steigend in diesem, wird sie in jenem zu Boden
fallen.
(( Regardez-y bien , le destin de l'homme se balance dans une
terrible et admirable équité; si le plateau de cette vie a été abaissé,
il se relèvera dans l'autre vie; s'il a été élevé dans cette vie, dans
l'autre il s'abaissera davantage. »
Alfred Maury.
( La suite au Numéro prochain.)
SUR
UN BAS-RELIEF DU MUSEE DE STRASBOURG.
La vignette ci-jointe est la copie d'un bas-relief conservé dans la
bibliothèque de Strasbourg. Ainsi qu'on en peut juger, l'original
est d'une très-faible saillie et d'un travail barbare. J'ignore le temps
précis oii il a été découvert, mais il est plus que probable qu'il pro-
vient des environs de Strasbourg, car il est sculpté sur un grès
rouge à grain fin , semblable à celui qui est employé dans toutes les
constructions de la ville. L'inscription est mutilée, cependant la la-
cune me semble facile à remplir, et je n'hésite point à lire Lehe-
RENHVs; c'est à mon sentiment l'image d'une des divinités guerrières
adorées dans la Gaule , et assimilées à Mars par les Romains.
Le costume est remarquable. Le casque percé d'yeux rappelle le
casque béotien , qui , baissé ou plutôt enfoncé sur la tête , couvrait
tout le visage. Si l'aigrette est dans une position oblique, il faut l'at-
tribuer, je crois, à lamaïadresse dusculpteur, embarrassé pour rendre
cet ornement de face comme il devrait être. La lance sur laquelle le
dieu s'appuie de la main droite est également de forme grecque. On
voit dans tous les musées des pointes de lance en bronze absolument
semblables à celle-ci. Quant à l'épée, sa longueur singulière ré-
pond bien à la description que Tite-Live nous a laissée des sabres
gaulois destinés surtout à porter des coups de taille: Gallis prœlongi
BAS-RELIEF DU MUSEE DE STRASBOURG. 251
gladii ac sine mucronihus, XXII, 46^ Le bouclier rond, légèrement
bombé, est garni d'un umbo étroit. Au limbe extérieur une pointe
est adaptée qui permet de le ficber en terre, comme les pavois dont
les archers se couvraient au moyen âge. Le bas-relief de Strasbourg
est, à ma connaissance , le seul monument antique qui offre un
exemple de cette disposition. Il est facile de reconnaître , malgré la
grossièreté du travail, que le dieu n'a point de cuirasse. Sa poitrine
n'est couverte que d'un sagum à manches, qui descend jusqu'aux ge-
noux. Je ne crois pas qu'il ait d'armure de jambes, et rien n'indique
même les braies gauloises. L'absence d'armes défensives autres que le
casque et le bouclier s'explique facilement, car on sait que les
guerriers gaulois pour montrer leur mépris de la mort allaient au
combat nus jusqu'à la ceinture ; Galli super umbilicum pugnant midi,
Liv. XXII, 46. A gauche de la figure, sur un bâton terminé par
une barre transversale en forme de ï , on voit un coq , la tète
retournée vers le dieu. Est-ce un coq véritable ou bien une enseigne
militaire? il est assez difficile de décider la question. Les détails
assez fins des plumes, surtout la longueur et le mouvement de celles
de la queue, me feraient croire que le sculpteur a voulu repré-
senter un oiseau vivant. On peut encore se demander si le coq doit
être regardé ici comme un symbole du courage, de la vigilance, etc.,
ou bien si l'artiste, jouant sur le double sens du mot Gallus, a voulu
donner, pour ainsi dire, des armes parlantes au Mars gaulois. Les habi-
tudes belliqueuses du coq sont d'une observation si facile qu'on peut
supposer que les Gaulois avaient consacré cet oiseau au dieu des
combats, sans qu'il soit besoin de supposer une importation grecque
de la fable d'Alectryon.
Gruter a publié deux inscriptions tracées sur des monuments votifs
à Leherennus, trop concises l'une et l'autre pour indiquer les attri-
butions de cette divinité , qu'il paraît rapprocher de la déesse zélan-
dmse Nehallenia, laquelle présidait au commerce et à la navigation.
V. P. MLXXIIII, 6, 7. — Reines. 1, 177, seqq.
LEHERENNO (1)
DOMESTICVS
RVFI -F
V. S. L. M.
LEHEREN
DEO
TERTYLLVS
V. S. L. M.
(1) Orelli a mal à propos donné la leçon LEHERENNIO. INSS. coll. 3020.
262 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Ces deux inscriptions ont été découvertes près de Saint-Bertrand
de Comminges.
Les quatre inscriptions suivantes , placées aujourd'hui dans le mu-
sée de Toulouse , et trouvées dans les Pyrénées , ne permettent pas
de méconnaître le caractère de Leherennus. Suivant l'usage romain ,
son nom gaulois est devenu l'adjectif caractéristique de la divinité
à laquelle il pouvait être assimilé.
MARTI
LEHERENN
INGENVVS
SIRICONS
V S L M
LEHEREN
MARTI
RVMEIX (1)
PVRLIC
V S L M
LEHERENO
MARTI
TITVLLVS A
MOENI • F
V. S. L. M
LEHERENNO
DEO
MANDATV
MASVETRE {sic.)
V. S. L. M
Il est fort remarquable que les deux inscriptions de Gruter, ainsi
que les quatre que je joins ici , proviennent toutes du voisinage des
Pyrénées. Je me souviens qu'un savant professeur de la province de
Guipuscoa à qui je montrais les inscriptions de Toulouse, réclama
pour son pays le dieu Leherennus. Lehertcea , ou quelque chose
de semblable , veut dire en basque , écraser, briser. Leherennus si-
gnifierait Tassommeur. Cela me parut alors une étymologie pas-
sable, mais trouver à Strasbourg une divinité basque serait un fait
assez étrange. Faut-il chercher à son nom une signification germa-
(1) L'R et ie V sont liés.
BAS-RELIEF DU MUSEE DE STRASBOURG. 253
nique, Lehren , par exemple? A ce compte, Leherennus serait le dieu
qui instruit les hommes, non parla douceur, mais dans la lutte et le
combat. « Le Mars du Latium)) , dit M. Guigniaut dans son savant
ouvrage sur les religions de l'antiquité , « se montre sous une double
({ face comme le dieu de la nature , sous l'autre comme le dieu de
(( la guerre ; mais avec l'idée première d'une lutte perpétuelle
(( nécessaire au développement du monde aussi bien qu'à celui de la
« société. »
Je me hâte d'abandonner des étymologies par trop incertaines,
pour revenir à ma première observation , c'est-à-dire à l'existence
dans les Pyrénées de six monuments sur sept connus , consacrés à
Leherennus. Tandis qu'un autre Mars gaulois , Camulus , a laissé
des monuments de son culte dans maintes provinces fort éloignées (1),
Leherennus , à une seule exception près , ne paraît avoir été connu
que des peuples au sud de la Garonne. Il ne serait pas invraisem-
blable, je pense, d'attribuer l'inscription de Strasbourg à des Aqui-
tains , soldats dans les armées romaines. L'armée de Germanie avait
cinq cohortes d'Aquitains , sous Vespasien , comme l'atteste une cu-
rieuse inscription publiée par M. Arneth (2). Plusieurs des monu-
ments consacrés à Camulus ont été érigés par des Gaulois éloignés
de leur patrie (3) ; on peut supposer que le culte de Leherennus a été
importé de la même manière en Alsace.
(1) Par exemple , à Rome , sur les bords du Rhin , à Reims , à Clermont. L'in-
scription de Clermont, qui est , je crois, inédite, indique que Camulus était une
divinité topique de la Picardie. Elle est tracée en très-grands caractères sur une
large pierre qui paraît être le tympan d'un assez grand fronton.
CAMVLO VIROMANDVO
(2) Romische militar diplôme. Wien , 1843 , p. , lib. IIL
(3) V. l'inscription précédente , et Gruter, XL. 9. LXI, 11 , 12.
MARTI CAMVLO
OB SALVTEM TIBERI
CLAVDII CAES ' CIV • REMI
TEMPLVM CONSTITVERVNT.
A Rindenen , dans le duché de Cléves.
P. Mérimée , de V Institut.
RESTAURATION
DE
L'ÉGLISE DE SAIIVT-GERMAIN-L'AUXERROISj A PARIS.
Lettre a M. le Directeur de la Revde Archéologique.
Monsieur,
Après une interruption qui commençait à inspirer des regrets
aux amis de l'art chrétien, la sollicitude du gouvernement et de la
ville de Paris envers l'antique église de Saint-Germain-l'Auxerrois,
l'une des plus belles de cette cité, continue à se manifester. Les
travaux de sa restauration typique ont repris une nouvelle acti-
vité. L'état de ruine de l'ornementation extérieure du chevet
disparaît comme par enchantement ; les galeries à jour sont refaites
à neuf avec une imitation de style qui fait désirer la restitution de
celles du grand comble. Les trois fenêtres des chapelles au sud du
chœur et les quatre du collatéral nord, longtemps privées de leurs
meneaux , vont enfin les recouvrer. Le trumeau qui divisait autre-
fois en deux baies la grande porte occidentale va reparaître orné de
la statue du Christ; et comme complément de l'ornementation sym-
bolique de la voussure, on prépare le tympan de l'ogive de cette
même porte à recevoir une réduction du jugement dernier que l'on
voit à la porte principale de Notre-Dame de Paris. On sculpte dans la
chapelle de la Sainte-Vierge un retable gothique en pierre, qui retra-
cera les faits principaux de la vie mystérieuse de l'auguste patronne.
Les chapelles absidiales sont richement ornées de vitraux coloriés et de
peintures monumentales d'une exécution plus ou moins remarquable :
enfin, leporche construit par Jean Gaussel, et commencé en 1432, est
lui-même en voie de recevoir, en fresques, une semblable décoration,
confiée au talent bien connu de M. Victor Mottez; mais qui s'opère
avec une lenteur désolante, et qui a l'inconvénient d'offrir, depuis
déjà trois ans, à l'œil du visiteur, les ogives de ce porche délicat et
gracieux, obstruées par d'horribles châssis recouverts de percaline en
lambeaux, et d'ignobles palissades qui donnent au portail l'aspect
d'une ruine plus hideuse qu'après le désastre de 1831.
RESTAURATION DE L'ÉGLISE ST-GERMAIN-L'AUXERROIS. 255
Nous suivons les phases de ces divers travaux avec un intérêt
d'autant plus légitime que nous avons consacré de longues veilles
pour essayer de constater, dans une monographie, l'origine, les splen-
deurs et les vicissitudes de ce saint monument. C'est pourquoi nous
voudrions voir s'accomplir une restauration aussi magnifique, selon
le vœu du conseil municipal et les principes posés dans le bulletin
archéologique et dans les instructions du comité historique des arts
et monuments : c'est-à-dire que, comme ^)lusieurs parties de l'église
appartiennent à des époques différentes , on apportât le plus grand
soin à les restaurer dans le style qui les caractérise; car sous ce
point de vue, et dans un intérêt d'unité , il serait bien à désirer que
la Commission des Monuments Historiques, attachée au Ministère de
l'Intérieur, fut chargée d'exercer une surveillance officielle sur la
restauration de tous nos monuments religieux, civils et militaires, ou
au moins d'en examiner et approuver les projets. Nous aimons donc
à espérer que M. l'architecte chargé de la direction de ce travail
qu'il a si bien commencée ne se départira pas d'une règle aussi
logique , et dont il semble avoir fait fheureuse application dans la
restauration du porche et de la fenêtre-rose occidentale.
Cependant on assure que dans la restauration des fenêtres du
collatéral nord de féglise de Saint-Germain-l'Auxerrois , qui ap-
partiennent à la seconde moitié du XVP siècle, on va repro-
duire les divisions et les formes des meneaux placés dans les baies
du midi, appartenant à la fin du XIV^; car la chapelle de la
Sainte-Vierge est évidemment la plus ancienne de toutes celles de
l'église; elle date à peu près des règnes de Charles VI et de
Charles VII, c'est-à-dire de 1380 à 1463; les vingt autres ayant
été bâties ou refaites dans le cours du XVl^ siècle, ainsi qu'il
résulte des contrats ou notes de fondations que nous avons retrouvés.
«J'apprends des comptes des marguilliers, dit Sauvai, qu'en 1564
on commença le jubé et la contre-nef du septentrion » (tome I,
page 337). L'architecte a donc fait preuve de sa science archéolo-
gique en introduisant dans les divisions des fenêtres, les trilobures et
les rosaces à redans, types du style ogival de la fin du XI V^ siècle.
Partant d'un si louable précédent , il serait d'autant plus difficile
de comprendre que l'on put porter l'amour de la symétrie jusqu'au
point de faire des divisions du XIV^ siècle dans des baies du XVP,
que nous savons , d'une manière positive , que le projet officiel pré-
senté l'an dernier, et approuvé successivement par le conseil des
bâtiments civils et par M. le préfet de la Seine, indiquait des cora-
256 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
partiments du XVI*' siècle, dont le type existe dans les chapelles au
nord du chœur, et qui vient d'être si harmoniquement rétabli dans
les six fenêtres des deux chapelles polygonales de l'abside.
Notre unique but, en recourant à la publicité de votre savante
Revue, est de voir dissiper un bruit que nous croyons erroné, et de
provoquer ainsi l'exécution la plus prompte du projet officiellement
approuvé par l'autorité compétente.
Je vous prie d'agréer l'expression des sentiments de haute consi-
dération avec lesquels j'ai l'honneur d'être,
Monsieur le Directeur,
Votre dévoué serviteur,
Troche ,
Chef de bureau de l'élat civil du ¥ arrondissement de Paris.
RESTAURATION
DE
L'ÉGLISE SAIIVT-OUEN A ROUEIV,
Depuis plusieurs années, le gouvernement, éveillé sur l'immense
mérite de l'église de la ci-devant abbaye de Saint-Ouen comme œuvre
d'art, a conçu la pensée d'en opérer l'achèvement par la construction
d'un portail qui manque à cette merveille de l'architecture ogivale.
En conséquence, M. Grégoire, architecte en chef du département,
a été chargé de présenter un projet. Ses plans, très-habilement exé-
cutés, se voient, en ce moment, à l'exposition municipale (l). Cette
œuvre projetée, d'une importance capitale par son objet, doit être
examinée sous toutes ses faces avec une grande maturité et la plus
sévère attention, afin d'acquérir la certitude que nous posséderons
cet édifice religieux complètement terminé , et que toutes ses parties
se coordonneront de la manière la plus satisfaisante.
Nous avons jeté un coup d'œil sur les plans du projet en question,
et tout aussitôt nous avons été saisis de la crainte qu'ils ne répon-
dissent pas à l'attente du public et à l'espérance des amis de nos
anciens monuments, tant la pensée de l'auteur nous a paru au-dessous
de la grandeur de l'entreprise.
En effet, qu'exige l'achèvement de Saint-Ouen? une façade qui
fasse connaître, tout d'abord, l'immensité et la majesté de l'édi-
fice. Que nous offre M. Grégoire? un triple porche, rien autre chose,
un porche, il est vrai, très-habilement ajusté, dans le style du
XIV ^ siècle ; ensemble et détails charmants, dessin d'une exécution
admirable. Malheureusement ce n'est pas , suivant nous , un portail
pour une église de l'importance de Saint-Ouen; il est par trop
pauvre , par trop chétif , en outre des défauts que nous allons signaler.
L'auteur a jugé à propos de supprimer les tours pour faire valoir
sans doute la belle tour centrale. Nous croyons qu'il s'est grandement
trompé. |Ndus ne discuterons pas ici la convenance ou la non-conve-
nance d'exécuter le portail d'après le plan de dom Pommeraye dans
(1) Depuis , ces dessins ont été adressés à M. le Ministre de l'Intérieur pour être
soumis à l'examen de la Commission des Monuments Historiques.
258 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
son histoire de l'abbaye de Saint-Ouen, avec les deux tours placées
en diagonale; il y aurait beaucoup trop à dire là-dessus et pour et
contre; mais nous partirons de là pour établir en principe que les
deux tours sont nécessaires, sont indispensables.
Dans le plan actuel, les côtés du portail ne s'élèvent pas au delà
des pignons qui couronnent les portes latérales. La grande porte seule
est surmontée par la rose et par le pignon du mur de la nef. Comme
amortissement à ce corps central , s'élèvent parallèlement de chaque
côté deux clochetons; et dans l'éloignement le plan nous retrace,
sans doute pour mémoire, car il est impossible de l'apercevoir, à
moins de se mettre sur les toits qui l'ont face à l'église, la tour cen-
trale, à laquelle, il faut le dire, il a malheureusement sacrifié tout
son portail. En voulant la rehausser, l'exalter, il a cru devoir donner
à la façade principale d'autres parties culminantes que les deux clo-
chetons dont nous venons de parler.
De l'abaissement des ailes de son portail, il résulte qu'au delà, par
derrière, l'on aperçoit les contre-forts, les pyramides, et jusqu'aux
bras de la croix, avec leurs fenêtres et leur toiture, ce qui produit le
plus mauvais effet. Son portail, nous le disions tout à l'heure, est de
l'ordre le plus secondaire. Il s'est mépris. Il faut à Saint-Ouen une
masse imposante comme sont les portails de toutes les cathédrales,
de toutes les grandes églises, qui couvre et masque la vue des
parties latérales de l'édifice, en setendant même au delà, comme à
la cathédrale de Rouen , et qui s'élève à la plus grande hauteur pos-
sible, comme pour annoncer la magnificence et le grandiose de
l'intérieur.
Il est , en outre, indispensable qu'un tel portail , autant pour
satisfaire à l'usage général que comme complément d'ornementation,
et pour ajouter au caractère noble , imposant, religieux de ces sortes
de monuments, soit terminé par deux tours ou par deux hautes
flèches.
En adoptant des tours, s'il y a impuissance de les faire plus hautes
et plus belles que la tour centrale , nous accorderons que celle-ci les
domine de deux ou trois mètres. Si vous préférez des clochers pyra-
midaux , que ceux-ci s'élancent dans les airs avec la hardiesse la
légèreté de ceux de Coutances, par exemple.
Nous croyons avoir démontré que le projet proposé ne doit pas, ne
peut pas être exécuté. A notre avis, il vaudrait mieux laisser encore
les choses dans leur état actuel , quelque peu satisfaisantes qu'elles
soient, plutôt que de nous exposer a des regrets amers et inutiles.
RESTAURATION DE L'ÉGLISE SAINT-OUEN A ROUEN. 259
Mon estimable et savant confrère, M. Déville, inspecteur des
monuments historiques de la Seine-Inférieure , a appuyé la préfé-
rence à accorder au projet d'achèvement de Saint-Ouen de Rouen
avec tant et de si puissantes raisons (l), qu'il est difficile de penser
que le Comité historique des arts et monuments ne se range pas à
son avis , indépendamment du vœu manifesté par l'immense majorité
du public appelé aussi à se prononcer.
M. Déville a véritablement clos la discussion. Après lui, il n'est
plus possible d'agiter cette question : Le portail de Saint-Ouen
doit-il ou ne doit-il pas être accompagné de tours? Elle est résolue
affirmativement. Il est un point important sur lequel nous différons
ensemble : c'est qu'il passe condamnation sur rétrécissement et rac-
courcissement des tours du projet présenté concurremment avec celui
qui n'offre point de tours ; c'est que même il approuve ces réductions,
par ce motif qu'il faut que la tour centrale domine seule le monu-
ment.
Je regrette profondément que mon sentiment intime, que ma
conviction invincible ne s'accordent point avec l'opinion d'un homme
qui a donné tant de preuves de science , de goût et de sagacité que
mon honorable confrère, et dont la manière de voir doit nécessaire-
ment exercer une certaine influence sur la détermination du Comité
historique des arts et monuments.
Je ne peux me défendre de croire qu'il est nécessaire, indispensable
d'élever le portail de Saint-Ouen d'après les données fournies par les
rudiments du portail non achevé; qu'il faut continuer l'œuvre com-
mencée; qu'il faut seulement l'achever, uniquement l'achever, ne pas
faire autre chose , sous peine de se fourvoyer; qu'il faut donc bien se
garder de toucher à ces indications , et porter franchement les tours à
la hauteur que le dernier architecte voulait leur donner, lui encore
imbu des idées architectoniques du moyen âge, sans se préoccuper
si ces tours seront aussi hautes ou même plus hautes que la tour
séparant le chœur de la nef.
Parce que le clocher central devait primitivement avoir une hau-
teur gigantesque, que, plus tard, on ne lui a pas donnée, puisqu'on
l'a converti en tour couronnée, au lieu d'en faire une pyramide à
aiguille, est-ce à dire qu'il faille absolument étrécir le diamètre des
bases de ces tours , afin de diminuer, en tout , leur volume et leur
importance, uniquement pour faire revivre ce système ahandomé de
(1) Revue de Rouen, mois de mai 18U,
260 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
prééminence du clocher central? Le dernier architecte de Saint-
Ouen ne le pensait pas , lui , et certainement tous les architectes de
son temps avec lui. Pourquoi donc se créer des théories que les
hommes de ces temps éloignés de nos idées et de nos études n'ont
pas connues ?
Du reste, j'accorde, comme M. Déville, à M. Grégoire de justes
éloges pour la manière heureuse dont il termine le couronnement de
ses tours projetées ; mais je dis que le projet proposé avec tours
amincies, abaissées, réduites enfin, pour ainsi dire, à leur plus
simple expression , quelque habilement conçu , combiné , ajusté qu'il
soit, malgré quelques défauts faciles à corriger, est au-dessous de la
magnificence monumentale de l'admirable basilique de Saint-Ouen ;
et je persiste à conclure que les bases actuelles, de même que l'arche
sainte à laquelle il était défendu de toucher, doivent demeurer dans
leur intégrité.
E. Delaquérière ,
Membre de l'Académie de Rouen.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
Nous recevons une lettre de M. E. Prisse qui nous annonce
l'arrivée en France d'un monument du plus grand intérêt, et dont il
a fait don à la Bibliothèque nationale : ce sont les fameux bas-reliefs
de la salle des ancêtres de Mœris (Thoutmès III) qu'on voyait, il y a
peu dejemps encore, au milieu des ruines de Karnac. Parmi les
monuments dynastiques de l'ancienne Egypte, la petite salle qui con-
tient la table généalogique des ancêtres de Mœris est sans contredit
l'un des plus précieux, et tous les hierogrammates qui l'ont fait con-
naître par des descriptions et des dessins, ont senti l'importance de ce
vieux document historique qui sert, en quelque sorte, de complé-
ment aux fragments mutilés de Manéthon dont l'ouvrage composé,
comme on le sait, d'après les monuments mêmes, ne nous est pas
parvenu en entier. Les bas-reliefs de la chambre des rois présentent,
en deux compartiments environ, soixante portraits d'anciens Pha-
raons rangés dans leur ordre dynastique, et dont la plupart des noms
ont été déchiffrés, soit par Champollion lui-même, soit par d'autres
savants élevés à son école. Ou doit savoir gré à M. E. Prisse d'avoir
sauvé la chambre des rois du Vandalisme des barbares, de son enlève-
ment par la commission prussienne qui explore en ce moment
l'Egypte, et d'avoir surtout refusé de la vendre à. l'Angleterre oii est
malheureusement passée la célèbre fahle à'Abydos.
— On vient de découvrir dans un tombeau à Pouzzuole, au pied de
Gaurus , une tessère d'ivoire tout à fait nouvelle par sa forme. Elle
représente ce crustacé que Pline appelle gammarus (lib. XXVII,
c. 3 ) et qui figure sous le nom d'ào-raxoç dans iElien (de nat, anim,
lib. VI, c. 22; lib. VIII, c. 23) et porte comme les autres tessères
de théâtre le numéro du degré où devait se placer celui des specta-
teurs qui en était muni. Mais ce qui rend cette marque extraordinaire,
c'est quelle est conçue en deux langues, en grec : r, et en latin : III.
Il est fort curieux que l'on ait choisi le gammarus pour une tes-
sère du 3""" rang, puisque cette préférence paraît être fondée sur le
rapport du nom de ce crustacé avec celui de la lettre grecque qui
indique le chiffre trois. Ainsi, la forme même de la tessère était une
transcription latine du gamma pour la population romaine de Pouz-
I. 18
262 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
zole. Quant à l'existence d'un amphithéâtre à Pouzzole, voy. Suétone
(aug. c, 43 — 44). On se rappelle aussi les deux victoires du cytharède
Septimius dans les fêtes Hadrianales (Reines, Inscript, ant. cl. V,
n" 20).
Dans la même fouille on a trouvé l'inscription suivante, qui nous
paraît digne d'être reproduite, à cause de la formule adoptée pour
invoquer la colère des mânes contre celui qui troublerait le silence de
cette tombe.
D. M.
CLAVDIAE • FOKTV
NATAE • ET • FORTVNA
TO ET • LAETO • FILIS • EIVS
BENE • MERENTIBVS
ABASCANTVS • CONLfBER
TVS • FECIT QVISQVE • MA
NES • INQVETABERIT • HABERIT • ILLAS • IRA
TAS
Les lettres sont peintes de rouge et les points qui séparent les mots
sont triangulaires; celui qui devrait suivre fecit, manque.
Cette attention toute particulière donnée aux dieux mânes, rappelle
le voisinage de l'Averne.
*o"
— Un journal annonce qu'on vient de découvrir à Brindes plu-
sieurs fragments de vases , lampes et urnes , et plusieurs pièces de
monnaie qui paraissent appartenir à une haute antiquité. Un
taureau d'airain a été trouvé aussi non loin de là; ses quatre
pieds étaient encore retenus dans un bloc de granit, dont la circon-
férence est de 10 mètres. Quatre tombeaux romains ont été mis à
découvert le même jour. Chaque sarcophage renfermait un squelette
en parfait état de conservation. Sur les casques guerriers on distingue
les initiales A. N. L. Tous ces restes ont été , dit-on , recueillis avec
soin par M. Callé , à qui appartient la propriété où tous ces objets
ont été trouvés.
— En creusant les fondements d'une maison , à la place des an-
ciens remparts de Périgueux, on a découvert une pierre mutilée,
mais facile à reconnaître pour un autel romain , sur lequel on lit
l'inscription suivante : JOVI. 0. M. Eï GENIO TI. AVGVSTI
SACRVM LANIONES. C'est-à-dire « A Jupiter très-bon, très-
grand (oplimo, maximo) et au génie de Tibère-Auguste les bou-
chers (de A^ésone) ». On voit, par cette inscription, entière et bien
DECOUVERTES ET NOUVELLES. 263
lisible , que la corporation des bouchers de Vésone avait consacré
un autel à Tibère. Peut-être cet empereur avait-il fait construire
dans notre cité quelque macellum (marché aux viandes.)
— On a découvert quelques objets antiques près de Saint-Malo ,
dans les ruines d'une ancienne cité romaine (Curiosolis) Corseuil.
Ces objets sont ; un coin en bronze de la longueur du doigt, un petit
poignard également en bronze et d'un travail remarquable , enfin un
glaive du même métal, d'une longueur de 70 à 80 centimètres , d'un
poids énorme, et qui, avec le coin, servait sans douté aux sacri-
fices. Le glaive , de même forme que les sabres dont se servent main-
tenant les fantassins de l'armée française, est percé à la partie la plus
large de la lame de douze petits trous réguliers ; au milieu de la
croix formée par la lame, la poignée et le garde-main, est visible
encore une figure assez régulièrement exécutée ; le garde-main a 1^
forme exacte d'une ancre de marine; la pomme du glaive, entière-
ment ronde, est massive et très-grosse. De ces trois objets, deux
sans doute sont d'origine gauloise, et le troisième, le poignard,
d'origine romaine. Malgré la couche épaisse d'oxyde de cuivre qui les
couvre , ces armes sont bien conservées.
— Le cabinet des antiques de la Bibliothèque royale possède depuis
la révolution une belle coupe formée de disques de verre, rouge,
vert et blanc sertis d'or, et au fond de laquelle se remarque la figure
d'un roi en costume oriental, gravé en creux. Celte coupe était autre-
fois conservée dans le trésor de l'abbaye de Saint-Denis où elle était
connue sous le nom de Vase du roi Salomon. Mongez, dans le diction-
naire d'antiquité qu'il a fourni à l'Encyclopédie méthodique, reconnut
que ce monument était de l'époque Sassanide ; et M. de Longpérier
dans une Notice sur quelques monuments émaillés du moyen âge, a
proposé d'y voir la représentation du roi Cosroès I" qu'une médaille
d'or du cabinet de M. le duc de Blacas a permis d'identifier. Depuis
quelque temps les conservateurs de la Bibliothèque royale ont acheté
deux coupes d'argent de la même forme que la coupe de verre coloré
et appartenant au même peuple et à la même époque. M. le duc de
Luynes a voulu compléter la collection perse du cabinet des antiques
et il vient de faire don à cet établissement d'un magnifique monument
d'argent qui a été décrit par M. de Longpérier dans le tome XV des
Annules de V Institut archéologique de Rome.
Selon cet antiquaire , le roi que représente cette coupe , dont nous
264 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
donnons ici le dessin réduit au tiers, est Firouz, fils d'Izdedjerd II,
qui succéda sur le trône de Perse à son frère Hormisdas III, en 458,
et fut tué dans une guerre contre les Huns Euthalites , en 488. Le
vase sassanide est donc de la seconde moitié du cinquième siècle de
l'ère chrétienne. On trouvera le récit des événements qui signalèrent
la vie du roi Firouz, dans la traduction de Mirkhond, publiée par
M. de Sacy.
La figure équestre est dorée et se détache en relief sur le fond
d'argent; devant le roi fuient deux sangliers et leur marcassin, un
axis, une antilope et un buffle.
Deux autres sangliers, un axis, un buffle et une antilope gisent à
terre percés de flèches dont quelques-unes se sont brisées dans la
bler^sure.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 265
Le spectacle d'un roi atteignant de ses traits une multitude d'ani-
maux que leur force et la rapidité de leur course ne saurait protéger,
paraît avoir été pour les Perses empreint d'une idée de majesté toute
particulière. On connaît l'immense bas-relief de Takhti Bostan qui
représente un roi perçant de ses flèches des troupeaux de sangliers
et de cerfs qui se réfugient dans un marais ; on sera frappé de l'ana-
logie qui existe entre cette composition et le sujet de la coupe donnée
par M. le duc de Luynes, en remarquant dans ce dernier monument
les roseaux vers lesquels se précipitent les deux sangliers.
On voit aussi au musée de Naples une amphore à volutes , à figures
rouges , sur laquelle est peint un roi de Perse, accompagné de femmes
vêtues comme les Amazones, et chassant au sanglier.
Nulle part peut-être la chasse n'a atteint les proportions que lui
donnent les rois de Perse. Chardin rapporte « qu'aux chasses royales,
« on entoure de rets un vallon ou une plaine, et on relance les bêtes.
(( de quinze à vingt lieues de pays à l'entour, qu'on fait battre par
« des paysans, au nombre de plusieurs milliers. Quand il y a un grand
« nombre de bêtes dans cet enclos , que des cavaliers bordent tout à
« l'entour, le roi y vient avec sa troupe, comme si c'était dans un
« parc, et chacun se jette sur ce qu'il rencontre, cerfs, sangliers,
« hyènes, lions, loups, renards; on en fait une furieuse boucherie
« qui est d'ordinaire de sept à huit cents animaux. On dit qu'il y a
ft de ces chasses où l'on a tué jusqu'à quatorze mille bêtes. Dans les
« chasses ordinaires lorsqu'une bête est arrêtée, on attend que le plus
« noble de la troupe arrive; il lui tire un coup de flèche, et après chacun
« se jette dessus. »
Lors du second voyage qu'il fit en Perse avec sir Gore Ouseley,
Morier vit à Koï deux KelUhminar (colonnes de crânes) qui ont été
construites comme monuments de la chasse extraordinaire de Schah
Ismaël , qui tua en un jour une telle quantité de chèvres sauvages que
l'on a pu de leurs crânes encore garnis de cornes , construire deux
tours très-élevées.
Le personnage équestre a le nez aquilin, l'œil très-ouvert, la barbe
courte, la moustache longue et horizontale, les cheveux réunis der-
rière la tête en une très-petite masse; l'oreille ornée d'un pendant à
double poire; sa tête est chargée d'une couronne, crénelée par der-
rière et sur le côté, et portant un croissant sur le devant; deux ailes
que surmonte un globe posé dans un croissant forment le cimier de
cette coifl'ure. Si l'on parcourt la suite des monnaies sassanides on se
convaincra que le seul portrait qui présente toutes les particularités
266 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de physionomie et d'ajustement que nous venons de signaler est celui
de Firouz , ce prince qui fit gémir la Perse Bous uti sceptre cruel
pendant trente années.
C'est par la comparaison avec les médailles que l'on peut recon-
naître les rois asiatiques que les bas-relièfs nous montrent bien sou-
vent sans inscriptions. En publiant, il y a quelques années, la série
des monnaies sassanides sur lesquelles il avait déchiffré les noms de
presque tous les rois de la dynastie , M. de Longpérier a fourni aux
archéologues le plus sûr moyen de donner une époque positive à tous
ces monuments si curieux et si grandioses dont les voyageurs de ce
siècle ont rapporté de Perse des copies nombreuses. Lui-même il
applique les principes qu'il a exposés à cet égard, dans le nouvel
ouvrage qu'il va publier sur les Médailles des trois races , Achéménidef
Arsacide etSassanide; nous espérons qu'il ne négligera rien pour
faire servir les monuments numismatiques à l'explication des sculp-
tures dessinées par Ker Porter, Texier et Flandin.
Le cheval semble être un des attributs importants de la royauté
sassanide; un grand nombre de bas-reliefs représentent des princes
de cette race à cheval et par suite de la confusion perpétuelle que les
peuples anciens faisaient de la personne royale et de la divinité , on
a figuré, à Nakschi-Roustam , Ormouzd lui-même monté sur un che-
val qui foule Ahriman à ses pieds. C'est ainsi qu'au moyen âge les
artistes français ont fréquemment donné à Dieu le père et à la Vierge
les costumes et les ornements des rois et des reines. Cet emprunt fait
aux princes des attributs de leur puissance humaine est quelquefois
poussé si loin, que l'on a dans les temps modernes cru trouver souvent
des sujets historiques là où les sculpteurs et les peintres n'avaient
voulu représenter que des scènes religieuses tout à fait banales.
Le globe qui surmonte la tête de Firouz paraît destiné à reproduire
la sphère céleste ; c'est peut-être une expression matérielle de cette
idée que cinq siècles plus tard le poëte Firdousi faisait revivre dans
ce vers du Schah-Nameh , où, en parlant du jeune Féridoun , il dit
pour exalter la majestueuse beauté du héros : au-dessus de sa tête
tournaient les sphères du ciel. Dans le même poëme on voit Féridoun
recevant l'étendard sacré de Kaveh , l'oriflamme de la Perse, le cou-
ronner d'un glohe semblable à la lune, de même que les empereurs
byzantins et quelques autres rois chrétiens qui portaient sur leur dia-
dème une figure de la croix , en décoraient aussi la hampe de leurs
bannières.
Les ailes que l'on voit au-dessous du globe sont un symbole du
DECOUVERTES ET NOUVELLES. 267
caractère divin des rois. Dans la théologie persane, en effet, les
heds et les férouhers, sont munis d'ailes.
La ceinture dont les extrémités voltigent derrière le roi est le koslié
C'est le lien sacré que tout adorateur du feu qui a atteint l'âge de
quinze ans doit mettre sur lui , chaque jour, à son lever. Les bonnes
œuvres de celui qui n'en est point ceint sont nulles aux yeux de la loi.
On nous a dit qu'il existait à Saint-Pétersbourg, dans la collection
de VErmitage, plusieurs vases d'argent sassanides; il serait bien à
désirer que quelque artiste en fît le dessin. Il n'est pas douteux que
ces monuments fourniraient des faits nouveaux et intéressants pour
la connaissance des antiquités de l'Orient, jusqu'ici bien imparfaite-
ment expliquées. A. W.
— Nous recevons la lettre suivante d'un de nos correspondants de la
Moselle : Si vous ne me venez en aide, et au plus vite, l'oratoire
des templiers, si merveilleusement conservé, qui se trouve au centre
de l'emplacement de l'ancienne citadelle de Metz, va devenir, avec
ses curieuses peintures, une forge pour le train des équipages!
Ce monument, décrit par M. de Saulcy dans les Mémoires de l'aca-
démie Messine avec la haute intelligence et le goût qui distin-
guent ce savant, ayant été classé sur la demande de notre inspecteur,
M. Victor Simon peut, à bon droit, réclamer toute la sollicitude de
l'autorité. Jusqu'ici, l'artillerie, maîtresse du terrain, avait respecté
le sanctuaire ; mais c'est le génie qui le possède aujourd'hui , et , je le
répète , si vous ne parvenez à conjurer l'orage : c'en est fait. La ville
aurait, dit-on, l'intention de consacrer cet oratoire à un musée, et
ferait volontiers bâtir une forge. Vous voyez qu'il serait ainsi fort
aisé de concilier tous les intérêts.
— On nous écrit de Metz :
Les amis des beaux-arts et de nos antiquités nationales appren-
dront sans doute avec plaisir que la charmante chapelle du prieuré
de Morlange (arrondissement et canton de Thionville ), bâtie vers la
fin du XIÏ'' siècle (1188), par les abbés de Gorze, et l'un des mo-
numents les plus curieux de l'époque de transition que nous ayons
dans nos contrées, doit être incessamment restaurée. En 1743 , ce
prieuré fut loué vingt livres annuelles par un bail emphytéotique
que souscrivit le cardinal, duc de Rohan, abbé de Gorze, au profit
du prieur Simon Varnier. 11 fut ainsi sauvé des fureurs de 1793. Le
bail expirant cette année, on a vendu, au profit de'nombreux acqué-
reurs du domaine de l'abbaye de Gorze, deux jardins et deux ma-
sures qui tiennent à l'église; mais, grâce aux démarches de M. Ter-
268 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
wer, maire de Morlange , à celles de son adjoint , aux sentiments
religieux du conseil municipal, les propriétaires se sont désistés de
leur quote-part dans la chapelle en faveur de la commune, et il
est décidé que cette dernière dépensera cinq cents francs pour les ré-
parations les plus urgentes, et que l'église sera rendue au culte. —
La conservation de cet édifice si intéressant est due en grande partie
à l'intervention de la section d'archéologie de l'académie de Metz ,
et au zèle de son président, M. le baron Emmanuel d'Huart, dont les
démarches avaient déjà , il y a plusieurs années , sauvé cette cha-
pelle d'une ruine imminente , en réunissant les secours nécessaires
pour réparer la toiture fortement endommagée. L. A.
— La Chambre des députés a examiné le 9 juillet le budget du
ministère de l'Instruction publique. La discussion présentait un ca-
ractère archéologique tout à fait de notre ressort. C'est en vain que
M. Isambert a réclamé pour le cabinet des antiques la restitution de
la chaise curule romaine (connue sous le nom de fauteuil de Dago-
hert ), transférée à Saint-Denis malgré les protestations du conser-
vatoire de la Bibliothèque royale et du ministre de l'Instruction pu-
blique ; la Chambre n'a pris aucune décision à cet égard.
Un député a soutenu que les professeurs de langues asiatiques sa-
vent à peine ce qu'ils enseignent et demandait la suppression de quel-
ques chaires. L'honorable membre paraît avoir peu étudié la ques-
tion. Il saurait que l'école des langues orientales est une institution
que l'Europe nous envie. Les professeurs de tous les pays se sont
formés chez nous. MM. Freytag, Mùller, Humbert, Cohn, Dernburg,
Brosset, Arri, Amari, Gorrezio, Ochoa, Pacho, Weil, sont des élè-
ves de l'école de Paris. Ainsi la Prusse, la Bavière, Genève, la Hon-
grie, la Russie, la Sardalgne, la Sicile et l'Espagne ont eu recours à
notre enseignement. Ce n'est pas tout, nos agents consulaires, nos
interprètes se forment encore à cette école des langues orientales.
MM. Brenier, de Nully, Urbain, Cor, Botta, Lauxerrois, Bore, d'A-
baddie avaient trouvé à Paris les moyens de s'instruire dans les lan-
gues de l'Orient et de rendre par là de grands services à la science, à
la politique et à l'armée. Si le gouvernement encourageait au con-
traire davantage l'étude de l'arabe et qu'il pût entretenir actuellement
en Afrique cent interprètes probes et instruits pour remplacer les
juifs algériens qui pillent l'armée, il en résulterait une économie de
plusieurs millions, et ce qui est plus important, on épargnerait la vie
de bien des soldats.
BIBLIOGRAPHIE.
EXAMEN CRITIQUE DE LA DÉCOUVERTE DU PRÉTENDU COEUR
DE SAIl^T LOUIS, faite à la Sainte- Chapelle le 15 mai 1843; par
M. Leteonne. Paris, 1844, in-S"*.
II n'est pas de découvertes archéologiques réellement importantes
pour l'histoire et la connaissance de notre pays, qui aient fait plus de
bruit et occupé davantage les érudits que celle qui est l'objet de cette
brochure. Et cependant, il faut en convenir, s'il n'y avait dans les
esprits qu'un froid bon sens qui ne s'intéresse qu'aux choses réellement
intéressantes, c'est un fait qui n'aurait pas eu un grand retentisse-
ment. De quoi s'agissait-il, en effet? d'un objet trouvé à la Sainte-
Chapelle, pendant les travaux de restauration entrepris dans cette
église ; d'une boîte de fer-blanc renfermant un cœur humain entouré
d'un morceau de linge, sans inscription aucune, et contenant seule-
ment un écrit constatant que ledit cœur avait été déjà découvert en
l'an XI, et que Camus, alors garde général des archives, l'avait fait
remettre dans une autre boîte, dans un trou,' à la même place, c'est-
à-dire derrière l'autel, sous une dalle. En vérité, il n'y avait ici rien
à apprendre pour les hommes curieux, et peu matière à disser-
tation pour les antiquaires I Un cœur dans un morceau de toile,
renfermé dans une boîte, voilà, ma foi, une relique comme on en
trouva probablement par centaines, au moment de la révolution , alors
que l'on détruisit tant d'édiflces consacrés au culte, que l'on viola
tant de monuments et de sépultures, puisqu'un usage fort répandu
faisait placer dans les églises, en un lieu spécial, le cœur des digni-
taires ecclésiastiques, de certains chanoines, des bienfaiteurs du cler-
gé I Mais non, on s'émut de cette découverte, on voulut y voir autre
chose qu'une trouvaille insignifiante, et voici le dialogue qui s'établit
entre certaines gens :
Ce cœur est quelque chose d'auguste I — Cela peut être ; mais nous
nen savons rien. — Vous n'avez donc pas observé la place qu'il occu-
pait. — Eh bien I il était derrière le maître-autel. — Non pas, mais
précisément sous ce maître-autel lui-même. (Notez que le fait est
inexact, et donnez raison à l'autre interlocuteur.) Il était là, sous la
protection des saintes reliques de la passion placées derrière l'autel.
— Qu'en inférez-vous? —Mais alors, c'est le cœur d'un bienfaiteur,
270 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
d'un fondateur de cette église. — Gomment, ainsi placé, sans hon-
neur, sans inscription, d'une façon furtive et honteuse, dans un
morceau de toile? — Pure humilité du monarque, sentiment exquis
des convenances, qui faisait craindre d'enterrer avec pompe le cœur
d'un roi, quand à côté de lui se trouvaient les objets vils qui avaient
servi à martyriser un Dieu-Homme. — Ainsi, vous seriez porté à ad-
mettre que ce cœur est celui de saint Louis? — Comment! porté à
admettre, dites donc sûr, absolument certain; esprit sourd, âme de
glace, n'enténdez-vous pas une Voix intérieure qui vous crie que
c'est le cœur vénérable du très-saint roi?
Sans doute qu'après un pareil entretien, l'interlocuteur ignorant
aura éprouvé encore quelques velléités d'objections, mais il n'y avait
pas à répliquer; on était en face de gens qui avaient consacré leurs
veilles à approfondir les ténèbres du moyen âge, et qui, dès lors, pou-
vaient, sur la simple vue, vous nommer le personnage auquel le
cœur avait appartenu, avec autant d'assurance que s'ils avaient eux-
mêmes enterré le viscère en litige. D'ailleurs, ce ne pouvait être que
le cœur de saint Louis I Cela se sentait, cela parlait de soi-même,
pour peu qu'on fût une noble et piease intelligence. Est-ce que, par
hasard, vous croiriez que c'est une découverte fortuite? esprit charnel,
lie comprenez-vous pas que c'est une de ces voies mystérieuses que
la Providence emploie, dans des moments donnés, pour faire paraître
des marques non équivoques de sa satisfaction. C'est à l'instant même
oii l'on restaure la Sainte-Chapelle, qu'elle conduit la pioche d'un
maçon et fait surgir l'adorable relique. Or, telles étaient les raisons
savantes que donnèrent de prime abord les hommes initiés aux choses
da moyen âge, et qu'ils opposaient à l'incrédulité légère et superfi-
cielle de certains esprits forts, et de M. le garde général des archives
en particulier, lui qui s'était permis de donner là-dessus et tout de
suite son opinion. Et quelle opinion! îl avait soutenuque ce n'était pas
le cœur du saint roi, parce que l'histoire disait que ce cœur n'était pas
venu à Paris. 11 s'appuyait sur des preuves positives et matérielles que
l'on récusait, attendu qu'elles venaient d'un helléniste, etqu'un hellé-
niste ne pouvait que se tromper en matière de moyen âge. Il est vrai
en effet que, des raisons, MM. les antiquaires du moyen âge en fai-
saient bon marché. Il y avait un certain passage de Geoffroy de Beau-
lieu, confesseur de saint Louis, qui disait formellement que la chair.
Je cœur et les intestins, carnem, necnon cor et intestina, avaient été ac-
cordés au frère du monarque, Charles d'Anjou, roi de Sicile, tandis que
les ossements seuls étaient restés à Philippe le Hardi. On avait coupé
BIBLIOGRAPHIE. 271
le corps en morceaux, que l'on avait fait bouillir dans un mélange
d'eau et de vin, pour détacher la chair des os, et faire à chacun sa part
des restes vénérés. Après quoi, la chair, le cœur et les intestins
avaient été transportés à l'abbaye de Montréal , près de Palerme. L'au-
teur de l'histoire de Philippe le Hardi, Guillaume de Nangis, était
moins explicite; il s'était borné à dire que les viscères, viscera, avaient
été placés à l'abbaye en question ; mais il ressortait du témoignage de
Geoffroy de Beauliëu, qu'il avait compris le cœur dans ce mot viscera.
D'ailleurs, le récit circonstancié de la translation des restes de saint
Louis à Saint-Denis, que nous donne le môme Guillaume, la relation
non moins détaillée que présentent les historiens de la translation de
son corps à Paris, lors des cérémonies de la canonisation qui eurent
lieu en 1 298, ne font aucune mention de ce cœur.
Mais je le répète, tout cela n'était que raisons d'hellénisme, c'est-
à-dire fort mauvaises, et on n'avait pas vu le fond des choses. Geof-
froy de Beauliëu n'avait pas tout dit, répondaient les hommes versés
dans le moyen âge; il avait bien mentionné l'arrivée du cœur à Mont-
réal, mais il n'avait pas pu parler de ce qui eut lieu postérieurement
à la rédaction de son récit, le retour du cœur à Paris, à la suite d'une
négociation tenue secrète. Et comment ce retour s'était-il effectué,
quelle était cette mystérieuse négociation ? Les partisans de ladite opi-
nion ne s'en inquiétaient guère, sans doute par un eiïetde la grande
habitude qu'ils avaient des hommes et des éçénements du moyen âge.
On avait bien essayé d'une première hypothèse, mais comme elle
soulevait une foule de difficultés, on s'était hâté de l'abandonner pour
une seconde tout aussi inadmissible. Après tout, disaient, sans
doute pour se consoler, les hommes versés dans la matière , l'autorité
de M. Le Prévost vaut bien celle de Geoffroy de Beauliëu. Cependant,
il faut le reconnaître, il y avait dans le camp que j'appellerais volon-
tiers des croisés, vu qu'il s'agit de saint Louis et qu'il me revient à la
tête une phrase prononcée dans une autre discussion célèbre ; il y avait
dans ce camp , dis-je , des gens qui , tout convaincus qu'ils étaient de
la découverte du cœur, voyaient cependant avec peine que la Provi-
dence, puisqu'on voulait à toute force la faire intervenir, n'avait pas
pour elle l'histoire et les faits. Et ils se mirent à leur tour, gens à foi
moins vive , moins spontanée et plus réfléchie , à chercher des motifs
en faveur d'une croyance qu'ils avaient d'abord acceptée sans motifs,
procédé déplorable employé en matière de croyance , il faut le dire ,
par bien des gens, même de ceux qui se piquent de raisonner. Or
donc, ils opposèrent au malencontreux Geoffroy de Beauliëu un pas-
272 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sage d'un certain moine anonyme de Saint-Denis , que M. Guérard ,
qui a soutenu de son excellent esprit et de sa vaste érudition la même
cause que M. Letronne, nous a appris se nommer Guillaume Scot et
avoir écrit en 1317. Ce Scot avait écrit, lui, que les os et le cœur
avaient été apportés à Saint-Denis. On opposait encore une lettre de
levêque de Thunes, à Thibaud, roi de Navarre, qui dit expressément
que les entrailles furent portées à Montréal , mais que li mers et U
cors démolir èrent encore en Vost, li peuples en nule manière ne veut
soufrir qu'il en [eut porté.
On avait donc enfin trouvé des raisons bonnes ou mauvaises! Dès
lors , les défenseurs de la cause nationale ne se lassèrent pas de crier
victoire, et comme le succès avait accru leur audace, ils ne voulurent
même pas laisser subsister le passage accusateur de Geoffroy de Beau-
lieu, et un savant académicien se chargea de prouver que c'était une
pure interpolation.
Après cela, il n'y avait plus moyen de douter: M. le garde général
des archives était confondu ; et en conséquence on ne lui épargna
pas les injures et on lui cria aux oreilles: Victoire I le plus haut qu'on
put. J'oublie une circonstance importante : les deux parties s'étaient
accordées sur ce seul point, de demander une enquête à Montréal, pour
connaître quel était l'état des reliques du saint roi. On avait procédé
en conséquence sur les lieux, à l'ouverture de l'urne qui contenait les
précieuses reliques et on n'avait trouvé que des fragments noirs , pu-
tréfiés, semblables entre eux et daris lesquels il n'était pas possible de
distinguer si le cœur y était renfermé. L'enquête ne pouvait donc
éclairer en rien la question. Mais les défenseurs de la cause nationale
ne regardaient pas de si près quant au choix de leurs raisons, et pour
peu que quelque chose eût eu l'apparence d'en être une , ils la pre-
naient d'acclamation. Le cœur n'avait pas été trouvé à Montréal ,
dirent-ils, donc il est à Saint-Denis. Et notez bien que les médecins
appelés à constater l'état des restes, n'avaient nullement affirmé que
le cœur ny fût pas. Voilà, au reste, en résumé, quel était l'enchaî-
nement rigoureux et inextricable des raisonnements de ces nobles et
pieuses intelligences :
Geoffroy de Beaulieu a dit que le cœur du monarque avait été porté
à Montréal, donc il a été porté de Montréal à Paris, L'anonyme de
Saint-Denis dit que le cœur a été porté avec le corps à Saint-Denis,
donc il est à la Sainte-Chapelle de Paris. On ne peut plus distinguer
le cœ.ur des autres restes pulvérulents de saint Louis, dans sa châsse
à Montréal , donc il n'est plus à Montréal, donc il est à Paris.
BIBLIOGRAPHIE. 273
En face d'une dialectique pareille, comment ne pas se confesser
vaincu. Il y avait pourtant des gens qui n'avaient pas raisonné comme
eux ! il y avait un duc de Serra di Falco, un des premiers antiquaires de
l'Italie, un révérend père Tarallo qui avaient jugé autrement I Ahl
c'est évidemment qu'ils étaient aveuglés par un intérêt de clocher,
celui de Montréal, à ce qu'on répondait. Il y avait aussi beaucoup de
membres de la docte Académie des Inscriptions et Belles-Lettres qui
ne se croyaient pas foudroyés par de pareilles raisons, c'étaient des
gens incompétents, des entêtés, des hommes dominés par une in-
fluence occulte!
Cependant il devenait de plus en plus urgent de faire écrouler une
fois pour toutes, cet échafaudage de preuves contradictoires que les
amis de la France et de la religion étayaient depuis quelque six mois,
de déclamations et d'injures. C'est à celui qui avait ouvert le premier
la brèche, qu'il appartenait d'accomplir cette tâche, puisque l'accom-
plir, c'était achever son œuvre! Oui, c'était M. Letronne qui devait
réduire au silence ces fanfarons de moyen âge et de patriotisme ;
c'est ce qu'il a fait dans le livre que nous annonçons, livre qui est à
la fois la défense de son premier rapport taxé de légèreté et d'igno-
rance, et la défaite la plus complète de la coterie qui avait écrit sur
sa bannière : Cœar de saint Louis. Nous l'avouons franchement ,
jusqu'à l'apparition de la brochure de M. Letronne, nous n'avions
pris qu'un médiocre intérêt à la polémique soulevée par cette ques-
tion, car nous ne nous croyions plus à une époque oii les reliques
avaient une importance telle qu'on s'en préoccupât autant que des
affaires d'État : nous nous croyions bien loin du temps où on négo-
ciait leur échange comme des traités de paix. Nous pensions tout
cela tout au plus du ressort d'une sacristie, fort peu d'un corps sa-
vant... Mais M. Letronne a traité le sujet d'une manière si neuve,
si incisive, il a déroulé avec tant de clarté le fil des faits et des preuves
évidentes à l'appui de son opinion, il a si curieusement fait voir qu'en
pareille matière, la raison n'est pas toujours la science, puisque tant
de gens savants avaient déraisonné jusqu'à la fin, il a donné de si
bonnes leçons de critique et décoché tant de traits piquants, qu'il est
impossible de ne pas lire sa brochure avec le plus vif intérêt. Que
d'erreurs matérielles il a relevées! depuis celte description si circon-
stanciée, si poétique en même temps, donnée de la boîte renfermant
le cœur, par un savant antiquaire qui ne l'avait jamais vue et qui
probablement la voyait par l'intermédiaire de Dieu, suivant le sys-
tème philosophique de Malebranche , jusqu'à cette croix tracée par
274 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
une main du XIIP siècle et qui se trouve finalement avoir été taillée
parle ciseau d'un maçon, sous les yeux du citoyen Terrasse, le 5 ven-
tôse an XI de la république une et indivisible.
Après l'examen matériel de la découverte, vient l'examen des
preuves historiques. L'évoque de Thunes devient un évêque de Tus-
culum, français d'origine, qui n'écrit plus la lettre, mais auquel tout
au contraire écrit Thibaud de Navarre, du camp même de Tunis,
c'est-à-dire avant le départ du cœur pour Montréal où l'on n'avait en-
core expédié que les chairs et les entrailles. Le moine anonyme,
c'est-à-dire Scot, n'est plus qu'un copiste et un traducteur maladroit
d'une chronique française fabriquée d'après Guillaume de Nangis et
qui ne mérite nulle confiance, d'autant plus que ce Scot annonce un
fait que ceux mômes qui veulent accepter son témoignage, sont forcés
de rejeter en partie, puisqu'il veut que les ossements et le cœur
aient été apportés à l'abbaye de Saint-Denis, tandis que Guillaume
de Nangis dit expressément que cette abbaye ne possédait que les
ossements.
M. Natalis de Waiily s'est chargé de nous démontrer l'impossibilité
de l'interpolation du passage de Geoffroy, dans la chronique duquel
tout se lie, tout se tient et oii il est impossible de retrancher des
faits auxquels il est fait allusion dans d'autres passages.
Ainsi cette brochure est excellente à lire comme règle de conduite
pour les antiquaires es moyen âge (bien que l'auteur n'en soit pas
un et ne se pique pas de l'être), et c'est à ce titre que nous la re-
commandons à la méditation de certaines gens qui nous font l'effet
de voir un peu trop cette époque, qui ne sera jamais qu'un temps
d'ignorance et de naïve crédulité, comme le bel âge de la poésie et de
la religion. D'ailleurs en lisant le mémoire du savant garde général
des archives, on trouve le résumé le plus complet et le plus impar-
tial de toute la question, de tout le débat littéraire, puisqu'il n'a pas
balancé à y insérer la plupart des écrits publiés en faveur du cœur,
dont plusieurs, il faut malheureusement en convenir, ressemblent
plus à des pamphlets qu'à des dissertations historiques.
11 est vrai que nous voilà désormais privés du plus nohle cœur qui
ait jamais hatlu dans la poitrine d'un roi. Nous nous en consolons
volontiers, en pensant que nous avons en échange un plaidoyer spiri-
tuel et amusant , écrit avec clarté et logique, qualités si ordinaires
chez M. Letronne qu il ne m'est plus permis de l'en louer, puisque
prononcer son nom , c'est pour ainsi dire les désigner. Le cœur de
saint Louis nous eût au fond peu appris , enrichi encore moins, il
BIBLIOGRAPHIE. , 275
eût fallu payer une châsse et des cérémonies pompeuses. Le mémoire
en question nous instruit et nous éclaire ; y a-t-il beaucoup de reli-
ques qui aient eu cette vertu? nous ne le croyons pas. Malgré la
vive admiration que nous avons vouée à Louis IX, nous pensons que
ce prince vit beaucoup plus dans l'histoire et l'amour des Français,
que dans un reste humain en partie putréfié. On sera de l'avis de
M. Letronne et peut-être du nôtre, si on lit cette brochure avec ce
bon sens et cette simple raison, à la place desquels certaines gens
voudraient substituer je ne sais quel sentiment, quel amour du mira-
culeux 5 car tout ceci nous confirme dans ce précepte : Dieu nous
garde des savants qui sentent au lieu de savoir!
F. ***
NOTRE-DAME D'AJACCIO, ARCHÉOLOGIE, HISTOIRE ET LÉGENDES; par
Alex. Arman ; tel est le titre d'une brochureMn-8 , qui vient de paraître au
bureau de la Revue Archéologique.
Cette publication renferme un grand nombre de faits intéres-
sants, curieux et peu connus sur ce monument, et l'histoire de
la Corse.
GRAVURES
PUBLIÉES DANS LA QUATRIÈME LIVRAISON
DE LA
i^EVUE ARCHÉOLOGIQUE.
MOYEN AGE,
SCULPTURE : — Bas-relief à l'Église de Saint-Ouen à Rouen,
représentant le transport d'une châsse.
Tombeau à Nymphi. Nous devons le dessin de ce monument
à l'obligeance de M. Ch. Texier.
VIGNETTES SUR BOIS.
— Autel trouvé à Khorsabad.
— Cône de Calcédoine gravé.
— Roi assyrien dans un char; bas-relief.
— Dieu et Roi assyrien; bas-relief.
— Prise de Ninive ; bas-relief.
— Double lion de lapis-lazuli.
Chapiteau de l'Église Sainte-Croix à Saint-Lô.
— Saint-Michel sur un chapiteau de Saint-Nectaire.
Pèsement d'une âme sur un vitrail de Bourges.
— Bas-reiief du Musée de Strasbourg. Divinité gauloise.
— Coupe donnée à la Bibliothèque royale, par M, le duc de Luynes.
VOYAGES ET RECHERCHES ARCHEOLOGIQUES
DE M. LE BAS, MEMBRE DE l'INSTITUT ,
EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE,
PENDANT LES ANNÉES J84S ET 1844.
QUATRIÈME RAPPORT A M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
ROUTE DE CORINTHE A PATRAS PAR LA CÔTE NORD DU PÉLOPONÈSE. — ANTIQUITÉS DE
PATRAS, INSCRIPTIONS GRECQUES ET ROMAINES. — KATO-ACHAÏA , ATTRIBUTION DE CE
VILLAGE A OLÉNUS, CONTROVERSE A CE SUJET, MONUMENTS. — ROUTE A ÉLIS PAR
l'intérieur DES TERRES ET LA VALLÉE DE SANTA-MÉRI. — SOUVENIRS DE LA DOMINATION
FRANÇAISE, RUINES FÉODALES. — MONASTÈRE DE MARITZA , INDICES CURIEUX D'UN
TEMPLE D'ESCULAPE. — ÉGLISE BYZANTINE DE ST.-DÉMÉTRIUS ET DE ST.-GEORGE, AUTRES
INDICES d'antiques CROYANCES. — OLYMPIE , COMBIEN PEU CONNUE ENCORE. — TOMBEAU
PRÉTENDU DE CORCffiBUS. HELLENIKO, PROBABLEMENT ÉPION. — PHIGALIE ET LE TEMPLE
D'APOLLON A BASSiE. — ARRIVÉE A MESSÈNE.
Monsieur le Ministre ,
De Corinthe notre plan de voyage devait nous conduire à Patras ,
en suivant la côte septentrionale du Péloponèse. Rien de plus beau ,
de plus imposant tout à la fois que la vue dont on jouit de cette route,
si toutefois on peut donner le nom de route aux mauvais sentiers qui
mettent en communication les différentes contrées de la Grèce. Au
nord, à l'horizon, les cimes neigeuses de l'Hélicon et du Parnasse;
plus près, les côtes de la Béotie et de la Locride; plus près encore,
la mer des Alcyons; au sud, les collines élevées et verdoyantes de
la Sicyonie et de l'Achaïe , leurs riantes et fertiles campagnes , leurs
villages bien bâtis; et à l'ouest, à mesure que nous approchions de
l'entrée du golfe , les longues silhouettes d'Ithaque et de Céphalonie.
Toutefois le charme qu'on éprouve n'est pas sans quelques contrastes :
d'excellentes terres abandonnées, des constructions interrompues,
de tristes paroles dans la bouche des habitants , prouvent que le bon-
heur n'a pas encore revu ces lieux, et, malgré soi, lors même qu'on
voudrait être tout au passé , on se sent pris de mélancolie , et l'anti-
quaire , oubliant les Grecs d'autrefois , ne peut se défendre de faire
des vœux pour les Grecs d'aujourd'hui.
I. 19
278 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
La première ville ancienne dont on rencontre les restes est Si-
cyone. Je ne décrirai point, après tant d'autres voyageurs les ruines
de la patrie d'Aratus , le théâtre et ses deux vomitoires, le stade et ses
substructions cyclopéennes ; je dirai seulement que, comme un sa-
vant archéologue (1), j'ai admiré la régularité des murs de cette ville,
relativement assez récente, puisqu'elle a été bâtie par Démétrius-
Poliorcète. Leur alignement, à en juger par les fondements des mai-
sons qu'on distingue encore sur un assez grand nombre de points,
les place toutes , suivant le précepte rappelé par Vitruve (1 , 6, 7, 8),
dabsla direction de deux vents principaux, du nord-est au sud-ouest,
ou du nord-ouest au sud-est. Rien dans ces lieux pour l'épigraphie.
Le peu quy ont vu Cyriaque d'Ancône et plus tard Dodwell, a totale-
ment disparu.
A Aristonantœ, l'ancien port de Pellène, on voit encastrées dans
la façade d'une maison particulière, un petit bas-relief représentant
deux hiérodules debout, d'un style imitant l'archaïque, privées l'une
et l'autre de la partie antérieure des bras, laquelle devait être rap-
portée dans le principe , car on voit encore la trace des trous destinés
au scellement.
La rapidité avec laquelle nous avons parcouru la côte de l'Achaïe
ne m'a pas permis de remonterjusquà J^^ira, à ^gœ, à Bara dont
on assure qu'il existe encore des traces; mais maintenant que l'ar-
chéologue ne voyage plus en touriste, *je me propose, en sortant de
Clitor, d'aller visiter le couvent de Megaspilœon , pour m'assurer s'il
ne serait pas possible dy retrouver d'anciens maimscrits, et de ce
monastère je dirigerai quelques excursions sur les points dont je
viens de vous parler. Je pousserai même peut-être jusqu'à ^Egium,
dont je n'ai pu, au mois de mai, admirer que le platane séculaire, qui
est aussi le monument le plus vénérable de ce lieu.
Il ne reste plus absolument rien de l'antique ville achéenne de
Patrcè. Le peu de ruines qu'on voit encore là oîi elle exista , sont
toutes ou de l'époque romaine, ou des temps de la domination féodale
des Français. Ce ne sont pas les seuls souvenirs que notre patrie ait
laissés dans ces lieux; il en est de plus récents, plus glorieux pour
elle et plus chers aux descendants des Hellènes, qui parlent encore
avec enthousiasme du séjour que nos troupes firent il y a quinze ans
au milieu d'eux , du dévouement toujours désintéressé qu'elles leur
montrèrent. Mais c'est surtout dans la Messénie que ce sentiment
(1) L* Ross , Reisen im Peloponnes , Berlin , 1841 .
I
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 279
d'admiration et de reconnaissance subsiste avec le plus de force.
Quelque chose de nos mœurs, de nos habitudes, de notre langage,
j'allais presque dire de notre physionomie , s'y fait reconnaître en-
core, et l'on y parle du temps de l'occupation française, comme des
jours de bonheur qu'on voudrait voir renaître.
Mais je reviens aux antiquités de Patras. Un sarcophage romain
sur la grande place de la ville, qui, soit dit encore pour ne plus reve-
nir sur le présent , est tirée au cordeau d'après le plan d'un ingé-
nieur français ; dans l'intérieur de la citadelle un tronçon de statue
de femme, peut-être de Minerve, d'un travail passable; à l'extérieur
un torse d'empereur drapé en Hercule et surmonté d'une tête de Ju-
piter qui n'appartient pas à ce torse; deux fragments d'inscription,
l'un grec, et l'autre romain, une inscription latine dans la maison
habitée en dernier lieu par le consul anglais ; une assez grande quan-
tité de ruines, d'édifices romains, bains, temples, demeures particu-
lières ; quelques fragments de mosaïque de la même époque, voilà
tout ce qu'une journée de recherches m'a fait voir , j'oserais presque
• dire, tout ce qui existe.
Sur la plinthe du sarcophage où, suivant l'usage le plus commun,
on voit grossièrement sculpté un eyy.apnov soutenu au centre par
un génie funèbre ailé, et aux angles par des têtes de taureau, on lit
l'inscription suivante :
CePBIAIOCOIAePCJCKATCCKEYACANAYTCJKAITHCYNBlCo-
MOYBOYAOYMNIACYN.... YCH
La syntaxe de cette inscription est fort irrégulière ; cette irrégula-
rité vient-elle de celui qui s'était fait préparer le tombeau dont il
s'agit, ou de l'artiste chargé de graver l'épitaphe? Je pencherais pour
cette dernière opinion et serais disposé à croire que le manuscrit remis
au graveur portait: KATeCKe Y ACAeX^' A YTCJ. A cette époque
les Grecs étaient sans doute tombés bien au-dessous d'eux-mêmes ;
mais il n'est pas croyable qu'un affranchi de la gens Servilia uni à une
femme qui avait appartenu à la gens Volumnia, et comme elle de race
grecque, ait pu commettre une faute de langage aussi grave, car il
est plus que probable que l'épitaphe a été rédigée par lui. Vous au-
rez sans doute remarqué , monsieur le Ministre , dans ma précédente
lettre, que l'inscription d'iEgosthènes , commençant par AYPHAIOI
ZHNLiJNKA[l]AlTOAAU)NIA finit par le verbe enOIHCCN, ce
qui est une construction contraire à celle du sarcophage de Patras ,
280 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
mais dont l'irrégularité n'est qu'apparente et qu'on pourrait expli-
quer logiquement eu s'étayant de nombreux exemples.
Les deux fragments d'inscription se bornent à très-peu de lettres;
voici le premier :
IPoTAToN
Le deuxième, que je connais uniquement par une copie qui m'en
a été remise et dont il ne m'a pas été loisible de vérifier l'exactitude,
contenait, dit-on, ce qui suit :
U L
ITRIORISIII
RMIPROPABIEOIN
ITIAIIS
Enfin, l'inscription latine se compose de six lignes dont les trois
dernières seulement sont assez distinctes pour présenter un sens vrai-
ment satisfaisant. On y lit :
CORNONO
CNFMODSA
POIOSCERERI
DIANAM
SPCONSECRA
VIT
Peut-être ce monument doit-il être lu ainsi : Corn (elius) Ono-
(marchus), Cn (aei) f (ilius) Mod (esti) Sapo[n] os, Cereri Diarmm
s (ua)/) (ecunia) consecravit. Ce qu'il y a de certain, c'est que cette
inscription prouve un fait sur lequel j'aurai occasion de revenir , c'est
à savoir que, dans l'antiquité païenne, toutes les statues consacrées
dans les temples n'offraient pas d'absolue nécessité l'image de la di-
vinité qui était dans ces lieux l'objet d'un culte spécial ; qu'ainsi une
statue de Diane pouvait être consacrée à Cérès , et que, par consé-
quent, la découverte de telle ou telle image dans les ruines d'un tem-
ple ne prouve pas péremptoirement que ce temple avait été élevé en
l'honneur du dieu ou de la déesse qu elle représente.
A Kato-Achaïa, oii nous sommes venus coucher le soir, et oii,
pour notre malheur, les habitants célébraient la fête de saint Geor-
ges , ce qui nous a tenus éveillés toute la nuit au bruit de leur musi-
que tout à la fois aigre et monotone, les murs de l'église nous ont
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 281
offert un fort joli petit fronton en pierre blanche, d'une bonne époque,
et l'inscription latine suivante :
M'LOLLIVS
EPINICVS
AED VOVIT
fî'VIR
DEC DEC
STATAE MATRLII
DE SVA PECVNLIAI
POSVIT
SACRVM
II résulte de ce monument que M. Lollius Epinicus avait fait vœu,
étant duumvir, d'élever un temple à une déesse désignée sous le nom
de Stata Mater; ce vœu, au sortir de ses fonctions, il l'accomplit de
ses propres deniers, après avoir obtenu le consentement de l'autorité
municipale.
On retrouve encore à Kato-Achaïa une inscription grecque en deux
fragments, qui a été publiée successivement parDodwell, par Pou-
queville et par M. Bœckh, n"" 1 544 du Corpus inscr, gr, La voici :
n0AI2OAPAIEn [N] EYOPANOPA
APETA2ENEKENKA [I] KAA0KArA0IA2A2EX
Uohç (papai£co[v] Eù(ppavopa [toO ^eïvoc vlbv] âperâç evsxsv
%ai ■aaloKayccBiaç dç s^ [cr3V âiarelst y,, t. A.]
Je ne reproduis ki cette inscription, monsieur le Ministre, que
parce qu'elle se rattache à une question assez difficile. Le village de
Kato-Achaïa occupe-t-il l'ancien emplacement dePharœ, comme
paraît le supposer Pouqueville , si j'ai bonne mémoire ; ou celui d'O-
lénus, comme le pensent M. Bœckh et M. Boblaye (1); ou bien en-
core celui deDymé, comme on pourrait le conclure de l'inscription
latine que j'ai rapportée plus haut et oii la Stata Mater, à laquelle
M. Lollius Epinicus consacre un monument à ses propres frais, ne
peut être autre que Cybèle, que la Bsà Ma, la ^ivâvy.'nw) y-nz-rip qui
avait un temple à Dymé. Pausanias le dit expressément (VIII, 1 7, 5) :
^Vfjmoiç âe zari ptèv AQnvàç vabç zal ayaA^a.... sort as y.cx\ ccklo
tepov (j(^i(7i Atv(Jupiyivy) [irirpi y.oCi Atty] rczizoïfiiiivov ,
(1) Recherches géographiques sur les ruines de la Morée , p. 20.
282 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Pour ma part, les raisons géographiques alléguées par M. Boblaye
me semblent l'emporter sur les preuves qu'on pourrait déduire de nos
deux inscriptions. En effet, que dit la grecque •- que la ville des Pha-
réensa décerné une distinction à Euphranor, fils de... pour la vertu et
les bons sentiments dont il ne cesse de faire preuve^ etc. Mais n'est-il
pas possible que cet Euphranor, citoyen d'Olénus, ait rendu des ser-
vices aux habitants d'une ville voisine, et que ceux-ci soient venus
lui apporter un témoignage de gratitude dont sa patrie se sera fait un
ornement?
Les recueils épigraphiques et l'histoire fournissent un grand nom-
bre d'exemples de cet usage. Quanta l'inscription latine, il a très-
bien pu se faire que M. Lollius Epinicus ait transporté et propagé à
Olénus un culte qui était en vigueur dans une ville voisine et qui
avait fait de si grands progrès dans tout l'empire; d'ailleurs le sanc-
tuaire élevé par ce personnage devait être de petite dimension, à en
juger par la pierre qui porte l'inscription, tandis que celui deDymé,
pour mériter la mention qu'en fait Pausanias, devait avoir des pro-
portions beaucoup plus grandes.
Et lors même qu'il serait constant que les deux inscriptions fi'ap-
partiennent pas à Olénus, qu'elles proviennent, l'une de Pharae, et
l'autre de Dymé, on n'en pourrait encore tirer aucun argument contre
l'attribution donnée au village de Kato-Achaïa ; car on aurait alors à
objecter que toutes deux sont de petite dimension; que la grecque se
compose de deux fragments ayant le premier 0, 25 sur 0, 10 et le
second 0, 26 dans sa plus grande largeur, et 0, 16 dans sa plus petite
sur 0, 10; que la latine n'a guère plus de 0, 66 sur 0, 27, et que
par conséquent toutes deux auraient pu être transportées, l'une de
l'emplacement de Dymé, et l'autre de l'emplacement de Pharae lors
de la construction du village de Kato-Achaïa et de son église. Cela
serait d'autant plus admissible que tout ce qui porte la trace du ciseau
est appelé par les paysans ypay^ixocra et considéré par eux comme
un ornement, quand ils n'en ont pas besoin pour faire de la chaux.
Quelque plausible que soit cette dernière explication, je regarde la
première comme de beaucoup préférable et même comme la seule
vraie.
Ce qu'il y a de très-positif, c'est qu'on trouve à Kato-Achaïa les
traces incontestables d'un établissement ancien qui devait avoir des
édifices d'une certaine élégance, à en juger par plusieurs fragments de
sculpture conservés dans les murs des chaumières actuelles, et que
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 283
cet établissement existait encore à l'époque romaine, qui, elle aussi,
a laissé des traces.
De ce point, pour nous rendre à Elis, nous pouvions ou suivre la
route ordinaire le long delà côte, ou remonter directement au sud et
traverser la vallée de Santa-Méri , nom dans lequel il faut probable-
ment reconnaître l'altération de celui de Saint-Omer, autre trace du
séjour des seigneurs français dans la Morée; visiter en passant l'anti-
que monastère de Maritza , puis redescendre dans les plaines riantes
qu'arrosent le Ladon et le Pénée. C'est à ce dernier parti que nous
nous sommes arrêtés. Comme cette route n'a été suivie ni par Gell,
ni par le colonel Leake, je crois devoir la retracer ici avec quelques
détails.
En remontant vers le sud pour aller rejoindre la vallée du Pirus,
on passe sur le plateau de Kato-Achaïa près d'un petit lac; puis on
descend dans une plaine fertile et bien cultivée. A l'horizon s'élèvent
les cimes orgueilleuses de l'Olénus, aujourd'hui Santa-Méri. On re-
monte en suivant un sentier le long du penchant d'une colline om-
bragée par des chênes vallons, jusqu'à ce qu'on arrive, après une
heure de marche, au village moderne d'Apano-Achaïa, où quelques
géographes modernes placent, sans aucune raison valable, la ville de
Dymé. Là se trouvent les ruines d'un château féodal encore garni de
deux tours qui , par une singularité que justifie peut-être la nécessité
de surveiller deux vallons différents, sont placées non pas sur une
même fîiçade, mais aux extrémités de la diagonale qui se trouve dans
la direction de ces deux vallons.
On continue ensuite à remonter la vallée, laissant à droite et à gau-
che deux moulins abandonnés, puis on rencontre à 40 minutes
les ruines d'un village antique au confluent de deux ruisseaux. A 30
minutes de là , une source fraîche et limpide, sous un vaste platane,
invite le voyageur à se reposer quelques instants. De ce point on com-
mence à monter, et l'ascension se continue pendant une heure à tra-
vers des rochers jusqu'au couvent de Maritza, véritable oasis au mi-
lieu de ces montagnes incultes.
Dans l'église de ce monastère dont le pavé se compose de plusieurs
fragments de mosaïque de l'époque romaine, nous attendait une scène
qui devait tout à la fois nous éclairer sur l'antique destination de ce
lieu, et nous prouver la persistance des préjugés populaires. La porte
de l'église était fermée ; nous aperçûmes en l'ouvrant une paysanne
debout, tenant un jeune enfant dans ses bras. Devant l'autel, en de-
hors de l'enceinte sacrée où le prêtre seul pénètre, étaient étendu^
284 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
quelques tapis et un coussin, seul genre de lit connu des Grecs de la
campagne. Que faisait là cette femme? Elle était venue, suivant un
usage de toute ancienneté, passer la nuit dans le temple, afin que la
Panagia lui apparût en songe pour lui révéler le remède qui devait le
plus sûrement rendre la santé à son fils. Nous étions donc, à n'en pas
douter, dans un antique sanctuaire d'Apollon ou d'Esculape, dont
Pausanias ne parle point, parce qu'il n'a pas visité ces montagnes,
mais dont l'existence est prouvée et par les restes de mosaïque dont
j'ai parlé plus haut, et plus sûrement encore par l'affluence des mala-
des qui viennent chercher leur guérison dans ce lieu.
En voyant cet enfant d'une physionomie intéressante, M. Prokesch
s'était approché de lui et lui avait fait quelques caresses. Nous étions
depuis quelque temps assis dans la fraîche et verte prairie située der-
rière le monastère, quand' nous vîmes arriver nos domestiques grecs
tout effarés. Eux aussi ils avaient visité l'église ; ils y avaient trouvé
la pauvre femme tout en pleurs. Le regard de M. Prokesch s'était
fixé le premier sur son enfant; ce devait être pour lui un regard fu-
neste (le mauvais œil, Baczavia); et le seul moyen de détourner
le danger, c'était qu'il vînt immédiatement lui cracher trois fois au
visage. Je me croyais au temps des bergers de Théocrite 1 Dois-je
ajouter, monsieur le Ministre, que la paysanne fut satisfaite et que le
remède prescrit, accompagné de quelques pièces d'argent, tranquillisa
pleinement sa tendresse maternelle.
Après une heure ou deux de repos, nous redescendîmes dans la
vallée que domine le village de Santa-Méri, bâti sur la pente orien-
tale de la montagne de ce nom. Est-ce une illusion? Mais il me
sembla que la disposition des chênes et des poiriers sauvages rappe-
lait nos vergers de l'Artois et de la Flandre, comme pour justifier le
nom donné, il y a quelques siècles, au lieu d'où le seigneur féodal
veillait sur les terres de son domaine.
Nous avions marché depuis trois heures en plaine, quand nous
recommençâmes à monter. Nous découvrîmes bientôt Zante, le cône
de Klémoutzi, les montagnes de Phigalie et toute la partie occiden-
tale du mont Olénus. De ce point on descend jusqu'à une petite
église , on traverse ensuite la rivière de Vervina et, une heure après
avoir quitté la vallée de Saint-Omer, on atteint le village d'Agrapido-
Rhori. C'est là que nous allâmes chercher un gîte.
Le lendemain, à cinq minutes de ce village, nous visitâmes, au
confluent du Pénée et du Ladon, une colline où nous trouvâmes l'em-
placement d'une antique construction (peut-être d'Amessus), empla-
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 285
cément indiqué sur la carte par le mot ruines bien que, à vrai dire,
il n'existe pas de ruines en cet endroit. Dix minutes plus tard nous
passions le Ladon. Les villages de Roupakia, deSouli, de Bali, bâ-
tis sur des collines que suit la route , furent successivement visités
par nous. Puis le chemin , tournant à droite au pied des coteaux,
nous conduisit à l'église d'Iman-Tchaoutchi, à une fontaine ombragée
par un chêne, non loin de Rolokyntha, et enfin à une église byzan-
tine située près d'un ruisseau qu'on traverse sur un pont. Cette église
d'une construction pittoresque, a, on n'en saurait douter d'après plus
d'un indice, remplacé un temple antique ; et comme elle est à dou-
ble nef et dédiée à saint Démétrius et à saint Georges , je ne crois pas
être loin de la vérité en supposant qu'elle a remplacé un sanctuaire
de Cérès et de Proserpine qui devaient être l'objet d'un culte particu-
lier dans ces contrées fertiles , de Cérès dont le nom grec , Av3^v7T73p ,
a servi à former celui de Démétrius, de Proserpine, déesse qui habite
les entrailles de la terre [yri d'où Georgios). Le plan de cet édifice
a été relevé et j'en ai fait prendre deux vues.
Une heure plus tard nous étions à PalœopoHs, après avoir ren-
contré, chemin faisant, deux ruines romaines assez importantes. Le
village de Palaeopolis s'élève, dit-on, sur l'emplacement d'Elis. Ainsi
de cette ville sainte , de ses pompeux monuments, des chefs-d'œuvre
de l'art qui l'enrichissaient, il ne reste plus que quelques ruines en
briques, rappelant la domination romaine, un pauvre village sur le-
quel veille un jeune prêtre épileptique exténué par la maladie, ten-
dant humblement la main aux voyageurs en leur disant à voix basse:
elliai aaQsvhç yiou mo^jâq {je suis malade et pauvre ) , et une seule
inscription, un seul mot, AN€nAYCATO {elle repose pour tou-
jours, elle est morte).
D'Elis nous nous sommes dirigés sur Gastouni , où après une route
de trois heures et demie, nous sommes parvenus en suivant le cours
du Pénée. Gastouni, qui doit sans doute ce nom à quelque seigneur,
compagnon de Villehardouin, est une ville devenue presque déserte
depuis le départ des Turcs, et qui n'offre d'autre intérêt à l'antiquaire
que le fleuve qui l'arrose et les marais qui l'avoisinent. C'est là, en
eftet, que la fable place les écuries d'Augias, et je ne puis rappeler,
sans un sourire, que le voyageur anglais Dodwell a vu des traces
certaines de l'un des travaux d'Hercule dans un vaste fossé qu'on
rencontre en sortant de la ville.
Je ne vous décrirai point, monsieur le Ministre, mon voyage jus-
qu'à Pyrgos. Tout ce pays , sans grand intérêt pour moi, a du en of-
286 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
frir beaucoup à M. Buchon, car il est plein des souvenirs du moyen
âge. J'ai hâte d'arriver à Olympie , lieu sacré pour un amant de l'an-
tiquité. Mais que vous dire de ce lieu? qu'il n'y a encore de certain ,
dans toutes les topographies qu'on en pourrait donner, que l'empla-
cement du temple de Jupiter olympien et que la restauration qu'en
ont faite messieurs les architectes de la commission de Morée ; que
tout le reste, l'emplacement assigné à l'hippodrome, aux trésors et à
tant d'autres monuments décrits par Pausanias, doivent être regardés
comme autant de rêves ou de conjectures sans fondements solides,
jusqu'au jour où des fouilles qui, pour être productives, devront être
entreprises sur une très-grande échelle, viendront mettre un terme a
toutes les incertitudes. C'était un des vœux de Winckelmann : si ja-
mais un gouvernement ami des arts et des sciences historiques, ten-
tait de le réaliser, il faudrait commencer par compléter les fouilles du
temple de Jupiter qui sont loin d'avoir donné tout ce qu'on en pour-
rait attendre. On devrait ensuite rechercher, et l'on retrouverait sans
trop de difficultés, le Pelopeion et YHerœon qui, à en juger par les
indications de Pausanias, étaient au nord du temple de Jupiter. Tout
cela, je le répète, demanderait beaucoup d'argent et beaucoup de
temps ; mais les résultats offriraient un ample et précieux dédom-
magement.
En quittant Olympie, nous remontâmes les bords enchanteurs de
l'Alphée et passâmes à gué, non sans quelques périls, l'Erymanthe et
leLadon. Sur la rive droite du premier de ces deux affluents du Pénée,
on voit un tumulus d'une élévation considérable dans lequel M. Ross
veut reconnaître le tombeau de Korœbus, dont la victoire aux jeux
olympiques commence l'ère des olympiades. Avant déformer, avec le
savant professeur, le souhait de voir ce tumulus creusé et de conce-
voir avec lui l'espérance d'y trouver un nombre considérable de vases
peints et d'objets en bronze qui fourniraient un riche objet de com-
paraison avec les trésors découverts dans les nécropoles étrusques , je
voudrais, ce qui n'est pas, et je le regrette, partager ses convictions
sur l'authenticité de ce tombeau. En effet, que dit Pausanias? que les
limites du territoire d'Heraea du côté de l'Élide étaient, à en croire les
prétentions des Arcadiens, le cours de l'Erymanthe, tandis que, sui-
vant les Éléens, le tombeau de-Korœbus déterminait les frontières de
i'Élide de ce côté, ce que rappelait l'inscription qu'on lisait sur le mo-
nument. Or si le tombeau s'était trouvé sur la rive droite de l'Ery-
manthe, comment y aurait-il eu débat entre les habitants des deux
pays voisins ? Évidemment la limite eût été la même et la dispute
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 287
n'eût plus été qu'une dispute de mots, ce qu'on ne peut admettre. Le
monument de Korœbus devait donc être plus loin, probablement sur
les bords du Ladon, autre limite naturelle qui ajoutait une portion de
territoire assez considérable au pays des Éléens, et qui resserrait
d'autant celui des Héréens. Il était trop tard quand nous avons fran-
chi le Ladon, pour examiner si le terrain offrait quelque élévation
qu'on pût prendre pour une sépulture antique. D'ailleurs rien dans
Pausanias n'indique de quelle nature était le monument du célèbre
Olympionice, et le texte du voyageur grec porterait plutôt à croire
que c'était un éditice et non un tumulus : /-ai sortv sTrtypafxpa èm
rçf) (i-UYj^ocTi.,., y.acL on rriç HXetaç èm tm Trepart 6 T(X(foç «ùrw
TïeTïoimrai,
Le soir même nous couchâmes à Hagios-Johannis , non loin de
l'emplacement de l'antique Herœa, Les ruines qui subsistent encore
de cette ville sont assez étendues, mais fournissent peu de données
certaines. Le court espace de temps que j'ai passé dans ce lieu ne
m'a permis de dessiner qu'une esquisse rapide de cette position qui
était encore occupée à l'époque romaine, comme le prouvent les res-
tes qu'on trouve sur la pente qui conduit à l'Alphée.
Le lendemain, nous franchissions ce fleuve sur lequel il existait
vers ce point, du temps de Polybe , un pont dont on ne voit plus aucune
trace. Redescendant ensuite la rive gauche de l'Alphée jusqu'au point
où le Diagon se jette dans ce fleuve, nous avons suivi les sinuosités
de ce dernier que nous avons traversé pour nous diriger verS le village
de Platania, au-dessus et au sommet duquel, sur le sommet d'une
vaste montagne qui s'étend de l'est à l'ouest, sont les ruines connues
aujourd'hui des habitants sous le nom d'Hellénico. Ces ruines sont
celles d'une ancienne ville dont l'acropole entoure, sur une longueur
considérable et sur une largeur relativement beaucoup moindre, la
crête étroite de la montagne, tandis que les murs de la ville propre-
ment dite descendent en l'entourant le long du flanc méridional de la
montagne. Dans l'acropole qui est divisée en plusieurs parties par
des murs en assises plus ou moins régulières, on voit les fandations
et même des restes importants d'édifices quadrangulaires construits
comme les murs d'enceinte, en assises tantôt régulières et tantôt ir-
régulières, dans lesquelles un voyageur, qui a visité ces lieux avant
moi, voit des maisons particulières, ce qui me paraît au moins dou-
teux. On y remarque encore de vastes citernes et les restes d'un petit
théâtre, restes parmi lesquels j'ai retrouvé un siège en pierre, de tout
288 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
point semblable, quant à la forme, au siège votif de Rhamnunte. Il y
aurait là d'importantes recherches à faire. Si, comme l'a conjecturé
M. Boblaye et comme tout porte à le croire , ces ruines sont celles
de l'antique Epion , il serait intéressant de lever un plan et de pren-
dre quelques vues de cette antique cité qui doit occuper une place
importante dans l'histoire militaire des Grecs, comme elle en a oc-
cupé une tout récemment dans les troubles civils de la Grèce. C'est
sur ce nid d'aigle que Colocotronis, suivi de 3 000 de ses partisans,
vint camper pendant quelque temps, alors qu'il était en lutte contre
la régence.
Le désir où j'étais de ne point me séparer de mon compagnon de
voyage ne m'a pas permis de mettre immédiatement cette idée à
exécution, mais je me propose de revenir dans ces lieux, et les des-
sins que je rapporterai de cette excursion vous prouveront, monsieur
le Ministre, à quel point elle était utile.
Le jour suivant, nous admirions le temple d'Apollon àBassae, tem-
ple dont , il y a quelques années , j'ai longuement décrit la frise in-
térieure, un des plus riches ornements du musée de Londres. Ces
lieux sont encore tels que les ont vus les membres de la commission
de Morée. Le jour oii nous les avons visités était le premier mai des
Grecs. Toutes les jeunes filles des villages voisins s'y étaient réunies
en habits de fête, et , sur une plate-forme, non loin du temple, célé-
braient par des chants et par des danses le retour du printemps.
Un instant nous nous crûmes transportés à l'époque où ces admirables
ruines étaient encore dans toute leur beauté native, et où les Grâces
réunies aux Nymphes venaient au son de la lyre former des chœurs
et adorer le fils de Jupiter. Une pluie abondante vint bientôt inter-
rompre cette fête champêtre et nous contraindre de gagner en toute
hâte le village de Paulitza bâti sur l'emplacement de Phigalie.
L'air devenu serein , nous avons parcouru l'enceinte de la ville an-
tique, également digne de notre attention sous plus d'un rapport, car
elle embrasse un espace d'au moins 8 kilomètres. Là j'ai trouvé dans
une église ruinée quatre inscriptions au moins en aussi mauvais état
que l'église. La seule qu'on puisse lire facilement, et qui présente
quelque suite, est l'inscription funèbre qui suit :
AnPIKAHKAINinnA lENnN
AAMEA API2TE
XAIPETE ÎENOAn
C'est encore une épitaphe gravée sur un polyandrion ; seulement
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 289
les noms sont écrits à la suite l'un de l'autre sur plusieurs lignes au
lieu d'être distribués sur deux colonnes.
La deuxième est un fragment de décret :
/ AnnA2AN
AAIONY lA
ENlAYTniENniAEITAANAPINE
API INE20nnAPATPIA
Quant aux deux autres, comme il ne m'a été possible d'en prendre
qu'un estampage, moyen très-insuffisant quand les caractères ont
aussi peu de creux que ceux des monuments dont il s'agit, voici tout
ce que j'ai pu en déchiffrer :
m ON. En. TON
nOMA
A2TA
A
TAnOAlO
O
TnKAlOYïïOA.. ArOPNO
EKA2TA<t>IAATA
(2) A
niPA 10
A2oni
OAI
XONE
OAEKTflNA... PO
OAONTOnOAl
HTO
m
TARPOKA
PO
O
noAi2ct)irAAEn
TONAAMONTON
AinPOKAEIAA..AN
290 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
De ce peu de lettres, on est en droit de conclure que les deux pier-
res en question contenaient des décrets. Je tenterai donc, si ma route
me conduit de nouveau par Phigalie, de m'arrôter dans ce lieu le temps
nécessaire pour parvenir à une lecture plus complète, ce qui ne sera
peut-être pas impossible avec beaucoup de patience et en me plaçant
dans un jour plus favorable.
De Phigalie nous sommes descendus dans les plaines fertiles de la
Messénie, et après un jour de marche, nous visitions les lieux qu'ont
à jamais rendus célèbres les noms d'Aristodème et d'Aristomène.
Parvenu à ce point, mon savant compagnon de voyage dut penser au
retour. Nous nous séparâmes, lui, pour rentrer à Athènes par la voie
la plus courte, moi pour glaner laborieusement dans un champ où mes
devanciers ont si richement moissonné, bien résolu à ne quitter
Messène qu'après l'exécution d'un travail auquel j'attachais le plus
grand prix. Frappé de l'admirable état de conservation de l'enceinte
bâtie par Epaminondas , je voulais me rendre compte jusque dans les
plus petits détails du système adopté par ce général pour défendre la
ville qu'il opposait à Sparte dans le midi de la Grèce. C'était le moyen
de connaître avec exactitude le système de défense des places adopté
par les Grecs à l'époque du plus grand développement de leur art mi-
litaire. Ce projet je l'ai mis à exécution sans me laisser décourager
par les difûcultés ni par les obstacles, et dans mon prochain rapport,
monsieur le Ministre, j'aurai l'honneur de vous exposer ce qu'ont
produit quatre semaines d'un travail constant et opiniâtre.
Je suis avec respect ,
Monsieur le Ministre ,
Votre dévoué serviteur,
Ph. Le Bas.
Calamœ , 26 juillet 1843.
RECHERCHES
SUR
l'ORlGIl DES REPRÉSENIATIOl FIGURÉES DE lA PSÏCHOSTASIE
ou PÈSEMENT DES AMES
ET SUR LES CROYANCES QUI s'y RATTACHAIENT.
DEUXIÈME ARTICLE.
Si nous portons nos regards vers l'Orient , nous verrons que la
psychostasie ne prenait pas seulement sa source dans l'emploi de
toutes ces métaphores; là nous trouvons, comme au moyen âge, une
croyance sérieuse à un pèsement. Dans les religions de l'Egypte, de
l'Inde et de la Perse, ces ancêtres des religions qui leur ont succédé,
et dont le christianisme s'est approprié tant de mythes, en les pu-
rifiant par un souffle divin , en les métamorphosant , en les animant
par une pensée nouvelle, dans ces religions, disons-nous, apparaît
à une époque qui a précédé de longtemps les figures de langage
oii se peint le pèsement des âmes, tout le sujet de la psychostasie.
En Egypte l'existence de ce dogme nous est attestée par la plupart
des rituels funéraires , par nombre de peintures qu'offrent les hypo-
gées et les cercueils des momies.
Dans ces représentations du jugement qui a lieu dans la région
de Kel (l), on voit Osiris, le juge de l'Amenthi ou de l'enfer égyp-
tien, figuré de grandeur colossale, assis sur un trône; devant lui
est une balance au-dessus de laquelle se tient, au centre du fléau,
Hap, un des ministres de Thoth, sous la forme symbolique d'un
babouin. Horus, à tête d'épervier, regarde le plateau où sont déposées
les actions du défunt, et Anubis à tête de chacal , celui oii l'âme est
placée. Devant eux , Thoth ibiocéphale écrit le résultat du jugement
qu'Osiris prononce du haut de son trône. Cette représentation a été
observée par €hampollion dans la nécropole royale de Biban-el-
Molouk, au tombeau de Siphtah (2), au milieu du grand tableau qui
offre la marche du soleil dans les deux hémisphères. « A la troisième
(1) Caillaud , Voyage à Meroé, t. IV, p. 43.
(2) Lettre sur V Egypte, 13e jeure, p. 230.
292 - REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
heure, le dieu Soleil arrive dans la zone céleste où se décide le sort
des âmes, relativement aux corps qu'elles doivent habiter dans leurs
nouvelles transmigrations. On y voit le dieu Atraou assis sur son
tribunal , pesant à sa balance les âmes humaines qui se présentent
successivement. L'une d'elles vient d'être condamnée; on la voit rame-
née sur terre dans une bari qui s'avance vers la porte gardée par Anu-
bis ; elle est conduite à grands coups de verges par des cynocéphales ,
emblèmes de la justice céleste. Le coupable est sous la forme d'une
énorme truie, au-dessus de laquelle on a gravé en grands caractères :
Gourmandise ou gloutonnerie; sans doute le péché capital du délin-
quant, quelque glouton de l'époque. » Cet Atmou, chef des dieux de
la seconde classe, n'est qu'une des nombreuses formes du dieu Phré,
c'est donc, comme Osiris, une image du soleil, un des types de l'Apol-
lon grec. On observe le même sujet du pèsement dans un bas-relief
du Rhamesseum, reproduit dans l'excellent ouvrage de M. Ch. Lenor-
mant, intitulé : Musée des Antiquités égyptiennes (PI. IX, n° 12.)
Dans l'un des manuscrits funéraires appartenant à lord Mount-
norris , et publié dans les Hieroglyphical Collections of the Egyptian
Society (1), on voit Osiris assis sur son trône, tenant de la main
droite le fouet, et le crochet de la gauche ; au-dessus du tableau sont
rangés sur deux ligues , les quarante-deux juges assesseurs de la
divinité infernale, et devant le trône est Teoum-em-Ement à la
tête de crocodile , le cerbère égyptien , et les quatre génies de
l'Amenthi. Près d'eux, Thoth ibiocéphale écrit sur des tablettes les
actions du défunt , tandis qu'Horus et Anubis tiennent les plateaux
de la balance derrière laquelle l'âme attend son destin. Rosellini (2)
a donné une représentation complète de cette scène funéraire. On
y voit Horus qui tient le plateau qui est à la gauche d'Osirîs et dans
lequel est la plume , emblème de Tmei , la justice ; Anubis supporte
le plateau de droite sur lequel est placé le cœur du défunt, et porte la
main au fil à plomb qui indique l'équilibre des bassins. L'ombre du
défunt, sïàMloVy est figurée derrière, implorant la déesse de la jus-
tice, représentée par une femme de couleur verte et reconnaissable
à la plume qu'elle a sur la tête et au thau ou signe de la vie qu'elle
porte à la main. Celle-ci a l'air de l'interroger.
Ce sujet se présente au reste dans presque tous les grands rituels
funéraires et notamment dans celui qui est intitulé : Livre des Mani-
(1) Cf. Samuel Sharpe, The early hislory of Egypt , p. 32. London, 1838,
in-4°.
(2) Monumenti delVEgitto e délia JYubia. Atlas , t. II. PL CXXXV.
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIE.
293
festations de la Lumière (l). Il offre seulement parfois de légères
variantes; souvent apparaît une double image de Tmei, emblème de
la justice et de la vérité. Ce sont les deux divines vérités du champ
de Oen-ro, qu'on invoque dans les manuscrits funéraires. Et un
petit personnage, peut-être le mort lui-même, place dans un des pla-
teaux , son cœur, tandis qu Horus et Anubis s'ap prêtent à le peser.
Ce dogme de la psychostasie , clairement exprimé en Egypte , se
retrouve avec des circonstances moins précises, mais cependant bien
reconnaissables , dans la religion mazdéenne. Mithra et Raschné-Rast
pèsent les actions des hommes sur le pont Tchinevad qui sépare la
terre du ciel (2).
On retrouve aussi le pèsement des âmes dans le bouddhisme. Sur
une représentation bouddhique rapportée par le père Georgi , dan s
son Alphabetam tlbetanum (3), et qui ne doit pas remonter beau-
coup au delà du X^ siècle , à ce que soupçonne M. Eugène Bur-
nouf , on a figuré un cercle qui renferme les douze Nidânas ou
causes de la vie ; au centre est placée la division cosmologique adop-
tée par le bouddhisme. Dans la partie supérieure sont les demeures
des dieux , au-dessous se trouvent la terre et les autres mondes , au-
dessous desquels est l'enfer. Dans la partie supérieure de l'enfer, ou
Patala, est designé en thibétain par le nom de Cen-re-si, et assis sur
un trône, Yama que les Indiens nomment Dherma-Radja(4), le roi de
(1) cf. LenormaiJt, Mitsée des Antiquités égyptiennes, PI. XI, n^ 3. PI. XII,
n»?. Descript. de V Egypte, anliq. Figur., tom. II, PI. 67. Caillaud, Voyagea
Meroé, tom. IV, p. 33.
(2) Zend-Avesta, tr. Anquetil Duperron , t. I, part. 2, p. 131 , note.
(3) Alphàbetum tibetanum studio Aug. Ant. Georgii edit. Romœ, 17Gi? ,
in-4°. PI. II, p. 487.
(4) Cf. Ed. Moor, The hindu panthéon, p. 302.
I. 20
k
•294 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
la justice, et qui règne sur le Patala. De la droite il tient une
sorte d'épée, de la gauche un miroir dans lequel se reflètent les biens
çt les maux faits par ceux qui doivent être jugés (l). A la gauche de
Cen-re-si , ou Yama, est un personnage qui pèse les corps de ceux
qui vont être précipités dans les enfers. Aux pieds du juge souverain
sont deux esprits, celui du bien, Lhaam, et celui du mal, Dré. Ils
secouent des sacs pleins de cailloux, qui représentent les bonnes et
les mauvaises actions. Les cailloux de l'un sont blancs et les autres
sont noirs. Au-dessous sont représentés les supplices de l'enfer.
Voilà la preuve que la psychostasie existait dans les religions de
l'Orient; on comprend alors comment les Grecs l'adoptèrent, eux
dont la religion n'était qu'un syncrétisme du culte grossier des Pé-
lasges et des mythes asiatiques. Ils la reçurent sans doute des Égyp-
tiens, auxquels Hérodote nous dit qu'ils avaient emprunté leurs dieux.
C'est en effet sur les bords du Nil que ce dogme paraît avoir été
le plus répandu , le plus populaire. Ce sont les poëtes , les théolo-
giens du paganisme qui ont apporté le pèsement des âmes chez les
Grecs , dans les écrits desquels nous voyons figurer de bonne heure la
(1) Voyez dans la Chronique de Tàbari, part. I, ch. v, tr. Dubeux, p. 31, un
passage qui paraît se rapporter à ce miroir du jugement dernier.
RECHERCHES 8UR LA PSYCHOSTASIE. 296
^■QyprjraaioL (l). Homère nous montre Jupiter pesant les destinées des
Grecs et desTroyens. Au moment où ces deux peuples vont en venir aux
mains , le roi de l'Olympe prend ses balances d'or, il y place les deux
keres qui amènent le long sommeil et la mort, celle des Grecs et des
Troyens; il saisit cette balance par le milieu; le malheur des Grecs se
déclare, leur destinée descend jusqu'à terre, et celle des Troyenp
s'élève jusqu'aux nues.
Kac ToVe ^ %p<içii{(^ 7f«(TW/9 hifmn Ta^flfVTec'
À.i fxèv 'A^xtûv n-Pipsç èTTÎ x^°"''' TrouAuSorsip/?
'EÇia-ô/jv' T/5WWV ^5, tt/sôs oo/saypv eù/îWv âtpBsvt
Iliad. IX. V, 69-74.
Lorsqu'Achille et Hector vont combattre, le poëte fait usage de la
même figure, Jupiter pèse également les destinées des deux héros. Le
basgin dans lequel est celle d'Hector touche aux enfers, et celui
d'Achille monte jusqu'aux cieux.
K.al ràrs Sv} y^pha&ioL tza.tr^p ST^Tatve râ^avra*
Tïjv {xk-i 'Aj^iUïjoî , Tïjv è" "EnTopoQ innQ$çiM'9i9'
"EAxe 5g /AÉffffa ).aêojv' péîre 5' "ExTopoç ataifiov rift-ccp
"ûxsTo 5' 2tç à««o- if/ad. XXII. V. 210-214.
C'est encore l'idée du pèsement des religions orientales , mais le poëte
a ajouté des circonstances nouvelles à ce mythe emprunté ; ce ne sont
plus précisément le§ âmes que Jupiter pèse, mais les divinités qui
président à la destinée de chacun de ses héros. Cet échange n'a rien que
de naturel et que de très-conforme aux habitudes de la Fable, et il
ne nous empêche pas de reconnaître l'origine de ces images homé-
riques. Disons d'ailleurs que les keres se prenaient pour les âmes
elles-mêmes ; le§ mots de kere et d'âme étaient pris comme syno-
nymes (2). Ces balances d'or sont celles que l'antiquité donnait à la
justice , à Dicé, celte noble fille de Jupiter. Tel est le langage des
poëtes : lisons plutôt cette épigramme grecque, nous allons y re-
trouver en même temps une allusion au passage d'Homère :
Ila/sô/vos l^iita.répzix At'xvj, TipisQsipx ttoX^wv
Ou TGV Iv SUffsêcjJ X/5U<5"ÔV klZOŒTpéfSTOCt
(1) Gf. Juin Pollucis Onomasticon, éd. Lederling et Hemsterhuis. Amsteledt
1706, lib. IV, c. 19, tom. I, p. 428. Philosl. Heroic, éd. Boissonade, 619. Schow
aiBesych. 96. H. Eslienne, Th€s. ling.grœc.,ed. Loudinl,1825, p. 10S98,vofux>7.
(2) Suidas , v° x>5/5 : nvjp §s yj >|^ux^.
296 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
'A>.>à xai aura rà^avra Aidç Ttâ.y/_p\)7X TS/éffôv/,
OTeri Ta^avTSUsi Tcâvra vd/tov jStÔTOu
Kaî TOre 5)7 x/^ûneia TiccTrip èriTaive râXavra
El /A5^ '0//./3/5êiwv l|sAâ0ou ^ocpiroiv.
fMacédon., éptflr* 38, ap. ^we/i. grecq., éd. Jacobs, t. IV, p. 91.
Des Grecs, la psychostasie a passé chez les Romains, et Virgile,
lorsqu'il faisait peser par Jupiter les destinées d'Ènée et de Turnus,
lorsqu'il écrivait :
Jupiter ipse duas œquato examine lances
Sustinet, et fata imponil diversa duorum,
Quem damnet labor, et quo vergat pondère lethum.
Mn. XII, 726.
substituant les fata aux keres, il ne faisait qu'imiter Homère.
On voit aussi que c'est à cette école, beaucoup plus que dans les
légendes , que Milton a puisé l'allégorie que nous avons rapportée
plus haut.
L'art grec s'est éloigné moins que les poètes de la tradition égyp-
tienne ; les représentations rappellent davantage les détails de la psy-
chostasie des bords du Nil. Ce ne sont plus les destinées que pèse
Jupiter, ce sont les âmes mêmes que pèse Mercure , Hermès , le Thoth
des Grecs. C'était Thoth ibiocéphale en effet, qui, dans le jugement
de r Amenthi , inscrivait, ainsi que nous l'avons vu, la sentence solen-
nelle.
Le miroir mystique connu sous le nom de Patère de Jenkins et
qu'ont publié Winckelmann (l) et Millin (2), représente Mercure
assis, pesant dans une balance , en présence d'Apollon qui remplace
Osiris, dieu solaire, avec lequel il a effectivement le plus grand rap-
port d'attributs, les âmes d'Achille et de Memnon. Peut-être aussi
l'artiste avait-il substitué Apollon à Jupiter, parce que la balance
était un des symboles du dieu Soleil , comme nous le montre une
cornaline du musée de Cortone , représentant un corbeau , oiseau
consacré à Phœbus, entouré des attributs de cette divinité et tenant
une balance dans le bec. {Ap. Muséum Cortonens., PL XXVH ,
Romœ, 1750). Le combat des deux guerriers cités tout à l'heure,
le pèsement de leurs destinées était un fait célèbre dans l'anti-
quité ; il avait fourni à Eschyle (3) le sujet d'une de ses tragé-
(1) Monum. ant. «rie(i.II,34. Passeri.Picr. eïrwsc, t. III.pl.CCLXII-CCLXIII.
(2) Millin, Peint, de vases anliq., publ. par Dubois-Maisonneuve, t. I.
PL LXXII, no 1.
(3) Plularch. De audit, poet. 58, éd. Francof. , t. II, p. 17. Eschyl.,éd. Pauw,
t. II, p. 646.
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIE. 297
dies perdues, et qui était intitulée : Wv)(^o(jtoc(jlûc, Quintus de
Smyrne a reproduit le môme mythe dans son poëme ; mais s'écartant
comme Homère, de la tradition égyptienne, et introduisant davantag
l'allégorie, il a substitué à Mercure la Discorde, entre les mains de
laquelle il place la balance (l). Le même sujet se retrouve sur un
vase peint qu'a également publié Millin (2) : Mercure est assis devant
la balance qui est suspendue à un arbre ; il y a une figure ailée dans
chaque plateau, tandis que, dans la patère de Jenkins, les âmes n'ont
pas d'ailes.
Celte association des idées de balance et de Mercure s'est conservée
encore après la chute du paganisme, et a passé dans l'astrologie. Dans
les miroirs astrologiques des Orientaux, la Vierge qui porte la balance
est accompagnée de la figure de Mercure (3).
La balance fut toujours, dans l'antiquité, le symbole de la rigoureuse
(1) Lib. II, V. 539.
(2) Peint, antiq., 1. 1. PI. XIX.
(3) Reinaud, Monum. du cabinet du duc de Blacas , t. II, p. 413.
298 REVUB ARCHÉOLOGIQUE.
équité du destin qui nous assujettit tous ûu nivean commun du tré-
pas } et de même qu'elle figurait entre les mains de la déesse A^quiias^
^^H^^HSily^^^^^^^^l
au revers de plusieurs monnaies impériales (t), elle servait aussi
d'attribut aux Parques, les déesses de la destinée, ainsi .qu'on peut
l'observer sur un bas-relief du Musée Capitolin (2). Dans ce bas-
relief, on voit les trois Fata ; celle du milieu porte une balance de
la main droite, et une corne d'abondance de la gauche. Ajsa droite
est la Parque qui tourne le fuseau; à sa gauche, celle qui tient le
rouleau sur lequel est écrit l'arrêt de l'Etpapfxevyj , du fatum. Ces ba-
lances sont les crcfodepà raAavra t:^^ rv^nç*
dit Agathias , en tête de son Anthologie (3).
Nous devons maintenant être frappés de l'analogie qut existe entre
\m représentations que nous venons d'étudier et celles que nous
avons examinées dès notre début. Ces points de contact seraient-ils
de simples effets du hasard, oii y a-t-il un lien de parenté qui lie des
croyances si analogues subsistant à des époques cependant si éloi-
(i) Cf. Rasche, Lexicon rei numariœ, l. I, p* 138 et suiv.
(2) Hirt, Bilderbuch fur Mythologie, Archxologiè und Kunst {herhn, 1805),
FI. XXVII.
(3) Agath. proœm. ap, F. Jacobs Animadv. in Epigram. AiHholog. grœc.
Vol. I, part. I, p. LVIII. Cf. C. F. N&Qgehhàch , die Jiomêrhôhe Théologie ,
p. 121. (Nûrnb. 1840.)
RECHERCHES SUR LA. PSYCHOSTASIE. 299
gnées l'une de l'autre? Si, envisagée en elle-même, la première hy*
pothèse répugne à l'esprit > elle devient complètement inadmissible,
dès qu'on étudie les religions qui, nées du paganisme, des mythologie»
orientales, en conservent encore des traits nombreux et primitifs.
Eh bien, dans ces religions, chez les Druses, les Nazoréens , les Mu-
sulmans, nous retrouvons précisément cette même psychostasie,
comme chez les chrétiens ! Au jugement dernier, disent les Druses ,
les balances seront posées pour l'examen, les actions seront jugées (1).
Les nazoréens ou Mandaï-Jahia sont encore plus explicites. Voici ce
qu'on lit dans le Divan, un de leurs livres religieux : Les deux anges
Beedat et Gourât pèsent dans une balance les actions de chaque
âme (2). Enfin, le Coran nous tient clairement le même langage:
<( Lorsque la trompette sonnera , les liens de parenté n'existeront
plus pour les hommes. On ne se demandera plus d'assistance; ceux
dont la balance penchera jouiront de la félicité ; ceux pour qui la
balance sera légère , seront les hommes qui se sont perdus eux-mê-
mes, et ils demeureront éternellement dans la géhenne (3); » et on lit
ailleurs dans le même livre (4) : «Celui donc les œuvres seront de
poids dans la balance, aura pour demeure le fossé. » Ce fossé est le feu
éternel.
Droits comme le pont Sirath, justes comme la balance dans laquelle
seront pesées les œuvres des mortels , dit Scherf-Eddin Elboussiri ^
dans le Borda (5).
Les musulmans s'imaginent que cette balance, dans laquelle Dieu
pèsera les actions des hommes , sera tenue par l'ange Gabriel ; elle
sera d'une si prodigieuse grandeur que les bassins , dont l'un sera sus-
pendu sur le paradis et l'autre sur l'enfer, pourraient contenir la
terre et les cieux.
Toutes ces analogies ne peuvent être une œuvre fortuite, toutes ces
croyances sont évidemment écloses dans le même berceau. Le chris-
tianisme, aussi bien que l'islamisme, le nazoréenisme, la religion de
Hakem , a emprunté ce pèsement aux doctrines religieuses qui l'ont
précédé. Ne voyons-nous pas, dès le premier siècle, la balance
apparaître comme symbole du jugement dans l'Apocalypse , c est-ô-
dire dans celui de tous les écrits canoniques de la nouvelle loi , qui
(1) Silv. de Sacy, Expos, de la religion des Druses , t. II , p. 628.
(2) L. E. ËurckhafJt , Les iVa2rorcens, thèse, p. 40 (Strasib. 1840 , in-4°),
(3) Koran , ch. XXIII , V. 103. Ir. Kasimirski , p. 313.
(4j Ibid., ch. GII, 5, 6, p. 671.
(5) Cf. trad. de ce poëme par M. Silvestre de Sacy, p. 140, à la suite dé TEx-
position de la foi musulmane , trad. par M. Garcin de TaSsy.
300 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
porte l'empreinte la moins méconnaissable des idées, des mythes de
rOrient? ne voyons-nous pas un personnage , un ange monté sur un
cheval noir et portant une balance se montrer à l'ouverture des
sceaux? (1)
Un détail de la psychostasie, sur lequel nous avons déjà attiré
l'attention , prouve non-seulement la transmission des croyances
païennes chez les premiers chrétiens, mais encore la fidélité avec la-
quelle l'art nouveau conservait souvent les traditions antiques , lors
même que ces traditions n'étaient plus en complet accord avec les idées
catholiques. Nous avons observé la présence d'une âme dans chacun
des plateaux de la balance , cependant nous avons vu que dans les
légendes, dans les passages des auteurs chrétiens qui parlaient du
pèsement, il n'était pas question de la pesée comparative de deux
âmes, mais simplement de la pesée de son âme ou de ses actions. De
plus , dans les idées chrétiennes qui expriment si nettement la tra-
duction matérielle et littérale des expressions de libra, lanx^ tnilina,
rien n'annonce qu'une âme dût entrer dans chacun des bassins. Il
n'est trait que de l'âme placée dans un des plateaux, et des mauvaises
actions dans l'autre, ou des bonnes placées dans le premier bassin, et
des mauvaises dans le second. Ce ne peut donc être qu'à la psychostasie
grecque, à celle d'Homère, oii nous voyons Jupiter ou Mercure, com-
parant les âmes, les keres de deux héros, que l'idée de placer une âme
dans chaque plateau peut avoir été empruntée. C'est un souvenir tout
antique qui corrobore puissamment notre opinion de l'origine païenne
des représentations qui nous occupent.
L'emploi de l'archange Michel à titre de grand peseur dans la scène
de la psychostasie nous semble avoir une origine orientale, comme
la psychostasie elle-mêftie. Nous avons déjà fait observer que saint
Michel remplissait à peu près les mêmes fonctions dans la psychosta-
sie chrétienne, que Thoth et Hermès dans la psychostasie antique.
Mithra et Raschné-Rast qui pèsent, d'après la doctrine macdéenne,
ainsi que nous avons vu, les actions des hommes sont des Izeds
et répondent comme tels , parfaitement à nos archanges. D'ailleurs,
chef de la milice céleste, défenseur, protecteur spécial des fidèles,
esprit victorieux des légions rebelles, Michel devait à tous ces titres
être choisi comme l'ange chargé de faire respecter l'équité des lois
divines, de faire régner dans cette pesée terrible la plus sévère justice.
Aussi Nicéphore le nomme-t-il 6 rriq Xpto-rtavwv ttio-tswç ï(5^opoç (2),
(1) Apoc.yu, 6.
(2) Hist. eccles. VII , 50.
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIE. 301
et Sophroniiis, dans son discours sur l'excellence des anges, lui donne
les épithètes de sanctus archUrapa, animorum propugnator, corporum
coiiservalor, universœqae nalurœ illastralor{\). Dans le style du moyen
âge, c'est le grand prévôt du Paradis. Mais ce n'était pas tant comme
commandant des armées célestes, qu'à raison de l'analogie de son rôle
dans la hiérarchie céleste avec celui de Thoth , d'Hermès dans la
hiérarchie divine, antique, qu'il a été, nous le répétons, chargé des
fonctions îibratrices dans le jugement futur. Dans la psychostasie
égyptienne, Thoth écrit la sentence prononcée par Osiris ; et ces fonc-
tions de scribe ont été conservées au personnage de Mercure dans
l'astrologie orientale. Sur les tableaux relatifs à cette science men-
songère, on voit cette planète représentée sous la figure d'un écrivain,
tenant un roseau à la main, ayant un encrier à la ceinture (2); Mer-
cure, disent les astrologues arabes, est chargé d'écrire les événements
de la terre et du ciel ; il met par écrit les ordres du Tout-Puissant.
Non-seulement Thoth pesait les actions des morts , inscrivait la
sentence solennelle, il conduisait encore l'âme aux pieds du trône d'At-
mou, il la préparait à l'effrayante épreuve du jugement (3). Cedieu ibio-
céphale est devenu Hermès chez les Grecs, et il a conservé chez ce peuple
ses fonctions de Psychopompe. Sur les vases antiques nous voyons ce
messager des dieux, couronné de myrte, le pétase rejeté sur le dos,
tenant le caducée, assis sur un ocladias ou le pied appuyé sur un bas-
sin. Il est ordinairement imberbe comme nos anges. Il veille sur
l'âme, l'ombre du défunt, représentée par une petite figure nue,
sldcùlov, qui, le front ceint d'une bandelette, attend son sort. Cette
figure nous reporte à l'image de l'âme qu'on observe sur les sarco-
phages ou les rituels funéraires égyptiens, comme le bâton recourbé,
le sceptre de Minos ou de Rhadamanthe nous reporte au crochet tenu
par Osiris. Tel est le Mercure, l'Hermès Wv^otioixtioç, Wvy^xycùyog,
Hyep.ovtoç, AynzMpy Évôdioç, Wvyo)v raydocç, sorte de type de notre
saint Michel. Non-seulement Mercure protège les âmes, les mène au
tribunal des trois juges de Tenfer (4), veille sur elles pendant le juge-
ment, les dirigeet les conduit durant leur course dans le monde éthéré,
c'est encore lui qui les porte , qui les soutient , ignorantes qu'elles sont
de la route qu'il faut tenir, sitôt qu'elles se sont échappées de leur
(1) Bihl. P. P.Max. Lugd., t. XII, p. 210.
(2) Reinaud, Monum. du cabinet Blacas , tom. II, p. 381.
(3) Cf. Champollion, Panth. egypt. , art. Thoth psychopompe. Notice des
Monum. égypt. du Musée Charles X. A. 309.
(4) Cf. deux peintures du tombeau des Nasons ap. Bellori, Pictur. sepulcr.
IVason. Tab. v et viii.
302 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
terrestre enveloppe , impuissantes qu'elles se sentent à se soutenir
dans l'espace et à voler dans les sphères aériennes. Et c'est là surtout
la fonction qui a valu à ce dieu les noms précédents. Voyez-le sur les
monuments, dans l'attitude d'un homme qui marche, tenant de la
main gauche son caducée et de la droite, l'âme humaine sous les traits
de Psyché aux ailes de papillon et vêtue d'une robe longue. Psjché,
la personnification de l'âme, supportée par le dessous des ailes, pré-
sente en avant ses deux mains, à la manière de ces figures égyptiennes
qui prient ou implorent quelque divinité» Ainsi cette attitude pour-
rait fort bien être empruntée, aussi bien que le mythe d'Hermès Psy-
chopompe, à l'art égyptien. C'est ainsi que le dieu se voit sur un
sarcophage dans le corlile du palais des Studi à Naples (l)*
Mercure ramène aussi à la vie l'âme qui s'en est échappée, il la
réintroduit dans le corps :
dit Eschyle dans ses Perses.
C'est à Cyllène qu'on fendait surtout un culte à Mercure Psycho-
pompe , à ce dieu qui de sa baguette d or chasse aux enfers les âmes
légères, qui les évoque à son gré.
Tu pias lœlis animas reponis
Sedibus, virgaque levem coeH'ces
Aurea turbam^
dît Horace (lib. I, od. X). Écoutons encore Homère, c'est lui qui
donne au dieu l'épithète de Cyllénien.
'Epfiyii os <pu;{àç KuW.vjvtoî IÇcxaAstTO
'AvSpôJv fivYjsr-npoiv' e^s Ss pdèoov fJLtTK j^SjOulv
JLot.lY}v, -/^pxjjeiriv.
Odyss.si, 1-3.
Les inscriptions funéraires désignent également Hermès de Cyllène
comme celui qui conduit l'âme dans le séjour de l'Elysée (2).
Cette baguette du dieu xp^^^Pp<^^^i (3) rappelle la baguette que les
(1) Admir. 67. Mus. cûpitol. IV, 25. Winckelmann, Mon. ined., n° 39. A.Hîrt,
Bilderbuch fur Mythologie, taf. VIII, n» 8 Cf. sur une représentation analogue
comte de Clarac , Mus. de Sculpt. anliq. et moderne ^ bas-relief n° 31, p. 201 ,
PL CCXVI.
(2) Comte de Clarac, Insc. greeq. du Louvre, n" 481. A. ap. Mus. de sculpt.
anc. et mod., t. II , P. 2 , p. 886.
(3) Cf. sur cette épithète Schol. Hom. ad Iliad. G. v. 266. Phurnutii liber de
natur. Deor. 16.
RECHERCHES SUR LA PSYCH08TASIE. ^03
artistes placent dans la main des anges. C'est la verge de messager,
c'est celle avec laquelle l'ange qui apparut à Gédéon, sous le chêne
d'Ephra, toucha la pierre sur laquelle descendit le feu du ciel qui con-
suma les chairs du chevreau et les pains azymes (l).
Ce culte de Mercure, conducteur des ombres, remonte, on le voit,
aux premiers âges de la mythologie grecque, et si Diogène Laerte
nous dit (2) que ce fut Pythagore qui apporta d'Egypte en Grèce, le
mythe d'Hermès Psychopompe, il faut croire que lephilosophe deSamos
ne l'introduisit pas le premier; mais cette assertion du biographe n'en
est pas moins précieuse, puisqu'elle confirme formellement l'origine
égyptienne que nous révélait l'examen interne du mythe lui-même.
Les fonctions de Psychopompe sont formellement attribuées par les
chrétiens à l'archange Michel, quoique les autres anges, et surtout
Gabriel, les partagent souvent avec lui (3).
C'est à saint Michel qu'on consacre , au moyen âge, les chapelles des
cimetières ; c'est son image que l'on place à l'entrée des champs de
repos , de même que dans l'antiquité on peignait à la porte des tom-
beaux, la figure du génie de la mort ou celle de Mercure Propyleus (4).
C'est sous son invocation que se mettaient les confréries qui enseve-
lissaient les morts. Dans les révélations de Saint Barthélémy (5), c'est
cet archange qui, sur l'ordre du saint Père éternel, lui amène les âmes
d'Adam et d'Eve auxquelles Dieu annonce que la rédemption est
proche. Dans l'histoire arabe de saint Joseph, c'est lui et saint Gabriel
qui reçoivent l'âme de l'époux de Marie dans un brillant linceul (6),
et dans la légende dorée, d'après Grégoire de Tours, c'est lui qui pré-
sente à Dieu l'âme de la Vierge : « Et ecce dominus, dit ce dernier (7),
«Jésus advenit cum angelis suis, et suscîpiens animam ejus, tradidit
« Michaeli archangelo et recessit. » Chez les Grecs modernes, saint Mi-
chel est encore le conducteur des âmes (8) , c'est lui qui précipite dans
les abîmes les broucolacas, dont les spectres hideux assiègent et tour-
mentent les pécheurs. Ces spectres, personnification des affres de la
(1) Judic, Vï,2i.
(2) Lib. Vin, p. 263, éd, Hubner.
(3) Je me propose de publier incessamment un Mémoire sur les divinités
psychopompes qui fera suite à ce travail. J'y donnerai sur ce sujet de plus amples
détails.
(4) Pausan. , I, 228. Annal, de l'InstiL archéol. , X, 249.
(6) Dulaurier, Fragment des révélât, apocryph. de saint Barthélémy , p. t)
(Paris, 1836).
(6) Thilo, Cod, apocryph. JVovi Testant., 1. 1, p. 43.
(7) Ve Gloria Martyr. , lib. ï , c. 4 , p. 724 , éd. Ruinart.
(8) Pouqueville, Voyage en Grèce, t. V, p. 160.
304 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
mort, sont ceux dont la vierge Marie, dans la légende copte citée plus
haut, demandait à Dieu d'écarter la présence. 11 n'est pas jusqu'aux
poésies populaires dans lesquelles nous ne retrouvions des traces des
mêmes idées. Dans la chanson de Roland, saint Michel et saint Gabriel
viennent recevoir l'âme du paladin :
Seint Gabriel de sa main l'ad prins
Desur sun bras teneit le chef enclin
Juntes ses mains en alet à sa fin.
Deus tramist sun angle chérubin
Et seint Michel del péril
Ensemble od els seint Gabriel i vint :
L'anme del cunte portem en pareis
Morz en Rollans : Deus en ad l'anme es cels.
(Chanson de Roland, éd. F. Michel, p. 93. St. 173.)
Voilà, certes, des analogies bien grandes entre Mercure et saint Mi-
chel , et , pour parler des monuments , nous dirons qu'à la tour de
Glastonbury où est représenté l'archange, tout rappelle en lui le dieu
de Cyllène. Un bas-relief antique du musée de Vérone offre réci-
proquement un Mercure qui a toute l'apparence d'un saint Michel (l).
Enfin, pour dernière preuve de l'introduction de l'Hermès Psycho-
pompe dans les légendes chrétiennes, sous le nom de saint Michel, nous
remarquerons que M. Raoul-Rochette a reconnu dans une des pein-
tures du cimetière de Saint-Calixte, à Rome, le sujet païen de l'âme
introduite par Mercure dans l'asile du repos éternel (2).
Une fonction qui rapprochait encore Mercure des anges, c'est qu'il
était le conducteur des songes, ov£tpo7:sp.7ry)ç,
Dat somnos adimitque et lumina morte résignât.
Mneid., IV, 242.
On sait que dans les idées chrétiennes , les anges donnent parfois en
songe des avertissements , de la part du Seigneur.
Ajoutera-t-on que Mercure apparaît aussi dans la mythologie
grecque comme l'adversaire de Prométhée, antique personnification
du mal et de la science , sorte de démon du mythe hellénique. C'est
Mercure qui, par l'ordre de Jupiter, attache avec des clous de fer
Prométhée au sommet du Caucase, et qui place sur son sein l'aigle
qui doit lui ronger le foie (3). Voilà un dernier point de commun
entre Michel auquel le Tout-Puissant ordonne d'aller combattre les
(1) Muséum Feronens. PI. CCXI, n» 2. (Veronae, 1749, in-fol.)
(2) Cf. Mémoire sur\les Anliq. chrétiennes ap. Mém. de l'Acad. des Insc. et
Belles-Lettres, tom. XIll, ip, ii6.
(3) Hygini fabulœ, c. 144.
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIE. 305
légions rebelles de Satan et de les enchaîner dans les enfers, et Hermès
qui enchaîne le rival orgueilleux des divinités de l'Olympe. En faisant
ce rapprochement, nous ne prétendons pas prouver que le personnage
de saint Michel ne soit autre que l'Hermès Psychopompe grec, nous
voulons seulement faire comprendre comment une quasi-identité dans
les attributs avait porté naturellement les chrétiens , en adoptant le
dogme païen de la psychostasie, à remplacer par leur archange le dieu
psychagogue des Grecs et des Égyptiens. Tout le monde sait d'ailleurs
que l'attribution des fonctions psychopompiques à saint Michel remonte
plus haut que le christianisme et qu'elle a sa source dans les idées
juives d'oii la religion nouvelle l'a empruntée. Les rabbins admettaient
que saint Michel présente à Dieu les âmes des justes (l). Et les juifs
disent encore dans la prière pour les morts, appelée Tsiddouk haddin,
c'est-à-dire, justification du jugement : L'archange Michel ouvrira
les portes du sanctuaire, il offrira ton âme en sacrifice devant Dieu.
L'ange libérateur sera de compagnie avec toi jusqu'aux portes de
l'empire oii est Israël (2).
Tel était, au moyen âge, le système de croyances qui se rattachait à
ces curieuses représentations du pèsement de l'âme. Au XVP, au
XVH^ siècle, celles-ci disparurent peu à peu. D'ailleurs les eut-il
reproduites, l'artiste n'eût plus excité par leur vue, les mêmes impres-
sions qu'elles avaient jadis provoquées. H y a plus, c'est que les an-
ciennes représentations de la psychostasie n'étaient plus comprises, et
l'oubli des anciennes croyances leur faisait attribuer des sens nouveaux
et arbitraires. Nous n'en citerons qu'une preuve qui nous fournira
l'occasion de signaler une singulière association d'idées en apparence
bien disparates. Nous avons trouvé, en Allemagne, une vieille gravure
sur bois que nous avons rapidement crayonnée, et qui représentait un
pèsement de l'âme. On y voit St. Michel tenant la balance. L'archange
est couvert d'une armure qui rappelle celle qui lui est donnée sur le
tombeau de Henri VH (3). Au-dessous de la balance sont les initiales
MG AN. Nous ne voyons guère d'autre moyen d'expliquer ces deux
monogrammes , qu'en admettant qu'ils signifient mancipatio animœ,
la mancipation de l'âme. En effet, en Jetant les yeux sur la gravure,
on reconnaît que Dieu a été considéré par l'artiste, comme l'acheteur
de l'âme ; celle-ci, agenouillée et les mains jointes, attendavec anxiété,
aux pieds de son ange gardien , le résultat du pèsement. L'artiste
(1) Cf. Targum. in Canlic, lY, 12, et Eesbilh Chochmach, c. 3.
(2) Mardoch. Venture, Prières journal, des Juifs, p. 643.
(3) Carier, ouvr. cit., PI. LVIII.
306 revue; archéologique.
semble avoir eu devant les yeux les paroles duKoran, chap. Taoïihat,
ou de la Pénitence : Dieu a acheté des fidèles, leurs vies et leurs biens,
leur donnant en échange le Paradis (l), ou encore celle-ci que pro-
nonçaient les juifs à la maison de ceux qui étaient dans le deuil (2);
Dieu rachètera mon âme de l'enfer quand il me l'aura reprise. Sans
doute que cette gravure fut commandée par quelque amateur de droit
romain du XVl^ ou du XVIP siècle, quelque disciple d'Irnerius,
d'Açcurse, de Barthole ou d'Alciat, qui voulait retrouver jusque danij
le Paradis la jurisprudence romaine.
Voici le Paradis devenu chose mancipi. Saint Michel est le libripens
qui doit assister à cette antique forme d'acquisition de la propriété.
Le Christ est là, il fait de la droite ce signe qui avait valu à ce mode
d'acquisition le nom de mancipium. Voici bien les cinq témoins qui
devaient être pubères (3) ; ici ils ne sont pas citoyens romains, mais
citoyens de l'autre univers. C'est la Vierge qui n'est plus une femme
incapable, en tutelle, mais la mère d'un dieu, deux saints et deux
^7 ly--*
démons témoins d'assez mauvaise mine, que la vue de saint Michel, qui
brandit sur eux son épée, frappe de terreur. L'archange a bien, comme
chef de la milice céleste, le caractère sacerdotal ou magistral qui était
exigé pour le libripens. Le Christ, de la main gauche, touche avec un
bâton fort court un des plateaux de la balance, C'est l'image du lin-
got d'airain avec lequel celui qui recevait in mancipio frappait le bassin
et qu'il donnait au mancipant comme prix fictif de la vente (4). Il
(1) Cf. d'Herbelot, Biblioth. orient,, art. Paradis.
(2) M. Venture, Prières des Juifs, p. 552.
(3) Cf. Galus, InstiL, lib. I, par. 119. UIp. , Fragm.
Cicer., éd. Orelli, tome I, p. 322.
(4) Yarr. , De Ling. Min., V, par. 163.
XIX, 9. Scholiast.
RECHERCHES SUR LA PSYCHOSTASIE. 307
ne manque à cette reproduction bizarre de la mancipation que les
paroles sacramentelles. «Huncergohominem exjureQuiritiummeum
«esse aioisque mihi emptus est hoc œre aeneaque libra ». Il n'y aurait
eu que les mots Qairitium à remplacer par dwino.
L'idée de notre artiste paraîtra moins étrange, quand on observera
que la mancipation s'appliquait même au changement d'état des per-
sonnes et que le jugement dernier était l'acte , le contrat par lequel
s'accomplissait le plus solennel de ces changements. Sans doute, un
artiste voulut exprimer par cette allégorie , digne de l'école, que c'est
au moment de la mort, que l'homme passe d'un état temporaire et
misérable à un autre permanent et irrévocable.
Mais quelle qu'ait été sa véritable intention, il est certain qu'il s'écar-
tait de la donnée sur laquelle reposaient les représentations que nous
venons d'étudier, représentations qui devaient cesser d'être traitées
avec intelligence, une fois que les croyances sur lesquelles elles repo-
saient avaient disparu, par suite du progrès des idées métaphysiques.
Alfred Maury.
LE MUSEE GREGORIEN A ROME
Le musée étrusque dont S. S. Grégoire XVI a doté Rome et le
monde savant est une des collections les plus remarquables qui existent.
Réuni aux trésors inappréciables du Vatican, ce nouveau musée vient
compléter ces suites de monuments de l'art ancien qui ont reçu le
tribut d'admiration de tant de siècles ! Ce sont les fouilles de l'an-
cienne Étrurie qui ont fourni ces collections ; les tombeaux de Vulci,
de Campo Scala, de Tarquinies, de Caere, de Toscanella, de Bo-
marzo étaient remplis de milliers de vases peints, de bronzes, de
morceaux de plastique, de bijoux d'or et d'argent, aujourd'hui dissé-
minés sur tous les points de l'Europe. C'est grâce à ces découvertes,
un des grands événements scientifiques de notre siècle, qu'on doit les
richesses archéologiques qui ont, pour ainsi dire, changé la face de la
science. La nouvelle delà découverte de la nécropole de Vulci eut,
il y a maintenant plus de quinze ans, un grand retentissement dans
le monde savant; mais, tandis que tous les musées de l'Europe se
disputaient les innombrables vases peints , tirés des hypogées étrus-
ques, Rome, la capitale des arts, de laquelle sont sorties ces innom-
brables statues qu'on montre avec orgueil dans les autres capitales,
semblait se laisser dépouiller des trésors qu'on trouvait à ses portes.
Il n'en était rien pourtant; le saint-père avait conçu le noble projet
de former un musée étrusque, pour la création duquel le gouverne-
ment pontifical s'était imposé de grands sacrifices en se réservant les
plus importantes trouvailles. A l'appel du pape répondit le zèle
d'hommes éclairés. Les cardinaux Lambruschini, Angelo Mai et
Fieschi, secondés par M. le chevalier Visconti, secrétaire perpétuel de
l'Académie pontificale d'archéologie, et par le directeur des Musées du
Vatican, M. le chevalier Fabris, dirigèrent les travaux et les acqui-
sitions. Bientôt des villes, des corporations, de simples particuliers
vinrent enrichir de leurs dons le nouveau musée; et Rome, si rem-
plie de monuments antiques, fut étonnée d'avoir à admirer une collec-
tion de plus, une collection d'une richesse inouïe.
Les objets précieux qui composent le nouveau musée sont ras-
semblés dans la partie du Vatican oii furent les appartements de
Pie IV. Les premières salles renferment les sarcophages, urnes, sta-
tues et bas-reliefs de terre cuite , de pierre et d'albâtre. C'est là que
LE MUSÉE GRÉGORIEN A ROME. 309
sont placés ces vases de terre noire et en forme de cabanes ou de huttes,
trouvés principalement à Albano et regardés par la plupart des sa-
vants comme des monuments qui remontent à l'époque des Abori-
gènes italiotes. Dans une de ces premières salles, près de la porte
d'entrée, on remarque un grand sarcophage de nenfro qui est orné de
bas-reliefs. Sur un des grands côtés, on voit au centre Etéocle et Po-
lynice qui s'entretuent ; à droite Polynice assis sur un trône , deux
furies et Étéocle debout devant son frère ; à gauche un éphèbe nu
guide les pas d'OEdipe aveugle; plus loin se présente une furie et
Jocaste assise sur un rocher. La seconde grande face du sarcophage
montre le corps de Clytemnestre placé sur un lit funèbre, aux pieds
du lit Electre assise qui verse des larmes; à droite Pylade debout,
Égisthe étendu par terre, et deux personnages qui déplorent cette
catastrophe ; à gauche le vieux pédagogue qui pleure, et Oreste tour-
menté par deux furies. Les bas-reliefs des petits côtés de ce sarco-
phage ont pour sujets, d'une part : Pyrrhus qui égorge Priara ; le
vieillard presse entre ses bras le jeune Astyanax ; de l'autre on voit
le même Pyrrhus qui immole Polyxène sur le tombeau d'Achille.
Dans la salle suivante on admire la statue de terre cuite repré-
sentant Mercure, trouvée à Tivoli, et l'urne de terre peinte de diverses
couleurs, sur le couvercle de laquelle on voit Adonis blessé à la cuisse
et couché sur un lit funèbre; à côté est son chien de chasse.
On entre ensuite dans les salles destinées aux vases peints. D'abord
se présentent à la vue les vases à figures noires sur fond jaune.
Parmi les vases enrichis de compositions mythologiques je citerai
plusieurs des travaux d'Hercule, des Gigantomachies, des Hydro-
phories, des exploits de Thésée, des scènes de la guerre de Troie, etc.
Au centre de cette première salle est placé, sur un socle d'albâtre
oriental fleuri, un des plus beaux vases qui existent ; c'est un cratère
à fond blanc , sur lequel sont tracées des figures dessinées avec un
goût exquis, rehaussées de plusieurs couleurs, et, ce qui est extrême-
ment remarquable, distinguées des produits ordinaires de la céramo-
graphie par des lumières et des ombres. Le sujet de cette précieuse
peinture est Mercure qui porte le petit Bacchus à Silène. Au revers
sont représentées trois Muses qui célèbrent par leurs chants la nais-
sance du fils de Jupiter.
La salle qui suit renferme des vases de la plus grande beauté : on
y voit encore quelques vases à fond jaune et figures noires, quoique
le plus grand nombre soit à figures rouges sur fond noir. Parmi les
premiers, on remarque surtout la grande amphore tyrrhénienne sur
I. 21
310 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
laquelle sont représentés Achille et Ajax qui consultentle sort; au re-
vers les Dioscures Castor et Pollux, Tyndare, Léda et le cheval Cyl-
larus. Au nombre de la seconde classe de vases, ceux à figures rouges,
on distingue principalement l'hydrie qui montre Apollon Delphinien
assis sur le trépied fatidique et porté sur les flots. On remarque aussi
le combat d'Achille et d'Hector et une foule d'autres sujets in-
téressants.
Vient ensuite la galerie en hémicycle, dans laquelle sont rangés de
grands vases, la plupart à figures rouges sur fond noir. On y remarque
l'amphore sur laquelle est représenté Hector qui prend congé de
Priam et d'Hécube, le stamnus qui montre Jupiter, Égine, Asopus
et ses filles ; l'hydrie qui a pour sujet Neptune et Éthra , une autre
amphore qui représente Achille et Briséis , une hydrie qui ofl're la
dispute de Thamyris avec les Muses, le stamnus orné d'une assemblée
de dieux, l'hydrie qui montre Hercule et Auge, etc. Ce dernier, vase
est surtout remarquable par une restauration antique ; le vase a été
fracturé au milieu de la panse, de sorte qu'une partie des figures d'Her-
cule et de la nymphe ont disparu ; le restaurateur ancien a mis à la
place un fragment de coupe peinte sur laquelle était tracé un festin.
Ces sortes de restaurations se voient à un assez grand nombre de vases,
qui, dans l'antiquité, ont été brisés par accident : on les réparait d'une
manière grossière au moyen de tenons et d'attaches de bronze qui
fixaient des morceaux d'autres vases sans aucun égard pour la com-
position qu'on voulait rétablir; il paraît qu'on n'avait d'autre but dans
ces sortes de restaurations que de boucher les ouvertures et de refaire
la forme du vase. J'ai déjà dans plusieurs occasions signalé des restau-
rations de ce genre (l).
Il faudrait nommer tous les sujets, si on se laissait entraîner ; car
tous les vases placés dans cette galerie sont du plus grand intérêt.
Parmi les vases à figures noires je me contenterai de citer l'amphore
sur laquelle est représentée l'Aurore qui pleure la mort de son fils
Memnon ; le corps est étendu par terre au milieu d'une forêt de myrtes.
Après la galerie en hémicycle, on entre dans la galerie des coupes,
collection merveilleuse où l'on admire les sujets de Mercure enfant,
voleur des bœufs d'Apollon, du roi Midas, de Jason vomi par le dra-
gon, d'Hercule naviguant dans la coupe du Soleil, de Sisyphe et de
Tityus punis aux enfers, etc. Dans une armoire vitrée on a rassemblé
quelques vases de formes singulières, des verres antiques diaprés de
«
(1) Voyez mon Catal. Durand, n° 819, et mon ÇataL Étrusque, n» 134.
LE MUSÉE GRÉGORIEN A ROME. 311
diverses couleurs et des vases qui se distinguent par la finesse de l'émail
et la correction des dessins qui s'y trouvent tracés. Citer Hélène
poursuivie parMénélas, en présence de Vénus, de l'Amour et de Pilho ;
un personnage royal en costume oriental, désigné par l'inscription
BA2ILEY2, le Roi, auquel une jeune femme qui s'appelle la Reine
BA2ILE2 (sic) apporte un vase ; le combat de coqs, etc., c'est indi-
quer tout ce que l'art hellénique a su produire de plus délicat, de plus
gracieux.
Il faut retourner sur ses pas pour pénétrer dans la grande salle
des bronzes et des bijoux, dont l'aspect étonne par le nombre et la
variété des monuments qu'elle renferme. On y admire la statue de
Mars découverte à Todi, des trépieds, des candélabres, des cistes,
un lit funèbre, des plaques de bronze destinées à la décoration des
portes, des armes de toute espèce, des boucliers, des cuirasses, des
cnémides, des trompettes tyrrhéniennes, un char étrusque, des vases,
des ustensiles de toute sorte, et enfin une magnifique collection
de miroirs avec laquelle on ne peut mettre en parallèle que la riche
collection de miroirs du Cabinet des Médailles à Paris, augmentée dans
ces dernières années de la presque totalité des miroirs du cabinet Du-
rand. On remarque surtout Ulysse qui consulte l'ombre de Tirésias, la
lutte de Pelée et d'Atalante, Galchas qui inspecte les entrailles d'une
victime. Hercule et Atlas, Jupiter entre Thétis et l'Aurore, le So-
leil accompagné de Neptune et de l'Aurore, l'Aurore qui enlève
Céphale, et enfin la dispute de Vénus et de Proserpine , pour la
possession d'Adonis-Thammuz , miroir sur lequel j'ai publié ailleurs
une dissertation (1).
La collection d'objets d'or et d'argent, disposée sur une grande
iable ronde au milieu de la salle, est d'une richesse prodigieuse. Il
est difficile de se faire une idée de la délicatesse de travail, de la
finesse des ornements et du goût des artistes anciens qui excite l'ad-
miration jusque dans les moindres détails. C'est là qu'on a réuni à
quelques bijoux trouvés dans la nécropole de Vulci, tous ceux dé-
couverts dans la célèbre tombe de Cervetri. La construction de
cette tombe paraît remonter à une époque très-reculée. On en a
retiré une masse considérable de bijoux d'or et de coupes d'argent
)rnées de composition en bas-relief, traitées dans le style oriental.
Au nombre des objets d'or, on remarque un ornement de tête d'un
travail surprenant, une plaque d'or qui servait de pectoral et sur
(1) JYouv. Annales de l'InsUt.nrch., t. I , p. 507 et suiv. Cf. Bull, de VInst,
arch., 1842, p. 149 et suiy.
312 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
laquelle sont tracés des animaux symboliques rangés par bandes ou
zones. Les coupes d'argent sont enrichies de figures aussi bien en
dedans qu'en dehors ; on y voit des chasses qui sont traitées dans le
genre de la chasse représentée sur la magnifique coupe Sassanide,
dont la libéralité de M. le duc de Luynes vient d'enrichir le Cabinet
des Médailles (l). D'autres de ces coupes montrent des armées en
marche, des combats, etc. , le tout empreint d'un caractère qui rap-
pelle pour le style les monuments de l'art asiatique. Il serait im-
possible d'énumérer ici toutes les richesses trouvées dans le tom-
beau de Cervetri ; on peut consulter à ce sujet un rapport de M. Em.
Braun, inséré au Bulletin de l'Institut archéologique de 1836, p. 56
et suiv. ; le savant ouvrage de M. le chevalier L. Grifi sur les mo-
numents de l'antique Caere ; celui de M. Canina, sur l'ancienne ville
de Caere ; le Muséum Gregorianumy et enfin plusieurs articles de
M. Raoul-Rochette, dans le Journal des Savants, mai, juin, juillet
et septembre 1843.
La collection de bijoux d'or est aussi extrêmement riche en pa-
rures à l'usage des femmes ; on y voit des colliers, des bracelets, des
boucles d'oreille , des chaînes, des fibules, des bagues avec ornements
ciselés, d'autres enrichies de scarabées ; des plaques, des bulles pour
les magistrats et les enfants nobles, des couronnes de toute espèce
destinées aux morts, complètent cet ensemble de richesses éblouis-
santes.
De la grande salle des bronzes et des bijoux, un corridor rempli
d'inscriptions étrusques conduit à la salle dans laquelle on a placé
les copies des peintures dont les originaux couvrent les parois des
tombeaux de Vulci , de Corneto et de Tarquinies. On y voit des jeux,
des repas, des luttes, des courses. C'est une heureuse idée sans
doute d'avoir réuni dans une salle ces copies de peintures qui chaque
jour risquent de disparaître pour jamais. Malheureusement la dispo-
sition de la salle n'a pas permis de ranger ces peintures dans l'ordre
où elles se trouvent dans les tombeaux, ce qui est un inconvénient
assez grave pour ceux qui veulent en étudier les sujets.
En sortant du Musée Grégorien, on trouve l'imitation exacte d'un
tombeau étrusque, disposé de manière à ce que le visiteur puisse
se rendre compte de la place qu'occupent , dans ces dernières de-
meures, les cercueils, les urnes, les vases peints, les ustensiles de
(1) Adrien de Longpérier, ^nn. de l'insl. arch,» t. XV, p. 98-114, et Marié
inédits, t. III, pi. li. Cf. la quatrième livraison de la Hevue archéologique, p. 264.
LE MUSÉE GRÉGORIEN A ROME. 313
bronze, les armes , etc. A la porte d'entrée sont placés deux lions
de nenfro, qui originairement décoraient un tombeau de Vulci.
Cette courte Notice ne peut donner qu'une idée imparfaite des
richesses que renferme le nouveau Musée étrusque, créé par les
ordres du souverain pontife ; mais elle suffira pour faire apprécier
l'idée qui a présidé à sa formation. Ces salles remplies de tré-
sors qui nous initient à la civilisation, aux arts, à la vie intérieure
des anciens habitants de l'Italie, fournissent des matériaux inappré-
ciables à l'étude et aux recherches. C'est à Rome qu'il faut aller
pour trouver de grandes, de nobles pensées. A mesure que le do-
maine de la science s'étend, les collections de la ville éternelle s'a-
grandissent et offrent un nouvel aliment aux méditations et aux
études de l'historien , de l'archéologue et de l'artiste.
Le gouvernement pontifical vient de faire paraître un grand ou-
vrage en deux volumes in-folio, sous le titre de Muséum Etruscum
Gregorianum, Cette publication excite au plus haut degré l'intérêt
de tous ceux qui s'occupent d'études archéologiques. Je me propose,
dans un prochain article, de rendre compte de cet ouvrage im-
portant.
J. DE WiTTE, Correspondant de V Institut,
LETTRE DE M. PHIL. LE BAS, DE L'INSTITUT.
L'un de nos collaborateurs nous communique la lettre suivante qu'il a reçue de
M. Le Bas, et à laquelle il a joint quelques observations.
Athènes, le 20 juin 1844.
Vous me demandez , mon cher ami , si mes recherches à Athènes
m ont fait découvrir beaucoup d'inscriptions inédites. Il vous semble
peu probable qu'un lieu si souvent exploité par les voyageurs
puisse encore offrir des richesses inconnues. Sans doute, tous les mo-
numents qu'on rencontre dans cette ville célèbre n'ont pas l'attrait
séduisant de la nouveauté; mais j'ai la conviction que, séparation faite
de ce qui a été déjà publié, il me restera encore à livrer au public un
recueil assez considérable à'Anecdota Attica. D'ailleurs il faut bien
se garder de croire que les textes épigraphiques, déjà connus, ne
laissent plus rien à dire, que tous aient été copiés avec fidélité et in-
telligence, et par conséquent expliqués d'une manière satisfaisante.
Chaque jour j'ai lieu d'acquérir la conviction du contraire. Dès à pré-
sent, je voudrais vous la faire partager, je voudrais vous prouver,
pièces en main, que mon voyage, n'eût-il eu d'autre résultat que de
mettre à la disposition des érudits des copies rectifiées de toutes les
inscriptions déjà connues qui subsistent encore ici, on ne saurait nier
qu'il n'ait élé d'une grande utilité pour la science. Mais le choix
m'embarrasse. Commencerai-je par les 125 lignes de l'inscription re-
lative à la reconstruction des longs murs, déjà publiée quatre fois
d'après des transcriptions, où les restitutions de plusieurs des passages
mutilés ont été insérées dans le texte par le copiste, comme s'il avait
eu ces passages sous les yeux , ce qui donne souvent à ses conjec-
tures une importance qu'elles sont loin de mériter? Une pareille
tâche serait trop rude ; elle serait même impossible en ce moment.
Je me garderai bien aussi, mais pour un autre motif, de vous mettre
sous les yeux les cent et quelques fragments du registre en marbre
(passez-moi cette expression) sur lequel , au temps de Périclès , on
inscrivait les sommes que les alliés payaient à Athènes, pour qu'elle
défendît la grande famille Hellénique contre les agressions du Barbare :
je me plais à vous annoncer qu'un archéologue grec, M. Rizo Rangabé,
qui s'est fixé à Athènes après avoir fait de très-fortes études en Alle-
magne , publie sur ce document si curieux un travail qui fera oublier
tout ce qu'on en a imprimé précédemment, et laissera, je crois, peu
LETTRE DE M. PH. LE BAS, DE L*INSTITUT. 315
de choses nouvelles à dire aux savants qui voudront s'en occuper à
l'avenir. Mais, à défaut de celui-là, il en reste bon nombre d'autres,
et, puisqu'il faut renoncer provisoirement aux textes qui occuperaient
trop de place, nous choisirons, si vous le voulez bien, une classe de
monuments qui, au charme de la poésie, réunissent le mérite de la
concision, c'est-à-dire, les inscriptions métriques.
Le temps me manque aujourd'hui pour commencer cette revue ;
trouvez donc bon que je renvoie la partie à dix jours. Cependant
vous aimez tant l'inédit , que je ne veux pas fermer cette lettre sans
satisfaire votre goût. Voici une inscription que M. Pikerton, fils de
sir Edmund Lyons, ministre plénipotentiaire d'Angleterre en Grèce,
a estampée l'an dernier en Thessalie, à Tricala, Fancienne TptVxyj ;
elle est gravée sur une stèle avec fronton, en lettres du troisième siècle
avant notre ère, et conçue en ces termes (je me borne à une trans-
cription en caractères courants) :
IIOTJTaXa IIouTa^sta v-ôpoc
h. TtTupsta «yuvâ.
w^go Zxi (TTU'yspw ôavocTw Trpokmoxicru Toxï3a[ç],
IIwTa^a , ly yoccrrpbi; xvpoToxotç d^yvat; ,
ouTS yo-Jri 7rà|jt7rav xsx).V3|:zsvï3 ouxsrt y.ovpr)
TTSvôoç Tzarpi ILtzzç pyjrpt ts tïj (isléoç.
Eppàou X60V10U.
Potala, fille de Potalus,
femme de Tityre.
Tu n'es plus; une mort cruelle t'a raçie aux auteurs de tes jours,
Potala , au milieu des douleurs d'un pénible enfantement ; tu n'avais
point encore entièrement mérité le nom de femme , tu n'étais plus une
jeune fille; tu laisses dans le deuil, un père et une mère infortunés.
A Hermès souterrain.
Cette inscription peut fournir matière à d'intéressantes observa-
tions ; mais, je vous l'ai dit, l'heure me presse. Je me borne donc à y
joindre deux autres épitaphes provenant du même lieu, vous laissant
le soin de faire sortir de la comparaison de ces trois monuments ce
316 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
qu'ils peuvent contenir de faits nouveaux pour l'histoire de la langue.
Voici mes deux autres «vsx(Jora :
2.
AAE3EOMEN02APrAAEl02
EPMAOYXOONIOY
3.
PAY2ANIA2A2T0KPATEI02.
A dix jours donc : préparez-vous à beaucoup de variantes. Pour
vous dédommager de cet insipide réchauffage d'une vieille cuisine,
je vous donnerai de temps en temps un peu de fruit nouveau.
Recevez, etc.
Ph. Le Bas.
OBSERVATIONS
SUR LES INSCRIPTIONS CONTENUES DANS LA LETTRE PRÉCÉDENTE.
Les deux dernières épitaphes et la partie non métrique de la pre-
mière sont en dialecte thessalien. Pourquoi l'auteur du tétrastique
gravé sur le tombeau de Potala n'a-t-il pas employé le même dia-
lecte? Eustathe nous l'apprend probablement ; c'est que la langue de la
Thessalie passait, ainsi que celle de TÉlide et celle de la Béotie, pour
être un peu barbare : on âï tq twv HAetwv yTioêapêapov eo-xcoTTrero ,
^73^0? 6 ev T(^ èpMZYjBrivoci y iioTepcx. Boi(ùto\ (Bapêapcorspoi Tuy^^avouaiv
bvreç r? SsTTalol , (fd^jLsvoç wç nXeïoi (l). Quoi qu'il en soit, cette
épigramme est assez bien tournée, et nous ne doutons pas qu'elle ne
trouve place dans une nouvelle édition de l'Anthologie grecque. Elle
fournira, d'ailleurs, aux dictionnaires un mot nouveau, l'adjectif
%v[x6roy,oç , qui se présente ici pour la première fois, mais qui est
parfaitement conforme à l'analogie (2).
On ne sait presque rien sur le dialecte de la Thessalie. Quelques
mots mentionnés par les grammairiens ou expliqués par les lexico-
graphes, quelques légendes de monnaies, dix inscriptions (3) dont trois
(1) Ad Jl. p',p. 304, 2, éd. Bas.
(2) Voy. Lobeck sur Phrynichus , p. 6G8 elsuiv.
(3) Les numéros 1766 et 1767 du Corpus Inscr. Gr.; les huit autres ont été pu-
LETTRE DE M. PH. LE BAS, DE L'INSTITUT. 317
seulement ont plus de deux ou trois lignes, mais sont tellement muti*
lées qu'on y trouve à peine une phrase entière , voilà tout ce que l'on
en possédait avant la découverte des trois inscriptions que nous adresse
le savant voyageur. Cette découverte est donc fort intéressante ; car
les monuments qu'elle nous fait connaître vont, malgré leur peu d'éten-
due, occuper une place importante parmi ceux qui nous restent de la
langue d'une partie considérable de la Grèce.
Le nom de IlcoraXa, dont UovTcda est la forme thessalienne (l),
figure ici peut-être pour la première fois. Le nom masculin IIcot«Xoç
se trouve dans une inscription d'Iasos, lue à Chios par Chandler;
il est porté par un Macédonien (2).
Uovzaloi Uovraleia Kopd f etc., équivaut à ïlcoraXa Ucùrdlov 0u-
yaryjp, yvvh $s Tirvpov. Dans les inscriptions thessaliennes, ainsi que
dans celles de la Béotie , écrites en dialecte béotien (3) , les liens de
parenté sont indiqués par un adjectif, au lieu de l'être, suivant l'usage
ordinaire, par un génitif [Corp. Inscr, Gr,, n° 1766, SoycrtTrarpoç
noA£/aap;)^i^aioç ; Leake, IIÏ, n*^ 150, Niy.a(rt7r7roç Ntxouvstoç; IV,
n** 211, Aylotiç iimolvTEia, etc.; voyez aussi, dans les deux dernières
inscriptions que nous adresse M. Le Bas, Ah^oiJLevoç Apyâleioç et
Ilauo-avtaç Âo-roxparsioç) ; Tépitaphe de Potala nous offre un exemple
de l'extension de cet usage aux liens matrimoniaux.
Epftaou yj^ovio-o répond , grammaticalement du moins, au Bis ma-
nïbus des Romains et au Oeolç Kar<x-)(BovLoiç ou XBovloiç des Grecs,
formules si souvent exprimées par les initiales D- M, 0- K, ou G. X.
Ces deux mots sont donc au datif. On savait que les Thessaliens for-
maient ce cas en ou , au singulier de la seconde déclinaison ( Corp,
Inscr, Gr., n** 1766, Arthvvi )iep^[o]Lov; Leake, III, n*" 149, 1. 5,
dtd6(jBai avrov y,ai roiç [è(r]yovotç...; ibid,, 1. 8, [irjpo^svtav «ùtov
îtai... etc.). La formule Èpixdov XÙovtovy deux fois répétée dans les
inscriptions que nous adresse M. Le Bas (4), prouve que ces peuples
donnaient également cette terminaison au même cas des noms mas-
culins qui , dans les autres dialectes, font partie de la première décli-
bliées par M. Leake ( /^ôt/tt^e dans la Grèce septentrionale , t. II!, numéros 149,
149 6is, 160 et 151 ; t. IV, numéros 185, 209, 211 et 219); M. Ahrens les a réim-
primées parmi les Addenda du second volume de son Traité des Dialectes grecs.
(1) Corp. Inscr. Gr., n° 1766, SouatTtccT/sos pour Swa^Trarpos ; Leake, t. III,
tt" 149, Kpavvouv^otç pottr K/ssJWMv^otg ; y))o{)[/.o(. pOUr yvci//.a , etC.
(2) Corpus Inscr. Gr., n» 2675 b , 1. 10.
(3) Voy. Bœckh, sur V Inscr. n° 1674 du Corpus.
(4) Et dans le n» 150 de M. Leake, où, sans nul doute, il faut llfe "Ê/j/tetew au lieu
de 'EpiAM*
318 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
naison. De l'inscription nM767 du Corpus, laquelle est ainsi conçue:
AnAOYNITEMnEITA
AI2XYAI22ATVP0I
EAEYOEPIA
M. Bœckh, et après lui M. Ahrens, ont conclu que ces noms formaient
ce cas en a. Mais rien ne prouve que cette inscription soit entière;
et , ce qui , au contraire , nous ferait croire qu elle a subi quelque
mutilation, c'est que le mot Sarupot, qui termine la seconde ligne,
et oii M. Bœckh voit le génitif du nom du père à'Ai(j-)(yl\q , présen-
terait, si cette conjecture était admise , un fait contraire à l'usage du
dialecte, lequel remplace, ainsi que nous l'avons vu plus haut, ce
génitif par un adjectif patronymique. Il faudrait donc peut-être lire
ainsi ce monument :
ÂTrXouvt Tep7retTà[ou]
èLl(7/^vViç 2aTup[e]t[a] ,
A Apollon de Tempe, JEschylis, fille de Satyre,
a consacré celte offrande en reconnaissance de son affranchissement.
Si ces inscriptions ne nous étaient adressées par un savant aussi
habile que M. Le Bas dans l'art de déchiffrer et d'interpréter les textes
épigraphiques , nous proposerions de lire, au n° 2, APPAAEIOS,
au lieu de APFAAEIOS- Harpalus était un nom fort commun chez les
Macédoniens; il fut porté, entre autres, par cet officier d'Alexandre,
qui s'enfuit à Athènes avec une partie des trésors dont le conquérant
lui avait confié la garde, et par le chef de l'ambassade envoyée à
Rome par Persée, en 172 avant Jésus-Christ (l). Le nom à^Argalus,
au contraire, n'est connu que par un passage de Pausanias, qui le
donne à l'un des fils d'Amyclas, fondateur de la ville de Sparte (2).
On avait douté qu'ApyaXoç fut la véritable leçon de ce passage (3) ;
notre inscription sera une forte présomption en faveur de son
exactitude.
L'épitaphe n° 3 présente, dans un nom nouveau, Aoroxparyjç ,
un terme de comparaison au moyen duquel on pourra peut-être
(1) Foyez Tit. Liv. XLII, 14.
(2) Pausan. III, l,n° 3.
3) Clavier, Hist. des temps primitifs de la Grèce, 1. 1 , p. 120 , 2« éd.
LETTRE DE M. PH. LE BAS, DE l'INSTITUT. 319
restituer le fragment suivant, trouvé dans la Phthiotide et inséré
dans le Corpus, sous le n° 1768 :
2T0KPATEIA
TTAPAIEIA
EMIAIAOXE
""AIEYEM
Les formules ©eolç XBovIolç et Seoïç K<xt a)(QovLOLç n'avaient été
lues jusqu'ici que sur des tombeaux de l'époque romaine (1), et l'on
en avait conclu que c'étaient de simples traductions de la formule la-
tine Dis manibus; nos épitaphes 1 et 2, dont la date est de plus d'un
siècle antérieure à cette époque (2), pourraient leur faire attribuer
une autre origine. Ajoutons que ces deux épitaphes sont, avec celle
qui a été publiée par M. Leake sous le n'' 150, les seules encore
oii l'on ait vu le défunt placé sous la protection spéciale d'Hermès; et
qu'outre ce fait , déjà curieux , elles nous apprennent que ce dieu ,
auquel les Athéniens offraient chaque année, dans une espèce de
fête des morts, des sacrifices solennels, en l'invoquant comme dieu
souterrain [^) y était aussi, au même titre, l'objet d'un culte parti-
culier dans la Thessalie.
Léon Renier.
(1) Franz, Elementa Epigraphices grœcœ , p. 340.
(2) M. Le Bas nous dit qu'elles sont formées de lettres du 111^ siècle avant l'ère
chrétienne; on pourrait encore démontrer leur haute antiquité par leur dialecte
(toutes les inscriptions thessaliennes de l'époque romaine étant en dialecte com-
mun), et par cette circonstance que le nom du mort y est mentionné simplement
au nominatif. Foy. Franz, Ouvr. cilé , p. 339.
(3) Foy. M. Guigniaut, Religions de l'antiquité, t. II , 1-^' part., p. 327 et suiv.
TOMBEAUX DU MOYEN AGE
A RUTAYAH ET A NYMPHI (asie mineure.
Ce qui a surtout contribué à la conservation des monuments an-
tiques, en Europe comme en Asie, c'est l'heureuse application
qu'ont pu en faire les peuples modernes à des destinations et à des
usages utiles. La plupart des temples qui sont parvenus jusqu'à
nous ont été convertis en églises dès les premiers temps du chris-
tianisme. Il est probable que depuis longtemps nous ne pourrions
plus admirer le Panthéon d' Agrippa , si un pape n'eût conçu la
pensée d'en faire un Panthéon chrétien, consacré à tous les martyrs
de la foi. La pieuse consécration des tombeaux , les malédictions et
les amendes dont étaient menacés ceux qui vendaient, qui dimi-
nuaient ou qui voulaient dépouiller les sépultures, n'ont pas em-
pêché des mains sacrilèges de s'enrichir des trésors que contenaient
les tombeaux célèbres.
Le tombeau de Cyrus ne fut pas à l'abri d'un pareil affront, et les
seules sépultures que nous trouvions aujourd'hui intactes, et qui
offrent une riche et rare proie aux antiquaires de nos jours sont celles
qui, cachées dans des cryptes presque inconnues, ont échappé jus-
qu'à présent aux investigations des curieux de tout genre.
Après avoir enlevé les matières précieuses que contenaient les
tombeaux , on en est venu à convoiter les monuments eux-mêmes :
les nombreuses chambres sépulcrales taillées dans le flanc des montagnes
ont été converties en maisons d'habitation, et les sarcophages de marbre
qui paraient les abords des grandes routes ont servi comme bassins
pour les fontaines. C'est grâce à cette destination que la plupart des
sarcophages antiques qui sont disséminés dans toutes les anciennes
villes de l'Asie mineure, sont parvenus jusqu'à nous. Mais l'horreur
que professent les Musulmans orthodoxes (1) pour toute représentation
de figure humaine, a été cause de nombreuses mutilations, qui n'ont
été du reste que la suite des outrages que les iconoclastes avaient
fait subir à toutes ces œuvres de la sculpture. Aussi est-il extrême-
Ci) Les Schytes admettent la peinture et la sculpture des figures d'hommes et
d'animaux.
TOMBEAUX DU MOYEN AGU. 321
ment rare de rencontrer un sarcophage antique contenant des figures
intactes. On peut à peine en citer trois ou quatre dans toute l'Asie
nuineure ;et, par une singularité remarquable, l'un de ces monuments ,
qui représente des faits de l'Iliade, a été conservé par les princes
Seldjoukides d'Iconium, qui l'ont fait encastrer dans l'une des tours de
la ville.
Il n'est pas très-facile de déterminer à la seule inspection , en quel
lieu étaient placés les sarcophages antiques, qui sont aujourd'hui
exposés aux regards. L'usage chez les anciens était de les élever sur
les grandes routes ou dans des champs de sépulture, comme à Arles
en France, è Antiphellus en Asie. Le caractère des Nécropoles n'était
pas le même dans toutes les villes ; quelquefois les sarcophages étaient
déposés dans des chambres creusées dans le roc, ou dans des aedicules
richement ornés ; quelquefois dans des caveaux souterrains, avec une
faible indication au dehors, souvent une simple pierre.
Les chrétiens ont admis les sépultures aux environs des temples , et
même dans les églises ; aussi les sarcophages de l'époque byzantine
sont-ils les plus nombreux. La proximité des temps n'est pas la seule
cause; mais l'Eglise d'Asie, surtout depuis les ravages des iconoclastes,
n'a jamais admis les sculptures des figures humaines comme ornement
sur les monuments religieux. Les sarcophages de cette époque ont
donc offert au fanatisme turc une cause de moins de destruction.
Le premier sarcophage que nous avons publié dans la 3^ livraison,
existe dans le. château de la ville de Kutayah, ancien Cotyaeum, ville
qui fut toujours assez bien peuplée, et qui offre par conséquent un
très-petit nombre de monuments antiques. Le château , ouvrage
des empereurs Byzantins, est aujourd'hui abandonné, on y re-
marque une église assez bien conservée, avec des traces de peintures.
Ce sarcophage est de marbre blanc ; sa face antérieure est divisée en
quatre parties par des arcs et des pilastres ornés d'un treillis réticulé.
Les deux arcs extrêmes ont leur partie centrale ornée d'une croix
grecque, entourée d'une rosace formée par huit cercles qui se coupent.
Un des arcs du centre présente un bas-relief a un travail assez médiocre,
mais dont le sujet se perpétue, pour ainsi dire, sans lacune, depuis les
temps les plus reculés. Un lion monstrueux dévore un daim ou une
gazelle. Les plus anciennes représentations de ce type, purement
asiatique, se rencontrent sur les cylindres babyloniens, sur les monu-
ments de Persépolis, sur les tombeaux de la Lycie. Plusieurs monu-
ments grecs, phrygiens et romains nous en offrent la répétition, sans
autre variante que la nature de l'animal dévoré par le lion, mais qui
322 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
est toujours un herbivore, — un taureau, une antilope, un daim, et
même un lièvre. Les chrétiens ont adopté ce type, comme le prouve
notre monument. On en voit également plusieurs représentations à
Athènes, sur l'église Catholicon, et sur la grande porte de l'Acropolis.
Il serait d'ailleurs impossible d enumérer toutes ces répétitions de ce
sujet qui sont connues en Europe.
Il est probable que le principe de cette représentation a été d'a-
bord un emblème tout astronomique, qui a changé de signification
par la suite des temps, jusqu'à représenter aux yeux des peuples la
lutte entre le bon et le mauvais principe. Ce sujet a d'ailleurs été
traité plusieurs fois par M. Lajard. Cette nouvelle représentation
de ce symbole sur un tombeau chrétien est une preuve de plus en
faveur de l'opinion du savant académicien.
Il est rare de trouver sur les monuments des dates aussi précises
que celle que l'on peut lire sur celui-ci. L'orthographe de l'inscrip-
tion , horriblement défectueuse, est cependant d'accord avec la pro-
nonciation de la langue grecque telle qu'elle est parlée en Grèce. Ceci
doit être aujourd'hui une question jugée; il serait à désirer que les
savants qui sont à la tête de l'instruction publique prissent en consi-
dération les travaux qui ont été faits dans les quinze dernières années,
et pensassent à faire enseigner le grec dans les collèges, avec la pro-
nonciation hellénique.
L'inscription du tombeau doit être expliquée ainsi :
EzotjtJtv^Ôyj 0 dovloç zov Qsov, rpyjyopaç, IIpoTOffTraGaptoç xai Srpa-
TYiyoç Adiavbç Mrjvt AvyovGTCù sic ttjv TpiaKOdrriv Trpcoryjv (v^piepav)
iv^Ly.Tiovoç àevATYic , ev tw èrsi ÇCOO ( eii^ikidàeç izevziXMtJLOc
eèùoixmovTûc evvea.) (1)
Littéralement :
c( S'est endormi le serviteur de Dieu , Grégoire , Protospatare ( im-
(cpérial) et général d'Asie, le 31 août delà dixième indiction,
« l'an 6579. ))
Cette année correspond à l'année commune 1071, c'est-à-dire à
l'époque de l'arrivée des Seldjoukides en Asie mineure.
Il faut remarquer l'orthographe : EKYMIOI pour EKOIMHOH ;
l'un et l'autre mot se prononcent d'une même manière.
KC pour KAI ; la prononciation cài est encore plus barbare que
l'orthographe de l'inscription.
(1) Voyez la planche dans le numéro du 15 juin 1844.
TOMBEAUX DU MOYEN AGE. 323
HCTIN pour £12 THN [sous-entendu HMEPAN] , AA, (M) ; £71
pour ETEI. On s'apercevra sans peipe qu'il y a eu dans le calque
transposition du signe Ç.
L'aigle sculpté sur l'autre compartiment indique que le défunt
occupait une haute charge à la cour des empereurs. En effet, le
Protospatare, porte-épée , était une des grandes fonctions à la
cour de Byzance.
L'aigle des Paléologues se retrouve encore sur plusieurs monu-
ments à Constantinople, et notamment sur la porte du bazar appelé
le Bezestein,
TOMBEAU A IVYMPHI^ L* ANCIEN NYHPHJEUM.
La tradition répandue parmi les Turcs de l'Asie mineure, qui
attribue à des peuples francs tous les châteaux et forteresses que
l'on aperçoit sur les côtes, et même fort avant dans les terres, n'est
pas toujours complètement dénuée de fondement. Les Génois , les
Vénitiens, les chevaliers de Rhodes ont possédé et fortifié un grand
nombre de ports ; les cours des rivières ont été interceptés par des
tours et des échauguettes qui arrêtaient les caravanes. Les ports de
Boudroum, de Jassus, de Castello-Rizo, offrent encore des traces
nombreuses de ces constructions qui sont généralement illustrées par
des écussons et des inscriptions, dans lesquels un amateur des an-
tiquités du moyen âge ferait un ample butin.
La ville de Nymphi , quoique assez avancée dans l'intérieur des
terres, devint l'apanage d'un prince latin à l'époque oii les Latins,
maîtres de Constantinople, de Nicomédie, de Chalcédoine, dominaient,
pour ainsi dire, sur toute la partie occidentale de l'Asie mineure. On
voit encore à l'entrée du village un immense château de forme carrée,
sans tours, ressemblant plutôt à un palais qu'à une forteresse. Les
Turcs l'appellent le Château des Génois; ces ruines imposantes sont
situées sur la route de Smyrne ; la façade, sans ornements, est percée
de grandes fenêtres qui étaient peut-être couronnées par un linteau
en bois, car elles sont toutes ruinées dans la partie supérieure
L'appareil de la construction est formé de trois assises de briques et
d'une assise de moellon, de sorte que de loin on croit voir un édifice
romain. Mais la nature des briques, la composition du mortier et
les dispositions du plan suffisent pour faire reconnaître à quelle
période cet édifice appartient.
a9l4 RBVUB ARCHSOLOGIQUB.
Le village de Nyrophi, qui était déjà célèbre à Smyrne par sa
position pittoresque et par ses. riches vallées plantées de cerisiers,
est devenu un lieu de pèlerinage obligé pour les antiquaires et les
touristes, depuis que nous avons fait connaître au monde savant
l'existence d'un bas-relief taillé dans le roc, dans une vallée située
à une lieue du village, et que les antiquaires ont été d'accord pour
regarder comme le portrait de Sésostris, sculpté par ordre de ce
prince, et qui est mentionné par Hérodote comme se trouvant sur
la route de Sardes à Éphèse.
Pendant qu'assemblés sur la place du village nous prenions les
renseignements nécessaires pour aller observer ce monument qui
était inconnu de la plupart des habitants, je remarquai le sarco-
phage qui se trouve encastré dans la fontaine voisine de la maison
de l'aga. Les fleurs de lis répandues parmi les ornements, les ani-
maux plus ou moins barbares sculptés dans divers compartiments
m'ont fait distinguer ce tombeau parmi le grand nombre de mo-
numents de même espèce que l'on rencontre sur les routes, et qui
sont pour la plupart d'un style moins barbare que celui-ci, mais en
môme temps moins curieux.
Je regrettai que l'inscription tracée dans le bandeau ne m'apprît
pas le nom du défunt, et ne pût me permettre de déterminer posi-
tivement l'époque à laquelle il faut attribuer cet ouvrage. J'estime
qu'il a été exécuté dans la seconde moitié du douzième siècle.
L'inscription paraît avoir été tirée de quelque poëme religieux de
l'époque ; elle se compose de deux vers dont le sens est assez obscur,
quoique les hellénistes les trouvent d'une assez bonne facture.
NYN K02M02 HAY2 2XHMA 201 OEION MEfA
NYN OYN BAAIZE nP02 0£0N 2TEcDH0OPO2 (1).
Nuy o\JV ^aâdî^^s. T^poç ôgov (TTS^vî^opoç,
(( Maintenant un ornement délicieux te donne une attitude ( une
« forme divine); va donc maintenant à Dieu, portant la couronne. »
Ceci est tellement mystique qu'on ne saurait comprendre quel est
le genre d'ornement dont il est question. Était-ce en réalité un
riche vêtement dont on avait décoré le corps selon l'usage des By-
zantins? Les sculptures ne permettent pas de décider si le défunt
était clerc ou soldat, homme ou femme.
(1) Voyez la planche dans le numéro du 15 juillet 1844.
TOMBEAUX DU MOYEN AGE. 325
Le corapartiment à gauche contient deux chats (?) assis qui se don-
nent la patte, deux fleurs de lis , et deux oiseaux qui ressemblent
à des pigeons. La disposition des figures me porte à croire que le
sculpteur a voulu avant tout chercher un dessin symétrique. La ro-
sace du milieu qui surmonte un gritYon passant, est ornée de quatre
fleurs de lis. On retrouve encore un de ces signes héraldiques près
d'une autre figure de chat dans le compartiment à droite. Deux paons
qui se becquètent remplissent le vide inférieur.
J'avoue que si ces figures oflVent quelque sens allégorique, je ne
Tai nullement saisi, mais j'ai pensé que ce monument devait être
conservé tant à cause de l'inscription qu'à cause du caractère bizarre
des ornements qui le décorent.
Ch. Texier, Correspondant de l Institut.
1. 22
LETTRE A M. RAOUL ROGHETTE
SUR UN VASE PEINT DE LA COLLECTION DU CARD. LAMBRUSCHINI.
« Pour remplir ma promesse de vous informer de ce qui se découvre
ici d'intéressant, j'espère qu'il ne vous sera pas désagréable d'avoir la
description d'un vase de la collection de M. le cardinal Lambruschini,
secrétaire d'État, qui joint à toutes ses belles connaissances un goût
éclairé pour l'antiquité. Le vase dont il s'agit est une amphore d'ex-
cellent dessin qui tient beaucoup de celui des vases de Ruvo , outre
quelle est très-remarquable par son sujet et par sa provenance; elle
fut déterrée dans les fouilles des tombeaux antiques de Poggio-
Sommavilla, en Sabine^ ce qui donnerait lieu de croire que les
Étrusques auraient introduit dans la Sabine, non-seulement leur
manière d'ensevelir les morts, mais encore leurs arts du dessin et les
agréments de leur manière de vivre. Quant au trait d'histoire repré-
senté sur ce vase, il n'a encore paru sur aucun monument de ce
genre. On y voit un homme jeune, armé du casque et de l'épée qu'il
tient nue de la main droite, tandis que de la main gauche il tient
serré sur sa poitrine le simulacre de Pallas; et ainsi , tournant légè-
rement la tête pour regarder en arrière, il marche d'un pas leste et
rapide. Il est suivi d'un quadrige traîné par quatre rapides coursiers
excités dans leur course et guidés par une femme qui est assise sur le
char, auprès d'un jeune homme vêtu à la phrygienne, la tête ceinte
d'une bandelette et couronnée de lauriers. Il ne paraît pas douteux que
dans la figure qui tient le Palladium on ne doive reconnaître le trait
de l'enlèvement de cette statue ; mais comme ce ne fut pas une seule
fois, mais bien plusieurs, que cet événement eut lieu, soit par le fait
de Diomède et d'Ulysse, soit par celui de Démophon et à'Ergiœus,
il ne semblera pas hors de propos d'examiner auquel de ces enlève-
ments peut se rapporter cette peinture.
c( Pour commencer par le trait de Démophon , c'est à Agamemnon
qu'il enleva le Palladium, si nous nous en tenons à la narration
d'Eustathe, de Suidas, d'Harpocration et à celle du Grand Étymo-
logique. Or, l'air du personnage qui est dans le char, et son vête-
tement qui n'est point grec , ne s'accorderaient pas avec une inter-
prétation puisée dans ce sujet, les traits du chef des Grecs étant bien
LETTRE A M. RAOUL ROCHETTE. 327
connus, sinon dans sa jeunesse, du moins dans son âge mûr, tels
qu'on les voit si bien dans son effigie sculptée sur le cercueil trouvé
il y a peu de temps dans le tombeau près du Camp des prétoriens, hors
de la porte Pia ; et bien que la femme assise à ses côtés pût se prendre
pour Cassandre, qui, selon Euripide, lui échut par le sort lors du
partage des captives troyennes , et que l'épée tenue par le héros pût
faire allusion au carnage que Démophon fit des Argiens, cependant
l'aspect et le costume de celui qui devrait représenter Agamemnon ne
se rapportant pas aux conditions de sa personne, après la prise de
Troie , il semble véritablement qu'on ne puisse trouver là le trait en
question de Démophon ; à quoi l'on pourrait ajouter l'air hautain de
la femme qui, si c'était Cassandre, devrait paraître plutôt affligée,
tant à cause de la mort des siens qu'à raison de sa condition d'esclave.
Si, au sujet de cet enlèvement, on préférait à l'autorité des auteurs
que j'ai cités celle de Pausanias, qui dit que Démophon enleva le
Palladium à Diomède, et non pas à Agamemnon, l'explication n'en
deviendrait pas plus aisée; car le héros assis sur le quadrige, tel qu'il
est représenté, non-seulement n'a point l'aspect de Diomède, mais
n'a même pas le genre de vêtements employé par les anciens pour
indiquer les personnages de V Iliade. Quant à l'entreprise d'Ergiaeus,
le peu qu'en rapporte Plutarque, dans ses Questions grecques, ne
suffit pas pour nous donner l'explication de notre peinture; de sorte
que le meilleur parti à prendre est d'y reconnaître le rapt du Palla-
dium, exécuté à Troie par Ulysse et Diomède. Sur la table iliaque, ils
sont tous deux sculptés, avec leurs noms, sur le point de sortir
victorieux de leur entreprise; mais c'est Diomède qui tient le Palla-
dium, et Ulysse le suit de près, comme le remarque aussi Fabretti.
Euripide était de l'opituon que ce fut Diomède seul qui enleva la
statue; ce à quoi semble se rapporter la peinture d'Athènes décrite
par Pausanias, où était retracé l'enlèvement dont nous parlons; et
Conon avait suivi la même tradition. D'un autre côté, Virgile et
Suidas rapportent les noms de ces deux guerriers comme ayant con-
couru ensemble à cette périlleuse entreprise; ce qui se trouve aussi
dans Pline et dans Ovide, toutefois avec la mention d'Ulysse en
première ligne, et de Diomède en second rang. Mais il est vrai qu'en
parlant comme il faisait du roi d'Ithaque, il entrait dans la pensée
d'Ovide d'accumuler sur lui tous les éloges; ce qui se remarque aussi
dans les récits de Libanius et de Sabinus, qui attribuent à Ulysse et
non à Diomède la principale part dans cette glorieuse entreprise.
D'après tout ce qui vient d'être observé , il semble que le héros de
328 REVUK ARCHÉOLOGIQUE.
notre peinture doive représenter Diomède armé d'une épée nue qu'il
élève en l'air avec un geste menaçant, encore ému du combat qu'il
vient de livrer aux gardes de la citadelle de Troie, et hâtant son
retour vers le camp des Grecs. II est représenté entièrement nu, avec
le casque sur la tête, de la même manière qu'on le voit sur le camée
publié dans l'ouvrage de Fabretti. Il semble, en effet, que cette
figure doive se rapporter plutôt à Diomède qu'à Ulysse, parce que
ce dernier était souvent représenté barbu, comme on le voit sur
beaucoup de vases étrusques, et en particulier sur le miroir oii il est
figuré au moment oii il vient consulter Tirésias. Nul doute ne peut
s'élever quant à la statue de Pallas, vu la description qu'en fournissent
le scholiaste de Lycophron, Apollodore et Eustathe; et, quoique
Strabon suppose qu elle était assise, son témoignage n'est pas si sûr
qu'il ne soit infirmé par d'autres, et spécialement par les monuments,
parmi lesquels celui-là même dont nous nous occupons mérite un
rang distingué, ainsi que le préféricule de Ménélas et Hélène, dans
le Museo Gregoriano. En admettant donc qu'on dut reconnaître ici
l'enlèvement du Palladium , il ne saurait être douteux que le char et
les figures qui y sont assises n'aient quelque rapport avec cette his-
toire. Il a été démontré que ni Agamemnon ni Ergiaeus ne pouvaient
être retrouvés sous ces traits; et il ne serait pas probable que le
peintre y eût représenté Anténor et Theano s'enfuyant de la citadelle,
après leur trahison opérée en faveur des Grecs , ainsi que le raconte
Suidas. Mais l'enlèvement de la fatale statue se joignait à d'autres
circonstances , et en particulier à la violence exercée sur le divin
Hélénus pour le forcer à révéler les destins secrets de sa patrie et la
manière dont il était arrêté par le sort qu'elle succomberait aux
attaques de ses ennemis. Ulysse se chargea de cette entreprise , en
promettant d'amener Hélénus aux Grecs. Il y a néanmoins une autre
tradition, suivie par Conon , d'après laquelle Hélénus , mécontent de
ce que Déiphobe , son frère , avait reçu pour épouse Hélène après la
mort de Paris , se retira sur le mont Ida , d'oii , par suite de la haine
qu'il avait conçue contre les siens , il se rendit auprès des Grecs et
leur dévoila les arrêts du Destin. En suivant donc le récit de Conon,
on pourrait voir dans la figure virile assise sur le char Hélénus con-
duit par Junon au camp des Grecs. La femme a les bras nus (ce qui
peut faire allusion à l'épithète de hw^levoç que lui donne Homère)
et ornés de bracelets , et elle semble guider la course des chevaux
et les pousser vers le but ; ce qui indique à la fois la reine des dieux
et l'implacable ennemie des Troyens , la déesse qui leur enlève leur
I
i
LETTRE A M. RAOUL ROCHETTE. 329
dernière ressource en dévoilant les secrets du Destin. Rien de plus
convenable que de la représenter emmenant avec elle sur son char
Hélénus, comme pour indiquer que c'est elle qui lui a inspiré la
volonté de trahir sa patrie : l'auteur de cette peinture ne pouvait
mieux représenter la démarche d'Hélénus entraîné par Junon. Il
existe d'ailleurs beaucoup de vases peints oii sont représentés des
dieux et des déesses montés sur des quadriges ; et il est conforme
aux récits d'Homère de voir l'image d'une déesse marchant de cette
manière au secours des Grecs.
(( Si l'on préférait, au contraire , la tradition suivant laquelle c'était
Ulysse qui avait amené Hélénus dans le camp des Grecs, tradition
d'accord avec celle de quelques auteurs précédemment cités qui attri-
buaient à Ulysse la gloire d'avoir enlevé le Palladium , on trouverait
précisément tracées dans cette peinture deux des principales actions
de ce héros résumées dans ces vers des Métamorphoses d'Ovide (1) :
Quam sum Dardanio , quem cepi , vale potitus,
Quam responsa deûra trojanaque fata retexi ,
Quam rapui Phrygiae signuni penetrale Minervœ
Hostibus è mediis.
« Et comme , selon Pindare , Ulysse était souvent protégé par
Junon, celle-ci peut intervenir aussi dans cette entreprise, et c'est
une manière d'indiquer le succès qui doit la couronner, que de faire
conduire le char par la déesse elle-même. Or, les signes extérieurs
de celui qui enlève le Palladium se rapportant aussi bien à Ulysse
qu'à Diomède, la peinture peut être aussi bien interprétée par Ulysse
qui dérobe le Palladium et force Hélénus à le suivre. On doit aussi
remarquer que le sol que parcourent les coursiers est indiqué comme
une montagne, afin d'exprimer ainsi le lieu quitté par Hélénus,
lequel était l'Ida. Le costume même du jeune homme convient par-
faitement à celui des tils de Priam qui avait la faculté de révéler
l'avenir; car il porte les anaxyrides avec une tunique courte, par-
dessus laquelle est jeté un manteau brodé à la phrygienne. Il est
couronné de lauriers, ce qui est le signe d'un prêtre et d'un devin; et
sa tête est ceinte d'une bandelette qui lui voltige en arrière sur les
épaules comme marque de sa dignité sacerdotale ; à l'appui de quoi
je me conterUerai de rappeler le vers de Sapho cité par Athénée sur
les couronnes des prêtres, et le vase de la collection du vicomte
Beugnot, où se voit Hercule prêt a sacrifier, avec la tête ceinte d'une
(1) Liv. XIII , V. 335-338.
330 REVUE ABCHÉOLOGÏQUE.
couronne de lauriers. Les formes jeunes et gracieuses indiquent un
fils de Priam; car il devait être tel avant la prise de Troie; l'arran-
gement des cheveux, le costume riche et difl'érent du vêtement hel-
lénique le désignent comme Troyen , en même temps que tout le luxe
déployé sur sa personne indique bien sa royale origine. Reste à
expliquer le motif de la massue qu'il tient. Comme c'était une arme
de guerre, on pourrait supposer que par là l'artiste a voulu aussi
faire allusion à sa qualité de guerrier; car il est représenté sur la
tahle iliaque, une fois combattant, et une autre fois sans armes et
assis parmi, les prisonniers; sans compter qu'il est nommé par Ho-
mère, au 1 3*= chant , parmi ceux qui combattent contre Ménélas. La
massue pourrait encore être regardée comme un symbole asiatique ,
attendu qu'on la voit empreinte sur les monnaies d'Archelaiis et de
Mithridate; ou bien encore ce pourrait être un moyen d'indiquer que
Priam, père d'Hélénus, aurait reçu d'Hercule le royaume de Troie;
mais je n'insiste pas sur cette conjecture. Cette amphore fut trouvée,
il y a quelques années , au lieu que j'ai indiqué. Elle est de couleur
rouge sur fond noir. La peinture du côté opposé est peu importante;
on y voit un satyre faisant le mouvement d'exécuter un saut devant
une jeune fille enveloppée d'un manteau. »
L. Grifi.
OBÉLISQUE D'AXOUM (!)•
( Extrait du Bulletin de la Société de Géographie, )
Plusieurs voyageurs ont visité et décrit les ruines d'Axoum. Tous
ont admiré l'obélisque qu'on voit encore debout sur une grande place
au nord de la ville , ainsi que l'arbre colossal qui l'ombrage de ses
immenses branches.
Il est d'un bloc de syénite gris et il est probable qu'il a été taillé dans
la montagne voisine qui est formée de la même roche. Les Abyssins
qui n'ont pas la moindre idée des sciences ni des arts ne conçoivent
pas comment on a pu élever une si grande pierre et ils sont tous con-
vaincus qu'on n'a pu y parvenir qu'à l'aide des esprits malins. Ils
pensent aussi qu'elle a été érigée par les méchants qui espéraient ainsi
arriver au séjour des bienheureux.
Bruce et Sait ont dessiné cet obélisque, le plus bel ornement de la
ville d'Axoum. Mais, en examinante dessin que chacun d'eux en a
donné, il est impossible de croire qu'ils ont voulu représenter le
même objet. Bruce s'écarte tant de la vérité qu'il nous est permis de
supposer qu'il l'a dessiné pour la première fois en Angleterre, se rap-
pelant alors seulement ce magnifique monument, mais ayant oublié
complètement et ses formes et ses contours. Sait, quoique moins
inexact que son devancier, a commis cependant quelques erreurs
qu'il importe de faire connaître et de rectifier.
La patère qui couronne l'obélisque est représentée par lui comme
terminée en pointe et formée par deux arcs de cercle qui se coupent;
mais nous pouvons assurer qu'elle est entièrement arrondie et que
son contour forme exactement un demi-cercle. Sait dessine des orne-
ments sur toutes les faces et cependant il n'en existe que sur celle
qui est tournée vers le sud. Cette dernière face, la seule qui porte des
sculptures, a été creusée au milieu et on y a pratiqué, de haut en
bas, une espèce de rainure urt peu plus large que le tiers de la largeur
totale de l'obélisque. C'est dans cette partie seulement qu'ont été
taillés les ornements en relief dont il est question. Poucet qui a visité
l'Abyssinie avant Bruce et Sait est complètement dans l'erreur quand
il dit que cet obélisque est chargé d'hiéroglyphes.
Ferket et Galinier.
(1) Voir la Pianc^e de la deuxième livraison, 15 mai 1844.
MANCHE DE SCEAU DIVOIRE
Millin s'était procuré pendant son voyage en Italie le dessin
d'un monument d'ivoire appartenant à la collection célèbre du comte
Gherardesca : ce dessin n'a jamais été publié et nous le donnons dans
ce recueil, parce qu'il se rapporte au travail de notre collaborateur,
M. Maury (1 ); c'est le manche d'un sceau qui paraît avoir été sculpté
au xiii^ siècle dans l'Italie septentrionale. Il représente d'un côté
saint Michel assis, tenant, de la main droite, une épée ; de la gauche,
une balance. L'archange est ici revêtu complètement du caractère de
la Justice, car il tient d'une main la balance qui lui sert à peser les
actions des hommes, de l'autre, le glaive qui devra châtier ceux que
la souveraine et éternelle équité aura reconnus coupables. Au revers
de saint Michel on a figuré un évêque debout, appuyé sur sa crosse,
et levant la main droite, en faisant le geste de la bénédiction. Nous
ne saurions dire si cet évêque est saint Ambroise ou tout autre saint
évêque d'Italie; pour déterminer l'identité de ce personnage, il
faudrait, avant tout, savoir dans quelle ville le manche de sceau a été
sculpté. Mais là n'est pas la question , et nous croyons que l'on peut
trouver la symbolique de ce monument, indépendamment de toute
notion de sa provenance. La bénédiction épiscopale est essentielle-
ment un symbole de paix ; et, de fait, en imposant les mains, un évêque
dit aux chrétiens : Pax tecum. Sur la monnaie des évêques du moyen
âge le mot pax et la main bénissante sont des équivalents. Je crois
donc qu'en donnant au saint évêque l'attitude de la bénédiction, on a
eu pour but d'exprimer la Paix , au point de vue chrétien et que la
réunion de cette justice et de cette paix fait allusion au onzième ver-
set du psaume 84 ; Misericordia et çeritas ohviaçerunt sihi; justicia
et PAX oscalatœ sunt. Cette idée convient parfaitement à l'instrument
qui doit servir à authentiquer des transactions où la justice doit régner,
et qui sont destinées à prévenir la discorde. On pourra objecter que
deux figures adossées répondent mal à l'expression osculatœ ; mais
l'essentiel est que l'assemblage soit évident ; et ici l'idée de réunion
est parfaitement rendue.
A. L.
(1) Voyez plus haat , p. 237, ce que cet archéologue a dit au sujet de saint Michel
considéré comme grand Ponderator.
QUELQUES OBSERVATIONS
SUR
LE MUSÉE DES AIVTIQUES DU LOUVRE,
Une lettre écrite d'Athènes, en date du 21 juin dernier, et adressée
au directeur de la Reme de Paris, vient d'appeler l'attention des
amis des arts sur l'état actuel du Musée du Louvre. L'auteur ano-
nyme de cette lettre a été tellement frappé de l'incurie apportée par
les conservateurs du Musée, à la garde de cette précieuse collection,
qu'il s'applaudit de savoir que les nouveaux objets envoyés par
M. Prisse ne vont plus grossir le nombre de ceux qui sont entassés
dans les rez-de-chaussée du Louvre, et que les curieux bas-reliefs
de la Chambre de Mœris sont destinés à la Bibliothèque royale.
Quant à nous, nous avons été d'autant moins surpris d'apprendre
que l'insouciance coupable des directeurs des Musées royaux était
chose connue jusqu'à Athènes, que nous avions pour notre part
fait depuis longtemps de tristes réflexions à cet égard ; toutefois nous
espérions toujours qu'une disposition de l'intendant général de la
liste civile viendrait remédier à cet abus, et nous attendions impa-
tiemment le moment oii tant de monuments intéressants seraient
livrés aux regards et aux études du public. Mais puisque tout donne
à penser que d'ici à longlemps ce système de vandalisme continuera
à être suivi, puisque nous voyons le Musée apprendre avec in-
différence que M. Prisse envoie à la Bibliothèque royale des mo-
numents dont la place était marquée d'avance au Louvre, nous ne
pouvons plus garder le silence, et nous viendrons joindre notre voix
à celle inconnue, mais pleine de bon sens et parfaitement éclairée,
qui est partie d'Athènes.
Lorsque nous commençâmes à explorer le Musée du Louvre,
nous fûmes frappés de voir combien il s'était peu enrichi depuis une
douzaine d'années. Cette observation nous était d'autant plus pé-
nible que nous savions combien, au contraire, depuis ce même laps
de temps, les Musées de Londres, de Berlin , de Munich, de Turin,
s'étaient agrandis. En 1831, Paris pouvait se placer avec avantage
parmi les villes les mieux dotées sous le rapport archéologique, et de-
puis nous remarquions avec peine qu'il tendait à déchoir notablement
du rang qu'il occupait. Et cependant nous ne pouvions nous ex-
pliquer cet état stationnaire; car si, d'une part, nous savions que
334 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
le Musée avait peu acquis dans ces dernières années, nous savions,
d'un autre côté, que des voyageurs courageux , des annateurs zélés
et amis de la France, avaient enrichi gratuitement ce même Musée
du fruit de leurs explorations. Quelle ne fut pas notre surprise,
quand nous apprîmes que d'innombrables débris antiques, et no-
tamment plusieurs de ceux que nous savions être arrivés au Louvre
par une voie toute libérale, étaient entassés pêle-mêle, sans pré-
caution , dans le rez-de-chaussée I Nous pensâmes alors que le dé-
faut de place contraignait les directeurs du Musée de tenir ces pré-
cieux monuments loin des yeux des visiteurs, et nous ne doutâmes
^lus qu'on ne s'empressât de leur trouver un local et un emplace-
ment. Illusion dont nous fûmes cruellement désabusé , lorsqu'étant
parvenu à pénétrer dans le rez-de-chaussée, nous reconnûmes que
les salles où tout était entassé fournissaient en grande partie le local
demandé ; qu'il n'y avait qu'à apporter un peu d'ordre et de régu-
larité dans la disposition des monuments; qu'à effectuer quelques
transports pour avoir quatre nouvelles salles, et de la plus belle gran-
deur, digne complément de notre Musée. Alors, nous l'avouons, la
conduite de la liste civile nous a paru inexplicable ; nous nous sommes
demandé si , en présence d'un tel état de choses, le titre de conser-
vateurs, donné à ceux qui sont placés à la tête de ces établissements,
n'était pas la plus amère plaisanterie qu'on pût leur adresser. Nous
nous demandâmes surtout si la France pouvait consentir à ce qu'on
traitât ainsi, sans plus de réçérence que ne le ferait un maçons ce
qu'elle avait fait venir à grands frais ; ce qui était le résultat de
voyages et d'explorations qui avaient figuré lourdement au budget,
et si les représentants de la nation ne se croiraient pas fondés à
refuser les allocations demandées pour de pareilles dépenses, quand
ils sauraient que tel est l'emploi fait des antiquités auxquelles elles
sont consacrées.
Il faut avoir vu les salles basses du Louvre où sont déposés en tas
comme des décombres tous les monuments qui nous occupent, pour
se faire une idée de ce désordre si funeste à la conservation de ces
monuments eux-mêmes, puisque l'on est obligé de marcher sur plu-
sieurs d'entre eux, pour pouvoir extraire de ces salles, des statues mo-
dernes qui y sont parfois momentanément déposées. Et quand on
pense que ce qui est abandonné comme un tas de pierres se compose
de la plus admirable collection de sarcophages, de stèles, d'inscriptions
de frise, de statuettes et de statues colossales, tout cela venu d'Egypte
et au milieu desquels figurent plusieurs morceaux de premier ordre,
MUSÉE DES ANTIQUES DU LOUVRE. 336
on ne peut pas se défendre d'un peu d'humeur pour ne pas dire davan-
tage, si l'on est Français et si on aime les arts. C'est dans ces salles
que se trouvent les bas- reliefs d'Assos si intéressants pour l'histoire de
la sculpture, posés à terre sans plus de cérémonie que des moellons;
c'est là que sont placés les superbes fragments venant d'Olympie et la
belle statue du pédagogue des Niobides qui ferait envie à Florence, et
qu'à coup sûr elle ne mettrait pas à la cave. C'est là enfin que se
pressent plusieurs des morceaux de première rareté, énumérés par
l'auteur de la lettre d'Athènes : le grand sarcophages de Rhamsès IV,
en granité rouge, la slatue colossale de Rhamsès III, en brèche memno-
nienne, celle d'Aménophis III, en granité rouge, celle de Meneph-
thath III, en granité gris , un sphinx colossal de Rhamsès III, en gra-
nité rose, deux chapelles monolithes de Psammétichus II et de Cléo-
pâtre, un autre sarcophage du temps de Psammétichus II, acheté
30,000 francs de M. Drovetti.
Nous pourrions continuer encore longtemps cette énumération;
elle fatiguerait le lecteur; elle noircirait encore davantage les con-
servateurs, assez noirs déjà dans l'esprit des amateurs. Au reste,
cette insouciance, qui paraît porter surtout sur les monuments
égyptiens (bien qu'outre le conservateur des Antiques, ils aient en-
core un sous-conservateur particulier), se révèle déjà dans la partie
du Musée égyptien exposée au public : là, aucun ordre systématique
dans la disposition des objets, aucun catalogue qui en fasse connaître
au visiteur la signification, la rareté, la provenance; rien, en un
mot, qui mette en relief pour l'étranger ce musée, le plus français des
musées antiques, puisque c'est un Français qui l'a formé, qui lui a
donné son importance , qui en a déchiffré les monuments ! Champol-
lion , dont nous devrions retrouver le nom écrit sur la porte ! Cette
même négligence à publier les catalogues de ses richesses archéolo-
giques ne s'est pas arrêtée là chez la liste civile : hormis l'excellent
catalogue de M. de Clarac, aucun autre catalogue n'a été publié, et
celui des vases, si important, si plein d'intérêt, n'est pas encore mis
sous presse, bien qu'on assure qu'il soit fait et n'attende, pour être
livré à l'impression, que le bon plaisir de M. l'intendant général. Ne
nous étonnons pas, du reste, de cette négligence, on devait s'y attendre
de la part d'un Musée qui avait laissé passer à l'étranger l'admirable
collection du chevalier Durand. Ce n'est rien encore, et l'indifférence
pour l'antiquité vient d'être portée si loin, que nous en sommes réduits
à souhaiter qu'au moins tous les monuments que le Louvre possède ,
jouissent d'un abri, fût-ce même pêle-mêle avec des statues modernes
sans destination, et qu'on a achetées à des artistes apparemment
336 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
pour encombrer un peu plus les rez-de-chaussée. Maintenant, à oe qu'il
paraît, c'est la cour, ou plutôt l'enclos placé devant la colonnade, et
dans laquelle reposèrent autrefois les héros de juillet, qui va servir de
succursale aux salles basses ; c'est là qu'à la pluie, au vent, à la neige,
à la poussière, à la fumée des maisons voisines, sous le climat chan-
geant de Paris, on conserve le magnifique sarcophage de Thessalonî-
que, envoyé par M. Gillet, et les bas -reliefs de la frise du temple de
Diane Leucophryne, à Magnésie, apportés par M. Texier. Ce sarco-
phage , un des plus beaux de conservation que nous ait laissés sans
contredit l'art Romain, est placé là provisoirem'ent, ce qui, en style
de liste civile, dans le dictionnaire dont fait usage M. l'architecte du
Louvre, signifie fort longtemps, pour ne pas dire toujours.
Lorsque nous vîmes ce magnifique monument, on était en train de
vider l'eau croupie dont il était rempli ! Il n'y aurait qu'à replacer la
tête des deux personnages dont les statues sont couchées sur ce sarco-
phage, pour que ce monument parût sortir des mains de l'ouvrier. Il
ferait un des ornements de la salle du Tibre ou des Cariatides ou de
toute autre salle , dans laquelle il serait aisé de lui faire une place.
Mais nous avons appris que M. Fontaine attend pour le placer qu'il
ait un pendant, vu qu'il ne veut rien que de symétrique, dût-il pri-
ver le public du plus beau morceau! A l'ignorance et à l'insouciance
qu'il manifeste pour tout ce qui est antiquité, nous croirions volon-
tiers qu'il s'imagine qu'on fabrique à Thessalonique des sarcophages
antiques dans le même goût, et qu'il attend l'envoi de quelque autre,
pour se décider à ne plus laisser celui-ci se déliter et se noircir à l'air;
il se dit sans doute que si ce monument vient à être endommagé, il
en serait quitte pour le faire réparer! Memmius, s'il eût été architecte
du Louvre, n'aurait certainement pas agi autrement.
Ce qui nousirrite et nous afflige tout à la fois, c'est que nous ne
connaissons pas au juste le criminel ou, pour mieux dire, que tout le
monde nous paraît coupable, depuis les ouvriers jusqu'à l'intendant
général. Nous accuserions en première ligne le conservateur des an-
tiques , si l'amour désintéressé qu'il a toujours témoigné pour les
arts, le zèle excessif qu'il apporte dans tout ce qui les concerne, ne
rendait cette accusation évidemment injuste et invraisemblable. Il
faut du moins que les excellentes intentions de ce conservateur,
savant amateur lui-même, soient paralysées par le mauvais vouloir des
uns et l'entêtement des autres. Nous avons ouï dire que le principal
auteur de ce désordre serait l'architecte du Louvre lui-même : soutenu
aussi, il faut croire, dans ses ridicules préventions contre l'antiquité,
par le directeur des musées royaux qui paraît aussi étranger aux arts
MUSÉE DES ANTIQUES DU LOUVRE. 337
que peu soucieux de les encourager. (Il est bien entendu que nous
disons les arts et non les artistes, ce qui est bien à distinguer.) S'il est
vrai que la monomanie et l'obstination d'un vieillard , incapable de
comprendre l'antiquité, soient les causes qui maintiennent cet état de
choses, nous ne pouvons que former des vœux, pour que la personne
auguste et si amie des arts, au pouvoir de laquelle ces trésors archéo-
logiques sont placés, jette un regard sur ces abus et les fasse cesser.
Nous sommes persuadé que si elle était instruite de ce qui se fait au
Musée des Antiques et si elle apportait autant de soin qu'elle en met
à parcourir le Musée de Versailles, le désordre ne se prolongerait pas
davantage. Nous sommes d'autant plus fondé à le croire que l'on ne
peut alléguer les frais énormes que nécessiterait la mise en état du
nouveau musée , dont l'emplacement et les éléments existent, et qui
ne demanderait tout au plus que quelques journées d'ouvriers. Si nous
connaissions les conservateurs des Antiques et du Musée égyptien,
nous les engagerions , en vertu du proverbe, charbonnier est maître
chez lui, à ne pas laisser un architecte s'immiscer à ce qu'il ne com-
prend et déclare lui-même ne pas vouloir comprendre. L'existence du
Musée égyptien est liée aux progrès de l'histoire , non-seulement
en France, mais dans le monde; et si nous ne nous trompons,
elle importe un peu plus à ses progrès, que la série plus ou moins
médiocre de tableaux de commande et de pacotille, destinés à
apprendre aux badauds qui vont voir Versailles, des faits que tout le
monde sait et qu'on a pris le soin, à si grands frais, de leur expliquer
dans un volumineux catalogue.
Nous dirons, en terminant, que si l'état dans lequel sont les anti-
quités du Louvre doit durer, nous regrettons sincèrement que la révo-
lution de juillet n'ait pas rendu à la nation des musées que l'on n'a laissés
à la royauté que dans l'espoir qu'ils s'agrandiraient davantage par sa
munificence. Une telle conduite de la liste civile va faire multiplier les
imitateurs de M. Prisse. Quand on saura que le généreux donateur du
sarcophage de Thessalonique, M. Gillet, qui avait refusé de le livrer à
l'étranger pour cent mille francs, n'a pas même reçu un remercîment
de la maison du roi et qu'il est encore à savoir officiellement ce qui
est advenu de son présent, on sera, certes, peu encouragé à imiter une
générosité payée par tant d'ingratitude. Et tout nous donne à penser
qu'il ne faut plus rien espérer pour un musée pour lequel il est de
bon ton de montrer à la cour de l'indifférence et du dédain I
F. L.
DECOUVERTES ET NOUVELLES
— M. le comte de Clarac, conservateur du Musée des antiques
du Louvre, vient de faire paraître le Catalogue des Artistes de l'anti-
quité , le plus complet qui ait été encore composé. Ce travail , qui
forme une partie de l'important Manuel de l'Art ancien que publiera
incessamment cet habile et consciencieux antiquaire , sera accueilli ,
nous l'espérons, par le monde savant, avec toute la faveur qu'il
mérite par le soin excessif qui a été apporté à sa rédaction , et les
nombreux détails sur les procédés de l'art qu'il renferme. Il nous
donne à l'avance une idée bien avantageuse du livre dont il ne
constitue qu'un fragment.
— L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a tenu sa séance
publique annuelle le 9 août, sous la présidence de M. Guigniaut.
M. Lenormant a présenté le rapport sur les Mémoires envoyés
au concours pour les prix d'antiquités nationales. Le savant acadé-
micien sait donner à ce genre de communications un intérêt très-
réel et très-vif par la manière ferme et impartiale avec laquelle il
expose les jugements de l'Académie, et donne des avis pour l'avenir.
La première médaille a été décernée au Mémoire de feu Hercule
Géraud, intitulé : Ingerburge de Danemark y reine de France.
Les autres médailles ont été données à MM. Marchegay, la Tey-
sonnière, Cheruel et Leglay.
Plusieurs mentions trèâ- honorables, ou simplement honorables,
ont été accordées à divers antiquaires.
Le prix de numismatique, fondé par Allier de Hauteroche, a été
décerné à M. Gennaro Riccio, juge napolitain, pour son ouvrage
intitulé : Monete délie FamigUe Romane, livre très-intéressant dont
nous rendrons compte.
La Reçue donnera in extenso, dans un de ses plus prochains
numéros , les rapports lus à l'Académie, sur le prix de numismatique
et sur les antiquités nationales.
— On vient de trouver dans les environs de Valenciennes un denier
d'argent de l'époque mérovingienne qui paraît inédit. Cette monnaie,
parfaitement conservée, fait aujourd'hui partie du cabinet de M. Be-
nezech de St. -Honoré, maire du Vieux-Condé. D'un côté, autour
d'une tête d'un style barbare, on lit ce mot : montiniaco. De l'autre
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 339
est une croix'entre les branches de laquelle on distingue deux lettres
avec cette inscription autour : eodvlfo mone. Ce denier doit être ,
selon toutes probabilités, attribué au bourg de Montigny en Bassigny,
situé près des sources de la Meuse, à six lieues de Langres. Le nom
de l'officier monétaire qui a frappé cette pièce était peut-être Theo-
doïfas, car jusqu'à présent le nom Eodulfus est inconnu, et l'antiquaire
à qui nous devons cette nouvelle n'a peut-être pu distinguer le th
initial emporté par le temps.
— M. Albert Way, directeur de la Société des Antiquaires de Lon-
dres, adressa, vers la fin de l'an dernier, au Comité historique des
arts et monuments, un document ancien qui intéresse vivement la
France. Dans le second tiers du xiir siècle, un artiste français fut
chargé de confectionner, à Limoges même, une tombe émaillée pour
un évêque de Rochester; Jean de Limoges ^ l'émailleur, accompagna
son œuvre jusqu'en Angleterre pour en diriger la pose. Le document
recueilli par M. Way révèle non-seulement le nom de l'artiste , mais
encore le prix qui fut alloué pour confectionner, charrier et construire
le monument. Cette tombe de Rochester n'existe plus, mais l'abba-
tiale de Wetsminster en conserve encore une semblable, entièrement
française d'exécution, et qui représente un comte de Pembroke,
originaire de la famille française de Valence. On savait bien que la
France avait prêté, durant le cours du moyen âge, des architectes et
des peintres sur verre à l'Angleterre, mais on ignorait encore qu'elle
lui eût fourni des fondeurs et des émailleurs.
— Dans plusieurs diocèses de France, on rassemble avec soin les
éléments d'une statistique de tous les monuments religieux. Le carac-
tère de leur construction, les légendes et les pèlerinages des anciens
tempsqui se rattachent à ces édifices sont l'objet d'investigations mul-
tipliées. M. l'évêque d'Amiens a voulu seconder un zèle si louable.
Par une circulaire qu'il a adressée à tous les ecclésiastiques de son
diocèse, il les a invités à répondre à une série de questions qui leur
ont été transmises par MM. H. Dusevel et P. Roger, d'Amiens. A
l'aide des documents qui leur sont parvenus ces deux écrivains viennent
de faire paraître la première partie d'une Revue historique et archéo-
logique des églises de Picardie et d'Artois, qui présente un grand
nombre de détails sur l'architecture , la sculpture et la peinture au
moyen âge.
GRAVURES
PUBLIÉES DANS LA CINQUIÈME LIVRAISON
DE LA
KEVUE ARCHÉOLOGIQUE.
MOYEN AGE.
SCULPTURE : — Manche de sceau d'ivoire, d'après un dessin
inédit de Millin. Voy. page 332.
ARCHITECTURE : — Arabon de Saint-Laurent à Rome , d'après
un dessin de M. Horeau. (Voir l'article sur les
Ambons dans les Éléments d'Archéologie du doc-
teur Batistier, p. 354 et suiv. )
VIGNETTES SUR BOIS.
— Scène de la Psychostasie chez les Égyptiens.
— Yama pesant des cadavres ; représentation bouddhique. •
— Miroir de Jenkiiis.
— Balance d'après un vase peint.
— Pèsement de l'âme , d'après une ancienne gravure allemande.
LES HIEROGLYPHES
ET LA LAXGUE ÉGYPTIENNE,
A PROPOS d'une critique DE LA GRAMMAIRE DE CHAMPOLUO?? ,
PAR FEU LE DOCTEtR DUJARDIN (1).
Huit années se sont écoulées depuis la publication de l'article que
le docteur Dujardin avait destiné à ruiner jusque dans ses fondements
la théorie de Champollion le jeune sur les écritures et la langue de
l'antique Egypte; huit années entières, pendant lesquelles les disciples
du créateur d'une science admirable, parce qu'elle est réelle, ont été
détournés, par leurs propres travaux, de prendre la plume, pour dire
au public lettré qu'on cherchait à le tromper, pour protester contre
des sophismes entassés à plaisir afin d'égarer l'opinion de ce public sur
un sujet aussi digne de son attention ; c'était donc à moi qui me suis
mis en opposition avec Champollion lui-même sur quelques points
de sa doctrine, c'était à moi qu'était réservé l'honneur de repousser
la plus vive des attaques que cette doctrine ait subies jusqu'à ce jour.
Étrange fatalité ! c'est à Champollion mort que s'adressaient les in-
justes critiques de Dujardin, et c'est à Dujardin mort que je viens
répondre aujourd'hui. N'ai -je donc pas à craindre qu'on ne m'accuse
d'élever la voix parce que la discussion n'est plus possible? Dieu
merci , ce reproche ne saurait m'atteindre. La race des envieux est
vivace, et pour un qui périt, il en naît dix. Vienne donc une ré-
plique que j'attends sans inquiétude, que j'ose appeler, et il faudra
bien que la vérité se fasse joar.
La découverte de Champollion avait eu assez d'éclat et de reten-
tissement pour qu'il y eût quelque gloire à proclamer et à démontrer
qu'elle était imaginaire. M. Dujardin se laissa séduire par l'appât du
renom qu'un semblable exploit lui promettait; et comme il était
tranquille sur les suites de sa croisade anti-égyptienne, attendu que
pas un peut-être de ses lecteurs ne serait tenté de le suivre sur le ter-
rain qu'il choisissait , peu de temps après la mort de Champollion ,
(!) V. Revue des Deux iP/onde* , premier cahier de juillet 1836.
I. 23
342 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
il lança dans le monde littéraire l'article décourageant auquel nous
venons répondre de point en point.
L'homme qui combat un système a toujours plus de chance de se
faire écouter que celui qui le défend ; car ainsi est fait le public devant
lequel commencent et finissent les débats scientifiques auxquels il
assiste pour opiner; il est tout disposé à prendre pour le plus savant et
le plus habile celui qui accuse hardiment d'ignorance l'adversaire qu'il
prend à partie. Je serais donc embarrassé du rôle que je me suis donné,
si l'attaque, par cela même qu'elle est imprimée, ne m'eût livré les idées
que je voulais combattre. Comme pendant vingt années de ma vie j'ai
été plongé dans le milieu mathématique qui rend si exigeant pour les
autres et pour soi-même, on ne s'étonnera pas de me voir apporter
dans cette discussion une allure géométrique qui, si elle marche au
but le plus directement possible et sans ambages, néglige par com-
pensation d'arrondir des périodes élégantes et fleuries. Quand il s'agit
d'une science sérieuse et grave, grave et sérieuse doit être la discus-
sion dans laquelle peut renaître ou périr étouffée la foi réclamée pour
cette science. Je ne me contenterai donc pas de probabilités plus ou
moins subtilement mises au jour , et l'a peu près que je suis tout dis-
posé à rejeter chez autrui, je m'abstiendrai d'en faire usage pour
moi-même. J'entre donc en matière sans plus d'hésitations , et je
déclare que la cause que je soutiens est si bonne, que si je la perdais,
ce serait à ma maladresse seule que ma défaite devrait être imputée.
Avant d'attaquer le système de Champollion, M. Dujardin ne
pouvait se dispenser d'esquisser à grands traits l'histoire des re-
cherches sur les monuments écrits de l'Egypte; par conséquent il
dut nécessairement commencer par l'appréciai ion des essais tentés
pour le déchiffrement du triple texte de )a fameuse pierre de Rosette.
On a tant de fois décrit celle-ci , qu'il serait inutile d'en donner une
nouvelle description ; tout le monde la connaît, tout le monde sait ce
qu'est et ce que vaut ce monument , sans lequel les écritures
égyptiennes seraient encore lettres mortes pour nous. Je ne puis
toutefois me dispenser de transcrire la dernière phrase descriptive de
M. Dujardin , parce que plus loin elle me sera fort utile. « Enfin, la
(( partie inférieure, dit-il, est occupée par une inscription grecque
(( plus longue encore, au moyen de laquelle nous apprenons que les
(c trois inscriptions ne sont qu'un même décret tracé en caractères et
« en langages différents. »
Je prends acte de cette concession.
Après avoir fait la part du savant Ackerblad, qui, le premier, sut
LES HIÉROGLYPHES ET LA LANGUE ÉGYPTIENNE. 343
analyser les noms propres du texte égyptien vulgaire ou démotique du
décret (1) , M. Du jardin ajoute que « l'alphabet qui résulta de l'analyse
<( des noms propres étrangers n'eut aucune prise sur le texte égyp-
« tien; que toutes les tentatives de déchiffrement demeurant infruc-
(( tueuses, lesérudits renoncèrent bientôt à marcher plus longtemps
(( dans cette voie. Ils y étaient entrés convaincus que l'écriture égyp-
« tienne vulgaire était alphabétique comme la nôtre; ils la quittèrent
(( emportant des doutes nouveaux, et se demandant de quelle nature
« pouvait être cette écriture vulgaire. »
Ce passage contient à peu près autant d'erreurs que de proposi-
tions; je vais le démontrer.
Dans le travail qu'il écrivit currente calamo, à l'apparition de la
lettre de Sylvestre de Sacy, Ackerblad, après avoir lu correctement
tous les noms propres qui s' étaient présentés à lui, s'empressa de
faire l'application de son alphabet 4 quelques mots dont le sens était
assez bien défini par leur position naturelle dans le texte, pour qu'il fût
impossible de se méprendre sur leur compte. Deux de ces mots,
nachè, beaucoup, et^, porter, cédèrent à ses premiers efforts, et ces
mots étaient du copte puri Ackerblad fit plus encore; il reconnut la
présence d'un mot grec, écrit en toutes lettres, comme tant d'autres
qui ont pris successivement place dans l'idiome des Pharaons devenu
le copte, c'est-à-dire une langue qui mérite à peine ce nom^ Le
seul mot grec qui paraisse dans le texte démotique du décret de
Rosette est le nom d'un impôt, GvvraliÇy importé par le gouvernement
fiscal des Ptolémées. Ainsi donc, en peu de jours, Ackerblad avait
saisi la clef de ce texte mystérieux, et, à l'aide de cette clef, il avait
remarqué des radicaux coptes; il lui eût été facile, s'il eût persévéré
dans cette voie, d'arriver à tout lire, et je dis tout avec conviction ;
mais la légèreté habituelle du savant suédois l'emporta sur le désir
de résoudre ce magnifique problème, et l'insouciance que tous les
hommes qui ont vécu dans l'intimité d'Ackerblad s'accordent à lui
reprocher, lui fit abandonner à tout jamais la voie qu'il avait ouverte
avec tant de bonheur. Il n'est donc pas vrai de dire que l'alphabet
qui résulta de l'analyse des noms propres étrangers, n'eut aucune
prise sur le texte égyptien. J'espère bien donner quelque jour aux
plus incrédules la preuve complète du contraire.
Il me reste maintenant à expliquer pourquoi les tentatives posté-
(1) Sylvestre de Sacy, avant Ackerblad, avait déterminé neHemcnt la place et les
limites de chacun de ces noms propres ; mais l'analyse qu'il en avait proposée avait
été bientôt abandonnée, quoiqu'à regret , par lui-roême.
344 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
rieures de déchiffrement demeurèrent infructueuses, et pourquoi sur-
tout la croyance que récriture vulgaire était alphabétique comme la
nôtre, fut abandonnée par les deux seuls hommes qui s'étaient obstinés
dans la recherche d'une solution, c'est-à-dire Young et ChampoUion.
Comme je ne veux pas m'appesantir sur l'écriture démotique et sur
son déchiffrement, pour ne pas avoir l'air d'écrire une apologie de la
méthode à l'aide de laquelle j'ai eu le bonheur d'arriver à résoudre le
problème , je me bornerai à dire ici comment il a pu se faire que
des esprits aussi justes, aussi sagaces que ceux de ces deux savants ,
renonçassent au seul principe capable de les amener à de bons
résultats, et je reviendrai ensuite à l'examen critique de l'article
publié par M. Dujardin.
Young et ChampoUion étaient convaincus que le texte hiérogly-
phique et le texte démotique appartenaient à une seule et même
langue, ou mieux à un seul eJt même dialecte; ils devaient donc
s'attendre naturellement à trouver les mêmes mots , doués des mêmes
consonnances, destinés à peindre les mêmes idées et à constituer
les mêmes phrases. Pour eux la conséquence était rigoureuse; et
pourtant comment expliquer la préoccupation étrange qui les a dé-
cidés à admettre l'existence, sur la même pierre, d'un même décret ,
composé des mêmes mots, reproduit en deux écritures différentes,
dont l'une était inévitablement connue de tous les lecteurs égyptiens,
puisqu'au dire de saint Clément d'Alexandrie, pour s'initier à la
lecture des écritures égyptiennes, on commençait par apprendre
l'écriture démotique. Ceux qui savaient lire le texte hiéroglyphique
étaient donc a fortiori en état de lire couramment le texte démo-
tique; dès lors à quoi bon ce double emploi qui aurait été presque
ridicule? Je me hâte de déclarer, avec M. Dujardin lui-même, que
les trois inscriptions n'étaient qu'un même décret tracé en carac-
tères et en langages différents (1).
Puisque les idées seules restaient les mêmes, tandis que les expres-
sions étaient différentes, il est précisément arrivé ce qui devait arri-
ver à tout homme raisonnant juste , mais partant d'un point de
départ essentiellement faux ; il était bien possible d'opérer, tant bien^
que mal, une coïncidence factice d'une première phrase hiérogly-
(1) Manéthon (ap. Georg. Syncel.) parle de dialecte sacré, hpà. otâiexTos, et
d'écriture sacrée, te/5ov/5«ytxàv/5âu/;aTa. Et le même écrivain, dans le précieux passage
conservé par Jusèphe , établit, à propos des noms des Hyksos ou Rois pasteurs
une distinction fort tranchée entre la langue sacrée Upà y'nûaax , et le dialecte vul^
gaire , -/.obri ùiAhy.roî. Pourquoi donc avoir mis à néant un pareil témoignage ?
LES HIEROGLYPHES ET LA LANGUE EGYPTIENNE. 345
phique avec sa contre-partie démotique , en déduisant de la connais-
sance approximative de l'une des écritures, la détermination des
caractères employés dans l'autre; mais cette coïncidence devait
échapper dès que l'on passait à la phrase suivante,' dans laquelle il
était impossible de conserver aux signes alphabétiques égyptiens la
valeur imaginaire qu'on venait de leur assigner. Cent fois, je n'en
doute pas, ces malencontreux essais furent repris et abandonnés, si
bien que, fatigués de cette impossibilité de lire l'écriture qu'ils
avaient, avec toute raison, considérée comme alphabétique, Young
et Champollion finirent par croire et par affirmer qu'elle était aussi
chargée de symboles que l'écriture hiéroglyphique elle-même.
Je reviens actuellement aux assertions du docteur Dujardin. Suivant
lui « le docteur Young reconnut promplement que dans une foule de
« cas, et surtout dans les noms propresétrangers, les caractères du texte
« vulgaire n'étaient autre chose que des abréviations des caractères
(( hiéroglyphiques. La conséquence obligée de cette remarque était
(( que la méthode employée pour exprimer les noms propres étrangers
« dans les écritures hiéroglyphiques pourrait bien être analogue à
« celle dont faisait usage l'écriture vulgaire. Le docteur Young tenta
(( donc sur le nom de Ptolémée , le seul qui fût conservé dans le
« texte hiéroglyphique, ce qui avait été tenté par M. Ackerblad sur
« les noms propres du texte vulgaire. »
Pour faire crouler tout ce paragraphe et détruire de fond en
comble les raisonnements qu'il contient, il me suffira de mettre sous
les yeux du lecteur les formes hiéroglyphiques et démotiques du nom
de Ptolémée, sur lequel , de l'aveu de M. Dujardin , porta l'examen
du docteur Young. Et si tout le monde n'est pas d'accord avec moi
pour déclarer imaginaire le prétendu principe énoncé par Young, et
qui , des signes démotiques , fait une simple abréviation des signes
hiéroglyphiques équivalents, je suis prêt à passer condamnation sur
tout le reste.
Ce nom dans l'écriture hiéroglyphique est : ' 1 1 ^ jl ^
Dans l'écriture démotique, il est : <- 1 1 > 1 1 1 -^ l/v O '
PTOLMES
PTLOMIOS.
346 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
On en conviendra facilement, j'espère, pour retrouver dans les
signes équivalents
U = 1 - P, li = r = O, 'I = <|1 = S,
û = Z. = T,=^ = 3 =: M.
-%s = / = L, 11 = m = I.
des indices d une pure dégénérescence par abréviation ; il a fallu
que le docteur Young , et M. Dujardin après lui , Ossent un prodi-
gieux effort d'imagination.
Celte communauté d'origine, reconnue surtout dans les noms étran-
gers , pour des signes qui n'ont pas la moindre analogie de forme,
est un fait parfaitement nul, matériellement faux; toutes les consé-
quences qu'on en a voulu déduire sont donc fausses aussi, et il est
bien évident quelles n'ont pas peu contribué à fermer jusqu'ici
l'accès des textes démotiques.
Et qu'on ne croie pas que M. Dujardin ait prêté une erreur au
docteur Young; non, il a cru devoir adopter l'erreur de celui-ci,
comme il a soin de le constater quelques lignes plus loin. On a
voulu, dit-il, faire du docteur Young et de M. Champollion deux
rivaux se disputant une même découverte : c'est une erreur. Et alors
pourledémotitrer il rapporte la phrase suivante, extraite des dernières
pages tracées par la plume du savant anglais, c'est-à-dire de la préface
de son Dictionnaire démotique : « Ce fut alors que pour la première fois
« je fis connaître l'identité originelle des différents systèmes d'écriture
c( employés par les anciens Egyptiens, observant qu'on peut recon-
« naître dans le nom Enchorial (en écriture vulgaire) de Ptolémée
« une imitation éloignée (loose) des caractères hiéroglyphiques dont
c( se compose le môme nom. J'ai étendu ensuite la même comparaison
(( au nom de Bérénice (t). »
(1) Voici pour l'édiGcalion du lecteur les deux formes du nom de Bérénice et les
identités que le docteur Young y a découvertes , et que M. Dujardin y a vues sans
difiQcullé, d'après lui.
-^M »l^,BRNIKS, n<lll^/4.BRNIKE.
d'où par conséquent: '^ =z /^ = g^ «==>. = /== R, waw/ =yO=N,
11 = III = i, w = n< = K.
Inutile de dire que celte identité se manifeste aussi nettement dans tous les nom»
connus dans les deux sysléoies.
LES HIÉROGLYPHES ET LA LANGUE ÉGYPTIENNE. 347
Voilà ce que M. Dujardin appelle la découverte réelle du docteur
Young. Certes, il était diflicile de mieux réduire à zéro tout le fruit
des veilles du savant docteur, et probablement celui-ci pensait avoir
une part plus belle que M. Dujardin ne la lui a faite. Voyons main-
tenant commeni le critique termine l'intéressant parallèle qu'il établit
entre Young et Champollion :
« Ainsi, avoir démontré que les écritures sacrées et vulgaires sont
(( de même nature, voilà la part qu'il n'est pas possible de contester
« au docteur Young, et c'est la seule qu'il réclame.
« Avoir fixé la valeur propre à chacun des caractères hiérogly-
« phiques qui composent des noms propres, voilà la part que réclame
« M. Champollion , et que personne ne lui conteste. Il n'y a point ici
a découverte disputée; il y a deux découvertes tout à fait distinctes,
« celle du savant Français est venue après celle de M. Young; mais
« elle n'en est point une conséquence obligée. »
Si l'appréciation de M. Dujardin était juste, le docteur Young
serait peu exigeant, puisqu'il n'élèverait de pptention que sur la
propriété d'une erreur. Heureusement pour lui, ceux mêmes qui sont
les plus ardents admirateurs de Champollion, ceux-là, dis-je, accor-
dent plus au docteur Young. Quant à la restriction par laquelle
M.. Dujardin réduit la découverte de Champollion à l'appréciatiorï
exacte des articulations qui constituent les noms propres, elle ne peut
être sérieuse, comme la lecture d'une seule page de la grammaire le
démontre surabondamment; mais n'anticipons point. Chaque grief
viendra en son temps.
Nous arrivons maintenant au point oii M. Dujardin commence à
élever les batteries qui doivent foudroyer le système de Champollion.
Suivons bien son raisonnement : « Champollion a lu les noms de
(( Septime Sévère, de Geta , de Caracalla sur le grand temple d'Esné,
« dont la décoration hiéroglyphique se trouve ainsi ramenée jusque
« dans la première moitié du 111^ siècle, et la présence d'inscriptions
« hiéroglyphiques sculptées sur les temples égyptiens au 11% au
« IIl^ siècle de notre ère, et peut-être plus récemment encore, est
« un fait de la plus haute importance, comme nous allons le voir.
a Nous possédons une langue égyptienne, désignée plus ordinai-
(c rement sous le nom de langue copte; elle nous est donnée princi-
« paiement par les versions de l'Ancien et du Nouveau Testament.
« On a longuement et savammentdisputé sur l'origine de cette langue,
ce De fort habiles critiques ont examiné la question sous toutes ses
«faces. Un premier résultat de leurs laborieuses recherches, au-
348 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
a jourd'hui généralement admis, est que la langue copte est la même
a que la langue égyptienne de l'époque des Pharaons, sauf les chan-
a gements que le temps et les autres circonstances peuvent apporter
« dans un idiome usuel. Un autre résultat est que la version copte
<( de IWncien et du Nouveau Testament a dû être faite au plus tard
« dans le cours du II' siècle, et que cette version, qui a joui dès
(c l'origine d'une autorité égale à celle du texte grec qu'elle a
(c promptement remplacé, représente fidèlement le langage des hâ-
te bitantsde l'Egypte dans les premiers siècles de l'ère chrétienne. On
<c sait le caractère d'immutabilité des livres sacrés.
« Nous avons donc la langue dont faisait usage la population
ce égyptienne à l'époque où Septime Sévère faisait recouvrir de
« légendes hiéroglyphiques le grand temple d'Esné. Nous pouvons
« désormais tenter, avec espoir de succès, l'interprétation des hiéro-
« glyphes qui recouvrent les temples d'Esné , ceux de Denderah ,
<( tous les édifices de l'époque romaine : nous avons la langue con-
« temporaine. » Plu|J}as, après avoir rappelé les propres paroles de
Champollion, qui affirmait que la connaissance exacte du copte pouvait
seule amener à l'intelligence des textes égyptiens, il ajoute : «Cham-
« pollion fut envoyé pour arracher à la destruction et livrer à la
ce science ces inscriptions dont le sens ne pouvait plus nous échapper,
ce et les restes de cette langue copte qui, seule, nous en pouvait four-
ce nir la clef.
ce Mais, pour remplir cette double mission dont il s'était chargé, il
ce eût fallu à M. Champollion un temps double de celui dont il pou-
ce vait disposer.... Il fut donc obligé de revenir rapportant un porte-
ce feuille riche, inappréciable, ayant fait tout ce qu'il était possible
ce de faire pour fournir à la question un de ces deux éléments indispen-
cc sables, la connaissance exacte des ecritureSy et laissant à d'autres les
et fatigues nouvelles par lesquelles on pouvait obtenir le deuxième
ce élément , la connaissance complète de la langue copte,
ce Privé d'une partie des moyens qu'il avait lui-même jugé néces-
« saires au succès , M. Champollion n'hésita point cependant à mar-
ée cher en avant. Il se sentait trop près du but pour ne pas essayer de
ce l'atteindre à l'aide des ressources dont il pouvait disposer.... Il fut
ce entraîné graduellement, par des rapprochements heureux, par le
ce succès apparent de quelques essais, à considérer l'écriture hiéro-
(c glyphique comme étant plus qu'aux trois quarts alphabétique.
<e M. Champollion entreprit de soutenir cette opinion en opposition
« avec tous les témoignages historiques. »
LES HIÉROGLYPHES ET LA LANGUE ÉGYPTIENNE. 349
Avant d'aller plus loin et de nous édifier sur la rectitude de juge-
ment avec laquelle M. Dujardin coordonne et commente les textes
dont il se sert , arrêtons-nous un instant pour voir crouler tout cet
échafaudage de raisonnements mal étayés, sous le choc d'un seul
mot que le critique, par malheur, a laissé couler de sa plume.
M. Dujardin, décrivant la pierre de Rosette, dit, sans arrière- pen-
sée : « Enfin, la partie inférieure est occupée par une inscription
« grecque plus longue encore, au moyen de laquelle nous apprenons
c( que les trois inscriptions ne sont qu'un même décret tracé en
c( caractères et en langages différents. »
En langages différents ! ces trois mots ont tué le système de
M. Dujarditi avant qu'il ne ^ortît de l'œuf. Il admet l'existence de
deux langages égyptiens différents ; l'un est le langage vulgaire
démotique, et celui-là est devenu du copte ; il est distinct du langage
sacré hiéroglyphique ; et de quel droit alors peut-on demander aux
mots coptes, aux mots du langage démotique du 11^ siècle de notre
ère, de s'ajuster sur les mots du langage sacré de la même époque?
Le critique de Champollion a pris soin de constater lui-même l'im-
mutabilité des textes sacrés; il eût pu dire aussi justement l'immuta-
bilité des idiomes sacrés. Le copte, cette langue qui, pour lui, est
la même que la langue égyptienne de l'époque des Pharaons, sauf
les changements que le temps et les autres circonstances peuvent
apporter dans un idiome usuel , en quoi peut-il être identique avec
cette langue sacrée dont il reconnaît l'existence, avec cette langue
pétrifiée depuis des milliers d'années, pour me servir de la juste et
spirituelle expression que M. Letronne a su lui appliquer? Où sont
les textes démotiques que nous ayons le droit de comparer au copte
attribué, sans bonnes preuves, au 11^ siècle, parce qu'ils sont eux-
mêmes écrits au IP siècle? Nous n'en avons pas un seul; et parce
que l'on aura reconnu que le langage hiéroglyphique du texte du
temple d'Esné n'est pas du copte, on jettera un cri de triomphe, et
l'on se croira le droit de croire que Champollion en a imposé ! Certes,
celui qui le dirait abuserait étrangement du droit de critiquer.
Et, une fois pour toutes, puisque l'occasion s'en présente natu-
rellement, finissons-en avec le copte, et apprécions cet idiome à sa
juste valeur. «C'est, dit M. Dujardin, la langue égyptienne de
c( l'époque des Pharaons, sauf les changements que le temps et les
(( autres circonstances peuvent apporter dans un idiome usueL » Mais
est-ce donc peu de chose pour une langue usuelle que l'influence de
quelques siècles de vieillesse , que l'influence du contact , pour ne pas
360 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dire de la suprématie écrasante d'un autre idiome que le vainqueur
impose aux vaincus ? Qui oserait prétendre que les invasions successives
qui ont désolé l'Egypte, depuis les Perses jusquaux Arabes, ont assez
respecté Tidiome vulgaire du pays pour le laisser intact et pour lui
conserver sa pureté primitive? Que l'on juge par les phases qu'a subies
la langue latine pour se transformer en italien, en espagnol et en
français , des modifications apportées à la langue égyptienne , et
signalées avec tant d'indifférence par M. Dujardin ; que l'on fasse
mieux encore, que l'on compare le français d'aujourd'hui au français
du XIV'- et môme du XVl^ siècle, et l'on comprendra ce qu'ont été
les différences absolues, nécessaires, inévitables que quatre siècles,
que trois siècles, que deux siècles ont du imposer à un idiome étouffé
dans les étreintes du grec et du latin; l'arabe a tué le copte à tout
jamais, dira-t-on que le latin et le grec avaient été sans action sur
l'égyptien? non, mille fois non. Qu'on lise une page du copte le plus
ancien, et l'énorme proportion des mots grecs qui s'y sont glissés
prouvera au plus incrédule que le copte ne peut être appelé la langue
usuelle des Pharaons, à moins qu'on ne se hâte d'ajouter que les
changements que le temps et ce que M. Dujardin appelle les autres
circonstances, lui ont imposés, furent des altérations assez profondes
pour porter la gangrène au cœur de cette langue.
Mais ici prenons garde de nous laisser entraîner trop loin. Parce
que les mots de la langue copte telle que nous la livrent les manuscrits
dont le dépouillement a engendré les meilleurs Lexiques publiés
jusqu'à ce jour, parce que ces mots, dis-je, sont tellement vagues
sous le rapport des sons voyelles, et si peu arrêtés sous le rapport
des articulations essentielles, que l'on voit à chaque instant les con-
sonnes congénères, et douées de l'affinité que la philologie n'a pu
méconnaître, se remplacer sans rien changer au sens des radicaux,
devons-nous conclure que le copte ne peut être d'un très-puissant se-
cours dans le déchiffrement des anciens textes égyptiens? Nullement.
Les radicaux ont survécu au naufrage de la syntaxe grammaticale,
comme lès radicaux de la langue française sont bien et dûment iden-
tiques avec les radicaux latins , quoique le mécanisme grammatical
des deux langues n'ait plus le moindre rapport.
Le copte comporte ce que l'on est convenu de nommer trois dia-
lectes, le memphitique, le baschmourique et le thébain. Ici que l'on
me permette un rapprochement trivial , ces trois dialectes sont les
patois picard, dauphinois et provençal de la langue égyptienne. Nos
Dictionnaires nous donnent ces radicaux primitifs , tels qu'ils sont ac-
LES HIEROGLYPHES ET LA LANGUE EGYPTIENNE. 361
commodes par chacun de ces patois, nous devons donc nous conten-
ter, quand nous procédons à l'analyse d'un texte égyptien, de tirer parti
de la connaissance de ces radicaux fournie par le copte, sans concevoir
l'incroyable prétention de retrouver du copte , c'est-à dire de l'égyptien
décrépit et corrompu , dans un texte rédigé longtemps avant que le
phénomène de la décrépitude et de la corruption du langage ne lût
consommé.
Après cette longue digression, qui n'était peut-être pas inoppor-
tune, revenons aux raisonnements de M. Dujardin. J'ai démontré, je
crois, qu'il n'y avait absolument rien à conclure de la comparaison
du copte le plus ancien, c'est-à-dire de l'égyptien vulgaire, avec des
textes hiéroglyphiques de la môme époque, c'est-à-dire avec des
phrases d'un langage différent, comme M. Dujardin a pris soin de le
dire. La conclusion de ceci est légitime : toute argumentation basée
sur une comparaison de ce genre demeure stérile et sans force. C'est
pourtant là tout ce que nous offre la critique de M. Dujardin, un
ballon gonflé à grand'peine, et dans lequel il a donné lui-même le
coup d'épingle qui devait le rendre vide et flasque en un instant.
J'ai tout à l'heure annoncé que j'examinerais de près l'usage que
M. Dujardin fait des textes ; j'y arrive. Gomme il lui importe de
démontrer que l'écriture hiéroglyphique n'est pas alphabétique,
puisqu'il veut renverser la théorie de Ghampollion , il passe en revue
quelques passages qui lui semblent étayer solidement cette opinion.
Diodore de Sicile est le premier dont il invoque le témoignage
{Bibl. hist., livre III). Je transcris :
« Après avoir dit que ces caractères offrent à nos yeux des animaux
(( de tout genre, des parties du corps humain, des ustensiles, des
« instruments , principalement ceux dont font usage les artisans , il
« expose dans les termes suivants les motifs qui leur ont fait donner
« ces formes. Ce n'est point, en effet, par l'assemblage des syllabes
« que chez eux l'écriture exprime le discours , mais c'est au moyen
c( de la figure des objets retracés, et par une interprétation métapho-
c( rique basée sur l'exercice de la mémoire; plus bas, après avoir
(( donné divers exemples de cette manière d'employer les hiéroglyphes,
(( il ajoute -.C'est en s'attachant aux formes des divers caractères qu'ils
(( arrivent, au moyen d'un exercice prolongé de la mémoire, à recon-
« naître le sens de tout ce qui est écrit. Ce qu'il y a de fort clair
«dans ces paroles, c'est que l'écriture hiéroglyphique ne fournit
« point de syllabes, c'est-à-dire qu'elle ne se rattachait point, comme
(( notre écriture, aux idées par l'intermédiaire des sons, mai§ bien
352 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
c( par la forme, par la figure de ses caractères. Ce qui est beaucoup
« moins clair, c'est la manière dont ces figures exprimaient les idées.
(( On reconnaît cependant, par les détails dans lesquels est entré
«l'historien, qu'une figure, outre l'objet représenté directement,
a pouvait représenter , métaphoriquement ou d'une manière détour-
« née, un grand nombre d'autres idées; ce qui est conforme, du
« reste, aux notions que nous fournit le Dictionnaire symbolique
« d'Horus Apollon. »
Diodore, en écrivant ce qu'il a dit des hiéroglyphes, a-t-il annoncé
qu'il allait mettre ses lecteurs parfaitement au courant de ce qu'il
ignorait lui-même? Savait-il lire les textes hiéroglyphiques? Nulle-
ment. Et s'il a pris la peine de demander à un Égyptien lettré qu'il lui
traduisît une phrase quelconque d'une inscription dans laquelle se
rencontraient, à côté d'expressions phonétiques que lui Diodore ne
comprenait pas, des symboles non phonétiques qu'il pouvait plus aisé-
ment comprendre, qu'a-t-il dû penser? Précisément ce qu'il a écrit.
C'était évidemment l'idée nouvelle pour lui, habituée son alphabetgrec,
qui devait le frapper, et à laquelle seule il devait s'arrêter; c'est cette
idée qu'il a enregistrée dans son livre. Quant à la deuxième phrase,
rapportée par M. Dujardin, elle est si parfaitement insignifiante,
qu'elle s'applique tout aussi bien à l'emploi de notre alphabet de
vingt-quatre lettres qu'à celui des hiéroglyphes.
Vient ensuite le tour d'Ammien Marcellin, dont l'assertion rappor-
tée par M. Dujardin est la suivante : « Les anciens Égyptiens n'a-
« vaient point, comme aujourd'hui, un nombre de lettres déterminé
c( et d'un emploi facile pour exprimer tout ce que peut concevoir
« l'esprit humain; mais chaque lettre représentait un mot, et quel-
(( quefois même une phrase entière. »
Comme le nombre des hiéroglyphes recueillis jusqu'ici ne dépasse
pas neuf cents , on est en droit de conclure ou qu'Ammien Marcellin
s'est moqué de ses lecteurs, ou que celui qui a fourni ce renseigne-
ment à l'écrivain s'est moqué de lui. Et pourtant M. Dujardin, mis
à l'aise par ce témoignage en faveur de sa thèse , le fait suivre de
cette réflexion : Cela est assez positif; Ammien compare les anciens
procédés des Égyptiens à ceux qu'ils employaient de son temps,
c'est-à-dire à l'écriture alphabétique. Je dirai, moi : Oui, cette
assertion est tellement positive qu'il en découle clairement qu'Am-
mien Marcellin ne savait rien de ce qu'il prétendait enseigner à ses
lecteurs, et que son témoignage sur ce point de philologie est trop
LES HIÉROGLYPHES ET LA LANGUE ÉGYPTIENNE. 353
empreint d'une crédulité enfantine, je ne veux rien dire de plus , pour
mériter d'être pris en considération.
Les assertions de saint Clément d'Alexandrie étaient beaucoup plus
embarrassantes pour M. Dujardin; il lui a donc fallu user de subtilités
pour en éluder les conséquences rigoureuses. Nous allons voir com-
ment il y est parvenu , en faisant dire au saint écrivain ce qu'il n'a
jamais eu dans la pensée. Je transcris :
« Saint Clément, parlant dans ses Mélanges des voiles mystérieux
(( dont on s'est plu souvent à entourer la science pour n'en permettre
(c l'abord qu'aux initiés , cite comme exemple de ces obstacles mul-
(( tipliés, l'usage qui, de son temps, c'est-à-dire sur la fin du 11'' siècle,
(c régnait encore chez les Égyptiens. L'on ne pouvait atteindre que
« par des degrés successifs le terme le plus élevé de l'instruction qui
« était la science des hiéroglyphes. Il résulte bien clairement de là
(( que la science des hiéroglyphes n'était rien moins qu'une chose
(( facile, et l'on pourrait, avec toute apparence de raison, affirmer
« que saint Clément n'a point vu dans les hiéroglyphes une écriture
Ci presque entièrement alphabétique. 11 parle cependant de l'emploi
(( des caractères hiéroglyphiques comme caractères alphabétiques. »
Comment M. Dujardin a-t-il pu lire dans le texte de Clément
d'Alexandrie que la science des hiéroglyphes n'était rien moins qu'une
chose facile? Je l'ignore; mais ce que je sais très-bien, c'est que ce
texte nous dit simplement : Ceux qui parmi les Egyptiens reçoivent
de l'instruction , apprennent d'abord le genre d'écriture égyptienne
qu'on appelle épistolographique; en second lieu, l'hiératique dont se
servent les hiérogrammates ; et enfin l'hiéroglyphique. Cette tra-
duction, qui appartient à M. Letronne, mérite à coup sûr toute
confiance. Oii donc le critique a-t-il vu que le texte en question
impliquait des difficultés énormes interdisant aux proTanes l'accès de
la science des hiéroglyphes? Dans son imagination ou dans sa volonté;
ailleurs, il n'y en a pas de trace. Le mot dont se sert saint Clément
est TTaiâeîiO[j£voi; or Trat(5*£uo3, formé de Traîç, iratc^oç enfant, signifie
à la lettre : Donner à un enfant l'instruction convenable , et, par
extension, instruire, enseigner; d'où au passif 7raicJ£uo//.aï, apprendre.
Il y a loin de là à l'idée d'une science mystérieuse, comme M. Dujar-
din prétend la trouver caractérisée dans le texte de saint Clément. Le
critique, après avoir été forcé, bon gré mal gré, de reconnaître que
saint Clément d'Alexandrie constate l'existence d'hiérogyphes pho-
nétiques et d'hiéroglyphes symboliques, ajoute : « De cette distinction
(( faite par saint Clément, il résulte qu'il a voulu signaler la méthode
354 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
(( au moyen de laquelle on écrivait les noms étrangers si fréquemment
« employés dans les décorations hiéroglyphiques; mais il est évident,
c( par l'ensemble du passage, que cet alphabet hiéroglyphique pho-
« nétique ne pouvait être qu'un accessoire peu considérable du
« système total. Il devait servir à exprimer des noms propres étran-
c( gers, des noms de peuples, de pays, de villes, des mots empruntés
(( aux langues étrangères , quelques mots de la langue égyptienne
(( elle-même , lorsque , pour représenter une action faîte par des
c( étrangers, ou à la manière des étrangers, on voulait éviter l'emploi
(( d'un symbole qui, rappelant le mode d'action égyptien, pouvait
<( donner une idée fausse. »
Toutes ces conclusions sont autant de conséquences monstrueuses
que l'on peut bien tenter de proposer à des lecteurs qui, voulant une
opinion toute faite, se soucient peu de rechercher si on leur dit la
vérité, mais qui ne peuvent être de mise pour les hommes sérieux qui
croient aux petites subtilités scientifiques, et qui par conséquent
sont bien aises de vérifier les assertions même les plus positives, avant
de leur donner du crédit en les acceptant. Je n'hésite pas à le déclarer:
en avançant que, d'après le témoignage de saint Clément, les noms
des personnes et des choses ne pouvaient être exprimés phonétique-
ment qu'à la condition de se rapporter à des personnes ou à des
choses étrangères, ou enfin à des actions faites par des étrangers,
M. Dujardm a étrangement abusé du droit de chercher dans les textes
des preuves à l'appui du système que l'on conçoit. Jamais saint Clé-
ment n'a dit un seul mot de cela. M. Dujardin devait donc parler
pour son propre compte , et se garder de donner comme évident ce
qu'il savait bien n'être pas rigoureusement vrai.
Au reste, la discussion du texte de Clément d'Alexandrie a fait
commettre à M. Dujardin un- second lapsus calami dont il n'a pas
compris la portée, plus qu'il ne l'a fait lorsqu'il avait l'imprudence de
reconnaître deux langages égyptiens diflérents.
(( La pierre de Rosette, dit-il, nous offre un exemple assez re-
(( marquable de rex[)ression alphabétique d'un mot égyptien; il est
ii question d'écrire le décret en lettres sacrées, en lettres vulgaires et
« en lettres grecques. Un même symbole , rappelant les procédés
c( d'écriture adoptés par les Égyptiens, se trouve répété deux fois
« pour exprimer les lettres sacrées et les lettres vulgaires de l'Egypte;
(c mais comme la méthode d'écriture des Grecs diflérait complètement
c( de celle des Égyptiens, quand il s'agit d'exprimer les lettres
« grecques , ce n'est plus le symbole précédent qu'on emploie , c'est
LES HIÉROGLYPHES ET LA LANGUE ÉGYPTIENNE. 355
« le mot lettres, empruntée la langue égyptienne, que l'on écrit à la
a manière alphabétique. »
Examinons cette preuve matérielle que M. Dujardin trouve si
favorable à son opinion sur la transcription des noms et des choses
apportés par les étrangers. Ne fallait-il pas chez les scribes une
incroyable subtilité pour distinguer l'idée écriture tracée par un
Egyptien de l'idée écriture tracée par un Egyptien se servant d'une
langue étrangère? Quoi! dans un cas il était régulier, convenable,
prescrit d'employer un symbole? dans l'autre, d'employer le mot
égyptien écrit en toutes lettres? Les lettres dont la valeur a été
découverte par Champollion sont donc bonnes à quelque chose, et le
copte aussi, tout corrompu que soit l'égyptien qu'il nous rappelle,
puisqu'à l'aide de ce copte et de ces lettres on lit nettement le mot
égyptien et copte sakh, caractères, que M. Dujardin a l'imprudence
de reconnaître. Mais ce n'est pas tout encore : le critique explique à
sa façon l'emploi du symbole et du mot phonétique qui a lieu dans des
cas prescrits et déterminés ; qu'il nous explique donc aussi pourquoi
dans l'écriture démotique, qu'il a déclaré procéder exactement de
même que l'écriture hiéroglyphique , c'est le même groupe qui
se trouve reproduit trois fois, sans le moifidre changement, quand il
s'agit de l'écriture grecque , aussi bien que quand il s'agit des deux
écritures égyptiennes? Pourquoi passer sous silence cette circon-
stance qui , ce me semble , contre-balance le hen trovato de l'emploi
régulier de deux groupes hiéroglyphiques distincts signifiant écriture?
Les préliminaires d'entrée en campagne de M. Dujardin se termi-
nent par le paragraphe suivant : « Si donc chez les auteurs anciens
« on a trouvé l'indication de la méthode alphabétique employée pour
« écrire les noms étrangers (toujours les noms étrangers!), on n'y
« saurait trouver de même que l'écriture hiéroglyphique était d'une
(c nature presque exclusivement alphabétique. Bien loin de là : l'opi-
« nion adoptée par M. Champollion est en opposition directe avec
(c tous les témoignages de l'antiquité. Cette circonstance nous rendra
(( naturellement plus scrupuleux dans l'examen des preuves alléguées
(( à l'appui du système nouveau; cependant il ne faudrait pas les
<( condamner sur ces seuls indices; il n'est peut-être pas impossible
« que tous les auteurs qui nous ont parlé de l'écriture hiéroglyphique
« se soient mépris sur sa nature. »
J'en ai dit assez, je crois, pour saper les raisonnements sur lesquels
s'appuient les conclusions renfermées dans le paragraphe qui précède.
356 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
M. Dujardin en parlant ainsi se croyait sûr de la victoire, et, à mon
avis, il était loin de compte.
Suivons-le maintenant dans l'examen de la grammaire de Champol-
lion. Chacun sait que la première partie de cette précieuse grammaire
ne parut que plusieurs années après la mort de son auteur, et que
par conséquent celui-ci ne put, jusqu'au dernier moment, améliorer
son travail. C'est donc un premier jet que nous possédons-, et bien que
la grammaire égyptienne soit destinée à subir quelques modifications
que les découvertes ultérieures pourront peut-être rendre nécessaires,
il n'en est pas inoins vrai que l'œuvre du maître , telle qu'elle est,
peut soutenir un examen sévère, mais loyal, sans cesser d'être la base
impérissable de la science. Voici comment M. Dujardin aborde défini-
tivement la question :
« L'auteur, dit- il, s'écartant de la marche ordinairement suivie
« dans^ les grammaires, a mis avec profusion, dans cette première
«partie, de longues phrases hiéroglyphiques, empruntées aux mo-
c( numents de toutes les époques, depuis les temps les plus reculés
« jusqu'au IIP siècle de notre ère, et toutes ces phrases sont accom-
<( pagnées de leur traduction complète. Nous pouvons donc juger la
(( méthode nouvelle par ses résultats, par les applications qu'en a
(( faites l'auteur lui-même : la juger n'est pas difficile; nous savons que
« la langue copte était la langue de l'Egypte aux premiers siècles du
a christianisme ; voilà notre pierre de touche. La nouvelle méthode
c( sera bonne dès qu'elle pourra lire sur les temples d'Esné, sur ceux
(( de Denderah, des mots, des phrases appartenant à la langue copte
« qui fut contemporaine de ces monuments. Tout système de lecture
(c qui, essayé sur les édifices dont nous parlons, ne reproduira ni les
<( mots, ni la syntaxe de cette langue, ne pourra prétendre à aucune
<( confiance. »
Nous savons déjà que le raisonnement du critique pèche par sa
base ; c'est donc la méthode d'expérimentation de M. Dujardin qui
ne peut prétendre à aucune confiance, puisqu'elle n'a aucun fonde-
ment solide. Les textes sacrés de l'époque la plus reculée et les plus
modernes sont conçus dans la même langue, et cette langue n'est pas
du copte pour M. Dujardin lui-même, qui ne s'aperçoit pas, dans
son désir de trouver mauvais ce que Champollion a fait, qu'il a lui-
même condamné son opinion, puisqu'il a été forcé d'admettre l'exis-
tence de deux langages égyptiens diiïérents, lorsqu'il s'est trouvé en
face de la pierre de Rosette. Il a constaté que les textes sacrés sont
doués d'immutabilité ; il faut donc qu'il admette par contre-coup que
LES HIÉROGLYPHES ET LA LANGUE ÉGYPTIENNE. 357
ce fait notoire implique l'immutabilité matérielle du langage dans
lequel ces textes sont conçus; et c'est après avoir affirmé, à dix pages de
distance, ce fait qui domine tout le reste, ce fait de l'existence évidente
de deux langages différents, que M. Dujardin, oubliant ce qu'il a déjà
dit, raisonne ainsi qu'il suit :
« La conséquence à laquelle on serait conduit par l'application de
« la méthode nouvelle, c'est qu'il y avait en Egypte, au II!" siècle de
« l'ère chrétienne, deux langues, différant très -notablement l'une de
« l'autre, tant pour les mots que pour la syntaxe, dont l'une, abso-
(( lument inconnue jusqu'à nos jours, s'employait sur les monuments,
« tandis que l'autre, la langue copte, était à l'usage de la popula-
ce tion. Mais oii est la démonstration de l'existence d'une langue
(( monumentale différente de la langue copte, ailleurs que dans la
<( certitude de la méthode qui l'a fait découvrir? Où peut être la
« certitude de la méthode nouvelle, ailleurs que dans l'identité des
(( résultats qu'elle fournit, avec la langue copte que nous connaissons?
(( La méthode ne saurait être démontrée par la chose nouvelle qu elle
« nous fait connaître, en même temps que cette chose nouvelle se-
c( rait démontrée par la méthode. »
Pour admettre ce raisonnement, il faudrait qu'à la phrase qui
demande où est la démonstration de l'existence d'une langue monu-
mentale différente de la langue copte, ailleurs que dans la certitude
de la méthode qui l'a fait découvrir, il faudrait, dis-je, qu'on ne pût
pas répondre : cette démonstration est où vous l'avez trouvée vous-
même, dans le fait matériel , dont vous n'avez pas éludé la significa-
tion incontestable, parce que le fait était plus fort que votre vouloir;
elle est dans la présence, sur la pierre de Rosette, du double
texte égyptien d'un même décret pour le même peuple, chez lequel
tous les hommes sachant lire, et pour qui le décret était apparem-
ment gravé et exposé , devaient trouver suffisant le texte démotique.
Il fallait donc que M. Dujardin choisît l'opinion qu'il voulait adopter,
qu'il prît soin de s'en bien pénétrer, qu'il réfléchît plus mûrement
qu'il ne l'a fait à l'attaque qu'il dirigeait contre la découverte de Cham-
pollion, et surtout qu'il ne se crût pas infaillible et invulnérable,
tout en s'exposant à dire blanc et noir sur le même point de doctrine.
Champollion, ainsi que le fait observer M. Dujardin, n'a point
été conduit à concevoir l'existence de deux langues contemporaines.
Ceci est vrai, et c'est certainement cette erreur de Champollion qui
l'a empêché de réussir à analyser complètement le texte démotique du
décret de Rosette.
I. 24
368 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Après tout ce que je viens dé dire contre la comparaison tout
à lait inopportune des phrases hiéroglyphiques avec les phrases
coptes exprimant les mêmes pensées , il demeure absolument inu-
tile de s'appesantir sur les dissemblances que M. Dujardin constate
par quelques exemples , et qu'il devait inévitablement rencontrer,
sous peine d'être en contradiction avec lui-même dans ce qui faisait
la base fondamentale de son travail. Des textes démotiques du
IIP siècle de notre ère et des textes coptes contemporains, voilà ce
qui seulement pouvait être m,is en regard ; toute autre comparaison
était essentiellement illusoire et inutile; et, par suite, toute conclusion
tirée d'une comparaison de ce genre devenait fausse et nulle.
Ma tâche n'est pas Gnie encore, puisqu'il me reste à faire justice
des phrases suivantes : « Que l'on examine dans la grammaire elle-
(c même toutes les traductions d'inscriptions appartenant à l'époque
« romaine, et que l'on ne s'en laisse point imposer par les caractères
« employés qui sont bien réellement des caractères coptes, on verra
« qu'elles ne contiennent pas un seul mot copte, pas un seul, obtenu
(( au moyen de la nouvelle méthode; et que quand il se rencontre,
« ce qui est rare , quelque mot de cette langue que l'on parlait en
(c Egypte au IP siècle de notre ère, il répond à un caractère sym-
« bolique sous lequel M. Champollion place le nom copte de l'idée
<( qu'il est supposé représenter. L'examen des fragments empruntés
ce à l'inscription de Rosette nous donne absolument les mêmes
c( résultats.... Nous obtenons, par les procédés de lecture qui nous
(c sont proposés, une langue nouvelle qui, loin de pouvoir démontrer
(c la certitude de ces procédés, aurait besoin elle-même d'être dé-
« montrée. Dès cet instant, la nouvelle méthode est jugée. »
Après avoir pris M. Dujardin en défaut comme je l'ai fait, j'aurais
pu, je pense, écrire aussi ; Dès cet instant la critique de M. Dujardin
est jugée : je n'ai pas eu cette outrecuidance. J'ai préféré fouiller
jusqu'au fond sa pensée et démontrer de point en point que tout ce
qu'il avait dit était contestable, pour ne pas dire plus. Ici, malheu-
reusement , mon rôle change , et je ne puis plus dire : M. Dujardin
s'est trompe. A l'en croire , les phrases rapportées par Champollion,
comme exemples à l'appui de ses aphorismes grammaticaux, ne con-
tiennent pas un seul mot copte, pas un seul; il n'est pas possible
que le critique ait été de bonne foi lorsqu'il écrivait ces dures pa-
roles. Que penser d'une semblable assertion en face de la longue
série de mots égyptiens hiéroglyphiques, purement phonétiques, rap-
portée à la page 60 et aux pages suivantes, mots qui présentent tous
LES HIÉROGLYPHES ET LA LANGUE ÉGYPTIENNE. 359
une identité presque absolue avec les mots coptes corrrespondants?
Sont-çe des choses étrangères à l'Egypte que celles désignées par les
mots: Gloire y soif, dent, lait, vin, lune, vache, lumière, soleil, etc.,
etc.? Et puisque ce ne sont pas des choses étrangères, que devient
l'opinion si tranchée de M. Dujardin? Je laisse à d'autres le soin de
qualifier le sentiment qui l'a dictée.
La première phrase hiéroglyphique rapportée en exemple se trouve
page 81; elle se transcrit, abstraction faite des déterminatifs et des
signes du pluriel qui suivent les substantifs :
TF EHO, OPT, ERP, ERT, MRH.
et se traduit : ce II donne des bœufs, des oies, du vin, du lait, de
(( la cire. »
Au lieu de TF , qui se compose du radical T donner et du
pronom affixede la troisième personne du masculin singulier F , on
trouverait en copte FTl , mot dans lequel le pronom F préfixe est suivi
du radical Tl donner. Quant aux substantifs extraits de cette phrase,
le lecteur peut en faire la comparaison avec les substantifs coptes
correspondants, en tenant compte de la suppression des voyelles dans
l'écriture égyptienne et de l'équivalence des liquides L et R. En
voici le tableau :
Egyptien.
Copte.
Signiûcation.
EHO
EHOOU
Bœufs.
OPT
n'a pas encore été retrouvé
dans les textes coptes.
Oies,
ERP
ERP
Vin.
ERT
EROTE
Lait,
MRH
MOULH
Cire.
Dans cet exemple , sur six mots cinq sont coptes , et je me con-
tente de cette réponse à l'affirmation de M. Dujardin. Quant aux
exemples tirés du teniple d'Esné et du décret de Rosette, comme
tous ceux qui ont été donnés sont essentiellement religieux et formés
des idées temple. Dieu, fête, etc. , accompagnés de noms propres de
divinités , je maintiens qu'il n'y a pas lieu de s'étonner de ce que ces
phrases sont empreintes d'un symbolisme assez transparent pour
qu'il y ait impossibilité de faire un contre-sens en les traduisant.
M. Dujapdinen convient en disant ; « Le sens d'un grand nombre
de caractères et de groupes hiéroglyphiques a pu être déterminé
d'une manière certaine, indépendamment de toute lecture. » Mais
quand il ajoute : C'est là ce qui a égaré M. Champollion, il rai-
360 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sonne de la façon la plus étrange, car l'erreur absolue ne peut pas
découler avec la vérité, du même coup et des mômes faits observés par
le même esprit. Si M. Dujardin se fût borné à blâmer l'hafiitude
que Champollion avait de transcrire en lettres coptes de purs symboles
dont la véritable prononciation ne sera peut-être jamais connue , je
serais le premier à lui donner raison; mais telle n'a pas été sa pensée ;
blâmer tout et sans réserve, c'est ce qu'il a voulu ; voilà précisément ce
qui m'a décidé à discuter son opinion sans indulgence, ou plutôt sans
faiblesse. Un peu plus loin, M. Dujardin accuse Champollion de s'être
engagé dans la voie des étymologies pour rattacher sa langue nou-
velle à la langue copte: « C'est, dit-il, par des rapports étymologiques
(( qu'il a cru masquer les différences profondes que nous avons signa-
<( lées : ces rapports l'ont séduit; nous le concevons; il est l'auteur de
c( la méthode nouvelle. Mais nous qui examinons, libres des préoccu-
pe pations par lesquelles il se trouvait dominé, tous ces rapproche-
K ments, quelque ingénieux qu'ils soient, ne sauraient nous faire
tt illusion , et nous rejetons un système qui ne s'appuie que sur des
« subtilités étymologiques. »
Le lecteur a vu plus haut quelques échantillons des subtilités éty-
mologiques de Champollion; et comme je l'ai mis en demeure d'ap-
précier ce que je me permets, à mon tour, d'appeler les subtilités
logiques de M. Dujardin, il pourra juger en connaissance de cause,
et décider ce qu'il veut, ce qu'il doit accorder de confiance aux dires
passionnés du critique de la grammaire égyptienne.
L'article de M. Dujardin est terminé par des observations plus ou
moins justes sur l'emploi du copte fait par Champollion, qui, très-
certainement, savait fort bien cette langue, quoi qu'on en puisse dire.
A l'entendre, les fautes de syntaxe fourmillent, et le choix de ces fautes
à signaler serait seul embarrassant. Et cependant M. Dujardin n'est
pas absolument heureux dans ses reproches : « Parcourez la grammaire,
dit-il, vous y trouverez sans cesse l'article pluriel indéterminé, associé
aux noms de nombre, combinaison que la syntaxe copte n'admet
pas plus que la nôtre. » Au premier abord ce reproche semble juste,
et cependant, tout bien considéré, il ne l'est pas, cette prétendue
faute ne se retrouvant que dans des énumérations, comme, par
exemple, dans un compte de têtes de bétail enlevé à l'ennemi, oii
chaque nom d'espèce forme un titre indéterminé , suivi du nombre
d'individus capturés; de même, enfin, que nous dirions aujourd'hui
en français, on a pris à l'ermemi : drapeaux, 10; canons, 20; prison-
niers, iOOO. Je le demande, dans le cas oii l'on aurait à traduire
LES HIÉROGLYPHES ET LA LANGUE EGYPTIENNE. 361
en copte une énuméralion de ce genre, de quel article pluriel se ser-
virait-on, si ce n'est de l'article indéterminé?
A propos du mot égyptien nib signifiant tous, et que ChampoUion
transcritconstammentainsi,M. Dujardin ajoute : nib, préféré, je ne sais
pourquoi, au mot nim du dialecte thébaïque et au mot niben du dialecte
memphitique. Le pourquoi, le voici : c'est qu'il est rendu incontestable
par des centaines de passages que le même symbole signifie tout et
seigneur. Or ce dernier mot est 7iè6 ou nib en copte, et, de plus,
M. Dujardin a sans doute oublié qu'en bascbmourique tout se ditm6t.
Il était donc absolument nécessaire de lire ce symbole nib ou nibi en
restituant la voyelle finale qui s'est conservée dans le dialecte bas-
cbmourique.
Puis, à propos des mots coptes djo , tête , rat, pied, ro , bouche,
M. Dujardin avance qu'ils ne se montrent dans la grammaire de
ChampoUion qu'avec les articles simples ou possessifs : petro, ta
bouche; netrat, tes pieds ;^/i5en/o, leurs têtes; tandis que dans les
livres coptes les mêmes mots n'admettent pas autre chose que des
terminaisons comme rof, sa bouche; djoSf sa tête; ratou, leurs pieds.
Ajoutons, dit-il, que les articles possessifs, /)e^, net, ensen, sont com-
plètement étrangers à la langue copte.
Cette fois M. Dujardin a raison, l'exemple dans lequel il a reconnu
ces fautes de copte, se trouve à la page 205, et il est incontestable que
les prétendus articles possessifs , /)e^, net, ensen, ne sont ni égyptiens
ni coptes; aussi dans le chapitre fort détaillé, oii ChampoUion traite
des articles possessifs, le tableau général des articles ne présente-t-il
aucun des trois mots monstrueux que le lithographe a tracés par mé-
garde, et qui eussent infailliblement disparu si l'auteur n'eût été, par
sa mort prématurée , empêché de corriger lui-même les épreuves de
son livre. On a donc mauvaise grâce de reprocher à ChampoUion les
fautes d'un artiste qui, sans aucun doute, ne se piquait pas de savoir
le copte.
Quant à l'observation sur l'emploi des pronoms personnels suffixes
comme pronoms possessifs, elle est très-juste, et les trois mots cités
par M. Dujardin comme comportant ces pronoms possessifs suffixes
ne sont pas les seuls mots coptes auxquels cette règle soit applicable;
les mots tôt , main , hèt, cœur, sont dans le même cas, et ce qui n'est
plusdans le copte qu'une exception était positivement la règle générale
dans l'ancienne langue égyptienne. En un mot, le fait allégué par
M. Dujardin est un des faits grammaticaux les plus favorables à la
méthode de lecture de ChampoUion. Je ne suis pas aussi convaincu
362 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de la justesse du reproche adressé à la locution mai/, aimant lui, mise,
dans les transcriptions de Champollion à la place du copte moderne
etmaiemmof (\\ie M. Dujardin voudrait à toute force y trouver. Il n'est
pas possible, en effet, de contester l'existence de l'emploi même récent
des pronoms personnels régimes suffixes dont le mot maif^ qui aime
lui, est un exemple, et le savant Peyron est fort explicite sur le
compte de ces pronoms aux pages 5 i et 55 de son excellente gram-
maire. Dès lors, si en copte, mainoute veut dire aimant Dieu, mai-
chemmo, aimant les étrangers, pour hospitalier, mai/" signifie tout
naturellement aimant lui.
Et maintenant M. Dujardin avait-il le droit de dire? «Ces négligences
et bien d'autres encore qu'il serait trop long de citer, montrent a quel
point M. Champollion avait perdu de vue les règles de la langue copte ;
elles suffiraient, quand même l'art des rapprochements étymologiques
dont il a fait usage, serait moins trompeur, elles suffiraient pour faire
douter de la réalité des rapports qu'il a cru apercevoir entre cette
langue et les résultats de ses lectures. »
Le lecteur jugera lui-même.
Il ne me reste plus maintenant qu'à exprimer sans arrière-pensée
le regret sincère que j'éprouve et que tous les amis des progrès scien-
tifiques partageront sans doute, en pensant que le docteur Dujardin a
péri sur les rives du Nil, au moment môme où il allait se mettre à la
recherche des manuscrits coptes qu'il était plus que personne à même
d'apprécier et de recueillir. Profondément versé dans la connaissance
de cette langue, il eût, j'en suis convaincu, puisé dans lexécution
de la mission honorable qui lui avait été confiée à si juste titre, la cer-
titude qu'il s'était laissé entraîner, beaucoup plus loin peut-être qu'il
ne l'avait voulu lui-même, par des influences étrangères. De retour
en France, il eût, sans aucun doute, reconnu et réparé loyalement le
tort qu'il avait fait à l'étude dont il proclamait hautement l'utilité, et
son appui consciencieux eût été probablement plus profitable à la
science des écritures égyptiennes que son dédain ne leur a été nuisible.
F. DE Saulcy, membre de l'Institut,
RAPPORT
FAIT
A L'ACADÉMIE ROYALE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES,
AU NOM DE LA COMMISSION DES ANTIQUITÉS DE LA FRANCE ,
PAR M. LENORMANT.
LU A LA SÉANCE PUBLIQUE DU 9 AOUT 1844.
Messieurs,
Votre Commission des antiquités nationales a éprouvé cette année
l'embarras des richesses. Plus de trente ouvrages imprimés ou ma-
nuscrits avaient été présentés au concours. C'a été une tâche des
plus délicates que de classer des productions dont les sujets et le
caractère offraient tant de variété; et même, après s'être acquittée de
cette lâche avec tout le soin dont elle était capable, votre Commis-
sion est contrainte de demander qu'on n'attribue point une signifi-
cation absolue à l'ordre dans lequel sont énumérés les ouvrages
qu'elle a le plus distingués, certaines productions n'ayant dû la pré-
férence dont elles ont été l'objet, qu'à ce qu'elles rentraient plus
spécialement dans le cadre des antiquités, dont l'Académie a surtout
voulu encourager l'étude.
L'observation qu'on vient de faire ne s'applique point à l'ouvrage
auquel votre Commission vous propose d'accorder la seconde médaille.
En tout état de cause, le Recueil des archives d Anjou, par M. Paul
Marchegay, aurait excité votre attention et mérité vos suffrages.
M. Marchegay a puisé dans l'École des chartes, une instruction so-
lide, avec un goût passionné pour la diplomatique et la paléographie.
C'est dans toute la force du terme un bénédictin laïque , s'il est
permis à l'érudition seule de s'emparer d'un nom qu'elle a si puissam-
ment contribué à maintenir en honneur dans le cours des deux der-
niers siècles. Chargé de la conservation des archives du département
de Mai ne-et Loire, M. Marchegay devait ressentir un attrait parti-
culier pour les souvenirs de l'abbaye de Saint Maur de Glanne-
feuille , qui reçut la première dans la Gaule le disciple de saint
Benoît , et qui, plus de mille ans après, était destinée à donner son
nom à la réforme dont l'influence a produit les principaux raonu-
364 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ments de l'érudition bénédictine. Cette recherche toutefois aurait re-
buté la patience des investigateurs ordinaires. Indépendamment de
plus anciens désastres qui l'avaient ruinée et appauvrie, l'abbaye de
Saint-Maur fut pillée trois fois dans le XVP siècle. La dernière de
ces calamités pensa consommer la destruction de ses titres. Quand la
paix et l'ordre furent rétablis, ce fut à peine si les religieux purent
recueillir quelques lambeaux à demi consumés de leur précieux car-
tulaire. De nouveaux périls attendaient ces débris, lors de la sup-
pression des monastères : les vingt-neuf feuillets arrachés aux sol-
dats de Duplessis-Mornay, furent de nouveau lacérés et dispersés
dans des liasses composées des papiers les plus disparates. M. Mar-
chegay est parvenu à les retrouver tous , et le Recueil des archives
d'Anjou contient les LXII chartes de Saint-Maur, toutes antérieures
au XlIP siècle, un grand nombre contemporaines des deux pre-
mières races, et inédites pour la plupart.
Mais ce n'a été là pour M. Marchegay que la moindre et la plus
facile de ses conquêtes. Le dépôt des archives de Maine-et-Loire
possédait, il y a une quinzaine d'années, un cartulaire également du
XIP siècle, appelé le Lwre Noir, et provenant d'un monastère
moins illustre par son origine que celui de Saint-Maur, mais dont
l'importance dura bien plus longtemps, l'abbaye de Saint-Florent de
Saumur. On ignore dans quelle année précisément, et par suite de
quelle infidélité ou de quelle négligence a disparu le Lwre Noir de
Saint-Florent; seulement la perte de ce monument diplomatique avait
été constatée avant l'installation de M. Marchegay. Mais que les amis
de la science se rassurent I avec un tel archiviste, il n'est point de
pertes irréparables. Les copies des différentes pièces dont se compo-
sait le Liçre Noir, étaient éparpillées dans un grand nombre de re-
cueils, ou conservées en original dans le dépôt de Maine-et-Loire.
M. Marchegay, avec une sagacité et une patience admirables, a
rapproché ces documents épars en y rattachant les indications acces-
soires qu'il avait pu recueillir. A cinq ou six chartes près, il nous
rend le Livre Noir : travail singulier, unique en son genre, et auquel
ne sauraient trop applaudir ceux qui s'intéressent au progrès de notre
histoire.
On sait en effet quelle est l'importance et l'autorité des chartes,
surtout pour les époques les plus anciennes : elles suppléent alors
presque toujours au silence ou à l'excessive sécheresse des chroni-
queurs. Plus tard, et quand les renseignements commencent à de-
venir abondants, les chartes perdent peu de leur valeur : c'est à leur
RAPPORT DE M. LENORMANT. 365
aide surtout qu'on surprend les secrets de la vie civile; sans elles les
pensées dominantes du moyen âge et les rouages de l'organisation
sociale resteraient souvent enveloppés d'un mystère impénétrable.
Nous venons de voir les résultats de fortes études dans un homme
jeune et dévoué. La production désignée à vos suflVages pour la
troisième médaille diffère totalement de celle qui précède. Vous ne
trouvez dans les Recherches historiques sur le département de VAin ,
ni les ressources, ni les prétentions d'une érudition profonde. C'est
tout le charme, c'est souvent aussi tout le décousu de la conversa-
tion chez un homme qui, à des connaissances très-variées, joint
l'habitude du monde, et cette curiosité intelligente pour laquelle les
moindres détails ont leur intérêt et leur signification.
M. de la Teyssonnière n'a point voulu faire une histoire : il s'est
contenté de classer, dans un ordre chronologique (et qui n'est pas
toujours suivi avec une scrupuleuse fidélité), le fruit de ses lectures
et de ses recherches, en les accompagnant de réflexions sensées,
quelquefois piquantes, et dont une mise en œuvre plus soignée au-
rait pu faire ce qu'on appelle complaisamment aujourd'hui de grandes
vues historiques. Les défauts et les mérites du volumineux ouvrage de
M. de la Teyssonnière se résument en un seul mot : variété. Riche
surtout en détails sur les coutumes locales , la législation et les inci-
dents du foyer domestique, il ne lui manque sous ce rapport qu'une
exactitude plus constante dans l'indication des sources oii l'auteur a
puisé les matériaux de ses recherches.
Après le paléographe exercé, après le causeur instruit et spirituel ,
nous avons placé l'historien proprement dit, l'homme qui saisit les
masses, et y subordonne sans peine les faits accessoires. On ne sau-
rait assurément dénier ces qualités à M. Chéruel , auteur d'une
Histoire de Rouen pendant l époque communale , et c'est à propos de
ce livre surtout, que votre Commission a éprouvé quelque peine à se
rappeler qu'elle avait pour mission de couronner plutôt l'œuvre de
l'antiquaire que celle de l'historien. Sans doute on remarque un cer-
tain contraste entre les espérances que M. Chéruel avait conçues en
entreprenant son livre, et le langage un peu désabusé de la con-
clusion. Point de noms illustres à exhumer, de grandes actions à
mettre en lumière, dans l'histoire de cette commune indisciplinée,
égoïste, tracassière, comme presque toutes les>communes du moyen
âge. Si l'on prend quelque intérêt à sa formation, on la voit au
contraire disparaître sans regret, et se fondre, par la perte de ses
privilèges, dans la grande unité nationale. Cependant Y Histoire de
366 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Rouen a ses renseignements précieux. Là se montre, plus marquée
peut-être que partout ailleurs, la transition progressive de l'état de
serf à celui de citoyen d'un grand royaume. La ville de Rouen est
comme la personnification intelligente et passionnée des sentiments
qui durent successivement attacher à la cause française ou en séparer
les provinces qui, dans l'origine, avaient joui d'une existence indé-
pendante de la royauté. Sous le gouvernement d'un Philippe Auguste
et d'un Louis IX, elle passe promptement d'une résignation sombre
à un attachement sincère pour ses nouveaux maîtres. Un règne
tyrannique, suivi d'une administration désordonnée, ébranle sa fidé-
lité du XIII" siècle, mais ne la détruit pas immédiatement; elle
donne encore son sang à Crécy pour la France, et ne se livre à
l'esprit de sédition qu'après Poitiers. La sage administration de
Charles V restaure 1 esprit français dans la cité normande ; au
milieu de la lutte si difficile que notre pays soutint alors, la résistance
isolée des communes devint une cause de salut pour la France. La
constance des Rouennais y produisit un effet prépondérant, et
Charles V prouva qu'il l'avait bien compris en léguant son cœur à
leur cathédrale. Mais bientôt les tuteurs de Charles VI détruisent
l'œuvre du prudent monarque à Rouen comme dans le reste du
royaume : de là, une rébellion terrible , punie avec une rigueur irré-
fléchie, dont le ressentiment jette la capitale de la Normandie dans le
parti de l'étranger. Trente-sept ans de servitude apprirent aux
Rouennais que l'abandon de la cause nationale est un triste remède
au mauvais gouvernement de la patrie.
Ces remarques intéressantes ne trouvent malheureusement qu'une
assez faible place dans le livre de M. Chéruel. Avec quelque talent
que ce professeur ait traité son sujet, il n'a pu échapper à ce qu'ont
de monotone et de fastidieux les querelles incessantes de la commune
et du chapitre, de la ville et de l'abbaye de Saint-Ouen : en un mot,
l'historien est supérieur au sujet qu'il a choisi. Une critique toute
contraire s'applique à YHistoire des comtes de Flandre , par
M. Edward Leglay; ici la tâche était peut-être trop forte pour celui
qui l'avait embrassée.
Et d'ailleurs, en se réduisant à un simple récit, en s'interdisant
toute réflexion et, comme il le dit quelque part, toute pause, M. Le-
glay n'a-t-il pas accru à plaisir la difficulté de son entreprise? Il est
vrai que, se proposant surtout de faire une introduction à la belle
histoire des ducs de Bourgogne par M. de Barante, il a cru devoir
suivre fidèlement le système adopté par son modèle. Mais qui ne voit
RAPPORT DE M. LENOUMANT. 367
qu'un pur récit qui s'approprie à des événements d une notoriété
éclatante , comme tout ce qui se rapporte aux règnes de Charles VI
et de Charles VIÏ, ne saurait convenir aux annales obscures et con-
fuses des premiers comtes de Flandre? L'historien de ces princes est
obligé, sous peine de n'être pas compris, d'entrer dans les détails des
généalogies et des alliances; il lui faut faire marcher de front les
souverainetés diverses qui, pendant plusieurs siècles, ont occupé le
sol de la Belgique : les ducs de la basse Lorraine et du Brabant, les
comtes de Hainaut, de Boulogne et de Hollande réclament son atten-
tion tout autant que les comtes de Flandre. Comment d'ailleurs ne
pas s'arrêter à la fondation , au progrès de toutes ces villes, à l'origine
et au développement de ces puissantes industries? Qu'est-ce que
l'histoire de Flandre sans les mœurs? Depuis les Forestiers des pre-
miers temps jusqu'au brasseur Artevelle, quels changements, quelle
transformation ! Cette terre est d'abord comme le centre des mœurs
héroïques : les Francs en descendent sur la Gaule ; elle donne aux
croisades le premier roi de Jérusalem, le premier empereur latin de
Constantinople-, et, ensuite, comme si ce flot d'une barbarie glo-
rieuse s'était tout à fait écoulé vers l'Orient, une noblesse marchande
succède à la noblesse des temps de chevalerie. Semblables aux esclaves
des Scythe* qui avaient pris la place de leurs maîtres, entraînés au
loin parla passion des conquêtes, les serfs émancipés de la Belgique
fondent ces communes tumultueuses avec lesquelles les souverains
sont forcés de capituler dès le XÏP siècle, et en qui se développent
pour la première fois, les avantages et les inconvénients d'une démo-
cratie industrielle et marchande, peu difl"érente de celle dont le temps
présent offre de si notables exemples.
Telle est la grande révolution, dont nous aurions voulu trouver les
causes et le progrès plus clairement exposés dans V Histoire des comtes
de Flandre, On n'en lit pas moins, avec un vif intérêt, quelques
parties de ce livre, et surtout celles oii un récit clair et rapide
s'adapte à des circonstances plus saillantes, comme l'assassinat de
Charles le Bon et la poursuite de ses meurtriers. C'est là surtout que
les défauts du système adopté par M. Leglay disparaissent , et que
son mérite se montre avec avantage.
Tout en assignant à M. Chéruel une place plus élevée que celle à
laquelle M. Leglay peut prétendre, la Commission avait émis le vœu
qu'une quatrième médaille fut partagée entre ces deux historiens. Le
vœu a été accueilli par M. le Ministre de l'instruction publique, et,
grâce à cet acte d'une munificence dont l'Académie a déjà eu tant de
368 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
preuves, la médaille qui doit récompenser MM. Chéruel et Leglav,
sera mise à la disposition de l'Académie.
La Commission aurait été embarrassée, et ses dispositions au-
raient sans doute été différentes, si deux ouvrages, spécialement
consacrés à l'archéologie, Y Histoire de ïarl dans V ouest de la France,
et la Description des vitraux de Bourges , n'avaient été déjà couronnés
par l'Académie : celui-ci à la suite du concours de l'année dernière,
celui-là à une époque plus ancienne , mais dont la compagnie n'a
point perdu le souvenir, ayant depuis lors admis l'auteur au nombre
de ses correspondants.
MM. Martin et Cahier ont donné un heureux démenti aux craintes >
que votre Commission avait exprimées : la Description des vitraux de
Bourges, sans rien perdre de l'abondante et profonde érudition qui la
distingue, marche rapidement vers son terme : si les auteurs n'ont
plus trouvé l'occasion de développements aussi féconds que ceux qui
leur ont été suggérés par le vitrail représentant la nouvelle alliance,
en revanche, ils se sont abandonnés à de moins longues digres-
sions, et ont réformé en partie leur vocabulaire. Ce livre restera,
avec de grands défauts sans doute, mais avec des qualités supé-
rieures.
Ce n'est pas la science avec ses derniers efforts que les nombreux
lecteurs de M. de Caumont cherchent dans le Cours d* antiquités mo-
numentales; nous ajouterons même que s'il s'agissait déjuger un livre
d'après sa valeur absolue, celui que M. de Caumont vient de com-
pléter, par la publication d'un sixième volume consacré au mobilier
des édifices religieux, soulèverait quelques objections. On lui deman-
derait plus d'ordre et de méthode, une nomenclature plus correcte,
des opinions moins flottantes, une critique plus individuelle. Mais si
l'on juge l'ouvrage de M. de Caumont d'après l'effet qu'il a produit
et sur son incontestable utilité, la sentence sera nécessairement plus
favorable. Qui ne sait avec quel zèle M. de Caumont a propagé dans
toute la France l'étude de nos monuments? La Commission ne peut
/)ublier que le but de l'institution des médailles que l'Académie
distribue, a été d'encourager un genre de recherches dont l'abandon
était un juste sujet de chagrin pour les amis de la science. Si tout est
changé maintenant, si un zèle véritable a succédé à l'indifférence, il
y aurait de l'ingratitude à ne pas proclamer hautement les noms de
ceux qui se sont dévoués à ce mouvement. Et certes, M. de Cau-
mont occupe dans cette liste une des premières places.
Au jugement de la Commission, M. de Caumont et MM. Martin
RAPPORT DE M. LENORMANT. 369
et Cahier ont continué de mériter les médailles que l'Académie leur
a précédemment décernées.
Après les distributions, les vœux et les rappels de médaille, la
Commission a épuisé ses ressources; et il ne lui reste que le regret
de ne pouvoir désormais proportionner les témoignages de son ap-
probation au mérite réel des ouvrages dont elle va maintenant en-
tretenir l'Académie. L'Histoire de Gigny, par M. Gaspard ; V Abbaye de
Poniigny, par M. le baron Chaillou des Barres; la Descr'plion histo-
rique des maisons de Rouen, par M. de la Querière, et l'édition cri-
tique du Viversarum artium schedula, du moine Théophile, donnée
par MM. de l'Escalopier et Guichard, ont paru dignes à la Com-
mission d'une mention très-honorable , et plusieurs de ces pro-
ductions auraient été sans doute plus heureuses dans un moins riche
concours.
Ce fut une desCinée singulière que celle de la royale abbaye de
Gigny : liée intimement à l'histoire des principaux développements
de l'ordre de Saint-Benoît en France , elle n'y tient néanmoins qu'une
place secondaire , et on dirait qu'à toutes les époques elle s'est volon-
tairement refusée à prendre sa part de mérite et de gloire dans des
travaux dont l'influence a été si puissante sur la civilisation et Ja
science. Fondée avant Cluny par B. Bernon , les cénobites qui com-
mencèrent cette illustre abbaye, sortirent de son sein. Mais Cluny,
conhée à la direction des plus nobles esprits du X* siècle, grandit et
propagea rapidement son empire. Gigny, au contraire, demeura
stalionnaire, et ne se signala que par sa résistance au mouvement
dans lequel voulait l'entraîner son illustre fille. Vous chercheriez en
vain quelques-uns de ceux qui l'ont conduite ou habitée , dans la
liste des grands noms de l'ordre de Saint-Benoît, et ce n'est qu'après
être tombée en commende, au XV^ siècle, que le hasard de la dési-
gnation de ses prieurs jette sur elle un reflet indirect. Le plus illustre
de ces commendataires fut sans contredit le cardinal Julien de la
Rovère, depuis pape, sous le nom de Jules II; et ce n'est pas le
moins piquant des contrastes qu'offre l'histoire des arts, que de trou-
ver au pied du Jura, sur le portail d'une église qu'il avait fait recon-
struire dans le style gothique, le nom et les armes du protecteur de
Raphaël et de Michel-Ange.
Quand au XVIP siècle, se lève, pour l'ordre de Saint-Benoît,
l'aurore d'une glorieuse régénération, la royale abbaye ne se montre
pas mieux inspirée : elle refuse d'entrer dans la congrégation de
Saint-Vannes; elle aime mieux se recruter de gentilshommes à seize
370 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
quartiers, et rester ce qu'on appelait sérieusement alors un hôpital
de noblesse, que de devenir un des sanctuaires de la piété et de la
science. Plus tard, les illustres voyageurs, D. Martenne et D. Du-
rand, se présentant à Gigny, trouvent une maison en désordre, et ne
peuvent même pénétrer dans le dépôt des chartes. Quand la révo-
lution vint frapper les monastères, elle n'eut plus à détruire, dans
Gigny, qu'un chapitre noble, triste monument du relâchement et de
la décadence arrivée à son extrême limite.
On le voit, la royale abhaye n'excitera pas au dehors un bien puis-
sant intérêt; et pourtant elle a rencontré un historien passionné,
un défenseur intrépide. M. Gaspard, natif de Gigny, prend parti
pour l'abbaye, contre Cluny et la congrégation de Saint-Vannes,
contre Henri IV et contre la France, en un mot, contre tout le
monde. Jamais on ne vit patriotisme plus robuste; et, chose singu-
lière! le livre y gagne sous un rapport essentiel. Ne demandez pas à
M. Gaspard une appréciation exacte de l'histoire générale, un Sen-
timent juste du rôle religieux, politique et social qu'a joué le mo-
nastère de Gigny; ce qui le recommande, c'est une patience de re-
cherches à toute épreuve. Pas un nom, lié de près ou de loin à
l'histoire de Gigny, ne lui échappe : il en suit l'influence jusque dans
les ramihcations les plus éloignées; toutes les pierres ont pour lui un
langage, un souvenir. De tout cela résulte, non-seulement une
mine précieuse de renseignements^ mais encore un livre amusant et
original.
L'abbaye de Pontigny, près d'Auxerre, ofl'rait un intérêt plus sé-
rieux que celle de Gigny ; elle a trouvé, dans M. Chaillou des Barres,
un historien impartial et judicieux. Sans doute le livre assez court
qu'il a écrit est plutôt le fruit des loisirs d'un homme instruit, que
le résultat d'un labeur patient et soutenu pendant de longues années;
mais on aurait tort, pour quelques inexactitudes, pour quelques
traces de négligence, cte ne pas tenir compte, au nouvel historien,
des qualités attachantes qui distinguent son récit. Et d'ailleurs,
quelle grandeur dans cette histoire! quel intérêt dans les person-
nages qui y figurent! Saint Bernard préside à la naissance de Pon-
tigny; il imprime à l'immense vaisseau de son église le cachet de son
austère réforme. Bientôt la seconde fille de Cîteaux devient le refuge
des hommes les plus importants de l'Église d'Angleterre. Les murs
parlent encore de leurs illustres hôtes : Thomas Becket, Etienne
Langlon; et son sanctuaire expose à la vénération des fidèles les
restes de saint Edmond, celui des archevêques de Canlorbéry dont
RAPPORT DE M. LENORMANT. 371
le nom clôt la liste, commencée à Lanfranc et à saint Anselme, des
grands évoques, qui furent les rivaux des princes et les protecteurs du
peuple. Admirable dans sa ferveur, Pontigny n'est pas moins cu-
rieuse à étudier dans sa décadence. Le caractère de Dom Chanlatte ,
dernier abbé sous la protection duquel s'abrita quelque temps le cer-
cueil de Voltaire , a fourni à la plume de M. Chaillou des Barres le
sujet d'observations à la fois piquanties et mesurées.
M. de la Querière est venu trop tard au concours, et il en porte la
peine. Quand il y a plus de vingt ai^s, il pqblia la Description histo-
toriqae des maisons de Rouen, c'était un heureux novateur. L'un
des premiers, il avait ressenti un intérêt intelligent pour ces vieux
témoins de la vie privée de nos pères ; le premier, il avait assuré le
souvenir de ces débris fragiles d'un art ingénieux et délicat. Le vo-
lume que M. de la Querière a récemment mis au jour, complète ses
recherches; et, quoiqu'il ait eu bien des imitateurs, l'exactitude des
renseignements et le mérite des planches , conservent à sa publica-
tion une grande partie de ses avantages primitifs. C'est, au reste, un
véritable nécrologe que le livre de M. de lu Querière : peu à peu,
tous ces petits chefs-d'œuvre de l'architecture civile, pendant les
XV* et XVI^ siècles, qui décoraient nos villes du nord de la France,
surtout dans la Normandie et les provinces de la Loire, disparaissent
sous les coups de deux ennemis implacables , l'ignorance des pro-
priétaires et la passion des alignements. Lorsque les villes regor-
geaient de ces richesses, on n'y faisait aucune attention; quand,
au contraire , tout le monde aura appris à les goûter et à les regret-
ter, il n'en restera plus vestige. On consultera alors le livre de M. de
la Querière , avec le sentiment douloureux auquel les amis des arts
ne peuvent se soustraire, en retrouvant dans Ducerceau et dans
Chastillon, ces palais, ces châteaux qui nous rendraient, si nous
les possédions encore, moins jaloux des merveilles architecturales de
l'Italie.
Aujourd'hui, cependant, on a commencé à faire de sérieux efforts
pour s'arrêter dans cette voie de démolition ; si un zèle éclairé n'est
que trop fréquemment impuissant à conjurer la deslriiclion des édi-
fices qui appartiennent à des particuliers, il n'en est pas de même
des monuments publics, que protège une sollicitude de plus en plus
active de la part du gouvernement et des autorités locales. On ne se
contente pas de soutenir les monuments, on les restaure : sorte d'opé-
ration d'une nature très-délicate, et qui ne saurait être conduite à
bien, sans la connaissance pratique des procédés en usage chez les
372 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
artistes du moyen ège. C'était donc , dans les circonstances actuelles,
une publication opportune, que celle du seul ouvrage dans lequel
aient été minutieusement décrites les recettes employées par le
peintre, le verrier, le mosaïciste, le ciseleur et le fondeur de mé-
taux, à l'époque oii la plupart de nos grands édifices religieux furent
bâtis et décorés. Lessing avait déjà donné , dans le recueil de la biblio-
thèque de Wolfenbiittel, l'ouvrage du moine Théophile ; Raspe l'avait
reproduit en Angleterre , à la suite d'une dissertation sur l'origine de
la peinture à l'huile; mais ces éditions étaient fort rares en France, et
l'on n'avait pas établi définitivement le texte d'après la collation des
divers manuscrits. M. de l'Escalopier s'est acquitté de cette tâche
avec succès, et le magnifique volume qu'il a donné suffira sans doute
pendant longtemps aux savants et aux artistes, pour lesquels l'ouvrage
de Théophile présente un intérêt du premier ordre. Malheureuse-
ment, des notes un peu superficielles et une traduction tellement lit-
térale , qu'elle en devient inexacte , nuisent à l'ensemble de ce beau
travail. A part le texte, il n'aurait donc eu qu'un prix secondaire aux
yeux de la Commission, si M. Guichard ne l'eût enrichi d'une disser-
tation claire et spirituelle, dans laquelle sont discutés, et à peu près
établis, l'origine et l'âge de l'auteur, ainsi que le mérite de son ou-
vrage. Suivant M. Guichard , Théophile était Allemand , et doit
avoir vécu à la fin du XII" ou au commencement du XllP siècle.
Voici déjà bien des noms, et cependant nous n'avons pas comblé la
mesure de nos éloges. On en doit à M. Cartier, l'un des fondateurs
de la Reme rmmsmaliqae , auteur de Lettres sur ïhistoire monétaire
de France, insérées successivement dans cette Revue, et dont le re-
cueil a été mis sous les yeux de la Commission. M. Cartier joint à un
grand zèle pour l'étude de nos antiquités numismatiques , des con-
naissances spéciales sur l'art monétaire, qui l'ont mis en état d'éclair-
cir un certain nombre de difficultés techniques. Ses vues sur les vicis-
situdes de la monnaie baronnale sont justes et ingénieuses, et ses
conjectures quelquefois heureuses quant à l'attribution des tiers-de-
sou d'or mérovingiens. Mais l'étude de ces derniers monuments ne
saurait conduire à des résultats positifs sans un dépouillement appro-
fondi des documents littéraires et diplomatiques des premiers siècles
de la monarchie, et M. Cartier n'a pas abordé cette étude.
Nous devons à M. Mantelier une Notice sur la monnaie de Trévoux
et de Dombes. Les monuments de cette monnaie appartiennent à une
époque comparativement récente, puisqu'ils ne commencent qu'après
le milieu du XV* siècle, quand l'héritage des sires de Villars et
I
UAPPORT DE M. LENORMANT. 373
de Thoire eut été dévolu à la maison de Bourbon : mais aussi ils se
prolongent plus tard que le reste de la numismatique des feudataires
français, et il est piquant de voir la Grande Mademoiselle, au nom
et comme souveraine d'une imperceptible enclave dans le vaste
royaume de Louis XIV, frapper des écus d'argent à l'égal de son fier
cousin le roi de France. M. Mantelier n'a pas connu tous les moyens
dont les agents de Louis XIV se servirent pour dégoûter la fille de
Gaston de l'exercice d'un attribut aussi important de la souveraineté :
sa Notice n'en est pas moins judicieuse et élégamment écrite.
Il faut applaudir au zèle déployé par les auteurs du Nivernais,
album historique et pittoresque, ouvrage soumis à la Commission avec
un grand nombre de corrections et d'additions manuscrites. M. Mo-
rellet, le principal auteur de ce recueil , a eu raison d'en entreprendre
la révision; seulement il ne l'a pas faite assez sévère. Un style plus
châtié et moins empreint de néologisme, des couleurs moins hasar-
dées, des ornements moins étrangers au sujet, auraient imprimé à
ce livre une physionomie plus grave et un cachet d'utilité incon-
testable. Tel qu'il est, il témoigne d'un courageux dévouement et
d'un ardent amour de la terre natale. La Commission n'a pas voulu
se montrer trop rigoureuse pour une production considérable, et qui
atteste les progrès rapides de la typographie et de l'impression sur
pierre dans les provinces.
M. Cartier, M. Mantelier, M. Morellet et ses collaborateurs ont
paru dignes à la Commission d'une mention honorable. Elle exprime
le même vœu à l'égard du Recueil manuscrit des inscriptions grecques
et latines de Glanum, envoyé par M. le marquis de Lagoy, correspon-
dant de l'Académie, et du Rapport imprimé de M. Rouard, sur les
fouilles faites à Aix dans le cours de Vannée 1 842.
On connaît les beaux monuments de Glanum , aujourd'hui Saint-
Remy : cette ville tient aussi une place honorable dans la numisma-
tique grecque de la Gaule. Le recueil des inscriptions rassemblées par
M. Lagoy pourrait déjà servir à reconstruire, en quelque sorte, l'an-
tique histoire de Glanum. On y remarque trois inscriptions gauloises
en caractères grecs, sorte de monuments auxquels le témoigiiage de
Jules César nous avait préparés , et sur lesquels toutefois on n'a ap-
pelé que très-récemment l'attention de l'Académie.
Le rapport de M. Rouard est excellent : mais les fouilles de 1842
ont malheureusement été peu productives. On verra sou\ent des tré-
sors inappréciables surgir à la surface du sol, et se disperser aussitôt
entre des mains ignorantes et cupides : ici toutes les précautions étaient
I. 25
374 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
prises; remplacement d'Aquse Sextiae était admirablement choisi:
l'Académie d'Aix épiait, le style à la main , les moindres circonstances
de la fouille, et l'on n'a trouvé qu'une mosaïque médiocre, des médailles
insignifiantes et deux marbres d'un intérêt secondaire. Ce sont là des
coups de cette Fortune, dont les autels ont couvert le monde, et que
par distraction un antiquaire pourrait bien encore implorer ou mau-
dire.
Des éloges et des encouragements sont dus à M. Doublet de
Boisthibault , lequel a donné, dans un mémoire manuscrit, des
détails sur la découverte du tombeau de saint Chaletric, évêque de
Chartres au VP siècle, et à M. Auguste Pelet, auteur d'une bonne
Notice des monuments antiques conservés dans le musée de Nîmes. On
doit savoir gré à M. Pelet d'avoir, par cette publication, comblé une
lacune qui affligeait les amis de la science , dans le chef-lieu des
antiquités romaines de la Gaule , et dans la patrie de Séguier. De son
côté, M. Doublet de Boisthibault a eii raison de ^lire connaître à
l'Académie un monument contemporain des rois mérovingiens, orné
d'une épitaphe dans laquelle on sent encore le parfum de la primi-
tive Eglise. La Commission a pensé qu'un extrait du travail de
M. Doublet de Boisthibault pourrait figurer avantageusement dans
le recueil de ses Mémoires.
Afin d'achever l'énumération des ouvrages sur lesquels l'attention
des commissaires a été appelée, il suffira d'indiquer YHistoire ma-
nuscrite de la cité des Carnutes et du pays chartrain, par M. Ozeray ;
la Notice historique sur la Guïlloneu, par M. Cassany Mazet; les
Recherches imprimées et manuscrites relatives aux vigueries et aux
origines de lu féodalité en Poitou, par M. de la Fonlenelle de Vaudoré;
les Coutumes de Charroux, ouvrage manuscrit du même correspon-
dant de l'Académie; Y Attribution à Solonium de la médaille gauloise
avec la légende Solos, par M. Chaudruc de Crazanne, notre cor-
respondant; Histoire des juifs dans le nord- est de la France, par
M. Emile Bégin , et le second volume de YHistoire de la cathédrale de
Metz, ouvrage du même auteur, déjà mentionné dans le rapport de
l'année dernière.
Enfin , quels que soient les égards que nous impose la confiance
des personnes qui soumettent leurs ouvrages au jugement de l'Aca-
démie, nous ne pouvons nous dispenser de dire quelques mots des
singulières observations qu'on trouve dans un livre intitulé : Ar-
chéologie celto -romaine de V arrondissement de Châiillon- sur -Seine,
Les auteurs de cette Archéologie ont accru le nombre des habitants
m
RAPPORT DE M. LENORMANT. 375
de rOlympe celtique : ils y ont découvert le dieu Ogne, d'où vient
Bourgogne; le dieu Hé, d'où vient Valais; le dieu /, d'où dérive le
nom des Ueh'cùi. De quelque manière que ce livre ait été conçu, que
l'intention en soit sérieuse ou satirique , les auteurs ont eu tort de
l'envoyer à l'Académie : de telles productions ne sont pas de notre
compétence.
L'Académie s'étonne peut-être de ce que, après avoir mentionné
tant d'ouvrages divers , nous n'ayons encore rien dit de celui auquel la
Commission a cru devoir décerner la première médaille. C'est que,
indépendamment du mérite intrinsèque de cet ouvrage, un doulou-
reux intérêt s'y attache. Dans les premiers jours d'avril dernier,
M. Hercule Géraud présenta à l'Académie un Mémoire manuscrit sur
Ingehurge de Danemark, reine de France. Le 9 mai suivant, il avait
cessé de vivre. La Commission saisie de l'examen du Mémoire n'a pas
cru que la mort de l'auteur fût un motif pour l'exclure du concours :
elle a pensé, au contraire, qu'en attachatit une récompense éclatante
au dernier de ses ouvrages, elle témoignerait ainsi de son estime
envers un savant dont l'Académie avait suivi les progrès avec un
constant intérêt.
La notice sur Ingeburge de Danemark était une suite à des travaux
du même genre sur les houders, sur Marcadier, sur le Comte-évéque,
que M. Géraud avait insérés dans la Bibliothèque de l'École des
chartes, et par lesquels il préludait à la composition d'une histoire
critique de Philippe Auguste et de son siècle. Ces publications suc-
cessives avaient excité l'att» ntion de ceux qui croient que l'histoire de
France ne pourra enfin être écrite d'une manière satisfaisante que
quand les vastes matériaux dont elle se compose auront été soumis à
une analyse approfondie, et pour ainsi dire, à une trituration com-
plète. M. Géraud se montrait admirablement préparé pour accomplir
une partie de celte tâche. Une prodigieuse facilité de travail, une
inaltérable clarté dans la disposition des matériaux, une critique
juste , une modération constante , telles étaient les qualités précieuses
qu'on voyait chez lui se développer et grandir.
La plupart des lecteurs ne s'accommodent pas des scrupules de
l'historien critique : ils s'ennuient de ses lenteurs , ils refusent de le
suivre dans la comparaison consciencieuse des autorités et des témoi-
gnages, sans laquelle pourtant la recherche de la vérité n'est qu'une
chimère. La réussite populaire, le renom universel auraient donc
échappé ]r«ut-ètre à M. Géraud : mais les vrais connaisseurs l'au-
raient élevé d'autant plus haut qu'il aurait moins cherché un de ces
376 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
succès de surprise , à l'attrait desquels il est si rare qu'on ré-
siste.
La vie d'Ingeburge de Danemark est un des points de notre histoire
qui présente le plus d'obscurités. Le motif du brusque dégoût que
Philippe Auguste manifesta pour cette princesse aussitôt après
l'avoir épousée, est resté et demeurera sans doute un mystère. La
plupart des contemporains étaient intéressés à embrasser la cause du
roi contre cette étrangère. De là , l'indiflérence qu'on a montrée pour
ses infortunes, la disposition qu'on a eue généralement à en atténuer
la rigueur, à en dissimuler la durée. D'ailleurs, par l'appel qu'Inge-
burge fit au saint-siége, sa cause se trouva mêlée à la grande que-
relle du sacerdoce et de la royauté. Les imaginations furent saisies
par les sombres couleurs de l'interdit qu'Innocent III jeta sur la
France entière, pour réduire Philippe Auguste à reprendre la reine.
Les historiens français se montrèrent donc sévères envers la princesse
danoise , tellement que , du fond de son tombeau , elle aurait pu en-
core répéter les cris de Mala Fmncia ! Mauvaise France l qu'elle
proférait, quand, ignorant la langue du pays oii on l'avait amenée
pour être reine, séparée de ses femmes et de ses compatriotes, elle
promenait des regards désespérés sur tous ces hommes que le besoin
de plaire au roi avait rendus serviles jusqu'à la cruauté.
Le savant éditeur des Lettres d'Innocent III , de la Porte du Theil ,
entrevit le premier la justice de la cause d'Ingeburge. M. Géraud,
à l'aide de documents d'une authenticité incontestable, complète
cette réhabilitation nécessaire. C'est, il faut le dire, une admirable
prérogative de l'historien, que la faculté qu'.l a d'instruire de grands
procès de révision, et de faire casser, après plusieurs siècles, des
sentences dictées par l'iniquité ou l'erreur. Un tel rôle convenait à
l'âme si droite et si pure de M. Géraud. Il est beau pour lui que son
dernier ouvrage ait été une bonne action.
Un talent iVappé dans sa fleur, une organisation rare qui se brise
avant le temps, une voix harmonieuse qui s'éteint avant que son
chant soit achevé, voilà ce qui touche justement les hommes, et la
mort prômaturée des artistes et des poêles excite d'ordinaire les plus
vives sympathies. Nous n'en voulons pas à l'expression, quelquefois
exagérée, de sentiments si naturcl.3; mais qu'd nous soit permis de
réclamer un peu de cet intérêt en faveur des martyrs de la science.
M. Géraud fut de ce nombre : il était bien doué pour toutes les
œuvres de l'esprit; la carrière des succès brillants lui était ouverte; il
l'abandonna pom des travaux plus obscurs et plus utiles. L'excès du
RAPPORT DE M. LENOBMANT. 377
travail eut bientôt ruiné sa complexion délicate et maladive. Il
n'écouta pas les avertissements de la nature, et pour avoir voulu trop
tôt atteindre le but, il a succombé à trente-deux ans, déjà vieux de
travaux , et trompant ainsi l'une des plus belles espérances que nous
ayons conçues. Son nom laissera donc peu de bruit : mais cette Com-
pagnie ne l'oubliera pas. Elle Ici avaitdécerné, en 1837, la première
des médailles du concours des an-Jquités nationales, pour son début
dans la carrière de l'érudition : elle consacre de nouveau cette dis-
tinction à sa mémoire, comme témoignage d'un regret profond et
durable.
Lenormant.
RAPPORT
FAIT
À L'ACADÉMIE ROYALE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES,
AU NOM DE LA COMMISSION DU PRIX DE NUMISMATIQUE ,
DANS LA SÉANCE DU 5 JUILLET 1844 , PAR M. DE SAULCY.
L'Académie a décidé que la Commission chargée d'examiner les
ouvrages présentés officiellement au concours pour le prix de numisma-
tique, pourrait en outre faire participer à ce concours les ouvrages
sur la matière publiés dans les délais voulus, et non soumis à son
jugement par leurs auteurs. Votre Commission a donc commencé dès
cette année à user de l'autorisation que vous lui aviez donnée, et son
examen a porté sur les ouvrages désignés ci-après :
Osservazioni sopra alcune monete rare di cilla greche, par Giuseppe
FiORELLi, in-4'^;
Le monete délie antiche famigUe di Roma, fîno allô imperadore Au-
gusto inclasivamenle , co siioi zecchieri, detli communemenle consolari,
par Gennaro Ricçio;
Numismatique gauloise, par M. Lambert ;
Monnaies du règne de V empereur Justinien P% par MM. Pinder et
Friedlaender ;
Monnaies de Lixus, par MM. Falbe et Lindberg.
Ces deux dernières brochures n'étant en réalité que des spécimens
des ouvrages très-importants que leurs auteurs comptent publier in-
cessamment sur l'histoire monétaire de l'empire grec et sur la nu-
mismatique punique et mauritanique en général , votre commission
ne peut qu'exprimer toute l'estime que de semblables essais lui font
concevoir à l'avance pour les ouvrages auxquels ces essais devront se
rattacher, La monographie numismatique du règne de Justinien,
outre qu'elle est un véritable modèle d'ordre et de clarté, contient un
très-grand nombre d'explications nouvelles, indubitables, de ces sigles
monétaires si fréquentes sur les monnaies byzantines, et qui étaient
demeurées de véritables énigmes jusqu'à ce jour. Le travail de MM. Pin-
der et Friedlaender a donc paru à votre Commission mériter une men-
tion très honorable.
Quant à la monographie numismatique de la ville africaine de
Lixsus, elle donne un point de repère de plus dans la classification
des rares monuments de la langue et de l'écriture puniques. La dé-
termination des monnaies de Lixsus est d'ailleurs établie par MM. Falbe
RAPPORT DE M. DE SAULCY. 379
et Lindberg sur l'étude d'un assez grand nombre de monnaies puni-
ques, munies do légendes africaines et latines équivalentes, et elle a
de plus le singulier mérite d'avoir conduit à l'interprétation de la lé-
gende latine par celle de la légende punique.
Votre Commission, en mentionnant honorablement de semblables
essais, espère avoir, dans un avenir rapproché, la satisfaction d'étu-
dier et de vous f^iire apprécier les ouvrages auxquels ces essais ser-
vent en quelque sorte d'annonce.
M. Lambert, de Bayeux, a consacré quelques années à l'étude
comparative des monnaies antiques de notre pays, c'est-à-dire, des
monnaies de fabrication gauloise. La numismatique des Gaules a fait
dans les dix dernières années des progrès très-réels et très-rapides,
qu'il n'est pas possible de contester; mais ces progrès sont loin encore
d'avoir tout éclairci. Il est pourtant un fait saillant qui semble aujour-
d'hui hors de doute ; c'est que nos ancêtres ont fort peu créé de types
qui leur fussent propres et qu'ils se sont contentés presque toujours
de copier tant bien que mal les types qu'ils rencontraient sur les mon-
naies grecques et latines que le commerce faisait affluer dans leur
pays. On se tromperait néanmoins, si l'on prétendait que les artistes
gaulois, s'il est permis de leur donner ce nom, ont toujours et
partout servilement copié des œuvres étrangères ; les monuments
prouvent le contraire, et il existe des types monétaires, en assez pe-
tit nombre il est vrai, qui sont bien certainement d'mvention pure-
ment gauloise. M. Lambert n'a pas constamment démêlé les origines
des types qu'il décrivait; mais placé, comme il l'était, loin des admi-
rables collections de monuments et de livres qui, pour les habitants
de la capitale, rendent les travaux plus faciles, il devait nécessaire-
ment laisser échapper une foule de rapprochements qu'il eût sans
doute saisis en étudiant avec soin l'histoire numismatique de la Grèce.
Souvent , trop souvent M. Lambert s'est efforcé de faire ressortir de
l'inspection des monnaies qu'il décrivait, les éléments d'une sorte de
symbolique religieuse de la Gaule. C'est là une entreprise plus que
hardie qu'il ne sera peut-être jamais permis de mener à bonne fin. Oii
les textes manquent presque entièrement, il est bien difficile de ne
pas céder un peu aux conseils de l'imagination; et l'on sait à quels
écarts l'imagination peut conduire dans les études archéologiques.
Avant d'expliquer les symboles gaulois, qui peut-être resteront tou-
jours inexplicables, il est prudent, il est sage de s'en tenir à la simple
recherche des attributions monétaires, attributions qui naîtront d'elles-
mêmes, lorsqu'on aura des notions multipliées et précises sur les lo-
380 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
calités qui fournissent d'habitude telle ou telle monnaie de métal vul-
gaire. Cnaque jour les faits de ce genre s'enregistrent , et le temps
n'est probablement pas loin oii l'on pourra, avec toute chance de suc-
cès, réclamer, pour la numismatique gauloise, le bénéfice de la mé-
thode si heureusement appliquée à la classification des monnaies
grecques anépigraphes ou munies de simples initiales. Le livre de
M. Lambert contienten appendice un chapitre intéressant où sont men-
tionnées par dates et par localités les découvertes de monnaies gau-
loises dont il a eu connaissance depuis un certain nombre d'années.
Ce chapitre fournira certainement des documents précieux pour la
classification dont je viens de parler à l'instant. En résumé, le livre
de M. Lambert a paru digne d'encouragement à la Commission, qui
néanmoins a cru devoir protester une fois pour toutes contre la ten-
dance à expliquer tous les symboles gaulois, tendance qui se mani-
feste trop fréquemment dans ce livre,
M. Giuseppe Fiorelli est de l'école du savant Cavedoni, et ses
Osservazioni sopra alcune monete rare di cilla greche sont peut-être
trop empreintes de cette finesse d'explication que l'auteur du Spicilegio
a plus sobrement employée, tout en la mettant à la mode. Sans
doute, il est permis de reconnaître dans un type monétaire une allu-
sion au nom d'un personnage ou d'une ville, quand cette allusion est
toute naturelle, toute palpable; mais la rechercher en subtilisant,
c'est s'exposer à des erreurs. Quoi qu'il en soit, le travail de M. Fio-
relli nous promet un bon numismatiste de plus, et votre Commission
ne peut qu'applaudir à l'apparition de son premier ouvrage.
Reste enfin le livre de M. Gennaro Riccio, sur les monnaies des
familles romaines , et cette fois les éloges de votre Commission sont
sans restriction, sauf en ce qui concerne la faible exécution des
planches; ce livre, en effet, quoique rédigé dans une petite localité
du fond de l'Italie, loin de tout secours littéraire, résume de la ma-
nière la plus heureuse les travaux antérieurs sur la matière, et il est
un excellent répertoire pour toutes les personnes qui étudient et re-
cherchent cette classe si intéressante des monuments numismatiques.
En conséquence, votre commission vous propose d'accorder le prix
fondé par M. Allier de Hauteroche à M. Gennaro Riccio.
Les membres de la commission :
Raoul-Rochette, le duc de Luynes, Lenormant,
et De Saulcy, rapporteur.
SUR
L'ABSENCE DU MOT AUTOCRATOR
LES CARTOUCHES HIEÎlOGLYPHTQtJES QUI ACCOMPAGNENT
LE ZODIAQUE CIRCULAIRE DE DEIVDERxl.
Le fait sur lequel^j'appelle ici l'attention des lecteurs paraîtra peut-
être, au premier abord, minutieux ou indifférent. Les détails où je
vais entrer montreront, je l'espère, qu'il n'est ni sans importance
ni sans intérêt.
On sait que le zodiaque circulaire, maintenant à Paris, occupait
la moitié du plafond d'une petite salle supérieure dans le temple de
Dendera.
Le zodiaque était séparé de la seconde partie du plafond par une
grande figure de femme qui en prend toute la largeur. Cette figure
nue, dont les bras sont élevés au-dessus de la tête, se retrouve avec
la même attitude à la partie intérieure du couvercle de quelques
momies, entourée d'étoiles ou bien des signes' du zodiaque, dans les
momies d'époque romaine. C'est une expression de la déesse ciel ,
Tpe , représentée ordinairement les parties supérieure et inférieure
du corps courbées en avant pour envelopper, en quelque sorte, les
figures symboliques qui l'accompagnent. Car, je le remarqué en pas-
sant, il n'y a peut-être pas, dans toute l'Egypte, dereprésentation
dite astronomique , zodiacale ou autre, qui n'ait une signification pro-
prement ^neraîVe ; ce que montre soit l'ensemble de la représenta-
tion elle-même , soit le lieu où elle a été découverte. C'est une vue
archéologique que j'ai fait ressortir le premier dans mon Analyse cri-
tique des Zodiaques de Dendera et d'Esné{\).
Lorsqu'on voulut détacher le zodiaque pour le transporter en
France, on ne toucha pas à la grande figure, qui devait être, à elle
seule, d'un poids considérable. Cette figure, avec les deux bandes
d'hiéroglyphes qui la bordent, est donc encore restée en place. La
scie, ayant coupé fort irrégulièrement la pierre, la colonne de
gauche des hiéroglyphes a été entamée ; il n'en subsiste sur le lieu
qu'une très-petite partie (2); le reste est à présent perdu.
(1) Qui s'imprime dans le t. XVI des Mémoires de l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres.
(2) On a marqué par une teinte plus foncée sur notre planche n° 11, les seules
parties de celte bande qui, sur les lieux , ont résisté à l'opération.
382 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
Cette grande figure nous intéresse à plus d'un titre. D abord, elle
n'offre pas ce relief si plat qui distingue les sculptures égyptiennes;
le relief en est, au contraire, fort saillant et presque de ronde bosse;
pour obtenir ce résultat, le sculpteur a creusé la pierre en forme de
niche demi-circulaire; par ce moyen le relief de la figure a pu être con-
sidérable. Cette particularité a été fort nettement exprimée dans le
dessin de Denon (l), mais très-imparfaitement dans celui de la Com-
mission d'Egypte (2). Le dessin de M. Prisse, que j'ai sous les yeux,
ne laisse plus aucun doute sur cette particularité, d'autant moins
indifférente qu'elle est unique dans les monuments égyptiens; aussi
bien que cet arrangement du cercle céleste, contenant le zodiaque, qui
est inscrit dans un carré et soutenu alternativement par des figures
debout et agenouillées Cette disposition pleine de symétrie, de
grâce et d'élégance, dont on ne trouve aucune autre trace en Egypte ,
avait seule suffi pour faire dire à M. Quatremère de Quincy qua
coup sûr V esprit grec avait passé par là.
On sait que le tableau qui renferme le zodiaque ne porte aucun de
ces encadrements elliptiques, dit cartels ou cartouches, dans lesquels
sont ordinairement renfermés les noms des rois ou des empereurs.
Il n'offre donc directement aucun caractère chronologique. Mais, au
bas de la grande figure dont je parle, se trouvent deux de ces en-
cadrements elliptiques. Dans le dessin de Denon , qui a pourtant re-
produit tous les hiéroglyphes des deux bandes, les deux cartouches
sont vides, comme on les a figurés sur notre planche; et il tombe sous
le sens qu'il y aurait aussi marqué des signes hiéroglyphiques, s'il y
en avait aperçu. Au contraire, dans celui de la Commission d'Egypte
ils sont remplis de signes hiéroglyphiques.
En présence d'une si frappante contradiction on devait se deman-
der de quel côté se trouvait l'erreur. A cet égard, il semble qu'en
bonne critique on ne pouvait hésiter. Car il était peu vraisemblable
que les auteurs du second dessin, exécuté, on devait le croire, avec
toute l'exactitude possible, eussent mis des signes là où il n'y en
aurait pas eu sur l'original.
En celte circonstance, l'erreur n'était pas du côté de Denon.
Dans son Voyage en Egypte, Champollion n'avait pas négligé de
remarquer que ces deux cartouches sont restés vides. Le texte
imprimé de ses lettres porte, d'une manière générale : ce Dans tout
«l'intérieur du Naos, ainsi que dans les chambres et les édifices
(l)JPLCXVIII.
(2)^W(tq., pf. t. IV, pl.21.
SUR L'ABSENCE DU MOT AUTOCRATOR. 383
« construits sur la terrasse du temple, il n'existe pas un seul car-
re touche sculpté ; tous sont vides et rien n'a été effacé (l). Dans le
texte manuscrit des lettres, que M. Champollion Figeac a bien voulu
me communiquer, on lit ensuite cette autre phrase que l'éditeur avait
cru devoir supprimer. « Le plaisant de Vaffaire c'est que le mor-
« ceau du fameux zodiaque circulaire , qui portait le cartouche,
a est encore en place et que ce même cartouche est vide, comme tous
« ceux de l'intérieur du temple, et il n'a jamais reçu un seul coup de
« ciseau » (2). Rien de plus formel que celte phrase qui ne fait,
comme on voit, que particulariser celle qui a été imprimée dès 1828,
et réimprimée en 1833.
Maintenant, M. Prisse, qui avait été consulté sur ce point en
Egypte, par M. Champollion Figeac, vient de rapporter un dessin étudié
de la grande figure, ainsi que des hiéroglyphes sculptés sur les deux
bandes latérales. 11 résulte de ce dessin que les deux cartouches sont
réellement vides. M. Prisse déclare qu'il n'y a jamais rien eu. C'est
donc là un fait désormais établi et hors de toute contestation.
M. Devilliers, l'un des deux auteurs du dessin de la Commis-
sion d'Egypte, a réclamé, devant l'Académie des sciences, contre
l'observation que M. Champollion Figeac a faite (3), sans aucune
intention, j'en suis convaincu, d'atténuer le mérite de ce dessin, mais
seulement pour constater un fait qui devait finir par être établi tôt ou
tard. M. Devilliers se rejette sur la grande exactitude qu'on doit
(1) Lettres écrites d'Egypte, p. 9i , 92.
(2) M. Prisse confirme celte assertion de CharapoHion , dans la note suivante qu'il
m'a communiquée :
« A l'exception du portique , qui est en entier couvert des légendes impériales de
Tiberiis, de Gaïus Galigula , de Claudius et de Nero, les parties intérieures du
grand temple n'olTrent que des cartouches vides Le petit hypèthre qui est sur la
plate-forme, ainsi que toutes les ciiambres qui sont sur la terrasse, n'offrent que des
cartouches vides. Tous les cartouches de la salle du Zodiaque et de celles qui l'avoi-
sinent, n'ont jamais reçu de sculptures, à l'exception d'un petit cartouche qui fait
partie de la légende d'un prêtre brûlant de l'encens à la suite de plusieurs divinités
qui officient devant Osiris. Ce singulier cartouche ne contient que les signes qui sont
dans celui que nous donnons {v. plus bas, p. 385), et qu'on rencontre si souvent dans
les édifices de l'époque romaine. Ces deux signes auxquels on a donné le sens de
grande demeure , paraissent devoir se traduire par le décorateur de la de-
meure, du temple. En effet, le caractère posé |)erpendicuiairement, qui signifie
grand, est souvent employé comme déterminant des verbes sculpter, décorer et
comme signe initial du nom de plusieurs pierres dures pour lesquelles on em-
ployait probablement ce genre de poinçon ou burin figuré ainsi dans les
grands tableaux. »
(3) Fourier et Napoléon , l'Egypte et les Cent Jours , p. 64, 65.
î
384 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
attribuer à des dessins soumis à V examen dune commission présidée
par Monge (l). Mais ce n'est pas là répondre; car, pour le cas
dont il s'agit, l'autorité de Monge est loin d'ôtre une garantie suf-
fisante. Comment ce grand géomètre pouvait-il savoir, si, dans les des-
sins qu'on lui présentait à Paris, ou mêmeenÉgypte , les hiéroglyphes
avaient été bien ou mal copiés? Selon le même habile ingénieur « toutes
« les fois que les auteurs de ces dessins n'ont donné les hiéroglyphes
« qu'en masse, et sans prétendre à l'exactitude, ils en ont averti »;
or, comme l'avertissement n'a pas été donné en cette circonstance, il
en 'conclut que les cartouches sont pleins et non vides. M. Jomard a
dit , dans le même sens : que les auteurs du dessin et de l'explication
ont as^erti que tons les signes ont été copiés exactement y et quils lavaient
été dans la précision de l'importance quon poumit attacher aux bas-
reliefs astronomiques [2). Que peuvent valoir de telles réclamations, en
présence du fait constaté parle dessin de Denon, par l'affirmation
expresse de Champollion, qui l'a vérifié sur les lieux mêmes, et par le
nouveau dessin de M. Prisse, exécuté justement daris la vue de ne
laisser à personne aucun doute? D'ailleurs, il résulte de ce même
dessin, oii les hiéroglyphes sont exprimés avec le plus grand soin,
que, sur le dessin de la Commission d'Egypte, ceux de la seule bande
conservée ont été représentés avec une très-grande inexa(5titude.
En efl'et , sans parler de ce que le sens de la bande a été renversé ,
c'est-à-dire que tous les signes sont retournés, ce qui s'explique dans
le passage du dessin à la gravure, il faut dire que, sur les cent
quatre-vingts signes inscrits sur cette bande , il n'y en a pas dix qui
aient été exactement reproduits ; que presque tous l'ont été de ma-
nière à être presque méconnaissables ; que plus de douze ont été
passés et omis par le dessinateur. C'est là ce qui résulte de la com-
paraison que chacun pourra faire bientôt du dessin de la Commission
d'Egypte avec celui de M. Prisse, que publie en ce moment M. Cham-
pollion Figeac, dans les Monuments d'Egypte et de Nubie , formant
les matériaux recueillis pendant le voyage de son illustre frète. Ce
dessin mérite toute confiance, étant l'œuvre d'un très-habile dessina-
teur, depuis plusieurs années exercé à copier des hiéroglyphes, et
qui a traité ceux-ci avec un soin tout particulier, d'après la recomman-
dation expresse qu'il en avait reçue.
Ces erreurs, quoique graves , sont fort excusables. A l'époque oii
(1) Comptes rendus des Séances de l'Académie des Sciences (23 juillet 1844),
t. XIX, p. 235.
(*2) Les mêmes , endroit cité.
SUR l'absence du mot autocrator. 385
le dessin du zodiaque a été fait en Egypte, nul n'était exercé à saisir
et à discerner les signes hiéroglyphiques. Personne n'ignore com-
bien il faut de soin et d'habitude pour copier sans faute , quand
on a peu de temps, une longue suite de pareils signes, quelquefois
en partie effacés; c'est ainsi, par exemple, que M. Champollion
Figeac a trouvé plus de quarante erreurs dans les hiéroglyphes du
dessin , d'ailleurs très-exact , que M. Gau , si habile à rendre les
formes égyptiennes, a mis trois mois à exécuter à Paris, avec tous
les secours dont il pouvait avoir besoin , et dont avaient manqué
les auteurs du dessin de la Commission d'Egypte.
Une plus grande exactitude, dans ce genre de détails, était peut-
être au-dessus des forces humaines, au milieu des obstacles qu'ils
avaient à vaincre en Egypte. Le reconnaître n'est pas seulement de
la bienveillance, c'est de l'équité.
Voyons quelle est au juste la gravité de ce fait, à présent constaté,
que les deux cartouches, placés au bas de la figure, ne renferment
aucun signe.
MM. Jollois et Devilliers, persuadés, comme ils l'étaient alors,
que les sculptures du temple de Dendera remontaient au delà de la
conquête des Perses (l), étaient fort loin de se douter que les signes
même dont ils meublaient généreusement un des cartouches, démen-
taient leur opinion. Ce ne fut qu'en 1 822 que la découverte de l'alphabet
phonétique fit reconnaître à Champollion (2), dans le cartouche de
gauche, le mot bien distinct AOTKPTP (Aùro/paTcop) ; d'oii il ré-
sultait que la grande figure, comme le reste du plafond,
qui était de la même main , avait été exécutée au temps
de la domination romaine. Champollion alla plus loin. Il
remarquaque,surdesmédaillesalexandrines de Claude et
de Néron, on trouve, au revers, le mot AYTOKPATOPA,
sans autre désignation (^3), comme au zodiaqne; il en
conclut que ce devait être l'un de ces deux empereurs
que désignait le cartouche isolé; car le cartouche de
droite ne portait que deux signes qui n'ont nul rapport
à un nom impérial.
Dans mes travaux sur l'époque des zodiaques égyptiens, j'ai fort
légèrement glissé sur l'argument tiré de ce nom (ïautocralor , je
Ine l'ai jamais, cité que comme venant à l'appui d'autres arguments
(1) Description de Dendera, p. 62.
(2) Lellre à M. Dacier, p. 24.
(3) Même lettre , p. 26.
386 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
décisifs (i); C'est que, tout en n'osant pas rejeter ces cqrtouches, si
formellement exprimés dans le dessin de la Commission d'Egypte, ils
m'ont toujours fort embarrassé , en laissant dans mon esprit un
de ces doutes dont on ne peut se défendre , quoiqu'on n'ose pas s'y
abandonner ; et voici sur quoi il se fondait :
1° On ne trouve jamais le mot autocralor ainsi isolé; il est tou-
jours accompagné de KAESAR ou de SEBASTOS, tantôt compris
dans le même encadrement, tantôt placé à côlé, quand il s'agit d'Au-
guste ; en outre , accompagné du nom particulier de l'empereur ,
quand il s'agit de tout autre, tels que Tiberios, Càios, Néron, etc.
L'exemple tiré des médailles alexandrines me paraissait peu concluant ;
car, s'il est vrai qu'au revers on n'y trouve que le mot aulocratora, de
l'autre côté est l'effigie de l'empereur, avec lès noms qui complètent
la légende. Ainsi la difficulté restait entière.
2° Un second motif de doute se trouvait dans le deuxième
cartouche , que ce dessin représentait comme composé
de deux signes, le quadrilatère, signifiant demeure, et
un vase; deux signes bien connus , pris isolément,
mais dont la réunion dans un cartouche est jusqu'à pré-
sent inouïe. Sa vraie forme est celle-ci, comme dans le
Musée des antiquités égyptiennes de M. Ch. Lenormand ,
page 37.
L'embarras que me causaient les deux cartouches
n'était pas sans fondement , puisqu'il est à présent démontré que ni
l'un ni l'autre n'existent sur le zodiaque.
Mais comment donc expliquer que les auteurs du dessin de la
Commission d'Egjpte, dont nul ne peut soupçonner la sincérité, aient
rempli de signes imaginaires des cartouches qui étaient vides? et
pourquoi les ont-ils remplis de ces signes plutôt que d'autres?
Ces deux singulières circonstances s'expliquent, ce me semble,
d'une manière très-simple.
Je suis d'abord convaincu que le dessin original de MM. Jollois
et Devilliers fait en Egypte, n'offrait que les cartouches vides,
comme le dessin deDenon. Sur place, ils ne pouvaient pas y mettre ce
qu'ils ne voyaient pas; mais ensuite, soit au Caire quand on mit la
minute au net, soit plus tard à Paris, lorsque le dessin fut préparé
pour la publication, on s'étonna de cette vacuité; on crut qu'elle était
le résultat d'une erreur; car on devait bien se souvenir que les car-
touches du Pronaos et du Naos étaient pleins ; pourquoi ne l'au-
(1) Recherches pour servir à l'histoire de l'Egypte, etc. Introduclion, p. xsxsn
SUR l'absence du 3I0T AUTOCRATOR. 387
raient-ils pas été dans la chambre supérieure? et, comme les signes
composant le mot autocrator, dont on ignorait alors la signification,
se trouvent réunis dans tous les encadrements elliptiques du temple,
qu'on y avait copiés, on pensa qu'on pouvait, sans risque de se
tromper, remplir ainsi l'un des deux cartouches restés vides sur la
minute du dessin.
Quant à l'autre cartouche, la note de M. Prisse l'a suffisamment
éclairci (plus haut, p. 383, n. 2). La fréquence de ces deux signes, dans
les chambres supérieures du temple de Dendera, explique très-bien
comment les auteurs du dessin de la Commission d Egypte crurent
pouvoir en remplir l'autre cartouche vide,
11 ne reste plus qu'à savoir quelle conclusion on doit tirer de l'ab-
sence du nom d'autocrator. On a dit que c'était là un fait tout nouveau,
qui pouvait remettre en question l'époque romaine du monument. En
quoi l'ons'estdoublementtrompé. En premier lieu, le fait n'est pas nou-
veau, puisqu'il était connu par le dessin de Denon et parl'affirmation ex-
presse de Champolhon, dans ses lettres imprimées. Quant à l'époque
du zodiaque, il faudrait, pour attacher la moindre importance à cet ar-
gument négatif, n'avoir aucune idée des preuves archéologiques et
historiques qui établissent son époque récente. Pour fixer les idées à cet
égard, je me contenterai de citer cette phrase de Champollion, dans
sa lettre datée du 24 novembre 1828, phrase qui n existe que dans
son manuscrit, et qui avait été retranchée par l'éditeur. « Du reste,
(( dit- il, que Ion ne se presse pas de triompher parce que le car-
te touche du zodiaque est vide et ne porte aucun nom ; car toutes
« les sculptures de cet appartement, comme celles de tout l'intérieur
« du tem[»Ie, sont atroces, du plus mauvais style, et ne peuvent re-
<( monter plus haut que Trajan et les Antonins. » Cet arrêt, con-
firmé par l'opinion de tous les connaisseurs qui ont depuis vu ces sculp-
tures, empêchera ceux mêmes qui seraient restés étrangers à l'étude
de la question, de tirer de cette circonstance le moindre indice que le
zodiaque pourrait ne pas être de l'époque romaine.
Après avoir vu le monument, Champollion se convainquit que
l'exécution du zodiaque est d'un siècle plus récente qu'il ne l'avait cru
d'abord. En le plaçant, au plus haut, vers l'époque de Trajan, il le
fait contemporain des momies de la famille de Soter, qui contiennent
des zodiaques , dont la ressemblance avec ceux de Dendera m'avait
frappé dès 1824 (1). Letronne.
(1) yoir mes Observations sur les représentations zodiacales, ip. 43 et suit.
Paris, 1824,
TOMBEAU D'ENFANT, DECOUVERT A ATHENES.
Ce sarcophage ( F. la pi. 1 2) , contenant des vases ornés de peintures
noires avec bordures rouges, est celui d'un enfant. Il était muni d'un
couvercle, et les os qu'il renfermait étaient placés d'une manière symé-
trique tout à fait remarquable. Le tombeau a été trouvé près de la
porte Acharnienne, et il fut dessiné , lors de sa découverte, par le
savant Stackelberg. La forme en est elliptique et rappelle les dimen-
sions d'une baignoire. Les cercueils de bois de cette forme portaient
le nom de à^oivn. Celui-ci était tourné de l'est à l'ouest, circonstance
qui vient à l'appui de ce que nous dit Plutarque (Solon , x) de l'usage
où étaient les Athéniens de placer les morts la face du côté de l'orient,
séjour des dieux et des bienheureux. Les Mégariens elles Phéniciens
pratiquaient le contraire. Il ne faudrait pas croire cependant que
cette règle fût sans exception , car on a des exemples de tombeaux
athéniens tournés vers le sud et vers le nord.
Tous les objets contenus dans ce coffre étaient soigneusement en-
tourés de terre , qui remplissait tout l'intérieur du tombeau jusqu'à la
hauteur du couvercle, ce qui assurait ainsi une position plus ferme
et plus stable au mort et aux ustensiles dont on croyait devoir l'appro-
visionner.
Ce qui étonne dans ce tombeau , c'est que des os très-importants
et qui ordinairement se conservent le mieux, ne s'y sont pas retrou-
vés. De chaque côté des vertèbres du cou, qui ne sont conservées que
d'une manière incomplète, au-dessus des humérus, se voient deux
figures hiératiques peintes. Ces terres cuites, moulées avec assez de soin
et d'un type Sn, représentent Gea Olympia , reine des Mânes. Entre
ies os des épaules, à la place de la poitrine et de l'abdomen où l'on
ne trouve aucune trace du bassin , il y avait, de chaque côté, un lécy-
thus peint à ligures noires sur fond jaune, dont l'orifice se trouvait
tourné vers le crâne ; deux cotyles et un diota dont l'ouverture était
dirigée en sens contraire , c'est-à-dire vers les pieds. Les os des
avant-bras et des mains manquent totalement, mais à la place du bras
gauche se trouvait un lécythus, probablement destiné à contenir l'of-
frande offerte aux divinités qui recevaient les morts.
Entre les genoux est une phiale ou coupe plate de moyenne gran-
deur, et dans laquelle est placée une lampe. Contre celle-là est un
TOMBEAU d'enfant, DÉCOUVERT A ATHÈNES. 389
cotjle dirigé vers les pieds, recouvert d'une tasse remplie d'une ma-
tière épaisse et gluante, qui pourrait bien être le reste d'utie libation
de miel faite aux mânes ou aux divinités chthoniennes. Immédiate-
ment au-dessous était un petit cotyle posé dans une grande coupe
peinte intérieurement, et placée droite sur son pied; cette coupe était
située entre les os des tarses, et il se pourrait que ce fût le (j(^oLytlo]t
ou vase qui contenait une libation de sang que l'on était dans l'habi-
tude de présenter au mort pour apaiser son ombre. Enfin, à la partie
tout à fait inférieure du coffre, se voyait un cotyle de plus grandes
dimensions.
Outre ces vases, dont plusieurs pourraient bien avoir contenu les
débris du repas funéraire, ù en juger par la position dans laquelle on
les a découverts, était encore, près des os des jambes, un lécythus
renversé, et à gauche un petit jouet d'enfant placé entre deux petits
vases de terre.
D'après la disposition régulière des objets trouvés auprès d'un
squelette aussi incomplet, et auquel, chose singulière, manquent des
parties aussi solides que les vertèbres lombaires, les os des épaules,
le sternum, tandis que des parties beaucoup moins dures, telles que
les tarses et les métatarses ont été conservées, on peut croire que nous
avons là un cercueil et un appareil funéraire accordé à quelque cada-
vre recueilli par pitié, nous dirions par charité , s'il s'agissait d'une
époque chrétienne. Il arrivait, en effet quelquefois, que l'on rendait
les honneurs de la sépulture à des corps déjà décomposés, et dont une
partie avait été dévorée par des bêtes de proie. Toute la tragédie
d'Antigone de Sophocle roule sur ce sujet.
Au reste, ce que nous avons voulu surtout, c'était de donner une
idée de la disposition des vases dans les cercueils, et de répondre par
là, à la curiosité qui nous a été manifestée à cet égard, par plusieurs
antiquaires. L'intérêt toujours croissant que donnent à l'étude des
vases antiques les différents ouvrages où l'on trouve l'explication des
sujets qu'ils représentent, s'étendait aussi à la manière dont ils ont
été confiés à la terre par les anciens. Nous venons de décrire un tom-
beau découvert dans l' Attique ; nous en ferons plus tard connaître d'au-
tres trouvés dans l'Étrurie, dans la Fouille et dans la Gaule. On pourra
de cette manière acquérir des notions comparatives sur le mode de
sépulture en usage dans l'antique Europe.
I. 26
ENCORE LE PRÉTENDU COEUR DE SAINT LOUIS
RÉCENTES BROCHURES DE M. BERGER DE XIVREY , DE M. LETRONNE ET
DE M. LE PREVOST SUR CE SUJET. — RAPPORT DE M. DUMAS. — SOLUTION
PRÉSENTÉE PAR L'ACADÉMIE.
Puisque nous avons commencé à entretenir nos lecteurs de cette
question (l ), qui touche autant à l'archéologie qu'à l'histoire , nous
pensons qu'ils nous sauront gré de les mettre au courant , par ce
second article, de l'état où elle se trouve en ce moment.
On nous a reproché d'avoir, dans notre premier article, pris un
ton ironique, et de nous être tant soit peu amusé des méprises pro-
duites ou des faux raisonnements allégués par certaines personnes dans
cette discussion. Mais , en vérité, le moyen de garder son sérieux en
présence de cette manière d'argumenter, dont M. Letronne avait si
bien fait ressortir le côté plaisant? Il faut que la chose fût assez
difficile , puisque les nombreux journaux qui ont parlé de cet ou-
vrage, tels que r/7mVer5 religieux, la Reme de Paris, la Gazette
de r Instruction publique, le Courrier, le Siècle, le National et le
Journal des Débats , ont tous pris le même ton que nous, et même se
sont permis des accès degaîté que nous nous étions interdits. Enfin,
un des plus grands littérateurs de notre temps, le traducteur de
Shakspeare, de Calderon, du poëme sanscrit du Ramayana, le grave
Aug.-Guill. de Schlegel, fait en ce moment circuler en Allemagne,
et a envoyé en France, une pièce de vers français, où il s'amuse à
soutenir que le fameux cœur est celui du perruquier YÀmour, en-
terré là clandestinement par Anne sa perruquier e , comme l'appelle
Boileau. De cette pièce, nous n'avons par malheur retenu que les
deux premiers vers :
« On vient de retrouver dans la Sainte-Chapelle ,
« Le magnanime cœur du perruquier V Amour. »
C'en est assez pour voir qu'il y a vraiment là de quoi faire un pen-
dant au Lutrin l Avis aux poètes qui ont du temps et du talent de reste I
(1) ^oyejf la quatrième livraison,
ENCORE LE PRÉTENDU COEUR DE SAINT LOUIS ! 391
Nous ne sommes donc pas si coupables de ne nous être pas dit, non
plus que tant d'écrivains sérieux: Gardons-nous bien de rire en si
grave sujet : mais à cette heure , changeons de ton ; moto quœramus
séria îudo.
La première brochure publiée depuis notre article est intitulée :
Sur la polémique relatiçe au cœur de Saint Louis , par M. Berger de
Xivrey. Cet académien s'est fait, dès l'origine, une position bien triste
dans ce débat. D'abord il s'y est jeté, on ne sait pourquoi; car, étran-
ger à la question, il ne pouvait y apporter aucune lumière. Il s'était
donc contenté de se faire le fidèle écho et le prôneur des erreurs de fait
et de raisonnement de MM. Taylor, Le Prévost, Lenormant et Paris.
Mais au lieu de continuer à se renfermer, comme il l'avait fait d'abord,
dans une discussion calme et modérée , la seule convenable en pareil
sujet , il s'est mis , dans une inqualifiable diatribe , à insulter son
confrère, M. Letronnc, uniquement parce qu'il n'adoptait pas son
opinion, et à se jeter dans de telles excentricités, qu'il en fut blâmé
par l'Académie, séance tenante. Après cet échec, ce qu'il avait de
mieux à faire, c'était à coup sûr de se tenir tranquille, ou, s'il vou-
lait reprendre la parole , il devait au moins chercher de bonnes raisons,
en laissant de côté toute question personnelle. Mais, pour cela , il
aurait fallu avoir quelque chose de raisonnable à dire ; ce qui ne pa-
raît pas être en son pouvoir; aussi, dans sa nouvelle brochure, il
n'apporte aucun fait nouveau : il revient encore sur des choses ju-
gées, sur des erreurs détruites sans retour; puis, en dédommagement
de cette nullité, le voilà qui recommence sur nouveaux frais ce que
M. Letronne avait qualifié, à bon droit, (ï aménités littéraires dignes
de TrissotiUy et attribué aux efforts désespérés dune coterie aux
abois.
Croirait-on, par exemple, qu'une partie de cette brochure est
occupée par la réimpression du Rapport au Ministre, fait par M. Le-
tronne, déjà imprimé dix fois? M. Berger y joint des notes pour prou-
ver que l'auteur a changé des points ou des virgules; ici retranché, là
ajouté quelques mots. Mais, quand cela serait, M. Letronne n'aurait
fait que ce que font sans scrupule tous les Députés, les Pairs de
France et les Ministres , passés et présents , lorsqu'ils corrigent la
rédaction de leurs discours de tribune. S'il avait aussi quelque peu
modifié sa première rédaction, oii serait le mal, et qui cela regarde-
rait-il? Ce savant a dit que, depuis son premier rapport, il n'a rien
392 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
changé à son opinion, et que les conclusions de son Rapport sont les
mômes sur tous les points essentiels que celles de son Examen critique;
que ce soit là une chose parfaitement exacte, M. Berger ne le con-
teste pas. Mais alors son reproche n'a pas de sens et sa brochure n'a
aucun but.
Ce qui paraît avoir le plus piqué cet académicien excentrique, c'est
une petite note de M. Letronne à propos de sa phrase : Ce Rapport
a oublié de consulter les hagiographes ; sur quoi M. Letronne dit :
quel style l L'autre veut défendre à toute force sa phrase , qui est dé-
testable ; puis , se mettant à chercher avec la loupe dans le livre de
M. Letronne, il y découvre deux énormes fautes; savez -vous les-
quelles? c'est d'abord la vileté de la matière, quoique la locution
ait été employée par Massillon, et soit autorisée par le Dictionnaire
de l'Académie; ensuite le mot trowaïlle, terme familier parfaite-
ment de mise à l'endroit où il est employé. Voilà donc les seules
taches qu'il a découvertes dans un livre de deux cents pages. Tout le
monde en tirera la conclusion que le livre est écrit passablement.
On pense bien que M. Letronne ne s'est pas beaucoup ému de
cette nouvelle brochure. Cependant elle a occasionné de sa part une
téplique de quelques pages, intitulée : Addition à V examen critique de
la découverte faite à la Sainte- Chapelle, Cette addition n'a qu'un seul
objet, c'est de donner un démenti formel à M. Berger de Xivrey, qui
prétend que M. Letronne a, par ses obsessions et ses étranges manœu-
vres, empêché la publication de sa précédente brochure dans le Bulle-
tin du Bibliophile. M. Letronne répond en publiant la lettre que lui a
écrite l'éditeur du Bulletin, M. Techener, attestant que c'est lui-
môme qui a retiré la brochure de son plein gré. M. Letronne pou-
vait donc qualifier sévèrement cette nouvelle excentricité; pourtant
il ne l'a point fait. II s'est contenté de montrer combien est ab-
surde cette accusation qu'on lui intente d'avoir voulu faire suppri-
mer une brochure qui était, quand il l'a connue, imprimée et distri-
buée déjà à plus de trente personnes, et qu'il a reproduite lui-môme
dans son ouvrage, justement afin que le public ne fût pas privé
de ce chef-d'œuvre. Ce qu'il y a de plus drôle, et ce que M. Le-
tronne n'a point remarqué, c'est que cette brochure, supprimée.
et détruite, est pourtant inscrite sur la liste des ouvrages qui se
vendent chez Techener (l), où elle est annoncée au prix de trois
(I) Bulklin du Bibliophile , numéro de juillet 1844.
ENCORE LE PRETENDU COEUR DE SAINT-LOUIS I ^93
francs f papier ordinaire; et de cinq francs, papier de Hollande.
Cependant que ceux qui veulent l'avoir, se dépêchent; car il n'en
reste plus, dit l'annonce, que trente-cinq exemplaires; partant, vrai
gibier de bibliophile !
En se jetant à la traverse d'une question si nouvelle pour lui, il
semble que M. Berger n'ait cherché qu'une occasion et un prétexte
pour attaquer M. Letronne et tâcher de déprécier un mérite reconnu.
Pourquoi? cela est difficile à deviner. Qui sait? peut-étrç est-il ennuyé
d'entendre dire partout que M. Letronne est un savant homme ;
mais enfin, pour un motif ou pour un autre, à ses yeux, M. Le-
tronne n'a qu'un mérite usurpé; car qua-t-il fait depuis vingt-cinq
ans, sinon de tout amoindrir, de tout déprécier , de tout rapetisser.
Voilà ce que dit M. Berger dans sa première brochure. Dans celle-ci,
nous lisons que M. Letronne n'a fait que traduire quelques passages
grecs de peu d'étendue. C'est tout : pas davantage. Il paraît bien
que M. Berger ne lit pas ou ne veut pas comprendre ce qu'il lit.
A qui persuadera-t-il , en elfet, que celui qui, dans l'opinion de
tous les Français instruits, comme des étrangers, tient le premier
rang parmi les érudits du siècle , n'a pas fait quelque autre chose
depuis vingt-cinq ans? Pour nous , qui connaissons les travaux de
M. Letronne, qui apprécions tous les services qu'il a rendus à la
science, tant par ses écrits que nous avons tous lus, que par ses
cours publics, auxquels nous assistons depuis huit ans, nous en avons
une idée un peu différente. Mais , comme notre opinion personnelle
n'est d'aucun poids, nous nous bornerons à mettre sous les yeux
de M. Berger le jugement des étrangers, appréciateurs non suspects
quand il s'agit de nos compatriotes. Voici donc ce que disent quel-
ques-uns des plus éminents : Dans une lettre deNiebuhr, publiée par
M. de Golbéry (l ), ce grand connaisseur de l'antiquité disait en 1 828 ,
il y a déjà seize ans : « M. Letronne est décidément le digne suc-
ce cesseur des grands hommes qui mirent la France au premier rang
a de la philologie, dans le XVH" siècle. » Et que de grands travaux
il a faits depuis dignes de leurs aînés, ou même leur sont supérieurs!
Le môme Niebuhr (mort le 2 janvier 1831 ) avait l'habitude de dire:
« M. Letronne, à lui seul , vaut toute une académie (2). » Le célèbre
M. Guill.-Aug. de Schlegel, en commençant avec M. Letronne une
(1) En tête du tome YII de la traduclion de l'Histoire romaine.
(i) Golbéry , Noiice historique sur Niebuhr, p. 17 j dans la nouvelle Revue ger^
manique de février 1831,
394 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
polémique sur le zodiaque, dans laquelle celui ci est resté vainqueur,
le qualifie deegregium Academiœparisinœ decus (l) : voilà comment un
adversaire le traite. M. de Humboldt l'appelle « cet helléniste érudit et
c( spirituel, qui embrasse, avec une égale supériorité de vues, le champ
« entier de l'antiquité (2) » ; et dans son livre sur la géographie de
l'Amérique, il reconnaît qu'il lui doit des vues ingénieuses et pro-
fondes sur la géographie générale et l'astronomie des anciens (3). Un
des preniiers philologues de ce siècle, M. Aug. Bôckh, témoigne dans
plusieurs de ses écrits son estime et son admiration pour la méthode,
la science et la sagacité de notre compatriote [ingenium, quale in
Letronnio maxime admiror) (4). Dans ses savantes Recherches mé-
triques (5), il exprime le cas qu'il fait des Considérations gmérales sur
les monnaies f publiées en 1817 par M. Letronne, tout au commen-
cement de sa carrière académique. Selon lui, cet ouvrage est à la
tête ^e tout ce qu'on a écrit sur la matière , et forme la base de ses
propres recherches (6). Enfin, M. Amédée Peyron, le premier philo-
logue actuel de l'Italie, esprit d'ailleurs éminent, l'appelle le Lagrange
des archéologues (7).
Il y a deux ans, le roi de Prusse a fondé un ordre nouveau ou
plutôt a formé une nouvelle classe de la paix dans l'ordre militaire
fondé il y a un siècle par Frédéric le Grand. Cet ordre destiné à ré-
compenser le mérite européen dans les sciences, les lettres et les arts
se compose de soixante membres en tout, trente pour l'Allemagne, et
trente pour le reste de l'Europe. Quatre savants ou littérateurs y ont
été admis pour représenter les sciences et la littérature en France;
Arago, les sciences mathématiques; Gay-Lussac, les sciences phy-
siques; Chateaubriand, la littérature française dans son expression
la plus haute; et Letronne, la littérature ancienne dans toute sa
vaste extension. Ce choix a paru, sans doute, fort injuste à M. Ber-
(1) De Zodiaci antiq» et origine. Bonn, 1839.
(?) Asie centrale, T I, introd., p. un.
(3) Ex. critique de la géogr. du nouveau continent. T. I , p. 37 ; III , p. t /8.
(4) Corp. inscr. T. I, praefat., p. xix.
(6) Page 4.
(6) Sie bilden die Grundlage meiner Forschungen, ibid.
(7) AUri loderanno la vasla erudizione, l'acula filologiaja giusla crilica del
Letronne, etc. Quello che piu ammiro nel chiar. aulore , e dirige e perfeziona
le tre doliprecedeïUi,si e la lucidissimn analisi condolta con un melodo affatlo
geomelrico, tank) piu mirabilmenle applicalo aile cose morali, quanlomaggiore
è la loro distanza dagli ordini malematici. Egli è il Lagrange degli archeo-
logi. Bibliot. italiana, n. ccxly, maggio 1836, p. 255, 266.
ENCORE LE PRÉTENDU COEUR DE SAINT- LOUIS ! 395
ger; qu'y faire? Ce sont là des honneurs qu'on ne va pas chercher;
mais, comme on aurait mauvaise grâce à se plaindre de n'y avoir pas
été admis, on se venge en médisant de celui qui les a obtenus!
En tout cas, ce sont là des autorités que nous prenons la licence
d'opposer à la sienne, et même de lui préférer, au moifjs jusqu'à ce
que l'auteur des Traditions lératologiques se soit élevé au niveau des
Niebuhr, des Schlegel , de Bôckh, des Humboldt et des Amédée Pey-
ron. Nous désirons môme ne pas attendre longtemps, puisque nous
aurions à enregistrer, parmi les Français , un homme illustre de plus.
Ce que nous ne désirons pas moins, en l'espérant davantage, c'est
qu'une si triste campagne dégoûte M. Berger de se mêler de ce qu'il
ne sait pas , et surtout le guérisse de cette manie qui le porte à
vouloir , sans rime ni raison , à propos du premier sujet venu ,
rabaisser ceux de ses compatriotes que l'estime de la France et de
l'étranger place à un rang si élevé. ^
La seconde brochure, intitulée : Réponse à V écrit de M. Letronne,
par M. Auguste Le Prévost, 37 pages, nous place heureusement sur
un autre terrain. Le savant auteur est bien un peu piqué contre son
confrère qui, tout en le ménageant autant que possible, a cependant
relevé les erreurs de fait où il était tombé, voire même un peu raillé
la teinte mystique de ses arguments; l'intérêt de la question l'exigeait
sans doute. M. Le Prévost tâche de parer ces coups portés par des
armes courtoises. C'était son droit, et il le fait comme il convient à
un homme aussi distingué par son caractère que par son esprit élevé,
mais, comme le dit trop justement M. Letronne, malheureusement
foun^oyé dès le commencement.
Répondre à son adversaire n'était pas chose facile. Pour y réussir,
M. Le Prévost devait l'' montrer qu'il n'avait pas commis les erreurs
matérielles qu'on lui reproche; 2° détruire les faits et les arguments
qu'on lui oppose; 3° en produire un nouveau, tant soit peu con-
vaincant.
Nous sommes obligés de convenir qu'il n'a rien fait de tout
cela. 11 commence par reconnaître que des erreurs ont été com-
mises. Passant condamnation sur celles qui avaient été signalées par
M. Letronne, il avoue qu'on ne s'était pas bien rendu compte de l'état
des choses; ce qui équivaut à convenir, comme l'avait dit l'adversaire,
qu'on avait négligé de s'en instruire : singulier moyen d'arriver à la
396 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
vérité! Puis il cherche à atténuer l'effet de ces erreurs qui, selon lui,
affectent médiocrement le fond de la question. Nous ne pouvons être
de cet avis; car, comme ces erreurs constituaient les seuls faits qui
pussent rendre vraisemblable l'origine sacrée du cœur découvert,
cette origine n'a plus aucune base, dès le moment que ces faits sont
faux; car tout alors devient contre, et rien ne reste pour.
Toutefois, dans cette litanie des faits faux déroulée par M. Le-
tronne, M. Le Prévost s'inscrit contre deux qu'il regarde comme
importants , et sur lesquels il croit pouvoir prendre son adversaire en
faute.
Le premier concerne la place oii le cœur a été trouvé dans Taxe
de l'abside, derrière le maître-autel . M. Le Prévost persiste à soutenir
que cette place était réservée au fondateur; il reproche même à M. Le-
tronne d'avoir glissé sur cette circonstance, et confondu, dans les
exemples qu'il a cités, ï abside avec les autres parties du chœur.
Cette confusion n'existe pas. M. Letronne a reconnu que, dans les
églises, les environs du maître-autel étaient places d'honneur pour les
sépultures ; mais qu'aucune n'était constamment réservée au fondateur,
ce qu'il a prouvé par une multitude d'exemples; il a même soutenu
qu'aucun texte n'indique le contraire. Que devait donc faire M. Le
Prévost? Evidemment citer un texte ou montrer la constance de V usage
appliqué au fondateur seul. Or, il n'a fait ni l'un ni l'autre. Dans la
discussion académique, où nous avons assisté, M. Letronne l'a sommé
de citer une autorité ou un fait positif. Sur ces deux points, l'adver-
saire est resté muet. En revanche, l'autre l'a accablé d'exemples qui
attestent que des personnages, qui n'étaient point fondateurs Jurent
inhumés dans l'axe de l'abside, et que des fondateurs, au contraire,
furent enterrés en d'autres parties de l'église. Voilà donc un fait faux
qu'il n'est plus possible de retrancher de la fameuse litanie, et pour
lequel M. Le Prévost n'a pas d'autre autorité que la sienne, qui est
grande sans doute, mais qui ne suffit pas.
Le second fait est relatif à la boîte en plomb, qui renfermait le cœur
de Ricimrd. M. Letronne avait avancé qu'elle êtd\t doublée en argent,
se fondant sur \erapport officiel rédigé à Rouen, que lui avait trans-
mis M. Deville, un des signataires de ce rapport. Depuis, une ana-
lyse chimique a montré à M. Deville que la feuille émargent est à'étain;
mais on ne le savait pas lorsque M. Le Prévost et M. Letronne ont
écrit leurs dissertations. Le premier triomphe de cette erreur; cepen-
dant il n'y a pas de quoi : car lorsqu'elle a été commise, elle n'en était
pas une. C est lui-même qui se trompait alors , puisqu'il allait contre
ENCORE LE PlîÉTENDU COEUR DE SAINT-LOUIS I 397
une pièce officielle, dont rien ne pouvait faire soupçonner l'exacti-
tude sur ce point.
Maintenant, que la boîte de plomb soit ou non doublée d'argent,
cela fait-il quelque chose à la question ? Nullement. Le raisonnement
de M. Le Prévost était celui-ci : « M. Letronne croit qu'on n'a pas pu
mettre le cœur de saint Louis dans une boîte d'étain ; pourquoi cela?
puisque celui de Richard avait bien été mis dans une boîte de plomb, »
L'analogie était juste et le raisonnement fondé; il resterait tel, si
M. Letronne s'était contenté d'opposer que la boîte de plomb était
doublée d'argent; fait qui n'est plus exact : mais il avait ajouté une
circonstance bien importante, d'après la chronique de Normandie, et
Guillaume le Breton, c'est que le cœur de Richard fut mis dans une
sépulture d'argent massif, tellement riche, qu'on la fondit pour servir
à parfaire la rançon de saint Louis , prisonnier à Damiette. Cette cir-
constance, qui avait échappé à M. Le Prévost, tout savant qu'il est
dans l'histoire de Normandie, fait tomber son raisonnement; car
l'extrême richesse de la sépulture de Richard rend d'autant plus
invraisemblable qu'on n'eût employé que Vétain, pour renfermer le
cœur du saint roi.
On voit par là que ses deux réclamations contre la litanie ne sont
pas heureuses, et laissent la question dans le même état.
11 revient encore sur Yabsence d'inscription , cet argument si fort
contre son hypothèse. Pour l'écarter, il avait soutenu , jusqu'au der-
nier moment, que ce que M. Letronne prenait pour le comercUf était
le fond de la boîte; à présent qu'il a vu les objets, il convient que
celui-ci avait raison. C'est bien le comercle; mais alors il se rejette
sur la conjecture purement gratuite de M. Paris , approuvée et fort
exaltée par M. Berger de Xivrey , que l'inscription éimi peut-être sur
les côtés, qui sont détruits. Avec {mpeut-étre on va loin. M. Letronne
avait objecté l'invraisemblance de cette conjecture ; et il avait prié ces
Messieurs de lui citer un seul exemple d'une inscription pareille ,
mise autre part que sur le cowercle. M. Le Prévost essaie de répondre
que cette place pourrait s'expliquer par l'usage où l'on était de met-
tre les inscriptions tumulaires , non au milieu de la dalle , mais sur le
bord, tout autour. Cette réponse qu'il a prise à M. Berger de Xivrey,
ne nous étonne pas de la part de celui-ci ; mais elle nous surprend
un peu de la part de M. Le Prévost, qui connaît si bien le moyen
âge. Comment ne voit-il pas qu'il n'y a nulle parité entre les deux
faits? Que les pierres sépulcrales, ayant leur surface occupée par une
stature, comme on disait, ou par une figure, soit en relief, soit gravée,
398 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
force était de placer les inscriptions sur les bords; maïs il lui^sera
aussi difficile de trouver une inscription ainsi placée sur une pierre,
dont le milieu serait resté vide, que sur une boîte dont le couvercle
serait libre de tout ornement.
Ceci montre, nous regrettons de le dire, que M. Le Prévost sac-
croche à tout, comme les gens qui se noient. Les plus mauvaises
explications lui servent , du moment qu'elles lui sont favorables. Son
adversaire a eu beau les détruire, il y revient toujours, parce qu'il
n'en peut trouver d'autres : telle est, par exemple, l'analogie qu'on
lui a fournie, entre autres erreurs qui l'ont égaré, telles que la
boîte sous le maître-autel et encastrée dans la voûte, et cette ado-
rable croix du WW siècle, qui fait en ce moment le tour de l'Europe,
au grand agrément des archéologues. Cette analogie est celle qu'il
tire du corps de saint Bernard , laissé dans son tombeau ; d'oîi
M. Lenormant concluait que le cœur de saint Louis pouvait avoir été
abandonné sous une dalle. M. Letronne a beau répondre que cet
exemple ne prouve rien, puisque c'était un usage, prouvé par une
infinité d'exemples, de ne lever, lors delà canonisation, que le chef
d'un saint, et de laisser le reste du corps dans son tombeau, où il
n'était pas moins l'objet de la vénération des fidèles. Mais le cœur de
saint Louis, du héros du XIIP siècle, on l'aurait mis avant la cano-
nisation, on l'aurait laissé après, enfoui sous une dalle, foulé aux
pieds par le premier venu ! Cela est impossible ; il n'y a vraiment que
la prévention la plus aveugle qui puisse supporter cette idée; et,
lorsque dans la discussion académique, M. Letronne a fait res-
sortir cette impossibilité, en s'appuyant de l'opinion des membres les
plus instruits du clergé de Paris, nous avons entendu avec surprise
un membre de l'Académie rejeter l'opinion du clergé , comme suspect
de ne savoir pas Y hagiographie.
C'est vraiment un peu fort. Il paraîtrait donc, par le temps qui
court, qu'il n'y a plus que ces Messieurs du moyen âge qui aient
qualité pour écrire sur les saints I mais que voulez-vous? lorsqu'on a
pris son parti , quand même , la raison en personne se présenterait
qu'on ne la voudrait pas voir. Mais pourquoi faut-il qu'un homme aussi
instruit que loyal comme l'est M. Le Prévost, jusque-là peu disposé
à l'enthousiasme, se soit laissé entraîner dans cette impasse? Il n'avait
qu'un moyen d'en sortir, c'était de suivre le conseil que lui a donné
un excellent esprit, M. Guérard, et de convenir qu'on l'avait
d'abord fourvoyé par de faux renseignements; car, lui disait-il :
c( j'en suis encore à imaginer un commencement de preuves , un
ENCORE LE PRÉTENDU COEUR DE SAINT LOUIS ! 399
« simple indice, en faveur de votre opinion. » Mais on roit que,
par malheur, M Le Prévost est encore à cent lieues de se douter de
l'excellence de ce conseil.
En terminant , il se propose de donner une leçon de mélJiode à
M. Lclronne. Il lui reproche de se poser comme le représentant de
la vraie méthode historique. M. Letronne, dans sa préface, se
donne seulement pour un représentant de cette méthode : or c'est ce
qu'on ne peut lui contester. M. Le Prévost lui reproche encore de pré-
tendre décider la question , et de démontrer que le cœur n'est pas et
ne peut être celui de saint Louis. 11 lui voudrait plus de réserve, un
ton moins affirmatif; mais celui qui sent qu'il a vingt fois raison,
peut-il afficher un doute qu'il ne peut avoir, et laisser dans l'incer-
titude une question qu'il croit avoir complètement résolue ! M. Le
Prévost lui recommande le doute cartésien. Nous pensons qu'il ne se
fait pas lui-même une juste idée du doute cartésien. Descartes pla-
çait le doute avant toute recherche, et non après. Pour lui, le doute
était une condition nécessaire de toute recherche impartiale, et un
moyen d'arriver à la certitude. Prétendre que Xincertitude doit toujours
se trouvera la fin de toute recherche, c'est préconiser le scepticisme ,
nou le doute cartésien. Or lequel des deux antagonistes s'est montré
le plus fidèle à ce doute philosophique, de celui qui, comme M. Le
Prévost, açant tout examen, sans avoir rien vu, rien observé, a
formé sa conviction, comme il le dit, d'une manière inébranlable;
ou de celui qui , comme M. Letronne , a d'abord douté , s'est
roidi, en quelque sorte, contre la tendance de son esprit, et n'a
formé sa conviction qu'après une élude complète de tous les faits ?
Assurément, c'est celui-ci. Oui, la méthode qu'il a suivie en cette
circonstance est, ainsi qu'il a eu le droit de le dire , la vraie méthode
historique ; c'est la seule qui puisse mener à des résultats certains ;
la seule qui ait fait la gloire de l'Académie des Inscriptions , et qui
puisse la maintenir au rang quelle occupe encore à la tête des
sciences historiques.
Depuis que ces trois brochures ont paru, le savant chimiste,
M. Dumas , a fait son rapport sur l'analyse des objets trouvés à la
Sainte-Chapelle. Ce rapport a été lu à la séance de l'Académie,
séance que quelques-uns voulaient rendre secrète; mais qui a été
maintenue publique, grâce aux instances d'autres académiciens;
400 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
MM. Quatremère, Letronne et Raoul-Rocliette. C'est surtout à
eux que nous devons d'y avoir assisté ; et nous leur en faisons nos
remerciements. Voici les résultats :
1° La boîte est en étain du commerce, c'est-à-dire pur d'alliage.
Elle était neuve quand on l'a employée. Il n'y a nul vestige d'ar-
genture.
2° La charnière et Vagrafe qui attachaient le couvercle à la boîte,
sont d'un travail grossier. M. Letronne avait dit médiocre; M. Le Pré-
vost, qui ne l'avait pas vu, a\ ait présumé que ces objets étaient d'un
iramil métallurgique précieux , d'un dessin délicat et pur (IV Lettre).
3° Le fond et les côtés ont été détruits par un effet galvanique ,
qu'a favorisé l'humidité.
4" La toile qui enveloppe le cœur est une toile ordinaire de lin,
neuve quand on l'a employée. Elle avait été trempée dans un bain de
cire.
5° Le cœur était embaumé avec diverses substances aromatiques,
qui en ont absorbé en grande partie la substance.
6° Il n'a probablement pas fallu moins de deux siècles pour l'ame-
ner à cet état , mais il peut être plus ancien ; parce qu'une fois réduit ,
il pouvait subsister encore, sans nouvelle altération notable, pendant
plusieurs siècles.
Le fait de \ embaumement suppose une sépulture soignée , comme
celle de tout personnage distingué, roi, prince, trésorier ou pre-
mier président.
Ce rapport, comme on voit, laisse subsister la question dans les
mêmes termes.
Le nom de saint Louis, on devait s'y attendre, n'est pas plus sorti
de ce rapport si bien étudié, que des autres faits historiques ou maté-
riels qu'on avait pu recueillir.
Ainsi l'a pensé la Commission nommée par l'Académie pour exa-
miner les objets et lui proposer une réponse à faire au Ministre. Cette
Commission était composée de neuf membres (c'est plus du tiers des
membres présents à cette époque de l'année), choisis parmi ceux qui
s'étaient occupés de la question, MM. Letronne, Guérard, Quatre-
mère, de Wailly, Le Prévost et P. Paris, auxquels on avait joint les
trois membres du bureau, MM. Guigniaut, Pardessus et Waicke-
naër. Après avoir examiné longuement tous les éléments de la ques-
tion, après avoir écouté le rapport de M. Dumas , et l'avoir discuté
avec son savant auteur, e[le n'a pas été embarrassée longtemps
pour proposer son opinion. Elle a conclu, à l'unanimité moins une
ENCORE LE PRETENDU COEUR DE SAINT LOUIS î 401
voix (M. Le Prévost absent), à ce qu'il fût répondu au IVIinistre:
(c Considérant qu'en attribuant ce cœur à saint Louis, on s'expo-
« serait à commettre une erreur grave; et que cette conjecture, con-
(( tredite par plusieurs textes anciens, et surtout par le silence de
(( ihisloire, ne serait ni la seule qui pût être proposée, ni même la
« plus probable ,
(( La Commission propose de faire cette réponse au Ministre :
(( Rien n'autorise à croire que le cœur trouvé dans l'abside de la
« Sainte-Chapelle soit le cœur de saint Louis. »
Cette proposition émanée d'une telle Commission, éclairée par
l'examen des objets découverts, était, à coup sur, la plus modérée
qu'on pût faire, et celle qui répondait le mieux à la pensée de l'Aca-
démie. Elle a cependant hésité à s'exprimer si formellement contre
une opinion soutenue par plusieurs de ses membres. Elle a cédé à la
réclamation de M. Le Prévost, qui a demandé la suppression du consi-
dérant, et la substitution du mot affirmer au mot croire. La majorité
a été pour ce moyen terme, espèce de coussin qui devait amortir
la rudesse de la chute.
La plupart des membres qui ont voté pour affirmer, en sortant de
la séance , ne dissimulaient pas le motif respectable de l'adoucisse-
ment, et n'étaient pas moins convaincus que la question ne peut lais-
ser aucun doute dans tout esprit impartial.
Quand la passion qu'on y a portée sera tout à fait dissipée,
nous sommes convaincus que ceux même qui se sont d'abord
laissé égarer seront surpris de s'être à ce point abandonnés à la pré-
vention, dans une question où il suffit, pour avoir une opinion arrê-
tée, de se laisser conduire par les simples lumières du bon sens.
Ils sentiront que le nom de saint Louis a été introduit bien mal à
propos dans cette affaire puisqu'il n'y était appelé par aucun indice ,
tandis qu'il en était repoussé par les preuves les plus palpables,
comme l'a si bien démontré le livre de M. Letronne. Ce livre restera
pour indiquer la vraie marche à suivre dans les recherches historiques
de ce genre. Qu'elles concernent le moyen âge ou l'antiquité , peu
importe : c'est toujours le même instrument qui sert à frayer la route,
ce sont les mêmes dons de l'esprit qui font découvrir la vérité , dons
fort modestes, sans doute, très-peu enviés surtout de nos jours,
qu'on ne se doute pas jusqu'à quel point leur réunion est rare. Ce
sont tout simplement Vimpartialité qui accueille tous les faits, Vat-
tention qui les rassemble, le sens commun qui les classe, les discute
et les juge. F'*".
DECOUVERTES ET NOUVELLES
— La nouvelle des troubles récents qui ont éclaté à Mossoul a dû
faire concevoir des inquiétudes sur le sort des découvertes de M. Botta;
mais, fort heureusement, avant ces désordres, notre consul avait pu
exécuter de nouveaux travaux; déjà nous savons qu'il a déblayé une
salle de 108 pieds de longueur. Les détails de ces fouilles sont con-
signés dans une nouvelle lettre adressée, comme les précédentes, à
M. Jules Mohl, membre de l'Institut, et elle sera imprimée dans le
Journal Asiatique, C'est dans ce recueil, auquel nous avons emprunté
une partie des renseignements qui nous ont servi à rédiger notre
article sur Khorsabad , que l'on trouvera tous les dessins des bas-reliefs
et les nombreuses inscriptions relevées par M. Botta. Nous attendons
avec impatience la publication des planches qui accompagnent les
lettres inédites dont M. Mohl a bien voulu nous permettre de faire
usage. Ces planches nous fourniront très-probablement le sujet d'un
second article. A. de L.
— M. Florent Gilles, conservateur des Musées et arsenaux parti-
culiers de l'empereur de Russie, vient, avec l'autorisation spéciale
de Sa Majesté Impériale, d'adresser au cabinet des antiques de la
Bibliothèque royale de Paris une collection de plâtres moulés avec le
plus grand soin sur les plus beaux morceaux d'antiquité qui existent
au palais de V Ermitage,
On remarque parmi ces monuments un grand vase d'argent re-
poussé , de la forme la plus élégante. Trouvé à Kertch , l'ancienne
Panticapée, il représente des sujets scythes traités par des artistes
grecs, et a probablement été exécuté en Italie, comme les vases de
beaucoup plus petites dimensions découverts à Pompeï et à Bernay,
avec lesquels il offre une singulière analogie.
Un rhyton d'argent, en forme de tète de bœuf, orné à sa partie éva-
sée d'un relief mythologique très-intéressant, semble avoir été copié,
quant à la forme générale, des vases de même espèce (mais d'argile)
qui se fabriquaient dans la Grande Grèce, et dont il existe à Naples,
tant au musée des Studj que chez M. de Santangelo, des variétés si
nombreuses.
Un disque d'or, que l'on croit avoir été l'ombilic d'un bouclier,
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 403
offre le mélange le plus bizarre et le plus curieux du style indien et
du style grec. A le voir en masse, on le croirait arraché à quelque
statue de Krichna ou de Parvati , et, lorsqu'on l'examine de près, on
reconnaît que ces dessins surchargés, ces lancéolés asiatiques, sont
composés de petites têtes de Méduse toutes semblables à celles de la
monnaie frappée à Néapolis de Macédoine, à Populonia d'Étrurie ou
dans l'île de Motya.
Nous avons été très-satisiiiit de trouver dans cette collection , outre
les plâtres d'une quantité considérable de plaques d'or, de bracelets,
coupes , monuments qui tous proviennent des fouilles de Kertch , deux
coupes persanes représentant des rois combattant des lions et des san-
gliers; la Reme (p. 267) avait signalé ces vases inédits à l'attention
des artistes qui vont à Saint-Pétersbourg étudier les musées, et les
engageait à en faire des dessins. Ce vœu se trouve accompli ou plutôt
prévenu, grâce à la libéralité de M. Gilles.
— Les ruines d'une ville ancienne viennent d'être découvertes près
de Magliano, dans la Maremme toscane. En perçant une route à tra-
vers une terre basse, entre cette petite ville et la mer, des ouvriers
rencontrèrent quelques gros blocs de pierre, et, en déblayant dans le
sens de leur direction, ils furent conduits à mettre à nu tout un cir-
cuit de murailles qui ne mesurent pas moins de six milles en longueur.
D'après la grandeur et la forme des blocs qui composent ces murs, et
d'après diflerents objets qui ont été trouvés dans l'enceinte, notam-
ment quelques tombeaux qui ont offert quelques poteries et bronzes
étrusques, il paraît certain que cette ville est d'origine étrusque. On
n'y a découvert aucun objet d'antiquités romaines, ce qui prouve
qu'elle avait déjà cessé d'exister, lorsque les Romains firent la con-
quête de cette partie de l'Étrurie. Il est difficile de comprendre com-
ment une ville située à si courte distance de la mer et d'une étendue
aussi considérable, car elle ne le cède en rien à Veii ou Volterra, a
pu être passée sous silence par les écrivains de l'antiquité ; il est
également difficile de savoir quelle a pu être cette ville ; était-ce
Vétulonia, autrefois la gloire des Étrusques, comme nous l'apprend
Silius Italiens, la première qui donna à Rome les douze licteurs avec
leurs faisceaux, la chaise curule et la robe de pourpre de l'Etat? Des
recherches ultérieures sont nécessaires pour éclaircir ce fait.
— Les monuments du premier âge du christianisme ont été de tout
temps fort recherchés par les antiquaires, et principalement en Italie.
404 DÉCOUVERTES ET NOUVELLES.
Mais ce n'est guère que de notre temps que la critique s'est appliquée
à les interpréter d'une manière satisfaisante. M. Raoul Rochette a,
dans le tome XIII des Mémoires de l'Académie des inscriptions et
belles-lettres, publié trois Mémoires qui constituent un véritable traité
de l'art chrétien primitif. Ce savant archéologue, tout en distinguant
avec soin ce qui dans les représentations chrétiennes devait son ori-
gine aux nouvelles croyances, a su fort bien aussi faire la part de la
perpétuation des types empruntés au paganisme. Dans les manifes-
tations figurées des doctrines chrétiennes, on retrouve en effet des
idées nouvelles exprimées à l'aide de compositions qui, jusque-là,
avaient eu une autre valeur symbolique; tandis que dans les textes
on découvre, au contraire, d'anciennes idées qui s'efforcent en vain
de revêtir un accoutrement nouveau.
Parmi les représentations chrétiennes les plus importantes, on doit
placer le Bon Pasteur, 6 r.oiiiMv o y.aloç, cette image du Dieu qui dis-
cerne entre les individus de son troupeau la brebis pure de celle qui est
souillée, qui l'aide et la défend. Voici une pâte de verre bleu trouvée
à Rome, vraisemblablement dans les Catacombes, et rapportée par
M. le comte Ch. de L'Escalopier, antiquaire plein de zèle et d'obli-
geance , à qui nous devons la communication de tous les petits monu-
ments dont nous donnons la gravure (1). Cette pâte représente le y.cclbç
îioiy.r^v dans une altitude tout antique. L'améthyste qui suit porte une
ancre, une nef et un poisson, accompagnés des lettres S. ï. qui sont
ou les initiales du nom d'un saint ou celles du propriétaire de la pierre.
Les symboles que je viens de nommer ont une signification de salut
assez connue, pour que nous n'insistions pas sur leur sens. Une pâte de
verre brune, gravée en creux, nous montre une colombe tenant dans
son bec une branche d'olivier; au-dessous un dauphin croisé avec une
ancre; dans le champ, les lettres C. I. P. Nous avons dit que la
pierre qui précède exprimait l'idée de salut, et nous en dirons autant
de cette pâte. La colombe de la nouvelle alliance indique le salut ma-
tériel de l'arche, figure antique du salut spirituel. Le dauphin a tou-
(1) Ces monumenls sont représentes ici de grandeur naturelle à reiceplion de
l'eulogie qui est réduite de moitié.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
405
jours été pour les anciens un animal crwTyjp , témoin ceux de Taras
et d'Arion.
La Berne nous entretenait dernièrement (p. 261) de la découverte
d une tessère représentant le crustacé^ammar«5 dont le nom rappelait
la valeur numérique trois» Les chrétiens, eux aussi, avaient leurs tes-
sères qui servaient de marques de reconnaissance pour l'admission
aux saints mystères, et précisément le nom du poisson Ix^vç qui,
décomposé lettre par lettre, formait, comme on sait, la phrase sacra-
mentelle ln(7ov<; XpLfiroç Ssov Ylbg ^(ùvhp donnait à cet animal un sens
très-significatif. L'un de ces deux poissons est de cristal de roche; ses
yeux étaient d'émail : un seul subsiste , il est irisé. Le second poisson
est de verre bleu, et f irisation lui donne l'apparence d'un poisson
véritable.
Les chrétiens avaient conservé l'usage de remplir les tombeaux
d'ustensiles et de vases funéraires. On trouve quelquefois de petits
vases à parfum d'une terre rougeâtre un peu grossière et portant assez
communément l'inscription GYAOriA TOY AnOY MHNA. Sur la
face antérieure de l'eulogie que nous publions ici, et qui ne porte pas
d'inscription, on voit saint Menas, les bras étendus vers deux oiseaux;
dans le champ, sont deux petites crQix. La Bibliothèque royale pos-
I. 27
406 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
sède une eulogie, avec l'inscription rapportée ci-dessus et la figure
du saint entièrement semblable à celle du vase de M. le comte de
L'Escalopier.
— Des ouvriers travaillant au terrassement delà nouvelle route de
MaubeugeàBinch, trouvèrent, il y a quelque temps, à la profondeur
d'environ 2 mètres, une grande quantité de vieux ossements. Cette
rencontre ayant vivement piqué leur curiosité, ils poussèrent plus
loin leurs excavations, et ne tardèrent pas à mettre au jour les débris
de deux cents squelettes humains, à peu près ; ils découvrirent en
outre deux fers de hache, une lance, plusieurs tronçons d'une large
épée à deux tranchants , et trois petits vases en terre grisâtre et ver-
nissée, renflée par le milieu. L'un des squelettes fut trouvé renfermé
dans une maçonnerie rectangulaire d'un mètre de hauteur, et la face
tournée contre terre, comme tous les autres. Entre les jambes se trou-
vait un des fers de hache , la lance, les tronçons d'épée et deux des
vases en terre. 11 y avait dans un de ces vases quelques petits objets
en cuivre, qu'on peut soupçonner avoir servi de garniture à une boîte
ou à un ceinturon.
Deux petits disques de même métal et de forme concave se trou-
vaient également avec ces objets ; les ouvriers, qui les prirent d'abord
pour des médailles, reconnurent bientôt que ce ne pouvait être que
les plateaux d'une petite balance, à l'aspect des trois petits trous
percés au bord de chaque plateau ; et la présence d'une petite verge
de bronze, qui n'était autre que le fléau de la balance, vint les confir-
mer dans cette pensée. Tous ces objets, dans un état complet d'oxy-
dation qui leurôtait une partie de leur forme primitive, furent remis
à M. André, maire de Vieux-Reng qui, à la première nouvelle du
fait, s'était transporté sur les lieux, et avait, assisté aux fouilles avec
une sollicitude judicieuse.
— L'Académie des Sciences de Bruxelles a entendu, dans sa
séance du 3 février dernier, la lecture d'un rapport fait par une
commission composée de MM. Cornelissen, de Reiffenberg et Roulez,
sur divers objets d'antiquités provenant de fouilles faites sur la com-
mune de Fouren-le-Comte , à l'endroit dit Steenhosch, dans un champ
appartenant à M. Delvaux : ces fouilles, exécutées par le proprié-
taire du champ , ont mis à découvert douze pièces d'une habitation
romaine. Djns l'un des appartements, on a découvert les restes d'un
hypocauste. Cent trente-cinq piliers de forme ronde, mais dont aucun
n'était resté entier, soutenaient le pavé de l'appartement, et formaient
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 407
une cave servant à la circulation du calorique, fourni sans doute par
un fourneau voisin. Les piliers, distant les uns des autres de 2 cen-
timètres, se composaient de briques rondes, placées les unes sur les
autres, et liées par une couche de mortier. Une de ces briques fait
partie de l'envoi de M. Del vaux : elle a 25 centimètres de diamètre.
Sur les piliers , reposaient de grandes briques carrées formant la base
du pavé de l'appartement; elles ont i3 centimètres de longueur et
largeur sur 5 à 6 d'épaisseur; quelques fragments se trouvent parmi
les objets envoyés. On y rencontre également un fragment d'un des
tuyaux qui ont dû servir à conduire la chaleur dans les appartements.
La cave de l'hypocauste avait elle-même un pavé, composé de deux
couches de ciment, assises sur deux grosses pierres brutes. Le
ciment de la couche inférieure, épaisse de 1 décimètre, était rempli
de petites pierres blanches. Dans celui de la couche supérieure,
ayant 9 centimètres d'épaisseur, se trouvaient de petits morceaux de
terre cuite qui donnaient une belle couleur rouge à l'extérieur du
pavé. L'Académie possède des échantillons de ces ciments. Le toit
de cette habitation était formé de tuiles plates munies de rebords sur
les côtés, à l'exception des extrémités par oii elles s'engageaient les
unes dans les autres; c'est du moins ce qu'autorisent à croire les
nombreux morceaux répandus dans la campagne jusqu'à la distance
de 150 mètres. Mais on a trouvé quelques-unes de ces mêmes tuiles
dans l'hypocauste. Celles-ci sembleraient avoir été employées en
guise de briques; car l'intérieur de quelques-unes est rempli de
morceaux d'autres tuiles attachées avec du mortier. Des exemples
d'un pareil emploi ont été constatés en Angleterre et en France.
— Parmi les monuments antiques que le zèle éclairé des archéo-
logues dévoués à la science et aux arts a sauvés de la destruction, il
en est un qui, déjà plusieurs fois, a éveillé l'attention du gouverne-
ment et fixé' celle des étrangers. Nous voulons parler de la mosaïque
du Bellérophon, découverte à Autun dans une propriété qui sera
probablement vendue tôt ou tard. Il est vivement à souhaiter que le
gouvernement fasse les sacrifices nécessaires pour conserver sur place
cette admirable page historique qui rappelle les plus beaux temps de
l'époque gallo-romaine, oii la ville d'Auguste (Autun) fut pompeu-
sement décorée du titre de sœur et d'émulé de Rome.
Les ruines vénérables de quelques-uns de ses temples et de son
vaste théâtre, deux portes magnifiques, sans compter une infinité de
408 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
fragments d'antiquités remarquables enlevés au pays, attestent suffi-
samment quelle fut l'importance de la vieille cité gauloise qui, nous
l'espérons, n'aura pas le regret de voiries derniers et précieux vestiges
de sa splendeur passée conquis sur elle, comme une dépouille, par
l'or de l'étranger.
— M. Reinaud, professeur de langue arabe à Paris, a parcouru la
Suisse dans le but d'y trouver des traces du passage des Huns. Dans
la cathédrale dcCoire, canton des Grisons, on lui fit voir une cha-
suble que l'on regardait comme remarquable uniquement à cause de
son ancienneté. M. Reinaud la considéra avec un étonnement tou-
jours croissant, et demanda aux personnes qui l'accompagnaient si
qutlqu'un avait essayé de déchiffrer les broderies qui se voyaient sur
la bordure; et, sur la réponse négative qu'on lui fit, il y lut les mots :
Es'souUhan, elmalek, en'nasser, {ro'i^mois arabes (\u\ signifient: sultan,
prince, protecteur. Le vêtement de cérémonie du prêtre chrétien
était composé de magnifiques élofl'es orientales que sans doute les
croisés avaient rapportées d'Orient dans le xiii^ siècle.
— Un journal deCaen rapporte que monseigneur l'évéque de Cou-
tances a chargé M. Couppey, au commencement de l'année dernière,
d'examiner une chasuble attribuée au bienheureux Thomas Hélie ,
et de vérifier si elle porte réellement le type du XlIP siècle. Suivant
une ancienne tradition , cet ornement aurait été envoyé par saint
Louis au pieux Hélie, alors curé de Biville. M. Couppey a remarqué
sur l'étofl'e de la chasuble une fleur de lis, un lion, un aigle et un
château fort à deux tours crénelées. La présence de ces emblèmes
héraldiques confirme la tradition locale. On les retrouve sur plusieurs
monuments du siècle de saint Louis, entre autres à Saint- Denis sur
deux devants d'autels en verroteries. La fleur de lis y figure comme
pièce principale du blason royal; le lion et le château sont empruntés
aux armoiries de la reine Blanche de Castille. Le royaume de Gastille
timbre en effet son blason d'un château sommé de deux tours, et le
royaume de Léon porte un lion sur son écu. Quant à l'aigle, il appar-
tient sans doute aux armoiries de quelque alliance germanique.
BIBLIOGRAPHIE.
LATINI SERMONIS VETUSTIORÏS RELIQUI^E SELEGTiE, Recueil publié sous les
auspices de M. Villemain, ministre de rinslruction Publique , par A. E. Egger,
professeur suppléant à la Faculté des Lettres, maître de conférences à l'École
normale, 1 vol. in-8. Paris, Hachette, 1843.
Dans l'impossibilité de recueillir tous les fragments de l'ancienne
latinité épars dans un si grand nombre d'ouvrages , M. Egger a
cherché du moins à en composer un choix qui pût jeter quelque jour
sur les origines et les vicissitudes de la langue. On n'avait pas eu
jusqu'ici l'idée de réunir en un seul recueil ces monuments, et les
savants seuls pouvaient les consulter dans des collections spéciales ;
aussi les élèves de nos collèges, et même des humanistes plus expé-
rimentés, se contentaient d'étudier les chefs-d'œuvre de la littéra-
ture latine, sans songer à rechercher par quels essais elle est arrivée
successivement à ce point de maturité et de perfection. On connais-
sait vaguement les efforts tentés , vers le commencement du vi^ siè-
cle, parLivius Andronicus, et un peu plus tard par Ennius, pour
adoucir la rudesse de la langue et donner à la poésie une forme plus
régulière. On retrouvait encore la trace de ce travail dans les vers
de Lucrèce et de Catulle ; mais peu de gens avaient tenté d'entrer
dans les détails de cette lente réforme par la comparaison attentive
des textes. Cette étude est devenue facile aujourd'hui, grâce au recueil
de M. Egger. On y trouvera aussi , surtout dans la première partie,
qui comprend les fragments de quinze grammairiens antérieurs au
siècle d'Auguste, des éclaircissements importants sur la formation
grammaticale et le sens propre d'un grand nombre de mots , et l'on
pourra se convaincre que tantôt les modernes ont laissé s'introduire
dans les lexiques des expressions qu'aucun exemple ne justifie , et
que tantôt, au contraire, la langue latine s'est appauvrie dans nos
livres par des scrupules exagérés. Mais ce n'est pas là le seul avan-
tage qu'on doive se promettre de la lecture des Reliquiœ. Ces frag-
ments, intéressants pour la philologie, sont en même temps des docu-
ments précieux pour l'histoire ; c'est là même une des considérations
sur lesquelles l'auteur a le plus insisté dans sa préface, et, pour
compléter autant que possible cette galerie historique, il a joint à la
fin de son livre quelques ipiQiQeaux originairement écrits en latin , et
410 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dont la traduction grecque nous est seule parvenue. On remarque
aussi , à la place que leur date leur assigne parmi les fragments des
poëtes et des orateurs, plusieurs pièces législatives presque tombées
dans l'oubli ou reproduites avec peu d'exactitude dans des collations
récentes. Mais surtout nous ne pouvons passer sous silence quelques
pages d'un exemplaire grec du testament politique d'Auguste, dont
M. Egger a enrichi son volume , grâce à une nouvelle découverte
faite sur les ruines d'Ancyre par le voyageur anglais Hamilton , et
qui comblent heureusement plusieurs lacunes du texte latin. Chaque
chapitre est précédé d'une notice bibliographique et critique, oii l'au-
teur a réuni en peu d'espace les renseignements les plus nécessaires
à l'étude de ces divers monuments, et le volume se termine par un
index où toutes les formes archaïques sont accompagnées d'une ex-
plication en langue plus vulgaire et qui supplée, autant qu'il est
possible, à l'absence d'une annotation continue.
Tout concourt ainsi à faire de ce recueil un livre également inté-
ressant pour les littérateurs , les historiens et les jurisconsultes, et à
le rendre digne du ministre et de l'homme de lettres éminent qui en
a fourni lui-même l'idée première à l'auteur et sous les auspices du-
quel il est publié.
MÉMOIRES ET DISSERTATIONS SUR LES ANTIQUITÉS NATIONALES ET
ÉTRANGÈRES , publiés par la Société royale des Antiquaires de France.
Nouvelle série. Tome VIP. Paris, 1844, in-8.
La Société des Antiquaires , qui vient de livrer à la publicité le
VIP volume de ses Mémoires , est une institution qui date déjà de
loin. Fondée sur les débris de l'Académie celtique, elle en a pendant
quelque temps suivi les errements d'une manière assez complète.
La spécialité de ses travaux leur assurait du moins cette part d'es-
time qui s'attache au labeur bien intentionné ; Hominibus honœ
voluntaùs.
Si nous parcourons la liste des personnes qui composent la Société
actuelle, nous y voyons deux membres de l'Institut, beaucoup
àhommes de lettres , et , nous le reconnaissons , aussi quelques ar-
chéologues qui, s'ils ne sont pas nombreux, sont assez habiles
pour justiGer le titre que porte la compagnie dont ils font partie.
D'un autre côté, si nous jetons les yeux sur la table des chapitres
placée à la fin du volume que nous avons entre les mains , nous
voyons avec étonnement que parmi les auteurs de Mémoires, les
hommes de lettres figurent seuls. Que font donc les antiquaires de
BIBLIOGRAPHIE. 4U
profession ? Hélas ! il faut le dire , ils travaillent ailleurs. Les uns
rédigent la Bibliothèque de V Ecole des Charles, cet excellent et solide
recueil ; les autres portent à la Revue numismatique , au Bulletin
du Bibliophile , au Journal de ï Instruction publique et au Jour*
nal asiatique, le tribut de leurs consciencieuses recherches, leurs
découvertes , leurs idées brillantes. Que reste-t-il donc pour former le
contingent érudit que la Société enfante laborieusement tous les deux
ou trois ans? Le volume que nous avons sous les yeux est là pour
nous l'apprendre. Et, il faut le déclarer dans l'intérêt môme de la
science , après une lecture attentive de près de six cents pages de
Notices et de Mémoires, on demeure frappé de la nullité du résultat.
On devine la lutte continuelle dans laquelle doit épuiser ses forces
un comité de l'impression composé de trois hommes intelligents ,
qui se sont vus obligés de mettre au bas de certaines pages des
notes qui contredisent les assertions imprimées immédiatement au-
dessus. Pourquoi , en pareil cas , ne pas obtenir des auteurs la sup-
pression totale du passage que des témoignages formels démentent?
C'est que souvent ces passages sont inhérents à l'objet même du tra-
vail que l'on a accepté, afin de remplir à tout prix le volume.
Ce que l'on remarque tout d'abord , c'est que les écrivains paraissent
étrangers à la matière qu'ils traitent, et semblent croire que leurs
œuvres sont destinées à être lues dans les boudoirs ; de là la nécessité
peureux d'expliquer, à eux-mêmes d'abord, aux autres ensuite, la
signification d'une foule de mots qui sont du vocabulaire habituel de
l'Archéologue. Ainsi (page xxiij) l'un déclare, dans une note spéciale,
que le quinaire est la moitié du denier, et à peu près de l'épaisseur
et du diamètre d'une pièce de 25 centimes de notre monmie actuelle ;
que le sesterce vaut la moitié du quinaire, qu'il est beaucoup plus
mince et d'un diamètre moins grand , ce dont on ne doutera pas dès
l'instant que l'on sait qu'il ne vaut que la moitié; tout de suite après
nous voyons consigné ce fait neuf, à savoir, que le titre d'Auguste
n'était porté que par les empereurs régnants , et celui de César par
leurs héritiers présomptifs. Un autre dit : Adiabène , province d'As-
syrie. Plus loin (p. 15) il est question « de l'influence qu'exercera sur
les artistes et sur les hommes de litres la conviction de M. Eugène
Bareste » en ce qui touche le sens d'un mot grec; l'éditeur de YAlma-
nach prophétique donné comme un helléniste, serait-ce une plaisante-
rie par hasard?
Nous pensons plutôt que tout cela n'est que de l'innocence ; mais
Tious avons à dire autre chose d'une Notice sur Roquefort, dont le
412 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Style trivial dépasse toutes les bornes concevables. Ce sont des fils
décédés avant leur père ( p. cj ) ; des correspondants défunts (p. xcvi ).
L'auteur de la Notice remarque que « M. Philarète Chasle a eu bien-
tôt fait de dire, etc. (p. xcvij).» Roquefort, suivant son biographe,
« avait malheureusement fréquenté certains artistes qui l'entraînèrent
dans des parto, etc. (p. cj.) » Puis c'est une phrase ainsi conçue:
(( Une circonstance terrible acheva d'anéantir Roquefort ; c'était en
« 1832, lorsque le choléra sévissait avec fureur sur notre malheu-
« reuse France, et que cette lie de la population, moins soulevée par
« le fléau dévastateur qu'égarée par d'indiscrètes proclamations ,
(( voulait assouvir ses vengeances (p. cv.). » Il ne nous a pas semblé
que l'insinuation politique que renferme cette période rachetât ce que
sa forme a de défectueux ; nous serions surtout très-empressé de
savoir à quoi se rapporte le pronom démonstratif. Pourquoi ne pas
imiter la sage réserve du rapporteur de 1842, M. Guichard? son
travail n'est pas sans doute celui d'un archéologue consommé , mais
il est clair, d'un ton simple et parfaitement écrit. Nous étendrons cet
éloge à une notice excellente de M. Depping sur Gauttier d'Arc , le
moins antiquaire peut-être de tous les correspondants de la docte
société. Voilà certes deux morceaux qui sont agréables à lire, mais
aussi ne sont-ils pas, nous le répétons , du domaine de l'archéologie.
Nous avons toujours cru que l'on ne saurait être bibliothécaire
sans être aussi quelque peu bibliographe, ou bien encore que la
bibliographie était une science qui consistait à transcrire exactement
le titre des livres. Il nous faut renoncer à l'une de ces deux convic-
tions, en lisant (p. 83) dans un long travail sur les instruments de
musique, le titre d'un livre de Strutt (appelé Slruth ici) : A compleat
(sic) VI w (sic) ofthe manners, costums (sic) of the inhabitans (sic)
of england (sic). Six fautes en deux lignes, et lorsqu'il serait si facile
de consulter plusieurs confrères qui savent l'anglais comme leur
propre langue! Dans la même dissertation nous trouvons (p. 68), à
propos d'un instrument de musique, « le nom véritable est acetubula,
en grec o^oêa!pa«; nous croirions plus correct dédire : acetabula et
bl\k(x(s^oL ; mais chacun a son goût.
c( Les Crotales , dit le môm^ écrivain , étaient simplement des
grelots. » Et à l'appui de cette assertion il cite un passage de J. de
Salibury (îisejzSalisbury), passage qu'il ponctue mal. Nous aurions
désiré que l'auteur ajoutât : Si l'on a appliqué par extension le nom
de crotales aux grelots, il est certain que dans l'antiquité ce nom,
qui exprime l'idée de percussion , était donné aux castagnettes, instru-
BIBLIOGRAPHIE. 413
ment que nous voyons fréquemment dans les mains des satyres et
des ménades , et qui se retrouve sur le tympanum de la statue de
Cybèle du musée Pie-Clémentin.
En générïil , nous croyons que l'écrivain , dont nous examinons le
travail , aurait pu consulter avec fruit quelques ouvrages élémentaires
d'archéologie.
« Chez les anciens, dit-il encore (p. 73), on nomma primitive-
« ment pylhaules des joueurs de flûte de Pythie. Plus tard on désigna
((par ce mot l'instrument que nous nommons musette, et qui était
(( connu de l'antiquité , puisque l'on trouve dans la Copa de Virgile ;
Ebria formosa saltat tasciva taberna.
Ad cubitum raucos excutiens calamos.
UvBocvÀ'nç est celui qui célèbre sur la flûte la défaite du serpent Py-
thon vaincu par Apollon ; quant aux vers attribués à Virgile, nous ne
voyons pas bien ce qu'ils établissent en faveur de la musette. De ce
qu'une femme ivre souffle dans des pipeaux enroués, nous ne sau-
rions conclure à l'existence de telle ou telle espèce d'instrument.
La flûte de Pythie n'en reste pas moins une énigme.
Après la citation des vers de la Copa, nous ne comprenons pas
quel scrupule peut empêcher l'auteur de rechercher si la flûte traver-
sière était connue de l'antiquité (p. 135). Il avait d'ailleurs à indiquer
un monument superbe, la coupe d'argent antique dont M. Edouard
Gerhard a publié, à Berlin (Archœologische Zeitung)^ une excellente
description , et sur laquelle on voit cette flûte.
Nous avons encore remarqué ce passage : (( Parmi les instruments
(( à corde de cette époque reculée, figure le circulus, qui devait être
(( une harpe , d'après le passage suivant : (( Qui harpatorem , qui cum
a circulo harpare potest, in manu perçussent. » Lex Anglorum Weteri-
(( norum, tit. 5, §. 20. Il est probable que le circulus devait son nom
« à sa forme arrondie (p. 74). » Cette dernière réflexion ne sera cer-
tainement contredite par personne; mais on pourrait entendre autre-
. ment le latin de la loi germanique, et traduire harpare cum circulo,
jouer d'un instrument à corde avec un archet. Dans tous les cas, il
aurait fallu écrire leges Angliorum et Werinorum, il ne s'agit ici ni
d'Anglais ni de bêtes de somme -, mais bien de deux petits peuples
de la Germanie, devenus aujourd'hui des Saxons et .des Mecklem-
bourgeois. Nous voudrions encore in manam percusserit, au lieu de
in manu; les Anglais frappent dans la main de leurs amis, assez fré-
quemment, mais ils ne sont pour cela condamnés à aucune amende.
414 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Nous aurions aussi désiré trouver, à l'article du Cromorne (p. 138)
l'explication de ce mot, qui nous paraît être le krummhorn, ou cor
recourbé des Allemands.
Qui a jamais connu Vita Saint-Yvonis (sic), auteur d'un ouvrage
en 4 volumes , intitulé le Processus? Assurément il faut que ce per-
sonnage inédit figure dans le catalogue de la Bibliothèque du conser-
vatoire detnusique, car nous le trouvons mentionné à la page 69 du
Mémoire sur les instruments. Nous prions cependant les biblio-
graphes, avant de transcrire le nom de l'auteur du Processus, de
consulter les Bollandistes; ils trouveront, au tome IV de mai
(p. 541), un chapitre ayant pour titre : Processus de vitâ et miracuUs
sancd Yçonis, et qui pourrait bien être le seul acte de naissance de
l'écrivain nouvellement découvert.
Après ces citations, que nous pourrions facilement accroître,
comment avoir le courage de reprocher à l'auteur du Mémoire quel-
ques omissions? Nous ne lui demanderons donc pas pourquoi il n'a
rien dit de l'Olifant, qui serait peut-être ce cor sarrazinois qui paraît
si fort l'intriguer (p. 146). Nous devons plutôt le prévenir que le
tahour des Arabes et des Turcs n'est pas un tambour, mais une man-
doline à très- long manche.
Un jeune voyageur découvre, en visitant les catacombes de Naples,
une épitaphe grecque qu'il copie, et la Société des Antiquaires s'em-
presse de la publier comme inédite (p. 50). 11 faut peu connaître
l'Italie pour s'imaginer qu'il y subsiste quelque chose d'inédit, et dans
le cas actuel il était indispensable de consulter les ouvrages où pou-
vait se trouver publiée l'inscription funéraire. Le plus connu de tous
c'est le Guida per le catacombe di S. Gennaro de' poi^eri, du chanoine
André de Jorio, le doyen des antiquaires de l'Italie. L'épitaphe de
Charitosa existe dans ce volume, gravée en très-gros caractères,
pi. IV, n" 3. Elle figure encore à la page 23 du livre de Giuseppe
Fusco, intitulé : Dichiarazioni di alcune iscrizioni perdnend aile cata-
combe di S. Gennaro dei Poveri, Naples, 1839 ; et nous apprenons de
M. Fusco que cette même inscription, publiée il y a longtemps par
Martorelli , a été l'objet d'excellentes observations dues à Pelliccia. Le
mot inédit, qui, seul, donnait quelque prix à la plus ordinaire de
toutes les épitaphes déjeunes filles était donc de trop.
Nous avouons que nous n'avons pas pu lire , avec la liberté d'esprit
nécessaire, les quarante-cinq pages , suivies des soixante-treize pages
de pièces justificatives qui , réunies , constituent les Recherches sur la
grande confrérie Notre-Dame; nous espérons que l'auteur remplira
BIBLIOGRAPHIE. 4l5
bientôt la promesse qu'il a faite de consacrer un Mémoire aux repré-
sentations théâtrales qui furent exécutées à Paris par les différentes
confréries; il nous le doit pour nous dédommager des soixante-
treize pages de pièces justificatives à qui il ne manque que d'être
justifiées. Nous ne ferons non plus aucune observation sur les
«Origines du mont Saint-Michel» (p. 349), car un homme
d'un grand mérite a fait suivre ce travail d'une excellente note
oii il répond, avec l'autorité que donne une vaste érudition , à des
assertions que nous eussions repoussées. Nous regrettons seulement
qu'il n'ait pas averti l'auteur des Origines que M. Maximilien Raoul ,
auquel il s'en prend, n'est qu'un être imaginaire forgé par un caprice
de M. Letellier.
On trouvera peut-être que nous sommes sévère dans notre examen;
mais on devra comprendre quels ont été notre désappointement, notre
douleur, en trouvant ce que nous venons de relever, dans un livre oii
nous cherchions des travaux pleins d'érudition, et tels qu'on en doit
attendre d'une compagnie qui pourrait être l'une des plus savantes de
France. On ne nous accusera pas d'aimer les personnalités, nous
n'avons nommé aucun des auteurs que nous critiquons ; c'est qu'aussi
nous nous en prenons à la société tout entière qui, d'après le
titre même de son recueil, publie les Mémoires, et qui devrait veiller
à leur impression , à leur rédaction , et attendre s'il le fallait dix an-
nées pour composer un volume, plutôt que de s'exposer à perdre le
renom dont elle a joui en se rendant solidaire de travaux d'une mé-
diocrité qui indigne.
Quoi ! nous trouvons à la fin de votre volume la liste de dix aca-
démies étrangères qui échangent avec vous leurs publications I Que
vont-elles dire, hélas! E. N.
DICTIONNAIRE ICONOGRAPHIQUE DES MONUMENTS DE L'ANTIQUITÉ CHRÉ-
TIENNE ET DU MOYEN AGE, par L.-J. Guenebault. Paris, Leieux, 1844.
Tous les peuples de l'Europe, après l'introduction du christianisme,
ont subi, avec plus ou moins de différence, les mêmes modifications
dans leurs usages, leurs mœurs et leurs symboles, lors des invasions
des Barbares, aux III, IV et V"' siècles de notre ère. On est con-
venu de donner au temps qui s'est écoulé depuis les premières no-
tions historiques que la science a pu recueillir, jusque vers le V*" siècle,
le nom ^'antiquité. Là où finit l'antiquité commence le moyen âge
qui, lui-même, a fini aux temps modernes , et la période intéressante
désignée par cette appellation date de la chute de l'empire grec et la
416 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
prise de Constantinople par Mahomet II , empereur des Turcs , au
milieu du XV" siècle (1453).
Le moyen âge est l'époque oii la philosophie, les sciences et les arts
vinrent se réfugier dans les cloîtres et dans les cathédrales, près des-
quels, sous le patronage de prélats éminents en vertus et en science,
se formèrent les premières universités, et d'où elles furent tirées par
ces hommes illustres qui préparèrent ce qu'on appelle la renaissance,
dans le XV et le XVP siècle; époque brillante, mais qui ne peut
échapper au reproche d'avoir introduit dans l'architecture religieuse
toutes les réminiscences archaïques de l'art païen.
L'histoire a démontré que les inventions utiles, perfectionnées plus
tard, datent, pour la plupart, du moyen ège; ainsi, la boussole, la
peinture à l'huile, la poudre et les canons, la gravure sur bois et sur
cuivre, la taille du diamant, les lunettes, l'imprimerie, etc., furent
découverts dans la période du XIP au XVl*^ siècle. Mais le vrai carac-
tère distinctif du moyen âge, c'est la grande importance de l'archi-
tecture religieuse, qui se divise, du IV*' au XVP siècle, en deux
genres : le roman, et celui improprement appelé gothique.
Depuis quelques années, nous sommes témoins d'un mouvement
intellectuel qui entraîne les esprits vers l'étude des monuments du
moyen âge, et l'on éprouve un besoin insatiable de connaître, d'ap-
prendre et de savoir. Il n'est plus permis aujourd'hui de contester
l'utilité ni l'intérêt qu'offre l'étude de l'art chrétien : de toutes parts
on s'en occupe avec amour et avec succès. L'archéologie monumen-
tale et l'iconographie, qui est une de ses branches, font maintenant
partie de l'enseignement; elles ont leurs cours et leurs professeurs
spéciaux.
Pour satisfaire plus facilement les recherches inspirées par cette
effervescence d'un amour désintéressé pour nos monuments natio-
naux et pour ces ruines vénérables dont la présence rappelle tant de
glorieux souvenirs et perpétue des autorités traditionnelles dont la
trace semblait naguère vouloir se perdre er) France , il manquait à la
science archéologique, telle qu'on la cultive aujourd'hui, un réper-
toire ou manuel général qui présentât dans un cadre étroit et avec
une définition rapide, facilement saisissable, les productions des arts,
et les écrits des auteurs qui en ont parlé, ou dans lesquels ils sont
reproduits par le dessin ou la gravure, tout en indiquant l'état de l'art,
de la civilisation et de tout ce qui constitue l'iconographie des monu-
ments dans ses ramifications diverses pendant l'espace de quinze siècles
qui s'écoulèrent depuis la fin du Bas-Empire jusqu'à la fin du XVP.
I
BIBLIOGRAPHIE. 417
Un homme modeste et laborieux vient de combler cette immense
lacune, en dotant les archéologues de cet important monument litté-
raire, qui leur abrégera bien des recherches. Les six premières livrai-
sons formant le premier volume du Dictionnaire iconographique des
Monuments de V antiquité chrétienne et du moyen âge, etc., par L.-J.
GuENEBAULT, sout cu Vente et ont été publiées dans l'espace de
quelques mois, ce qui laisse espérer que le second et dernier volume
se fera peu attendre.
Cette vaste et utile entreprise a coûté à M. Guenebault, homme de
conviction profonde, vingt années de patientes et consciencieuses re-
cherches, dont la seule pensée étonne ; car, quel courage ne lui a-t-il
pas fallu pour dépouiller le nombre immense de rares et beaux livres à
figures, publiés jusqu'à ce jour dans tous les paysde l'Europe, et les ana-
lyser ; traiter avec tant de constance et de soins un travail dont la matière
inépuisable ne pourra jamais, il faut en convenir, être contenue dans
les deux volumes in-S** compacts, petit-texte et à deux colonnes, qu'il
nous offre? 11 prend son point de départ aux catacombes, et déroule ce
grand panorama monumental en s'appuyantde citations toujours prises
aux sources primitives. Son livre est un immense inventaire énumé-
rant par ordre alphabétique tout ce qui peut servir à constater la vie
publique et religieuse des peuples, les découvertes, le mouvement
des intelligences dans les vieux âges , et les progrès dans les arts, qui
annoncent la civilisation perfectionnée; les rites, les cérémonies litur-
giques, etc. : c'est véritablement un rudiment universel , oii l'histo-
rien, l'artiste, l'industriel et tous ceux qui aiment les études graves,
découvriront en un instant les sources où ils devront puiser pour
trouver ce qu'ils chercheraient longtemps et souvent sans succès dans
une multitude de livres. Cet ouvrage sera aussi pour les érudits un
mémoire supplémentaire qui leur rappellera incontinent ce qui au-
rait pu échapper à leurs souvenirs.
Le christianisme, qui a produit à lui seul plus de bien que toutes
les institutions purement humaines, et qui a inspiré le génie dans
tous les siècles, déploie toutes ses splendeurs dans l'ouvrage de
M. Guenebault, depuis la Vaste cathédrale et l'antique abbatiale jus-
.qu'à la plus modeste chapelle. Puis, viennent les objets sacrés du
culte et de la liturgie catholiques : les vêtements et les insignes des
évêques et des prêtres; les vases sacrés, les reliquaires, les saintes
images et autres objets à l'usage du sacerdoce; les tableaux, statues,
autels , diptyques, triptyques, missels, etc. Or, présenter ainsi le ca-
talogue de tout ce que les hommes voués aux arts et pleins de foi ont
418 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
essayé dans tous les temps pour honorer Dieu , c'est le servir et Tho-
norer : c'est prouver que le génie ne se développe jamais plus noble-
ment et plus glorieusement que sous l'empire du sentiment religieux;
car la foi, loin de dédaigner les arts et leur séduisant prestige, les ap-
pelle, les encourage et les honore. Néanmoins, le livre de M. Guene-
bault renferme une foule de renseignements précieux dans un autre
ordre d'idées ; ses minutieuses recherches seront accueillies avec em-
pressement et mises à profit par tous les hommes sérieux qui s'occu-
pent des productions de l'art , quelle que soit d'ailleurs leur façon de
penser. Des notes bibliographiques, critiques ou technologiques, pla-
cées au bas des pages, offrent de curieux détails, ou des définitions
courtes et claires, de ce qui n'a pu être expliqué dans la rapide conci-
sion que comportent nécessairement les articles d'un dictionnaire.
Après avoir exposé, avec une impartiale justice, la haute impor-
tance du livre de M. Guenebault, ce ne sera pas sortir des bornes
d'une sage critique, si nous exprimons la pensée que, dans un ouvrage
aussi sérieux , l'auteur aurait pu citer de meilleures productions que les
gravures de Y Unwer s pittoresque, publié par MM. Didot frères, et celles
de la France monamenlale, de M. Abel Hugo. Toutefois, nous serions
trop sévère si nous relevions avec rigueur quelques noms propres mal
orthographiés et quelques erreurs typographiques échappées à la cor-
rection d'une matière si ardue, et d'un texte aussi compliqué. Ces légères
imperfections notent rien à l'excellence de cette publication conscien-
cieuse.
Quand on songe à ce qu'il a fallu à M. Guenebault de soins, de com-
paraisons, de révisions pour comprendre dans son œuvre les châteaux
forts, les maisons, les édifices publics, les théâtres, les cirques, les
colonnes, les obélisques, les arcs de triomphe, les tombeaux ; tout ce
qui tient à la numismatique, à la paléographie, à la glyptique, la
plastique , la mosaïque , à l'étude des meubles , des ustensiles reli-
gieux, civils, domestiques et funéraires : combien il lui a fallu de
persistance pour réunir tant de matières diverses ; on en vient à se
rappeler ces immenses travaux exécutés jadis dans le recueillement des
cloîtres par les studieux bénédictins : miracles de patience qui épou-
vantent notre futilité.
En somme , le Dictionnaire iconographique de M. Guenebault , qui
résume des milliers de volumes, tiendra une place honorable parmi les
œuvres utiles de notre époque, où l'étude de l'art chrétien a repris
son rôle et son rang comme au temps des congrégations religieuses à
BIBLIOGRAPHIE. 419
qui nous devons nos grandes et magnifiques collections historiques.
Ce livre sera classé dans les bibliothèques parmi les plus usuels.
Troche.
louis et charles ducs d'orléans , leur influence sur les arts ,
LA LITTÉRATURE ET L'ESPRIT DE LEUR SIÈCLE , d'après les Documents
originaux et les Peintures des Manuscrits , par Aimé Champollion Figeac , pre-
mière et deuxième partie. — Paris, Comptoir des Imprimeurs-Unis, 1844, in-8.
L'auteur de cet ouvragé a eu la très-heureuse idée de faire l'histoire
d'un siècle comme nous voudrions voir faire toute l'histoire de France,
à l'aide des monuments. Ce sont les chartes, les comptes de dépenses,
les quittances, les inventaires, les vignettes de manuscrits qu'il range
dansun ordre méthodique et dont il tire des faits parfaitement certains et
authentiques, qui viennentainsi enrichir d'autant l'histoiregénérale. On
se fait, après avoir lu celivre, une plus juste idée des mœurs féodales,
artistiques, du commerce, des manufactures, des jeux, des chasses,
de la littérature des XIV' et XV^ siècles ; et il n'est pas un peintre
ou un romancier qui ne trouvât à puiser dans cette mine abondante
des renseignements de toutes espèces. Si cet ouvrage précieux était
fait par tout autre, nous nous en tiendrions à l'éloge que nous venons
d'en tracer, mais M. Aimé Champollion porte un grand nom, et
nous devons attendre beaucoup de lui. Aussi lui reprocherons-nous
de n'avoir pas donné une explication assez détaillée des planches qui
ornent son livre. Six pages pour commenter trois cents sujets (céré-
monies, portraits, sceaux, devises, voyages, tournois, repas,
costumes, musique, architecture, navigation, caricatures, vénerie,
armes), cela ne nous a pas suffi, et nous demandons avec instances à
l'auteur de nous donner un chapitre de plus, pour nous dire l'origine
et la signification complète de toutes ces représentations , à la vue
desquelles la curiosité est excitée au plus haut degré, sans pouvoir
toujours se satisfaire.
Nous tenions à signaler dès aujourd'hui ce livre de M. Cham-
pollion aux lecteurs de la Revue; mais nous le leur ferons mieux
connaître encore, en en extrayant quelques dessins très-curieux qui
nous ont paru donner matière à un article spécial.
NOTRE-DAME D'AJACCIO, ARCHÉOLOGIE, HISTOIRE ET LÉGENDES, par
Alex. Arman, etc. — Paris, LeIeux, 1844, in-8.
Nous devons, à notre grand regret, protester contre le titre même
que porte ce volume. En effet, il n'y est guère question d'archéolo-
420 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
gie; c'est une description agréable , semée d'anecdotes intéressantes ,
à propos d'églises, de construction évidemment très-moderne.
L'auteur a longtemps habité la Corse , il a recueilli de la bouche des
habitants des traditions qu'il reproduit; mais ces traditions ne remon-
tent pas au delà des années qui ont vu naître ceux qui les lui ont
fournies. Nous dirons encore , au risque de passer pour sévère, que
le style de M. Arman est empreint d'italianismes qui pourraient être
excusés à Bastia ou à Corte , mais qui , pour notre continent , sont
quelquefois incompréhensibles. Après tout, au point de vue de l'his-
toire contemporaine, la notice sur N.-D. d'Ajaccio renferme des
renseignements intéressants ^ quelques pages nous font connaître des
détails curieux des mœurs de cette île si pittoresque et si peu explorée.
En somme, si l'on ne trouve pas dans la publication de M. Arman
la description architecturale des églises de la Corse, ni l'explication
des sculptures et des peintures qui les ornent, on y rencontre avec
quelques traits historiques empruntés à Moréri , des idées sages sur
les améliorations à introduire dans l'administration et une juste ap-
préciation des efforts que quelques esprits généreux tentèrent à
diverses époques pour le bien de la Corse. Ce livre peut donc
être lu avec plaisir, même après l'excellent Voyage eu Corse de
M. Prosper Mérimée.
IVOlJTEliliES PUBIilCAXIOlVS ARCHÉOIiOC^IQlJi:!».
Bibliothèque de V École des chartes, 6^ liv., juillet-août, in-8\ Paris,
rue de Verneuil, 51.
Bulletin monumental, publié par la Société française pour la con-
servation et la description des monuments nationaux, et dirigé par
M. de Caumont; (i^ liv., 1844. Paris, Derache.
Dictionnaire iconographique des monuments de l'antiquité chré-
tienne et du moyen âge, par L.-J. Guenebault, 6« liv. contenant la
fin du tome I", grand in-8°. Paris, Leleux.
Journal des Savants, août 1844, in-4°. Paris, Artus-Bertrand.
Archéologie celto-romaine de l'arrondissement de Châtillon-sur-
Seine (Côte-d'Or), par M. J.-B. Leclerc, dessins de M. Gaveau, in-4».
Paris, Anselin.
British archeological, Quarterly journal, n** 2, june 1844, London.
REYUE
ARCHÉOLOGIQUE
pu RECUEIL
DE DOCUMENTS ET DE MÉMOIRES
RELATIFS A l'ÉIDDE DES MOPMEMS ET A LA PHIIOIOGIE
DE l'antiquité et DU MOYEN AGE
PUBLIÉS PAR LES PRINCIPAUX ARCHÉOLOGUES
FRANÇAIS ET ÉTRANGERS
ET ACCOMPAGNtS
DE PLANCHES GRAVÉES D'APRÈS LES MONUMENTS ORIGINAUX
SECONDE PARTIE
DU 15 OCTOBRE 1844 AU 15 MARS 1845
PARIS
A. LELEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR
BUE PIERREtSAR&AZIN , !>
1845
DE LIMPRIMERIE DE CRAPELET,
BUE DE VAUGIRARD , N" 9.
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS LA DEUXIÈME PARTIE (Octobre 1844 a Mars ms.)
DOCUMENTS ET MEMOIUES.
JPÀGES
Voyages et recherches Archéologiques
de M. Le Bas, de l'Institut, en Grèce et en
Asie Mineure, pendant les anne'es 18^3 et
i844i ^*» ^* rapports à M. le Ministre
de l'Instruction publique, 4^' » ^29, 706
SxjB l'usvge des anciens de consacrer la sta-
tue d'un dieu à un autre dieu, par M. Le-
tronne , de l'Instilut 4^9
Vase fabriqué en Egypte pendant la do-
mination perse , par M. de ï.ongpe'rier 444
Lettre de M. P- Le Bas à M. Guigniaut ,
sur le nombre d'inscriptions ine'dites qui
existent à Atljènes 4^*
Figurine de bronze du cabinet de M. le
▼icomte de Jessaint, parM. deLongpe'rier. 458
Peinture symbolique de l'Annonciation,
par M. A. Maury ^62
Observations sur l'âge du porche de
jVotre-Dasie-Des-Doms d'Avignon, par
M. J. Courtet 4?^
Su» les noms grecs de Cléophas et de
Clfopas , par M. Letronne 4^^
Inscription découverte en i8:j2 a Mar-
SAL, explique'e par M- deSaulcy, de Tins. 49^
Sur l'Époque du vase d'Artaxebce, par
M. A. de Longpe'rier 49^
Des Divinités et dis Génies pstchopom-
PES , par m. a. Maury 5oi,58i,657
Keliquaire de saint Charlemagne , ex-
plication de la PI. XV, par M. A. de Long-
pe'rier 525
î<0UVELLFS OBSERVATIONS sur l'âge du por-
che de Notre-Dame-des-Doms, par M. P.
Me'rime'e , de l'Institut 533
îSoTiCE sur une coupe ARABE, explication
de la PI. XVI, par M. A. de Longpérier . 538
Un dernier mot sur le prétendu coeur
DE s vint Louis 546
Commission des monuments historiques,
institue'e au Ministère de l'Intérieur, or-
ganisation administrative et travaux par
M. K. Grille de Beuzelin 549
Les Tumulus de Djebel el Akhdhar, par
M. A. de Longpe'rier 565
Extraits des dernières lettres du docteur
Lepsius , 573
PAGES
Nouvelles observations sur l'âge du
porchedeNotre-Dame-des-Doms, par M. J.
Courtet ". 602
Vitrail de l'abbaye de Saint-Denis , re-
présentant l'abbé Suger, explication de la
planche XVIII, par M. A.-M 606
Note sur une gravure en bois de 1418,
par M. le baron de ReifFenberg 611
Sur la Mécanique des anciens Egyp-
tiens , par M. Letronne 64a
Scènes delà psychostasie homérique, par
M. de Witte , corresp. de l'Institut 6'47
Extrait d'une lettre du docteur Lepsius à
M. Letronne 678
Lettre a l'Editeur de la Revue Archéo-
logique , par M. Le Bas 686
Tableau de saint Louis, explication de
la PI XX , par M. L.-J. Guénebault 691
Archéologie Egyptienne, lettreà M. Cliam-
pollion-Figcac , par M. Prisse ... 723
Lettre a M. Letronne sur les actes d'ado-
ration , ou proscynèmes, par M. de Saulcy,
accompagnée de sept Planches 734, 785
Lettre a M. de Saulcy sur l'époqne d'un
proscynème démotique, par M, Letronne. 748
Arbre de JessÉ , explication des PI. XXI et
XXII , par M. A. Maury 755
Lettre de M. Egger a l'Éditeur de la
Revue Archéologique 760
Lettre a M. Hase sur les antiquités de la
régence de Tunis , par M. Pellissier 810
Observations historiques et géographi-
ques sur l'inscription d'une borne mil-
liaire qui existe à Tunis , par M. Le-
tronne 820
Sur un Fragment d'une des Statues du
ParthÉnon , par M. P. Mérimée 832
Lettre de M. Le Bas au rédacteur du
Moniteur grec • 837
Note sur quelques briques vernissées
du musée de Sèvres 840
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES.
Tombeau antique découvert à Neuvy
(Indre) 47*»
TABLE DES MATIERES.
PAGES
Construction romaine decouv. àWîtpes. 477
Inscription trouvée à Avignon 47^
Don (le M. E. Guillemotau musée deCluny. 479
Restauration de l'église de Voullpn. . . . , 479
Temples de Cérès Augusta découvert dans •
l'île de Côs 556
Ruine de l'antique Icosium Ib.
Objets antiques découverts à Ciudad-Réal
(Kspagne) 557
Fouilles a Steenbosch Ib.
ToMBFAux découverts dans la cathédrale de
^ Troyes a Ib.
Épée remarquable trouvée dans la pro-
vince de Luxeni])Ourj> 568
Ange de la flèche de l'Horloge de Notre-
Dame de Laon 559
Église de Saint-Julien a Tours, à vendre. //;.
Chapiteaux du Cloître Dts Ctî-ESTiNs
à Paris ; . Ib.
DÉPART DE M. J.-J. Ampère pour l'E-
gypte Id.
FOUII.» ES DE NiNIVE 6l4
Inscriptions grecques découvertes à
Alexandrie. . . Id.
Restauration de l'abc romain de Saintes Id.
MpdaILLi s Iniuvées à Nugent. /(/.
MONLMENTS DE Toi;RS 6l5
Vente di: la collection des médailles
DE LA BVCTRIA.VE 6l6
DiSTBiBrjTlcN DE MKDAILI.ES de la commis-
sion des monuments historiques Id.
Travaux exécutés à l'église de Sainl-Spire
de Corbeil. . Id.
Restauration du portail de l'église de
Mailly 6j7
Achats faits par le cabinet des anti-
Qnts de la Bibliotlièque royale Id.
Don de m. Prisse à la Bibliothèque royale. (jgS
Restauration du palais constantinien ,
à Trêves Id-
Mosaïque découverte près de Paiji 696
Bateau romain découvert à Clierchell.. . . Id.
Restauration de l'église de Munster. . 697
Nouvelles de M. Botta Id.
VJlGES
Académie des Inscbiptions et Belles-
Lettres, élections du 10 et 17 janvier. . Id.
Fouilles à Saint-Rivérien 698
Découverte faite par M. Ed, Grasset , à
Janina Id.
Extrait d'une lettre de M. Gargallo
Grimaldi a m. De Witte, sur les fouil-
les exécutées à Pérouse 761
"Vente de la collection des vases du
prince de Canino Id.
Destruction du vase Portland au Bri-
TisH Muséum, 762
Anneau d'or trouvé à Tunis Id.
Détails sur une maison du XV" siècle , à
Tours Id.
Nécrologie. — E. Grille de Beuzelin 8^3
Inscription trouvée a Marseille.' Ib.
Don de m. le duc de Luynes au départe-
ment des médailles de la Bibliot. royale. . S!\^
Monnaies trouvées sur les bords de l'Adouf. Ib.
Émm X pu CHATEXU DE MaDRID 8^5
Académie royale des Sciences ue Berlin. Ib.
Nouvelles de M. Ampère Ib.
Tableau de smnt Loiis Ib.
Vente de Vases peints du Prince de Canine Ib.
BIBLIOGRAPHIE.
Publications nouvelles, 484» 56o, 627, 628,
704, 784
Ouvrages dont il a été rendu compte dans
ce volume :
Annales de l'Institut archéologique ,
t. XV, 1er cahier. . . . • . 4^''
Analy.se d'une dissertation du profes-
seur Kugler sur les basiliques chré-
tiennes 618
Description des terres cuites nu musée
DE Beuliv , par M. Th. Panoilta 699
Introduction A l'histoire du bouddhisme
INDIEN , par M. E. Burnouf 764
Elite des monuments céramographiques,
par MM. Lenormant et De Wille. . 776, 8!{fi
Revue de Philologie , 852
VOYAGES ET RECHERCHES ARCHÉOLOGIOUES
»E M. LEBAS, MEMBRE DE l'iNSTITUT,
EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE,
PENDANT LES ANNÉES J843 ET 1844.
CINQUIÈME RAPPORT A M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
TRAVAUX A MESSÈNE. — ENCEINTE FORTIFIÉE d'ÉPAMINONDAS , SES INTERRUPTIONS , IDÉES
A CE SUJET. — SOUBASSEMENTS DE TEMPLES. — FOUILLES EXÉCUTÉES A SPELOUZA ,
TEMPLE DÉCOUVERT, INSCRIPTIONS, CONJECTURES. — AUTRES INSCRIPTIONS FRAGMEN-
TAIRES DE SUJETS DIVERS. — INSCRIPTIONS MODERNES DU COUVENT DE l'iTHÔME ET DU
MONASTÈRE DE VULCANO. — VISITE A PYLOS.
Monsieur le Mimstke,
Avant que je vous rende compte du résultat de mes travaux à
Messène, vous me permettrez, je l'espère, de rappeler quelques faits
qui se rattachent immédiatement aux lieux dont je dois vous entre-
tenir.
Quand Epaminondas, par la victoire de Leuctres, eut brisé la puis-
sance des seuls rivaux que Tlièbes eût alors à craindre dans toute la
Grèce , il comprit que, pour les empêcher à jamais de se relever, il
fallait rendre aux confédérations longtemps opprimées par eux l'im-
portance politique dont leurs ambitieux voisins les avaient dépouillés.
Mégalopolis devint pour l'Arcadie un grand centre d'attaque et de
défense où la population de quarante villes éparses accourut se réunir
en un seul faisceau. Ce n'était pas assez : les plus anciens et les plus
opiniâtres adversaires de Sparte, les Messéniens, qui avaient contre
elle les plus justes griefs, avaient survécu, comme peuple, à trois
guerres d'extermination et conservaient, dans les lieux divers oii ils
vivaient exilés, leurs mœurs, leur langage et leur haine contre leurs
cruels oppresseurs : Epaminondas les rappela dans leur patrie, et tous
répondirent à sa voix. Mais il fallait qu'ils fussent assez forts pour se
défendre. Il résolut de leur bâtir une ville qui les mît à l'abri de toute
attaque. Frappé de l'heureuse position de î'Ithôme et de la vallée qui
s'étend à sa base occidentale, il reconnut que c'était là, dans ces lieux
I. 28
422 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
consacrés par de si grands souvenirs, sous la protection même de
Jupiter Ilhomate, qu'il fallait placer l'indestructible rempart de la
Messénie. Aucun moyen ne fut oublié pour accroître la confiance de
ses futurs défenseurs. Le général thébain fit intervenir les dieux par
la voix des augures dont toutes les réponses furent favorables. Tous
les héros de la Messénie, Aristomène surtout, furent invoqués pour
qu'ils vinssent présider à la renaissance de la patrie dont ils avaient
fait la gloire. Une musique guerrière exécutant les airs de Pronomos,
le plus grand compositeur de l'époque, excitait les travailleurs ac-
courus des différents points du Péloponèse, et dirigés par les archi-
tectes les plus habiles. Il dut être beau le jour où l'illustre Thébain
vint poser la première pierre de la ville nouvelle; il dut être plus beau
encore celui oii les Messéniens célébrèrent par des fêtes religieuses
l'achèvement de cette grande entreprise !
Une forte muraille garnie de fortes tours, rondes ou quadrangu-
laires, suivant que l'exigeait la position des lieux qu'elles devaient
observer et défendre, partait du point le plus élevé de la pente occi-
dentale de rilhôme, suivait à l'ouest les sinuosités des mamelons qui
dominent les routes de l'Arcadie et de l'Élide, puis redescendait, pres-
que perpendiculairement, vers le sud, le long d'une crête très-abrupte
qui formait comme un rempart naturel. Elle serpentait ensuite vers
l'est jusqu'au défilé qui, séparant l'ilhôme du mont Évan, conduit
dans les plaines orientales de la Messénie. De ce point fortifié avec
un soin minutieux, comme le plus directement accessible aux Spar-
tiates, la muraille remontait vers le nord le long de la pente orientale
de rilhôme, s'interrompant seulement là où les escarpements du ro-
cher rendaient toute construction inutile, et s'élevait ainsi jusqu'au
plateau du mont Sacré, jusqu'à l'acropole défendue elle même par sa
position et par de formidables travaux.
Cette vaste enceinte. Monsieur le Ministre, cette enceinte dont le
développement occupe au moins une étendue de 16 kilomètres,
subsiste encore sur beaucoup de points, et nous pourrions l'admirer
tout entière si partout on eût employé pour la construire la pierre
dure de l'ithôme. Mais dans un assez grand nombre d'endroits, la
partie inférieure des remparts a été bâtie avec une sorte de pierre
poreuse qui, sous l'action de l'air, du soleil et de la pluie, se broie, se
décompose et se fond pour ainsi dire, de telle sorte que là où jadis on
voyait un mur recouvert de ses dalles surmontées d'un parapet et de
créneaux, on ne voit plus aujourd'hui que la j)artie supérieure, laquelle
était en pierre dure ; on la voit descendue de plus de 3 mètres et
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 423
reposant sur le sol, attendu que la partie inférieure s'est totalement
dissoute. Là au contraire où des matériaux solides et durables ont
été seuls employés, les fortifications de Messène semblent dater
d'hier.
Quatre portes, et même peut-être cinq, facilitaient les communi-
cations avec l'extérieur. Trois d'entre elles subsistent encore; une
surtout, celle d'Arcadie, dont MM. les architectes de la Commission
de Morée ont publié une restauration qui ne laisse rien ù désirer sous
aucun rapport.
Mais comment faire comprendre au public érudit les différentes
parties de cette immense place forte ; les procédés employés pour que,
sur des murs qui avaient souvent une pente très-escarpée, les défen-
seurs fussent toujours en état de combattre ; par quels moyens ils
communiquaient entre eux et avec la ville ; comment étaient inté-
rieurement disposées les tours; de quel genre de défense elles étaient
susceptibles, etc., etc.? La description la plus circonstanciée et la plus
habilement faite n'atteindra jamais ce but aussi efficacement qu'une
suite de dessins; et certes on doit tenir à connaître comment Épami-
nondas entendait l'art de fortifier les villes, afin de pouvoir ensuite
comparer son système avec celui des Athéniens, à l'époque de leur
puissance, et avec celui des autres peuples de la Grèce dans des temps
plus reculés; car c'est sur cette comparaison que doit s'appuyer l'his-
toire de la défense des places fortes chez les Grecs, travail qui, même
après les écrits de Juste Lipse, reste encore à faire aujourd'hui, et ne
peut manquer d'éclairer plus d'un point resté obscur dans l'histoire
militaire d'un peuple qui compte tant de grands capitaines, et dont
toute l'existence politique fut une longiie lutte guerrière. Je me suis
donc mis à l'œuvre avec un artiste qui m'accompagne en ce moment;
il a dessiné, nous avons mesuré la muraille dans toute son étendue,
ses dimensions diverses, tous les angles qu'elle forme, et nous sommes
en état de publier aujourd'hui un plan général de l'enceinte beaucoup
plus exact et plus circonstancié que tous ceux qu'on en a donnés
jusqu'à présent, ainsi qu'une série de planches qui satisferont à toutes
les questions que j'ai posées plus haut.
1! est un seul point, Monsieur le Ministre, sur lequel je ne suis
pas encore fixé.. Dans plusieurs endroits l'enceinte de la ville cesse
tout à coup sans qu'on puisse en retrouver aucune trace, de quelque
espèce qu'elle soit. Cette solution soudaine de continuité se fait sur-
tout remarquer immédiatement après la porte dite de Messénie. A
1 kilomètre de la, on retrouve la muraille dans liXie étendue d'environ
424 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
100 mètres; puis, plus rien jusqu'à la porte de Laconie. Le même fait
se reproduit au nord dans la parlic qui, de la porte d'Arcadie, remonte
jusqu'à rithôme. Pour ce dernier point, la chose peut s'expliquer
d'une manière plausible : il est permis de supposer que desèboule-
ments occasiormés par des tremblements de terre ou par de très-
grandes pluies auront renversé et recouvert la portion de la muraille
la plus voisine de la montagne; mais au sud aucun événement de ce
genre ne peut être admis, et je serais très-disposé à croire que sur ce
point aucune muraille n'a jamais existé. En effet, à peu de distance
de la porte de Messénie commence un ravin très-escarpé formé par un
ruisseau qui coule au pied du montEvan, rempart plus sûr pour la
ville que les murailles les plus épaisses. Le mur qu'on trouve un peu
plus haut et qui, à en juger par la manière dont il se termine aux
deux extrémités, n'a jamais dû se rattacher à rien, ne peut être, selon
moi, considéré que comme un ouvrage avancé, destiné à défendre la
ville contre les ennemis qui arriveraient par un étroit défilé qui , par-
tant du versant occidental du mont Évan , vient aboutir en face de ce
mur. En effet, la partie la plus resserrée de ce défilé était elle-même
fermée par une sorte de défense en assises très-régulières. De là jus-
qu'à la porte de Laconie, aucune issue praticable, par conséquent
aucun besoin de défense. Ce qui porterait à croire que ce moyen de
résistance était préféré partout où il pouvait suffire , c'est qu'une double
construction, du même genre que celle qui formait le défilé du mont
Evan, était à cheval sur le sentier qui, de la porte de Laconie, conduit
dans l'intérieur de la ville en suivant à mi-côte le versant méridional
de rithôme.
Je dois ajouter. Monsieur le Ministre, que la disposition du ter-
rain au delà de ce qui reste du mur méridional est telle qu'on peut
l'envisager comme formant une série non interrompue d'ouvrages
avancés. Pendant près de 4 kilomètres les ravins succèdent aux ra-
vins, plus ou moins profonds, mais tous parallèles les uns aux autres
et parallèles aux murs de la ville. De distance en distance, le seul
sentier praticable qui aujourd'hui conduit de Mavromati (1) à Anaziri,
en traversant la porte de Messénie et le petit village de Simissa,
passe entre des mamelons assez élevés, dont quelques-uns portent
encore des traces de construction en larges assises. On peut présu-
mer que ces points étaient occupés par des postes d'observation aux -
(1) Village moderne bâti au-desius de l'emplacement qu'occupait l'agora de Mes-
f ène , près de la fontaine Arsinoé.
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 425
quels la marche de Tennemi arrivant par le sud ne pouvait nulle-
ment échapper.
Accoutumé à la vue de places fortes ceintes d'une muraille con-
tinue, j'ai longtemps hésité à adopter l'explication que je vous pro-
pose. Deux jours ont été consacrés à battre la campagne en tous
sens, à suivre péniblement tous les accidents de terrain dont les ingé-
nieurs grecs avaient pu profiter pour y placer des remparts, et je
n'ai rien découvert qui contrariât mon opinion, dont les premières
lueurs, comme j'ai déjà eu occasion de vous le dire dans mon troi-
sième rapport, datent de mon passage à iEgosthènes et de la vue de
ses fortifications. Je la crois donc vraie aujourd'hui, et serais même
disposé à regarder le fait dont il s'agit comme le résultat d'une loi
générale; c'est-à-dire à penser que les anciens n'adoptaient l'en-
ceinte continue que pour leurs acropoles, et ne fortifiaient autour de
leurs villes que les points vraiment susceptibles d'attaque. Toutefois,
je ne serai complètement satisfait que lorsque des fouilles pratiquées
à l'est de la porte de Messénie auront indiqué le point précis où s'ar-
rêtait la muraille dont les auteurs de la carte de Morée, sur leur plan
particulier deMessène, indiquent à tort la continuation par une ligne
ponctuée qui fait supposer des traces là où il n'en existe aucune.
Dans le cours des recherches laborieuses auxquelles je me suis
livré pour fixer mon incertitude, j'ai rencontré au nord-est, à environ
150 mètres de la porte de Messénie, des soubassements que les au-
teurs du plan ont supposé avoir appartenu à l'enceinte, faute de les
avoir suffisamment examinés. En effet, cette construction diffère es-
sentiellement des remparts; elle a moins de largeur, elle est plus ré-
gulière, les assises en ont moins d'élévation; et comme en outre ce
mur est orienté de l'est à l'ouest, on doit le considérer comme ayant
été destiné à soutenir la plate-forme sur laquelle était bâti un des
plus grands temples de Messène, peut-être celui d'Esculape qui, au
dire de Pausanias, renfermait tant de belles statues. Un peu plus loin,
en redescendant vers le nord-est, car les constructions dont je viens
de parler se trouvent sur un plateau assez élevé, on remarque les
traces d'un autre temple ayant la même orientation, et que je sup-
pose avoir été celui de Messéné, car il semble résulter du récit de
Pausanias (iv, 31, 8 et 9) que ces deux édifices étaient voisins.
C'est également à tort que sur le plan on a indiqué (lettre P)
comme des soubassements de tours antiques certains restes de con-
struction que l'on rencontre à droite du sentier abrupte qui de Ma-
vromati conduit au sommet de l'Ilhôme. Si on eût mieux observé
426 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cette position, à Inquelle les habitants du pays donnent le nom de-
Spelouza, on y aurait remarqué trois plates-formes d'une étendue
inégale, mais qui toutes devaient se rattacher à un môme système
de construction. La plus considérable et la plus haute est oblongue,
assez régulière et a sa plus grande dimension de l'est à l'ouest. L'o-
rientation de ce plateau, sa position élevée d'oii l'on découvre toute
la partie méridionale de la Messénie que ne masque point le mont
Évan, laquelle s'étend au sud-est jusqu'au golfe de Galamata, à l'est,
jusqu'aux cimes neigeuses du Taygète, au sud-ouest,Jusqu'aux mon-
tagnes voisines de Coroné, et à l'ouest jusqu'à Pjlos, nous firent
préjuger qu'un temple avait pu exister dans ce lieu. Cette idée nous
porta à sonder les buissons épais de lentisques, dont le terrain était
couvert, et nous découvrîmes deux bases de colonnes ioniques, un
fragment d'ante et quelques assises ayant appartenu à un soubas-
sement. Dès lors, toute incertitude cessa, et je résolus d'entre}»rendre
les fouilles nécessaires pour découvrir le plan de ce temple, persuadé
que la partie supérieure, dont il ne restait plus aucune trace sur le
sol, avait été employée, après la chute de l'édifice, à des construc-
tions particulières.
Une première tranchée fut ouverte immédiatement dans la direc-
tion du nord au sud, c'est-à-dire perpendiculairement à la direction
supposée de l'axe du temple. Elle eut pour résultat la découverte
presque immédiate, à une profondeur de 0"\60 environ, d'un dallage
d'une conservation admirable. Nous avions rencontré le péristyle 1 En
continuant vers l'est, nous trouvâmes deux rangs de gradins que plus
tard, quand nous eûmes mis au jour les quatre angles, nous recon-
nûmes régner autour de l'édifice.
En creusant en avant de la partie antérieure du temple dans l'es-
poir de découvrir quelques restes des colonnes, de l'entablement, etc.,
et peut-être quelques bas-reliefs, nous trouvâmes, en effet, quelques
débris informes et mutilés de corniches, de colonnes, d'archi-
traves, etc., mais tous de cette pierre tendre et poreuse, dont j'ai déjà
parlé plus haut, et par conséquent d'une nature bien différente de
celle de la pierre qui avait été employée pour les soubassements, les-
quels, grâce à la dureté de la matière première, sont encore aujour-
d'hui dans un si bel état de conservation que notre première idée
fut de supposer que ces restes si différents avaient appartenu à doux
édifices distincts. Mais bientôt nous dûmes nous convaincre qu'il n'en
était pas ainsi ; que le temple en question était construit en pierre
dure jusqu'à la hauteur des bases des colonnes inclusivement, tandis
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 427
que tout le reste était en tuf et recouvert d'un stuc dont nous re-
trouvâmes des restes bien conservés sur plusieurs fragments.
Le péristyle une fois dégagé, nous procédâmes au déblayement
de l'intérieur du temple , et nous découvrîmes successivement le
seuil de la cella d'une seule pierre de 3'",20; le pavé du temple,
consistant en une sorte de mosaïque grossière, sans aucun dessin,
faite à l'aide d'un ciment rougeâtre et de petits cailloux noirs et
blancs; un piédestal creusé à sa partie supérieure pour y placer une
statue, et une sorte de vasque carrée qui peut être était destinée à
recevoir un bassin en bronze contenant l'eau lustrale ou le sang des
victimes immolées dans les sacrifices. Vainement nous recherchâmes
l'image du dieu ou du héros adoré dans ce sanctuaire. Les ouvriers
ne découvrirent, sur différents points très-éloignés les uns des autres,
que quelques fragments de peu d'importance : V un pied chaussé
d'un brodequin à large et épaisse semelle, tenant encore à une base
circulaire qui s'adapte parfaitement au trou pratiqué dans le piédes-
tal ; 2" la partie supérieure d'une jambe, s'arrôtant au-dessus du ge-
nou et garnie de courroies se croisant sur le devant, laissant voir en
outre, ainsi que le pied dont je viens de parler, plusieurs trous de
scellement, oii sans doute étaient fixés des ornements en bronze;
3° un poignet à demi fermé et sur la paume de la main la trace assez
informe d'une corde ou d'une flèche.
J'ajouterai ici que les fouilles pratiquées en dehors du temple
prouvèrent que toute la décoration extérieure était en terre cuite.
On trouva en effet des antéfixes, des rinceaux, une tête de lion, tous
élégants produits de la céramique.
En résumé, Monsieur le Ministre, les fouilles exécutées à Spelouza
ont eu pour résultat la découverte d'un édifice resté inconnu jusqu'à
ce jour et que tout indique avoir été un temple. Les parties retrou-
vées suffisent effeclivement pour en prouver la destination, et de plus
fournissent les matériaux indispensables pour une restauration ar-
chitectonique. Le plan de ce temple, d'ordre ionique et d'une époque
que l'on peut regarder comme postérieure d'au moins cent cinquante
ans à la fondation de Messène, est le p<us simple de tous ceux que les
anciens adoptaient. Il se compose d'une cella et d'un péristyle avec
deux colonnes seulement. Il est, suivant l'usage le plus commun,
orienté de l'est à l'ouest; sa longueur est de 16™, 30 sur lO'^jlS.
A qui ce sanctuaire était-il consacré? J'espérais que, à défaut
d'une statue bien caractérisée, quelque inscription viendrait m'éclai-
rer à cet égard; mais aucune des quatre auxquelles les fouilles ont
428 REVUE AllCHÉOLOGIQUE.
fait revoir la lumière, n'est de nature, je le crains bien, à nous éclai-
rer sous ce rapport. La première, gravée sur une peiite stèle creusée
à la partie supérieure pour recevoir un ava07jp.3c , et dont le bord
antérieur, aujourd'hui mutilé, contenait vraisemblablement une pre-
mière ligne est ainsi conçue :
2nTEAH2
APXol
AIMNATI
IEPITEY2ANTE
La deuxième et la troisième qu'on lit sur des monuments du même
genre que le précédent, portent, l'une :
EPIIAPEoIT
IMAPXnAOI
HTI0IAn VC
l'autre :
EOIEPE02OIA""
IAAE0OPOYOAA
lAAMOYMHA
""PIAAI
Enfin, sur la gauche d'une grande pierre brisée, ayant actuellement
environ l'^jGO de longueur, et qui doit avoir eu dans son intégrité en-
viron 3 mètres, on lit, en assez grand caractères d'une forme contem-
poraine de la construction du temple, et peut-être même antérieure,
les quatre lettres suivantes :
KT02
Les recherches les plus minutieuses faites par nos travailleurs,
dont j'avais stimulé et redoublé le zèle par la promesse d'une forte
récompense, n'ont pu faire retrouver la partie droite de ce mono-
lithe. Je suis donc réduit aux conjectures pour rétablir le commen-
cement de l'inscription.
Si la pierre appartenait à un des gradins extérieurs du temple,
comme je l'avais d'abord pensé, le nom qu'on pourrait y reconnaître
avec le plus de vraisemblance serait celui du père de l'architecte, le-
quel nom aurait eu pour dernier élément le mot av«$, comme
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 429
Tlhi(7T(ùvoi'i y Èpu.s(7idvaê, , etc. On sait, par plusieurs exemples, que
les artistes, peintres, sculpteurs, architectes, inscrivaient souvent
leur nom sur la partie la moins en évidence de leurs ouvrages.
Si, au contraire, la pierre eût formé le linteau de la porte, on
pourrait supposer, comme j'ai déjà eu occasion de le prouver dans
l'ouvrage de Morée, à propos d'un autre temple de Messène, que le
magistrat sous l'administration ou aux frais duquel le monument avait
été élevé, y avait inscrit son nom et celui de son père.
Enfin, si elle eût été placée sur le frontispice, l'inscription n'au-
rait pu contenir que le nom du dieu ou du héros adoré dans le
temple, nom auquel aurait été ajouté le titre d'aval , fait dont je ne
me rappelle aucun exemple épigraphique.
Plus d'une raison s'oppose à ce que l'on admette cette dernière
supposition. D'abord l'emploi insolite du mot Sivaly et ce qui est
plus concluant, la nature même de la pierre qui est de l'espèce la
plus dure, tandis que toutes les parties de la façade du temple étaient
en tuf. La première n'est pas plus admissible, car il résulte de la
forme de la pierre et d'autres données architecturales que le temple
n'a pu avoir d'autres gradins que ceux dont j'ai parlé plus haut.
Quant à la deuxième, pour laquelle je pencherais, j'attends, pour la
regarder comme une vérité, que l'étude des différentes parties de
l'édifice ait permis à l'architecte qui me seconde de se prononcer
avec certitude. Dans le dernier cas même, ce ne serait point par
cette inscription qu'on arriverait à une solution de la question prin-
cipale.
Il reste donc à examiner si les inscriptions des trois petites stèles
peuvent aidera la résoudre. Occupons -nous d'abord de In première.
Du duel lEPITEYSANTE ou du pluriel IEPITEY2ANTES , si l'on
admet que le S final a disparu, ce que l'état de la pierre rend très-
vraisemblable, on doit conclure, comme je l'ai déjà fait plus haut,
que le monument contenait un premier nom qui a été brisé. Reste-
raient à expliquer les lignes 3 et 4. Le mot APXOI ne peut être que
le datif de APXQ , nom propre de femme, dont le Corpus inscr. gr.
offre un exemple au n° 15 70 que je n'ai malheureusement pas à ma
disposition en ce moment. Le mot AIMNATI ne peut être non plus
que le datif de l'élhnique >apaç, Arparoç, le même que Aiavanç,
lilxydi'Lâoç. Cette Archo de Limnes, je serais disposé à le croire, n'est
autre que la Diane Limnatide adorée sur les frontières de la Messénie
touchant à la Laconie, et le nom qu'elle reçoit ici est sans doute un
nom mystique. Mais de tout cela, peut-on inférer que le temple de
430 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Spelouza était consacré à celte déesse? Je ne le pense pas. Sotélès et
un autre Messénien, après avoir rempli des devoirs religieux en
l'honneur d'Archo de Limncs, ont, au retour du saint pèlerinage,
consacré près de notre temph^. un petit «vaO/jfta, probablement en
terre cuite, suivant un usage dont nous avons eu des preuves sur les
lieux mômes. On a en efl'et trouvé dans les fouilles de Spelouza plu-
sieurs fragments, malheureusement très-mutilés, de petites figures
en terre cuite, ayant appartenu à des offrandes de ce genre, et repré-
sentant, les unes Bacchus, les autres Minerve, etc. Ce que Sotélès
et un autre Messénien font ici, Cornélius Onomarchus le faisait à
Patras, où il consacrait une statuette de Diane à Cérès; mais, encore
une fois, comme j'ai déjà eu occasion de le remarquer dans mon pré-
cédent rapport, on ne peut conclure de là que notre temple fut celui
d'Artémis. Passons donc aux deux autres inscriptions.
La première est certainement plus ancienne que l'autre, puis-
qu'elle est écrite en dialecte dorien, sans doute dans ce dialecte que
les Messéuiens, tout dispersés qu'ils étaient, avaient conservé dans sa
pureté première ; mais toutes deux se raj)prochent en ce qu'elles por»
tent l'mdication d'un sacerdoce éponymc, c'est-à dire la date d'une
année (1). Or, le seul sacerdoce éponyme à Messène était, Pausanias
nous le dit expressément, celui de Jupiter llhomate. Ces deux in-
scriptions ne nous apprennent donc rien de plus que la première;
comme elle, elles sont destinées à instruire la postérité que, à telle
époque déterminée, telle ou telle offrande a été faite à la divinité du
sanctuaire. 11 faut donc recourir à d'autres ressources et voir avant
tout si le texte de Pausanias ne pourrait pas nous fournir quelques
lumières.
Suivant le voyageur grec, lorsque Démétrius, envoyé par son père,
Philippe IH, roi de Macédoine, pour lever des tributs d'argent dans
le Péloponèse, pénétra dans Messène, en escaladant la muraille qui
existe entre la ville et l'acropole (ce qui est impossible pour quiconque
a vu les lieux et prouve que le passage de Pausanias est altéré), il
fut repoussé par toute la population, femmes, enfants, vieillards, et
par la garnison de l'acropole. Messène avait alors pour chef ou pour
premier magistrat un certain iElhidas, riche citoyen, qui mérita si
bien de la patrie dans cette journée mémorable qu'on lui décerna
{V On trouve encore un exemple de cotle manière de supputer les annéos à Mes-
sène dans une inscripli'in provenant de ceUe \ille rt publiée dans le Corpus «ous
le n" l?97. j'en ai donné une explicaUon détaillée, t. I, p. 43 de l'uuvrage de
Morée. (T. I, p. 15 du tirage à part. )
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 431
après sa mort les honneurs dus aux héros, c'est-à-dire qu'on \n\ éleva
un temple. Pausajiias, après ce récit, ajoute : et là aussi est le tom-
beau dAvistomène : xai ApiuToy^évovg de ^Wiuoi ianij èvrocvOx, Or, à
10 mètres environ à l'est de la façade du temple, des fouilles posté-
rieures nous ont fait retrouver, reposant sur une base travaillée dont
l'axe est sur la même ligne que celui du temple, de grandes dalles
qui n'ont pu appartenir qu'à un cénotaphe. Ce monument était re-
couvert par une pierre qui subsiste encore en deux fragments, et
dont les extrémités se relevaient en s'arrondissant, comme tous les
couvercles de sarcophages antiques. Seulement, le travail de cette
pierre étant assez grossier, on doit supposer qu'elle portait des orne-
ments plus soignés en marbres précieux ou plutôt en bronze. Nul
doute pour moi que cette conjecture ne soit très-fondée et que l'araour-
propre national n'ait voulu rapprocher les noms de deux grands
hommes et les honorer pour ainsi dire d'un même culte.
Je ne dissimule pas que Pausanias parle d'iEthidas à la suite de
la mention qu'il fait des statues qu'on voyait dans le gymnase, et que
de ses paroles relatives à ce personnage il semblerait résulter que son
image était gravée sur une stèle existant dans le lieu consacré aux
exercices du corps. Mais on sait que Pausanias, dans ses descrip-
tions, n'observe pas un ordre très-méthodique, qu'il saute souvent
d'un sujet à un autre sans transition bien sensible. Si, comme il le
dit, iEthidas reçut les honneurs réservés aux héros, ces honneurs ne
durent pas se borner à une image gravée sur une stèle, mais durent
consister surtout en un temple et en un culte spécial, comme celui
dont Flamininus était encore l'objet au temps de Plutarque. Mais,
m'objectera-t-on encore, il paraît qu'il y avait eu deux iEthidas:
^ihidas le riche, et ^Elhidas le brave. Ma réponse est facile: au
riche les honneurs du gymnase; au brave, au sauveur de la patrie
les honneurs divins.
Il me reste peu de choses à dire des deux plates-formes qui con-
duisaient à la plus importante. Elles avaient eu sans doute pour but
de fficiliter le passage des processions dans les jours solennels, et le
mur qu'on remarque en avant de la plus basse n'a pu être construit
que pour soutenir les terres rapportées dans cette partie très-escarpée
de la montagne.
Mais il est un point du voisinage qui mérite une mention toute
particulière. C'est un petit plateau à environ 20 mètres au-dessous
du plus bas de ceux dont je viens de parler et à l'ouest sud-ouest du
temple. Ce plateau est soutenu au midi par un mur de même con-
432 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
struction que le mur de soutènement du plateau supérieur/ et
a une largeur d'environ 3™, 32. Dans la moitid de la largeur, et
parallèlement au mur dont il vient d'être fait mention, on voit un
autre mur en assises très-régulières avec des retours d'angle qui
ont dû former une enceinte rectangulaire en se rattachant avec
des assises que l'on trouve au bas de la pente du plateau supérieur.
Au milieu de ce dernier côté du rectangle se voient cinq colonnes
grossières supportant des architraves qui elles-mêmes supportent des
dalles et forment ainsi une sorte de caveau dans la pente de la mon-
tagne. Chose assez remarquable, l'intérieur était enduit, sur toutes ses
parois, et même sur le sol, d'une couche de mortier très-dur, comme
si c'eût été celui d'une citerne. 11 me paraît assez difficile de déter-
miner quelle pouvait être la destination de cette construction singu-
lière. Ce qui est certain, selon moi, c'est qu'elle dépendait du temple
d'^thidas.
Ces différents travaux. Monsieur le Ministre, qui tous ajoutent à nos
connaissances relativementà la ville de Messène, ont nécessité un séjour
de près d'un mois, tant au monastère de Vulcano qu'au village de Ma-
vromati et sur le sommet de l'Ithôme, où nous avons bivouaqué deux
jours, nous désaltérant aux eaux délicieuses de la fontaine Clepsydre
et couchant à la belle étoile «dans la cour d'un couvent abandonné. Si
la raison ne m'eût dit qu'il fallait enfin quitter ces lieux pour visiter
d'autres contrées, un second mois aurait pu y être très-utilement
employé; car, si l'on excepte Olympie, je ne crois pas qu'il y ait en
Grèce beaucoup de 5ols qui puissent être plus féconds en découvertes
archéologiques. J'ai la conviction que si on creusait à la porte de La-
conie, on y retrouverait un temple qui était encore debout lors du
voyage de Fourmont, et dont le plan est encore presque entièrement
visible aujourd'hui. Je suis non moins persuadé que si un pareil tra-
vail était exécuté à la porte de Messénie, non-seulement on éclairci-
rait l'intéressante question dont je vous ai entretenu plus haut, mais
on aurait encore la satisfaction de mettre au jour des constructions
qui, pour être moins imposantes que celles de la porte d'Arcadie,
n'en seraient pas moins très-dignes d'attention, car elles seraient sans
aucun doute d'un travail plus élégant, d'une architecture plus pure,
d'un ciseau plus délicat. C'est ce dont j'ai pu me convaincre en fai-
sant déblayer un pilier qui , dans ce lieu , soutenait l'architrave
d'une double porte.
Je me hâte d'ajouter. Monsieur le Ministre, que mes études sur
l'enceinte de la ville, non plus que les fouilles de Spelouza, ne m'ont
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 433
pas fait oublier le but principal de mon voyage : les recberches épi-
graphiques. Malheureusement, si j'excepte les inscriptions du temple
d'iEthidas, deux épitaphes trouvées, l'une à Simissa, l'autre à l'ouest
de la porte de Messénie, et quatre fragments encastrés dans les murs
de l'église du monastère de l'Ithôme, je n'ai, à cet égard, obtenu que
des résultats au-dessous de mon attente, eu égard à la durée de mon
séjour. Toutefois, mon passage dans ce lieu, indépendamment des
nouvelles acquisitions qu'on lui devra, aura encore cet avantage que
je rapporte des copies plus exactes de quelques-uns des monuments
lus avant moi. Ainsi, j'ai acquis la certitude que la base d'une statue
qu'on supposait élevée en l'honneur de Lucius Vérus, se rapporte
bien certainement à Marc-Aurèle, dont les bienfaits envers les Grecs
sont attestés, dans les différentes contrées du Péloponèse, par des
témoignages de gratitude semblables. J'ai aussi pu me convaincre
qu'une conjecture émise par moi au sujet d'une sigle gravée sur un
monument funèbre devait être abandonnée, attendu que le 0 lu à la
partie supérieure par mes devanciers n'est autre chose qu'un 0 ; et
cependant cette conjecture avait, je puis le dire, quelque chose d'in-
génieux, et avait été approuvée par plus d'un juge compétent. Il fau-
dra bien la remplacer par une autre.
Voici les quatre fragments trouvés sur l'Ithôme :
I. Sur une pierre dans l'église :
A1NE2
II. Fragment de stèle faisant partie de l'un des jambages de la
porte :
AAIOIA
MAPXIAH2 . K
ATPANO . . Al
THPI
IIL Fragment de stèle, sur un banc près de la porte :
GE0TIM02
PAYAINnS
KEIAN
XAT
434 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
IV. Sur une plaque de marbre brisée, servant de chambranle à
une croisée du couvent :
T
TPITOBOY
TIMAlinN OIA0KPATH2
APISTHN ANAP0N1K02
HPIHN 0E0TIM02
API2TEA2 THAEA2
IVIENAAKIAA2 KAAAITEAh
0NA2INIK02 NE0AAM02
AKPATHT02 API2T A
Serai-je bien loin du vrai, Monsieur le Ministre, en supposant que
cette dernière inscription a dû appartenir à un contrôle des soldats
formant ia garnison de la citadelle? Si c'était un monument funèbre,
le nom de chacun des morts serait, conformément à l'usage, accom-
pagné du nom de son père au génitif, ce qui n'a pas lieu ici. D'ail-
leurs, le sommet de l'ithôme n'était pas un lieu de sépulture : c'est au
sud des murs de la ville, au fond de la vallée, qu'on a retrouvé tous
les monuments funéraires de Messène. Sur un contrôle destiné aux
appels, le nom du père de chaque soldat était inutile et eût allongé
sans nécessité l'étendue d'un marbre que l'officier devait pouvoir lire
avec promptitude. Je ne me rappelle pas d'exemples de semblables
monuments dans l'épigraphie grecque ; mais l'épigraphie latine en
offre de très-nombreux, oii, chose assez naturelle, tous les noms sont
au vocatif. Je me contenterai de citer un des marbres de la villa
Albani, publiés par le maître de ré[)igraphie latine, Tdlustre abbé
Mari ni, et un fragment que je possède dans ma très-modeste col-
lection*
Il me reste à vous entretenir des deux épitaphes dont j'ai parlé
plus haut. Celle de Simissa est gravée sur une pierre carrée, dont
chacune des faces porte une suite de noms, maliieurensement très-
elï'acés, pour la plupart. Voici ce que j'ai pu en déchiffrer:
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE.
435
iFace postérieure
2INIA
Face antérieure .
ENOANH2
nATn
AY2IN02;API2T0KAH2
. . . . 2n
5. . 2l02n3EHI02
GAAIAPX02
[0]IAnTA2... ETANA
. - . . PAI
KAEO0ATO2
10. 2AI0IAA
15.
¥
API2T0ÎEN02
Face lat. droite :
XAPIAA
EYANA
API2T0A
E. lOIAOK
5.) API2
APIAA
EYNOA
A
Face latér. gauche :
M0A02
EA2
IIKOY
[A]EÎAMENH
5.) Y2NIK02
KinniA
AO.AA
A"'
A2
Il est assez embarrassant, au premier aperçu, de préciser quel a
pu être l'emploi de ce monument. Presque tous les noms intacts qu'il
porte sont au nominatif. Les seuls génitifs qu'on y rencontre sont
SAI0IAA, ligne 10 de la face antérieure, et. . . . [NjIKOÎ , ligne 3
de la ftice latérale gauche. De plus, aux noms d'hommes se trouvent
mêlés des noms de femmes [ EAETjSINIA , ligne 1 de la l^ice posté-
rieure et AESAMENH ( As^a/zaV/î ), ligne 4 de la face latérale gauche.
De plus, encore, tous les noms, à en juger par la forme et les dimen-
sions des caractères, n'ont pas été inscrits à la même époque ; je serais
donc disposé à croire que ce marbre a appartenu à une sépulture com-
mune et qu'on y a gravé successivement les noms des morts qui auront
été successivement déposés dans le caveau qu'elle surmontait. Ce qui
ajoute beaucoup de vraisemblance à celte conjecture, c'est que la stèle
en question a été déterrée non loin de la vallée des tombeaux. Quant
au manque des noms au génitif, il est possible qu'il ne soit qu'apparent,
et que beaucoup des noms qui ont disparu ou dont on ne lit plus que
les premiers éléments, aient reçu dans le principe cette flexion. Je
vous ferai remarquer encore que le nom KAsocparoç paraît pour la
première fois et que Satôrâa est aujourd'hui le deuxième exemple
connu d'un nom qui paraît avoir été particulièrement usité cà Mes-
sène. (Voyez Corpus inscr, gr., n-^ 1318, et l'ouvrage de Morée,
1. 1 , p. 45 ; t. 1, p. 26 et suiv. du tirage in-8°.)
I
436 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
L'autre inscription est gravée sur le larmier de l'architrave d'un
édicule funèbre d'assez grandes proportions , laquelle a été trouvée
tout récemment par suite de l'éboulement d'un mur qui soutenait
l'extrémité d'un champ disposé en gradins. Elle est ainsi conçue :
KAIPE GAA0Y2AN0EIAXAIPE
Il paraît que ce monument était destiné à recevoir deux corps, et
avait été bâti par un mari à l'occasion de la mort de sa femme; que
ce mari avait , à droite de l'inscription portant le nom de la défunte,
fait ajouter le mot x^^P^ précédé de l'espace nécessaire pour inscrire
son propre nom, quand il y aurait lieu. Son trépas, loin de Messène,
ou quelque autre événement, sera venu tromper ses prévisions. Du
reste, ne trouvez-vous pas comme moi. Monsieur le Ministre, que ce
nom de ©aXXojcavQeia qui réunit l'idée d'une fleur à celle du vert
feuillage qui l'accompagne, est un des plus gracieux exemples de la
composition des mots dans la langue grecque?
Pour en finir avec Messène , Monsieur le Ministre , je transcrirai
ici trois inscriptions très-modernes copiées, la première, au couvent
d'Ilhôme, les deux autres au monastère de Vulcano. Elles vous prou-
veront où en étaient au XVIIl'' siècle les connaissances, même or-
thographiques, des moines de l'ordre qui a pour fondateur le grand
saint Basile. On peut affirmer qu'ils ne connaissaient plus autre
chose que le nom de cet admirable écrivain. Ceux d'aujourd'hui sont
encore de quelques degrés au-dessous de leurs prédécesseurs, car
beaucoup d'entre eux ne savent même pas lire.
(1) La véritable orthographe de ce nom serait @xW/.o\)9KvQtix» C'eitune nouvelle
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 437
c, a, d. May.dpUoJç ovroç 6 êx(w)v u7:a(x)oyîV àyaOm' ixiii-nrÇrt'jr,
IL
J^ETAN OEiTE -H P£î
KE •FA?HBA23^EfA-T
ONtiV/KHOYi-HA S'K A
2/NM -TTPÛS O^HNPIZA
\^- ^UJ!-i AE^NA'P'ajN'hCÊlT'
^3. ^f W'H'oî^N- K-At^
TroN-K:».^-//oN • £~k:,k:.o
TT^ETAl ICAÎ Ef^ TTYP-
b^AJIjI et Aï :•
A v|. z ^
M A'n T » « 1^ â
preuve d'un fait que j'ai déjà signalé dans mon commentaire sur ma traduction
française de ^'icélas Eugenianus otdans mes notes encore inédites sur le roman de
Théodore Prodrome, c'est à savoir que les Grecs d'autrefois ne faisa'cnl pas sentir
les doubles consonnis dans leur prononciation que les Grecs d'aujourd'hui ont par-
faitement conservée. Il est digne de remarque que chacun des élémcnls de ce mot
si frais et si >irgiual a été le nom d'une courtisane. Voyez Athénée et Lysias.
I. 29
438 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Uerocvoeïrsj (eï)p('n]y.s yccp -n fioc(jihia t(w)v o'jpxv[(ù)v. (ïâohy
ri x'iivTi Tzpbç TTjv piÇav twv âivâpMV xcîrat* [xal tô âévâpov] pr\ ttoioûv
xapiTOV xaXov éxxoTTTsrai zai £tç TrOp |3aA^£T«r A^EZ, Mapri'ou x0
m.
MNHMHOANATOY
XPYCIMeYeTCJBiCJ
A4^IB
Mvv^/jLYî 6avaTou )(;p(yî)o'ip£u£(t^Tw (BtM. A^IB.
Avant de terminer cette lettre, déjà bien longue, je dois vous faire
savoir, Monsieur le Ministre, que pendant les quelques jours consa-
crés par mon habile auxiliaire à dessiner les murs de Messène et quel-
ques bas-reliefs funèbres découverts depuis le passage de la Commis-
sion de Morée, j'ai visité l'antique Pylos; mais là rien que de grands
souvenirs : celui de Nestor, celui des Spartiates morts ou pris dans
Sphactérie, et celui de Santa Rosa immolé par le cimeterre des Turcs
en défendant une belle cause, celle de la liberté et de l'indépendance
des Hellènes.
Je suis avec respect.
Monsieur le Ministre ,
Votre dévoué serviteur,
Ph. Le Bas.
Thouria» i août 1841.
SUR
L'USAGE DES ANCIENS DE CONSACRER lA STATUE D'UN DIEU
A UIV AUTUE DIEU.
Dans une des intéressantes lettres de M. Le Bas, insérée dans
lavant-dernière livraison de la Reçue (l), ce docte et courageux
voyageur nous fait connaître une inscription latine qui finit par les
mots CEREUI . DIANAM. S. P. CONSECRAVIT, et il ajOUtC :
« Cette inscription prouve un fait sur lequel j'aurai occasion de
« revenir, c'est à savoir que, dans l'antiquité païenne, toutes les sta-
« tues consacrées dans ses temples n'olîraient pas d'absolue nécessité
« l'image de la divinité qui était, dans ces lieux, l'objet d'un culte
« spécial; qu'ainsi une statue de Diane pouvait être consacrée à
« Cérès; et que, par conséquent, la découverte de telle ou telle
« image n'aïuionce pas qu'elle avait été élevée en l'honneur du dieu
« et de la déesse de ce temple. »
Ces observations sont fort justes; et l'inscription a bien la portée
que M. Le Bas lui donne. Quant à l'usage qu'elle constate, qui paraît
le surprendre, ou du moins lui semble avoir besoin d'ôtre éclairci,
puisqu'il se propose d'y revenir, je crois utile de rappeler que cet
usage de dédier une statue de dieu à un autre dieu a déjà été l'objet
d'une contestation entre M. Raoul Rochette et moi. L'inscription
trouvée par M. Le Bas ne fait , comme on va le voir, qu'apporter un
nouvel argument en faveur de l'opinion que j'ai soutenue.
Tout le monde connaît la statue archaïque de bronze qui est au
musée du Louvre. M. Raoul Rochette prétendit qu'elle représentait
un jeune athlète ou un lampadophore ; et il y reconnut un style pri-
mitif qui devait être antérieur à Phidias (2). Ce savant archéologue
me parut avoir fait fausse route sur ces deux points. Je soutins , de
mon côté, 1" qu'elle représente Apollon, 2" qu'elle est de style
dimitation, et certainement postérieure à Alexandre , peut-être même
{le l'époque romaine (3).
Le premier point ne fut guère contesté, et tous les antiquaires se
jont rendus à mon opinion , excepté pourtant M. Raoul Rochette
(0 Ci-dessus, p. 280.
(?) Lettre à K. O. Mûller, dans les Annales de l'Imtit. arch. T. V (1833),
p. 193 et suiv.
(3) Lettre à M. Millingen, dans les Annales. T, VI (t834) , p. 198 et suiy.
440 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
qui, dans un Mémoire récemment lu à l'Académie, a maintenu celle
qu'il avait proposée, dont il est, assure-t-il, plus convaincu que
jamais; mais il est resté à peu près seul de son avis.
Le second point rencontra plus de contradicteurs parce qu'il bles-
sait davantage les idées reçues. On alla même jusqu'à prétendre que
je bouleversais l'histoire de l'art.
Ce point est pourtant, si l'on peut dire, plus certain encore que
le premier. Je ne parle pas ici du mélange de deux styles,
d'époques différentes, que j'y aperçus le premier. Comme l'appré-
ciation de ce caractère tient au sentiment individuel, et peut ne pas
frapper tout le monde, quoiqu'un œil exercé ne manque pas de le
reconnaître à présent, je n'insiste pas sur ce point, et je me borne
à rappeler un argument tout positif que je fis alors valoir. Je le tirai
de l'inscription [OAHM] 02 AOANAIAI AEKATAN, incrustée en
lettres d'argent sur le pied gauche. Cette inscription , intimement liée
à l'exécution de la statue, en est contemporaine. Or, comme les letlres
ont la forme de celles qui furent employées, non-seulement après Phi-
dias, mais , au plus tôt , dans le siècle d'Alexandre , ainsi qu'en con-
viendront tous les paléographes , c'est une preuve sans réplique que
la statue est postérieure à Phidias , et dès lors qu'elle ne peut être que
de style d'imitation. C'est la un argument auquel on s'étonne que
M. Raoul Rochelte n'ait pas pensé, la première fois qu'il s'est occupé
de la statue -, et l'on s'étonne plus qu'il s'y montre insensible ,
après qu'on le lui a fait remarquer. Mais qui ne sait combien on a de
peine à revenir une fois qu'on s'est engagé dans une fausse route?
Ainsi , mon opinion sur le style d'imitation de cette figure étant
appuyée sur un argument de cette force, n'avait nul besoin d'être
confirmée par une nouvelle preuve , telle que la découverte d'une
seconde inscription, faite plus tard en 1842 , dans l'intérieur, indi-
quant les noms des auteurs de la statue, dont l'époque est de peu
antérieure à l'ère chrétienne, si même elle n'est pas postérieure.
Cette découverte, curieuse à d'autres égards (dont la sottise et la pré-
somption voulurent d'abord révoquer en doute l'authenticité), était
réellement superflue , pour établir un fait clairement démontré déjà
par l'examen seul de la première inscription.
Après ce petit préambule, qui rappelle au lecteur les principaux
traits de cette discussion , devenue assez célèbre dans le monde ar-
chéologique, j'arrive à l'objet spécial de ma note.
Contre l'idée que la statue représente Apollon, M. Raoul Rochette
avait surtout opposé l'inscription AOANAIAI AEKATAN qui indique
STATUE d'un dieu A UN AUTRE DIEU. 441
que la statue était le produit d'une dîme, et quelle fut dédiée à
Minerve, Car, selon le savant antiquaire, il était contrai''e à toutes les
traditions de Tart et de la religion antiques qu'une statue dApolion ait
été dédiée à Minerve.
Dans ma Lettre à M. Millingen, je fis observer que mon docte adver-
saire méconnaissait sur ce point les traditions et les usages de Vart et de
la religion antiques. Car rien n'éiait moins rare chez les anciens que de
dédier une statue de dieu à un autre dieu. C'est un fait depuis longtemps
reconnu que les anciens dédiaient souvent des statues de particuliers
dans les temples (l). Pourquoi n'en aurait-il pas été de même de sta-
tues de dieux? Aussi j'avais cité, d'après Pausanias, des statues de divi-
nités consacrées dans le temple d'autres divinités. Dans l'un et l'autre
cas, ce n'était ni Yhomme ni le dieu que Ton dédiait; c'était la statue
elle-même, qui servait d'ornement au temple, ou augmentait sa ri-
chesse; elle avait le caractère d'offrande, âvdOniJLx, comme un tré-
pied , un cratère , un autel , ou tout autre objet distingué par la
richesse de la matière ou le mérite de l'art, que l'on dédiait également,
accompagné le plus souvent d'une inscription, indiquant le nom du
donateur, et celui de la divinité à laquelle la donation était faite.
Mais, pour qu'on n'eût aucun doute sur la réalité de l'usage, j'avais
cité cette inscription de Smyrne : Koïvroç Balépioç IovIkxvoç S^up-
voLOç A(7Y,):nT:L(ù Inv/ipt. Atoç lar/ipoç àycCk^xoL aùv (Saorgi àpyvpi-n yv^^iov
^éarr} à:véBrr/.£v (2). c( Quintus Valerius Julianus de Smyrne a
(( dédié à Esculape , médecin , celte statue de Jupiter sauveur ^ avec sa
« base d'argent remplie de plâtre (3). » Puisqu'on dédiait une statue de
Jupiter à Esculape, disais-je, on pouvait bien dédier une statue d'Apol-
lon à Minerve. Cet exemple était si décisif que j'ai cru inutile d'en
citer d'autres qui ne le sont pas moins. Mais comme M. Raoul Rochette
revient encore, dans son Mémoire, sur son erreur, et refuse de se ren-
dre à cette preuve si palpable, il faut bien le renvoyer aune autre in-
scription rapportée parM.Bœckh, où l'on voit qu'une statue d'Hercule
amit été dédiée àEseulape{\); et, ce qui est plus singulier, qu'un autel
portant les figures des divinités grecques d'Apollon, de Diane et de
Latone, 3i\a\t été dédié aux divinités égyptiennes Sévapïs et Anubis (5).
L'inscription trouvée par M. Lebas, est un cinquième exemple, non
(1) Annales. T. VI, p. 215.
(2) Maffei, Mus. Feron., p. xxxviii. — Bœckh , Corp. Imcr., n« 8159.
(3) Annales, volume cité, p. 211.
(4) Corp. Inscr.y d« 1774 a,
(5) Id., no 2304.
442 BEVUE ARCHÉOLOGIQUE.
moins évident que les quatre autres, qui ne fait qu'ajouter une auto-
rité latine aux autorités grecques que je viens de citer. Je les recom-
mande à l'attention de M. Le Bas, quand il voudra revenir, comme
il se propose de le faire, sur ce point curieux d'archéologie. Cet
usage devait être bien peu connu des antiquaires, avant cette discus-
sion, si Ion en juge par la fausse opinion d'un des plus savants d'en-
tre eux, lequel se montre encore si difficile à convaincre sur un point
à présent si clair.
Ce qui paraît l'avoir engagé à persister dans cette erreur, c'est ,
comme on le voit dans son Mémoire récent , un passage de Dion
Chrysostome dont il abuse étrangement, à mon avis. Il croit y
trouver la preuve manifeste que les anciens n'o/i^ jamais pa dédier
une statue de dieu à un autre dieu. Mais on peut d'avance être sûr
que le rhéteur connaissait trop bien les usages de sa nation pour
commettre une erreur pareille. Il parle en effet de l'ignorance de
Mummius qui , méconnaissant le sujet de la belle statue du Nep-
tune Isthmien de Corinthe, après l'avoir fait transporter en Italie,
ou du moins l'avoir ôtée de sa base, l'avait dédiée à Jupiter (1);
mais il ne s'agissait pas seulement de dédier la statue à un autre dieu;
ce qui se faisait sans cesse. Mummius, par ignorance (tpsO r/iç à^aSt'aç ),
en avait change l'attribution , c'est-à-dire qu'il avait transformé un
Neptune en Jupiter , en consacrant la méprise par une inscription
gravée sur la statue ; et ce qui prouve que telle est bien la pensée de
Dion, ce sont les deux exemples suivants qui annoncent, de la part
du général romain , une ignorance plus grande encore, car il fit
inscrire le nom (2) de Philippe fils d'Amyntas, sur une statue
enlevée à Thespie ( probablement la statue faite par Lysippe, re-
présentant Y Amour, divinité principale de cette ville) (3); ainsi que
les noms de Nestor et Priam sur les statues de deux jeunes gens,
peut-ôlre Jolas et Myrlilus (4), qu'il avait enlevées de Pheneos en Ar-
cadie (5); ce qui était le comble ce l'ignorance, puisqu'évidemment
Mummius ne savait même pas que Priam et Nestor étaient des vieil-
lards. Tel est le vrai sens du passage de Dion qui, je le répète, ne
pouvait pas dire une chose contraire à ce qu'il avait sous les yeux.
(l) Tôv "IjO/xiov.... Md/A/Ato; k-jxvnâvxi , àviQ/j/.e tw Aif. Oral. XXXVII. T. II,
p. 12:5 Reiske ^
(?) «tutTTTTOv /xîv TÔV kttûvTOU [ TOV 'Epcaxx] , o'j Ix ôsffTTtetwv Daê^v^ iniypst'pt.
(3) Pausan. iX, 27, *3.
V4) /d. VllI, 14, Gel 7.
(5) Kai T0Ù5 EX ^£V£oï> v£Kvîff/ou{, TÔV /*£« Ne'ffTO/sK, TÔV Sk n^ta/xov. Dio Chrysostom.
Ibid., p. 124.
STATUE d'un dieu A UN AUTRE DIEU. 443
Ce qui explique, sans les justifier, ces méprises de Mummius,
c'est que les statues des dieux ou des héros portaient rarement des
noms indiquant le personnage qu'elles représentaient, parce que cette
indication était inutile. C'est le fait qu'exprime clairement le même
Dion Chrysostome, lorsqu'il dit que ïusage n était pas de mettre le
nom des dieux sur leurs statues; aussi, dans la suite finit-on bien
souvent par ignorer quels personnages divins ou héroïques elles re-
présentaient (1). Cette circonstance favorisa les fausses attributions
que l'on fit si fréquemment vers l'époque romaine, de quelques-unes
de ces statues anonymes auxquelles on imposa des noms d'empereurs
ou d'autres hommes puissants. En cela, l'ignorance vint au secours
de la flatterie.
Pour revenir à mon sujet, en finissant, on voit que la nouvelle
inscription trouvée par M. Le Bas achève d'établir le sens que j'ai
donné à celle de la statue de bronze : [6 ôt,^^oç AÔavata (Js/.arav
qui, dans sa concision, était aussi claire pour un Grec que si elle avait
porté oâriixoç [to^s dy(xliJ.ûc] AQavccioc ^v/.6lxclv [ave'QyjzsJ. (( Le peuple
« de.... [a dédié cette statue] à Minerve, [produit d'une] dîme. »
Letronne, de ï Institut.
(1) "h TivÛv [lisez rlvuv] YifjLtBébiv ^ xaî 6ewv ovraç vttsjoov àyvoîôijvat Stk rbv xpôvov
Tovc yàp Qtovi i'niypAfsiv oùx c^rtv tQoç. Oral. XXXI , t. I , p. Clô.
VASE FABRIQUE EN EGYPTE,
PEIVDAIVT la DOMIIVATIOIV PEUSE.
Tout le monde connaît, soit de vue, soit par les descriptions qui
en ont été données, le vase d'albâtre portant le nom de Xerxès qui,
du cabinet du comte de Caylus, est passé dans celui de la Bibliothè-
que royale (l).
Ce vase présente sur la panse , un cartouche égyptien surmonté de
deux lignes de caractères cunéiformes qui donnent dans trois sys-
tèmes d'écritures, et très-certainement en trois langues différentes, le
nom de Xerxès suivi du titre de grand roi.
C'est aux efforts réunis de Saint-Martin et de Champollion jeune
que l'on doit l'interprétation de cette quadruple forme d'une même
légende royale.
Obligé de défendre son système contre des personnes qui doutaient
de l'existence de l'alphabet hiéroglyphique avant les Grecs et les Ro-
mains, Champollion regarda comme une bonne fortune la découverte
du cartouche de Xerxès , qui venait prouver d'une manière irréfra-
gable l'emploi de cet alphabet plus de cent cinquante ans avant
Alexandre (2).
De son côté, Saint-Martin comprit toute l'importance de ce petit
nombre de lettres cunéiformes qui s'accordaient si bien par leur va-
leur et leur position avec le cartouche égyptien; aussi déclare-t-il ,
dans son Mémoire inséré au tome XII du Recueil de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, que sans cette circonstance qui, au
moment oii il s'y attendait le moins, est venue ajouter un nouveau
degré de vraisemblance à ses conjectures, il n'eût pas songé à donner
de la publicité à son travail suf" les inscriptions cunéiformes (3).
. (1) Recueil d'antiquités, U V, pi. xxx. Caylus, qui nous apprend que ce monu-
ment avail été trouvé en Egypte, le considérait comme une preuve à l'appui de
l'opinion qu'il avait développée dans un Mémoire, à savoir que Persépolis était une
colonie égyptienne.
(2) Précis du système hiéroglyphique , 1824, première édition , p. 179. Cham-
pollion n'avait pu encore trouver le nom d'aucun autre roi perse écrit hiéroglyphi-
quement. Depuis , on a retrouvé ceux de quatre des rois de la première dynastie
persane en Egypte à commencer par Cambyse.
(3) Mém. de VAcad. des Inscript., t. XII , deuxième partie , p. 143.
VASE FABRIQUÉ EN EGYPTE. 446
Depuis vingt ans la science a fait des pas immenses; mais il y a
toujours un grand nombre de gens qui veulent s'instruire sans efforts,
et qui ne croient pas à une méthode dès l'instant qu'elle ne les dis-
pense pas de tout travail, de toutes difficultés (1). Pour ceux-là, les
arguments les plus courts sont les meilleurs, et je ne doute pas qu'ils
n'aient compris beaucoup plus aisément la démonstration réciproque
fournie par le vase de Xerxès que les excellents travaux analytiques
de MxM. Burnouf et Lassen(2).
Mais combien les inductions que l'on a pu légitimement tirer de
l'examen du vase de Xerxès n'acquerront-elles pas de force lorsque
l'existence de ce monument ne sera plus un fait isolé? car si le ha-
sard avait permis que l'étonnant parallélisme des caractères cunéi-
formes et hiéroglyphiques ne fut qu'une vaine coïncidence, une ex-
ception spécieuse à laquelle on ne pouvait accorder de confiance , il
devient impossible de douter encore en présence d'un second exemple
dans lequel toutes les notions qui ressortent du premier viennent
trouver leur application, et par conséquent se vérifier.
Telle a été ma pensée aussitôt que j'ai eu connaissance de la décou-
verte que sir Gardner Wilkinson vient de faire dans le trésor de
Saint-Marc, à Venise, d'un vase sur lequel se voit le nom d'Ar-
taxerce(3).
Le savant Wilkinson ne nous fait pas savoir de quelle matière est
le vase en question ; mais d'après la disposition des inscriptions qui
est identiquement celle que nous remarquons sur le vase de Paris ,
nous pouvons supposer que l'un est d'albâtre aussi bien que
l'autre.
Le dessin que je place ici a été communiqué à l'Association archéo-
logique britannique par M. Petligrew, à qui sir Gardner Wilkinson
avait envoyé une empreinte prise au moyeu du frottement sur le
(1) Personne ne doute de la réalité de la lecture des livres arabes, ni du raérile
de la savante grammaire de Silveslre de Sacy ; comment se fait-il donc qu'il y ait
dans le Coran et dans bien d'autres ouvrages des passages que l'on a tant de difficulté
à expliquer? pourquoi aussi un si petit nombre d'intelligences réussit il à com-
prendre et à appliquer les principes grammaticaux exposés dans la grammaire de
l'illustre orientaliste ? faut-il pour cela regarder l'alphabet arabe comme ima-
ginaire?
(2) Mémoire sur deux inscriptions cunéiformes trouvées près d'Hamadan , etc.
Paris, 1836, in-4. Die AUpersischç^ Keil-Inschriflen von Persepolis, Enlzif-
ferung des ^Alphabets undErklœrung des Inhalls. Bonn , 1836, in-8.
(3) Celte nouvelle a été donnée au monde savant par la Lilterary gazette, du
21 septembre 1844, n° 1444.
UQ
REVUE ARCHEOLOGIQUE.
vase de Venise. Ce procédé, qui réussit à merveille lorsque Ton opère
sur un monument gravé profondément, ne donne qu'un résultat
yr ^"^^
très-imparfait lorsque ion doit relever des traits faiblement tracés
comme le sont probablement ceux qui forment les caractères cunéi-
formes du vase de Saint-Marc (1 ) ; aussi ne doit-on pas s'étonner de
voir en plusieurs endroits des lettres très-incorrectement figurées.
(I) C'est à peine si le dessinateur du comte de Caylus avait pu distinguer lei
caractères hiéroglyphiques du vase de Xerxès, et s'il a mieux vu les caraclères cu-
néiformes, il ne les a pourtant pas rendus d'une manière tout à fait exacte; le mot
ffasark, grand, qui suit le nom du roi, est illisible dans sa copie. On sait du reste
que, quelque degré de talent que l'on y ^^porie, on ne peut jamais copier
exactement une inscription conçue dans une langue que l'on ne lit pas. C'est ce qui
fait que nous n'avons pas encore deux copies identiques des inscriptions cunéi-
formes de la Perse.
VASE FABRIQUÉ EN EGYPTE. 447
Comme on le pense bien, l'apparition de la nouvelle inscription
quadrililtérale a fait sensation dans le monde scientifique, et M. le
baron Walckenaer l'ayant communiquée à l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres, elle a donné lieu à de savantes observations, aux-
quelles ont pris part MM. Burnouf , Lelronne et Lenormant. On me
pardonnera de publier mes propres observations sur un sujet déjà
examiné par les maîtres de la science; mon seul but est de faire con-
naître aux lecteurs de la Reme un monument qui me paraît digne
de tout leur intérêt.
La première ligne de l'inscription cunéiforme se compose de treize
caractères disposés en trois mots séparés par de petits traits, qui, au
lieu d'être obliques conime dans la plupart des inscriptions murales,
sont verticales. C'est une particularité que j'avais déjà remarquée
dans une inscription qui appartient, je crois, à l'un des derniers Da-
rius, et que Rich a copiée sur la muraille du nord au-dessus du grand
escalier de Persépolis(l).
La transcription de ces mots donne ARDaKHevscHY Nan wazaRK,
c'est-à-dire Arlaxerce, roi grand. C'est là une forme différente de
celle que nous montre l'inscription si curieuse copiée par Rich (2), et
dans laquelle, si je ne me trompe, je trouve la généalogie des Aché-
ménides. Dans ce texte, en eifet, le nom d'Artaxerce est toujours
écrit ARTaKHeSCHTHA.
Dans les deux cas , il est remarquable que le nom d'Artaxerce est
bien distinct de celui de Xerxès, qui est toujours écrit KHSCHaHARSCHA
ou KHSCHARSCHA (3). Aiusi l'indicatiou fournie par Hérodote (4) qui
dit que Xerxès signifiait dans la langue des Perses guerrier, et Ar-
taxerxès grand guerrier, bien qu'elle puisse être étymologiquement
exacte, n'implique pas l'identité de prononciation pour ces deux
noms à l'époque de l'historien grec.
La langue dans laquelle est conçue la seconde ligne de caractères
(1) Rich, IVarralive of a journey to the site ofBabylon, etc., with narrative
ofa journey to Persepolis. Londou, 1839 , in-8 , v. pi. XXIV.
(?) Ibid., pi. XXIIÏ.
(:î) Ctlle dernière forme ne se trouve , je crois , qu'à la quatorzième ligne de l'in-
scription précitée , ce qui prouve que la langue allait en s'adoucissant.
(4) Lib. VI, C. 98. Aûvarai SkxxTX 'ED-Û-Sx y/dJujav raûrs: rà oùvd/AKTa, ^apsXo;, è^|ît*;ç*
Ss^s^vî;, apr,toi' 'AproiépHr,^, fxi'/a.i kpr/ioç. Hérodole écrit Arloxerxcs; Thui-ydide, Uio-
dore, Cornélius Ncpos , Élierme de Byzarice, emploient la forme Arlaxerxes- Main-
tenant que nous avons le nom en caractères cunéiformes, nous voyons que la voyelle
entre le D, ou le T, et le KH, était omise et que les Grecs ont pu écrire O ou A sui-
vant la prononciation plus ou moins large des Perses qu'ils entendaient.
448 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cunéiformes est encore inconnue. Les uns ont supposé que c'était le
mède; d'autres, les orientalistes anglais principalement, y voient du
parsi. Mais toutes ces conjectures, qui ne reposent que sur des consi-
dérations historiques, n'ont aucune valeur, et pourraient se multiplier
à l'infini. Ce qu'il faudrait pour résoudre la question, ce serait l'ana-
lyse et la lecture des textes que nous fournissent en assez grand
nombre les monuments de la Perse et de l'Arménie ; et cette tâche
pourrait être accomplie du jour où l'on obtiendrait des copies cor-
rectes de ces inscriptions. En attendant on a pu, à l'aide de la contre-
partie zende des inscriptions trilingues, retrouver les noms propres
et un assez grand nombre de mots , mais c'est une sorte de diction-
naire muet dont les éléments peuvent être compris, mais non pas
articulés.
Dans l'état des choses, voici tout ce que je puis dire : le nom
d'Artaxerce paraît se composer de six lettres seulement. La première,
qui se trouve toujours la troisième dans le nom de Xerxès (qui dans
ce système ne compte que quatre lettres), doit être un a. La seconde
ressemble, si elle est exactement tracée, à la lettre qui commence le
nom de Darius, et termine celui d'Ormouzd dans les inscriptions de
l'Elvend; on peut donc la considérer comme un d.
La troisième lettre que nous voyons en tête du nom de Xerxès,
aussi bien à Persépolis qu'à Van et sur le vase de la Bibliothèque
royale, ne peut être qu'une gutturale fortement aspirée; elle ne parait
pas dans le nom d'Achemènes. Au quatrième et au sixième rang
figure le même caractère que nous retrouvons le second dans le nom
d'Ormouzd. C'est probablement un u, avec plus ou moins le son ou.
Si la cinquième lettre est une sifflante, ce que nous ne sommes
autorisés à supposer par aucun exemple antérieur, on obtiendrait pour
le nom complet AnaKHOuscHOU ou quelque chose d'approchant. On
devine plutôt qu'on ne distingue à la suite de ce nom le caractère
unique qui répond au mot roi dans toutes les inscriptions appartenant
à ce système. Vient après le mot grand, dont on n'aperçoit que les
trois lettres aua, la dernière manquant tout à fait.
Le système d'écriture que nous montre la troisième ligne, et que
l'on appelle communément assyrien, est plus facile à étudier que le
précédent, parce que les caractères en sont en général plus distincts,
et qu'ils paraissent, non pas syllabiques, mais simplement alphabéti-
ques. Malheureusement la copie que nous avons sous les yeux est très-
imparfaite, et les deux premiers caractères tout à fait incertains. Le
troisième est un d, que nous connaissons par sa présence dans les
VASE FABRIQUE EN EGYPTE. 449
noms de Darius et d'Ormouzd. Le quatrième est une lettre aspirée qui
se reproduit deux fois dans le nom de Xerxès, au centre et à la fin ,
et qui termine aussi les mots Achemènes et Ormouzd. La lettre qui
suit est aussi la dernière du nom de Darius, et doit être une sifflante.
Les trois autres restent incertaines; mais, selon toute probabilité, lan-
tépénultième est une voyelle. Le tout est terminé par le groupe bien
connu qui répond toujours à roi grand.
Tels sont les résultais bien minimes que j'obtiens de l'étude de ces
phrases si courtes et si peu instructives. J'espère que l'inscription
contenant le nom d'un Artaxerce, copiée par M. Coste, en Perse , et
dont M. Burnouf nous fait espérer la traduction, sera plus féconde en
enseignements de toute nature.
Je passe maintenant à l'examen de la bande hiéroglyphique placée
au-dessous des caractères que j'ai décrits. M. Pettigrew a positive-
ment avancé que Sir Gardner Wilkinson lisait phonéliqaement la
légende entière, et qu'elle donnait ainsi Ard-Kho-scho Erpra. Le
savant baronnet traduit ces mots par Ârlaxerce grand, ce qui ne
serait pas un équivalent de la phrase déjà trois fois répétée, puisque
le mot roi manquerait.
Sur les sept caractères contenus dans le cartouche, six sont parfai-
tement connus et ils entrent en fonction dans un si grand nombre de
noms royaux qu'il serait superflu de chercher à en appuyer la va-
leur par des citations. Un seul présente quelque difficulté, c'est le
signe elliptique placé au-dessus du s, et qui doit sonner après le kh.
M. Pettigrew en fait un d, afin, dit-il, d'avoir un équivalent du ca-
ractère cunéiforme d, qui occupe une position correspondante. Or,
le caractère qui figure à ce rang dans le zend, est celui que M. Bur-
nouf a reconnu pour un v dans son Mémoire sur les Inscriptions
d'Hamadan, en sorte que je ne puis m'expliquer la pensée de l'an-
tiquaire anglais. Le caractère elliptique ressemble beaucoup au Rhé
que nous montrent tant de cartouches hiéroglyphiques, et si nous
adoptions cette valeur, le nom entier pourrait être lu : ARTaKHeRS-
escH, ou ARTCfKHeRssCH è, forme qui aurait cela de singulier qu'elle
se rapprocherait davantage de la transcription grecque Apraîsp^y/ç
que de l'original zend ARDaKHevsCHY.
Il faut encore faire observer que l'on a trouvé en Egypte, à Qosseir,
deux cartouches d'Artaxerce, que M. Rosellini croit sculptés pour
Artaxerce-Longue-Main (i), et que ces cartouches (qui d'ailleurs
(1) i Monumenli delV Egillo e delta Nuhia. Pisa, 1833 , in 8. Parle prima.
T. II , p. 183, pi. XII , numéros 151 et 161 a.
450 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
présentent quelques variantes dues à l'emploi d'omophones), portent
ARTaKHSCHeSSCUè ou ARTaKHSCHSeSCH.
On pourrait en conclure que le vase de Venise et la représentation
de Qosseir n'appartiennent pas au môme Arlaxerce; comme d'un
autre côté, j'ai fait remarquer la diiïérence de forme qui distingue
le nom royal cunéiforme, tel que nouf? le voyons sur ce vase, de celui
qu'on trouve dans la table généalogique de Persépolis, table qui pa-
raît avoir été gravée sous Artaxerce 111 ; il en résulterait que le vase
pourrait être attribué à Artaxerce Mnémon. Ce prince cependant ne
paraît pas avoir régné sur l'Egypte (l), en sorte que l'on ne saurait
trancher la question sans témérité. Pour résoudre ce problème, il
faudrait posséder la merveilleuse sagacité et la connaissance profonde
des annales de l'Egypte, qui servent si admirablement M. Letronne
dans l'interprétation historique des moindres monuments de l'épigra-
phie. Je me borne à appeler son attention sur ce point.
Au-dessous du cartouche royal se voient cinq caractères que Sir
Gardner croit former le mot eri>ra, grand. Champollion avait lu sur
le vase de Xerxès, Friena, lerina ou /neno qui, selon lui, répondrait au
persan iere et signifierait héros ou Iranien , c'est-à-dire Perse. 11
avait été trompé en cela par la lecture de M. Saint-Martin qui n'avait
pas su reconnaître le mot wazaRK, grand, qu'a lu depuis M. Lassen
et que M. Burnouf adopte.
M. Rosellini, en proposant de lire Hanpena au lieu àlriena, avoue
qu'il ne saurait traduire ce mot (2).
Je pense que l'erreur consiste à vouloir faire un seul mot de ces
cinq caractères, et la solution de cette difficulté nous est donnée par
M. Charles Lenormant dans ses Recherches sur Vulililé des Hiéro-
glyphiques d'UorapoUon (3).
« Les Égyptiens, suivant l'écrivain alexandrin , regardent leur roi
« comme le maître du monde* Voulant exprimer cette idée, ils pei-
(1) l Monumenti dclV Egillo , etc., M Rosellini remarque que l'on manque
presque lotalemenl de nionumenls des rois égyptiens de la XXJX* dynastie, cont* ra-
porains d' Artaxerce U, et il attribue ce dénùmcnl aux guerres qui iroublèrenl cette
époque. Le roi Achuris eut à combattre conlinueilement Artaxerce Mnémon. Serail-ce
dans un instant où ce dernier aurait fait quelques progrès sur les posessr^ions égyp-
tiennes que le vaî^e aurait été fabriqué? Nous savons que Darius avait élevé à Suez
un monument, probablement pour constater le premier pas qu'il avait fait sur la
terre des Pharaons. Malgré les dilTérences qui se remarquent dans les cartouches,
il vaut peut être mieux les attribuer tous à Artaxerce 1".
(?) Ibid., p. 17G. « Non Irina , ma bensi Manphena o Hanpena, voce che dir
« non saprci che cosa significare potesse. »
(3) Paris, 1838, p. 23.
VASE FABRIQUÉ EN EGYPTE. 451
(( gnent un serpent; dans le milieu de ce serpent, ils indiquent une
« grande maison; car, dans leurs idées, la demeure du roi, c'est le
« monde lui-même. »
(( On rencontre fréquemment, ajoute M. Lenormant, dans les
« édifices égyptiens de l'époque romaine , un cartouche au milieu
« duquel on dislingue deux caractères seulement : le premier, le
« plan d'une maison ; le second , le symbole ordinaire de l'idée de
grandeur. Ce cartouche est placé auprès de la figure
du souverain, laquelle, selon l'usage égyptien, inter-
«
c( vient continuellement dans les scènes religieuses.
ft"
(( C'est donc là, comme Horapollon le dit expressé-
c( ment, une désignation générique du souverain de
« l'Egypte. »
Il suifit de jeter les yeux sur ce cartouche pour y re-
connaître immédiatement les deux premiers signes qui
succèdent au nom d'Artaxerce , et le mot roi se trouve
ainsi occuper la môme place que dans les lignes cunéiformes.
Vient ensuite le signe pe, déterminalif masculin; puis les deux
caractères qui, suivant Champollion, signifient réunis, grand (voy. le
n" 444 du tableau lithographie à la suite du Précis). La légende
complète est donc Artaxerce roi grand y et d'une part, nous sommes
débarrassés du mot Iriena qui ne pouvait se lire qu'en changeant la
valeur ordinaire de deux signes; de l'autre, nous avons l'avantage
d'expliquer l'absence des titres royaux au-dessus du cartouche, ab-
sence que l'on conçoit très-bien , puisque ces titres ne pourraient
être à la fois à deux places; enfin, on obtient une traduction com-
plète et exacte des lignes cunéiformes. Il aurait été bien extraordi-
naire, que sur un vase très-vraisemblablement fabriqué en Egypte,
on eût omis la qualité de roi précisément dans la langue du peuple
vaincu. Ce fait n'aurait pu s'expliquer que par une intention poli-
tique qu'il est bien difficile d'attribuer aux Égyptiens, très- empressés
en général de célébrer leurs maîtres, quels qu'ils fussent.
Adrien de Longpérieji.
LETTRE DE M. LE BAS A M. GUIGNIAUT.
SUR LE NOMBRE DINSCRIPTIONS INÉDITES QUI EXISTENT A ATHÈNES.
M. Guigniaut, président de l'Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres, ayant donné lecture à celte Académie, dans l'une de ses der-
nières séances, d'une lettre qui lui a été adressée par M. Ph. Le Bas,
son confrère, au sujet des inscriptions existant dans les divers dépôts
d'Athènes ; nous croyons faire plaisir à nos lecteurs et rendre service
à la science en publiant cette espèce de statistique d'une des bran-
ches les plus importantes de l'épigraphie grecque.
Quelques doutes avaient été élevés dans le sein de l'Académie sur
une assertion précédente de M. Le Bas, à savoir que , des 2 000 in-
scriptions grecques existant à Athènes, 1000 à 1200 sont inédites.
Voici comment le savant et zélé voyageur justifie cette assertion :
Il n'est pas exact de dire que tout ce qui se découvre d'inscriptions
à Athènes est immédiatement mis au jour par la rédaction du Journal
archéologique publié dans cette ville. C'est ce qu'il est facile d'établir
d'une manière incontestable. Le nombre des monuments soit figurés,
soit épigraphiques, publiés jusqu'à ce jour dans le journal en ques-
tion, s'élève à 800. Dans ce nombre, les monuments figurés entrent
pour 44, les inscriptions pour 740, total 784. La différence de 16
provient de quelques erreurs commises par l'éditeur dans le numé-
rotage.
Sur les 740 inscriptions, 504 seulement proviennent del'Attique,
savoir :
Inscriptions trouvées à l'Acropole 305
dans Athènes 176
au Pirée 76
dans les autres dômes .... 37 •
Total pareil 594
Les 146 numéros restants appartiennent, soit aux îles, soit aux
villes du nord de la Grèce.
Voilà donc un fait bien constaté : le Journal archéologique d'Athènes
ne contient que 594 inscriptions attiques.
Est-ce à ce nombre que se bornent les monuments existant dans
celte contrée? il s'en faut de beaucoup. Le résumé ci-joint, dont les
chiffres sont plutôt au-dessous qu'au-dessus de la vérité, le ptouve
d'une manière péremptoire.
LETTRE DE M. LE RAS A M. GUIGNIAUT. 453
Dans la série des 3600 fragments de sculpture, d'architecture ou
d'épigraphie, conservés dans les quatre grands dépôts d'Athènes, les
Propylées, la Pinacothèque, le temple de Thésée et le carré d'fladrien,
série dont tous les numéros sont loin d'être occupés (l), et qui , en
ce moment , se borne à 3100 numéros environ, les inscriptions figu-
rent pour 1420, savoir :
Temple de TRésée 166
Propylées 222
Pinacothèque 793
Portique d Hadrien 239
Total pareil 1420, ci... 1420
A ce nombre il convient d'ajouter :
Les fragments non numérotés des inscriptions relatives aux
tributs des alliés, lesquels s'élèvent à 117
Les inscriptions non numérotées éparses au milieu des
ruines de l'Acropole, et montant à 90
25 monuments funèbres transportés récemment dans la
tour d'Andronique de Cyrrhus 25
Les inscriptions que j'ai vues et copiées dans différentes
maisons particulières d'Athènes au nombre de 172
La collection de M. Finlay composée de 18
Celle de M. Prokesch qui en contient. 12
Celle de M. Pittakis 10
Celle de M. Gasperi . 10
Les 79 inscriptions que j'ai copiées en Attique 79
Les 15 que j'ai transcrites au Pirée 15
Total 1968
J'étais donc en droit de dire qu'à ma connaissance il existait , tant
à Athènes que dans les dèmes de l'Attique, environ 2000 inscrip-
tions.
J'étais également dans le vrai en affirmant que, sur ce nombre de
2000, 1000 à 1200 étaient inédites. C'est ce que je vais établir en
(0 Cette série qui commence au temple de Thésée s'arrête, pour les monuments
contenus dans ce musée, au n ■ cns. Elle continue sons le jjortiqne gauche des Pro-
pjlées; mais le premier numéro n'est pas G('9. On a jugé plus cunven.ibîe de lais-
ser 400 numéros libres pour les acquisitions ultérieures , et le premier numéro de
ce dépôt est lOOl. Le dernier numéro des monuments de l'Acropole estî8G6, et le
premier du carré d'Hadrian qui vient ensuite est 3001. Il n'y a donc par le lait que
3100 monuments numérotés.
I. 30
464 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
éliminant successivement du nombre de 1968 tous les chiffres qu'il
convient d'en défalquer. Commençons par les 594 inscriptions pu-
bliées dans le Journal Archéologique d' Aihènes. Il nous restera 1374
monuments écrits qui ne figurent pas dans ce recueil, ci. . . 1374
Un examen attentif m'a prouvé que sur les 1049 inscrip-
tions attiques contenues dans le Corpus inscriplionum grœ-
carum y on ne pourrait aujourd'hui en retrt)uver à Athènes
plus de 150. En effet, le plus grand nombre a été prendre
place dans les ditîerents musées de l'Europe, notamment à
Oxford , à Londres et à Paris, et le reste a disparu dans les
décombres ou dans les fours à chaux. Je ferai remarquer en
passant que, sur les 150 marbres en question , il en est bien
peu dont M. Bœckh ait eu une copie exacte. Quoi qu'il en
soit, déduction faite de ces 150
il reste encore 1 224
Retranchons de ce nombre une centaine de monuments
qui ont été dans ces dernières années l'objet de publications
spéciales soit en Italie, soit en Allemagne, telles que les inscrip-
tions relatives à la marine athénienne, celle qui se rapporte
à la réédification des longs murs, celles qui contiennent les
comptes annuelsdes tributs payés par les alliés d'Athènes, etc., ci 100
le reste ci-dessus se trouvera réduit à 1124
J'accorde encore que, de ces 1124 , on déduise les 100 à
120 inscriptions relatives aux dômes de l'Attique, que M. Ross
se propose de faire insérer dans les Mémoires de l'Académie
de Munich, bien que la publication puisse s'en faire attendre
assez longtemps, il n'en reste pas moins constant que, même
après cette dernière déduction, 120
les inscriptions inédites d'Athènes dépassent le nombre de
1000, puisqu'elles sont au nombre de 1004
On pourra m'objecter qu'en cherchant bien, on parviendrait à
retrouver quelques-unes de ces 1004 inscriptions dans un livre
publié à Athènes en 1835 sous le titre suivant : L ancienne Athènes
ou la description des antiquités d'Athènes et de ses environs. Mais qui
jamais aurait le courage de se donner une peine aussi infructueuse?
Que tirer de ce gouffre où tous les monuments sont confondus pêle-
mêle, sans explications, sans commentaires, dénaturés le plus souvent
par les plus grossières fautes d'impression , oii enfin ,' il faut bien le
LETTRE DE M. LE BAS A M. GUIGNIAUT. 455
dire, beaucoup d'inscriptions passent pour avoir été forgées au profit
d'un système topographique? Mieux vaut cent fois copier de nouveau
que de tenter un triage dont les résultats seraient nuls et ne pourraient
môme qu'égarer. Pour ma part, quelque grande que soit ma patience,
je ne saurais la pousser jusqu'à ce point. D'ailleurs, ce livre est de
1835 , et un grand nombre d'entre les monuments qui ne (igurent ni
dans le Corpus ni dans le Journal Archéologique ont été découverts
depuis cette époque. Je tiens donc les 1004 inscriptions dont il s'agit
pour inédites et suis convaincu que mon opinion sera partagée par
quiconque aura voulu, comme moi, se rendre minutieusement compte
de l'état des choses.
Sans doute, Monsieur le président, toutes les 1004 inscriptions dont
je parle n'ont pas l'importance du registre des tributs payés par les
alliés, de celui qui contient les comptes rendus par les gardiens du
trésor, de celui où sont énumérées les dépenses occasionnées par les
chefs-d'œuvre dont Périclès avait embelli sa patrie, de cet autre encore
où sont consignés les états de situation de l'Arsenal du Pirée. Je n'ai
jamais rien avancé de semblable. Depuis longtemps j'ai prévenu M. le
Ministre de l'Instruction publique que dans ce nombre était comprise
une certaine quantité d'inscriptions funéraires, et même quelques
fragments plus ou moins insignifiants. C'est, du reste, le cas de
presque toutes les collections de ce genre. Mais ne tirât-on de ces
lOOi monuments que 2 ou 300 documents qui intéressent l'histoire,
ce serait encore une acquisition précieuse, et je puis répondre avec
connaissance de cause, dussé-je être de nouveau contredit, qu'on
obtiendra bien plus encore.
Il s'agirait d'ailleurs d'examiner si toutes les inscriptions attiques
qui ont vu le jour depuis quinze ans ont été l'objet d'un travail suffi-
sant, et si une nouvelle édition de la plupart d'entre elles n'est pas
absolument indispensable. Qu'on voie, pour me borner à un seul
exemple, comment a été traitée dans le Journal Archéologique
d'Athènes l'inscription d'Égine dont j'ai fait, en 1842, l'objet d'une
dissertation spéciale, et, si l'on veut être de bonne foi, on convien-
Ira avec moi qu'une pareille publication ne saurait avoir aucune au-
torité scientifique. Par égard pour l'auteur de ce travail, je ne veux
)as insister ici sur sa prétendue restitution du texte non plus que
(ur les déductions historiques qu'il en tire. Je me borne à constater
jue la copie du monument n'est pas même fidèle. Or, on sait qu'une
transcription peu fidèle, faite par une main peu exercée, embarrasse
)arfois et souvent même égare les archéologues les plus habiles, et
456 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
qu'un monument ne cesse vraiment d'être inédit qu'autant que la
copie qui en est mise sous les yeux du public peut être considérée
comme un fac-similé de l'original; de môme qu'on est toujours en
droit de s'exercer sur ce monument tant que les explications qui en
ont été données précédemment ne satisfont pas à toutes les exigences
de la critique. Qui oserait blâmer M. Welcker.d'avoir, après le Jour-
nal Archéologiqne , reproduit dans le Bheinisches MaseM/n l'inscrip-
tion suivante , conservée au carré d'Hadrien sous le n** 3162 :
EP2HI2
THA0rATPIA0202E0AN0NFAENAI2ENA0HNAI2
EP2HI2rNnTOI2INnA21Ain02ArOOON
surtout après avoir lu la transcription suivante en caractères courants
qu'en donne l'éditeur athénien (p. 302, n° 359) :
Éparjïç
T'riXov narplâoç wç ëQoivov y.leivcx.ïç iv AGvivaiç
Epa'Tj'ïç yvcûToîciv izqlgi Aittoç aTroGoOffa ,
tandis qu'il fallait lire, en tenant compte de certains faits dialec-
tiques :
Ep(77]tÇ.
ÈpGYIÇ yVCÙTOÏGlV TlddL iLr.ovdXTToBov,
Un monument aussi mal lu (l), disons le mot, aussi maladroite-
ment estropié, ne demandait-il pas à être repris et ne justifie-t-il pas
la réflexion du savant professeur de Bonn : Sic isd legunt inscripùones
grœcas! Et certes, ce n'est pas le seul qui soit de nature à provoquer
de sévères critiques. Pour ne pas sortir des inscriptions mé'riques,
je puis signaler encore les n"* 22 , 53,273,287, 302,311,423,
456, 509, 560, 569, 641 , 716, 748 qui tous ont été mal lus (2),
mal reproduits et par conséquent mal compris (3).
(1) Sur la planche lithographique qui est supposée donner le fac-similé de l'in-
scription , on lit à la fin du second vers : rAilAIPOSAPOGOY.
(2) N° G43, une inscription latine a été prisi3 pour une inscription grecque.
(3) Ce qui prouve à quel point le Journal Archéologique d'Athènes mérite peu
d'être considéré comme une publication sérieuse, c'est qu'ici même un archéologue
grec, M. Rizo Rangabé, qui a, pendant les premiers temps, fourni quelques articles
a ce recueil, a cru devoir renoncer à toute coopération et entreprendre une nou-
velle explication, dans un ordre plus méthodique, de tous les monuments Uouvés
LETTRE DE M. LE B/VS A M. GUIGNIAUT. 457
C'est parce que la plupart des copies d'inscriptions attiques publiées
en Europe depuis quinze ans sont dues à ceux qui lisent ainsi les
monuments épigraphiques de la Grèce, c'est parce que, en comparant
ces copies aux monuments, j'ai eu lieu de me convaincre qu'elles
étaient loin d'être fidèles, et que dans les plus importantes, comme,
par exemple, dans celle qui concerne les réparations des longs murs,
les conjectures du copiste ont été insérées par lui dans le texte,
comme si elles faisaient partie du monument; c'est pour ce motif,
dis-je , que j'ai cru devoir, une fois pour toutes , constater par la
transcription et par l'estampage l'état actuel de tous ces documents
historiques, qu'ils fussent déjà publiés ou non. Je persiste à croire
que j'ai eu raison de mettre ainsi à profit mon séjour à Athènes. Si
d'autres voyageurs, envoyés ici comme moi avec une mission archéo-
logique, n'ont pas jugé à propos d'en faire autant, s'ils ont trouvé un
emploi plus utile ou plus agréable de leur temps dans un pays oii il
n'y a pas autre chose à faire lorsqu'on ne dessine pas ou qu'on a un
dessinateur à sa disposition, je suis bien loin de les en blâmer; mais
je puis aussi leur demander d'avoir la môme bienveillance à mon
égard et de me savoir même quelque gré de n'avoir pas reculé devant
une tâche pénible dont l'accomplissement ne peut qu'être utile à la
science.
en Grèce depuis la régénération de ceUre contrée. Ce travail estimable et qui dé-
note beaucoup de connaissances et de sagacité est digne de l'aUention de l'Acadé-
mie , à laquelle l'auteur m'a chargé de faire hommage à mon retour d'un exem-
plaire de tout ce qui a paru jusqu'à présent. L'impression a atteint len° 248 et n'a
pas encore dépassé la première section qui doit contenir tous les actes promulgués
entre l'olympiade 80 et l'olympiade 94.
Athènes, le 34 juillet 1S44.
FIGURINE DE BRONZE
DU CABINET DE M. LE VICOMTE DE JESSAINTi,
PAIR DE FRANCE.
De toutes les figures de bronze que nous a laissées l'antiquité, les
plus rares, sans contredit, sont celles qui représentent des particu-
liers. Je ne parle pas des bustes, mais des images entières, surtout
de celles qui sont exécutées en petit. La raison de cette rareté est,
en premier lieu, que l'exécution d'un portrait réclame le talent d'un
artiste habile ; que, dans l'antiquité, les artistes ne furent jamais bien
nombreux, et que peu de particuliers pouvaient faire les sacrifices
d'argent nécessaires pour mettre à leur service un ciseau consacré à
la reproduction du type idéal de Jupiter, de Vénus ou d'Apollon ;
quant aux artistes médiocres, aux artisans, ils préféraient sans doute
copier à la douzaine les statues célèbres des dieux et des héros ; il
ne s'agissait plus pour eux, dans ce cas, que d'imiter une attitude
bien connue qui suffisait pour déterminer l'identité du personnage.
Si l'on avait quelque vœu à accomplir, quelque offrande intéressée
à déposer dans les temples, plutôt que de faire faire sa propre image,
on aimait mieux dédier une statue de dieu, même d'un dieu diffé-
rent de celui que l'on voulait implorer ou remercier, comme l'a fait
voir M. Letronne (1).
En second lieu, les portraits de particuliers n'offraient souvent,
après quelques générations, aucun intérêt, et s'ils étaient de métal,
ils échappaient bien difficilement à la fonte, genre de malheur que
le marbre n'avait pas du moins à redouter. II en fut de même au
moyen âge, temps pendant lequel les représentations de Dieu , de la
Vierge et des Saints étaient transmises de siècle en siècle, et toujours
conservées par les fidèles.
La découverte de la figurine, dont M. le vicomte de Jessaint vient
d'enrichir sa collection, est donc un fait digne de remarque. Ce mo-
nument fut récemment trouvé dans l'Aisne, à quelque distance de
Soissons ; sa hauteur est de onze centimètres, et il est fait de bronze
(1) Voyez ci-dessus ; p. 439.
I
I
FIGURINE DE BRONZE. 459
jaune recouvert d'une belle patine brune. Les yeux sont d'argent, et
toute la figure est exécutée avec un soin qui en fait un morceau pré-
cieux , indépendamment de fintérôt qu'elle excite sous le rapport
archéologique.
Le personnage que représente cette figurine est assis sur un siège
dont les pieds manquent; il a les cuisses et les jambes recouvertes
par une draperie , dont l'extrémité tombe derrière le siège» La tête
offre une expression douce et souffrante. Un des pieds est nu et posé
seulement sur une sandale, l'autre est complètement chaussé.
Ce qui rend cette figure extrêmement remarquable, c'est l'état de
maigreur extraordinaire des bras et du torse qui laissent Voir tout le
système osseux. Une créature humaine ne peut être amenée à cette
élisie surprenante qu'après une maladie fort longue et fort grave,
telle, par exemple, que la phthisie pulmonaire. On s'aperçoit bien fa-
cilement que l'artiste a découvert toute la partie supérieure du corps
pour mettre en évidence celte effrayante maigreur.
La gravité maladive du visage, le soin avec lequel les cheveux et les
yeux sont traités, excluent l'idée d'une caricature, car on a des exem-
ples d'empereurs, d'acteurs, de divinités même, dont les imperfections
étaient ridiculisées avec une extrême liberté (l). Parmi les infirmités
qui prêtaient à la raillerie, on peut compter la maigreur, témoin les
misérables infibulés , dont Winckelman a publié le dessin (2) , mais
l'attitude grotesque de ces figures les distingue complètement de la
nôtre.
Celle-ci paraît avoir été faite par ordre d'un malade qui voulait
consacrer dans le temple d'un Dieu sauveur, Apollon ou iEsculape,
le souvenir de sa guérison, plus heureux que Phayllus, général pho-
céen, dont parle Pausanias qui, s'étant vu en songe aussi maigre que
le squelette de bronze dédié par Hippocrate dans le temple de Del-
phes (3), ne tarda pas à tomber dans une maladie de langueur qui
réalisa bientôt ce que lesongeavait présagé, etleconduisit au tombeau.
(1) Winckelman, Monumenti incdili, n" 190. — Lenormant, Mémoire sur les
caricatures de Caracalla conservées dans le musée d'Avignon ; Nouvelles an-
nales de l'Inslilut archéologique , t. Il , deuxième partie. — J. de WiUe, Calalo-
guc de la collection Durand, n» 1G85 à 1G92, 069 el G70. — Le même, Expli-
calion d'une amphore à svjel comique, annales de l'inst. archéol. de Rome,
t. XIII , p. 303. Voy. la parodie de l'anivée d'Apollon à Delphrs gravée en lète de
la Ihèse do M. Lenormanl : cur Plnto Aristophanem in convivium induœerit; 1833.
(2j Monumenti inedili, n° 188,
(1) 'Ev toTç àva0v7/u.a!7i tou 'AttcJW.wvos fjLÎfi-^ixa. vj-j j^a^xou p^povtwT^pou, y.aTspp\)Y)/.àTOç te
^'5>j TKç aipx.«,i, xat xà ostSl uTToAeiTro/Asvou fxôvx» Paus. Phocid., II, 10.
460 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. ^
Sur le devant de la draperie, se lit une inscription en caractères
formés de points :
CYAAMIAAC
nePAlK
On doit sous-entendre ANE0HKEN, et traduire : Eadamidas , fils
de Perdiccas , a dédié cette figure.
C'est donc un ex-voto du genre d3 ceux que le christianisme a
rendus si communs ; mais je ne connaissais d'autre monument antique
de cette classe que la jambe de plomb suspendue à une chaîne d'or
que Linck avait rapportée de Grèce.
Cette statuette, trouvée au centre de la Gaule, ne saurait y avoir
été fabriquée, mais elle a pu y être apportée comme une singularité
intéressante à l'époque où les mœurs romaines, et avec elles le goût
des collections, se répandirent dans notre pays.
Les caractères sont tracés de manière que l'on ne sait, au premier
abord, s'il faut lire EYAAAAIAAC ou EYAAMIAAC. Sans la petite
distance qui existe entre les jambages intérieurs de l'M, ce qui semble
en faire deux lambda, je ne penserais pas au premier de ces noms
qui est, autant que je puis le croire, tout à fait inconnu, tandis que
l'histoire et les monuments nous ont conservé le souvenir de plusieurs
Eudamidas. Car, sans compter ce Corinthien si confiant en amitié, et
dont Lucien a rendu le testament célèbre (l), on connaît deux rois
de Sparte (2) q^i portaient ce nom, ainsi qu'un vo/jLO(puXaç de la môme
ville (3), et ce chef lacédémonien, frère de Phœbidas, qui fut mis i la
tête de troupes envoyées en'Thrace pendant la guerre contre les Olyn-
thiens (4).
D'ailleurs, ce noni ^st un dérivé régulier d'Eudamus, nom connu
aussi bien que celui d'Eudames (5). Perdiccas est un nom que l'on
(1) Lucian. ToxariS , 22. 'ATro),ei7rw 'ÂpzrxOji /asv tyjv inriripa. iiom rpzfst'jxxi yripo/.o-
li.sii>, XapiÇévw ^s T^îv 6\)-/scTépoc /aou i/.Sovvxi p.s.xv. irpoixài , OTcdff/jv «v Ti}.zisTr,v sTCtcoOvat
Ttxp^ aUToO ÙXJJYjTOCt.
(2)Pulyb., IV, 35, 13. — Plut. tn^âfïd.,c. 3. — Pausan, III, 10,5.
(3j Inscription trouvée à Sparte près du théâtre et de la tour méridionale. Bœckh,
rMol., p. 616. n' 12i0. V.deox autres personnages du même nom dans les inscrip-
tions découvertes au théâtre et prés du temple de Lycurgue. Ibid. , p. 623, n° 1249
et p.G:>8, n° 125G.
(4) Xeuoph. tiisl. grœc, lib. V, c. ii , 24. — Dio'J.Sic.,lib. XV, xx, 3; xxi, 1.
(5) Aristoph. PI. 884 Eudamus, philosophe qui vendait des anneaux magiques.
— Cf. Mioniiet. Ces noms se trouvent sur des médailles de Cos et de Smyrne. V. aussi
Muratori, MXXVII, 1. L'inscription d'Eudamus, fils de Castor. ^ Cf. Diog. Laert,,
IV, 30, 31.
FIGURINE DE BRONZE. AGI
peut dire exclusivement macédonien , et qui se rencontre rarement
dans les écrivains anciens, mais il a pu être porté à Alexandrie, et de
là transporté à Rome.
1! est assez difficile de déterminer le pays oii cette figurine a été fa-
briquée; quant à l'époque à laquelle vivait Eudamidas, je crois qu'elle
a dii précéder de bien peu l'ère chrétienne. La coiffure de ce person-
nage est tout à fait celle d'Auguste; je dois faire observer, en outre,
que l'on aperçoit aux extrémités des jambages droits des lettres de
1 inscription (voyez pi. xiii, le fac-similc placé au-dessous de la
figure) de petits traits que les paléographes appellent apices , genre
d'ornement qui s'est introduit vers le 1'"' siècle, avant Jésus-Christ,
mais seulement, comme le remarque M. Letronne (l), dans l'écriture
des inscriptions sur pierre ou sur métal, car il nen reste aucune trace
dans celle des manuscrits d'Egypte ou d'Herculanum.
Il est fort étonnant que fartiste à qui l'on doit Yex-voto d'Euda-
midas, et qui a su modeler le cou, le dos, le bas-ventre et les bras
avec un talent anatomique vraiment irréprochable, n'ait pas su
comment s'attachaient les côtes et n'ait nullement indiqué le ster-
num. Un petit squelette de bronze conservé dans le musée Ktr-
cher (2) présente la même singularité ; sept côtes de chaque côté
viennent se joindre entre elles sans sternum ni fausses côtes.
Cet oubli dénote, chez les artistes de f antiquité, l'absence d'études
ostéologiques , et le fait est que les représentations de squelettes
sont très-rares. Cela tient à ce que, bien difïérents en cela des chré-
tiens du moyen âge, les anciens avaient horreur de la mort; si, à
une époque, comparativement récente, on voit Trimalcion faire
apporter à ses convives, au milieu d'un festin, un squelette d'ar-
gent, il faut considérer cette action comme un raffinement de dé-
bauche d'un homme blasé qui avait emprunté à la civilisation cor-
rompue des Égyptiens (3) ce moyen d'excitation , et que la peur de
cesser de vivre stimulait à abuser de la vie.
Adrien de Longpérier.
(1) Explication d'une inscription grecque trouvée dans l'intérieur d'une statue an-
tique de bronze. Paris, 1843 , p. 33.
(2) Ficoroni , Gemm. anliq. lillerat , Rome , 1758 , pi. YIII , n° 4.
(3) Hérodole, H, 78. 'Ev Zi rv^Tt awovrji-çat. roXui sÙSoi.Iixo'jL «utîwv, sTreàv àitô Ssîtcvo^j
yévwvTKt, izzpifipst àvTipvexpbv h nopco |û/tyov Tzi-TzovniJ.i'JQ-j , fMciJ.ifJLniJ.i-jO'J i$ rà fj-ûXiarx xai
ypy.f^ xal ipyoi' fj.iyoiOoi ô-ia-j rs TrâvTv? 7r/;x'J«'ov, ri êi7fr,yyj' ûstzvùj Ss é/.ôiarw twv eu/ATto-
Tswv, Hysi, Eç TOUTOv épswv, ttîvs ts xy.tTêjOTrcU* sffsat yscp aTroQavwv zoio'ùroç.
SUR
ME AIVCIEMNE PEmiURE SYMBOLIQUE
DE L'ANNONCIATION
»E LA BIBLIOTHÈQUE DE WEIMAR,
( Voir la Planche 14.)
Nous donnons ici la gravure d'un tableau fort curieux de la biblio-
thèque ducale de Weimar, qui nous a paru mériter l'attention de
ceux qui s'occupent d'iconographie chrétienne. Quoique cette gra-
vure ait été déjà publiée par Bertuch, dans le sixième volume de son
recueil périodique intitulé, Curiositàten der pJiysisch-lilerarlsch-arliS'
tisch'historischen. Vor md-mitmelw {Weimar, 1817), nous avons
jugé utile, maintenant que les études sur la symbolique du moyen
âge sont approfondies davantage, de la reproduire et d'en faire l'ob-
jet d'un examen plus détaillé et plus sérieux.
Le style et la manière de ce tableau nous font reconnaître la main
d'un artiste allemand de la fin du XV^ou du commencement du XVP
siècle , époque qui nous est indiquée d'ailleurs, par l'armure d'un
guerrier à genoux sur une toison, et que l'inscription de la bande-
role située dessous, nous apprend être Gédéon.
Devant une porte fermée, porta clama, ainsi que le dit la bandelette
qui s'étend dans sa largeur, est une jeune fille agenouillée, aux che-
veux blonds flottant sur les épaules, et la tête surmontée d'une au-
réole. A sa physionomie qui respire la douceur et la piété, qui rayonne
d'une purelé céleste, il est aisé de reconnaître la Vierge Marie, celle
dont saint Épiphane a dit : «Sur ton front brille un rayon céleste; le
Christ t'illumine comme un soleil (l). » Elle est vêtue d'une robe de
couleur brune, semée de fleurs d'or; un manteau vert est jeté sur
ses épaules. Elle est assise au milieu d'un parterre de fleurs entouré
d'une enceinte à l'intérieur de laquelle s'élève aussi la porte close. Sur
son sein repose une licorne qu'elle caresse de la main et qui franchit
l'enceinte, en s'élançant dans son giron. En dehors de cette même en-
ceinte, et en face de Marie, est un ange qui s'annonce tout de suite
pour être Gabriel. Il est en habit de chasseur; sa tunique est verte
(1) De laud. beat. Virg. ap. Oper. éd. Petavii , t. II, p. 298.
ANCIENNE PEINTURE DE L' ANNONCIATION, 463
semée d'or, son manteau est écarlate et ses ailes rayonnent de mille
couleurs. Du bras droit, il porte une lance ou plutôt un épieu; de la
main gauche il sonne du cor. Du pavillon de l'instrument s'échappe
une banderole portant ces mots : Ave, gralia plena, Dominus tecum.
De la main droite, il tient en laisse quatre limiers retenus par des
cordons rouges attachés à leurs colliers verts. Deux de ces chiens
sont brun noir, le troisième est brun clair, et le quatrième blanc. De
leurs gueules s'échappe à chacun, une bandelette sur laquelle est écrit,
pour les deux premiers, verilas eijuslilla, pour le troisième, miseri-
cordia, pour le quatrième , pa^. Ces quatre animaux sont dans l'atti-
tude du repos, ils regardent la haie de ïhorlus conclusus ( on a écrit
ortus suivant l'ancienne orthographe). Au devant de la Vierge, sont
inscrites dans une banderole les paroles de la salutation angélique :
Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verhum tuum , qui, réu-
nies à celles prononcées par Gabriel, nous indiquent avec certitude
que le sujet représenté par le peintre, est l'annonciation. Il y a en
outre autour du tableau une foule d'autres inscriptions sur des phy-
lactères ; à savoir aux pieds de l'ange : quasi oVwa formosa exallala est
in cawpis; aux pieds de la Vierge, Porta Ezechielis et Porta aurea; au-
dessous de Gédéon, sur le second plan, vellus Gedeonis (on a écrit
wellus, suivant l'orthographe allemande); au-dessus d'une ville et
d'une tente dressée devant la .ville, Archa Domini; sur le même plan,
Fons hortorum, puteus aquarurn viçentiam; cette inscription est auprès
d'une fontaine dont l'eau s'échappe par trois conduits, et non loin d'un
puits placé entre cette fontaine et la ville. Sur le plan postérieur à
celui du puits, un autel sur lequel brûlent huit cierges, et au milieu
desquels s'élève la verge d'Aaron qui fleurit, v/r^a^aron, ainsi que
l'annoncent ces deux mots écrits sur l'autel. Le long de l'enceinle, à
peu près sur le même plan que cet autel, sont plusieurs phylactères,
sur lesquels on lit : Turris eharnea, urnaaurea; sicut lilium interspinas
sic arnica mea inler fîlias ; cum creavit me requieçit in tahernaculo meo.
Au dessus de la porte close est le buste de Dieu le père, placé
dans une couronne de chêne; il ouvre les deux bras, et de sa poitrine
s'échappent des rayons lumineux sur lesquels s'élance l'enfant Jésus,
nu, nimbé, et portant sa croix. Les rayons se dirigent vers Marie, et
à leur extrémité, on a peint la colombe divine, la lêle surmontée de
lauréole et volant droit à l'oreille de la Vierge. On lit sur une bande-
lette placée dans la même direction: Veni, auster, perfla hortam et
fluant aromata.
L'artiste avait ainsi réuni dans son tableau, presque tous les symbo-
464 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
les sous lesquels la mère du Sauveur était représentée. En eflet, ces di-
verses inscriptions sont autant de passages tirés des Écritures , qui
s'appliquent à Marie. Les expressions : Sicut lilium inter spinas, ut fons
horlorum, putms aquarnm vwentiam, Veni, ausler, perfla ortam, etc.,
horlas conclasiis, turris ehurnea, sont empruntées au Cantique des
Cantiques (l), et étaient regardées comme autant de métaphores
prophétiques, par lesquelles la Vierge avait été désignée.
Marie est la fleur éternelle, suivant les expressions de saint An-
selme (2), /?os œlerms; c'est la fleur des champs d'oii est sorti le lis
précieux de la vallée, flos campi de qiio orlam estpretiosum UUamcon-
çallium (3), le puits des eaux vives (4), la fontaine qui étanche la
soif de tous ceux qui sont altérés (5), le lis qui fleurit au milieu des
épines (6); la tour d'ivoire, qui se dresse entre toutes, comme un
monument de piété inaccessible au vice comme le perpétuel triomphe
de la vertu dont elle est la récompense (7) ; le parterre que vient ra-
fraîchir le souffle divin du zéphyr (8) ; le jardin fermé d'où s'échappe
la source divine dont les eaux fécondent le monde (9).
La toison est encore une image de Marie , car le Psalmiste s'est
écrié (lO) : Descendit siciitpluvia invellus ; paroles qui ont été appli-
quées à Marie par saint Ephrem (11), saint Bonaventure (12), saint
Bernard ( 1 3), Richard de Saint-Victor (l 4) et St. Jean Damascène (1 5).
C'est également à Marie que se rapportant ces paroles de l'Écriture :
(I) Cantic. Cantic II, 2; IV. 12, 16, 15; VII, 4.
(?) In Hymn. I in beat. Domini geneiric. Mar.
(3) S. Augustin , Serm. 2 de Annunt. beat. Mariae, 12.
(4) S. Hieronym., Serm. de Assumpt. beat. Mari», 4. SMIdephons., Serm. 1 de
Assuinpt. beat. iMariae, 10.
(6) Psaller.beat.Virgin.PS. 81,v.3,ap. Oper. S. Bonavent. T. VI.(BernaB, 1696.)
(6) « Liliiira inter spinas , quia de spinosa propagine Judcorum nala candcscebat
« munditia virgineae caslitatis in corpore , flammescebat aulcm ardore gemmœ cha-
« rilatis in mente, fragrabat passim odore boni operis, etc. » S. Petr. Damian.
Hom. in naliv. beat. Virgin.
(7) « Turris eburnea, vere praeposita cunctis in exemplum sanctimoniae, circura-
« posila singulis in praesidium pugnae, superposila omnibus, in speelaculum glo-
« riaî , reposita universis légitime certantibus in praemium coronœ. » Hclinandus
Cisterc. Serm. 2, in naliv. beat. Virg.
(8) « Hortus conclusus quera auster Spirilus Saneti adventu visitât pleniore- >•
Philippus abb., lib. IV, in Cantic. Cantic. c. 29.
(9) Joan. Gerson. Serm. in cœn. Domini.
(10) LXXI, 6.
(II) Serm. in laud. beat. Virgin, ap. Oper. éd. Assemani, t. III, p. 57.'>.
(12) Psalt. in beat. Virgin. XL, 2.
(13) Serm. 3 sup. Salve regina.
(î'i) Exposit. in Cantic. Cantic. c. 42.
(15) Orat. de nativ. beat. Virgin. III. 21.
ANCIENNE PEINTURE DE l'ANNONCIATION. 465
Quasi oliva speciosa, exaUata est in campis (l). L'urne d'or, l'arche
du Sauveur, sont autant d'emblèmes de cette iemme incomparable :
Salut, urne d'or qui contient la manne, dit en l'invoquant, saint
André de Crète (2) : Uriîe d'or qui porte la manne , c'est-à-dire le
Christ, écrit saint Chrysostome (3) : Urna aurea de lato nostrœna-
tarœ producta quœ in se recondilam halmit manna cœlestis gratiœ ,
lit-on dans Pierre Comestor (4) : Arche du Sauveur qui a une âme
et une intelligence, dit saint Jean Damascène (5); KtêwToç toO
Ô£gt:6tov, trouve-t-on dans une homélie de saint Chrysostome (6) ;
tu arcapielatis etgïoriœ, écrit, dans son concert de louanges à Marie,
le mystique saint Bonaventure (7).
La porte close qui occupe le milieu du tableau et à laquelle se rap-
portent aussi les titres de Porta Ezechielis, Porta Aurea, est un autre
symbole de la Vierge. Cette porte fait allusion au passage d'Ezé-
chiel : Et convertit me ad viam portœ sanctuarii exterioris , quœ respi-
ciehat adorientem et erat clausa. Et dixit Dominas ad me : Porta hœc
clausa erit : non aperielur et vir non transibit per eam : quoniam Do-
minus Deus Israël ingressus est per eam, erilque clausa (8). Elle est à la
fois l'image de la porte du ciel (9) et de celle par laquelle le Seigneur
est venu visiter son peuple; c'est l'emblème de la conception. Écou-
tons plutôt saint Éphrem s'écriant : Ai^e, porta cœlorum, açe, porta-
ram cœlestis paradisi reseramentam , et il ajoute ailleurs (10):
Claires nias portœ orientalis semper clausœ non excussit Deus creator
iuus, in virginali tuo utero sine semine carnem indulus{i 1 ). C'est la porte
fermée par laquelle est entré Jésus : Jésus enim clausis ingressus est
(1) Superbe olivier qui porte un fruit i^Iorieux et dont la fleur exhale un délicieux
parfum. S. Joan. Chrys. Orat. VII. in dom. Deipar. 14. k Oliva speciosa qui pukhra
« in ramis, in foliis et fructibus. » Jacob, a Voragine in Mariai. Serm. 3. Cf. Joan.
Gerson. Tract. IX snp. Magnificat-
(2) S. Andreœ Cictcnsis Serni. in Anuunt. beat. Mariae , éd. Combefis, p. 3.
(3i Orat. Vil in sancliss. Deipar. 14.
(4) In Serm. de concept, beat. Virgin.
(5) Orat. III de Assumpt. beat. Virgin. 19.
(G) Serm. in sanct. Virgin, et Deipar. ap. Opéra éd. Montfaucon, t. VIII, p. 237.
(7) Gîintic. ad beat. Virgin, ap. Oper. T. VI, p. 516.
(8) IV, U2.
(9) « Porta orientîUls , ut ait Ezechiel, semper clausa et lucida, openens m se ,
« vel ex se proferens sancta sanclorum per quam sol Jusliliae et Ponlifex noster
« secundum ordinem Meichiscdech ingredilur el egrodilur. » S. HIeron. Ep. 30 ad
Pammach. pro" libr. adv. Joviiiian. ap. Oper. T. V, col. 2il. (Opéra, ni6,
Paiisiis , in-fol.,)
(10; Serm. de sancliss. Deipar. virg. Mar. T. III, p. 570 ap. Opéra,
{U) Ibid.,\). 575.
466 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ostiis. Hortus conclusus, forts signalas, écrit saint Jérôme en faisant
allusion au verset du Cantique des Cantiques (l),
La verge qui fleurit sur l'autel, c'est celle d'Aaron -.gracieuse
image de Notre-Dame : Ero quasi ros, Israël germinahit sicut Uliam
et erumpet radix ejus ut Libani, dit le prophète Osée (2). Ce sont les
Pères qui se sont tous accordés, pour expliquer ainsi la miraculeuse
fleuraison de la baguette d'Aaron, cette verge qui, comme Marie, a
fleuri àvUa(ùç (3). Virga Aaron frondens et fructam faciens , dit saint
Augustin (4). Virga Aaronis viridans, dit saint Ephrem (5). Virga
Aaron de qua sinis omni lœsione prodiit nàscendo flos Christas , écrit
Hugues de Saint- Victor (6). Virga Aaron quœ frondait^ floruit et fruc-
tificaçit sine opère humano, dit saint Antonin (7). C'est aussi la verge
de Jessé (8) qui joue un si grand rôle dans l'iconographie chrétienne
et qui a été le type de tant de légendes (9).
Et comme cette fleur est l'emblème de Marie, le peintre l'a aussi
placée au milieu d'un parterre de fleurs ; car Marie est la fleur des
fleurs, flos florum. Ces fleurs sont là, pour faire allusion au passage
du Cantique des Cantiques : Flores apparuerunt in terra noslra, tempas
putalionis adçenit (10).
Mais arrêtons-nous surtout au symbole qui forme le sujet prin-
cipal de ce tableau, à la licorne et à l'ange chasseur. L'animal est
poursuivi par Gabriel, et il se réfugie sur le sein de Marie: voilà une
allusion à une antique croyance populaire relative à cet animal fabu-
leux (il). Écoulons-la, telle que nous la trouvons consignée dans le
traité intéressant des propriétés des bêtes extraites du neuvième livre
du Roman d'Alexandre, et publié par M. Berger de Xivrey : a Ceste
besle est si forte qu'elle ne puisse estre prinze par la vertu des ve-
neurs, sinon par subtilité. Quant on la vieult prandre , on fait venir
une pucelle au lieu où on scet que la beste repaist et fait son re-
(1) s. Hieronym. Epist. 30 ad Pammach. col. 242.
(2) XIV, 6. ^
(3) Soû«uT-^5 (tt^v 4"^x^^) 'A«/5wv p5c65ov àvt'x/Aw jSAsco-Tvjoraffav lûijoaxs. S. Athan. Ûrat.
in occurs. Domini , c. 16 , ap Oper. éd. Gong. S. Maur. T. II, p. 423.
(4) Serra. IX ad fratr. in Her. Erera.
fô) Serm. de laud. sancliss. I3eipar. \irg. Mar. p. 676.
(6) Annotation elucid. S. Joan.
(7 Summ. Part. III, 31, c. 3.
(8)Isaie,XI, 1.
(9) Voyez mon Essai sur les Légendes pieuses , p. 76.
(10)11,1?.
(Il) Fabuleux! On sait qu'on prétend aujourd'hui avoir retrouvé ce célèbre ani-
mai ; mais nous doutons encore et attendons confirmation.
ANCIENNE PEINTURE DE L'ANNONCIATION. 467
peire. Si la licorne la veoyt et soit pucelle, elle va se coucher en son
giron, sans aucun mal lui faire el illec s'endort. Alors viennent les
veneurs qui la tuent au giron de la pucelle. Aussi si elle n'est pu-
celle, la licorne n'a garde d'y coucher, mais tue la fille corrompue et
non pucelle(l). » La licorne indique donc ici l'innocence, la virginité
de Marie. Cet animal était devenu , d'après la fable que nous citons,
le type de la pureté. Cette attribution et cette fable remontent sans
doute l'une et l'autre, à une haute antiquité, puisque chez les Perses,
la licorne était un symbole du règne entier des animaux purs,
tandis que le fantastique martichoras était à la tête des animaux im*
purs (2).
Mais en même temps que la licorne apparaît ici comme emblème
de la virginité, elle est aussi l'image du Sauveur, l'homme pur par
excellence. C'est ce que nous apprennent plusieurs passages des
Pères. On lit par exemple dans saint Chrysostome : « Les licornes sont
les justes, et far-dessus tout Jésus-Christ qui combat contre ses ad-
versaires avec sa croix comme avec ,une corne ; celte corne est
celle dans laquelle repose notre confiance (3). » Saint Basile nous dit
que la licorne est l'emblème de la force et que la licorne est la force
du Père (4). On lit dans un écrivain scolastique, moins célèbre que
ces deux Pères : « Dilectus quasi filius unicornium. Quid filio Dei
(( similius quam filius unicornium? Captus est et ipse araore virginis
<( etmajestatis oblitus, carneis vinculis irretitur (5). » Ici l'allusion à
la croyance vulgaire est évidente ; elle reparaît dans ce verset du can-
tique à la Vierge de saint Bonaventure : «Benedicta sit Domina et
(( mater Dei Israël qui per levisitavitet fecit redemptionem plebis suae
ce et erexit unicornu salutaris castitatis tuae ((i). »
Au moyen âge,, ce rôle symbolique de la licorne était devenu po-
pulaire. Philippe de Thaun dit, à ce sujet, dans son Bestiarias :
Monosceros grui est , en françois un corn est;
Besle de tel baillie Jhesu Crist signifle
Un Dell est et serat et fuet el parmaindrat
En la Virgene se parut et Virgene le conceut
Virgene est et serai et tuz jurz parmaindrat
{Apud T. Wright, Popular Ireatises, on science wrillett
during Ihe middle âge, p. 86.)
(1) Traditions tératologîques , p* 559.
(2) Cf. Creuzer, Religions de l'Antiquité , trad. Gnigniaut , t. I , p. 340.
(i) S. Chrysostoni. Spuriain Fsalm. XCI. ap. Oper. ed Monlfaucon. t VII, p. 778.
('i) Homil. in Ps. XXVIII ,c. G, ap. Oper. ed. Garnier, t. I, p. 120. Cf. Beda in
Psalm. LXX, 1. Isidore Hispalena Origen. Lib. XII, c. 2.
(6) S. Thomas Villannvus in rialiv. Domin. Cône. 4.
(6) Cantic. ad beat. Virgin, ap. Oper. 1. c. p. 515.
468 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
Le minnesinger Conrad de Wurzbourg tient le même langage,
quand, parlantde l'incarnation du Christ, il s'écrie: «Que cherches-tu
au sein de Marie : cs-tu, comme la licorne, cette bête farouche qui,
aux aboîs, fuit vers la Vierge (1)? »
Il est clair, d'après ces passages, que cet animal était à cette époque
l'emblème du Christ. C'est à ce titre qu'il figure sur certains chapi-
teaux des églises romanes et gothiques, et notamment sur un de ceux
de saint Regnobert de Caen, où l'on voit la licorne poursuivie par un
chasseur, se réfugier sur le sein d'une jeune fille (2). Image souvent
répétée et qui a fourni à plus d'un poëte de ces temps , d'heureuses
comparaisons, comme on le voit, entre autres, par cette chanson du
trouvère Pierre de Gand ;
Ausi com l'unicorne suis
Rc s'csbahil en regardant
Quanl la pucellc vait mirant ,
Tant est de son anuit ,
Pasmcc chiét en son giron ,
Lors roccist-on en ttaixon ,
El moi ont mors d'duleil semblant
Amors et ma dame por voir
Mon cuer ont, n'en puis poenl avoir.
Ap. Arlh Dinaiix, Trouvères , Jongleurs et Ménestrels du nord
de la France , t. H, p. o43.
Citons aussi ces vers naïfs du minnesinger Rumslant :
Ein Thicr hal greulichen Zorn
Dcss aile Jœj^er grauet ; das ist das Einiiorn.
Man jagl'es lang uiid durfl's nichl fahen ,
Doch Cng es, wie man mir gf'sagt,
Ganz eine und lauter, einc magd.
Et legt sich in des .^lœgdleins schoos ,
Und gab slch ilir gcfangen.
Maners, Minnesinger-Samrnlung, l, 22 i.
Un autre minnesinger, Hohenfels , a fait une allusion analogue
dans ces deux vers :
Das Rinhorn in der niœgde Schoos
Giebt der Keuschheit seinen Leib.
Maners , o. c. I, 84.
Dans plusieurs anciens zodiaques la vierge est accompagnée d'une
licorne, toujours par la même intention symbolique.
L'animal ifabuleux est donc le Christ qui choisit Marie, parce qu'elle
[i) Maners , Minnesinger-Sammlung , II , 201.
(2) Cf. Delarue , Essai hislor. sur Caen, l I, p. 99.
ANCIENNE PEINTURE DE L*ANNONCIA.TION. 469
est la plus pure. Gabriel est le chasseur qui la poursuit; il donne du
cor, comme pour annoncer l'arrivée du Seigneur et faire ouvrir la
porte close. Ainsi jadis, au pied de la tourelle du manoir féodal,
l'écuyer annonçait le retour de son maître. Les chiens s'arrêtent
d'étormement devant la Vierge qui a servi de refuge à l'animal. Ils
annoncent le règne de la vérité, de la paix, de la miséricorde et de
la justice, ou plutôt ils adressent ces mots à celle que les pères ont
pro«lamée : Pax mundi (1) , pax Dominl (2 , Oupavtoç slpTivn (3),
Veritas prophelarum (4), misericordia ipsa (5), juslitia perfecta (6).
Pour achever l'examen de cette composition symbolique, il nous
reste à parler du rayon lumineux et de la colombe qui se dirige vers
l'oreille de Marie. Cette particularité se rattache à une croyance cu-
rieuse, et, à ce qu'il paraît, jadi.s fort répandue; aussi a-t-elle été sui-
vie par un grand nombre de peintres qui ont traité le sujet de
l'annonciation. Raphaël, entre autres, dans un de ses tableaux re-
présentant la salutation angélique, a observé les mêmes détails : la
colombe est près de l'oreille de la Vierge, et de son bec s'échappent
des rayons qui se dirigent vers cet organe. Dans un autre de ses ta-
bleaux, où l'on voit le même sujet et dans lequel Dieu le Père est
également représenté en buste sur le dernier plan, la colombe est plus
éloignée, mais elle prend la même direction. Nous pouvons citer,
comme ayant adopté le détail en question, Angélico de Fiesole, Ho-
race Gentileschi, Vasari, Guido Reni, Solimene; plusieurs graveurs
de l'école allemande, tel que Hans Schaufelein, Hans Springinklee,
Lucas de Leyde, s'y sont aussi conformés.
La croyance que nous venons de rappeler, est celle dans laquelle
on admettait que la Vierge avait conçu par l'oreille, croyance que
l'on étayait de certains passages d écrivains sacrés, tels que celui-ci de
saint Augustin : « Deus per angelum loquebatur et Virgo per aurem
« impraegnebatur (7) ; » ou celui-là de saint Ephrem : « Quemad-
« modum ex parvulo sinu illius auris ingressa et infusa in mors; ita
(cet per novam Mariae aurem intravit, atque infusa in vita (8). »
(1) s. Ephrem, Serm.de laud. Virg. ap.Oper., p. 297.
(2; Albert. Magn. sup. Missus est, c. 121.
(3) S. Epiphan. de laud. beat, virgin. Marias , ap. Oper. c. p. 300.
(4; S. Bana\ent. Cantic. ad beat. Yirgin. ap. Oper., p. 5lG.
(6) Albert. Ma^n sup. Missiisest, c. 195,
(6) Origcn. Humil. l, in divers., 14.
(7) Serm. de teriipor. 2?.
(8) Cf. Cal Ixti Mariae virgiiiis immaculalae concept., p. 134. Fenstel, Miscellan.
sacra, p. 195.
I. 31
470 REVUE AHCHÉOLOGIQUE.
Dans le Bréviaire des Maronites, on lit cette formule : « Verbum
« Patris per aurem benedictje intravit;» et Agobart s'écrie en termes
semblables : « Descendit de cœlis missus ab arce Patris, introivit per
a aurem Virginis in regionem nostram, inductus stola purpurea et
« exivit perauream portem lux etDeusuniversaefabricae mundi(l). »
On s'explique maintenant la particularité de notre tableau, qui, du
reste, est rendu dans d'autres compositions plus anciennes, souvent
d'une façon plus frappante. Par exemple, à KIosterneuburg, sur le
parement d'autel, qui date du XIP siècle, et qui est dû à Nicolas de
Verdun, on voit l'ange Gabriel étendant la main droite vers Marie,
et de l'extrémité de ses doigts s'échappent des rayons qui se rendent
vers l'oreille de la Vierge (2). Sur un ancien vitrail de la sacristie de
Pistoje, voici comment on avait figuré le môme sujet : Devant la
Vierge, qui lisait l'office, était un jeune homme ailé, et dans un des
angles du vitrail, une colombe du bec de laquelle s'échappaient des
rayons lumineux, entre lesquels était peint un petit enfant; ces
rayons pénétraient dans l'oreille de Marie (^3). C'est cet enfant Jésus
que nous retrouvons ici dans notre tableau. Au-dessous on avait
écrit :
Gaude virgo mater Chris ti
Çuœ per aurem concepisti.
en sorte qu'il n'y avait pas moyen de douter de l'intention et de la
croyance de l'artiste. Cette strophe est au reste empruntée à une
hymne qui est attribuée à Saint-Thomas Becket.
M. Hyac. Langlois a cité dans son Essai sur la Calligraphie (4),
les vers suivants qui se lisent dans un exercice spirituel avec gravures
en taille-douce, daté de 1654, et dédié à madame la chancelière
Seguier :
Réjouissez-vous, vierge et mère bienheureuse
Qui dans vos chastes chants, conceules par l'ouyr,
L'Esprit sainct opérant d'un très-ardent désir,
Et l'ange l'annonçant d'une voix amoureuse.
On voit qu'il n'y a pas encore bien longtemps que de pareilles
puérilités se glissaient parmi les croyances chrétiennes. Cette concep-
(1) De conviction. Antiphonarii , c. 8.
(2) Arnelh, Das Niello-Antipendium zu KIosterneuburg in OEslerrcich,
p. 11.
(3) Cicognara , Storia délia sculturayt. I , p. 324, n" I.
(4) P. 173.
ANCIENNE PEINTURE DE L'ANNONCIATION. 471
tion par l'oreille rappelle celle que l'on prêtait à la belette, ou Mus-
toile, qui, au dire de Richard de Fournival, conçoit par l'oreille et en-
fante par la bouche (l). Ce rayon lumineux, par lequel Marie conçoit,
rappelle lefaitd'Aloung-Goa, veuve de Dounboun-Bayan qui conçut
trois fils par un rayon de lumière (2), fable souvent reproduite en
Asie, pour consacrer la naissance du fondateur d'un empire, du chef
d'une dynastie. Les bœufs Apis et Mnevis furent conçus par une va-
che fécondée par un rayon de soleil, et le dieu indien de la lumière,
Sourya, lança dans le sein d'une jument un de ses rayons qui la ren-
dit mère des jumeaux Aswinî et Koumara (3) ; dans la même mytho-
logie, le moani Jahnou enfanta par l'oreille Ganga, sous le nom de
Jahnavi (i).
On pourrait singulièrement multiplier les rapprochements de ces
fables ; nous ne les poursuivrons pas davantage.
Le tableau qui nous occupe et qui nous a suggéré toutes ces ré-
flexions, n'est pas le seul de ce genre que poi^sède l'Allemagne. Ru-
dolphi, dans sa Gotha diplomaùca, en a publié un autre fort analogue
qui se voit dans l'église de l'hôpital de Grimmenthal , au bailliage de
Mersfeld, dans le duché de Saxe-Meiningen; un second se voit aussi
à Weimar, à ce que dit Bertuch qui ne donne à son égard aucune in-
dication. Enfin le quatrième est à Brunswick, et Ribbenlrop en a fait
connaître la description. Il est peint sur une sorte de grand triptyque
qui surmonte Tautel de la cathédrale; on y retrouve presque aosolu-
ment les mêmes symboles que dans le nôtre ; il y en a toutefois quel-
ques-uns qui ne figurent pas dans ce dernier, tels sont la porte de
Jephté , la Roche ardente , nipes ardens , le soleil levant, avec le mot
aurora, l'étoile de Jacob. Enfin, on lit dans la bouche de l'ange ces
mots qui font une allusion plus directe à la licorne : Qaia qaem cœli
capere nonpossunt, in tuo gremio contalislL
Quoique ces œuvres soient d'une époque relativement assez mo-
derne, elles se rattachent à un ordre d'idées infiniment plus an-
ciennes, et il est important pour les antiquaires de les étudier, car ils
y retrouvent une sorte de clef des emblènaes qui, isolés, ont plus d'une
fois mis en défaut leur sagacité.
Alfred Maury.
(f) cf. dans le CataL des Manus. franc, de ta Bibl, roy., par M. P. Paris, t. IV,
p. 24 , l'analyse du Besliarius de cet auteur.
(2) C. d'Ohsson , Histoire du Mongot , t. I- , p. 23.
(3j Ch. Coleman, the Mythotogy oflhe Uindus , p. 374.
(4) Guignlaut, p. 615, Not. auliv. I de laSymboliq. de Creuzer.
OBSERVATIONS
SUR
l'AGE DU PORCHE DE NOTRE-DAMEDES-DOMS , A AVIGM.
Le département de Vaucluse possède quelques restes de monu-
ments dont la physionomie singulière devait exercer la sagacité des
archéologues. Ce sont les frises extérieures des vieilles églises de
Vaison et de Cavaillon , la porte latérale très-fruste, il est vrai, de
l'église de Pernis , l'abside triangulaire de la chapelle de Saint-
Quenin à Vaison et le porche de Notre-Dame-des-Doms, la vieille
métropole d'Avignon. Il y a entre ces diverses parties un air de fa-
mille assurément; et en même temps chacune d'elles présente ce ca-
ractère hybride qui dénote une époque de transition. Or, c'est cette
époque que nous croyons pouvoir déterminer aujourd'hui.
Nous n'entreprendrons pas de donner ici une description qu'on
trouvera très-bien détaillée dans les notes d'an voyage dans h midi
de la France; M. Mérimée a trouvé dans l'abside de Saint-Quenin
des détails dont le caractère est roman; mais il reconnaît pourtant
que la frise, les chapiteaux des pilastres, la corniche et la partie ex-
térieure des transsepts rappellent fortement l'ornementation du Bas-
Empire. M. Lenormant, selon lui, n'hésiterait point à croire l'exté-
rieur de cette abside du VHP siècle. L'époque ne nous paraît pas
heureusement choisie. Pendant le VllP siècle, le midi, continuelle-
ment ravagé par les Sarrasins ou les Franks, dut voir beaucoup plus
der uines et de destructions, que de constructions religieuses. On sait
que ces pays-ci furent très-souvent le théâtre de la guerre. Nous pen-
cherions plutôt pour le siècle suivant; caries chroniqueurs nous ap-
prennent que sous Charles-le-Chauve , prince passionné pour les
arts, on répara .beaucoup de monuments détruits par les Arabes et
les Northmans.
II est hors de doute que, dans le midi, la vue continuelle des mo-
numents romains a dû réagir beaucoup sur l'imagination des ouvriers
chrétiens. Cette remarque trouve ailleurs aussi son application, (c En
(( Italie, dit M. D. Ramée (l), les monuments du IX'' siècle ont encore
« tout à fait le cachet de l'antique, tant dans leur ensemble que dans
« leurs détails; ils ne ressemblent pas aux édifices élevés ailleurs en
« Occident pendant la même époque... Le style antique romain, sauf
c( de légères modifications , se maintint en Italie jusqu'à la fin du
<t X^ siècle. » Or, ce qui était vrai pour l'Italie a du l'être également
(1) Manuel de l'HisL de V^rchileclure, l. II, p. 416.
AGE DU PORCHE DE N.-D.-DES- DOMS , A AVIGNON. 473
pour le midi de la France. L'histoire nous prouve les nombreux , les
incessants rapports qui existaient entre les deux pays. Depuis
Louis II , empereur d'Italie, et roi de Provence par la mort de son
frère Charles, en 863, jusqu'à la cession du roi Hugues, en 930 , ils
ont toujours obéi, à peu de chose près, au même souverain. Pour-
quoi les relations qui existaient à coup sûr entre les individus de
plusieurs classes appartenant aux deux pays n auraient-elles pas été
aussi habituelles chez les artistes et les ouvriers qui devaient avoir
puisé leurs inspirations à une'source commune?
On a eu raison de remarquer que le système architectural en vi-
gueur dans plusieurs provinces de France devait , en général , son
origine à l'imitation plus ou moins fidèle de quelques monuments
antiques. Sous ce rapport, le midi n'avait que l'embarras du choix.
Aussi, le style qui prévalut, comme le remarque fort bien un archéo-
logue anglais, H. Gally Knight , dérive directement du siècle des
Césars, et, à cause de cela, il l'appelle le roman impérial (1). C'est ce
style décoré par nos voisins d'une si juste et si pompeuse appellation
qui a régné parmi nous, au milieu de ces temps qu'on est convenu
d'appeler barbares. C'est celui qui se fait remarquer dans plusieurs
de nos monuments, et qui n'a pas peu contribué à jeter les archéolo-
gues dans la plus grande incertitude à l'endroit de leur origine. Au
premier aspect, on est véritablement tenté de les croire antiques, et il
faut une inspection minutieuse des détails pour revenir sur cette opi-
nion. Le porche de Notre -Dame-des-Doms à Avignon est le spéci-
men le plus remarquable de ce style {Voir la fin de la note ci-dessus).
Tl se compose d'une grande arcade à plein cintre entre deux colonnes
(1) The Edinburgh Reriew, n° CXXXIX, april 1839, p. 85. ^nd hence il may
be lermed Ihe impérial romanesque , par opposition au tlyle qui prévalut dans le
Nord , au Romanesque barbarous style. Voici les principaux caractères de celui
du MiiJi . d'après M Knight : « Le chapiteau est presque invariablement, non une
« imitation de l'ordre corinthien , mais corinthien môme , tel qu'il existe dans les
« derniers monuments romains et travaillé généralement avec beaucoup de vérité ,
« de goût et de délicatesse , les moulures surtout , dans les archivoltes, s'accordent
« avec les colonnes; ce qui domine, c'est l'ove fleuronné et l'ove à dard de serpent
« [Ornamenled echimes, Ihe egg and longue). Les frises consistent fréquemment
« en feuillages, en anim.iux, et en masques antiques. Toutes les décorations tendent
« veis un système uniforme. La disposition ordinaire des portos présente un ove
« au-des^ous d'un fronton. L'imposte est déterminée, les pilastres cannelés sont
« communs et le baplislère, avec sa colonnade circulaire, partout où on le ren-
« contre , ressemble à un temple païen. Une série régulière d'exemples de ce style
« pourrait être citée, depuis l'éreclion du palais de Diocîétien, jusqu'au XIII" siècle;
« à celle époque il céda infin devant la gothique , et même alors, beaucoup de ses
« trails se marièrent avec l'arc pointu. » [ The portai ofthe Calhedral of Avignon,
probably of Ihe lenth cenlury , is a splendid example of the besl Impérial Ro-
manesque. C'est cette probabilité que nous désirons voir se changer en certitude.
474 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
corinthiennes cannelées qui soutiennent un assez riche entablement;
celui-ci est surmonté d'un fronton dont l'inrlinaison rappelle les rè-
gles antiques ; mais les moulures des corniches rampantes ont dis-
paru, lors de la démolition, par Rodrigues de Luna, en 14 10. Au
Porche de N.-D.-des-Doms, à Avignon.
milieu du fronton est un oculus à moulures concentriques; au fond
du porche, une por1e à colonnes torses ouvre dans l'église. L'arcade,
l'entablement, les colonnes, leurs chapiteaux , les moulures et les or-
nements des archivoltes , tout évidemment est une copie de l'archi-
tecture romaine. Ce qui en diffère, c'est cet appareil moyen que nous
rencontrons dans toutes nos constructions religieuses; c'est un com-
mencement de mépris pour la symétrie dans les détails , et le tam-
bour des colonnes qui sont engagées dans la muraille, à droite et à
gauche alternativement. On a remarqué aussi l'analogie qu'il y avait
par les caulicoles et les tailloirs, entre ces chapiteaux et ceux de l'arc
d'Orange. Il ne faut pas être étonné si les opinions les plus opposées
ont été émises relativement à l'âge de ce monument. Les uns, avec
raison , séparent le porche et le corps de l'église ; les autres le font
contemporain, ce qui n'est pas possible. Ceux-ci font remonter le tout
à l'époque de Charlemagne. Nous ne mentionnerons que pour mé-
moire les gens qui osent remonter jusqu'à Constantin , et môme plus
haut encore, d'autres réclament pour le XI" siècle et le XIP siècle.
Nous sommes convaincu , pour notre part , que le porche de la mé-
tropole, avec la partie inférieure du clocher, jusqu'au-dessus de la
AGE DU PORCHE DE N.-D.-DES-DOMS, A AVIGNON. 475
corniche (l), ainsi que les portions de nos quelques églises qui, par
leur imitation de l'antique, rentrant dans le style roman impérial y ap-
partiennent à la seconde moitié du IX*" siècle et de la première moitié
du X^ Il y eut un moment de tranquillité pour la Provence, ce fut
comme un temps d'arrêt. La paix réveilla les arts sur cette terre clas-
sique. Charles, roi de Provence (841), et son tuteur, le f[imeux Gé-
rard de Roussillon , Louis II (863), Bozon (879), son fils Louis,
Taveugle (890), Hugues (923), ainsi que les premiers comtes de
Provence qui succédèrent au pouvoir royal , durent encourager les
grandes constructions religieuses. Leur politique y était fort inté-
ressée, c'était un moyen facile d'avoir les suffrages des peuples et du
clergé. Louis, renvoyé aveugle d'Italie par son compétiteur, necon-
tinua-t-il pas à régner sur la Provence par une espèce de commisération
publique? Ne fallait-il pas la justifier à quelque titre? Par une coïn-
cidence assez remarquable , l'histoire des évoques d'Avignon cite un
Fulchérius comme l'évêque auquel on doit la réparation de toutes nos
églises. Or, ce Fulchérius jouissait d'un très-grand crédit auprès de
Louis l'aveugle. Nous pensons donc que c'est à ce règne pacifique du
fils de Bozon, de 890 à 923, qu'il faut attribuer l'érection ou le com-
mencement d'édification de la plupart de ces grands monuments reli-
gieux. Au-delà, la chose n'était guère possible, à cause des invasions
sarrasines et frankes ; du reste, les œuvres de l'époque carlovingienne
sont empreintes de la plus grande barbarie, et les sièges épiscopaux
furent en grande partie vacants pendant les Vil*" et VHP siècles. En
deçà, à partir du XP siècle , commence un style d'architecture telle-
rrent caractérisé, qu'il est impossible de s'y méprendre. Toutes ces
raisons nous font croire que ces diverses parties de nos monuments à
physionomie antique datent de la fin du IX*^ siècle et du commence-
ment du X^ siècle. On ne sera donc plus surpris de Tair de famille qui
règne entre le porche de la métropole d'Avignon, la porte de l'église
de Pernes et l'abside extérieure de Saint-Quenin , entre la frise de
Cavaillon et celle de la vieille basilique de Vaison. Ces divers frag-
ments ont triomphé des siècles et se font aisément remarquer au mi-
lieu même des remaniements qu'ont exigés les édifices auxquels ils
appartiennent.
Jules Courtet.
(1) M. l'architecte du déparlement a vérifié que le profil de celle-ci était copié
exactement sur celui de la corniche qui décore l'allique de l'arc d'Orange. Le sou-
hassenient du clocher a conservé ses décorations de petites colonnes engagées tout
à fait dans le goût romain.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
— Un tombeau d'une haute antiquité a été découvert le 8 sep-
tembre dans un champ, près du village de Neuvy-Pailloux (Indre), à
iO kil. d'issoiidun. C'est une espèce de caveau construit en moellons
dont la base est à quatre mètres au-dessous du sol, et dont les quatre
pans rectangulaires ont chacun cinq mètres de longueur. On a trouvé
ces murs revêtus d'un enduit épais et poli, couverts d'une peinture
noire et divisés par de larges bandes perpendiculaires de couleur
rouge en panneaux réguliers. Ces panneaux, ainsi qu'un lambris ré-
gnant, portent des dessins d'oiseaux , de fruits , de plantes , de feuil-
lages funéraires, et ces fresques ont apparu dans un état de conser-
vation étonnant, quand on considère les effets d'une longue durée de
siècles et du contact direct d'un sol humide. On a trouvé dans ce
tombeau un squelette humain d'une taille moyenne , autour duquel
étaient placés des vases de terre cuite , une double meule à bras ,
entourée d'un détritus noir, produit sans doute par du froment décom-
posé; plusieurs grandes amphores pouvant contenir chacune 27 litres,
à en juger par celles qui ont été trovvées intactes , un grand instru-
ment porte-crémaillère, un bassin de cuivre de trois mètres de circon-
férence dont les anses remarquablement travaillées ont été détachées
par l'oxydation, beaucoup d'autres vases de môme métal, dont quel-
ques-uns présentent des sculptures importantes à étudier; deux mas-
ques en cuivre doublés de fer, un grand nombre d'objets en cuivre
de plus petite dimension et d'une conservation complète, des fers de
lance, des débris d'armes, des instruments de pionnier et une quan-
tité considérable de cercles de fer, de pièces forgées, dans un tel état
d'oxyd.ition qu'il est difficile au premier aspect d'en deviner la desti-
nation. Des ossements de sanglier et d'autres animaux ont été re-
cueillis près de la meule à bras. Au doigt annulaire de la main droite
du squelette était un anneau d'or massif absolument semblable à nos
bagues dites chevalières. Le chaton de cet anneau est vide.
Tel est sommairement l'état des richesses archéologiques qui vien-
nent d'être exhumées d'un tombeau qu'on présume être celui d'un des
chefs de cohortes romaines qui occupèrent ce pays avant l'établisse-
ment des Francs.
MM. de La Villegille et Des Meloize ont dirigé les travaux d'ex-
ploration ; ce dernier a réuni chez lui la précieuse collection d'objets
découverts.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
477
— On vient de fliire à Nîmes une découverte qui complète la série
de monuments antiques civils et religieux qui rendent celle ville si
intéressante pour les archéologues. M. Henri Durand, architecte, en
faisant des fouilles près de la maison centrale de détention, a mis à
découvert une construction romaine, qu'il a recoimue pour un bassin
destiné à distribuer, dans l'enceinte de la ville les eaux amenées par
l'aqueduc du Gard. Voici le plan du bassin, relevé par M. Durand
avec lin soin dont on doit lui savoir gré :
E. Trois auges circulaires servant probablement à vider complète-
ment le bassin lorsqu'on voulait le nettoyer. L'orifice conserve des
traces de scellement en plomb.
K. Angle de la maison du sieur Carbonnel , où ont été découverts les
premiers vestiges.
L. Seuil de la porte antique donnant sur la plate-forme concentrique
au bassin.
0. Débouché de l'aqueduc du Gard dans le bassin.
P. Point où l'aqueduc reprend la section, est surmonté d'une route
et présente les mêmes dimensions que sur le reste de la ligric gé-
nérale.
e. Pertuis circulaires dégorgeant de deux en deux dans cinq ramifi-
cations de canaux; celui indiqué par la lettre I est le mieux con-
servé.
478
REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
f. Rainure circulaire et traces de l'ancien scellement de la grille qui
entourait le bassin.
g. Trous indiquant l'existence d'une herse au-devant de l'aqueduc
d'alimentation.
M. Maison centrale de détention.
Au-dessus du bassin est une chambre dont les murailles sont dé-
corées d'une plinthe verte et d'encadrements rouges. Le dessin suivant
fera comprendre la disposition des lieux :
Profil suivant la ligne C D en regard du point B.
h. Reste d'un enduit de siuc, orné d'un soubassement vert et de deux
bandes rouges formant frise.
j. Parties d'enduit oii la superficie du stuc a disparu.
l. Partie du mur en moellons taillés sur lequel il ne reste plus de
traces d'enduit.
Nous ajouterons, pour compléter ces indications^ que ce bassin
présente exactement la même disposition que celui qui est connu à
Montpellier sous le nom de Peyrou. Quelques fragments de colonnes
et de frises que l'on a recueillis dans les fouilles, font penser que le
bassin était surmonté d'une colonade circulaire formant rotonde.
M. Durand suppose que, lors de la construction de la citadelle, ce
bassin aura pu être découvert et que le plan en aura été étudié par
l'architecte à qui l'on doit l'édification du Peyrou de Moritpellier.
Le plan et le profil que nous donnons ici ont été réduits sur une
échelle de 0,005 millimètres par mètre.
— En faisant des fouilles sur le rocher de Notre-Dame-des-Doms,
à Avignon, on a découvert un bloc, d'un calcaire compacte à grain
fin et blanc, faisant partie sans doute d'un autel votif. Sur l'une des
faces, on lit en très-beaux caractères l'inscription suivante. (Inédite
par conséquent.)
Des substructions assez considérables permettent de croire que là
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 479
était ce fameux temple (de Diane peut-être) qui a servi aux archéo-
logues des deux derniers siècles pour trouver une incroyable élymo-
logie d'Avignon. Ce temple fut-il élevé par le préteur ou le pro-
préteur des Volkes, Carisius? Comment, dans Avignon, sur la rive
gauche du Rhône, chez les Cavares, trouva-t-on un monument d'un
préteur des Volkes qui habitaient la rive droite? Est-ce le résultat
d'un fait personnel , ou faut-il y voir une conséquence de la division
territoriale?
En parlant du passage d'Annibal , Tite-Live dit que les Volkes
occupaient les deux rives du Rhône. Jam in Volcarum perçeniat
agriim, genlis validœ. Colant autem circa ulrumque ripam Bhodani.
(Lib. XXI, 26.) De son temps pourtant le Rhône séparait les Volkes
des Cavares. Il faudrait donc en conclure, ou que les Cavares n'exis-
taient pas sous ce nom du temps d'Annibal , ce qui n'est guère pro-
bable, ou qu'ils étaient une division de la grande confédération des
Volkes. M. Walckenaer pense que le nom de Volcie dérive du mot
germain volckqm signifie peuple, et devait être commun à plusieurs
peuplades ; d'oii les Wolkes tectosages (Toulouse), les Volkes aréko-
mikes (Nîmes) et les Volkes cavares (Avignon). Cette inscription
confirmerait le récit de Tite-Live et l'opinion de M. le baron Walc-
kenaer.
T CARISIVS. T. F.
PR. VOLCAR. DAT.
— Le Musée des Thermes et de l'Hôtel de Cluny vient de s'en-
richir d'un grand nombre d'objets donnés par M. Eug. Guillemot qui
les a recueillis près de Pontpoint (Oise), oii ils ont été découverts en
défrichant un bois. Ce don se compose d'armes et d'ornements en
bronze d'origine gallo-romaine, tels que bracelets, boucles d'oreilles,
hachettes de grandeurs et de formes variées, fers de lance, etc. Tous
ces objets ont été trouvés liés ensemble par des bandelettes de cuivre
très-mince.
— M. l'évêque de Meaux , à qui le conseil général de Seine-et-
Marne avait attribué, par un vote récent, une somme de 2900 fr.,
vient de refuser cette allocation pour lui-même, en manifestant l'in-
tention où il était de l'employer à la réparation de l'église de Voulton,
l'une des plus intéressantes de son diocèse.
BIBLIOGRAPHIE.
ANNALES DE L'INSTITUT ARCHÉOLOGIQUE, t. XV, premier cahier. Paris,
Brokhaus et AvENARius , in-8 , p. 220.
Notre intention étant, comme nous l'avons manifesté, de rendre
compte des principaux recueils archéologiques, nous ne pouvons
mieux commencer que par la collection que publie l'Institut archéo-
logique.
Nous ne ferons pas l'injure à nos lecteurs de croire qu'ils ignorent
les services rendus à la science de l'antiquité par YInstitat de corres-
pondance archéologique. Cette association, fondée à Rome vers la fin
de 1828, s'est proposé dès Icrs pour but de recueillir tous les faits
dont l'archéologie s'enrichit chaque jour, par suite des fouilles entre-
prises et des voyages exécutés sur le sol des contrées classiques. Elle
fut composée d'un directoire de trente personnes, dont dix formaient
le comité des fondateurs, à savoir: MM. le duc de Blacas, le duc de
Luynes, Bunsen, Fea, Gerhard, Restner, Millingen, Panofka, Thor-
Waldsen, Welcker, et vingt autres savants furent élus parmi les ar-
chéologues les plus distingués de l'Europe. Déjà quatorze volumes
sous le titre d'Annales, ont été publiés par cet Institut,, accompagnés
de planches qui offrent la gravure d'une foule de monuments
inédits. Ces volumes contiennent, outre l'explication de ces mo-
numents , des mémoires sur les diverses branches de l'archéologie.
Entre les noms des auteurs de ces travaux , on distingue ceux de
MM. le duc de Luynes, Gerhard, Panofka, Bunsen, Millingen, Bor-
ghesi, Welcker, Bœckh, 0. Millier, Raoul Rochette, Letronne, Le-
normant, de Witte, etc.; c'est dire assez le mérite et l'intérêt que
ces travaux doivent offrir.
Il nous est impossible à présent de revenir sur les quatorze vo-
lumes de cette collection qui ont paru avant la fondation de notre
lîeme. Nous devons nous borner à tenir nos lecteurs au courant de
ceux qui paraîtront par la suite, en commençant parle ib" volume,
dont la première partie a été publiée tout récemment par la section
française, qui se compose à présent de MM. le duc de Luynes, Lajard,
Letronne, Guigniaut, de Witte, de Saulcy et Adrien de Longpérier.
Le cahier que nous annonçons est l'ouvrage de la section française
BIBLIOGRAPHIE. 48 1
de cet Institut. Le cahier suivant, qui complétera le tome XV, sera
l'œuvre de la section italienne.
Celui-ci, pour la variété et l'importance des matières qu'il con-
tient, ne le cède point aux volumes précédents qui ont pris une place
si distinguée dans la science. Nous allons justifier ce jugement en in-
diquant brièvement les mémoires qui sont entrés dans ce cahier.
1" Phinée deUvré par lesHarpyies. Ce Mémoire, composé par M. le
duc de Luynes, a pour objet l'explication d'un vasegrecdécouvert près
d'x4thènes parM. Graham. L'illustre auteur l'a fait précéder de quel-
ques considérations sur le mythe de Phinée et des Harpyies expulsées
par les Argonautes. 11 en expose les principales formes, en suivant
l'ordre chronologique des auteurs qui en ont parlé, depuis Hésiode
jusqu'à Tzelzès. On ne saurait qu'approuver celle méthode, tant re-
commandée par H. VossetK.-O. Miiller. Mais ce n'est là qu'un premier
travail qui, dans le volume suivant, sera complété par des recher-
ches sur lesHarpyies, leur nature symbolique, leurs fonctions et les
manières diverses dont les anciens les ont figurées. M. le duc de
Luynes, qui fait un usage si judicieux des textes, et qui connaît si
bien les monuments, ne laissera rien à désirer sur ce mythe curieux
et, à certains égards, encore très-obscur.
2° Ex temporalia de nonnuUis nominum etruscoriim formis, par
M. F. Hermann, professeur jadis à Marburg, maintenant à Gôttin-
gue. Ce ne sont que cinq pages, où l'auteur examine plusieurs noms
propres étrusques qu'on trouve sur les urnes funéraires. 11 croit re-
connaître que les syllabes isa ou sa, qui terminent certains noms,
signifiaient épouse; ainsi Tlesnalisa, Phrinisa signifient Tlesnal et
Plirinis uxor,
3° Dichiarazione délie pitture d'un vaso greco inedito , da Gargallo
Grimaldi. Le sujet de ces deux peintures est fort obscur; nous ne
savons si le docte interprèle l'a complètement éclairci. Mais les efforts
qu'il a faits pour y parvenir l'ont conduit à quelques observations de
détail qui présentent leur utilité.
4° Noie sur une inscription bilingue gréco- égyptienne, découverte à
Athènes en 1841, par M. de Saulcy , membre de l'Institut. Cette in-
scription a déjà exercé M. Quatremère, qui l'a expliquée dans le
Journal des Suçants de septembre 1842; mais la copie qu'il a eue
sous les yeux étant inexacte, a induit en erreur ce savant sur quel-
ques points. M. de Saulcy, tout en adoptant le sens général, rectifie
plusieurs détails d'après une copie plus exacte ; et il en propose une
explication plus complète, qu'il ne présente qu'avec la réserve que
482 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
tout bon esprit doit mettre quand il s'agit des inscriptions phéni-
ciennes, "dont l'inlerprétation, et môme la lecture, offre encore tant
d'obscurité.
5" Mcmoiresnr le xp^avovv Qépoq et sur quelques médailles de Meta-
ponte et de Cyrène, par M. de Witte. Dans l'opinion du savant archéo-
logue, le yypdovv Qépoç que Métaponte envoyait à Delphes est repré-
senté sur ces médailles par le grillon et le dauphin, qu'on y reconnaît.
Ce ;)(pu(7oûv Qipoç était , selon lui , Vimage d\in champ de blé en or;
conjecture ingénieuse, que l'auteur appuie par beaucoup de rappro-
chements curieux.
6'' Ènée sauvé par Vénus, autre Mémoire du même savant. Il s'agit
de deux peintures qui ornent une amphore à figures noires de la col-
lection Paoli à Rome. M. de Witte y reconnaît des sujets empruntés
aux scènes du V^ livre de l'Iliade, dans lequel Homère célèbre les
exploits de Diomède.
7" /?a«&o,parM. J. Millingen. Ce Mémoire a pour objet d'expliquer
une terre cuite fort curieuse représentant une femme les jambes écar-
tées, dans l'intention de montrer ses parties génitales : elle est assise
sur un porc. M. Millingen, dont on connaît la justesse de coup d'œil
et l'érudition sobre et choisie, voit dans cette figure énigmatique
Baabo ou Jamhé qui, selon l'hymne orphique rapporté par Clément
d'Alexandrie, « reçut Déméter chez elle, et lui offrit un breuvage que
« la déesse refusa. Baubo prenant ce refus comme un acte de mé-
« pris, releva ses habits, et montra la marque de son sexe. » Le savant
antiquaire rattache à ce passage d'autres textes qui s'y rapportent, et
à l'aide desquels il explique toutes les circonstances de ce monument
unique. A celte occasion, il fait des observations pleines de justesse
sur la nouveauté des mystères chez les Grecs, et sur l'abus que l'on
fait encore dans ce iemps-c'i de h symbolique de V Orient; abus qui, «loin
ce d'être utile et d'avancer les progrès de la science, a contribué au
« discrédit dans lequel elle est tombée. » H aurait pu appuyer son
jugement de plus d'un exemple péremptoire^ mais il s'est arrêté, de
peur de donner trop d'étendue à son Mémoire ; « Le champ de l'ar-
(( chéologie, dit-il , est devenu aujourd'hui si étendu, qu'il faut une
t( grande sobriété dans les discussions qui s'y rapportent, afin de ne
(( pas consumer inutilement le temps de l'écrivain comme celui de son
« lecteur. » Observation fort juste, à laquelle il serait à désirer que
tous les archéologues voulussent bien se rendre. Dans cette disserta-
tion, comme dans tout ce qui est sorti de sa plume judicieuse, M. Mil-
lingen a prêché de précepte et d'exemple.
BlJiLIOGllAPHIK. 483
S" Explication d'une coupe sassanide, par M. Adrien de Longpérier.
Après quelques observations sur les autres nnonuments de l'époque
sassanide, le jeune et savant antiquaire décrit et explique cette belle
coupe d'argent, que le cabinet des antiques de la Bibliothèque royale
doit à M. le duc de Luynes qui lui en a hh présent. Cette coupe
représenie un roi sassanide faisant la chasse à des animaux sauvages.
M. de Longpérier pense que ce prince est Pérose ou Firouz, fils
d'Jzdegerd 11, tué en 488. Celte coupe serait donc du milieu du V* siè-
cle de notre ère. Les divers détails qui entrent dans le sujet compliqué
qu'elle représente sont éclaircis par d'ingénieux rapprochements oii
M. de Longpérier montre beaucoup d'érudition et un sens droit, qui
devient de plus en plus rare, quoiqu'il s'appelle le sens commun.
9° De la croix ansée égyptienne imitée par les chrétiens d'Egypte,
pour figurer le signe de la croix, par M. Letronne. Ce Mémoire a
pour ol)jet de repousser une critique mal fondée de M. Raoul Ro-
chette, qui n'avait pas compris une observation qu'avait faite l'au-
teur. Celui-ci avait remarqué en tête de plusieurs inscriptions
chrétiennes d'Egypte la croix ansée égyptienne, tenant la place de la
croix ou du monogramme; et comme il n'avait pas trouvé pareille
chose hors de l'Egypte, il en avait conclu qu'elle était propre à ce
pays, et devait tenir à une circonstance particulière. M. Raoul Ro-
chette, de son côté, prétendit qu'on le trouve aussi dans les monu-
ments des catacombes de Rome. M. Letronne prouve qu'il a commis
une erreur en confondant l'une des formes du monogramme chrétien
avec la croix anaée. 11 entre, à ce sujet, dans des détails aussi neufs
que curieux sur les différentes formes de la croix et sur les diverses
espèces de monogrammes ; et il explique l'adoption du signe païen
par les chrétiens d'Egypte, au moyen des passages des historiens
ecclésiastiques rapprochés des livres sibyllins. Ce Mémoire, plein de
faits et d'idées, forme un chapitre très-neuf et très-curieux d'archéo-
logie chrétienne. îl serait à désirer que tous ceux qui s'occupent de
cette branche si importante y portassent la même réserve et le même
esprit de critique. La lecture de ce Mémoire doit prémunir les archéo-
logues, comme l'observe l'auteur, « contre la tendance trop commune
a de s'arrêter aux ressemblances apparentes, au lieu de distinguer les
« caractères essentiels ou fondamentaux des symboles, afin d'en dé-
(( terminer exactement l'origine et la nature. »
10" Recherches et conjectures sur le mythe de Glaucus et de Sylla,
par M. Ernest Vinet. Ce Mémoire est le coup d'essai d'un jeune ar-
chéologue fort zélé pour la science, et qui s'annonce comme réunissant
484 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
déjà 1 érudition des textes et celle des monuments. Ce travail est une
étude approfondie de ce mythe marin, qui se présente dans l'antiquité
sous des formes très-diverses, quoique se rapportant toutes à un type
commun qui, comme le dit fort judicieusement l'auteur , « est
(( une sorte de fédche en qui se résumait la plus grande partie des
(( croyances et des superstitioîis des pécheurs et des matelots. Aussi
<( trouvons-nous son culte répandu dans tout l'archipel grec et sur les
« côtes de la Méditerranée, depuis la péninsule italique jusqu'aux
« côtes de l'Asie Mineure. » Ce Mémoire donne de grandes espé-
rances pour l'avenir scientifique du jeune archéologue.
11° AmpMaraus prenant congé (ÏÉriphyle. Tel est le sujet d'une
peinture représentée sur un vase de Nola, et dont M. Roulez, savant
professeur de Gand, donne l'explication. Il ne saurait y avoir de doute
sur le sujet, d'après le caractère des deux figures princip-des, au-des-
sus de l'une desquelles se trouve le nom d'AM<I>IAPAOS. Ce sujet
était déj«i représenté sur le coiïre de Cypsélus, selon Pausanias. Quel-
ques détails de la peinture olTrent des difficultés que le savant inter-
prète résout d'une manière simple et plausible; ce qui n'étonnera
pas ceux qui connaissent l'érudition et le bon esprit de M. Roulez.
Cette analyse un peu sèche suffira cependant pour donner une
idée du mérite de ce volume, et inspirer aux amateurs de l'antiquité
l'envie de lire les morceaux qui le composent; c'est l'unique but que
nous nous sommes proposé d'atteindre.
A.
]%0UVX:L<I.E1S PUBIilCATIOlVi^ AKCHÉOI^OGIQUEIS.
Elite des monuments céramograpJiiqaes , par MM. Lenormant et de
Witte, 60' liv., grand in-4". Paris, Leleux.
Choix de peintures de Pompéi, lithographiées en couleur et accom-
pagnées d'un texte et d'une introduction sur l'histoire de la peinture
chez les Grecs et chez les Romains, par M. Raoul-Kochette, mem-
bre de l'Institut, 1" liv., grand in-fol. Paris, chez l'auteur et Duprat.
Cet ouvrage sera publié en huit livraisons. Il paraîtra deux livrai-
sons par an.
Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, in-8% tome IV.
Amiens, Duval et Hermont.
SUR
LES NOMS GRECS DE ClÉOPHAS ET DE CLÉOPAS
(KAEO<[>ÂS ET KAEOnÂS).
QUEL EST CELUI DES DEUX QUE PORTAIT LE FRÈRE DE SAINT JOSEPH , HONOUÉ
PAR l'Église sous le nom de saint cléophas ?
CORRECTIONS (ORTHOGRAPHIQUES) A INTRODUIRE DANS LES TEXTES DB SAINT LUC,
DE SAINT JEAN, DE SAINT PAUL ET DE L'HISTORIEN JOSÈPHE.
L'étude des noms propres grecs , la plupart composés et significa-
tifs, est susceptible d'un intérêt qui peut quelquefois s'élever jusqu'à
un intérêt historique. J'en pourrais citer plus d'une preuve. Je me
borne, pour ce moment, aux observations suivantes, que me sug-
gère un passage du dernier rapport de M. Le Bas, inséré dans la
Reç^ae Archéologique (1). Ce rapport, relatif à la Messénie, contient
de judicieuses et savantes remarques, comme tous ceux que notre
confrère a adressés à M. le Ministre de l'Instruction publique. En
effet, dans ces rapports, écrits au courant de la plume et sans le
secours des livres, brillent, à un très-haut degré, le bon sens et le
savoir du" zélé voyageur.
L'inscription dont je parle est assez insignifiante en elle-même,
puisqu'elle ne se compose que de noms propres. Cependant elle en
contient un qui peut donner lieu à plus d'une observation que les
lecteurs de la Reçue ne seront peut-être pas fâchés de rencon-
trer ici.
Ce nom se présente sous la forme KAEO^ATOS. Prise pour celle
d'un nominatif, Kle6(^aToçy comme le fait M. Le Bas, elle est réel-
lement, ainsi qu'il le dit, jusqu'à présent inconnue.
Une observation fort juste que fait M. Le Bas pouvait le mener
à la solution de cette petite difliculté onomatologique, 11 a remarqué
(t) ^. livraison vi% p. 435.
I.
32
486 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
que plusieurs des noms, que l'inscription contient, sont au génitif.
Il n'avait qu'à mettre celui-ci dans le nombre; et tout était dit;
car KAEO<ï>ATOS devenait Kho'-^ôcroç , génitif de Khocfàtç , nom qui
se trouve en premier lieu dans les versions latines des évangiles de
saint Luc (1) et de saint Jean (2), pour désigner, dans le premier,
un des pèlerins d'Emmaiis ; dans le second , le frère de saint Joseph,
et l'époux de Marie, sœur de la Sainte Vierge. Les commentateurs
ne sont pas d'accord sur la question de savoir si, dans les deux évan-
gélistes , il est question du même personnage (3). Mais il n'y a pas
d'hésitation sur le nom même, qui , dans les textes latins de tous les
deux, est écrit uniformément Cléophas; c'est sous ce nom que le
saint personnage est honoré par l'Église catholique, le 25 septembre.
Il n'a pas manqué de savants qui ont voulu voir dans cette forme
un nom hébraïque plus ou moins déguisé; mais que le nom soit
d'origine grecque , c'est ce qu'attestent plusieurs inscriptions.
D'abord, une inscription latine d'Augsbourg, où il se montre sous
la forme dorienne clevphas (4), en grec, KXsucpàç; ce qui revient à
KXeo(jpaç; comme ©eu^oToç, Ssvâo)poç, pour Bco^oroçet (deoâ(ùpoç, etc.
AzvvTLoiùnç pour A£OVTia(Jy5ç(5), et Khvixavôpoç (6), KleviJLeviâaç (7),
KlevvLy.oç (8), pour Kl£6u.(xvdpoç, etc. Le même nom se reconnaît éga-
lement dans deux inscriptions d'Amorgos, publiées parM. Ross ; dans la
première on lit : TO WH<ï>II:MA ZQSLMOT TOT KKEO^AÇrb '^Yimff{j.a
ZcùGii^ov Toîf KXsocpa (9), avec le génitif en a, qui est fréquemment
usité; mais le génitif en àroç n'est pas moins commun pour ces
noms en a^, qui sont des abrégés dont l'usage est fréquent à
l'époque romaine; tels que M/jvàç (pour M/îvoJwpoç ), Z-nvxç (pour
Zyjvo'jJcopoç), ApT£iJ.Sig (pour Aprsat^wpoç), ^nj^oiq (pour AyîptyîTptoç),
AA£^âç(pour kli'ioLvàpoç, etc.); ainsi, les inscriptions d'Egypte me
fournissent les génitifs AXs^àrz-oç, <ï>&)zàToç, Avouêaroç, raiwvaToç,
IIpcùTaroç, ApT£p(^6ap«Toç, au lieu de AAs^à, $w/.à, etc. On voit
(1) XXIV, 18.
(2) XIX , 25.
(3j D. Calmet, Dict. de la Bible , à ce nom; — Schleusner, Lexic. JYov
Teslam. h. voce. — Winer, Bibliscfies Real-fVœrlerb. T. I , p. 783.
(4) Gruter, p. 649, 10 ; — Orelli , n» 4250.
(5) Ross, Insc. incd. n" 182.
(6) Bheinisches Muséum, 1841 , p. 208.
(7) Corp Inscr. n" 2574.
(8) Theorr. XIV, 13,
(9) Ross, Inscripl, ined. n" 121,
NOMS GRECS DE CLÉOPHAS ET DE CLÉOPAS. 487
que Kl£o(^dç est un nom du même genre et un abrégé de KXgocpav-
Toç; il doit donc avoir le double génitif; et, conséquemment le
KAEO<I>ATOS de rinscrijHion de Messénie est le génitif Kvleocpàroç.
C'est aussi, je pense , de cette manière qu'il faut achever le même
nom, auquel manque la syllabe finale, dans une deuxième inscription
d'Amorgos (t) : ArA01NOS AFAeiNOY TOT KAEO<ï>A.... (Âya-
Bîvoç AyccSivov Tov KAsotpa [toJ.
Je me suis quelquefois demandé d'oii vient que ces noms abrégés,
avec la finale en âçy sont tous affectés du circonflexe au nominatif,
comme aux cas obliques. Je crois que c'est parce qu'on les a considé-
rés, à l'époque alexandrine, comme des contractions de saç , qu'on
aura cru être leur désinence régulière. Gela paraît certain, au moins,
pour quelques-uns d'entre eux. Ainsi on trouve la double forme
Ayjjaeaç (2), OU l^aiiiocç (3) et Ayj^àç (4), Aptoraç (5) et Aptoreaç,
nom fort connu. On trouve, sur une médaille de Smyrne, APISTAS, et,
sur quelques-unes d'A pâmée, d'Éphèse, d'Erythrée, de Stratonicée,etc.
APISTEA2, qui est le môme nom; IIpwTàç, dans une inscription de
Philes, et Ilpcorsaç, forme la plus usitée (6). Le nom macédonien
(dorien) <I>tXcoT£aç est écrit ^ùmxôcç dans les manuscrits de Denys
d'Halicarnasse (7) , ainsi que d'Athénée (8); et, à tort, ^tAforaÇ dans
ceux d'Arrien(9) et de Diodore. On peut ajouter encore Scoreaç^lO),
ou 2&)Taç (il); Saupaç (12), le môme nom que Saypsaç ( 1 3) , et que
Sa-jptaç, dans Athénagore(14). LesDoriens ontécritsouvent sans con-
traction ÎTTTTo/Jgaç, k^KSTovléoLÇy ctc. (15): ct, demêmo, les anciens At-
tiques, ITaTpo/Jiyjç, T^o/Js/jç , Ayao-txXe/jç (16). Lors donc que s'est
(1) Ross, Inscript, ined. n» 135.
(2) Thucyd. V, 116. Xenoph. Mémor. II, 7, 6 et ailleurs.
(3. Paus. VI, 14, 5;X, 9, 8.
(4) Corp. Inscr. n° 1085.
(5j Mionnet , Med. Gr. Suppl. T. VI, p. 285.
(C) Arrian. Anab. II, 2, 7. Athen. IV, 129, A.
(7 Heges. ap. Dion. Halic. De composit, verbor. p. 252, éd. Schaef.
(8) VIII, p. 352 B.
(9) Anab. 1,2, 1-14,2. III, 11, 13. IV, 13,7; Diod. Sic. XVII, 8, 17.
(10) Corp. Jnscr. ii" 1279. |
(1 1) Id. n'^ 2U , 1. 10 ; 266 , 17, et alibi.
(12; Piine,XXXVI,5.
(13) Le Saureas de Plaute dans l'Asinaria- C'est à tort que les traducteurs français
écrivent Saarea. Plaute ne donne ce nom qu'aui cas obliques, Sauream { V. 70,
357, 3GG , 449 , 564 ) et Saareœ ( V. 328 , 335) j mais le nominatif est Saureas.
(14) Pro Chrislianis , p. 59 , éd. Dechair.
(16) Corp. Inscr. no8l2.
(16) Marmor sandwic. in Corp. /n s cr.n" 158.
488 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
introduit l'usage de ces noms abrégés , on leur aura donné l'accent
circonflexe, d'après l'analogie seulement, car il est douteux qu'on les
ait jamais terminés pareaç, en écrivant Myjveaç, ÉTraoppeaç, Ao'x^.yj-
Tïéaç, etc. /
Pour revenir au nom de Kho'fâç , il fournit un nouvel exemple de
Juifs portant un nom grec ou romain ; tels quHérode, AnUpaler,
Arcliélaiis, Aristobule, Bérénice, Agrippa et d'autres, cités par
Josèphe; et plus anciennement encore; puisque, parmi les soixante-
douze Juifs qui, selon le faux Aristéas, traduisirent en grec le Pen-
taleuque, par l'ordre de Ptolémée Philadelphe, il y en a cinq qui
portent les noms de Théophile, de Jason, de Théodole, de Théodose,
et de Dosilhée; il est vrai que quatre de ces noms pourraient être la
traduction grecque d'un nom propre hébreu; mais on ne peut le dire
ni de Jason, ni surtout de Dionysios , nom tout païen que porte
un Juif dans une inscription de Ouadi Genesseh, sur la roule de Bé-
rénice (1). On peut citer encore Ayjaàç (pour Ayj^y^rptoç ou Avî/:jiap;)^oç)
nom d'un compagnon de saint Paul; sans compter les évangélistes
saint Marc (Map/o^), et saint Luc, dont le nom grec, Aouzàç,
dérive de Aoyzavoç; et Silas (lilâç, non SAaç, comme il est écrit
dans le texte de l'évangéliste), compagnon de saint Paul, dont le
nom dérive de Hàovxvoç (Sylvamis), Il se pourrait donc que les noms
d'Eapolémiis, à' Aristéas , d'Hécalée^ de Démélrius, qui désignent les
auteurs de certains écrits fabriqués par des Juifs hellénistes, soient,
non pas des pseudonymes grecs, comme l'a pensé Vaickenaër (2),
mais les véritables noms de ces écrivains.
Quant à Cléophas , dans le texte grec (et la version copte) des
deux évangélistes, le nom se rencontre sous les formes Kléonaç, qu'il
faut lire KXeoTTàç (3),et KAcoTTàç (4). Hégésippe (5), Eusèbe (6),
saint Épiphane (7) , Nicéphore (8), et ceux des Pères grecs qui citent
ce nom , n'adoptent que l'une de ces deux formes ; Kho(^aç leur est
inconnu. Ce n'est que dans les versions ladnes du Nouveau Testa-
(t) Dans le tome II de mon Recueil d'inscriptions grecques et latines de
V Egypte. Sous presse).
(2/ De Arhlobalo judœo , p. 18 , 19.
(3^ "ft ovo/xa K/£07raç. Saint Luc , XXIV, 18.
(4) Ma^ta -h Toy K;.w7r5. Saint Job , XIX ,25.
(5 A p. Euseb. tii&t. eccl. 111,32, IV, 22.
(6) Jiisl.eccL III, 11.
(7) Hœres. 66, 19, 78, 79.
(8) hisL eccL ÏU,9.
f
NOMS GRECS DE CLÉOPHAS ET DE CLÈOPAS. 489
ment et dans les Pères latins (l), que Ton trouve la forme Cleo-
phas, adoptée par l'Église catholique. Ou«^''d on n'aurait que ce seul
indice, il serait difficile de douter que KhoTiàq ou Klomàç ne soit le
véritable nom de ce saint personnage , et que ce nom n'ait été légè-
rement altéré par les anciens traducteurs latins; peut-être à cause de
l'extrême rareté du nom de Cléopas; car jusqu'ici on n'en avait décou-
vert aucun exemple excepté celui qui est fourni par les textes de
saint Luc et de saint Jean; tandis que CléophaSy ainsi qu'on Ta vu,
se rencontre assez fréquemment; or, s'il arrive souvent aux copistes
de changer un nom inconnu contre un autre qui est fréquent , le
contraire ne leur arrive jamais. Cette raison achève de montrer que
le véritable nom est Cléopas, non Cléophas; en conséquence , que
les textes grecs des deux évangélistes sont les originaux , et tous
les autres des versions.
On a voulu faire de ce nom si rare, Khonaç , soit un nom hébreu ,
soit un nom grec, composé de x)ioç et de Tiàg (2); mais ainsi que
l'a vu M. Winer (3) , c'est évidemment un dérivé ou un abrégé de
KleÔTiocrpoç, comme Avr n:dç l'est de Avunarpoç; et, par les raisons qui
viennent d'être données, ÀvriTraç des manuscrits de l'Apocalypse (4)
et de Josèphe (5), est une faute des copistes, qu'on doit hardiment
changer en AvriTraç. Ainsi les deux noms Cléophas et Cléopas, qui
peu^ent si facilement se confondre, puisqu'ils ne diffèrent que par
l'aspiration, sont, en effet, très-différents par leur composition.
Au reste, la réalité de ce nom de KleoTidg ne repose pas seule-
ment sur la vraisemblance de l'étymologie , et sur le texte grec des
deux évangélistes; j'ai découvert récemment un exemple alexandrin
de ce môme nom, dans la leçon altérée d'une inscription de Philes
en Egypte.
Cette inscription a été tracée à la gauche du bras étendu d'une
des figures sculptées sur le pylône du grand temple, qui est une
de celles dont l'exécution est postérieure aux inscriptions grecques.
Le ciseau du sculpteur égyptien a enlevé une partie des lettres et
(1) Entre autres, saint Jérôme, De locis Hebraïcis, V. Emmaûs; (Epistol 108,
8, ad i?MS<oc/i/MW ); saint Jean Chrysoslome et Theodoret ( Comment in Epist.
ad Galatas ,c. l ).
(2) Srhlousner, JVov. Leœicon, h. v.
(V) Bibl. Reàl-Wœrlerhuch, I, p. 783.
(4) II, 13.
(5) .^nt.Jud, XVII, 3, 1 ; 9, h',l\,k,BeU, Jud. I, 28, 4; 32 , 7; 33 , 7; II,
2, 3; IV, 3,4.
490 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'a réduite à l'état de mutilation où elle se trouve. Copiée déjà par
M. Gau (1 ), elle l'a été ensuite plus complètement par M. Lenormant.
C'est un prosctjnème ou acte dadoralion fait par plusieurs visiteurs ou
bien par un seul, qui rapporte les noms de ses amis, prenant part à
cet hommage religieux. Tous ces noms sont fort distincts , à l'excep-
tion d'un seul, caché dans ce passage : TOrAAeAa>OTnANICKIQNOC
[KÂI] TOYAAeAcE>OTKACOnATOC que je lis : Ka\ zov dMrfov UavKT-
xiwvoç (2), y.ccï Toî) à^eXcpoO KhonàTog; car, de la combinaison des
deux leçons KACOnATOC (Lenormant), et K. COnATOC (Gau),
sort avec évidence le nona KACOIIATOC. C'est jusqu'ici le seul
exemple fourni par les inscriptions ; mais il suffit pour justifier, s'il
en était besoin , la leçon Khotàç dans le texte grec du Nouveau
Testament.
L'origine grecque du nom de ce saint personnage me suggère
l'explication d'un autre nom qu'il porte en d'autres endroits.
Il est, en effet, reconnu que saint Cléophas ou plutôt saint Cleo-
pas est appelé Alphœus {A^xtoç) dans saint Marc (3) et saint
Luc (4). Ce même nom est donné par saint Marc (5) au père de Lévi
(saint Matthieu). L'étymologie en est obscure. Les commentateurs
ont essayé de le ramener à celui de Cléophas, par le retranchement
du K [n], et la métathèse du l [S], Clialphai, Chalpai, Chlapaiy
Afphai, Mais il serait peut-être assez naturel de voir dans A}ffaïoç,
encore un nom grec , ou du moins hébreu grécisé , dérivé de AA(pa
(^/fp?i hébraïque), cette première lettre des deux alphabets, qui servait,
dans les deux langues, de signe numérique à Viinité. Dans ce cas, le
nom serait tout à fait analogue aux noms propres ITpwToç ou irpàroç,
avec leurs dérivés IIpwTaç, Ilpancov, UpxTocloç jUpocTalldocç ; et aux
noms hi'ins Primas, Secimdas, Ter dus, etc., indiquant primitivement
l'ordre des naissances dans une même famille. Je pense que AA(pavoç,
sur une monnaie de Lampsaque (6); et Bnrlo)v (7) (qui semble un dérivé
de Bi^Ta), pourraient bien avoir semblable origine. Le frère de saint
(1) Antiq. de la Nubie, Iiiscr. pi. XI , 27.
(2) Nom jusqu'ici inconnu, un dérivé de nscviVxog, qui se trouve dans quelques
inscriptions d'Egypte.
(3) III, 18.
(4) VI , iS.;—Act. AposU 1 , 13.
(6)11,14.
(6) Mionnet, Méd. gr. Suppl. T. V, p. 380.
(7) Ap.'Diog. Ladrt. IV, 54.
NOMS GRECS DE CLÈOPHAS ET DE CLÉOPAS. 491
Joseph avait donc deux noms, ou du moins un nom et un surnom,
dont la réunion devait être Kleo-nàç 6 Y.ai Alc^aioç; on employait
tantôt l'un , tantôt l'autre, pour le désigner. De là, cette double dé-
nomination qui a fort embarrassé les commentateurs.
C'est ainsi que le désir d'expliquer le KAE04>AT0S de l'inscription
de Messénie nous a conduit à connaître la vraie étymologie des noms
KXsotpàç, de KleoTiàç et, peut-être, d'AAfparo^ ; à corriger l'accentuation
de ces noms et de ceux du même genre , dans les textes grecs des
deux évangélistes et dans l'historien Josèphe ; en6n à retrouver la
vraie forme du nom d'un des saints de l'Eglise.
On en conclura, je pense, que les recherches sur les noms propres
grecs, quelque minutieuses qu'elles puissent paraître, ne sont pas
tout à fait inutiles.
Letronne.
INSCRIPTION mmim m i842 a marsal
DÉPARTEMENT DE LA MEURTHE.
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aiu,.,„.\>\.,Vuu>TWffff-HTlT
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Sur cent monuments épigraphiques que restitue le sol de notre
INSCRIPTION DÉCOUVERTE EN 1842. 493
pays, il en est à peine un qui fournisse à l'histoire quelque document
nouveau ; c'est donc une véritable bonne fortune que la découverte
d'une inscription qui offre la réunion de plusieurs faits encore in-
connus, et véritablement dignes d'intérêt. A ce compte , je n'en sais
aucun qui mieux que l'inscription publiée dans les Mémoires de
l'Académie royale de Metz , pour l'année 1843, mérite d'être étudié
avec attention. L'inscription dont il s'agit est gravée sur un piédestal
de calcaire grossier, ayant servi de support à une statue votive, et
que les ouvriers employés à Marsal, par les officiers du génie,
chargés de construire une caserne à l'abri de la bombe, ont extrait
dans les premiers mois de l'année 1842, delà vase dans laquelle il
était plongé depuis une longue suite de siècles. Ce piédestal fait au-
jourd'hui partie de la riche collection lapidaire, formée depuis peu
d'années, à la bibliothèque publique de Metz, et il y a été placé par
les soins éclairés de M. le colonel Bergère, directeur du génie en
cette résidence.
Le texte publié dans les Mémoires académiques précités, ayant été
légèrement altéré en plusieurs points, j'ai dû naturellement lui faire
subir quelques petites rectitications , dont j'ai constaté la légitimité,
en étudiant le monument lui-même. La lecture de cette inscription
ne présente aucune difficulté , et elle se complète ainsi qu'il suit :
TIBERIO CLAUDIO
DRUSI FILIO , CiESARI
AUGUSTO, GERMANICO,
PONTIFICI MAXIMO, TRIBUNITIA
POTESTATE TERTIA, IMPERATORl TERTIUM,
PATRl PATRÏiE , CONSULI DESIGNATO ,
VICANI MAROSA-
-LLENSES. PUBLICE
DEDICATA (sous-entendu statua), NONA KALENDAS
OCTOBRIS, AINNO CAII ou GONSULATUS
PASSIENI CRISPI
SECUNDUM; TITO STATILIO TAURO CONSULE.
La date précise de ce monument y est écrite de la manière la plus
explicite : c'est le 9 des kalendes d'octobre de l'année dans laquelle
Claude fut revêtu pour la troisième fois de la puissance tribunitienne;
et comme cette année est nécessairement la troisième année du règne
de ce prince, c'est-à-dire l'an 44 de l'ère chrétienne, il en résulte
que la statue votive dont le piédestal a été découvert à Marsal fut
494 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
érigée le 23 septembre 44 de J. C. Le 9 des kalendes était l'anni-
versaire de la naissance d'Auguste, et ce fut très-probablement ce
motif qui le fit choisir pour la cérémonie à laquelle donna lieu la
dédicace de la statue de Claude ; d'autant plus que le jour natal
d'Auguste continua d'être célébré longtemps après sa mort, puisque
celui de Livic ou JuUa Aiigusta, femme d'Auguste, l'était encore
sous le règne de Galba, en 68 de notre ère (l).
Marsal, que l'on avait jusqu'ici considéré comme une localité
relativement assez moderne, puisque la plus ancienne mention de
cette ville se trouvait dans un acte de donation , daté de l'an 709 et
passé par un comte Vulfoald au profit de l'église de Saint-Mihiel ,
Marsal, dis-je, se trouve ainsi remis en possession d'une origine
beaucoup plus reculée. Dès l'année 44 de J. C, il existait, au même
point oii se trouve aujourd'hui cette petite place forte, un vicus
Romain , portant exactement le même nom et décrétant l'érection
d'une statue votive en l'honneur de l'empereur régnant. Le silence
des anciens géographes et des itinéraires antiques ne peut donc plus
être invoqué pour prouver que l'origine de cette ville appartient au
moyen âge.
Chacun sait que la ville de Marsal est fondée sur un radier ar-
tificiel entièrement composé de fragments de terre cuite façonnés
à la main, et formant une croûte épaisse et solide, connue depuis
longtemps des archéologues sous le nom de briquetage de Marsal.
Ce monument curieux de l'industrie humaine a vivement préoc-
cupé les antiquaires du dernier siècle, et il nous a valu l'intéres-
sant mémoire que d'Artezé de La Sauvagère, ingénieur ordinaire
du roi , publia en 1 740 pour prouver que le briquetage était l'œuvre
des Romains. Aujourd'hui que l'inscription de l'année 44 est acquise
à la science, il devient impossible d'adopter l'opinion de La Sauvagère.
En effet, un calcul très-simple prouve que ce briquetage, qui con-
tient environ deux millions de mètres cubes de fragments de terre
cuite , a dû coûter plus de cent années consécutives d'un travail assidu
de huit heures par jour, exécuté par une masse de quatre mille tra-
vailleurs des deux sexes et de tout âge , pour que ses matériaux fus-
sent seulement préparés.
Il est bien évident que les Romains, dont la première expé-
dition dans les Gaules n'a précédé que d'un siècle (2) l'érection de la
(t) Letronne, Recueil des Inscriptions grecques et latines d'Egypte. T. I. p. 83.
(2) L'expédition de César contre Orgelorix ayant eu lieu sous le consulat de Mes-
sala el de Pison, il en résulte qu'il s'est écoulé un intervalle de cent cinq ans entre
INSCRIPTION DÉCOUVERTE EN 1842. 495
statue décernée à Claude par les vicanl Marosallenses , ne peuvent
être les auteurs du briquetagc. Il faut, dès lors, admettre que les
peuplades gauloises établies sur les bords de la Seille imaginèrent
cet étrange moyen de solidifier le terrain boueux du marais où s'élève
Marsnl, pour s'y établir et y exploiter les eaux saiilères dont la richesse
avait dû tenter leur cupidité dès l'époque la plus reculée. Le brique-
tage est donc l'œuvre des Gaulois : ceci est aujourd'hui incontestable.
Passons actuellement à l'étude des faits historiques que nous révèle
l'inscription de Marsal. Deux consuls y sont mentionnés , et leurs
noms étant écrits à des cas diiFérents, il en faut conclure que celui-là
seul dont le nom est placé à l'ablatif absolu était revêtu des honneurs
consulaires au moment oii le monument fut érigé. Si nous recourons
aux fastes consulaires pour l'année 44 de J. C, nous y trouvons une
très grande incertitude dans la dénomination des deux personnages
consulaires entrés en fonctions aux kalendes de janvier de cette
année. Ainsi parmi les anciens, Dion mentionne C. Crispus ,
consul pour la deuxième fois, et Titus Statilius ; Idace cite Crispus
pour la deuxième fois et Taurus ; enfm , Prosper mentionne Crispinus
et Taurus. Parmi les modernes, Noris cite L. Quinctius Cris-
pinus II et M. Statilius Taurus ; Tillemont adopte la même nomen-
clature et les auteurs de l'Art de vérifier les dates , ainsi que les ré-
dacteurs des Fastes consulaires de l'Encyclopédie méthodique, suivent
aussi Noris, mais en ajoutant que Manius iEmilius Lepidus fut
substitué au premier de ces deux consuls.
Toutes ces listes, en désaccord entr'elles , quant aux prénoms des
consuls, sont en désaccord avec l'inscription de Marsal, et comme celle-
ci ne peut avoir tort, il devient nécessaire de rectifier pour cette année
44 les fastes consulaires publiés jusqu'à ce jour, et d'y inscrire Passie-
nus Crispus, consul pour la deuxième fois, et Titus Statilius Taurus.
Le nom de Passienus Crispus est loin d'être inconnu dans l'his-
toire. En effet , nous savons qu Agrippine , veuve de Domilius
Ahenobarbus et mère de Néron , rappelée de l'exil auquel l'avait
condamnée Caligula, revint à la cour de l'empereur Claude, et donna
bientôt sa main au rhéteur Passienus Crispus, dont elle convoitait
l'immense fortune. Passienus eut l'imprudence de faire un testament
par lequel il léguait tous ses biens à Agrippine, et celle-ci pressée
d'hériter, empoisonna son mari. Passienus Crispus avait été deux fois
revêtu des honneurs consulaires, et ses funérailles furent pom-
cet événement et l'année dans laquelle les vicani Marosallenses dédièrent à
l'empereur Claude la statue dont le piédestal vient d'être retrouvé.
496 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
peusement célébrées par un deuil public. On ignorait la date de la
mort de ce personnage dont le nom ne se retrouvait pas dans les fastes
consulaires, bien que l'on fut assuré qu'il avait été deux fois consul ;
aujourd'hui nous sommes en droit d'affirmer que le deuxième mari
d'Agrippine vivait encore au commencement de l'année 4'i-; qu'aux
kalendes de janvier de cette année, il fut pour la deuxième fois
nommé consul, après avoir été antérieurement revêtu d'un petit
consulat, ou consulat substitué; qu'enfin, il ne mourut empoisonné
par sa femme que vers le milieu de l'année, puisque le 23 septembre
on savait à Marsal qu'il avait cessé de vivre, tandis qu'en cette localité
assez éloignée de la capitale de l'empire, on ne connaissait pas encore
le nom du personnage substitué au consul défunt.
F. DE Saulcy.
SUR L'EPOQUE DU VASE D'ARTAXERCE
I
En parlant de ce curieux monument dans la dernière livraison , j'ai
laissé en doute s'il avait été exécuté sous le premier Artaxerce, dit
Longae-Main, ou sous le deuxième, dit Mnémon, et j'ai appelé sur
ce point l'attention et la critique de M. Letrorme.
J'ignorais, lorsque j'écrivais mon article, que cet illustre savant
s'était occupé des vases égypto-perses à quadruple inscription, dans
un Mémoire qu'il a lu à l'Académie des Inscriptions sur Vélat de
V Egypte depuis l'établissement des Grecs dans ce pays sous Psamméli-
chus, jusqu'à la conquête d'Alexandre. Sans s'appuyer, comme j'ai
tâché de le faire, sur des considérations tirées de l'examen des in-
scriptions elles-mêmes, et en partant uniquement du point de vue
historique , il est arrivé à des résultats qu'on peut regarder comme
positifs, et qui me paraisent tels, sur l'âge du vase d'Arlaxerce, amsi
que des monuments de ce genre oii se montrent l'empreinte, et, en
quelque sorte, le mélange des deux ci\ilisations. M. Letronne ayant
bien voulu me commuinquer le fragment qui se rapporte à cette
intéressante question , je ne puis mieux faire que de le transcrire
avec la permission du savant auteur, que je m'empresse de remercier
de cette nouvelle preuve de bienveillance.
Avant de transcrire ce fragment, je dirai que le Mémoire dont
il fait partie a pour objet de prouver la conservation de toutes les
branches de la civilisation égyptienne, principalement des arts,
qui en étaient l'expression fidèle, et de réfuter l'opiniort de ceux qui
prétendent encore que la domination des Perses y avait porté une
atteinte profonde.
Dans la première partie de ce Mémoire, l'auteur montre que, sous
les derniers Pharaons , l'Egypte n'avait rien perdu de son antique
prospérité ; que Psammétichus , Nechos et Amasis exécutèrent des
travaux qui, pour la grandeur et la perfection, ne le cédaient pas à
ceux des Thouthmosis et des Rhamnsès; et que les rois perses, à
part les excès isolés de Cambyse, ne portèrent aucune atteinte, ni
aux institutions ni aux arts de l'Egypte; que la religion, dans celte
période, fut aussi florissante, et les travaux d'art aussi parfaits que
dans les siècles passés; et qu'on n'a nulle raison de penser, comme
on le fait encore , que Platon et Eudoxe n'ont pas trouvé les sciences
positives, telles que les mathématiques, la mécanique (1) et Tastro-
(1) Dans la livraison suivante, nous donnerons un autre fragment de ce Mémoire,
qui concerne la Mécanique des Égyptiens.
-^98 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
nomie, dans le même état où elles furent aux époques les plus pros-
pères; ce qui fait tomber plus d'un préjugé qui s'appuie encore sur
les chimères de Bailly.
Voici le fragment relatif au vase d'Arlaxerce. II ouvre la deuxième
section (de la deuxième partie) du Mémoire, intitulée de VÈgypte,
depuis la mort de Darius H jusqu'à V arrivée d Alexandre :
Adrien de Longpérier.
« Cette période de l'histoire égy[)tienne n'est exactement repré-
sentée que dans les extraits de Manéthon. Rien ne pourrait faire
soupçonner, dans ce qui nous reste des historiens classiques sur cette
époque, que l'Egypte, après la mort de Darius II, ne resta point,
comme par le passé, sous la domination persane; mais qu'elle fut
exclusivement gouvernée par des rois tirés de son sein. Ici l'annaliste
égyptien est, sur tous les points, d'accord avec les monuments.
«En effet, après la XXVIP dynastie, qu'il appelle persane^
composée des rois persans de Cambyse a Darius II, Manéthon
compte trois dynasties égyptiennes : la XXVI1I% la XX1X% et
la XXX% formées de neuf règnes successifs, dont la durée totale
est d'environ soixante-quatre ans, et dont le dernier, celui de Nec-
tanébo II, tinit douze années seulement avant l'arrivée d'Alexandre.
c( Le premier de ces rois est Amyrtéey qui commence à régner
en 404. Les chronologistes s'accordent, en général, à croire que c'est
ce même Amyrtée qui s'était retiré dans les marais du Delta , après sa
défaite et la mort d'Inaros en 458 ; et cette opinion est Adoptée
encore par sir Gardner Wilkinson (1). Mais elle n'est pas admissible.
Outre qu'il s'est écoulé environ cinquante ans entre cette défaite et
le moment où cet Amyrtée reparaît comme roi d'Egypte, on oublie
qu'Hérodote (2) a dit formellement que les Perses ont permis à son
fils Pausiris de lui succéder. L'Amyrtée de Manéthon ne peut donc
être que le fds de ce Pausiris, conséquemment le petit-fils de l'Amyrtée
d'Hérodote et de Thucydide; et ce n'est pas le seul exemple qui
montre que, chez les Egyptiens comme chez les Grecs, les noms
sautaient une génération et passaient aux petits-fils.
«Ce prince était déjà sorti de ses marais en 414, se soulevant contre
Darius II. Mais ce ne fut que plus de dix ans après, à la mort de ce
roi et à l'avènement d'Artaxerce II ou Mnéraon, qu'il se montre
(1) Manners and cusloms , 1. 1 , p. 202 , 203.
(2) lU, 15.
ÉPOQUE DU VASE d'ARTAXERCE. 499
comme souverain de l'Egypte, et qu'on voit pour la première fois,
depuis Psamménite, reparaître une dynastie nationale.
« Comment ce changement s'est-il opéré? Comment Artaxerce
a-t-il été forcé de consentir à cette modification si importante dans
les relations politiques des deux pays? Est-ce sa guerre avec son
frère Cyrus qui l'avait réduit à cette extrémité? c'est ce que l'histoire
ne nous apprend pas. Mais, si la cause est inconnue, le fait est
constant. 11 ne l'est pas moins qu'Amyrtée eut pour succes-
seurs cinq rois , formant la dynastie mendésienne , à savoir : Néphé-
rites, qui régna six ans; Achoris, treize ans; PsammiUhis (l), un an;
Néphérites II, quatre mois , et MiUMs, un an ; puis trois rois formant
la dynastie sébennytique, à savoir : Neclanébo /''payant régné dix-huit
ans ; Tachos, deux ans; Neclanébo II, huit ans; après quoi, l'Egypte
retomba pour douze ans sous la domination persane. Ainsi les noms
des rois perses disparaissent des dynasties manéthoniennes à partir de
l'an 404, c'est-à-dire de l'avènement même d'Artaxerce 11 ou
Mnémon , qui n'est plus compté que comme roi persan.
« La tolérance que je viens de signaler de la part des rois perses,
entre Cambyse et Darius 11, alla même jusqu'à permettre l'emploi
de l'écriture hiéroglyphique sur les objets qui faisaient partie du
mobilier royal en Egypte. Du moins, il semble que ce soit ainsi qu'on
doive expliquer l'inscription 6?7m^we, pculèlre quadrilingue, en tout
cas quadriUtléraîe, gravée sur le fameux vase d'albâtre du Cabinet
des Antiques, portant le nom de Xerxès, écrit à la fois eu hiéro-
glyphes phonétiques et dans les trois espèces de caractères cunéi-
formes; monument dont personne ne pouvait supposer la grande
valeur paléographique, avant la découverte de Champollion , et qui
vint apporter une confirmation si heureuse et si inattendue à la
lecture des hiéroglyphes phonétiques et de l'écriture cunéiforme.
Un second exemple a été fourni récemment par un pareil vase
que sir Gardner Wilkinson a découvert à Venise, dans le trésor de
Saint-Marc (2), portant le nom d'Artaxerxe, écrit également dans
une quadruple inscription de même nature.
c( Il faut bien que ces deux rois , ou que les officiers de leur
maison, fissent un certain cas de l'écriture hiéroglyphique , pour
en ordonner ou du moins en permettre l'emploi en de telles circon-
stances ; car ces deux exemples montrent assez que l'usage de ces
doubles inscriptions sur les ustensiles n'était pas fort rare.
(1) C'est le Psammélichus de Diodore (XIV, 35, 5).
(2) LUerary Gazette, numéro 1444; 2i septembre 1844, p. 610-611,
500 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
c( Quant à savoir quel est cet Àrtaxerce, la question ne saurait
être douteuse, d'après ce qui précède. Ce ne peut être qu'Artaxerce 1"
ou Longue-Main, puisque le deuxième, n'ayant pas régné en Egypte,
n'a pu avoir dans ce pays de maison royale, et conséquemment y
posséder des ustensiles portant leur nom en hiéroglyphes; car on ne
trouvera sans doute pas fort vraisemblable qu'Artaxerce Mnémon se
ser\ît, en Perse, d'ustensiles marqués de tels signes. Au contraire,
l'extrême tolérance d'Artaxerce V% qui, ainsi qu'on l'a vu plus haut,
rendit le gouvernement du Delta à l'Égyptien Pausiris, le fils du
rebelle Amyrtée, explique parfaitement que son nom ait été, comme
celui deXerxès, inscrit en hiéroglyphes sur les ustensiles à son usage.
«J'aperçois là les indices d'une sorte de fusion dans les usages
des deux peuples; et cette fusion se manifeste encore, comme je l'ai
dit dans la partie inédile de mon Mémoire sur la croix ansée, par les
sujets de certains cylindres rares, ou de bas-reliefs (1) sur lequels des
symboles, évidemment égyptiens, sont mêlés à ceux qui sont propres
aux peuples de l'Asie occidentale. La présence de ces symboles doit in-
diquer, à mon avis, que les monuments où on les trouve ont été gravés
en Egypte même, pour l'usage des Perses; ce qui nous autorise à en
placer l'exécution dans la première période de cent vingt et un ans,
comprise entre Cambyse et Darius Ochus, de 525 à 40i avant notre
ère; époque à laquelle, ainsi qu'on l'a vu, l'Egypte recouvra ses rois
nationaux, et ne fut plus qu'un pays tributaire de la Perse.
c( Si donc on trouve un jour d'autres vases de cette espèce, ou des
ustensiles portant des noms de rois perses en hiéroglyphes , on peut,
je crois, prédire à coup sûr que ces rois appartiendront à cette pre-
mière période, et principalement à Cambyse, Darius, Xerxès, et
Artaxerce 1", les seuls rois perses dont jusqu'ici les noms ont été
trouvés écrits hiéroglyphiquement,
a C'est là, je crois , la première indication chronologique qu'on ait
pu introduire dans la critique de ces monuments si dignes d'intérêt.
A ce titre, du moins, elle mérite peut-être l'attention des personnes
qui étudient spécialement ces importants matériaux de l'archéo-
logie et de la phdologie asiatiques. Je la soumets à leur examen. »
(1) Tel est le fragment trouvé à Suez par le général Dugua, où l'on voit la tête d'un
roi persan, avec une ligne en cararlères cunéiformes et le globe ailé égyptien. ( Uenon,
PI. 124, n" 3. Cf. Descript. de l'Egypte-, Anliq. T. V, pi. 29, n" 1-4 J
DES DIVINITES
ET DES GÉNIES PSYGHOPOMPES
DAIVS L'AIVTIQUJTÉ JLJ AV MOYEN AGE.
PREMIER ARTICLE.
En exposant l'origine du sujet de la psychostasie, j'ai fait voir que
saint Michel, l'ange psychopompe par excellence des chrétiens, avait
été substitué au Mercure de l'antiquité, dans les représentations du
pèsement des âmes. Je me suis peu étendu sur ce rapprochement,
car je me proposais d'y revenir plus en détail, et de démontrer toute
l'étendue de l'analogie existant entre les idées païennes et celles
qu'adopta le peuple au moyen âge. Maintenant je vais suivre avec
attention l'enchaînement des croyances qui se liaient à cette doctrine
de génies, d'anges psychopompes. Examinée avec soin, la trace des
traditions antiques sera moins méconnaissable; le rapprochement pa-
raîtra moins étrange, moins hasardé peut-être. On verra que l'homme
a toujours conçu de la même manière tout ce qui touche à la vie
future; car l'impuissance où est son intelligence de se figurer une
existence foncièrement distincte de la sienne, le contraint de tourner
dans le même cercle d'idées, de s'en prendre aux mêmes hypothèses
grossières et matérielles.
Il est sans doute extraordinaire, presque inconcevable que le mes-
sager de l'Olympe soit devenu le chef des légions de Jéhovah. Com-
ment s'expliquer qu'un dieu qui, pour les premiers chrétiens, n'était
qu'un démon s'arrogeant sous un nom mensonger les adorations des
hommes qu'il égarait (1), ait été métamorphosé en une de ces pures
intelligences, ennemies déclarées et incessantes de ce démon lui-
même? Pour le comprendre, il ne faut pas opposer la sévère ortho-
(1) On sait que tous les premiers chrétiens regardaient les divinités païennes
comme autant de démons, et s'imaginaient même que ces démons habitaient en
personne dans les idoles. C'est une opinion en faveur de laquelle témoignent presque
tous les Pères et un grand nombre de vies de saints. La manière si différente
dont la; mythologie grecque et latine est envisagée par les antiquaires modernes,
même les plus orthodoxes, démontre à quel point les opinions ont changé sur ce
point j on en pourrait dire autant de bien d'aulres idées I
I. 33
502 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
doxie de certains fidèles à la stupide idolâtrie de païens ignorants. Il
faut porter les regards sur ces sectes nombreuses qui se groupent
autour du christianisme naissant, sur cette grande famille du gno-
sticisme où viennent se mêler et se confondre toutes les doctrines
mystiques, allégoriques de l'Orient, et les fables poétiques et gra-
cieuses de la Grèce. C'est là que s'opérait un syncrétisme immense,
tantôt ingénieux et profond, tantôt désordonné et puéril. Là les
divinités des différentes religions étaient échangées, accouplées,
défigurées ; là , tous ces dogmes chrétiens et ces mythes antiques
qui se heurtaient ailleurs, opéraient une bizarre alliance. Les gnosti-
ques étaient à moitié païens, à moitié chrétiens ; ils formaient un parti
mixte qui exerçait sur les partis extrêmes une grande influence. Ils
présentaient toutes les nuances, depuis les Valentiniens, le Basilidiens,
si ennemis de la foi du Christ, jusqu'aux Ptoléméens, qu'on pouvait
considérer comme quelques-unes de ses brebis indociles, et mutines
parfois , mais qui cependant suivaient le pasteur. Une foule d'écrits
chrétiens, que le catholicisme lui-même a adoptés pour son enseigne-
ment dogmatique, portent l'empreinte irrécusable des idées de ces
sectes (1). Et comme il n'existait pas entre les diverses communions
chrétiennes une séparation aussi prononcée que certains historiens l'ont
fait croire, comme chaque Eglise gardait ses observances particulières
et ses interprétations à elle, suivant les opinions des évoques et du
clergé, les idées gnostiques pénétraient plus ou moins chez les ortho-
doxes, c'est-à-dire chez ceux qui se ralliaient, sur les points princi-
paux, à l'opinion générale (2). Ainsi c'est par le gnosticisme, que les
croyances païennes pénétraient dans la masse des chrétiens; elles
y étaient apportées par ceux qui abandonnaient cette secte et ren-
traient dans le sein de la société orthodoxe, tout en conservant en-
core le fond de leurs croyances et de leurs idées. L'homme croit sou-
vent abandonner ses idées , mais ses idées ne l'abandonnent guère ;
elles tiennent à la nature même de son esprit qui garde toujours son
premier moule. Les croyances, les dogmes païens arrivaient donc
aux chrétiens, déjà transformés, ayant perdu une partie de leur vête-
ment primitif; les néophytes les acceptaient alors d'autant plus aisé-
ment qu'ils y retrouvaient moins les traits qui auraient pu trahir leur
(1) Cf. l'excellente Histoire du Gnosticisme de M. Matter, qui nous a été d'un si
utile secours, et dans laquelle tous ces faits sont démontrés avec évidence.
(2) Voyez les Histoires du Christianisme de MM. Neander, Matter, Gfrôrer, et en
général celles qui appartiennent, parles opinions de leurs auteurs, à l'Église
évangélique.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 603
origine. C'est ainsi qu'est entré dans le mythe chrétien de la psycho-
stasie, le Mercure, l'Hermès, le Thoth des religions expirantes. Une
pierre gravée publiée dans Chifflet (l), dans le cabinet Gorlée (2) et
dans le recueil d'inscriptions de Gori (3), va venir appuyer notre con-
jecture.
Cette gemme offre Mercure assis sur un rocher, ainsi qu'il est fré-
quemment représenté sur les pierres gravées antiques. Il est coiffé
du pétase ailé et porte un grand caducée ; devant lui est un coq qui
chante. On lit sur la pierre le nom de michael. Dans le champ on
a tracé deux lettres hébraïques : un aïn et un thau, ce qui forme le
mot 'Ath (prononcez 'Eth), et qui signifie le temps (4). Ce mot semble
donc être une allusion au jugement futur. Le coq, emblème de la vi-
gilance et des exercices de la palestre et du gymnase, figure comme
symbole habituel de Mercure, inventeur des jeux gymnastiques (5),
mais il est probable qu'on a attribué à cet oiseau un sens nouveau;
Mercure étant devenu l'archange Michel, le coq est sans doute repré-
senté comme un emblème du jugement dernier, jour où la trompette
nous éveillera du tombeau, comme à l'aurore le chant de cet oiseau
domestique rappelle l'homme à la vie active et l'arrache au som-
meil.
C'est Prudence qui nous donne l'explication de cet emblème,
lorsque sa lyre sacrée fait entendre ces accents :
Aies diei nuncius
Lucem propinquam prœcinit,
JYos, excilator mentium
Jam Çhristus ad vitam revocal (6).
Et il ajoute pour compléter en quelque sorte le commentaire de notre
figure :
T^ox isla qua slrepunl aves
Paullo ante quant lux emicel
lYoslri figura est judicis.
Saint Eucher nous tient un langage analogue : Galli nomine desi-
gnantur, dit-il , prœdicatores sancti qui inter tenebras vitœ prœsentis
(1) Chifflet, Tab. XXI, flg.S^.
(2) Cabinet des pierres gravées de Gorlée et autres cabinets célèbres de l'Europe.
T. II, pi. CCXVIII, n° 435.
(3) Gori, Inscripl. antiq., I , p. L. Tab. III, 1.
(4) Cf. Osann, Commentai, de Gemma sculpta Christiana. Gissse, 1843,
p. 16 et 19.
(5) Cf. Creuzer, Zur Gemmenkunde, p. 56 et 57.
(6) Cathemer. I.
^Oi REVUE 4RCHÉ0L0G1QUE.
student venturam lacemprœdicando quasi cantando imnciare; dicunt enim,
nox prœcessU , dies autem appropinquavit , ahjiciamus ergo opéra tene-
hrarum(i).
L'origine de cette pierre gravée n'est pas douteuse, c'est une de
ces nombreuses pierres gnostiques monuments curieux de l'asso-
ciation de toutes les divinités et de tous les symboles religieux
que je rappelais tout à l'heure. Il est clair ici que l'archange a été
substitué au dieu antique. M. Matier, j'en conviens, a jeté quel-
ques doutes sur l'authenticité de cette gemme, qui est à ses yeux
l'œuvre d'un faussaire italien du moyen âge (2). Le savant au-
teur se fonde, dans son opinion, sur le peu d'analogie qu'il y a,
dans les doctrines gnostiques, entre Mercure et saint Michel. Mais
cette objection perd toute sa force, actuellement que nous avons fait
voir l'extrême connexité qui existe entre les deux personnages (3).
Frappés de l'accord du sujet de cette pierre et des faits auxquels nous
avons été conduits par une tout autre voie, comment négligerions-
nous une si curieuse confirmation de nos idées? comment s'expliquer,
si c'est ici l'œuvre d'un faussaire, ce rapprochement singulier? Et
môme une main moderne eût-elle fabriqué cette gemme dans le but
d'abuser les amateurs, au moins doit-on croire qu'elle avait pour
modèle une pierre gnostique analogue, autrement pourquoi aurait-
elle inventé un pareil sujet?
Le signe de la planète Mercure qui se voit sur cette pierre , indique
l'assimilation de l'ange au génie de lastre, assimilation qui n'a rien
que de très-conforme aux habitudes gnostiques, aux idées astrologi-
ques qui y étaient si souvent associées (4).
L'Hermès égyptien était d'ailleurs regardé comme un messager de
la Divinité, comme une sorte de Christ, de Logos, émanation de l'in-
telligence suprême, envoyée pour instruire les hommes. Le livre
mystique attribué à Pœmander, et qui est certainement l'œuvre de
quelque gnostique, représente ce personnage comme enseignant aux
(1) De laud., spir. form., c. 6.
(2) Cf. Atlas de la première édition de VHist. du Gnosticisme , explication de
la pi. IX , p. 95.
(3) Un fait curieux à noter, et qui vient encore à l'appui de notre rapprochement,
c'est que certains temples de Mercure ont été remplacés dans les Gaules p.ir des
églises sous l'invocation de saint Michel. Ainsi près du Puy en Velay, l'église de
Saint-Michel, élc\ée en 9G5, au sommet d'un pic des plus escarpés, celui de l'Ai-
guille, a été coîistruite sur les restes d'un temple de Mercure, dont quelques débris
se voient, dit-on , encore-
(4) Voyez ce que nous disons plus bas du rapport des anges avec les aslres.
DES DIVINITES Et DES GENIES PSYCHOPOMPES. 605
hommes les dogmes de lai vraie^religion et comme venu pour leur
annoncer le règne de la piété : Hpypat y.ripvdaELV toïç àyOpômoiçrorri^
eixjs^ciocç xa\ rriç, yvwo-£wç v.lioç, (1). C'est dans cette même idée qu'il
faiit chercher le sens d'une inscription trouvée jadis à Argos et dont
M. Osann a démontré l'origine chrétienne (-2). Elle forme le distique
suivant :
Êpiiriq §i'/.a6ç 5i^{i) y.cà fAô...ij
Cette inscription nous donne à supposer que celui qui la composa
regardait Hermès comme un des agents de la rémunération future.
Les pandémons planétaires des gnostiques représentés avec des
ailes aux épaules et aux hanches et tenant une balance ou plutôt une
romaine , pandémons que M. Matter explique comme ayant une signi-
fication psychostasique, avaient certainement une analogie avec
l'Hermès psychopompe qui a aussi quatre ailes et porte également
une balance. A l'époque du néoplatonisme et du gnosticisme , la
plupart des divinités étaient assimilées aux étoiles. Mercure avait
alors cela de commun avec ces pandémons, ces génies panthées,
qu'il était regardé ainsi qu'eux, comme présidant à la marche d'un
astre. Winckelmann, dans sa description des pierres gravées du
cabinet de Stosch (3) , cite une gemme représentant Mercure de-
bout, tenant de la main droite le caducée et de la gauche une ba-
lance. Devant lui on voit le cancer et derrière lui les poissons et le
scorpion. Cette pierre a évidemment une signification astrologique;
elle se rapporte peut-être au voyage zodiacal, si la date en est assez
récente pour qu'on puisse la rattacher à l'époque du néoplatonisme.
On ne peut s'empêcher de la rapprocher de la pierre gnostique publiée
par M. Matter (4), et sur laquelle on voit un génie panthce à quatreailes,
un calice de lotus sur la tête , placé entre deux rame.i mystiques, te-
nant de la main gauche une balance romaine et de la main droite un
scorpion. Cet ensemble d'attributs est fort analogu;i, on le voit, à
ceux du Mercure de cabinet du Stosch. Le nom d'Iao qui se lit au
bas de la pierre gnostique est celui du génie de la lune. D'un autre
côté le planisphère de Bianchini d'accord avec Julius Firmicus Ma-
(1} Casaubon , Exercit. ad Baronii Annal. Fiancof. 1805 , p. 57 et suiv
(2) 0?,'à\\ji,Syllog. inscr. grœc.
(3) Descript. des pierres gravées de Slosch, p. 1)1.
(4) Atlas cilé, pi. I , /fg. 9.
606 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ternus (l), indique la lune comme le premier des décans qui corres*
pond à la planète ou signe de la balance ; de plus , celle-ci , dans
l'ordre des signes, précède immédiatement le scorpion , un des attri-
buts de Mercure sur un grand nombre de pierres gravées. Enfin
Thoth, qui est le même qu'Hermès, présidait à la lune (2). Quoi-
qu'on ne puisse pas démêler le sens astrologique de ces pierres, il est
impossible de ne pas reconnaître entre elles une grande analogie,
analogie qui peut nous faire très-légitimement supposer que Mercure
était adopté par les gnostiques comme un génie panthée sidéral ,
rôle qu'ils attribuaient aussi à Michel. Dès lors l'échange a été facile
entre les deux personnages. Il est d'ailleurs assez remarquable que le
nom de Michel se lise encore précisément avec celui de trois autres
anges, au revers de l'abraxas en question, nouvelle preuve de l'ana-
logie entre lao , génie de la lune , identifié à Thoth-Hermès , génie de
la même planète chez les Égyptiens, et l'archange Taxiarches, comme
disaient les Grecs (3).
Ces considérations suffiront pour faire comprendre comment eut
lieu l'étrange substitution de saint Michel à Mercure ; elles montre-
ront, je l'espère, que c'est chez les gnostiques que s'est opérée sur ce
point la fusion des idées juives, grecques et égyptiennes. La balance
donnée à la fois à Mercure , comme dieu du commerce , garde des
mesures et des poids (4) et comme futur peseur de nos actions, passa
entre les mains de l'archange protecteur spécial d'Israël. Emblème de
l'inflexible équité de la mort (5), elle contribua, une fois adoptée sur
les monuments chrétiens, à nourrir dans l'imagination populaire une
fable dont l'explication tout entière est dans la traduction littérale
du terrible Thecel (6).
(1) Cf. Letronne, Observ. sur les représent, zodiac, p. 98-99.
(2) ChampoUion, Panlh. égyptien, pi. 30.
(3) Cf. sur ce surnom Arundell , Discoveries in Asia minor. T. lï , p. iHî.
(4) C'est pour celle raison qu'on trouve des balances dont les poids représentent
une lêle de Mercure. Cf. Mm. Florent. T. II , p. 153 , Fabrctli , Inscr. c.G.a.
(ô) Sur une sardoine antique , rapportée par Ficoroni , Gemmai, antiq. lilter.
Tab. VIII , ftg. 2 , on voit une tête de mort au dessus de laquelle est une balance ,
au-dessous de celle-ci est une roue. Celte balance figure ici , comme un emblème
du pèsement des âmes, ou plulôl comme une image de la mort dont la loi est égale
pour tous , c'est VOmnia mors œqual de Claudien.
La roue a aussi une signification funéraire. Cf. sur la roue, de Wilte , Catalogue
de la Collect. du vicomte Beugnot, p. 26 et suiv-
(6) Les livres rabbiniques ont reproduit souvent cette comparaison de pèsement :
Comme les mérites et les péchés de l'homme sont pesés à l'heure de la mort
Eischolh Tchuvah, eh. 3, 3, celui qui commet un seul péché, fait pencher pourson
propre compte et pour celui du monde entier, le plateau de la culpabilité (en he-
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 507
Nous l'avons vu , pour les chrétiens des premiers siècles et du
moyen âge, saint Michel était le conducteur des âmes, c'est lui qui les
portait au sein de Dieu. Mais il n'est pas toujours le seul auquel ces
fonctions aient été dévolues; saint Gabriel et l'armée tout entière des
anges les partagent avec lui :A1V ol //sv ayyeloi t/jv ^v^-hv Tiixpala^ou-
reç (XTïdyovdLV, nous dit saintEphrem (l). Dans certains rites chrétiens,
voilà quelles étaient les paroles qu'on prononçait, après avoir donné
l'extrême onction au malade : (c Te supplices deprecamur ut suscipi
«jubeas animam famuli tui permams sanctorum angelorum (2). » On
pourrait produire un grand nombre de passages où se trouve énoncée
la même idée , nous nous contenterons d'en citer quelques-uns et des
plus anciens. On remarquera qu'ils sont empruntés aux livres apo-
cryphes des premiers siècles , livres composés la plupart par des sectes
hétérodoxes dont les doctrines étaient infiniment plus empreintes que
celles des orthodoxes, des idées orientales. Écoutons la prière que l'his-
toire arabe de la vie du charpentier saint Joseph, place dans sa bouche,
en le faisant entrer dans le temple de Jérusalem : « Si ma vie est con-
sommée, ô Seigneur, si voici le moment où je dois sortir de ce monde,
envoie-moi Michel , le prince de tes saints anges. Qu'il demeure près
de moi, pour que ma pauvre âme sorte en paix, sans peine et sans
crainte , de ce corps de douleur (3). » Et le Christ suppliant le Tout-
Puissant pour celui qu'il nomme son père (4) , s'écrie dans un autre
endroit du même livre : « Envoie Michel , le prince de tes anges, et
Gabriel qui annonce la lumière et tous les anges de lumière,, et que
leur troupe accompagne l'âme de mon père Joseph, jusqu'à ce qu'ils
l'aient conduit vers toi. » Et on ajoute que Michel et Gabriel vinrent
vers Joseph et reçurent son âme dans un linceul éclatant (5); et que
deux autres anges vinrent ensevelir son corps. Nous allons retrouver
une légende racontée d'une manière plus circonstanciée encore dans
l'histoire des communautés religieuses fondées par saint Pacôme (6).
« Lorsqu'un homme de bien vient à mourir, y lit-on, quatre anges se
rendent auprès de lui, et ces esprits célestes sont toujours d'un rang
breu caph, plateau, bassin) ; celui qui commet une seule bonne action fait trébu-
cher, en faveur de lui-même et du monde entier, la balance du mérite. /b. ch. 3, 4.
(1) De secund. advent. ap. Opéra éd. Assemani. T. III, p. 273.
(2) Gori , Symbol, litterar. ord. baptiz. infirm. ap. Oper. T. ix , p. 220.
(3) Cap. 13. Ap. Thilo, Cod. Apocnjph. JYov. Testam. T. I, p. 23.
(4) C. 22.
(5) C. 23.
(6) Dulaurier, Fragment des révélations apocryphes de saint Barthélémy el
de l'Histoire des communautés religieuses^ fondées par saint Pakhome. Paris,
1835, p. 16 etsuiv.
ilOS REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
analogue à la condition de la personne qui vient de succomber. Si son
rang était élevé, les anges occupent également des places distinguées
dans la hiérarchie céleste ; si son rang n'était que secondaire , ces
anges sont pareillement d'une classe inférieure. Dieu veut par là que
ses messagers, en allant visiter l'homme, opèrent la séparation de
l'âme et du corps avec douceur et avec bonté. L'un de ces anges se
tient debout, près de la tête, l'autre auprès des pieds du mourant, dans
l'attitude d'hommes qui de leurs mains frotteraient son corps d'huile
jusqu'à ce que l'âme s'élève dégagée des liens du corps. Un autre tend
un linge immense et d'une substance incorporelle , pour y recueillir
cette âme sainte qui , elle-même , s'y précipite. Un des anges prend
les deux extrémités de ce linge par-derrière , un autre saisit celle de
devant, de la même manière que sur la terre, les hommes disposent
un corps qu'ils veulent transporter. Un troisième ange le précède,
chantant des hymnes dans une langue inconnue Le cortège qui
accompagne l'âme s'élève avec elle au travers des airs et se dirigeant
vers l'orient. La démarche des anges ne ressemble point à celle des
mortels, qui sont obligés d'agiter leurs membres pour se transporter
d'un lieu à un autre. Ils s'élancent avec l'âme confiée à leurs soins
vers les régions de l'atmosphère. »
L'auteur de l'assomption de Moïse dit que : « Josué étant sur la
montagne où Moïse mourut, vit deux Moïses, l'un au milieu des anges
qui montait au ciel, et l'autre sur la terre où il fut enterré. Le premier
Moïse était son âme, et le second était sa dépouille mortelle (1). »
Cette croyance que nous voyons exposée ici dans ses moindres
détails, est aussi indiquée dans les livres orthodoxes, par quelques
passages, et les vies de saints acceptées par l'Église romaine, ren-
ferment nombre de légendes qui y ont trait. Un des évangiles (2)
nous dit que l'âme du pauvre Lazare fut portée par les anges dans
le sein d'Abraham. Saint Antoine rencontra snr son chemin l'âme
de saint Paul, ermite, qui montait au ciel au milieu des anges, des
prophètes et des apôtres (3). Le même solitaire vit, au dire du
ménologe grec de l'empereur Basile, l'âme de saint Araoun portée
au ciel par la main des anges (4). On lit dans l'histoire de saint Pierre
(1) Ap. Clem. Alex. Stromat., 1. 6. JSvod. ad August., Èp. 259, ap. S. Augus-
tin. Oper.
(2) Luc. XVI, 22. Cf. Araphiloch. episcop. Icon, Oral, de Lazar. âp. Opéra.
Paris . 1 644 , p. 62 et sq. Arnoh. adv. génies Jib. 2 , c. 1 7.
(3) Bolland. Acl. jan. T. I , p. 606.
(i) Menologium Grœcorum. ÈJ. Annib. Albani, pi. I, p. 94, 4 octob. (Urbini,
1727,in-foI.)
DES DIVINITÉS ET DES GENIES PSVCHOPOMPES. 509
et de saint Marcellin, attribuée à Égiiihard(l), qu'on aperçut leurs
âmes s'élever dans les airs, sous la figure de jeunes filles parfaitement
belles, ornées de pierreries et portées par la milice divine : « Forma
quasi virginali tectos vere fulgida, auro quoque radiantes ac gemma-
rum lumine, angelorum coruscantum circumdatos agmine laetabun-
dos cum immensa lucis affluentia, supra cuncta penetrando, celsa
mundi sidéra sublevatos ad aeterna cœli régna scandere.» D'après le
ménologe grec que nous venons de citer (2), l'empereur Maximin
aperçut l'âme de saint Alexandre de Thessalonique portée au ciel
par quatre anges. Saint Benoît vit l'âme de saint Germain, évoque
de Capoue , que des anges emportaient au ciel , dans une sphère de
feu (3). Quand sainte Madeleine de Pazzi mourut, on vit son âme
entourée d'une foule innombrable d'anges qui la portaient au ciel, puis
la revêtirent d'une robe dorée et placèrent sur sa tète une couronne
de pierreries (4). Plusieurs faits de ce genre sont rapportés dans le
Gyneceum sacrum et d'autres hagiologies. On lit dans la vie de
saint Bernard qu'au moment oii ce saint homme expira, on vit près
du lit sur lequel il reposait, la mère de Dieu, sa patronne, à la tête d'une
grande troupe d'anges qui vinrent chercher son âme et l'enlevèrent
aux cieux, en faisant entendre les chants les plus harmonieux (5).
Ces chants que faisaient entendre les esprits célestes, en con-
duisant l'âme du saint abbé de Clairvaux, nous rappellent les hymnes
entonnées par les anges dans une langue inconnue , dont il est parlé
ci-dessus, dans l'histoire des communautés de saint Pacôme. Et cette
particularité d'anges chantant n'a rien ici d'insolite ni de particulier.
Au moyen âge c'était une opinion très-généralement répandue que
l'âme du juste s'élevait aux cieux aux accords de la musique céleste.
c< Il faut savoir, dit saint Grégoire dans ses Dialogues (6), qu'il arrive
souvent que les esprits bienheureux chantent agréablement les
(1) Bolland. Act. jan. T. II, p. 17G. Cf. OEuvre d'Éginhard, éd. Teulet,
T. II, p. 312.
{"2) PI.I, p. 17G. lYovemb.
(3) Cf. S. Gregor., Dialog., lib. 2, c. 36; S. Bernard , Serm. XIII, 1, 21 mars ,
ap. Oper., tom. I, p. 8Gi, et Traclalus anonymi de rémunérai, meritorum
7ion dilata ap. script, vêler, nov. collecl. e codic. Fatic. Ed. A. Maio, T. VII,
p. 270.
(4) Vincent. Pazzini , Fil. bealœ Mariœ a Pazzis. Part. I, c. 61.
(5) Bolland. AcLW,Aug., c. 51,p. 220. On pense bien que ce n'est que comme
exemple que nous avons cité les faits précédents. Nous ne prétendons nullement
avoir reproduit tous ceux de cette nature; on en rencontre presque à chaque page
dans les Bollandistes.
((5) Lib. Ï4,c. 14.
510 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
louanges de Dieu, lorsque les âmes des élus sortent de ce monde,
afin qu'occupées à entendre cette harmonie céleste, elles ne sentent
pas la séparation d'avec leur corps. » On raconte dans le même
ouvrage (l), que les anges enlevèrent en chantant l'âme de saint
Romule au ciel. Juvenal, patriarche de Jérusalem , qui vivait dans le
v° siècle, écrivait à l'empereur Marcien et à l'impératrice Pulchérie,
que les apôtres se relevaient les uns les autres , passant le jour et la
nuit avec les fidèles, au tombeau de la Vierge et qu'ils mêlaient leurs
voix et leurs cantiques à ceux des anges qui , durant trois jours , ne
cessèrent de faire entendre la plus céleste mélodie. On lit dans les
Bollandistes que l'âme de saint Domitien , évoque d'Utrecht, fut con-
duite au ciel par des anges qui chantaient des hymnes célestes :
c( Afî'uerunt ejus transitui chori angelorum hymnidici qui animam
« ipsius cum laudibus detulerunt ad prœmium gaudii (2). » Quand le
bienheureux Silvestre,camaldule, mourut, les anges chantèrent sur
son corps et enlevèrent en chantant son âme au paradis (3). Saint Jean
Silentiaire vit l'âme d'un pèlerin que des anges conduisaient au ciel,
« cum divina quadam hymnodia et suaveolentia (4). Au moment où les
martyrs expiraient, en confessant la foi, les anges portaient au sein de
Dieu leurs âmes victorieuses et chantaient des chants de triomphe
qu'entendirent les bergers carmanites, d'après ce que disent les
actes des martyrs captifs (5).
Cette croyance poétique rappelle le rôle qu'on attribuait aux sirènes,
génies psychopompes qui, d'après les doctrines antiques, menaient
au ciel les âmes des justes en les accompagnant de leur chant mélo-
dieux, aux accords de la voix , de la flûte et de la lyre (6); elles con-
duisaient dans les régions de l'éther le souffle qui s'échappe du
mourant. « Les sirènes, dit Platon (7), inspirent aux âmes- expirantes
l'amour des choses célestes et divines et l'oubli des choses mortelles.
Elles racontent dans les enfers tout ce qui se passe dans les cieux ;
elles sont filles de Phorcus qui veille à l'exécution des loix d'Hades. »
Placées comme les anges, dont les différentes hiérarchies occupaient.
(1) Lib.4,c. 15.
(2) u4c(. sanct. V maii, p. 58.
(3) Cecinerunl angeli supra in campanili et in egressu susceperunt animam.
BoUand. ^ct. IXjun., p. 258 , col. 2.
(4) Assemani , ^ct. Marlijr. orient. Pars I, p. 139 , 206.
(5) Bolland. Ad. XIII maii, p. 256, col. 1.
(6) Sirènes secundum fabulam parte virgines fuerunt, parte volucres : harum
una voce , altéra libiis , alla lyra canebal. Servius ad jEneid. Vers. 864.
(7) Ap. Quœst. symp. L. IX , 146.
DES DIVINITES ET DES GENIES PSYCHOPOMPES. 611
d'après certains théologiens du moyen âge (l) chacun des neuf cieux,
elles étaient assises sur chacun des huit cercles célestes, mêlant leur
voix à celle des trois Parques (2).
De même que les démons de l'antiquité, les génies des Grecs, qui
étaient d'abord les âmes elles-mêmes et qui sont devenues plus tard
leurs génies tutélaires (3), les sirènes, après avoir été les âmes elles-
mêmes chez les Égyptiens, symboles de la sagesse et de la science, filles
du Simurgh ou Sirengh de la Perse , sont devenues les conductrices
des âmes, leurs guides mélodieux dans l'infernal séjour (4). Et c'est
un trait de ressemblance que ces génies ont avec les anges , esprits
tutélaires qui enseignent la sagesse et la vertu à l'âme et la dirigent
après la mort vers le céleste séjour. L'âme pieuse , à l'ombre de leurs
ailes, s'élève aux cieux comme elle s'y élevait, au temps d'Euripide, sur
les ailes d'or des sirènes.
Xpy(7îat 5ï3 pis TTTspu'j/sg Trspt voixw xat
Ta 22tpTQvcov kpozvTOC Tii^tloc àp^oC^îrat. Bàffo^at
A sç oùQép(x. 7ro)iùv àspOtiç, ZrM Trpoçat^&jv.
Euripid. Fragm. ap. S. Clem. Alex. tom. IV, p. 543. Fragm.
éd. Musgrave, t. II, p. 494.
On retrouve encore ailleurs d'autres monuments antiques de cette
même idée que l'âme se rend à l'heureux séjour, aux accents de la
musique. Sur le bas-relief qui décore l'urne funéraire de Flavia Sabina,
au musée du Louvre (5), on voit les deux divinités psychopompes, le
génie et le triton qui charment les âmes qu'ils conduisent aux îles
fortunées, le premier par les accords mélodieux de sa lyre, le second
par les sons modulés de sa flûte. Sur un autre bas-relief du même
musée, on observe également des génies accompagnant des sons de
ces deux instruments le cortège d'une âme (6).
La musique était envisagée comme l'occupation des bienheureux et
(1) Je renvoie pour ce sujet au travail que je publierai incessamment sur les idées
populaires du moyen âge relatives au ciel.
(2) Platon. lîepub.X. Cf. Enripld. Helen. Act. I. v. 166-179.
(3) Je développerai ce fait intéressant de la mythologie antique dans un grand
travail sur l'histoire des croyances relatives à la vie future , et dont ce mémoire ne
forme en quelque sorte qu'un épisode.
(4) Ci. sur les Sirènes, Platon, Cratyl. 403. Proclus in Tim. 2S9. Creuzer,
^gyptiaca, p. 246-362. Millingen, Ane ined. Monum. Part. 16, 1. 14. Panofka,
Mus. Bartholdian. 62. Cabinel Pourlales, p. 76. Annal, de l'Inst. archéol.de
Home. T. I, p. 286. Art. de M. de Laglandière.
(5) Comte de Clarac , Mus. de Sculp. anc. etmod. T. II, PI. I, p- 384. PI. 167-
251 , n» 60.
(6) Ibid., p. 502 , PI. 207, n° 404.
Sl2 REVtJE ARCHÉOLOGIQUE.
des anges, d'après cette autre idée antique qui faisait regarder cet art
comme divin. Maneros dans lequel était personnifié la musique, était
fils de l'Eternel, ainsi que l'indique son nom (l). Apollon, accompagné
des Muses , charmait l'assemblée des dieux par les accords de sa
lyre {'^). Dans le ciel hindou, les Gandharbas enchantent Indra et
les habitants des sept swargas ou sphères célestes, par leurs mélodieux
accents (3). Les âmes qui habitaient l'Empyrée chantaient dans des
concerts de louange leur bonheur et celui des immortels. On lit dans
les oracles chaldéens qui portent le nom de Zoroastre : Tb lôyiôv (^ri<Ji
zàç ij^u;^àç oivayoïievocç rov iiociàcva oiàziv (4) et Pindare a dit :
W-^yaX ^'oco-sêswv VTroupàvtot
Tcâa. TTWTcÔvTat sv àlytat (j>ovtotç
Tnb Çsûy^atç àfùv.zotq /.«xwv
EOffsêécov S ZTZo-oodvioi vâ-oicroci
Fragm. ap. éd. Bœckh, t. II. p. 623.
C'est encore le langage que tiennent, seize siècles plus tard, les
poëtes du moyen âge, c'est la même croyance qui fait placer par les
artistes italiens des instruments de musique entre les mains des anges ;
c'est celle qui suggère cette réflexion à saint Bernard : k Osi quis habe-
(c ret oculos apertos quos orando propheta puero revelavit, videret pro-
« culdubio quemadmodum praeveniunt principes conjuncti psallenti-
« bus, in medio juvencularum tyrapanistriarum. Videret, inquam, qua
<( cura, quove tripudio intersunt cantantibus (5). »
Nous avons cité un grand nombre de textes à l'appui de
l'existence de la croyance à des anges psychagogues dans
le christianisme, nous parlerons maintenant des monu-
ments dans lesquels cette croyance se peint aux yeux et
auxquels les passages cités servent véritablement de com-
mentaire. A Saint-ïrophime d'Arles (6), dans un des en-
tre-colonnements du portail , on a représenté deux anges
qui tirent de la bouche de saint Etienne son âme, tandis
que ses persécuteurs sont occupés à le lapider; ces anges
conduisent cette âme à Dieu qui est figuré par un buste
(n Hérodot. Il , 79. Creuzer, ReMg. de l'antiquité, trad. Guigniaut, T. I, p. 476.
(2) Hesiod. y4sp. Hcrc, y 202 et suiv.
(3) Cf. Moor, Ihe hindu Panthéon, p. 65, 96, 215.
(4) Coray, Ancienl fragments , 2« édit. p. 255. Olymp. in PJiTdr.
(5) Saint Bernard, Episl. 78 ad Suger. ant. med., c 6, col. 80, ap. Oper. T. I.
(6) Millin, P^oyage dans le midi de la France , atlas, pi. LXX, n° 16. Alei. de
Laborde , Monum. de la France. T. II , pi. XXIV.
DES DIVINITES ET DES GENIES PSYCHOPOMPES. 613
placé dans la partie supérieure. Sur la pierre sépulcrale de saint
Goar, on voit ce saint qui tient dans sa main un château, image
abrégée de la ville d'Allemagne qui porte son nom, et qui foule aux
pieds le dragon. Deux anges le portent aux cieux (l). Au portail de
l'église de Saint-Gilles, on retrouve l'âme portée par les anges; elle
est de plus couronnée par eux. Dans la Bible moralisée, manuscrite,
de la Bibliothèque royale, cotée 6829 , fol. 31, 39, in-fol. (2), on
voit un ange recevarit l'âme qui, sous la forme d'un petit personnage
nu, s'échappe de la bouche d'un mourant.
A l'abbaye de Cadouin dans le Périgord, parmi les sculptures
qui décorent le cloître , on retrouve cette âme portée aux cieux par
les anges. Sur un lit composé de roses et de fleurs, repose l'homme
juste qui va recevoir la récompense de ses vertus. Les anges aux ailes
déployées le soulèvent de sa couche mortelle pour l'enlever vers la Di-
vinité qui, sous l'image du Christ, attend l'âme bienheureuse au milieu
d'un concert exécuté par les glorieux habitants des cieux , tandis
qu'en regard et pour former le pendant du premier tableau, l'artiste a
figuré la mort du pécheur. Sur un lit funèbre^ entouré de femmes en
longs habits de deuil, le corps est enseveli. Deux démons à la face
horrible cherchent à s'emparer de ce cadavre, et déjà le bras de la
victime disparaît dans la gueule béante d'un de ces monstres. Le lit
est surmonté d'un dais au-dessus duquel est représentée une scène de
l'enfer (3).
Dans une des miniatures d'un manuscrit latin du xii^ ou xiii*
siècle, miniature due au pinceau d'un peintre italien de l'école grecque,
on voit le diable emportant l'âme du mauvais riche et l'ange celle de
Lazare (4). Dans une peinture sur bois de Barnabe de Modène
représentant le crucifiement, on voit au-dessus delà croix du bon
larron deux anges enlevant dans un linceul son âme qui prie, et les
diables qui viennent chercher celle du mauvais (5). (F. la PI. ci-après.)
Ce linceul nous rappelle le linceul dans lequel les archanges
Michel et Gabriel reçurent l'âme de saint Joseph, et cet autre linceul,
figuré sur le mausolée de Dagobert et dans lequel est portée l'âme de ce
monarque par saint Denis, saint Martin et saint Maurice, tandis que
(1) Bolland. Acl.jul. T. II , p. 332.
(2) Cf. Calalog. des Manusc. franc, de la Bibl. royale, par M. P. Paris,
T. II, p. 18.
(3) Charrière, Cloître de Cadouin, p. 31. Paris, 1839.
(4) U'Agincourt , ^îsi. de l'Art, Peint. PI. CIII.
(5) IMd., pi. CXXXII.
614 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
des anges l'encensent (l). Nous le voyons figurer dans le passage
de l'histoire des communautés de saint Pacôme dont nous avons parlé
plus haut on y lit : Après quoi Michel saisit les deux bouts d'un tapis
de soie de grand prix, Gabriel prit les deux autres extrémités et
embrassant de leurs étreintes l'âme de mon père Joseph, ils la placèrent
(1) Alex, Lenoir, Mus, des Mon, franc. T. I , p. 116.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 5l5
dans ce tapis (1). Cette âme, portée dans un linceul par des anges, re-
paraît encore dans une foule de représentations, dont nous ne citerons
que quelques-unes à titre d'exemples. On la voit dans l'exaltation de
saint Edmond gravée sur le sceau de Bury saint Edmond ( V. la Planche
pag. précéd.)(2) ; c'est ainsi qu'est portée au ciel l'âme d'Alphonse II,
comte de Provence, sur son tombeau à Aix (3). Un des anges l'en-
cense, et l'autre le couronne. Dans le tombeau de l'évêque Maurice, à la
cathédrale de Rouen (4), tombeau qui date du xiii^ siècle environ , on
remarque l'âme du prélat portée dans ce même linceul et entourée de six
anges qui tiennent dans leurs mains des flambeaux et des encensoirs.
Sur le second panneau du reliquaire deMauzacdont la confection est
attribuée à Pierre V, abbé de Mauzac et rapportée à l'année 1298,
on a représenté sainte Namadie portée par des anges. Sur le troisième
panneau est figurée semblablement l'âme de saint Calmin (5). Ce sujet
a été reproduit, môme par des peintres modernes, à une époque oii
déjà V expression , portée aux deux par les anges y ne recevait plus du
plus grand nombre qu'un sens allégorique. Par exemple, dans l'apo-
théose de saint Philippe, par Murillo, on voit l'âme de l'apôtre, figurée
par un petit homme nu, emportée aux cieux par les anges. Sur cer-
tains tombeaux modernes on a substitué un cœur à l'âme , ici l'on
voit commencer l'idée d'une pure allégorie qui succède à la croyance
matérielle. C'est ce que l'on observe notamment sur des monuments
chrétiens de la Géorgie d'une époque peu ancienne (6).
Quelquefois l'âme est portée par un seul ange sur la main duquel
elle est assise (7) ; elle tend alors les bras vers le ciel ; c'est ce que l'on
observe dans une fresque duxiip siècle de l'église des Trois Fontaines,
et dont le sujet est la mort de saint Anastase (8). Cette représentation
rappelle la représentation égyptienne d'Horus ofî"rant le petit Horus
à Ammon ou au dieu Nil. Horus étend la main droite sur le plat de
(1) Dulaurier, Fragm, des révélations apocryphes de saint Barthélémy et de
l'Histoire des communautés religieuses;, fondées par saint Pachome, p. 29.
(2) Dugdale, Monasticon anglican. T. III , pi. XVII.
(3) Millin, P^oyage dans le midi de la France. T. II, p. 288.
(4) De ville, Tomb. de la cathédrale de Rouen, p. 37.
(5) Mallay, Essai sur les Églises romanes et romano-byzantines du Puy-de^
Dôme. PI. XXI, XXII, p. 26. Moulins, 1826.
(6) Cf. le Mémoire de M. Brosset sur des Inscrip. tumul. géorgien., p. 477 du
tome IV des lYouv. Mém. de l'Acad. des Sciences de Saint-Pétersbourg .
(7) « Angcli, via finita, nosin manibus tollunt ». Saint Bernard. Serm. XIII , 1,
col. 8G4, T. II Aper. Le même Père dit ailleurs : « Arbitrer sane velut duabusqui-
« busdam manibus ejusmodi homines interdum abiangclis supportari. » Serm. XII,
10,i&/d. col. 864.
(8) D'Agincourt, Peint. Vl XCVIII, n" 1.
516 REVPE ARCHÉOLOGIQUE.
laquelle est assis le jeune dieu , tandis que de la gauche il semble le
bénir ou adorer le dieu Nil qui tient les trois croix ansées ou signes
de vie (1). Cet ange unique est l'ange gardien de l'âme, celui qui a
veillé sur elle durant sa vie ici-bas, c'est le SuÇyyoç des gnostiques
qui forme avec chaque homme un couple mystique et entre avec lui
dans le Plérome (2).
Ces sujets sont très-nombreux; je ne poursuivrai pas davantage
leur examen, il serait facile de multiplier les exemples (3).
La fonction de psychagognes, dévolue aux anges, est aussi rappelée
dans certaines inscriptions sépulcrales, témoin celle-ci rapportée par
Orelli (4).
SEVERO FILIO DVL // CISSIMO LAVRENTIVS PATER
BENEMERENTI QVI BI //XIT ANN. IIU. MC. VÎÏÏ. DIES. V//
ACCERSITVS AB ANGELIS. VÎT ÏDVS lANVA.
Nous avons vu dans les poésies populaires des allusions au rôle de
saint Michel, comme psychopompe, nous trouvons également des
allusions aux fonctions semblables exercées par les anges.
On lit dans le roman de Garin le Lohérain (5).
Saint Lou de Troies nous ont iluec ocjs
La teste enprenent devant le duc Hervi
L'ame emportèrent li angle en paradis.
(1) Rosellini, Monuments delV Egilto e délia Wuhia , allas, T. II, pi. XXXIX.
(2) Matter, Hisl. du Gnosiicisme , t. II, p. 389, 2*= édit. Nous pensons que c'est
à cette croyance qu'il faut rapporter le sujet d'une pierre gnostique donnée dans
Gorlée, T. II, pi- CCXVIII, 430. Au-dessous de la figure du père commun
représenté comme le dieu Terme, on voit deux personnages nus qui paraissent être
des âmes. Ils sont l'un et l'autre accompagnés d'un génie ailé en adoration comme
eux devant l'Eternel. Sous leurs pieds est figurée la voûte constellée et les sphères
célestes. Je pense que ce sont les SùÇuyoi qui conduisent les âmes dans le sein du
Plérome. Je ne puis, au resle, parvenir à découvrir un sens à la légende dont les
caractères grecs sont évidemment fort altérés.
(3) Ces représentations exerçaient incontestablement une grande influence sur
l'imagination populaire, et y entretenaient puissamment cette croyance. Comment,
par exemple , ne pas reconnaître dans la représentation si commune de l'âme
portée par un ange , sous la figure d'un enfant, la source de celte vision de sainte
GertrudC;, qui vit son âme que son ange gardien présentait à Dieu , la portant dans
ses bras sous la figure d'un petit enfant? Cf sanct. Gertrud. ni. elrevel., lib. III,
c. 23. De même le sujet de la psychostasie avait enfanté dans l'esprit halluciné de
sainte Rose-de-Marie la vision suivante : « Elle vit Jésus-Christ se montrer à elle,
sur deux arcs-en-ciel éclatants, et tenant à la main une balance d'or, avec laquelle
il pesait d'un côté les douleurs que les hommes pouvaient endurer, et de l'autre les
grâces et les récompenses infinies qu'il leur proraettait. «A^oy. J. B. Feuillet, f^îc? de
Rose-de-Marie , 4e édit. , p. 129. Paris, 1676.
(4) Insc. lat. sélect. 4724.
(5) Éd. P. Paris, T. I, p. 41, J" Chanson.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 617
On récitait ces vers dans le mystère du martyre de saint Denis et
de ses compagnons qu'on mettait dans la bouche de Jésus (l).
Mes anges, en France volez
Quant Denis sera décelez
Le conduisiez à Letrée.
Dans une épître farcie qu'on chantait le jour de Saint-Etienne, on
trouve (2) :
Le esporit de luy issy
Droit en paradis l'emportèrent
Les anges qui le coronncrent
Et à Dieu puis le présentèrent.
Quelquefois ce n'étaient pas les anges, mais Dieu lui-même qui
venait chercher l'âme de celui qui expirait. C était une marque d'une
haute faveur donnée par le Tout-Puissant, et qu'il accorda entre
autres à la Vierge (3). C'est au moins ce qu'on a représenté dans deux
diptyques, sur lesquels on a gravé l'assomption, ou, pour nous ser-
vir de l'expression grecque, la KolpL-naiç de la Vierge. On y voit le
Seigneur qui reçoit entre ses mains l'âme de sa sainte mère; et ce
trait est, au reste, conforme à la légende copte de la mort de la
Vierge (4). Dès qu'elle eut dit amen, rapporte cette légende, la sainte
mère de Dieu se plaça sur les linceuls avec des parfums. Elle tourna
le visage vers l'orient, et, se signant au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit, elle rendit le dernier soupir. A l'instant même le Sei-
gneur vint à elle, monté sur le char des chérubins et précédé par des
anges. 11 vint; et, se tenant au-dessus d'elle, il lui dit : « Ne crains
pas la mort, ô ma mèrel celui qui est la vie tout entière est devant
toi. H faut que tu la voies seulement une fois de tes propres yeux, et
je lui prescrirai de ne pas t'approcher. » Le Souverain ordonna en
disant : ce Accours, ô toi qui viens du côté du Midi et qui résides
dans un lieu caché. » Et aussitôt, dès que la Vierge l'aperçut, son
âme s'élança dans le sein de son Fils qui l'étreignit de ses embrasse-
ments célestes.
La croyance à des génies psychopompes, à des esprits qui venaient
recevoir l'âme dès qu'elle s'échappait du corps, n'était pas particu-
lière aux chrétiens. Nous avons déjà constaté chez les juifs l'existence
(t) Jubinal , Mystères inédits , tom. I , p. 145,
(2; Jubinal, op. cil. t. I. '
(3) Cf. Ludus Convenlriœ , a collection of mysteries, edlt. by Halliwell ,
p. 393. (Lond., 1841.)
4) Dulaurier, fragment cité, p. 22.
I, U
I
518 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de saint Michel psychopompe ; I étude de leurs livres établit que tous
les anges étaient encore pour eux des esprits psychagogues. On lit dans
le Targum du Cantique des Cantiques, que ceux-là seuls iront dans le pa-
radis,qui auront mené une vie pieuse, et qu'ils y seront conduits par les
anges; tandis que le Zohar (l) dit que les âmes des impies seront
emmenées par l'ange nommé Douma; ce Douma est, d'après les rab-
bins (2), le roi des enfers. Le rabbin Eleasar enseignait qu'au mo-
ment oii le juste quitte le monde, trois chœurs d'anges l'accompa-
gnent (3). A ces fonctions se rattachait aussi le soin d'appeler au
son de la trompette les morts de leur tombeau, au moment de la
résurrection; la croyance à ce singulier appel, qu'on trouve for-
mellement exprimée dans l'Apocalypse, passa chez les musulmans,
qui chargent de ce soin l'ange Azrafiel.
Non-seulement aux yeux des Hébreux, les anges sont des divinités
psychagogues , ce sont encore des esprits létldfères , des ministres de
la mort ; plusieurs d'entre eux reçoivent du Tout-Puissant la mission
de frapper certains hommes du coup mortel. Cet ange homicide est
l'ange de la mort, Malacli llammaçelh (4), à l'épée duquel furent
livrés les Israélites murmurateurs et l'armée de Sennachérib, cet ange
à l'existence duquel nous trouvons diverses allusions dans l'Ancien
Testament. « Quand il y aurait mille anges de mort, dit le livre de
Job (xxxiii, 23) , nul ne le frapperait, s'il pensait dans son cœur
à retourner au Seigneur.» Et ailleurs (xxxvi, 14) le même livre
dit : c( Si le pécheur n'écoute pas le Seigneur , la vie lui sera ôtée
par les anges. — Le méchant, est- il écrit dans les Proverbes
(xviï, 11), ne cherche que la division et les querelles, et l'ange
cruel sera envoyé contre lui.» Le Zohar, les rabbins, tiennent
encore le même langage et parlent de ce redoutable ministre du
trépas. (( Lorsque l'homme, disent-ils, au moment de quitter ce
monde, vient à ouvrir les yeux, il aperçoit dans sa maison une lueur
extraordinaire, et devant lui l'ange du Seigneur, vêtu de lumière,
le corps tout parsemé d'yeux et tenant à la main une épée flam-
boyante; à cette vue, le mourant est saisi d'un frisson qui pénètre à
(1) Cf. Extr. du Mém. de M. Franck, sur V Origine de la Cabale, Compt. rend,
de l'Acad. des Scienc. moral, et politiq. , t. I, p. 280; et La Kabbale, par
M. Ad. Franck, p. 36G.
(2) Bartolloccio deCcUeno, Biblioth. magn. Rabbin. Pars I, p. 284. Celte croyance
juive s'étendait à l'homme vivant; suivant les rabbins, les bons anges accompagnent
les justes et les démons les méchants.
[^ VIII, 2G.
(4) Bartolloccio de Celleno, O. c. Pars III , p. 620,
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCIIOPOMPES. 519
la fois son esprit et son corps. Son âme fuit successivement dans tous
ses membres, comme un homme qui voudrait changer de place; mais
voyant qu'il lui est impossible d'échapper, il regarde en face celui
qui est là devant lui, et se met tout entier en sa puissance. Alors, si
c'est un juste, la divine présence se montre h lui , et aussitôt l'âme
s'envole loin du corps. » Suivant d'autres traditions consignées
dans le Talmud, à l'heure suprême Fange de la mort se tient avec
son glaive à la main , au-dessus de la tète du mourant et dans la
bouche duquel il fait tomber une goutte de fiel. Le moribond pâlit
et expire à l'instant. L'ange exterminateur frappait donc le cou-
pable, et saint Michel conduisait son âme au Seigneur, comme dans
la mythologie antique, le génie de la mort exécutait l'arrêt de la des-
tinée, et Mercure conduisait l'âme au tribunal du juge des enfers.
C'est ce que nous voyons dans le célèbre bas-relief de Prométhée
au Capitole (1).
Les musulmans ont reçu des juifs les mêmes croyances ; ils ad-
mettent aussi un ange psychopompe par excellence; mais, pleins de
défiance pour saint Michel, auquel ils trouvent une prédilection trop
marquée pour le peuple juif, ils transférèrent ses fonctions à Az-
rael (2). Ils ont aussi leur ange de la mort; chez les Arabes il se
nomme Abou-Iahia, ou bien c'est Azrael lui-même; chez les Per-
sans, c'est Mordad. « L'ange de la mort, dit le Coran (3), vous ôtera
d'abord la vie, puis vous retournerez à Dieu. » Le même livre dit ail-
leurs (4) : «Lorsque les deux anges chargés de recueillir les paroles de
l'homme se mettent à le recevoir, l'un s'assied à droite et l'autre à
gauche ; » ces deux anges sont Monkir et Nekir substitués à Michel et
Gabriel, que nous avons vus jouer un rôle identique dans les légendes
coptes rapportées plus haut. C'est le Beedat et le Gourât des Naza-
réens (5). Ces deux mêmes anges se retrouvent expressément dans
les croyances juives. Voici ce que disent les rabbins (6) : «A peine le
mort est-il enfermé dans le sépulcre , que l'âme vient de nouveau
s'unira lui; et, en ouvrant les yeux, il voit à ses côtés deux anges
venus pour le juger. Chacun d'eux tient à la main deux verges de
(1) Cf. comte de Clarac, Mws. de Sculpt., t. II, pi. I, p. 203.
(2) ployez sur l'Ange de la mort, Azrael ou Izrail , Cfironiq. de Tabari, trad.
Dubeux, part, i, ch. "26-35, p. GS-89. Dans le chapitre 35 on raconte que cet ange
conduisit Edrls dans le paradis et l'enfer, et lui révéla les mystères de la vie future,
comme le font, dans la Divine Comédie, Virgile et Béatrix pour Dante.
(3) Trad. Kasimirski, ch. 32, v. 11, p. 370.
(4) Id., ch 60, p. 477.
(5) Cf. mon Mémoire sur la Psychostasie.
(6) Cf. Franck, La Kabbale, p. 280,
520 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
feu (i), d'autres disent des chaînes de fer, et Tàme et le corps sont
jugés en môme temps pour le mal qu'ils ont fait ensemble. » Ces deux
anges pourraient fort bien être ceux que les saintes femmes rencon-
trèrent au tombeau du Christ, et qui leur apprirent la résurrection de
celui-ci (2). Quoi qu'il en soit d'ailleurs, ils ont évidemment une ori-
gine juive, et par conséqueiit orientale; car leur tjpe se trouve dans
Mithra aux proporlions colossales, aux dix mille yeux, comme les chéru-
bins de la vision d'Ézéchiel, comme l'Indra hindou, et dans Raschné-
Rast, divinités qui s'emparent toutes deux de l'âme, à la sortie du corps.
Chez les Egy[)tiens, nous avons reconnu dans Thoth le type de
Mercure (3) et de Michel psychopompe; nous retrouvons dans Anubis
et dans Horus le type des deux anges qui reçoivent le mort de Monkir
et de Nekir. Sur une pierre gnostique , rapportée par M. Matter (4),
on voit ces deux divinités debout sur la caisse d'une momie, et pa-
raissant s'entretenir de la destinée de l'ûme du défunt. Nous pensons
que ces dieux nécropompes que les Gnostiques avaient empruntés
aux Égyptiens, doivent être identifiés avec Michel et Gabriel, consi-
dérés comme les anges chargés de recueillir l'ame du mort. On a
sans doute, observé, que dans les légendes que nous avons extraites
des livres apocryphes (5), ces deux espri-ts célestes jouent absolument
le même rôle qu'Anubis et Horus , que Monkir et Nekir. Ce doit
être encore par le gnosticisme qu'ils seront passés dans le christia-
nisme avec les fonctions psychagogiques.
Au reste, pour les Égyptiens, Thoth, Anubis, Horus n'étaient pas
les seules divinités psychopompes. Il y en avait une troupe aussi
(I) Ce sont les bngueltes des anges dont nous avons parlé.
(2 Luc, XXIV, 3 5.
(3) Sir J. Gardner Wilkinson, dans son intéressant ouvrage intitulé: Mannets
andcusloms of ihe ancienl EgypUans [2^ série, t. I , p. 442; t. II, p. 10),
disliiijiue f'irmi'llefiietil Mercure psy(hopon)pe, de Tholh ; pour lui, le premier répond
à Anuliis. Une opinion analogue avail été émise avant lui, par M. J. G. Piichard,
dans son Anahjsis vf Ihe Egyplian myl!wl<.gy ( London , lSl9), p 126. Nous
croyons, avec ces savcnis, qu'Anubis a sou>enl été confondu avec Mercure, et
que gén'e psyihopompe ainsi que Tholh, il a aussi transmis ses caraclères à
l'Hermès grec. C'est ainsi que le caducée se voit s-ur les pierres gnoslicjues, entre
les mains d'Anubis à lète de chacal; cediiu lient d'une main le caducée et de
l'autre la palme, cmblènie de la victoire qu'il vient de reipporter avec l'âme
et qui l'accompagne aux régioiis célestes, (/^oyrz Cabin. Gorlée, t. Il, pi. CCXXXV,
n ôDi; et Matlcr, ^Uas , pi. II, c, iig. i.) Celle représenlalion esl lont à fait con-
forme à ce que dit Apulée [Melamorph., lib. II > ; cet auteur d.>nne précisément à
celle divinité ces deux attributs. Plularque , de Is. et Osirid. c. 43 , assiuiile éga-
lement Anubis à Mercure.
(4) Allas de la inédit, de VHisl. du Gnoslicisme , pi. I, c, fig. II.
(5) f^oyez les légendes rapportées plus haut.
DES DIVINITES ET DES GENIES PSYCHOPOMPES. Ô21
nombreuse, plus nombreuse que celle des anges. Qu'on jette les re-
gards sur un rituel funéraire égyptien, oh en verra une foule
qu'invoque le mort ou qu'on invoque pour lui. Les divinités des
portes de la contrée occidentale, de la demeure de Siou, des régions
deMatos, étaient autant de puissances célestes auquel le défunt de-
mande, dans ces papyrus funèbres, de le faire admettre dans le ciel
avec les esprits des dieux grands , de le conduire dans les régions de
Masdj où sont tous les dieux et toutes les déesses de la région supé-
rieure. Toutes ces invocations se mêlaient à celles adressées à Thoth
auquel on demandait de faire auprès de l'âme les mêmes fonctions
qu'il a remplies auprès du dieu Osiris, lorsque celui-ci mourut dans
sa manifestation sur la terre; à celles adressées à Anubis, gardien des
gardiens des portes de la demeure des âmes, pour qu'il lui plût de les
ouvrir (1).
Les diables nous apparaissent aussi dans les idées chrétiennes du
moyen âge , comme des génies psychopompes. De même que les
anges emportent aux cieux les âmes des justes , ils emmènent en
enfer cellesdes méchants. Nous avons dit plus haut qu'une pareille doc-
trine était enseignée par les juifs, lorsqu'ils racontent que le démon
Douma conduit en enfer l'âme des méchants. Dans les légendes
coptes, s'offrent des idées toutes semblables. Une histoire copte des
dits et faits de l'abbé Moïse, évêque de Cleft, manuscrit dont le sa-
vant Zoega nous a donné l'analyse (2), on met dans la bouche de
Jean, disciple de Pisentius, un dialogue qu'il préteiid avoir entendu
entre un mort nommé Oriundus et un inconnu qui interrogeait ce
mort dans le cimetière où il reposait: cet Oriundus, natif d'Her-
monthis, racontait qu'au moment d'expirer, comme il avait été élevé
dans le paganisme par ses parents qui adoraient Neptune, les génies
du monde (3) se présentèrent à lui et lui reprochèrent ses coupables
actions; ils arrachèrent alors l'âme de son corps, et l'attachè-
rent à la queue d'un cheval noir immatériel, qui la conduisit
en enfer. Ce cheval psychopompe, sur lequel nous reviendrons
bientôt, est la monture habituelle des diables, et joue un grand
[i) Ployez F. Cailliaud , P^oyag. à Méroé , t. IV, p. 8 et 19.
(2) Zoega Calalog. codic. coplic, in mus. Bi.rgian., p. 45.
(3) Dans le texie ropto , p. 48. ou lil le mot nicro^mocralor, qui est emprunté
au grec, et qui a élé employé par saint Paul , Ep. ad Efjfi., VI, l?, pour dé-
signer les démons. Ce mot est l'expression d'une idée gnostique. Les Ko7/j.ox.pû7opsi ,
les 'E/zciff/Atot désignaient chez les gnosliques les génies ou démons gouverneurs du
monde visible.
522 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
rôle dans les légendes de la même famille. Nous rappellerons , par
exemple, celle-ci, consignée dans la Chronique de Richer(l).
(( Lan mil cinquante-deux, raconte ladite Chronique, Humbert, car-
dinal, ayant obtenu congé du pape, s'accompagna de bonne escorte,
et se remit en chemin pour revoir son pays; en sorte qu'étant par-
venu es Alpes, il rencontra une grande compagnie de chevaucheurs
(car ils sembloient être montez sur des chevaux noirs), lesquels re-
gardant de plus près , luy semblèrent flanboyans et environnez de
feu. Puis s'armant du signe de la croix, dit à ses compagnons : Des-
tournez-vous et les laissez passer, car vous ne les connoissez. Ce
qu'étant fait, ledit Humbert, désireux de sçavoir d'où venoit telle et
si grande trouppe de gens à cheval, regarda sur la queue, en apper-
ceut trois sur chacun un cheval plus flamboyant que les autres, aux-
quels il vint à dire : Par l'indicible puissance de Dieu, je vous ad-
jure de me dire d'où part ceste grande trouppe de chevaucheurs , qui
vous êtes et d'oii vous venez ? Auquel l'un des trois répondant ; Re-
garde, dit-il, tous ceux-cy -, nous sommes tous les messagers de Sa-
than I — Et d'où venez -vous? Il répondit : Nous venons de la cité
de Châlons. — Et quoy faire? répliqua le cardinal. — Nous venons
de quérir l'évêque Gebuyn lequel nous emmenons. »
Nous ne rapporterons pas le reste du dialogue, nous dirons seule-
ment que le cardinal eut grand hâte de s'informer du crime qu'avait
commis l'évêque, ce qui lui fut dit. 11 nous suffit de rapprocher le
cheval des diables de celui que nous avons vu plus haut traîner à
sa queue l'âme d'Oriundus. Guillaume-le-Breton rapporte une lé-
gende analogue (2).
Quelquefois, ainsi que nous verrons parla suite, en rappelant des
idées païennes analogues, les élus sont portés dans le ciel par des
chevaux célestes, sur des chars mystérieux et éthérés. Ces chevaux
psychopompes n'étaient, au reste, que la figure symbolique des
anges, du moins pour la partie éclairée des fidèles. C'est ce que nous
rappelle le passage suivant de saint Bonaventure (3) : « Angeli in
figura equorum saepius describuntur. Nam sicut equus circum du-
citur freno, sic ipsi divino imperio circumaguntur. »
Saint Bernard faisant allusion à cette croyance populaire l'explique
ainsi par une éloquente interprétation allégorique : « Equi quibus ad
(1) Chroniq. de Richer, moine de. Sennones , trad. franc, du XVie siècle, pu-
bliée par J. Gayon , lib. 2 , c, 19. Nancy, 1843.
(3) Collect. Guizol, p. 218.
(3) De Ecoles, hierarch., pi. III, p. 280. ap. Opert. V. Rome , 1696.
DES DIVINITÉS ET DES GENIES PSYCHOPOMPES. 523
cœlum evehimur, très sunt : Dolor ex pœnitudine , fcrvor ex reli-
gione , desiderium ex araore (l). » C'est le langage d'une superstition
grossière , qu'il emprunte pour rendre une magnifique idée.
Nous ne continuerons pas davantage les citations; les légendes
dans lesquelles il est question de diables emportant des âmes cou-
pables , sont trop nombreuses pour qu'on ne le trouve pas à chaque
pas dans l'étude du moyen âge. Nous rappellerons uniquement la cé-
lèbre vision d'un soldat manceau qui vit par une fenêtre la légion
infernale qui accourait se saisir de l'âme de Gervais , archevêque de
Reims, mais qui s'en revint bien désappointée, parce que saint Denis
et saint Nicaise leur avaient ravi leur proie (2). Nous noterons aussi
ces deux hideux esprits, ces Zabuli que saint Godric, ermite, voyait,
à sa dernière heure, venir chercher son âme, avec un petit berceau
dans lequel ils s'apprêtaient à la placer, mais que le solitaire mit en
fiiite avec un signe de croix. Nous n'oublierons pas non plus le mi-
racle de saint Letard qui contraignit les diables à rendre l'âme d'une
femme morte en travail d'enfant et qu'ils conduisaient au plus vite en
enfer (3).
Les poésies populaires n'abondent pas moins que les hagiologies
en fables semblables, auxquelles plus d'un vers fait de directes allu-
sions.
On lit dans la chanson de Roland, au sujet de Marsilie (4) :
Si cum pecchet l'encumbret
L'aninc de lui as vifs diables dunet.
et ailleurs dans la même chanson (5) :
Li païens chet cunlreval à un quat;
L'anme de lui emporlet salhanas ! aoi !
Dans le mystère du martyre de saint Pierre et de saint Paul, les
diables accourent s'emparer de l'âme de Néron en criant (6) :
Ha ! ha ! ha ! Néron , Néron
Ou puis d'enfer le porteron.
Dans un mystère de la passion du XV^ siècle , dont M. Vallet de
Viriville a donné une intéressante analyse, on voit les diables s'em-
(1) Liber Sentent., 149. ap. t. II. Oper. , p. 783.
(2) Lenglet Dufrosnoy, Dnsert. sur les Apparil. , t. I, part, i, p. 191.
(3) Bolland. ylct. XXV maii , de Iramlal. S. August., p. 442.
(4) Chanson de Roland, éd. Fr. Michel , si. 2GG, p. i41.
(5) Ibid., st. 94, p. iO.
(6) Ach. Jubinal, Mijsl. inéd., t II , p. Oi,
524 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
parer d'Hérode qui, placé dans son lit, expire frénétique, en appre-
nant que son propre fils a été tué dans le massacre qu'il a ordonné (1 ).
Dans le mystère représenté sur les curieuses tapisseries de la ville de
Reims, la scène xxvi% figurée sur la ix" toile, offre pour sujet
le bon larron rendant l'âme entre les mains de Gabriel, et le mauvais
entre celles de Satan (2). Dans le mystère de li vengeance (3), les
diables armés de croix et de râteaux s'élancèrent pour aller recueillir
l'ûme damnée de Pilate; celui-ci enfermé dans un cachot, s'est brisé la
tète contre les barreaux. Nous avons cité plus haut des peintures dans
lesquelles des sujets du même genre ont été traités : peinture, sculp-
ture , légende et chanson populaire , tout nous reflète la même
croyance, tout respire la même espérance dans l'ange qui porte au
ciel, la même crainte du démon qui conduit aux enfers.
Alfred Maury.
(1) Biblioth. de l'École des Chartes, t. V, p. 49 , 1843.
(2> LeborUiais et L. Paris, 7*0*765 peintes el Tapisseries de la ville de Reims.
Paris, 1843,in-4o, t. I, p. 564.
(3) /der», t. 11,734.
RELIQUAIRE DE SAINÏ-CHARLEMAGNE ,
PL. XV.
II existe au Musée du Louvre, dans une armoire de la salle des
émaux, un monument du XIP siècle, précieux à plus d'un titre.
La soin avec lequel il a été exécuté , le souvenir du grand roi pour
lequel il fut fait, l'intérêt enfin qui s'attache à la collection de por-
traits qu'il nous a conservée, tout concourt à rendre cet objet extrê-
mement remarquable.
C'est un coiïret oblong, entièrement recouvert de bas-reliefs d'ar-
gent doré travaillés au repoussé et orné d'émail. Sur chacune des
grandes faces, cinq arcades sont soutenues par six colonnettes enga-
gées. Entre les colonnettes se voient cinq figures, que font reconnaître
des inscriptions tracées en beaux caractères romains, et qui sont ainsi
disposées :
Conrad III.
SCS PETRYS
St. Pierre,
IHG. XC.
Proloine du
Christ.
SCS PàVL?
St. Paul.
j
Frédéric
duc de Souabe.
Frédéric Barberousse.
SCS. MICHAEL.
L'ange Michel.
SCA.MA*IA.
La Vierge te-
nant l'enfant
Jésus.
ses. GABRIEL.
L'ange Gabriel.
Béatrix
de Bourgogne.
Aux deux extrémités l'artiste a placé Louis le Débonnaire et
Othon lîL
Willemin avait dessiné deux de ces figures dans son ouvrage sur
les Monuments français inédits, et lorsqu'après sa mort M. André
Pottier fut chargé de rédiger le texte qui devait accompagner les
planches de ce livre, depuis longtemps publiées, ce savant n'examina
probablement pas le monument même, et n'en put par conséquent
reconnaître toute l'importance.
(( Nous ne savons, dit-il en parlant du reliquaire, d'après quelle
(( autorité on. suppose qu'il a contenu un bras de Charlemagne.
(( Des historiens et des légendaires peu dignes de confiance ont
« raconté avec des circonstances assez merveilleuses que , vers
(( l'an 1000, Othon III , étant à Aix-la-Chapelle, avait voulu s'assu-
526 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« rer de l'endroit où l'on avait mis le corps de Charlemagne, et
(( qu'ayant fait ouvrir son tombeau, il en avait extrait la croix d'or
« qui pendait au cou du monarque. C'est peut-être le souvenir de
« cette tradition joint à la rencontre du portrait d'Othon sur ce reli-
c( quaire , qui aura fait supposer qu'il avait contenu des reliques de
« Charlemagne. (l). »
M. Pottier fait observer encore que les catalogues du trésor de
l'abbaye de Saint-Denis ne consacrent en aucune façon cette attri-
bution.
Rien en effet n'est plus véritable , mais il eût , ce me semble , été
nécessaire d'ajouter que ces catalogues , non-seulement ne parlent
pas des reliques de Charlemagne, mais encore ne font nulle mention
du reliquaire dont j'ai donné plus haut la description (2j.
11 suffit, pour répondre à ces observations, de soulever le couvercle
du coffret ; à l'intérieur on lit ces mots, gravés sur une plaque d'ar-
gent, en majuscules du-XP siècle :
BRACHIVM SCI 5 GLORIOSISIMI INPERATORIS KAROLI.
. Ceci lève toute espèce d'incertitude, et montre que la tradition
n'avait point tort. Nul doute, par conséquent, que ce meuble n'ait
renfermé le bras du grand empereur, et je vais faire voir qu'il a été
fait en 1166, alors que Frédéric Barberousse ouvrit le tombeau
d'Aix-la-Chapelle pour en tirer les restes de Charlemagne.
Dans cette hypothèse , la présence sur ce monument de tous les
personnages impériaux dont j'ai précédemment indiqué la disposition,
s'explique très-facilement par leur connexion avec l'empereur français
et le prince qui voulait honorer sa très-glorieuse mémoire.
Je reproduis, dans l'ordre chronologique, les inscriptions qui sont
tracées au-dessus de chaque figure, et je les ferai suivre de quelques
détails sur les personnages qu'elles désignent , détails qui sont indis-
pensables dans la recherche que je me suis proposée.
LVD0VVIC9 iPERATOR PÏV5. Bustc de Louis le Débonnaire ;
Ce prince figure ici, non-seulement comme fils de Charlemagne,
(1) Monuments français inédits, p. 26, col. 2. M. Potlicr d'après les deux
figures dont il a vu le dessin , pense que le reliquaire a été exécuté , du X' au XII*=
siècle , par des artistes grecs.
(2) On peut consulter non-seulement le chapitre relatif au trésor des reliques dans
Y Histoire de l'Abbaye de Saint-Denis , par dorn Bouillard ; mais encore le cata-
logue publié par doin Germain Millet en 1G38 et l'article Abbaye dans le Diction-
naire de Paris , par Hurtaut et Magny, 1. 1 , p. 35.
RELIQUAIRE DE SAINT-CHARLEMAGNE. 527
mais encore comme ayant présidé à sa sépulture en 814, et fait
exécuter son testament. Pendant longtemps, le nom de Louis a été
écrit Uladowims ou 'HlodomcuSy mais du vivant même de Louis le
Débonnaire, ainsi que le prouvent des deniers frappés à Rome, des
oboles frappées à Reims, à Bourges, en Aquitaine, à Tours et à
Melle, on supprimait l'aspiration. Le surnom de Pins, que nous tra-
duisons par Débonnaire, se trouve sur des monnaies de Louis fabri-
quées à Rome et à Strasbourg. C'était une réminiscence du règne des
Antonins. La couronne de Louis est surmontée d'une (leur de lis.
OTTO. BIIUABILIA MVDÏ. BustC d'Otton IIL
Ce jeune empereur, qui mourut en l'an 1002, âgé de vingt-deux
ans, et après dix-neuf années de règne, n'appartient ni à la famille
de Charlemagne , ni à celle de Barberousse ; mais , comme on l'a déjà
vu , la tradition prétend qu'en l'an 1 000 il avait pénétré dans le tom-
beau de Charlemagne, et qu'il s'était emparé de la croix d'or de l'il-
lustre chef des Carlovingiens (l). Élève du célèbre Gerbert, qui fut
aussi le maître de Robert, fils de Hugues Capet, Otton avait, comme
le roi de France , acquis sous ce précepteur illustre une science peu
commune de son temps , et qui le fit surnommer la merveille da monde.
On remarquera que c'est par ce titre seulement qu'il est désigné sur
le reliquaire. C'est donc simplement comme savant, comme l'anti-
quaire qui avait eu le premier l'idée d'examiner la sépulture de Char-
lemagne, que l'on a pu introduire ici Otton de Saxe, et cette circon-
stance me paraît confirmer pleinement l'opinion que la tradition
rapporte.
FREDERicvs Dvx svAVORv. Buste de Frédéric tourné à droite ,
et armé d'une cotte de mailles.
Le premier duc de Souabe , de la maison de Hohenstauffen , fut
Frédéric de Buren (1081-1106), qui épousa Agnès, fille de l'empe-
reur Henri IV; c'était l'aïeul de Barberousse. Son fils (1106-1147)
porta le même nom que lui avec le surnom de Borgne et de Grand
preneur de villes. Je ne saurais décider auquel de ces deux princes
l'empereur Frédéric aura voulu faire l'honneur de le placer sur son
reliquaire. Entre son aïeul, auteur premier de la grandeur de sa
famille , et son père, frère de l'empereur Conrad, tous deux illustres
(1) « An diesem obgesaglen Ort abcr hat cr geruhet biss in die 352 lahr ; Immit-
•I tels aber ist in Anno 1000 , in Maio, Keyser Olto der 3 gen Aach kommen , das
« Grab erœffnet, und den heiligenCœrper zwar bleiben lassen, etc. » Jean Noppius,
yïacher clironick, p. il.
528 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
par leur bravoure, le choix a dû êlre difficile pour Barberousse, et la
distinction demeure impossible pour nous.
Frédéric de Souabe , père de Barberousse , était mort depuis dix-
neuf ans à l'époque à laquelle je crois que la châsse fut faite, et le
duc, représenté sur ce monument, est armé d'une cotte de mailles et
d'un casque conique, absolument enfin avec l'attitude et l'ajustement
donnés à Mathieu, duc de Lorraine, sur les monnaies (1) que ce
prince frappa à Nancy (1155-1176). Mathieu était gendre du second
duc Frédéric; maison ne saurait rien conclure de ce rapproche-
ment, quant à la distinction entre le père et le fils, puisque, quel
que soit celui des deux princes que l'on ait voulu représenter,
on lui aura donné le costume en usage en 1166; mais au moins
cette similitude d'ajustement concourt à prouver que le reliquaire
appartient bien certainement au milieu du XIP siècle. Au moyen âge
on ne faisait pas d'archaïsme, et un monument de cette époque ne
peut être plus récent que le costume qu'il représente.
CONRAD? II ROxWANOR REX. Buste de Conrad.
Conrad, oncle et prédécesseur immédiat de Barberousse, n'ayant
point reçu le sacre impérial , se faisait scrupule de prendre le titre
d'empereur dans ses chartes ; il ne dérogeait à cette coutume modeste
que dans ses relations avec les empereurs d'Orient, afin de traiter de
pair avec eux. Ici comme dans les chartes il ne reçoit que le litre de
roi. Cette circonstance prouve surabondamment que le reliquaire est
de travail allemand. S'il eût été fabriqué à Constantinople ou même
par des ouvriers byzantins venus en occident, il est à croire que Conrad
y eût été qualifié empereur, titre sous lequel il était connu par les
Grecs. Le chiffre ordinal lï, dont la présence est insolite dans une
légende du XIP siècle, est là pour indiquer que c'est bien positive-
ment l'oncle de l'empereur que l'on a eu dessein de faire entrer dans
cette composition. Conrad de Hohenstauffen est appelé secon^Z parce
qu'alors on ne tenait pas compte de Conrad F'", roi de Germanie.
BEATRïx ROMA iPATRix AVG^A. Bustc de Béatrix, toumé à gau-
che, tenant de la m.ain droite, recouverte d'une draperie, une croix
double.
En l'année 1156 l'empereur, qui avait répudié depuis trois ans
Adèle de Vohbourg sa première femme, épousa Béatrix, fille unique
(1) F. F. de Saulcy. Monnaies des ducs hèrédilaires de Lorraine. 1841, pi, 1,
Huraéros 7 et 8.
RELIQUAIRE DE SAINT-CIIARLEMÀGNE. 529
et héritière de Renaud III, comte palatin de Bourgogne. Cette prin-
cesse mourut en 1185.
FREDERICK noMANOR iPATOR AVG. Bustc de Frédéric Barbe-
rousse, tourné à droite, tenant son sceptre et le globe impérial.
Barberousse avait voué un culte véritable à Charlemagne, et, dans
la chaleur de son enthousiasme pour le fils de Pépin , dont les vastes
conquêtes étaient l'objet de sa constante émulation, il avait sollicité
et obtenu du pape Pascal III (Guy de Crème), qu'il le canonisât.
C'est qu'alors cette sanction ecclésiastique n'élait en quelque sorte
que l'expression la plus haute de l'estime politique, tout comme l'ex-
communication n'était qu'une pénalité bien souvent appliquée dans
des circonstances entièrement étrangères aux intérêts de la foi.
Il faut dire que Guy de Crème (1164-1168) était un pape créé
par les Gibelins et que Rome ne reconnaît pas. Cependant, depuis
cette époque, on a toujours célébré la fête de Charlemagne à Aix et
en plusieurs autres lieux sans que l'Église s'y soit opposée; elle accepte
donc tacitement Charlemagne comme saint, et tel est l'avis de Baro-
nius et de Bellarmin.Les Bollandistes ont placé sa fête au 28 de janvier.
Une des cérémonies, non pas indispensables, mais du moins très-
habituelles, qui précédaient la canonisation, c'était la translation des
reliques. Nous avons un diplôme de Frédéric de elevaùone et canoni-
zadone S. Caroîl. Après avoir éimméré toutes les vertus de Charles,
au premier rang desquelles figure sa libéralité envers les églises et les
abbayes, toutes ses grandes actions, les contrées qu'il a soumises à la
foi chrétienne , Barberousse ajoute :
(c En conséquence et attendu que nous sommes plein de confiance
c( dans les actes glorieux et les mérites du très-saint empereur Charles,
(c engagé par la pressante invitation de notre très-cher ami Henri, roi
(c d'Angleterre, avec l'assentiment et l'autorité du seigneur Pascal,
« et de l'avis de tous les princes tant séculiers qu'ecclésiastiques,
«pour l'élévation, l'exaltation et la canonisation de son très-saint
« corps, nous avons célébré à Aix, le jour de Noël, une assemblée so-
c( lennelle dans laquelle son très-saint corps (qui avait, dans la crainte
c( d'ennemis extérieurs ou domestiques , été soigneusement caché ,
« mais qui fut manifesté par une révélation divine ) a été, au milieu
c( d'une grande aflluence de princes et d'une immense multitude de
« clercs et de peuple , tous chantant des hymnes et des cantiques
«spirituels, relevé et exalté par nous avec crainte et respect, à la
« louange et pour la gloire du nom du Christ, pour l'aifermissement
530 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
c( de l'empire romain et pour le salut de notre chère épouse l'impé-
« ratrice Béatrix et de nos fils Frédéric et Henri (l). »
On voit par là que Béatrix , qui ne quittait guère l'empereur, même
pendant ses expéditions militaires, assistait à la cérémonie; quant à
ses deux fils, ils devaient être très-jeunes, car Henri l'aîné, qui est
nommé ici le second, je ne sais pourquoi, était né en 1165.
Henri H, roi d'Angleterre (1154-1189), cité dans cette charte,
était fils de GeolTmi Plantagenet, comte d'Anjou, et de Mathilde,
veuve de l'empereur Henri V. H est assez singulier que Frédéric n'ait
pas jugé à propos de mentionner le prince français qui occupait alors
le trône de Charlemagne. Il est vrai que depuis 1159 Louis le Jeune
et l'empereur étaient divisés par des querelles religieuses; ce ne fut
qu'en 1171 qu'ils signèrent un traité d'alliance à l'efTet d'exterminer
des bandits armés qui dévastaient la France et l'Allemagne.
Maintenant que j'ai donné un aperçu du rôle historique de chacun
des personnages que représente le reliquaire, de ses rapports avec
Charlemagne etBarberousse, on conviendra avec moi que ce dernier
seul a pu avoir la pensée de réunir leurs images , et que cette idée ne
peut lui avoir été suggérée que par le besoin de conserver un monu-
ment de la grande cérémonie religieuse à laquelle il reconnaissait le
pouvoir d'affermir V empire romain.
J'ai déjà dit que je croyais la châsse de Charlemagne de travail alle-
mand, et il me paraît nécessaire d'insister sur cette opinion parce
qu'il est à peu près convenu depuis une quinzaine d'années de donner
le nom de byzantin à tous les monuments que l'art a produits depuis
le VP siècle jusqu'au commencement du Xni% en quelque pays que
ce soit. Plus j'étudie les œuvres du moyen âge, plus je me convaincs
de l'absurdité de cette appellation banale» Partout au contraire on
retrouve l'imitation plus ou moins grossière du style romain; c'est
tout simplement la continuation dégénérée de l'art tel qu'il était né
dans toute l'Europe sous l'influence du peuple conquérant.
Les gens du X^ et du XH'' siècle , pour construire et orner les
grossiers monuments qu'ils nous ont laissés, n'ont pas eu besoin de
l'intervention d'artistes grecs ; ils n'avaient rien à apprendre, il ne leur
a fallu qu'oublier.
D'ailleurs il existe des sculptures et des peintures véritablement
byzantines, et il est facile de les comparer avec les ouvrages contem-
porains exécutés dans l'occident.
(t) BoUand. T. II de janvier, p. 888.
RELIQUAIRE DE SAINT-CHARLEMAGNE. 531
Par exemple, le Musée des monuments français de l'Hôtel de Cluny
renferme une feuille d'ivoire sculptée très-certainement à Constanti-
nople pour être envoyée en présent lors du mariage de Théophanon,
fille de Romain lî avec l'empereur Olton , en 972 (l). Ce monument
est parfaitement grec-oriental , et le diptyque de Romain IV et Eu-
doxie, qui doit être de 1068 (V. /a Reçue, n° 2, pi. 4.) reproduit à
un siècle de distance le même type dans tous ses détails; donc les
monuments byzantins avaient un caractère bien particulier et qui se
perpétuait.
D'un autre côté, nous connaissons le retable d'or de Bâle, qui re-
présente l'empereur Henri H et sa femme Cunégonde (1003-1024)
aux pieds du Christ '(2), et le style de ce monument est tout différent
de celui qui distingue les ivoires que je viens de citer. L'impératrice
Théophanon avait donc pu apporter en Allemagne des ouvrages d'art
grecs sans que cette circonstance ait influé sur le faire des sculpteurs
germaniques. Le reliquaire de Barberousse, qui offre plus d'un trait
de ressemblance, quant au travail, avec le retable de Bâle, a été cer-
tainement aussi fait suivant la tradition latine.
Les couronnes impériales ne sont pas formées seulement d'un dia-
dème de pierreries portant une croix sur le devant; elles sont ferméeset
celle de Louis le Débonnaire est surmontée d'une fleur de lis. Aucun
des princes représentés ici n'a la tête entourée du nimbe; ce symbole
de l'existence céleste est réservé au Christ, à la Vierge et aux saints
qui les accompagnent.
J'ai dit, en commençant, que les catalogues du trésor de l'abbaye
de Saint-Denis ne mentionnent en aucune manière le bras de Char-
lemagne. ïl n'est pas possible d'admettre que l'on eût passé sous
silence une relique aussi précieuse pour l'abbaye royale, qui considé-
rait comme un de ses plus grands privilèges l'honneur de donner
(1) Il a été lithographie dans l'y/iÔMm, publié par feu M. DuSomraerard, v^ série,
pi. XI; malheureusenient le dessinateur, qui paraît n'avoir aucune connaissance
de l'alpliabet grec, a tracé les inscriptions d'une manière tellement incorrecte qu'on
ne peut les déchiffrer. J'ai eu recours à l'original qui porte en caractères très-lisi-
bles : OTTO IMP PrpAN AVrC {Otto Imperalor 'VuaociSyj «V^tto,- ) ;
OeOOANCJ IMP AC (e£o-f)âv«,/mpcTa«na;aùvoÛTTa); KG BOHOEI TO
AbA l(jj XCO AMGM- (Kû^ts, ^o-n^zi tw ooWm [^ou] 'koawïj Xw//aryjvw .f*
Amen.) L'invocation parait être adressée au Christ par l'artiste auteur de cet ivoire
qui s'est représenté prosterné aux pieds de l'empereur. Le mélange de latin et de
grec dénote l'intention de flatter l'empereur occidental en employant sa langue. Ici
l'intention d'écrire du latin ne saurait être réputée pour le fait.
(2) Lors de la découverte de ce retable dans les cryptes de l'église cathédrale de
Bûie, il en a été publié , dans cette ville, une excellente lithographie chez Hasler.
532 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
un dernier abri à la dépouille mortelle des princes français (1).
Les descriptions du trésor de Notre-Dame d'Aix-la-Chapelle ne
parlent point de notre reliquaire , et cependant on montre dans cette
église un os du bras de Charlemagne.
« Barberousse fit déterrer le grand empereur. L'Église a pris le
« squelette et l'a dépecé comme saint pour faire de chaque ossement
(( une relique. Dans la sacristie voisine, un vicaire montre aux pas-
« sants, et j'ai vu, pour trois francs soixante-quinze centimes, prix
« fixe, le bras de Charlemagne, ce bras qui a tenu la boule du monde,
« vénérable ossement qui porte sur ses téguments desséchés cette
« inscription écrite pour quelques liards par un scribe du XIP siècle :
c( Brachium sancli CaroU magni (2). »
J'ai vu , comme l'illustre poëte à qui j'emprunte ces lignes, cet os
carlovingien; il est placé dans une châsse de vermeil en forme de
bras , de travail moderne. Nous savons positivement que ce bras de
métal existait en 1736 (3), autrement on aurait pu supposer que
M. de Wailly, commissaire du gouvernement (lorsqu'il transporta à
Paris le sarcophage antique représentant l'enlèvement de Proserpine,
dans lequel Charlemagne avait eu les jambes plongées pendant trois
siècles et demi), avait aussi emporté le reliquaire actuellement au
Louvre, et que l'os seul aurait été restitué à l'église d'Aix avec le
sarcophage (4).
Peut-être aussi les deux bras ont-ils été détachés du corps et ont-ils
reçu des enveloppes métalliques à des époques diiïérentes. Dans ce
cas on ne saurait ce qu'est devenu l'os qui a occupé le reliquaire que
j'ai décrit. Il est impossible d'acquérir maintenant d'éclaircissements
à cet égard, puisque la grande châsse qui contient le squelette de
Charlemagne ne s'ouvre jamais. AuraEN de LoiNOpérieii.
(1) L'historien de l'abbaye dom Bouillard, parle même du désir que Ch;irlemagne
avait témoigné d'être enterré à Saint-Denis, près de î*épin,et il cite une charte à
l'appui. Hisl. de VAbb. p. xxxij , n" xLvn.
(2) Victor Hugo, <e M*n, t. I, p. 177.
(3; Délices des t ays-Bas ^i. III, article d'Aix. — Amusements des eaux d'Aix-
la-Chapelle, 173G, pi. XX, n» 16.
(4) Un des custodes de l'église raconte comment le sarcophage a été enlevé par
Marat et Robespierre; un autre m'assura que ce monument était re\enu tout seul
et de lui-même Ces gens, au reste, sont encouragés par l'exemple de leurs supé-
rieurs. Le vicaire dont parle M. Victor Hugo me lit voir une magnilique sarduine
travaillée en camée et représentant Sepiime Sévère en face de Caracallà , qu'il affir-
mait être Constantin et sa femme; tandis que d'une tête de Bacchus en aniéthysle,
il faisait une sainte Hélène. J'en ai Conclu qu'à Aix-la-Chapelle la science archéo-
logique est renfermée, avec les grandes reliques , dans la chasse que l'on n'ouvre
que pour les têks couronnées, suivant l'expression du montreur.
NOUVELLES OBSERVATIONS
SUR
L'AGE DU PORCHE DE KOTRE-DAME-DIS-DOMNS.
Dans le dernier numéro de la Reçue, M. Jules Courtet a essayé de
déterminer, par des probabilités historiques, l'époque à laquelle au-
rait été construit le porche de Notre-Dame-des-Domns. Persuadé
qu'un édifice aussi remarquable ne peut appartenir qu'à une sorte.de
renaissance de l'art, et, par conséquent, à une époque de paix et de
prospérité pour la Provence, il s'est occupé de rechercher cette épo-
que , et l'a trouvée vers la fin du IX* siècle et le commencement
du XIP. Quelques considérations tirées des caractères archi tectoni-
ques du monument m'avaient conduit, il y a plusieurs années, à pro-
poser une date encore plus reculée, dans mes Noies d'un Voyage dans
le midi de la France. Je ne viens pas défendre aujourd'hui cette opi-
nion ; je dois la combattre , au contraire , et probablement ce n'est
pas la dernière fois que l'expérience m'obligera de rectifier mes pre-
miers jugements. L'examen d'une église curieuse du département de
la Drôme, que je ne connais que depuis deux ou trois ans, m'a paru
fournir quelques lumières nouvelles pour la solution du problème
que M. Courtet vient de reproduire. Je veux parler de l'église de
Saint-Restitut , à une lieue environ de Saint-Paul-Trois-Châteaux.
Elle a aussi son porche, semblable de tous points à celui de Notre-
Dame-des-Domns ; mêmes profils , mêmes détails de construction,
même apparence antique. Toutes les questions que font naître les
porches de Pernes et d'Avignon se présentent à Saint-Restitut. Là ,
heureusement le champ des conjectures est moins vaste, et nous
trouvons quelques faits positifs qui peuvent servir de base à une étude
nouvelle de la question.
Lanefetlechœur de Saint-Restitut appartiennent, sans aucun doute,
à une époque avancée du style Roman-Fleuri de la Provence. La
disposition générale, l'ornementation, les arcs doubleaux en ogive,
les contre-forts saillants, les chapiteaux à feuillage fantastique, les
riches moulures , indiquent à toute personne familiarisée avec l'ar-
ia 35
634 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
chitecture du moyen âge le commencement du XIP siècle ou la fin
du siècle précédent. Quant au porche, on ne peut supposer qu'il
ait fait partie d'une construction plus ancienne. En effet, un de ses
angles s'appuie à un bâtiment carré, placé à l'occident de l'église, et
incontestablement très-antérieur en date à celle-ci.
d^ss^/h
Je ne m'occuperai pas ici à rechercher sa destination primitive ;
c'est aujourd'hui une chapelle affectée à une confrérie de Pénitents.
Ses murs très-épais, à petit appareil , sauf la rudesse de l'exécution,
rappellent les constructions romaines les plus communes de la Provence.
A dix mètres du sol environ, règne sur les quatre faces une espèce de
frise plate, encastrée entre des pierres taillées en losanges et en trian-
gles et scellées avec un <',iment rouge. On distingue sur la face occi-
dentale un Christ nimbé, assis sur un trône, vers lequel se dirige une
espèce de procession, interrompue çà et là par des animaux farjtasti-
ques et quelques ornements bizarres. La frise se com[»ose d'une suite
de dalles, ayant chacune d'une à quatre figures encadrées dans une
petite bordure en relief. Rien de plus barbare, de plus grotesque que
PORCHE DE NOTRE-DAME-DES-DOMNS. 535
cette sculpture d'une très -faible saillie. Il est difficile de n'y pas voir
le début encore informe d'un art qui a perdu toutes les traditions de
l'antiquité.
Les murs de l'église , en s*appliquant sur la chapelle des Péni-
tents, ont masqué en partie la bande orientale de la frise, mais à
l'intérieur de la nef, on la voit reparaître , et la juxtaposition des
deux constructions est bien évidente. L'un des angles du porche,
ainsi que je l'ai déjà dit , entame le côté sud de la frise. Il faut de
toute nécessité reconnaître que la chapelle est antérieure à l'église
et au porche. Maintenant, peut-on supposer que le porche appartenait
à un monument détruit aujourd'hui, lequel aurait été postérieur à la
chapelle, mais antérieur à l'église? — Une hypothèse analogue est
admise pour Avignon etPernes. A Saint-Restitut, elle est démentie
par la liaison intime que l'on observe entre l'église et le porche. Nulle
trace d'ailleurs d'une bâtisse préexistante, sinon la chapelle des Pé-
nitents , laquelle est un édifice complet en son genre et d'un style
tout particulier.
Mais, dira-t-on, le porche de Saint-Restitut peut être du XP siè-
cle, sans qu'il s'ensuive comme une conséquence que les porches
d'Avignon et de Pernes soient du même temps. Pourquoi celui de
Saint-Restitut ne serait-il pas une copie de l'un des deux autres , copie
exécutée d'après un type célèbre depuis longtemps dans le pays? —
Sans doute cette supposition ne doit pas être rejelée uniquement,
536 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
parce qu'elle n'est pas appuyée sur des preuves historiques. Toutefois
il est facile de faire voir combien elle manque de vraisemblance. — Si
l'on observe dans le moyen âge des imitations évidentes de l'antique, ces
imitations appartiennent presque toutes à une époque de renaissance
bien connue, au XI^ et au XIP siècle. Elles se bornent d'ailleurs
en général à des détails d'ornementation, modifiés encore par le goût
ou le caprice des ouvriers. Je ne connais pas d'exemple d'une copie
exacte, servile, d'un type ancien, qui se rapporte à une époque oii
l'art avait une impulsion bien caractérisée, oii il était soumis aux lois
d'une école. On sait, au contraire, et les preuves abondent dans
toutes nos provinces, qu'un monument considérable était ^ presque
aussitôt après sa construction , adopté comme type dans un rayon plus
ou moins étendu. L'église principale d'une grande ville était copiée
immédiatement par les villes voisines. Voilà pourquoi les églises de
Beaune et de Saulieu reproduisent les caractères architectoniques et
jusqu'aux fautes de construction de Saint Lazare d'Autun. Voilà
pourquoi les églises du Poitou semblent toutes bâties sur le même
plan ; pourquoi Saint-Césaire d'Angoulême a produit dans la Cha-
rente tant d'églises à coupole. Bref, les formes architecturales avaient,
comme le pouvoir féodal, leur circonscription déterminée, et d'ordi-
naire, de la ressemblance de ces formes , on est en droit de conclure
une conformité de dates.
Tout le monde sait que les différents styles d'architecture, que
leurs formes caractéristiques n'ont eu que peu de durée, et cette con-
sidération seule suffirait peut-être pour faire assigner une date com-
mune aux porches d'Avignon , de Pernes et de Saint-Restitut ; mais
cette présomption sera encore fortifiée si l'on détermine approxima-
tivement l'âge de la chapelle des Pénitents. — Il est bien évident que
ce n'est pas une construction romaine. Quelque grossières que soient
es sculptures de sa frise , elles me semblent indiquer une époque
postérieure à la fin du VHP siècle, car aucun des monuments carlo-
vingiens que j'ai pu examiner ne m'a offert de traces d'une semblable
ornementation. Aix-la-Chapelle, Ottmarsheim, Ma urmoutier, Ville-
neuve et Celleneuve près de Montpellier, Aniane, etc., sont dépour-
vus de bas-reliefs. Ce n'est guère qu'à la fin du IX^ siècle que la
sculpture et surtout les grandes compositions en bas-relief commen-
cent à prendre place dans l'ornementation. L'un des caractères les
plus remarquables de la sculpture romane à son début, c'est le peu
de saillie des figures. J'ai déjà signalé ce caractère dans la chapelle
des Pénitents. Je ne pense donc pas qu'il soit possible de lui donner
PORCHE DE NOTRE-DAME-DES-DOMNS. 537
une date antérieure à la fin du IX" siècle, et peut-être est-elle
plus moderne encore. Quelle que soit l'époque que l'on pré-
fère, pour que de cette barbarie l'art s'élève à des monuments
tels que les porches d'Avignon et de Pernes, il faut bien suppo-
ser un intervalle de temps considérable, et nous sommes encore rame-
nés au XP siècle. — En résumé, c'est faute d'un type intermédiaire
entre l'architecture romaine et celle du XP siècle qu'on a pu attri-
buer une date très-ancienne au porche de Notre-Dame-des-Domns;
mais puisque ce type intermédiaire existe dans le midi de la France ,
il n'y a plus de raison pour supposer dans ce pays une renaissance
locale de l'art , que la barbarie aurait étouffée presque aussitôt.
Un mot encore sur la chapelle de Saint-Quénin à Vaison , que
M. Courtet rapproche, à tort, suivant moi, des édifices précédents.
Je ne pense pas que les arguments dont je viens de me servir trouvent
ici leur application. En effet, à Saint-Quénin nous ne voyons pas,
comme à Avignon , comme à Saint-Restitut, un plan , une composi-
tion plus ou moins exactement copiés d'après l'antique. Au contraire,
le plan de Saint-Quénin est de la barbarie la plus étrange, et l'or-
nementation est, sous le rapport de l'exécution, d'une grossièreté re-
marquable. Sans doute on y surprend çà et là une imitation curieuse
de quelques détails antiques, imitation bien naturelle , je dirai même
inévitable au milieu des ruines d'une ville romaine. On sent que la
différence est grande entre l'imitation de quelques détails et celle de
la disposition générale. La première doit se rencontrer dans le midi
de la France à toutes les époques , l'autre au contraire ne peut être
rapportée qu'à un temps oii l'art a pris un développement très-consi-
dérable. Je regarde donc comme la plus probable la date proposée
pour Saint-Quénin (le VHP siècle) par mon savant ami M. Lenor-
mant, dans sa lettre à M. de Caumont sur l'origine de l'ogive.
P. Mérimée, de l'Institut.
NOTICE
SUR
U^E COUPE ARABE,
COMSERYEK
AU DÉPARTEMENT DES ANTIQUES DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE.
PL. XVI.
On est si acoutumé à recourir aux textes pour expliquer les mo-
numents, qu'il paraîtra peut-ôtre intéressant de voir une fois par
hasard employer une méthode tout opposée, c'est-à-dire tenter d'in-
terpréter un texte obscur à l'aide d'un monument figuré. On ne
pourra, je l'espère, se refuser à l'évidence de faits, qui concourent à
prouver l'utilité de l'archéologie.
Dans le Regesium de l'empereur Frédéric ÏI, publié par Carcani eu
1786, on lit le passage suivant d'une lettre de ce prince:
<cMandamus.... eligas très de leopardis tue cure commissis meliores
c( et melius affaytatos et très alios non affaycatos [sic) meliores qui
« tamen sciant equitare et habiliores sint ad affaytandum. » (l).
Des léopards qui sciant equitare pouvaient paraître au premier abord
assez extraordinaires, mais un habile écrivain auquel nous devons une
histoire de la lutte des Papes et des Empereurs de la maison de
Souabe, en me faisant l'honneur de me consulter sur cette difficulté,
m'a fourni l'occasion de lui indiquer un monument qui la résout.
M. de Cherrier en acceptant mon explication lui donne une autorité
qui m'engage à la faire connaître.
Chacun sait que les Orientaux dressent pour la chasse, des lions,
des onces et des léopards, qu'ils portent en croupe et lancent sur le
gibier lorsqu'ils sont à portée convenable (2). Ces animaux doivent donc
être habitués de bonne heure à se tenir sur le cheval, c'est ce que le
Regestum exprime par scire equitare.
(1) Naples , 1786, F», p. 308. L'ordre est adressé : Renaldino de Panormo val-
leclo,
(2) Voy. les détails rassemblés par M. Reinaiid : Monuments arabes, persans, etc.
T. II, p. 426.
NOTICE SUR UNE COUPE ARA.BE. 639
On trouve sur un vase à boire , contemporain je crois de Frédéric ,
des cavaliers qui portent, sur la croupe de leur cheval, des animaux
féroces de la race féline.
La coupe qui nous montre ces chasseurs, trouvée en 1 838 à Fano,
dans le duché d'Urbin, et acquise pour la Bibliothèque royale, par
M. Charles Lenormant, est faite d'une combinaison de cuivre et d'étain
fondus, que l'on appelle vulgairement métal de cloche; elle est toute
couverte de riches et gracieuses incrustations d'or et d'argent fixées au
marteau, avec une habileté qui étonne, car le moindre coup mal appli-
qué pourrait briser le métal extrêmement aigre qui forment le calice.
La panse de la coupe est ornée de six médaillons déterminés par un
entourage formé de six cintres et de deux ogives ; ces médaillons, qui
contiennent chacun un cavalier, sont séparés par six petites rosaces
incrustées d'or. L'un des médaillons a été à demi emporté par une
fracture. Le premier qui vient à la suite représente un personnage
nimbé, à cheval, tenant de la main gauche une épée ; sur la croupe
du cheval est placé un lion. (Voy. pi. XVI, n° 1. )
Le second médaillon contient un cavalier tirant de l'arc (pi. XVI,
n° 3 ), le troisième un autre cavalier nimbé qui frappe avec une masse
d'arme une biche placée au-dessus du cheval (c'est-à dire dans un plan
plus éloigné). Le chasseur du quatrième médaillon, la tête couverte
d'une espèce de casque ou de turban toujours avec un nimbe, tient de
la main droite les rênes de son cheval ; de la gauche il lance un léo-
pard qu'il portait en croupe. ( PI. XVI , n° 2. ) Le cinquième médail-
lon est rempli par un personnage à cheval ayant un faucon sur son
poing muni d'un de ces gants particuliers dont les veneurs du moyen
âge se servaient pour tenir les oiseaux de vol (1). Entre les jambes du
cheval, court un chien le cou entouré d'un collier. (PI. XVI, n" 4. )
Au dessous des chasseurs, deux lignes d'argent laissent entre elles un
bandeau étroit divisé par six petites rosaces incrustées d'or et conte-
nant six groupes composés chacun de deux animaux ; à savoir: une
antilope poursuivie par une panthère, un éléphant percé par une li-
corne, un loup qui se retourne vers un léopard, un bœuf bossu qui
fuit devant un lion; un lièvre atteint par un lévrier , et enfin un
sphinx ailé et nimbé que suit un griffon.
Sur le fut qui soutient la coupe, au-dessous d'un renflement en
(1) « Débet autem falco erigi super pedes suos et collocari super manura investi-
tam chirolhecâ. » De arle venandi cum avibus , livre écrit par l'empereur Frédé-
ric II. Édit. de 1596, p. 208.
640 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
forme d'anneau, on voit une inscription en grands et beaux caractères
d'argent qui se détachent sur un élégant arabesque et que je lis :
^^•^iil ^Uî ^Uî c'est-à-dire : le pieux, le pieux, VexcelleriL
Les deux premiers mots sont séparés par une fleur, entourée d'un
filet d'argent, formant un médaillon qui se répète de l'autre côté à la
fin de la légende. ( Voy. pi. XVI, n*» 5. )
La base circulaire de laiton battu qui supporte le fût, nous montre
la phrase suivante , quatre fois répétée ; on reconnaît à la première
inspection le titre àe pieux que j'ai indiqué tout à l'heure, suivi de
l'épithète éleçéd^^ ^Uî. Après ces mots, vient un médaillon repro-
duit un même nombre de fois, et contenant le nom royal ô^-^i^î dlUi
el malek el Aschraf.
Plusieurs princes arabes ont porté ce nom et j'entrerai à cet égard
dans quelques détails un peu plus loin. Je dois d'abord achever la
description de la coupe et il me reste précisément à signaler une par-
ticularité tout à fait intéressante; lorsque j'étudiai minutieusement ce
vase et que j'en dessinai les inscriptions et quelques autres parties,
afin de les mieux apprécier, je fus frappé de la tournure étrange des
NOTICE SUR UNE COUPE ARABE.
541
personnages et des animaux qui ornent la frise régnant au bord su-
périeur ; les jambes surtout me paraissaient d'une roideur extraordi-
naire. A force d'examiner cette frise, j'acquis la conviction que toutes
ces figures de guerriers, de chasseurs, d'animaux et d'oiseaux de proie
déguisent une longue légende qu'à la fin je finis par déchiffrer et
que je transcris en caractères courants :
j\i^\ UJî jus^id jj^^^ ^îjJî jjjî
Ak-*UJl »:>\jcmJÎ xjwÎ^Î ^tis.L*xJt
Ces six phrases, qui ainsi qu'on le voit riment deux à deux, sont
séparées par des rosaces incrustées d'or, semblables à celles qui se
voient au-dessous , sur la panse. Voici la traduction du tout : Hon-
neur durable et victoire ; prospérité, vie longue , puissance ; bénédiction
et salut; félicité et santé ; faveur (i), éléçalionj bonheur complet. Ces
mots, qui se voient plus ou moins nombreux et diversement com-
binés sur d'autres vases décrits par M. Reinaud, s'adressent à celui
auquel la coupe devait appartenir, et leur présence sur ce vase n'a rien
que de très-habituel, tandis que la forme humaine des caractères est
un fait que je crois véritablement nouveau dans la paléographie arabe.
Je me contente de donner, comme échantillon, la première des phrases
rapportées plus haut, qui servira à faire juger des autres. Tous les
personnages qui paraissent dans cette frise sont nimbés ; leurs jambes
ne suffisant pas pour tracer au complet les caractères, il a fallu faire
intervenir des animaux réels ou fantastiques dont les formes bizarres
^e prêtent à l'expression des traits courbes. C'est ainsi que le \ , le :>
et le ^^ des mots^/t-?ioJî yxl\ sont figurés par un canard, un oiseau
(1) Voy. la remarque faite sur ce ce mot qui veut dire robe de soie, dans l'ouvrage
de M. Reinaud, intitulé : Monuments arabes, persans et turcs du cabinet de M. le
duc de Blacas. T. II, p. 424; note.
542 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
à queue de poisson et un griffon ailé , tandis que dans le mot j^^ai les
deux dernières lettres sont représentées par deux serpents entrelacés.
On sait que pendant tout le cours du XIP siècle et le commence-
ment du XI 11% les sulthans Ortokides et les Atabeks de l'Iraq mar-
quèrent de types animés très-variés les monnaies de cuivre qu'ils frap-
paient à Mardin , à Miafarkin, à Amida, à Djézireh, à Mossoul, à
Alep, etc. Le prince Ayoubite Malek el Ascbraf , ayant obtenu de
son frère Malek el Kamel la ville de Miafarkin, enlevée auxTurco-
mans, y frappa monnaie en 612 et 617 de l'hégire (1215 et 1220
de J. C. ), et quoique de race arabe il paraît ne s'être fait aucun
scrupule d'imiter les Ortokides en ce qui regarde les monnaies. Les
siennes ont pour type une figure royale assise les jambes croisées et
ayant la tête nimbée (1), circonstance qu'il est important de noter en
passant. Avant la moitié du XIIl" siècle les princes musulmans
turcs, avaient cessé de placer des représentations d'êtres animés sur
leurs monnaies. Quant aux sulthans Ayoubites ou aux Mamlouks
d'Egypte , ils ne commirent jamais cette infraction à la loi du pro-
phète.
La présence de personnages sur les vases chargés d'inscriptions
arabes, doit être, ce me semble, attribuée à la même influence à la-
quelle les types figurés des monnaies musulmanes durent leur origine.
C'est ce qui se prouverait par les exemples que nous fournissent ceux
des monuments figurés dont la date est connue; tels sont entre autres
le vase de M. le duc de Blacas, et le miroir de l'abbé de Tersan (2).
Le premier de ces monuments , fabriqué à Mossoul par Schodja, fils
de Hanfar, en l'année 629 (1230 de J. C); le second , portant les
noms et les titres du sulthan de Kaïfa Abou'lfadl Ortok-Schah, con-
firment d'autant mieux l'opinion que je viens d'avancer que les sujets
qu'ils représentent sont tout à fait traités de la même manière que les
types monétaires dont j'ai parlé ; âge et style , tout semble commun.
Si j'insiste autant sur ce point, c'est que par ce moyen je crois arri-
vera déterminer la date de notre coupe. Si l'on attache, ainsi que moi,
quelque importance aux rapprochements que j'ai tenté d'établir, on
admettra probablement que ce monument a dû, ainsi que le vase de
M. le duc de Blacas avec lequel il oflVe tant d'analogie, être fait en
Mésopotamie, sous l'influence turcomane et dans la première moitié du
XIII* siècle , par conséquent pour l'un des deux premiers princes qui
(1) V. Marsden: Numismala orientalia. PI. IX, n" CXLIII.
(2) Reinaud : Monuments arabes, etc. T. 11, p. 404 et 424.
I
NOTICE SUR UNE COUPE ARABE. 543
portèrent le surnom d'Aschraf, mot qui se lit sur le pied de la coupe
ainsi que je lai dit précédemment.
El Malek el Aschraf, dont j'ai déjà parlé, fils de Malek el Adel Séif-
eddin Aboubekr, neveu du célèbre Selah-eddin , avait reçu de son
frère, Malek el Kamel quelques terres en Syrie ; il joua un rôle im-
portant dans les guerres de la troisième croisade et fut en relations
avec l'empereur Frédéric II,
El Malek el Aschraf, fils de Malek el Rhazi, neveu du premier,
sulthan de Miafarkin, fut assiégé et pris dans cette place par l'armée
deHoulagou, qui le fit mourir l'an 658 (1259), deux ans après la
prise de Bagdad par les Mongols (l).
Ce fut le 18 février 1229 qu'une trêve fut conclue entre Malek el
Kamel, son frère Malek el Aschraf et l'empereur Frédéric. Depuis,
l'union entre ces princes ne fit qu'augmenter, et ils se firent parfois
de magnifiques présents, Le sulthan expédiait au césar un éléphant,
des dromadaires, des singes et d'autres raretés. Frédéric envoyait des
objets d'art, des fourrures , des chevaux; c'est peut-être par suite de
cet échange de présents que la coupe du cabinet des antiques est arri-
vée en Italie.
On pourrait donner à ce monument une autre patrie, sans cepen-
dant modifier en aucune façon l'âge que je lui ai assigné en m'ap-
puyant sur des considérations qu'il est difficile d'écarter. On a pu
remarquer que la forme de C8 vase, monté sur un pied élevé, a quel-
que chose d'occidental qui le distingue de tous les ustensiles de
même nature qui sont jusqu'à présent rassemblés dans les collections
d'Europe. Une autre particularité qui ne frappera que les orienta-
listes, c'est la nature des titres inscrits sur le pied. En effet, jusqu'à
présent, les mots (sy^^ ^^^^ ^^ se rencontrent dans aucune in-
scription composée en Orient , et ne se montrent que sur les vases
et les ornements impériaux fabriqués en Sicile par les Musulmans qui
(t) Les autres princes qui ont porté ce titre sont : 1 ° El Malek el Aschraf Mousa, flis
d'Youssouf ( C68-G42), suilhan ayoubite d'Egypte, expulsé par les Mamlouks.
2° El Malek el Aschraf, fils de Malek el Mansour, oncîe de Selaheddin. de la race
de Schirgoueh , le dernier des cinq princes de cette famille qui régnèrent à Emese ;
il mourut en 00 1.
3* El Malek el Aschraf, fils de Kélaoun (G89-693), huitiènne roi de la première dy-
nastie des Mamlouks en Egypte, qui prit Ptolémais sur les Francs en 690.
40 El Malek el Aschraf aia eddin Kudjouk (742).
5° El Malek el Aschraf Schaban (764-778;, tous deux sullhans mamlouks. Dans la
seconde dynastie des Mamlouks, six sulthans depuis 825 (1421 ) jusqu'en 923 (1517),
ont ajouté à leurs noms celui d'El Aschraf.
544 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
vivaient sous la protection de l'empereur (l). Je trouve dans la frise
qui borde la coupe un aigle qui enlève un lièvre dans ses serres,
groupe si connu dans la numismatique sicilienne qu'il n'est pas né-
cessaire d'en citer même un seul exemple. Serait-il trop hardi d'attri-
buer cet ouvrage à quelque Sarrasin de Lucera? Il est évident que
l'on fabriquait en Occident (les vases de même style à l'époque à la-
quelle le moine Théophile écrivait son Traité (2), c'est à-dire au com-
mencement du XIIP siècle. Voici comment cet auteur s'exprime à ce
sujet :
(c Fiunt et imagines regum et equitum eodem opère in ferro ex
« quibus auricalco Hispanico impressis ornantur pelves , quibus
<( aqua in manibus funditur, eodem modo quo ornantur scyphi auro
« et argento cum suis limbis ejusdem metalli , in quibus stant
« bestiolœ vel aves et flosculi, qui tamen non figuntur sed stagno so-
« lidantur. »
Non seulement les artistes arabes de Lucera pouvaient avoir reçu
du Diarbekr ou de la Palestine des modèles qu'ils imitaient avec
quelques modifications, mais ils pouvaient encore, sans avoir recours
à des inspirations venues de si loin , retracer des sujets tels que ceux
dont j'ai donné la description en reproduisant les scènes de chasse
qu'ils avaient fréquemment sous les yeux , en copiant les animaux
exotiques nourris dans les ménageries de Frédéric (3). L'usage de
peindre sur les vases des rangées processionnelles d'animaux naturels
ou fabuleux paraît avoir été introduit en Italie par les Phéniciens à
une époque fort reculée. Les Musulmans ont sans doute pris pour des
réalités quelques compositions symboliques du genre de celles que
nous montrent les vases de Corneto ou de Théra (4). C'est un fait
(1) V. Gregorio : Rerura arabicarum quae ad Siculam spectant collectio. Palerme.
1790. Fol. p. 178, 182 et suivantes.
« Les inscriptions, dit M. Reinaud, en parlant de vases arabes ( voy. ouvrage pré-
« cité, t. II, p. 423), sont quelquefois incomplètes ou tellement défigurées qu'il est
« impossible d'y rien entendre ; il paraît encore que plusieurs des objets sur lesquels
« on les lit, ne sont pas l'ouvrage d'artistes musulmans, mais d'ouvriers qui ne com-
« prenaient pas ce qu'ils marquaient, d'où l'on peut induire que plusieurs de ces
« objets ont été travaillés en Europe. »
(5) Diversarun arlium schedula, édit. dé M. le comte de l'Escalopier, p. 244,
(3) Voy. Huillard-Bréholles, Monuments et histoire des Normands et de la
maison de Souabe en Italie, p. 109. Les éléphants étaient connus du temps des
Normands; V. dans le même ouvrage, pK x, le siège de l'archevêque Urso (1089)
conservé dans l'église de Canosa et dont les pieds sont formés par deux de ces ani- "
maux. Ce siège est signé par le sculpteur ROMOALDVS.
(4) J.DeWitle. Catalogue Durand, n""^ 879, 880, 899, 900, 944, 945, 947 à 950,
966,960, 986 et 989.
NOTICE SUR UNE COUPE ARABE. 545
positif, qu'ils ont enrichi le règne animal d'une foule d'êtres bizarres
dont la collection nous est conservée dans le c:>bi^Ai^l <-^l:é. cjU^s
(Liçre des Meri^eilles des Créatures) du célèbre Cazouini; ils transpor-
tent même les animaux symboliques dans leurs croyances religieuses
et représentent , avec la tête et le sein d'une femme , des ailes et une
couronne, la jument sur laquelle l'ange Gabriel enleva le prophète (l).
Il est, comme on le voit, très-difficile d'asseoir solidement une
opinion définitive sur les arguments divers que j'ai présentés. D'un
côté, le rapport évident qui existe entre les ornements de notre coupe
et ceux d'un vase certainement fabriqué à Mossoul en l'an 1230; de
l'autre, la forme européenne de ce monumeut et la présence sur son
pied de mots qui ne se voient que dans des inscriptions siciliennes;
tels sont en somme , les moyens de critiques auxquels je suis réduit.
Dans tous les cas, ce qui me paraît résulter incontestablement de mes
recherches, c'est l'âge delà coupe de Fano, qui fut certainement
exécutée à une époque oii Frédéric II écrivait le passage auquel elle
sert de commentaire.
Adrien de Longpérier.
(1) V. Mouradja d'Ohsson ; Tableau de Terapire ottoman. PI. II, p. 67.
UN DERNIER MOT
SUR
LE PRÉTENDU COEUR DE SAINT-LOUIS
On lit, dans \e, Moniteur du jeudi 24 octobre, cette note, que tous
les journaux ont répétée le lendemain :
« Mardi dernier, sur l'invitation de M. le ministre des travaux pu-
blics, M. l'archevêque de Paris a délégué M. l'abbé Églée, un de ses
vicaires-généraux, pour procéder, de concert avec M. Letronne,
garde-général des Archives du royaume, à la remise dans les mains
de M. Duban, architecte de la Sainte-Chapelle, de la boîte et de tous
les objets qu'elle contenait, trouvés le 15 mai 1843, dans l'abside
de cette église.
« Cette boîte avait été jusqu'ici confiée àM. le garde-général, scellée
du double sceau de l'archevêque et du ministre des travaux publics ,
et déposée dans l'armoire de fer ; à l'ouverture de chaque séance de
la commission, chargée d'examiner ces restes, et de dire son avis sur
la question de savoir s'ils appartiennent à saint Louis, les scellés
étaient levés en présence de l'archevêque et de nouveaux apposés à
l'issue de la séance.
c< Après l'examen approfondi qui a été fait de cette question , les
scellés viennent d'être levés pour la dernière fois, et la boîte ouverte
a été remise à M. Duban, pour être replacée dans l'abside, à l'endroit
même où elle avait été trouvée. L'architecte et ses deux inspecteurs
sont chargés seuls de cette opération , l'autorité ecclésiastique ayant
déclaré qu'elle n'avait pas à y prendre part.
« Ainsi s est terminée cette affaire, qui a tant occupé depuis dix-
huit mois. La solution qu'elle reçoit se trouve être justement celle
que lui avait donnée, il y a quarante-un an, le garde-général des
Archives , Camus , lors de la première découverte de ces restes hu-
mains. »
On voit, par cette note officielle, que l'autorité ecclésiastique s'est
prononcée sur le question du prétendu cœur de saint Louis. Tant que
celte question a été pendante, M. l'archevêque a continué de tenir à
ce que la boîte contenant ce reste humain fût scellée du sceau de 1 ar-
^ LE PRÉTENDU COEUR DE SAINT-LOUIS. 547
chevêche. A présent, cette formalité ne lui paraît plus nécessaire; la
boîte est remise ouverte à l'architecte, pour qu'il ait à la replacer, lui
et ses inspecteurs, conformément à l'ordre du ministre, dans l'ouver-
ture d'où elle a été tirée. Ce n'est pas tout, le clergé abandonne ce reste
humain; il ne juge pas nécessaire son assistance dans la re'-inhumaùon ;
la boîte sera ré-enterrée purement et simplement , sans prières ni cé-
rémonies aucunes. Or, si l'autorité ecclésiastique eût conservé le
moindre doute sur la question agitée depuis dix-huit mois, aurait-elle
montré ce renoncement complet ? n'aurait-elle pas fait quelque réserve?
Le simple soupçon que ce cœur pourrait être le cœur de saint Louis
appelait quelque mesure différente de la part tant du ministre que du
clergé ; ceci est une preuve manifeste qu'aux yeux de l'un et de l'autre
la question ne présente plus nulle incertitude; que l'hésitation de
l'Académie des Inscriptions sur ce point ne les a pas arrêtés, et que
la solution toute négative, présentée par M. Letronne , dans son rap-
port du 24 mai et dans son Examen critique, que ce cœur ne peut
être celui de saint Louis , a été adoptée par les deux autorités, par
celle principalement qu'on pouvait croire le plus disposée à se réunir
à une de ces opinions mixtes , qui , n'engageant à rien , laissent
tout en suspens.
Il semble donc qu'en cette grave circonstance les rôles ont été in-
tervertis. L'Académie d'Histoire et de critique, malgré l'avis de ses
membres les plus éclairés, nous paraît avoir laissé prendre le sien au
clergé, qui a montré, en toute cette affaire, une réserve, une sin-
cérité et une critique vraiment remarquables.
Quoique la noie insérée au Moniteur soit rédigée avec une grande
modération, qu'en s'y soit même abstenu de tout jugement et borné à
une simple exposition des faits, M. Le Prévost a cru devoir réclamer
quelques jours après, dans \e Moniteur, contre l'expression : Ainsi s est
terminée celte affaire . Il veut que Yaffaire ne soit pas terminée, attendu
que l'Académie ne s'est pas décidée. Nous nous sommes déjà expli-
qués sur cette hésitation du corps savant et sur le motif respectable
qu'on peut en donner. Nous nous trompons fort, ou, à l'heure qu'il
est, il reste quatre personnes, ni plus ni moins, dans cet illustre corps,
qui persistent à ne pas croire que la question aoli résolue ; naturelle-
ment M. Le Prévost est de ce nombre, et nous ajouterons qu'il en
sera toujours ainsi de MM. Lenormant, Paris et Berger de Xivrey.
Mais le docte académicien fait ici confusion entre Yaffaire et la ques-
tion; quand même il persisterait à croire que celle-ci n'est pas réso-
we , il lui est impossible de nier que Yaffaire ne soit terminée , par le
548 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ré- enterrement pur et simple de la boîte ; car personne n'en parlera
plus désormais , jusqu'à ce que M. Le Prévost , ou tout autre ,
trouve un fait concluant; ce qui n'aura pas lieu de sitôt : on peut
même , dès à présent , leur donner le conseil d'en appeler au juge-
ment dernier.
M. le Prévost paraît donc n'avoir pas voulu comprendre la note
officielle du Moniteur, dont tous les termes paraissent avoir été pesés
avec une précaution vraiment administrative.
Quant à nous, qui avons pris tout d'abord un parti dans cette dis-
cussion, et qui nous sommes prononcés sans hésiter pour l'opinion
et le livre de M. Letronne , nous ne pouvons que nous applaudir de
voir notre jugement, et celui des organes les plus sérieux de la presse,
confirmés par l'autorité si grave et si compétente du clergé. LUni-
vers religieux f le Journal des Débats, la Reçue de Paris, le Cour-
rier, le Droit , le Siècle , le National , la Gazette et la Reme de l In-
struction publique, notre Revue, etc., en rendant compte du livre
de M. Letronne, ont été unanimes pour déclarer, avant que Vaffaire
ne fût terminée, que la question était résolue. 11 y a donc encore du
bon sens dans notre beau pays de France (i).
(i) Dans l'étranger, le livre de M. Letronne est apprécié comme en France. Un
des meilleurs journaux littéraires de l'Allemagne , le journal de Critique scienti-
fique de Berlin (août 1844), contient un ariicle aussi savant que spirituel, où le
livre et la question sont jugés avec une grande finesse de vues; et précisément
dans le sens que nous avons tous adopté. L'auteur, M. le docteur H. Weil,fait
surtout ressortir les avantages de la méthode de critique que M. Letronne a. suivie
dans cet ouvrage, comme dans ceux qu'il a publiés sur les diverses branches de
l'antiqnité.
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES
INSTITUÉE AU MINISTÈRE DE l'iNTÉRIBUR.
TRAVAUX. '
DEUXIÈME ARTICLE.
On compte en France un bien petit nombre de monuments
romans de la première période : aussi la commission des monuments
historiques a-t-elle apporté le plus grand soin à en rechercher l'exis-
tence et à conserveries plus remarquables de ceux que nous possédons.
L'église de la Basse - OEuvre , à Beauvais, appartient à cette
classe intéressante de monuments ; elle était destinée à être démolie
si la cathédrale eût été achevée. Située sur l'emplacement que devait
occuper la nef, elle se trouve dans un axe différent de celui du
chœur.
Un particulier auquel 'cet édifice religieux appartenait l'avait
coupé en plusieurs étages pour en faire des magasins de ma-
tières combustibles, en sorte que, non content de défigurer cette
église, il mettait encore en danger la cathédrale, qui en est voi-
sine. Ces constructions parasites avaient dénaturé l'aspect exté-
rieur de l'édifice primitif, dont néanmoins on retrouve l'ancien
appareil dans les murs des façades latérales qui sont parfaitement con-
servés. Enfin la Basse OEuvre fut achetée par l'État , dégagée des
hors d'œuvre qui lui ôtaient son caractère monumental ; et on pourvoit
à sa consolidation. Maintenant M. le ministre de l'intérieur se pro-
pose de la rendre au culte, comme chapelle annexe de la cathé-
drale, lorsque le ministre de la justice et des cultes aura consenti à
faire les frais de son appropriation à cet usage.
Plus anciennement, l'édifice connu sous le nom de temple Saint-
Jean , àPoitiers, avait été sauvé d'une ruine imminente par les soins de
M. le ministre de l'intérieur. En 1830, le percement d'une rue nou-
velle dans l'axe de laquelle se trouvait ce monument, avait été auto-
risé par une ordonnance royale. M.Vitet , alors inspecteur général des
monuments historiques, passa à Poitiers sur ces entrefaites ; il recon-
nut l'importance architecturale de cette église, et obtint la modifi-
cation de l'alignement déjà adopté. Cet édifice, qui a probablement
servi d'oratoire ou de baptistère, car on y a retrouvé sous le pavé les
I. 36
550 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
traces d'une piscine octogonale , est un des plus anciens monuments
religieux qui existe en France: c'est du moins l'opinion de M. de
Caumont qui a reproduit celle de Tabbé Lebœuf. Ces archéo-
logues le font remonter au V*' ou VP siècle. Le principal corps de
bâtiment est sur un plan parallélogramme ayant IS^jSO sur 8", 30,
sans y comprendre l'addition faite au XP siècle. Les deux pignons
sont en petit appareil avec des ornements en briques incrustées. Les
murs sont en petit appareil aussi, mais de pierres plus larges que
hautes et séparées par des zones de briques. A l'intérieur, les archi-
voltes des trois arcades inégales qui existent dans chacune des faces
sont supportées par des colonnes de marbre présentant chacune un
caractère dilTérent, et probablement arrachées à des édifices plus
anciens. Le style des chapiteaux varie pour chacun d'eux. L'édifice a
été transformé en musée et renferme les fragments précieux recueillis
par la Société des antiquaires de l'Ouest.
L'église de Savenières est aussi en voie de restauration. Le
chœur ne peut être reporté au delà du XP ou du XIP siècle; mais
la façade et une partie des murs latéraux paraissent être du VP ou
VIP siècle. Le parement des murs de cette façade est en pierres car-
rées, noires ou grises, de marbre et de silex, comme dans les construc-
tions en petit appareil. On remarque à différentes hauteurs six larges
zones de briques posées en feuilles de fougère, et trois petits cordons
composés seulement d'un double rang de briques posées à plat ; deux
fenêtres plein cintre avec leurs archivoltes garnies de briques, et dans
le pignon on remarque une ouverture triangulaire formée de la
même matière.
La crypte de Jouarre est aussi un monument d'une haute anti-
quité. Sa fondation remonte à l'an 630 ou 640. Elle se compose
de deux chapelles souterraines, l'une dédiée à saint Paul eriiiite, et
l'autre à saint Ebrigésile, évoque de Meaux, qui y fut enterré vers
l'an 700. Le tombeau de sainte Telchide, première abbesse de la célè-
bre abbaye de Jouarre, qui y fut enterrée en 660, prouve que cette
chapelle existait déjà vers le milieu du VIP siècle. Ce tombeau est
parfaitement conservé; des travaux d'assainissement et de consolida-
tion ont été habilement exécutés sous la direction de M. Garez, et
ont ainsi assuré la conservation de cet édifice, qui est du plus haut
intérêt.
Des travaux de même nature ont été exécutés à la crypte d'Andlau. '
Celle crypte ne remonte qu'au IX^ siècle ; et elle fut en partie recon-
struite avec l'église au XP. Ce monument des plus remarquables de
I
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. 55l
l'Alsace, l'abbaye d'Anteloha (Andlau), avait été fondé par Charles
le Gros, pendant son séjour à la résidence impériale de Kirkeim; l'im-
pératrice Richarde s'y retira, victime des calomnies que ses ennemis
avaient répandues contre elle auprès de son époux. L'église fut en
partie reconstruite par l'abbesse Mathilde, sœur de l'empereur
Conrad II, et dédiée par le pape Léon IX; mais la crypte et une
partie du portail remontent à l'époque de sa fondation.
Si de ces édifices appartenant à une époque qu'on pourrait appeler
romane primitive, on passe à celle qui s'étend du X** au XIIP siècle,
et dans laquelle on peut comprendre le style de transition , on ren-
contre un certain nombre d'édifices qui ont été l'objet de la sollicitude
du Ministre de l'Intérieur et que nous énumérerons, en suivant
l'ordre d'importance des travaux qui y ont été exécutés.
On doit placer en première ligne l'église de l'ancienne abbaye de
Vezelay. Cette église avait été fondée au IX* siècle, mais il ne reste
presque rien de sa première construction : en 1008 , le duc Henri de
Bourgogne chargea l'abbé G uillaume du rétablissement de l'église, c'est
de cette époque que datent la nef et la crypte; le portique dit des
Catéchumènes, oii l'ogive est mêlée au plein cintre, doit appartenir au
XIP siècle; le chœur, qui avait été brûlé en 1165, fut seulement
reconstruit au XIIP siècle. Les proportions de cet édifice sont immen-
ses; la longueur, depuis le portail jusqu'à labside hors d'œuvre,est de
123", 40. Cette église, dont l'entretien était abandonné aux faibles
ressources d'une ville qui ne compte que mille âmes etqui est dépourvue
d'industrie, tombait en ruine, faute de réparations; les dévastations de
la terreur et celles plus anciennes des guerres de religion , dont les
traces n'ont jamais été entièrement effacées, avaient en partie détruit
l'édifice; quelques années d'abandon auraient suffi pour amener
sa ruine complète, et tel était son état de délabrement que les
travaux de restauration exécutés sous la direction de M. Viollet le
Duc, bien que conduits avec la plus stricte économie, ont absorbé
des sommes considérables. Heureusement, le succès a couronné une
entreprise qui présentait de grandes difficultés. Les murs étaient
déjetés , fendus et pourris par l'humidité; on avait peine à compren-
dre que la voûte, toute crevassée, subsistât encore ; trois travées ont
été reconstruites entièrement, plusieurs piliers ont été repris en sous-
œuvre, les corniches et les soubassements ont été refaits à neuf
sur tout le développement du périmètre extérieur ; bref, le monu-
ment est actuellement à l'abri de tout danger, et incessamment il
aura repris toute son ancienne splendeur.
552 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Les églises d'Tssoire et de Notre-Dame-du-Port à Clermont, ont
été aussi l'objet de réparations importantes, sous la direction de
M. Mallay, architecte de la localité. Ces édifices peuvent servir de
types au style des églises paroissiales ou conventuelles les plus an-
ciennes de l'Auvergne avec Saint Julien de Brioude, qui est aussi en
voie de restauration ; ils ont des absides rondes avec des plates-ban-
des, des tours sur la croix des axes, et leur appareil extérieur est
décoré d'une ornementation bicolore.
ïous les bâtiments de l'ancienne abbaye de Montmajor, près
d'Arles, ont été achetés par l'État et consolidés. La consolidation de
l'église de l'ancienne abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, présentait
de grandes difficultés qui ont été surmontées avec habileté par
M. Delton. Cet édifice n'est plus celui qui fut bâti vers le milieu du
VIP siècle sur les fondements de l'ancien Castellum de Fîeiiry, il fut
démoli de fond en comble, par les Normands, dans le IX^ siècle; des
incendies au X* siècle et au commencement du XP, détruisirent
encore les bâtiments qui avaient été reconstruits, en sorte que le
monument actuel ne remonte qu'au XP siècle. Le porche et la crypte
sont particulièrement dignes de remarque. Quelques antiquaires à la
vue du grand appareil du porche principal, ont cru que sa construc-
tion remontait à l'époque de la fondation de l'abbaye. Toutefois le
caractère des chapiteaux historiés est une preuve évidente d'une ori-
gine relativement plus moderne.
Auprès de Saint-Benoît, la petite église de Germigny présentait un
exemple unique en France d'une voûte en cul-defour orné de mosaï-
ques. Elle a été aussi restaurée.
L'église de Souillac dans le département du Lot, est comme la
cathédrale de Périgueux, l'église de la cité de la même ville, et la
cathédrale de Cahors, voûtée en coupole à l'exemple de Saint-Marc de
Venise. Ces spécimens sont rares en France, et l'église de Souillac
était dans un état qui nécessitait de promptes réparations: elles ont
été faites sous la direction de M. Questel. Le même architecte a
dirigé la restauration complète du beau cloître de l'ancienne abbaye
de Moissac. On y avait ajouté, au XVP siècle, des voûtes dont le poids
avait déversé sur le préau le mur des arcades, malgré les contre-forts
informes qu'on y avait ajoutés, et qui défiguraient tout l'édifice. La
voûte a été supprimée, ce qui a permis d'enlever les contre-forts et
de rendre au cloître tout son aspect primitif, et sa couverture
en appentis soutenu par des charpentes apparentes. Les longues sui-
tes d'arcades sont supportées par des colonnettes accouplées aux
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. 553
chapiteaux chargés de figures ; et le pavé se compose de carreaux ,
décorés d'ornements reproduits avec fidélité d'après les parties an-
ciennes qui avaient été conservées.
Dans la Drôme , M. Questel a encore dirigé les réparations de
l'église deSaint-Paul-Trois-Châteaux, édifice roman très-remarquable
par les détails qui présentent tous les caractères de la plus belle archi-
tecture romane, celle de Saint-Restitut, du même style, mais avec
une annexe composée de deux étages, et qui est d'une é^ oque évi-
demment antérieure, et enfin l'église Saint-Bernard de Romans, non
moins remarquable que les deux autres. Dans l'Isère, il a conduit
avec bonheur des travaux importants exécutés à la voûte de l'église
Saint-Maurice de Vienne, et a restauré complètement le portail de
Sainte-Trophime à Arles, et l'église de Saint-Gilles (Gard). Cet édi-
fice n'a jamais été terminé ; les fondations du chœur sont seulement
recouvertes de quelques amorces élevées jusqu'à une certaine hau-
teur , et parmi lesquelles on remarque un escalier dont la coupe des
pierres est un chef-d'œuvre de stéréotomie connu ^ous le nom
de vis de saint Gilles. Le portail est de ce style roman inspiré direc-
tement par l'architecture antique, dont on ne trouve d'exemples
que dans le Midi ; des constructions parasites avaient encombré cet
édifice remarquable de tous les côtés. Il a été dégagé; la surface du
sol sur l'emplacement du chœur a été déblayée, fermée par des
grilles et sert de musée en plein air; le portail, débarrassé d'une
maison qui l'obstruait, a retrouvé l'élégance de ses proportions, et des
fouilles récentes ont fait retrouver les fragments d'un ornement en
saillie, semblable à un porche découvert composé de colonnes surmon-
tées d'un entablement , et dont les piédestaux seulement étaient restés
debout. Ces fragments ont été soigneusement réunis, complétés, et
le monument a repris tout son aspect primitif.
C'est encore à M. Questel qu'on doit de belles études sur les
anciennes abbayes de Syh^acane et du ïhoronet, et les églises des
Saintes-Mariés (Bouches-du-Rhône), deMarmans (Isère), de Rieux-
Mérinville (Aude), sur le plan de Saint-Etienne-le-Rond, à Rome;
et enfin, de Saint-Philibert-de-Tournus, dont la restauration va être
commencée cette année.
Plusieurs édifices romans , du département de la Vienne , étaient
en voie de restauration , sous la direction de M. Lion jeune, archi-
tecte plein de talents, lorsqu'une mort inopinée est venue le frapper
au milieu de ses travaux. Ils ont été continués par M. Jolly, archi-
tecte de Sauraur, que des études sérieuses sur les monuments de son
554 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
département avaient fait apprécier. Je citerai la belle église de Civray,
dont la façade est, avec celle de Notre Dame de Poitiers, une des
plus richement ornées de tous les édifices romans si remarquables que
renferment les départements de la Vienne et des Deux-Sèvres. La
coupole de Charroux, seul reste d'une ancienne église abbatiale
d'une grande importance, et qui a été consolidée; Saint-Pierre de
Chavigny, dont les chapiteaux historiés sont du plus haut intérêt; eï
enfin l'église de Saint-Savin, avec sa nef romane, ornée de pein-
tures qui vont être publiées par le ministère de l'Instruction publi-
que ; les dessins en ont été exécutés avec talent sur les échafauds
destinés aux travaux de restauration, par M. Gérard Seguin. La tour
du XII r siècle sur la face a été aussi reprise en sous-œuvre avec
une grande hardiesse, entreprise qui a été cauronnée d'un plein
succès.
Dans le département des Deux-Sèvres, M. Segrelain, architecte
de Niort, a dirigé avec habileté les travaux de consolidation à l'église
de Saint- Ge^eroux , dont quelques parties sont antérieures au
X" siècle, et à celle d'Airvaux et d'Oiron.
L'église Sainte-Marie-des-Dames, à Saintes, fondée par les com-
tes d'Anjou, avec l'abbaye de ce nom, a été commencée en 1047 et
achevée dans le siècle suivant : bien qu'ayant subi quelques transfor-
mations, cet édifice est encore fort remarquable; la tour et l'abside
sont du XP siècle. La façade offre trois portes richement ornées, et
que l'on peut attribuer à la première partie du XIP siècle. Cette
église, depuis 1793, a été convertie en magasin affecté au service
d'un quartier de cavalerie , et en 1839 elle devait être démolie ; M. le
Ministre de l'Intérieur a entamé avec l'administration de la guerre des
négociations qui ont abouti à un échange dont les bases sont
maintenant arrêtées, et qui assurent la conservation de cet édifice
curieux. Le cloître de l'ancienne abbaye de Fontfroide (Aude), monu-
ment excessivement remarquable de la même époque, appartenant à
un particulier, va être restauré sous l'habile direction de M. Viollet-
le-Duc. Un acte passé avec le propriétaire, l'engagera ainsi que ses
héritiers ou acquéreurs à conserver l'édifice à perpétuité dans l'état
actuel, sans pouvoir l'aliéner ou le modifier en quelque manière que
ce soit, même dans un but de restauration qui ne serait pas admise
par la Commission des monuments historiques.
L'église Saint-Pierre de Touques (Calvados), a été restaurée avec
talent par M. Danjoy. Cet édifice , dont quelques parties paraissent
remonter à une époque antérieure au XP siècle, est en grande par-
COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. 555
tie d'un style roman , dont le caractère est d'autant plus curieux, qu'il
offre moins d'analogie avec celui des autres édrfices de la même épo-
que dans la Normandie. Dans le môme département et sous la direc-
tion du même architecte, le cliâleau de Falaise, aussi remarquable
sous le rapport de l'art que pour les événements historiques dont il a
été le théâtre, a été l'objet d'importants travaux. La chapelle Saint-
Gabriel a été achetée par l'Elat, et consolidée ainsi que plusieurs
églises communales de la même époque. Enfin, auprès de Rouen,
l'église de l'ancienne abbaye de Saint-Georges de Boscherville est en
voie de restauration sous la direction de M. Grégoire. Telle est la
liste de la plupart des édifices romans ou byzantins, dont la conserva-
tion a été assurée par d'importants travaux dans ces quatre dernières
années, avec les fonds mis à la disposition du Ministre de l'Intérieur
pour ce service. Dans un prochain article, je donnerai celle des
monuments ogivaux et de la renaissance, dont la réparation a été
également commencée pendant cette période, et ensuite je me pro-
pose de donner des détails plus complets sur les nouvelles restaura-
tions qui seront entreprises ou terminées, à mesure que ces travaux
seront ordonnés.
E. Grille de Beuzelin.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
— On lit dans VArcMologische Zeitung, 6* livraison, l'extrait d'une
lettre écrite de Rhodes, par M. L. Ross le 30 mai 1844.
Le savant antiquaire nous apprend qu'il a découvert dans l'île de
Côs, parmi les ruines de la ville d'isthmos qui étaient demeurées jus-
qu'alors inconnues, les restes assez considérables d'un temple dorique
consacré à Cérès Augusta, et dans une autre partie de l'île, de magni-
fiques débris d'un heroon d'ordre ionique. A Halicarnasse, M. Ross a
été moins heureux , il a toutefois remarqué quatre beaux fragments
de frise encastrés dans le mur du fort situé du côté du port; ces dé-
bris lui font soupçonner que c'est peut-être là l'emplacement du cé-
lèbre mausolée. Il s'y trouva aussi des colonnes ioniques d'un mètre
vingt-deux centimètres de diamètre. Dans l'île de Telos, M. Ross a
découvert les restes d'un temple de Minerve-Poliade et de Jupiter-
Polieus, avec d'intéressantes inscriptions qu'il a envoyées à M. Bôckh.
A Rhodes, dans l'emplacement du temple d'Apollon-Erethimios, qu'il
avait mis au jour l'année dernière, il n'a trouvé que deux nouveaux
fragments d'inscriptions présentant le nom du Dieu. L'une d'elles
porte :
AnOAAnNIEP I E0IMI j fil
I YIEPAT I EY2A2
A Linde, cet antiquaire a découvert les ruines de deux temples,
l'un de Minerve-Lindia et l'autre de Jupiter- Polieus, ainsi qu'un
grand nombre d'inscriptions nouvelles dont plus d'une demi- dou-
zaine fait connaître des noms nouveaux d'artistes de l'école rho-
dienne.
— Voici encore un reste de l'antique Icosium que le hasard vient
de mettre au jour dans cette partie d'Alger, située sur l'emplacement
de la ville romaine. En creusant, pour établir les fondations du pory
tail de la cathédrale de Saint-Philippe, on a trouvé, à quatre mètres
environ au-dessous du sol actuel, une belle mosaïque romaine parfai-
tement conservée. Les ouvriers en avaient brisé une faible partie
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 557
lorsque ceux qui dirigeaient les travaux s'en sont aperçus et ont pris
des mesures pour la conservation de ce reste précieux.
On a continué de creuser à l'endroit où la mosaïque a été déjà dé-
gradée , et après avoir rencontré quelques médailles et une main de
bronze, on a découvert une magnifique citerne dont l'étendue en lon-
gueur ne paraît pas encore bien déterminée, et où il y avait de l'eau
à une hauteur d'un mètre cinquante centimètres. La parfaite con-
servation de l'enduit de cette citerne, la profondeur à laquelle l'ex-
haussement du sol l'avait enfouie , permettent de penser que depuis
plusieurs siècles cette eau existe là sans aucune communication avec
l'extérieur. Les fondations des constructions mauresques élevées en
cet endroit s'appuyaient immédiatement sur la mosaïque.
— Des ouvriers ont découvert, en creusant le sol, aux environs de
Ciudad-Real, un beau pavé en mosaïque, des tombeaux romains, des
amphores et quelques vases en argile, dont le travail atteste une haute
antiquité. Il a été reconnu que ces magnifiques débris appartenaient
à une ville du nom d'Alascos, qui existait sous la domination romaine,
et sur l'emplacement de laquelle avait été bâti le fameux château
servant de point de réunion aux chevaliers de l'ordre de Calatrava.
— Les fouilles commencées en 1 840 à Steenbosch , commune de
Fouron-le-Comle, par M. Henri Delvaux, ont été reprises le 9 du mois
dernier, aux frais du gouvernement belge et sous la direction du môme
antiquaire, conjointement avec M. Guyot, ingénieur en chef des
ponts et chaussées à Hasselt. Les pièces d'appartements découvertes
étaient alors au nombre de douze, et les objets trouvés furent envoyés
à l'Académie royale de Bruxelles. Aujourd'hui on a encore mis à dé-
couvert une vingtaine de nouveaux appartements, le fourneau et les
piliers ronds et carrés de terre cuite qui indiquent un hypocauste;
un grand nombre de morceaux de marbre poli de deux à trois déci-
mètres, une grande quantité de plomb en partie fondu par un incen-
die, du cuivre, des débris de poterie romaine , des ossements brûlés,
des charbons de bois, des clous, férailles, des verres à vitres de quatre
millimètres d'épaisseur, deux broches bien conservées, etc. On y
remarque surtout un canal de plus de quarante mètres de longueur,
et formé de briques à rebords conduisant l'eau dans un puits.
— Le 31 octobre, les ouvriers occupés à creuser les fondations
de la chapelle de Notre-Dame , située derrière le maître-autel de
558 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
la cathédrale de Troyes, pour y placer Taiilel en marbre blanc, sculpté
par MM. Desprey frères, sur les dessins de M. Baltard, ont trouvé, à
un mètre environ de profondeur, deux tombeaux placés à la suite l'un
de l'autre: l'un renfermant les restes d'Henri I^', dit \g Libéral, comte
deChampagne et deBrie, mort en 1180, à son retour de la terre
sainte; l'autre contenant les ossements du comte Thibault III , mort
en i 200 ou 1 201 , au moment où il se préparait à aller faire la guerre
en Palestine. Ces tombes ont été placées, lors de la destruction de la
collégiale Saint-Etienne, sous les dalles de la chapelle Nutre-Dame.
Les ouvriers, en continuant les fouilles , ont trouvé immédiatement,
sous la tombe de Thibault, le cercueil de pierre renfermant, si l'on
s'en rapporte aux traditions et aux données des auteurs qui se sont
occupés de l'histoire de la Champagne, les restes de l'évêque Hervée,
eO'' évêque de Troyes, dont l'épiscopat a duré depuis 1206 jusqu'en
1223.
La couverture du cercueil a été soulevée en présence de M. l'évêque
de Troyes, de quelques chanoines, de M. Arnault, antiquaire, et de
M. Bouché, architecte du département. On a trouvé divers objets
d'art , entre autres des débris de soierie ouvrée , qui composaient le
costume d'Hervée ; des fragments de broderies circulaires provenant,
suivant toute vraisemblance, des gants épiscopaux et représentant
une main bénissant, entourée de cette légende : In nomine Patris et
Filii et Spiritus sandi, et un agneau auprès d'une croix, avec la for-
mule Agnus Dei, On a trouvé aussi plusieurs objets d'orfèvrerie :
10 une crosse en argent doré et émaillé, montée sur une hampe en
sapin, n'excédant que de quelques centimètres la longueur d'une canne
ordinaire; cette crosse est composée d'un serpent et d'un lion fort
délicatement exécutés; des chimères, des lézards et des serpents
ciselés à jour et en saillie sur la croix de la crosse et dans la
partie intérieure, la complètent; 2° un calice en vermeil; 3° une
patène en même métal; 4" un anneau d'or surmonté d'un très-
beau saphir; 5° une fiole de verre et beaucoup de galons bien con-
servés.
Ces objets ont été extraits de la tombe et déposés provisoirement à
l'évêché.
— Un habitant d'Arville, village situé dans la province de Luxem-
bourg, entre le château de Mirwart et Saint-Hubert, vient de décou-
vrir dans le bois d'Arville une épée remarquable par son travail. La
garde de cuivre doré est en forme de coquille, entièrement ciselée à
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 550
jour, avec de petites figures d'un travail exquis. Le pommeau , fort
gros et ciselé à jour, présente d'un côté trois personnages en costume
du moyen âge : c'est un seigneur à cheval suivi de son écuyer; un
vassal à genoux lui rend hommage -, de l'autre côté du pommeau, on
remarque deux cavaliers qui se donnent la main. La dorure est assez
bien conservée, surtout sur la coquille. Celte arme qui paraît être do
la tin du XVI" siècle , a été achetée par M. le major Geoffroy qui
s'occupe de recherches archéologiques dans les Ardennes.
— Lors de l'incendie de la flèche de l'horloge de Notre-Dame de
Laon, événement dont la Revue a rendu compte dans le numéro du
15 mai dernier, l'ange qui dominait la (lèche tomba et eut la tête sé-
parée du corps. Les ouvriers qui travaillaient à réparer cette statue
viennent de découvrir dans l'intérieur de la tête une petite boîte de
' plomb ayant la forme d'un tombeau. Cette boîte renfermait quel-
ques ossements entourés de rubans fort détériorés par le temps. L'ange
de la flèche était fort ancien; avant la révolution de 89, il était placé
au-dessus d'une tourelle dépendant du palais épiscopal de Laon , et
que l'on a transformé depuis en palais de justice.
— Un des plus beaux monuments historiques de la ville de Tours,
la belle église abbatiale de Saint-Julien, qui fait l'admiration de tous
les étrangers, est dans ce moment à vendre ou h louer. Cet édifice,
qui date du Xll^ siècle, est dans un état de conservation parfait.
Il sert d'écurie et remise à un hôtel y attenant.
— Dans les travaux qui s'exécutent en ce moment sous la direc-
tion de M. Charles, architecte de la ville, dans l'ancien couvent des
Célestins, détruit en grande partie pendant la révolution, on a décou-
vert deux charmants petits chapiteaux du XVÏ*' siècle provenant du
cloître 'qui était un des plus beaux de Paris, à cause de la délicatesse
des sculptures dont ses arcades étaient ornées. L'habile architecte a
fait transporter ces précieux débris au Musée des Thermes.
— Un de nos écrivains les plus distingués, M. J. J. Ampère, membre
de l'Institut, va partir incessamment pour l'Egypte, oii il se propose
de passer tout l'hiver, et de poursuivre les études qu'il a commencées
sur les hiéroglyphes. M. Ampère sera accompagné d'un dessinateur
que lui adjoint M. le Ministre de l'Instruction publique. On doit
d'autant plus attendre les meilleurs résultats de cette excursion, que
le savant critique l'entreprend avec une véritable passion.
BIBLIOGRAPHIE.
L'archéologie reposant en partie sur l'étude des textes , la con-
naissance des livres est indispensable à ceux qui la cultivent. Or, si
nous ajoutons que l'antiquaire, non-seulement pour se tenir au cou-
rant de la science , mais encore sous peine de commettre des erreurs,
ou de suivre une fausse route, doit être instruit de tout ce qui se
publie chaque jour dans les diverses parties du monde civilisé, on sera
forcé de convenir, que la bibliographie est le plus puissant auxiliaire
des recherches archéologiques.
Convaincus de cette vérité , nous croyons être utiles à nos lec-
teurs en leur donnant, chaque mois, la liste de tous les ouvrages
qui ont trait à l'archéologie , et qui paraissent tant en France qu'à
l'étranger.
Aujourd'hui, nous commençons par l'Allemagne, parce que nous
savons avec quel zèle on s'occupe dans ce pays du moyen âge et de
l'antiquité. On nous pardonnera de faire remonter notre catalogue à
l'année 1842, lorsqu'on aura remarqué que, si de simples titres de
livres suffisent pour faire connaître quelles sont les questions dont
les antiquaires de nos jours se préoccupent particulièrement, ce n'est
que quand cette énumération embrasse un certain laps de temps.
Les numéros de la Revue qui doivent suivre contiendront la liste
des ouvrages publiés en Angleterre, en Italie, en France, etc., etc.
Nous y joindrons un catalogue spécial dans lequel nous indiquerons
les travaux relatifs au moyen âge.
Nous espérons qu'on voudra reconnaître ici une nouvelle preuve
de notre désir d'offrir aux hommes studieux une publication qui
puisse contribuer réellement aux progrès de l'archéologie.
ALLEMAGNE.
Ambrosch (S. Ath.) : Die Religionslehrbiicher der Romer ( Ab-
druckaus der Zeitschrift fiir kathol. Theol. ). Bonn, 1843, 8.
Arnetii ( Jos. ) : Synopsis nummorum Romanorum, qui in Museo
Cœsareo Vindob. adservantur. (Syn. num. antiq. M. Vindob. pars II)
Vindob. 1842, in -4.
BIBLIOGRAPHIE. 561
Becker (Guil. Ad. ) : De Romae veteris mûris atque portis. Lips.
i842, 2 Taf. in-8.
Bekgk (Th.) und César ( J. ) : Zeitschrift fur Alterthuras-
wiçsenschaft. Cassel, 1843, 1844, 4°.
BÔTTiCHER (C.) : Die Tektonik der Hellenen. Erster. Band Ein-
leitung und Dorika. Potsdam, 1844.
Braun (Emil.) : Artemis Ilymnia und Apollon mit dem Armband;
eine Spiegelzeichnung. Rom, 1 842, fol. 1 Taf.
Brunn (Henr.) : Artificum liberae Grœciae tempora. Diss. Bonn,
1843, 1 Taf. in'4.
BuRCKHARDT (Gust. Emil. ) : Handbuch der Klassichen Mytholo-
gie nach genelischen Grundsâtzen fur hôhere Lehranstalten undzum
Selbststudium. I Abth. Griechische Mythologie. 1 Bd. Die Mythologie
des Homer und Hesiod. Leipz. 1844, in-8.
Creuzer ( F.) : Symbolik und Mythologie der alten Volker , be-
sonders der Griechen. Dritte verb. Ausgabe. Th. III, IV. Leipz. und
Darmstadt 1842, 7 und 8 Taf.
— Katalog einerPrivatantikensammlung. Leipz. undDarmst. 1843.
CuRTius (Ern. ) : De portubus Athenarum commentatio. Addita
est tabula geographica. Hal. 1842, in-8, 1 Taf.
— Anecdota Delphica. Berol. 1843, 2 Taf. in-4.
— -Inscriptiones Atticae nuper repertae duodecim. Berol. 1843, in-8.
Denkmale : Des Alterthums und der alten Kunst im Kgr. Wur-
temberg, zusammengestellt von demkgl. statist. topograph. Bureau.
(Besonder Abdruck aus den Wiïrtt Jahrbr. 1841.) Heft I. Stutt-
gart u. Tiibing. 1843.
FoRCHAMMER ( Pet. W. ) : Topographie von Athen. Mit einem
Plane der alten Stad. — Riel, 1842, 8^
— Die Geburt der Athene. Eine archàoîogische Abhandlung. Mit
einer lithogr. Tafel. Riel, 1842, 4\
Hermann(K. Fr.) ; Schéma akademischer Vortrâge ùber Archao-
logie oder Geschichte der Kunst des klassischen Alterthums. Gôt-
tingen, 1844, in-8.
KiEPERT (H.) : Topographisch-historischer Atlas von Hellas und
den hellen. Kolonien. In 24 Blattern. Unter Mitwirkung des Prof.
K.Ritter bearbeilet. Zweites Heft enth. Blatt 4, 5, 12, 15, 16, 17,
18, 20. Berlin. Querfolio.
Lasaulx (von) : Proraetheus, die Sage und ihr Sinn. WiJrzb.
1843.
Lepsius (R.) : Ueber die tyrrhenischen Pelasger in Etrurien und
562 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ûber die Verbreitung des italischen Mûnzsystems von Etrurien aus.
ZweiAbhandlungen. Leipz. 1842, in-8.
— Das Todtenbuch der ^gypter nach dem hieroglyphischen Pa-
pyrus in Turin mit einem Vorwort zum erstenmale herausgeg. Leipz.
1842, 79 Tafeln. in-4.
M.EUCKER ; DasPrincip desBosen nach denBegrifl'en der Griechen.
Berl. 1842, in 8.
Menke (Theod.) Lydiaca. Dissertatio ethnographica. Berol. 1843.
MiNUTOLï (H. C. von) ; Topographische Uebersicht der Ausgra-
bungeri romischer, arabischer und andrer Miinzen und Kunstgegen-
stânde, wie solche zu versclùedenen Zeiten in den Kiisterlàndern des
Baltischen Meeres stattgehabt. Berl. 1843.
MoRGENSTERN (K.) : Eiklârungsversuche einer noch nicht bekannt
gemachten Abraxasgemme. An Hrn, Staatsr. und Ritler J. F. von
Recke in Mitau. Dorpat u. Leipz. 1843.
NiTZSCH (Guil.) : De Eleusiniorum ratione publica commentatio.
Kiel, 1842, in-4.
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terbuch. Bd. L u. 2 Lief. Stuttg. 1843.
Olshausen (J. ) : Die Pehlewi-Legenden auf den Miinzen der
letzten Sâsâniden aof den alteslen Miinzen arabischer Chalifen, etc.
zum ersten malegelesen und erklart. Kopenhag. 1843.
— Panofka, Theod. Griechinnen u. Griechen nachAnliken skizzirt.
Mit 56 bildlichen Darstellungen. Berlin, 1844, 2 Taf. gr. in-4.
— Calalog der Gypsabgiisse im Kgl. Muséum zu Berlin. Berlin,
1844, in-8.
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Berlin, 1843, VI, Kpf., in-8.
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Handel und Verkehr der alten Welt. Rede gehalten am Krônungs-
feste Sr. Kaiserl. Majestât. Dorpat, 1842, in-8.
— Nummorum graecorum qui in Museo Academico asservantur
recensus Spécimen, L Dorpati, 1842, in-4.
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und romischen Hauptgottheiten. Programm. Quedlinburg 1841.
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den àltesten Zeiten bis auf die Gegenwart. Erster Band. Leipz.
1843, in-4.
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18i3, in-8.
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1843.
ScHWARTZ (Fr. Guii.) : De antiquissima Apollinis natura. Berol.
1843, in-8.
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Religion und Verfassung des alten vEgyptans. 1 ïheil, 1 Abtheil.
Leipz. J843, gr. 4".
ScHREiBER (Heinrich) : Die Maralhesschiacht bei Clastidium,
Mosaikgemàlde in der casa di Goethe zu Pompeji. Ein archaologischer
Versuch. Freiburg, 1843. 4 Lithograph. 4°.
Seyffarth ( G. ) : Die Grundsatze der Mythologie und der alten
Religionsgeschichte. Leipz. 1843.
Stephani ( L. ) : Der Kampf zwischen Theseus und Minotauros.
Eine kunstgeschichtl. Abhandlung. Leipz. 1842, 10 ïafeln, in-fol.
— Reise durch einige Gegenden des nôrdlichen Griechenlands.
Leipz. 1843, in-8.
Stedb : Ueber die Urbewohner Rhâtiens und ihren Zasammen-
hang mit den Etraskern. Miinchen 1843.
Strack (H.) : Das altgrieschiche Theatergebâude. Nach sàmnit-
lichen bekannlen Ueberresten dargestellt auf 9 Tafeln. Potsdam,
1843.
Thisqcen (Fr. Guil. ) : Phocaica Diss. inaug. Bonn, 1842, in-8.
Verzeichmss einer Antiquitàlensammlung in Bronce, Eisen,
Blei, Marmor, Silber, Elfenbein, in gebrannter Erde und Gemmen
in Gold gefasst. Gotha, 1844, 8 lith. Taf. 4°.
Weïske (J. g. ) : Prometheus und sein Mythenkreis. Mit Be-
ziehung auf die Geschichte der griechisclien Philosophie, Poésie und
Kunst. dargestellt, Nach dem Tode des Verfassers, herausgegeb. von
H. Leyser. Leipz. 1843.
WiESLERfFr.J : Adversaria in iEschyli Prometheum vinctum et
Aristophanis aves [jhilologica, atque archaîologica. Gôtt. 1844, in-8.
— Die ara Gazali. Eine archaologische Abhandl. Nebst 4 Tafeln.
Golt. 1844, in-8.
VoGEL : Geschichte der Entstehung undFortbildung der Baukunst.
Leipz. 1843.
WiiiTTE : De rébus Chiorum publicis. Addita est enumeratio
nummorum Chiorum omnium. Kopenh. 1838.
Zahn (W.) ; Die schonsten Ornaraente und nnierkwùrdigsten Ge-
564 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
mâlde aus Pompeji, Herculanum undStabiae. Zweite Folge. Berlin,
1843, in-fol.
— Auserlesene Verzieningen aus dem Gesammtgebiet der bilden-
den Kunst. Heft 1-4, Berlin, 1843.
— Ornamente aller klassischen Kunstepochen. Heft 10, Berlin,
1843.
ERRATA.
Page 440, ligne 14, au lieu de : OAHM, lisez : OAAM.
443, 15, au lieu de : (ô ê-h/j.), lisez .- {bSScfi)
443, il , au lieu de ; ô Sr,y.oi, lisez .- ô êàfxog
462 , 6 , au lieu de : Historischen Vor iind Mitmelw, lises : Historischen
Yor und-Milwelt
467, note 4 , ligne ^ : au lieu de -. Hispalena, lisez : Hispalensis
471 , noie 2 , au lieu de .- Hisloire du Mogol , lisez ; Hisloire des Mongols.
480, dans l'article bibliographique sur les annales de l'Inslilut archéolo-
gique, nous avons omis de citer les noms de MM. Ph. Le Bas, Ch. Le-
normant et L. De la Saussaye parmi les membres composant le comité
de rédaction de la section française.
481 , ligne 21, au lieu de : Ex lemporalia , lisez -. Exlemporalia
481 , 33, au lieu de : Gréco-Égyptienne , lisez ; Gréco- Phénicienne
482, 4, au lieu de : ypuswdv, lisez : y^pvco'ù-j
482, 6, au lieu de ; M. De Wilte, lisez : M, Rathgebcr
482, 6, au lieu de : x^offouv, lisez -. ^p^^ow
LES TUMULUS DE DJEBEL EL AKHDHAR,
DANS LA PROVINCE D'ORAN
(MAURITANIE CÉSARIENNE.)
Les recherches des archéologues n'ont pas encore complètement
déterminé quelle était la destination de certaines collines factices,
formées de terre sa moncelées et quelquefois revêtues de pierres,
qui se voient en divers points des Gaules et de la Grande-Bretagne.
L'opinion la plus commune donne à ces monuments une origine
Celtique ou Gallo-Romaine, et les fouilles pratiquées en plusieurs
lieux ont amené quelques découvertes qui indiquent des sépultures.
Les Tiimulas de l'Italie sont mieux connus et plus faciles à ap-
précier (l). L'état de conservation parfait dans lequel sont restés les
tombeaux coniques de l'Étrurie a permis de juger avec certitude de
l'usage pour lequel ils avaient été édifiés. Sur les bords de la mer
Noire, dans les contrées que peuplèrent les Scythes, on retrouve les
tumulus funéraires dont la Grèce et l'Asie Mineure présentent aussi
quelques exemples. Dans l'Inde enfin et dans l'Afghanistan , partout
où le Bouddhisme a porté ses doctrines on découvre des monuments
circulaires connus sous le nom de Stoupas ou Topes (2), qui pa-
raissent avoir été érigés pour conserver des restes mortels ou des
reliques.
D'après le récit de quelques voyageurs nous savions que dans
l'Afrique septentrionale il existait deux tombeaux célèbres. Celui
dont Peyssonnel, cité par M. Dureau de la Malle (3), donne une
description détaillée, est un grand corps de bâtiment rond, de
deux cents mètres de circonférence , qui se termine en pyramide par
trente-deux degrés de pierre; il est situé à Médrachem, à une di-
zaine de lieues au nord-ouest de Lamba (l'antique Lambasa), dans
la province de ConStantine. L'autre appelé communément Qobeur
(1) Micali, Monumenti per servire alla Sloria degli ant. pop. Italiani.
PI. LXII, n° 7 et 8. V. dans le même ouvrage le JYouraghe d'Isili, pi. LXXI, no4.
(2) Masson. Memoir on the topes and sepulchral monuments of Afghanistan,
Ariana antiqua. London , 1841, p. 65. — Ritter; die Stupas.
;3) Recueil de renseignements pour réxpédilion dans la province de Conslantinc
1837, p. 212 et suiv.
1. 37
666 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
er' Roumiah (le tombeau de la chrétienne), est à l'ouest de Coléah.
Il est comme le premier haut de trente mètres, posé sur une base
cylindrique et se termine aussi en pyramide.
Un officier français, M. Azéma de Montgravier, envoyé avec la
division de Mascara dans le Sersou ( nom que les Turcs ont donné
aux plateaux dans lesquels prennent leurs sources les rivières qui
coulent au nord), a singulièrement accru les notions que nous pos-
sédions sur l'architecture africaine, et les principaux monuments
qu'il signais sont des tumulus qui ressemblent de la manière la
plus frappante à ceux de l'Inde, plus encore peut être qu'aux con-
structions du même genre que nous avons pu examiner en France.
M. Hase a reçu, du savant officier, des dessins très-habilement faits,
accompagnés d'un rapport fort intéressant dont nous allons extraire
les renseignements nécessaires à la complète intelligence des figures
que nous avons fait graver.
La campagne de 1843 permit à M. de Montgravier d'explorer
toute la portion du Sersou comprise entre la chaîne du Djébel-Nador,
la haute Mina et les Keffs , dans une longueur d'environ dix myria-
mètres. L'armée, partie de Tiaret, longea successivement tous les
côtés de ce vaste rectangle qu'elle parcourut plusieurs fois en divers
sens. Les monuments qui existent dans cette région peuvent être clas-
sés en deux catégories bien distinctes : 1° Les postes romains; 2° les
cités barbares protégées par ces postes et les monuments tumulaires
voisins de ces cités ; c'est ce qui se voit à Tiaret, à Loha, à Mérat sur
les Keffs, àKennouda et à Bentnçara sur le cours de la Mina. Dans
chacun de ces points on remarque en dehors de l'oppidum romain
une enceinte continue en maçonnerie , et dans l'espace qu'elle ren-
ferme, des débris confus auxquels on pourrait donner le nom de
cité barbare. Sur les crêtes du Djébel-Nador, à chaque source prin-
cipale, à côté du poste romain se trouvent des vestiges de forteresses
barbares ; on reconnaît dès l'abord que ceux qui les ont élevées n'ont
pas toujours eu à leur disposition les instruments nécessaires pour
la taille des pierres ni le ciment pour les assembler. De larges dalles
en forment le sol , et leurs débris couvrent les flancs des mamelons.
Il ne reste d'intact que certaines constructions gigantesques qui
rappellent les pierres de Rarnac et nos autres monuments druidiques.
Parmi les points explorés, Kennouda est un de ceux qui offrent le
plus d'intérêt par la réunion de la cité à la nécropole. Là , par un
examen attentif, il est facile de reconnaître un bâtiment central de
forme circulaire, situé au milieu d'un carrefour auquel viennent
LES TUMULUS DE DJEBEL EL AKHDHAR. 667
aboutir les lignes principales des rues ou habitations particulières.
Les fouilles ont démontré que le mode de construction de ces
étranges monuments consistait en pierres sèches, formant deux pare-
ments, l'un intérieur, l'autre extérieur, entre lesquels était jeté un
blocage de moellons de petites dimensions.
A l'intérieur de la ville , on trouve la nécropole, oii l'on remarque
des pierres colossales, disposées comme nos dolmen. Un de ces mo-
numents a quatre mètres de long sur deux de large et deux de
hauteur. La pierre supérieure est percée de trois augets communi-
quant entre eux par un canal. Deux cavités rondes , placées symé-
triquement, semblent avoir été creusées pour recevoir les hampes
de lances ou les supports d'un baldaquin dans une cérémonie reli-
gieuse, et, si cette hypothèse ne devait pas paraître trop hardie, on
pourrait déclarer que cet autel barbare est un véritable dolmen. Il
serait certainement fort intéressant de retrouver sur les confins du
désert un monument qui semble établir quelque analogie entre les
usages des peuples de la Gaule et ceux des habitants de l'Afrique sep-
tentrionale avant l'occupation romaine.
M. de Montgravier, en remontant la vallée de la Mina, au delàde
Kennouda, arriva à Bentnçara, lieu marqué sur la carte comme
étant le point de rencontre de deux affluents principaux de la Mina
dans ces régions élevées, savoir : l'Oued Tisnouna à l'ouest, et
l'Oued el Djad à l'est. Bentnçara, en arabe, signifie la fille des chré-
tiens; on y remarque de nombreuses ruines. L'acropole n'est autre
chose qu'un de ces camps construits par les légions, dans tous les
lieux soumis au pouvoir des Romains, depuis l'extrémité de la
Grande-Bretagne jusqu'au pied de l'Atlas; le temps n'a pu faire
complètement disparaître la trace des remparts, des tours, des
portes et du prétoire, puissantes constructions de pierre détaille,
réunies entre elles par des crampons de fer et un excellent ciment.
Autour du camp , une immense quantité de débris de poteries et
des matériaux de tout genre, confusément épars sur le sol, révèlent
une cité romaine barbare et deux races différentes, dont les généra-
tions ont pendant plusieurs siècles confondu leurs cendre^, Les fouilles
exécutées sur ce point n'ont laissé aucun doute à cet égard; elles ont
fait découvrir autant de monnaies mauritaniennes de plomb à la figure
de Jupiter Animon (1) que de médailles romaines ; et même quelques
(1) Nous avons conservé les propres expressions de M. de Montgravier, quoique
nous lie sachions pas de quelle espèce de monnaies il a entendu parler. En général,
les pièces de plomb antiques qui nous sont parvenues ne sont pas des monnaies
proprement dites, mais des tessères.
568 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
inscriptions tumulaires portant des noms barbares précédés de pré-
noms romains.
A Bentnçara, comme à Kennouda, la nécropole couvre un espace
de terrain considérable ; elle s'étend le long de l'Oued Tisnouna jus-
qu'auprès du Djebel el Akhdhar, au sommet duquel on aperçoit les
tumulus que nous allons décrire, et qui se dressant sur les trois prin-
cipaux pitons de cette montagne, paraissent de loin une énorme
masse de rochers.
Dans une forêt de chênes, sorte de bois sacré, qui , suivant la tra-
dition, couvrait autrefois la contrée, prêtant son ombrage mystérieux
aux sources de la Mina et aux sépultures d'El Akhdhar, s'élèvent
trois collines; en suivant le chemin qui conduit à la plus élevée, l'on
trouve à l'un des contours du sentier un magnifique monument por-
tant dans sa construction elle-même le témoignage de son antiquité.
C'est un parallélépipède dont la base a 50 mètres de côté et la hau-
teur 10 mètres. Il sert de soubassement à une pyramide, dont le
parement extérieur est construit en belles pierres de taille en gradins,
comme celles des pyramides d'Egypte, et qui devait se terminer par
un monolithe. La hauteur totale du monument est de 30 mètres. Il
est orienté , et la face tournée vers l'est, sur laquelle devait se trou-
ver l'entrée, indique par des éboulements considérables , les efforts
que l'on a tentés, à diverses époques, pour pénétrer dans l'intérieur.
La pyramide n'offre pas d'inscriptions; mais les pierres de la base en
sont chargées.
Le deuxième tumulus est absolument semblable au premier, quant
à la forme, mais de plus petite dimension; il ne porte aucune in-
scription.
Le troisième monument, situé sur une colline voisine, présente
un rapport frappant avec les deux autres. Le plateau sur lequel il est
LES TUMULUS DE DJEBEL EL AKHDHAR. 569
construit est tout entier couvert de matériaux éboulés (1). On devait
arriver au tumulus par un vestibule à ciel ouvert ; un premier escalier
rachetait la pente entre la partie la plus basse du vestibule et la
deuxième enceinte ; mais à partir de celle-ci commençait un deuxième
I
vestibule couvert, renfermé dans le premier, d'où un autre escalier
descendait vers le monument. Ces deux vestibules furent déblayés et
l'on put reconnaître la situation des lieux. A leur point de jonction
avec les murs du monument se trouvait l'entrée ; elle a 1 mètre
50 centimètres de largeur et s'ouvre sur un troisième escalier qui
descend par une pente rapide sous le monument lui-même. Cette
ouverture et la galerie souterraine ont pu être examinées, mais
l'étranglement de cette dernière et les matériaux qui l'obstruaient ren-
dirent inutiles les efforts que firent les officiers pour y pénétrer. Ce-
pendant une excavation qui existait sur la pyramide, permit à un
homme qui s'y introduisit de reconnaître les annonces de deux gale-
ries se dirigeant à droite et à gauche à partir de la galerie princi-
pale. Les fouilles ne purent en enseigner davantage sur la disposi-
tion intérieure du tumulus. Quant à sa construction extérieure, voici
les particularités qu'elle présente.
Le plateau est entouré d'un mur en bonne maçonnerie, flanqué
de quatre tours carrées. Un deuxième mur, beaucoup plus rapproché
du monument, le circonscrit d'une manière régulière; il est formé
de deux parements de pierres de taille de grande dimension, par-
faitement travaillés. L'intervalle entre ces deux parements est com-
blé par une excellente maçonnerie : les tours offrent la même na-
ture de construction , ainsi que le parallélépipède servant de sou-
(1) Cette construction a la plus grande analogie avec la pyramide de Meydoun,
au midi de Sakkarah. (Y. Appendix to opérations carried on ai Ihe pyramids of
Gizeh, vol. III, p. 78.)
570
REVUE ARCHEOLOGIQUE,
bassement à la pyramide. Enfin les matériaux qui composent la
pyramide elle-même sont réunis entre eux par un ciment solide, dans
lequel sont engagées les pierres de taille disposées en gradins.
Le tumulus , que nous venons de décrire, diffère donc du premier
en ce qu'il repose sur une triple base dont les arêtes et la majeure
partie sont conservées. Il est construit sur une plate-forme figurant,
ainsi qu'on peut le voir dans le plan ci-dessus , exécuté à 2 milli-
mètres, un long rectangle flanqué aux quatre coins de constructions
carrées; sur un des longs côtés du rectangle est pratiquée la voie qui
conduit à l'entrée; à 12 mètres environ de distance se trouvent les
premiers degrés qui conduisent sur la plate-forme; de la plate-forme un
second degré conduit sur la seconde base ; la troisième base est occu-
pée dans toute sa largeur par un degré en haut duquel se trouve pra-
tiquée l'entrée qui se compose de fortes assises de pierres ; les deux
d'en haut se rapprochent de manière à donner à la partie supérieure
la forme d'une ogive ouverte par sa pointe ; de chaque côté est percé
LES TUMULUS DE DJEBEL EL AKHDHAR. 571
un trou cylindrique , et trois assises de pierre grandissant graduelle-
ment forment le gigantesque linteau de cette porte. Il est très-inté-
ressant de retrouver cette sorte d'ogive dans un monument africain
bien antérieur sans contredit à toutes les ogives européennes. Ne
peut-on pas voir là en quelque sorte le germe de cette architecture
que les Maures transportèrent en Espagne, et qui a eu peut-être sur
le style des monuments de l'Occident plus d'influence que l'on ne
s'est jusqu'ici accordé à lui en reconnaître?
Malgré la petitesse de nos dessins, on aura pu remarquer sur la
base du premier tumulus les inscriptions qui se trouvent réparties au
centre de chaque pierre de taille. Ce sont des monogrammes tant soit
peu barbares, de courts groupes de caractères dans lesquels les
lettres romaines se mêlent à des signes qui présentent une ressem-
blance éloignée avec les caractères qui se voient en si grand nombre
sur les rochers du mont Sinaï (1). Quoi qu'il en soit, on ne saurait
attacher une bien grande importance à des inscriptions si peu expli-
cites. Ce sont ou des marques qui ont servi aux ouvriers à désigner
la place que devaient occuper les pierres, ou des signes indiquant le
nom de ces mêmes ouvriers , ou bien encore des signatures abrégées
laissées par des visiteurs ou des pèlerins ; il serait possible, en effet,
que de même que les stoupas de l'Inde ou les dagobas de Ceylan , ces
tumulus africains eussent recouvert des corps de personnages vénérés.
On sait que dans le même pays on vient actuellement de tous côtés
pour rendre hommage aux dômes qui servent de sépultures à des ma-
rabouts et qui sont connus sous le nom de qohhah. Quant aux deux
inscriptions qui se trouvent sur les faces sud et nord du même tu-
mulus, elles se composent, l'une de deux lignes , l'autre de quatre,
donnant en tout une trentaine de caractères appartenant à un alpha-
bet inconnu. Il y aurait certainement quelque profit pour la science
à tenter le déchiffrement de ces deux inscriptions; mais dans tous les
cas il n'est guère probable que l'on y retrouve le canon des dynasties
mauritaniennes dont M. de Montgravier pense que les noms royaux
existent sur ces monuments. Nous croyons que l'opinion de Pompo-
nius Mêla (2), qui désigne le Qobeur er' Roumiah par ces mots : Mo-
numenlum commune regiœ gentis, ne repose que sur une tradition sans
(1) Béer. Sludia asialica. Leipsig, 1840-4°. Inscriptiones velereslitteris et lingua
hucusqueincognitisad montera Sinaï magno numéro servatae; cum tabulis lithogra-
phicis XVI. Ce fascicule, qui offre le résultat de découvertes pleines d'intérêt,
devait être suivi de plusieurs autres dont la mort prématurée de Béer nous a privés.
(2) L YI, 10.
672 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
preuve , et que le nom de ce tumulus ( qu'il faudrait , pour plus
d'exactitude peut-être, traduire ipar tombeau de la Romaine {i)) est
un indice d'origine comparativement moderne.
(1) Il est évident que si , dans le langage actuel , surtout dans l'acception popu-
laire , roumi signifie un chrétien , ce mot veut dire aussi un Romain chez les habi-
tants de l'Afrique septentrionale , et un Grec chez les Turcs et les Arabes de Syrie.
En traduisant Qobeur er' Roumiah par tombeau de la chrétienne , les voyageurs
se sont donc plutôt appliqués à exprimer l'idée que les musulmans actuels attachent
à ces mots, que le sens qu'ils représentaient dans l'origine. Le grand mausolée cir-
culaire de Médrachem a pu être , comme le monument si connu de Csecilia Metella ,
élevé pour quelque Romaine de distinction.
Adrien de Longpérier.
EXTRAITS
DES DERMÉRES LETTRES DU DOCTEUR LEPSIUS.
Nous nous empressons de donner des extraits de ces lettres,
publiées le mois d'octobre dernier par la Gazette universelle de
Prusse, dans la persuasion où nous sommes que tout ce qui se rat-
tache au voyage scientifique du célèbre professeur allemand est
destiné à exciter, parmi les lecteurs de la Revue Archéologique, un
vif sentiment d'intérêt et de curiosité. Dans la partie de ces lettres
que nous traduisons , nos lecteurs remarqueront plusieurs obser-
vations intéressantes relatives aux anciens idiomes de ces contrées.
M. Letronne a bien voulu mettre quelques éclaircissements au bas
des pages de cet extrait.
E. V;
Pyramides de Méroé , 22 avril , et Gebel Barkal , 3 mai.
Étant arrivés le même jour, un peu avant le coucher du soleil , à
Begeranie, nous nous sommes dirigés, à cheval, vers les Pyramides,
et nous y avons retrouvé tous nos compagnons de voyage en parfaite
santé. Abeken a passé la nuit ici; quant à moi, j'ai profité du clair de
lune pour retourner vers notre barque, que j'ai rejointe à minuit. Le
lendemain, j'ai fait apporter notre bagage aux Pyramides.
On a copié avec le plus grand soin kNaga et à Ouadi-Sofra, le
costume pompeux des dieux et des rois, qui forme la décoration
principale des temples Ethiopiens, monuments ornés avec richesse,
mais dépourvus de style. — Reproduit par le crayon , ce costume
est d'un elTet remarquable, et contribuera singulièrement à enrichir
nos portefeuilles. — D'activés recherches, dans les chambres des
pvramides, remplies de décombres, nous ont permis de faire quelques
découvertes. Il n'y a rien de certain. Le nom de Candace ne s'est pas
confirmé (1), à moins qu'on n'admette une erreur plusieurs fois répétée
de la part du graveur qui, à cette époque reculée, devait être fort
(1) Ceci se rapporte à une observation faite par M. Lepsius dans une lettre anté-
rieure {Gaz. univ. de Prusse du P' juillet). Il croyait avoir lu sur un bloc le nom
de Kentake, qui lui paraissait le même que celui de Candace , porté par plusieurs
674 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ignorant. Ainsi, par exemple, le signe 1i|F n'a point d'appendice;
une fois il se montre avec un quadrilatère au milieu >^, ce qui
change totalement la signification. — Le nom d'Ergamène existe,
sans aucun doute, mais il ne désigne pas le roi, comme dans l'his-
toire (l). Ce nom aura été usurpé par les princes Éthiopiens venus
plus tard, et jaloux de se faire apppeler comme leur glorieux pré-
décesseur (2).
. . . . Depuis mon retour, je me suis occupé, sans relâche,
des Pyramides, et de leurs inscriptions, j'ai fait fouiller plusieurs
chambres, et me suis appliqué à décrire chaque pyramide avec
exactitude.
J'ai trouvé trente noms différents de rois et de reines de l'Ethiopie,
lesquels, par malheur, ne sont point disposés dans un ordre chrono-
logique. La suite de ces inscriptions fait voir quel était le mode de
succession au trône, et la forme de gouvernement. Le prince dont
remes Éthiopiennes. (Simbon, XVII, p. 820, 821;— ^c«. ^post.\U, 27.Cf.Ludolf,
Comm. ad Hist. /Elhiop. p. 89 et suiv.) Il remarquait déjà que le deuxième K lui
semblait fort douteux ; et il espérait que bientôt ce doute serait éclairci par la dé-
couverte d'autres exemples de ce nom. On voit que son espoir ne s'est pas réalisé.
— L.
(1) Diodore de Sicile fait mention d'un roi de ^^ ft
Méroé, Erg amené , qui doit avoir été contem- ^
porain de Ptolémée Philadelphe, Jusqu'ici or\f
n'avait trouvé son nom qu'au temple de Dekkeh
ou Pselcis en Nubie, sous la forme de Erkmen
ou Erkamen , dont a est le prénom et h le
cartouche nom propre, qui se lit : Erkmen tou-
jours vivant, aimé d'Isis.
La découverte du nom d'Erkamen sur les
monuments de Méroé est un fait important , qui
confirme d'une manière remarquable le témoi-
gnage de Diodore. La présence de ce même
nom sur le temple égyptien de Dekkeii , dont
Ergamène paraît avoir commencé la construc-
tion , comme un autre roi, Alharamon, celle i
du temple de Debout, en Nubie , atteste à
Ptolémées, la basse Nubie était au pouvoir des rois éthiopiens, et que ces rois se
servaient de l'écriture, et professaient la religion égyptienne. Ces faits, établis
dans mon Recueil des Inscriptions de l'Egypte (t. I, p. 12 et 39; t. II, p. 220-
228) , rcssortent avec évidence des nouvelles observations du docteur Lepsius- — L,
(?) Peut-être que le nom d'Erkamen ou Erkamon a été porté par plusieurs
princes ; comme celui de Ptolémée par les Lagides.
que
premiers
EXPÉDITION SCIENTIFIQUE EN EGYPTE. 675
le nom est inscrit sur la pyramide du sud-ouest, appelée Mem
onMeroua^ était aussi grand prêtre d'Ammon. En cas de mort, sa
femme devait s'emparer de l'autorité, mais, à la condition de la par-
tager avec l'héritier môle de la couronne, qui n'occupait alors que la
seconde place de l'Etat. Puis le fils du roi , qui durant la vie de son
prédécesseur était second prêtre d'Ammon , portait le bouclier royal,
et prenant le titre de souverain, devenait enfin seul possesseur de
l'autorité suprême.
Les inscriptions d'un grand nombre de pyramides démontrent que lors
de la construction de ces monuments on n'avait plus la complète intel-
ligence des hiéroglyphes , et que très-souvent on employait ceux-ci
dans le seul but de décorer un édifice. C'est ce qui m'a empêché ,
tout d'abord, de reconnaître quels sont les trois princes qui ont érigé
les temples de iVa^a, BenNagaei Ouadi Temed. Je suppose seulement,
et avec toute probabilité, qu'ils appartiennent à la plus brillante
période de l'empire de Méroé(l)- — Du reste, il m'est prouvé que
les pyramides où se trouvent les salles voûtées en plein cintre ro-
main , dans lesquelles Ferlini a découvert un trésor, sont l'œuvre
des rois guerriers et puissants que l'on voit à Naga^ avec une riche
parure et des ongles pointus d'un demi-pouce de long, ce qui
était , à cette époque, comme de nos jours, la marque d'une noble
oisiveté.
L'écriture la plus usitée, la plus généralement connue dans ce
temps, c'était une écriture ElMopico-Demotique, analogue à l'écri-
ture égyptio-démotique d'oii elle a tiré la plupart de ses caractères,
et probablement aussi son origine. Son alphabet, très-peu riche
d'ailleurs , se compose de quatorze ou quinze signes au plus , qui se
Visent comme Y égyptio-démolique, de droite à gauche, mais en sé-
parant davantage les mots à l'aide de deux points. — J'ai recueilli
vingt-six inscriptions démotiques, soit sur des stalles, soit sur des
tables à libation, soit dans les chambres des pyramides, au-dessus de
ces personnages qui vont processionnellement en portant des palmes
au-devant des rois défunts , soit enfin sur les espaces nus des pyra-
(1) Dans une lettre antérieure , déjà citée, le docteur Lepsius déclare que les
plus anciennes sculptures des monuments de Méroé remontent tout au plus au
temps des premiers Ptolémées. Les pyramides ne lui paraissent pas plus anciennes.
C'est la théorie que j'ai professée dans mes cours du collège de France, où j'ai
toujours soutenu, contre l'opinion d'Hoskins (Travels in jElhiopia, p. 73 et suiv.),
que les monuments de Méroé sont postérieurs aux temps pharaoniques. Je me fon-
dais sur le style des sculptures , sur le mode de bâtisse , et sur l'époque évidemment
récente des objets précieux trouvés par Ferlini dans une des pyramides.
576 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
mides , et la disposition de ces inscriptions m'autorise à dire qu'elles
ne sont point d'une date postérieure aux représentations qu'elles
accompagnent.
Des recherches plus approfondies nous mettront peut-être à même
de déchiffrer cette écriture avec moins de difficulté, et nous saurons
ainsi quels étaient les signes phonétiques de la langue que parlaient
alors les Éthiopiens. Il y a là un moyen de s'éclairer sur les rapports
réels de cette môme langue avec la langue égyptienne. Et ceci mé-
rite avec d'autant plus de raison d'être signalé que, jusqu'à ce jour,
la similitude presque parfaite des hiéroglyphes de l'Egypte et de
l'Ethiopie n'a pas suffi pour démontrer l'étroite relation des deux
idiomes : même on pouvait [croire, ce qui d'ailleurs ne saurait être
l'objet d'un doute, en ce qui concerne la dernière époque de Méroé,
qu'en Ethiopie on employait les hiéroglyphes sans modification au-
cune , et uniquement parce que c'était l'écriture monumentale et re-
ligieuse de l'Egypte.
La répétition des mêmes signes , en même temps qu'elle aide à dé-
chiffrer cette écriture, prouve aussi qu'elle est alphabétique : quant
au mode de séparation des mots , il est peut-être emprunté aux in-
scriptions romaines. Du reste, l'analogie devient encore plus marquée
si on envisage les changements apportés par le temps dans les deux
écritures ; ainsi l'écriture éthiopico- démotique devient plus tard élhio-
pico-grecqae , et par là se rapproche de l'écriture copte à laquelle
nous lui voyons faire quelques emprunts. On remarque, en effet , six
caractères coptes, sans compter quelques noms propres, dans les
inscriptions trouvées à Soha et sur les murs des temples minés de
Ouady-Sofra.
Comme en Egypte, nous avons deux écritures empruntées sans
doute l'une de l'autre, et qui contiennent le dialecte local, propre-
ment éthiopien. Nous observerons , en passant, qu'on se tromperait,
si on confondait l'éthiopien, qui n'est qu'un dialecte sémitique, avec
l'ancienne langue gées abyssinienne. J'ai aussi trouvé, dans la chambre
d'une des pyramides, une inscription en purs caractères gees , qui a
été évidemment tracée à une époque récente. Nous possédons l'ori-
ginal de l'inscription latine de Ouady-Sofra, copiée (l), en partie,
(1) Dans la copie de Caîlliaud , la première ligne de cette inscription manquait;
et il était impossible de la restituer. Le premier mot paraissait être VICINA. Il n'y
avait rien après le quantième. La copie du docteur Lepsius permet de lire, sans nul
doute , les lignes qu'il a données ; il est bien dommage que le savant voyageur
n'ait rien aperçu au delà du nom de Tacilus, qui a dû être suivi de quelque qua-
lification.
EXPÉDITION SCIENTIFIQUE EN EGYPTE. 677
par Cailliaud, et complétée parLetronne. La voici dans son entier:
BONA . FORTVNA (1) . DOMINiE
REGINiE . IN . MVLTOS . AN .
NOS . FELICITER . VENU
E . VRBE (2) . MENSE . APR .
DIE . XVIII . TACI
TVS .
Du reste, le nom placé à la fin laisse quelques doutes : le dernier
jambage du chiffre est si voisin du T qu'on croirait plutôt qu'il s'unit
à cette lettre pour former un FI grec (3).
L'étude des inscriptions indigènes, jointe à celle de la langue
usuelle, pourra, je l'espère, jeter quelque lumière sur les rapports
mutuels des peuples de l'Ethiopie. Le nom d'Éthiopien , qui avait
chez les anciens des acceptions très-diverses , marquait surtout la sé-
paration d'avec la race nègre. Les antiques habitants de toute la val-
lée du Nil, et ceux des rives du Nil Bleu, à l'exception du petit coin
de terre de Fazogloii, et les peuplades du désert , à l'est du Nil, ainsi
que les Abyssins, différaient encore plus des nègres que maintenant, à
raison de leur. origine caucasienne. Les Éthiopiens deMéroé, le ber-
ceau de ces peuples, selon les anciens, avaient, comme aujourd'hui,
la peau d'un rouge-brun, semblable à celle des Égyptiens, mais un
peu plus foncée, comme encore maintenant. Cette observation se
trouve confirmée par les monuments sur lesquels j'ai remarqué plus
d'une fois, dans les figures des rois et des reines , la teinte rouge des
chairs. En Egypte, dans ces temps reculés qui précèdent l'union de
ce pays avec l'Ethiopie, dans la période des Hycsos, les artistes
donnèrent aux chairs des femmes cette teinte jaune que l'on aperçoit
(1) BONA. FORTUNA. est singulier, siée n'est pas une faute. Le sens est sans
doute Pro bonâ forlunà. Les mots Dominœ reginœ sont à remarquer. S'agU-il
d'une impératrice romaine, pour laquelle le voyageur fait des vœux au terme de
son voyage? ou bien celte reine n'est-elle que la Souveraine du pays , qui régnait
lors du voyage de Tacitus? c'est ce que je ne déciderai pas. Je penche toutefois
pour la seconde hypothèse. Il me semble que notre Romain ne pouvait manquer
de dire le nom de l'impératrice. Ce serait là un indice à l'appui de tant d'autres,
qui montrent que le sceptre de l'empire de Méroé tombait souvent en quenouille.
Pourquoi donc ce Tacilus , qui a si bien précisé le mois et le jour, ne nous a-
l-il pas dit \ année de son voyage ? c'est par là qu'il aurait dû commencer.— L.
(2) Il est incertain si Urhs désigne \ç\Rome, et non Alexandrie qui, en Egypte,
s'appelait aussi, par excellence, Urbs et rjTzàhq. — L.
(3) Rien de si commun que cette proximité du chitTre avec le nom suivant. II y
a donc peu de doute à former sur le nom de Tacitus. L'absence du prénom in-
dique une époque récente.
578 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
encore à présent, mais plus fortement indiquée chez les Égyptiennes,
qui s'étiolent dans les harems. A partir de la 18' dynastie, on em-
ploya des tons rouges pour les figures de femmes , et il est hors de
doute que cet usage n'a pas varié depuis , à l'égard des Ethiopiennes.
Il paraît que c'est dans les veines de la race berbère , plus nom-
breuse qu'autrefois, qu'il faut chercher le vieux sang éthiopien. De
plus , la langue de ce peuple peut être d'une très-grande utilité pour
nos études. C'est sans doute l'ancienne langue nubienne y qui s'est
même conservée sous ce nom dans quelques localités éloignées, situées
du côté de l'ouest, oii les débris du peuple nubien trouvèrent un
asile au moyen âge. Ajoutons qu'au sud et au nord du Cordofan la
langue nubienne a de grands rapports avec la langue berbère.
Les noms de pays fournissent aussi la preuve que la langue ber-
bère ou nubienne , qui se parle depuis ^550Man jusqu'à Schaikie, au
sud de Dongola, là où le fleuve forme une courbe , a été adoptée dans
les provinces berbères de l'île de Méroé. Les réponses des fakirs à
mes nombreuses questions m'ont prouvé que les noms de villages re^
cueillis par Cailîiaud n'ont point été changés. On trouve sur les bords
du fleuve, à très-peu de distance des ruines de Méroé, dans la direction
du sud, d'abord Marouga, puis Danghileh, puis Es Sour. Or, comme
ces localités sont comprises toutes trois sous la dénomination de Bé-
géranie, il en est résulté que, dans le langage usuel, on emploie le
plus souvent ce dernier nom. A cinq minutes au nord d*Es' Sour, on
trouve le village de Galleh, et à dix minutes plus loin El Gnes, por-
tant tous deux le nom de Xabine (j'exprime par le X le ch doux). A
une heure au nord, on aperçoit les deux villages de Marouga, peu dis-
tants l'un de l'autre, et déjà abandonnés avant la conquête, et, un peu
plus à l'ouest, à l'endroit où les montagnes font saillies sur le fleuve,
on voit un troisième village, que l'on nomme le village (de la Mon-
tagne).
Cailîiaud ne connaît que le plus méridional des Trois-Marouga, situé
près des ruines du plus grand des temples ruinés de Méroé. Ce nom
de Maroao-a, qui l'a frappé à cause de son analogie avec celui de Mé-
roéf l'aurait frappé bien davantage s'il avait su que Marou est ici la
véritable dénomination , et que le ga est tout simplement une forme
de substantif ou de l'adjectif que l'on ajoute ou que l'on supprime,
suivant que la grammaire l'exige, et qui n a aucune valeur dans cer-
tains mots. En outre, le ga final des dialectes de Malass et à^Soucot
se change en ghi dans le dialecte de Kenous et de Dongola.
Lorsque, avec notre domestique 6er6ère, j'examinai les noms divers
EXPÉDITION SCIENTIFIQUE EN EGYPTE. 579
des localités, j'appris que Maro ou Marogi dans un dialecte, et Marou
ovi Marouga dans l'autre, désignent une terre antique, une colline dé-
gradée, un temple détruit. Marogi est le nom des ruines de l'ancienne
ville de Syène , et de celle de l'île de Philœ. Du reste, ce mot diffère
entièrement d'un autre mot berbère, de if eroaa qui se prononce aussi
Meraoai, et par lequel ils désignent ce qui frappe les regards : une
roche blanche, une pierre blanche, un vieux château blanc à l'appa-
rence. Par exemple, on indique , dans le dialecte berbère, par le nom
ù'Abe n-Àrli, c'est-à-dire l'île à'Àbe, une roche blanche, située dans
le voisinage d'Assouan, sur la rive occidentale du Nil, proche d'un
village nommé El Djéziret, l'Ile , bien qu'ici il n'y ait point d'île. On
remarquera d'ailleurs que de même que l'arabe , le berbère renverse
l'ordre naturel dans les compositions des mots. C'est ainsi que l'île
à'Argo, El Djéziret Argo, se nomme en berbère , Argo-n-Ar(i ou Argo-
n-Artigi, Argo l'île , et que l'île de Philae que les Arabes appellent
Kasr-Erinas-el-Oadjoudy le château des hommes d'Oudjoud, est dé-
signée par les mots Birbe-n-Ard , le Temple-Ile, c'est-à-dire l'île du
Temple.
En somme, il est clair que le mot àeMaroiiga n'a rien de commun
avec Méroé, car on ne donne pas le nom de Clté-des-Raines à une
ville que l'on fonde. Celui de Meroua^onàe Maraoui (la roche blan-
che), serait, au contraire, fort applicable dans certaines circonstan-
ces , et conviendrait , par exemple , à une ville située près du mont
Burkal; mais ce n'est pas ici le cas
De Naga on n'a rien pu emporter dans le désert à cause de la diffi-
culté des transports ; joint à cela qu'en ce moment je ne me trouvais
pas sur les lieux. Nous avons remarqué ici plusieurs objets dignes d'in-
térêt, entres autres une figure assise de face, dont une couronne radiée
surmonte l'ondoyante chevelure. Cette figure élève le bras gauche à
angle droit, en dirigeant vers le ciel le doigt indicateur et le doigt du
milieu, absolument comme le Christ des artistes byzantins (l), tandis
(1) Ce fait très-curieux conOrme ce que j'ai avancé, il y a déjà quinze ans, en
recherchant par quelle voie, et à quelle époque, la langue grecque s'était introduite
en Nubie, jusqu'à Méroé; j'ai dit alors qu'on ne trouve aucune inscription grecque
païenne au delà de Meharrakah (l'anc. Hiera-Sycaminos Mém, de VAcad. des
Inscriptions, t. X; Matériaux pour V Histoire du Christianisme , p. 56-58);
fait que les observations de M. Lepsius (exposées dans ses lettres antérieures) ont déjà
confirmé ; j'ai ajouté que toutes celles qu'on a rencontrées plus haut sont de
l'époque chrétienne , sauf peut-être quelque proscynème d'un voyageur isolé, comme
l'inscription de Tacitus. Enfin, j'ai montré, d'après divers indices qui m'ont semblé
palpables , que tout, dans les inscriptions chrétiennes et les débris d'églises qu'on
trouve en ces contrées , portant l'empreinte évidente de l'influence byzantine ,
580 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
que de la droite elle appuie sur la terre , à peu près comme saint
Jean-Baptiste, un long bûton. Cette figure, si peu dans l'habitude de
l'art égyptien , a été sans doute apportée ici. 11 doit en être de même
d'une autre figure d'un caractère moins nouveau. Celle-ci qui , par
son aspect, rappelle un Jupiter romain, porte une barbe avec de belles
boucles. La fusion des deux religions fut si étroite dans les derniers
temps que je ne serais point étonné si des recherches ultérieures ve-
naient établir que les rois d'Ethiopie donnèrent place parmi leurs
dieux à Jupiter et au Christ......
Nous avons accompli le voyage du désert; le premier jour, accom-
pagné d'un guide et d'un domestique , je suis allé visiter à cheval les
pyramides de Nouri, afin de voir par moi-même s'il y avait là matière
à nos recherches. Notre retour sur les rives du tleuve a précédé
d'une nuit l'arrivée de nos amis. J'ai trouvé à une lieue du Nil, dans
la vallée d'Aboukom, les ruines d'un ancien cloître,^.et, au milieu des
débris de l'église de la communauté , un grand nombre d'inscriptions
grecques et coptes. A la vérité, celles du côté du sud sont déjà con-
nues. Comme je n'avais rien emporté avec moi , j'ai eu la pensée de
revenir pour voir plus attentivement ce qui a le moins soull'ert. Plu-
sieurs de ces inscriptions sont gravées sur la pierre, d'autres sont tra-
cées sur des plaques d'argile passées au feu. Un examen plus appro-
fondi nous donnera des renseignements plus étendus sur ce cloître
dont il existe encore de nombreuses ruines.
Les pyramides àe Nouri, presque entièrement détruites ou perdues
dans le sable , n'offrent plus , du moins aujourd'hui, aucune trace de
salles intérieures, ni même de sculptures; aussi n'avons-nous ici rien
à faire. Tenter des fouilles serait inutile à cause du grès dont ces
monuments sont construits , car le seul contact de l'air suffit pour le
réduire en poussière.
aUcsle les relations constantes qui , même après la conquête des Arabes, unirent la
Nubie chrétienne avec les patriarcats d'Alexandrie et de Conslanlinople.
Toutes ces vues, qui ne reposaient alors que sur un certain nombre défaits,
sont à présent confirmées par les remarques du docteur Lepsius. L'influence byzantine
se montre dans le Christ de Naga. Je ne doute pas qu'elle ne se montre aussi dans
tous les autres vestiges du christianisme primitif que ce savant voyageur aura
recueillis, et que nous connaîtrons plus tard. — L.
DES DIVINITES
ET DES GÉNIES PSYGHOPOMPES
DANS L'AI\TI<,>UITÉ ET AU MOYEN AGE (1).
SECOND ARTICLE.
Nous avons constaté la croyance à des esprits conducteurs des
âmes durant tout le cours du moyen âge ; nous avons retrouvé ensuite
cette même croyance chez les Hébreux, auxquels les chrétiens l'avaient
empruntée, en partie du moins. 11 nous reste à poursuivre la recher-
che des idées analogues qui peuvent s'offrir chez d'autres peuples ;
ces rapprochements nous permettront de reconnaître si la doctrine des
génies psychopompes ne se lie pas à tout un système théogonique qui,
sorti de l'Asie, a rayonné en différentes directions, s'est incorporé aux
religions de divers peuples, en conservant toutefois , dans cette fu-
sion, la plus grande partie de ses premiers linéaments. En un mot,
nous devons examiner si toutes ces croyances n'émanent pas d'une
source commune, ne sortent pas d'une même contrée, de celle oii l'es-
prit de Fhomme s'est éveillé pour la première fois à la pensée de
l'autre vie. Il y a dans cette étude quelque chose qui intéresse à la
fois le philosophe et l'antiquaire, l'érudit et le penseur. Démêler la
(i) On se demandera peut-être pourquoi nous avons intitulé ce travail : desDm-
nilés psychopompes. Les anges, dira-l-on , n'étaient pas des divinités; les Grecs
refusaient le nom de dieux à leurs démons. En adoptant ce mot, nous lui avons
restitué son sens véritable. Divinité n'a pas toujours voulu dire le dieu suprême, dieu
au-dessus duquel rien n'existe, dieu tout-puissant, la divinité n'a été pour tous les
peuples de l'antiquité , dans son acception générale, qu'un être supérieur à l'homme,
à l'existence duquel celui-ci croit , qu'il invoque ou qu'il conjure. C'est en adoptant
ce sens du mot divinité , qu'il est permis de dire que les Égyptiens , les Indiens , les
Grecs adoraient plusieurs divinités, plusieurs dieux. Autrement il faudrait recon-
naître en eux des Monothéistes, ce qui n'est pas vrai absolument. Les anges et
les diables du christianisme, entendus dans ce sens, sont donc de véritables divi-
nités. C'est au fond ce qui ressort des définitions adoptées par les Pères eux-
mêmes : O 6zbi W5 àpy^Yj twv leyofxé-juv ôswv, à'/'/eiwv fvifJ-l xoù à'jOpd^TZuv Si/.xiwj, écrit
saint Maxime, S'chol. in S. Dionys.Ar. Cœlest. hierarch. c 1, p. 7, éd. Corder.;
elOrigènedit d'une façon plus explicite encore : « Angeles igilur quibus regendas
« gentes commisit Excelsus, vel deos appellari et dominos constat: deos quasi a
« Deo datos et dominos quasi a Domino sortit! sint potestatem. Unde et Dominus
« dicebat ad angelos qui non servaverunt suum principatum : Ego dixi, dii estis et
« fîlii excelsi omnes,etc. » Hom. in Exod. ap. Oper. éd. Delarue , t. Il , p. 157.
I. ' 38
682 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
filiation des dogmes, la parenté des monuments qui les peignent aux
yeux, et cela dans une matière qui se rattache à l'éternel problème de
notre destinée, c'est servir à la fois plusieurs causes, c'est agrandir le
domaine de l'archéologie , en transportant sur son terrain les plus
hautes questions qui puissent préoccuper notre intelligence. Cepen-
dant c'est avec une certaine timidité que nous allons proposer nos
idées; nous sentons combien notre curiosité va paraître indiscrète à
ceux qui ne veulent pas aller au delà de l'inscription gravée sur la
pierre tumulaire, et qui craignent qu'on ne soulève celle-ci, pour cher-
cher quels restes elle dérobe aux regards. Pour les antiquaires, esti-
mables et savants d'ailleurs , qui croient que dans les travaux archéolo-
giques, il faut s'arrêter à la description approfondie du monument ,
et ne point s'occuper ensuite de la pensée sous l'empire de laquelle
s'est élevé ce monument lui-même, le genre des études auxquel-
les nous nous livrons ne saurait convenir. Ces archéologues s'en
tiennent prudemment à la lettre , de l'examen de laquelle ils tirent
tout ce qu'ils peuvent tirer, mais sans jamais franchir l'espace qui les
sépare du monde des idées. Nous n'ayons pas cette prudence , et le
désir d'arriver à des solutions d'un ordre plus élevé, à des considéra-
tions d'une utilité plus réelle, nous a rendu moins réservé. A ceux-
là seuls nous nous adressons, qui joignent l'indépendance de la pensée
à une plus haute opinion de l'archéologie, de la symbolique; toute-
fois ce n'est ni une dissertation métaphysique, ni un écrit de contro-
verse et de polémique, que nous présentons au lecteur, ce sont des
rapprochements de faits de la nature de ceux que se sont permis, en
tout temps, les antiquaires, quoique la classe à laquelle ces rappro-
chements-ci appartiennent ait été rarement l'objet de leur attention,
de leur examen raisonné.
Nous avons exclu de nos recherches tout ce qui aurait pu offrir un
caractère purement hypothétique , et les inductions auxquelles nous
avons été amené, sont celles auxquelles aurait été invinciblement con-
duite toute personne qui, sans prévention antérieure, sans système
adopté d'avance, aurait étudié la question. Et cependant, nous Je
répétons, ce n'est encore qu'avec une extrême réserve, en protestant
contre toute conséquence tirée de ce travail qui aurait pour effet de
nous attribuer un but que nous ne poursuivons pas, une doctrine de
négations qui est loin d'être la nôtre , que nous entreprenons cette
investigation attentive de croyances pieuses et naïves qui achèvent
d'expliquer les monuments dont nous avons traité dans notre premier
article.
DES DIVINITES ET DES GENIES PSYCHOPOMPES. 583
L'antiquité grecque présente un système de divinités psychopompes
fort analogues aux anges des chrétiens du moyen âge. C'est d'abord
Mercure, dont nous avons déjà parlé, en traitant de la psychostasie ,
et qui s'oflre à nous précisément sous les couleurs qu'on a attribuées
aux anges et aux démons. Homère lui-môme appelle Hermès du nom
que les néophytes de la Grèce donnaient aux esprits célestes , il le
nomme kyyzloc, àôavarwv. Comme les anges, ce dieu mène les
âmes des morts, dàcjù.cc y.a^-ovroiVf il conduit dans le sein des immor-
tels les héros, c'est-à-dire les justes qui, à l'instar d'Hercule et de
Pollux, ont obtenu par leurs vertus, de s'asseoir à côté des dieux :
Hac arle Pollux et vagus Hercules
Enisus arces atligit igneas -,
Quos inler Auguslus recumbens
Purpureo Mbit ore nectar,
Horat. Od. 3. lib. HI.
Comme les diables , il conduit aux enfers ceux auxquels leurs ac-
tions coupables ont mérité des châtiments.
Oç '^U/^àç ôvoTwv y.arayst; itTzb 'jiprspoc yuir,;
Oç TTaoà ÏUp(7Z(f6'j'cç tepôv oôu.o-j at/œnTro/j^si;
Atvoaôootç •^■'j^oc.ï^ TTOt/Tro; zaTà y(x,ïcx.'j ÛTrap^wv.
Orph. IJymn, LYII ( sive LVI) , p. 323 , éd. Hermann.
En lisant , au sujet de Mercure , ces mots , dans Lucien , dQpoov^
oc'jTov'ç xTi p^cêc^w aoêcov (1), nesereprésente-t-on pas ces diables qui,
dans les bas-reliefs des jugements derniers de nos cathédrales, chas-
sent devant eux la foule innombrable des damnés :
Dal vecchio ponte guardavam la traccia
Chc venia verso noi daU'altra banda
E che la ferza similmenle schiaccia.
Infern. XVIII.
a dit le Dante , en nous décrivant un tableau de ce genre , dans son
immortelle épopée.
La jeunesse du dieu psychopompe des grecs, sa blonde chevelure,
ses ailes, sa baguette, tout rappelle les attributs que les peintres
chrétiens ont donnés aux anges messagers du Très-Haut (2).
(1) Lucian. Catapl. c. 3.
(2) Cf. sur le costume des anges, S. Gregor. Naz. Oral. XXIII, 25; et surtout
l'excellent ouvrage du docteur J. Chr. Wilh. Augusli, intitulé : Denkwurdigkeiten
aus der Chrisllichen jirchœologie, t. XII, p. 266 et suiv.
684 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Un lien nouveau rattache Mercure à ces mêmes génies bienfai-
sants , ce sont ses fonctions d'évocateur des ombres, de K-npvl chargé
de rappeler dans les corps , les âmes qui ont accompli une première
expiation. Cette croyance était empruntée au dogme égyptien de la
métempsycose. Lorsque les âmes avaient expié leurs crimes dans les
enfers, effacé leurs souillures terrestres, elles revenaient sur terre ac-
complir une seconde existence, et c'était Mercure qui les ramenait à
la vie ; il est le dieu auquel Virgile h\t allusion lorsqu'il dit :
Has omncs ubi mille rolam volvere per annos
Lelhœum ad ftuvium Deus evocat agminc magno.
Mneid. VI, 744-749.
C'est ce môme Hermès qui conduit les âmes au fleuve Léthé, dont,
selon Platon, les eaux ont la propriété de faire oublier les faits de
l'existence antérieure (1). Pythagore enseignait que cette divinité qui
exerce son autorité sur les âmes, ramenait celles qui sont pures dans
les régions supérieures et livrait les impures aux Érinnyes pour les
enchaîner (2).
Hermès présidait à la naissance, ainsi qu'à la mort ; et il apparaît
plusieurs fois sur les monuments, comme divinité généthliaque. C'est
ainsi que nous le voyons recueillir le jeune dieu Bacchus, au moment
oii il vient au monde, le conduire sur les flancs du mont Nysa (3),
prendre Pandore naissante des mains d'Épiméthée (4), et porter par
ses ailes de papillon, la symbolique Psyché (5). Mercure figure à la
fois le dieu qui conduit les âmes au séjour des morts et celui qui les
ramène la vie. C'est bien là celui dont Virgile a dit :
Has animas ille evocat Orco
Pallentes , alias sub trislia Tarlara millit.
JEneid. IV, 242-243.
Mercure, qui ramène les âmes sur terre, est celui qui avait reçu
chez les Romains , le surnom de Redux. Ce côté sous lequel s'offre à
nous le dieu psychopompe , paraît avoir été un des plus fréquem-
ment représentés par les artistes. Les pierres gravées nous fournis-
sent bien des fois ce sujet curieux. Nous citerons entre autres une
sardoine rouge du Musée de Florence (6), une pierre gravée publiée
(1) Platon , Rcpub. X, 514-615 (620-621 ). Cf. Phedr. et Tira.
(2) Dlogen. Laert. VIII, 32.
(3) Cf. Pausan, III, 18, 7. Eustath. ad Homer. p. 871, 40; 181G, 4; Nonn.
Vionys. XIII, 140. Apollon. Argon. IV, 1137.
(4) Hésiod. E|oy. 73.
(5) Hirt, Bilderbuch fur Mythologie, taf. VIII , 8.
(6) Voyez Reale galleria di Firenze itlustrata, série V. Cammei ed Inlagli ,
1824,pl. V, nM.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 685
parLippert(l), et une autre qu'adonnée Winckelmann, dans ses Mo-
numents Inédits (2). Lachau et Leblond, dans leur description des
pierres gravées du cabinet du duc d'Orléans (3), ont publié une agate
onyx sur laquelle se voit Mercure coiffé du pétase, tenant le caducée
de la main droite et tirant de terre, c'est-à-dire de l'enfer, par la
main gauche, un personnage dont la moitié du corps est déjà visible.
D'autres fois, c'est de leur tombeau, d'une urne funéraire et non de
terre , que le dieu psychopompe fait sortir l'âme qu'il ramène à la
vie; un papillon, voltigeant sur l'urne, achève d'expliquer le sens
symbolique caché sous cette représentation (4). Nous mettons ici
sous les yeux une sardoine brune et une chalcédoine qui offrent le
même sujet avec quelques variantes, et qui proviennent de la riche
collection de M. Badeigts de Laborde, à l'obligeance duquel nous
devons les empreintes d'après lesquelles ont été exécutés les dessins.
Sur une sardoine blonde de la même collection, dont nous joignons
la figure aux précédentes , le dieu évoque l'âme représentée par un
petit personnage ailé, qui est à ses genoux et semble l'implorer. Le
dieu tient à la main une branche d olivier ou de laurier*. Enfin , sur
une chalcédoine appartenant également à M. de Laborde, Mercure
courbé, tient son caducée de la main droite, et de la gauche il amène
à lui pour l'interroger, l'âme dont on n'a dessiné que la tête. Ce sujet
si curieux de Mercure Redux s'observe aussi sur quelques mé-
dailles : on voit, par exemple, Mercure dans cet office, devant
Sérapis, sur une médaille alexandrine de Trajan (5).
Les anges rappellent également les âmes à la vie. Ce sont eux qui,
à la fin du monde, au moment où une existence nouvelle commencera
pour la créature, ramèneront les âmes dans les corps dont ils auront
(1) Lippert , Daktyl. stipplem. n" 205^.
(2) Monum. ined. 39.
(3) T. I . p. 99.
(4) Voyez un scarabée étrusque, dans les Impront. gemm. delV Instit. di Corr,
arch. Cent. I, n° 36.
(5) Cf. Neuman, iVMm. inéd. \. H, p. 102; et Zoega^ Nam. .Egypl. iinp. mus.
Borg. p. 69 , n» 76.
586 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
rassemblé les débris épars, les restes décomposés, auxquels ils auront
rendu leur forme première, en répandant dessus une splendeur incon-
nue : c( Ministerio itaque sanctorum angelorum dispositione agentium
ce tiet suscitatio mortuorum, quoscineres angeli colligunt et suscitatos
(( ad judicii locum perducent; reprobos ab electis segregabunt et dam-
c( natos in pœnas retrudent» , a dit un théologien célèbre (l). Voilà
bien les anges conduisant les âmes dans les régions célestes et livrant
aux Erinnyes, transformées en démons, les méchants pour les en-
chaîner. C'est précisément la doctrine que le philosophe de Samos
avait rapportée d'Egypte. Et ce n'est pas seulement au dernier jour
que les anges s'acquitteront de ce solennel office : quand par l'effet
d'un miracle prodigieux, Dieu rappelle dans le corps l'âme qui l'avait
abandonné, ce sont les mêmes esprits qui l'y réintroduisent. On lit,
par exemple, dans la vie de saint Comgall, que les anges apportèrent,
sur l'ordre du Tout-Puissant, l'âme du moine Enanus, dans son
corps que le saint venait de ressusciter (2).
Les anges président aussi à la naissance et sont comme Mercure
de véritables divinités généthliaques. TertuUien dit que ce sont des
êtres (c commissa hominibus utero ferendi, struendi, fingendi paratura
«cdivinis officiis» (3), idée qui était aussi celle de Philon, lorsqu'il sup-
posait la préexistence des âmes à la naissance et affirmait que les
anges les amènent dans l'embryon au moment de la fécondation (4).
Origène allait même jusqu'à faire présider ces esprits divins à la
naissance des animaux , des plantes et à la germination des bour-
geons (5) , idée dont l'origine est évidemment persane (6).
Les anges sont envoyés sur la terre pour conduire les mortels à
une fin , à un but qui leur est assigné par Dieu. Raphaël conduit
ainsi le fils de Tobie (7); l'ange mène de la sorte saint Jean-Baptiste
dans le désert (8) ; de même les anciens nous représentaient Mercure
Hegémonios servant de guide aux mortels, conduisant, par exemple,
Priam dans la tente d'Achille (9).
Il n'est pas jusqu'à la manière dont le dieu psychopompe porte les
(1) s. Dionys. Carlhus. Enarr. in Evang. c. xiii, art. ^0 , p. 88.
(2) Bolland. Act. X maii , p. 584.
(3) De Anima, c. 37.
(4) De Conf. ling. p. 346, éd. Francof.
(5) InNumer, Hom. XIV. Ap. Oper. éd. Delarue, t. II, p. 323.
(6) Ce sont les ferouers persans. Cf. Zend-Avesta, trad. Anq. Duper, t. II, p. 249
etsq.
(7) Tob. XII,25.
(8) Cf. Gori, Thesaur. veter. diplych. t. III, p. 350.
(9) ifîad.XXIV, 461.
DES DIVINITES ET DES GENIES PSYCHOPOMPES.
587
âmes des êtres qu'il amène à la vie , qui ne rappelle les représenta-
tion analogues des chrétiens et qui ne semble avoir été le type imité
parles artistes. Nous sommes frappés , par exemple, de ces petites
figures entourées de bandelettes , images de l'âme que Dieu ou les
anges portent dans leurs bras. C'était surtout de la sorte que la re-
présentaient les artistes byzantins, tandis que les artistes occidentaux
la peignaient plutôt nue. Cette figurine emmaillottée représente l'âme
de Marie et est entre les mains du Christ sur des diptyques offrant
la xoip/](7tg de la Vierge (1) , et sur une peinture ruthénique du
X® siècle, où l'on voit le môme sujet (2). Les âmes de saint Amoun,
de saint Alexandre emportées par les anges, sont exprimées de même
dans le Ménologe grec de l'empereur Basile (3).
Mercure et Iris (4) , dieux-anges des anciens , divinités psycho-
pompes et messagères, portent absolument de la sorte, entourés de
bandelettes, Bacchus (5) et Plutus(6).
(1) Gori, Themur. vêler, diptych. t. III , pi.
(2) D'Agincourt, Hist. de l'Art, Peint., PI. GXIII.
(3) Part. I, p. 94, 19G.
(4) Iris était aussi une divinité psychopompe comme Mercure. Voyez l'Enéide, IV,
G93, c'était comme ce dieu un véritable ange. Cf. Platon, IV, Leg. 717.
(5) Cf. Inghirami , f^asi fitiiii , lab. LXV, Stackelberg , die Grœber der Hel-
lenen, taf. XXI.Cf. sur le génie de la naissance , R.Rochette,Ores(àde, par. 8, p. 2;
(G) Pausan. 1 , 83. Cf. Ed. Gerhard , Aus. griech. rasenbilder, iiî, LXXXIII,
t. II > p. 15.
688 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
C'était également sous la forme d'un enfant environné de bande-
lettes , que les Egyptiens représentaient les âmes. C'est ainsi qu'on
voit le défunt, sur la caisse de la célèbre momie de Pétaménoph, pré-
senté par Anubis, reconnaissable à sa tête de chacal, coiffé du pschent,
à Osiris-Péthempamentes ou infernal, et à la déesse Isis (l). Ces
bandelettes, dont on a entouré Pétaménoph, rappellent l'idée de la
momie; ce savant entourage de linges et de substances antisep-
tiques qui conservait les restes du mort, était, comme on sait,
pour le peuple, l'image de la nature impérissable de notre âme. Il
est donc probable que c'est aux Égyptiens, que cette manière de re-
présenter l'âme a dû être empruntée.
Dans le christianisme, on aura substitué les anges gardiens à Mer-
cure et à Osiris, et cette figure d'enfant aura été adoptée d'autant
mieux pour représenter l'âme, qu'elle semblait une allusion aux
paroles du Christ : « Nisi efficiamini sicut parvuli, non intrabitis
c< in regnum cœlorum. »
Mercure Psychopompe et Redux ne sont pas les seuls types antiques
que nous puissions rapprocher des anges psychopompes. L'étude des
monuments nous fournit d'autres personnages non moins analogues
à ceux-ci. Il suffit de comparer les représentations figurées de l'âme
enlevée au ciel par les esprits célestes, avec celle du défunt porté au
cieux par des génies, sujet si fréquemment reproduit sur les sarco-
phages antiques, pour reconnaître qu'il y a dans ces monuments
d'âges si différents, une fort grande ressemblance d'intention et
d'idée. Ici c'est l'âme d'un mort qui est représentée par un petit per-
sonnage nu porté dans le ciel, par des génies ailés; là c'est le buste
du défunt qui est placé dans une sorte de médaillon ou sur un bou-
clier, et porté pareillement au ciel par des génies aussi ailés; la
presque identité de sujets sur des monuments tous deux funéraires,
fait très-légitimement supposer la connexité des croyances qui ont
guidé la main de l'un et l'autre artiste; et une réflexion bien naturelle
naîtra de ce simple examen , c'est que les païens et les chrétiens ont
cru tous deux que les âmes étaient transportées dans les régions éthé-
rées par des divinités ailées (2), aériennes. En outre si l'on remar-
que que c'est souvent dans une sorte de cadre rond ou elliptique
que l'âme chrétienne est placée (3) , et que les anges soutiennent
(1) Cailliaud , Foyage à Méroé , pi. LXVII, n» 3, t III, p. 46.
(2) Ces ailes données aux anges ne sont pas, comme on serait tenté de le croire ,
une pure convention iconographique. Cf. Isaie, VI, 2. Daniel, IX, 21. Apocalyps.
XIV, 6, XIX, 17.
(3) Voyez, par exemple, l'âme de saint Martin , représentée dans une auréole
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 689
cette auréole absolument comme les génies portent le bouclier ou
médaillon, on sera bien plus frappé de l'analogie, et l'on sera
porté par là à admettre un point de ressemblance encore plus étroit ;
or cette auréole , ce médaillon avait été adopté par les païens et
les chrétiens, par suite d'une pure convention iconographique,
il était l'expression d'un fait admis matériellement. La première
supposition, pour l'antiquité, est la plus probable, nous dirons
presque la seule admissible, car on ne retrouve chez les an-
ciens , dans les mythographes comme chez les philosophes , au-
cune trace de cette auréole dans laquelle l'âme aurait été logée , en
allant au ciel. Mais pour le moyen âge, il en est tout autrement, cette
auréole est bien réellement l'expression d'une croyance à laquelle
mainte allusion s'offre dans les légendes, c'est la représentation d'une
croyance formelle. C'est dans une sphère ou auréole de feu, par
exemple, que les anges conduisirent dans les cieux l'âme de saint Ger-
main, évoque de Capoue (1), et celle de saint Robert, abbé de
Cîteaux (2).
Il est vrai que dans les monuments chrétiens, les anges n'ont pas
tout à fait les mêmes traits que les génies antiques. Ceux-ci sont nus,
les premiers sont vêtus. Mais outre que cette légère différence s'ex-
plique fort bien parles scrupules pudiques des chrétiens, il est à re-
marquer que dans certains sarcophages chrétiens appartenant pré-
cisément aux temps primitifs de la foi, les anges sont nus et tout
semblables aux génies païens. Nous citerons, par exemple, un sar-
cophage tiré du cimetière de Sainte-Lucine (3), un du cimetière de
Sainte- Calixte (4) , un du cimetière de Sainte-Agnès (5) , un sarco-
phage de Vérone , et un de saint Ambroise de Milan qui passe poar
avoir été le cercueil de Stilicon (6). Les anges sont, sur ces sarco-
phages, si semblables aux génies païens, qu'on ne saurait dire, si le
elliptique sur un vitrail de la cathédrale de Chartres. Cf. Didron, Iconogr. chrct.,
p, 104 ; Jésus-Christ , la Vierge, sont aussi représentés dans des auréoles elliptiques
portées par des anges; c'est ainsi qu'on voit, par exemple, le premier sur les
portes Rorsouniennes de Sainte-Sophie de Novogorod. Cf. Adelung, die Korssun-
schen Thûrcn, taf. VI, la seconde sur plusieurs sceaux et notamment sur celui
des Frères prêcheurs de Florence. Cf. Manni, Osservaz. islorichi sopra i sigiUi
antichi , t. I, p. l.
(1) Voyez, plus haut, p. 509.
(2) Bolland. 7 jun. p. 49 , col. 1.
(3) BoUari, Pitture , t. I, tav. XXII, XLI, p. 48. T. II, tav. LXXXVI, p. 94.
(4) Boltari , t. II, tav. LXXXV.
(5) Botlari . t. III , tav. CXXXI , p. 3-4.
(6) Raoul -Rochette, 3« Mém. sur les Anliq. chrét. p. 709.
590 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
reste du monument ne l'indiquait, à quelle religion appartenait l'ar-
tiste. On ne peut donc douter que ce sujet d'âmes emportées dans des
auréoles lumineuses par les anges, n'ait été emprunté aux artistes
paiens, et que d'une simple allégorie qu'il était pour ceux-ci, il ne
soit devenu , pour les artistes chrétiens , pour le moyen âge tout en-
tier , aux yeux duquel toute allégorie était matérialisée , l'expres-
sion bien réelle d'un miracle qui s'accomplissait à la mort de certains
saints.
Au reste , cet emprunt fait à l'antiquité a été constaté par les plus
célèbres antiquaires. Il suffira de citer les noms de Marangoni, MalTei,
Allegranza, Buonarotti, Bottari.
Déjà dans trois excellents Mémoires publiés dans le Recueil de
V Académie des Inscriptions et Belles -Lettres, M. Raoul-Rochette (l)
avait établi ce fait, avec tout le degré d'évidence qu'on pouvait attendre
de son savoir. « Il résulte de mon travail , dit cet habile antiquaire ,
que plusieurs des figures allégoriques qui avaient été consacrées, sur
les sarcophages des anciens, à exprimer certaines intentions funéraires
ou symboliques, durent être adoptées par les chrétiens, quand ils
eurent à rendre les mêmes idées ou des idées équivalentes. De ce
nombre furent certainement ces petites figures de génies nus et ailés,
soutenant de leurs mains dans une position inclinée, tantôt le bou-
clier avec l'image du défunt, tantôt le cartel avec l'inscription , tels
qu'on les voit sur une foule de sacophages. »
Le génie de l'éternité, bien qu'allégorique, semble avoir été, dans
l'art, un des types des anges, car, hâtons-nous de le dire, si les chré-
tiens ont reçu des Hébreux la croyance des anges, ils n'en peuvent du
moins tenir les images , puisque ce peuple condamnait toutes les fi-
gures comme des idoles. Ce ne peut donc être qu'à l'antiquité païenne
qu'ils ont demandé les modèles qu'ils ont ensuite modifiés, en leur at-
tribuant un sens plus ou moins différent de celui qui leur était assigné
primitivement. Nous disions que le génie de l'antiquité apparaît
comme un ange psychopompe. Jetons en effet les regards sur le bas-
relief de la base de la colonne Antonine oii l'on voit Antonin-Pie et
Faustine portés aux cieux sur les grandes ailes du génie de l'éter-
nité (2) ; regardons cette peinture des Thermes de Trajan et d'Hadrien
où l'on voit Faustine conduite dans les cieux par le même génie (3),
(1) Mém. cité, p. 709.
(2) Voy. Visconti, Mus. Pio-Clem. t. V, p. 29, O. Muller et Ch. Oesterley,
Monum. de VAH antiq. n" 392, pi. LXXI. Hizt, Bilderb. fiir Mythologie ,
taf. XVI , 2.
(3) Bellori , Pict, veter. in çrypt, roman, lab. IX.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 691
OU ces médailles des Faustine présentant le môme sujet (1), ne serons-
nous pas frappés de l'analogie qui existe entre ce sujet et celui de
l'ange abritant de ses ailes l'âme qu'il conduit aux cieux et qu'il pro-
tège contre les démons; sujet qui, avant d'avoir été traité par les ar-
tistes , se trouvait exprimé tout entier dans ces paroles de Sophro-
nius :
« Iterum, Michael, te oro, ute vitae hujus curriculo exituro laetus
« pacatusqueappareas,mequesubhonorato alarum tuarum velamine
(( abscondas, atque ex angustis obscurisque inferorum locis ereptum
« in loca tabernaculi admirabilis constitiias deducens usque ad do-
(( mura Dei (2). »
Pourpeuqu'oncberche à établir, entre les représentations antiques
et celles du moyen âge, des comparaisons telles que nous venons de
les établir, on sera surtout frappé du diptyque consulaire du cabinet
du comte de Gherardesca, représentant l'apothéose de Romulus, et
qu'a publié Gori (3). Il est difficile de n'y pas retrouver précisé-
ment le sujet de l'âme portée aux cieux par les anges.
Sur ce diptyque , on voit le premier roi de Rome que les génies
ailés portent aux cieux. Au-dessus de sa tôte sont figurés les signes
du zodiaque et les dieux qui s'apprêtent à recevoir celui qui désor-
mais :
In cœlo, cum diis genitalibus œvum
Degit.
Ennius , ap. Servium ad VI Eneid.
Ce zodiaque rappelle que, d'après les croyances égyptiennes, c'était
(1) Rasche, Lexic.reinumar. 1. 1, p. 171.
(S) Sophronii Oral. ap. Bibliolh. P. P. Max. t. XII , p. 210.
(3) Thesaur. veter:diplych. t. II, p. 121 , tab. XIX.
592 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cette bande céleste que les âmes suivaient dans leur asceiision aux
cieux. Elles prenaient la route formée par les douze constellations, et,
guidées parOphiucus (l), génie psychopompe, analogue à Hermès,
entraient par la porte des hommes, située à la constellation du capri-
corne, et revenaient à la vie par celle des dieux placée à la constella-
tion du cancer (2).
L'expression Raplas a dubiis^ qui se trouve dans tant d'inscriptions
funéraires, à la suite du nom du défunt (3), joue absolument le môme
rôle que celle à'Accersitas ah angelis que nous avons rappelée précé-
demment. La formule païenne Cujus spiritus inler deos receptus est se
lit môme sur des monuments chrétiens, en tôte desquels est le sigle
antique : D. M. , Diis manibus (4). M. Raoul-Rochette a rapproché
cette formule de celle: Cujas anima mm sanctos in pace, qui offre avec
elle une fort grande analogie ; il a poursuivi ce travail de rapproche-
ment entre le christianisme et le paganisme, pour un grand nombre
d'autres inscriptions. Tous ces faits sont autant de preuves de
l'échange qui s'opérait entre les deux ordres d'idées. Elles ajoutent
encore plus de probabilité à la conjecture que nous avons développée
ci-dessus.
Et comment pourrait-on nier ce passage des idées païennes aux
idées chrétiennes, quand certains monuments conservent, d'une ma-
nière encore plus évidente, l'empreinte de cet emprunt singulier; quand
non-seulement les monuments du moyen âge nous offrent des re-
présentations analogues à celles des monuments antiques, et auxquelles
les chrétiens paraissent avoir attribué à peu près le même sens que
les anciens attribuaient aux leurs, mais quand ils nous présentent
l'image de croyances absolument identiques. Pour en fournir un
des exemples qui nous semblent les plus frappants, ne voyons-nous
pas la barque du vieux Caron reproduite sur les monuments chré-
tiens? Jetons les yeux sur ce bas- relief de l'église de Semur, dont le
sujet est la mort de Dalmacius, et que fit faire, comme expression de
son remords , celui qui fut à la fois le gendre et le meurtrier de la vic-
time, Robert le Vieux, duc de Bourgogne (5). Ne voyons-nous pas
(1) Ophiucus rappelle aussi saint Michel, il triomphe comme lui du serpent,
emblème du mal, et conduit les âmes aux cieux.
(2) Cf. Macrob. lib. I, c 15. Isid. Hispal. Origin. lib. III, c. 34, p. 904. Porphyr.
de antro JVymph. p. 124. Lobeck, Aglaophamus ^ Orphie, lib. II , p. 93?.
(3) Orelli, Insc. latin, sélect. n° 4G08.
(4) Cf. 2' Mém. de M. Raoul-Rochette , dans le t. XIII des Mém. de l'Acad.
des Inscr. et Belles-Lelt. p. 194 etsuiv.
(5) Voy. Laborde , iWonwm. de la France, t. II , pi. 161.
DES DIVINITES ET DES GENIES PSYCHOPOMPES. 693
l'âme de celui-ci conduite en paradis dans la barque antique immor-
talisée par Virgile ?
Si nous portoîis nos regards sur un autre monument funéraire, sur le
célèbre tombeau de Dagobert et de Nanthilde , ne remarquons-nous
pas encore l'âme du monarque naviguant sur une barque dans la-
quelle il est tourmenté par les démons (l)?
Ces représentations ne nous font-elles pas penser à la barque que
les anges conduisaient eux-mêmes , et dont il est question dans la
vie de saint Probatius (2)? Ne nous reporterons-nous pas en es-
prit à cette vision de saint Arsène , dans laquelle l'anacborète voyait
son âme et celle de Moïse naviguant sur le Nil dans une barque
menée par des anges et des démons (3)? Dans les déserts de l'Egypte ,
l'image de cette bari funèbre, conduite sur le Nil céleste, par
les cynocéphales (4), et qui figure si fréquemment sur les monu-
ments de cette contrée, ne pouvait-elle pas s'offrir à l'imagination du
solitaire? En comparant du moins ce sujet égyptien et celui du tom-
beau de saint Denis, en observant quelle ressemblance les démons
qui assaillissent le roi de France ont avec les singes sacrés, on n'est
pas éloigné de croire qu'il peut y avoir eu là quelque imitation étran-
gère, quelque provenance exotique. La bari égyptienne elle-même
n'était-elle pas le type primitif de la barque du nocher Charon (5) ?
Ainsi, ce n'est pas par une inadvertance , comme on l'a souvent ré-
pété, mais pour obéir à une croyance encore subsistante à son époque,
que Michel-Ange a placé, dans son tableau du jugement dernier, la
barque du Styx.
Il est à remarquer que l'époque à laquelle apparaissent sur tous
les monuments funéraires antiques, dont nous parlions plus haut, les
figures de génies, à'érôteSy d'amours, regardées par les antiquaires
comme des personnifications des affections, des passions, des goûts,
des plaisirs, ou bien d'un pays, d'une ville, que cette époque, disons-
nous, est celle à laquelle la doctrine des démons, des génies , se ré-
pandit dans le monde grec et latin. Sur les bas-reliefs, les génies
sont représentés comme des agents , des ministres de la divinité ;
tantôt ils portent le casque et les armes de Mars , tantôt ils soulèvent
la massue d'Hercule ; ils nous offrent évidemment des images allégori-
(0 PI. 153.
(2] Bolland.Act. IV Fehr. p. 564.
(3) Marin , Fies des Pères du désert d'Orient, p. 4G7, Fie de saint Arsène,
(4) ChampoUion, Lettres sur V Egypte , p. 141.
(5) Cf. Gardn. Wilkinson , Cusloms and Manners of the ancient Egyplians ,
t. II, p. 482.
594 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ques des puissances intermédiaires entre l'homme et les dieux , et qui
servent de ministres à ceux-ci. En un mot, c'est au fond le même sens
attribué aux anges, que l'on donnait à ces génies qui semblent pour-
tant à la première vue se relier à un tout autre ordre d'idées. Quelques
antiquaires n'ont voulu voir dans les génies , les amours des bas-re-
liefs romains, que de purs jeux de l'imagination, et ils ont formelle-
ment distingué entre les génies romains et les âoity.oveq des Grecs.
11 se peut que, dans la pensée de quelques artistes, ces génies n'aient
plus été que de pures figures de fantaisie, mais il est bien certain qu'à
l'origine, elles répondaient à une idée, à une croyance nettement dé-
terminée. Les anges et les diables, dans une foule de compositions
de la renaissance, ne sont plus que des figures destinées à l'embel-
lissement, des personnages placés uniquement pour animer la scène,
et cependant cela n'empêche pas que ces images ne répondissent
originairement à des êtres très-réels. M. le comte de Clarac (1), qui a
soutenu dans son excellent ouvrage sur le musée , l'opinion que nous
combattons en partie , n'a peut-être pas assez distingué entre les
(îai|jL0VÊç des premiers siècles de la civilisation grecque, ceux d'Hé-
siode, par exemple, qui ne sont que les dieux, les êtres supérieurs,
les dems hindous, et les âalaûveg des platoniciens, des néoplatoniciens,
dont la doctrine devint extrêmement populaire, précisément à l'époque
de l'avènement du christianisme, et qui appartenaient à un autre sys-
tème théogonique. Remarquons de plu^ que des génies tels que les
admettaient les néoplatoniciens, étaient souvent de véritables person-
nifications des passions ou des états de l'homme ; par exemple , pour
Apulée, l'amour et le sommeil sont deux démons : ce Sunt autem non
« posteriore numéro, prestantiori longe dignitate superius aliud au-
« gustiusque genus dœmonum , qui semper a corporis compedibus
c( et nexibus liberi, certis potestatibus curant, quorum numéro Somnus
<( atque Amor (2). » Quanta nous , frappé de la présence des géin'es
sur les monuments , justement alors que l'on croyait à l'existence
d'êtres semblables répandus dans toute la nature, il nous est difficile
de ne pas regarder ces deux circonstances comme une preuve de l'in-
fluence exercée sur les artistes par le système démonologiquc en
vigueur. Si, d'un autre côté , nous ajoutons que les chrétiens ont
reproduit sur leurs propres monuments les génies figurés par les
Grecs, en les modifiant légèrement, et qu'ils professaient en même
(1) Cf. Mus. de Sculpl. anc. et mod. t. II, part. I , p. 169.
(2) Apul. de deo Socrat. ap. Oper. éd. Bipont. t. II , p. 237. Cf. Platon.
Conviv. 178.
.DES DIVINITES ET DES GENIES PSYCHOPOMPES. 695
temps un système angélologique tout à fait analogue au système
démonologique des païens , il ne nous sera pas difficile d'admettre
que ce n'était pas seulement de la part des artistes chrétiens une
imitation provenant de l'absence de modèles et de types, une imitation
non-raisonnée , mais au contraire, le résultat de la similitude dans
les croyances et les idées attachées à ces figures elles-mêmes. Un
pareil emprunt une fois admis, une fois constaté, on s'expliquera alors
naturellement la métamorphose insensible de toutes les idées sur les
génies psychopompes des païens, en idées chrétiennes. Les chrétiens
qui avaient reçu des juifs un système démonologique analogue à celui
qu'adoptaient les platoniciens, ne virent chez ceux-ci que des
croyances qu'ils partageaient et ne répugnèrent en aucune façon à
leur emprunter certains détails, certaines particularités de dogmes
qui étaient inconnus aux juifs dont ils tiraient le fond des dogmes
eux-mêmes.
Afin qu'il ne reste dans l'esprit du lecteur aucune incertitude
à cet égard, nous devons compléter cette démonstration, en prouvant
ce que nous n'avons fait qu'avancer, ou au moins que démontrer pour
le seul Mercure, à savoir que tous les traits sous lesquels les anciens
nous peignent les âal^oveç, s'appliquent parfaitement aux anges et
aux diables des chrétiens.
Pour les premiers Grecs, les ^xlixovsç n'étaient que les âmes des
hommes vertueux auxquelles ils rendaient un culte, parce qu'ils s'ima-
ginaient que ces âmes devenaient des divinités protectrices des mor-
tels (l). C'est ainsi que nous les représente Hésiode :
ToL^ïv doûaûvéç zlai Ato; ^zyukou §ià. |3ou/àf
Ot poi tfolôf.rjtjovavi t2 ^i/.aq y.cd G/ixlia. tpya.
liépa. zrT<7(x.^îVQi , TrâvTïj ^oitwvtsç stc* aia-j
n/oKTo^orai. Épy. 121 et sq.
Ce culte des âmes des ancêtres est un des plus anciens auxquels se
soit attaché le sentiment religieux de l'homme ; on sait que c'est
celui que la Chine nous offre dans les temps les plus reculés ; il
se retrouve aussi chez plusieurs peuples sauvages. Plus tard les
(Jat/y-ov£ç furent considérés différemment de la part des Grecs, parce
qu'une nouvelle doctrine démonologique fut apportée de l'Orient et
de l'Egypte où elle était depuis longtemps en vigueur.
Ce nouveau système démonologique apparaît avec Pythagore et
(1) Cf. Plutarch. de deo Socrat. Platon. Crûtyl. 48.
596 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Platon. Ce dernier philosophe nous peint dans sonBanquet (1) les dé-
mons comme des êtres nombreux et de dllFérentes classes, t:o)1o\ zal
TioMToàcL-Koi j qui sont les interprètes et les entremetteurs entre les
hommes et les dieux, qui apportent au ciel les vœux et les sacrifices
des mortels , et rapportent à ceux-ci les ordres des dieux et les ré-
compenses qu'ils leur accordent pour leurs sacriGces. Ils entretiennent
par là l'harmonie entre les deux sphères. Maxime de Tyr (2) dit que les
démons sont moins puissants que les dieux , mais plus puissants que
les hommes; ils sont les ministres et les assistants des humains;
àvQpwTTwv àï iruaroLToLiy très-voisins des dieux, et cependant très préoc-
cupés du soin des hommes, Gcwv [kzv lùcnaiakaToi y àvBpomoiw ôï
im^ekiaxoLzoï, Il nous représente leur nombre comme très-grand,
TToAXyj ^£ -h ècciiJ,QV(ùv àyil'f] (3). Plutarque, Apulée tiennent le même
langage. Le premier voit, avec Platon, son guide, dans le démon,
l'être intermédiaire qui lie l'homme à la divinité (4). Le second
développe la même idée: ce Sunt enim (Daemones) inter nos ac
<( Deos, ut loco regionis, ita ingenio intersiti, habentes communera
« cum superis immortalitatem, cum inferis passionem (5). » Por^
phyre (6) écrit comme Platon que les démons portent nos prières aux
dieux, tandis qu'ils rapportent aux hommes les avertissements des
immortels.
Ces démons sont répandus dans l'air où ils voltigent sans cesse,
Eivat TÊ Tiavra tov àspa ^u^^v 'éimltow , zai Tomovq èoLiy.O'vàç ts
xai yjpwaç vcpî^scÔa , enseignait Pythagore (7) , Alcinoiis (8)
disait qu'il y a des démons dans la terre, dans le feu, dans
l'air, dans l'eau, sur le sol. Heraclite professait les mêmes doc-
trines (9). Posidonius (10) pensait de même que toute la terre est
remplie d'esprits immortels , et il assurait que les démons étaient
d'une nature éthérée (il). Selon Plotin (12), ces démons tiennent
le milieu entre les dieux et les hommes, et ont pour cette rai-
son un corps aérien ou igné. «Daemones generi animalia, ingenio
(I) Platon. Conviv. 202-203, éd. Bek. p. 428.
l2> Maxim. Tyr. Dissertât. \l\, p. 266, éd. Reiskc.
(3) /dcr/i. p. 268.
(4) De deo Socrat.
(5j De deo Socrat. p. 235 , éd. Bipont.
(6) De abstinent, lib. II , c. 38.
(7) Diogen. Laerl. VIII , p. 887, éd. Casaub.
(8) De Doctr. Platon, c. 15.
(9) Diogen. Lacrt IX, 7. Origen. Cont. Cels. VII, p. 738.
(10) Cicer. de Divinat. 1. I , c. 15.
(II) Posidonii Reliq. éd. Bake , p. 45.
(12) Ennead. 3 L. 5 , n* 6 , p. 298.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCllOPOMPES. 5^/^
« ratlonabilia, animo passiva, corpore aeria, tempôre œternâ,'T) écri-
vait Apulée (l). On s'imaginait que ces démons se nourrissaient de
vapeurs et de la fumée des sacrifices (2), croyance que, Lucien a per-
siflée en plus d'un endroit. Ils envoyaient aux hommes les songes et
les maladies ; c'est encore Pythagore qui nous le dit : Kat ii-no Totirwv
7r£jH7T£(T0at avGpcoTToiç TO-jç, 7£ ovslpovç v.cfX TOC aTiU-Ucc vérjo-j 72 "Àpà
'jyidoLz (3).
Il n'est pas un seul de ces caractères qui n'appartienne , soit aux
anges, soit aux diables des chrétiens. Les anges sont dés esprits su-
périeurs aux hommes, sans être les égaux de Dieu (4). Us sont les
ministres des volontés du Créateur, servent d'intermédiaire entre lui
et les humains (5). Us ont des corps, mais ces corps ne sont pas de
chair et d'os comme les nôtres (6); ils sont d'une substance élhérée
qui tient le milieu entre la matière et l'essence immatérielle de la Divi-
nité(7).Ils sont en quelque sorte d'une nature matérielle spiritualisée.
« Angeli spiritu materiali constituerunt, » dit Tertullien (8), un
corps d'une nature propre, « habent corpus sui generis(9))). Les
séraphins sont d'une nature ignée (10). Théodote qui écrivait au
II" siècle, dit que les démons sont incorporels, non parce qu'ils
n'ont point de corps , car ils ont une figure par laquelle ils sont sus-
ceptibles de punition , mais seulement par comparaison avec les au-
tres corps, près desquels ils ne sont que comme des ombres. Quant
aux anges, ils ont, ajoute-t-il, des corps puisqu'ils sont visibles (11).
Cette opinion , soutenue par Origène , saint Basile, saint Athanase ,
saint Methodius, se trouve d'ailleurs consignée dans le cinquième acte
du second concile de Nicée (12).
Les anges présentent à Dieu les prières des hommes; ce sont prin-
cipalement les archanges qui sont chargés de ce soin (13). Tertullien
(1) Dedeo Socral. p. nô , Oper.,l. Il, éd. Bipont.
(2) Porphyr. de Ahslin. lib. II, c. 42.
(3) Diog. Laerl. 1. c.
(4; MaUh. XXIV, 26.
(5) Jud. XIII, 16, 20. Tob. XII, 19. Epi$l. ad Hebr. î, U. S. Basil, de $p. s,
e. c. 16 , 38. Origen. Reg, fid. in proem. deprincip. 1. I, c. 6, 7.
(6) Hug. de S. Victor, De Anima, lib. Il , e. 3 , ap. Oper, l. IIIV p. t^-
(7) Alhenag. Légat, p. Christian, c, 22.
(8) Adv. Marc. II, c. 8. \l
(9) De Oirn. Christ, c. 8.
(JO) S. Bernard, Serm. IV, col. 94. Ap. Oper., éd. Mabillon, t. ï.
(t 1) Theodot. Eclog. Fabric. t. V, p. l44.
(12) Voyez la note de Delarue dans le tome III , p. 813 de son édition d'Origéuc.
(13) Tob. XII , 25. Jos. V, 14. Jud. XIII, 19. Apoc. XIX, lO. XXII, 19. Epist.
ad Colon. II, I8. OraL Mcetœ, m laudal. sancl. archang. éd. Possin, p, 15.
I. 3&
598 , _ REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
distingue paêroeuïi ange spécial de la prière (1). Cet ange figure
dans plnsieurs visions , par exemple dans celle du frère Gérard de
Saint-Germain-d'Auxerre, qui le vit sous la figure d'un jeune
homme vêtu de blanc, portant dans ses mains un morceau d'étoffe
d'une grande blancheur, dans laquelle il recevait les prières (^j|
Saint Jean Chrysostôme s'écrie en parlant de ces êtres mystérieux :
Tyjv èedTTOTYiv TrapaxaAoOdiv v-nep tyjç àvQpomtv^nç (j^ixrecxx; (3). « Credi-
(( mus angelos sanctos adstare orantibus, offerre Deo preces et vota
c( homihum , » écrit saint Bernard (4).
Le nombre des anges est infini (5), c'était au moins ce qu'admettait
la majorité des docteurs, en s'appuyant sur les paroles de Daniel ?
<( Mille millia ministrabaht ei et decies millia dena millia adsislebant
« ei (6).-Numerus angeiorum excedit omnem numerum corporalium,»
dit saint Thomas (7). Ces anges sont répandus dans tout lair : Ô Ârip
àyyélcùv s/^xTrsTriyjarrai, dit saint Jean Chrysostôme (8), et le poëte Pru-
dence développe cette idée dans les vers suivants :
. . Cmn portis , domibus y thermis , stdbuUs, iolealù,
■ r ^tô'ftl'jjtdsignare suos genios , perque vmnia membra
Vrbis perque loeos , geyiiorum millia multa q
Fingere ,ne propria vacei angulus ullus ab umhra»
ÎI, Ad. Symmach.
Saint Paul a exprimé la même croyance , quant aux démons. Il
s'imaginait que tous ces esprits de ténèbres voltigeaient. dans l'atmo-
sphère (9) , doctrine qui est aussi celle de saint Alhanase (t 0) ; saint
Prosper veut que l'air dans lequel sont emprisonnés les démons, soit
l'air épais (11). Tout le moyen âge a admis cette bizarre idée : Alcuin
voit les démons errer sans cesse dans les airs, occupés à épier
l'homme pour le tenter : Diabolus mm suis complicibus per istum
vagatar aerem, insidians salati fideUam{i2), Albert le Grand dit que
[i] De Orat.c.U.
(2) Chroniq. de Raoul Glaber, collect. Guîzot, p. 334, liv. V, c. 1.
(3) Hom. 3 de incomp. Dei natur. Ap. Opef.,é(i.Montf. 1. 1, p. 468.
(4) Serm. VIII, tn Canlic. ap. Oper. t. II , col. 1283.
(6) S Dionys. Areop. de Cœlest. hierarch. c. 14, p. 187, éd. Cordierî.
(6) Dan. VII, 10. Cf. S. Cyrill. Calech. Xrdejud. post. c. 24.
(T) S. Thom. Aq. Summ. theol Part. I , quaesî. 50, art. 3.
{8) In Asccns. J. C- Ap. Oper. t. II, p. 4 48, éd. Montfaucon.
(9) lEp. Corinlh. VI. 12.
(10) De incarnat, verb. Dei, c. 2Ô. Ap. Opçr. ét^.Congr. S. Maur, 1. 1, p. 68, et
^tt. *y. ^n(o?i. c. 21, p. 812. -. ,,,:,.,,
(11) Çaliginpsi aeris earcere^devit. -CovUempU lib. III, c. 2,
(^?^ f 9M««- nd. c. 2J&. Ap. Oper. t. iv, p. 405.
DES DIVINITES ET DES GENIES PSYCHOPOMPES.
leur troupe parcourt à tout instant l'atmosphère qui entoure notre
globe (1). De môme que les démons étaient regardés par plusieurs,
conformément à l'ancienne croyance , comme des hommes admis aux
cîeux pour leurs vertus , certains Pères, Origène et Philaslre à leur
tête, ont cru que les anges étaient les âmes des justes. ïertullien
a dit que les âmes des méchants deviennent des démons (2).
La persuasion oii l'on a été pendant tout le cours du moyen âge,
de la présence des démons dans l'air, c'est-à dire dans toute la na-
ture, puisque Tair pénètre pour ainsi dire tous les objets, a donné
naissance à la classification de Psellus (3), en démons aériens, terres-
tres, aquatiques, marins, souterrains, etc., etc.
Par une croyance absolument semblable à celle qui faisait croire
que les (^aî'povsç se nourrissaient d'une matière plus subtile que celle
qui constitue les aliments de l'homme, telle par exemple que la fumée,
Saint-Justin (4), Saint-Clément d'Alexandrie (5), Minucius Félix (6)
et d'autres Pères de l'Église ont admis que les anges vivaient, dans
le ciel, d'une nourriture particulière appropriée à leur constitution
éthérée. On admettait une nourriture analogue pour les diables (7).
Les (^atf/ovsç forment , chez les Grecs, le cortège habituel de la
divinité. Proclus assure que les dieux étaient toujours accompagnés
d'une grande suite de démons (8). C'est aussi environné des célestes
légions, qu'apparaît le Tout-Puissant; c'est ainsi que nous l'of-
frent sans cesse les monuments figurés. Les inscriptions chré-
tiennes parlent fréquemment du roi de l'univers qu'escortent les lé-
gions invisibles des anges (9). C'est dans ce cortège que certains
esprits s'attendent encore à voir Dieu paraître à la fin du monde.
Les anges sont de véritables àaâiiQvzq Tïohovpy^ot. Les démons pro-
tègent les villes, les peuples, les individus. Chaque cité, chaque lieu
a son génie auquel font allusion tant d'inscriptions (10). Rome recon-
(1) Summ, theolog. part. 2 , quaist. 7. ^p. Oper, t. XVIII, p. 75.
(2) Cf. Note de Delarue, t. IV, p. 202, de son édilioa d'Origène, et Huet, Orige'
nianor.y lib. II, p. 166. ap. eamd. édition.
(3) De Opérât. Dminon^ c. 10.
{4j Dialog. cumTryphon. p. 170, éd. Jebb,
(5) S Clem. Alexand. Paedagog. lib. î,Ap. Opéra, éd. Potter, 1. 1, p. 122-123.
(6) Oclavius, c. 27.
(7) Pselli de Opérât. Dœmon, c. 151.
(8) Cf. Gale in Jamblich. de Myster, I. V, c. 10.
(9) Voyez, par exemple, une inscription et une mosaïque du monastère de Glié-
lalhi , rapportées par M. Dubois de Monlpéreux, dans son savant f^oyageau Cau-
case, t. II, p. 186. Allas, Part. Archéol. PI. XXI, fig. 1.
(10) Cf. Orelli, Inscr. latin, sélect, passim.
600 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
naissait un génie tutélaire, comme Israël avait son ange. Daniel
nous parle de l'ange des Perses et de celui des Grecs. L'Apoca-
lypse attribue un ange protecteur à chaque église. Eo-Ty^crsv 6 Bsb^'^
ccyyéXo'Jç xarà roc yJ^xoL-za. tv^ç oiy.oviiévnç eva eyotarov i-KLzpoTiéveiv ,
dit saint Jean Chysostôme (l). Saint Denis l'Aréopagite nous tient
le même langage (2) ; ce Non solum episcopos ad tuendum gregem
(( Dominus ordinavit, sed eliam aiigelos destinavit », écrJtsaint Am-
broise (3). Et c'est cette idée qui fit parfois imposer aux évoques le
surnom à'Ecclesiœ angeli (4). Enfin saint Thomas d'Aquin saacr
lionne cette doctrine de tout le poids de son autcfité théologique :
c( Angeli custodiunt particulares homines, dit-il, archangeli pro-
(( vincias, principatus, totam naturam humanam, virtutes, corpora,
(( potestates supra daemones, sed dominationes supra bonos spiritus
(( habent custodiam (5). »
Origène (6) assimile si bien les anges à des gouverneurs de pro-
vince, qu'il va jusqu'à avancer que dans le ciel ils tirent au sort
pour savoir de quelle nation , de quelle province et de quelle per-
sonne ils seront les gardiens. On sait que cette assimilation fut au
moyen âge et dans les temps modernes poussée plus loin encore, et
que Carlo Fabri ne craignit pas dédire que les sept électeurs de l'em-
pire germanique avaient pour protecteurs les sept archanges Michel,
Gabriel , Raphaël , Scealtel , Uriel , et Ferediel (7).
Les démons du paganisme se divisaient en bons et méchants; cette
même division fut adoptée pour les anges. Les bons démons s'attachent
aux hommes vertueux qu'ils guident de leurs conseils, éclairent de leurs
lumières (8); les méchants sont ennemis de l'homme (9). Heureux
ceux qui écoutent les avis salutaires des bons démons , ils atteignent
le bonheur suprême (10) et causent la joie de leurs célestes guides.
La même félicité est réservée à celui qui se remet aux mains de son
(i) Ap. Photii Biblioth. éd. Bekker, p. 1544. P. 517, col. 2.
(2) De Cœlesl. hierarch. éd. Cordicri, t. II, p. 136.
(3) S. Ambros. Oper., édit. Congr. S. Maur., t. I, col. 976.
(4) Augusli, Dcnkwûrdigkeil. etc. t. X , p. 124.
(5) S. Thom. Aq. Summ. theol. 19, 113, 3, c.
'(6j Orig. in gêner. Hom. IX, p. 86; t. II, éd. Delarue, p. 157. Ibid. In ExGd.
et Hom, XXIII. In librum Jesu narc, p. 451. Ibid. U II , éd. Delarue.
(7) Cf. Barbeyrac, Delà nature du sort, p. 102; et Oaffarel, Curios. inouïes,
C. 10, p. 440.
(8) Chalcidir in Tim, Platon. Corn. p. 226. S. Clem. Alçx. Stmna^Aibimi,
c.2,p. 382. "' ', '". ;^ ■
(9) Porphyr. de Absiin. Hb. II, c. 40.
(10) Cf. Fabriciusm./^c(. s. /o/ia?iw. c. 17.
DES DIVINITES ET DES GENIES PSYCHOPOMPES. 601
ange; méprise-t-il$u Contraire ses conseils , l'ange en gémit,
pleure sur ses péchés et le fuit comme les abeilles fuient la fumée et
les colombes la puanteur (1).
Les méchants démons , nous dit Xénocrate, sont terribles et puis-
sants; ils sont ennemis de l'homme; ils sont chargés de punir les
impies et les coupables (2). liyMpol dciiy.oveç olg ol Beol àr,ijloiq
yj^wjxoLi •Aoly.azodç, iizi Tohq 'œjoaio-jq v.ai à^Jiy.our^ àvOpMirovÇf dit Chry-
sippe, dans Plularque (3), qui les appelle ailleurs uTTcpr.cpavwv, xa«
lJ.eyxlavjziiJ.(ùpGvç, Dans ces génies, occupés à punir l'orgueil et 1q
crime des habitants de la terre, on reconnaît la copie ou le modèle
des diables chrétiens; des anges exterminateurs des Hébreux. Tout
le portrait que l'on trace de ces méchants démons répond trait pour
trait à celui des diables. Us sont faux et menteurs , inspirent aux
hommes des opinions mensongères et coupables, les poussent aux
plaisirs des sens, cherchent à s'attirer les adorations de l'homme et à
usurper un culte qui n'appartient qu'aux dieux (4).
(1) s. Basil, in Psalm, XXIII, p. 220 Ap. Opéra, t. I , p. 220.
(2) Cf. Origon. Comment, in Math. X. Ap. Opéra, éd. Delarue, t. III, p. 4.^6.
(3) De Oracul. defect. p. 417.
(4) Porphyr. de Abstin. lib. II, c. 39 , 40. Jamblich. de Myster. I , c. 9.
(La suite au numéro prochain.)
NOUVELLES OBSERVATIONS
SUR
l'AGE DU PORCHE DE NOTRE-DAME-DES-DOMS.
DEUXIÈME ARTICLE.
En revenant sur une question aussi intéressante, notre intention
n*est pas pius de provoquer une discussion qui pourrait néanmoins
profiter à l'art, que de constater l'erreur dans laquelle seraient tombés
les savants les plus recommandabies. Loin de nous une pareille pré-
tention ! Notre plume, humble et faible, n'entendra jamais battre en
brèche les œuvres ou les opinions des princes de la science. C'est déjà
trop pour elle d'avoir mis l'historien de nos monuments nationaux à
même de combattre une ancienne opinion, et d'avouer que ce ne sera
pas la dernière fois que l'expérience l'obligera de rectifier ses pre-
miers jugements. On ne saurait demander plus à la franchise et au
talent.
Des inductions archéologiques autant qu'historiques m'ont amené
à penser que quelques parties de monuments du département de Vau-
cluse, et entre autres le porche de la métropole d'Avignon, datent de
la fin du IX* et du commencement du X^ siècle. Dans le dernier nu-
méro de la Reme, M. Mérimée cherche à combattre cette opinion en
donnant une description du porche de Saint-Restitut qu'il fait dater
du XP au XI P siècle. Or, une objection se présentait tout naturelle-
ment : Pourquoi le porche de Saint-Restitut ne serait-il pas une copie
de celui d'Avignon , copie exécutée d'après un type célèbre depuis
longtemps dans le pays? Cette objection, la sagacité de M. Mérimée
n'a pas manqué de la lui faire prévoir; mais je crains qu'il n'ait été
moins heureux en disant que cette supposition manquait de vraisem-
blance.
Une chose qui contribue beaucoup à jeter dans l'embarras les ar-
chéologues du nord , relativement aux monuments du midi , "c'est de
vouloir embrasser toutes nos antiquités nationales dans un seul et
même cadre, de les juger avec le même critérium, si je puis m'expri-
mer ainsi. Pourquoi faire pour l'archéologie ce qu'on ne ferait pas
pour l'histoire, pour la politique, pour la législation? Il y a autant de
différence entre le midi et le nord de la France qu'entre les Romains
et les Celtes, entre les Burgondes, les Ostrogoths et les Franks, entre
la civilisation et la barbarie. Le nord fut vaincu et absorbé, le midi
PORCHE DE NOTRE-DAME-DES-DOMS. tt|
conquit et absorba ses vainqueurs. Là, tout disparut dans la con-
quête. Il se fit une longue nuit de ténèbres et de barbarie que dissipa
à peine, au bout de six cents ans, le soleil de la renaisslance. Dans le
midi, au contraire, les Barbares, ceux du moins qui s'y fixèrent,
s'amollirent au contact de la civilisation. L'histoire est là pour nous
prouver que tous leurs efforts tendirent à s'assimiler aux vaincus.
Cédèrent-ils aux attraits d'un beau ciel ou d'une société plus rafBnéet
Ce qui est positif, c'est qu'ils respectèrent tout : croyances, mœurs,
administrations, préjugés, législation, beaux-arts. C'est des forêts du
nord que fondaient ces bandes affamées qui venaient porter dans le
midi la désolation et l'effroi. Les Franks de Clovis et de Charles
Martel lui firent infiniment plus de mal que les Sarrasins et que les
Northmans. Aussi, autant par haine de ces sauvages ennemis, autant
par antagonisme de races que par une conséquence des rapports inces-
sants et fraternels entre les peuples du midi de la France et les peu-
ples d'Italie et d'Espagne, il s'établit entre ceux-ci une solidarité de
principes qui ne tarda pas à réagir dans le domaine de l'art. Fidèles à
la tradition romaine dans le cercle administratif et gouvernemental,
ils ne répudièrent point l'art païen , alors mfême que l'esprit religieux
vint rompre avec les souvenirs de l'antiquité; et quand plus tard le
génie du catholicisme trouve un nouveau système d'architecture, ca-
pricieux et hardi symbole de sa foi ; quand , danâ le nord, l'imagina-
tion, plus rêveuse et plus fantastique, court après les mille caprices de
l'ornementation, les combine et les transforme à l'infini , les artistes
méridionaux, stationnaires pour ainsi dire, semblent abandonner à
regret les vieilles traditions du passé et rompre avec peine a^eç les
souvenirs de l'art païen. : ."
Il ne faudrait rien préjuger de la présence de l'ogive dans nos mo-
numents du XP et même du X^ siècle. Elle s'y rencontre dans une
position tout à fait secondaire, comme moyen de solidité quand les
arcs doivent avoir une grande portée, mais jamais comme ornementa-
tion. Dans le nord, l'ogive est le symbole d'une ère nouvelle, d'une
époque de régénération politique et artistique. Elle marche, elle pro-
gresse avec la sécularisation de l'art, elle coïncide avec ce qu'on appelle
l'affranchissement des communes. La pensée ayant germé sous tous
les fronts, ayant éclos dans toutes les intelligences, il devait se faire
un traité de paix et d'union entre les architectes prêtres et les arcbi-
tectes laïques. Le plein cintre et l'ogive se donnèrent la main sans que
l'un dominât Fautre, jusqu'à ce que, par suite de l'émancipation poli-
tique , l'ogive triomphât définitivement de son antique rival. Le
604 ;|r,,^J|5VUE ARCHEOLOGIQUE. , ,
XIIP siècle fut la brillante apogée du système ogival, Il n'en fut pas
ainsi dans le midi. Ici, comme nous venons de le dire, et comme nous
le prouvons IpngAiement dans notre Statistique générale du départe-
ment de Vaucluse, la conquête n'éteignit aucun des vieux souvenirs ro-
ma,ins. La législation et les arts du grand peuple avaient laissé dans
le sol et dans les mœurs de profondes et de vivaces racines. La Curie
n'avait jamais disparu : elle avait été continuée par la Commune.
Nos comtes et nos vicomtes se disaient les proconsuls de la Curie. Le
midi put donc accueillir l'ogive de bonne heure comme la personnifi-
cation,de la nouvelle puissance laïque, comme le développement d'une
forme employée par les constructeurs rivaux des prêtres et des moines.
Il put lui donner tout d'abord l'hospitalité, c'est-à-dire une pince se-
condaire ; mais bientôt- la vieille rancune contre le nord se réveilla.
Par haine de tout ce qui venait de ce pays , haine qui nous est bien
et dûment attestée par les chroniqueurs, peut-être aussi un peu par
l'influence de l'ancienne civilisation païenne, ou par un simple motif
d'esthétique et de goût, le midi resta fidèle au système de la ligne ho-
rizontale, et ne permit pas au système curviligne de chercher, comme
dans le nord, son p)us complet développement. C'est ce qui nous ex-
plique la présence craintive de l'ogive durant la période romano-by-
zantine, sa disparition au XIIP siècle, époque de la grande lutte
albigeoise, de cette guerre atroce du nord contre le midi , et sa réap-
parition, au siècle suivant, à la suite d'un pouvoir qui, sur nos bords
du Rhône, fut à la fois temporel et spirituel. Et pourtant, même
alors, l'ogive n'osa pas s'élever triomphalement, comme elle avait fait
dans le nord! Sous le ciel du midi, les souvenirs antiques empêchè-
rent toujours la ligne perpendiculaire de prendre un noble essor
vers les cieux. • n
De tout ce qm précède, il résulte pour moi que le midi ne pouvait
avoir son époque de renaissance du XP au XII'' siècle, époque à la-
quelle il l^iut, sufvant M. Mérimée, rapporter les imitations évidentes
de l'antique. L'art n'avait pas besoin d'y renaître, puisque l'art n'y
avait jamais péri totalement, puisque les peuples conquérants avaient
tout respecté, et que les seuls et véritables Barbares furent les hordes
de la grande invasion et les Franks du VP au VHP siècle. La Pro-
vence et l'Italie ne formèrent pendant longtemps qu'un seul et même
pays. Les mœurs et les arts de l'une furent les mœurs et les arts de
l'autre. On sait que le style antique romain se maintint fort tard en
Italie jusqu'à la (in dû X* siècle. Or, quand l'évêqueFulchérius, au-
quel des chartes donnent le titre de Grand, à cause de sa vertu, de
PORCHE DE NOTRE-DAME-DES-DOMS. 605
sa piété et de ses libéralités envers les églises de son diocèse(l), quand
le conseiller et le favori de Louis l'Aveugle entreprit, au commence-
ment du X'' siècle, de faire bâtir une église dans Avignon , et de ré-
parer celles qui étaient ruinées et abandonnées parleurs moines, quel
type devait-il et pouvait-il imiter? Le type romain seul était là devant
ses yeux; les débris des temples païens existaient sans doute encore
à cette époque dans la contrée. Pourquoi l'église ne se serait-elle pas
modelée sur le temple, sauf les modifications convenables? Le porche
est-il autre chose que la partie qui précédait l'entrée delace//a, le
Tcpovor.oç, le Tzpoâoaoq, Yanlicum des Latins? Les pilastres des autres
ont changé de place avec les colonnes; on a fermé les entre-colonne-
ments latéraux. Voilà tout. — Si le porche de Saint-Restitut est du
XP au XIP siècle, c'est une copie du porche de Notre-Dame -des-
Doms, copié lui-même sur le type primordial des temples antiques. Il
est à remarquer que les façades de nos plus anciennes églises, comme
celles de Vaison , de Cavailloy, d'Orange et d'Apt , ont toutes été re-
faites dans les temps modernes. Conservées , quelques-unes d'entre
elles nous eussent évidemment présenté des porches à peu près sem-
blables à celui d'Avignon, ainsi qu'on peut en juger par le porche la-
téral de l'église de Thor. Celui de Notre Dame-des-Doms devait les
précéder, parce que c'était à la métropole à donner l'exemple, et que
son évoque disposait de grandes richesses dues à sa position et à sa
considération personnelle. Le luxe qu'il déploya dut moins ressortir
des fantaisies de l'ornementation et des détails de sculpture, peu usités
à cette époque, que de cette sévère ordonnance antique, relevée par de
riches moulures dorées, et par ces peintures dont les débris seulement
ont suffi à d'éminents artistes pour croire à la collaboration des pein-
tres byzantins (2). Jules Courtet.
(1) Le P. Nouguier, dans son Hist, de l'Eglise et des évêques d'Avignon,
donne deux Fulchérius , évêques , c'est à la date de 835 et l'autre à la date de 911 ;
le premier, grand favori de l'empereur Louis le Débonnaire, et l'autre de Louis
l'Aveugle, dont il reçut de grandes faveurs. Or ces deux évêques ne sont qu'une
seule et même personne. Par une erreur commune de son temps et bien prouvée
aujourd'hui , le P- Nouguier attribuait à Louis le Débonnaire une charte qui est de
Louis Bozon , et dont l'original est aux Archives de la préfecture, cart. Avenion.
vol. III, n'7.
(2) Il n'est question ici que des peintures du porche , débris admirables d'un faire
large et moelleux, et non des maigres silbouettes de l'entrée de l'église , lesquelles
accusent les tâtonnements des artistes du XIV« siècle. — (quelques erreurs typo-
graphiques se sont glissées dans notre premier article; nous relèverons sculemenl les
principales. Ainsi, à la ligne 9 de la note, lisez : echinus ; à la ligne il : arc pour
ove; à la ligne 16 : le pour la. Page 474, ligne 4, après le mot démolUiun, ajoutez
du clocher; ligne 12, lisez : les tambours. . . . engagés; lignes 17 et 18, lisez:
les fous contemporains; page 475, ligne 2, lisez: rentrent. Dans l'arlicU de
M. Mérimée, p. â-O^Î, ligne 8 , lisez: X« au lieu de XII».
f.Qb
EXPLICATION
DU VITRAIL DE SAINT-DENIS,
REBRËSENTANÏ L'ÂBB&iiuGEt),
Depuis que les représentations figurées du moyen âge , étudiées
avec plus de soin qu^'elles n'avaient été jusqu'alors, ont donné nais-
sance à une branche nouvelle de l'archéologie, l'iconographie chré-
tienne, les vitraux de nos églises, si riches en sujets symboliques et
historiques de toute sorte , ont dû fixer l'attention plus particulière
des antiquaires. Au nombre des plus magnifiques verrières que nos
temples aient possédées, se placent incontestablement celles de l'ab-*
baye de Saint-Denis. Ces immenses vitrages, si multipliés que quel-
ques-uns avaient pu dire avec raison qu'il y avait à Saint-Denis plus
de vitres que de bâtiments, ne laissaient pénétrer dans l'intérieur
qu'un jour sombre et mystérieux, qui ajoutait encore au caractère
imposant de l'édifice (1). Ces vitres (écrit Dom Doublet, l'historien
de l'abbaye), sont les plus riches, les plus magnifiques et les plus ex^
quises qui soient en Europe, tant pour la matière que pour les vives
couleurs dont elles sont composées. Cette profusion de vitraux avait
fait donner à cette basilique le surnom de Lucerna , Lanterne (2).
C'était à la magnificence et au goût éclairé pour les arts de l'immortel
Suger, qu'on était redevable de ces admirables verrières. Du petit
nombre d'ornements qui étaient restés de la reconstruction du mi-
nistre de Louis yil, et qu'avait laissés en leur place l'abbé Eudes de
Clément dans ses immenses travaux, ces chefs-d'œuvre de la pein*
ture sur verre ne trouvèrent point grâce devant la fureur dévasta-
trice de à3. Pliisieurs néanmoins furent arrachés au vandalisme ré-
volutionnaire par le zèle et le dévouement d'Alexandre Lenoir.
Quoique les annales de l'abbaye de Saint- Denis ne nous aient con-
servé que bien peu de renseignements sur les vitraux en question,
plusieurs témoignages formels cependant établissent que Suger avait
(1) L'abbé Lebeuf, JJist. du diotèse de Paris, t. III, p. 183.
(2) D. Doublet, antiquités et Histoire de l'Abbaye de Saint-Denis , p. 28G,
EXPLICATION DU VITRAIL DE SAINT-DENIS. Cdt
apporté un soin tout particulier à la décoration des fenêtres de Tédi-
fice (l). Unde quia magni constant mirifico opère, dit le livre de l'ad-
ministration de Suger, attribué à cet abbé lui-même , mais qui paraît
avoir été plutôt de Guillaume , religieux de Saint-Denis (2) , auteur
de sa vie. Sumptuque profecto vitrl vestiti et saphiroram materia tuitioni
et refectioni earum ministerialem magistnim sicut etiam ornamentis au-
reis et argenleis perilum auri fabriim constituimus ; et ailleurs on
ajoute : Qui enim inter alia majora etiam admirandamm vitrearum
operarios et materiem saphirorum locupletem adminislrabit.
Nous apprenons par le même livre que ces peintures formaient une
suite nombreuse et variée, commençant par Y Arbre de Jessé qui se
trouvait au chevet de l'église et finissant au vitrail placé sur la porte
principale. Suger avait chargé de leur exécution les maîtres les plus
habiles, dont plusieurs avaient même été appelés, dans ce dessein, des
pays étrangers.
Nous sommes heureux que dans le petit nombre des verrières que
nous possédons encore, se trouve précisén^ent un sujet qui établit
d'une manière incontestable l'époque de leur exécution; il nous four-
nit de plus la preuve de Tattention toute particulière dont les pein-
tures avaient été l'objet pour Suger, ainsi que le <lémontrent nos
textes que nous venons de citer. Sur l'un des panneaux du double vi-
trail, seul reste de tant de chefs-d'œuvre , on remarque la figure de
Suger lui-même. Cette particularité d'un puissant intérêt fiistorique
nous a déterminés à donner aux lecteurs de la Revue la reproduction
de ce panneau; la planche XVIII pourra servir en même temps de
spécimen de la fenêtre, qui, selon l'expression dont se sert M. Ferdi-
nand de Lasteyrie dans son excellent ouvrage (3), réunit tous les ca-
ractères de l'ornementation le plus en usage à cette époque, et peut être
considérée comme un résumé de la peinture sur verre auXlI« siècle.
Notre panneau représente Y Annonciation. Aux pieds de la Vierge^
on voit Suger dans son costume d'abbé, la crosse entre les bras. L'in-
scription Sugerias abas (sic) ne nous permet pas de douter de l'iden-
tité de ce personnage avec le ministre de Louis VIL Son visage est fort
laid et ne répond, en aucune façon, à l'idée qu'on se serait faite de celui
d'un homme d'un si noble caractère et d'une si haute intelligence. Il
implore la protection de l'auguste mère du Sauveur, patronne de toute
(1) Cf. Félibien, Hist. de l'Abbaye de Saint-Denis , liv. II, p, 57. Monlfaucon,
Anliq. expliq. t. I , p 177, pi. XXIV.
(2) D. Doublet, o. c. p. 285.
(3) Histoire de la Peinture $ur/cerre»
60$ REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
église, OU plutôt il lui rend grâce pour la protection qu'elle a ac-
cordée à l'édification de la basilique. Rien n'est au reste plus ordi-
naire que la présence sur un vitrage du personnage qui l'avait
consacré, et le peuple, au moyen ûge, ne nourrissait pas ces sus-
ceptibilités religieuses qui forçaient Phidias à s'exiler, pour avoir
sculpté sa figure parmi les guerriers du bouclier de la Minerve dû
Parthénon.
L'ange Gabriel, portant une sorte de sceptre de la main gauche,
bénit de la main droite Marie et lui adresse les mots Açe Maria, qu'on
lit au haut du champ du vitrail. Ses ailes sont couleur de feu, comme
celles que l'on donne aux séraphins et aux membres élevés de la hié-
rarchie céleste. Sa tunique verte est recouverte d'un palliumblanc(l).
La tête de l'archange est environnée d'une auréole de feu comme
les ailes. La Vierge, le front ceint d'une semblable auréole, se lève
de son grand fauteuil devant le messager divin , témoignant d'une
sorte d'embarras mêlé de timidité, comme l'indique surtout le
geste de sa main droite. Elle s'apprête à recevoir l'Esprit saint qui
s'échappe d'une sphère lumineuse, image du ciel, et se dirige vers
son oreille , d'après une croyance dont nous avons déjà parlé à propos
d'une autre peinture de \ Annonciation. ]
Ce panneau , comme tous ceux qui composent la fenêtre, est placé
dans un médaillon rouge, à lisérés perlés, se détachant au milieu
d'un réticulaire formé par des baguettes rouges à intersections
blanches sur un fond du bleu le plus vif. Il se trouve le premier à
gauche , en partant des trois magnifiques rosaces qui occupent le
sommet de la fenêtre, et fait pendant à un autre médaillon représen-
tant \ Adoration des Mages. Aux quatre coins de ces deux médaillons
s'en trouvent d'autres plus petits, offrant en bustes des figures d'anges
à tunique rouge et à ailes vertes. Tel est le panneau, qu'on peut ap-
peler consécratif. Il a été replacé, avec le vitrail auquel il appar-
tient, à la fenêtre qu'il décorait jadis. Il figure à côté des vitraux
modernes dus à la manufacture de Ghoisy-lé-Roi, et il forme au-
jourd'hui l'un des plus riches ornements de la royale basilique.
Grâce aux soins intelligents de l'habile et savant architecte, qui, de-
puis plus de trente ans, s'est consacré à la restauration de ce magni-
fique monument, l'église de Saint-Denis ne laissera plus bientôf re-
connaître la moindre trace des profimations du sans-culoîliî^me.
,)h^>iy,iiHKi'.^ . .'■ ■'. ■ .-■ ;',; .i'.'-.i . a .. ;..■/! .'!::) [-^
(li Cf. sur !<• cosiumo donné aux archange*, r>a;br, Symboiik dcs.M(r^ttï*sheu
CuUus, t. I , p. 339 (Heidelb., I8:}7;.
EXPLICATION DU VITRAIL DE SAINT-DENIS. 609
Préoccupé avant tout du désir de reproduire l'esprit et les détails de
l'ancienne construction, M. Debret a appelé à son secours aussi bien
l'étude attentive de chaque partie de l'édifice que l'examen minutieux
des archives. Dans cette tâche pénible, qu'il a poursuivie avec au-
tant de zèle que de conscience, il n'a rien négligé pour que sa res
tauration fût empreinte du goût de l'époque qui avait vu naître
l'abbaye. Quelques archéologues, mus peut-être davantage par les
idées systématiques qu'ils s'étaient formées sur l'architecture du
moyen âge, que conduits, par un sentiment réel des règles de l'art et
des nécessités qu'entraînaient les parties subsistantes de l'ancienne
construction , ont critiqué avec amertume plusieurs détails de la res-
tauration. S'il est vrai , ce qu'il nous est difficile de croire , que
M. Debret ait manqué à certaines observances des maîtres construc-
teurs du XIP siècle, il a su du moins, tout en conservant le plan
général primitif, ne pas compromettre l'élégance et le bon goût, et
reproduire, dans son ensemble, un monument sur lequel nul ne peut
avoir d'opinion plus assurée que lui.
A. M.
à
NOTE
SUR
UNE GRAVURE EIV BOIS
RÉPRÉSENTANT
LA VIERGE ET L'ENFANTî
jé- Jliîi AVEC LA DATE 1418.
'*Xa gravure avec la date la plus ancienne qu'on connaisse , repré-
sente saint Christophe portant l'enfant Jésus sur ses épaules (1). Elle
est marquée du millésime 1423.
On ne signale que trois épreuves de cette pièce : celle du Cabinet
des estampes de la Bibliothèque royale, à Paris, que M. Léon de la
Borde regarde comme une copie , l'épreuve coloriée de la biblio-
thèque de lord Spencer; une troisième restée en Allemagne, celle
probablement que C.-H. de Heinecken, auteur classique en fait d'arts
du dessin, découvrit dans la Chartreuse de Buxheim, près de Mem-
mingen (2).
De Murr en a donné un fac-similé qu'on retrouve dans V Essai sur
ï origine de la gravure, de Jansen, t. I, pi. IV, p. 106; d'autres fac-
simile sont dans la Bibliotheca spenceriana, de Dibdin, t. I, p. 115,
et dans \e Mémoire de M. L. de la Borde sur V Origine de Vimprimerie
à Mayence, Paris, 1840, in-4°. Une copie réduite en contre-partie a
été insérée dans le Magasin pittoresque , 2^ année, 1834, p. 404;
consulter aussi d'Agincourt, Histoire de Vart, pi. CLXIX, n'' 8,
(1) Sur saint Christophe, voir Molanus, De HistoriaSS. imaginum, lib. III,
c. "27 ; Revue anglo-française, 1 , 356, M. Alfred Maury, Essai sur les légendes
pieuses du moyen âge, p. 52 ; L -J. Guenebault, Dictionnaire iconogr. des Mo-
numents, p. 276-77; et surtout Die Atlrihulen der Heiligen. Hanovcren. 1843,
ouvrage dont MM. Moreliet et Thomas, professeurs au collège de Colmar, nous pro-
meUeritune traduction corrigée et complétée. M. Ch. Heideloff de Nuremberg, dans
son recueil intitulé: Les Ornements du Moyen Age , w" partie, 1844 , p. 31,
pi. IV, fig. d, décrit le collier de la confrérie de saint Christophe, fondée en
14^0, par le comte Guillaume de Henneberg, et à laquelle M. Bechslein se propose
de consacrer quelques pages de son grand ouvrage sur les monuments de la Fran-
conieetde la Thuringe.
(2) Idée générale d'une Collection complète d'estampes ; Leipzig filTi, in-8,
p. 250.
NOTE SUR UNE gravure; EN BOIS. 611
section Peinture; et le Voyage deDibdin en France, t. III, p. 103
et suivantes, etc. ^ '„^^^, ,^
Cette planche in-folio est du genre de celles des dominotiers, qui
procédaient des cartiers, comme les graveurs sur cuivre procédèrent
plus tard des orfèvres. Ces dominotiers s'appliquaient en italien le
mot qui sert à exprimer les opérations typographiques, à une époque
ou l'imprimerie était encore ignorée. Une requête des cartiers de
Venise, présentée au sénat de la république, le 11 octobre 1441^
contient ces mots : Carte e figure stampide che sifanno in Venezid;
manière de parler usitée également dans les Pays-Bas , et qui suffit
pour faire tomber les arguments de Des Roches et de son auxiliaire
F.-J.-J.Mols(l).
De pareilles images sur bois et enluminées étaient fort communes
au XV'' siècle. On raconte que l'une de celles que les moines dis-
tribuaient dans les processions, décida la vocation de Quentin
Metseys.
Mais si elles abondaient alors, elles disparaissaient avec facilité.
Rien ne les protégeait contre la destruction, ni leur mérite, ni leur
prix, ni leur forme. De là vient que des objets sans valeur à cette
époque sont devenus pour nous des raretés du premier ordre.
C'était donc à 1423 que s'étaient arrêtées les investigations les
plus favorisées. Là , les annales de la gravure avaient fixé leur pre-
mier jalon , l^ur point de départ.
Un hasard propice est venu faire reculer cette limite de cinq
années :
Il y a quelques semaines, on allait briser à Malines un vîeuî^.coffre
dont on avait extrait des archives moisies. Dans l'intérieur du cou-
vercle était collée une estampe à peine visible. Par bonheur il se trou-
vait là un curieux (2) qui en détacha les fragments, les réunit ensuite
avec adresse et comprit, à l'inspection de la date de 1418, qui y est
clairement exprimée , que cette feuille pouvait intéresser l'histoire
de l'art.
On détacha à peu près ainsi, à Bruges, au mois d'août 1841 ,
quelques autres gravures sur bois collées dans des sépultures en ma-
çonnerie de l'église cathédrale de Saint-Sauveur (3), mais ces der-
nières étaient beaucoup plus modernes.
(1) Celui-ci a cependant soin d'aller au-devant de notre objection. Voyez son
Mémoire dans le Bulletin du Bibliopli. belge, 1,78.,
(2) M. J. B. De Noter, peintre et archllecte.
(3) O. Delepierre , Wolice sur les Tombes découvertes en août 1841 , etc., in-8
d« 8 pages avec un fac-sirail« in-plano.
612 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
' Attentif à ne pas laisser sortir de notre pays les choses précieuses
qui s'y découvrent, nous sommes parvenu à acquérir ce trésor, au
prix de 500 francs, véritable bagatelle pour un morceau de cette im-
portance, unique et inédit.
En voici la description , en attendant que nous en puissions pu-'
blier une copie exacte.
L'estampe, qui ajuste 40 centimètres de hauteur sur âô centi-
mètres et demi de largeur, et qui a contracté par le temps une teinte
jaunâtre, a été déchirée en plusieurs endroits ; elle offre des piqûres de
vers, et le bas a même été enlevé, mais avec du papier de la même
époque et pris dans le même coffre, on l'a habilement raccomm.odée,
en laissant cependant aux amateurs la faculté de la bien examiner
des deux côtés.
La marque du papier , dont les pontuseaux suivent la direction
horizontale, est une ancre posée en face vers la partie supérieure.
Or, cette marque ne se voit point parmi celles qu'a rassemblées
Jansen.
L'image a été coloriée suivant l'ancien usage ; toutefois il n'y a
guère que le rouge et un peu de vert et de bistre qui aient résisté.
Dans le haut, trois anges tendent des deux mains des couronnes
de fleurs. Deux colombes voltigent au-dessous d'eux. Au centre d'un
cercle palissade, semblable à celui du jardin de la Pucelle de Hol-
lande, est assise entre deux arbres la Vierge avec l'enfant Jésus.
Celui-ci se tourne à droite vers sainte Catherine, qui a pour attri-
buts un glaive et une roue. Sur l'extrémité de la palissade voisine de
l'épaule droite de la sainte est perché un oiseau, une colombe en-
core, peut-être. A gauche est sainte Barbe, tenant une tour; sur le
premier plan , à droite , sainte Dorothée , avec un bouquet de fleurs
et un panier de fruits; au milieu le serpent ou dragon, dont la Vierge
doit écraser la tête ; à gauche, sainte Marguerite , qui tient une croix
et un livre. La palissade est fermée par une barrière , et, en dehors,
vers la gauche, on aperçoit un lapin en entier, tandis que dans l'es-
tampe de saint Christophe, le lapin est presque entièrement caché
dans son terrier.
Si l'image que nous décrivons est plus ancienne qUe'îè saint
Christophe, elle est aussi infiniment supérieure pour l'exécution. En
effet, l'ordonnance en est ingénieuse, les attitudes sont simples et
naturelles, les draperies indiquées dans le style des miniatures de
l'époque, à plis larges et empesés, et le dessin ne manque pas d'une
certaine correction.
NOTE SUR UNE GRAVURE SUR BOIS. 613
La gravure n'est qu'un simple contour d'une profondeur remar-
quable, et qui se fait sentir en repoussoir par derrière. L'impression
paraît exécutée, d'après la pratique ordinaire, avec une espèce de
détrempe pâle ou plutôt grise. Le papier doit avoir été appliqué sur
la planche et frotté fortement au revers, ce qui explique la vivacité
de l'empreinte.
Toutes les têtes sont nimbées , mais le nimbe de l'enfant Jésus
est seul crucifère , cette sorte d'ornement étant réservé à la divinité.
La Vierge porte une couronne impériale; sainte Catherine, une
couronne de reine; sainte Dorothée, une couronne de fleurs, ce Vir-
« ginum imaginibus, ditMolanus, IV, 31 , coronam ex floribus con-
« sertam imponimus, quia et virginitatis est florem carpere et ex
(( eo favum et mel componere , de quo dicitur : Favus distillans labia
« tua , sponsa ; mel et lac sub lingua tua. Cyprianus etiam virginita-
« tem ipsam florem appeflat in tract atu ad Demetrianum. »
Les cheveux de la Vierge sont relevés, ceux des quatre saintes
flottent sur leurs épaules; quatre légendes , dans des phylactères,
ofl"rent les noms de celles-ci en caractères gothiques : Sca Katerina ,
Sca Barharay Sca Theorettisa (?), Sca Margarita. Chacune des figures
est assise.
Sur la première traverse de la barrière est l'inscription capitale, le
millésime de MCCCCXVIII, et il y est d'une manière nette, précise,
incontestable.
Voilà donc Bruxelles en possession d'un monument qui n'existe
nulle part ailleurs, et qui, selon toute apparence , est un monument
national, l'œuvre de nos anciens jpnmer5. L'école flamande de pein-
ture s'y montre en effet avec son caractère natif et individuel. Raison
de plus pt)ur nous applaudir de cette conquête.
Le baron de Reiffenberg, Corresp, de l Institut :
40
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
— Une ordonnance royale vient d'ouvrir un crédit de 50,000 fr.
afin d'acquitter les dépenses faites et à faire sur le sol de l'ancienne
Ninive en Mésopotamie , pour y recueillir lès débris les plus pré-
cieux des monuments qui y sont enfouis. Cent soixante ouvriers
sont maintenant employés à ces fouilles exécutées sous la direction
de notre consul M. Botta.
— Un voyageur , tout récemment arrivé d'Egypte , annonce
qn on vient de découvrir à Alexandrie dans le quartier du Bruchion ,
un large piédestal portant deux inscriptions grecques.
— On est occupé à consolider le massif qui doit supporter l'arc
romain de Saintes, dont la restauration s'accomplira ensuite avec
rapidité. Cet arc , construit en superbe appareil, a pu être démonté
sans aucun accident, et va être rétabli dans une position analogue à
celle qu'il occupait à l'époque de sa fondation , par rapport à la Cha-
rente dont le lit a changé de place. Le soubassement découvert dans
l'intérieur de la pile, et le sol antique dont le niveau est à peine su-
périeure celui des eaux du fleuve, prouvent suffisamment qu'il n'avait
pas été originairement élevé sur un pont, mais à quelque distance
des bords de la Charente. Le conseil municipal de la ville de Saintes
a eu la malheureuse idée de vouloir rétablir une passerelle dans l'axe
de l'arc. M. le Ministre de l'intérieur s'est opposé à ce que ce passage
suspendu sur des pieds droits élevés fût placé en face du monument,
ou tout au moins a exigé que les chaînes fussent presque horizontales
et comprises dans des massifs d'un mètre au plus de hauteur. Mais
il faut encore espérer que la ville abandonnera ce projet, destiné seu-
lement à satisfaire des exigences particulières, dont le but serait d'ail-
leurs manqué, attendu que la circulation se porte nécessairement à
100 mètres plus bas sur le nouveau pont et la grande route deBordeaux.
— On a trouvé récemment à Nogent , près de Chevilly, un vase en
terre, que maladroitement on a brisé, et qui contenait plus de 200 mé-
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
615
dailles romaines de Gallien, Salonlne, Postume, Victorin, etc.
Presque toutes ces médailles, d'une assez belle conservation, sont de
petit-bronze ou de bronze-saucé.
— Un de nos collaborateurs , en
explorant la ville de Tours, a remar-
qué à la Porte du change , dans une
niche qui surmonte l'ouverture prin-
cipale, une peinture qui paraît re-
monter au XV^ siècle ou tout au
moins au XVP, et représentant
à n'en pas douter l'ancien château
de Tours, avec ses fortifications
et son pont-levis. Cette peinture,
que recouvre une épaisse couche
de crasse et de poussière, pourrait
être facilement nettoyée , et il serait
important d'en prendre une copie,
avant que l'humidité et le soleil en
aient fait disparaître les couleurs.
Nous signalerons aussi au zèle de
la Société archéologique de Tours
un monument de la sculpture du
XV^ siècle, qui offre un véritable
problème à résoudre. Dans la rue du
Grand-Marché, on remarque sur la
façade d'une antique maison, habitée
par M. Roulleau, un montant de bois
sur lequel est figuré, en assez haut
relief, le sujet singulier que nous re-
produisons ici. Un pauvre Diable,
aux longues dents, aux pieds four-
chus, dont la poitrine décharnée
montre des côtes protubérantes, est
placé la tête en bas. Un fol lui tient
les griffes, tandis que deux bourgeoises,
les pieds posés sur ses épaules, ar-
mées de coutelas, semblent le dépecer ou même lui faire l'horrible
opération qu'Origène crut devoir s'imposer dans un moment d'exalta-
616 REVUlî ARCHÉOLOGIQUE.
tion scholastique ; la femme placée à gauche a tout l'avant-bras
cassé et le visage emporté, mais on retrouve néanmoins le mouve-
ment de sa personne.
Ce groupe bizarre était-il une enseigne , ou un rébus ou la repré-
sentation d'une iégende locale, ou bien enfin une satire contre le sexe
féminin? C'est aux archéologues et surtout à ceux qui habitent la
ville de Tours qu'il appartient de répondre à cette question.
— La collection des médailles de la Bactriane et de l'Inde , faite
par le général Allard à son retour dans le Pendjab , apportée en
France après la mort de cet officier par son frère, va être vendue,
dans les derniers jours de janvier , par l'administration de V Alliance
des Arts. Le Catalogue se distribue rue Montmartre, n° 178.
— Sur la proposition de la Commission des monuments historiques,
M. le Ministre de l'intérieur vient d'adresser la médaille frappée à
l'occasion de l'établissement de ce service, à M. Gouin, député, an-
cien ministre , qui a acheté et restauré à ses frais, à Tours, une mai-
son du XV'' siècle, remarquable sous le rapport de l'art; à M. Bou-
tarel, inspecteur des eaux et forêts dans le département du Mor-
bihan, qui a fait hommage au musée des Thermes et de Cluny
d'objets antiques trouvés dans des fouilles qu'il avait dirigées lui-
même avec autant de bonheur que d'habileté; et à M. de Sévelinge,
qui a fait hommage au même musée de fragments de fresques du
XIIP siècle , enlevés par liii-même au réfectoire de l'abbaye de Char-
Ziew( Loire), lors de la démolition de cet édifice, devetme inévitable.
La même distinction a été accordée au maire de Tréguier ( Côtes-
du-Nord), qui a fait des avances considérables pour la réparation
de l'église de cette ville, dont la coiiservation est désormais assurée
par des travaux exécutés aux frais de l'État.
— En travaillant à l'église de Saint-Spire à Corbeil , on vient de
découvrir une porte de sacristie du XIIP siècle. Dans le tympan, en-
touré d'un trèfle très-délicat, se trouve une peinture assez bien
conservée, représentant sainte Anne, qui fait l'éducation de la Vierge.
11 est à souhaiter que l'on s'abstienne de restaurer Cette peinture
avant qu'elle ait été examinée par des archéologues instruits. Il
appartient à la Commission du Ministère de l'Intérieur de sauver cet
ouvrage d'art. Nous signalerons encore à son attention des réparations
assez peu solides qui s'exécutent dans la même église , notamment
DECOUVERTES ET NOUVELLES. 617
l'emploi du plâtre dans les travaux extérieurs. Quant au déplace-
ment du mausolée de Jacques Bourgoin, capitaine de Louis XIV,
nous regrettons que l'âge récent de ce monument ne nous permette
pas de nous en occuper.
— On vient de restaurer le curieux portail de l'église de Mailly
(Somme). M. H. Pusevel, membre de la Société des Antiquaires, qui
l'a visité, a reconnu dans les statues dont le principal porche est
orné , les divers patrons des membres de l'illustre famille de Mailly,
qui vivaient à l'époque où cette église fut construite. La découverte
de M. Dusevel n'est pas sans importance pour l'étude des monuments
du moyen âge; il en résulte, en effet, que, comme l'ont avancé plu-
sieurs savants, les familles nobles, parle soin desquelles s'élevait un
monument religieux , y faisaient ordinairement placer les images des
saints qu'elles avaient choisis pour patrons. Quelquefois même ces
saints étaient représentés sous les plus riches costumes, sous les vê-
tements les plus somptueux.
— Le Cabinet des Antiques de la Bibliothèque royale ne cesse de
s'enrichir de monuments de tous les genres. Dernièrement M. Dé-
paulis a fait don à cet établissement d'amulettes ou ex voto très-
singuliers, que l'on a découverts aux sources de la Seine; ce sont de
petites plaques de bronze découpées et travaillées au repoussé , re-
présentant soit une paire d'yeux , soit la partie inférieure du corps
humain avec le sexe masculin bien indiqué. Il est assez vraisemblable
que l'on jetait dans les sources du fleuve ces ex-voto , afin d'obtenir
la guérison des portions du corps qu'ils figurent. — Le même établisse-
ment vient de faire l'acquisition très-importante des riches collections
de pierres gravées et autres monuments orientaux qui appartenaient
à feu M. le marquis deFortia d'Urban, membre de d'Institut. On re-
marque parmi ces antiquités, outre des fragments de bas-reliefs ap-
portés de Persépolis, des briques babyloniennes de la plus parfaite
conservation et des entailles gravées sous les trois dynasties qui ré-
gnaient sur l'antique Perse; une série de soixante-quatre cylindres
persépolitains, babyloniens et égyptiens, ce qui porte le nombre des
monuments de cette nature que possède la Bibliothèque royale à
cent quatre-vingt-cinq. — Le Cabinet des Antiques vient aussi d'ache-
ter la double figure de lion trouvée à Ninive, que nous avons publiée
dans un numéro précédent.
BIBLIOGRAPHIE.
ANALYSE D'UNE DISSERTATION DU PROFESSEUR FR. KUGLER , Intiti léf. :
VORLESUNG VBER DIE SYSTEM DES KIRCHENBAUES. Berlin, 1843.
M. Kugler, professeur des beaux-arts à TAcadémie royale de Ber-
lin, jouit en Allemagne d'une juste célébrité. Depuis longtemps les
antiquaires d'outre-Rhin ont apprécié ses nombreux écrits sur les
arts. Les archéologues français n'ont point oublié ses curieuses re-
cherches sur l'architecture /)oZi/c/irome. Voilà plus d'un motif pour nous
autoriser à donner aux lecteurs de la Reme archéolcglque l'analyse
d'un nouvel opuscule de cet écrivain.
M. Kugler, dans ce travail, se propose d'examiner les divers types
de la basilique chrétienne. On ne peut qu'applaudir à ce dessein. Non-
seulement le sujet est plein d'intérêt, mais personne n'est plus ca-
pable que l'habile professeur de le traiter avec un succès réel. Artiste
et savant, M. Kugler est surtout homme de goût, et c'est un mérite
bien rare parmi les critiques de profession.
On sait combien les édifices religieux du nord et du midi de l'Eu-
rope diffèrent d'aspect. Les goûts les plus opposés, les tendances les
plus contraires semblent leur avoir donné naissance : ici les larges
coupoles, là-bas les grandes flèches pointues. Cette diversité étonne
quand on songe que ces monuments se sont élevés sous le règne de
la puissante unité catholique, tandis que les temples du paganisme,
ce mot dit tout, présentent le plus souvent une remarquable uni-
formité.
Quoi qu'il en soit, M. Kugler a cru qu'une origine commune se
dissimulait sous ces contrastes, et il a cherché cette origine dans les
basiliques des premiers âges de la chrétienté. Selon lui , on trouve
toujours dans ces édifices quelque chose qui rappelle l'Italie de
Constantin ou la Grèce du Bas-Empire.
De ces considérations intéressantes sur un sujet assez peu étudié,
il est résulté un cours d'histoire de l'architecture ou plutôt d'esthé-
tique, pour nous servir de l'expression consacrée en Allemagne.
Si nous osions faire quelques observations au savant auteur de cet
ouvrage, nous commencerions par le prier de se montrer moins ex-
clusif dans le choix de ses exemples. Tous les monuments dont il
BIBLIOGRAPHIE. 619
parle appartiennent à l'Allemagne ; pourquoi donc exclure la France
et l'Angleterre, si riches en édifices gothiques, et dans lesquels il
aurait pu trouver de nombreux points de comparaison?
L'autre reproche est plus grave. M. Kugler nous paraît bien peu ex-
plicite en ce qui touche l'origine des basiliques. Il y a ici une question
d'étymologie et d'histoire que M. Kugler résout sèchement en se con-
tentant de dire que la basilique chrétienne est l'imitation de la basilique
païenne. Mais pourquoi les chrétiens donnèrent-ils ce nom à leurs
sanctuaires? Avaient-ils commencé par s'assembler dans la basilique
romaine avant de rien construire? Quelque idée métaphysique se
serait-elle glissée ici, par exemple un rapprochement entre la sou-
veraineté judiciaire, dont la basilique était jadis le siège, et la sou-
veraineté ecclésiastique? Tout cela est plus ou moins plausible, mais
enfin le problème n'est point encore résolu.
Un fait paraît avoir frappé M. Kugler. Dès son entrée en matière,
il s'indigne contre l'architecture religieuse contemporaine; il la
trouve froide, insignifiante, vulgaire; en cela nous sommes tous de
son avis. Il désespérerait presque de l'avenir de l'art sans une pensée
consolante ; c'est que le siècle n'a point encore rempli sa mission. Un
jour viendra, nous dit le savant professeur, oii la forme sera la véri-
table expression de l'esprit.
En attendant que cette brillante prédiction se réalise, suivons
M. Kugler dans la route qu'il s'est tracée.
A ses yeux, trois systèmes se partagent le domaine de l'art : le
premier substitue le sentiment individuel, ou si l'on veut le caprice,
à l'autorité de l'exemple. On ne tient compte que des conditions ma-
térielles dont l'art ne saurait s'affranchir. On oublie ce grand prin-
cipe que dans les monuments mêmes, où la nationalité d'un peuple
s'est gravée en traits ineffaçables, les lois générales de convenance
et d'harmonie ont été fidèlement observées. Ces idées, oiî il y a plus
d'indépendance que de justesse, triomphent aujourd'hui.
L'autre système préconise avant tout l'imitation ; fimitation des
Grecs et des Romains, l'imitation du moyen âge. Mais qu'il est dif-
ficile d'appliquer certains types, enfantés dans certaines circonstances
spéciales, aux besoins d'une tout autre civilisation. Voyez-vous l'ar-
tiste réduit à faire un choix au milieu de ces éléments hétérogènes !
Que d'écueils sur lesquels son talent peut foire naufrage !
Il y a entre ces deux directions opposées une autre route, que
M. Kugler rapproche avec esprit d'une ligne politique fameuse, car,
à ses yeux, l'architecture n'est qu'une des faces du développement
620 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
social. Ceux qui suivent cette xoiedw milieu, reconnaissent l'existence
de certains rapports nécessaires, de certaines lois harmoniques uni-
verselles dont il faut se préoccuper exclusivement, loin de se laisser
enflammer par les variations du goût ou de se traîner sous le joug
des traditions.
Cette doctrine a toutes les préférences de M. Kugler. Selon lui,
l'artiste qui veut enfanter une œuvre grave, une œuvre qui aille droit
au but sans blesser aucune convenance d'époque, n'en peut profes-
ser d'autre. Les règles qu'elle pose laissent l'invention s'exercer en
toute liberté. C'est dans cette voie que marchèrent les peuples de
l'Europe pendant plusieurs siècles ; car pour s'expliquer l'effet puis-
sant de leurs monuments religieux, il faut se rappeler qu'ils ne les
marquèrent pas seulement de l'empreinte de leur génie ou de leurs
mœurs, et qu'ils puisèrent à des sources plus hautes que celles de la
tradition ou de la nationalité. Aussi, voyez dans la construction de
leurs sanctuaires, quelle admirable variété de formes, quelle richesse
d'invention 1
M. Kugler fait deux classes de tous les monuments du monde:
dans la première, il place ceux où l'ordonnance à colonnes prédo-
mine; dans la seconde, ceux que l'arc ou la voûte caractérisent plus
particulièrement. A la colonne, l'architecture doit l'élégance, la ré-
gularité, la vie-, l'antiquité l'adopta. L'arc ne se montra qu'excep-
tionnellement dans les monuments des anciens. L'art chrétien donna
à la voûte sa plus grande perfection.
N'oublions pas que les premiers temples chrétiens étaient ornés
de colonnes; que des toits plats, une symétrie rectiligne les faisaient
ressembler aux autres édifices profanes de Rome ou d'Athènes. En
effet, à l'époque où l'exercice du christianisme devint public, les
arts, ainsi que la société, touchaient à leur ruine. Il fallait inventer
un genre d'édifice en harmonie avec la religion nouvelle; or, l'inspi-
ration fit défaut aux architectes chrétiens, et ils se contentèrent d'imi-
ter la basilique païenne. Ce genre d'édifice, par sa destination, était
susceptible de renfermer dans son sein l'assemblée des fidèles. On ne
pouvait tirer nul parti du temple grec ou romain ; restreint à l'excès,
l'intérieur pouvait contenir à peine quelques prêtres le
peuple se tenait sous les portiques.
La destination de la basilique , au contraire , était de conte-
nir la foule; elle servait de bourse et de tribunal. C'était une salle
en forme de carré long, entourée de colonnes qui soutenaient des
galeries, ou plutôt c'était une cour, car tout fait croire que, dans cette
BIBLIOGRAPHIE. 621
sorte de monuments, le milieu de l'édifice était à découvert. En face
de la porte d'entrée, à l'autre extrémité, et dans un hémicycle, on
voyait le siège du magistrat.
Les chrétiens imitèrent ses dispositions, ils conservèrent le nom de
l'édifice et respectèrent les colonnes et l'hémicycle. Là, ils placèrent
le prêtre, puis en face ils élevèrent l'autel.
Mais le goût change, les galeries supérieures disparaissent, une
muraille s'élève à la place, le vaisseau de l'édifice semble emprisonné,
la lumière n'arrive plus que par des fenêtres. Cette disposition est
peu antique, elle est elle-même contraire au bon sens, car elle fait
supporter des murs épais par de faibles appuis destinés, dans le prin-
cipe, à n'avoir pour tout fardeau qu'une charpente légère. Quelques
basiliques encore debout, soit à Rome, soit à Ravenne, attestent cette
dégénérescence du goût.
Dans d'autres monuments de cet âge, on ne retrouve plus les
lignes si grandes et si simples de l'architrave. Des arcades aux formes
élastiques les remplacent; c'est un adieu à la pureté grave de l'art
hellénique. Saint-Paul-hors-des-Murs est un des plus curieux mo-
numents de ce style.
Basilique antique. Église de Saint-Paul, à Rome.
La basilique, dans ces temps, apparaît comme un champ de bataille
où se trouvent en présence le goût antique et le goût nouveau. L'in-
novation triompha, et il faut convenir que ce ne fut pas sans profit
pour l'effet architectural. La suppression des galeries donna de la
grandeur au vaisseau ; les bas côtés firent paraître la nef plus élevée ;
une idée de solidité et de puissance s'attachait à ses arcades multi-
pliées; l'œil était satisfait des rapports qu'elles établissaient avec le
grand arc de l'hémicycle. A la vérité, des murs pesants, un plafond
622
REVUE ARCHEOLOGIQUE.
rectiligne, à côté de ces sinuosités continuelles, produisaient un con-
traste bien étrange ! Du reste , ce style n'en est pas un, c'est le germe
d'une phase brillante de l'art.
L'usage de construire des basiliques se répandit dans toute l'Eu-
rope. Il y régna; et particulièrement en Allemagne, jusqu'au XIIP siè-
cle , la Saxe et la frontière nord du Hartz, ont conservé de nombreux
débris de cette architecture. Mais trop souvent, au lieu de retrouver,
ainsi qu'il Tespérait, des vestiges de l'ordonnance primitive, l'anti-
quaire en est réduite se contenter de quelques ruines pittoresques.
Comme la vie de cette époque se reproduit admirablement dans
ces constructions oii l'empreinte originelle est encore toute fraîche !
Comme elles sont fantasques, fastueuses, barbares, telles enfin que
ceifx qui les ont faites! En remplaçant la colonne par le pilier, l'archi-
tecture allemande signale le premier pas vers une ère remarquable.
Le pilier est fait pour résister, pour soutenir les murs de la nef,
pour opposer sa masse énorme à ce poids énorme. De là vient l'éner-
gie du style de la basilique à piliers.
Cependant, la sève d'innovation qui bouillonnait alors engendrait
sans cesse des modifications nouvelles : pour varier les aspects, on
plaça des colonnes entre les piliers. Dans quelques cas, une vaste
arcade s'appuie sur ces piliers et surmonte d'autres arcades de
moindre dimension, qui retombent sur les chapiteaux des colonnes.
De cette disposition, qui établit dans toutes les parties de l'édifice un
juste équilibre entre la pression et la résistance, résulte peut-être le
modèle le plus accompli de la hasilique. Mais qui pourra nous dire
par quelles causes ces belles combinaisons architectoniques obtinrent
si peu de faveur I On ne connaît que deux basiliques de ce style, bâ-
ties dans le Hartz vers la fin du XP siècle. M. Kugler cite l'église du
Église du monastère de Huysehurg,
BIBLIOGRAPHIE.
623
cloître de Huyseburg, près Halberstadt (Saxe prussienne), comme
un des édifices les mieux conservés de l'Allemagne et comme le type
parfait de cette architecture.
La forme de croix donnée à la basilique, par suite de l'ouverture
d'une nef transversale, la disposition du chœur, élevé au-dessus du
sol, l'existence d'une crypte, sont autant de modifications de détail
qui n'altèrent en rien les bases du sy^stème.
Mais du XP au XIP' siècle, tout change. Des courbes élégantes
remplacent la monotonie rectiligne du plafond; de puissants arceaux
se déploient dans des directions contraires ; on a trouvé la voûte croi-
sée qui, reliant les deux côtés de l'édifice, s'élève aurdessus de la nef
avec une majestueuse hardiesse.
Cette invention renfermait d'innombrables changements. La soli-
dité de l'édifice, l'unité de sa décoration voulaient que la colonne exis-
tât définitivement. Le pilier demeurait : les vieux architectes du
moyen âge cherchèrent à lui donner quelque élégance. A peine dans
ce pilier, qui s'élève et s'unit aux voûtes de la basilique, reconnaî-
triez-vous le grossier support des siècles précédents.
Ce système ouvrait une vaste carrière aux artistes. Ainsi , le plus
ou moins d'espace accordé aux galeries, ainsi, les caractères divers
de l'ornementation firent éclore mille combinaisons capables de satis-
faire le goût le plus décidé pour la variété. La cathédrale de Spire
est bien de ce temps , c'est une couvre où tout est grand , où
Cathédrale de Spire.
tout est noble, mais dans laquelle la forme est d'une sécheresse ex-
trême à force de précision.
624 REVUE ÀRCHÉOI.OGIQUE.
On a nommé cette architecture, architecture byzantine, et, plus
tard, avec moins d'inexactitude, architecture romane. Elle fut rem^
placée, au XIIP siècle, par l'architecture gothique; autant qu'on
peut en juger, ce style a pris naissance en Orient, Les Arabes firent
emploi de la forme ogivale ; on trouve l'ogive dans les monuments de
la Sicile , sur laquelle ils exercèrent leur domination pendant une
centaine d'années. Adoptée du reste de l'Europe, l'ogive modifia par
degrés toutes les autres formes; elle a donné à l'architecture gothique
un cachet inimitable.
Mais de ce que l'architecture gothique, au point de vue de l'his-
toire, semblerait s'appuyer sur une origine étrangère, devons-nous la
considérer comme un type radicalement nouveau, ou, pour parler
plus exactement, serait-ce une architecture sans précédents en Eu-
rope?
Nullement, bien s'en faut même, car s'il y a lieu de croire M. Ku-
gler, que nous suivons pas à pas, on reconnaîtra dans la cathédrale
gothique le développement de la basilique romane. Or, la basilique
romane est une application des principes généraux sur lesquels l'art
est fondé. Voilà, sans doute, ce qui prête un admirable caractère à
l'architecture gothique, ce qui la met au rang des beaux ouvrages
sortis de la main des hommes. Voyez les artistes de cet âge, ces
hommes de génie dont la postérité a oublié les noms, avec quelle
supériorité ils s'emparent de l'œuvre de leurs devanciers, comme ils
la remanient I Le pilier s'amincit, la colonnette se groupe autour de
ses flancs, et, s'élançant comme un jet vigoureux jusqu'aux sommités
de l'édifice, dessine ses nervures entrelacées à la surface des voûtes.
A la place des murs, des vitraux étincelants encadrés dans des feuil-
lages de pierre rappellent les créations de la féerie. L'âme s'exalte à
la vue de cette heureuse alliance du mouvement et du repos, de la
noblesse et de la force. Quel lieu de prière qu'une église gothique,
s'écrie M. Kugler, lorsque le monument lui-même semble s'élever
comme une hymne vers le trône de TEternel ! On peut voir, dans la
cathédrale de Cologne le type splendide du gothique allemand.
Le règne de l'architecture gothique eut peu de durée ; l'enthou-
siasme pour les lettres grecques et latines à la renaissance fit aban-
donner un type adopté dans des temps presque barbares. Clarté ,
simplicité, voilà ce qu'on demandait à l'art, c'était ce qu'on trouvait
dans les chefs-d'œuvre antiques. De là une architecture savante,
mais peu propre à exprimer les idées religieuses. Si la basilique
conserva ses voûtes, c'est qu'elles suivirent les courbes du plein cin-
BIBLIOGÎlAPttlE.
655
tre roitiairt» Parfois aussi on la couronna de la coupole, et ces dispo-
sitions nouvelles commandèrent à l'architecte d'accroître encore la
* Cathëdmh de Cologne.
solidité de l'édifice; aussi le pilier redevint-il massif. Il est curieux
de voir comment les artistes classiques de cette époque obéirent à ces
exigences, et comment la colonne, le pilastre, l'architrave et la frise
reparurent sur la scène. Saint-Pierre de Rome est le type de cette
architecture : imposant par sa masse, il est dénué d'une véritable
grandeur.
Ce style a dominé l'art moderne. Les changements qu'on a essayé
d'introduire dans la première moitié du XVIIP siècle ont prouvé seu-
lement à quel point on sentait la nécessité d'une architecture moins
pauvre de formes et d'un effet plus puissant.
Quant au style byzantin, son point de départ, aux yeux de M. Ku-
gler, est dans le baptistère. Déjà, dans les premiers âges du chris-
tianisme, on avait donné à ces édifices tout spéciaux une forme dif-
férente de la hasiUqiie. Le baptistère s'élevait sur un plan circulaire
ou le plus souvent dans la forme d'un octogone régulier ; un toit plat
626 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
et une coupole le surmontaient; on l'entoura de galeries pareilles aux
Saint-Pierre de Rome.
bas côtés d'une basilique, et qui lui donnèrent une physionomie à
£glise de Saint-Vital, à Ravenne,
BIBLIOGRAPHIE. 627
part. Ce mode de construction fut surtout en usage dans l'empire
grec. Sous Justinien, on éleva de vastes édifices, empreints d'un ca-
ractère grandiose, qui devinrent, grâce à quelques annexes, de véri-
tables basiliques. Bientôt la manie des constructions difficiles se fit
sentir ; alors prit naissance l'emploi des coupoles surhaussées sur des
arcades. Sainte-Sophie est un type de ces tours de force architecto-
niques. Puis des idées de perfectionnement survinrent, et l'on fit sup-
porter par des arcades, soutenues par des piliers, une coupole hémi-
sphérique. Saint -Vital de Ravenne, bâti sous Justinien, est un
modèle de ce style, et peut-être serait-il plus exact de dire que ce
monument marque l'apogée de l'architecture byzantine.
Nous ne pousserons pas plus loin l'analyse. Cette esquisse des
opinions et même de la méthode d'exposition de M. Kugler suffit. On
peut contester sa manière de voir, mais on doit convenir, ce nous
semble, qu'il sait la développer d'une façon ingénieuse et pleine de
talent. Le conseil qu'en terminant il donne aux architectes sera,
nous le croyons, généralement goûté. Là, du reste, se résume tout
son système. Si vous voulez, leur dit-il, construire des églises en rap-
port avec nos sentiments et nos mœurs, étudiez les monuments que
quinze siècles vous ont légués, afin d'y découvrir sous la masse d'idées
empruntées au climat, aux institutions, à la civilisation, les règles
éternelles de l'harmonie, des convenances et du beau.
E. V.
WOCVEIiliES PUBIilCAXIOlVS ARCHËOIiOCIQUKI».
FRAXCE.
Lenormant et De Wille : Élite des Monuments céramographiques,
matériaux pour servir à l'histoire des religions et des mœurs de l'an-
tiquité. Mise en vente de la 61* livraison , qui complète le premier
volume. Paris, Leleux, édit. ; fig. noires, 4 fr.; col., 6 fr. 50.
Robert : Recherches sur les Monnaies des évêques de Toul. Paris,
Rollin, 1844, in-4 orné de 10 planches, 10 fr.
Sansonnelti : Description de l'Église des Antonistes, maintenant
paroisse Saint-Martin de Pont-à-Mousson. Vues, plans, coupes, détails,
in-4 , fig. noires , 10 fr. ; sur Chine ,12 fr. Paris , Leleux ; Nancy,
Grimblot et comp^
628 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ANGLETERRE.
Àinsworth (W, F.) ; Travels and researches in Asia Minor, Me-
sopotamia, Chaldea and Armenia. London, i842, 8,
Birch [Sam,) : Gallery of antiquities selected from the Britisli
Muséum by F. Arundale, archt. and J. Bonomi, sculptor. Part. III.
London, 1843, 37 pi., 4.
Mure ( William of Caldwell) : Journal of a tour in Greece and
the lonian islands, 2 vol. Lond. 1842.
Smith : Dictionary of Greek and Roman raythology, by varions
writers. Lond. 1843. Part. I.
Stewart (J. Roh.) : Description of some ancient monuments with
inscriptions still existing in Lydia and Phrygia, several of which are
supposed to be tombs of the early kings. Illustrated with 17 plates
frora sketches made on the spot. London, 1842, gr. fol.
StruU {A.) : A pedestrian tour in Calabria and Sicilia. London>
1843.
Vyse (J.) : Appendix to opérations carried on in the Pyramids of
Gizeh in 1837* London, 1842.
Walthen : Arts, antiquities and chronology of ancient Egypt.
London, 1843.
Àkerman (J. Y.) : Coins of the Romans relating to Britain des-
cribed and illustrated. London, 1844, 87 pi.
Gwilt : An Encyclopedia of Architecture , historical , practical and
theoretical. London, 1842.
Hamilton (Gray mss. ) ; Studies of Etruria. Part. I. London,
1843, 8. —• Tour to the sepulchres of Etruria. 3 éd. London,
1843, 8.
ALLEMAGNE.
Wieseler : Dr. Frieds. Prof, zu Gœttingen : Die Nymphesht , la
Nymphe Echo : Dissertation archéologique, gr. in-4 , avec une
Planche. Novembre 1844.
Schœman ( G. F.) : Dissertatio de Titanibus Hesiodeis. Gryphis-
waldiœ.
Nota. Tous les ouvrages allemands que nous annonçons dans la partie biblio-
graphique de la Reloue se trouvent à la librairie de Frank, successeur de Brockhaus
et d'Avenarius, rue de Richelieu, n* G9. Et les ouvrages italiens et anglais à la
librairie de Benjamin Dupral, rue du Cloître Saint-Benoît , n» 7.
VOYAGES ET RECHERCHES ARGHEOLOGIOUES
DE M. LEBAS, MEMBRE DE L'INSTITUT ,
EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE,
PENDANT IJBS ANNEES J845 ET 1844.
SIXIÈME RAPPORT A M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
CINQ JOURS DE RECHERCHES A SPARTE ET SUR SON TERRITOIRE; CAUSES DU PETIT NOMBRE
d'inscriptions TROUVÉES. — LISTE DE VAINQUEURS DANS DES JEUX PUBLICS; LISTE
COMPLÈTE DES PATRONOMES ET CONSÉQUENCES IMPORTANTES QUI EN RÉSULTENT POUR
l'histoire DE LA CONSTITUTION DE SPARTE. — A MISTRA ET DANS LES ENVIRONS ,
AUTRES LISTES DE MAGISTRATS ; INSCRIPTIONS DIVERSES , FRAGMENTAIRES. — A SKLAVO-
KHORIO OU AMYCLES , PLUS QUE DEUX INSCRIPTIONS. — MONUMENTS DE LA DOMINATION
VÉNITIENNE, A MISTRA SURTOUT. — TOTAL DES INSCRIPTIONS DÉCOUVERTES.
Monsieur le Ministre,
Les ruines de la Grèce n'offrent pas seulenient d'admirables mo-
dèles à l'artiste, d'utiles documents à l'historien, d'intéressantes notions
à l'antiquaire, elles sont aussi pour les peuples de grandes leçons, de
sublimes enseignements. Forte par ses lois et par sa mâle population,
Sparte ne vécut longtemps que pour la guerre et pour la conquête.
La Messénie, l'Argolide, l'Arcadie, le Péloponèse, Athènes elle-
même, le monde grec tout entier durent successivement subir son
joug de fer. Et cependant que reste- t-il aujourd'hui de cette ville si
importante? Si l'on excepte son théâtre de marbre et quelques tom-
beaux , rien que d'insignifiants débris de l'époque romaine ou même
de temps plus récents. Nulle trace de son antique grandeur! Que sont
devenus le portique construit avec les dépouilles des Perses, le pa-
lais du sénat, l'Agora décorée de tant de statues, de tant de sanc-
tuaires, le Plataniste, le temple de Diane Orthia, celui de Minerve
Chalciœcos, et ces innombrables monuments que Pausanias put
admirer encore? Tout a disparu avec le nom môme de Sparte sous
les alluvions successives des torrents dévastateurs qui ont ravagé
l'Europe. La ville des Messéniens, au contraire, des Messéniens
si longtemps opprimés, dispersés, subsiste encore dans presque toute
1. 41
630 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sa beauté première; le temps et les conquérants l'ont respectée. C'est
surtout lorsque quittant Messène on arrive dans la plaine oii fut
Sparte , campos ubi Troja fuit , que ce contraste paraît plus sensible.
Si les cimes élevées du Taygète ne dominaient pas ces lieux , si l'Eu-
rotas aux beaux roseaux, aux rives ombragées de lauriers-roses ne
serpentait pas dans ces champs qu'il fertilise , on chercherait vaine-
ment où s'éleva le siège principal de cette racedorienne si dure, si
opiniâtre. Mais le Taygète avec sa double cime, est là; on comprend
encore, à cette vue tout à la fois imposante et terrible, que les
hommes qui peuplèrent ces montagnes sauvages, escarpées, durent
être des hommes énergiques et braves, comme aussi à Athènes, on
comprend du haut des propylées que le peuple qui avait sans
cesse sous les yeux une mer si belle , des lignes de montagnes si har-
monieuses, éclairées par un ciel si azuré, par un soleil si brillant,
dut avoir au plus haut degré le sentiment du beau, l'amour des arts,
de la poésie et des lettres.
Malgré les désastres successifs dont Sparte fut la victime on y
voyait encore du temps de Fourmont plus de 300 inscriptions, même
sans y comprendre celles dont l'authenticité a été révoquée en doute.
Ce qui échappa au marteau destructeur de ce nouveau vandale, ce
qui fut déterré depuis son passage, venait d'être, par les soins de
M. Ross, rassemblé dans la demeure du gouverneur de la province
pour former, avec quelques objets d'art, les premiers éléments d'un
musée local , quand un incendie détruisit tout. Depuis lors les décou-
vertes sont devenues presque impossibles. On a voulu , fort à tort
selon moi, rendre une ville de Sparte à la Grèce, qui pouvait fort
bien s'en passer et se contenter de Mistra, lieu beaucoup plus sa-
lubre, possédant des eaux plus pures et plus abondantes que celui
qu'on a choisi pour l'emplacement de la capitale de la province de
Laconie; or, les ouvriers employés à la construction de la nouvelle
ville ont converti en chaux tous les marbres qu'ils ont découverts
dans les tranchées pratiquées à cet effet, sans s'inquiéter de la va-
leur qu'ils pouvaient avoir aux yeux de l'artiste ou de l'antiquaire. Il
m'a donc été impossible, à mon très-grand regret, de trouver aucun
monument à opposer aux savants qui regardent comme fausses les
inscriptions en caractères archaïques rapportées de ces lieux par
Fourmont; mais il reste hors de doute, pour moi, que mon prédé-
cesseur, dans l'investigation des monuments écrits de Lacédémone,
n'est pas le seul barbare qui ait fait disparaître les richesses scienti-
fiques de la ville de Lycurgue. En ce moment encore , les maçons
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 631
occupés à construire l'église archiépiscopale s'en donnent tout à leur
aise, et, sans prendre, comme Fourmont, la précaution de copier
ce qu'ils anéantissent, mutilent, brisent, brûlent chaque jour co-
lonnes, bas-reliefs, inscriptions, etc. J'ai vu, pour ma part, de très-
belles colonnes ioniques déjà mises en morceaux pour être jetées
dans le four. J'en ai témoigné mon indignation à l'archevêque et au
gouverneur. Ce dernier m'a promis d'aviser à ce que le fait ne se
reproduisît plus ; mais n'ayant à sa disposition aucuns fonds parti-
culiers consacrés à la conservation des monuments antiques , que
pourra-t-il faire?
Mes découvertes à Sparte , sous le rapport de l'épigraphie , n'ont
donc pas été aussi nombreuses que je l'avais espéré. Vous pourrez
en juger, monsieur le Ministre, car je vais vous les faire connaître;
et cependant j'ai scruté avec soin tous les lieux désignés par Four-
mont : Magoula , Mistra , Kérami , Parori , Sklavokhorio ( Amyclse ),
Nitza, Goudena, Barsoba, etc. Commençons par Sparte.
Le premier monument que j'aie copié dans cette ville est une stèle,
existant dans la demeure archiépiscopale. Elle est en pierre rouge
et ne doit peut-être sa conservation qu'à cette seule circonstance.
On y lit :
(1) KAAAIKPATH
KAIPE
AIOKAIA
KAIPE
AtoxX [s] iCL ^cd^z.
Le deuxième est un fragment sauvé par le gouverneur d'entre les
mains des constructeurs de l'église métropolitaine :
(2) OY
OEINnK'
MOY^XA
[NOIMOOYACAKOI]
Le troisième, trouvé dans les fouilles pratiquées pour la construc-
tion de la fabrique de soie fondée par mon honorable ami, M. Dou-
routis, et se trouvant aujourd'hui dans la caserne qu'occupe la gar-
nison, est gravé sur une base circulaire et ainsi conçu :
REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
(3) r ATToKPAYopi
^ KAICAPI ^
AAPIAN^^CE
AÙToz-paTopt Kaldapt A(^ptavco SsêaffT^ Sa)r:^pi.
C'est des mêmes fouilles que provient une stèle portant ce seul
mot :
(4) 01AOYCA
Dans les jardins attenants à l'édifice en question on a déterré, le
jour de mon départ, un fragment de grande base sur lequel sont
inscrites les quatre lignes suivantes dont je remplis les lacunes à l'aide
des numéros 1363 et 14 64 du Corpus,
(5) [Ol/k OjnATPi]A02Ain[NIOY]
[Ar]0PANnAEI2T0N[EIK0Y]
[ rjl APAA02:OYKAIAPI2T[OY]
EAAHNflN
dpy^iepéMç Tov SeêacToO y.cà rwv Qeioiv r^poyôvwj ocvTOVy (^LloY,iXL(7apoç
zat cpt]Xo[7raTpt]<3'o^ j ata)[vtoy ày^op(Xv6(^iJ.ov') ^ T:l£i(Jzov\jrA.O'j ttjcc-
pxâoiov 7.0LI àpi(7T[oy] EAXvivwv.
Dans la cour de la demeure du gouverneur, sur la face anté-
rieure d'un petit autel ayant 0,355 de hauteur sur 0,22 de largeur,
et 0,24 d'épaisseur, on lit :
(6) AYTOKPA
TOPIAAPIA
NCOKAICAPI
CeBACTCO
CCOTHPI
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 633
Et sur la face latérale droite :
(7) ZANie
Aevoepi
OIANTW
NCiNOI
CCaTHPI
2av\ EAeu0&pt[w] Avtwv£iv[&)] Swr/jpt.
Celte dernière inscription se retrouve reproduite presque dans les
mêmes termes, mais dans des dimensions diff 'rentes, sur plusieurs
monuments qui diffèrent également de forme. D'abord sur une plaque
engagée dans la façade de la maison Matalas :
(8) ZANIEAEY
OEPIOIAN
THNEINOI
SflTHRI
c^
<5
Puis sur une colonne à demi-cannelée encastrée dans la porte de
l'école publique ;
(9) [ZIANI
[ElAeVOG
[PIIOIKAI
[OlAYMni
[01]ANTU)N[EI]
[NJOI2C0H
PI
634 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Puis enfin sur une base qui forme une des pierres d'angle d'une
cabane au nord de l'Agora :
(10) ZANIEAGYO
EPIOIANTHNEI
Nni2ntHPI
Que conclure, monsieur le Ministre, de ces témoignages de gratitude
répétés si souvent car Fourmont en avait vu deux autres encore
et le recueil de M. Ross, indépendamment des deux derniers que je
viens de rapporter, en contient quatre autres sous les numéros 37,
38, 39, et 40? Qu'Antonin avait par quelque acte de la munificence
impériale bien mérité de Sparte , et que dans chaque temple on avait
consacré son image en l'assimilant à Jupiter sauveur, à Jupiter libé-
rateur, à Jupiter olympien, genre d'adulation qui ne coûtait plus
rien alors, même aux Spartiates; que peut-être même, sous ce nom,
il figurait près des dieux pénates dans l'intérieur des maisons parti-
culières.
J'ai encore trouvé dans la cour du gouverneur l'inscription sui-
vante gravée sur une plaque dont la partie supérieure manque :
(H) [Yn]EPTnN[KAI2APnN]
2nTHPIA2AP12T0KAH2
METATH2rYNAIK02KAI
TnNTEKNnNTYXHEnH
KOnTONBOMONANEOM
KEN
[YTiJèp Twv \Kcct(jdpo:tv] acùTYiptaç Api(iTOY,lriç iietoc ttjç yuvaixoç
y.ûà TWV TExvwv Tu^^yj ÈTryjxow tov (Sw^ov àvéQnytev,
C'est encore une preuve de l'attachement des Grecs pour la fa-
mille des Antonins.
Sur l'emplacement présumé de l'Agora, j'ai trouvé, dans un état de
mutilation récente, l'inscription suivante, que sans doute la veille on
aurait pu lire beaucoup plus intacte, à en juger par la copie que
M. Ross en a donnée sous le nM 3 de son recueil. On ne saurait
le nier en présence de tels faits : le gouvernement grec, malgré la
rigueur de ses lois, restera impuissant pour conserver les monu-
ments antiques tant que les populations, à très-peu d'exceptions près,
resteront assez ignorantes du passé et assez peu jalouses de la gloire
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE 635
des ancêtres pour préférer quelques sacs de chaux à tous les monu-
ments écrits ou sculptés. Je remplis immédiatement les lacunes.
\ (12) AnOAII
igrAIAI0NAAIV10KPATIA[ANT0N]
AAKANAPIAAAPXIEPEATLOY]
2EBA2T0YKAITnN0E[inN]
nPOrONHN AYTOYf I AO]
KAI2APAKAI0IAOnAT[PINAI]
[nNIlONArOPANOMON
[nAEI]2T0NEIKHN[nAPAA0]
[ '50N]KAIAPI2[T0NEAAHNnN]
A TToAtç U6(7:liov) Aïhov Aa|uiozpaTt(^[av tov] ÂlKOCvâplâa àpy^iepioc
t[oOJ SgêacTou xal twv ôspcov] TTpoyJvwv amov [cpiXoJxato'apa aol
^iXo7raT[piv]j aimiov àyopavo/ji[ov] , TrXstCTOvstV.yjv [TrapaJ^o^ov y.où
(xpLŒ[rov ÈTlrivcxiv].
A l'époque oii M. Ross a vu cette base on y lisait de plus une
partie des trois lignes suivantes :
KAAn2nEnOAEIT[EYME]
[N]0NKAIAAB0N[TATA2]
[TH2AP]l2T[OnOAEITEIA2l
[TIIVIA2KATAT0NN0M0N]
Kalcùç 7r£7roAeiT[£vpt.£v]ov xai XaêoWa ràç [r^ç àp]t(TT[oTroX£iT£iaç
Tijuiàç xarà tov vopiov].
Le personnage dont il est question sur cette base honprifique est
connu déjà par les n*"' 1363 et 1364 a 6 du Corpus, qui ont été co-
piés, le premier par Cyriaque d'Ancône, le deuxième par Fourmont.
J'ai tiré de là des facilités pour remplir les lacunes que présente no-
tre monument. Je crois pouvoir par la suite établir que ces trois in-
scriptions nous font connaître quatre personnages d'une famille
importante de Sparte, contemporains des Antonins, et portant alter-
nativement les noms d'Alcandridas et de Damocratidas, suivant l'u-
sage grec. L'Auguste dont il est ici question doit être Commode ou
Marc-Aurèle.
L'inscription suivante a été copiée par Fourmont, et, plus tard,
par M. Ravoisier, mais comme elle est de grande dimension et se
636 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
rencontre à l'est de l'acropole, fort loin des constructions nou-
velles, elle a été jusqu'ici respectée :
HnOAI2
Wmemmionaa
mâph^memmi
0y2iaektayi0n
KAAninEnoAi
TEYMENONAA
B0NTATA2TH2
API2TOnOAITE,
A2T1MA2KATAT0N
NOMON
H TToXiç TloÇnho)/) Meaptov ù^aiJiap'n lioÇTiliov) Mepp'ou SiJ'exTa vî6v,
TOV voi^ov.
J'ai parlé assez longuement de cette inscription (t. II, p. 67 de
V Expédition de Morée , t. I , p. 97 du tirage à part in-8**), cela me
dispense d'entrer ici dans aucun détail.
Non loin du théâtre , sur la pente orientale de l'acropole, on trouve
des ruines d'assises qui doivent avoir appartenu à un édicule funèbre,
à en juger par le fragment d'inscription qui suit, lequel était gravé
sur l'une des moitiés du fronton :
(14)
AANOHPn
N AAnMAA
eAoymenh^
THIAnE
Cette inscription est encore connue. M. Bœckh la publiée sous
le n" 1398 d'après deux copies, l'une de Fourmont, l'autre de
Dodwell. Je ne la reproduis ici que parce qu'il me semble qu'elle
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 637
peut être restituée plus symétriquement et d'une manière plus com-
plète qu'elle ne l'a été dans le Corpus :
AnO[AI2
[rA]iniOYAi[ni hp
K]AANnHPn[IAOY2H2TO
A]NAAnMAAY[TH2KAIEni
M]EA0YMENH2I[
TH2ANELIKHT0Y
A T:6[hç r]atw ioyAi[M Hp>t]Xavw •^pw[t Mcrnç rb àjva^wpa
ocv[Triç zoà è-niy^elovixéwig [rriç âeïvog] rrig Av£[tx7^T0u].
C'est-à-dire : la ville à C, Juliiis (Festiis ou tout autre nom ) I/er-
culams, une telle fille d'Anicetus faisant les frais et se chargeant de
veiller à Vexécution des travaux.
C'est encore non loin du théâtre au nord de l'acropole, près de
l'emplacement oii dut être le stade, que j'ai lu les lignes ci-dessous ,
contenant une liste de vainqueurs dans des combats publics :
NEKAEO
AIPEI201NIKA2ANT2MAX
2NIK0KPATH2K BA2
KIAA2O1A02TPAT0Y
MENH^EHiKTHTOY
mniAAJEniKPATOYl
YNIK02
nANAP02TPYa>nN02
KYAANOlinnAPXOY
KAAAIKPATH2OIA02TPAT0Y
AAMinnOS TIM0KPAT0Y2
KAE0MAK02K
EYAAIM0KAH2EYAAM0Y
2n2TPAT02 OEOAOPOY
ÎENAKONANTIBIOY.
638 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
La restitution suivante ne doit pas s'écarter beaucoup du monu-
ment dans son état primitif :
0IEniME]NEKAE0[Y2TnNArENE
inNAEK]ATPE120INIKA2AN[TE]2MAX
rAIO]2NIKOKPATH2 1<^ BA2
AIA]KIAA2OIA02TPAT0Y
Eni]MENH2EniKTHT0Y
c|>IA]inniAA2EniKPAT0Y2
E1YNIK02
2]nANAPO2TPY0nNO2
KYAAN02innAPX0Y
KAAAIKPATH20IAO2TPATOY
AAMinn02TIM0KPAT0Y2
KAE0MA[X]02K
EYAAIM0KAH2EYAAM0Y
2n2TPAT020E0AnP0Y
EENAKONANTIBIOY
[rato]ç]Ntzoxparyjç Nt>co>tpaTou
^iXjinr.iâocç ÉTrtzparouç
[EJuvïxoç
[Sjwav^J'poç Tpu(j)&)Voç
Kvâavoç Inndp^ov
KaHiy.poirY}ç ^iloŒrpdrov
àcH^LTÏTÏOÇ TljULOXpaTOUÇ
Kleoiioc^oç Kleo[xd^ov
'Evâaiiio-alriç Eyc^a^oy
ScoorpaToç Seoâdipov
Sievd)(MV AvTtêiou.
Ce monument n'est pas sans intérêt si j'en ai bien saisi le sens.
C'est le seul exemple d'une liste de vainqueurs dans des jeux publics
qu'on ait rencontré jusqu'à ce jour. Quel était ce combat royal ,
(xdyr) ^OLGiliKYit Serait-ce les MéyiaTo. OhpdvKX Ssêadreia Nepouavt Jeta
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 639
dont il est question au n° 1424 du Corpus , et qui eurent lieu égale-
ment sous le patronomat de Ménéclès? C'est une question qui méri-
terait la peine d'être examinée, mais que ne peut résoudre im-
médiatement un voyageur campé à la belle étoile sur les ruines de
l'anciene Thouria. Tout ce qu'on peut affirmer c'est que c'étaient des
jeux guerriers auxquels les combattants se préparaient en se frottant
d'huile; ce que démontrent clairement, selon moi, le vase, le bouclier
et la palme gravés au bas des treize noms. Il est , du reste, à remar-
quer que les quatre premiers vainqueurs sont distingués des neuf
autres par la disposition même des lignes , et que les noms de Ni-
cocrate, de Philostrate, (M Soandre, d'Hipparque, de Callicrate,
de Damippus, d'Eudœmoclès, de Sostrate, de Théodore et deXénacon
se rencontrent sur d'autres monuments de Sparte , tous comme ce-
lui-ci de l'époque romaine.
La liste qui vient ensuite est d'une tout autre nature, elle est
gravée sur une stèle à fronton et à antéfixes trouvée récemment par
Nicolas Touros de Magoula, et sur laquelle les A ont le chevron brisé,
et, le plus souvent, des apices :
(Î6) KABHNIAAIANAPONIKOY
nATP0N0M02AAM0XAPH2
MEAANinnOYnATPONO
M02nPAT0NIK02Eni
5 2TPAT0YnATP0N0M02
KAAAIKPATIAA2TIM0ZEN0Y
nATP0N0M02TIIVI0EEN02
OIA0KAE02 nATP0N0M02
AAM0XAPI2 TIMOZENOY
10 nATP0N0M02 ZYNAPXOI
API2T0KPATH2EYTEAIAA
EYAAMIAA2 KAEONYMOY
TIMAPI2T02 AAMnN02
innAPX02 ropnnnoY
15 O1A0ZEN02 AAMOAA
nA2ITEAH2 KAEANoP02
p-A2nTHPIAA2ArA00KAE02
YnOf^AAPI2TOKAH22nKPATIA
EYTYXIAA2 YnHPEEYTYX02
Kaêomd'aç Av^povUov y Tiaxpové^oq'
àcciioy^aprig MsIocvltiiïov y izolt^ovÔiioc'
640 REVUE ARCHÉOj:.OGIQUE.
nparovixoç ETriorparou, Tiocrpovofxoç'
KaXAtzpaTt^aç Ti^o'^évoVy iiocTpovoixoç'
TilÂO^evoç ^iloTtléoçy Trarpovo/utoç*
^oL^oyjipii; TiiJ.o'^évoVy T.oLXpQv6iJ,oç.
Suvap^^ot*
Apto-Toxparyîç 'EÀjxùJ.àa.y
l7:7:ap;^oç ropyiTTTTou,
^ilo^evoç ùiaiJ.61(Xy »
na(TtT£7y5ç KXeavopoç.
Tpa([jLixaTeTjç)'
^(ùTYîpiâoiç kyoL^oylioç,
T7:oypoc{pLiJ.aT£Lçy
Api(7T07t}.yiç y ^ompaTiaçy
XiznpzTriq,
Evrvyoç.
Ce monument d une admirable conservation est sans aucun doute
le plus important de tous ceux que j'ai recueillis à Sparte. Il résout
en effet une question restée incertaine jusqu'à ce jour : il nous
apprend quel était le nombre des magistrats que Cléomène institua
sous le nom de patronymes pour remplacer le pouvoir tyrannique des
éphores (voy. Bœckh, Corpus Inscr. gr. 1. 1, p. 605, col. 2). D'après
le n** 1356 du Corpus , M. Bœckh avait conjecturé qu'ils étaient
plusieurs. Mais combien? et puis, que fallait-il entendre par ces
mots du n** dont il vient d'être question : ol a-ovdpyovzzq rviç Trarpovo-
p'aç? Notre inscription répond pleinement à ces deux questions. Il
y avait six patronomes en titres assistés de six suppléants ou adjoints
Gvvap^oi. Le premier des patronomes, comme on le sait déjà, était
éponyme. Les six patronomes se partageaient sans doute les difleren-
tes branches de l'administration , comme les trois premiers archontes
à Athènes, et peut-être les six avvoLpyoi veillaient-ils à la réforme
des lois comme les six derniers archontes, les thesmothètes d'Athè-
nes. Il est très-naturel de croire que Cléomène, partisan des prin-
cipes démocratiques , ait emprunté beaucoup dans sa réforme poli-
tique à la constitution de l'État démocratique, par excellence,
d'Athènes, tout en ayant égard aux exigences locales. Ainsi, le
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 641
peuple étant divisé en quatre tribus, il y eut douze patronomes, trois,
sans doute pour chaque tribu; mais, comme à Athènes les gardiens
des lois , les législateurs furent au nombre de six. Nous apprenons
de plus, qu'à ce corps constitué était attaché un secrétaire en chef,
trois secrétaires en second et un huissier ; ce qui était resté égale-
ment douteux jusqu'à ce jour {voyez Bœckh, t. I, p. 611 , col. 2).
Ces trois fonctions sont indiquées par trois sigles , dont les deux
premières sont, je crois, sans exemple, et dont la dernière n'est
qu'une simple abréviation.
D'après tout ce qui précède, il me paraît hors de doute que le
11° 1256 du Corpus ne doit pas être considéré comme un monument
unique , mais comme se composant de deux inscriptions bien dis-
tinctes, dont la première était, comme la nôtre, une liste de ma-
gistrats élus pour une année. Seulement, les noms des six premiers
patronomes et celui du premier synarque manquent, effacés par le
temps , et le graveur a oublié les noms de trois sous-secrétaires , si
toutefois il n'est pas plus naturel d'admettre qu'ils précédaient le
mot YIIHPETHS , mais qu'ayant été effacés parle temps, Fourmont
a oublié d'indiquer une lacune dans cet endroit.
C'est encore à la môme classe de monuments qu'il faut rattacher
le n" 23 du recueil de M. Ross. Quelque mutilé que soit ce monu-
ment, le mot STNAPXON[TES] , équivalent du 2TNAPX0I de notre
inscription, ne peut laisser d'hésitation à cet égard. Les quatre
premières lignes, si la partie supérieure de la pierre était intacte,
devaient contenir les noms des six premiers patronomes, les lignes
6 et 8 les noms des six synarques, la neuvième celui du secrétaire;
puis , venait celui de l'huissier précédé du mot [ï]IIHPET[HS] dont
cinq lettres subsistent encore. Peut-être les trois sous-secrétaires ne
venaient-ils qu'après?
Je ferai encore remarquer que les dwdpx^vzeç sont aussi au nom-
bre de six dans le n" 1341. Pratolaos, auquel ils décernent une
statue, ne fait pas partie de leur collège puisqu'il est patronome, et
c'est à tort que M. Bœckh a supposé qu'ils étaient sept en le com-
prenant.
En résumé , notre inscription doit être considérée comme une
heureuse découverte puisqu'elle décide , d'une manière concluante ,
un point très-important de la constitution de Sparte à l'époque ro-
maine; et j'aime à croire, monsieur le Ministre, que le monde savant
en appréciera toute l'importance.
(La éuUe du G* rapport au numéro prochain.)
I
SUR
lA IIIÉCANIQUE DES ANCIENS ÉGYPTIENS.
Ce fragment, comme celui que nous avons déjà publié [sur V époque
du vase â! Artaxerce), est extrait d'un Mémoire de M. Letronne, sur
VÉtat de la cwilisation de V Egypte pendant la domination des Perses,
lu récemment à l'Académie des Inscriptions. Nous avons pensé que
cette vue nouvelle sur la Mécanique des Egyptiens intéresserait les
lecteurs de la Reme Archéologique.
Après avoir tracé le tableau du règne des derniers Pharaons, et parlé
des travaux d'architecture et de sculpture qu'ils avaient exécutés,
l'auteur termine ainsi l'exposé de ceux d'Amasis :
« Mais ce qu'Hérodote admire encore plus que tous ces grands
travaux, c'est une chambre monolithe, ayant 21 coudées (il mètres)
de long ; 14 coudées (7 met. 38) de large et 8 de haut (4 mètr. 216),
ou 344 mètres cubes, qui devaient peser conséquemment près de
2 millions de kilogrammes, et environ 500,000 kilogrammes (le
double de l'obélisque de Louqsor) après avoir été taillé et évidé.
« Outre ces immenses ouvrages, les monuments attestent qu'Ama-
sis en exécuta beaucoup d'autres dont l'histoire ne fait pas men-
tion. Thèbes et d'autres lieux en ont conservé beaucoup de traces.
A Tel et Mui , l'ancienne Thmuis , dans le Delta , se trouve un mo-
nolithe tout à fait semblable à celui dont parle Hérodote, et d'une
assez grande dimension, puisqu'il a 7 mètres de haut, 3 mètres 95
de large, 3 mètres 21 dans l'autre sens, selon les mesures de Chana-
leilles et de Girard (l); M. Burton y a lu le nom d'Amasis. D'après
cela, on voit qu'Hérodote a seulement parlé de ce qu'Amasis avait fait
de plus remarquable, et que ce prince montrait un goût décidé pour ces
monolithes de granit, qu'il tirait à grands frais de Syène etd'Éléphan-
tine (2). Au témoignage de sir G. Wilkinson, les carrières de Syène
portent encore plusieurs inscriptions qui annoncent que ce roi en a
tiré des blocs pour les édifices qu'il voulait élever dans la vallée du
Nil (3). Ainsi les monuments eux-mêmes viennent confirmer le té-
(1) Jollois et Dnbois Aymé, Description des ruines situées dans le Delta
{Description de l'Egypte, ch. xxvi), p. 10.
(2) Description de V Egypte-, antiquités, t. V, pi. XXIX, n» 16 à 19*
(3) Wilkinson, Manners and Customs , I, 191 , 192.
SUR LA. MÉCANIQUE DES ANCIENS ÉGYPTIENS. 643
moignage d'Hérodote sur les travaux exécutés par Amasis peu d'an-
nées avant l'arrivée de Cambyse.
« Le ressort énergique qui avait élevé les immenses constructions
de Thèbes, dix ou douze siècles auparavant, ne s'était nullement
affaibli ; le goût pour ces grands ouvrages subsistait dans toute sa
force ; et l'on savait encore transporter et élever des masses d'un
poids énorme.
« Le grand monolithe d'Amasis, même avant d'être évidé, ne pe-
sait pas beaucoup plus qu'une des énormes pierres qu'on trouve en-
core dans les ruines de Balbeck. Plusieurs ont 58 pieds de long, et
Volney (1) en a mesuré une de 69 pieds 2 pouces de long, de 12 à
1 3 pieds dans les deux autres sens ; cette pierre, qui est une espèce
de granit, doit peser de 8 à 900,000 kilogrammes, et elle provient,
comme toutes les autres , d'une carrière située dans la montagne ad-
jacente à la ville, d'où les Romains ont su , à l'époque des Antonins,
l'amener sur le sol du temple par un chemin inégal et montueux.
Ils n'ont pas été plus embarrassés pour dresser à Rome ( comme les
Grecs avaient su le faire à Alexandrie) les plus grands obélisques égyp-
tiens, ainsi que la fameuse colonne dite de Pompée, élevée en l'honneur
de Dioclétien, et tant d'autres colonnes triomphales d'égale dimension
qu'ils tiraient des carrières du montClaudianus, dans le désert à l'est de
l'Egypte (2). Ces travaux furent au moins égalés par celui que les
Ostrogoths exécutèrent à Ravenne, au tombeau de Théodoric. Le toit
monolithe de ce tombeau a été taillé dans un bloc de pierre d'Istrie
qui pesait, selon les calculs de Soufflet, plus de 2,300,000 livres. En
supposant qu'il eût été évidé dans la carrière même, autant qu'il le
fallait pour en diminuer le poids sans qu'il courût le risque de se bri-
ser, on trouve qu'il pesait au moins 940 milliers lorsqu'il a été trans-
porté des carrières de l'Istrie à travers le golfe Adriatique , voiture
dans les environs de Ravenne , près du tombeau , et élevé sur les murs
de face, à 40 pieds de hauteur (3), c'est-à-dire à une élévation trois
fois plus grande que celle des piédestaux sur lesquels sont placés les
colosses de Thèbes. Assurément ni les Grecs ni les Romains, encore
moins les Ostrogoths, ne possédaient les puissants engins dont dispo-
sent les modernes; tout annonce cependant qu'ils étaient plus avancés
que les Égyptiens en mécanique.
a Je suis étonné autant que personne de la patience et de l'adresse
(1) Volney, p. 258 de ses OEuvres (éd. de F Didot).
(S) V. mon Recueil des Inscriptions grecques de V Egypte , t. I, p. 177 et suiv-
ra) Soufflot, cité par Caylus. (Acad. des Inscriplions, t. XXXI, Hist. p. 39, 40.)
644 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
que ceux-ci ont déployées en ces occasions; mais j'ai toujours été fort
éloigné de leur attribuer, comme on l'a fait souvent, une mécanique
aussi perfectionnée, pour le moins, que celle des modernes. S'ils avaient
eu de telles ressources, les Grecs en auraient eu connaissance, eux
qui, depuis Psammitichus, parcourant librement l'Egypte, furent les
témoins des immenses travaux de ce prince et de ses successeurs. Or,
que la mécanique des Grecs fut encore à cette époque dans l'enfance,
cela résulte du moyen grossier qu'employa Chersiphron, l'architecte
du premier temple d'Éphèse, commencé au temps de Crésusetd'Ama-
sis (1). N'ayant point de machine pour élever les énormes architraves
de cet édifice, à la grande hauteur où elles devaient être portées, il fut
réduit à enterrer les colonnes au moyen de sacs de sable (2), formant un
plan incliné, sur lequel les architraves étaient roulées à force de bras.
Ce passage de Pline est une autorité historique en faveur de
l'usage que les Égyptiens eux-mêmes faisaient du plan incliné pour
porter les lourds fardeaux à un niveau élevé ; car il est impossible que
s'ils avaient eu un moyen plus perfectionné et moins pénible, les
Grecs de ce temps ne l'eussent point connu. C'est à l'aide de ce procédé
que purent être élevés facilement les tambours des colonnes de la
salle hypostyle de Karnak, qui ont 21 mètres de haut, et 10 mètres
de tour, ainsi que leurs énormes architraves. On enterrait toutes
les colonnes à mesure qu'elles s'élevaient, et l'on allongeait gra-
duellement le plan incliné oti l'on en augmentait le nombre des
rampes. Une application du même procédé, c'est-à-dire un plan
incliné en spirale , à peu près tel que l'avait conçu Huyot (3),
a fourni le moyen de dresser les obélisques, et cela sans autre
secours que celui des leviers et d'une multitude de bras habilement
combinés. C'est ainsi que Rhamessès avait employé 120,000 hom-
mes pour dresser un des obélisques de Thèbes; fait qui seul annon-
cerait l'extrême imperfection ou plutôt l'absence totale de la mécani-
que (4). Et, en effet, dans aucune peinture égyptienne on n'aperçoit
ni poulies, ni moufles, ni cabestans , ni machines quelconques.
Si les Égyptiens en avaient eu l'usage, on en trouverait la trace
dans un bas-relief (5), qui nous représente le transport d'un co-
(1) Ce synchronisme résulte pour moi de ce que , selon Hérodote ( I, 92) , Crésus
avait fourni la plupart des colonnes de ce temple.
(2) Plin. XXXVI, 21 (14).
(3) Son dessin est déposé à rÉcole des Beaux- Arts.
(4) Id. XXXVI , 9.
(5) Publié d'abord par Cailliaud, puis par Champolliun et Rosellini, en dernier
lieu , par Wilkinson , Manners and Cusloms, III , 326.
SUR LA MÉCANIQUE DES ANCIENS ÉGYPTIENS. 645
losse : on le voit entouré de cordages, et tiré immédiatement par
plusieurs rangées d'hommes attachés à des câbles; d'autres por-
tent des seaux pour mouiller les cordes et graisser le sol factice sur
lequel le colosse est traîné. La force tractive de leurs bras était
concentrée dans un effort unique , au moyen d'un chant ou d'un
battement rhythmé , qu'exécute un homme monté sur les genoux du
colosse. Si 1,000 hommes ne suffisaient pas, on en prenait 10,000,
autant qu'on en pouvait réunir sur un même point et pour une
même action. Ce bas-relief remarquable fait tomber bien des préju-
gés, en nous montrant que la mécanique des Egyptiens, comme celle
des Indiens actuels et des Mexicains (1) a dû consister dans l'emploi
de procédés très-simples, indéfiniment multipliés, et coordonnés ha-
bilement par l'effet d'une longue habitude de remuer les très-
lourdes masses (2).
(1) Pierre Martyr, de Orbe novo, decad. 5, cap. 10. Cité par Prescott dans son
Hislory of Mexico,
(2) M. Prisse, qui connaît si bien les monuments égyptiens, après m'avoir entendu
lire celte partie de mon mémoire , m'a adressé la lettre suivante qui confirme, par
un fait tout nouveau, mes vues sur l'usage du plan incliné :
Paris, 7 décembre 1844.
.Monsieur,
« Entre les traits qui m'ont frappé en vous entendant lire à l'Académie votre mé-
moire sur Vélal de l'Égyple pendant la domination des Perses, j'ai surtout re-
marqué ce que vous dites de la Mécanique des anciens Égyptiens ,- vous avez
reporté ma pensée sur une observation que j'avais faite dernièrement à Karnac,
relative à l'emploi que les Egyptiens ont dû faire du plan incliné, pour élever de
grosses masses , et en général , à la simplicité des moyens mis en usage par leurs
architectes pour élever ces blocs colossaui qu'on remarque dans tous leurs mo-
numents.
« L'entrée du grand palais des Pharaons à Karnak s'annonce par un gigantesque
pylône dont les deux môles n'ont jamais été terminés. La construction paraît en avoir
été commencée par Amoun4e~P ehor de la vingtième dynastie , qui en fit sculpter
une élévation parmi les bas-reliefs qui décorent le temple de Khons. Ces masses
pyramidales malgré l'absence de leur couronnement ont chacune environ 45 mètres
de hauteur sur 114 de largeur à leur base. Ils sont bâtis de gros blocs distribués en
assises irrégulières et dont les joints n'ont été dressés que sur les bords. On remarque
tle chaque côté de ce pylône, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de la cour, des
massifs d'énormes briques crues adossés à ces bâtisses de pierre, au pied desquelles
ils forment maintenant un immense monticule. A l'intérieur, ces massifs rie briques
sont encore nssez bien conservés et s'élèvent du côté du nord sur un petit édifice
isolé composé dé trois salles dont les murs sont couverts de bas-reliefs portant les
légendes de iMénephtah II. Les énormes travées de pierre qui couvrent ce petit édi-
fice antérieur à la construction du pylône, n'ont pu résister pendant des siècles au
poids des massifs de briques dont on les avait surchargées et se sont écroulées. Le
I. 42
646 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
temps (qui use lout, même en Egypte) a lellcmeiit décomposé ces construclious de
briques qu'elles ressemblent à des monticules de décombres couveris de tessons de
poterie. Mais des fouilles entreprises dernièrement pour subvenir aux besoins de la
salpêtricre de Karnak, m'ont fait apercevoir un plan incliné construit d'énormes
briques crues dont les assises consécutives ont dû être superposées au fur et à mesure
de la nécessité d'augmenter la hauteur de ces rampes, dans un rapport constant avec
la hauteur de la bâtisse. Le système adopté m'a paru avoir été disposé de manière à
former plusieurs angles qui devaient probablement se reposer symétriquement sur
les deux môles du pylône- Du reste, exploitées depuis des siècles pour subvenir aux
besoins des huttes du voisinage, ces constructions de terre n'atteignent plus aujour-
d'hui qu'à la moitié de la hauteur du pylône.
o Celle observation qui a échappé je crois à tous les voyageurs, acquiert mainte-
nant quelque intérêt de vos savantes et curieuses vues sur ce point. »
SCENES
PSYCHOSTASIE HOMERIQUE
L'idée du pèsement des âmes ou des destinées telle qu'on la trouve
dans Ylliade a fourni peu de sujets à l'art ancien. M. Alfred Maury,
dans deux savants articles {Revue archéologique, p. 235 et suiv., et
p. 291 et suiv.), a tâché de rattacher à une pensée commune tout
ce qu'on trouve, en représentations figurées ou en textes écrits,
dans l'antiquité et au moyen âge sur la psychostasie ou pesée des
âmes. On comprend facilement que XÈquilé ou la Justice aient été
représentées tenant des balances à la main. La balance que porte la
Justice avait donné lieu à un proverbe grec : At/vatorspov oraj^aV/jç
ou Atzatorepov Tpuravyjç (Suid. suh verb.),plus juste quum balance.
Ensuite il n'y a rien d'étonnant non plus que l'idée de peser les ac-
tions humaines , pour en punir ou récompenser leurs auteurs , se
retrouve chez les peuples tant anciens que modernes qui ont admis
le dogme d'une autre vie ou celui de la métempsycose. Mais il y a
loin de l'idée d'une pesée matérielle aux métaphores par lesquelles les
Pères de l'Église ont quelquefois désigné la justice divine. Je n exa-
mine pas ici la question de savoir à quelles sources les Grecs avaient
emprunté leur manière de figurer le pèsement des âmes ou des des-
tinées. Ces sortes d'images leur étaient venues, sans doute, de l'Orient
aussi bien que les idées qui s'y rattachent. Mais comme j'espère
pouvoir le démontrer, autre chose est la psychostasie homérique,
autre chose la psychostasie chez les Égyptiens , peuple chez lequel
des notions d'une autre vie faisaient partie des croyances religieuses.
Dans Homère , rien n'indique que la psychostasie se rattache à une
vie future , aux peines ou aux récompenses qui y attendent l'homme.
Au contraire , dans les deux endroits oii il est question des balances
d'or de Jupiter et des kères ou destinées que le souverain des Dieux
pose dans les bassins , il ne s'agit que de décider de l'issue d'un
combat entre deux armées ou bien entre deux guerriers. La lutte se
passe sur la terre ; la pesée des sorts ou des âmes se fait dans les
régions célestes , mais cette pesée n'a d'autre but que de résoudre
648 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
une contestation matérielle et terrestre. C'est l'armée ou le guerrier
qui triomphe dont le sort s*élève vers le ciel ; le bassin dans lequel se
trouve la ker du vaincu descend jusqu'à terre. Il faut faire bien
attention à ceci, c'est le poids le plus léger qui indique le vainqueur,
le bassin le plus chargé entraîne la défaite et la mort.
Pour se convaincre de ce que j'avance ici , on n'a qu'à jeter un
coup d'œil sur les vers d'Homère.
Dans le premier passage nous voyons Jupiter assis sur le mont
Ida; le père des Dieux et des hommes contemple les Grecs et les
Troyens qui vont en venir aux mains.
Kat T0T2 Sr} xpxiceia, Tturrip ertraivs râloc-j'ccc'
Év B'kziQzi S\)o y.inps ra.vrfks'^éoi; ©avccToto ,
Tpcôwv G't7r7ro^â|xwv xat A;^atwv ^a).xo^iTwv6Jv
EV/2 Sï jjiéa-ffa )ia6wv pértî B'^cdai^o-^ ripiap A;^atwv.
At iiï-j Ap^atwv y.9)pîi; kni ;^6ovt 7rou)iu6oTSÎpY3
EÇéffôïjv, Tpwwv Se Trpoç ovpoc-jbv sùpùv a.îpQs-j.
{lUad^Q, 69-74.)
a Alors le père souverain déploie ses balances d'or; il y met les
« deux hères qui amènent le long sommeil de la mort, celles des
« Troyens habiles à dompter les chevaux et des Grecs aux cuirasses
« d'airain. 11 prend la balance par le milieu. Le malheur des Grecs
(( se déclare ; leurs hères descendent jusque sur la terre verdoyante,
a tandis que celles des Troyens s'élèvent jusqu'à la voûte du ciel. »
Dans le second endroit, Jupiter, du haut de l'Olympe, suit des yeux
Achille et Hector. Les deux héros arrivent pour la quatrième fois aux
sources du Scamandre.
Kat TÔTS 5ï3 ;^|DOffsta Traryjp èriTaivs râ^avra'
Èv ^'ÈTiÔît 5t3o /t^ps Tavï3^S7éoç Gavàroio,
Tïjv jxèv A^i^^^oç, Tïjv ^'ExTopoç vKTcoSd^Loia'
^\v.i Sï [LiddOL ^aêwv psTrs âxxTopoç atcri^ov ■h^a.pf
Ût;^eTO ^'sîç At^ao
(/hacl.,X, 209-13.)
« Alors le père des Dieux déploie ses balances d'or ; il y place les
« deux hères qui amènent le long sommeil de la mort, celle d'Achille
« et celle d'Hector, habile à dompter les chevaux. Il prend la balance
<( par le milieu ; l'heure fatale d'Hector se déclare ; son bassin des-
« cend jusqu'aux enfers. »
Virgile emploie le même langage quand il fait peser par Jupiter
les destinées [fata] d'Énée et de Turnus.
PSYCHOSTASIE HOMÉRIQUE. 040
Juppiter ipsc duas œquato examine lances
Suslinel, et fala imponil diversa duorum;
Quem damnet labor, et quo vergat pondère lethum.
{^n. XII , 725-27.)
« Jupiter lui-même tient dans sa main les deux bassins d'une bâ-
te lance en équilibre, et y place les destinées différentes des deux
« héros , pour savoir à qui le combat doit être fatal , et de quel cêté
c< penchera le poids du trépas. »
Enfin Quintus de Smyrne nous représente les kères d'Achille et
de Memnon pesées par Éris.
Éptç 5'tOuve Tâ).avTa
T(Tp.ivy3ç à)veysiva* rà^' obx trt Icra irilo'jro.
{Paralipom. Il, 539-40.)
(( Alors Éris déploie les balances fatales du combat; mais déjà les
<( bassins ne sont plus en équilibre. »
En effet , Achille vient de percer Memnon qui tombe baigné dans
son sang.
On voit par ce qui précède que la charge la plus pesante entraîne
la perte du guerrier dont la destinée ou la kère descend vers la terre.
C'est pourquoi Servius , dans son commentaire sur Virgile , ajoute ,
au mot vergat : Bene vergat : nam morientes inferos petunt. (Ad
jEn, XII, 727.) Remarquons aussi que dans les deux passages de
Ylliade que j'ai cités, le poëte emploie exactement les mêmes expres-
sions pour décrire les deux scènes où il est question du pèsement des
destinées. Ce sont les mêmes vers qui servent à peindre le sort réservé
aux Grecs et le sort destiné à Hector; seulement dans le premier pas-
sage le bassin qui porte les kères des vaincus s'abaisse vers la terre
(èm x^ovt), tandis que dans le second endroit l'image est plus forte
et plus expressive; le bassin d'Hector descend jusqu'aux enfers
(sic Atâao),
Nous savons d'une manière positive, par le témoignage de Plu-
tarque (1), que le pèsement des destinées s'appellait Wv^ocrrocdia,
La lutte d'Achille et de Memnon avait fourni à Eschyle le sujet d'une
tragédie aujourd'hui perdue. Après avoir cité les vers d'Homère dans
lesquels il est question des sorts d'Achille et d'Hector, Plutarque
ajoute: Tpaycùdiccv 6 Aicyyloç ohiv t^ f/v9&) TrepisÔyixsv, èntypoi^xç
Wv^o(JTa,<7Lxv, xai 7rapaa-r/i<r«ç touç lïldcŒziyli toû Atoç, svQsv ptsv
T'hv OsTiv, ëvBsv de w Hw, Jso/uiEvaç vTiep twv yiswv i}.o(.-/oiJ.iv(ùV ,
« Eschyle avait adapté à ce mythe une tragédie qu'il avait intitulée :
(1) De Aud: Poel. T. VI , p. 59, éd. Reiske.
650 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« la Psychostasie ; il y avait représenté près des balances de Jupiter,
« d'un côté Thétis , de l'autre l'Aurore qui suppliaient le maître des
« Dieux en faveur de leurs fils, pendant qu'ils combattaient. »
Trois monuments nous offrent d'une manière non douteuse des
scènes de la psycbostasie telle qu'on la trouve dans Homère et chez
les poëtes qui l'ont suivi. Le premier est le miroir étrusque publié
par Winckelmann (1) et sur lequel paraît Mercure ( Tiirs) assis; le
dieu tient la balance dans les bassins de laquelle sont placées deux
figures vêtues de tuniques et représentant les hères d'Achille (Achle)
etdeMemnon (Efas ou Evas), Les bassins ne penchent ni de l'un
ni de l'autre côté; cependant on dirait que Mercure appuie sa main
sur celui dans lequel est placé la ker de Memnon. Apollon {Aplu),
assis en face de Mercure, fait un geste d'équilibre ou de pondération
en relevant par-dessus sa tète un bout de sa chlamyde et en accom-
pagnant ce geste d'un mouvement de sa main droite ouverte.
Je n'ai pas jugé à propos de reproduire ici ce curieux miroir,
parce qu'il se trouve figuré dans un des articles de M. Maury (p. 297),
où les lecteurs de la Reçue pourront prendre connaissance du sujet.
Quant aux deux autres scènes relatives à la psychostasie , ce sont
(1) Mon, ined. IZZ; Lanzi , Saggio de lingua etrusca, II, tar. XII, 4, éd. de
Florence. u.
PSYCHOSTASIE HOMÉRIQUE. 651
deux vases peints; l'un connu sous le nom de Vase du Sladhouder, et
que j'ai eu occasion d'examiner à Amsterdam , en 1 840 , a été
publié par Millin (l).
On y voit le combat d'Acbille et de Memnon tel qu'il est repré-
senté sur une foule de vases où des inscriptions ne laissent subsister
aucune incertitude à l'égard du sens du sujet (2).
Achille vient de percer Memnon d'un javelot qui fait jaillir le sang
de la poitrine; le guerrier est tombé sur ses genoux et s'appuie
encore sur un javelot qui s'est brisé sous le poids de son corps. Au-
dessus de cette scène de combat, on voit Mercure assis, reconnais-
sable au pétase et au caducée sur lequel il pose sa main. Devant le
messager des Dieux est un arbre auquel est suspendue une balance
dans les bassins de laquelle paraissent deux petits génies, nus et
ailés, peints en blanc (3). Le bassin qui est au-dessus de la lôte
d'Achille s'élève vers le ciel , tandis que l'autre qui porte la ker de
Memnon descend vers la terre. Nous trouvons donc ici l'image exacte
que nous fournissent les vers de l'Iliade. Le bassin du vainqueur
s'élève, celui du vaincu s'abaisse. Une déesse voilée, et la léte
ornée d'une couronne élevée, se tient du côté d'Achille et dirige ses
regards vers la balance; c'est Thétis, la mère du héros. De l'autre
côté, derrière Mercure, une déesse s'enfuit avec les signes du plus
violent désespoir; elle s'arrache les cheveux tout en retournant la
tête vers la psychostasie. Il faut reconnaître ici l'Aurore dont les
larmes , dans le langage poétique , forment la rosée.
Tout dans ce tableau est d'accord avec les données homériques,
rien ici n'annonce une rémunération ou des peines réservées à une
autre vie. Il s'agit simplement de la décision d'une lutte entre deux
guerriers. Quant à la présence des deux déesses, nous avons ici sous
les yeux une des scènes de la tragédie d'Eschyle ; nous avons vu plus
haut que le poëte avait fait intervenir la mère d'Achille et celle de
Memnon , au moment où Jupiter pesait les destinées des deux héros.
Un magnifique cratère récemment publié par M. Raphaël Politi (4),
(1) Fases peints, U I , pi. XIX; Galcr. mylh. CLXIV, 597. Cf. Passeri, Pict.
Elrusc in Fasc. lab. CCLXII.
(2) Voir mon Cal. Magnoncour, n" 59. Cf. les Monuments inédits de l'inst.
arch. t. lï , pi. XXXVIIf. Sur le coffre de Cypsélus, on voyait le combat d'Achille
et de Memnon ; auprès se tenaient leurs mères. A^'llv. os xal Ms//vovi y.v.xoixiyoi<;
Tïocpî^TT./.wjrj ai tj.Y,ripii. Faus. V, 19, 1.
(3) la balance a été reproduite seule dans le second article de M. Maury, p 288.
(4) La Concordia , Giornale Siciliano , anno secondo, n" IS, p. lOT scg.
Çinque vasi di premio rinvenuli in un sepolcro agrigentino.
652 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
et reproduit dans le Bulîelin archéologique napolitain (l), et dans l'ou-
vrage de M. Raoul-Rochette, sur les peintures de Pompéi (2), repré-
sente Jupiter, lÉVS, imploré par Thétis , OETIS, et par l'Aurore ,
HE OS. C'est la scène qui précède celle du combat d'Achille et de
Memnon (3).
Les Àpolloniates avaient dédié à Olympie des statues placées sur
une base en forme d'hémicycle ; au milieu était Jupiter imploré par
Thétis et par Héméra ; aux deux extrémités on voyait Achille et
Memnon préparés au combat (4). Le beau vase d'Agrigente publié
par M. Politi reproduit le groupe qui occupait le centre dans l'of-
frande des Apolloniates.
Le second tableau, qui offre une psychostasie , n'est pas moins
curieux que le premier, c'est un fragment de vase qui fait partie de
la collection de M. le duc de Luynes (5).
(1) N-ÏI, p. 16.
(2) Choix de Peintures de Pompéi, p. 5 , vignette 1 , et p. 1 1 , note 6.
(3) L'autre peinture de ce magnifique vase montre Triplolème, Ipitcroliu-oi , sur
son char ailé, entouré de Démêler, às/xerep, de Phéréphassa, ^epsfasx (sic), de
Céléus, Ke^iso...., et d*Mippolhoon t VLmnoQov {sic),
(4) Paus. Y, 22 , 2.
(5) Monuments inédits de l'Inst. arch. t. II , pL X , fr.
PSYCHOSTASIE HOMÉRIQUE. 653
Le savant possesseur de ce beau fragment (1) croit y reconnaître
la scène du vingt-deuxième livre de l'Iliade, oii les Dieux délibèrent
entre eux (2) sur le sort d'Achille et d'Hector. Le combat de Dieux
qui était peint au revers du vase , et dont il reste malheureusement
bien peu de débris, s'expliquerait, d'après cette hypothèse, par le
combat décrit vers la fin du vingt-unième livre , là oii le poëte nous
représente les Dieux entrant en lice; chacun va pour secourir le
peuple qu'il protège, après que Vulcain a desséché la plaine d'Ilion
inondée par le Xanthus (3).
Dans la peinture que nous avons sous les yeux, Hermès, barbu, re-
connaissableau caducée qu'il élève au-dessus de sa tète, tient la balance
dans les bassins de laquelle sont placés deux petits hoplites qui vibrent
la lance; ces deux hoplites sont colorés en violet. Ici les bassins sont
égaux, comme sur le miroir étrusque dont il a été question plus haut;
le sort des guerriers dont on pèse les kéres ou destinées n'est pas
encore résolu. A gauche de la psychostasiè est Jupiter armé du
foudre et appuyé sur un bâton noueux. Une couronne, formée de
feuilles de smilax (4), entoure sa tète. A droite du tableau on voit
une déesse revêtue d'une tunique talaire et d'un ample péplus. De la
main gauche elle relève un bout de sa tunique , tandis que de la
droite, levée et ouverte, elle fait un geste de libération ou de réus-
site (5). Dans l'Iliade , nous ne voyons intervenir directement que la
seule Athéné (6). Cependant aucun symbole, dans la peinture que
nous examinons , ne peut servir à reconnaître cette déesse. Il faut
avouer, toutefois, que bien souvent Minerve paraît sans aucun
attribut (7). Il serait possible également qu'ici le peintre eût voulu
représenter Thétis , la mère du héros destiné à remporter la victoire
sur Hector.
J'ai dans plusieurs occasions (8) fait remarquer la différence que
les artistes anciens apportaient dans les représentations de l'âme. Sur
(1) Cf. les Annales de l'Inst. arch. t. VI, p. 296.
(2) Iliad. X, 166, sqq.
(3) Iliad. ^, 342-501.
(4) Voir Gerhard, Griechische Fasenhilder, I, S. 82 und 83 j cf. mon Cat.
Beugnot, p. 8.
(5) Voir V Élite des Monuments céramographiques , t. I, p. 46, 185, 198,
277, 286. Cf. aussi ce qui a été dit dans la Nouvelle galerie mythologique, p. 39.
(6) Iliad. X , 177.
(7) Voir l'Élite des Mon. céramographiques ^ 1. 1 , p. 174.
(8) Annales de l'Inst. arch. t. V, p. 313 et sulv.; Cat. étrusque, n" 139 ; Cat.
Magnoncour, n° 108. Cf. également VÉUte des Mon. céramographiques , 1. 1,
p. 23.
654 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
le miroir étrusque {Reme archéologique, p. 297), ce sont de petits
hommes simplement revêtus de tuniques courtes, serrées au-dessus
de la taille au moyen d'une ceinture. Sur le vase du Stadhouder les
hères sont figurées par des génies ailés et nus, semblables aux images
de l'Amour (l). Enfin, sur le fragment de vase de la collection de
M. le duc de Luynes, ce sont de petits guerriers, de véritables
hoplites qui représentent les âmes.
La forme la plus habituelle sous laquelle on a figuré l'âme , tant
chez les Égyptiens (2) que chez les Grecs, est celle d'un oiseau à
tête humaine; c'est aussi la forme que l'art grec, avec plus ou moins
de modifications, a donné aux Sirènes (3). Sur un vase qui repré-
sente la mort de Procris (4), on voit l'âme qui s'envole sous la forme
d'une Sirène ; la même forme est donnée à l'âme du taureau de Crète,
sur une amphore à figures noires du Cabinet des médailles (5). On sait
que, suivant la doctrine de Zoroastre, on reconnaissait aux animaux une
âme aussi bien qu'aux hommes. Quelquefois on voit aussi de simples
oiseaux qui semblent indiquer l'âme , comme, par exemple, dans plu-
sieurs scènes du combat de Thésée et du Minotaure (6) et dans une
peinture qui représente la lutte d'Hercule et de Géryon (7). Un oiseau
qui vole au-dessus du sanglier de Calydon, attaqué par Méléagre, pour-
rait bien n'avoir d'autre objet que de désigner l'âme du sanglier (8).
(1) Ce sont plutôt des Aiiiouvty que des Itères qu'il faut reconnaître dans une
peinture de vase que j'ai décrite dans mou Catalogue Durand, n° G55. Ces petits
amours sont pesés dans une balance que tient une femme.
(2) On connaît une foule d'amulettes soit en or, soit en pierre dure , ou en pâte
émaillée qui représentent l'âme sous la forme d'un oiseau à tête humaine.
(3; M. Panofka a cité des exemples de toutes les formes que l'art grec a données
aux Sirènes dans son bel ouvrage sur \t^\Antiquei du Cabinel de M. le comte de
Pourtalh, p. 73 etsuiv.
(4) D'Hancarvillc, rases d'IIamillon, t. H, pi. CXXVI; UWWngen , Ane.
uned. mon. pi. XIV.
(h) Cf. mon Cat. étrusque, n" 139, note 1. Quelquefois on voit des oiseaux à
tête liuniaine vnlant au-dessus des chevaux qui traînent un quadrige [Cal. Durand,
no 290; Cal. Magnoncour, n" 39. Cf. l'Élite des Mon. céramographiques , t. I,
p. 220; 3Ion. inéd. de l'Insl. arch. t. III, pi. XLV); d'autres fois, ce sont des
oiseaux ordinaires qui paraissent au-dessus de scènes de combat ou au-dessus des
quadriges. Ces dernières représentations se rapportent sans doute aux augures.
jMais il règne encore une grande incerliludc à l'égard de l'explication la plus pro-
bable des oiseaux eu Sirènes , qui se trouvent figurés dans une foule de peintures
de vases, surtout de ceux de l'Étrurie.
(ii) mcAVi, Sloria degli anL pop. ilal. tav. XXII. Cf. mon Cat. étrusque,
n« 13!) , n. t.
(7) Cal. étrusque, w" iZ9. ^
(S; Cat. MagnoncouT, n* lOR. Cf. Ph. Lebas, Monuments d'antiquité figurée
recueillis en Morée,^. 150 et 152.
PSYCHOSTASIE HOMÉRIQUE. 655
D'autres fois ce sont des génies ailés , comme on vient de le voir.
C'est également un petit génie ailé qui désigne l'âme du géant Al-
cyonée, sur quelques rares peintures de vases (1). Les Danaïdes sont
figurées sous une forme analogue dans une peinture de vase qui re-
présente les supplices des enfers (2).
Nous avons vu aussi que l'âme est représentée par un hoplile ;
quelquefois cet hoplite est ailé , comme dans quelques peintures qui
représentent Achille traînant le corps d'Hector autour du tombeau de
Patrocle; l'ombre de l'ami d'Achille est représentée au-dessus du
tumulus, sous la forme d'un petit guerrier accroupi et ailé (3).
Le papillon, ou une jeune fille avec des ailes de papillon attachées
aux épaules , sont des formes relativement récentes employées pour
figurer l'âme. On ne trouve pas à une époque fort reculée , par
exemple, au temps le plus florissant de l'art grec, la figure de Psyché,
telle que des monuments de l'époque romaine la représentent.
Les ombres (ei'^'wXa, cxtai J sont quelquefois figurées par des per-
sonnages voilés , la tête couverte de leurs manteaux ou bien de lin-
ceuls. C'est ainsi que l'on voit l'ombre de Protésilas sur un sarco-
phage publié par Winckelmann (4), et sur plusieurs autres monu-
(1) Voir mon article intitulé : La mort d'y/lcyonér dans les annales de l'Inst.
arch. t. V, p. 308 et suiv. Je saisis celte occasion pour ajouter ici la description
d'une coupe fragmentée de la collection de M. le duc de I,uynes. Cette coupe à
figures rouges représentait le combat d'Hercule contre Alcyonée. Le héros thébain
est nu , le bras gauche couvert de la dépouille du lion et la main droite armée de 4a
massue dont il va décharger un coup sur Alcyonée , étendu par terre; une peau de
lion , à ce qu'il paraît , enveloppe les jambes du géant; le bras gauche tï Alcyonée
qui existe encore indique qu'il était déjà terrassé ou du moins couché. Un génie nu
et ailé plane au-dessus de sa poitrino. Dorrière Hercule se tient Athéné debout.
Plusieurs autres personnages complétaient la scène. — .l'ai décrit dans mon Catalogue
étrusque , n- 91 , une hydrie à figures noires qui représente Hercule et Alcyonée;
là on ne voit pas le petit génie ailé. Certaines de ces peintures semblent se rap-
porter à l'aventure qu'Hercule eut avec Cacus au mont Aventin , entre autres celle
d'une hydrie à figures noires du Musée Grégorien. Muséum FAruscum Gregoria-
num, vol. II, tab. XVI.
(2) Inghiranii , Pilture di vasi fitlili , tav. CXXXV. Ce sont également de petits
génies ailés qui représentent les ombres voltigeant autour de la barque de Charon.
Stackelbeig, die Grœber der Hellenen, ïaf. XLVIII.
{Z] Raoul-Uochctte, Iklon. inéd. pi. XVII et XVIII. Cf. mon Cal Durand,
n" 38S. Voir aussi Cat. duprince de Canino , n" 627, p. 51 ; Panofka, Recherches
sur tes noms des vases grecs, p. 41 , note 5. M. Ed. Gerhard {Griechische
Fasenbilder, Taf. CXCVIII) vient de publier une curieuse peinture qui repré-
sente les jeux célébrés en l'honneur de Patrocle. L'ombre est figurée comme sur
les autres vases relatifs à Patrocle, c'est-à-dire sous la forme d'un hoplite ailé.
L'ombre d'Achille enfin dans une belle peinture qui décore une hydrie à figures
noires, probablement à la pinacothèque à Munich ( Cal. étrusque, n« 148) est re-
présentée par un petit hoplite sans ailes.
(4) Mon. inéd. 123 ; Visconti, Mus. Pio Clem. V, tav. XVIH.
656 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ments anciens, parmi lesquels je me contente de citer ici une coupe
peinte qui m'appartient , les ombres sont figurées de môme. Cette
coupe inédite, à figures rouges, représente l'âme ou l'ombre d'un
héros conduite aux enfers par Hermès Psychopompe (l).
Ce serait un travail intéressait de réunir et de comparer toutes les
formes que les artistes anciens ont données aux représentations de
l'âme humaine ou des ombres des morts.
J. DE WiTTE.
■ (t) Cal, Durand, n" 204. L'ombre de Clytemnestre voilée paraît aussi sur plu-
sieurs vases où l'on voit Oreste poursuivi par les Furies. Raoul-Rochctte, Mon,
inéd. pi. XXXV. Je compte publier bienlAt une très-belle peinture de vase qui
montre l'expiation d'Oreste. Là , l'ombre de Clytemnestre voilée vient réveiller les
Furies endormies. — Ceci était imprimé quand j'ai eu connaissance d'un Mémoire
de M. A. Feuerbach qui a publié dans le Kunslblatl de 1841 , n°» 84-88, le bel
Oxybaphon sur lequel je prépare un nouveau travail pour les Annales de l'Insti-
tut archéologique.
DES DIVINITES
ET DES GÉNIES PSYGHOPOMPES
DANS L'ANTIQUITÉ ET AU MOYEN AGE.
SECOND ARTICLE {Suite.)
Pour achever cette démonstration, nous ferons remarquer que les
expressions, anges et démons, ont été plusieurs fois échangées entre
elles par des auteurs païens eux-mêmes : Orphée (1), Plutarque(2),
Aristide (3), Stobée (4) emploient indifféremment ces deux qualifi-
cations.
Martianus Capeila nous dit (5) : « Nam et populi genio, quum ge-
(( neralis poscitur supplicatur et unusquisque gubernatori proprio de-
ce pendit obsequium.ldeoquegeniusdicitur,quoniamquumquis homi-
c( num genitus fuerit, moxeidemcopulatur. Hictutelatorfidissimusque
a germanus animos omnium mentesque custodit. Et quoniam cogitatio-
(( num arcana superae annuntiat potestati, etiam angélus poterit nun-
« cupari. Hos omnesgraeci ^ali^ovaç dicunt, ànoTov è'a-niJLovaç ehoci.»
Philon a identifié de môme les deux genres de divinité , ou pour parler
plus exactement , il a reconnu lui-même l'identité que nous ve-
nons de chercher à rendre évidente à tous les yeux : TavTaç âaii^ovxg
lûvol QcTloL (fikocToooi, oùelepbç loyoçàyyé'ko-jç srwôs zaXetv, Tipoo-cpuso"-
Tspw^^pw^evoçovo^ari* xai yàpràçTou irarpoç èTzi-nelevasiçroïç èy.yovoiç
■/.ocL Ttxç Twv èy,y6v(t)V /pstaç rw lïocTpl âtayyéllovcjL (6],
Mais ce qui apporte à nos preuves toute la puissance de l'évidence,
c'est que non-seulement les caractères sous lesquels s'offrent à nous
les âûciixQveç des Grecs, sont ceux que nous rencontrons chez les anges
et les diables chrétiens, que les termes d'ccyyeloi, de âaliJLovsç ont été
fréquemment synonymes (7), mais c'est que de plus, les Pères de l'Église
(1) Ap. Lobeck. Aglaoph. p. 456. Orphie.
(5) De Orac. dffect. p. 417.
(3) M\. Aristidis Orat. Ek Âôvjvàv, p. 10, éd. Jebb, t. I.
(4) Slobœi Eclog. lib. V, c. 52, t. II , p. 904 , éd Hceren.
(5) De nupl. Philolog. et Mercur. lib. II , par. 152, 153 , p. 500, éd. Ropp.
(6) DeSomniis, lib. I , p. 04. Ap. Philonis, Opéra éd. Pfeiffer, t. IV.
(7) Saint Paul emploie pour désigner les anges l'expression JûvK/xt?, àôpxro;
658 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
n'ont fait aucune difficulté de reconnaître que les démons des païens
étaient les mêmes que les leurs , et qu'ils ont soutenu que les poëtes
et les philosophes grecs leur avaient imposé des noms avant eux.
Ecoutons Lactance : il prend si bien ce mot àaii^ùv, comme ayant
désigné chez les Grecs les mêmes êtres que les chrétiens nom-
ment démons, qu'il prétend conclure de certaines réponses d'ora-
cles, l'aveu fait par les dieux païens qu'ils n'étaient que des dé-
mons; et pourquoi? parce que dans ces réponses prétendues, le nom
de (Jaipwv a été appliqué aux dieux mêmes, conformément à l'accep-
tion générale de ce mot antérieure à l'adoption du système démono-
logique des platoniciens : ce Denique in aliis responsis daemonem se
« esse confessus est, nam quum interrogaretur quomodo sibi 'sup-
« plicari vellet, ita respondit : Havcocps, iiavroâiâay.z^ evoXoi<7Tpoçp£
(( yJylvOt ^odi^-ov. Item rursus quum preces in ApoUinem Smyntheum
« rogatus expromeret ab hoc versu exorsus est : Apixovi/i y.6(s^oio
« (pascrcpops xai aoçps (Jat|t/,ov. Quid ergo superest nisi ut sua confes-
« sione verberibus veri Dei ac pœnae subjaceat sempiternae (1)? »
Saint Clément d'Alexandrie est plus explicite encore à propos du
passage de saint Mathieu : il s'appuie sur les paroles tirées de la ré-
publique de Platon : Èneiù-h (J'oùv nadaç zàç ^u;)^àç zohç ,6touç f,pY}(jBoci
MCTiep '{koL-/0Vy £V Ta^st npoŒiévoci irpoç zw IS.ckyz(JiV ivMvw à'iy.ck(JZb^ 6v
eïXzzo oa.Lfi.ova. zovzov (ovlay^a ^U|ui7r£p.7ï£iv zov (3iOJ y.a\ àTroTrXyjpwTyjv twv
alpeQévzm , (2) pour établir que nous avons un ange gardien : il parle
du génie de Socrate comme étant cet ange ; il prétend que Platon a dé-
signé le diable sous le nom de y.ayJepyoç ^vx'^7 ^^ ^^ P^^ P^^s ^o*"» ^^
rapproche la doctrine de ce philosophe de celle de saint Paul sur le
même sujet (3). Il dit que Phocylide reconnaissait de bons et de mé-
chants démons, que les premiers sont les mêmes que les anges, il
ajoute cependant : èi^û yal ■riiJ.eïç aTiodzâzaq zivàç r.apzCkfioau.î.v (4).
Nous pourrions citer bien d'autres témoignages , nous y joindrons
seulement celui de Minucius Félix, qui suffira pour convaincre à ce
sujet le lecteur. « Il existe, dit-il, des esprits pervers et vagabonds
qui ont dégradé leur origine céleste par les passions et les désordres
qui souillent la terre : ces esprits , après avoir perdu les avantages de
^ûviz/jitç qu'emploient aussi Philon et les ^néoplatoniciens. Cf. Porphyr. de Anlr.
JVymph. c. 7, et Salluslius, de Dits cl mundo , e. 15.
(1) De falsa religionc , lib. I , p. 17, éd. Cantabrig. 1685.
(2) Republ., lib. X , p. 228 , éd. Londin. 1826.
(3) Cf. s. Cleni. Alex. Slromat. lib. V, par. 253. Ap. Opcr. éd. Potier, t. Il,
p. 701.
(4) Jhid. p. 2G0 , p. 725.
DES DIVIMTÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 659
leur nature et s'être plongés dans le plus incurable excès du vice,
tachent pour alléger leur infortune, d'y précipiter les autres; comme
ils sont corrompus, ils ne cherchent qu'à corrompre, et séparés de
Dieu, ils en éloignent les autres , en introduisant de fausses croyances
reJigieuses. Que ces esprits soient des démons, les poètes n'en dou-
tent pas, les philosophes l'enseignent {eos spiritiis dœmônas essepoelœ
sciunt , philo sophi dissemnl), et Socrate lui môme en était persuadé,
lui qui dans tout ce qu'il faisait ou s'abstenait défaire, suivait l'insti-
gation d'un démon familier ou cédait à sa volonté. » Puis il ajoute en
parlantdu magicien Hostanès(l) : a 11 rend au vrai dieu l'hommage qui
lui est dû, et reconnaît qu'il y a des anges, c'est-à-dire des ministres
et envoyés du vrai Dieu, qui se tiennent auprès de lui pour l'adorer,
et qui, saisis de crainte à son aspect, tremblent au moindre signe de
leur maître. Ce même magicien reconnaît encore que les démons sont
des esprits terrestres, vagabonds, ennemis de l'espèce humaine. Que
dirai-je de Platon , lui qui se décide avec tant de peine à reconnaître
un dieu, et qui reconnaît sans peine les anges et les démons? Ne fait-
il pas tous ses efforts dans son dialogue du Banquet, pour déterminer
la nature des démons? Suivant lui, c'est une substance moyenne entre
celles des dieux et des hommes , c'est-à-dire entre le corps et l'es-
prit, etc. » Et plus loin : « Les esprits impurs qui d'après les philoso-
phes, les mages et Platon lui-même, sont des démons, remplissent, sans
être visibles, les statues et les figures symboliques que la superstition
a consacrées (2). »
Ainsi il ne saurait plus y avoir de doutes , les anges et les diables
du christianisme ne sont décidément plus que les âalu-oveç des Grecs.
Non-seulement les monuments , en offrant sous des traits analogues
les génies et les puissances célestes, nous indiquent un emprunt fait
par les chrétiens à l'antiquité , ils ne sont bien réellement pour nous
maintenant, après les rapprochements auxquels nous nous sommes
livré, que des images d'êtres identiques.
Actuellement une question grave s'offre à notre examen ; en ad-
mettant cette communauté de croyances , faut-il pour cela dire avec
Miimcius Félix qui vient de nous fournir un si puissant argument ?
(( Animadvertis philosophes eademdisputarc quae dicimus, non, quod
<( nos simus eorum vestigia subsecuti, sed quod illi , de divinis prae-
« dictionibus prophetarum, umbram interpolatae veritatis, imitati
(1) Cf. ce que dit saint Cyprien , de Idol. van. p. 526 , éd. BalHz.
(2) Octavius , c. 26-27. Afin de ne pas fatiguer le lecteur par une trop longue ci-
tation latine , nous nous sommes servi de l'eslimable traduction do M. A. Féricaud .
660 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
(i sunt (t). » Ce serait fatiguer le lecteur, en remettant sous ses yeui
les pièces d'un procès qui a été déjà jugé et gagné cent fois par ceux
qui ont soutenu que le platonisme ne devait rien aux Hébreux. Nous
n'ajouterons à ce sujet que quelques considérations propres à rappeler
les éléments principaux du jugement que l'érudition indépendante a
rendu en faveur des philosophes grecs.
Sans doute il faut reconnaître que ce fut surtout à l'époque du
néoplatonisme alexandrin que la doctrine des démons se répandit dans
les esprits , mais elle avait été enseignée par Pythagore , Chrysippe ,
Xénocrate, Heraclite, Platon, Posidonius, bien antérieurement à
notre ère. En l'exposant, Plutarque, Apulée, Proclus , Plotin, Jam-
blique , Porphyre n'ont fait que développer les doctrines de ces phi-
losophes. Le néoplatonisme ne peut donc pas d'abord être accusé
d'avoir fait un emprunt au christianisme, son rival, puisqu'il tenait
ladémonologied'unedoctrineplus ancienne que lui. S'ilyaeuemprunt,
il n'a pu être fait qu'aux Juifs. Or, l'époque à laquelle, dans cette hy-
pothèse, l'emprunt aurait eu lieu, est celle de Pythagore et de Platon,
c'est-à-dire une époque à laquelle les livres hébreux n'étaient ni tra-
duits dans la langue des Hellènes, ni connus de ceux-ci. Nulle trace,
nulle tradition n'indique que les Grecs aient été le moins du monde
initiés aux secrets de la religion d'Israël, tandis qu'on sait, au con-
traire, que c'était dans l'Egypte, dans la Perse, dans l'Inde, trois
contrées dont les systèmes religieux offrent de fréquents points com-
muns , que les philosophes avaient été puiser leurs idées. N'est-il
donc pas naturel d'admettre que ce fut de ces pays que vint à la Grèce
le système démonologique dont il est ici question, surtout quand
l'étude des antiques croyances des peuples qui les habitent, nous en
fait retrouver chez elles les racines évidentes.
Les anciens eux-mêmes, malgré l'obscurité qui régna plus tard en
général, pour eux, sur les origines de cette croyance, inclinaient à
penser qu'elle leur venait des mages et des Egyptiens, alors qu'elle
rencontrait autant de foi que les dogmes nationaux. Plutarque
suppose que la croyance aux démons peut avoir été empruntée
aux mages , à Zoroastre , à Orphée , aux Égyptiens ou aux Phry-
giens (2). Saint Clément d'Alexandrie dit formellement que les anges
et les démons étaient adorés par les mages : Aarpeucuo-tv àyyéloiç yioci
âociiJ.o(jiv (3). Minucius Félix cite les mages parmi ceux qui croyaient
(1) Oclavius , c. 34.
(2) Plularch. De OracuL defect. p. 699 , de Isid. p. 477, éd. Wyltemb*
(3; S. Clem. Alex* Slromal. lib. III, c. 6. Oper. éd. PoUer, p. 44fi.
DKS DlViNITKS ET DKS GKiNir.S PSYCIIOPOMPES. 001
aux démons (1). Or, c'est précisément à ces mages que les Juifs, de
leur aveu, avaient emprunté cette doctrine. Le ïalmud dit que c'est
à Babylone que les Juifs ont appris le nom des anges (2). On ne
trouve aucune trace de la hiérarchie angélique dans les plus anciens
livres de la Bible, et le savant et orthodoxe D. Calmet est forcé de
dire dans sa dissertation sur Asmodée (3) : «Les anciens Juifs, avant
la captivité de Babylone , ne paraissent pas avoir beaucoup porté
leurs études du côté des anges. Nous ne remarquons pas qu'ils aient
exercé aucun culte, ni vrai, ni faux, ni légitime, ni superstitieux
envers eux; ils ne s'étaient pas même avisés de leur donner un nom.
Aussi ces noms venaient des Chaldéens. Les démons ne leur étaient
pas mieux connus que les anges. Le nom de Sathan, qui se trouve
en quelques endroits, signifie un adversaire. Belzébuth est un nom
d'idole ; Isaie parle de Lucifer ; mais ce nom ne signifie que l'étoile
du matin, et si on le donne au démon, ce n'est que dans le sens
figuré. »
Enfin la meilleure preuve de l'emprunt fait par les Juifs à la reli-
gion mazdéenne, c'est que la cabbale qui exerça une si grande in-
lluence sur les opinions de ce peuple, et dont les premières traces
apparaissent dans le phariséisme, contemporain du Christ, est puisé
tout entier à la source persane, dont elle a conservé l'irrécusable
empreinte (4).
On ne saurait donc méconnaître la source orientale des anges et
des démons, dont il faut aller chercher les types dans les Amscha-
pands , les Izeds , les Ferouers et les Dews du Zend-Avesta , dans
les Parzuphim, les Melachim, les Elohim,les Ben-Elohim, les Sephi-
roth de la cabbale. A Babylone, la doctrine zoroastérienne (5) devait
donc être nécessairement professée par une partie de la population
assyrienne, sans doute la partie savante, et les lynges] (6) paraissent
avoir été les analogues des esprits du mazdéisme.
Une invasion des idées orientales dans l'Occident a donc doté le
(1) Octavius,c. 37.
(2) Hyde , Hislor. religion, vêler, persar. c. 20 , p. 273.
(3) Dissertations sur l'Écriture sainte, t. II , p. 262 (1720, in-4).
(4) Voyez la déraonstralion de ce fait dans l'excellent ouvrage de M. Franck sur
la cabbale.
(6) Cf. Matter, Histoire du Gnosticisme , 2« édit. 1. 1, p. 150 et suiv.
(6) Cf. les Oracles de Zoroaslre dans les Oracula Sibyllina de Galaeus et les
Ancient fragments de Cory. Si l'on admet l'assertion de Psellus dans son commen-
taire, les Chaldéens reconnaissaient formellement deux ordres d'anges, les bons et
los mauvais.
1. 43
662 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
christianisme de tout ce cortège de génies, d'esprits bons ou mal-
faisants, à la classe desquels appartiennent les divinités psychopompes
qui fixent actuellement notre attention. C'est un fait curieux qui
occupe incontestablement une grande place dans l'histoire intellec-
tuelle des premiers siècles de notre ère. Un des grands écrivains de
notre époque en a retracé le tableau avec son éloquence accoutumée.
La vivacité avec laquelle M. Villemain a décrit cette phase des an-
nales de l'esprit humain , la manière heureuse dont il résume tous
les faits que nous avons péniblement prouvés , nous fait un devoir
de le citer, en partie du moins : « Les dogmes simples de Zoroastre ,
transmis de proche en proche , défigurés par l'ignorance de leurs der-
niers sectateurs, étaient devenus une nouvelle idolâtrie. Les génies
remplaçaient les dieux, c'était une autre erreur plus abstraite, plus
contemplative, plus rêveuse que celle du paganisme romain, mais
également faite pour troubler 1 âme par la superstition et la crainte.
Ces génies de l'Orijent, ces intelligences émanées du Très-Haut, ces
puissances intermédiaires et rebelles, n'avaient point de temples ni de
statues; mais le dévot oriental se croyait sans cesse en leur pouvoir,
les redoutait partout, les sentait, les souffrait en lui-même; de là
ces possessions si communes dans l'histoire de cette époque. Ce n'était
plus cette fureur divine attribuée par les païens aux interprètes de
leurs dieux. Ils vénéraient la Pythie ; on exorcisait un possédé de Na-
zareth ou de Samarie. Ce n'était pas non plus ces furies vengeresses
qui, dans le polythéisme grec , s'attachaient à la suite des grands cou-
pables. Les malfaisants génies, dont parle la Michna , rôdaient au-
tour de l'innocence ; le monde était plein de leurs embûches ; ils tour-
mentaient les corps et les âmes; cette superstition rendait fou (1). »
Enfin pour achever un rapprochement dont l'évidence est peut-
être déjà complète, remarquons que la doctrine de l'ange gardien ,
qui forme l'une des croyances les plus touchantes du catholicisme,
se trouve formellement énoncée dans le système démonologique an-
tique.
Chacun de nous a , d'après les enseignements de l'Église catholique
romaine, un ange qui le conduit, l'instruit, veille sur lui et le pro-
tège contre les méchants. Cette idée apparaît dans l'évangile de saint
Mathieu (2) ; elle a été ensuite professée par tous les Pères : « Magna
« dignitas est animarum, » écrit saint Jérôme, « ut unaquaeque habeat
(1) Villemain, Du Polythéisme dans le premier siècle de noire ère , t. Il,
p. 267 des Mélanges littéraires.
DES DIVINITJÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 663
abortiinativitatisiiicustodiam sui angelumdliigentem(l).))Théodoret
écrit de même : At^aaxOjasOa tolvvv Èy, tojtov wç twv àyyéloiv piv
(^vlctTrei-J Y.OU twv Toviiov-npoù àatuovoç £7:têou)wv ànaïXâzzeiv (2). Ori-
gène (3) tient le même langage. Nous pourrions citer une foule
d'autres témoignages; nous nous contenterons de rapporter les pa-
roles de saint Bernard, qui expose ce dogme consolant avec le charme
habituel de sa parole : « Angélus ej us,)) dit-il, «qui unus est de soda-
ce libus sponsi, in hoc ipsum deputatus, minister profecto et arbiter
(( secretae mutuœque salutationis, is inquam angélus quomodo tre-
ccpudiat, quomodo coll?etatur et condelectatur fidelis paranym-
«phus, qui mutui amoris conscius, sed non invidus, non suam
« quœrit sed domini gratiam ; discurrit médius inter dilectum et
(( dilectam , vota offerens , referens dona (4). »
Tous ces passages semblent empruntés aux auteurs anciens. Mé-
nandre nous disait déjà :
kya.Q6ç (5).
Plutarque, qui nous a conservé ces vers curieux, énonce les
mêmes idées; il nous représente chaque génie aimant à secourir l'âme
qui lui est confiée (6). Censorinus (7), Hiéroclès (8), nous entre-
tiennent du même génie que nous rappellent les vers si connus
d'Horace :
Scit genius, natale cornes qui tempérât astrum.
Natures deus humanœ.
Epist. II, lib. II, V. 187-88.
Hermias, dans son commentaire sur le Phèdre de Platon, parle
du démon Eçpopoç rriç Çwyjç (9). Sur ce chapitre, on peut dire que le
platonisme était véritablement chrétien ; en lisant tous ces témoignages
antiques, on croit lire des passages tirés des Pères ; le savant Creuzer
(1) InMalh. XVIII,10.
(2) In c. 10 Dan. p. 672.
(3) Hom. XX , in JYum. ap. Oper. éd. Delarue , t. H , p. 350.
(4) In Canlic. Serm. XXXI , 5 col. Ap. Oper. t. H , col. 1381.
(5) Plutarch. De Tranquil. anim. IG.
(6) Plutarch. De Genio Socrat.
(7) Censorin. De Die natal, c. 3.
(8) Hierocles, De Provid. p. 277, éd. Needham.
(9) Cf. Animadv. ad Porphyr. de Antro Nympharum, éd. Van Goens, p. 94.
G64 IIEVUE ARCHÉOLOGIQUE.
la remarque avant nous (l), ce sont les mêmes pensées et souvent les
mêmes expressions : quand saint Basile parle des anges donnés à chaque
croyant comme précepteur et pasteur, Traicîaywyoç, ttoi/jlt'v, quand saint
Athanase les désigne sous le nom de àvÔpwTrcov âi^diaKaloi , on croit
entendre parler Platon qui a fait, avant ces Pères, usage de ces
dénominations pour les génies familiers des mortels.
De même que certains philosophes, certains écrivains tels qu'Em-
pédocle (2), Euclide (3), Plutarque (4), Servius (5), admirent deux
génies pour chaque homme, l'un bon qui le conduit et leclaire,
l'autre qui cherche à le tromper et à le séduire (6), de même certains
auteurs sacrés et précisément ceux qui , par l'époque à laquelle ils
vivaient, se rapprochent des temps où florissait cette doctrine chez
les païens , admettent la même croyance. Dans le Testament des
douze patriarches (7), dont au reste l'auteur semble avoir été gnosti-
que, il est question de l'esprit de vérité et de celui d'erreur qui cher-
chent à diriger l'homme. Hermas, dans son livre du Pasteur (8), parle
plus expressément de ces deux anges dont l'un est bon et l'autre
méchant. On trouve des passages non moins explicites à cet égard
dans VOpus imperfectum in Matlhœum (9), dans Origène (10), dans
Cassien (11), Theodoret (12), et autres. Cette doctrine a reparu au
moyen âge chez certains docteurs : (cHabetenim quaelibet anima duos
« angelos, » dit saint Bonaventure (1 3), (c unum bonum ad custodiam ,
<( alium malum ad exercitium. » Quelquefois même, quoique rarement,
il est question de deux anges gardiens. Ce sont ces deux anges que
sainte Humilité, abbesse, avait sans cesse devant les yeux (14).
Pour que rien ne manque à la ressemblance entre la démonologie
(1) Relig. de l'Antiquité, trad. Guigniaut, t. III, part. I , p. 38 et suiv.
(2) Ap. Plutarch. De Tranquill. anim. 15.
(3) Ritter, Hist. de la Philosophie, II, 2G.
(4) L. c. Cf. Huetii Origenian., lib. 2, p. 171, 6d. Delarue.
(5) « Quum nasciraur, duos genios sortimur, unus est qui hortatur ad bona ; aller
« qui dépravât ad mala. » Serv. ad ^neid. lib. VI, v. 140.
(6) Cf. Huetii Quœslion. alnet. de Concord. rationis et fidei. lib. 2, p. 134
(in-4, 1690).
(7) Giab.Spicileg. I, 18; etFabricii Cod. Novi Testam. t. II.
(8) Lib. II, c. 6; lib. III, c. G,c. 2, 3.
(9) Cf. Petavii de Angelis, p. 74 et suiv. Ap. Opéra.
(10) Origen. In Lucam, Hom. XII, et Hom. XXXV, ap. t. III, p. 945, 973, éd.
Delarue.
(11) Collai. 8, cap. 17.
(12) Lib. 3.
(13) Compend. theolog. verit. lib. II , c. 27.
(H) Bolland. Act.n maii , p. 213, col. 2.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOFOMPES. 665
platonicienne et l'angélologie chrétienne , nous ferons observer qu'on
trouve dans la première, jusqu'à l'ange psychagoguequi présente notre
âme au Seigneur et nous transporte au ciel, ainsi que nous l'ensei-
gnent les docteurs de l'Eglise. Asysrat âl oiizo^q, dit Platon dans son
Phédon (1), àç apa. relevrridavza e-aadTov 6 £za(7Tou àoiijxd^v ofSTtzp
Çwvra zikh'/zi ovtoç ayeiif, èTuy/ipei elq ^y? riva rénov y oi ^£l zohç
(Tvlleyé'jTaç âiaâir/.(X(TaiJ.ivGvç sic a$ov 7:opzv£<7Qixiy etc. Hiéroclès nous
enseigne également que le génie qui veille sur chacun de nous, nous
conduit aux enfers après notre mort : Kai (jLsrà vhv TeAeyryiv elq aàou
-Kopda. IJ.STOC Yiyeixovoç rov zriv Çw7)V v^awv £ÎXy};^oToç âocliJ.ovoç (2) , et
Plotin tient le môme langage (3) qui se retrouve presque mot pour
mot dans la bouche d'Origène , quand il nous entretient des anges :
(( Quos etiam venire ad judicium cum hominibus (4). »
Le système démonologique, à l'exposé duquel nous venons de con-
sacrer les pages précédentes , avait poussé dans l'antiquité de si pro-
fondes racines qu'il n'était pour ainsi dire pas de religions qui n'en
fussent pénétrées. Les génies psychopompes, chez les Étrusques, par
exemple, s'offrent à nous avec les couleurs sous lesquelles ces
mêmes génies ont déjà été rencontrés par nous dans le polythéisme
grec et le christianisme. Les Étrusques ont eu leur ange extermina-
teur, celui qu'on a désigné sous le nom de Charon étrusque (5). Cet
ange figure sans cesse sur les monuments (6) funéraires de ce peuple.
On le voit entre autres sur une urne en marbre publiée par Micali ;
il est armé d'un marteau, guette deux guerriers qui combattent et
s'apprête à frapper celui des deux qui succombera dans la lutte ; ce
sujet se retrouve sur des monuments du Musée de Chiusi (7).
Ce Charon étrusque, qui n'est très- probablement que le genius
infernus qui figure si souvent sur les inscriptions tumulaires (8), est
un véritable ancêtre de nos diables: sa figure est repoussante, sa cheve-
lure et sa barbe hérissées, son front estgarni de serpents (9) ; sesoreilles
pointues rappellent celles des satyres qui en furent ainsi pourvus, sans
doute par imitation (10). Il veille à l'entrée des enfers, accompagne
(1) Platon Phedon, c. par. 130, edit. Londin-, p. 359,
(2) Hiéroclès, De Providenlia, p. 178, éd. Needham.
(3) Ennead. 3, lib. IV, c. 6.
(4) Hom. XXIV, p. 365, ap. Opéra, éd. Delarue, t. II.
(6) Voyez J. A. Ambrosch , De Charonte elrusco, Vratislav. 1B37.
(6) Micali , Storia degli antichi popoli italiani. Atlas , 2* éd. tav. LIX , fig. 3, 5.
(7) Inghirami e Valeriani, Elrusco Museo Chiusino, t. I, tav. XXVII.
(8) Fabrelti, Inscript. II, n» 71, p. 73. Orelli , Inscr. lalin. selcct. n"" J726.
(9) Ambrosch, 1. c. p. 4.
(10) Voyez mon Essai sur If s Légendes du moyen âge , p. 136.
666 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
la mort avec un autre génie; dans ce cas , il joue tout à fait le rôle
de psychopompe. Ce sont les génies dont Aufustius a dit : Deorum
filii et parentes homimim (l)'; ce sont réellement les c^at^oveç grecs qui
avaient été aussi à l'origine les âmes des morts divinisés (2). Sur une
grande urne étrusque, on voit les deux génies infernaux figurer dans
le scène des derniers moments d'une épouse. D'un côté, un génie
femme ailée cherche à attirer doucement à lui la mourante, au
moment où celle-ci adresse à son mari ses derniers entretiens. De
l'autre côté, Charon, ou plutôt le mauvais ange, tenant une tenaille
d'une main et un flambeau de l'autre , s'apprête à accompagner la
défunte dans l'empire des ombres (3).
On sculptait la figure de ces deux génies aux portes* des tom-
beaux (4), comme au moyen âge on peignait celle de saint Michel à
l'entrée des cimetières. Sans doute que les Étrusques s'imaginaient
que c'étaient ces démons qui ouvraient le sépulcre au moment oii le
mort se rendait dans le monde infernal, absolument comme on se
figurait que l'archange Michel soulevait la pierre des tombes pour lais-
ser ressusciter l'âme sortie de son sommeil (5).
Souvent les génies psychopompes étrusques s'offrent tout à fait
sous les traits des furies. Ainsi, sur un sarcophage publié par Mi-
cali (6), on voit un guerrier que les génies tourmentent; l'artiste a
donné à ceux-ci des têtes de bélier, sans doute pour exagérer leur lai-
deur; sur le second plan, de véritables furies, des serpents, enroulés
autour des bras, harcèlent la victime ,' et lui présentent la tête de
ces reptiles ; or cette attitude est précisément celle que dans les
monuments, on donne à Tisiphone et à ses sœurs. Sur une autre
urne (7), une sorte de furie assaillit une ombre qu'entraîne par la
main un génie funèbre.
On voit par là que le mythe juif de l'ange exterminateur existait
aussi chez les Étrusques sous les traits de ce Charon nécropompe.
Nous disons le mythe juif, car, en effet, l'idée de l'ange extermina-
teur à disparu peu à peu, à mesure que le christianisme s'est
répandu; on le trouve cependant encore dans quelques livres des
(1) Festus, De Verhor. signif.^y. Genius.
(2) O. Millier, Die Elrusker, III, 4, 5; 7.
(3) Micall , Sloria, etc. Atlas, t LX.
(4) Ibid. tav. CIV.
(5) Par exemple, d'après le livreinlilulé : j4icensio Isaiœ vatis (édit. Grofrer,
p. 9), c'est saint Michel qui ouvrit la pierre du sépulcre du Christ.
(6) Micali, o. c. tav. XLIX,fig. 1.
* (7) Ibid. tav. XLVIII.fig. i.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 667
premiers siècles , par exemple dans les Actes de saint André (1).
Saint Amphiloque parle de Oepiaràç àyyélovç (2), qui sont de véri-
tables exterminateurs, et qui rappellent ce sujet accepté sur les sarco-
phages païens de génies moissonnant et vendangeant (3), image allé-
gorique par lesquelles les chrétiens adoucissaient déjà la rigueur
du dogme hébreu.
Nous n'avons pas parlé de démon exterminateur chez les anciens; il
ne faut pas croire cependant que ce mythe leur fût inconnu, et il est
facile de le retrouver, quoique sous une forme un peu détournée. Chez
lesGrecs, l'ange exterminateur, c'est d'abord Némésis, que Platon ap-
pelle âyyeloç Ar/yjç (4), l'ange de la justice divine; c'est aussi le
AaiiJLMV dont il est fréquemment question dans les inscriptions ainsi
conçues : ^ocIijmv d(^apv:aiaç (5), ou Bao-zavoç ripTiocde i^aiiJLCùV (6).
Enfin, ces esprits exterminateurs se retrouvent encore dans le génie
de la mort , Thanatos (7) , le génie du tombeau , Sopo(Jai^wv (8) ,
qui n'est évidemment que l'ange de la mort de l'Orient.
Le caractère de l'ange exterminateur, confondu avec celui du dé-
mon, se retrouve également chez les Uolvoct des Grecs, les dirœ
uîtricesdes Latins (9), les Erinnyes, qui, comme les diables, conduisent
dans l'Érèbe les âmes coupables (1 0); chez les Kères enfin, représentées
les cheveux en désordre, la barbe touffue, la figure hideuse, les mains
crochues, les ailes attachées au dos. Il est impossible, en jetant les
yeux sur les vases peints, les bas-reliefs et les figurines qui nous four-
nissent l'image de ces divinités meurtrières , de ne pas penser aux
diables. On croirait que les artistes du moyen âge, aussi bien que les
poëtes, Dante comme Orgagna, avaient sous les yeux ce portrait
qu'Hésiode (il) nous fait de ces kères noires, affreuses, terribles,
jetant leurs ongles acérés sur les infortunés qui succombent et en-
voyant leurs âmes dans le froid Tartare. On peut dire que dans TOc-
(1) Act. s. Andr. IX , 26 , ap. Fabricii Cod. pseud. JYovi Testam.
(2) Serm. in occursum Domini , p. 15, ap. Oper. éd. Combefls.
(3) Cf. Bottari, Scullure e Pillure sagre délia Roma soUerranea, tav. CXXXII
et t. I,p. 125.
(4) Cratyl. 407,
(6) Bœckh , Corpus inscript, grœe. n» 710, p. 508.
(6) ^nlholog. l'alat. Paralipom. III, m, 7, 760, éd. Jacobs.
(7) Cf. RaQiil Rochelle, Oresléide, p. 222-258, note.
(8) Plutarch. de Puer. educ. 13, 11.
(9) Voyez l'ouvrage de Bœltiger sur les Furies , traduit par Winckler, et Atn-
brosch , ouv. cil. p. 28 , 29.
(10) Axioch. 21.
(11) Asp. Herc. 250 et 10.
G68 «EVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cident, les kéres ont été transformées en diables^ tandis que dans
le Nord elles étaient changées en valkyrics. En lisant ce tableau de
Stace, ne se représente-ton pas l'armée des légions sataniques, qui,
dans les légendes chrétiennes, entourent les damnés, les enchaînent
et les torturent de mille façons :
Forte sedens média regni infelicis in arec
Dux Erehi, populos poscebat crimina vilœ ;
Nil hominum miser ans , iratusque omnibus umbris.
Stant Furias circum , variœque ex ordine mortes
Sœvaque muUisonas exercet pœna calenas;
Fata ferunt animas et eodem pollice damnant.
Thcbaid. VIII, 21 et sq.
Le diable, les monuments nous le font sentir, est du même sang
que le génie de la mort, tel que nous l'a peint l'antiquité. On le re-
connaît dans cette figure noire, d'un aspect horrible, avec une lon-
gue barbe, les cheveux en désordre, qui apparut à Brutus avant la
bataille de Philippes (1); dans une figure semblable que décrit' Va-
lère Maxime (2), lorsqu'il dit : « Hominum ingentis magniti\dinis,
«coloris nigri, squalidum barba, et capillo dimisso. » C'est encore elle
dont Lucien a écrit (3) : Ay;i^pi7îpoç xal y^ùœ/iz^nq %oli ixelavrepoç rov
i^o^^ov ' expressions qui nous reportent tout de suite à l'épithète de
Ço(pw(^£?ç j qui a été donnée par les Pères aux diables (4), Ces descrip-
tions s'appliquent parfaitement aux figures du démon antérieures au
XIIP siècle (5) ; ces apparitions du génie de la mort sont absolument
celles que Raoul Glaber décrit dans sa chronique, comme les spectres
diaboliques dont les moines de son temps étaient assaillis.
Les Chrétiens se sont inspirés si souvent des idées païennes dans
toute la psychagogie, qu'il suffit d'étudier avec quelque soin chacun
des monuments qui s'y rapportent, pour découvrir, en quelque sorte,
à chaque pas, la trace antique. On sait que, sur un grand nombre de
bas-reliefs, de peintures, de pierres gravées, l'âme est figurée symboli-
(1) VluluTch' Brut. 36.
(2) 1,7,7.
(3) Lucian. Philops, VII , 31, p. 283 , éd. Bip. Cf. Dion Cassius, LXXVIII, 9.
(4) S. Amphiioch. Serm. de Pœnitenlia, éd. Combcfis, p. 107.
(5; A partir du XII« au XIII' siècle , le diable perdit son caractère archaïque qui
le rapprochait du Bû^jutqç des anciens et revêtit une forme toute fantastique. Voyez
sur les anciennes figures du diable , Trésor de Numismatique et de Glyptique,
bas-reliefs et monuments, pi. XX. Gori, Thesaur. Vêler, diplych. T. III,
lab. XXXII. D'Agincourt, Hist. de VArt, peint. PI. 42, fe Missel de Worms ,
manuscrit de la Biblioth. de l'Arsenal, un Manuscrit de la Biblioth. royale, in-4,
n-^ 75, anc. fonds.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 669
quementpar un personnage placé dans un char; quelquefois ce person-
nage est ailé (l). Il est traîné tantôt par des grillons (2), tantôt par de
véritables chevaux (3), souvent aussi par deux génies à ailes de papil-
lon (4), ou dont l'un est blanc et l'autre noir (5). Parfois encore, avec la
même intention symbolique, on représentait sur les sarcophages l'en-
lèvement de Proserpine, dans lequel on voit Pluton plaçant sa future
épouse sur le char funèbre (6); ce char, qui rappelle celui delà des-
tinée (7), est une sorte de véhicule psychique (8).
Des tombeaux païens ces sujets passèrent sur les sarcophages
chrétiens; cet emprunt, comme les emprunts semblables dont
nous avons déjà parlé, a une cause complexe : il provient de ce que
les chrétiens se servirent de sarcophages fabriqués et sculptés par
des artistes païens, en sorte que les sujets païens furent introduits ,
presque à l'insu des fidèles, sur les monuments appartenant au nou-
veau culte. Une fois reçus par les chrétiens, ils devinrent, par suite
de la routine et de l'esprit imitateur naturels à l'homme, l'objet d'une
imitation plus ou moins intelligente. Reproduits sans cesse, les néo-
phytes qui les avaient sous les yeux, n'étant plus nourris des traditions
antiques, repoussant toutes les idées païennes avec horreur, n'en
pouvaient saisir l'esprit primitif; ils durent donc leur attribuer des
sens nouveaux, plus en harmonie avec les dogmes qu'ils professaient;
mais, comme leurs interprétations étaient nécessairement subordon-
nées aux sujets eux-mêmes, en quelque sorte enchaînées par eux, ceux
ci réagissaient à leur tour sur les opinions destinées à les expliquer,
et le paganisme n'en continuait pas moins d'exercer ainsi sur les
croyances nouvelles, à l'aide de ses monuments, une influence re-
marquable.
Nous ne chercherons même pas à démontrer le premier point, ce-
lui de l'usage fait par les chrétiens des monuments païens, c'est un
tait acquis à l'histoire archéologique, et que, dans ces derniers temps,
M. Raoul Rochelte a achevé de mettre hors de doute dans ses nom-
(1) Gori , Inscr. anliq. Part. I, p. 197. Part. III , pi. XV.
(2) Monum. delV Instit. archeol. di Roma , t. I, tav. XVIII.
(3) Micali, Monumenli inedili, pi. VI , n' 2.
(4) Gorlée, Pierr. grav. n'' 479, pi. CGXXX.
(5) Micali , Storia degli antichi, etc. Allas , S'' ediz. tav. LXV.
(6) Voyez pour la liste des nombreux monuments sur lesquels se trouve ce sujet,
comte de Clarac, Musée de Sculpl. anc. et mod. bas-reliefs, n' 13, p. 209
et suiv.
(7) Raoul Rochelle , Oresléide, p. 215. Voss , Mytholog. Brief. 1 , 76, 79.
(S) Cf. Inghiramî, rasifiltili, t. III, p. 47, tav. CCXVIl,
670 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
breux Mémoires sur les antiquités chrétiennes. Quant à l'analogie
qui en est résultée, pour le polythéisme et le christianisme, dans les
idées relatives à l'enlèvemement de l'âme sur un char, c'est une as-
sertion qui demande quelque développement.
Les anciens se représentaient les dieux, les immortels, montés sur
des chars d'or et de feu. Toute la poésie grecque et latine en fait foi,
depuis le tableau que nous fait Hésiode (1), de Mars vaincu par Her-
cule, remontant aux cieux sur son char, conduit par la Terreur et la
Crainte, jusqu'aux vers de Stace, dans ses Sylves :
Al lu seu rapidum poli per axem
Famœ curribus arduis levalui
Qua surgunl animœ polenliores
Terras despicis et sepulcra rides.
Lib. II.
Platon a comparé l'âme aux forces réunies d'un attelage ailé et
d'un cocher (2).
Les Chrétiens ont admis plusieurs faits qui offrent avec ces idées un
grand point de ressemblance. Ils croyaient que certains personnages
avaient été enlevés aux cieux sur des chars de feu. C'est ainsi, par
exemple, qu'Élie avait été transporté dans le sein de Dieu. Il est à
remarquer que le sujet de l'enlèvement d'Élie se montre fréquemnwnt
sur les sarcophages chrétiens, précisément à l'époque où le paga-
nisme était encore plein de vie, et par conséquent, alors que l'échange
des idées païennes et chrétiennes était rendu plus facile. Le prophète
est représenté tout à fait sous les traits du Soleil, son char, à quatre
chevaux, est absolument le même que celui que les artistes païens
donnent à Phœbus (3). Il n'est pas jusqu'à l'usage de figurer les
fleuves par des divinités assises , appuyées sur une urne d'où l'eau
s'échappe, et le front couronné de roseaux , qui n'ait été suivi pour
peindre le Jourdain (4). En sorte que tout fait croire que le sujet, tel
qu'il apparaît sur les monuments de la foi nouvelle, n'était autre que
celui du lever du soleil, que les Chrétiens avaient transformé pour en
faire l'enlèvement du prophète. Ne sait-on pas que le lever du soleil
(1) Asp. Herc. 465 et sulv.
(?j Phed. 1324.
(3) Voy. Boltari, ScuU. e PilL sagr. tav. XXVII, XXIX , LU, LXX, Clarac,
Catalng. du Louvre, n'' 777 bis.
(4) Au moyen âge les fleuves continuèrent d'être représentés souvent sous figure
humaine , comme oh le voit par la Diversarum Arlium scheduln de Théophile.
On lit au chap. ux au sujet de l'encensoir baltu : «i In quibus sedeant quatuor flu-
« mina Paradysi humana speciecum suis amphoris, quibus eflTundalur quasi species
n fluentis aquae. » Edit. Lescalopier et Guichard , p. SOS.
DES DIVINITES ET DES GENIES PSYCHOPOMPES. 671
était pour les païens l'emblème de rimmortallté (l ), que les chars du
Soleil et de la Nuit, figurés sur les tombeaux, font allusion à la brièveté
de la vie. Le nom d'Elie rappelait«te plus, pour les Chrétiens, le nom
grec du soleil, et ils allaient même jusqu'à vouloir que ce dernier
nom fût dérivé de celui de leur prophète : — Je crois, s'écrie saint Jean
Chrysostome (2) en parlant de l'enlèvement d'Élie , que c'est de là que
les poëtes et les peintres ont emprunté cette image du soleil monté sur
un char étincelant et qu'entraînent des coursiers éclatants de flammes,
s'élevant radieux du sein des flots de l'océan , à travers les cimes
escarpées des montagnes , et qui semble comme lui monter à la céleste
demeure environné de lumières.
Sedulius fait le môme rapprochement entre le mot helios, soleil,
et le nom d'Élie ;
Çuam bene fulminei prœlucens semila cœli
Convenu Eliœ, meriloque et nomine fulgens
Mac ope dignus erat, quoniam sermonis Achivi
Una per accenlum mutclur litlera, sol est.
Lib. I , de Helia, v. 168 et sq.
Aujourd'hui, dans la Grèce, la plupart des montagnes, dont les
cimes étaient jadis consacrées à l'astre qui les dorait de ses feux,
portent le nom de saint Élie.
On peut donc sans témérité, puisque c'est saint Jean Chrysostome
lui-même qui nous le dit, reconnaître dans Élie porté aux deux, l'an-
cienne imagedu soleil qui s'élève de l'aurore vers le midi, ou bien encore
celle de Bacchus qu'on voit sur les bas-reliefs antiques, la tête radiée,
conduire aussi un char, comme symbole du solstice d'hiver (3). Il y a
dans ce sujet chrétien une association évidente de l'idée païenne
d'apothéose et du dogme chrétien de la résurrection ; il suffit, pour
s'en convaincre, de jeter les yeux sur certaines médailles représentant
l'apothéose de Constantin, et sur lesquelles figure ce même prodige
de l'enlèvement d'Élie au ciel.
Les légendes qui se rencontrent chez les Chrétiens de l'enlèvement
des âmes dans l'empyrée, au moyen d'un char céleste, sont nées de
cette association, et l'histoire du ravissement d'Élie en forme en quel-
que sorte le type. Un des plus anciens écrits qui en rapportent de ce
genre est un livre fort curieux, intitulé : AiaÔwyj xov àiuiiviTox) zat
(1) Raoul Rochette , Monum. inéd. PI. LXXII, p. 396 et «uiv.
(2) Hom.Ul,de EL^l.
(3) Millin , Galcr. Mylhol. PI. LX.
I
672 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
-îzolvx^loîj y.oci iiocY.ixpiov Iwê, ouvrage apocryphe, c'est-à-dire qui
n'est nullement du Job de l'Écriture, mais dont la date est incon-
testablement fort ancienne , puisqu'il en est question dans le décret
du pape Gelase (1). Il a été publié par Angelo Maio (2). On y
lit qu'au bout de trois jours de maladie, Job, couché sur son lit, vit
venir à lui les saints anges, qui s'apprêtaient à recevoir son âme ;
qu'alors il se leva, prit sa harpe et la donna à sa fille Hemera; il
donna un encensoir à sa fille Cassia, et lui mit aussi entre les mains un
tambour, afin que ses filles chantassent et jouassent de la musique à
l'arrivée des esprits bienheureux ; et celles-ci se mirent à chanter les
louanges du Seigneur, en s'accompagnant de ces instruments ; et
l'ange vint, monté sur un grand char, il embrassa Job , prit son âme,
la fit monter sur le char et la ravit au ciel.
Plusieurs saints, au dire des hagiographes, furent ravis au ciel sur
des chars de feu. Nous citerons, entre autres, le célèbre saint François
d'Assise (3). *
La croyance à un char qui porte les âmes au ciel (Seelwagen,
Zielwagen) existe dans plusieurs contrées germaniques. En Flandre, le
peuple s'imaginele voir, la veille du jour des morts, parcourir le ciel (4).
A Noël, on voit ce même char (Heliwagen) apparaître pendant douze
nuits consécutives. Dans l'Odenwald , on croit également apercevoir
au ciel ce char de feu (5). Les frères Grimm ont aussi donné, dans
leur Recueil, l'histoire d'un char mystérieux qui portait des moines
aux vêtements noirs et qui se trouvaient être des ombres , histoire
empruntée à Georges Sabinus et à Wierus, et qui a son origine
dans les mêmes croyances (6). La grande ourse, que presque tous
les peuples de l'Occident ont désignée sous le nom de chariot, fut
regardée plusieurs fois comme ce char mystérieux (7).
Après tous ces rapprochements , le lecteur sera moins éloigné de
croire que ces légendes d'âmes enlevées au ciel sur des chars ne pro-
cédassent autant du mythe biblique d'Élie que des sujets des sarco-
phages païens. Il ne serait pas même impossible, quoique nous sen-
tions combien cela est contestable , que la scène d'un caractère
mythologique si évident de l'enlèvement de Proserpine ne fût devenu,
(i) Collect. Concil. Mansii , t. VIII, col. 169.
(2) Ap. Scriplor. vêler, nov. collai. T. VIII , p. 191 , par. 35 (in-4 , 1839).
(3) Barlholom. Pis. Liber aureus, etc., col. liS.
(4) Voy. Coremans, L'année de l'ancienne Belgique, p. 33.
(5} Grlmin, Tradil. popul. de l'Allemagne, trad. Thcil. t. I , p. 439.
(6) Jbid., p. 436.
(7) Grimm , Deutsche mythologie , p 686-687, nouv. édit.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. G73
dans l'esprit des Chrétiens , l'image de quelque histoire pieuse et que
Proserpine n'eut été transformée dans le personnage de la mère du
Sauveur. Proserpine n'est pas, en efl'et, sans quelque analogie avec
Marie, et les anciens l'invoquaient, comme le faisaient les Chrétiens
au moyen âge, pour Notre-Dame , afin de conduire l'âme au séjour
de la félicité , comme le rappelle l'inscription trouvée à Venise :
De même que les païens plaçaient leurs divinités sur un char en-
flammé , les Juifs et les Chrétiens s'imaginaient voir le Tout-Puissant
parcourir le firmament porté sur un semblable véhicule. Les visions
d'Ézéchiel et de Daniel en font foi, et nous voyons, par la vie de
saint SiméonStylite, que cet ascète, dans ses hallucinations, apercevait
Dieu dans ce majestueux cortège (2). Ce n'est que plus tard que toutes
ces croyances ne devinrent que des allégories aux yeux plus éclairés
des Chrétiens et que le char ne fut plus conçu que dans un sens figuré;
si bien qu'Honorius d'Autun a été jusqu'à dire : « Christus mundum
(( intravit, dum chorus prophetarum cecinerunt,curruScripturae vec-
c( tus, sanctorum ordinibus comitatus (3). » Métaphore hardie qui
se reproduisit dans l'art et fit sculpter parfois l'Église traînée dans un
char par les Évangélistes ou les Pères , et qui semble empruntée à
l'idée indienne du char de Sourya, tiré par les trois Védas (4).
C'était quelquefois seulement sur un cheval et non sur un char
que l'âme était conduite dans l'autre monde. Chez les Chrétiens,
ainsi que nous l'avons déjà fait observer, ce noble animal était re-
gardé comme la monture du diable et de la Mort, avec laquelle le
diable fut, comme l'on sait, si fréquemment identifié (5). On se
rappelle la légende copte d'Oriundus , que nous avons rapportée dans
la première partie de notre travail. Les chevaux de feu sont , dans
les idées cabalistiques, la monture des anges (6). Saint Hilarion ap-
(1) Muséum Feronense , p. ccclxxv. ( Veron. 1745.)
(2) Bolland. Act. 24 maii , p. 263.
(3) Gemmœ animœ de Anliq. Rit. Missar. Lib. I, c. G. Ap. La Bigne, CoUecL
Pair. p. 1047, col. 1. Cf. S. Bernard, in Canlic. Serm. XXXIX, 5« col. 1407, ap.
Oper. t. II.
(4) Bhagavata-Pourana , liv. V, Irad. E. Burnouf, t. H , p. 475.
(5) Nous renvoyons , pour le développement de celle idée , au travail que nous
publierons incessamment sur le personnage de la Mort.
(6) CÎ.Prolegom. ad libr. JTetzirah, p. 16, Serait. III, éd. Riltangel. (Anailel.
Jf)42.)
674 ftEVUE ARCHÉOLOGIQUE.
pelait toujours lediabie, le charretier infernal; il s'imaginait le voir
monté sur un des chevaux enflammés ou traîné sur un chariot (1), et
prétendait justifier cette vision par plusieurs passages de l'Écriture,
tels que ceux-ci ; « Il a précipité dans la mer le cheval et le cava-
c< lier (2), » ou cet autre : a Ils se glorident en leurs chariots et
«leurs chevaux, mais nous, nous glorifierons au nom du Sei-
« gneur (3). » Saint Cyrille comparait le diable au cheval hennis-
sant, equiis adliinniens (4).
Dans l'Apocalypse, Oxvocrog est monté sur un cheval pâle et suivi
par Hadès.
Cette signification symbolique et funèbre du cheval a été reconnue
par toute l'antiquité (5). Les monuments étrusques nous en four-
nissent une preuve incontestable. Sur une urne, rapportée par Micali
et Inghirami, et que nous reproduisons pi. XVII, fig. 1, on voit une
ombre , reconnaissable au voile qui lui cache le visage, montée sur un
cheval ; elle est conduite par le Charon étrusque , armé de son lourd
marteau, et est suivie d'un personnage portant sur l'épaule un havre-
sac, dans lequel M. Inghirami (6) reconnaît le Genius famulus ou
ange gardien du mort, pour nous servir de l'expression chrétienne
destinée à rendre ce personnage tutélaire.
Chez ces mêmes Étrusques, les génies funéraires étaient repré-
sentés par des jeunes gens vêtus d'une simple tunique, arrêtant de»
coursiers ailés (7). Des représentations analogues se trouvent sur les
vases de la Grande-Grèce (8), sur des marbres grecs et romains (9);
d'où l'on peut conclure , dit M. Ph. Le Bas, que, sur tous ces monu-
ments, le cheval appartenait à la Mort et non pas au mort (10).
Le mythe de Pégase paraît s'être même rattaché à ces idées sym-
boliques. C'est, montées sur ce céleste coursier, que les âmes s'éle-
vaient au séjour des immortels. Dans cet emblème, le cheval père de
(1) Arnauld d'Andîlly, f^ies des Pères du désert, 4* édil. t. ï, p. 126.
(2) Exod.,XV, 19.
(3) Psalm. XIX, 8.
(4) S. Cyrill. Hieros. Arch. Cateàk. ÎX, c. 13 , p. 132 ; Oper. éd. Touttée.
(6) Voyez sur le cheval employé comme symbole funèbre, Buonarotti, Osserv.
sopra alcuni Medaglioni, p. 42 et suiv. Fabretli, Inscript, dynast, c. 3 , 29,
p. 161-16?. Gori, Mus. etrusc. t. III, p. 174-175.
(6) Monumen. elruse. tav. VU.
(7) Micali , Monumen. ined. t. XIX , 2.
(8) Judica , ^ntiq. d'ocrée, pi. XXVII, XXVIII. i
(9) Inghirami , Mon. etrusc. ser. VI , tav- B , 2.
(10) rii. Le Bas, Monum, d'anliq, figurée recueitUpar la Commission de
Morée, 2*cali.p. 93.
DES DIVINITÉS ET DES GÉNIES PSYCHOPOMPES. 675
l'Hippocrène était tout à fait une divinité psychopompe. Sur l'agate
de la Sainte-Chapelle, on voit Auguste porté au ciel par Pégase (1).
Sur une pierre gravée trouvée dans une vigne, près du CUms Cinnœ,
on a figuré un héros vêtu de la cuirasse et qui est porté au ciel sur des
chevaux ailés; Jupiter s'apprête à le recevoir (2). Sur la célèbre
gemme tibérine, Drusus Germanicus est porté au ciel sur un coursier
ailé. Sur une monnaie de Smyrne, on voit Mercure amener à Anti-
nous, Pégase, qu'il retient par le frein, pour qu'il porte aux cieux le
favori d'Hadrien (3).
C'est à ce Pégase psychopompe, à ce cheval emblème de l'âme, que
font allusion les vers d'Apollonius de Thyane, rapportés par Philo-
strate (4).
AôàvaTOç -^yp^ï] icoO )(^pri^(X.<Ti aùv alla. Trpovotyj;
H jxsrà (TW]:za ^ccpcc-jQiv, ocx* iv. ^sc^wv ôoOç ltztvoç
Vt)i§Luq irpoQMpovacCf xspàvvvTat ^ept xoûyw
Asivïjv xai 7ro).TJT>73Tov à;ro<TTépÇa(Ta ^arpetïjv (5).
Dans la poésie du moyen âge, oii se sont conservés comme les der-
niers reflets des croyances païennes, dit M. Ph.Le Bas dans une excel-
lente dissertation sur ce sujet, à laquelle nous empruntons les détails
qui vont suivre, la Mort emporte souvent le mort sur un cheval. Chez
les Grecs modernes, Caron, le nocher des enfers, est devenu Xâpoç ou
XoipoTJTaçy le messager de la Mort; il parcourt les montagnes sur son
cheval, faisant marcher les jeunes gens devant lui, les vieillards derrière,
et emportant les tendres petits enfants rangés de file sur sa selle :
Sspvst Toùç air' linzpouzà , toùç yépo-JTa.q zaTÔTrt
Ta rpuyspàTrat^ÔTTOuXa 'ç tyjv ciW àpp(x.§LOi(TpLi-j(x. (6).
Le savant Jacob Grimm regarde comme le résultat d'une influence
toute païenne les traditions germaniques oii la Mort est représentée
emportant sur son cheval ceux qui ont cessé de vivre. On sait que
c'est le refrain d'une chanson populaire très-répandue :
Der Mond scheint hell
Die Todlen reilen schnell
quia inspiré à Biirger sa célèbre ballade de Lenor, où un amant, mort
(1) M. du Mersan, Hist. du Cabinet des Médailles, p. 37.
(2) Bellori, Pict. vêler, in crypl. roman, lab. IX.
(3) Cf. Graevfus, Tliesaur. Mom. anliq. vol. XI , p. 1887.
(4) Fit. Apollon. VIII, 31.
(5) Cf. Thorlacius, de Pegasi mythol. anliq. grœc. Havniae, 1814 , in 4.
(G) Fauriel , Chants populaires de la Grèce moderne , t. H, p. 228.
G76 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dans les pays lointains, vient, à minuit, sur son cheval, emporter sa
maîtresse; légende qui, comme le remarque le mêmeérudit, se re-
trouve dans le Wunderhorn , les Kindermaehrchen , les Svenskavisar
et dans les traditions serviennes (l). Hel, le dieu de la mort, chez les
anciens Germains, avait un cheval ainsi que son messager. Ce cheval
est encore désigné, en Danemark, sous le nom de Helhesten (2).
L'Ynglinga Saga appelle Héla la déesse à cheval (3).
C'est à cheval que les valkyries remplissaient leur ministère fu-
nèbre. Plusieurs expressions proverbiales, qui se sont maintenues
jusqu'à nos jours dans la bouche du peuple, font allusion à cette
croyance : ce Quand la mort çenré graisse no holé, quand la mort
viendra graisser nos bottes, » dit un vieux proverbe bourguignon. Il
a offert un boisseau d'avoine à la Mort, dit-on encore aujourd'hui en
Danemark, en parlant d'un individu qui s'est rétabli d'une maladie
dangereuse.
Nous ajouterons de nouvelles preuves à l'appui de ces rapproche-
ments, que nous empruntons à MM. J. Grimm et Ph. Le Bas. Dans
diverses parties de la Belgique, on appelle la Libellule, le cheval du
diable (4). En certaines contrées, en effet, le diable a remplacé la
Mort; on l'a vu par la légende que nous a fournie le chroniqueur
Richer. Plusieurs esprits apparaissent montés sur de noirs coursiers;
par exemple les Albs ou Elfs, qui galoppent sur les chevaux de nuit
(Nachtmeire) (5), et le Phooka, se fait voir aux superstitieux Ir-
landais sous la forme d'un noir destrier (6). C'est sous les traits d'un
cavalier que, dans maints Sagen allemands, le diable enlève sa
proie (7). Chez les Scandinaves, les spectres des morts chevauchent
la nuit sur de ténébreuses montures, comme le fait Sigurd, le meur-
trier de Fafner :
Enn blacka Mar
Hest uin hral'-faera
(1) Grimm, Deutsche Mythologie , l' tAM. p. 803.
(2) Cf. Lexicon myUiolog. T. III de VEdda Rhythmica, v» Hela.
(3; G. 20.
^4) Coremans, ouv. cit. p. 152.
(5) Coremans, p. 99.
(6) Crofton Croker , Fairy Legends of Ireland, p. H.
(7) Voyez la légende intitulée : Pf'ie der Tcufeleine Prinzessin entfûhrte, t. II,
p. 165 du recueil publié par Leibroek, sous le litre de Die Sagen des Harzes
(Nordhausen, 1843), et l'histoire rapportée par Godelmann de la fiancée infidèle
que deux diables vinrent prendre sous la figure de cavaliers, Voy. t. I, p. 161-162,
de F. V. Dobeneck, Des deulschen Mittelallers P^olksglauben und Heroensagen
her. von Jean Paul (Berlin , 1815),
DKS DIVINITÉS F.T DKS GKMF.S PSYCHOPOMPKS. 077
(lit le Gudrunar-llvat (st. 18). Ce cheval noir pourrait bien èlie
l'Alastor des Grecs.
A l'époque à laquelle la croyance aux îles Fortunées, séjour où étaient
transportées les âmes des bienheureux, se fut répandue dans le monde
païen, on associa au cheval funéraire le cheval marin, qui partagea dès
lors avec lui les fonctions psychopompiques. C'est montée sur cet am-
phibie, qu'une urne étrusque de Volterra, rapportée par Inghirami,
dans ses monuments étrusques (l), offre l'âme qui, dans d'autres mo-
numents, est placée sur un quadrupède. Nous donnons, fig. 2, pi. 1 7,
ce curieux bas-relief, qui indique la transition des idées orientales à
un ordre de croyance dont nous ferons connaître l'origine occidentale
dans un travail spécial que nous préparons depuis longtemps sur les
croyances à l'autre vie, dans l'antiquité et au moyen âge (2). Ce sujet
qui se retrouve sur d'autres monuments , explique la présence des
hippocampes au nombre des divinités, figurant sur les monuments,
le voyage de l'âme aux îles Fortunées (3).
Alfred Maury
(l)Tav. 6,t. I.
(2) Voy. Lucernœ ficliles Musei Passerini y t. III, tav. 53.
[■i) Nous profitons de celte occasion qui nous est offerte de revenir sur la navigation
de l'âme pour l'autre vie, dont nous avons dit quelques mots plus haut, pour pré-
venir le lecteur que, lorsque nous avons cité à ce propos le bas-relief de la mort de
Dalmacius, à Sémur, que nous ne connaissions que par l'ouvrage de Laborde, nous
ne savions pas qu'il eût été récemment, de la part de M. Maillard de Chambure ,
l'objet d'une nouvelle interprétation. Cet antiquaire y voit la mort de l'apôtre saint
Thomas. Ce n'est pas ici le lieu de discuter cette opinion, qui a été adoptée par
M. Didron et d'autres archéologues. Cette explication admise, elle ne porterait
d'ailleurs aucune alleinte à nos idées; et, quand nous traiterons tout le sujet des
idées sur la vie future, nous produirons d'irrécusables témoignages, à l'appui de
la croyance à la barque des ombres , pendant le moyen-âge.
Puisque nous sommes ici en voie de rectification, nous nous en permettrons encore
une, relativement à un fait , au reste fort insignifiant pour le fond de notre travail ,
mais sur lequel VeslimablG Auleur d\\ Dictionnaire Iconographique, M. GuenebaiuU,
a attiré notre attention : c'est le bas-relief de la cathédrale d'Arles, représentant la
lapidation d'un saint, de la bouche duquel l'âme s'échappe , portée par les anges.
Nous avons dit, sur la foi d'Alexandre Lenoir, de Millin, de Laborde et plusieurs
savants ^Tuteurs, que c'est saint Etienne j M. Guenebault fait judicieusement ob-
server que le costume guerrier donné au martyr, le glaive qu'il porte au côté,
ferait supposer un autre personnage qu'un diacre; nous le croyons aussi , mais il
importe au reste peu à notre sujet, de chercher qui ce peut être, il nous a suffi de
voir que les anges emportaient l'àme du saint. Nous laissons, pour l'instant, à
■L l'érudition iconographique de M. Guenebault, le soin de déterminer quel est ce mar-
W^ tyr, sur lequel nous aurons au reste plus tard l'occasion de revenir.
1. 44
EXTRAITS
D'DXE LETTRE DU DOCT. LEPSIUS A M. LETRONNE.
Cette lettre, une des plus intéressantes que le savant voyageur ait
écrites, est en français, datée de Thèbes, du l^'' décembre. Elle a été
mise à notre disposition- par M. Lelronne, qui nous a indiqué les
passages contenant des renseignements utiles à l'histoire ou à l'ar-
chéologie, auxquels il a joint quelques remarques. Nous avons pris
sur nous d'ajouter aux passages que ce savant nous avait signalés,
celui qui contient le jugement du docteur Lepsius, sur le premier vo-
lume du Recueil des Inscriptions grecques de V Egypte. Il nous a paru
que nos lecteurs verraient avec plaisir ce témoignage rendu par un
voyageur, qui, sur les lieux mêmes vérifie et confirme les résultats que
l'érudit devine du fond de son cabinet. A ce sujet, nous nous sommes
souvenu de ce que M. Letronne dit lui-môme dans l'introduction de
son ouvrage (pi. XL). « On a tant abusé de l'érudition, et certains
(c esprits aventureux en abusent encore tellement de nos jours, que
« nous voyons un grand nombre de personnes instruites et judicieuses
(( l'estimer fort peu, dans l'idée qu'elle mène le plus souvent à des
« résultats arbitraires ou capricieux, à des hypothèses sans réalité,
« ni fondement. Il n'est donc pas inutile de saisir les occasions de
« montrer qu'elle a des procédés susceptibles de toute la rigueur qu'on
« reconnaît à ceux des autres sciences. » E. V.
a ....... Je me hâte maintenant de répondre à votre lettre et
de vous dire bien des remercîments pour votre excellent ouvrage ,
le premier volume de vos Inscriptions de V Egypte,
(( Permettez -moi de vous exprimer toute l'admiration
et tout le plaisir que je sens toujours de nouveau chaque fois que je
prends votre ouvrage à la main. Il m'est arrivé plus d'une fois de véri-
fier vos conjectures ou vos restaurations, et je les ai presque toujours
trouvées ou littéralement ou essentiellement vraies. C'est là, sans
doute, la meilleure preuve de la finesse et de l'autorité, si je puis
m'exprimer ainsi, de votre critique; c'est pourtant le parti que vous
en tirez que l'on suit encore avec plus déplaisir; car l'érudition
LETTRE DU DOCTEUR LEPSIUS A M. LETRONNE. 679
aussi vaste que solide avec laquelle vous mettez chacun de ces nom-
breux faits, comme autant de pierres précieuses, à sa place dans le
grand tissu de l'histoire, vient toujours si à propos et semble si natu-
relle que, loin de nuire à la clarté de l'exposition, elle contribue
plutôt essentiellement par sa grande variété à faire de ce livre si
profond à la fois un livre agréable et amusant. 11 vous paraîtra peut-
être bien superflu d'entendre de ma bouche des éloges qui vous auront
été offerts par tant de personnes dont le jugement a tout un autre
poids que le mien ; mais je crois , d'un autre côté , qu'il y aura peu de
personnes pour lesquelles votre livre soit venu aussi à propos que pour
moi, et qui aient eu l'occasion de le lire sous de pareilles impressions,
c'est-à dire en face des originaux mêmes que vous décrivez, commen-
tez , restaurez, et qui par conséquent aient pu immédiatement pro-
fiter autant que moi de l'érudition rare , saine et applicable à tant
d'autres sujets qui m'occupent. C'est donc un sentiment sincère aussi
bien d'admiration que de gratitude qui m'a engagé à vous redire ce
que vous aurez entendu sortir de bouches beaucoup plus éloquentes
et plus compétentes que la mienne.
« J'ai lu, il y a peu de temps, dans la Gazette de
Prusse, votre article sur le décret de l'ihscription de Rosette, que j'ai
trouvé snrnn mur palimpseste à Philes; jen'ai pas reçu celui du jour-
nal anglais, et comme M. Bunsen ne m'a jamais donné d'éclaircisse-
ments sur le malentendu bien étrange qui doit avoir eu lieu dans la
publication de la Gazette, je ne puis pas vous l'expliquer non plus.
Mais vous vous serez probablement déjà aperçu que ce n'est pas moi
qui ai pu donner occasion à cet article (l)....
« Voici le passage liltéralement traduit de ma lettre à cet illustre
ami , que je trouve heureusement dans mon copy-book : «A Philes,
((j'ai fait la découverte d'une copie du décret de l'inscription de Ro-
(( sette; la partie hiéroglyphique a déjà été observée par Sait, comme
((j'ai vu après; le texte démolique n'a été mentionné par personne,
((autant que je sache; Champollion n'en dit rien dans ses lettres;
(( il semble qu'il n'y a pas fait attention ; cette inscription est d'une
(( grande importance , parce qu'elle répète le décret mot à mot et
(1) Ceci se rapporte à la nouvelle donnée par la Literary Gazelle , que M. Lep-
sius avait retrouvé un nouvel exemplaire de Y inscription de Roselte à Méroé.
J'avais annoncé, dans le Journal des Débats , que la circonstance de Méroé était
fausse ; ce qui fut reconnu plus tard. Le passage de la lettre du docteur Lepsius n'en
est pas moins curieux, parce qu'il explique très-clairement en quoi consiste la dé-
couverte du docteur Lepsius , que Sait avait déjà soupçonnée. On trouvera dans la
Eevue (liv. I , p. 62 et suiv. ) tout ce qui ?e rapporte à cet incident. — L.
G80 RRVUK AHCHKOLOGIQUK.
« même en conservant la môme longueur des lignes; aussi la fin du
« décret, relative à l'écriture triple, s'y trouve, quoique le texte grec
« ne soit pas ajouté, à moins qu'il n'ait été mis au bas en lettres peintes
« en rouge, qui se seront effacées. Une bonne partie du coin qui man-
« que au bas de la pierre de Rosette pourra être restaurée d'après
« notre inscription, ce qui sera toujours un grand avantage pour la
« philologie égyptienne; la partie démotique est aussi très-bien con-
c( servée partout où les lettres ne sont pas enlevées par les hiéroglyphes
c( que Ptolémée Dionysos 11(1) a mis par-dessus (2). A côté de ce décret
(( est un autre également bilingue , et avec la même fin relative aux
c( trois écritures (3), mais avec l'indication d'un autre endroit où ce
(( décret devait trouver sa place dans les temples. J'ai trouvé ^dans
<( celui-ci, pour la première lois , le nom de la ville d'Alexandrie. Je
(( ferai dessiner des inscriptions d'après les empreintes que j'en ai
« prises; après, je pourrai en dire davantage. » Je serai bien aise, si
vous trouviez une occasion de revenir sur la communication faite de
la Literary Gazette, qui devait beaucoup me surprendre; car je n'ai-
merais point que le public me crût capable dans un seul cas de le
mystifier par des exagérations ou même par des inventions pareilles...
« Vous aurez peut-être lu j[4) que j'ai trouvé sur la base de l'obé-
lisque que M. Bankes a laissé à Philes, les traces d'une quatrième
inscription grecque, en grandes lettres peintes, de cinq ou six lignes
au moins. Malheureusement l'existence d'une telle inscription est tout
ce qu'on peut affirmer; il sera toujours impossible de la déchiffrer;
(1) Ce roi est Ptolémée Xlf , quia régné avec sa sœur, la fameuse Cléopâtre, dans
les années 52 à 48 avant notre ère. C'est à torique les chronologistes l'avaient ap-
pelé Dionysos, comme je l'ai fait voir dans mon second volume (inédit), p. 85-
95. — L.
(?) Ce iaii d'hiéroglyphes gravés, au temps de Ptolémée XII, par-dessus une in-
scription démotique du temps à'Iipiphane, est des plus curieux, et jusqu'à présent
unique. Mais il ne surprendra point ceux qui connaissent les bas-reliefs égyptiens
sculptés par-dessusdes inscriptions grecques du temps de Ptolémée Dionysos, au grand
pylône de Philes. — L.
(3) Ceci se rapporte à la dernière phrase de l'inscription de Piosette, où il est dit
que le décret doit être gravé en trois caractères : sacrés, locaux et grecs.
(4) Je n'avais pas connaissance de ce fait; mais il n'a rien que de fort naturel. Sur
le piédestal de l'obélisque sont trois inscriptions : 1» la pétition des prêtres de
Philes ; 2» le rescript royal qui leur accorde leur demande; 3° la lellre d'avis de
répistolographe(V. mon Recueil des Inscriptions, t. I, n°' XXVI et XXVII"). Il
manquait donc la réponse des prêtres soit au roi soit à Vépislolographe, contenant
l'expression de leur gratitude. C'est sans doute là le sujet de la quatrième inscription
trouvée sur la base de l'obélisque, malheureusement, à ce qu'il parait, dans un
état désespéré. — L.
LETTRE DU DOCTEUR LEPSIUS A M. LETROJ\i\E. 681
je m'en suis convaincu de nouveau pendant notre dernier séjour à
Philes.
« Vous reprendrez peut-être un jour votre intéressante et judi-
cieuse discussion sur le possesseur du nom d'Eupator (l)... Je crois
avoir trouvé dans les inscriptions hiéroglyphiques non-seulement
Eupator (seul et sans femme), avant les Philométores , mais encore
un Ptolémée Philopator, non marié après les Philométores et avant
les Evergètes, qui ne saurait être un autre que le fils de Philométor,
tué parÉvergète III; enfin, il y a aussi des monuments d'un Ptolémée
Évergète, fils d'Evergète II, qui ne peut être que le Memphites des
écrivains, et qui doit avoir régné depuis 132 à 127 avec sa mère
Cléopâtre II, pendant que son père était chassé de l'Egypte.
« Notre collection d'inscriptions de tout genre gagne tous les jours.
Je ne sais pas combien de centaines d'inscriptions grecques il y a
déjà dans nos caisses, dont six ou sept ne contiennent que des em-
preintes en papier. Elles sont pour la plupart déjà déposées au Caire;
mais je me ferai un grand plaisir de vous communiquer après mon
retour tout ce que vous voudriez me désigner de particulier pour
compléter votre travail et pour aider vos recherches sur une partie de
l'antiquité égyptienne , dont la conquête, pour ainsi dire , ne vous
sera jamais disputée par personne.
« Vous avez désiré que je vous indiquasse la place des inscrip-
tions gravées au côté gauche du grand pylône de Philes. Nous avions
cette île déjà derrière nous lorsque j'ai reçu votre lettre; mais j'avais
pensé moi-même à l'utilité d'une telle indication, et je vous envoie le
calque d'une esquisse que j'ai fait faire à cet effet avec le commence-
ment des inscriptions (2).
«Philes (dont j'ai trouvé le nom hiéroglyphique P-i-lek en toutes
lettres, sans et avec l'article P) est sans doute l'endroit le plus riche
en inscriptions , après Thèbes , et, quoique nous ayons tâché d'être
complet, sous ce rapport, il y en aura pourtant encore qui nous seront
(1) Cette observation est relative au nom du dieu Eupator qui se trouve dans la
liste des Ptolémées, en tête des actes officiels, placé tantôt avan^ tantôt après Phi-
lométor. Elle tend à montrer, comme l'avait pensé M. ChampoUion-Figeac, que
cet Eupator est réellement le Gis de Philométor, tué par Évergète II. J'avais cru
que ce nom était un double titre de Philométor. Les difficultés qui m'avaient arrêté
subsistent encore. — L.
(2) Ce calque indique la place relative des inscriptions du pylône. Quoique
cette partie de mon ouvrage soit imprimée et tirée , dans mon second volume
(p.18-124), le calque arrive assczâ temps pour prendre sa place dans l'AUas. — L.
68-2 UEVUi; ARCHÉOLOGIQUE.
échappées. Vous aurez probablement l'intéressante inscription chré-
tienne (l) sur l'érection du quai oriental de l'île, ainsi que les deux
incriptions bilingues (grecques et démotiques) (2) d'un certain
Ap-nxYidLç Aap.wviOLi (si je me rappelle bien); un proscynème fait au
nom d'un roi éthiopien, dont le nom est assez barbare (3) ; trois ou
quatre inscriptions ptolémaïques (i) appartenant aux plus anciennes
de l'île, qui se trouvent employées comme matériaux dans le quai occi-
dental. J'ai quarante-six inscriptions (5) d'un petit temple creusé dans
le roc, sur la route d'Edfou aux mines d'émeraude, à une journée du
fleuve. Les inscriptions les plus méridionales que nous ayons trouvées
sont du Ouadi-Sofra (Meçaurad de Cailliaud), un peu au midi de
Chendi, dans le désert, et une vingtaine à peu près d'inscriptions
grecques et coptes funéraires (6)j d'un couvent dans le désert, vis-à-
vis de Barkal, à quelques heures du fleuve. Je suis très-curieux de
connaître votre opinion sur l'inscription très-curieuse d'Abou Simbel,
que je n'ai pas vue, à ce que je sache, dans le Corp. inscr. de Boeckh
(mais peut-être je me trompe) (7), quoiqu'elle appartienne aux plus
anciennes, peut-être la plus ancienne de toutes, si elle appartient
réellement, comme elle le prétend, au règne de Psammétique; aussi
les inscriptions deGertassi sont un genre à part; vous les avez peut-
être déjà publiées. Est-ce que vous connaissez une inscription ,
(i) Non-seulement j'ai celle inscriplion, découverte par M. Lenormant, mais je
l'ai publiée et expliquée il y a quinze ans, dans un Mémoire lu à l'Académie en
mars 1830, et publiée dans le l. X ( p. lOo) de ses Mémoires. — L.
(2) Elles avaient été copiées déjà par M. Gau et M. Lenormant; elles sont expli-
quées p. 184-186 de mon deuxième volume. Quant au texte déniolique, il existe
dans les notes deChampollion, que l'on imprime en ce moment. — L.
(3) Sir G. Wilkinson me l'a fait connaître, et je l'ai expliqué (p. 224-228 de mon
second volume). — L.
(4) Celles-ci , je ne les connais pas ; elles n'avaient, je crois , été vues par aucun
voyageur. — L.
(5) Cailliaud a le premier appelé l'altention sur ce lieu, nommé par les anciens
l'Hydreuma du Panium (à présent Ouadi Genisseh), s'ilué à l'entrée d'une route
transversale qui d'Edfou se rendait aux mines d'émeraude. Il avait copié cinq des
inscriptions gravées sur les parois d'un petit temple ; les autres ont été copiées par
Sir G. Wilkinson , qui me les a^communiquées , au nombre de vingt-six ; elles >.ont
expliquées dans mon second volume , dont elles occupent les p. 239 à 255. Le docteur
Lepsius dit en avoir copié quaranle-six ; c'est vingt de plus que je n'en connais. — L.
(G) Noire savant voyageur ne dit pas si elles sont de l'époque chrétienne. Pour
moi , je n'en doute guère. — L.
(7) On ne la rencontre pas, en elTet, dans le Corpus. Elle n'était pas connue lors
de l'impression du premier volume de cet ouvrage. Elle a été publiée pour la première
fois en 1827, par M. le colonel Lcake {Principaux monuments égypl. du British
muséum, p. 25). M. Lepsius paraît en soupçonner l'époque. — L.
LETTRE DU DOCTEUR LEPSIUS A M. LETRONNE. 683
aussi barbare dans son langage quelle est nette et belle dans ses traits,
que j'ai trouvée à Kalabsché? Elle conamence ainsi :
£niO0N01Na>YAAPX0 rAMATIOANTyeNOAnCI (C),
suivent encore quinze lignes ; j'en ai envoyé dernièrement une copie
à M. Boeckh, à l'occasion d'une lettre de remercîments pour l'hon-
neur que l'Académie de Berlin m'a fait, en me nommant son membre
correspondant (1).
« J'ai rassemblé enfin un très-grand nombre d'inscriptions démo-
tiques et, ce qui est plus important, d'inscriptions éthiopiennes. Je
me crois autorisé à les appeler ainsi, après avoir acquis la conviction
qu'elles contiennent le langage des habitants de Méroé à l'époque de
sa splendeur^ J'ai trouvé ces inscriptions dans les pyramides de Méroé,
appartenant aux représentations mêmes des chambres; elles s'y trou-
vent quelquefois à côté d'inscriptions hiéroglyphiques assez barbares.
La population de l'ancienne Méroé (dont les monuments sont irré-
vocablement ce qu'il y a de plus moderne parmi les antiquités de la
haute vallée du Nil) descendait jusqu'aux frontières de l'Egypte; j'ai
trouvé un temple éthiopien érigé par les mêmes rois et reines qui bâ-
tissaient les temples de Naga et les pyramides de Méroé , dans le pays
des Cataractes, à Amara, et des représentations avec leurs inscrip-
tions, jusqu'à Philes. Je crois même pouvoir prouver, et j'en ai donné
les raisons générales dans un Mémoire envoyé à l'Académie de Berlin,
que la langue éthiopienne de l'ancienne Méroé existe encore, et quelle
est parlée par la population très-étendue de Bicharîba (en arabe Bicha-
reîn), qui occupe toutes les contrées de l'est, depuis le 23" jusqu'au
1 5", et les provinces fertiles de Taka, qui s'étaient révoltées dernière-
ment contre les Turcs, pendant que nous étions là-haut. J'ai étudié
autant que j'ai pu, pendant les dix mois que j'ai passés en Ethiopie,
les langues principales de ces pays, notamment le nubien, dans la
vallée du Nil, depuis Assouan jusqu'à la frontière deDongola , le kon-
gara des gens du Darfour, et le béga des Bicharîba; et j'ai trouvé que
cette dernière langue est une branche très-intéressante de la famille
caucasienne^ quoiqu'elle s'éloigne beaucoup de la langue égyptieime.
Je me suis aussi parfaitement convaincu que les Éthiopiens, du temps
des anciens Pharaons, n'avaient presque rien de commun avec les
Égyptiens comme peuple, et que les anciennes traditions de la haute
(1) Je viens de voir une copie de ceUe inscription dans le Rapport mensuel de
V Académie de Berlin nov. 1844). Elle est pour moi , comme pour le docteur Lep-
sius, une énigme , quant à présent, indéchiffrable. —L.
684 UEVLE ARCHÉOLOGIQUE.
civilisation éthiopienne s'explique maintenant d'une manière très-
difl'érente, mais assez satisfaisante, par le rôle important que la civi-
lisation égyptienne jouait en Ethiopie depuis 2,000 ans avant J.-C.
(( J'ai parcouru l'Ethiopie jusqu'au 13** (les pays au-dessous de
Khartoum avec un seul ami ) ; mais quoique nous nous soyons trouvés
une fois presque au milieu d'un grand soulèvement des nègres de
l'armée et des esclaves du Sennaar, et que nous eussions à supporter
ABarkal une chaleur de 40" Réaumur, à l'ombre (le saBle en avait
54), nous avons toujpurs été en bonne santé et en bonne humeur,
grâce à Dieu.
(( Je ne crois pas que nous pourrons quitter Thèbes avant la fin du
mois de février; nous ne sommes qu'au commencement de l'exploi-
tation du côté ouest, après le premier mois. J'avais commencé par
faire des fouilles dans le palais de Rhamsès, que je regarde encore
comme l'original de la description d'Hératée (l) Toute
la partie postérieure était encore parfaitement inconnue; les parois
et les colonnes avaient entièrement disparu; mais nous avons re-
trouvé les fondements dans le rocher, de manière que nous avons pu
refaire tout le plan sans aucune conjecture. La commission de l'Egypte
l'avait supposé beaucoup trop long, M. Wilkinson, trop court. Après
l'hypostyle suivent trois chambres égales, à huit colonnes, et une qua-
trième à quatre colonnes, toutes entourées de petites chambres et de
corridors à piliers (2); mais, ce qui est bien curieux, nous avons trouvé,
dans toute cette partie du temple une infinité de tombeaux creusés dans
le roc, au-dessous des fondations, contemporains, postérieurs, et
même quelquefois antérieurs ^ à l'érection du temple ; de même, les
grandes constructions voûtées en briques sont toutes remplies de tom-
beaux, et, en partie au moins, du temps desRhamessides; les construc-
tions mêmes appartiennent réellement, dans toutes ces parties, au
temps de Rhamsès (3) ; car, ce qui paraît avoir échappé à Champollion
(1) Il s'agit du fameux tombeau d'Osymandyas. Que sa description dans Diodore
de Sicile convienne mieux au ^/lamuséum qu'aux autres édifices de Thèbes, je
ne l'ai jamais mis en doute; mais que ce ne soit pas le Jthamuséum , cela résulte
des différences entre les deux descriptions, et surtout de cette circonstance qu'Hé-
catéc et Diodore de Sicile, ont donné le tombeau d'Osymandyas comme un monu-
ment déjà détruit au temps de rtoléméc Lagus. — L.
(2) Toute celte description paraît assez conforme au plan de Huyot dressé pour mon
Mémoire sur le Tombeau d'Osymandyas. On n'apprécierait bien les différences que
si l'on avait sous les yeux le plan du docteur Lepsius. — L.
(3;) Ce renseignement est très-curieux. Il confirme mon idée sur la destination
funéraire du Rhamessétim. [Sur le tomb. d'Osymandyas, p. 16. ) — L.
LETTRE DU DOCTEUR LEPSIUS A M. LETROIVNE. 685
et à Wilkinson, qui n'en disent rien (l), partout les briques portent le
cachet de RhamsèsMiamun, tantôt avec, tantôt sans Tépithète : « Ap-
prouvé par le Soleil. » Aussi les autres pièces, les enceintes des pre-
mières cours et de l'hypostyle ont un peu changé, ainsi que Tarrange-
ment des colonnades de la première cour, dans laquelle s'ouvrait, du
côté sud-ouest, un autre petit temple du même temps que le grand;
un troisième s'adossait du côté nord -ouest.
« Je croyais avoir trouvé quatre différents canons des
proportions humaines, dont j'appelais les deux derniers le canon grec
et le canon romain ; je dois rectifier cela, en ce que j'ai trouvé, à
mon retour à Ombos, que ces deux canons reviennent au même, si on
les considère comme il faut; tous les deux s'accordent parfaitement
avec le canon de Diodore, de vingt-et-une parties et un quart, parce
qu'il faut compter, comme dans les canons anciens, seulement jus-
qu'au front; mais le pied n'était plus l'unité comme autrefois.
(( Quanta votre intéressantchapitresurles honneurs divins quePto-
lémée Philadelphe accordait à ses parents, notamment aussi à sa se-
conde sœur, Philotéra, je puis vous dire que j'ai trouvé à Edfou
Évergète II adorant Philadelphe et Arsinoé, et, immédiatement au-
dessous, le même adorant Philadelphe et Philotéra, et que je con-
naissais déjà auparavant une stèle, au musée Britannique, sur laquelle
un prêtre (prophète) de Philotéra est mentionné (2) »
(1) Ces cartouches n'avaient pas échappé à Huyot; il les a indiqués , si je ne me
trompe, sur un de ses dessins. — L.
(2) Dans mon premier volume (p. 184 et suiv.), j'avais montré que Philadelphe
avait eu une autre sœur qu'Arsinoé ; que celte sœur nommée Philotéra avait, comme
l'autre, été chérie de son frère, qui lui avait fait rendre aussi des honneurs divins, et
avait donné son nom à trois des villes qu'il fonda en différentes contrées. Ce sont
ces résultats, fondes en grande partie sur le passage d'un historien contemporain
(Lycus) , caché dans une scolie corrompue de Théocrite, que le docteur Lepsius a
trouvés confirmés par les monuments égyptiens qu'il cite. — L.
A M. L'EDITEUR DE LA REVUE ARCHEOLOGIQUE.
Paris, le 2 janvier 1845.
Monsieur ,
Quelques jours après mon retour de la mission que je viens de rem-
plir dans le Levant, je me suis empressé de parcourir l'intéressante
Revue dont vous avez entrepris la publication , et j'y ai lu avec un
grand intérêt, dans le second numéro publié au mois de mai 1844,
le rapport adressé à M. Villemain, le 3 août 1843, par M. Egger,
secrétaire du Comité chargé de proposer le plan et les principales di-
visions d'un recueil général des inscriptions latines; toutefois je n'ai
pu voir, sans quelque surprise, que mon nom n'y était cité qu'à l'oc-
casion de mes découvertes récentes , bien que j'eusse des droits à
l'honneur d'une tout autre mention, comme ayant, depuis dix ans,
tenté publiquement de réaliser un projet offrant la plus grande
analogie avec celui qui est aujourd'hui en voie d'exécution par les
soins du savant rapporteur. En effet, monsieur, dès le 30 avril 1835,
j'avais proposé à M. Guizot, alors ministre de l'instruction publique ,
de joindre à la collection de documents relatifs à notre histoire na-
tionale un recueil complet de toutes les inscriptions relatives soit à
la Gaule, soit à la France. Mon projet, soumis à l'Académie des
Inscriptions , avait été approuvé , à quelques modifications près, et
M. Guizot paraissait disposé à y donner suite, quand des circonstan-
ces inattendues l'empêchèrent de réaliser ses bonnes intentions.
Mon idée fut reprise plus tard, en 1839, par le Comité des Beaux-
Arts, que M. de Salvandy venait de créer, ce qui donna lieu à une
juste réclamation de la part du Comité des Chartes, Diplômes et In-
scriptions dont je faisais partie , et amena une polémique courtoise en-
tre M. Mérimée et moi, dans le Journal Général de l Instruction publi-
que, dont M. Egger était déjà à cette époque un des rédacteurs les
plus actifs. Mes collègues me demandèrent alors un plan de publi-
cation; je m'empressai de répondre à. leur désir. Mes propositions
furent adoptées dans la séance du 10 mai 1839, et M. le ministre
fut prié de vouloir bien me charge;^ de la publication du recueil
projeté.
L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, instruite de ce pro-
jet, en revendiqua l'exécution comme lui appartenant à plus d'un
titre. Une commission fut nommée pour lui présenter un rapport à
A M. L'ÉDITEUR DE LA REVUE ARCHÉOLOGIQUE. 687
cet égard ; j'en faisais partie , et fus choisi à l'unanimité par mes collè-
gues pour proposer à la compagnie la marche à suivre dans l'exécution
du travail qui devait paraître sous ses auspices. Mon rapport, lu dans
la séance du l*''" juin, reproduisait la plupart des faits contenus dans
celui que j'avais présenté deux mois avant au Comité des Chartes,
Diplômes et Inscriptions; il fut écouté favorablement, mais une dis-
cussion s'engagea sur la nature même de l'ouvrage en question. Plu-
sieurs membres, dont l'opinion était parfaitement d'accord avec la
mienne, pensèrent que ce n'était pas un recueil des inscriptions latines
delà Gaule et de la France qu'il l^illait entreprendre, mais bien un
Corpus inscriplionum latinaram à l'instar du Corpus inscriplionuin grœ-
caruïïiy publié par M. Boeckh au nom et aux frais de l'Académie de
Berlin. On parut s'arrêter à cet avis, plusieurs de mes confrères se le
rappellent encore; et c'est sous l'influence de cette idée que mon rap-
port fut renvoyé à la commission des travaux littéraires pour qu'elle
s'occupât de présenter des renseignements positifs sur les moyens de
pourvoir aux dépenses qu'exigeait une aussi vaste entreprise. C'est aussi
sous l'influence de cette idée que, parcourant l'Italie quelques mois plus
tard, j'entretins du projet de l'Académie les plus habiles épigraphistes
de la péninsule: Gazzera, à Turin ; Labus, à Milan; Orti, à Vérone;
Furlanetto, à Padoue; Schiassi, à Bologne; Borghesi, à San Marino;
Sec^hi, Marchi, Melchiori, Visconti , Sarti, Campana, à Rome;
Avellino, Gervasio, Minervini, à Naples; le duc Serra di Falco, à
Palerme. Tous s'en réjouirent et me promirent leur coopération; tous
s'en souviennent encore et l'ont rappelé récertiment , et d'une ma-
nière fort honorable pour moi , à un savant voyageur dont je pour-
rais citer au besoin le nom.
Vous concevrez, monsieur, qu'après de tels précédents, j'aie quel-
que peine à m'expliquer comment tous les faits dont je viens de parler
ont été omis dans le rapport de M.Egger, qui avait pu cependant en
prendre connaissance, soit dans le Journal Général de V Instruction
publique, dont, je le répète, il était déjà rédacteur en 1839, soit à
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres , aux séances de laquelle
il assiste fort régulièrement. M. Egger, à qui j'ai cru devoir en dire
ma pensée, m'a affirmé qu'il n'avait jamais rien su de tout cela, bien
qu'il se tienne fort au courant de toutes les nouvelles scientifiques. Je
dois croire à sa parole. Il n'a rien su non plus, quoique secrétaire
et par conséquent archiviste du comité, d'une lettre que, le 23 août
1843, j'écrivis de Cléones à M. le ministre de l'Instruction publique,
et où, après avoir rappelé tout le passé, je lui exprimais combien
688 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
j'étais affligé, surtout dans les circonstances présentes, de n'avoir
pas vu mon nom figurer sur la liste de la commission qu'il avait
nommée pour surveiller la publication dont il s'agit. Il n'a également
rien su de la réponse obligeante que m'adressa quinze jours plus tard
M. Villemain. Il croit seulement se souvenir que mon nom fut dans le
principe prononcé en sa présence, quand il s'agit de nommer la com-
mission dont il est le secrétaire, et qu'on objecta alors que je m'oc-
cupais exclusivement d'épigraphie grecque, ce à quoi il ne trouva
rien à objecter. Nouveau sujet d'étonnement , car si M. Egger n'a ja-
mais su que, par une distinction flatteuse, M. le général de Marmora
s'est adressé, lui Italien, à moi Français, pour expliquer, dans le
deuxième volume de son Voyage en Sardaigne , les inscni^iiions , tant
latines que grecques , gravées sur la grotte de la Vipère près de Ca-
gliari ; il ne peut avoir la mémoire assez courte pour avoir oublié que
dans mon Explication des inscriptions de la Morée figurent plusieurs
monuments latins sur lesquels il a bien voulu s'arrêter en rendant
compte de mon livre, le 9 mai 1840, précisément dans le Journal
Général de V Instruction publique ; qu3 dans ma thèse pour le doctorat,
à laquelle il a fait allusion en plus d'une circonstance , j'ai résumé
l'histoire de l'épigraphie latine ; que , dans mes Notes sur Eumathe,
dans mon Commentaire sur Tite-Live, j'ai expliqué plus d'un passage
difficile à l'aide des inscriptions de Rome et de l'Italie; que mèxne,
dans le recueil périodique auquel il consacre souvent sa plume et son
érudition, il a pu lire et il a lu bien certainement, le 7 août 1836,',
au sujet de quelques inscriptions trouvées en Afrique , un Mémoire de
moi, dont les conclusions furent quelque temps après adoptées par
mon savant confrère M. Hase. Et d'ailleurs comment M. Egger pour-
rait-il ignorer \q Ijen étroit qui unit l'épigraphie grecque à l'épigra-
phie latine , lui qui , tout occupé qu'il est d'un recueil complet de tou-
tes les inscriptions latines connues , trouve encore le temps de publier
des Specimina selectaepigrapMces grœcœ, et d'expliquer ces monuments
à son cours de la Faculté des Lettres pendant le présent semestre
d'hiver?
Mais ce qui a lieu de me surprendre bien plus encore que l'oubli
de mes travaux, ou que l'omission de mon nom dans un travail
où il aurait du trouver place , et ce qui en même temps cicatrise
un peu la blessure que peut avoir reçue mon amour-propre, c'est que
le plan proposé par M. Egger est, à de très-légères nuances près,
celui que j'avais soumis à l'Académie. En effet, dans mon rapport
que j'ai conservé , j'émettais l'opinion qu'il convenait de classer les
\ M. l'Éditeur de la. r«vue archéologique. 689
monuments dans l'ordre géographique et non dans l'ordre systémati-
que dont je faisais ressortir tous les inconvénients ; je voulais que cette
disposition une fois arrêtée, on suivît autant que possible l'ordre chro-
nologique pour les détails comme pour l'ensemble , c'est-à-dire que les
inscriptions de chaque ville fussent disposées le plus chronologiquement
possible, et que même les provinces fussent soumises à cette classifi-
cation et fussent rangées dans l'ordre des temps où elles commencent
à apparaître dans l'histoire. Ainsi je voulais, comme je le rappelais à
M. Villemain dans ma lettre en date du 23 août 1843 , que l'on com-
mençât par Rome , que l'on passât ensuite aux provinces italiques
dans l'ordre de leur conquête , et ainsi de suite pour les autres par-
ties du monde romain. Du reste , il était bien convenu qu'à l'exem-
ple de M. Boeckh on s'attacherait à suivre pour chaque localité un
ordre tout à la fois systématique et chronologique , en ce sens que
dans chaque article les monuments publics précéderaient les monu-
ments privés, et que les uns et les autres seraient rangés suivant leur
date certaine ou présumée ; et enfin , il était également arrêté que
l'ordre systématique serait rétabli dans des tables nombreuses qui
trouveraient place à la fin de l'ouvrage.
Ces idées, monsieur, et d'autres encore, telles que la proposition de
s'en tenir à des notes très-courtes tendant plutôt à établir le texte qu'à
l'expliquer, se retrouvent toutes exprimées, en fort meilleurs termes,
il est vrai , dans le rapport de M. Egger. Mais là ne se borne pas la
conformité de ce travail avec le mien. Une des plus grandes diffi-
cultés que présentent les recueils épigraphiques , c'est de donner aux
lecteurs une idée exacte de la forme qu'ont les lettres sur les monu-
ments souvent très-divers qu'on leur fait passer en revue. C'était là
une des plus fortes objections que m'adressait M. Mérimée, a Vous ne
pouvez, me disait-il, sans des frais exorbitants donner toutes les in-
scriptions en fac-similé, — Non , lui répondis-je , mais qui empêche
de réunir sur un nombre limité de planches les formes les plus remar-
quables de récriture épigraphique aux différentes époques , de les numé-
roter et d'y renvoyer dans le courant de V ouvrage? Telle est, ajoutais-je,
la méthode qu'ont adoptée les savants qui publient des catalogues de vases
peints : dans l'impossibilité de retracer la forme de chaque vase en parti-
culier y ils réunissent sur une même planche les différentes formes dont il
peut être question dans leur livre , et un simple numéro les dispense
d'une longue description» »
Quel sera le moyen employé par M. Egger? A peu de chose près le
même. On a eu, dit-il , Vidée de faire graver les principauno types de
690 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
monuments qui offrent des inscriptions latines et d'en former comme un
répertoire où Von renverra le lecteur par des numéros joints à toutes les
inscriptions pour lesquelles ce renvoi sera possible. Grâce à ce procédé,
déjà appliqué dans les recueils de céramographie , on n aura plus à dé-
crire en détail que les monuments dune forme exceptionnelle. Vous le
voyez, monsieur : M. Egger veut faire pour la forme même des mo-
numents ce que je proposais pour la forme des lettres, et il procède
d'après la môme analogie. Sans examiner jusqu'à quel point l'un serait
plus utile que l'autre; jusqu'à quel point la forme d'un monument est
un indice plus sur de î époque à laquelle il appartient que celle des
lettres qui y sont gravées ; jusqu'à quel point enfin il sera possible
dans un ouvrage aussi long et aussi dispendieux de donner des dessins
de temples, d'arcs de triomphe, de portiques, de ponts, etc.; car, on
lit des inscriptions sur un grand nombre d'édifices de ce genre, je n'en
reste pas moins étonné et flatté de m'être rencontré par anticipation
avec M. Egger, qui n'a jamais eu, il le dit et je le crois, la moindre
connaissance de mes rapports.
Quoi qu'il en soit, monsieur, que le plan de M. Egger soit exclusive-
ment l'ouvrage de ce savant, ou qu'il soit uniquement , ce qui est pos-
sible, le reflet des opinions émises devant lui par les membres du
comité pour lequel il tient la plume, et dont quelques-uns, qui ap-
partiennent à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, faisaient
partie de la commission au nom de laquelle j'ai parlé à cette com-
pagnie ; quoi qu'il en soit, dis-je, comme je vais avoir à publier un
recueil de près de 4,000 inscriptions grecques recueillies par moi tant
en Grèce qu'en Asie Mineure; comme dans cette publication je sui-
vrai la marche que j'ai tracée dès 1839; que je classerai les monuments
dans l'ordre géographique ; que j'aurai recours, pour indiquer autant
que possible la forme des lettres, au procédé paléographique dont j'ai
parlé plus haut , je tiens à constater que ce plan m'appartient bien en
propre, qu'il ne doit rien à M. Egger, qu'il reçoit seulement une nou-
velle valeur de la conformité remarquable que le projet de cet érudit
ofl*re sous tant de rapports avec le mien. Tel est le but de cette lettre,
monsieur ; j'attends de votre impartialité et de votre respect pour les
droits de chacun que vous voudrez bien la rendre publique.
Agréez , etc.
Ph, Le Bas.
TABLEAU DE SAINT LOUIS.
PL. XX.
Le département des estampes de la Bibliothèque royale possède
un recueil de dessins, acquis après la mort de Millin, qui l'avait
formé pendant ses voyages en Italie et dans le midi de la France.
C'est de ce précieux volume qu'est extraite la composition intéres-
sante que reproduit la pi. XX. Les mots : Tableau de saint Louis,
qui sont, comme ici, placés sous le dessin original , auraient pu faire
supposer que nous avions la un portrait du roi saint Louis repré*
sente aux genoux d'un pape ou d'un évêque (1), supposition que
l'encadrement de fleurs de lis semblerait autoriser au premier coup
d'œil. Mais une seule réflexion suffira pour faire rejeter cette idée. Le
tableau original ne peut certainement pas avoir été exécuté sous le
règne du saint roi ; ce n'est pas là en eflet le style du XIII« siècle,
eût-il été fait après la canonisation , le prince y eût reçu le nimbe
ou quelque marque distinctive ; enfin le sujet que représente la pein-
ture serait inexplicable, s'il fallait y voir la figure du roi de France.
Si l'on examine avec attention la figure mitrée que deux anges
couronnent, on remarquera que sous la riche chape de prélat dont
elle est revêtue, elle porte un froc de moine, lié autour des reins par
une grosse corde à nœuds. La chape est agrafée par une large bou-
cle circulaire, sur laquelle on distingue les armqiries bien connues
des comtes de Provence: parti d'argent à la croix potencée d'or,
cantonnée de quatre croisettes de même, qui est de Jérusalem et d'azur
aux fleurs de lis d'or sans nombre, chargé d'un lambel de gueulles,
qui est d'Anjou (2). Or, on sait que saint Louis, évêque de Toulouse,
(1) La flgure de saint Louis est trop connue pour pouvoir s'y méprendre ; le cos-
tume que nous voyons ici est trop étranger à celui que porte habituellement ce
prince pour pouvoir rester longtemps dans le doute à cet égard. La manière d(»ntse
fait ici le sacre nous semble encore une raison de plus de douter; les différentes
miniatures ou peintures sur verre qui offrent le sacre de saint Louis, nous montrent
ordinairement ce prince sur un trône, quelquefois debout; l'évêque consécrateur
également debout, mais accompagne de plusieurs prêtres et de nombreux assiglanls.
Voir les représentations que nous en indiquons dans notre Dictionnaire Icono^
graphique des Monuments , etc., aux mots Louis et Sacre.)
(2) Un florin d'or qui a été gravé dans le recueil de Fauris de Saint-Vincent et
de Duby, porte au revers de la tète de la reine Jeanne les armoiries d'Anjou-Jéru-
002 KEVUK ARCHKOLOGÏQUE.
était de la maison de Provence , et fds de Charles II, roi de Naples,
et de Marie de Hongrie, Ce prince naquit à Brignoles ou à Nocera ,
dans le royaume de Naples , et fut donné, avec ses frères, en otage à
Jacques d'Aragon qui avait fait leur père prisonnier; à son retour en
Provence, il prit l'habit de Saint-François; et, quelque temps après,
le papeBoniface VIII le fit évêque de Toulouse, quoiqu'il n'eut pas
l'âge requis. Fort peu de temps après , en 1 297, le jeune Louis meurt
à Brignoles ; il n'était âgé que de vingt-trois ans. Le pape Jean XXII
le canonisa en 1317, et le corps fut transporté à Marseille deux ans
plus tard. Cette translation des reliques fut célèbre par le grand nom-
bre de miracles qu'elle opéra. Le roi Robert y assistait , et composa
en l'honneur de son frère un office que le pape Sixte IV approuva,
et dont les religieux de l'ordre de Saint-François ont fait usage jus-
qu'à la réforme introduite par le concile de Trente.
Un siècle plus tard, en 1423, le roi Don Alphonse d'Aragon,
revenant de Sicile, attaqua Marseille et enleva le corps de saint Louis,
seul fruit de cette expédition singulière. Il le transporta en Espa-
gne où il se trouve encore.
Revenons au tableau que nous avons entrepris d'expliquer. Il y a
véritablement tout lieu de croire que c'est celui que le savant Milliu
avait vu à Aix, et qu'il mentionne dans son Voyage dans le midi de
la France (l). Il visitait alors la riche collection du président Fauris
de Saint- Vincent, et chez cet habile antiquaire se trouvait, au mi-
lieu de tableaux précieux, « un portrait de saint Louis, évêque de
(( Toulouse en 1296, ayant à ses pieds son frère le roi Robert, fils de
(( Charles II dit le Boiteux, roi de Naples , et la reine Sancie, fille
(( de Jaime I , roi de Majorque , son épouse. Ce portrait est très-
ce précieux parce qu'il est du Giotto , et par conséquent un monument
(( de la peinture au XllP ou au XIV'' siècle. On sait que le Giotto
(c avait été appelé à Naples par le roi Robert (2). »
salem circonscrites dans un cercle, complètement semblables à celles que montre
l'agrafe de saint Louis. Cette ressemblance est bien plus saisissable lorsque l'on
voit le florin réel qui existe à la Bibliothèque royale; car les gravures des auteurs
que nous avons cités sont assez médiocres.
(1) T. II, p. 266.
(2) L'histoire nous apprend encore que ce fut à l'instigation du célèbre Boccace
que le roi Robert, fit venir Giotto, à qui il commanda plusieurs peintures qui font
l'ornement de Naples et en particulier de l'église Sainte-Glaire. Ge roi Robert a
été jugé bien différemment par les écrivains de son siècle. Plusieurs en font un
homme familiarisé avec les diverses branches des sciences et dont le règne fut re-
marquable par une politique ferme et éclairée et la protection accordée aui sa-
vants. Dante le représente, au contraire, comme un prince d'un esprit faible et
TABLEAU DE SAÏ]\T LOUIS. 693
Il reste une difficulté à résoudre , celle qui résulte de la dispari-
tion de la figure de Sancie. Peut-être était-elle peinte sur un volet qui
n'aura pas été dessiné par l'artiste qui accompagnait Millin. Autre-
ment comment pourrions-nous supposer que Millin décrirait ainsi
qu'il l'a fait, sans prévenir autrement le lecteur, un tableau qui
aurait été mutilé entre le moment où il le vit et celui oii il le fit
copier? Il est très-important de comparer le portrait du roi Robert,
tel que nous le voyons ici , avec celui qui se trouve sur les mon-
naies d'assez grand module que fit frapper ce prince (Fauris Saint-
Vincent, plane. VI , n° 7 ; Duby, plane. XCVI, n° 5); la ressem-
blance est frappante, et ne laisse aucun doute sur l'authenticité de
la peinture. Le style de cette composition, le dessin des figures rap-
pellent fort bien les autres ouvrages du Giotto. Ce peintre arriva à
Avignon en 1306, et y resta jusqu'à la mort de Clément V, en 1316.
C'est alors qu'il se rendit à Naples, et nous avons dit précédemment
que la canonisation de Louis de Provence eut lieu en 1317. Il est
tout naturel que Robert ait fait retracer une scène qui exprimait si
bien les sentiments d'affection et de piété qu'il avait voués à son frère.
Le roi de Naples est en effet représenté humblement agenouillé aux
pieds de l'évêque , qui va lui poser sur la tête une couronne fleur-
delisée ; c'est une investiture morale que nous devons reconnaître
ici , et non pas un sacre réel , puisque nous savons, d'une part , que
Louis était mort avant son père en 1297; et que, d'un autre
côté , Villani nous apprend que ce fut le pape Clément V qui cou-
ronna Robert à Avignon, le 8 septembre 1309, huit ans avant la
canonisation. Saint Louis est représenté nimbé; deux anges soutien-
nent au-dessus de sa tête une couronne fleurdelisée , et cet empiéte-
ment des insignes nobiliaires mondains, dans une peinture destinée à
exprimer la promotion célesle de l'évêque de Toulouse, n'est pas un des
traits les moins caractéristiques qui distinguent cet intéressant tableau.
Le trône épiscopal, terminé en griffes de lion (l) , et qu'une draperie
sans capacités , c'est ainsi du moins qu'il en parle dans sa divine comédie. Parad.
Cant. VIII, V. 147. Le magnifique tombeau de ce prince qui voulut aussi mourir
sous l'habit de l'ordre de Saint-François, est un des plus beaux mausolées connus.
Valéry, J^oyage en Ilalie , t. III , p. S35, en donne la description.
(1) Ce trône est terminé par deux griffes de lion , conformément à ce que nous
voyons sur une foule de sceaux de cette époque dont beaucoup offrent des figures
entières de lions servant de supports au siège. Ces griffes ne feraient-elles pas ici
allusion à la vigilance des évêques , que les liturgistes comparent aux lions , supposés
par les anciens dormir les yeux ouverts, leones dicuntur oculis apcrtis
dormire. Voir aussi Université catholique, t. VI, p. 273.
I. 45
694 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cache en partie, avait très-probablement deux têtes du même animal
pour accotoirs. Cette sorte de siège , que nous voyons si souvent sur les
sceaux et sur les monnaies, notamment sur celles de Charles H et de
Robert, comtes de Provence, était une imitation de la chaise curule
romaine , dont le siège si connu de Dagobert nous a conservé le plus
beau modèle.
Le cordon de Saint François sert de ceinture au jeune saint Louis.
Nous avons dit que Robert voulut être enterré sous l'habit du même
ordre. C'est un usage qui se conserva bien longtemps, et au XVI** siè-
cle eiicore les princes l'adoptaient fréquemment. Nous n'insisterons
pas davantage sur les accessoires, tels qtie crosse, mitre, etc., qui
se remarquent dans le tableau de saint Louis.
Le point important était de faire connaître le sujet qu'il repré-
sente (1), et de donner une date et une origine à cette curieuse
peinture, que le recueil de Millin nous a transmise sans aucun ren-
seignemeiit, sans aucune noie qui pût satisûnre la curiosité bien
légitime des artistes et des archéologues.
L, -J. GUENEBAULT.
{V, Les B>llandist( s ont reproduit (août. t. III, p. 789) , un buste raitré de saint
Louis , évèquo de Toulouse, dont ie visage est tout à fait celui que nous montre le
tableau aUribué au Giolto. Ces aulrurs disent avoir tiré coUe figure de l'ouvrage
de Kodulpbius : HUloriarwn Seraphicœ religionis liber, dans lequel elle se
trouve foL 120 verso.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
M. E. Prisse vient de faire don à la Bibliothèque Royale, par l'en-
tremise de M. leMinistre de l'Instruction publique» d'un superbe pa-
pyrus égyptien d'environ 25 pieds de longueur. Il est écrit en carac-
tères hiératiques, et contient les noms de trois Pharaons des premières
dynasties.
Ce papyrus n'est malheureusement pas complet : quelques pages ,
qui conservent encore les traces d'anciens caractères, ont élé effacées
pour recevoir probablement une nouvelle écriture. La dernière par-
tie, qui est parfaitement conservée, date du règne d'Assa, dont on
a retrouvé les cartouches dans les hypogées de Sakkara. C'est le plus
ancien manuscrit égyptien qu'on connaisse jusqu'à ce jour; le papy-
rus du Musée Royal de Turin ne date que de la cinquième année du
règne de Thoutmes III.
M. le Ministre de l'instruction publique, avant de faire remettre ce
manuscrit à la Bibliothèque Royale, a ordonné de prendre toutes les
mesures nécessaires pour assurer sa parfaite conservation.
— Une grande entreprise architecturale sera prochainement exécu-
tée à Trêves (Prusse). Le roi a ordonné que l'antique édifice, dit
696 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
palais Constantiiiien, qui, il y a une vingtaine d'années, était la ré-
sidence de rarchevêque de Trêves, et qui actuellement sert de caserne
d'infanterie, sera rétabli dans sa forme primitive. Cet édifice était,
dans son origine, une des plus grandes basiliques romaines qui ait
existé dans la Germanie. Il a 180 pieds de longueur sur 88 de largeur.
Les murs qui se composent des meilleures briques romaines, ont
9 pieds d'épaisseur ; ils sont percés de deux rangs de croisées ayant
12 pieds de hauteur. Plusieurs des principales parties de l'antique
basilique y sont encore intactes, notamment le tribunal et la presque
totalité des galeries. Après sa restauration complète, cet édifice, qui
donnera une idée de ces vastes temples où les chrétiens des premiers
siècles exerçaient leur culte , servira d'église protestante.
— Une belle mosaïque, d'environ 5 à 6 mètres de longueur, a été
trouvée récemment dans un champ qui borde la route de Pau à Gan,
à peu de distance du ruisseau le Nez. 11 y a quelques années on avait
déjà découvert des fragments semblables d'antiquités dans une prai-
rie voisine appartenant à M. le général Larrieu. Ce fait mérite d'ap-
peler l'attention des archéologues. On pense que ces mosaïques fai-
saient partie d'un établissement de bains. Des fouilles vont être
entreprises en cet endroit et pourront amener des découvertes im-
portantes.
— Les travaux entrepris pour le curage du port antique de Cher-
chell ont fait découvrir un bateau romain très-bien conservé. Il est
très-plat, n'a pas de murailles, et , à cela près, ressemble à nos cha-
lands-, sa courbure est de 70 centimètres environ, long de 1 1 mètres
et large de 4", 50; il offre des membrures en chêne de 25 à 30 cen-
timètres, qui paraissent être d'une seule pièce, et dont l'échantillon
peut être comparé à celui des membrures d'un brick de 100 ton-
neaux. On aperçoit dans la carlingue l'entaille destinée à recevoir
l'empâture d'un mât, ce qui indique que ce bateau devait marcher à
la voile. On remarque l'absence complète de fer dans la construction
de ce navire ; la même observation a été faite sur d'autres bâtiments
romains trouvés dans le bassin. Toutes les chevilles sont en chêne et
ont été employées avec profusion. Quoique la forme et les bois ne
soient pas détériorés , on ne peut guère espérer de conserver ce ba-
teau, car le contact de l'air, en le desséchant , le désajusterait com-
plètement.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 697
— On nous écrit qu'il est question de restaurer la belle église de
Munster (Meurthe). M. V. de Sansonnetti vient d'être chargé par
le préfet de relever les plans , coupes et détails de ce monument
pour les soumettre à la Commission des monuments historiques au
Ministère de l'Intérieur, pour avoir son avis avant de commencer les
travaux.
— L'Académie des Inscriptions vient de recevoir des nouvelles de
M. Botta et de ses découvertes. Dans une lettre adressée à M. Jules
MohI , notre consul fait part de l'état où sont parvenus ses travaux.
Déjà une façade immense a été mise entièrement à découvert ; au
centre se voit un portique composé de quatre taureaux de face entre
lesquels sont placés deux taureaux de profil; ces animaux de gran-
deur colossale offrent un aspect magnifique. Malheureusement il a
fallu les scier pour les transporter en France où bientôt nous allons
posséder le plus étonnant musée assyrien que l'imagination puisse
concevoir. M. Flandin, dessinateur, envoyé pour aider M. Botta,
a maintenant en portefeuille 220 planches; il a relevé des plans,
des cartes et M. Botta a pour sa part non-seulement copié deux cents
inscriptions, mais a pris des empreintes en papier de presque toutes,
mettant ainsi les critiques à môme d'exercer leur sagacité sur des
documents d'une authenticité irrécusable. A la partie postérieure de
toutes les dalles sur lesquelles sont sculptés les bas-reliefs, existe une
inscription cunéiforme , toujours la môme, mais présentant cepen-
dant des variantes pour certains caractères. M. Botta en a copié
quinze dont l'examen sera très -précieux pour le déchiffrement que
vont tenter nos érudits. Ces inscriptions portent à croire que l'on s'est
servi, pour tailler les bas-reliefs, de pierres empruntées à d'anciens
édifices. Cette circonstance vient à l'appui des suppositions faites par
un de nos collaborateurs touchant l'époque des constructions retrou-
vées à Khorsabad.
— Le 10 janvier, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a
procédé au renouvellement de son bureau. M. Pardessus a été nommé
président pour l'année 1845, et M. Naudet , vice-président; dans sa
séance du 20 décembre, cette compagnie a nommé à cinq places de
correspondants, devenues vacantes dans le cours de l'année, trois fran-
çais et deux étrangers : ce sont MM. le docteur Lautard, à Marseille,
qui a publié des lettres archéologiques et une histoire de l'Académie
de celte ville; de Cadalvène, à Conslantinople, à qui l'on doit un
698 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
excellent volume sur la numismatique grecque et deux ouvrages sur
rOrient; de la Plane, àSisteron, auteur de l'Histoire municipale de
cette ville, ouvrage plein de conscience et de mérite; le pèreSecchi,
à Rome, l'un des antiquaires les plus éminents de l'Italie, enfin
M. Rawlinson, consul d'Angleterre cà Bagdad, fort connu par les
promesses qu'il a si souvent répétées de publier une traduction com-
plète de toutes les inscriptions cunéiformes et pehivi de la Perse et
de l'Assyrie. 11 faut espérer que le nouveau litre conféré à M. Raw-
linson le déterminera à faire connaître aux érudits de l'Europe des
travaux qui ne peuvent manquer d'être si profitables à leur in-
struction.
Dans sa séance du 17 janvier, l'Académie de Inscriptions a élu
MM. La Boulaye et de la Saussaye en remplacement de MM. Fauriel
et Mollevaut , décédés.
— M. Gilbert Charleuf qui avait l'année dernière découvert un
temple antique à Saiiil-Révérien, vient.de faire contmuer les fouilles
et elles ont été couronrïéi>s de succès. Un massif de grès avait été
laissé debout au milieu de l'enceinte du temple; en le renversant on
reconnut que c'était une sorte de coffre contenant des tisons, quatre
lames de verre de cmquante centimètres de longueur; cinq médailles
dont malheureusement les types ne nous sont pas indiqués, un tau-
reau à trois cornes et un sanglier de bronze.
A Autun le même archéologue a trouvé un beau morceau de
sculpture représentant quatre femmes adossées, hautes d'un mètre;
dans le même lieu était l'inscription suivante :
LICNOS • CoN
TEXTOS • lEVRV
ANVALoNNACV
CANECo SEDLON
dans laquelle M. G. Charleuf croit retrouver les noms d'Avallon et
de Saulieu {Sedlonam).
— M. Edouard Grasset, consul de France à Janina , dans une
excursion qu'il vient défaire sur l'emplacement de l'antique Apollo-
nie , vient de découvrir des statues , des inscriptions et des médailles
qu'il se propose de publier dans la Reçue. Nous nous empresserons
de faire connaître à nos lecteurs ces monuments qui pourront certai-
nement jeter quelque jour sur l'histoire si obscure de l'Épire.
BIBLIOGRAPHIE
TERRACOTTEN DES KOENIGLICHEN MUSEUM ZU BERLIN , etc. — Description
des terres cuites du musée de Berlin, par Théodor Panofka, membre de
l'Académie des Sciences de Berlin. Berlin, 1842. A Paris, chez Franck, successeur
de Brockhaus et Avenarius, rue de Richelieu, n" G9, et chez Leleux , éditeur-
libraire, rue Pierre-Sarrazin, n"9. In-foL, de vni — 1G3 pages, avec 64 planches
lithographiées.
Le nom et les travaux de M. Panofka sont trop célèbres pour que
Tattentioii du public savant ne se fixe pas sur tout ce que publie cet
éminent archéologue. D'ailleurs le livre que nous annonçons possède
en lui-même plus qu'il n'est nécessaire pour intéresser vivement les
antiquaires et pour plaire aux artistes et aux hommes de goût.
Et d'abord hâtons-nous de dire que la collection des terres cuites du
musée de Berlin est une des plus belles de l'Europe. Puis, ce qui
ajoute encore à l'intérêt du travail de M. Panofka c'est qu'une classe de
monuments, dont les antiquaires jusqu'ici ne se sont point occupés
d'une manière spéciale, en fait l'unique objet. Les rayons de nos bi-
bliothèques plient sous le poids des volumes consacrés aux médailles,
aux bronzes et aux marbres , tandis qu'il y a deux ans à peine , avant
l'apparition du livre de M. Panofka, les publications relatives aux
terres cuites se bornaient aux recueils de d'Agincourt, de Taylor-
Combe, et à quelques planches éparses dans Caylus, Millengen,
Gerhard, Stakelberg, etc. (1).
Cette sorte d'oubli des œuvres de h plastique a droit de nous sur-
prendre. Cet art cultivé en Étrurie dès les temps les plus reculés a
devancé chez les Grecs tous les arts du dessin : Maler slaliiariœ,
scalpturœ et celalurœ. C'est lui qui fournissait les modèles et les
formes. Les plus anciennes statues des dieux étaient en terre cuite
coloriée, comme si l'on eût voulu racheter par la couleur l'insuffisance
de l'exécution. Là, nous retrouvons pour ainsi dire les commence-
ments de la peinture. Des bas-reliefs, des ornements d'argile déco-
raient les habitations particulières, les places publiques et les temples.
(1) A peu prés à la même époque on a commencé à publier, à Rome, un ouvrage
sous ce liire : Anlichc opère in Plaslica discoperlc , raccoUe , e dichiaralc da
Gio. Pielro Camjmna. Il n'a paru jusqu'ici qu'un assez petit uombre de liviaisou»
de ce livre important sur lequel nous nous proposons de revenir.
700 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
Les images des divinités funèbres, que l'on trouve encore en si grand
nombre dans les tombeaux, étaient en terre cuite. L'habileté d'Athènes
et de Corinthe dans la plastique était célèbre dans le monde entier.
C'est un des privilèges de l'art grec que de savoir tirer parti des
matériaux les plus modestes et de produire de grands effets avec les
moyens les plus simples.
Les terres cuites que nous possédons attestent un goût exquis , le
sentiment le plus délicat des formes; souvent , malgré la petitesse ha-
bituelle des dimensions, on y distingue un certain caractère de gran-
deur et de puissance. C'est que la pensée du sculpteur s'y manifeste
dans toute sa verve , dans toute sa liberté , et sans être affaiblie par un
long et pénible travail. On comprend tout l'intérêt qui s'attache à ces
ébauches dont la date remonte à quelques milliers d'années.
Ces monuments qui passionnent l'artiste méritent au plus haut degré
l'attention du savant ; où le premier trouve à admirer, le second trouve
à s'instruire. Aux yeux de quelques archéologues, très-expérimentés,
il n'existe pas de débris de l'antiquité dont on puisse tirer plus de
lumière pour la connaissance des religions de la Grèce. C'est surtout
sous ce point de vue que M. Panofka s'occupe des terres cuites du
musée de Berlin.
M. Panofka appartient à l'école symbolique , c'est-à-dire à cette
école qui accorde un sens élevé , une signification sérieuse aux fables
du polythéisme. De même que l'illustre Creuzer qui l'a fondée, de
même que le savant et infortuné K.-O. Muller, et M. Welcker, et
M. Gerhard, et beaucoup d'autres antiquaires éminents, soit de
l'Allemagne, soit de notre pays, M. Panofka voit dans les idées reli-
gieuses la base de la mythologie. Mais ce qui lui a valu une place à
part parmi les archéologues , c'est l'application qu'il a faite de ce prin-
cipe , et Ja hardiesse de ses interprétations.
M. Panofka est un érudit doué d'une sagacité supérieure ; il est
aussi un homme d'imagination. Il a vécu en Italie au milieu des chefs-
d'œuvre de l'art antique. Voilà sans doute ce qui a influencé sa ma-
nière d'étudier les anciens. Il est très-probable que s'il fut resté tou-
jours avec ses livres , ses idées eussent pris une autre direction.
Par exemple , à la différence de beaucoup de ses émules en science
et en érudition , M. Panofka ne perd pas courage lorsque le passage
classique qui lui est nécessaire ne se trouve pas sous sa main, ou qui
pis est n'existe point. Il ne s'en tient pas simplement à la comparaison
des monuments avec les textes; les mille détails d'une œuvre d'art lui
servent à rechercher ce qu'elle signifie ; analogie de formes, coiffure.
BIBLIOGRAPHIE. 701
vêteipents, gestes, pose, tout ou presque tout avec lui obtient une
valeur mythologique et religieuse, et parle ce qu'il nomme justement
la langue symbolique de l'antiquité.
11 est vrai que quelques antiquaires timorés se sont élevés contre ce
système, ou plutôt contre ce qu'ils croient en être l'abus. Selon eux,
vouloir remonter au sens primitif d'un mythe, en prenant souvent pour
point de départ une terre cuite informe, une anse de vase , ou quelque
chose d'approchant, c'est risquerde s'égarer. L'art, à toutes les époques,
ajoute-t-on , a-t-il été si étroitement enchaîné par la religion qu'il
faille, de toute nécessité, prendre au sérieux une foule de sujets dans
lesquels des yeux non prévenus ne pourraient voir que de simples ba-
dinages d'artiste? La saine critique permet-elle de soulever un pro-
blème mythologique à propos d'une coiffure ou d'un geste? Supposer
en outre, que des peintres de vases, que des graveurs sur pierre, que
des sculpteurs travaillant, le plus souvent, pour le commerce et pour
le luxe, se soient enfoncés dans les profondeurs de la mythologie
mythique, cosmique ou orphique, n'est-ce pas là une idée un peu plus
allemande que grecque ?
Nous ne nous dissimulons point la gravité de ces critiques, que du
reste nous n'avons aujourd'hui ni le temps ni la volonté d'apprécier. Tout
ce que nous pouvons dire, c'est qu'elles n'ont point ébranlé le crédit de
M. Panofka dans le monde archéologique, crédit fondé sur une con-
naissance profonde des traditions mythologiques et des monuments.
D'ailleurs, il faut le reconnaître, on voit dans le savant antiquaire de
Berlin un esprit philosophique, et, ce qu'on ne trouve pas toujours
chez les érudits, le mérite de l'originalité. M. Panofka a fait école.
Ces réflexions pourront suffire peut-être pour faire connaître quels
sont l'esprit et la portée du livre que nous signalons. Maintenant,
voyons de quelle manière il est exécuté.
L'auteur publie quatre sortes de monuments : ceux de l'art grec
ancien ; ceux qui montrent cet art arrivé à sa plus haute perfection ;
les monuments du style primitif italien; enfin ceux de fabrication
romaine. L'ordre, ou plutôt le désordre dans lequel il les publie,
n'est ni chronologique ni même rigoureusement mythologique.
Ainsi , par exemple , on trouve à la fin des planches quelques figu-
rines dont la place, conformément aux idées de M. Panofka, devrait
être au commencement.
Nous avons regretté vivement, en parcourant ce volume, de ne
pouvoir détailler toutes les richesses archéologiques qu'il renferme.
Nous allons essayer d'indiquer ce qui nous a paru le plus remarquable.
702 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
M. Panofka débute par mettre sous les yeux des antiquaires un
groupe des plus intéressants, non pas tant par sa rareté que parce
que jusqu'à ce jour on s'est mépris sur sa signification. Dans ce
groupe, le savant archéologue reconnaît deux divinités grecques,
le bon génie, Aat^&jv AyaBoç, et l'heureuse fortune ; Tv-)(ri AyaQ-riy
c'est-à-dire la double personnification, masculine et féminine, des
richesses que la terre renferme en son sein. Cette vue neuve et judi-
cieuse, au sujet d'une représentation mythologique dont plusieurs
monuments nous offrent des variantes ( pi. XLIX), est appuyée sur
des rapprochements aussi savants qu'ingénieux.
Un monument reproduit sous diverses faces ( pi. IIÏj IV, V ) qui
représente une femme tenant un pavot et assise sur un trône sou-
tenu par des sphinx, se recommande par ses dimensions, chose assez
rare dans ce qui nous reste des œuvres de la plastique. Il a été trouvé
à Chiusi , l'ancierme Clusium. C'est un curieux spécimen de la ma-
nière quelque peu barbare dont Tart étrusque imitait l'art grec.
M. Panofka donne à cette figure le nom de Proserpine. N'oublions
pas non plus une tête de Minerve ( pi. VIII ), dont une guirlande de
lierre orne le casque, particularité qui rappelle à M. Panofka la
Minerve au lierre, AQriVnKtGfyocioc, adorée à Épidaure.
Nous arrêterons l'attention des lecteurs sur un de ces monuments
malheureusement trop rares, et qui jettent de vives clartés sur un
point d'histoire de l'art, ou de mythologie. Nous voulons parler
d'une terre cuite peinte, représentant une tête de femme coiffée
d'une peau de chevreau ( pi. X). M. Panofka reconnaît dans cette
figure la Janon Caprotine des Latins. C'est par des investigations
pleines de science , et dans lesquelles il fait voir tous les rapports de
Junon avec la chèvre, qu'il établit cette heureuse interprétation.
Cette figure, qui appartient à la sculpture italiotc primitive, rappelle
au premier aspect le style égyptien.
M. Panofka reconnaît dans une figure de femme assise sur un dau-
phin/no Pa5Jo/ia<?(pl. XI), justement parla manièredontelleappuiesa
main droite sur la queue de ce dauphin qui est terminée en croissant.
Ceci, dit-il, dénote une divinité de la lumière. N'est-il pas à craindre
que cette opinion ne paraisse trop parfaitement symbolique? Il est
encore possible que le même doute accueille la dénomination de Dia-
Hebe , déesse tellurique , épouse de Dionysus Hebon, attribuée à une
figure de jeune fille, principalement parce qu'elle a les jambes croi-
sées, attitude qui exprime le repos et par suite des idées funèbres.
Plusieurs planches ( de XIV à XXlil ) fournissent à M. Panofka
BIBLIOGRAPHIE. 703
diverses explications , dont le résultat serait d'enrichir le domaine
de l'anliquilé figurée d'un assez grand nombre de représentations
relatives au mjthe de Vénus. Ainsi, dans plusieurs statuettes du
musée de Berlin, il reconnaît Aphrodite, Ambologera , liera, Ca-
tascopia, Délia, Cythereia, Erycina, etc., etc., noms sous lesquels,
pour la plupart, cette déesse était honorée dans différentes localités.
Le peu d'espace qui nous est accordé nous met dnns l'impossibi-
lité de suivre pas à pas les savantes recherches de l'auteur. Aussi
nous bornerons-nous à observer combien il est difficile de caracté-
riser quelques-unes de ces figures en l'absence de tout attribut signi-
ficatif. Avouons toutefois que, pour M. Panofka, cette tâche est
bien moins lourde que pour tout autre, grâce à sa vaste érudition,
et au merveilleux parti qu'il sait tirer de la symbolique du geste et
du costume.
Nous sommes obligés de passer rapidement sur plusieurs monu-
ments d'un intérêt réel , tels par exemple que ces figures de jeunes
hommes ailés (pl.XVlII, XXII, XXY), qu'on n'avait vus jusqu'alors
que dans les peintures de vases. Les antiquaires, faute d'un autre
nom, les désignent ordinairement sous celui de génies hermaphro-
dites, M. Panofka inclinerait à voir dans ces figures la personnifica-
tion de PolhoSy un des compagnons de Vénus. Nous ne pouvons aussi
indiquer qu'en passant un buste remarquable représentant Bacchus
enfant, et dont le doigt placé mystérieusement sur la bouche rappelle
Harpocrate, ou plutôt encore Télesphore, le génie des mystères. Ici
M. Panofka verrait Bacchus Mystes, c'est-à-dire le dieu qui initie aux
mystères. Nous indiquerons encore une terre cuite peinte que l'on
peut rapprocher du monument de Janon Caprodne; c'est le masque
à'Acratus, compagnon de Bacchus, tel qu'il s'est offert peut-être
aux yeux de Pausanias dans la maison de Polydon , à Athènes.
Enfin, nous renvoyons les archéologues à l'ouvrage même, en
leur laissant le soin d'apprécier les curieux rapprochements a l'aide
desquels M. Panofka reconnaît, dans plusieurs des terres cuites du
musée de Berlin, Aydistis, Plutus, Bacchus, Licnites et Kechenos;
Demeter, Melophoros, 7 hesmophoros ei Chloé; Ariane, Thyone, etc.
Nous l'avons déjà dit, ce livre, indispensable aux antiquaires, est
fait pour exciter chez les artistes un vif sentiment d'intérêt et de cu-
riosité ; et ce qui doit lui assurer leur faveur , c'est l'excellente exécu-
tion des lithographies. Il est impossible de reproduire avec plus de
fidélité ces heureuses négligences, cette mollesse d'exécution par-
fois si gracieuse qui caractérisent les œuvres de la plastique.
704 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
Il est fâcheux que les bornes d'une notice nous privent du plaisir
de signaler à leur attention / non-seulement le beau vase à reliefs
colorés découvert à Centorbi, un des monuments les plus curieux
de la céramique, mais encore une foule d'autres petits chefs-d'œuvre.
En effet, les statuettes d'Aphrodite, Pohjmnia, de Dia-IIebe, de
Pothos , de Thyone, de Némésis, les groupes si voluptueux ou si
naïfs inspirés par le culte de Bacchus, et puis cds magnifiques têtes
de Gorgone si variées, sont dignes de prendre place parmi tout ce que
l'art grec nous oHre de plus fin, de plus noble , ou de plus délicat.
On peut regretter vivement que des publications pareilles à celle
de M. Panofka deviennent une rareté dans un pays comme le nôtre,
oii les monuments abondent, et qui peut à si bon droit se glorifier
des savants qu'il possède ; mais comment s'en étonner quand on songe
que depuis plus de vingt ans la plupart des collections archéologiques
du Louvre attendent un Catalogue?
E. V.
ALLEMAGNE.
Ueher die Minerçenidole , etc., etc. De la manière dont on repré-
sentait Minerve à Athènes, par Edouard Gerhard, extrait des
Mémoires de l'Académie des Sciences de Berlin. In-4, avec 5 plan-
ches, 1844.
Archdologische Aufsdlze, etc. etc. Mémoires archéologiques, par
Otto Jahn. Greifswald, 1845. In-8, avec 3 planches.
Die mythologie, etc., etc. La Mythologie des Grecs et des Ro-
mains, par le docteur Heffter. 1'*' livraison. Brandeburg , 1845.
In-8.
VOYAGES ET RECHERCHES ARCHEOLOGIQUES
DE M. LE BAS , MEMBRE DE l'iNSTITUT ,
EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE,
PENDANT IJBS ANNÉES 1845 ET 1844.
SUITE DÛ SIXIÈME RAPPORT A M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION
PUBLIQUE.
(Voyez la dixième livraison , p. 6â9 et suiv.)
Le fragment que je vais transcrire provient encore de Magoula; il
est gravé sur la gaine d'un hermès très-mutilé :
(1^) Al
OA
TO
ONA
Tnc
OYN
Al
T
La première ligne contenait, suivant toute vraisemblance, la
formule AIIOAIS , le reste est trop vague pour qu'il soit possible
d'en tenter une restitution. Ce monument est inédit; mais qu'y ga-
gnons-nous? un fragment de sculpture d'assez bon style; voilà tout.
Instruit, le jour même de mon départ , que quelques débris des
monuments détruits par l'incendie du musée avaient été déposés dans
la cour du juge de paix, M. Parthénopoulo de Hydra, ancien ensei-
gne de vaisseau de la marine française, je me transportai aussitôt
sur les lieux et copiai huit fragments que je reproduis , car rien ,
quoi qu'on en dise , n'est à négliger dans ces sortes de monuments.
(18) TATPO
TOEEni
PONMAYP
EYEAni2T 1
BIAEOY
I. 46
706 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Les lignes de ce monument ne doivent pas avoir eu beaucoup plus
de largeur et peuvent être restituées ainsi :
[n]ATPO[N]
TOEEni[nAT]
PONMAYP[']
[E]YEAni2T[0Y]
BIAEOY
[H TTÔhg Tov ùeïvûc toO ^£ryos...]7r«rpovofjioi» rb s in\ îrarpovofxou
M. Aùp. EùeAm'o'Tou, (3t^eou.
Cette inscription qui rentre dans la classe des dédicaces honori-
fiques ne se trouve ni dans le recueil de M. Bœckh , ni dans celui
de M. Ross. Il est fort à regretter quelle soit mutilée, car même
dans cet état, elle ajoute à nos connaissances le nom d'un patronome
éponyme, M. Aarelias Evelpistus qui ^ à ce qu'il paraît, était en même
temps surveillant des jeux; car on sait par Pausanias (lïl, 11,2)
que les Biâeoi présidaient particulièrement aux jeux des Ephèbes.
Le nom d'Èvelpistus se rencontre deux fois dans le Corpus,
n"" 1377 et 1423 , mais les personnages qui le portent n'appartien-
nent pas à la famille Aurélia.
(19) [Î]EN0TIM[02]
[E]ENAPXOY
(20) PAYP (21) _||C (22) |N
MOY ZAAY lY
o^EYT
M
J'ai vainement parcouru le Corpus, et le premier fascicule de
M. Ross pour trouver les inscriptions auxquelles ont survécu ces
trois fragments. Je n'en dirai pas autant des huit lignes qui sui-
vent; c'est, à quelques nouvelles mutilations près, le fragment pu-
blié dans le Corpus sous le n« 1285.
(23) 02
N102I
AAMON
PHMANOY
ZnilMAAN
YnOAA
<1>IAHT
2r
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 707
Voici dans quel état était ce monument quand Fourmont l'a
copié :
/SliqPKIv:,
ZAAYPAPinN3 '
02EYTYXÂAY
NI02KAMEINA1
AAMONIKOYA
PnMANOYA^
ZnilMAAY
YnOAAEE
0IAH
20
On ne peut tirer de là que des noms propres :
[rAI]02[n]0PKI[02]. . .
[2n]ZAAYPAPinN3o . .
... 02EYTYXAAY[. . .
NI02KAME1NAI[
AAMONIKOYA[
POMANOYAY[P
Zn2IMAAY[P
YHOAAEËANAPOYTOY
0IAHT[OY
2n
[rat]oç [n]opya[oç.... Sw]Çà,
Aiip, Aptwv Aptcovoç ,
.... oç "EvTvy^âj
Au[p]..,. vioç Kapietva,
I ^cciiovUov ,
A Pw^avûOj
Au[p,] Zcûdipt-a^
Hp.}.... ,
Ttto Ah[ioivâpov 70V
^iTcnrov
Sc.)[(^a], etc.
L'inscription suivante était gravée sur un hermès parfaitement
intact à l'époque oii M. Ross en a pris la copie qu'il a publiée dans
le premier cahier de ses Inscriptiones gr, ined. sous le n^'âQ.
708 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Je donne ici en regard l'état actuel et 1 état primitif.
(24)
Ect>HB
SYNEc&HBOI
PATOY
AAM0KPAT0Y2
KPATHNL
AAMOKPATHNE
MEIANilOI
ONEPMEIANYION
HOIAMOI
AIOKAHO2AM0I
2IN2T
nAAAI2TPAI2IN2H
IETEPAI2
2AMENHMETEPAI2
NIKATOI
nAIAE2ANIKATOI
IKPATE
20ENAP0IKPATE
0HBOI
POI2HNE0HBOI
EPMAHNIOEn
Haeic . . .
HAEIONArAAAO
MENOIBOYAAI
MENOIBOYAAI
IN. . . TOlOO
2INniNYTOIO0l
AOYMENOYOSHAI
NAAAnNE2TIN
ONAAAONEITIN
lISTATEONrY
EniITATEHNrY
IA2IAI2nPYTAN
MNA2IAI2nPYTAN
Voici la transcription en caractères courants de cette épigr amme
consistant en trois distiques élégiaques :
AaaO/tpary) j véov Épueiixv, vlbv ùnoylrto^y
Aix(f>\ Tïcx.lûcidTpocKîtv cr/^tfa^ev Yiixzrépaiç^
Uoûâeç àvUoLTOL , aBevapoi, xparepot (7uv£(fyjéoï ,
Ep/xawvt 0£w TiXdov àyoù.'koiizvoi^
BouAaîctv TTivuroto <[>iXo'J|ul£Vol» , oç, Tiléov dAhjVJ
Ecrriv èiziŒzixréMV yv^ivûcdiaiç Trpyraviç.
Les Synéphèbes de Damocrate,
Nous, enfants invincibles , robustes, vigoureux synéphèbes, fiers
du culte particulier que nous rendons à Hermès , nous avons élevé dans
notre palestre cette image deDamocrate, nouvel Hermès, d'après les
conseils du sage Philumène , qui tient le premier rang parmi les ma-
gistrats quiprésident aux exercices du gymnase,
M. Ross n'entend pas comme moi les mots h tiUov éùlm^ etc. ;
suivant lui ils signiiient : qui alios ( gymnasiorum ) prœfectos dex*
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 709
teritate in exercitationibus gijmnasticis antecellit. Mais je crois que cette
longue périphrase n'a pour but que de désigner, d'une manière poé-
tique , le rang de Philumène qui devait être Trpeo-êuç ^idiciv, comme
Publius iElius Alcandridas du n° 1364 a.
Le n° 1330 qui, à l'époque où Fourraont l'a copié, se composait de
trente-cinq lignes, et se trouvait à Mistra dans le vestibule de l'église
appelée UEpihmoç, n'en avait plus que quatre quand M. Ross l'a
vue au musée de Sparte. L'incendie ne pouvait plus guère trouver
prise sur cette pierre; les quatre lignes existent encore.
(25) HTYXH
NOTATON
AIOTATON
ONnAYAEINON
Il est impossible de ne pas voir dans l'état actuel de ce monument
une nouvelle preuve des mutilations dont Fourmont s'est rendu
coupable et dont il se faisait gloire.
Le fragment suivant appartenait encore à une inscription que
M. Ross a fait connaître le premier ; c'est le n° 43 de son recueil.
(26) TACHPOJCXr:
eNeiPHNHI
NeiACXAPIN
Elle était alors complète et conçue en ces termes :
KATIACHPOJCXAlPeen
OIHCeNeiPHNHIAICOANA (sic)
APIMNeiACXAPINKAUeiMHC
K5£[p]Tiaç Tîpwç ;)(at'p£. ÉTXOLYjaev Eip-rim lùiù) dv^pl uml(Xç yjx.^i)f
y.OLi rziij:riç.
Au lieu du nom de Kauaç qui laisse des doutes à M. Ross , le
lapicide avait peut-être eu à écrire Kocpriaç qui serait alors de la même
famille que Kapn^aixag et Kapn'vtzoç qu'on trouve dans le Corpus.
Pour ne rien oublier je rapporterai encore les sept lettres sui-
vantes qu'on lit sur le bord gauche du cadre d'un bas-relief brisé :
(27) O
A
A
r
o
I
p
710 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Je passe maintenant à Mistra , à ce long spectre de ville dont il
ne subsiste plus que le linceul , comme pour rappeler le souvenir
des chevaliers français qui y avaient établi le siège de leur puissance ,
et qui du haut de cette aire dominaient au loin tout le Péloponèse.
Sur ces murs , bâtis avec les ruines de Sparte , on lisait autrefois de
nombreuses inscriptions antiques ; je n'y ai plus retrouvé que celles
dont je vais parler.
La première a déjà été publiée dans le grand ouvrage de Morée ,
d'après une copie qui avait été prise dans V Agora sur l'Acropole ;
ce qui ne peut être une indication exacte. Elle a fait beaucoup
de chemin depuis, car elle se trouve aujourd'hui à Mistra, dans
l'église neuve de Saint-Georges.
(28) AEOHTIBKA
IK0NBPA2IAC
DAOrnTATON
NnPnTONlEP
IH2APXIEPEA
EBA2TnNKAI
DNnpnroNO
~TnnnAr>¥<>-
La seule variante que présentent les deux copies sont 0 au lieu de
0 à la troisième lettre de la ligne r% BPASIAO au lieu de BPASIAE,
ligne 2,1a ligne 6 tout entière qui manque sur la première copie,
et la fin de la ligne 7 qui permet de lire [APIS]TOnOAE[l] >¥< C'est-
à-dire àpicrroTToXsiTSUopsvov.
Je changerais peu de chose au commentaire que j'ai publié sur ce
monument [Expéd. de Morée, t. II, p. 75; t.I, p. 133 du tirage in-8);
seulement je distribuerais un peu différemment les lignes, et aux mots
[TH2 2EBA2]TH2, je substituerais [0EA2PnM]H2.
. . . AE0HTIBKA[AYA10N]
[APM0N]IK0NBPA2IA[0YT0N]
[AZIO]AOrnTATON[BOYArON]
[KAI]nPnT0NIEP[EA0EA2]
[PnM]H2APXlEPEA^AETnN]
[2jEBA2TnNKAI[TnN]
[OEin]NnporoNn[NAYTnN]
[API2]TOnOAE[l]i^[MENON] etc.
Sans doute ensuite venaient les autres formules qu'on rencontre
sur les monuments du même genre loi^ovzocràç triq (xpiàToizoleiTeiag
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE, 711
zi^jAç xarà zov voiiov. Du reste, les quatre premières lettres ont
cessé d'être pour moi une énigme insoluble : il faut lire comme au
nM242, ligne 21
[T0N2YNAIK0NT0N]
[EniTlAEOH .
^ Tov (jxivdmov TGV iv:\ rà eQyj.
Le fragment qui vient ensuite se trouve sur une fontaine. Il a été
publié par M. Ross, n° 31; mais le savant éditeur n'a pas jugé con-
venable de l'expliquer.
(29) 0P12
IMATO
Eni^l
RHIOY
2YN'
YX02N
D0P02
La copie que j'ai prise et celle de M. Ross portent, ligne 1 , OPIS,
l'estampage laisse de l'incertitude et porterait à lire OPIA. Ce marbre
appartenait évidemment à un catalogue de magistrats dans le genre
de ceux que contient le Corpus, ïf 1237 et suivants et particuliè-
rement n° 1242. A l'aide de ce secours on peut en proposer la resti-
tution suivante :
.... Eni]
[ArHT]OPIA[AEninEIOY]
[rPAM]MATO[0YAAZAIABE]
[TH2]Eni2[EZT0Y]
[nOM]nHIOY[AAMAPOY]
2YNAP[X0NTE2]
[M0YN]YX02N
[NEIKH10OPO2
STÛ AyyjTJopt J[a , ènl Ueiov ypa]/:x/uiaTo[(puAa?,
JiaêeVyjç] Im. S[£^Toy no//]7ry3toLi Aa/Jiapoug.
[Uovv]v)(^oç N
[Nïixvîjfpopoç
Toutes mes restitutions sont faciles à justifier. Agétoridas, Pius,
Sextus Pompée Damarès sont des patronomes éponymes dont les
712 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
noms figurent sur des monuments datant d'une même époque. Voyez
pour Agétoridas les n°* 1239, 3, 8, 18; 1380, 19 ; 1354, 12;
pour Usioç le n'' 1242, 21, et pour Sextus Pompée Damarès le
n° 1242, 27, où il n'est encore mentionné que comme evaiToç;
et le n'* 1267, bien que provenant d'Amycles.
Les deux lignes qui forment le n" 30 sont encastrées dans la mu-
raille extérieure d'une maison particulière, celle de M. Emmanuel
Manoussaki. Elles faisaient également partie d'une liste de magistrats.
(30) AA0YnNnPE2
THMnN
\ol vo/xocpuAaxeç , èm]
[no. Me/tx^iou, UpocTojloiov wv 7rpeo-[6vç]
A]yyî|uiwy
Ayriixm est aussi un nom Spartiate qu'on rencontre au n" 1280,
ligne 9.
Les quatre suivantes proviennent de l'église de Saint-Spiridion :
(31) MAKEAC
EYN0IA7
l2THNnA
AA A
Je proposerais la restitution suivante :
[HnOAI2. ^ ] MAKEAO
[NA ]EYN0IA2
[ENEKENTH2E]l2THNnA
[TPIlAA A
[H Tioliç ] Ma)t£(Jo[va tov dzïvoç] îvvolccç [svsîtsv t'^ç zi]ç ttîv
TiûclypQâa. , etc.
Cette inscription a été publiée, par M. Ross, sous le n« 28 : le
savant professeur n'a pas jugé convenable d'en remplir les lacunes.
Le n° 32 est connu depuis longtemps; mais il s'est bien amoindri :
État ancien : État actuel :
(^2) KABIAI02ArA0ANrE (32) IABIAI02AI
A02NIKH2A2ATE A02NIKH2
NEinNnAAHNEni NEIflNnAA
ArnNOOETOYTON AmNOGEl
MEfAAONEYPYKAE MEfAAONL
ONrAHOYANTinA ONfAHOYA
TP0YT0YAY2IKPA
T0Y2AAKEAAIM0N
02 niTANATH2
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 713
C'est le n° 1425 du Corpus, Fourmont l'a lue à Sparte près de la
porte septentrionale; elle avait alors en plus trois lignes et six let-
tres environ à chaque ligne. Qui a mis ce monument dans l'état où il
est aujourd'hui?
(33) TONt
ATONKI
Peut-être faut-il il suppléer tov è[vâo'i6r']ûirou z[at , mais le temps
et la patience me manquent pour vérifier si ces quelques lettres ap-
partiennent à un monument déjà publié.
Vient enfin le n° 1409 du Corpus dont voici une copie fidèle, que
celles de Fourmont et de M. Benthylos de Smyrne rendent encore né-
cessaire, et qui confirme toutes les corrections de M. Bœckh.
(34) TONKAYTONHrE
M0NHAXAPEI2I0N
ANOETOKOYPA
2nAPTA2AnPnTA
nHNEAOnElAhEA
. NMErAXAPMAHATPA
. nAPTIATlKOSHE^H
2EN KYAAAIM02
. ENETnPKYAAAIMA
OYrATPA
(Ici un Phallus.)
AlivHTPlOYIOYSrAYOH
Les n"' 35 et 36 se trouvent dans l'ancienne église catholique au-
jourd'hui en ruines.
(35) OY . ENOimTHPI
020ENIAA2nEI2IA
ANAPOlEYnOPOY
OOKAHSOIAinnOY
KPATHIAfA
C'est une suite de noms faciles à restituer.
[ct)[A]0Y[M]EN022nTHPI[AA]
[AHM]02GENlAA2nEI2IA
[MEN]ANAPQ2EYnOPOY
[ArA]OOKAH2ct5lAinnOY
[Eni]KPATH2ArA. • .
714 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Ayj/xJoaQevic^aç Ueiaioc ,
Mév](xv^poç EvTTopov,
ÉTTtJxparyjç Ay«....
Le n« 36 est une inscription funéraire déjà publiée dans le Corpus
sous le n° 1501 , d'après une copie de Fourraont, et, par moi, dans
l'ouvrage deMorée (t. II, p. 72; 1. 1, p. 118 du tirage in-S"). Une
représentation bien fidèle de ce monument était encore à désirer, la
voici :
K
(36) Aoroc
XAIPE
NEiKAE
YC
ETHN
MB
TAYKCON
XAIPe
La correction [EujAoyoç que j'avais proposée n'est pas soutenable ;
K est la deuxième lettre d'une formule bien connue, S(eoïç) K(aTa-
yBovLoiç) j Diis manïbiis, dont la première lettre a disparu.
J'ai aussi trouvé dans le pavé de cette église une inscription la-
tine de l'époque vénitienne. Je la rapporterai plus loin.
Dans l'église de la Ilavixyia «Travco j'ai lu au-dessous d'un petit
triglyphe
(37) HRAIEYS
Les ruines d'une maison m'ont encore offert les fragments qui sui-
vent :
(38) KAAAIK
NEIKIAA
AI0NY2
AinjTPA
AI02
(39) OYArOPA
Le premier appartenait à une liste de noms propres.
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 716
KAAAIKLAH2] Ka^tyM^
NEIKIAA Ns.x.'(J«,
AI0NY2I02 ^lovvmoç
A[En]2TPA[T0Y] Aso^arparou ,
[2IMY1AI02 St^uAtoç [tou âeîvoc].
(40) En caractères archaïques
T p
Au premier étage de ladite maison :
(41) HnOAIl
0MnnNI0NAPI2TEANAAKA2T0Y
KAEIAHNKAIAI02KOYPIAHNBOArON
ETHNAnOAEKTHNEniMEAHTHN
NXPHMATnNArnNOOÇ
TON NO Y
rmn
H TTo'Xtç
[Fa. nJop.TToSvtov AptoTsav Al^dfjrov
HpaJzAei^Tjv y.au ^i,o(JY.ovpt^nv, ^toocyQV ,
^taêjsr/jv, àiio^éy,Tnv , èmiielnr-hv
[twv aywvo0£Ti>tco]v y^pniJ.drMV, dyoiVoQér-
fyjv] Tov.... vou
[TTpoo'Je^a/xgvou to «vaAw/xa ropJytTTTT [ou]
Je ne doute pas de la sûreté des restitutions des deux premières
lignes. On connaissait déjà par le n'' 1351 un autre fils d'Alcaste,
C. Pomponius Agis, qui figure n°' 1239 et 1240 parmi les nomo-
phylaces, et qui paraît même avoir été patronome ; le nôtre fait valoir
plus de titres, mais d'un ordre moins élevé. Il descend d'Hercule et des
Dioscures, sans doute parce qu'il appartient à l'une de ces familles sa-
cerdotales qui faisaient remonter leur originejusqu'à ces héros. {Voyez
len°134oî hpéoc y.a.i'âTXoyovov Iloattooç, n°1374.) Sur les fonctions
gymnastiques de ^oayogeiàe ^toc^éz-nç, qui étaient les premières par
lesquelles on débutait, on peut consulter M. Boeckh (t. I, p. 611
et 612). De plus C. Pomponius était chargé de la recette et de l'em
716 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ploi des fonds relatifs aux jeux publics, fonctions auxquelles on peut
voir une allusion dans le nM 378, où l'on fait un mérite à un certain
M. Aurélius Cléomène d'avoir rendu à l'État, dens leur intégrité, les
excédants des fonds dont il s'agit : r/iv Tiepiddelocv drioâoiiç iidctxocv rfi
Un peu plus loin, à la porte d'une église, on lit :
(42) eARI AAMIAC ACO)
xAipe xAipe ctpat
eTHBlCOCAC
Xoûpe» xoûipt. ÏTfi Picoo-aç [....p^atpej.
En descendant de la forteresse, dans les ruines de la mosquée turque
on lit, en caractères très-rectangulaires, imitant, sans la reproduire,
récriture archaïque ;
(43) EPOIEBE
ÉTTOtyîQyj
C'est encore une preuve à ajouter à beaucoup d'autres de l'usage ,
très-répandu à l'époque romaine , de fabriquer des titres antiques.
Nous voici parvenus à l'église métropolitaine, dont l'ancien mo-
nastère était autrefois riche et célèbre, et qui n'est plus habité que
par un moine, frère de l'archevêque actuel, et cumulant les fonctions
de prêtre avec celles de vétérinaire. Le long de la porte du parvis sont
encastrées deux pierres qui n'ont point échappé à M. Ross , et qui
forment le n» 32, a, 6, de son recueil, bien qu'elles proviennent à n'en
point douter, d'après la forme des lettres, de deux monuments bien
distincts.
(44) inONM
OYAAMO
2KAIET
^ EIAX
[in]nONI[K02
nVAAMOrkPA
[i7r]7Tovt[xos
..••.ou AccwoiïtoaToulc
T0Y]2KAIET[EAPX
EIAX
zai 'èéx[ec(.px\dG(.q
VOYAGE EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 717
Cette restitution que je crois préférable à celle de mon devancier
me laisse encore quelques doutes, l'usage de joindre le nom de la mère
à celui du père n'ayant pas pour lui beaucoup d'exemples , bien qu'on
en trouve un dans le numéro qui suit immédiatement. Le génitif qui
précède Aa^o/^parouç devait être un prénom romain.
(45) KA102
KENAH
KPEIOY
KAI2K0
C'est environ la sixième partie du n" 1373. Voici ce qu'il était
quand Fourmont l'a copié :
AnOAI2_
ONASinnONTIB
KAAYAIOYAAMO
NE1K0Y2KAIETY
M0KAHAEIA2TH2
20IÏITEA0Y2YI
0NAPETA2KAIAI
KAI02YNA2ENE
KENAnOrONON
KPElOYKAIMEfATA
KAI2K0nEA0Y
Maintenant quittons Mistra pour ses environs , et transportons-
nous à la belle fontaine de Kéramos. Nous y trouverons un marbre
fort difficile à déchiffrer. M. Ross l'a publié sous le n° 27 ; mais il est
loin d'en avoir tiré tout ce qu'on en peut lire. Voici les deux copies
comparées :
Copie de M. Ross. Nouvelle copie.
(46)
!.. 02 NM
. 12EI^20IH . AAA
TIATOI IK02APXITEA
. . . KAEIAA2ni2T0Y TnKAEIAA2ni2T0Y
AinNTIM0ct>ANE02 AinNTIM0cJ>ANE02
OAinNANAPONIKOY • lOAinNAAPONlKOY
KAAIMAX02I/ KAAAIMAX02V
IAIAI2KinP02 HAlAllKynPOS
.GHNinN
718 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Le savant professeur tire de celte copie les quatre lignes suivantes :
...... 'ithi$ix(; lïtcTToO?
Atwv Tipio(pav£oç ,
A l'aide de ma copie , on peut arriver à une plus grande exacti-
tude et gagner encore quelques noms. Suivant moi, les sept premières
lignes doivent être lues ainsi :
[OIA]02[n]NM. . . ,
[2]n2EI[A]20IZ[l]AAA
K]T[P]AT0[N]IK02APXITEA[E02]
[2inKAEIAA2ni2T0Y
AinNTIMOOANEOl
[n]IOA2nNANAPONIKOY
KAAAIMAXOIV
Cette sigle V> M. Ross l'a parfaitement vu , est l'équivalent, sous
une forme nouvelle, des signes 3 , K, ST, <, etc. {wy. M. Boeckh,
Corpus inscrip,, t. I, p. 613, col. 2], qui indiquent que le mot qui la
précède doit être répété au génitif.
Restent les deux dernières lignes, les lignes 8 et 9. La hui-
tième m'a donné quelque peine. La pierre est par trop lisible
en cet endroit pour qu'on .puisse y supposer quelque altération.
Mais comment un K et un y peuvent-ils se trouver de suite?
Évidemment il manque entre ces deux lettres une voyelle qui ne peut
être qu'un 0, et il est permis de supposer, en regardant le marbre
de près, qu'un 0 de très-petite dimension était écrit au-dessus de la
partie supérieure du K (K) comme on le rencontre au-dessus du N (N)
dans les abréviations des mots terminés par N0M02. Alors on pour-
rait lire Jl(xidi(jy.6i\)(ùpoç; mais ce nom , en le supposant admissible,
sentirait par trop son mauvais lieu. Et puis d'ailleurs une pareille
abréviation au milieu d'un nom n'était pas dans l'habitude des lapi-
cides d'une bonne époque. Il vaut mieux y voir la désignation d'une
classe particulière d'individus dont les noms sont ajoutés à la liste
principale. Les lignes 8 et 9 pourraient donc , selon moi , être resti-
tuées de la manière suivante :
[n]AiAi2[K]ynpo2
[AlOHNinN
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 719
Ainsi tout le monument conçu en ces termes :
[$iX]off[w]v M ,
[Sjw(j£i[a]ç Oi^[i]acJa,
[S]T[p]aTo[v] ixoç Ap^irél\_eoç]f
Aiwv Tt|uio(pav£oç y r
[Il]i0aarwv AvJpoviV-ou,
Kalliixa)(pç ILaXkiii.a.'/pyj ,
■[A]0yîvtcov.
Le pauvre ^wpoç ( 5ca6er ) n'a pas un bien beau nom ; mais en
revanche son compagnon porte un nom célèbre dans l'histoire des
esclaves.
Il me reste encore à justifier quelques-uns des noms que j'ai réta-
blis dans les six premières lignes. ^tXocwv a pour lui l'autorité du
n° 1576 ; Sp.)0'£iaç , celle de Swataç, if 1512 , pour ne citer qu'un
seul exemple emprunté aux inscriptions de Sparte. OiiidàoLq n'est pas
plus contraire à l'analogie que Kryio-ia^aç (n°' 163, 45). ^(^vleÙaq
ou2&jnXt(Jaç est un nom Spartiate qu'on lit au n*^ 1262, ligne 10.
Enfin IIiGao-cov est formé d'après les mêmes lois que Ovao-wv et
Kr/jaccov, Mvao-wv, etc.
A quelle classe de monuments appartient cette inscription? C'est
une question qui mérite d'être examinée. Si les deux nçms qui sui-
vent TzoLiàiav.oi étaient suivis comme les autres d'un nom au génitif on
pourrait voir dans notre marbre une liste d'éphèbes (veavtcxoi) et
déjeunes enfants vainqueurs dans des jeux publics. Le n*' 1279
( col. 21, l. 8 ) prêterait beaucoup de force à cette conjecture. Du
reste il pourrait se faire que l'on se fût contenté de désigner les pe-
tits enfants par leur simple nom. Cela est d'autant plus admissible
que dans l'inscription que je viens de citer tous les vzcx.viGy.oi , à
l'exception d'un seul , sont ainsi indiqués , ou bien encore on ajoute
une désignation tirée de l'âge, Aa^-oxparviç irpso-êurspoç. Une seule
chose me laisse de l'incertitude ; comment un enfant de condition
libre a-t-il pu recevoir en naissant l'horrible nom de ^wpoç? Le temps
me manque pour faire quelques recherches à cet égard , mais l'ono-
matologie latine , à défaut de la grecque , pourrait fournir plus d'un
exemple de noms tirés d'une maladie, d'une infirmité, ou d'un dé-
faut de conformation.
720 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Mistra visitée , j'entrepris le voyage d'Amycles, aujourd'hui Skla-
vokhorio. J'espérais que là je serais plus heureux qu'à Sparte, relati-
vement à la question soulevée par les inscriptions de Fourmont. Mais
dans ce lieu la destruction a été poussée plus loin encore qu'à Sparte.
Il n'y reste plus que deux inscriptions. L'une d'elles (47), que ses
grandes dimensions ont seules empêchée d'être détruite, a été copiée
par plusieurs voyageurs, publiée dans le Corpus sous le n*' 1445, et
expliquée par moi dans le t. III de Y Expédition se. de M, (t. I, p. 157
du tirage in-8°). L'estampage que j'en ai pris prouve que le monu-
ment est resté ce qu'il était lors du passage de M. Ch. Lenormant.
L'autre est , je pense , inédite ; elle a servi à la construction d'une
cabane.
(48) ONOEOnPOniON
NEA2HAIKIA2
VIAPETH2EnEI
TAPTH
.... ôv GeoTipoTTiov véccç rihy^locç.*.» [>ta]t àpETriÇy etc.
Oracle da jeune âge ( modèle de science ) et de vertu.
J'abandonne le reste à un plus habile. On peut toutefois rappro-
cher de ce monument le n** 1376.
Il est encore. Monsieur le Ministre, une classe de monuments
que je n'ai pas cru devoir négliger, ce sont ceux qui peuvent servir
à l'histoire du moyen âge ou même à l'histoire moderne. C'est sur-
tout à Mistra que la moisson en ce genre est fructueuse. Comme
cette lettre est déjà bien longue, je ne transcrirai ici que l'inscription
latine dont je vous ai parlé plus haut. Elle trouvera sans doute place
un jour dans le recueil du savant éditeur des inscriptions des églises
vénitiennes, M. Cicogna.
(49) D 0 M
TEMPLVM HOC
PRiESENTATIONIS- DEIPARAE- DICATVM
SVB
MARCO LAVRETANO PRO^^ GENLI. PELOPONENSI
MARCHÏONI- NICOLAOMELI PR.EFF? LACONI
ANTONIO GRITTI PRETTORl SPARTtE
_NEC NON
DEVONE : ALIVM FIDELIVMAFVNDISE
R. R. F. F. MIN : OBSERV : S : FRANCISCl COMC
ANNO- SALVTIS- MDC.
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 721
Je me bornerai à mentionner le reste :
(50) L'inscription de la fontaine de Krebata, publiée par moidans
l'ouvrage de Morée (t. II, p. 79 et 8; 1. 1, p. 152 du tirage in-8**).
L'estampage que j'en rapporte justifie presque toutes mes conjectures
et permettra de préciser la date de ce monument qui ne remonte pas
au delà du siècle dernier.
(51) L'inscription de la fontaine qu'on voit dans la cour de l'église
métropolitaine. Je l'ai également publiée (t. II, p. 80 de l'ouvrage cité ;
t. I, p. 156 du tirage in-8°).
(52) Les vers qu'on lit sur le linteau de la porte du temple.
(53) Une inscription gravée sur une plaque encastrée dans la mu-
raille latérale droite.
(54, 55, 56) Les inscriptions fort longues, gravées sur trois des
colonnes intérieures de l'église.
(57) Une inscription qu'on lit sur une fontaine en ruine près de
Keramos.
Ainsi, Monsieur le Ministre , 57 inscriptions formant deux classes,
48 anciennes et 9 modernes, et parmi les 48 , 20 déjà connues et
28 inédites , de môme que parmi les récentes 2 connues et 5 à faire
connaître , voilà tout ce que j'ai pu recueillir dans cinq jours de re-
cherches attentives ; le reste du temps que j'ai passé à Sparte ayant
été consacré à vous écrire. Môme en ajoutant aux 48 inscriptions
copiées par moi les 300 inscriptions environ dues à Fourmont, et les
1 4 rapportées par les membres de la commission de Morée, pourra-t-on
comparer ces titres à ceux que présente Athènes? Avais-je donc
tort de dire en commençant qu'il ne reste plus rien , à la surface
du sol , de l'antique grandeur de Sparte? Ne semble-t-il pas qu'un
génie vengeur des peuples qu'elle a si longtemps opprimés ait
conspiré contre sa gloire et n'ait voulu laisser subsister d'elle que
des monuments rappelant et l'époque où elle tremblait sous des pro-
consuls romains et celle où elle subissait le joug des peuples de l'Occi-
dent? N'y a-t-il pas là de grands enseignements?
Si mes découvertes à Sparte , sous le rapport des marbres d'une
antiquité respectable, n'ont pas été aussi satisfaisantes que je l'aurais
désiré, j'ai été plus heureux à d'autres égards. Dans un petit lot de mé-
dailles et d'objets en bronze dont j'ai fait emplette à Mistra, se trouve une
sorte de patère antique sur le bord intérieur de laquelle a été ciselé
le mot AIWNATI^ [h^vàcziç) ce qui, indépendamment de certains in-
dices qui annoncent que ce meuble n'a jamais été isolé , mais tenait
par la partie convexe à un autre objet , me porterait à croire que la
I. 47
722 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
patère en question appartenait à un candélabre du temple de Diane
Limnatide ou Orthia, nom identique, comme l'a prouvé M. Ross,
p. 21 de son Voyage dans le Péloponèse. Dans le même lot, j'ai acquis
un couvercle de vase en bronze , sur la partie intérieure duquel est
gravée à la pointe une inscription, également en caractères archaïques,
que je n'ai pas encore eu le loisir de déchiffrer. J'ai en outre fait em-
piète au village de Magoula d'un objet d'art très-important, selon
moi ; c'est un fragment en terre cuite qui , à en juger par sa cour-
bure, devait appartenir à un vase de forme circulaire, ayant au moins
de 60 à 70 centimètres de diamètre. Le fragment en question devait
former la partie principale de ce vase, car il représente le sujet connu
de la Guerre des sept chefs ^ au moment oii les deux frères ennemis en
viennent aux mains. Polynice est armé du bouclier argien; Étéocle,
du bouclier thébain. Un guerrier est étendu mort à leurs pieds. Deux
autres se tiennent debout derrière les deux combattants, dans des
attitudes diverses , mais se rapportant au sujet. Le style du monument
est archaïque et de tout point semblable à celui des vases peints à
figures noires. Il y a de là, si je ne me trompe, plus d'une conséquence
à tirer : l** Sparte n'a pas poussé aussi loin qu'on le pense communé-
ment l'aversion pour les beaux-arts , même à l'époque de la plus
grande sévérité de ses mœurs , car la terre cuite en question est cer-
tainement antérieure au V^ siècle avant notre ère; 2° les vases peints
dans le principe étaient peut-être souvent la reproduction de sculp-
tures célèbres , ou réciproquement, ce qui me paraît du reste moins
probable.
Dans ma prochaine lettre, Monsieur le Ministre, je vous entre-
tiendrai des résultats de mon voyage à Geronthrae et à Gythium, et
j'aime à croire que vous penserez avec moi qu'ils sont au nombre des
plus importants que présente jusqu'ici mon voyage.
Je suis avec respect.
Monsieur le Ministre ,
Votre dévoué serviteur,
Ph. Le Bas.
NAuplie, le 15aoûtl84S.
ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE.
LETTRE A M. GHAMPOLLION-FIGEAG (''.
DuThouthmoséiuin de Karnac , le 27 mai 1843.
Monsieur ,
Je n'ai pu attendre au Kaire votre réponse à ma dernière
lettre. Des voyageurs m'ayant appris qu'on exploitait de nou-
veau les ruines de Karnac, je rae suis empressé de remonter le Nil
pour sauver de cette débâcle la petite salle des ancêtres de Thout-
mès III.
J'ai voulu aussi utiliser ce nouveau voyage , et au lieu de fatiguer
mes matelots à la cordelle, j'ai profité de tous les moments de calme
pour faire quelques excursions et augmenter mes notes et mon por-
tefeuille. La vieille Egypte a toujours pour vous tant d'intérêt ,
Monsieur, que je crois devoir vous communiquer le résultat de ces
travaux, interrompus souvent mal à propos parle vent, mais aux-
quels je reviendrai , j'espère, plus tard, à loisir.
Parti du Kaire le 14 avril, au coucher du soleil, j'arrivai à Fechn
le 16 à onze heures du matin, et, malgré la chaleur excessive, je
fis une excursion dans un village des environs nommé Ekfas, où un
ouléma de ma connaissance m'avait assuré qu'il y avait une pierre
bilingae, enchâssée dans le mihrab delà mosquée. Après cinq longues
heures de marche au grand soleil, j'arrivai à Ekfas, où, sans ap-
préhension, grâce à mon costume, j'allai me reposer dans la misé-
rable mosquée du lieu. J'y trouvai une pierre blanche couverte de
vieux caractères arabes méconnaissables, inintelligibles, même pour
l'iman qui m'accompagnait et qui m'indiqua de l'autre côté un frag-
ment d'inscription romaine. J'en ai pris une bonne empreinte dont
je joins ici la copie (2), \
(1) Celte lettre avait déjà été publiée par M. Ch. F. dans le Moniteur, mais
comme elle contrent plusieurs nouveaui noms royaux, nous avons cru devoir la re-
produire dans la Revue avec toutes les légendes hiéroglyphiques qui étaient restées
inédites, et sur lesquelles nous comptons revenir dans le prochain numéro.
(2) Cette inscription a été remise à M. Letronne pour son recueil des inscriptions
grecques et latines de l'Egypte.
i
724 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Le village d'Ekfas ne présente à la surface du sol aucun autre
fragment antique ; mais les monticules sur lesquels il est Mti indi-
quent assez l'emplacement d'une ancienne bourgade égyptienne.
Fench , l'ancienne Fenchi, n'a conservé d'autre souvenir de l'anti-
quité que son nom. Mais un peu au-dessus de cette petite ville, sur
l'autre rive , dans une anse de la chaîne arabique, on remarque deux
petits hameaux appelés Heheh et Ahji, Les débris de l'ancienne ville
égyptienne sur lesquels ils sont bâtis sont connus sous le nom de
Medinet el-Giahel y c'est-à-dire la ville de l'impie. C'était la résidence
d'un roi nommé Sanderous, au dire d'un prêtre copte du voisinage,
qui avait lu ce nom dans une vieille légende arabe dont il ne put me
citer le titre. Cette ancienne bourgade, dont les ruines furent décou-
vertes en 1818 par M. Linant, ne présente plus que des monticules
couverts de tessons et de pierres , un hypogée entouré d'un mur
de briques, et, sur le rivage, les débris d'un quai, près duquel on
voit trois bases de colonnes ( 1 mètre 60 centim. de diamètre ) qui
doivent être les restes d'un temple. La ville était ceinte d'un énorme
mur de briques crues, qui sont d'une étonnante conservation. Les
démolitions des paysans qui viennent y chercher des matériaux pour
leurs misérables huttes ont mis au jour l'intérieur du mur, dans lequel
ils ont trouvé quelques momies grossièrement ensevelies. Entre les
assises de ces larges murailles , on remarque en plusieurs endroits
des lits de joncs et de Mlfa (l) qui paraissent avoir servi à asseoir la
maçonnerie. Les briques qui entrent dans
cette construction sont énormes : elles ont
40 centimètres de long , sur 20 de large
et 11 d'épaisseur. La plupart portent, es-
tampés sur leur méplat, des légendes et des
cartouches déjà publiés, mais d'une manière
si incorrecte qu'on ne peut en tirer aucun
parti , ce qui m'engage à vous en donner de
nouvelles copies.
L'une d'elles (A) porte le nom d'un grand
prêtre d'Ammon , Pihmé ou Pischam , le
même sans doute qui fit sculpter les pylônes
[ULTLrj
(1) Poa cynosyroides^
LETTRE A M. CHAMPOLLION*FIGEAC. 725
du temple de Khons à Karnac. Une autre brique (D) porte deux
.Î3)
^imi
D
cartouches qu'on ne savait encore où placer; mais de nouvelles
recherches à Thèbes m'ont appris que cet Isemhét (l) était le fils et le
successeur de Pihmé , pontife souverain sur lequel j'ai recueilli quel-
ques documents intéressants. Ces deux pharaons ont succédé à
Amounse-Pehor , chef de la XX" dynastie, qui paraît se composer
principalement de rois tirés de la caste sacerdotale.
Un fragment de stèle funéraire, qui gît parmi les décombres de
Medinet el-Giahel, m'a donné, je crois, le nom de cette bourgade
En J ©qui était le même que celui de la capitale de la Grande Oasis.
Du reste , pas "Une pierre ne rappelle le nom de la divinité qu'on y
révérait.
Le 18 mai, nous étions à Zaoïiyéh el-Mayetin, oii quelques écri-
vains ont placé l'ancienne Alabastron. A côté de ce petit village, on
remarque un large cimetière oii les habitants de Myniéh et des en-
virons viennent enterrer leurs morts; ce qui a fait donner à cet en-
droit le nom de Zaouyéh el-Mayetin,qui signifie V oratoire des morts,
A en juger par les hypogées du voisinage, et quelques tombeaux
coptes, ce petit village a hérité, depuis bien des siècles, et sous des
cultes fort divers, du privilège de recevoir les morts. La fête funéraire
qu'on célèbre annuellement, le passage sur une barque du cadavre,
(1) Depuis que celle lettre est écrite , on a découvert en creusant le canal de
Louqsor à Bayadieh , les restes d'une muraille construite en briques crues dont la
plupart portent les légendes royales ou sacerdotales de ce pharaon. Les deux car-
touches de la légende royale contiennent, le premier, un groupe qui se lit : le soulen
et le Hét de V Egypte stipérieure et v^férieure; le second, soleil stabiliteur du
monde.
7-26
REVUE ARCHEOLOGIQUE.
accompagné des parents éplorés , de femmes souillées de poussière
et de pleureuses, poussant leurs longues ululations, rappellent les
vieilles cérémonies égyptiennes. Les petits hypogées appartenaient
sans doute à une ancienne ville à laquelle Mynie'h ihn-Khacyb, con-
nue des Coptes sous le nom de Thmoné, a succédé sans garder aucun
souvenir de l'ancienne Egypte.
Quoique les hypogées de Zaouyéh et de Koum el-Àhmar soient
bien connus , je m'y arrêtai pour revoir quelques inscriptions. Des-
cendu à terre, je trouvai ces vieux tombeaux abandonnés aux mains
des carriers qui les exploitaient pour le compte du gouvernement.
Les uns étaient occupés à faire jouer la mine dans les tombeaux les
plus rapprochés ; les autres équarrissaient des blocs destinés à con-
struire un pont sur le canal de Myniéh. Je me hâtai de revoir encore
une fois , et probablement la dernière , ces intéressants hypogées, que
la civilisation à l'européenne va faire disparaître pour toujours.
La plupart de ces hypogées sont d'une époque fort ancienne , à
en juger par le bandeau cylindrique qui décore leur entrée , par le
style des bas-reliefs et les cartouches qu'on y
voit. La majeure partie remonte à l'époque de
Papi ou Apap , dont on voit souvent le nom
isolé , et à celle d'un autre roi, Toti, dont
je fus assez heureux de trouver le cartouche
inédit à l'entrée d'un tombeau inachevé (l).
Papi. Toti.
Trois ou quatre de ces tombeaux, qui ont appartenu à de hauts
fonctionnaires, sont entièrement ornés ; les autres portent seulement
des sculptures aux chambranles des portes, et quelques tablettes en
forme de naos, qui indiquent toujours l'emplacement des puits funé-
raires. Deux de ces hypogées sont soutenus par des pilastres dont la
face principale est ornée d'une colonnette à bouton de lotus épanoui.
C'est la même idée qu'on retrouve plus tard dans quelques chapiteaux
(0\
(1) Un petit hypogée, à demi ruiné et situé un peu au nord de celui-ci , parait
^,1-1,^ contenir un autre cartouche inconnu; le signe initial est indéchif-
^^^^^ frable, mais le ^ qui suit indique bien qu'il n'appartient pas à
Papi, et je crois qu'il faudrait restituer un TàJiT po^r premier
caractère. Au reste , ces hiéroglyphes étant gravés en creux dans un
calcaire coquillier très-friable, je n'ose rien affirmer, mais j'ai cru
devoirnoter ce cartouche, afin que si d'autres découvertes le ren-
dent moins stérile , on puisse en retrouver à peu prés l'époque.
LETTRE A M. CHAMPOLLION-FIGEAC.
727
ptolémaïques d'Edfou et de Philae. Ces deux hypogées contiennent
des scènes variées, travaux agricoles, chasse, pêche, arts et mé-
tiers, etc., d'un style archaïque fort remarquable. Les formes sont
plus prononcées, les muscles plus accusés qu'ailleurs; et l'un de ces
bas-reliefs qui représente des mariniers qui se battent à coups de
gaffes et d'avirons sur des barques légères formées de tiges de papyrus,
est un chef-d'œuvre de l'art égyptien. Je n'ai vu nulle part, même
dans les plus belles scènes militaires des pharaons de la XVIIP dy-
nastie, autant de vérité et d'animation. J'ai passé la journée à des-
siner et à prendre des empreintes ; j'aurais voulu avoir le loisir d'y
■28
REVUE ARCHEOLOGIQUE.
passer quelques jours pour arracher à la barbarie tout ce que ces
monuments contiennent de plus intéressant ; j'aurais voulu surtout
mouler en plâtre le combat des mariniers pour en orner le Musée.
11 est remarquable que , dans la plupart des tombeaux de cette
époque reculée, on ne trouve presque aucune représentation reli-
gieuse. Osiris, roi de l'Amenti, et quelques autres dieux qui for-
maient son cortège dans le séjour des âmes, y sont souvent nommés,
mais bien rarement figurés. Le principal tableau est toujours une
scène de chasse et de pêche, amusement favori des anciens Égyp-
tiens. Une énorme touffe de papyrus et de joncs sur lesquels sont
posés ou nichés des oiseaux d'espèces fort variées , s'élève au milieu
d'un marais et sépare d'ordinaire le sujet en deux parties. Debout
sur une barque légère, le défunt, accompagné souvent de toute sa
famille, et quelquefois d'un chat, dressé comme nos chiens rappor-
teurs, est représenté aux deux extrémités du tableau, d'un côté,
occupé à percer d'énormes poissons avec une espèce de bident , de
l'autre , à chasser divers oiseaux aquatiques avec un bâton courbé ,
semblable au Boumerang des Australiens. On a peine à se faire une
idée de la portée et de l'effet d'un pareil projectile sans en avoir été
témoin. Cette sorte d'instrument est de nos jours employée au même
usage par les paysans irlandais, et la dextérité que plusieurs d'entre
eux déploient dans l'usage de ce projectile est vraiment surprenante,
tant par la distance qu'ils atteignent que par la précision de
leur visé.
Le 20, je m'arrêtai aux hypogées de Berché et de Cheik-Sayd,
en partie visités par N. Lhôte, qui a donné une copie incomplète de
deux cartouches (1), malheureusement à demi effacés, qui se trouvent
dans un de ces tombeaux. Une empreinte en
papier estampée sur le bas-relief, et soumise
à tous les effets de la lumière, m'a permis de
rétablir les signes initiaux de ces deux noms ;
le premier qu'on n'a rencontré jusqu'à pré-
sent nulle part ailleurs , pourrait bien appar-
tenir au chef de la IV*" dynastie, si le second
est incontestablement celui de Schoufou
comme tout semble l'attester.
Les hypogées du voisinage ont beaucoup souffert : ils ont déjà été
(1) Lettres écrites d'Egypte en 1838 et 1839, p. 51
LETTRE A M. CHAMPOLLION-FIGEAC. 729
explorés par divers voyageurs. Cependant l'un d'eux m'a fourni une
:;
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730 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
donnée historique fort intéressante et, je crois, inédite. Une tablette
funéraire gravée sur une de ses parois, contient un acte d'adoration
à Anubis et à Osiris sous tous leurs titres, et rappelle le nom des
pharaons Papi et Toti, qui paraissent avoir régné successivement.
A côté de cette tablette, et au-dessus de la tête du défunt on a gravé,
après coup, à la pointe sèche et d'une manière fort cursive, l'inscrip-
tion suivante ( Voy. ci-contre ) :
Ce tableau ne laisse aucun doute sur l'époque du roi Toti, qui
doit être le même pharaon dont le cartouche se retrouve sur la table
des ancêtres de Thoutmès III. Le cartouche qui précède celui de
Papi n'a conservé sur cette liste généalogique que la voyelle finale,
qui est la même que celle du cartouche ci-dessus.
La plupart de ces hypogées ont servi de retraite à d'iconoclastes
cénobites qui ont peu ménagé les dieux égyptiens , et guère davan-
tage les innocentes représentations des occupations et des amusements
des personnages qui leur donnaient l'hospitalité. Quelques-uns de
ces tombeaux conservent pourtant encore des sculptures intéres-
santes : la chasse et la pêche au filet , le transport du gibier, la
manière d'apprêter et de sécher le poisson, l'éducation des bestiaux,
un combat de taureaux, etc., etc.
Nous passâmes en face à'Achmouneyn le 23 mai; c'est, comme
vous le savez. Monsieur, dans le grand ouvrage d'Egypte qu'il faut
chercher aujourd'hui le magnifique et colossal portique qui avait
frappé nos savants d'admiration , et qui a été détruit il y a quelques
années. J'ai vu, à Roudah, un cube de granit provenant des fouilles
d'Achmouneyn et portant sur ses quatre faces une légende composée
de deux lignes, qui donne les noms et prénoms à'Àten-Re Bakhan,
celui de sa femme et de ses deux filles, les mêmes qu'on trouve à
Tounéh et à Tel-Amarna. Cet autel, d'un superbe travail, doit avoir
servi au culte oublié du soleil, Ia*^^ qui, à certaine époque ,
semble avoir été dominant en Egypte.
Le 25, nous étions à Souadj, Pendant que mes matelots étaient
occupés à renouveler quelques provisions indispensables, j'allai vi-
siter la mosquée pour y chercher des inscriptions hiéroglyphiques.
Je profitai de l'occasion pour visiter le tombeau de ce fameux Mou-
rad-Bey, mort de la peste au commencement de 1801 , lorsque, sur
l'invitation du général Belliard, il s'approchait du Caire pour re-
pousser l'armée anglo-turque. Ce héros, que sa lutte constante avec
LETTRE A M. CHAMPOLLION-FIGEAC. 731
Desaix, son courage, sa loyauté avaient fait estimer et chérir des
Français, est inhumé mesquinement dans un sale réduit de la
mosquée d'EI-Arif. Le tombeau du bey souverain ne se distingue pas
de celui d'un simple fellah, tandis qu'à ses côtés la dernière demeure
d'un obscur santon est magnifique, brillante d'incrustations et de
tapis. Pour honorer la mémoire de leur chef, ses mamelouks bri-
sèrent ses armes et brûlèrent ses vêtements sur sa tombe ; mais on
s'étonne que la femme de Mourad-Bey, cette Sitté Néficeh , si ac-
complie au dire de tous, ait laissé ainsi négligée la tombe de son
époux. Sa meilleure excuse est sans doute l'indigence à laquelle elle
fut réduite, et dans laquelle elle mourut le 22 décembre 1815 (1).
En sortant de la mosquée, je passai près de longs tas de pierres
amoncelées sur les bords du fleuve, et destinées depuis trois ans à élever
un pont et une digue sur le canal de Souhadj. Ce projet, comme
tant d'autres, n'a pas encore reçu d'exécution faute de bras. Au
premier coup d'oeil, je m'aperçus que la plupart de ces pierres étaient
couvertes d'hiéroglyphes, les unes du plus beau travail du temps de
ïhoutmès 111, dont je retrouvai plusieurs fois les cartouches , les
autres d'une sculpture grossière du temps des Ptolémées. Aucun de
ces fragments ne put me donner le nom de la divinité en l'honneur
de laquelle ces pierres avaient été taillées, pour laquelle Thoutmès
et Safré, dame des lettres et de YArcMtectare, construisirent une de-
meure en pierre bonne et blanche, au dire d'un fragment de dédicace.
Un habitant du lieu m'apprit que tous ces matériaux provenaient,
les uns des fouilles faites à Akhmin, les autres au village de Baçouné,
sis à deux lieues au nord de Souhadj.
Au delà de HâoUy oh je passai le 28 , je fis arrêter à Qasr el-Sayad,
bâti sur l'emplacement de Scheneset, la Chenoboscion des Grecs. Il ne
reste plus qu'un quai ruiné > quelques pierres qui portent encore,
l'une, les vestiges d'une inscription grecque illisible, et les autres,
des légendes hiéroglyphiques très-frustes. Ce sont probablement les
restes d'un petit temple placé sur le rivage du Nil , et que les anciens
appelaient le Lien de Sérapis (2). Chenoboscion était renommée jadis
pour les oies qu'on y prenait en grand nombre , et c'est sans doute
par tradition que le village arabe qui lui a succédé porte le nom
de Qasr el-Sayad(/e Château des Chasseurs), Quelques antiquaires
(1) Le général en chef Menou , au nom du gouvernement français, avait donné à
la veuve de Mourad-Bey une pension de 60,000 livres. (G. F.)
(2) Quatremère, 1. 1, p. 448.
732
REVUE ARCHEOLOGIQUE
supposent qu'on nourrissait en ce lieu les oies offertes dans les diffé-
rents temples d'Isis (l).
Curieux de consulter les légendes des trois vieux pharaons , et
n'ayant point avec moi les notes d'une excursion faite à Chenoboscion
il y a environ cinq ans, j'allai revoir quelques hypogées peu connus
et situés à une lieue de Qasr el-Sayad , derrière un cap avancé de la
chaîne arabique qui arrive ici jusqu'au Nil. La plupart de ces tom-
beaux ne consistent qu'en une étroite syringe taillée en pente, qui
conduisait à un puits ou aboutissait à une chambre funéraire comblée
par le temps. Deux de ces hypogées, plus vastes que les autres, ont
servi de sépulture à de hauts personnages qui paraissent avoir gou-
verné cette province; ils sont décorés de bas-reliefs coloriés, représen-
tant des scènes rurales et domestiques , peu intéressantes après celles
de Beni-Hassen , mais remarquables en ce que, comme les hypogées
de Zaouyéh et de Berché , dont ils rappellent les cartouches , ils ne
représentent aucune des scènes funéraires si communes dans les
tombeaux d'une époque plus récente. Les tableaux sont d'un relief
très-bas, d'un style et d'un travail qui se ressentent de leur époque
reculée. Les figures ont beaucoup de roideur et des yeux démesurés ;
les animaux, quoique représentés dans des postures variées, se res-
sentent plus encore de l'enfance de l'art. Les artistes de cette époque se
sont bornés à creuser le contour extérieur des figures, sans se donner la
peine d'enlever le champ du tableau qui est resté de niveau avec le relief.
Quoique d'une antiquité reculée qui ne le cède qu'aux pyramides
et aux lombes de leur voisinage, ces hypogées ne peuvent intéresser
que l'antiquaire ; il reconnaît avec plaisir dans les légendes qui les
décorent trois vieux cartouches dénués de préfixs, et placés dans un
ordre chronologique qui diffère dans les deux hypogées. Voici la
copie dune inscription assez fruste, qui se répète de chaque côté de
l'entrée du tombeau à'Atso ou Atosou :
SDrïlÀftllrî'iHl
(iii2iÀPnin*î0u«
easfÀfiii
(i) yoyez Herod., t. Il , 45.
LETTRE A M. CHÀMPOLLION-FIGEAC.
733
Dans le tombeau de Fouta ou Fioula (1 ) , on voit au-dessus
de la tête du défunt l'inscription suivante qui est très-bien con-
servée :
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Dans aucune de ces inscriptions les cartouches n'ont été surchar-
gés, et le plus minutieux examen me fait croire qu'il y a erreur dans
l'assertion de Sir G. Wilkinson, qui prétend que le nom de Papi a
été sculpté sur celui de Remdi ou Maire (2). Du reste les cartouches
de ces deux rois se rencontrent si fréquemment sur un même monu-
ment qu'ils doivent être de la même époque, s'ils n'appartiennent
pas à un seul personnage.
Quelques petits proscynèmes décorent la porte de ces deux hypo-
gées. Les actes d'adoration qui contiennent des cartouches n'ont mal-
heureusement point de dates ; cependant j'ai copié ceux qui m'ont
paru les plus intéressants.
Le 29 mai, je profitai du calme pour revoir le temple de Dendé-
rah dont le magnifique pronaos sert aujourd'hui à'étable aux bœufs
qu'on envoie de Sennâr pour remplacer ceux qu'a décimés l'effrayante
épizootie qui règne depuis plus de six mois dans la haute et basse
Egypte. Comme nous possédons en France le zodiaque circulaire , il
serait intéressant , je crois , d'avoir une copie exacte de la chambre à
laquelle il servait de plafond. Ce travail exigerait un mois de labeur
(1) La valeur phonétique du premier caractère de ce nom est encore fort in-
certaine.
(2) Voyez fFilkinson's Manners and customs of the ancient EgypUans ,
t. III, p. 281.
734 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
assidu , et je n'ose l'entreprendre avant de savoir s'il n'a pas été fait
par votre illustre frère qui paraît avoir laissé bien peu à glaner.
Je suis arrivé à Thèbes, Monsieur, depuis le V juin, et j'ai établi
ma demeure dans les petites salles du Thouthmoséium,qui termine le
splendide palais des pharaons , afin de surveiller les travaux de la
chambre des rois. Tout va bien , et ma conquête est désormais aussi
sûre que facile. Ma prochaine lettre vous annoncera mon départ, et
vous donnera des détails sur mes recherches à Karnac , où j'ai été
assez heureux pour retrouver quelques légendes royales, inconnues,
je crois, jusqu'à ce jour.
Agréez, je vous prie, etc.
E. Prisse d'Avesnes.
LETTRE A M. LETRONNE
SUR LES
ACTES D'ADOMTIOM, OU PROSCYNEMES,
REDIGES
m LANGUE ÉGYPTIENNE ET TRACES EN EGRITIRE DÉMOTIQIJE.
Mon cher confrère,
Vous avez bien voulu me témoigner de la manière la plus flatteuse
l'intérêt que vous preniez au succès de mes recherches sur la langue
et l'écriture vulgaires de l'antique Egypte. Une occasion s'ofl're à moi
de vous exprimer ma sincère reconnaissance , et je la saisis avec em-
pressement. Cette occasion d'ailleurs se présente comme elle devait
se présenter, c'est-à-dire que le disciple vient consulter le maître et
lui soumettre les premiers résultats d'un travail difficile. Vous accueil-
lerez avec indulgence, j'en suis sûr, mon cher confrère, l'hom-
mage de ce travail, qui, si je ne me fais pas illusion, n'est pas dé-
nué de toute espèce d'importance , et les remercîments que je vous
adresse dès aujourd'hui en réclamant quelques moments de ce temps
précieux que vous savez si dignement employer, j'espère que vous vou-
drez bien les accepter aussi avec bienveillance.
Parmi les textes épigraphiques grecs recueillis sur les monuments
de l'antique Egypte , et que vous avez commentés avec tant d'érudi-
tion, il en est un très-grand nombre qui rentre dans une seule et
même classe aujourd'hui bien connue, grâce à vos magnifiques tra-
vaux : ce sont les proscynèmes , Trpoo-xyvvî/jiaTa dont les soubas-
sements des temples sont chargés , et qui sont destinés à constater
que tel jour, tel individu est venu accomplir un acte d'adoration de-
vant la divinité ouïes divinités, Qsol Gvvmot, auxquelles le temple est
consacré. Cette classe d'inscriptions, en apparence peu propres à four-
nir des documents importants pour l'histoire du pays , vous a néan-
moins procuré tant de faits neufs et intéressants , qu'il y a tout lieu
d'espérer que les textes égyptiens du même genre, s'ils se rencon-
traient et s'ils étaient expliqués, rendraient les mêmes services à
736 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'histoire, en même temps qu'ils jetteraient de nouvelles lumières sur
la science des écritures égyptiennes.
Beaucoup des proscynèmes grecs , émanant de gens d'une con-
dition médiocre, de soldats ou d'hommes du peuple, qui se char-
geaient probablement de tracer eux-mêmes sur les murailles l'in-
scription qui devait conserver la mémoire de leur pieuse visite,
il est fort présumable que les Égyptiens de la classe du peuple,
lorsqu'ils accomplissaient les mêmes devoirs religieux , se confor-
maient à l'usage reçu, et prenaient le soin de constater leur dévotion
par des inscriptions conçues dans la langue et dans l'écriture qui leur
étaient familières. Si cette hypothèse est raisonnable, l'espérance de
retrouver sur les murailles des temples des proscynèmes rédigés en
dialecte vulgaire et en écriture enchoriale ou démotique, ne peut être
illusoire. Effectivement, notre savant confrère, M. Ch. Lenormant,
en parcourant les ruines des édifices sacrés de l'Egypte , a reconnu
l'existence d'un grand nombre de petites inscriptions démotiques ; mais
celles-ci ont été malheureusement négligées par les compagnons de
l'illustre Champollion , parce que tout leur temps était loin de suffire à
l'étude des textes sacrés ou hiéroglyphiques dont l'interprétation, déjà
fort avancée, promettait une plus ample moisson de découvertes his-
toriques et philologiques. H faut donc attendre que quelque nouveau
voyageur porte spécialement son attention sur cette classe de monu-
ments que l'on n'a pas encore interrogés, et dont le mutisme pourra
cesser un jour.
Notre ami M. Ampère est parti avec le dessein formel de re-
cueillir des copies et de bons estampages de tous les proscynèmes
démotiques qu'il rencontrera chemin faisant; nous avons donc le droit
de penser que bientôt nous serons en possession de nombreux docu-
ments propres à jeter tout au moins un très-grand jour sur l'idiome
parlé par les peuples de l'Egypte, à des époques qu'il sera peut-être pos-
sible de préciser, grâce aux dates dont ces proscynèmes pourront être
munis, comme le sont beaucoup de proscynèmes grecs déjà publiés.
On voit tout d'abord de quelle importance doit être l'étude de ces
monuments, puisqu'il y a tout lieu d'espérer que de cette étude sur-
gira l'histoire, pour ainsi dire palpable, des phases qu'ont subies la
langue et l'écriture vulgaires des Égyptiens pour devenir du copte
tel que nous le font connaître les livres chrétiens. Sans doute les
textes de ce genre , une fois classés par ordre chronologique, nous
révéleront la marche qu'a suivie l'altération de la langue égyptienne,
qui, après avoir vécu pendant des milliers d'années peut-être, sous
ACTES d'adoration, OU PROSCYNÈMES. 737
une forme purement logique, a fini par dépouiller ce caractère
qui lui était propre, pour se surcharger d'une foule de particules d'un
usage relativement moderne. A quelle époque les règles de position
qui suffisaient pour déterminer le sens des propositions dans l'an-
tique idiome égyptien, ont-elles été, je ne dirai pas abandonnées
comme vicieuses, mais profondément modifiées par l'introduction
des particules dont je viens de parler? L'usage de celles-ci a-t-il été
introduit uniformément partout et dans le môme temps? et s'il n'en
est pas ainsi , en quels points de l'Egypte cette transformation du
langage populaire s'est-elle manifestée d'abord, avant d'être générale-
ment adoptée? A quel moment enfin les trois dialectes distincts de la
langue copte ont-ils divisé l'idiome primitif du pays? Ont-ils coexisté
de toute ancienneté , ou bien ne sont-ils nés que de l'introduction de
l'alphabet grec, dont l'emploi fut substitué, sans règles absolues et
bien définies, à l'emploi de Talphabet démotique?
Il serait facile de multiplier ici les questions philologiques dont la
solution naîtra peut-être de la simple lecture des proscynèmes écrits
en langage vulgaire, et le peu que je viens de dire, suffira pour faire
sentir tout le prix qu'il faut attacher à la connaissance de ces textes
épigraphiques. Dans quelques mois les matériaux indispensables
pour entreprendre cette étude seront abondants entre nos mains, et leur
comparaison permettra de faire un grand pas de plus dans la science
égyptienne ; mais en attendant ce moment favorable, nous ne devons
pas hésiter à utiliser autant qu'il est en notre pouvoir les matériaux
de ce genre qui sont déjà rassemblés, et c'est ce que je vais m'effor-
cer de faire.
Je ne crains pas d'affirmer que pour copier avec quelque chance
de succès un texte épigraphique quelconque, il faut avoir au préala-
ble une idée sinon parfaite , du moins assez exacte , de l'idiome et
de l'écriture employés dans ce texte. Faute de cette connaissance
nécessaire, il est à peu près certain que la copie exécutée, quelle que
soit l'habileté du dessinateur, n'aura pas la moindre valeur et ne
pourra guère servir qu'à gêner la marche des investigateurs tentés
den débrouiller le sens. Qu'en résulte-t-il? que toutes les copies de
proscynèmes démotiques recueillies et publiées jusqu'à ce jour, sont
tellement inextricables que leur étude ne saurait mener à rien. C'est
donc aux estampages seuls qu'il est raisonnable de donner une atten-
tion sérieuse, parce que le papier au moyen de la pression qu'il
subit, reproduit tout ce qu'il recouvre, sans rien ajouter, sans rien
omettre.
738 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Un ardent explorateur des antiquités égyptiennes , que les fati-
gues et les privations les plus cruelles, affrontées à deux repri-
ses et coup sur coup, ont enlevé si jeune à la science, Nestor
Lhôte avait recueilli un certain nombre de notes sur les textes dé-
motiques rencontrés par lui dans ses voyages. Ces notes sont inté-
ressantes, sans aucun doute ; mais je crains bien que le travail qu'il avait
consacré aux transcriptions manuelles de ces textes, ne demeure sté-
rile. D'autres fois , au contraire, il a eu sagement recours au procédé
de l'estampage, dont il savait tirer un très-grand parti, et les textes
recueillis ainsi sont dignes de toute l'attention des philologues. Ces
estampages rapportés par Nestor Lhôte, j'ai pu les compulser à loisir,
grâceà votre obligeance extrême, et, après avoir constaté dans ces pré-
cieux papiers l'existencede textes démotiques fortimportants, mais d'une
étendue beaucoup trop considérable pour que je pusse entreprendre
d'en opérer sur-le-champ la transcription, j'ai cru devoir donner la
préférence à quelques textes, relativement très-courts , dans lesquels
j'avais tout d'abord reconnu ce que je désirais ardemment rencontrer,
c'est-à-dire des proscynèmes ou actes d'adoration. Ces proscynèmes,
au nombre de dix, je les ai transcrits le plus exactement qu'il m'a été
possible de le faire, et, cette opération terminée, je me suis efforcé de
me rendre compte de leur contenu. J'espère y être parvenu pour le
plus grand nombre d'entre eux, et c'est du résultat de mon travail que
je viens vous entretenir aujourd'hui.
Les proscynèmes dont les estampages ont été recueillis par Nestor
Lhôte, existent dans la localité appelée el-Hammamât ( route de Qos-
seyr), ouàPhiles. Les premiers (ceux d'el-Hammamàt) sont au nombre
de sept; ceux de Philes au nombre de trois, et, parmi ces derniers,
il s'en trouve un dont quelques mots seulement sont restés lisibles.
Pour opérer plus aisément l'étude comparative de ces textes, j'ai pris
le parti de leur assigner un numéro d'ordre , de telle sorte que les
sept premiers numéros désignent les proscynèmes d'el-Hammamât et
les trois derniers les proscynèmes de Philes.
Ce qu'il importe d'abord, c'est de bien reconnaître les parties com-
munes de ces textes , parce qu'évidemment ils doivent constituer des
propositions formulaires, dont l'une est vraisemblablement destinée à
faire la contre- partie de la désignation 7:po(7/.uvy3|^^a , qui d'ordi-
naire est placée en tète des épigraphes grecques de cette classe. L'in-
spection des dix textes que j'avais à mîn disposition m'a fait immédia-
tement reconnaître un ensemble de deux groupes qui se rencontrent,
tantôt au commencement même des inscriptions, tantôt après d'autres
passa^
ACTES d'adoration, OU PROSCYNEMES. 739
groupes qu'il s'agira d'expliquer plus tard. Quoi qu'il en soit, par
cela même qu'ils sont plusieurs fois placés en tête du texte, ces
groupes forment probablement une expression correspondante au
grec T:po(7y,vv'nu.cic. De plus, ils doivent être distingués l'un de l'autre,
puisque, dans le n° 7, ils sont séparés parle groupe démotique bien
connu qui représente l'idée roi. Il faut donc voir quelles sont les va-
riantes de celte formule démotique , et quand elles seront bien
déterminées, nous chercherons à en obtenir le sens par la lecture.
(Fo?/. PI. VI. A.)
Voici les remarques que suggère l'étude matérielle de ces différents
ges.
1" La teneur du texte 8 nous prouve que le premier groupe
(PL VI. 1.) comporte un sens indépendant du second (PI. VI. 2.),
puisqu'il y est isolé.
2" Le second groupe (PI. VI. 2.) ainsi que le prouve le passage
extrait de l'inscription 7, ne comporte pas nécessairement le signe
final (P1.VL3.) qui l'accompagne partout ailleurs; celui-ci par
conséquent n'est pas l'image d'une articulation essentielle.
3" Ce signe final est remplacé dans l'inscription 2 par un signe
(PI. VI. 4.) qui, dans le manuscrit de Leyde à transcriptions grec-
ques, constitue un caractère final imprononçable, placé fréquemment
à la suite de groupes réellement phonétiques. Ces deux signes
pouvant se remplacer l'un l'autre dans les testes démotiques , et l'un
d'eux étant imprononçable, tous les deux le sont.
Ceci posé , procédons à l'analyse alphabétique des deux groupes
essentiels en question. Le premier se transcrit en lettres coptes
2.6x 5 et le second irpaj.
Dans le texte 3 , les deux mots sont séparés par la particule de
llexion it; nous lisons donc alors 2.6Ï iv TTpOj.
Dans le texte 2 , le second groupe se termine par une finale qui
se lit o^y ainsi que le démontrent une foule de transcriptions grecques
du manuscrit de Leyde. Nous lisons donc cette fois l>.6l T\pcxjO'5f .
Les textes 4 et 9 se lisent l>6i TTpcg.
Le n** 7 porte 2.6s JUi^Ttuz^p irpcy.
Et enfin le n" 8, 2.65 seulement.
Cherchons le sens de ces mots.
Le mot l>6l est l'impératif du verbe copte 01 ou :kî 5 signifiant
740 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
accipere, ou du verbe !^e , '^m , signifiant dicere» Toutefois la
forme de l'impératif de !^aT , comporte un c final, et devient
2s':^XC , quand le verbe n'étant pas accompagné d'un régime direct ,
devient un véritable verbe neutre.
!^î 5 T. B. 5î 5 M. signifie acdpere , hahere, capere , d'où
^l IV, T. particeps esse alicujus rel, !^s ^po, T. convenir e
alicui; Exemple: Gc^X Epos^ id convenu mihi, medecet, etc.
Le sens de ce mot 2>m est donc accipe, ou particeps esto\oTS(i\x[\ est
suivi de la particule u.*
D'un autre côté je dois faire observer qu'il existe , en copte, une
particule qui, placée devant les radicaux, les change en substantifs
désignant l'action, ou la présence de l'action exprimée par le radical.
Cette particule est OUK pour le dialecte thébain , ^îîv pour le
dialecte memphitique. De telle sorte que les radicaux CtUTJW. ,
cy2>.!i^E 5 signifiant écouter, parler, les mots composés '^UK ou
6swca\T^.«,5 îXSK ou muojZsti^E 3 signifient l'action d'écou-
ter, l'action de parler.
Je ne puis me défendre de regarder cette particule î^xn ou 6îU
comme formée de notre radical 6î ou îxï^ accipere et acceptio, et
dé la particule de flexion k; ce qui nous donne pour le sens littéral
du mot !^Xî\cg2>.::^E , pai' exemple, la prise de la parole.
Si la liaison que je n'hésite pas à reconnaître entre le radical pri-
mitif :^\ , et la formule dérivée i^xit n'est pas illusoire, il y a
quelque lieu de s'étonner de ce que le dialecte thébain, qui comporte
l'orthographe '^\ du radical , a conservé la forme 5xn de la par-
ticule , tandis que la particule du dialecte memphitique est !^iu ,
le radical s'écrivant 6s dans ce même dialecte. Je ne me charge pas
de donner une explication quelque peu satisfaisante de ce singulier
échange de prononciation des mêmes mots.
Le second groupe de notre formule se lit immédiatement TTpC,
Tipoj ; cherchons-en le sens.
Tipaj, TTEpojj iraipcg, t. b. cj^aipcg ? M, signifie,
ACTES d'adoration, OU PROSCYNKMES. 741
exlendere, sternere, prosternere, strare, slerni, prostemi, exlendere, etc.
II faudrait être plus que difficile pour ne pas trouver entre ce mot et le
grec TipoTKÎiv/i^cx. une liaison intime.
Dans le texte 8 le mot z>.5s est isolé ; cette fois il doit signifier
accipe; il est donc tout naturel de voir dans l'ensemble des deux mots
l>6\ Tiaipcg , ou 2s5s wi\^\^'^ y \e sens accipe prostradonem.
Laclionde se prosterner, se dirait en copte m^TTaipaj ; je dois
donc faire observer l'analogie très-grande de ce mot avec l'expression
que nous fournit notamment le texte 3, dans lequel nous lisons en toutes
lettres ^<5iUTTa^îpaj. L'expression égyptienne est-elle identifiable
avec l'expression copte? c'est ce que je ne me permettrai pas de dé-
cider ; j'avoue cependant que, pour ma part, je donne sans hésiter la
préférence à la traduction littérale accipe prostrationem» Je vais
essayer tout à l'heure de justifier cette prédilection.
Mais avant je dois émettre une hypothèse que je regarde comme
assez naturelle et que je vous soumets en toute humilité. Nous avons
vu que les deux mots z>,6\ et TT^Upaj sont, à une seule excep-
tion près, suivis constamment d'un signe qui est parfois de dimensions
plus grandes que les lettres courantes du texte ; ce signe est comparable
au signe hiéroglyphique représentant deux bras élevés , lequel sert
de déterminatif ordinaire aux idées, oflrande, prière, et aux verbes
relatifs à ces idées. Il n'est pas impossible que ce signe consacré ,
l'un de ceux que tous les Égyptiens, sans exception, devaient con-
naître à cause du caractère éminemment religieux de la nation, ait
passé dans l'écriture démotique , lorsqu'il s'agissait de constater sur
les murailles des temples l'accomplissement d'une prière ou de tout
autre acte d'adoration. J'ai déjà fait observer, à propos du texte 7,
que ce signe devait être considéré comme imprononçable, puisqu'il
pouvait être supprimé sans qu'il en résultât aucune altération de
sens ; je crois donc devoir maintenir l'explication que je viens de
donner de la présence de ce signe hiéroglyphique, introduit dans
l'écriture vulgaire, dans le cas tout spécial où il s'agissait d'expressions
relatives à des actes éminemment religieux.
Nous allons voir maintenant comment l'étude des mots qui, dans les
textes 2 et 9, précèdent la formule z>-6l TTCUpcxj , justifie la leçon
que j'ai proposée pour ces deux mots.
Le texte n** 2 commence par une série de huit signes (PI. VI. 5.),
et le texte n" 9 , par cinq signes seulement (PI. VI. 6.) que suivent
742 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
immédiatement les mots déjà transcrits et expliqués l>6i TTCUpaj .
Cherchons à nous rendre compte de ces deux, commencements de
phrase.
Ils comportent une partie commune (PI. VI. 7.) dont la lecture
nous est heureusement fournie par le texte démotique du décret de
Rosette, Nous trouvons en effet dans ce décret les expressions vie
et vivant, rendus par le même mot égyptien (PI. VI. 8.) i>.^z . qui
est immédiatement comparable au mot copte qui comporte le même
sens.
Ce mot signifie donc également ici : vie ou vivant. Il est précédé
d'un signe qui représente une voyelle a ou o , que nous retrouvons
dans des noms propres et dans une foule de mots démotiques dont la
lecture est indubitable , soit parce que leur sens est déterminé forcé-
ment , soit parce qu'ils sont transcrits dans le manuscrit de Leyde.
Voyons quel sens il faut donner aux monosyllables a , o , ou ô.
2s , T ; M , M ; veut dire : faire ou être.
O , T ; 05 , M ; être.
av , B ; (LUI , M ; être.
Enfin ai et a\aT, T ; concipere, d'oii a\aî et 6sNa.V, concepdo.
Dans maint passage du décret de Rosette , le radical o , tu ^ être,
étant représenté par une lettre démotique (PI. Vï. 9.) toute diffé-
rente, à l'exclusion de toute autre, je n'hésite pas à donner un sens
distinct au radical représenté par le caractère que nous trouvons ici ;
c'est-à-dire que je préfère y voir l'idée faire ou concevoir ; nous pour-
rions dans ce cas traduire le groupe (PI. VI. 7.) i>. i>^Zy CXV
2>. s^E j par, qui fait la vie, qui conçoit ou engendre la vie.
Poursuivons notre analyse :
Dans le texte 2 , le groupe que je viens d'étudier est précédé de
deux mots (PI. VI. 10.), et il suffit de comparer entre eux, même su-
perficiellement , les dix proscynèmes rapportés par Nestor Lhôte pour
reconnaître que le nom de la divinité à laquelle sont adressés ces ac-
tes d'adoration, y est représenté par le premier de ces mots, qui offre
différentes formes plus ou moins altérées par le caprice du scribe.
(PI. VLB.)
Les formes extraites des textes 4 et 8 ne peuvent nous laisser de
doute sur la composition de ce groupe démotique , dans lequel entre
ACTES d'adoration, OU PUOSCYNÊMES. 743
un s hiéroglyphique placé au-dessus d'un support et accompagné
de l'indice qui suit toutes les sigles divines. Or, les textes sa-
crés ou hiéroglyphiques nous offrent exactement le même groupe
désignant Ammon Générateur, ou Mendès , divinité que les Grecs
et les Romains avaient assimilée à Pan ou au Priape de la théo-
gonie qui leur était propre, divinité, enfin, dont Champollion a
donné la figure dans la planche 4 de son Panthéon égyptien. Ce savant
voyait dans le S placé au-dessus du support, l'initiale du verbe caiq,
coq, CEq, CCJLïaiq, COOq, contaminare , pollaere , violare.
J'aime mieux n'y voir que l'initiale du mot CU:\î\T ; ckt: , creare ,
formare. Comme les proscynèmes grecs en l'honneur de Pan se re-
trouvent très-fréquemment sur les monuments religieux de la même
contrée qui nous a fourni nos proscynèmes démotiques, c'est avec
toute raison que nous adoptons pour la sigle démotique qui représente
le nom de la divinité à laquelle l'adoration s'adresse , le nom de la
divinité égyptienne assimilée au dieu Pan, c'est-à-dire d'Aramon Gé-
nérateur ou Créateur.
Dans l'impossibilité où je suis d'affirmer que le mot CCLUïT
nous donne la vraie prononciation de cette sigle divine, je la rempla-
cerai par le nom d'Ammon Générateur. Ceci posé, le texte 2, com-
mençant par cette sigle conventionnelle , il est clair que ce texte
comporte une invocation directe à la divinité dont il s'agit. Cette sigle
est suivie d'un groupe bilittère (PI. VI. 11.), qui se lit sans diffi-
culté o'^CLT aussi bien que Bitu ou qm. Le radical O'îCav signifie
germe, puisque de ce mot viennent '^O'^av, T- M., germinare ,
prodiicere, germen, propago, et !^xo'^av , T. germen, incrementum ;
£1.0 ou qo signifierait canal , conduit ; la première leçon étant tout
à fait convenable ici , nous avons , en définitive , dans le commence-
ment du texte 2 , les idées suivantes :
0 Ammon ! germe producteur, générateur de la vie , reçois l'adora-
tion
Quant au texte 9, le signe initial étant un S, il est très-possible
que l'auteur du proscynème et de l'inscription se soit contenté, pour
abréger son travail, d'écrire le S de la sigle image conventionnelle du
nom égyptien d'Ammon Générateur (1). Dans ce cas, nous avons
(1) A ce sujet je ne puis me dispenser de vous faire remarquer, Monsieur et cher
confrère, que dans le texte démotique du décret de Rosette, le S en forme de croix
744 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
encore, en prenant pour un signe de ponctuation le petit trait obli-
que qui précède le mot z^bl :
0 Ammon Générateur! prodactear de la vie, reçois V adoration,,,.
Il est bien entendu que les mots français reçois V adoration ne sont
pas la traduction littérale des mots égyptiens 2>o\ TTOiipaj 5 puis-
que ceux-ci signifient à la lettre accipe prostrationem , de même que le
grec TiooayLvvnikoi représente l'action de se prosterner.
Puisque les mots qui précèdent l'expression formulaire i>.t\
TTCLVpoj ne sont autre chose que le nom propre et les épithètes ca-
ractéristiques de la divinité à laquelle l'acte d'adoration s'adresse,
j'ai , ce me semble , eu raison de considérer le mot 7>d\ comme
l'impératif du verbe b\ 5 accipere. L'analyse que je viens de faire
des deux membres de phrase qui commencent les textes 2 et 9, nous
rend immédiatement compte du texte 7, qui se lit i>^6l Jt3^l>ri^\i>.p
iTtupaj et se traduit : Reçois, ô roi! V adoration y etc. En etîet,
le groupe démotique (PI. VI. 12.), signifiant roi , dont je donnerai
l'explication détaillée dans mon analyse du texte démotique du décret
de Rosette , se lit matôar , et signifie à la lettre , grand ou chef dans
la multitude , c'est-à dire roi.
Il faudrait maintenant deviner le sens des groupes suivants qui
complètent la formule que je viens d'examiner (voy. PI. VI. C),
mais, cette fois, les résultats de l'analyse sont moins précis.
Le texte n° 4 nous fournit immédiatement, pour le groupe que je
viens de copier, la transcription suivante en lettres coptes dr)2>.T^^X ,
et ce mot est suivi du signe hiéroglyphique les deux bras étendus.
Le n** 7 nous donne UEpO'^XJUE.
Le n*" 2 nous donne *TJW-C 5 suivi du signe final imprononçable
et isolé, tel qu'il se retrouve au commencement du proscynème 9, correspond au
signe hiéroglyphique le maillet dans lequel Salvolini a , grâce à l'élude des varian-
tes, reconnu l'initiale du mot complet Cî^^ 5 CCUKTT, creare , efformare ,
invigilare (voyez analyse, etc., H , 3, 5, p. 243 et suiv.)* H est donc tout naturel
de donner ici la même signification au même signe , et par suite l'hypothèse que
j'ai émise sur le vrai sens du S placé sur le support dans le groupe symbolique qui
accompagne, d'ordinaire Ammon Générateur, celte hypothèse, dis-je, acquiert une
assez grande vraisemblance.
ACTES D'ADORATION , OU PROSCYNÊMES. 745
composé d'un petit cercle surmonté d'un trait, si fréquent dans le
manuscrit de Leyde.
Le n° 9 nous donne nr^^-pnr-W^ et le même signe final que dans
le n° 2. Cette fois se présente pour l'articulation R un caractère
(P. VI. 13.) qui ne se rencontre jamais, que je sache, dans les con-
trais, non plus que dans le décret de Rosette, mais qui se trouve à
chaque instant dans le manuscrit de Leyde, où nous lisons en-
tre autres (PI. VL 14. ligne 19, colonne XII), un mot qui est
transcrit en lettres grecques Tîpz^T. La valeur de ce signe ne sau-
rait donc être douteuse , et il représente l'articulation R, p copte.
Ce signe n'est d'ailleurs que la reproduction fidèle d'un signe hiéro-
glyphique qui a la même valeur, ainsi que Salvolini l'a constatée plu-
sieurs fois (n**242 de son catalogue des hiéroglyphes déjà détermi-
nés). Le signe en question ne se trouvant dans aucun texte ancien,
comme celui du décret de Rosette et ceux des contrats , il en faut, je
crois, conclure que les proscynèmes qui le contiennent ont été écrits
à une époque postérieure et probablement voisine de celle à laquelle
le manuscrit de Leyde fut rédigé.
Enfin, le texte du proscynème n'' 3 nous fournit le mot nrJW^pT^JW^E
suivi du déterminatif ou symbole religieux , les deux bras. Il s'agit
maintenant de se rendre compte de ces diverses expressions.
Ces groupes nous fournissent, par la transcription, les mots sui-
vants : Idzs'Tjue, nEpoTJW-E, TJU^c 5 nfJap"TA5- et
^JULp^JU-E,
Examinons d'abord l'expression î:)^nfJt5-E. H existe dans les trois
dialectes coptes, une particule s>^>, sur le compte de laquelle Pey-
ron s'exprime ainsi dans son lexique : Metaphorice notai qiiod sum-
mum est in ciliqua re; sic ^1>.Z00^ , summe gloriosus. Cette par-
ticule est-elle distincte de la préposition S'^^. T. ÎD5.. M.? je ne
le pense pas. Dans tous les cas, notre mot (PI. VI. 15.), î:)2>. est
certainement identique avec un mot > 2» , puisqu'il n'en diffère que
par l'emploi du JbEX memphitique à la place du ^opsthébain;
il est donc permis , je crois, de retrouver dans ce mot Jb^ ^^ pré-
position ordinaire >^5 ^^y ou la particule dont le rôle a été
746 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
défini par Peyron, ainsi que je l'ai dit plus haut. Reste alors à trou-
ver le sens du groupe t^julç.
J'avais pensé d'abord au mot féminin jux, signifiant vérité, jus-
lice, à cause de la fréquence de l'emploi de l'épithète juste, sincère,
attribuée aux offrandes religieuses et représentée par la plume hiéro-
glyphique dont la transcription n'est plus douteuse. Mais le T- <• ,
qui commence le mot en question , peut-il être l'article féminin que
nous voyons si constamment rejeté après les substantifs qu'il carac-
térise , dans les textes démotiques ? j'ai quelque peine à le croire , et
dès lors il faut chercher autre chose que le substantif ju^e muni de
son article. Les mots qTa\.0-X et Eq^OOJU^E signifient comenit,
decetf eidecens, conçeniens. C'est évidemment la troisième personne
du présent d'un verbe ^a\Ji5- , tt^ujulx , ayant le sens de convenir,
d'être convenable. Je suis bien tenté de retrouver ce verbe dans le mot
égyptien ^âxz , et d'attribuer à l'expression en question le sens de
convenable. Nous aurions ainsi : Accepte Vadoration faite ainsi qu'il
convient, ou souverainement convenable. Si, du reste, l'on aime mieux
retrouver ici le mot jU-e des textes sacrés , on peut attribuer à la
particule h^z> le sens que lui attribue Peyron , et traduire : Reçois
l'acte d'adoration souverainement sincère, souverainement juste , de, etc.
Je n'ose me prononcer entre ces deux sens différents, et je crois plus
prudent d'attendre qu'il soit possible de comparer de nouveaux textes.
Le texte du proscynème n° 2 porte t:^c. Si cette transcription
est juste , ce que je ne voudrais pas affirmer, il devient difficile de se
rendre compte de la présence de cet S final à la place de la voyelle
que présente deux fois de suite le texte du n" 4. On trouve bien à la
vérité dans le copte des exemples de l'emploi d'un c paragogique
sans influence sur le sens du radical qui s'en trouve muni, mais j'ai
peu de propension à user de cette ressource pour me débarrasser
d'une lettre dont la présence n'est pas naturelle. Peut-être , au lieu
d'un S démotique ( PI. VL 16.), faudrait-il voir un I (PI. VL 17.)
dont le dernier trait aurait été mal tracé, et nous retomberions alors
sur le mot ^çjuji5-S, obtenu plus haut et signifiant : décent, con-
venable. Dans ce cas , le proscynème 2 commencerait par les mots :
0 Ammon Générateur l germe producteur de la vie , reçois l 'acte
d'adoration convenable de , etc. Si cette fois encore on préfère voir
ACTES d'adoration, OU PROSCYNÈMES. 747
le substantif Jt5X , on aura: Reçois V adoration sincère y ou juste
de, etc.
Le texte n** 7 nous a fourni le mot I^EponfAiE , qui se décom-
pose en — , N, îv, de; Epo, mot composé lui-même de la par-
ticule E, caractéristique du datif et du substantif po , bouche,
composé qui, dans le copte, signifie chez , et, par extension , ce qui
est dû, ce dont on est débiteur. En effet, OO'^ÎV Epo. M- O'^U
Epo, T. a le sens positif: devoir être débiteur, et E^Epo, T. M-
signifie dette, ce que l'on doit. On peut donc, en réalité , voir dans
l'expression KEpOT^JW^E le sens littéral : de ce qui est du convena-
blement, de la dette juste. Dès lors le début de ce proscynème n° 7
se transcrit l>6l Jtxhrjm^p TTaipcg î\Epo "TCUJW-X et se
traduit : Beçois , ô roi! V adoration qui f est justement due par, etc.
Restent enfin les proscynèmes 3 et 9, qui nous donnent l'expres-
sion "T^JULp^JW, ou TJIL5-pT^JU-E.
^1>ÂXZ , T. M. B. "T^Z^Xf Z.. B. T^^XJ-0. T. M- signifie
nunciare, ostendere, narrare, significare. Ce mot, muni d'un p
paragogique, nous donnerait TZ-W-Ep , que l'on pourrait sans
inconvénient traduire par : manifestation , démonstration ; de telle
sorte que nr2.JU.Ep Ta\JW-i représenterait à la rigueur l'idée
démonstralion convenable ou juste.
Vous comprendrez , mon cher confrère , toute la réserve que je
dois m'imposer lorsque je ne puis offrir une explication plus claire
et plus simple de ces mots égyptiens. Je déclare donc ne tenir
en aucune façon à cette traduction des diverses expressions finales
que je viens d'examiner, et je me bornerai à répéter ce que j'ai dit
avant de les aborder, que cette fois les résultats de l'analyse me pa-
raissent beaucoup moins précis que lorsqu'il s'agissait d'interpréter la
formule 2>.6l iiaTpaj. L'étude comparative d'un plus grand nombre
de textes analogues me semble absolument indispensable pour que
l'intelligence de cette phrase formulaire devienne complète; on me
pardonnera donc, j'espère, de n'avoir pas su tirer un plus grand
parti des seuls textes que j'avais à ma disposition.
F, DE Saulcy, de V Institut.
( La suite au numéro prochain.)
LETTRE A M. DE SAULGY
SUR
L'ÉPOQUE DTIV PROSCYÎVÈME DÉIOTIQUE ' .
Paris, le 22 janvier 18'i5.
J'ai lu , mon cher confrère, avec un grand intérêt votre Mémoire
sur les Proscynèmes démotiques que Nestor Lhôte a copiés dans la
vallée d'el-Hammamât , sur la route de Qosseyr. J'ai suivi, avec
soin , l'analyse détaillée que vous avez donnée des éléments dont
chacune de ces inscriptions se compose ; il m'a paru que cette ana-
lyse, conduite avec beaucoup de réserve et de finesse, a de quoi sa-
tisfaire un esprit raisonnable, et lui donner pleine confiance, au
moins dans tout ce qui est essentiel.
Les traductions , qui résultent de l'application de votre méthode ,
me paraissent claires, précises et d'une teneur très- vraisemblable.
Mais , dans les travaux de ce genre , où l'on est souvent obligé de
donner beaucoup à la conjecture, où les résultats ne s'obtiennent pas
directement, mais sortent, l'un après l'autre, de tâtonnements et
d'inductions délicates, on n'est vraiment sûr de quelque chose que
lorsqu'on peut se placer sur le terrain historique; c'est-à-dire, lorsque
des traductions , amenées par la seule analyse philologique , peuvent
être confirmées par d'autres données uniquement tirées de l'histoire.
Je crois avoir été assez heureux pour découvrir, dans votre inté-
ressant travail , plusieurs confirmations de ce genre, d'autant plus
remarquables que vous n'y avez pas pensé ; et que vous vous êtes
laissé guider uniquement par votre méthode de lecture.
Plusieurs de ces proscynèmes sont adressés à une divinité dont
vous avez exprimé le nom par celui à'Ammon Générateur.
Cette traduction ne peut qu'être exacte. J'ai sous les yeux une
soixantaine d'inscriptions grecques, contenant des proscynèmes,
copiés dans la vallée d'el-Hammamât, les uns par Nestor Lhôte, les
autres par sir Gardner Wilkinson. Ce sont , pour la plupart , des
actes d'adoration en l'honneur du Dieu principal. Partout, ce Dieu
(1) Cette lettre se rapporte à un proscynème dont on trouvera l'analyse dans le
second article de M. de Saulcy. Nous n'avons pas voulu différer à publier cette lettre,
parce qu'elle est propre à donner confiance dans les résultats de ses recherches.
[If Ole de V Editeur.)
LETTRE DE M. LETRON^E A 31. DE SAULCY. 749
est représenté dans l'attitude ithyphallique reconnue pour être celle
d'Ammon Khem ou Générateur. Dans les inscriptions grecques,
il est toujours désigné sous le nom de Ilàv, avec l'épithète de Qeoç
^syLCzoç'j et l'on sait que les Grecs, par l'effet d'une de ces assimi-
lations factices , sur lesquelles reposent les rapports des deux reli-
gions, ont toujours identifié YAmmon Générateur des Égyptiens avec
leur dieu Pa/i, qui, dans son essence, en différait complètement.
Ce sont les rêveurs alexandrins, dont Macrobe est l'écho, qui, en abu-
sant d'une fausse étymologie du nom de Pan , ont fait de ce Dieu ,
ou plutôt de ce Héros (l) ou demi-dieu, le grand tout, Vâme uni-
verselle; et, comme d'Hercule , une divinité solaire et cosmique ,
dont les anciens Grecs n'avaient jamais entendu parler.
En vous amenant à lire, dans ces inscriptions démotiques, le nom
d'Ammon Générateur, votre méthode vous a donc conduit justement
à trouver le Dieu , qui doit , sans nul doute , y être désigné ; et cela ,
sans que vous puissiez vous douter de ce que les inscriptions grec-
ques , que vous ne connaissiez pas , m'avaient appris depuis long-
temps.
Une autre coïncidence de ce genre, et plus frappante encore, se
reconnaît dans un des proscynèmes.
Votre analyse vous a conduit à cette traduction :
ce L'an Si6 du roi Ptolémée, fds de Ptolémée, le 4 de Tobi, Terp-
(( senammon , fils d'Eiméré , a offert des libations en ce lieu, selon
c( les rits prescrits, au roi Aridée , fils d'Arsinoe. »
Voilà réunies plusieurs circonstances historiques qui peuvent servir
de pierre de touche à votre système.
Et d'abord, il n'y a qu'un seul des Lagides qui ait pu être qualifié
ainsi : le roi Ptolémée, fils de Ptolémée, sans autre désignation ; c'est
le successeur de Ptolémée Soter, du premier des Lagides , à savoir
son fils Ptolémée Philadelphe. C'est ainsi qu'il a été désigné dans
une inscription delphique, publiée par M. Curtius ; BaathvovTog
IlToAepatoy rov IlToAspaioL» p^ccGiléoiç (2).
Cette expression porte donc, en elle-même, un caractère histo-
rique qui concilie d'abord la confiance à votre traduction. La date
de l'an 26 , présente une coïncidence remarquable avec le premier
(1) C'est ainsi qu'il est appelé dans une inscription métrique de Ouadi Genisseh
(désert à l'est d'Edfou); elle commence ainsi : Isï-jo'j ny-n^av-rsç, bSonzôpoi, r^poix
To'vos , Euooov. La divinité adorée en ce lieu est aussi, comme à el-Hammamât,
AmmonKhemou Géïîérafewr, appelé constamment dans ces inscriptions; Mv Mqç,
{'2) Anecdola Delphica, n» 5G, p. 81.
750 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
fait ; car Ptolémée Philadelphe est justement un des quatre Lagides
dont le règne a dépassé ce nombre d'années. Le quantième , le 4 de
Tobi , vient bien à la place qu occupe ordinairement cette indication,
La date précise de notre proscynème répond au 24 février (Julien
proleptique) de l'an 259 avant J. C.
Les deux noms qui viennent ensuite, ont une physionomie com-
plètement égyptienne , Terpsenammon , iWs à' Eiméré ; le premier est
un de ces noms composés d'un nom de dieu, avec le préfix sen ou
psen, comme Psenosiris, Psemmonthès , Psenchonsis , etc., précédé
ici du mot ter qui signifie Dieu. Quant à Eiméré, c'est le nom connu
Eimei ( personnage dont le tombeau est près de la grande pyramide) ,
suivi de RéoyiPhré, le soleil, comme Menkaré et d'autres.
Jusqu'ici votre méthode vous a conduit au but, ce me semble; et,
quand l'inscription s'arrêterait là, ou du moins ne donnerait pas lieu
à d'autres rapprochements, le plus sévère critique pourrait déjà se
montrer satisfait ; mais il s'y trouve un dernier renseignement qui
permet d aller jusqu'à essayer de compléter l'histoire sur un détail
assez curieux.
Ce n'est pas à la divinité du lieu que Terpsenammon adresse son
hommage; c'est à l'effigie d'un roi divinisé, dont vous lisez le nom roi
Aritée ou Aridée. Ce nom nous reporte encore dans l'histoire;
car il ne peut être que Philippe Aridée ou Arrhidée , le fils naturel
de Philippe, le frère et successeur d'Alexandre. L'orthographe grecque
flotte entre AppLâcx.ïo et Apiàaïoçy ce qui revient au même, l'aug-
mentatif àpt se disant aussi <xppL (i). Mais il est à remarquer que la
première orthographe n'existe que dans Arrien, et en un seul endroit
de Plutarque ; la deuxième , qui est celle de votre proscynème démo-
tique, se trouve dans les textes de Dicéarque, de Ptolémée (de Mé-
galopolis), d'Arrien , de Dexippe, de Strabon , de Pausanias, etc.
D'ailleurs , les exemples des noms propres avec le préfix dpi sont
bien plus nombreux que les autres; et quant aux adjectifs précédés de
cette particule , le lexique si complet de Passow n'en présente aucun
exemple. Ainsi , vous avez pour votre leçon le plus grand nombre
des autorités et l'usage ordinaire de la langue.
A ce sujet, je me rappelle la perplexité oii je vis Champollion,
lorsque l'application de son alphabet l'eut conduit à lire sur des
monuments égyptiens à Thèbes et à Aschmounein le nom de P/u-
(1) "AptScfÀoç OU 'kphi^vXo: doit signifier vaillant , belliqueux (de à/si ou àppt et de
ostvç), à pe^ï près comme n7ohy.KXoç , dérivé de nTp;ie//.oî , forme poétique de T^ôXep^oi,
LETTRE DE M. LETRONNE A M. DE SAULCY. 751
lippe , accompagné des titres divins , comme les noms des autres rois.
Il ne savait d'abord comment expliquer que Philippe, père d'Alexan-
dre, fût au nombre des rois au nom desquels avaient été construits
ou réparés des édifices égyptiens. Mais bientôt il se souvint que
parmi les souverains effectifs de l'Egypte , il fallait compter Philippe
Aridée. La difficulté était résolue. En effet, ce prince , fils naturel
de Philippe , et frère d'Alexandre , avait été investi à Babylone du
pouvoir royal ; ses droits furent reconnus par tous les généraux ; et
en Egypte, particulièrement, sa royauté fut si bien admise que le
canon des rois divise le règne de Ptolémée Soter en trois parties ; la
première de sept ans est donnée à Philippe Arrhidée ; la deuxième
de douze ans, à Alexandre, fils posthume d'Alexandre et de Roxane ;
la troisième de vingt ans, à Ptolémée Soter; ainsi', pendant les dix-
neuf premières années, ce prince régna sous les noms d' Aridée et
d'Alexandre , et ne fut roi que lorsque la mort du fils et du frère du
conquérant lui permit de prendre ce titre.
Ce fait, si bien constaté par l'histoire, explique la présence des
noms de Philippe et d'Alexandre sur les monuments égyptiens , répa-
rés ou construits de 324 à 317, ou de 317 à 305 avant notre ère; et
l'on peut être , à présent , assuré que, si l'on découvrait un jour des
inscriptions ou des papyrus appartenant à l'un de ces deux inter-
valles, on les trouverait datés non du règne de Soter, mais de ceux
de Philippe Arrhidée ou d'Alexandre.
La présence du nom d' Arrhidée dans le proscynème d'el-Hamma-
màt est un fait du môme ordre. Ce prince est qualifié de roi, parce
qu'en effet il le fut ; il est traité comme une divinité à laquelle on
rend un culte, parce qu'en effet les rois grecs en Egypte, comme
les anciens pharaons, furent divinisés même de leur vivant; aussi
les divers cartels hiéroglyphiques de Philippe Arrhidée et d'Alexan-
dre sont-ils accompagnés, comme tous les autres, des titres divins.
Votre proscynème s'y coordonne de la manière la plus satisfaisante.
La date, qui est celle de l'an 26 de Philadelphe, n'est postérieure
à la mort d'Arrhidée que d'environ cinquante-huit ans.
Cet intervalle n'a rien d'invraisemblable. On comprend que l'Égyp-
tien Terpsenammon voyageant sur la route de Qosseyr, et passant
à el-Hammamât, ait trouvé sur quelque monument une image d'Ar-
rhidée, prince qui était peut-être le bienfaiteur de son père ou de
tout autre membre de sa famille; et qu'il ait saisi cette occasion de
lui donner une marque de sa vénération et de sa reconnaissance. Il
suffirait même que notre Égyptien eût , à cette époque , soixante-
752 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
quinze ans , pour qu'il eut connu Arrhidée , éprouvé personnelle-
ment sa générosité , ou reçu le service qu'il a voulu reconnaître.
Nous voyons par là que si , sur les monuments publics , ce prince
portait le nom de Philippe y son vrai nom Arrhidée lui avait été con-
servé par ses contemporains , et pouvait paraître seul dans les actes
privés.
J'arrive à la dernière circonstance , qui est le nom de la mère
d' Arrhidée. D'après votre traduction , il était fils (ÏArsinoe, Je re-
marque d'abord combien ce nom grec vient à propos , après un nom
d'homme grec; c'est ainsi que plus haut, les deux noms grecs de
Piolémée se suivent , comme ensuite les deux noms égyptiens
Terpsenammon et Eiméré; votre méthode donne toujours ce qu'il faut.
Quant au nom lui-même, Arsinoe, il est impossible que le hasard
seul l'amène; pour ma part, je suis aussi certain que ce nom est
écrit dans l'inscription que s'il y était marqué en lettres grecques ;
et ce proscynème tout entier me paraît aussi clair que si nous avions
à côté son expression grecque à peu près de cette manière :
BoLGilevovroç U^olsixoûov tov Urolzit-OLioVy 'érovç Kç, roêi A, Trip'^svdi^-
yMV Toîf 'Ely.epÉMÇj tw ^ocfjileï AppLÙaio) t?iç ApGi-jé'riç y ràç anov^aç, ,
zarà rà vo^Lt/ma , (TuvsTe'AvîO'c.
La leçon étant bien constatée , on peut à présent la prendre avec
confiance pour base d'observation.
Ce qui me frappe d'abord , c'est que notre Égyptien nomme la
mère d'Arrhidée, et ne parle pas de son père. S'il n'y avait pas d'autre
désignation de ce genre dans le proscynème , celle-ci ne me sur-
prendrait pas ; car on sait que c'était f usage égyptien de désigner les
individus par le nom de leur mère. Mais pourquoi a-t-il suivi l'usage
grec à propos du roi Ptolémée et de lui-même, tandis qu'il suit
l'usage égyptien en parlant d'Arrhidée? Voila ce qui me semble sin-
gulier; mais le fait est constant, et peut-être n'est-il pas impossible
(l'en découvrir la cause.
Quelle est cette Arsinoe, mère d'Arrhidée? ce sera sans doute
quelque concubine de Philippe, puisque Arrhidée était fils naturel
de ce roi.
Or, précisément, au nombre des concubines de Philippe, l'histoire
compte une Arsinoe, femme d'un rang élevé, puisqu'elle était fille
de Méléagre, et de la race des Héraclides (1). Philippe la maria à
fun de ses officiers , Lagus , lorsqu'elle était déjà enceinte de Ptolé-
(1) Saint-Martin, dans la Biographie universelle, t. XXXVI, p. 187,
LETTRE DE M. LETRONNE A M. DE SAULCY. 753
mée, depuis Soter (l); en sorte que le fondateur de la dynastie des
Lagides, qui passait pour le fils de Lagus, était réellement fils de
Philippe, et frère d'Alexandre comme Arrhidée (2).
N'est-il pas bien naturel de voir dans cette Àrsinoe h mère de
Philippe Arrhidée ? Ce serait donc un fils qu'elle aurait eu de Phi-
lippe , avant qu'il la fît épouser à Lagus.
Mais ici une grave difficulté se présente.
L'histoire donne pour mère à Arrhidée une autre concubine de
Philippe, nommée Philina ou Philima. Le fait a pour garants un
auteur presque contemporain, Dicéarque, disciple d'Aristpte (3),
puis Ptolémée de Mégalopolis (4) (qui florissait sous Philopator
ou à peu près ). Les historiens postérieurs Arrien (5) , Plutarque (6)
etDexippe (7), prononcent tous le même nom, et aucun d'eux ne
nomme Arsinoe, Cette Philinna était une danseuse de Larisse en
Thessalie , que Philippe, passionné pour les femmes, et fort peu
délicat dans ses choix, ne craignit pas d'élever jusqu'à lui , comme
le dit Ptolémée de Mégalopolis; Plutarque va même jusqu'à la qua-
lifier de vile prostituée, ywh a^o^oç xoà TtoiTri,
Ces autorités sont nombreuses et graves, mais l'inscription est
aussi une autorité bien imposante qu'on ne peut soupçonner d'erreur.
Car notre Égyptien ne pouvait se tromper sur le nom de la mère du
roi; du moins il n'a pu exprimer que l'opinion qui avait cours en
Egypte.
On sait que l'élection d'Arrhidée, comme successeur d'Alexandre,
ne fut point unanime. Elle trompait trop d'ambitions pour qu elle
n'eût pas plus d'un adversaire. Ptolémée surtout se déclarait contre
cette élection (8) pour différentes causes, opposant à Arrhidée Yinfa-
mie de sa mère (propter maternas sordes). 11 est bien à présumer que
la médisance et même la calomnie furent mises enjeu contre lui, et
qu'on tâcha de le déconsidérer de toutes manières jusqu'au moment
où il succomba sous les embûches d'Olympias. Or, un des moyens
qu'on dut employer fut d'attaquer sa naissance. Philippe l'avait re-
connu pour son fils, on ne pouvait le nier; mais on diminuait cet
(1) Suidas, V. "E'/zapTcoç.
(2) Pausan. 1, 62. Curt. IX , 8 , 22.
(3) Ap. Alhen. p. 557, c. Aocpti^aXn ^O.jwk, I? r7; 'A/5t5«tov èts/.vwt-.
(4) /6id., p. 578, a.
(5) Ap. Phol., p. 69 a, éd. Bekk.
(6) In Alexandr, c. 77 fin.
(7) Ap. PhoL p. 64, a.
(8) Justin, XIII, 2.
I. 49
754 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
avantage en soutenant qu'il était fils d'une vile baladine, d'une de
ces femmes publiques avec lesquelles la paternité est toujours chose
fort incertaine. Voilà ce qui se disait contre Arrhidée, et ce que les
historiens. ont recueilli. L'imputation était-elle fausse, était-elle vraie?
Était-il recollement né d'une telle femme, obscure et à tout venant
(ccdoloç Y,ou y,om),^ Était-il né d'une autre, et, par exemple, de
cette Arsinoe qui devint ensuite la femme de Lagus? En tout cas, il
a pu, dans l'intérêt de sa position, il a du rejeter une origine si
peu honorable et soutenir qu'il devait la naissance à une descendante
des Héraclides.
Le proscynème démotique nous aurait donc conservé le nom de la
mère que se donnait Arrhidée, soit quelle le fut réellement, soit
que ce ne fût de sa part qu'une prétention conseillée par la politique.
L'histoire ne nous aura peut-être ici conservé qu'un article de la
chronique scandaleuse du temps. On expliquerait par là pourquoi
notre Égyptien n'a fait mention que de la mère d'Arrhidée. Personne
ne mettait en doute qu'il ne fût le fils de Philippe; mais comme on lui
contestait son origine maternelle, il tenait d'autant plus à la constater
en tous lieux. De son vivant, c'était lui faire sa cour que d'accoler à
son nom celui à' Arsinoe; et, après sa mort, ceux qui voulaient ho-
norer sa mémoire , avaient bien soin de lui conserver cette origine
qu'on avait voulu lui contester.
Voilà , mon cher confrère , en attendant mieux , mon explication
de cette difficulté historique. Tout cela tient , comme vous le voyez ,
au seul nom d'Arsinoe ; mais du moment que la leçon est cer-
taine (et comment pourrait-elle ne pas l'être?), elle devient un fait
historique qu'on expliquera comme on pourra , mais qu'il est aussi
impossible de mettre de côté que l'autre fait, transmis par le témoi-
gnage des historiens. Dès lors , on ne peut plus hésiter que sur le
moyen de concilier ces autorités contradictoires.
Ce qui résulte de cette longue lettre , c'est que le proscynème
devient un document qui , sur la plupart des points, se lie parfaite-
ment avec l'histoire , et qui peut-être sert à la compléter sur le seul
point qui semble y être contraire.
Je souhaite, mon cher confrère, que ces résultats augmentent votre
confiance dans l'instrument dont vous savez faire un tel usage , et
qu'ils soutiennent votre persévérance dans la poursuite de ces re-
cherches arides et difficiles oiî l'on a tant besoin d'être encouragé
par la perspective d'une heureuse issue.
Letronne.
EXPLICATION DES PLANCHES.
PL. XXI ET XXII.
BOISERIE DU XV^ SIÈCLE, REPRÉSENTANT L ARBRE DE JESSÉ ET PRO-
VENANT DE l'ancienne abbaye DE SAINT-SAUVEDR, A NEVERS.
— VITRAIL DE l'abbaye DE SAINT-DENIS.
Le sujet qui nous est offert par cette boiserie et qui est connu
sous le nom d'Arbre de Jessé, est un de ceux pour lesquels les pein-
très et imagiers du moyen âge ont témoigné le plus de prédilection.
Il rendait en effet sensible aux yeux du vulgaire l'accomplissement de
la prophétie qui avait annoncé que le Christ sortirait de la race de
David, et montrait, d'une manière symbolique, la suite des aïeux de
Marie, depuis Isaï ou Jessé, le vieillard de Bethléem, David étant,
comme on sait, le huitième fils de ce vénérable Israélite. Si les
artistes ne faisaient pas commencer la généalogie à David, quoique
ce saint roi ouvrît la seconde des trois séries dans lesquelles
l'Evangéliste a divisé la succession des ancêtres de Joseph , c'est
certainement qu'ils voulaient réaliser figurativement la parole
d'Isaïe : « Et egredietur virga de radice Jesse et flos de radice
<( ejus ascendet. » (XI, 1.) Cette parole était regardée par les
chrétiens comme une prophétie qui annonçait la venue du Christ :
(cHujus (Jesse) Déus ex semine, secundum promissionem eduxit
« Israël salvatorem Jesum, » disent les Actes des Apôtres (XIII,
23.) Il fallait donc placer Jessé à la racine de l'arbre, du rameau
prophétique (virga) , comme il fallait placer Marie et son précieux
enfant dans la fleur qui le termine. C'est ce que le sculpteur de
notre boiserie a représenté : la mère du Sauveur s'échappe , en-
tourée de feux célestes, de la corolle qui s'épanouit à la cime de
l'arbre emblématique ; sur les rameaux latéraux sont placés, sortant
chacun également du milieu d'une fleur, les royaux ancêtres de Ma-
rie. L'artiste n'a pu naturellement les placer tous; ces deux fois qua-
torze générations dont parlent saint Mathieu et saint Luc eussent
occupé un trop grand espace pour trouver facilement place sur la
boiserie, aussi n'en a-t-il figuré que douze, auxquels il n'a donné
d'autre attribut qu'un sceptre dans la main droite. Il est donc im-
possible de découvrir quels sont ceux des aïeux du Christ que l'on a
voulu plus particulièrement représenter. Il est assez remarquable que
756 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'on n ait pas mis au moins entre les bras de David sa harpe accou-
tumée; c'est en effet le signe qui le différencie des autres personnages
dans bon nombre de sujets semblables ; nous citerons comme exemple
d'arbres de Jessé chez lesquels le roi d'Israël a été ainsi caractérisé :
le bas-relief qui décore le maître-autel de l'église du Christ à Twy neham
(Hampshire) (1); le vitrail de Saint-Étienne deBeauvais, peint par
Angrand ou Engerrand Le Prince (2). Salomon n'est reconnaissable
également à aucun caractère particulier. Je serais néanmoins porté à
admettre que ces deux rois sont les deux personnages de la première
branche de droite, branche qui, étant celle qui sort du point le plus bas
de la tige, doit nécessairement être parcourue la première quand on
s'élève du tronc au sommet. Ce qui me semble une sorte de conGrma-
tion de cette hypothèse, c'est qu'outre que ces deux monarques sont
fils et petit-fils de Jessé, le second sur la branche , Salomon est le seul ,
avec un autre placé plus haut, entre tous les aïeux de Marie ici repré-
sentés , qui n'indique pas de sa main la figure de celle-ci placée à la
cime de l'arbre. Ce geste, emblème de l'enseignement , lui aura sans
doute été refusé, à raison des erreurs dans lesquelles il est tombé à la
fin de sa vie. Le second personnage, qui comme celui que je suppose
être Salomon , abaisse sa main sur sa tunique, au lieu de l'élever vers
Marie, serait sans doute Sadoc que l'on a regardé ici, suivant une opi-
nion assez répandue, comme le chef de la secte des Saducéens, dont
les doctrines étaient si fort en opposition avec le christianisme. Il est
vrai que, pour accepter cette désignation des personnages de notre
boiserie, il faut admettre la généalogie donnée par saint Mathieu, qui
n'est pas d'accord avec celle de l'Evangile de saint Luc, puisque, dans
la dernière , Salomon n'entre pas , et est remplacé par son frère aîné
Nathan. Mais l'on sait qu'au moyen âge, la première était presque la
seule qui eût cours, d'abord à raison de sa place dans l'Évangile,
puisque elle est tout à fait en tête de ce livre, ensuite parce que c'est
la seule qui comptât ce roi lui-même, dont le nom, devenu si populaire,
devait, pour cette raison, nécessairement entrer dans cette suite de
noms israélites moins familiers au vulgaire.
On pourrait ajouter à ces motifs, que la généalogie de saint
Mathieu est la seule qui suive l'ordre ascendant donné par la dispo-
sition de l'arbre, tandis que saint Luc a adopté l'ordre inverse.
Il est très-probable que le dernier personnage de l'arbre, celui qui,
(1) Carter, Ancient Painting and Sculpture in England, PI. XXXII, p. 44.
Cf. Dugdalec, Monast. anglican. T. I, p. 140.
(2) F. de Lasteyrie, Hisl. de la Peinture sur verre en France, PI, LXXïV.
EXPLICATION DES PLANCHES. 757
placé près de Marie sur un rameau plus élevé que les autres, tient
^e îa droite l'auréole dont celle-ci est environnée , est saint Joseph.
C%st en effet beaucoup plutôt ce saint, dont l'Évangile donne la suc-
cession des aïeux , que la Vierge, qui n'est pas même nommée dans
saint Luc. Le Christ semble, d'après la lettre même des Évangiles,
ne descendre en ligne directe de David que par son père putatif Jo-
seph. Etipse Jésus erat, lUpiitabatur, filius Joseph qui fuilHeli, qui fuit
Mathatan, etc., comme dit formellement saint Luc (lll, 23). Quoi qu'il
en soit de cette singularité qui a beaucoup embarrassé les commenta-
teurs du Nouveau Testament, il est difficile de ne pas reconnaître
saint Joseph dans le personnage en question. Il porte il est vrai un
sceptre et une couronne, mais ces insignes sont loin d'indiquer
que tous ceux auxquels ils sont attribués, aient régné sur Israël ;
on ne peut les regarder que comme destinés à faire voir que tous les
personnages représentés étaient issus de race royale. L'espèce de
sceptre que porte l'époux de Marie pourrait bien être d'ailleurs le
fameux rameau qui reverdit dans ses mains , et le désigna à la main
de la fille de Joachim, au moment où une colombe prophétique s'ar-
rêta sur sa tête. Cette légende était fort accréditée au moyen âge;
elle est tirée des apocryphes et consignée dans le \i\rede Ortu Virgirds,
attribué à saint Jérôme (l). Il est de plus à noter qu'on la justifiait
précisément par la prophétie d'Isaïe que nous avons citée.
Jessé a été représenté, suivant l'usage, comme un patriarche ; il n'a
rien dans la main, et l'artiste ne lui a pas donné pour marque distinc-
tive le compas , emblème singulier qui lui a été attribué ailleurs, sur
un vitrail de Notre-Dame d'Alençon, par exemple (2). Pourquoi le
vieillard de Bethléem est-il figuré dormant? Peut-être l'artiste a-t-il
voulu montrer comment il vit en songe la postérité glorieuse qui lui
était réservée, ou plutôt est-ce pour établir une analogie avec Adam,
de la côte duquel Dieu tira, durant son sommeil, Eve, la mère de
l'humanité.
L'arbre dont le tronc sort du sein de Jessé , malgré la forme un
peu fantastique de ses feuilles , doit être reconnu pour une vigne ;
c'était en effet cet arbre que l'on choisissait de préférence pour
image de l'arbre généalogique du Sauveur. C'est cette forme de vigne
(1) Cf. s. Josephi viiœ histor. auct. Carol. Strengelio, 1616, in-18, p. 635.
S. Damacen. Oral 1, de dormit. Virgin, et S. German. arch. Cohst. de Obt,
Firginis in Templo.
(2) De la Sicotière, Notice sur les vitraux de l'église Noire-Dame d'Alençon.
T. VIII , p. 105 du Bulletin monumental.
758 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
qui contribuait à faire placer l'arbre de Jessé sur le tympan du
portail des églises, comme cela s'observe à la cathédrale de Rouen (l),
entre autres, par imitation de la vigne d'or qui se voyait au temple
de Jérusalem , au-dessus de la porte du vestibule (2). La vigne avait,
pour les premiers chrétiens, une signification symbolique; elle était
pour eux l'emblème de Marie et de l'Église, comme dans ces paroles
du Psalmiste (LXXIX, 15) : Respice de cœlo et vide et visita vineam
islam. Isaïe avait chanté la vigne qui prospère dans un terrain gras
et fertile (V. 1 et 19), et ses chants parurent plus tard une prophé-
tie.qui contribua à accréditer ce symbole. Le Sauveur lui-même ne
s'était-il pas comparé à la vigne : Egosum vilis vera, dit-il dans l'Evan-
gile de saint Jean (XV, 1 ).
Si l'on rapproche le symbole de l'arbre de Jessé des figures de lan-
gage qui ont été les plus familières aux écrivains sacrés, on verra
qu'il en est peu qui soient mieux justifiées par les nombreuses méta-
phores que la langue théologique a empruntées au style oriental. Marie
nous est toujours offerte comme une fleur qui s'épanouit , comme une
racine qui pousse un magnifique rameau. Ne lui appliquait-on pas
ces paroles d'Isaïe : «Et ascendet sicut virgultum coram eo, et sicut
<( de terra sitienti ( LÏIL 2.). » ùc, darelov (jp^irov, wç pî^a tyiç-kol^BzvUç,
dit à son sujet saint Amphiloque (3). Les nombreux sermons qui
ont été composés à la louange de la Vierge , par exemple ceux de
saint Épiphane, de saint Éphrem,de saint Ghrysostome, de saint
Damascène , de saint André de Crète, de saint Pierre Chrysologue ,
de saint Bernard, fourmillent d'expressions de ce genre. La Vierge
est pour eux tout à la fois la fleur et le fruit, le rameau verdoyant
qui réjouit la vue , le fruit, la vigne nourrissante qui fait vivre. La
poésie du moyen âge a souvent été un reflet de ces images sacrées ,
témoin ces vers de Rulebeuf , dans ses Neuf joies de Notre-Dame :
Tu iez la verge de fumée
D'aromat remis en ardeure
Qui par le désert iez montée
El ciel seur toute créature
Vigne de noble fruit chargée
Sanz humaine culliveure.
OEuv. édil, Jubinal, t. II, p. 12-13.
Marie semblait un arbre sur lequel la fleur du Seigneur s'était épa-
(1) Gilbert, Descripl. de la cath. de Rouen, a^ éd. p. 34.
(2) Cf. Joseph. Bell. Jud. V, 5 , par. 5. Tacit. Hislor. V, i».
(3) Serm. in Domin. occurs. p. 24 , éd. Combef.
EXPLICATION DES PLANCHES. 759
nouie pour embaumer l'univers de son divin parfum , comme nous
l'explique le passage suivant de saint Maxime de Turin , qui me sem-
ble un des meilleurs commentaires de notre représentation :
(( Floruit autem caro Domini, cum primum de Mariœ Virginis illi-
« bâta vulva processit sicut ait Esaias : Exibit virga de radice Jesse
« et flos de radice ejus ascendet. Refloruit autem cum succiso per
« Judaeos corporis flore, rediviva de sepulchro résurrection is gloria
« germinavit et in floris modum odorem paritcr et nitorem cunctis
« hominibus immortalitatis afflavit odorem , bonorum operum suavi-
(( tatem , circumferens nitorem incorruptelam perpétuée divinitatis
« ostendens (i). »
L'arbre de Jessé était l'ornement le plus habituel des magnifiques
verrières qui, au moyen âge, ornaient toutes nos basiliques et nos
cathédrales. C'est ainsi que les églises d'Amiens (2), Beauvais (3),
Alençon (4), et une foule d'autre^, en sont encore décorées. L'ab-
baye de Saint-Denis, dont nous avons fait connaître une verrière
dans un article précédent (5), comptait, ainsi que nous l'avons
dit, ce sujet au nombre de ceux dont la munificence de Suger
avait embelli ses fenêtres. Peut-être était-ce à ce vitrail qu'apparte-
nait le fragment dont nous donnons ici la planche (PI. XXH). Le
personnage qui y est figuré a le costume biblique, et est assis sur des
feuillages qui pourraient bien avoir appartenu à cet arbre; cependant
il lui manque le sceptre. Suger, mieux instruit de l'histoire sainte , ne
l'avait peut-être pas laissé donner à tous les ancêtres de Joseph. Au
reste, il est difficile de rien décider à cet égard. M. Debret, dans ses
restaurations, a fait reproduire ce sujet de l'arbre de Jessé à la grande
rose du nord. Je doute que ce fut là qu'il se trouvât dans les verrières
primitives.
La boiserie que nous venons de décrire appartient au cabinet de
M. Gallois , une des personnes du Nivernais qui montre le plus de
zèle pour la conservation de nos antiquités nationales, et qui a bien
voulu nous en communiquer un dessin, d'après lequel a été exécutée
notre planche.
Alfhed Maury.
(1) Uomil. œsiiv. F de fest. Paschœ.
(2) Lasleyrle, Hisl. de la Peint, sur verre, ^. Ï49.
(3) Jbid. PI. LXXiV.
• (4) De la Sicolière , ap. Ballet, mon. 1. c.
(5) Revue Archéologique , t. H, p. 607.
LETTRE DE M. EGGER
A M. L'ÉDITEUR DE LA REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Monsieur ,
J'ai l'honneur de vous adresser quelques lignes en réponse à une
lettre de M. Le Bas , insérée dans le dernier numéro de votre Reme,
Malgré les restrictions qui la terminent, cette lettre tendrait à m'at-
tribuer dans la rédaction du projet d'un Corpus inscriptionum lalinarum
et du rapport où ce projet est développé, une autorité et une respon-
sabilité que je n'ai jamais eues. Secrétaire d'un comité (i) spécial choisi
par M. le Ministre, dans le seiiv même de la Commission épigra-
phique (2), et dont tous les membres appartenaient à l'Institut, j'ai
tenu la plume sous la dictée de M. Letronne et de ses savants
confrères, et c'est en leur nom que j'ai soumis le plan de ce vaste tra-
vail à la Commission, assemblée sous la présidence de M. Villemain.
La lettre de M. Le Bas, écrite au retour d'un long voyage, d'après
des informations incomplètes, renferme encore quelques assertions que
je croirais devoir discuter, si, mieux instruit aujourd'hui des cir-
constances toutes fortuites qui nous ont privés du concours de ses
lumières, M. Le Bas ne m'autorisait à désavouer ici en son nom toute
interprétation malveillante que ses paroles pourraient recevoir. Je
renonce donc, Monsieur, à prolonger devant vos lecteurs un débat au-
quel la science ne gagnerait rien, mais dont le point principal ne pou-
vait rester indécis.
Agréez, etc.
E. Egger.
(1) Membres du Comité : MM. Letronne, président, Naudet, Burnouf père , Vic-
tor Le Clerc, Hase, Dureau de la Malle, Am. Thierry, Patin, Ch. Giraud , Le-
prévost.
(2; Membres de la Commission épigraphique, MM. Letronne, Naudet, Bur-
nouf père, Leprévost, Victor Le Clerc, Hase, Dureau de la Malle, Am. Thierry,
Patin, Ch. Giraud, Mérimée, F. Dûbner, D. Nisard, Danton, Piinn , Gibon ,
Géruzez , Havet, Quicherat aîné, Egger.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
— En me rendant de la Toscane à Rome, j'ai parcouru la voie
Émilienne, que je connaissais déjà. A mon passage par Pérouse, j'ai
voulu examiner les nouvelles fouilles exécutées à peu de distance de
la ville, par les soins et aux frais de mon respectable ami M. Bene-
detto Baglioni. Je puis vous assurer qu'aucune grotte ne m'a jamais
fait autant de plaisir à visiter que celle qu'on vient d'ouvrir sur les
flancs d'une colline, près de la route dite Slrada Gre^oriana, laquelle
conduit de Pérouse à Spoleto. Ceci n'est pas étonnant, puisque M. Ba-
glioni a eu la précaution de conserver à leur place tous les objets qui
avaient été déposés dans le tombeau, de sorte qu'on le voit dans l'état
oii il était il y a maintenant vingt siècles. Ce n'est pas seulement la
disposition et l'arrangement, mais aussi la beauté des monuments
qui est admirable. Presque tous ces monuments se rapportent aux
croyances sur l'état des âmes dans un autre monde. Parmi les divers
emblèmes hiératiques qu'on remarque dans ce tombeau , domine le
symbole du Gorgonium, qui est répété, pour ainsi dire, dans toutes les
parties de la tombe. Tout ceci me confirme bien les précieuses obser-
vations de M. le duc de Luynes, observations exposées avec une
grande érudition dans son excellent travail sur le culte d'Hécate,
(Lettre de M,P, Gargallo à M, de Witte, décembre 1844.)
— Dans le courant du mois d'août prochain, on vendra à Paris une
collection de vases peints, composée d'une centaine de pièces qui vien-
nent toutes des fouilles de feu le prince de Canino. Ces vases sont
les derniers débris de ces magnifiques collections tirées des hypogées
étrusques ; les découvertes faites par le prince de Canino ont acquis
une grande célébrité, dès l'époque des premières fouilles entreprises
en 1828 et 1 829. Il ne reste plus rien du vaste musée du prince', qui
a été dispersé, et dont les monuments sont allés enrichir les collec-
tions tant publiques que particulières qu'on admire en Europe. Les
fouilles de l'Étrurie semblent épuisées ; les tombeaux ne livrent plus
rien à l'avidité toujours croissante des archéologues. On peut donc
dire que la collection dont on annonce la vente , et qui réunit une
foule de sujets intéressants, peut être considérée comme le dernier
reflet de ces belles collections de vases vendues à Paris depuis une
dizaine d'années.
762 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
— Un Anglais nommé Lloyd, qui paraît atteint de folie , vient de
briser, à l'aide d'un fragment de granit, le célèbre vase Portiand, Ce
monument fut découvert au XVP siècle dans un sarcophage que l'on
avait extrait d'une chambre sépulcrale située sous le Monte del Grano
colline qui se voit sur la route de Rome à Frascati. D'abord propriété
de la famille Barberini, il fut vendu il y a environ cinquante ans à sir
William Hamilton , qui le céda ensuite à la duchesse de Portiand. C'est
le fils de cette dernière qui a déposé en 1810, au Brislish muséum , le
vase qui vient d'être réduit en pièces. Ce beau vase de pâte de verre
bleu foncé est décoré de bas-reliefs en biscuit blanc, qui représentent,
d'un côté les noces deThétis et Pelée, et de l'autre une femme couchée,
tenant un (lambeau renversé, qui était restée sans explication, et que
M. Charles Lenormant a le premier reconnue pour une Ariadne aban-
donnée dans l'île de Naxos. On a prétendu pendant longtemps que le
sarcophage de Monte del Grano, aujourd'hui au Capitole, avait ren-
fermé les cendres d'Alexandre Sévère et de Mamée. Visconti a dé-
montré que c'est une erreur et que les deux statues couchées qui le
surmontent sont celles de riches particuliers.
— M. Etienne Quatremère a communiqué à l'Académie des
inscriptions une lettre par laquelle M. Pacifique Delaporte, gérant
du consulat général de France à Tunis, lui faisait connaître la
découverte d'un anneau d'or, qui paraît remonter à l'époque oii
l'Afrique était encore au pouvoir des Grecs byzantins; ce monu-
ment pèse environ une once; il esta huit pans, et sur le chaton on
voit le Christ entre deux apôtres. Sur chacune des autres faces est
représenté un des sept sacrements; aut(Mir de l'anneau règne une
inscription grecque, composée de deux lignes précédées chacune
d'une croix. Cet ornement a été trouvé par un nègre employé à
extraire des pierres au pied même du monticule sur lequel s'élève
la chapelle érigée en l'honneur de saint Louis.
— M. Champoiseau, qui s'occupe avec le plus louable zèle
d'étudier les antiquités que renferme la ville de Tours, donne dans
ses Tableaux chronologiques de Vhistoire de Touraine quelques dé-
tails intéressants sur la maison du xv** siècle que l'on croit, à Tours,
avoir été habitée par Tristan l'Ermite ; cette tradition peut ne pas
être dénuée de fondement, sans cependant que l'on doive l'appuyer
sur la présence, dans les ornements de la façade, d'une corde à
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 763
nœuds, ou cordelière qui n'a rien de commun avec la hart dont le
compère de Louis XI faisait un si terrible emploi.
« L'escalier, dit M. Champoiseau , dont les parois , le noyau et
« la voûte sont en briques merveilleusement appareillées, est un
« véritable chef-d'œuvre; derrière la porte, un petit caisson, logé
« dans le briquetage du plafond, représente un archer; à côté, un
(c autre bas-relief, placé au-dessus de l'entrée de la cave , offre un
a sauvage qui soutient un écusson et s'appuie sur une branche
« d'arbre, sans écorce et sans feuilles, qui m'a conduit à reconnaître
« la famille à laquelle on doit la construction de l'hôtel-
c( En effet , cette pierre fut introduite dans l'écusson de la maison
((de Beauvau : d'argent à quatre lions de gueules, couronnés,
((armés et lampassés d'or, par Mathieu, puîné de cette maison;
(( il le brisa d'un tronc d'arbre d'azur, péri en bande, tiré de la devise
(( de Beauvau , composée de deux troncs d'arbres, liés l'un avec
(( l'autre par deux pointes de fer, avec ces mots: sans départir.
(( Deux sauvages au naturel, armés de massues, servent de support
(( à l'écusson, dont le cimier est une hure de sanglier. Mathieu fut
(( la souche de la branche des seigneurs de la Bessière et du Rivau,
((en Touraine. Le tronc d'arbre péri, les lions, les sauvages au
((naturel, armés de massues, qui figurent dans ses armoiries, et
((que nous retrouvons ici, la cordelière, symbole de veuvage, ne
(( permettent pas de douter que notre hôtel n'ait été construit par
(( Anne de Fontenay, dame du Rivau et baronne de Saint Gassien;
(( elle était veuve de Pierre de Beauvau, seigneur de la Bessière et
(( du Bois-Barré, premier chambellan de Charles VII. »
Cette attribution s'accorde fort bien avec le style du monument;
nous devons faire observer simplement que les sauvages qui servent
de supports à l'écu des Beauvau n'ont rien de commun avec le blason
de cette famille. Les sauvages sont très-communs comme supports
dans toute l'Europe, surtout en France et en Allemagne où le
Wïldemann se voit partout. Ils portent toujours un arbre déraciné
en guise de bâton, et cette particularité a l'origine la plus antique.
Une famille peut toujours changer de supports sans altérer en rien ses
armoiries; le cimier a plus d'importance, et, principalement en An-
gleterre et en Allemagne, il peut, sur un monument, servir à dé-
terminer un propriétaire.
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION A L'HISTOIRE DU BUDDHISME INDIEN , par M. Eugène Bur-
NOUF, membre de rinslilut. Tomel. Paris, 1844, in-4.
II n'y a pas encore bien longtemps que le mot antiquité ne réveil-
lait dans notre imagination que le souvenir des deux grands peuples
qui ont laissé sur notre sol européen tant de monuments de leur
puissance et de leur génie. Aussi ces monuments formaient-ils
l'unique objet qui attirât l'attention de l'antiquaire , dont les études
s'arrêtaient là oii les Grecs et les Romains n'avaient point laissé de
vestiges. Pour les érudits de l'autre siècle, au delà du cercle tracé
par le compas des géographes anciens, comme les bornes du monde,
il n'y avait plus que mystère et obscurité. On eût dit que les diverses
contrées de l'univers n'avaient commencé d'exister qu'au moment où
elles avaient été connues des peuples occidentaux. Il y a à peine
soixante ans que le champ archéologique s'est agrandi , et qu'un peu
de lumière est venu percer les ténèbres qui nous dérobaient le berceau
de l'Orient. C'est aux établissements européens dans l'Inde qu'est
due en grande partie cette heureuse extension des limites de nos
connaissances historiques. Cette Inde nous apparut alors pour la pre-
mière fois, avec sa langue sacrée, mère de la plupart des idiomes
européens, avec sa religion oii s'annoncent déjà les mythes que d'autres
peuples se sont appropriés plus tard, avec ses institutions portant
la trace incontestable de leur vieillesse et de leur originalité. Une
antiquité se révélait , plus antique que celle à laquelle nous étions
habitués de donner ce nom, et les nations dont les origines nous
avaient paru si reculées, n'étaient plus que de modernes habitants du
globe. Après une pareille rénovation dans les idées qu'on s'était for-
mées de l'histoire ancienne, l'archéologie, si elle voulait rester
fidèle à son nom, à son véritable but, devait étendre assez la sphère
de ses connaissances pour y faire entrer les monuments de cette autre
antiquité qu'elle était jadis loin de soupçonner. Elle devait embrasser
désormais l'étude tout entière de ces nouveaux peuples, comme elle
avait embrassé la vie tout entière des Grecs et des Romains, dans le
BIBLIOGRAPHIE. 765
but de déchiffrer leurs inscriptions et d'expliquer leurs monuments.
Voilà comment les études orientales ont pénétré dans l'archéologie^
et sont devenues indispensables à celui qui veut étudier l'ensemble de
cette science, et remonter aux origines, aux origines qui ajoutent tant
de prix aux faits les plus insignifiants en apparence, tant d'intérêt aux
plus arides. Or, parmi les objets qui doivent fixer davantage l'attention
de l'antiquaire, dans la voie qui s'ouvre si large devant lui du côté de
l'Orient, se place sans contredit la religion. Dans l'Asie, dans l'Inde
surtout la religion est presque la seule histoire des peuples, car c'est
à elle que tous les événements sont rapportés , c'est par elle que tout
s'enchaîne, que tout subsiste, que tout est expliqué. Malheureusement,
au début des travaux dont l'Inde a été le sujet, sa religion n'était
encore, aux yeuxdes savants européens, qu'un chaosde fables ridicules,
un assemblage informe de mythes, de rites, de croyances dont l'éru-
dition démêlait mal la liaison et le sens. Ce n'est que bien récemment
qu'on a vu la mythologie indoue sortir des incertitudes dans lesquelles
elle avait jusqu'alors marché. Un fait capital est ressorti des recher-
ches nouvelles, c'est la distinction entre les deux grandes religions de
l'Inde, le brahmanisme et le buddhisme. D'abord confondues comme
deux sectes d'un même culte, puis regardées comme issues l'une de
l'autre , sans qu'on s'accordât sur celle à laquelle appartenait l'anté-
riorité, ces deux doctrines religieuses, si différentes cependant dans
leurs dogmes, dans leurs principes, dans l'influence sociale qu'elles ont
exercée, peuvent maintenant être étudiées sous leur véritable jour par
le mythographe et l'antiquaire. Les difficultés qui ont jusqu'à pré-
sent éloigné ces deux ordres de savants de leur examen, ont en grande
partie disparu. Un orientaliste, le seul, nous pouvons le dire sans
exagération, auquel cette tâche fût abordable, a entrepris de jeter
les fondements des études buddhiques. Dans le livre que nous annon-
çons, M. Eug. Burnouf a, non pas écrit l'histoire actuellement impos-
sible à écrire, de cette importante religion, mais il a éclairci presque
tous les points fondamentaux, sans lesquels on ne saurait avoir une
connaissance réelle des principes qui la constitue. Nous ne possédons
encore que le premier volume de cet ouvrage, qui est un des livres les
plus remarquables dont l'Orient ait été l'objet depuis longues années
néanmmoins, tout incomplet qu'il est, il donne déjà la solution inat-
tendue et péremptoire d'une foule de questions d'un puissant intérêt.
Une courte analyse va faire suffisamment comprendre tout ce que sa
lecture peut apprendre et éclaircir.
Grâce au zèle et à la libéralité d'un savant naturaliste anglais,
766 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
M. Hodgson, M. Burnouf a eu à sa disposition une collection consi-
dérable de manuscrits sanscrits renfermant les livres principaux de
la religion buddhique ; c'est l'examen , l'étude approfondie de ces pré-
cieux textes qui lui a fourni le moyen et l'occasion de composer l'ou-
vrage dont nous venons de parler; c'est à force de les compulser, de
les soumettre à une comparaison attentive, qu'il est arrivé à se faire
du buddhisme une idée infiniment plus exacte que tous les orienta-
listes qui l'avaient précédé dans ce genre de travaux, et qu'il a pu opérer
entre cette religion et le brahmanisme, dont elle est issue, ce départ si
difficile et si curieux qui ne permet plus désormais la moindre con-
fusion. La méthode que l'auteur a adoptée dans la composition de son
livre, est la même que celle qu'il avait suivie dans ses études prépara-
toires; c'est en faisant analyser au lecteur les ouvrages de la collection
du Népûl, qu'il le conduit, par des résumés lumineux et substantiels,
aux idées générales qu'on doit se former des points principaux. En agis-
sant ainsi , M. E. Burnouf fait passer dans l'esprit d'autrui une con-
viction qui ne serait pas sortie peut-être d'une exposition dog-
matique, en donnant en même temps la mesure de la sévérité de sa
critique, de la sûreté de sa méthode qu'on n'eût pas autrement
soupçonnées.
Remarquons encore, avant d'entrer dans l'analyse des faits qu'il
nous fait connaître, combien l'auteur, en abordant l'étude du bud-
dhisme par le côté sanscrit, s'est placé de prime abord sur un terrain
plus sûr et plus productif que les orientalistes qui avaient avant lui
tenté l'examen de cette religion. C'est dans l'Inde qu'est né le bud-
dhisme, c'est sous l'empire des idées de ce pays qu'il s'est développé,
c'est en sanscrit ou en pâli , qu'ont été composés ses plus anciens
livres canoniques, c'était donc, ainsi que l'a fait M. Burnouf, par son
côté indien qu'il fallait commencer son étude, et non comme l'ont
fait d'autres savants , par la recherche de ses transformations dans le
Tibet, la Chine, Java ou la Mongolie, pays où les traits primitifs de
cette religion ont pu s'eflacer. Ce n'était pas dans les livres tibétains,
chinois, javanais, mongols qu'on devait puiser les faits et les idées les
plus propres à nous donner la physionomie de cette doctrine, puisque
ces livres ne sont que des traductions dans lesquelles, aux altérations
provenant nécessairement du transport d'une langue dans une autre,
viennent s'ajouter les difficultés qui naissent du sens réel de m'ots
pris dans les acceptions buddhiques ; et que de plus, il était impossible
d'arriver à les bien comprendre, sans le secours de la langue même dans
laquelle ces sens nouveaux avaient pris naissance. On voit par ces
BIBLIOGRAPHIE. 767
considérations qu'il n'y avait réellement que l'étude des livres sanscrits
ou pâlis qui put jeter de la lumière sur cette question obscure du bud-
dhisme; que, sans eux, il était impossible de sortir des difficultés aux-
quelles on était arrêté I Et cela est si vrai que, bien loin d'avoir
appuyé son livre sur les recherches antérieures d'un AbeIRémsat, d'un
Schmidt, d'un Csoma de Coros, d'un G. de Humboldt, M. E. Bur-
nouf est venu, au contraire, apportera leurs travaux si importants et
si estimables, du reste, une base qui leur manquait, un point de rallie-
ment, un moyen de contrôle qui donne une utilité nouvelle à leurs
investigations, peut-êtrejusqu'à ce jour restées un peu incohérentes;
et c'est là ce qui fait tout à la fois l'originalité, le mérite de ce livre
et la démonstration de la grande supériorité des sources auxquelles il
est composé. Loin de s'aider des travaux de ses devanciers, son auteur
n'a en quelque sorte besoin de les citer, que pour rectifier leurs erreurs,
compléter leurs idées ou en d 'montrer la justesse par des considéra-
tions que ces orientalistes n'avaient pu soupçonner. Cette remarque
fait deviner combien de faits nouveaux Y Inlrodaction à Vhislcire du
buddhisme renferme, et combien elle est loin, tant par la forme que par
le fond, d'appartenir à la nombreuse catégorie des compilations sa-
vantes chez lesquelles des faits mille fois répétés sont remis au jour
sous l'habile déguisement d'une vaste érudition : nous serions fâché
que ces observations pussent ne paraître aux yeux de quelques-uns
que des éloges, nous ne voulons nullement faire ici l'apologie d'un
savant au mérite incontesté duquel une apologie sortie de notre
bouche ne peut absolument rien ajouter : ce ne sont que des remarques
destinées à faire entrevoir au public tout ce qu'il aura à apprendre
dans la lecture de cet ouvrage.
Envisagés quant à leur forme et à la nature de leur contenu , et,
comparés à ceux qui composent la collection tibétaine analysée par
Csoma, les ouvrages de la collection du Népal peuvent être rapportés à
quatre grandes classes :Les premiers traitent de l'histoire merveilleuse
de la prédication de Çakyamuni; cène sont pas des livres méthodiques
de l'enseignement buddhique, mais des recueils de légendes dans les-
quelles sont exposés , sous la forme d'un dialogue entre Çakya et ses
disciples, les principes de la nouvelle religion ; on les nomme généra-
lement Sûtras, et leur rédaction est attribuée au dernier Buddha. Les
seconds traitent du Vinaya ou de la discipline; les troisièmes, de
l'Abhidharma ou de la métaphysique; enfin les quatrièmes , qui con-
stituent une classe réellement à part et qui sont désignés sous le nom
de Tantras, sont des espèces de rituels des pratiques civaïtes qui se
768 REVUK ARCHÉOLOGIQUE.
sont mêlées au buddhisme, et n'appartiennent plus par conséquent à
la classe des livres exclusivement buddhiques.
Les Sûtras , avons-nous dit, sont rédigés sous la forme d'un dia-
logue entre le grand réformateur et un ou plusieurs de ses disciples,
et dont le fond roule sur la morale et la philosophie. On ne retrouve
pas dans ces traités cette forme concise qui est si familière à l'en-
seignement brahmanique : aux répétitions fréquentes , aux dévelop-
pements étendus jusqu'à produire une diffusion fatigante, on recon-
naît la forme d'une véritable prédication ; on sent tout de suite la
différence qui sépare le buddhisme , religion de prosélytisme , parce
qu'elle est une religion de charité, du brahmanisme, religion exclu-
sive dont les enseignements ne s'adressent qu'à un petit nombre
d'initiés.
En soumettant les Sùtras à un examen pareil à celui qu'il avait
fait subir à tous les livres de la collection du Népal ensemble,
M. E. Burnouf saisit bientôt entre les divers traités qui portent ce
titre un caractère différent bien tranché. Les uns s'offrent à lui avec
un cachet tout particulier de simplicité dans le style, de sobriété
dans les faits énoncés ; les autres, enrichis de fables nombreuses, pré-
sentent de larges développements poétiques. De plus, dans les pre-
miers, les stances qui y sont fréquemment introduites ne se dis-
tinguent pas, quant au langage, du corps même du traité, qui est
rédigé en prose ; ces vers et cette prose sont également en sanscrit.
Dans les seconds , au contraire , les parties poétiques sont écrites en
un sanscrit presque barbare, oii paraissent confondues des formes de
tous les âges, sanscrites, pâlies et prâcrites. Notre auteur établit
par ces caractères mêmes , comment il faut en conclure que les
Sûtras, quoique tous attribués à Buddha, sont loin d'être tous de la
même date, et il nous montre clairement l'antériorité des Sûtras
simples sur les Sûtras composés , dont les parties qui portent la trace
si incontestable d'une époque moins ancienne , ont dû avoir été ré-
digées hors de l'Inde, par exemple dans les contrées situées en deçà
de rindus et dans le Kachemire.'
La seule analyse de ces Sûtras est, pour M. E. Burnouf, une
occasion d'exposer nettement tous les grands principes de la religion
buddhique, principes dont nous connaissions à peine même les plus
fondamentaux. C'est ainsi qu'il nous explique ce que nous devons
entendre au juste par ce terme si célèbre de bôdhisattva , que , dans
l'ignorance profonde où l'on a été longtemps de toutes ces matières,
l'on a été jusqu'à prendre pour un nom propre. Le bôdhisattva,
BIBLIOGRAPHIE. 769
c'est-à-dire celui qui possède l'intelligence d'un Buddha, est le titre
de l'homme que la pratique de toutes les vertus et l'exercice de la
méditation ont mûri pour Tacquisition de l'état suprême de Buddha
parfaitement accompli. Celui qui, durant plusieurs existences suc-
cessives , a mérité les faveurs des anciens Buddhas, va dans les cieux
attendre, sous le titre de bôdhisattva , le moment de sa venue dans le
monde; il redescend sur la terre et, après avoir traversé les épreuves
et accompli les devoirs les plus élevés , pénétré par la science les
vérités les plus sublimes, il devient Buddha. Alors il est capable
de délivrer les hommes des conditions de la transmigration, en leur
enseignant la charité et en leur montrant que celui qui pratique du-
rant cette vie les devoirs de la morale, et s'efforce d'arriver à la science,
peut un jour parvenir à l'état suprême de Buddha. Puis, quand il a
ainsi enseigné la loi, il entre dans le Nirvana, c'est-à-dire l'anéan-
tissement complet.
Il résulte de la définition donnée par les buddhistes du buddha et
du bôdhisattva, que ces deux êtres sacrés ne peuvent exister simulta-
nément., l'unité de Buddha formant le dogme fondamental de la re-
ligion de Çakyamuni.
M. E. Burnoufnous donne sur les plus célèbres bôdhisattvas, sur
ceux qui sont de la part des buddhistes , l'objet d'une dévotion parti-
culière, des détails qui seront recueillis avec d'autant plus d'intérêt
par le mythographe , que leur histoire constitue le côté le plus my-
thologique de cette curieuse religion. Cet examen le conduit à celui
du système des dhyâni buddhas ou bôdhisattvas surhumains , et à la
question si importante de l'Adibuddha ou Buddha primitif. M. Hodgson
avait signalé dans le Népal une école théiste, qui, au-dessus du
Buddha, véritable homme fait dieu, et admis du consentement
général , reconnaissait encore des buddhas célestes surhumains et un
Buddha primitif, Adibuddha , être qui joue exactement le même
rôle dans cette école, que Brahma, l'être absolu et impersonnel
chez les brahmanes. Cette conception , qui , si elle avait appartenu
à la donnée du buddhisme , le faisait rentrer dans la vaste classe
des religions théistes, M. E. Burnouf ne la retrouve en aucune
façon dans les Sùtras primitifs, les Sûtras simples. Il ne constate
dans ces plus anciens monuments de la doctrine de Çakyamuni, que
l'athéisme de l'école des svâbhàvikas, c'est-à-dire de ceux qui sou-
tiennent que toutes choses , les dieux comme les hommes , sont nés
de Svâbhâva ou de leur nature propre, et, en cela, ses idées sont
d'accord avec celles auxquelles l'examen des livres mongols avait
I. 50
770 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
conduit M. Schmidt. Ainsi se trouve confirmé ce fait capital, et
qu'on pourrait appeler le paradoxe religieux, une religion de cha-
rité, une religion civilisatrice, qui n a pas de dieu , qui repose sur la
parole seule d'un horame, Çakyamuni, prêchant, quoi? le néant,
Nirvana.
C'est dans les Sùtras simples que le buddhisme apparaît surtout
avec ce caractère de charité, de pureté, de mansuétude; en un
mot, avec ces caractères si chrétiens pourrions -nous dire , s'ils ne
découlaient dans la religion indienne de principes si opposés au
christianisme. Là , comme dans l'Évangile , le dogme occupe peu de
place; c'est un sage qui prêche au sein d'une sociélé corrompue des
vertus qu'enseigne la morale la plus élevée. Dans les Sûtras dév e-
loppés, la métaphysique joue un plus grand rôle, le cadre est plus
large , mais les dogmes n'y sont pas moins les mêmes ; on y retrouve
des idées semblables touchant la transmigration, les p 13 nés et les
récompenses futures. Dans les Sûtras simples, Çakyamuni s'adresse
à des brahmanes et à des marchands; dans les Sûtras développés ,
ses interlocuteurs sont des bôdhisaltvas fabuleux ; en sorte qu'on
retrou\e clairement dans ceux-ci, l'image d'une société qui a em-
brassé la religion nouvelle, chez laquelle cette religion a atteint tout
son développement , tandis que dans les premiers on ne voit encore
qu'une société à convertir; c'est une lutte religieuse entre les brah-
manes et Çakya. Celte différence vient puissamment corroborer d'un
autre côté l'antériorité des Sûtras simples à laquelle M. E. Burnouf
avait été conduit déjà par la seule comparaison des textes.
Cette question ainsi éclaircie , avec toute l'évidence qu'on peut rai-
sonnablement demander dans de pareilles matières , tranche en même
temps un des points les plus importants que l'étude du buddhisme
eût soulevé : c'est celui de l'antériorité du brahmanisme sur cette
doctrine religieuse. Maintenant que les Sûtras simples nous ont offert
Çakyamuni prêchant la foi nouvelle au sein d'un monde brahma-
nique, il n'y a plus moyen de douter que le buddhisme ne soit une
réforme de l'antique religion de Brahma. Fait capital qui n'intéres-
sera pas moins l'antiquaire que l'historien , quand il se rappellera
que les plus anciens monuments épigraphiques de l'Indosthan appar-
tiennent au buddhisme, et donnaient par là à la thèse opposée, quelque
apparence de vérité. Les inscriptions pâlies ne prouveront plus qu'une
chose, c'est que le sentiment et les procédés de l'histoire se sont pro-
duits et appliqués plus tôt chez les buddhistes que chez les brah-
manes. Et ce brahmanisme^ en face duquel se place, dès sa naissance,
BCBLfOGRAPHIE. 771
lebucldhismc, s'offre à nous avec un caractère marqué d'antiquité. Ce
n'est pas le brahmanisme des Pouranas , si riche en fictions et en
divinités , c'est un brahmanisme presque aussi primitif que celui des
Védas et dans lequel on ne voit pas apparaître, par exemple, la mo-
derne fissure de Crichna,dans lequel Indra se montre comme le grand
dieu , celui auquel s'adressent, avant tout, les adorations, de môme
que dans les compositions attribuées à Vyasa. M. E. Burnouf
a lait sortir de l'analyse des Siitras le tableau animé et attachant
des premiers temps de la religion nouvelle. Sous sa plume élégante,
sans cesser d'être aussi sévère que l'exige son sujet, revivent en
quelque sorte ces âges primitifs de l'Inde dont l'Européen se faisait
à peine une idée. Écoulons plutôt, pour nous en convaincre, le por-
trait qu'il trace du réformateur, après avoir fait passer sous les yeux
la société dans laquelle il apparaissait,
« C'est au milieu d'une société ainsi constituée que naquit, dans
une famille de Kchattriyas , celle des Çakyas de Kapilavastu, qui se
prétendait issue de l'antique race solaire de l'Inde, un jeune prince
qui, renonçant au monde à l'âge de vingt-neuf ans, se fit religieux
sous le nom de Çakyamuni, ou encore de Çramana Gâutama. Sa doc-
trine qui, selon les Sûtras, était plus morale que métaphysique, au
moins dans son principe , reposait sur une opinion admise comme un
fait et sur une espérance présentée comme une certitude. Cette opi-
nion , c'est que le monde visible est dans un perpétuel changement ;
que la mort succède à la vie et la vie à la mort; que l'homme, comme
tout ce qui l'entoure , roule dans le cercle éternel de la transmigra-
tion; qu'il passe successivement par toutes les formes de la vie, de-
puis Mes plus élémentaires jusqu'aux plus parfaites ; que la place
qu'il occupe dans la vaste échelle des êtres vivants dépend du mérite
des actions qu'il accomplit en ce monde , et qu'ainsi l'homme ver-
tueux doit, après cette vie , renaître avec un corps divin , et le cou-
pable avec un corps de damné; que les récompenses du ciel et les
punitions de l'enfer n'ont qu'une durée limitée , comme tout ce qui
est dans le monde ; que le temps épuise le mérite des actions vertueu-
ses tout de même qu'il efface la faute des mauvaises, et que la loi fa-
tale du changement ramène sur la terre et le dieu et le damné pour
les mettre de nouveau l'un et l'autre à l'épreuve , et leur faire par-
courir une suite nouvelle de transformations. L'espérance que Çakya-
muni apportait aux hommes, c'était la possibilité d'échapper à la
loi de la transmigration , en entrant dans ce qu'il appelle le Nirvana,
c'est-à-dire l'anéantissement. Le signe définitif de cet anéantissement
772 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
était la mort; mais un signe précurseur annonçait dès cette vie
l'homme prédestiné à cette suprême délivrance ; c'était la possession
d'une science illimitée qui lui donnait la vue nette du monde tel
qu'il est, c'est-à-dire la connaissance des lois physiques et morales,
et , pour tout dire en un mot , c'était la pratique des six perfections
transcendantes ; celle de l'aumône , de la morale , de la science , de
l'énergie, de la patience et de la charité. L'autorité sur laquelle le
religieux de la race de Çakya appuyait son enseignement était toute
personnelle ; elle se formait de deux éléments : l'un réel et l'autre
idéal. Le premier était la régularité et la sainteté de la conduite, dont
la chasteté, la patience et la charité formaient les traits principaux ;
le second était la prétention qu'il avait d'être Buddha , c'est-à-dire
éclairé , et comme tel de posséder une science et une puissance sur-
humaines. Avec sa puissance , il opérait des miracles ; avec sa science,
il représentait, sous une forme claire et complète, le passé et l'ave-
nir. Par là, il pouvait raconter tout ce que chaque homme avait fait
dans ses existences antérieures, et il affirmait ainsi qu'un nombre
infini d'êtres avaient jadis atteint comme lui , par la pratique des mê-
mes vertus, à la dignité de buddha, avant d'entrer dans l'anéantis-
sement complet. Il se présentait enfin aux hommes comme leur sau-
veur, et il leur promettait que sa mort n'anéantirait pas sa doctrine;
mais que cette doctrine devait durer après lui un grand nombre de
siècles, et que, quand son action salutaire aurait cessé, il viendrait
au monde un nouveau Buddha , qu'il annonçait par son nom , et
qu'avant de descendre sur la terre il avait, disent les légendes, sacré
lui-même dans le ciel , en qualité de Buddha futur. )>
Il ne faut pas croire cependant que le buddhisme vînt faire table
vase avec le brahmanisme et lui substituer un corps entier de croyan-
ces nouvelles ; bien au contraire, il admettait tout le panthéon brah-
manique , mais en le soumettant à son Buddha. Il acceptait une
grande partie des mythes de l'Inde , mais en y associant un dogme
nouveau ; il changeait leur sens ou leur enlevait plutôt leur significa-
tion et leur importance. Le buddhisme, en un mot , faisait ce qu'ont
fait toutes les religions nouvelles, qui , faute de pouvoir anéantir les
divinités anciennes, en ont fait des divinités secondaires. Dans la
religion des Ases, Thor, l'ancien grand dieu des Scandinaves , n'est
plus qu'un dieu inférieur à Odin ; pour les chrétiens , les dieux des
païens que des démons; pour les musulmans, Jésus-Christ qu'un
prophète inférieur à Mahomet. Çakya était d'ailleurs sorti de l'école
des brahmanes ; il admettait avec eux un grand nombre de points
BIBLIOGRAPHIE. 773
fondamentaux , mais il s'en séparait du moment qu'il s'agissait de
tirer les conséquences de ces vérités et de déterminer les conditions
de salut, but et efforts de l'homme, puisqu'il substituait Fanéantis-
sement et le vide au Brahma unique dans la substance duquel ses
adversaires faisaient rendre le monde et l'humanité. Çakya appelait
tous les hommes à la délivrance et il effaçait ainsi la distinction des
castes.
Nous ne pouvons suivre M. E. Burnouf dans le développement
qu'il donne à toutes ces questions, et dans lesquelles, tour à tour
historien ou traducteur, il nous fait passer sans cesse du récit à la
peinture du sujet.
C'est dans l'examen du Vinaya, ou de la discipline buddhique, que
notre auteur nous présente surtout le buddhisme sous son côté moral.
Il retrouve les règles de la vie religieuse au milieu des légendes , et il
nous les montre nées des idées les plus belles et les plus grandes que
les Orientaux se soient formé de l'hospitalité, de la charité ; il nous fait
sentir encore par ce côté nouveau la postériorité du buddhisme carac-
térisée par cette prédominance de la morale pratique sur ces spécu-
lations philosophiques, cette mythologie délirante qui occupent dans le
brahmanisme une place si exclusive. Si, en effet, dit-il , les systèmes
moraux ne sont nés qu'à la suite des systèmes ontologiques, ce qui est
établi de la manière la plus positive par l'histoire de la philosophie
grecque, le buddhisme doit nécessairement, et si l'on peut s'exprimer
ainsi, génétiquement être postérieur au brahmanisme. A cette morale
si pure est associé un culte extrêmement simple qui ennoblit l'in-
telligence, en tenant sans cesse présente à celle-ci la pensée reli-
gieuse, sans l'étouffer sous l'étreinte abrutissante de supersti-
tieuses pratiques. Les cérémonies consistent en offrandes de fleurs et
de parfums , que Ton accompagne du bruit des instruments et de la
récitation de chants et de prières pieuses. Aucune trace de sacrifices
sanglants, de l'usage du feu. Le culte, en effet, ne s'adresse pas, chez
les buddhistes, à un dieu unique ou à une foule d'êtres divins que
l'imagination du brahmane entrevoit, le premier, caché dans le monde,
les seconds, dispersés dans les éléments; il n'a que deux objets : la
représentation figurée de Çakyamuni, le fondateur de la doctrine, et
les édifices qui renferment une portion de ses os ; une image et des
reliques, voilà tout ce qu'adorent, disons plutôt ce qu'honorent les
buddhistes ; car il n'y a vraiment chez eux que ce que les chrétiens
ont appelé un culte de dalie et non ce qu'on nomme latrie; aussi,
dans le buddhisme, le culte s'appelle-t-il pûdja ou honneur, tandis
774 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
que chez les brahmanes il se nomme yadjnâ ou sacrifice. C'est dans
l'histoire de ce culte que l'antiquaire trouvera le plus de détails pro-
pres à l'intéresser ; les considérations sur l'image de Buddha , sur les
topes pu stupas, monuments destinés à renfermer les reliques des
saints et à consacrer leur mémoire : ce sont là des objets qui sont plus
particulièrement du domaine de l'archéologie. Sans doute M. E. Bur-
nouf est encore dans l'impossibilité d'éclaircir bien des points, il
manque de données suffisantes pour la solution d'une foule de ques-
tions, mais les matériaux qu'il fait connaître, les conséquences qu'il
en tire, si elles ne disent pas tout, en disent déjà beaucoup, et ga-
rantiront les futurs explorateurs de l'Indosthan d'un foule d'erreurs ,
en précisant les objets qui doivent fixer leur attention. De l'étude de
la discipline buddhique que lui fournit l'examen des avadanas ou lé-
gendes, M. E. Burnouf passe à l'analyse de X àbhidharma ou de la
métaphysique. Cette matière, qui est une de celles dans laquelle
l'auteur a le plus déployé cet esprit de pénétration qu'il possède à
un si rare degré , nous amène sur un sujet qui est peu du ressort
des travaux auxquels cette revue est consacrée. Aussi nous éten-
drons-nous moins sur cette partie du livre : disons seulement qu'au
milieu de ce savant exposé des doctrines professées par chacune
des écoles buddhiques, le scepticisme le plus profond, le nihi-
lisme le plus dogmatique se retrouve sans cesse, à travers les appa-
rences nombreuses dont il se revêt, sous les formes réelles qu'il
n'évoque que comme des fantômes pour les faire évanouir par la triste
pensée du néant. Toutes nos connaissances sont ramenées à ïavidyâ,
le non être, le non-savoir, et la doctrine de la transmigration n'est
pour le buddhisme, que l'enfantement d'un naturalisme désolant. Par
sa métaphysique, monument le plus hardi de la négation humaine,
nous dirons presque de son orgueil , puisqu'il détruit Dieu pour le
remplacer par un homme déifié, Buddha, le buddhisme se place en-
core en opposition au brahmanisme. Ce qu'il nie, c'est le dieu éternel
des brahmanes et la nature éternelle des sâmkhyas; ce qu'il admet,
c'est la multiplicité et l'individualité des âmes humaines des sâmkhyas
et la transmigration des brahmanes. Mais ces développements méta-
physiques, désolante conséquence d'une doctrine athée, exposés dans
la Pradjnâ pâramitâ et les autres ouvrages qui s'appuient sur ce re-
cueil, n'ont pris naissance qu'après que la doctrine nouvelle eut été
fondée; aussi n'en Irouve-t-on presque aucune trace dans les Sûtras
émanés de la prédication de Çakya.
Après avoir fait connaître les trois classes principales auxquelles les
BIBLIOGRAPHIE. 775
écrits buddhiques peuvent être rattachés, M. E. Buruouf passe à l'exa-
men d'une quatrième classe, lesTantras, genre de composition qui
n'offre plus, ainsi que nous l'avons fait obsever, ce caractère exclusi-
vement buddhique qui se décèle dans les classes précédentes. Dans ces
traités, le culte des dieux et des déesses bizarres et terribles du çivaïsme
s'allie au système monothéistique et aux autres développements du
buddhisme septentrional. L'étude des Tantras a donc fourni naturelle-
ment l'occasion à notre auteur de traiter le point important de l'al-
liance du buddhisme et çivaïsme. Cette question, outre l'intérêt
qu'elle a par elle-même, en présente un nouveau à l'archéologue, qui
n'a point oublié que ce sont les temples hypogées de l'Indosthan qui
nous ont offert les premiers des images figurées de cette étonnante
association.
Les Tantras réunissent pour ainsi dire tous les buddhismes repré-
sentés chacun par leurs symboles , toutes les données théologiques
associées aux spéculations métaphysiques de l'ordre le plus abstrait,
mêlées au culte idolâtre des çaktis ou énergies femelles. Il résulte
du lumineux aperçu que M. Burnouf donne des Tantras, qu'on
ne doit pas voir dans ce qui a été appelé la fusion entre le çi-
vaïsme et le buddhisme, un syncrétisme dogmatique composant une
doctrine par l'accouplement bizarre de deux systèmes disparates ; les
Tantras nous montrent seulement les pratiques propres aux ado-
rateurs de Çiva adoptées par des buddhistes , recommandées au
nom de Buddha lui-même. Il n'y a donc pas eu de fusion réelle,
mais une simple admission de certains rites çi\aïtes dans le bud-
dhisme; sans doute que le sectateur de Çakyamuni a cru à leur vertu,
par des préjugés superstitieux indépendants du buddhisme lui même;
il s'est efforcé de justifier ensuite cet emprunt fait à des croyances
étrangères, en faisant enseigner ces rites eux-mêmes par Buddha, dans
les traités nommés Tantras. Dans l'histoire de la collection du Népal
qui termine le premier volume du grand ouvrage dont nous venons d'es-
quisser les traits principaux, M. E. Burnouf a jeté les premiers fon-
dements de l'essai historique auquel doit être consacrée une partie de
son second volume, et cet essai se présentera comme conséquence
du rapprochement que l'auteur établira entre les deux collections du
Népal et de Ceylan. Déjà, en nous montrant les trois conciles qui ont
fixé la foi buddhique, en faisant voir l'extiême vraisemblance de
l'hypothèse qui rapporterait au premier concile la rédaction des Sû-
tras simples et au troisième celui des Sûtras composés , M. Burnouf
a posé les premiers jalons qui indiquent la marche qu'il se propose
776 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de suivre : les conciles s'offrent déjà à nous comme marquant les
temps primitifs du buddhisme, tandis que dans les siècles suivants
commence ce qu'on peut appeler son moyen âge.
C'est dans ce second volume, que les preuves historiques achè-
veront la démonstration que M. E. Burnouf a donnée avec un rare
talent, de l'origine toute indienne du buddhisme et de son antiquité.
On s'étonne, en lisant son livre, d'une connaissance si profonde, si
familière des langues indiennes , si familière que les matériaux qu'il
met en œuvre lui sont d'un usage aussi facile , que s'ils eussent été
écrits dans sa propre langue. Disons de plus que, par un mérite
rare dans des œuvres qui sont le fruit de l'érudition, on cherche vai-
nement dans les pages qu'il écrit, cet effort de la science que le savant
met sans cesse son orgueil à laisser sentir au lecteur, pour l'en ac-
cabler en quelque sorte. C'est que M. E. Burnouf n'a pas plaidé une
opinion, soutenu une thèse, ne s'est pas posé en champion d'un parti ;
il a mieux fait , il a simplement raconté ce qui a été , établi des faits
incontestables ; tout ce qui manque encore à son livre, c'est le second
volume qui nous le réserve ; c'est là qu'arriveront les derniers, nous
dirons presque les plus décisifs éclaircissements; c'est alors que le
buddhisme apparaîtra clairement comme né sur le sol indien et
s'étant développé sous l'influence seule des idées indiennes. Ce se-
cond volume sera désormais l'objet d'une vive attente pour ceux qui
auront lu le premier. D'ici là, historiens, archéologues, mytho-
graphes, philosophes, moralistes, trouveront dans ce que M. E. Bur-
nouf vient de donner au public, une source aussi féconde d'utiles
méditations que de conquêtes intellectuelles.
Alfred Maurv.
ÉLITE DES MONUMENTS CÉRAMOGRAPHIQUES , matériaux pour servir a l'his-
toire des religions et des mœurs de l'antiquité , expliqués et commentés par
MM. Ch. Lenormant et J. De Witte. — Paris, Leleux, in-4, tome I".
PI. XIX (1).
C'est assurément une heureuse idée que celle de réunir dans un
même livre, de format commode, tous les sujets intéressants inédits ou
connus que représentent les vases peints de l'antiquité. Cette vaste
et utile entreprise réclamait de la part des auteurs, non-seulement
(1) Celte Planche est composée de vases qui lous existent au Musée céramique de
Sèvres et les figures en sont empruntées à diverses planches du bel ouvrage, actuel-
lement sous presse , dans lequel MM. Brongniarl et Riocreux décrivent celte riche
collection.
BIBLIOGRAPHIE. 777
une érudition riche et féconde, mais encore une patience, un cou-
rage bien rares de notre temps. Pour qui ne connaît pas personnel-
lement les deux savants qui promettaient il y a quelques années d'ac-
complir cette tâche, le doute était permis, tant elle semblait rude;
mais aujourd'hui un premier volume, tout à fait conforme au plan
indiqué par le Prospectus, vient servir de réponse à qui mettrait le
succès en question. Hâtons-nous de dire que nous n'avons cessé d'ac-
compagner de tous nos vœux un travail dont le résultat immédiat est
de rendre accessible au grand nombre l'étude d'une branche extrême-
ment importante de l'archéologie. Réduire en quatre volumes in-4°
la matière de cinquante volumes grand in-folio, classer tous les sujets
dans un ordre méthodique ou rigoureux , n'est-ce pas là , quand les
auteurs n'eussent pas fait plus, un service immense rendu au public
studieux? Qui pourrait regretter l'incommensurable appareil scienti-
fique dont cet ouvrage dispense? Qui donc préférerait encombrer ses
pages de citations des cenitirages à part, impossibles à trouver, plutôt
que de faire usage d'un livre que chacun peut consulter aisément?
Nous ne pensons pas qu'il existe un seul antiquaire qui ne soit pas
de notre opinion à cet égard; il faudrait qu'il eût oublié que le pre-
mier devoir du savant est de vulgariser les moyens d'instruction, et
que c'est la seule ressource qu'il ait pour se faire pardonner l'auréole
d'ennui dont l'entoure sa spécialilé, lorsqu'il est assez malheureux
pour en avoir une.
Les auteurs de ÏÉlite des monuments céramographiques ont em-
ployé, pour désigner la forme des vases , le vocabulaire formé il y a
quinze ans par le savant Théodor Panofka, et nous déclarons tout
d'abord avec franchise que nous croyons qu'il eût été nécessaire d'éta-
blir des restrictions au système de dénomination qui a été, comme
chacun le sait, combattu avec tant de force par M. Letronne. Un
grand nombre de lecteurs de la Reçue nous ayant témoigné le désir
de trouver ici des renseignements sur l'état de la question , comme
aussi sur les différentes fabriques, nous avons réuni quelques notions
sur cette matière et nous les exposerons brièvement avant de passer
à l'examen du livre de MM. Lenormant et J. de Witte.
Fabrique phénicienne ( pi. XIX, n"' 4 et 5 ). On a longtemps
considéré comme égyptiens des vases de terre jaunâtre terne, de forme
écrasée, ornés de figures brunes ou noires, rehaussées de rouge et
de violet. Ces vases, qui se trouvent en Grèce, dans les îles de la
Méditerranée et en Étrurie, représentent soit des rangées procession-
nelles d'animaux réels ou fabuleux, soit un oiseau aux ailes im-
778 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
menses qui enveloppent pour ainsi dire toute la surface du monu-
ment , soit encore une femme tenant par le col deux oies qu'elle
paraît étrangler. L'orifice s'élargit singulièrement et rappelle le tail-
loir des colonnes de Pestum. Du reste, rien qui ressemble aux com-
positions si caractérisées de l'Egypte : point d'attributs symboliques,
point de figures d'hommes à tête d'animal ; on y remarque au contraire
des représentations d'animaux à tête humaine, combinaison vérita-
blement assiatique, dont les colosses de Persépolis et deKhorsabad,
les cylindres babyloniens et perses , l'Ecriture sainte nous ont fourni
tant d'exemples. Sur les vases dont nous parlons les hommes et les
animaux sont presque toujours ailés, et à ce trait encore on recon-
naîtra l'influence cananéenne ou arienne. Une observation fort ingé-
nieuse a été faite au sujet de ces vases par M. Raoul Rochette. Ce
savant a remarqué que tous étaient parsemés de rosaces à cinq ou
six pétales et que cette rosace se retrouve exactement semblable sur
un des deux fragments de briques émaillées rapportés des ruines de
Babylone par l'abbé de Beauchamp. Toutes ces considérations ont fait
abandonner depuis quelques années la dénomination d'égyptiens à
laquelle a succédé celle de tirrhéno -phéniciens , ou simplement />/ie-
niciens. Ces vases sont très-anciens (celui que M. Dodwell a trouvé
près de Corinthe porte une inscription dont les caractères paraissent
remontera la 50^ olimpiade (Vl^ siècle avant J. C), suivant Ottfried
Millier). On ne prétend pas dire qu'ils aient tous été fabriqués par
des ouvriers phéniciens, et celui que nous venons de citer serait la
preuve du contraire; mais ils doivent avoir été faits à l'imitation de
ceux que le commerce maritime apportait de ïyr et de Sidon , dans
les îles de la Grèce et sur les côtes de l'Italie.
Ona trouvé dans la grande Grèce, et jusqu'à Corneto, un grand
nombre de vases qui procèdent dire^ement de ceux que les Phéni-
ciens avaient mis en usage, et qui sont aux vases grecs ce qu'au
moyen âge les monuments de la sculpture du X" siècle sont aux œuvres
d'art du XllP. M. Panofka a donné le nom à'aryballos au n° 4 de
notre planche XIX, et celui de bomhylios au n** 5. M. Letronne
paraît admettre la première de ces dénominations , mais il repousse
la seconde. Nous pensons que ce vase doit être classé parmi les ala-
haslron.
Fabrique grecque (PI. XIX, n"' 2, 3, 7, 9). Le vase figuré
sous le n** 2 est essentiellement attique. On en voit plusieurs de cette
forme dans le tombeau d'enfant, découvert à Athènes, que la Revue à
publié (PI. Xï, numéro de septembre 1844 ). Souvent le fond blanc
BIBLIOGRAPHIE. 779
de la partie cylindrique est orné de dessins au trait, d'un rouge pâle
et généralement d'un grand style. M. Grasset, consul de France à
Janina, avait apporté à Paris un vase à fond blanc chargé de figures
peintes de diverses couleurs très-brillantes. Ce merveilleux monument
de la peinture antique avait été trouvé à Salamine et fut publié par
M. Raoul Rochette(l). Il a été depuis acquis parle Musée britan-
nique. C'est très-certainement une des variétés de la famille des lecy-
thus, sans que l'on puisse affirmer, ainsi que le fait observer M.Le-
tronne, que ce soit le lecylhus par excellence.
Laphiale qui vient ensuite (n° 3), est de terre brune, enduite d'une
couverte d'un noir trouble. C'est un de ces vases que l'on trouve dans
la grande Grèce, et que M. de Witte nomme vases grecs à reliefs (cat.
Dur., p. 336 ) ; en effet, divers sujets se détachent sur le fond inté-
rieur. Plusieurs pbiales représentent des courses de chars montés par
des dieux que guident des victoires et au-devant desquels volent des
figures ailées, en rapport avec le caractère de chacun d'eux. 11 y a là
entre la divinité et le génie qui plane au-dessus d'elle une connexion
qui rappelle les férouers des sculpteurs de l'Orient, êtres mystiques qui
accompagnent le roi-dieu. Dans la phiale du Musée de Sèvres nous
voyons cinq fois le soleil, dont la tête radiée est placée entre deux che-
vaux dont la disposition offre une analogie frappante avec les chapi-
teaux du tombeau bien connu de Nakschi-Roustam.
Le vase n" 7 est d'une forme très-rare (2) ; M. Panofka, qui en
connaissait un semblable dans le cabinet de M. le duc de Blacas, le
croyait unique; le premier a été, comme celui que nous venons de
citer, trouvé àÉgine; la Bibliothèque royale en possède un troisième,
rapporté de Grèce par M. le baron Rouen. Le fond jaune pâle, avec
des zones et des stries rouges et noires, distingue les vases des îles ; c'est
ainsi que la poterie de Milo, de Théra présente les mêmes ornements.
M. Panoilia regardait le vase que nous décrivons comme une thermo-
polis, c'est-à-dire un vaisseau destiné à contenir des boissons chaudes;
cette dénomination , qui n'avait alors pour base que la présence du
couvercle, pouvait alors ne pas paraître bien certaine. Aujourd'hui
nous pensons avoir pour l'adopter la raison que voici :
Suivant Athénée ( XI, 783 ), ïanaphœa était chez les Cretois une
(1) Peintures antiques inédites , p. 415, PI. VIII , IX , X et XI.
(2) Les poteries d'Égine étaient réputées pour leur légèreté; ce vase est d'une
Onesse remarquable. Il est fait d'une terre en grande partie composée de carapaces
ou lest siliceux d'animaux raiscroscopiques infusoires. Brongniart, Traité des Arts
céramiques, 1. 1 , p. 576.
780 RKVUE ARCHÉOLOGIQUE.
thermopolis : Àuacfoâoc -h Bepfj.onorlç Tiapà Kpyjdiv. Or, les monnaies
d'Anaphé, petite île de la mer Egée, voisine de Crète, ont pour type un
vase que le savant Célestino Cuvedoni n'a pas hésité à regarder comme
yanaphœa(i),\o'ici tout au moins une variété de thermopotis qui nous
est connue, et nous devons dire qu'elle ressemble beaucoup à notre
vase n° 7, excepté que les anses sont placées dans le sens horizontal.
On rencontre assez fréquemment dans les îles de petits fourneaux de
terre jaune décorés de méandres, de stries, de zones brunes et rouges
et sur lesquels les vases de l'espèce que je viens de décrire s'ajustent
d'une façon qui ne saurait être l'effet du hasard; cette circonstance,
jointe à l'argument que nous tirons de la monnaie d'Anaphé et qui
nous paraît très-concluant , nous porte à admettre , dans la no-
menclature céramique applicable , la thermopotis ou vase à boisson
chaude.
Nous voici enfin arrivé à la description d'un de ces vases classiques
à fond noir brillant et à figures rouges, quç l'on a longtemps confon-
dus avec les vases étrusques (2). Le n° 9 est de fabrique agrigentine,
c'est le vaso a colonnette de la grande Grèce. Le nom de Kélehé par
lequel on le désigne, est, comme l'a démontré M. Letronne,tout à fait
impropre et peut s'appliquer à des vaisseaux de formes très-éloignées
de celle que nous avons sous les yeux, et qui rentre bien plutôt dans
le genre cratères, car ce dernier terme nous paraît en général em-
ployé pour indiquer les vases de grande dimension.
Les vases à colonneltes, qui se recommandent surtout pour leur
belle fabrique et leur grand style, ne nous ont, pour la plupart, con-
servé que des scènes assez peu instructives. Sur celui-ci on voit un
éphèbe nu qui s'apprête à assommer d'un coup de massue un tau-
reau qu'il a saisi par les cornes; devant lui, une femme, vêtue d'une
tunique talaire et d'un péplum, court en retournant la tête; elle tient
dans la main gauche une pierre ou des crotales. On peut voir dans
cette composition Thésée qui se prépare à immoler en l'honneur
d'Apollon delphinien le taureau de Marathon, qu'il vient de dompter,
ou un sacrifice à Bacchus du taureau dionysiaque, précédé par une
ménade.
Une autre classe de vases, que l'on trouve très-nombreux dans les
sépultures de Nola, présente plusieurs points de ressemblance avec
les amphores d'Agrigente. C'est le même vernis luisant, la même
(J) Spicilego numismalico, p. 115.
(2) Voyez Revue , numéro de mai 1844 , p. 82.
BIBLIOGRAPHIE. 781
élégance dans les formes. Les sujets que représentent ces monu-
ments sont le plus souvent bachiques ou erotiques; mais ils con-
servent ordinairement une certaine majesté qui leur donne un cou-
vert hiératique. On a recueilli aussi à Nola une quantité considérable
de poteries de toutes formes et de toutes grandeurs, entièrement
noires, dont le galbe toujours très-pur est remarquable par son hel-
lénisme.
Fabrique étrusque (PI. XIX , n°' 6, 8 et 11 ). M. Lenormant
a fait voir dans ce journal (1) que si l'on ne doit pas appeler étrusques
tous les vases qui se découvrent en Toscane, il fallait réserver ce
nom à quelques monuments céramiques contemporains de la prépon-
dérance tyrrhénienne en Italie. C'est à Chiusi que l'on a formé les
plus belles collections de vases de ce genre , dont le n° 6 est un échan-
tillon. L'argile qui le compose est noire à l'intérieur comme à l'ex-
térieur; la coupe, très-épaisse et par conséquent fort lourde, est
ornée de bas-reliefs imprimés à l'aide d'un cylindre dont le roulement
reproduit plusieurs fois la même scène. Les sujets empreints sur les
vases de Chiusi sont tout à fait orientaux, et l'on se souvient, en
les voyant , de ces cylindres de pierre dure que l'on rapporte des
environs de Babylone et de Ninive.
Nous avons vu à Albano , chez un maître d'école , une prodigieuse
quantité de poteries noires, trouvées près du lac, au fond d'une tour-
bière. Ces monuments, de l'avis des plus savants antiquaires, re-
montent à l'époque la plus reculée de l'histoire italiote. M. de Witte
a déjà fait mention {Revue, p. 309) des cabanes funéraires qui fai-
saient partie de la découverte dont nous parlons. Ce sont de petites
maisons de terre cuite noire, d'environ trente centimètres de long sur
vingt de large. Ces édifices en miniature contiennent des cendres et
des ossements calcinés.
Il semble que les Tyrrhéniens , lorsqu'ils s'établirent en Italie ,
aient continué la fabrication en usage chez les Aborigènes, en amé-
liorant l'art de la cuisson et en introduisant le vernis et l'emploi du
cylindre pour décorer les surfaces planes. On a donné à la coupe
étrusque qui est figurée dans notre planche le nom à'holcion , OAxsîov
ou OAxtoy, qui n'a pu se faire accepter parla science. En effet, à part
l'incertitude qui règne sur la forme de l'hoîcion , en ne consultant
que le texte des auteurs qui le citent, ne doit-on pas hésiter à pro-
poser un terme grec pour exprimer le nom d'un ustensile purement
étrusque ?
(1) Revue, p. 82.
782 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Le vase n" 8 provient des fouilles de Vulci; c'est le produit d'un
art d'imitation qui puise ses inspirations dans l'hellénisme. Ce qui
appartient presque exclusivement à la localité, c'est le grand œil qui
se voit sur tant d'autres monuments découverts dans le même lieu.
Nous avons expliqué ailleurs (l) les raisons qui nous font considérer
cette représentation comme un symbole funéraire. Son intime asso-
ciation avec \e gorgoniiim, qui orne presque toujours le fond des coupes
sur lesquelles ce type existe, association qui devient encore plus évi-
dente sur le vase de M. le colonel W.-M. Leake, qui nous montre
\e gorgoniam servant de prunelle à quatre grands yeux , nous a fait
croire que l'intention des artistes de Vulci avait été de figurer une
Kopvj mystique. Suivant Plutarque, la mort est, dans la lune , sou-
mise à Proserpine (Kopyj) : Sâi^ûCToç ^'èv rn ael-riv/} tyiç Uep^re-'
(foV/jç (2). Je ne reviendrai pas sur l'assimilation de la lune au gor-
gonium , question si bien Iraiiée par M. le ducde Luynes, et je me
bornerai à répéter que j'attribue la présence de l'œil sur des vases
placés dans des tombeaux, à la môme intention quia fait sculpter l'en-
lèvement de Proserpine sur des sarcophages.
Au reste, dans un bas-relief sculpté sur un tombeau étrusque, on
remarque un génie infernal, sur l'aile duquel est tracé un œil sem-
blable à ceux des vases peints (3).
La tasse de Vulci ( n° 8 } est , suivant M. Ed. Gerhard , une cyathis,
et M. Letronne s'oppose à l'emploi de cette dénomination. La hau-
teur de l'anse nous fait croire que cette tasse servait à puiser un li-
quide contenu dans un vase plus grand, action exprimée par les
verbes a^uw, «cpucrdo) (4), d'où le substantif ««purtç , vase à puiser.
Quoique ce mot ne se trouve pas dans les lexiques , nous n'en croyons
pas moins qu'il ait dû exister; car sur les monnaies de la ville d'Aphy-
tis de Macédoine, nous voyons un canthare à anses élevées qui nous
paraît merveilleusement propre à l'usage qu'exprime le nom de la
ville. Si nous ne craignions d'être suspecté de partialité, nous dirions
que la numismatique otfre à notre sens pour la recherche du nom
des vases , un secours puissant auquel on aurait dû plus tôt recourir.
Ainsi, lorsque l'on voit sur les monnaies de Thasos et de Chios des
amphores parfaitement semblables, que M. Cavedoni rapproche avec
sa critique habituelle du passage de Strabon ; Kepajuiov rs ^dciov xat
(1) Revue JYumismalique , 1843, p. 421.
(2) De facie in orbe lunœ, cap. XXVII.
(3) Micali , Monum. per Serv. alla stor.'degli ant. pop, PI. CV.
(4) Odyss, XXIII, 305.
BIBLIOGRAPHIE. 783
Xiov, on aurait pu faire intervenir ces types pour fournir la forme
que les lexicographes ne décrivent pas. Photius a dit : Srapyia, rà
9cx(7ix y,ep!xij.ix, et dans Hésychius le •Stamnion est donné comme
synonyme du Kdcroç; Horace (III, Od. 19, 5), à son tour parle du
Cadus Chias. D'après cela n'est-il pas permis d'induire que les monu-
ments numismatiques de Thasos et de Chios nous ont conservé la
figure du Stamnos? Or cette forme est précisément celle du vase à
vin qui se découvre dans les caves de Pompéi et de toutes les villes
antiques dont on déblaye les substruclions. C'est ainsi encore, que la
forme particulière de ï amphore de Corcyre, nous semble très-claire-
ment illustrée par la monnaie de celte île représentant un satyre
versant du vin d'un diota dans un autre. [Eclikel, t. II, p. 180.)
On voit dans la Planche XIX (n° 11), un vase étrusque, c'est-à-
dire fabriqué en Étrurie, à l'imitation des produits de l'art grec.
Celui-ci est YAmphore bachique de Canino. Le combat qu'il repré-
sente est une de ces scènes homériques que les peintres et les sculp-
teurs de l'antiquité se plaisaient à multiplier. Les vases de cette
espèce ne sont pas aussi anciens qu'on pourrait le supposer; la
forme des armes , les figures noires sur fond jaune, l'emploi du blanc
pour teinter les chairs de femmes, sont des traits d'archaïsme aux-
quels il ne faut pas se méprendre.
Fabrique de la Basilicate (PI. XIX, n°* 1 et 10). Rien de
plus varié que la forme et les ornements qui rendent les vases de
cette partie de l'Italie si remarquables. Leurs dinrensions extraordi-
naires semblent défier les efforts des imitateurs modernes. Le vernis
en est toujours noir; les personnages et les ornements rouges ou jaunes
avec des retouches épaisses rouges, blanches, violettes, jaune clair
et quelquefois même dorées. Le dessin des figures est souvent détes-
table et toujours maniéré. Les compositions qui décorent ces vases,
principalement les plus grands, sont empruntées soit au théâtre, soit
à un système d'initiations des plus compliqués, dans lequel l'herma-
phroditisme joue un rôle important. Toutes les scènes peuvent être
ramenées à un sens funéraire. Ces monuments considérés absolument
tendraient à déplacer singulièrement certaines données mythologiques.
11 serait peut-être utile de restreindre délicatement les inductions aux-
quelles ils conduisent, en leur assignant, dans l'histoire des croyances
grecques et latines, une valeur à peu près égale à celle que l'on ac-
corde sans hésiter aux symboles gnostiques dans l'étude des théologies
égyptienne et chrétienne. Le n° 1 montre une tête de Vénus, abrégé
de la déesse qui est placée près d'un cippe ou d'un édicule funèbres,
784 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sur tant d'autres vases de la môme provenance. Le n** 10, qui appar-
tient au ^enre lécythus, représente une femme portant un plat (phiale)
chargé d'offrandes destinées aux morts, sujet qui se répète de cent
manières, et qui n'offre qu'un faible degré d'intérêt.
Dans un prochain article nous exposerons le système de classiGca-
tion adopté par les auteurs de Y Élite des monuments céramographiques,
A. L,
]¥OUVEliliES PlJBl<ICATIO^!» ARCHKOIiOaiQUEII.
ITALIE.
Açellino {F. M,) : Notizia di un busto di Demostene, con greca
epigrafe. Napoli, 1843. 4.
Betti(F.) : Catalogo délia collezione di piètre usate dagli antichi
per construire ed adornare le loro fabbriche gia di uno advocalo, ora
posseduta dal conte S, Karolisi. Roma, 1842. 8.
Campana (P.) : Di due sepolcri romani del secolo d'Augusto.
Roma, 1842.
Capranesi : Description des sculptures anciennes qui existent dans
la galerie de la villa de S. E. M, le prince Antoine Buoncompagni-
Ludovisi. Rome, 184-^. 8.
Cavedoni [C.) : Indicazione antiquaria dei monumenti principali
del Museo Eslenzea Cataio. Modena, 1842. 8.
— Osservazioni sopra un sepolcro scoperto nella collina Modenese.
Modena, 1843.
FiorelU : Osservazioni sopra talune monete rare di città greche.
Napoli, 1343. 4.
Guarini (Raim.) : Fasti Duumvirali ed Annali délia colonia di
Pompei. Napoli, 1842. 8.
Micali (Gius.): Monumenti inediti ad illustrazione délia storiadegli
antichi popoli italiani. Firenze. In-fol.
Minemni (Giulio) : 11 mito di Ercole e di Jule illustrato cogli an-
tichi scrittori e coi monumenti. Memoria lettaall' AcademiaErcolanese
neir anno 1840. Napoli, 1842.
Musei Etrusci quod Gregorius XVI, pont, max., in aedibus Vati-
canis constituit monumenta linearis picturae, exemplis expressa et in
utilitatem studiosorum antiquitatum et bonarum artium publici juris
facta. Pars i, ii, ex sedibus Valicanis, 1842.
LETTRE A M. LETRONNE
SUR LES
ACTES D'ADORATION, OU PROSCYIVÈIES ,
REDIGES
m LANGUE ÉGYPTIENNE ET TRACÉS EN ÉCRITURE DÉMOTIQUE.
(Suite,)
Je passe actuellement à la seconde phrase formulaire que présen-
tent les proscynèmes démotiques rapportés par Nestor L'Hôte, et j'es-
père cette fois arriver à une connaissance plus intime du sens qu'elle
comporte.
Cette seconde formule se présente avec les variantes suivantes
(PI. VII, A.).
En étudiant ces variantes, nous remarquons d'abord que tous
nos proscynèmes, à une seule exception près, se terminent par
une expression que nous fournit le texte démotique du décret
de Rosette , et dont le sens est bien déterminé ; elle se com-
pose des deux mots aj2>. !^E^E, jusqu'à lapermanence, jusquà
Véternitë, à toujours. Ici, l'orthographe démotique de cette expression
est double; ainsi nous trouvons deux formes distinctes de la lettre
cheï; et le mot cjje du décret de Rosette s'écrit uniformément
OjZs, ou ojo, dans nos proscynèmes d'el-Hammamat et de Philes.
Le texte des n"' 9, 7,4, 2, nous donne l'expression ojXs y^c, au
lieu de OJZ. '^'^, En copte, r^XCE, :i^XCX , ^i^OCE, ^1>G ^
signifie, eleçare, exaltare, seseefferre; le substantif î:^SCE; î^5Cî ,
signifie altitudo, suhlimitas, altum, d'oii TT1K5CE îiîV^OO'*^, Ion-
gœvilasy ETT'^XCE» superius, JULTT!^iCE, supra, etc. Comme il
y a une liaison assez apparente entre ces différentes idées et l'idée de
durée, de permanence, d'éternité, il n'y a rien de bien étonnant à ce
que nous rencontrions cette expression à la place de l'expression plus
ordinaire ojXn 5$ete, dont la forme hiéroglyphique est cg^S-
I. M
786 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
!^^U OU ajXs^^T^p Nous pouvons donc, quelle que soit l'expres-
sion employée, traduire le double groupe final de tous nos pros-
cynèmes, par les mots français à toujours, sans craindre de nous
tromper.
Voyons maintenant ce que nous fournit l'analyse des autres mots
qui composent la seconde phrase formulaire. De l'étude comparative
des variantes de cette phrase, il résulte que le mot initial se pré-
sente deux fois sous la forme (PI. VII, 1) (1 et 2); une fois sous la
forme V\. VII, 2) (7) , deux fois sous la forme (PI. VII, 3) (4 et 8),
et enfin deux fois sous la forme (PI. VII, 4) (6 et 10).
L'étude du texte démolique du décret de Rosette nous démontre que
les verbes prenaient en suffixe le pronom personnel faisant fonction de
sujet , de telle sorte que si le mot (PI. VII, 3) représente un verbe, et
le signe (PI. VII, 5), le pronom personnel de la troisième personne, le
mot (PI. VII, l), peut être la troisième personne du singulier du pré-
térit de ce verbe. Par suite de la même règle grammaticale, la forme
(PI. VII, 2), que nousdonne le texte n** 7, est celle de la première per-
sonne du singulier du prétérit. En effet, on sait que le q et le T,
sont encore en copte des pronoms suffixes de la troisième et de la pre-
mière personne. La forme (PI. VII, 3), dépourvue de pronom suffixe,
est encore la troisième personne du singulier du prétérit, mais qui
cette fois, si la règle est vraie, doit comporter un sujet exprimé et
écrit en toutes lettres. Quant à la dernière forme, elle n'est pas en-
core suffisamment déterminée parce qu'elle ne se rencontre que dans
deux proscynèmes, dont l'un est presque entièrement illisible; le pre-
mier signe d'ailleurs est un fois l'article singulier masculin, et
semble une autre fois être la lettre a, image d'un radical ayant la
signification faire, accomplir. Il faut donc attendre que de nouveaux
textes à comparer npus permettent de raisonner sur une forme bien
nette et bien précise. Nous verrons , en poursuivant notre analyse , si
le contexte des proscynèmes étudiés s'accorde avec les indications
que nous fournit la règle grammaticale que je crois avoir entrevue,
et que je viens de rappeler.
Cherchons ce que peut signifier le mot (PI. VII, 3). Les deux lettres
qui le composent nous sont connues, ce sont un t et un r. Nous
avons donc un mot t f, dont il s'agit de trouver l'analogue en copte.
Remarquons d'abord que le t est surmonté d'une petite barre qui
très-certainement n'a pas été mise là sans dessein. Comme il est assez
raisonnable d'admettre que la barre qui surmonte les lettres de l'ai-
ACTES D'ADORATION, OU PROSCYNÈMES. 787
phabet copte moderne, dans certains cas déterminés, et qui n'a pas
été empruntée à l'écriture grecque, n'a pas eu d'autre but et d'autre
origine que la petite barre employée de tout temps dans l'alphabet
démotique, on peut supposer que sa présence indique ici que le T
qui en est surmonté doit, comme en copte, être affecté d'une voyelle à
placer avant le t ou avant le f. Ceci posé, et abstraction faite
de la voyelle indiquée par la barre, nous avons à chercher l'analogue
copte d'un mot T F ou tb, parce que le q démotiq^e représente
aussi bien un b qu'un f.
Deux mots coptes composés de ces mêmes articulations essentielles
nous offrent des sens convenables. Ce sont :
1" a\T^c|) 5 OTTT , ferre, portare ( PI. VII, 6), des textes sacrés,
dans lesquels il signifie constamment offrir^ donner, présenter, ou
offrande, don, présent.
2° Ta\^, nro£i; "TaimÊLE, "TOOÊiB, ^a\ÊE, reddere,
sohere, exsohere, retribuere, rependere. Nous pouvons choisir entre
ces deux mots, et traduire, dans le premier cas, par II a offert, il
a présenté; » dans le second cas, par // a acquitté, rendu, payé.
Le régime constant de ce verbe nous est donné par un mot dont le
tracé présente plusieurs variantes. C'est le mot (PI. VII, 7), que nous
trouvons écrit ainsi simplement dans le texte 7, tandis que les textes
1,3,4,6, nous l'offrent compliqué d'un signe (PI. VII, 8), et enfin le texte
8, sous la même forme , mais suivi de deux signes de plus (PI. VII, 9).
Les lettres essentielles qui constituent la première variante se lisent
Ojcg. La seconde forme comporte un signe final qui n'est pas une
lettre démotique connue dans les anciens textes , mais qui se trouve
fréquemment employé dans le manuscrit de Leyde , oii il est une
fois (colonne ix, ligne 9), transcrit HX. Malheureusement cette tran-
scription ne me paraît pas parfaitement sûre. Je n'hésite donc pas à
déclarer que j'ignore encore la consonnance qui appartient à ce signe,
si toutefois il en comporte une, puisqu'il manque une fois. La der-
nière forme extraite du texte rf 8 est munie du caraâtère final im-
prononçable (PI. VII, 10) précédé d'un i, et du signe mdéterminé en
question, mais qui cette fois se rapproche d'une manière frappante du
signe qui dans les noms propres représente le radical OJE, fils. Si
cette hypothèse était juste, nous aurions dans ce cas le mot
Cherchons maintenant ce que peut signifier ce mot. En copte,
788 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cgo'^ojo'îf veut dire laudare, laus, gloria; mais ce qui vaut mieux
encore, ajaiO'^fajX, et UjO'^cyaiO'^cgx, veut dire «am^cium ,
d'où cyoxojo'îfajs , adorare, Tipoaxvveiv , ojO'îfcyXs'^ajx ,
sacrificmm, holocaustum, EpojaïOnfOjx, et Epcyo'^Oja^O'^ajx,
sacra facere, sacrificare, et enfin JUiisitEpajaiO'ï^ajx, et
AJ-x.nEpojo'îfajaiO'^ajx, altare, ecclesia.
Il y a, je crois, peu de témérité à voir dans le mot ojmO'^ajs
l'analogue du mot égyptien que je viens d'isoler pour l'étudier. Je
n'hésite donc pas à traduire les premiers mots de la phrase formulaire
dont je m'occupe par : « Il a offert son adoration ; » ou par : « Il a
payé, il a acquitté son adoration;» expression en tout semblable à
notre expression française : Rendre hommage,
11 est inutile , je pense , de faire observer la structure du mot
ojajcys , extrait du texte n° 8 , et la parfaite identité qui existerait
entre le copte OjovojaiO'îfajï et le mot égyptien, s'il était lu
d'une manière certaine.
Je passe actuellement au mot qui suit ceux que je viens d'analyser.
Ce mot se lit sept fois xyi>^, et une fois seulement ^l>^ (texte 1).
Sa signification nous est fournie par les contrats et par le décret de
Rosette , dans lesquels le titre Athlophore est rendu par les mots
(PI. VII, 11) qEXHE pmsp XtmKmoj ^5.^, suivis d'un
Tiom royal. Une analyse tout au moins bien probable démontre que
ces mots égyptiens signifient littéralement : « Celui qui porte le fouet
de la puissance devant, etc. » Le copte a conservé ce mot dans le
thébain ^z>^ , duquel Peyron dit: Incertam, fartasse est mem-
phuicum xxo^, aspectus; âxâxi>^ notât datimm, quasi con-
spectal. Ce savant grammairien donne alors les exemples suivants, qui
ont une liaison fort intime avec la phrase même que je cherche à ex-
pliquer : z^q-r^KAcq E^pM î\6l\x?; J^JW-i.^ TT-^OEÏC
oblulit eiim holocaustum..,. Domino. Z>x^l>.?\OOX E>p2^.\,..
M 5 î\\/\ x^MXi>^ TT^OEX C , obti^lerunt eum holocaustum Domino .
^'^ESpE îV^EX^é^XxA. . . , JU.JW-2>> IT'^OEXC, fecerant holo-
causta,.. Domino. Probablement notre mot égyptien (PI. Vil, 12) et
le copte thébain axz»^ sont identiques.
ACTES D'ADORATtON, OU PROSCYNÈMES. 789
Mais comment se fait-il qu'une fois, au lieu de jw-S.^ , nous lisions
^^è ' ^* ^^ ^^^ "^^^ P^^ composé d'une préposition Jtf.,qui peut se
changer sans inconvénient en K, et d'un radical 5-^ (PI. VII,
13)? Nous connaissons très-bien déjà sous cette même forme le
substantif qui représente l'idée, la vie, et qui est identique avec le
copte 2»>E, ayant la même signification. Quelle liaison peut-il
exister entre les mots dans, ou à la vie, et une particule caractéristique
du datif? A cela je répondrai que i>^z> veut dire non-seulement
vita et vivere, mais encore stare, sistere se, manere; de sorte que
jul2>.>E et î^2>^>E , signifient réellement dans la station, à la sta-
tion, pour au point où se tient, où demeure; avec ce second sens
du mot Z>>E, notre expression égyptienne devient juste, l'origine
de l'expression copte s'éclaircit, et la règle de la persistance de
l'orthographe démotique se vérifie. En résumé, notre mot signifie
certainement, au point où se tient, ou en présence, pour deçant, et
nous avons reconnu l'expression de l'idée : « Il a offert son adoration
à; » ou, c( il s'est acquitté de son adoration, en présence de, etc. » Il
est clair maintenant que si cette traduction est légitime, nous devons
immédiatement après le mot ju.2>. s^ trouver le nom de la divinité
à laquelle le proscynème est adressé. Or, c'est précisément ce qui
arrive avec une régularité parfaite. Notre mot égyptien xxi>S>^
(PI. VII, 1 2) paraît dans huit des dix proscynèmes recueillis par Nestor
L'Hôte, et les huit fois, sans exception, il est suivi de la sigle divine
dont je me suis occupé plus haut, et qui s'applique à Ammon géfié-
rateur Inutile de revenir ici sur la composition de cette sigle dont
la signification nous est bien connue, sans qu'il soit possible d'émettre
autre chose que des hypothèses plus ou moins probables sur sa pro-
nonciation.
Passons à l'analyse des groupes qui séparent ce nom divin de l'ex-
pression déjà expliquée (PI. VII, 14), ojXn !^e^E, à toujours.
Dans le proscynème n** 1 , aussitôt après la sigle d'Aramon créateur,
vient un groupe qui est parfaitement déterminé, parce qu'il se ren-
contre à chaque instant dans le décret de Rosette et dans les contrats.
C'est le groupe Dieux, au pluriel; il est suivi d'un groupe dont je ne
me rends pas compte , mais qui , je le suppose, forme avec le précé-
dent une expression analogue à celle de ôzolc (jvvvocoiç^ que nous
790 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
oflrent parfois les proscynèraes grecs. Peut-être l'expression égyp-
tienne s'éclaircira-t-elle plus tard, quand de nouveaux textes seront"
venus à notre secours.
Les différentes expressions intercalaires en question (PL VII , b)
se lisent :
N° 3, irav Ti'^roE ou imo'^E.
N° 4, nm TTTro-^E.
N'' 7, irav, suivi de l'indice.
N» 8, Tîm TTTO'^E.
L'article singulier masculin n'est pas méconnaissable dans ces di-
verses expressions ; nous avons donc certainement deux mots distincts
à étudier séparément : cxv, et T^c^^E, lesquels d'ailleurs sont sé-
parés à dessein, dans le texte 3, par une petitebarre faisant fonction de
signe de ponctuation. a\, a\av, ainsi que nous l'avons déjà vu,
signifie : concevoir, produire; conception, production, c'est donc le
créateur, le producteur que signifie ce mot muni de l'article. Remar-
quons en passant que cette interprétation du groupe (PI. VII, 15)
tend à prouver que c'est bien le sens de faire qu'il faut appliquer au
radical (PL VII, 16), quand il précède le mot (PL VII, 13) dans les
invocations initiales des textes 9 et 2.
Quant au mot nrOE , TO'^^E , c'est le copta ts.'^e , T5.Y0 ,
nfO'îfOj TîxO'^X»., ^Xl>^O^Z, "^z^o^OfProdiicere, emittere, à
propos duquel Peyron dit : Componitur a nr, dare et c^^CLV, germen,
quasi germen emittere. Il serait difficile, je crois, de trouver un verbe
qui fût en relation plus directe avec l'attribut -caractéristique de
l'Ammon générateur.
Maintenant que nous sommes arrivés à l'analyse complète de la
deuxième phrase formulaire des proscynèmes, nous devons aborder
franchement ces textes démotiques, et nous efforcer de les éclaicir
par eux-mêmes; car le précieux secours de la comparaison nous
échappe. En opérant ainsi , on peut bien espérer sans doute de faire
quelques pas de plus en avant; mais on ne doit pas se flatter d'arriver
à l'intelligence parfaite des textes en si petit nombre que nous
avons sous les yeux. J'espère donc, moucher Confrère, que vous
voudrez bien me tenir compte de mes efforts, en perdant de vue la
médiocrité des résultats auxquels je vais parvenir.
ou PROSCYNÈMES. 791
Puisque rien ne peut plus éclairer notre nnarche, il n'y a plus de
raison pour intervertir l'ordre que j'ai assigné aux monuments qu'il
s'agit d'expliquer; je vais donc commencer par le proscynème d'el-
Hammamat, dont le texte porte le n° 1 ; et quand j'en aurai tiré
toute la lumière qu'il m'est permis d'en tirer, je passerai au second,
et ainsi de suite.
El'Hammamat ( route de Qossejr), n° 1.
Le texte de ce proscynème débute par un groupe (PI. VII, 17)
dans lequel il. est impossible de ne pas reconnaître sur-le-champ une
date d'année, comme en contiennent tous les contrats démotiques et
le décret de Rosette lui-même. Il suffit d'ouvrir le savant livre de
Kosegarten pour s'en assurer. En effet, tous les protocoles des
contrats commencent par un groupe non phonétique (PI. VII, 18),
suivi d'un chiffre, comme cela se présente dans notre proscynème.
Je traduis donc, sans crainte de me tromper, le premier groupe par
Vannée^ Quant au chiffre représenté par les deux signes superposés
(PI. VII, 19), il se lit 26, ainsi que le constate le tableau rédigé
par Young et publié depuis sa mort.
La date du proscynème n° 1 est donc l'année 26 ; vient ensuite
la particule de flexion — , k ; puis le mot JUL2s^a\2>.p, Roi, et le
nom propre TTTpo^W-EXC n TTTpO^ESC. Ces noms, qui ne
sont pas accompagnés cette fois des rudiments du cartouche royal,
sont suivis d'un groupe (PI. VII, 20) se transcrivant immédiatement
NTF, ou NTB R. 3 (plus) 1 ; c'cst évidemment là la date du jour;
TF ou TB , c'est le mois de tôby , u c'est le mot ra , soleil pour
jour, et les deux chiffres juxtaposés 3 et 1 nous donnent le nombre 4.
Nous avons donc en définitive pour le commencement de notre pros-
cynème: c( L'an 26 du Roi Ptolémée fils de Ptolémée, de tôby le 4.)) Je
n'ai pas connaissance d'une seule autre date égyptienne où le nom du
mois soit écrit en toutes lettres, les mois étant d'ordinaire désignés
par un chiffre d'ordre et le nom de la tétraménie à laquelle ils appar-
tenaient. Je crois ne pas me tromper en voyant dans l'ensemble des
douze signes qui suivent cette date le nom propre de l'auteur du
proscynème et celui de son père, liés entre eux, comme plus haut les
deux noms Ptolémée, par la simple particule de flexion, faisant cette
fois fonction de l'indice de filiation. Ici l'embarras devient très- grand
pour quiconque veut essayer de transcrire ce texte. En effet, les
792 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
noms propres démotiques sont presque toujours plus que difficiles à
prononcer et même à comprendre; et sans les nombreuses transcrip-
tions des noms de ce genre obtenues par l'heureuse rencontre des an-
tigraphes grecs de certains contrats démotiques, nous serions, pour
les noms les mieux connus aujourd'hui, réduits encore à exprimer la
même incertitude que lorsqu'il s'agit de noms s'oiTrant à nous pour la
première fois. Je n'hésite donc pas à déclarer franchement que la
lecture des noms propres démotiques est infiniment plus difficile que
celle des mots d'un texte courant, parce que ces noms, presque tou-
jours munis d'une signification religieuse, comportent une foule de
sigles conventionnelles dont il serait ridicule de chercher a priori
le sens et la prononciation. Il faut donc se contenter le plus souvent
de reconnaître dans ces noms propres quelques-unes des parties qui
les composent.
Ici le premier nom , c'est-à-dire le nom de l'auteur du pros-
cynème, se compose des six signes (PI. VII, 21), dans lesquels
je crois reconnaître d'abord le symbole Dieu, puis le mot ITCJJE
le fils, et enfin la sigie connue du nom divin Ammon; nous aurions ainsi
le nom '^HpTTajEnSy.Jm-OX^jTerpsenammon, le Dieu fils d Ammon
Je le répète, je ne prétends en aucune façon donner cette lecture
pour certaine; c'est un essai que je propose, rien de plus. Quant au
nom du père, il est composé de signes mal définis (PI. Vil, 22),
et je n'en devine pas la consonnance : ce nom commence bien par la
lettre a , e ou i que semblent suivre un m et un i , puis la sigle
de Rè, ce qui donnerait ejule, \JUle, îjulS, la science, ne de Rè.
Mais cette explication est par trop douteuse pour que j'y tienne
en aucune façon.
Les caractères qui suivent ces noms propres sont les suivants
(PI. VII, 23).
Leur transcription en lettres coptes nous donne OTît ^ïï -W-
UUTî. En effet, les cinq premiers signes ont des valeurs indubita-
bles et bien déterminées ; le sixième, qui offre une analogie frappante
avec le chiffre démotique 7, reconnu et publié par Young, ne peut
guère avoir ici cette valeur ; et s'il en est ainsi , il devient probable
que ce signe constitue une ligature des deux caractères distincts
(PI. Vil , 24), dont le premier est l'article pluriel et le second la particule
de flexion; les deux derniers sont de transcription certaine. Or, si
nous coupons cet ensemble de lettres de la manière suivante :
ACTES D'ADORATION , OU PROSCYNÈMES. 793
Onrit HTK JULUnnri , nous pouvons en trouver le sens. En efl'et,
le premier mot est comparable au copte O'^aiTU E^O?^, lihare ,
effundere, libatio; TH est le copte "T^K , ihi, illic, illo in loco ; jw.
esl la préposition in ; et le groupe rt w^S , si nous en détachons les si-
gnes caractéristiques du pluriel (PI. VII, 25), nous fournit un mot
(PL VII, 26), composé de la particule k et du radical t , faire ac-
complir.
En conséquence je traduirais ce passage ainsi qu'il suit : «A fait des
libations en ce lieu, comme elles doivent être accomplies (littérale-
ment : dans les choses à accomplir). »
Le sens que je donne au mot JU.nuTî est , en quelque sorte ,
justifié par l'existence des composés analogues que j'extrais du décret
,de Rosette , îVJULnKHA5-Bp , les dedans pour ceux de V Egypte ,
pour les habitants de V Egypte ; ^Jtx^^h.wc^'iX^ , les choses dedans
de la loi à accomplir, pour les cérémonies instituées à accomplir.
Le mot qui suit et qui termine la ligne est le mot wz>z>d{P\.\U,
27), limage, tel que nous l'offre le décret de Rosette, mais suivi
de l'indice et d'une figure carrée qui est très-probablement le
symbole déterminatif d'une pierre, symbole qui , dans le décret de
Rosette, accompagne les mots O'^EXT et !;^EpîK par lesquels le
rédacteur a désigné la sorte de pierre dure qui devait recevoir le
décret trilingue.
Vient ensuite le mot ^2>.^a.\2sp, Roi, précédé de la particule
de flexion. Ici nous devons nous attendre à trouver le nom du per-
sonnage royal devant l'image duquel les libations ont été faites, et
nous lisons :
ARTEI EN ARSNE.
Chacun des deux noms propres étant suivi de l'indice ordinaire , le
troisième caractère, c'est-à-dire celui qui est souscrit à I'r du pre-
mier nom ^ est incertain ; ce peut être un p, un k, mais c'est plutôt
un T. Ce premier nom peut donc se lire artei ou arpei, arkei;
de plus, la voyelle initiale est une de ces voyelles vagues dont le
son n'est pas déterminé , et qui peut se lire aussi bien e et o que a.
Quant au second nom, c'est certainement le nom Arsinoe, dont
794 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
toutes les articulations essentielles ont été tracées ; le premier pré-
sente de l'analogie avec les noms Orphée , Alphée, et Aridée, Quel
est le prince qui est ainsi désigné? je l'ignore.
Le verbe 0'<^UL\^ît n'est pas accompagné du pronom affixe q
de la troisième personne, parce que le sujet qui le régit le précède
immédiatement. La règle que j'ai eu l'occasion de citer plus haut sur
l'emploi des pronoms sujets placés en suffixes se vérifie donc en ce
point.
En résumé, la première phrase du proscynème en question se
transcrit :
L'année 26 k JW-5.niav^p TTnrpo^ESC K TTT^pOJULEXC ,
TK JULKmrx i\i>i.6z. ît JW-Xs-T^atisp 3y.pT^Ex k 3y.pcnE.
et se traduit :
(c L'année 26 du roi Ptolémée , fils de Ptolémée , de tôby le qua-
«tre, Terpsenammon? fils d'Eimiré?a offert des libations en ce
(clieu, selon les rites prescrits, à l'image du roi Ariteï? fils
c( d'Arsinoë. »
La phrase qui suit a déjà été expliquée ; elle se transcrit :
Tai^iq ojaio'^ajEX xv ^.^e C. nnrHpo**- ??? cjgz. !:^ete
et se traduit :
« Il a offert ou acquitté son adoration à Ammon générateur , et
(( aux dieux du temple? à toujours. »
Ce proscynème est terminé par deux groupes (PI. VII, 28),
qui ne se trouvent dans aucun autre, après la formule de clôture
OJX. •i^ETE.
Cherchons le sens de ces mots. La première lettre est un r ; la
deuxième est une voyelle a, e ou i, et c'est ce groupe formé d'un r
et de la voyelle ainsi longuement prolongée au-dessous de la ligne
courante , qui dans les textes représente les idées écrire et scribe.
Ainsi, par exemple, dans la suscription du papyrus 36 de Berlin,
nous lisons ( PL VII, 29) pXs UIp xv (:\i>-Bi.Z\,scripsitOrusfilius
Phahilis, De même dans le texte du décret de Rosette nous trouvons
le même mot ( PI. VII , 30) dans le nom des hiérogrammates et des
ptérophores.
Pi^ en copte veut dire facere; Ta\D , T^ED, T^aï^Ej
ACTES D'ADORATION, OU PROSCYNÈMES. 795
Ta\a\6t5 signiûe adjmgere , affigere, plahtare, et avec la particule
EÊoA , ajfigere charlam seu edidiim in loco puhlico ; le substantif
de la même forme a du nécessairement exister, et par suite l'ensemble
des deux mots signifie très-probablement : a II a écrit cette afflche,
il a tracé cette inscription. » Ici le pronom sufGxe ne paraît pas. Cela
tient-il à ce que le sujet est le même que pour le membre de phrase
qui précède , et l'emploi de ce pronom suffixe n'était-il obligatoire que
dans les cas oii le sujet changeait, comme cela a lieu pour la particule
cJ arabe? c'est ce que je ne me permettrai pas de décider.
Le sens général que je viens d'obtenir pour le proscynème n" 1 me
paraît assez simple et assez naturel pour que je croie pouvoir le pro-
poser avec quelque conûance (l). Je passe au n« 2.
El-Hammamat (route de Qosseyr) , n"* 2.
Cette fois, sauf le nom de l'auteur du proscynème , tout nous est
déjà connu. Ce nom commence par la sigle Ammon ; mais les signes
de la fin en sont tout à fait incertains. Le nom du père semble écrit
Uj[2>.TTî\T^E ; mais je ne me charge pas plus de le prononcer que de
l'expliquer. Ce proscynème se transcrit donc :
C. o'^av 05.^E 5^5î TTpoj ^raTJULEC (ounraiJW-s) îy
et se traduit :
«0 Ammon, générateur, germe créateur delà vie, reçois l'ado -
«ration convenable d'Ammon.... fils de Chapente? à toujours. »
Cette fois le texte du proscynème ne nous fournit aucune date.
El-Hammamat (route de Qosseyr), n^ 3.
Il en est de ce proscynème comme du précédent ; tout est déjà
transcrit et traduit, à l'exception du nom propre de son auteur Les
caractères qui composent ce nom nous sont tous bien connus , nous
lisons donc sans hésitation
Le premier nom est suivi de la lettre (PI. VII, 31)'p, qui dans le
(1) C'est ce proscynème qui a fourni à M. Letronne le sujet de l'intéressante lettre
que ûous avons offerte à nos lecteurs dans le numéro précédent. ÇS^otede V éditeur.)
796 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
texte même du décret de Rosette suit tous les noms propres autres que
les noms royaux , et qui pour cette raison me paraît l'initiale du mot
égyptien et copte p5.l\ , qui signifie nom. Le nom du père est
suivi de l'indice ordinaire.
Ce proscynème se transcrit donc :
nraïqq cgaioYujES -w-^^ C. iTa\aT ttx^o-^e cys.
!KE"TE.
«Reçois l'adoration, action convenable de Phibo, fils de Fima-
« gué ; il a offert ou acquitté son adoration à Ammon générateur, le
« Dieu qui conçoit , le Dieu qui produit , à toujours. »
El-Hammamat (route de Qosseyr) , n° 4.
Ce proscynème commence par la phrase :
2>.5î TTaipaj Jbx- TaTJW-E
«Reçois l'adoration souverainement juste ou convenable. »
Les cinq derniers signes de la première ligne et les sept premiers
de la ligne suivante constituent vraisemblablement les noms de
l'auteur du proscynème* Ces noms, je ne les déchiffre pas. Vient en-
suite un groupe de trois lettres, suivi de la particule , de flexion et
de la même expression, TTa\paj ^2>. TtUJU-E; l'adoration sou-
verainement juste.
Après ces mots vient le chiffre 6 (PI. VII, 32) ; ce qui me fait pré-
sumer que le groupe trilittère qui commence la phrase en question est
l'image d'un verbe actif dont le mot iTUJpOj est le régime direct,
comme faire, accomplir; nous aurions ainsi une phrase: il a fait
K iraipcg Jbz^T^aTJU-E CO, c'est-à-dire il a accompli six
proscynèmes. On peut objecter que dans le copte le seul nombre qui
suive le nom auquel il se rapporte est le nombre deux , tous les
autres se plaçant devant; ceci est très-juste sans doute; mais si une
exception pour le nombre deux existe encore, il y a , ce me semble,
moins de témérité à supposer que la même règle de position a pu
être en usage pour les autres nombres , dans un temps beaucoup
plus reculé, et quand la langue égyptienne était moins altérée.
Je ne saisis ensuite que quelques mots ; mais si je n'ai pas été
ACTES d'adoration, OU PROSCYNÈMES. 797
assez heureux jusqu'ici pour en trouver la liaison , je ne désespère
pas dy parvenir quelque jour. Voici, en attendant mieux, ce que je
reconnais avec certitude : après le signe qui me paraît être le
chiffre 6 vient la particule (PI. VII, 33), image du pronom relatif
qui, que, et formative des participes; le radical auquel est jointe cette
particule se compose d'une seule lettre bien connue dont la valeur
est T. 11 faut donc lire Enrnr, et le sens de ce mot, fourni par le
décret de Rosette, est ^wctm. Aussitôt après paraît le mot JW.2>.nra\2>.p,
Roi, et ce mot est évidemment au vocatif; c'est le titre donné au
Dieu du temple par l'auteur du proscynème dans sa prière. La fin de
cette ligne, bien qu'à peu d'exceptions près tous les signes en soient
connus, ne me fournit aucun sens probable.
La ligne suivante commence très -certainement par le mot
î^O'^^EUm, les Grecs; un peu plus loin se trouve la sigle d'Am-
mon générateur, puis une nouvelle série de mots que je ne lis pas.
Vient enfin la cinquième ligne que nous avons analysée déjà tout
entière et qui se lit :
"xaiq ojaio'^aîEx ^^^ C. TiaT îtx^to'^e ojx. î^ete.
« Il a offert ou acquitté son adoration à Ammon le créateur, le
« producteur à toujours. »
Il est bon de remarquer que ce proscynème est clos par une croix ,
négligemment tracée, et dont évidemment le rôle est celui d'un simple
signe final imprononçable.
El-Hammamat , n° 5 ,
Le proscynème que je vais actuellement analyser présente quelques
parties dont l'interprétation est certaine, et quelques autres sur le
compte desquelles je ne puis et ne veux m'exprimer qu'avec une
entière réserve.
Le premier groupe se lit inp2>. , et nous avons vu déjà que ce
mot pis y avec l'orthographe qui se retrouve ici , avait dû signifier
écrire. Il y a pour ce mot deux sens possibles entre lesquels je n'ose
choisir. En effet il peut offrir : la première personne du futur
ESî^^^p^- y] écrirai, comparable au futur (PI. VII, '^^) , je jetterai ,
qui , dans le manuscrit de Leyde , remplace le mot grec Trpoo-ps^'w
de l'imprécation suivante (col. viii, lignes 25-29).
Myî /me ^twxe o^z olvo-^ 7r«7rtTreTov asTovêavsç (Sao-raÇw ttîv T«cpy;v
798 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Tov Offtpswç /ai £7ray w zaTacrQyjffat «yryjv eç (sic) a^idoç xaTaoryjdat
£iç T«ç rocç (sic), y.ai zaTaôecOai sic.... ocy^xç eav f^oi o^e xoirouç
Trapao'^y) 7rpûO'p£if'w «uttîv «utw.
Les lignes 29 à 31 de cette même colonne, écrites en caractères
démotiques sont sans aucun doute la traduction de l'imprécation
grecque, ainsi que Leemans et Reuvens l'ont soupçonné; et il est
possible de s'en convaincre, bien que tout ne soit pas clair dans la
transcription et dans la traduction de ce passage.
Le dernier membre de la phrase égyptienne (PI. VII, 35)
doit correspondre au grec Trpoapg^w amnv «vtcù ; le premier mot
( PI. VII, 34) se transcrit immédiatement ESXt^O'^X. Or le verbe
copte ^XOX\. M. >xo'^E. T. s\gn\ï\e percutere , injicere, proji-
cere, la première personne du singulier du futur de ce verbe serait
EXUis^IO'îfS , et c'est précisément ce que nous offre notre groupe
égyptien ; celui-ci signifie donc injiciam; quant à Trpoo-ps^J^w , ce n'est
pas un mot grec régulier et connu; car ptTiTw qui veut dire jor^ci-
piter, jeter en bas, lancer, fait au futur pt^w ; il est d'ailleurs probable
que le TrpodpE^'w du manuscrit avait la même signification que
l'égyptien ExnXs^îO'^X.
Si l'on remarque l'identité de ce futur démotique et du futur copte,
on est en droit d'en conclure que le «^inuscrit de Leyde est plus
moderne que tous les autres textes démotiques connus. Comparons
maintenant le futur Em^>XO'*S au groupe EiîtZspx.; ces deux
formes sont identiques à cela près que la particule £ , indicative du
présent, ne se trouve pas dans le mot extrait du proscynème; est-il
permis dès lors de voir dans celui-ci un futur de même forme? c'est ce
que je ne me permettrai pas de décider. Si c'est un futur nous avons
le sens : f écrirai ; si ce n'est pas un futur nous avons alors les trois
mots E5 K ^B^fje viens ou je suis venu pour écrire; on peut choisir
entre ces deux leçons.
_ Vient ensuite un petit trait qui peut être ou la particule de flexion
K ou un simple signe de ponctuation ; puis le groupe ordinaire Roi,
Je n'hésite pas, pour ma part, à considérer ce mot comme un titre
au vocatif donné à la divinité, et dès lors je traduis :f écrirai , ou
mieux : je suis venu pour écrire, ô Roi! etc.
La fin de la première ligne se transcrit E<^ EiTEq, et le commen-
ACTES d'adoration, OU PROSCYNÊMES. 799
ment de la deuxième contient le chiffre 6 (PI. VII, 32), suivi d'un trait
et de l'indice final. Le copte nous fournit un mot et\E<^, qui, placé
devant un nombre , indique le chiffre ordinal d'un jour ; de telle
sorte que , si nous trouvons ici le même mot , nous avons pour
les groupes ETTEq 6 (plus) 1 (oj^-cgq) , le sens : le septième jour ,
EC^ signifie proprement est, il est; il devient donc possible de don-
ner au membre de phrase égyptien le sens : le septième jour est, pour
est venu. Si , en analysant le proscynème n° 4, je ne me suis pas
trompé , j'y ai trouvé la mention de six actes d'adoration exécutés
successivement ; il n'y a donc rien de plus étrange à retrouver ici
une indication de sept jours , pendant lesquels l'auteur du proscy-
nème aurait accompli ses devoirs religieux. L'indice semble d'ailleurs
destiné à clore la phrase, et nous allons voir qu'il joue le même rôle
plusieurs fois de suite.
Les groupes qui viennent après, jusqu'au premier indice final,
sont facilesà transcrire : ils se lisent TTa\ciï JU OSOJE. L'orthographe
du mot TTa\ est exactement la même que celle de l'épithète donnée
à Ammon générateur dans le proscynème 4. Cette épithète a le sens
de créateur, car elle signifie à la lettre celui qui conçoit. Quant au
groupe julOI cyE, je n'hésite pas à y retrouver la particule copte
optative x%.oi , signifiant littéralement da, date, et par extension, wfi-
liam. Le texte démotique du décret de Rosette nous offre fréquemment
une particule homophone (PI. VII, 36), jw-Oî, qui précède tous les
impératifs et qui ne diffère de celle qui se reficontre ici que par la
substitution du signe (PI. VII, 37) à son équivalent (PI. VII, 38).
Quant au radical oj , j'y vois le copte cgE, ire, venire, dont l'impé-
ratif est JUL2>.aîE. Nous avons donc : ce Que le créateur ou que
(( celui qui conçoit vienne.
Les mots suivants semblent se transcrire : TTEXît tcujul , et le
dernier est terminé par le signe (PI. VII, 10) accompagné de l'indice.
Le groupe TTES signifie très-probablement la venue, le voyage, c'est le
copte ES, advenlus, de ES, ire, venire : ce substantif est des deux
genres, puisque Peyron {Lex-., p. 30) lui assigne les deux articles
^ et TT. La particule suivante N étant placée devant un verbe peut
se rendre par le latin ad. nrat^^ signifie claudere, TaïA^pcu^
800 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
TJW-pW-T, silentium imponere (littéralement /èrmerZa bouche). Le signe,
d'ordinaire imprononçable (PI. VU, 10), suivi de l'indice qui comporte
le son tu , doit-il se prononcer cette fois ? La présence simultanée
de deux signes imprononçables semble légitimer cette hypothèse, et,
dans ce cas, nous aurions pour le mot ^a\JUt-pai le sens ferme la
bouche, impose silence, ou fais taire. Peut-être encore n'est-ce pas
la lettre isolée K qu'il faut voir après le groupe j\z\ , mais bien le
radical K^., venir, aller, qui sert de particule formative du
futur. En ce cas, nous aurions le sens : a Sa venue fermera ma
bouche. » En résumé, tout le début de ce proscynème me paraît com-
porter le sens suivant :
c< J'écrirai ou je viens écrire : 0 Dieu souverain, voilà le septième
(c jour que je t'implore; que le Créateur vienne à mon aide, et sa
c( venue m'imposera silence. »
Le reste de la troisième ligne se compose de deux noms propres
dont le premier ( PI. VII, 39) est connu par les contrats démoti-
ques; c'est le nom Phibis sous sa forme grécisée (ij ; il est suivi de
la particule de flexion , indice de fdiation, et d'un nom propre com-
posé, dont la dernière partie est la sigle du nom Rè, Quant à la
première partie , je renonce prudemment à la deviner. Ce nom est
suivi de l'indice. Le dernier signe de cette ligne est la voyelle
(PL VII, 38), 2s, caractéristique du prétérit, ou expression de
l'idée faire. Comme le premier mot de la ligne suivante est -U-C ,
ou ÂSJ^y et que julouji signifie ire, iter facere, abire, je pense
que nous devons voir ici le prétérit ZxJUlqojs (qui en copte mo-
derne serait i>.qji^ocyx ) avec le sens iter fecit, ou dbiit.
Les deux signes suivants sont, le premier, la préposition Jtf., dans;
le deuxième est très-certainemement le groupe bien connu par le
décret de Rosette et signifiant mois. Viennent ensuite les mots
KH^T^K; "T2>.^05 TZs^e. t. m. ^^>^T>, t. B. signifie con-
stilutio , institutio , slalutum. Et il peut très-bien se faire que le K
(1) Dans le papyrus 30 de Berlin {Kosegarten, pi. XI), ce même nom est écrit
(PI. VII, 40 ), FBI (I\an). Il n'y a donc de différence que dans la position de la
voyelle I,
ACTES d'adoration, OU PROSCYNEMES. 801
final ne soit autre chose qu'une consonne finale tombée avec ie temps
et qui se trouve à n'en pouvoir douter dans les mots égyptiens
(PI. VII, 41), DJROK, victoire, en copte !^po; (PI. VII, 42),
DJRiK, stèle, copte !^Kpx ; (PI. VII, 43), trek, vautour, copte
nrpE : nous aurions en ce cas le mois constitué, établi; ce fait est
du reste d'autant plus probable que ce groupe doit certainement com-
porter un qualificatif du mois en question, puisqu'il se trouve in-
terposé entre le groupe mois et le nom môme de ce mois. En
effet, nous lisons, immédiatement après, les mots K îT p l.,
U5. K P^^ if de la venue du soleil 1 . Ce mois est le premier de la
première tétraménie, c'est-à-dire thot; la date du jour est fournie
par les signes (PI. VII, 44), P^. 3, jour troisième, et cette date
est close comme les membres de phrase précédents, par l'indice or-
dinaire.
Récapitulons ce qui résulte de notre analyse; nous avons : a Fibi,
fils de ...prè s'est mis en route dans le mois consacré, le 3 de thôt. »
Le trait suivant est nécessairement par sa position un signe de
ponctuation.
Le dernier groupe de cette ligne est le mot ( PI. VII, 45), dans
lequel nous reconnaissons immédiatement notre mot formulaire
TTCUpoj au pluriel, mais en tête duquel ne se trouve pas placé
l'article pluriel des deux genres n , u.
Passons à l'analyse de la dernière ligne, le premier mot se lit
ojEq. J'y vois un radical cgE suivi du pronom suffixe de la troi»
sième personne du singulier. Or, cyç ou oji si^iù^e metiri, pon-
derare, munerare, mensura, numerus; cy2s signifie festum, d'où pcgs ^
Epuj2>., diem festum agere, celehrare; on peut donc entrevoir ici le
sens numeravit ou celebravit, et traduire : « Il a compté ou célébré
ses actes d'adoration. » Le mot suivant est la particule (PI. VII, 46),
Jt>-2s, qui, dans le décret de Rosette, signifie certainement erga ,
envers, puis reparaît le groupe JU-Z>.^a\2»p qui remplace, comme
au commencement du proscynème, le nom du Dieu Eponyme.
Le texte se termine enfin par plusieurs mots qui se transcrivent :
802 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Les deux derniers groupes nous sont bien connus; ils signifient
grand, éternel; resterait donc à couper convenablement les groupes
qui les précèdent; mais l'incertitude de trait des caractères qui les
constituent m'impose l'obligation de ne rien proposer sur leur compte,
qu'avec la plus entière réserve. Si donc cette transcription est exacte
OD pourrait lire :
TK pour TaîK , fortem reddidit, conprmavit, affirmavit
£a\0'*^ — gloriam ejus
OTE — imicam
CL\Hp — maximam
2STXt — (Bternam
Je le répète, je ne propose ces coupures et ces traductions qu'avec
la plus grande réserve et sans prétendre en rien commander la con-
viction de personne. Je me bornerai à faire observer que le mot •:^*Tît
est écrit entièrement en caractères hiéroglyphiques, et que cette circon-
stance me paraît démontrer la réalité de l'introduction de toutes pièces,
dans l'écriture démolique, du groupe sacré signifiant éternité, ou
éternel.
En résumé, le proscynème que je viens d'étudier me paraît offrir
le sens suivant :
« J'écrirai ou je suis venu écrire : 0 Dieu souverain , voilà le sep-
(( tième jour que je t'implore : que le Dieu créateur me vienne en
« aide, et sa venue fermera ma bouche. Phibis, fils de ...pré, est parti
«dans le mois consacré de thôt, le troisième jour. Il a accompli ou
« compté ses actes d'adoration envers le Dieu souverain , et il a cé-
« lébré sa gloire unique, immense, éternelle. »
Espérons que cette traduction se confirmera ou se modifiera conve-
nablement, à l'aide des nouveaux matériaux dont nous sommes en droit
d'attendre la venue.
El-Hammamat , n" 6.
C'est après une grande hésitation que je me suis décidé à proposer
la traduction suivante de ce proscynème dont le sens me paraît un peu
trop raffiné pour être le véritable. Quoi qu'il en soit, je dois en toute
humilité faire connaître tous les résultats qu'une étude opiniâtre m'a
fait obtenir, lors même queje suis obligé, comme cette fois, de dire for-
mellement que je n'y attache aucune importance; en le faisant, j'espère
ACTES d'adoration, OU PROSCYNÈMES. 80S
aider de plus heureux à trouver mieux, et je prouve d« moins que je
sais faire abnégation complète de mon amour-propre. Du reste, la
transcription en lettres coptes de ce proscyiième ne présente aucune
incertitude, puisque tous les caraclères qu'il contient nous sont
connus; c'est dans la coupure des mots que gît toute la difficulté;
voici donc cette transcription lettre pour lettre :
cyoj K JU-2»^ C. cgxs 2SETe.
Nous avons vu dans presque tous les proscynèmes étudiés jusqu'ici
le verbe ( PI. VII, 47) a\nrq ou T:a\qcya\0'îfajx, offrir ou ac-
complir un acte d'adoration. Ici les deux éléments de cette expression
sont séparés par une série de plusieurs mots, et le radical (PI. VU, 3)
a.\Tc\ ou ^a\q est précédé de l'article singulier masculin tt; il*
exprime donc forcément celte fois un substantif. En l'isolant, nous
avons TTa\T^q ou T\n:^\^tl offre ouïacquittement, le solde, l'acconi'
plissement. Vient ensuite la particule de flexion ît, de; puis la
lettre ex ou X , suivie de la particule ît. tî; X veut dire venir,
allée ou arrivée, voyage, La particule qui suit peut être le pro-
nom possessif de la première personne du pluriel, et je suis d'autant
plus porté à le croire que ce signe possessif se retrouve un peu plus
loin entre les deux mots (PI. VII, 8), ajaiO'^ajX et (PI. VII, 12),
JU-&.^, qui d'ordinaire se suivent sans signe intercalaire. Si
cette supposition est juste exk signifie notre venue, notre voyage,
comme oja^O'^^ajXK signifie notre adoration. Vient ensuite un
groupe (PI. VII, 48), que je lis ejutteh et que je compare au copte
EJW.TTEU , ut non, ne. Le groupe (PI. VII, 49). n t, forme le
squelette d'un mot copte x\E2^T , terminus, finis. En adoptant la
légitimité de toutes ces coupures, notre texte égyptien deviendrait :
TiaîTq ou TixTaîq K Exu ejw-hen m xxe&t Ti&Ci
et se traduirait littéralement :
« L'offre ou l'accomplissement de notre voyage ( a eu lieu ) pour
804 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« que nous Pasont nous ne missions pas de fin (c'est-à-dire pour
« continuer) à nos actes d'adoration envers Ammon générateur, à
« toujours. »
J'ai dit en commençant que je n'avais guère de confiance en cette
traduction -, je la livre donc au lecteur pour ce qu'elle vaut , et sans
y. tenir autrement.
Du reste il est certain que ce proscynème doit être considéré
comme constituant une formule distincte de celles que nous avons
déjà étudiées. Ce qui me paraît démontrer l'existence d'une classe
de proscynèmes démotiques conçus comme celui qui précède , c'est
la forme du n° 10 dont quelques parties seulement sont lisibles.
En effet la première ligne commence par les mots iraiTq ou
TîS^CLTq K. c( L'offre ou l'accomplissement de.... » Et la dernière
ligne se compose de cinq groupes ( PI. VII, 50) , qui se lisent :
îT Ji>-2»> C. OjXs !^ETB > et se traduisent :
(( Nos, envers Ammon générateur, à toujours. »
Vraisemblablement ce proscynème est rédigé sur la même formule
que le sixième d'el-Hammamat. Un avenir prochain nous mettra, je
l'espère, en possession de textes qui pourront décider si j'ai raison,
et qui confirmeront ou renverseront la lecture que je viens de tenter.
El-Hammamat , n° 7.
Le commencement et la fin de ce proscyn ème ont déjà été analysés,
ils se transcrivent :
^6s ^^s^avi^p TTaTpcjj îv Ep^ TaïJUt-E....
a\^q"T ou "xaïqT ojaio'îfaîEX ju-x»^ C. n^Hp aim
^aj2. :^ETE.
En effet , c'est le groupe symbolique Dieu qui suit la sigle nomi-
nale d'Ammon générateur. Ces phrases se traduisent ainsi :
«Reçois, 6 Roi, l'adoration qui t'est justement due J'ai
(C offert ou acquitté mon acte d'adoration à Ammon générateur le
« Dieu producteur, à toujours. »
La portion de texte qui réunit ces deux phrases et qui par suite
complète la teneur du proscynème, se compose encore de deux
ACTES d'adoration, OU PROSCYNÈMES. 805
groupes séparés par la particule n indice de filiation (l). Ce sont donc
très-vraisemblablement le nom de l'auteur du proscynème et celui de
son père. Les caractères sont incertains parce qu'ils sont mal tracés
et cependant je regarde comme très-probable que le premier nom
doit se lire Petearpche, En effet dans ce nom (PI. VII, 51), la sigle
d'Horus, (PI. VII, 52), et le mot (PI. VU, 53), Venfant, le fils sont
reconnaissables, et d'une autre part nous savons par les contrats démo-
tiques avec anligraphe grec , que le nom grécisé neTzapnoy^parnc
s'écrivait (PI. VII, 54), et se prononçait TT2»CJL\pTTCET , et signi-
fiait probablement celui qui appartient à Horus sauveur. Quant au
nom du père, (PI. VII, 55), on y distingue d'abord la sigle
d'Horus, et le nom 5jul, pour ':g^OJ(^j 5oJt>-, de l'Hercule égyptien.
La première partie du nom se compose d'une lettre, qui sert d'ini-
tiale aux noms démotiques, Snachomès, Spotus, Zminis, Zthe-
naëtes, etc.; c'est donc un S suivi d'une voyelle, a, e, i;
C2>. , CE 5 veut dire beau; ce nom CE^^péoJU- , signifierait donc
le beau fJoras-Gom. Il n'y a rien qui doive nous surprendre dans la
composition de ce nom, et son caractère est parfaitement égyptien.
L'auteur du proscynème en question se nommait donc Paorpche, fils
de Saôrgom,
Philes , N° 8.
Ce proscynème présente, ainsi qu'on va le voir, une forme toute
nouvelle.
Le premier mot dont nous avons déjà reconnu le sens est le mot
a\^q ou ^oiq, ohtulit ou solvit, précédé d'un sorte d'étoile que
je considère comme un signe initial imprononçable, et dont la pré-
sence d'ailleurs ne peut en rien modifier le sens de la première
phrase; ce mot est suivi d'un groupe qui doit constituer évidemment
un nom propre, puisqu'il est composé de la sigle d'Ammon généra-
teur, et d'une particule dont la lecture n'est pas certaine , mais qui
cependant offre le son n2>.. Ce nom se lisait donc probablement
(1) Je lis cette particule K , et cependant je ne dois pas omettre de mentionner
ici le nom Arsi.esis extrait du contrat 36 de Berlin , et dans lequel les siglcs bien
reconnaissables d'Horus et d'Isis sont séparées par la môme particule x se pronon-
çant, ainsi que l'indique la transcription grecque, CX ^^ non n * Cl CiJE j
signifie; fils de.
806 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
TTZ>^CU:Tnnr ; mais il n'est pas possible de raffirmer, surtout à cause
de l'orthographe insolite de la particule jxh. n qui dans tous les autres
noms connus est invariablement écrite (PI. VII, 56) et non comme
ici (PI. VII, 57). Après ce nom propre se lit en toutes lettres un mot
JW.JULi.0 , qui est comparable au copte J^J(Xl>t , illic, ihi, ou à la
particule ^juio, caractéristique de l'accusatif. Vient ensuite le sub-
stantif déjà reconnu ujaiO^fOîX ou UjO'^OîaTO'^^ajX , adoration,
Trpoo-zvvyjjULa , suivi d'abord d'une voyelle, III, qui cette fois semble
jouer le rôle d'un simple indice de pluralité , et enfin du signe impro-
nonçable ordinaire (PI. VII, 10); le reste de la phrase se lit immé-
diatement :]
Nous avons donc pour le sens de cette première phrase :
« Pasont a offert ou accompli ici ? des actes d'adoration devant
« Ammon générateur, le créateur, le producteur, à toujours. »
La phrase suivante contient nécessairement la prière de l'auteur du
proscynème, puisqu'elle commence par le participe connu (PI. VU, 58),
E^nr2>.VE , disant; le reste de cette seconde ligne est fort difficile
à traduire , et je n'ai conservé aucun espoir d'y parvenir d'une façon
satisfaisante; quant à la transcription matérielle elle est presque
sûre. La voici :
'T^.^c îtqpM î^ n^p (ou ^^) M nr^5 ojex ^>6i.
Ces deux derniers mots ont pour caractéristique le signe que j*ai
cru devoir comparer au déterminatif hiéroglyphique, les deux bras
élevés , des mots ayant le sens , offrande ou offrir. Peut-être pour-
rait-on couper cette phrase de la manière suivante :
t:& juloouje k qp^.x U TpM ou ^XS-l>\ 'TSXO
Et l'on y trouverait alors le sens : « Je suis venu à Philes de Trai?
«ou Tmaï? pour honorer ta statue; accepte (sous-entendu mon
« hommage ). »
Je déclare du reste que je n'ai aucune espèce de confiance dans
cette traduction.
ACTES D*ADORATION, OU PROSCYNÈMES. 807
D abord il n'y a rien de sûr dans le sens que je donne au mot ta
(PI. VII, 59) parce que je le compare à tort peut-être (à cause du
trait qui surmonte le t ), au mot égyptien (PI. VII, 6 \) payer, donner,
du décret de Rosette; tXs jW-OOOJE, signifierait donc à la lettre
soM ou solçit iter. Quant aux groupes que je lis it qpM k Tpi.I
T&\ , si leur transcription est certaine, leur traduction est peut-être
à cent lieues de ce que , en désespoir de cause , j'ai pensé que l'on
pourrait y voir. Je le répète donc en toute humilité, je ne crois pas
à la justesse de cette traduction que j'abandonnerais bien volontiers
pour toute autre qui serait plus vraisemblable.
Reste à chercher ce que peut contenir la dernière ligne de ce
texte.
Nous lisons d'abord un mot EnriTE , c'est, je crois, le participe
présent du verbe T , donner, écrit sans voyelle finale ; ce mot est
accompagné de la caractéristique tte des verbes , caractéristique
dont l'existence, dans l'idiome vulgaire, remonte certainement au
delà de l'époque où le décret de Rosette fut rédigé. Vient ensuite un
signe dans lequel il n'est pas possible de méconnaître la hache ,
symbole divin, et un mot qui se lit en toutes lettres KO'^qp 5
c'est très-probablement le copte KO'^^^E 5 KO<^pE , bonus, utilis.
Après ce mot nous retrouvons le radical cunrc^ ou nrtLiq , suivi
d'une voyelle | finale ; ce mot représente donc un substantif au pluriel
et il désigne les dons ou les rémunérations, les récompenses ; vient
ensuite une série de lettres JU,nrT?\E ^'^l que je coupe et lis ain§i
XX nr ^^.Ae a\nrqES on ^a\qES , mot à mot : dans faire
Voblation de mes offrandes, puis on lit :
tÎde îî Ait K îtETTî , que je coupe ainsi :
T 3b ME K Aa\lT (pour }\mc\ corrumpi, ntiari) ttM
KEITEÎ.
c( Faire la fin de la corruption parmi les hommes. »
Le reste du proscynème est impossible à lire ; j'y vois cependant le
mot (PI. VII, 61), il a e'cnV, que suivait peut-être le mot (PL VII, 62)
B08 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
nro^E pour former l'expression que nous avons déjà rencontrée à
la fin du proscynème n" 1*
Nous avons donc en résumé pour le sens de ce proscynème :
ce Pasont a accompli ici ? des actes d'adoration devant Ammon gé-
nérateur, le créateur, le producteur, à toujours ; disant Je suis venu
à Phiies de Tmaï??? pour honorer ta statue ; accepte (mon hommage),
m'accordant, ô Dieu bon, en rémunération de l'oblation de mes of-
frandes, la purification des hommes. Il a tracé cette inscription.
Phiies, îs" 9.
Les deux noms propres seuls ont besoin d'être transcrits dans* ce
proscynème que nous avons analysé déjà par partie. Ces deux noms
tomposent la troisième ligne du texte (PI. VII, 63 ).
Le premier se transcrit panpe, et le second mfone ou mbone.
Quel mot faut-il voir dans les lettres (PI. VII, 64), npe? c'est ce
que je ne me charge pas de préciser; TTilE veut dire du ciel,
î\sqx , souffle, no'^qE , hon , î\HÊl , seigneur. On pourrait choisir
entre ces quatre mots sans être pour cela certain le moins du monde
d'avoir découvert le sens de ce nom propre. Je renonce donc prudem-
ment à en tenter l'explication, en me contentant de le transcrire
lettre pour lettre. Le second nom se lit Jt5-C^0îtE ou .W-fiOnE 5 en
copte JW-fiOW, EA5-fiOît, signifie colère (l), fureur, et ce mot est
en liaison évidente avec le nom îkONC de l'une des divinités
égyptiennes , puisque !:^OîCC , signifie violence,
(1) Remarquons en passant que l'existence de ce mot copte pourrait , jusqu'à un
certain point, servir à constater l'emploi de la particule antique j^l ^y^^^^' ïe sens
de in, dans. Eu effet JU-^OUE ' <1"^ signifie colère, se décompose immédiate-
ment en Ax , dans , et KoOUE , Ka.m , £lOKX , ^al^s , noxim, fœ-
dus, et ^ONS 5 .Ê-OOnE , noxa. De cette composition naît ce sens littéral :
in noxa, in malo , in noxio,in fœdo. Cette expression peut très-bien s'appliquer
à la colère , à la fureur; mais ici malheureusement la particule Jt^, peut être aussi
considérée comme la particule de flexion j^ , changée en xs^ , par l'influence du
El qui la suit.
ACTES D*ADORATION, OU PROSCYNÈMES. 809
Ce proscynèrae se transcrit :
z>6\ Tiaipaj T^K^Ep Ta\A^E
TT^UTIE XV JW.£iOXVE
et se traduit :
<c 0 créateur, générateur de la vie ,
(( Reçois l'adoration , acte juste ,
« De Panpe, fils de Emboné
« A toujours. »
Voilà, mon cher confrère , ce que l'analyse obstinée de ces pré-
cieux textes démotiques, m'a fourni jusqu'à présent. Sans doute
tout cela est bien incomplet, bien imparfait; mais vous voudrez
bien , je l'espère , penser que je me suis le premier hasardé sur
un sol vierge ; si donc je n'y marche qu'à tâtons , c'est que je m'y
trouve seul et qu'il me faut à chaque pas que je fais, déblayer péni-
blement le terrain sur lequel je dois ensuite poser le pied. Mieux que
personne vous apprécierez les difficultés sans nombre , qui me font
obstacle, et peut-être alors serez-vous moins étonné de la médio-
crité des résultats philologiques auxquels je suis parvenu et que je
me suis permis de vous présenter, ne îût-ce que pour éviter à d'autres
les erreurs oii je pourrais être tombé moi-même.
Veuillez agréer, etc.
Paris, 10 janvier 184à.
F. DE Saulcy, de V Institut.
LETTRE A M. HASE,
MEMBRE DE l'iNSTITUT,
SUR LES ANTIQUITÉS DE LA RÉGENCE DE TUNIS,
PAR M. E. PELLISSIER , CONSUL DE FRANCE A SOUSSA (1).
S0BS8A, le 18 Jain 1844.
Monsieur,
Les marques d'intérêt dont vous avez bien voulu m'honorer pen-
dant mon séjour à Paris , me permettent d'espérer que vous accueil-
lerez avec bonté la lettre que je prends la liberté de vous écrire dans
un double but : dans celui d'abord de me rappeler à votre souvenir,
et de me remettre, quoiqu'un peu tardivement, en relation avec vous;
puis pour vous communiquer quelques observations archéologiques.
Vous savez mieux que personne , monsieur, combien le nord de
l'Afrique est riche en vestiges de l'antiquité; mais aucune partie de
cette portion du continent africain n'est aussi bien partagée à cet
égard que celle que j'habite. J'ai commencé à l'explorer avec soin,
et voici la première partie de mon travail, partie qui comprend le
caïdat de Monestir et les trois quarts de celui de Soussa. Je ne parlerai
pour le moment que de ce que j'ai vu , sans me livrer encore à au-
cune recherche sur les synonymies antiques des lieux que j'ai visités.
La ville de Soussa, dont je dois d'abord parler, contient dans son
enceinte un château carré, flanqué de huit tours, dont une, qui est
fort élevée, est remarquable par ses proportions architecturales. Cet
édifice est en bon état de conservation , et a reçu beaucoup de répa-
rations et de modifications modernes ; mais il est manifeste qu'il est
d'origine ancienne. Un portique composé de quatre coloimes de
granit d'un module considérable qui en orne l'entrée , ne laisse pas
de doute à cet égard. Les chapiteaux de ces colonnes et les ornements
(1) Non-seulement M. Hase a bien voulu nous autoriser à imprimer celte lettre
remplie de détails curieux ; mais il l'a enrichie de notes précieuses, et celte double
marque d'intérêt de la part du savant helléniste est une de ces bonnes fortunes que
nos lecteurs apprécieront autant que nous le faisons nous-même.
LETTRE A M. HASE. 811
de la frise sont du style byzantin le plus prononcé, et ne doivent pas,
par conséquent, remonter plus haut que la période de la seconde oc-
cupation romaine.
A l'exception de ce château, on ne trouve dans la ville même de
poussa, en fait d'antiquités, que quelques fragments de colonnes, et
le sarcophage dont parle Peysonnel , lequel est encore placé dans le
lieu que ce voyageur indique, c'est-à-dire sous la voûte d'une des
portes de la ville. Il dit y avoir lu ces mots : marcelt . alfondi .
EPiscoPi. Pour moi, voici ce que j'y ai lu, ou plutôt vu, car je n'ai
pu attacher aucun sens aux caractères ci-après :
ETMARIFI
....RVMVVO
RVMDIONI
SSIME (1).
A l'extérieur de Soussa, le sol, jusqu'à une assez grande distance
des remparts, n'est presque partout qu'un amas de débris de marbre,
de granit et de poterie. Comme à chaque pas on trouve des indices
de mosaïque, j'ai fait exécuter quelques fouilles dans les lieux qui me
semblaient promettre les résultats les plus faciles, et j'ai, en effet, mis
à jour de cette manière plus de cent mètres carrés de mosaïques dont
quelques-unes sont fort belles. J'en ai fait enlever plusieurs frag-
ments dont j'ai pavé la chancellerie de mon consulat. Une pièce de
milieu représentant un intérieur d'appartement, avec des personnages
fort bien conservés, était destinée par moi à M. le maréchal Soult ;
mais les grossiers ouvriers que je suis obligé d'employer, faute d'au-
tres, me l'ont brisée en la transportant.
(1) Après Peysonnel , sir Grenville J. Temple, Excursions in the Mediterra-
nean, London , 1835 ; in-8, vol. II , p. 302 , n° 1, avait donné la même inscrip-
tion. Il la lit ainsi :
ETMATBIEI
VOTVMSVO
RVMDIGNI
SSIM....
En nous tenant à la nouvelle copie que nous avons reçue de M. Pellissier, on
pourrait essayer la restitution suivante:
Et {on, Flaviœ) Mariœ fi [liœ
anno \ rum duo-
rum ,. digni-
ssimœ,
Dignissimœ serait ici le synonyme de merentissimœ ^ épîtbète donnée quelque-
fols sur les marbres à des enfants morts très-jeunes. (Wote de M. Haie.)
812 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Mes recherches de mosaïques m'ont fait reconnaître et découvrir
les fondations d'une petite maison dont j'ai pu suivre le plan sur ce
sol. Elle se composait d'une cour intérieure sur laquelle ouvraient
quatre petites chambres. Les crapaudines en marbre des portes
étaient encore en place, et indiquaient par leur position que ces
portes étaient construites et fermaient comme celles qui sont encore
en usage en Orient.
La petite maison dont je viens de parler s'élevait sur un plateau
au nord-ouest de la ville. Dans la direction opposée existait une
maison beaucoup plus considérable, ou peut-être un palais. Je n'ai pu
en découvrir que deux appartements, le reste nécessitant des travaux
trop considérables pour qu'il me fût possible de les entreprendre. Ce qui
m'a frappé dans cette fouille , c'est que le sol des appartements dont
je parle, et où j'ai trouvé les plus belles mosaïques, était entièrement
couvert de tuiles et autres débris de toiture, sous lesquels gisaient
deux squelettes ; ce qui semble indiquer que la destruction de l'édifice n'a
pas été Teffet du temps, mais bien le résultat de quelque événement.
En sortant de Soussa par la porte de l'Ouest, on rencontre, à quel-
ques centaines de pas de cette porte, d'antiques citernes partagées en
huit réservoirs parallèles de 86 mètres de longueur et 6 de largeur.
On voit encore, sur divers points, les restes des canaux qui condui-
saient à ces citernes les eaux pluviales du plateau de Soussa.
Non loin de là , dans la localité que les Arabes appellent la Pierre
renversée, par la raison que vous allez voir à l'instant même, sont, à
80 mètres l'une de l'autre, deux énormes masses de maçonnerie déta-
chées de leurs bases, et renversées sur le sol, avec lequel leurs arêtes
forment deux angles de 45 degrés. La ligne droite , qui va de l'une
à l'autre, est parfaitement tracée par une suite de décombres qui in-
diquent une courtine adjacente aux deux tours dont ces masses sont
sans doute les débris. En avant , c'est-à-dire dans la direction de
l'ouest, on voit quelques vestiges d'ouvrages avancés. En arrière,
c'est-à-dire dans la direction de la ville , existe une aire parfaitement
plane, et limitée par trois autres lignes de débris qui complètent le
quadrilatère , ce qui me fait croire qu'il y avait là un fort destiné à
défendre les abords de la place.
Sur la capitale de l'angle de ce quadrilatère, dont le sommet est
occupé par la plus considérable des masses dont je viens de parler,
et à cinq à six cents pas de distance , le hasard fit découvrir , quelque
temps avant mon arrivée à Soussa, un hypogée dans lequel on trouva
\in sarcophage de marbre blanc , bien conservé et d'un style élégant.
LETTRE A M. HASE. 8l3
M. Saccoman , négociant français , établi à Soussa , et qui en est de-
venu le propriétaire, l'a mis par mon intermédiaire à la disposition
de M. le maréchal Soult, qui l'a destiné au musée d'Alger.
Il résulte de tout ce qui vient d'être dit que la ville antique dont
Soussa occupe l'emplacement , présentait infiniment plus de déve-
loppement que celle-ci , et qu'elle s'étendait , non-seulement sur la
déclive qui conduit au rivage de la mer, comme la ville moderne,
mais encore qu'elle occupait une bonne partie du plateau qui est à
l'ouest de cette dernière.
A trois quarts de lieue au sud-ouest de Soussa , sur la route du
village de Gouardamine, existe une construction antique qui mé-
rite d'être examinée. C'est un polygone régulier de quatorze côtés,
dont le cercle inscrit a 15 mètres 8 centimètres de diamètre. Ce po-
lygone est formé par des murs de 64 centimètres d'épaisseur et de
2 mètres de hauteur. Au sommet des angles, à l'intérieur, sont des
massifs en maçonnerie formant des sections de cône par des plans
parallèles à l'axe. Les arêtes de ces sections sont garnies de rebords
renflés, qui paraissent n'être là que pour l'ornement; à cette con-
struction est accolée, à l'extérieur, une citerne couverte de 6 mètres
10 centimètres de longueur et de 3 mètres de largeur. A l'extrémité du
diamètre dont cette citerne occupe un des bouts , existe un autre po-
lygone dont le diamètre du cercle inscrit n'a que 4 mètres 86 centi-
mètres. Ce dernier polygone n'a que cinq côtés. Du reste, il est de
même construction que le grand. Ces deux enceintes polygonales
n'ont aucune communication entre elles, ni avec la citerne; mais elles
communiquent avec l'extérieur, chacune par une ouverture pratiquée
sur l'un de leurs côtés. Il est difficile, pour moi, de dire à quoi était
destiné ce système de bâtisse. Les deux polygones étaient-ils simple-
ment des réservoirs destinés à débarrasser les eaux torrenteuses de
leur limon, avant leur entrée dans la citerne? mais alors pourquoi
étaient-ils sans communication avec celle-ci? Quoi qu'il en soit, cette
construction est appelée par les Arabes la Cilerne bleue.
Nous allons maintenant quitter Soussa et suivre le littoral jusqu'à
Sélecta. Nous y reviendrons ensuite par El Djem, le lieu le plus in-
téressant de la contrée, sous le point de vue archéologique.
La villedeMoneslir, qui est le premier centre de population qui
se présente sur notre route, n'offre rien à la curiosité de l'antiquaire,
à l'exception peut-être d'un tunnel creusé dans le roc, et qui fait
communiquer avec la mer un petit plateau situé hors de la ville.
L'eau entrant dans l'extrépiité inférieure de ce tunnel en fait une salle
814 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de bains pour la belle saison. J'ai vu un ouvrage à peu près de ce
genre sur le Guadiaro, à Ronda en Andalousie. Il était attribué
aux Maures. Rien n'indique l'origine de celui de Monestir.
Après Manestir viennent les ruines désignées comme étant celles
àe Leptis-Minory au nord du village de Larata. On n'y voit que
des vestiges de citernes et des débris confus, couvrant une éten-
due considérable de terrain. J'y ai remarqué des fûts de colonne de
marbre, et ramassé un fragment de chapiteau, Il y a une dizaine d'an-
nées qu'un agent anglais y fit faire quelques fouilles. J'ignore ce
qu'elles ont produit. Au village de Lamta même, on voit un vieux
lort exactement semblable à ceux de Guelma et de Sétif en Algérie.
De Lemta à Dimas, rien n'attire les regards de l'archéologue. Mais
il en est amplement dédommagé dans cette dernière localité. Je par-
lerai d'abord d'une digue destinée à former avec les petites îles du
Djénan et d'El Firan , un port aussi vaste que sûr pour les navires
des anciens. Cette digue, de 146 mètres de longueur et de 10 mètres
de largeur, est formée de béton , et d'une construction fort ingé-
nieuse. Toute la partie qui s'élève au-dessus du niveau de l'eau est
percée de deux étages de canaux, dont la coupe transversale est un carré
de 20 à 22 centimètres de côté. Ces canaux, distants les uns des au-
tres de 2 mètres dans le sens horizontal , et de 1 mètre dans le sens
vertical, sont destinés à fournir un passage aux lames de la grosse
mer, et par là à en neutraliser la puissance destructive. C'est à cette
savante combinaison qu'il faut attribuer l'état parfait de conservation
de cette digue, que nous serions bien heureux que quelque puissance
féerique voulût bien transporter d'un coup de baguette à l'entrée
du port d'Alger.
Le terrain au sud de cette digue est, dans une étendue d'un kilo-
mètre, couvert de ruines considérables, parmi lesquelles on distingue
celles d'un amphithéâtre , et de vastes et belles citernes. L'amphi-
théâtre, dont le grand axe est de 43 mètres et le petit de 32, n'était
formé que d'un seul étage de galeries, dans le genre de celui de Phi-
lippeville en Algérie. Les citernes sont une réunion de vingt-cinq ré-
servoirs de 53 à 66 mètres de longueur et de 2 mètres 92 centimètres
de largueur, occupant en superficie un quadrilatère dont deux côtés
sont égaux et ont 90 mètres. Les deux autres côtés sont inégaux, et
ont, l'un 66 mètres et l'autre 53. L'entrée générale des eaux était
au quatorzième réservoir. C'est un canal en maçonnerie qui se pro-
longeait très-loin dans la direction du village de Bokalta.
Le restant des ruines de Dimas ne consiste qu'en amas confus de
LETTRE A M. HASE. 8l5
décombres , au milieu desquels on trouve une immense quantité de
fragments de marbre.
De Dimas à El Mahédiah, rien n'a fixé mon attention. D'après les
historiens arabes, celte ville d'EI Mahédiah aurait été fondée au com-
mencement du x^ siècle de l'ère chrétienne par le célèbre Mahdi,
chef de la dynastie des Fatimiles ; mais ils omettent de dire qu'd y avait
eu là une cité romaine (1) dunomd'Aphrodisium (2). On voit à El Ma-
hédiah des ruines de ces deux périodes d'existence. Les remparts, qui
peuvent appartenir à l'une et à l'autre, sont dans l'état où les ont mis
les Espagnols, lorsqu'ils évacuèrent cette ville, il y a trois siècles, et
qu'ils les firent sauter par la mine.
Aux deux tiers de la longueur de la presqu'île sur laquelle El Ma-
hédiah est située, existe un monticule sur le plateau duquel sont plu-
sieurs citernes antiques. Deux de ces citernes sont remarquables par
le grandiose de leur construction : ce sont de vastes réservoirs sou-
terrains de 25 mètres de longueur sur 12 de largeur et 8 de profon-
deur. On ne peut y descendre que par deux petites ouvertures circu-
laires et au moyen de cordes. Elles sont assez semblables par les
détails de leur construction aux citernes d'Hippone, et ont sur celles-
ci l'avantage d'être en bon état de conservation.
. Au sud de ces citernes, et au pied du monticule, règne un bassin
formant un rectangle dont les grands côtés ont 72 mètres et les pe-
tits 37. Ce bassin communique ou plutôt communiquait avec la mer
par un chenal de 37 mètres de longueur et de 20 de largeur, et de-
vait former un très-bon port. Il est encombré maintenant, ainsi que
le chenal.
A une lieue d'EI Mahédiah, à droite de la route d'EI Djem, on voit
les ruines d'un monument sarrasin connu dans le pays sous le nom de
Bourdj-el-Arifa. C'était une coupole soutenue par quatre massifs fort
ornés et unis entre eux par des arcades. Il ne reste plus de ce monu-
mentque les massifs, qui sont très-élégants. C'était sans doute un mau-
solée, car il existait sous la coupole un caveau vide maintenant, mais
(1) Il est fort possible que des inscriptions découvertes à El Mahédiah confirment un
jour la conjecture ingénieuse de M. Pellissier qui place dans cette localiîé l'antique
Aphrodisium. Toutefois, plusieurs géographes modernes pensent qu'EI Mahédiah
représente la Turris Hannihalis dont il est question dans Tite-Live , XXXIII , 48 ;
et ils cherchent Aphrodisium, mentionné par Ptolémée (p. 262, liv. XIII, édit.
Wilberg) , sur le golfe de Hammamet, aux environs de Herkia et au N.-O. de Soussa
qui, sans aucun doute , représente l'Adrumetum des anciens. {lYole de M. Hase.)
(2) Cette opinion a déjà été émise par Marsden , qui ne cite aucune autorité à
l'appui. F, Mimismata Orienialia, 1. 1, p. 190,
816 REVUE ARCHÉOLOGIQUE,
que tout annonce avoir contenu un cercueil. Ce caveau était recouvert
d'un double lit de chaux et de charbon pulvérisé, dont on voit encore
une partie sur ce qui reste de la voûte. Une inscription serpentait au-
tour de ledifice sur la frise qui régnait au-dessus des archivoltes. Je
n'ai pu distinguer dans ce qui en reste que ce qui suit :
U^ «K»-^ aMÎ
(Dieuuniquc et ) (1).
A Sélecta, limite de cette première incursion sur le littoral, j'ai re-
marqué beaucoup de pans de murs de dimensions considérables, les
restes d'une digue unissant entre eux quelques rochers pour en for-
mer un abri contre les flots; des vestiges de citerne, etc. ; mais ces
ruines communes ne sont rien à côté d'une magnifique mosaïque que
découvrit sous le sable du rivage, il y a peu de temps, un habitant du
pays. C'est le fond d'un bassin de six mètres carrés environ, représen-
tant, avec une grande correction de dessin et une admirable vivacité
de couleur, les plus belles espèces de poissons et de crustacés, on dirait
le poëme d'Oppien en mosaïque. Un Italien, qui était de ma compa-
gnie, et qui a visité les mosaïques de même nature du palais de Saint-
Jean-de-Latran à Rome, regarde celle de Sélecta comme bien plus
remarquable. L'inventeur de celle-ci a enlevé les bords du bassin, qu'il
doit me céder. Il voulait aussi enlever la pièce du fond pour l'offrir au
caïd de Monestir ; mais voyant qu'il ne pouvait le faire sans la briser,
il a renoncé à son projet. 11 serait du reste très-facile à des ouvriers
européens de faire ce qui a paru impossible à cet Arabe. Si le gouver-
nement désirait cette belle pièce, je ne demanderais pour la lui en-
voyer que la coopération de quelques sapeurs du génie de la garnison
de Bône. Le sol est bien disposé pour que la mosaïque puisse être
enlevée tout entière en la prenant par-dessous.
Me voici enfin parvenu au terme de mon premier voyage archéolo-
gique, c'est-à-dire au célèbre amphithéâtre d'EI Djem, le plus beau
monument d'antiquité, sans contredit, du nord de l'Afrique. Vous
en aurez lu, sans doute, bien des descriptions ; mais mon récit serait
incomplet si je n'y ajoutais pas la mienne. Il est formé, comme le
Colisée , de trois ordres surmontés d'un attique ; mais cet attique au
(1) li est assez probable que la phrase entière était ainsi conçue :
c'est-à-dire Dieu est unique et il n'y a point de Dieu pour vous en outre de lui.
M. Pc.llissier n'indique malheureusement pas en quelle espèce de caractère celte in-
scription est écrite.
LETTRE A M. HASE. 817
lieu d'être plus élevé que les ordres, comme au Colisée, n'a guère que
la moitié de leur hauteur. Le grand axe de l'ellipse extérieure est
de i37 mètres 65 cent, et le petit de 115 mètres 90 cent. La hauteur
totale de l'édifice est de 29 mètres 89 cent. Du reste, c'est la même
distribution qu'au Colisée de Rome. Il y a 64 arcades; mais la façade
et l'attique manquent en plusieurs endroits; il existe même à une des
extrémités du grand axe, une solution complète de continuité de
rétendue de trois arcades ; on dit généralement que cette brèche fut
pratiquée, à une époque peu reculée, parle gouvernement tunisien,
qui, ayant eu à combattre des rebelles retranchés dans l'amphithéâtre,
voulut parce moyen prévenir la reproduction d'un pareil fait; mais je
n'ai rien trouvé de positif à cet égard. El Khairouan, le plus com-
plet des historiens tunisiens, n'en dit pas un mot : il est vrai que son
histoire ne va que jusqu'à la fin du XVIl^ siècle. Il n'existe pas de
traces de gradins en pierre à l'amphithéâtre d'El Djem. Les plans in-
clinés qui devaient les recevoir sont tout unis et sans saillies. Peut-
être les sièges étaient-ils en bois, comme le furent pendant longtemps
une partie de ceux du Colisée. Peut-être aussi faut-il conclure de
cette circonstance que l'édifice n'a jamais été achevé, surtout si on la
rapproche d'autres circonstances que voici: l'attique, qui, comme
je l'ai dit, n'existe pas partout, manque même dans des endroits otr
il n'y a pas indice de démolition ; les coupures dans les solutions de
continuité de la façade, et même de la brèche, sont presque partout
nettes, et représentent moins des arrachements que des pierres d'at-
tente de la même teinte exactement que les autres ; enfin il existe au
centre de chaque archivolte des pierres brutes évidemment destinées
à recevoir des ornements, et dont deux seulement sont sculptées, l'une
en tête de lion, et l'autre en tête de femme portant la coiffure du
siècle des Antonins.
Il existe sous l'amphithéâtre, comme à celui de Rome, une gale-
rie souterraine qui se prolonge bien au delà des limites de l'enceinte.
Les habitants du pays disent même qu'elle va jusqu'à El Mahédiah.
Une telle assertion n'a pas besoin d'être réfutée; mais il paraît cer-
tain, néanmoins, que cette galerie est d'une étendue considérable.
Comme elle est encombrée en plusieurs endroits, et que mon em-
bonpoint ne me rend pas très-facile la progression ophidienne, j'ai
dû renoncer à en sonder les profondeurs.
A un demi-kilomètre au sud de l'amphithéâtre, dans un lieu que
les habitants du village d'El Djem appellent la vieille Ville, existent
de grands amas de décombres. On y voit de tout côté des tronçons de
T. 58
818 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
colonnes, des fragments de chapiteaux et de statues, des débris de mo-
saïque, etc., et pour peu qu'on remue le §oî, on s'aperçoit qu'il ren-
ferme des richesses archéologiques considérables. On est surpris prin-
cipalement de la profusion avec laquelle le marbre avait été employé
dans ces antiques constructions. En disant que, seulement avec ce qui
s offre à la vue, on pourrait construire une maison à deux étages, dont
il n'y aurait pas une pierre qui ne fût de marbre, je ne crois pas exa-
gérer. M. le consul général de France à Tunis enleva de ces ruines,
il y a quelques années, un torse de marbre qu'il envoya à Paris.
L'agent anglais, dont je parle plus haut, y découvrit une statue de
femme dont la tête était brisée, drapée de cette manière légère qui
laisse suivre tous les conteurs du corps; mais il ne la fit pas trans-
porter plus loin que l'amphithéâtre, oii elle est encore. J'ai rapporté
de cette mine, pour mon compte, une petite tête d'enfant en marbre,
et une inscription prise sur un piédestal également de marbre; la
voici :
L. AELIO. AVRELIO
COMMODO
IMPERATOmS . CAESA
RIS . T . AELl . HADRI
ANI . ANTONINI
AVG. PII. P.P.F
DD. PP (1)
Sur un fragment de marbre engagé dans le naur d'une maison de
village, on lit :
.... GERMAN T. P. XX... (2)
Cette lettre , monsieur , est déjà bien longue ; mais je dois \om
i-i) Lisç? : Luciay^lio ^urelio Commodo, imperatoris Cœsa-ris Titi /EUi
Hâdri-ani ^nlonini AugusU palris pcilriœ , filio; decuriones posuerunt.
Piédestal desliné à supporter une statue de l'empereur Commode, succéd.int à
Marc-Aurèle l'an 180, mort en l92. Celle inscription présente cela de très-sin-
gulier que Commode y figure comme fils d'Antonin le Pieux ; il faudrait à la place
de la lettre F, un N, initiale de nepos ; dans ce cas encore il serait extraordinaire
que l'aieul fût nommé à l'exclusion du père. Peut-être était-ce une innovation or-
donnée par le bizarre Commode. (A'ote de M. HçLse.).
{T) Ce resie d'inscription indique un en^percur revêtu d^^ Ulre ^e Gern^anique «jl
qui régnait au moins depuis vingt années. Celte double particularité ne peut, ainsi
que l'a fait observer M. Hase, s'appliquer qu'au seul Marc-Aurèle. En supposant
que le chiffre XX ne fut pas suivi de quelques unités, l'inscription aurait été tracée
sous la viiiglième puissance Iribunilienne du Ois d'Antonin le Ji^icux; c'est à-dirc en
l'an IGG de l'ère chrétienne, 910 de Rome. xMais la guerre contre les Germains
LETTRE A M. HASE. 819
(lire cependant encore quelques mots sur la numismatique, qui pré-
sente ici cette particularité que des médailles de petit bronze sont en
circulation monétaire avec la bourbe arabe, monnaie de billon du
pays. J'ai pu réunir ainsi sans peine, et presque sans frais, près de
deux mille médailles en peu de mois. Celles de grand et de moyen
bronze sont infiniment plus rares. Mes petites médailles ne présentent;
pas une grande variété de types; mais il y en a quelques-unes qui
ne sont pas sans valeur, deux entre autres de Flavia Constantia (1),
que Mionnet désigne comme n'étant connues que par le Recueil de
Goltzius.
La glyptographie trouve, comme la numismatique, à faire ici
d'assez bonnes récoltes où l'ivraie des contrefaçons est peu à craindre.
Je n'ai encore réuni que quelques intailles, mais on m'a assuré qu'il
existait de beaux camées entre les mains de divers particuliers.
La céramiquî n'est pas non plus sans richesses : j'ai déjà en ma
possession bon nombre de lampes sépulcrales, fioles dites jadis la-
crymatoires, vases couverts à parfums, et autres petits monuments
antiques.
Je serais heureux d'apprendre, monsieur, que cette longue lettre
ne vous a point trop fatigué. Je le serais surtout si vous, ainsi que
messieurs vos savants confrères de l'Académie des Inscriptions, vous
vouliez bien donner à mes recherches subséquentes la direction qui
vous paraîtrait propre à les faire concourir à l'accroissement de la
science.
Veuillez agréer, monsieur, la respectueuse assurance de ma haute
considération. Pellissier.
n'ayant commencé qu'en l'année 169, et Marc-Aarèlc ne prenant sur les monument*
et en parliculier sur la monnaie, le lilre de Germanique qu'à partir de sa vingt-
sixième puissance tiibuniliennc, il est impossible de faire remonter râj;e de l'in-
scripUon découverte par M. Pellissier au delà de l'an J72 de J. C; encore pcul-on
descendre jusqu'en 175, car c'est à la fin de celle année-là seulement que Marc-
Aurèle, qui était alors dans sa vingt-neuvième puissance tribuniliinne, ajouta à ses
titres celuide Sarmalique, qui suivit depuis le Germanicus que nous voyons seul ici.
(1) Il y a deux Flavia Constanlia dont les monnaies ne sont citées que par Gol-
tzius ; la première , femme de Licinius. qui l'épousa en 313 , mourut en 330; la se-
conde, fille de Constance et de Fausline, épousa Gralien en 375 et mourut au moii
d'août de l'an 383. Dans le catalogue, rédigé par M. Pellissier, ces monnaies sont
ainsi décrites : TANTIA AYG. Tête de Flavia Constanlia. R. guerrier appuyé
sur une pique. Module 3.
OBSERVATIONS HISTORIODES ET 6ÉOGR4PHI0UES
SLR
LINSCRIPTION D UNE BORNE MILLIAIRE
QUI EXISTE A TUNIS.
Il n'est pas rare que les inscriptions des bornes milliaires présen-
tent beaucoup d'intérêt. Les notions diverses qui s'y trouvent «xpri-
mées , le chiffre itinéraire qui les termine, les formules impériales
qui les commencent, fournissent assez fréquemment des indications
utiles à l'histoire ou à la géographie.
Celle que je vais expliquer m'a paru, sous tous ces rapports, mé-
riter une attention particulière, puisqu'elle contribue à nous faire
connaître l'histoire d'une importante voie romaine entre Carthage
et rinlérieur de la Numidie; et qu'elle confirme ou même complète
le témoignage de Jules Capitolin et d'Hérodien sur un point de l'his-
toire impériale.
Cette inscription n'est point inédite. Sir Grenville Temple l'a pu-
bliée en 1835 (1); mais sa copie est si incomplète qu'il est impossible
de deviner les curieuses particularités qu'elle nous fait connaître. Ce
voyageur l'a trouvée à Tunis, servant à soutenir un côté de la porte
principale de l'école , dite Medres el Andaloiis, a Depuis que je l'ai
«copiée, dit-il, elle a été endommagée par quelques Francs.»
Cependant M. Falbe , qui l'a copiée ensuite, l'a trouvée dans un si
bon état qu'd a pu en tirer une copie presque complète, tandis que
dans celle de sir Grenville la seconde moitié est mutilée à tel point
que M. Dureau de Lamalle, malgré d'ingénieux efforts, n'a pu réussir
à la restituer (2) ; on jugera qu'il ne pouvait en être autrement ,
quand on aura sous les yeux cette copie en regard de celle que m'a
communiquée M. Falbe, d'après le fac-similé qu'il en a pris sur les
lieux mêmes :
'1) Excursions in the Mediterranean , t. II, p. 305, n" il.
(2) Recherches sur la topographie de Carthage, p. 252 , 25.3.
INSCRIPTION D'UNE BORNE MILUAIRE,
821
CiESAR
.. RVS MAXIMINVS...
FELIX AVGGERMMAXSAR
MARMAX DACICVS MAX SAR
5. MAX TRIB* POTEST III IMP...
CIVIBVS VERVS MAXIM VS..
BILISSÏMVS CAES* PRINCEPS.
IVVENÏVTIS GERMMAX...
MATxWAKARTHAGINEM . . .
10. VIAMACARTHAGINE....
AD FINES NVMIDIiE
.. GÏ^IONSAINCV...
... APTAMADQVE...
... RESTITVERVNT
15. LXX
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Pllv JClAElONaAINCVP
C^PT/IMABQVEr
, re^TiTvervnT
^,
XX
\
Transcrite et complétée, elle est ainsi conçue : \Mverator C/Esar,
Caias ivlivs vervs. maxl^iinvs. felix. a\qusIiis. GERmanicus,
MAximus. sarmat/c«5. MAximw^. dacicvs. Mwimas. Po^TÎfex.
MAximus. TRiBunitia. poTEState iiii. iMPerator vi.
CaiuS IVLIVS. VERVS. MAXIMW5. nOBILISSIMVS. CMSar. PRINCEPS.
IVVENTVTIS. GERMamCMS. MAXimUS. SARMATICM5. MAXimM5. DACICVS.
MAxima5. VIAM. a. CARTHAGINE. VSQVE. ad. fines. NVMIDIiE.
PRoç'mcï.E. longa. incvria. corrwPTAM. ATQVE Bilapsani. resti-
TVERVNT. LXX.
Jusqu'à la neuvième ligne, il n'y a pas grande différence entre les
deux copies ; sauf la circonstance qu'on remarque dans la seconde et
la sixième ligne , et sur laquelle je reviendrai plus Bas; sauf encore
le chiffre m au lieu de nu après la puissance tribunitienne; mais ce
second chiffre, sur la copie de M. Falbe, est confirmé par l'autre
indication ; imp. vi. qui exige en effet la iv^ puissance tribuni-
tienne. La date , ainsi fixée à la dernière année du règne simul-
822 UEVUE ARCHÉOLOGIQUE.
tané de C. Julius Verus Maxiniinus, et de son fils C. Julius Veras
Maximus , correspond à l'an 238 de notre ère.
Les lignes 9, 12, 13, 14, dans la copie de sirGrenville sont en-
tièrement corrompues ; et il était impossible d'en rien tirer de satis-
faisant. Je laisse donc de côté les conjectures qu'elles avaient sug-
gérées à notre savant confrère; et je m'en tiens à la leçon certaine
que j'en viens de donner; je dis certaine, parce que je ne pense
pas qu'on puisse contester la seule restitution que j'aie dû proposer à
la ligne quatorzième : Corruplam ad (at) que dilapsam{\); le dernier
mot, dont il ne reste que m, étant appuyé par l'expression : viam
Fldminianam veluslale dilapsamrestiluendam curavil, dans une inscrip-
tion de Fabretli (2).
Il s'agit donc d'une route que les empereurs Maximin et Maxime
firent réparer; et elle en avait, à ce qu'il paraît, grand besoin >
puisque qu'une longue incurie (longa incuria) l'avait réduite dans un
état déplorable [corrupla atque dilapsa). Cette route partait de
Carthage et aboutissait aux frontières de la province de Namidie,
Cela est bien vague. A quel point des limites des deux provinces
doit-on prendre ces fines? on l'ignore; on ne serait pas plus avancé,
si l'on voulait prendre ce mot de fines pour le nom d'un lieu ou d'une
station déterminée, ainsi qu'il y a d'autres stations dans l'itinéraire,
auxquelles on avait donné ce nom de fines; parce qu'elles se trou-
vaient sur la limite de deux peuples ou de deux provinces (3). Comme
ce nom ne se rencontre pas une seule fois dans tous les itinéraires de
l'Afrique, on ne pourrait trouver la position géographique de ces fines
NamidiiÈ..
D'ailleurs , en pareil cas , il n'y a jamais de complément après
fines; au contraire, quand ce nom est suivi d'un complément,
tel que Marmariœ, Aleiandriœ, il indique non pas une station, mais
une limite de territoire (4).
11 faut donc entendre ces fines Numidiœ provinciœ , des limites qui
séparaient h Numidie de la Zeugitane; c'est-à dire que sur une route
qui , parlant de Carthage , aboutissait à un point quelconque de la
Numidie, les empereurs Maximin et Maxime avaient fait réparer la
partie qui finissait à la frontière de la province ; et si l'on n'a point
(1) yit et ad sont mis souvent l'un pour l'autre. C'est un eEfet naturel de Vàlli-
aération, G. Marini, Iscriz. Alhan. p. 109. .
(2) C. tO. no43.
(3) llin. vel. p. 341, 343, 364, 370, 398, 4î1, 460, 461, 462.
(4)i<»n.tJè(. p.70,71.
INSCRIPTION d'une BORNE MILLIAIRE. 823
exprimé à quel point de la frontière , c'est que ce point était naturel-
lennent celui oii aboutissait la route sur laquelle les railliaires étaient
placés.
Maintenant, remarquons que la borne se trouve actuellement à
Tunis , c'est-à-dire à quatre ou cinq milles seulement au sud-ouest
de Carthage ; comme elle porte le chiffre lxx , à partir de cette ville,
il faut reconnaître qu'elle a été nécessairement apportée là d'une
distance de soixante-cincj à soixante-six milles ou d'environ vingt-
deux de nos lieues communes. Mais sur quelle route fut-elle origi-
nairement placée? c'est ce qu'il serait maintenant impossible de savoir,
si d'autres colonnes, trouvées en différents points , n'en fournissaient
le moyen.
Parmi les voies romaines qui partaient de Garthage , trois princi-
pales conduisaient en Numidie; Tune longeait en partie la côte au nord
et se rendait à Hippo-Regkis (Bone), par Udca et Hippo-Zarylos
(Bizerte); l'autre aboutissait à celte même ville, en passant par
Cigissa, Teglata , Biilla Regia et ad Aqaas; la troisième tournait
au sud-ouest par Tunes, M asti y où elle se partageait en deux bras,
dont l'un se dirigeait à l'ouest et l'autre au sud-ouesl pour se rendre
à Tlie^^este colonia^ à présent Tebesa , et de là par Cirta (ou Con-
stantine), aboutissait à Césarée. On a lieu de croire que c'est à la
première partie de cette route, de Garthage à T/icç^es/e, qu'appartenait
notre milliaire; en voici la preuve:
Deux autres milliaires ont été trouvés en un point très-reculé de
l'intérieur, près d'El-Knf, à Sidi Bou Atilah. Ge point doit corres-
pondre à la station de Tliinica, sur la route de Carthage à Tlm^este,
entre les deux stations principales Choreva (lxvi, m. v.) et Musli
(xciv, Bi. p.), marquées dans l'itinéraire d'Anlonin (l). La pre-
mière de ces deux inscriptions, copiée par Sir Grenville Temple,
est presque en tout semblable à celle qui nous occupe ; la voici
telle que la donne ce voyageur (2) :
(t) liin. vêler, p. 26.
(2) N" 179, t. II, p. 352.
82i REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
IMP. CAES
GÏVLl VS VERVS M
AXLMIANVS (sic) PIVS. FEL
AVG. GERM. MAX.
SARM. MAX. DACÎ
CVS. MAX. PONTIF.
MAX. T. P. 111. IMP. V. ET
GIVLIVS. VERVS. MAXI
MVS. NOBIL. CAES. PR.
IVVENTVTIS. GERMAN
SARM. MAX. DAC. MAX.
VIAM. A. KARTHAG....
On peut la terminer en toute assurance d'après la première ; car
elles sont identiques entre elles, à l'exception de la date, qui est
d'une année antérieure, trib. pot. m. imp. v.; mais, comme
l'autre a dû être posée, ainsi qu'on le verra, avant le mois de mars
de l'an 238, la pose de l'une et dé l'autre peut avoir eu lieu à quelques
mois seulement d'intervalle.
Or, celle-ci étant précisément placée sur la route de Carlhcige à
Theveste , mùrc\uée dans l'itinéraire, c'est une preuve manifeste que
l'autre inscription qui existe à Tunis y lut transportée d'un point
de cette voie romaine situé à soixante-dix milles de Carthage.
C'est d'ailleurs ce que semble démontrer la deuxième borne que
Sir Grenville Temple a vue en ce même lieu, appelé Abou Atllahy
où il a trouvé la précédente ; par conséquent sur la route de Cjirthagc
h Theveste : il n'en a copié que ces cinq lignes :
AVG. PONT. MAX. TRIB
POT. VII. COS. IIII
VIAM. A. KARTHAGINE
HILVESTEM. STRAV
PIRIECIIIAVG
Les lacunes de ce fragment informe se remplissent avec toute cer-
titude au moyen de deux autres bornes milliaires, trouvées en des
lieux bien dilîérents. La première a été vue et copiée à Tunis même
INSCRIPTION D'UNE BORNE MILLIAIRE. 825
par Shaw (1) , ensuite par M. Falbe, qui en donne cette copie,
laquelle ne dJiFère de celle de Shaw, qu'en ce quelle fournit le
chiflre milliaire que le voyageur avait oublié :
IMP. CAESAR
DIVI. NERVAE. [NEPOs]
[dIVI. TRAIANI. PARTHICl. F.
traianvs. hadrianvs]
AVG. PONT. MAx(tRIB)
POT. \II COS lU
VIAM. A. KARTHAGINE
THEVESTEM STRAVIT
PER. LEG. III. AVG.
P. METILIO. SECVNDO
LEG. AVG. PR. PR.
LXXXV
La deuxième a été récemment découverte, lors des fouilles entre-
prises par une Société française sur le sol de Carthage. Elle a été
transportée à Paris et doit être ofl'erte à la Bibliothèque royale. Les
trois premières lignes manquent; il ne reste de la quatrième que le
bas des lettres : les lignes suivantes, à partir de avg. pont., etc.,
sont identiques avec celles des copies de Shav/ et de M. Falbe. La
seule diilérence consiste dans le chiflre milliaire qui est lxxxvi, au
lieu de lxxxv.
Ces deux inscriptions permettent de rétablir complètement , au
chifl*re près, celle que sir Grenville Temple a copiée à Aboii-Aûlah,
et dont j'ai transcrit plus haut les cinq lignes qui restent; on a donc
maintenant trois bornes milliaires appartenant à la môme voie ro-
maine, qui, partant de Carthage, aboutissait à Theçeste Colonia; Y nue
d'elles est encore en place, ou du moins se trouve fort près du lieu
où elle dut être originairement placée ; les deux autres marquées, l'une
du chiffre lxxxv, l'autre du chiffre lxxxvi, furent apportées, la
première à Tunis, où elle est encore; la deuxième à Carthage, d'où
elle a été transportée à Paris.
Ces trois colonnes sont de la même année, savoir, la vif d'Ha-
drien, répondant à l'an 877 de Rome, ou 124 de l'ère vulgaire.
Elles attestent que la grande route de Carthage à Theçeste colo-
iiia, iwi pavée et garnie de ses milliaires, au commencement du
l) Travels, p. 15G, Oxford, 17 38.
826 REVUE ARCHÉOLOGIQUE,
règne de cet empereur. Les travaux furent exécutés par la troisième
légion Augusta , le lieutenant d'Auguste P. Métilius Secundus étant
le procurateur de la province.
Nos trois inscriptions sont les plus anciens monuments où le nom
de Theveste se rencontre. On ne le trouve ni dans Mêla, ni dans Pline-
Ptolémée, qui écrivait sous Antonin, est le premier auteur qui la
nomme. C'était donc une ville nouvelle, du moins une ville qui ne
prit qu'assez tard de l'importance. Il est vraisemblable que cette im-
portance date de l'époque où elle devint colonie romaine, titre qu'elle
porte dans l'itinéraire d'Antonin et dans une inscription deGruter(l),
et que cette époque est celle du commencement du règne d'Hadrien ;
c'est alors que le besoin de rendre faciles les communications engagea
ce prince à faire exécuter la voie qui devait unir la nouvelle colo-
nie avec Carlhage, la métropole africaine. Ces trois milliaires vont
très-bien, par leur date, aux autres données qui concernent ce lieu,
en donnant Hadrien pour le premier auteur de cette grande voie de
communication.
Des réparations y furent faites, environ un siècle après, la xtx* an-
née d'Antonin Caracalla, en 960 ou 216 de notre ère, ainsi que
l'atteste cette autre inscription trouvée et copiée à Testonr par sir
Grenville, à quelques milles à l'est du point où ont été trouvées deuî
des précédentes (2). Cette borne forme un des piliers qui soutiennent
une maison moderne, servant à une corderie,
CAESAR M
AVRELIVS
ANTOMNVS Cœsar Marcus Aarelius Ànto-
pivs. AVG. PART niniis , Pins, AugmluSy Parlhicus
Hicvs. MAXIM MaximuSy Britannicus Maximus
VS. BRITANICVS ^ . ,, . ^ , • •
., . X. , «, ,.. ^ w.« Germanicas Maximus , Tribmilia
MAXIM VS. GER
MANicvs. MA potestate xix, Consul iv, Pater
xiMvs. TRiBVN Palricè, resliluit, lxxi (2).
CIA POT. XIX
COS. mi. p. p. RESTITVIT
LXXI
(1) Sir Grenv. Temple, t. II, p. 308 , n" 19.
(2) Celle borne élait à un mille de celle qui fut transportée à Tunis (plus haut,
p. 821) ; comme elle était en place et en bon état, on n'y toucha pas lors des répa-
rations ordonnées par Maximin.
INSCRIPTION D UNE BORNE MILLIAIRE. 827
Sir Grenville Temple a trouvé les vestiges de cette voie romaine
entre Kaf et Testour ; il les décrit en ces termes : c< Aussitôt après
« avoir quitté Kaf, j'ai foulé les vestiges d'une ancienne voie ro-
te maine. A mesure que nous avancions, ils devenaient plus fortc-
«raent prononcés, et, en quelques endroits, dans un état presque
« parfait de conservation, spécialement entre Sidi Abd-er-Uabbou et
«Bou Atilah. Cette route n'était pas pavée avec de grands blocs
« polygones comme ceux des routes romaines en Italie, mais avec
« des matériaux qui ressemblent à ceux qu'on emploie à Londres et
(( à Paris. En certains endroits, on trouve quelques anciennes bornes
<( milliaires ; mais malheureusement la plupart d'entre elles sont ou
«fracturées ou presque illisibles. J'en ai pourtant copié trois (l). »
Ce sont les deux précédentes et une troisième que voici :
[IMP.] càesarM
M. AVRELIO
PROBO. PIO
FELICI. AVG.
PONTIF. MA
XIMO. TRIB.
[POt... OB. VIAM
RESTlT. COL
MP ]
Elle se renferme entre les années i029-i03/^ ou 276-281 de notre
ère, époque d'environ un demi-siècle postérieure à celle des tra-
vaux ordonnés par Maximin.
il paraît que, depuis cette époque, la route fut abandonnée, et que,
vingt-deux ans après la réparation faite par Caracalla , les empereurs
Maximin et Maxime (ou du moins le procurateur de la Zeugitane en
leur nom) la firent réparer dans toute la partie qui de Carlhage
aboutissait à la frontière occidentale de la Numidie.
D'après tous ces documents, la grande route de Cartbage à The-
veste fut pavée pour la première fois sous Hadrien , réparée sous An-
tonin Caracalla, en 2 6; négligée depuis; restaurée en 237 et 238
sous Maximin (au moins jusqu'à la frontière numide), puis réparée
encore sous Probus.
Ils nous fournissent donc une sorte d'histoire de cette voie impor-
tante dans la province de Zeugitane , presque jusqu'au temps de
Dioclétien.
(1) Sir Grenv. Temple, t. Il , p. 282.
S28 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
J'arrive maintenant à l'examen d'une circonstance que présente
l'inscription de Tunis, circonstance tout à fait unique dans l'épi-
graphie latine. On trouve souvent des inscriptions impériales
oii les noms des empereurs ont été effacés, ce qui a lieu pour ceux
deCaligula, de Néron, de Domitien , de Commode, de Géta,de
Caracalla, d'Héliogabale , de Galère Maximien et de Julien ; mais on
n'en connaît jusqu'ici aucune où ces noms, effacés par la haine ou
la vengeance politique, aient été remplacés après coup. Il était im-
possible de se douter de cette circonstance singulière, d'après la co-
pie de sir Grenville Temple. Mais ce fait m'a paru évident dès le
premier coup d'œil jeté sur la copie, ou fac-similé , que M. Falbe
m'avait communiquée. Ce savant en est demeuré d'accord , aussitôt
que je lui en fis faire la remarque; et il m'a donné l'assurance que
cette particularité était fort clairement indiquée sur la pierre.
Or, cette particularité consiste en ce que la 2® et la 6^ ligne oii
se lisent les noms de Maximinus et de Maximus présentent un en-
foncement très-sensible ; d'où il résulte avec évidence que ces noms
en ont remplacé d'autres qui avaient été grattés ; pour graver ces
nouveaux noms, on égalisa et l'on polit ensuite la pierre ; de là cet
enfoncement qui se remarque en ces deux endroits seulement.
Quels étaient ces noms que le ciseau avait effacés? La réponse n'est
pas douteuse; car il n'y a eu d'effacé que ces noms; le reste est de-
meuré intact. Or, comme les titres des deux empereurs et les dates
qui les accompagnent ne peuvent absolument convenir qu'à Maxi-
minus et à Maximus, on a la preuve certaine que leurs noms
avaient été gravés là dès l'origine ; d'où il suit que leurs noms
furent effacés d'abord dans un intérêt quelconque , puis rétablis
dans un intérêt opposé.
C'est là une circonstance dont aucune autre inscription latine ne
fournit d'exemple , mais dont l'histoire nous donne une explication
complète.
Maximus et son fils étaient occupés à la guerre de Pannonie ,
lorsqu'une ville d'Afrique, fiTa^/rume/wm, se révolta contre leur tyran-
nie; la révolte gagna bientôt toute la province d'Afrique. On mit sur
le trône Gordien qui était proconsul de la province depuis sept ans ,
et qui pour lors se trouvait à Tysdrus. Forcé d'accepter ce dange-
reux honneur , il s'associa immédiatement son fils qui portait le
même nom que lui. La haine de la multitude contre Maximin dé-
posé se manifesta par de grands excès. Hérodien dit qu'on abattit
ses statues , qu'on détruisit ses images et les traces de tous les bon-
INSCRIPTION d'une BORNE MILLIAIRE. 829
neurs qui lui avaient été conférés (àv^pidvTeç ovv 7,ou eiy.6vîçy niioci
T£ Traçât roît Ma^ipvou zarso'TrwvTo (1).
A coup sûr, leurs noms gravés dans les inscriptions dédicatoires
ne furent point épargnés ; voilà ce qui explique pourquoi ils avaient
disparu de notre borne milliaire, et probablement de toutes celles qui
furent élevées sur la route de Carthage à la frontière de Numidie {ad
fines Numidiœ provinciœ ).
Maintenant pourquoi y furent-ils replacés de nouveau ? Le voici :
Maximin avait nommé gouverneur de la Numidie un certain Capel-
lianus , officier de distinction qui lui était tout dévoué. La province,
dit Hérodien, avait besoin d'être fortement gardée contre les incur-
sions des Barbares , et contre les mouvements des populations (2) ;
car, après une occupation de près de trois siècles, la possession du
pays était peut-être encore moins tranquille qu'elle ne l'est de nos
jours.
Gordien , une fois proclamé empereur , était trop prudent pour
laisser Capellien , son ennemi naturel , dans une position aussi for-
midable; il se hâta donc de le révoquer, de lui envoyer un succes-
seur, et de lui enjoindre de quitter le pays (3) ; mais Capellien qui
sentait sa force, se garda bien d'obéir à cet ordre. Pour toute ré-
ponse , il marche sur Carthage à la tête de ses troupes ; il défait et
tue le fils de Gordien ; quant au père, désespérant de pouvoir échap-
per à son vainqueur, il s'étrangle avec sa ceinture, n'ayant régné
qu'environ six semaines.
Capellien entre à Carthage ; il fait périr tous ceux qui avaient pris
parti contre Maximin ; il pille les temples et les maisons des particu-
liers , met à mort ou bannit tous les membres de la famille des Gor-
diens (4) ; et l'histoire semble déjà confirmée sur ce point par une in-
scription d'Afrique, où notre savant confrère M. Le Bas a découvert
le nom d'un des Gordiens, Quintus Maecius Riisticus, assassiné
[fcrro peùtas)hi cette époque (5) et à la môme occasion (6). Capellien
parcourut les campagnes, ravageant toutes les villes qui avaient dé-
0) Herod. VII, 7,3.
(2j Idem, VII, 9,2-4.
(3) Idem , VII, 9, G vix^oy_6'i ts aùrèv zTz-ii-bz ,■ y.'xl rou éd->o\iç sÇe/Osïv s/i^.S'jTSv.
(4) Idein , VII, 7, 8 et 9. — 7ai. Capit. in Maximinis , c. 19.
(5) .... Omnes Gordianos.... in yifrica intcremil et proscripsH. Je suis l'in-
terprélalioii de M. Le Bas.
(6) Journal de l'Instriict. publique, 7 août 1836. Son interprétation est ap-
prouvée par M. Hase (Journ. des Savants, juillet 1837, p. 430, 43i ).
830 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
truit les honneurs conférés à Maximin , préparant tout, dit Jules
Capitolin , pour arriver lui-même au trône impérial , si Maximin
venait à périr (l).
En vengeant ainsi les injures de Maximin qui, malgré les décisions
du sénat, était resté à la tête de sa formidable armée, en rétablissant
ses honneurs , Capellien ne pouvait oublier que le nom de ses
princes avait été eflacé à l'avènement de Gordien, des inscriptions,
principalement de celles des bornes milliaires sur la grande roule que
Maximin avait fait réparer. Si les bornes marquées de l'an m étaient
de la fin de cette année, les unes et les autres avaient pu être dressées
dans l'espace de peu de mois. Ces colonnes , c'était, à n'en point
douter , Capellien lui-môme qui les avait fait placer et orner d'in-
scriptions; car elles étaient, comme on l'a vu , les unes de l'an m,
les autres de l'an iv de cet empereur. Or l'avènement de Gordien
ayant eu lieu au mois de mars, Capellien était dès lors gouverneur
de la province. En remettant ces noms, il ne faisait que rétablir son
propre ouvrage.
Ainsi , l'histoire donne une explication complète de la particula-
rité unique que j'ai remarquée; et, réciproquement, la borne milliaire
de Tunis confirme, par un témoignage en quelque sorte vivant, ce
détail historique qui ne repose que sur les dires de Jules Capi-
tolin et d'Hérodien ; elle les complète même, puisque ces histo-
riens laissent présumer, mais ne disent expressément ni l'un ni l'au-
tre, que le nom de Maximin et de son fils eussent été elïacés des
monuments ni replacés après coup. A présent, on peut en toute
assurance ajouter Maximin et son fils aux empereurs dont les noms
eurent à souffrir cette grave injure. Elle put leur être infligée dans
toute l'étendue de l'empire , puisque la haine du sénat contre ces
tyrans les poursuivit jusqu'à leur mort; et peut-être un jour en
trouvera-t-on d'autres exemples en diverses contrées. Mais ce qu'on
ne trouvera jamais qu'en Afrique, et peut-être même que dans la
seule province de Numidie , ce sont des inscriptions oii le nom de
ces empereurs détestés aura été gravé de nouveau.
Je ne doute point qu'il n'en soit de même de l'autre borne milliaire
trouvée à Testour et copiée par sir Grenville Temple ; si les noms
des deux empereurs s'y lisent encore , c'est qu'à coup sûr ils y ont
été replacés. Sir Grenville n a pas marqué cette circonstance dans
sa copie ; mais il ne l'a pas marquée davantage dans celle qu'il a
(1) Prœludens ad imperiurrif si Maximinus perisset»
INSCRIPTION d'une BORNE MILLIAIRE. 831
donnée de l'inscription de Tunis ; et, sans le fac-similé de M. Falbe ,
personne ne se serait douté de cette particularité si curieuse. On
peut donc penser qu'on la trouvera exprimée sur l'autre colonne,
quand on la reverra sur les lieux.
C'est là une preuve, entre mille autres , de l'importance qui peut
s'attacher aux détails les plus minutieux.
Les partisans du calcul des probabilités appliqué à l'histoire peu-
vent, s'ils veulent en prendre la peine, supputer les chances de certi-
tude que la découverte de cette borne milliaire apporte aux témoi-
gnages de Jules Capitolin et d'Hérodien. Pour nous autres , anti-
quaires, philologues ou historiens, nous disons, sans avoir besoin
de calcul, que la certitude est absolue et complète.
Letbqnne.
SUR
Il FRAGMENT D'UNE DES STATUES DU PARTHÉNON "'.
Nous annonçons une heureuse nouvelle aux artistes et aux anti-
quaires. Un précieux fragment d'une des principales statues du Par-
thénon , une tête de Phidias est à Paris ; elle appartient à un Fran-
çais, à un homme de goût et de savoir. Elle n'est point à vendre, et
par conséquent, elle ne passera pas la mer pour aller s'enfouir dans
quelque château inaccessible de l'Angleterre.
C'est à Venise que M. le comte de Laborde, son heureux proprié-
taire, en a fait la découverte à la fin de l'année dernière. Occupé
depuis longtemps d'un travail sur le Parthénon , il s'était attaché à
recueillir des renseignements précis sur tous les admirables fragments
dispersés aujourd'hui depuis Athènes jusqu'à Copenhagu:î. 11 sut
qu'une tête de déesse provenant du Parthénon se trouvait à Venise,
depuis les campagnes de Morosini en Grèce. Après avoir étudié en
Angleterre les marbres rapportés par lord Elgin , et tout récemment ,
à Athènes, les statues respectées, ou plutôt oubliées, par l'Écossais,
M. de Laborde se rendit à Venise. Là, conservant encore la fraîcheur
de ses impressions et de ses souvenirs , tout plein d'hellénisme, si je
puis m'exprimer ainsi, il vit la tête qu'il convoitait, et n'eut pas de
peine à constater son origine.
On sait que Morosini assiégea et prit Athènes en 1G87. Les
grands hommes sont de cruels fléaux pour Farchitecture. Alexandre
brûla Persépolis après boire, Morosini, qui ne le valait pas , canonna
le Parthénon , et une de ses bombes y fit plus de mal que les pluies
et les tempêtes de vingt-deux siècles. Ce ne fut pas tout. Obligé ,
en 1688, d'évacuer les ruines qu'il venait à peine de conquérir, il
voulut enlever les statues du fronton pour les envoyer à Ve-
nise. Voici comment il rend compte de cette opération dans une
lettre datée du 19 mars 1688, que M. de Laborde a trouvée dans les
archives de Saint-Marc, et qu'il a bien voulu me communiquer.
(1) Cet arUcle est extrait du Conslitulionnel , et les dessins qui l'accompagnent
nous ont été fournis par Vmmlraiion, [Noie de Védileur.)
FRAGMENT DUNE STATUE DU PARTHENON.
833
« Sur le point d'abandonner Athènes « (Morosini allait diriger toutes
ses forces contre Négrepont), « je voulus emporter quelques-uns de
« ses plus nobles ornements , pour ajouter encore à la splendeur de
(( la sérénissime république. On essaya de détacher la figure d'un
« Jupiter y et deux magnifiques chevaux, du fronton du temple de
c< Minerve, où l'on voit les sculptures les plus remarquables (1). A
(1) On a longtemps cru que rtnlréc du Parthénon était à roiiest, c'est-â-dire en
face des Propylées et au débouché de l'escalier qui conduit sur le plateau de l'Acro-
pole. Partant de cette supposition et du texte de Pausanias , Jes érudils du
XVIIe siècle voulurent voir dans le fronton de l'ouest la Naissance de Minerve ,
et du côté opposé Neptune et Blinerve se disputanl V^llique. C'est le contraire
de la vérité. Morosini qui s'attaqua au fronton orcidrnial , devait liécrssaircmenl
faire de Neptune un Jupiter, et supposer que la Victoire dans le char représentait
la jeune Minerve conduite par son père dans l'assemblée des dieux. La vérité soup-
çonnée par Stuart et Leake a été complètement démontrée par M. Ouatremère de
Quincy.
I. 54
834 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« peine eut-on mis la main sur une grande corniche , que tout tomba
« d'une hauteur extraordinaire , et ce fut un miracle que les ouvriers
a n'aient pas éprouvé d'accidents.
« L'impossibilité d'apporter et de planter dans le château [Y Acro-
« pôle ) des antennes de galères pour en faire des chèvres , n'a pas
(( permis de renouveler ces périlleuses tentatives. D'ailleurs , ce qu'il
« y avait de plus beau n'existe plus à présent [mancando do vera di
apia singolare), et le reste est fort inférieur et mutilé dans quelques
(( membres par le temps. »
C'est avec cette laconique simplicité que le héros raconte ses déplo-
rables exploits. Il lui fallait, à ce qu'il paraît , des statues intactes;
son état major se montra moins difficile. Un lieutenant danois,
nommé Horn , envoya à Copenhague une tête détachée d'une mé-
tope. Des officiers hessois rapportèrent à Cassel des stèles et des in-
scriptions Venise reçut un grand nombre de sculptures, entre autres
un beau fragment de la frise du Parthénon. Un certain Gallo , secré-
taire de Morosini , prit pour sa part la tête de la stntue de la Victoire
sans ailes , qui faisait partie du groupe que son général avait si mal-
heureusement précipité du haut du fronton. On croyait alors que
cette statue représentait Minerve conduite par Jupiter dans l'assem-
blée des dieux ; c'était donc la patronne du temple que Gatlo s'était
réservée. Transportée à Venise , la tête de la Victoire demeura dans
la maison de Gallo, scellée dans une muraille, jusqu'à ce qu'on
abattît le bâtiment pour agrandir l'Académie. Déjà la tradition de son
origine était oubliée , car elle fut abandonnée à un de Ces marbriers
qui font des parquets de Scagliola. Peut-être eût-elle été brisée en
morceaux, si un négociant allemand, M. Weber, informé qu'elle
provenait du Parthénon, ne l'eût achetée à bas prix. Il s'empressa
d'annoncer sa découverte dans les journaux scientifiques d'Allemagne
et d'Angleterre. Malgré les détails qu'il donnait sur la façon dont ce
précieux morceau était arrivé à Venise, on y fit peu d'attention;
tout propriétaire est suspect vantant ce qu'il possède , et une détes-
table lithographie , qui accompagnait le factum de M. Weber, sem-
blait suffire seule à le réfuter. Enfin M. Weber, atteint d'une maladie
cruelle, avait, pendant plusieurs années, fermé sa maison aux visi-
teurs. Toutefois, l'annonce n'avait pas échappé à M. deLaborde;
il voulut voir par lui-même. Dès qu'il eut vu, il acheta; et, plus
heureux que lord Elgin , qui a laissé dans la mer la moitié de son
trésor, il a rapporté le sien intact à Paris.
Uti mot , maintenant , sur cette tête qui a déjà subi l'examen des
i FRAGMENT D'UNE STATUE DUj^PARTHÉNON. 835
juges les plus compétents. M. le duc de Luynes, M. Lenormant ,
M. Raoul Rochette ne doutent pas un instant qu'elle ne soit l'cfeuvre
de Phidias. Je n'essaierai pas de la décrire. On sent la sculpture des
maîtres grecs ; mais des paroles ne peuvent donner une idée de ce
qui ne peut même se copier. Je me bornerai donc à quelques obser-
vations purement matérielles. La tête rapportée par M. de Labofda
est , comme toutes les statues du Parthénon , du plus beau marbiNî
penthélique. Sa proportion est presque double de nature. (Hauteur :
40 ou 45 centimètres; circonférence , mesurée sur le froiit : 1,02).
Ce sont les proportions qui conviennent à une statue semblable à
celles des grandes déesses du musée de Londres.
Le nez est fracturé , ainsi que la partie postérieure de la coiffure.
Sur une bandelette , qui retient les cheveux , on remarque un certain
8.36 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
nombre de trous assez profonds , qui ont servi à fixer des ornements
en métal. Les oreilles sont percées également pour recevoir des pen-
dants. Ce fait est des plus curieux. En effet, on peut s'étonner qu'on
ait donné des ornements si délicats à une statue élevée à plus de
cinquante pieds au-dessus du sol. Peut-être ces trous ont-ils été faits
pour recevoir quelque pieuse offrande. Si l'on rapproche de ces pen-
dants d'oreilles, cet autre fait, que les statues du Parthénon sont ter-
minées du côté où elles étaient appliquées au tympan du fronton , on
aura lieu de penser qu'elles ont été exposées dans une exhibition
publique, pour être examinées de près, avant d'être élevées à la
place pour laquelle elles étaient destinées.
Une circonstance ajoute encore du prix au fragment de M. de La-
borde. En 1674 , M. le marquis de Nointel , ambassadeur de France à
Constantinople , fit dessiner les statues des deux frontons du Parthé-
non, par Carey, élève de Lebrun. Il y avait alors dix-huit statues ayant
leurs têtes. Primitivement, il y en avait quarante-huit. Aujourd'hui,
une statue seulement , le Thésée , rapporté à Londres par lord Elgin,
a conservé sa tête , et parmi les nombreux fragments découverts dans
les fouilles récentes de l'Acropole , une seule tête provenant de l'un
des frontons s'est retrouvée ; ces deux têtes sont horriblement muti-
lées. Celle de la Victoire est, au contraire , d'une conservation remar-
quable, surtout si l'on se rappelle l'horrible chute qu'elle a faite par
la maladresse des ouvriers de Morosini. Espérons que ses pérégrina-
tions sont terminées, et que si elle sort du cabinet de M. de Laborde ,
ce ne sera que pour entrer dans une de nos collections nationales.
P. Mérimée, de rinstllal.
P. S, S. M. le roi de Bavière, qui réunit, comme tout le monde
sait, à un goût éclairé pour les arts, la connaissance la plus appro-
fondie de l'antiquité grecque , vient de faire adresser à M. le comte
de Laborde, des offres toutes royales pour obtenir la tête de la Vic-
toire sans ailes. M. de Laborde a refusé. Sans doute l'administration
de notre Musée ne s'est laissé prévenir que parce qu'elle connaissait
d'avance l'intention du propriétaire de conserver dans son cabinet le
précieux fragment qu'il a si heureusement découvert.
lETTBE DE M. lE BAS A M. lE RÉDACIEIJR DD MONITEUR GREC ^'\
Monsieur le Rédacteur ,
Je lis dans Y Observateur grec du 9 novembre 1844, une lettre de
M. Papadopoulo-Vrétos, que je ne puis laisser sans réponse, puisque
j'ai été la cause ( bien involontaire, il est vrai) de l'étrange attaque
que cette lettre contient.
Au mois d'octobre dernier , sur le point de quitter la Grèce pour
rentrer en France, je voulus visiter la Béotie et la Phocide, et faire
ainsi mes adieux à un pays que j'aime , à un pays dont l'histoire a
été et sera l'objet constant de mes études. Je parlai de mon projet à
M. Papadopoulo, que j'avais autrefois connu à Paris, et ne pus re-
fuser l'offre qu'il me fit de m'accompagner. Mon but principal était
de vérifier à Delphes les découvertes faites par l'infortuné Ch. Ottfr.
Millier, et de m'assurer si, dans le trouble et les préoccupations
qu'avait du occasionner la maladie de ce savant archéologue, quelque
monument épigraphique n'aurait pas échappé aux investigations de
ses compagnons de voyage. Je m'étais donc muni en partant des deux
livres qui pouvaient le plus efficacement faciliter mes recherches,
les Voyages à Delphes, de feu M. Ulrichs, imprimés à Brème en
1840, et les Anecdota Delphica que M. Ernest Curtius a fait pa-
raître à Berlin en 1843. C'est dans ce dernier ouvrage, qui était sans
cesse entre mes mains, que M. Papadopoulo a pris connaissance de
l'assertion de M. de Witte, cojitre laquelle il s'élève. Il y a appris que ce
savant, venu à Delphes un an après Millier, en société de MM. Ch.
Lenormant, Mérimée et Ampère (et non pas de M. Raoul Rochette,
avec lequel il n'a jamais voyagé, et qui n'a jamais, que je sache, vi-
sité les ruines de Delphes), avait, dans une lettre adressée à M. Rou-
lez, son confrère à l'Académie royale de Bruxelles, déclaré qu'il
n'avait pu, malgré ses recherches attentives et celles de ses trois amis,
retrouver le mur de soubassement du grand temple sur lequel l'il-
lustre professeur de Gœttingue avait lu les nombreux décrets et actes
publics, mis plus tardaujourparM. Curtius, et en avait tiré cette con-
(1) Dans une Notice publiée à la suite d'un voyage en Grèce , M. de WKte qui
avait inutilement cherché à Delphes les inscriptions découvertes par K. O. Miillerj
supposait que la muraille sur laquelle elles étaient tracées avait été détruite par les
gens du pays. Celte supposition a excité au plus haut degré la colère de M. Papado-
poulo-Vrétos qui a cru y voir une accusation de barbarie dirigée contre toute la
nation grecque. De là une attaque aussi inconvenante dans la forme que pour le
fond. La lettre que nous publions aujourd'hui, répondait aux allégations malveil-
lantes de M. Papadopoulo. {IVote de l'éditeur.)
838 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
séquence que le mur en question avait dû être, couirae cela est arrivé
trop souvent , employé à la construction des nouveaux édifices qui
se sont élevés depuis quelques années à Castri. De là l'indignation
du trop irascible M.Papadopoulo. 11 voit dans ces paroles une accusa-
tion de vandalisme dirigée contre tous les Grecs, disons le ipot, une
calomnie d'autant plus surprenante, suivant le belliqueux chevalier,
que M. de Witte a été décoré de la croix du Sauveur,
Sans relever ici tout ce qu'a d'inconvenant cette dernière insinua-
tion, je répondrai àM. Papadopoulo, dussé-je, moi aussi, encourir sa
patriotique colère, que l'on peut être excellent pbilhellène et sup-
poser , voire même admettre que des paysans ont employé à la
construction de leurs maisons des matériaux déjà en place ou d'une
forme plus commode que des pierres brutes. C'est un fait qu'attestent
tant de fragments d'inscriptions, d'architecture et même de sculptures
encastrés dans les murs des édifices particuliers ou publics duPélopo-
nèse et du nord de la Grèce. Nous, non plus, nous ne sommes pas
des Vandales, et cependant, si l'autorité locale n'y mettait bon ordre,
nos précieuses antiquités romaines ou gallo-romaines auraient depuis
longtemps disparu. C'est ce qu'ont parfaitement compris les différents
ministères grecs; sans douter du patriotisme incontestable des habi-
tants de la campagne, et même des villes, ils ont bien senti que de
longtemps encore tous les Hellènes indistinctement ne sauraient pas
apprécier la valeur des monuments antiques, et voilà pourquoi,
dans les lieux remarquables, à Delphes, à Phigalie, etc., ils ont
placé des vétérans chargés de veiller à la conservation des derniers
souvenirs de la gloire des ancêtres.
M. Papadopoulo, trop pressé de faire connaître aux Grecs sa con-
stante soUicitade à les défendre contre les calomnies de certains étran-
gers ^ n'a pas réfléchi que M. de Witte avait fort bien pu dire la vé-
rité en affirmant qu'il n'avait pas retrouvé le mur vu par Millier. Ce
dernier, pour lire les inscriptions qui s'y trouvaient gravées, avait fait
exécuter des fouilles. Ne peut-il pas se faire qu'après son départ on
ait remblayé les terres et recouvert le mur de telle façon que les
quatre voyageurs français n'aient pu le découvrir, surtout si, s'en fiant
au plan de M. Ulrichs, ils se sont abstenus de recourir à un guide?
•D'ailleurs, à l'époque oùM. de Witte vint à Delphes, on bâtissait, dans
le voisinage du mur en question, la maison d'un riche capitaine de
Castri, dont le nom m'échappe, et il est très -probable que les ma-
lériaqx de cette construction avaient encombré tous les alentoqr^ dp
manièreà rendre lesrecherches presque impossibles. Cette supposition
LETTRE DE M. LE BAS. 839
est d'autant plusfondée que mon docte ami , M. Rizo Rangabé , qui
visita Delphes en 1843, fut obligé, pour collationner les textes lus
par Millier, de faire déblayer les approches du mur, et que moi-môme,
venu un an plus tard, j'ai dû, pour satisfaire ma curiosité, recourir
à un moyen semblable. J'ajouterai que, dans ce travail, les paysans
que j'employais eurent à déplacer des restes de chaux éteinte, pro-
venant sans doute des travaux exécutés pour bâtir la maison dont j'ai
parlé plus haut.
Ne résulte-t-il pas de tout ceci, M. le Rédacteur, que M. Papado-
poulo, en s'armant de pied en cap pour repousser la chimérique calom-
nie de M. de Witte , rappelle beaucoup le chevalier de la Triste figure,
prenant des moulins pour des géants et d'innocentes brebis pour une
armée de Sarrasins, et que son zèle pour ses compatriotes, sa haine
pour l'étranger que, soit dit en passant, il a moins qu'un autre
raison de haïr , pourraient trouver à s'exercer d'une manière plus
convenable. Mais interdire la polémique à M. Papadopoulo, c'est lui
imposer une chose au-dessus de ses forces. La polémique I mais c'est
sa vie ; plutôt mourir que de ne pas faire imprimer tous les ans quelque
brochure, quelque article contre tel ou tel adversaire, et de se faire
tous les ans quelque nouvel ennemi. Après le tour de M. de Witte
viendra sans doute le mien. Je me résigne d'avance à cet honneur,
tout en déclarant que je ne ferai pas à M. Vrétos le plaisir de croiser
le fer avec lui. Je n'ai pas, comme lui, pour me défendre, un Pilima
à l'abri de toutes les blessures.
Sérieusement, je me suis élevé contre l'accusation de M. Papado-
poulo, d'abord parce qu'elle est tout à fait injuste et qu'elle peut
donner en Europe une fausse idée du caractère grec; ensuite parce
qu'elle est dirigée contre un homme honorable, qui n'est pas là pour
se défendre; et enfin parce que M. Papadopoulo, m'ayant fait part
de son projet d'attaque, avait, sur mes représentations, promis
formellement d'y renoncer. J'avais donc toute raison , et comme
philhellène, et comme ennemi de rinjuslice, et comme ami outragé,
d'adresser des reproches publics à M. Papadopoulo, tout en regrettant
de le voir épuiser, dans des luttes inutiles pour son pays, dangereuses
pour lui-même, un talent qui ne devrait' se proposer pour but que
l'intérêt bien entendu de sa patrie. Agréez , etc.
Ph. Le Bas.
- Paris , le 7 janvier 1845.
Nous apprenons que M. Papadopoulo a repris la plume ; mais cette polémique
doit en rester là. Sa lettre de M. Vrétos au Moniteur grec est d'un ridicule s
achevé qu'elle ne mérite pas une réplique.
NOTE
SUR
OlElOliES BRIOUES VERNISSÉES DU JllISÉE DE SÈVRES.
PI. XXIV (1).
L'emploi de carreaux de terre, enduits d'une couche d'émail coloré,
pour revêtir certaines portions des édifices, remonte à une antiquité
fort reculée. Il a été déjà plusieurs fois question, dans ce recueil (2),
des briques vernissées rapportées de Babylone par l'abbé de Beau-
champ, et nous ajouterons que le voyageur Rich parle de fragments
de même nature qui lui avaient été envoyés de Ninive. Les fouilles
opérées avec tant de succès par M. Botta , ont démontré que l'usage
de ces briques avait été de recouvrir les parois intérieures des mu-
railles et non pas le sol qui, à Khorsabad était, comme on le sait,
formé de dalles de gypse incrustées de caractères cunéiformes de
bronze.
S'il paraît certain que les Romains employèrent des plaques de
verre et de marbre précieux, pour orner les murailles et même le
plancher de leurs maisons, il semble qu'ils n'ont pas connu l'appli-
cation de l'émail sur les briques. En examinant leurs vases, on serait
tenté de croire qu'ils évitaient soigneusement de pousser le degré de
la cuisson à un point qui pût amener la terre à prendre une appa-
rence vitreuse , que donne accidentellement la fusion des éléments
ciliceux. On n'a, jusqu'à présent, jamais rencontré de carreaux émail-
lés dans les ruines romaines. On n'a pas non plus de preuves qu'en
Grèce, on ait fait usage de ce mode de décoration. Dans les temps
primitifs, on foulait aux pieds la terre nue dans les appartements
dont l'aire, (^«tts^ov, devait ressembler à celle de nos granges. Après
le massacre des poursuivants de Pénélope, Télémaque, aidé par un
bouvier et un gardeur de pourceaux , fait disparaître les taches de
sang qui souillaient le palais paternel , en ratissant le sol avec le
/t'o-Tpov (3). Plus tard on dalla les édifices, et Ton employa pour cela
le marbre et la pierre.
L'usage des revêtements de briques vernissées, n'a probablement
(1) Les tigures que nous publions ici sont empruntées à diverses planches du bel
ouvrage que MM. Bronguiart et Riocreux vont faire paraître prochainement.
(2) V. p. 233. et 778.
(3) Odyss. XXII , V. 45i et suiv.
BRIQUES V'ERNISSEES DU MUSEE DE SEVRES. 841
jamais été abandonné par les nations sémitiques, qui, en général,
restent fidèles à toutes leurs coutumes.
Toujours est-il que les Maures d'Espagne ornaient, au X*" siècle, les
édifices de Cordoue de carreaux faïences qu'ils nomment zelàidj. La
chapelle de Villa-Viciosa et la Giralda de Séville ont conservé les
plus riches et les plus élégantes combinaisons de briques vernissées
que le XII" siècle ait produites. On voit aussi ces briques figurer sur
les parois de la grande salle du château de la Zisa , près Palerme, que
M. Girault de Prangey croit bâti sous le roi normand Guillaume 11(1).
On remarquera (PI. XXIV, n° 12), un carreau recueilli dans les ruines
de l'Alhambra; sur un fond bleu, se détache un écusson jaune d'or
chargé d'une bande blanche qui porte, en caractères arabes, la devise
des rois de Grenade : // ny a de vainqueur que Dieu.
C'est fort probablement à la suite des rapports qui s'établirent
entre les Arabes et les princes chrétiens d'Espagne et de France, que
l'usage des carreaux de faïence s'introduisit dans notre pays. Mais,
chose assez singulière, on se servit de ces briques, non plus pour
orner les murailles, mais pour paver l'aire des châteaux et des églises.
Nous n'avons aucune indication qui puisse nous aider à fixer positi-
vement la date de l'emploi des carrelages de cette sorte , et il paraît
seulement constant qu'il était en vigueur au XIIP siècle.
Les briques figurées sous les n°' 1,2, 4, 5, (PI. XXIV), provien-
nentdel'église de l'abbaye de Voulton, près Provins, fondée, dit-on, par
la reine Blanche, mère de saint Louis; celles qui portent les n""" 3 et 6,
ont été trouvées dans les parties basses d'un château ruiné, situé au
milieu de la foret de Quimperlé ( Finistère ) , et que l'on a découvert
sous une épaisse végétation ; les trois carreaux placés sous les n*"* 7,
s, 9, faisaient partie du pavé de l'une des chapelles de l'église Saint-
Étienne d'Agen, aujourd'hui détruite. Le n* 9 est tourné du côté de
la face qui touchait le sol, et présente des reliefs destinés à faire
adhérer le mortier. Viennent ensuite, (n°* 10 et 13,) deux briques
sauvées des ruines d'un château qui fut détruit par la mer, lorsque les
eaux recouvrirent une petite ville située à l'embouchure de la Somme,
non loin du Crotay.
Le n^ 11 pris à Cosne, dans une chapelle détruite, était accom-
pagné d'autres carreaux portant une tourelle, castillo , et se rapporte
par conséquent aux règnes de Louis VllI ou de saint Louis.
Enfin, les trois petits carreaux qui terminent la planche (n°* 14,
(1) Essai sur l'Architecture des Arabes , etc., explication de la PI, IX.
842 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
15 et 16), ont été déterrés en 1835, dans la galerie des chasses à
Fontainebleau, galerie bâtie sous saint Louis.
Il est à remarquer que le moine Théophile ne parle pas dans son
livre, intitulé : Diversarum ardam schediilay des briques vernissées,
quoiqu'il enseigne avec détails la manière de fabriquer les mosaïques
de verre. Ainsi vers la fin du XIP siècle, ou au commencement du
XIIP, les ornements que nous décrivons pouvaient ne pas être encore
en usage dans nos contrées.
L'Opère de Mosy ( Opus musims, la mosaïque), ainsi que le nomme
VYstoirede li Normant, publiée par M. ChampoUion-Figeac d'après
un manuscrit du XIIP siècle, fut fréquemment employé pour aorner
lo pavement des églises pendant toute la durée de l'architecture ro-
mane. Dans le pavé mosaïque de l'abbaye de Saint-Bertin, près Saint-
Omer, exécuté en 1 109, on voit des pierres, gravées au trait, conte-
nant des creux symétriques dans lesquels un mastic unicolore se fait
remarquer (l). C'est la transition entre les dalles de pierre et les
briques vernissées.
MM. Vitet et Ramée dans leur description de la cathédrale de
Noyon, actuellement sous presse, publient huit carreaux émaillés
trouvés dans cette église ; ils portent les armes de Coucy, et remontent
aussi au XIIP siècle.
Les exemples cités, prouvent qu'ils se répandirent rapidement par
toute la France, à partir du XIIP siècle, et, d'après l'abbé de la Rue (2),
le carrelage qui se voit dans la grande salle de l'abbaye de Saint-
Étienne à Caen, doit avoir été fait pendant la première moitié du
XIV* siècle, ainsi que l'indiquent les armoiries appartenant à des
familles qui ont fourni des abbés et des religieux à ce monastère.
On ne sait pourquoi l'usage des carreaux vernissés se perdit si
promptement. Le fait est qu'à l'exception du carrelage de la librairie
de Sienne, et de quelques briques vernissées de l'évèché de Beauvais
qui peuvent être du XVP siècle, on ne trouve plus bientôt d'exemples
de ces éléments de décoration , qui à notre époque ne figurent que
dans les laiteries ou les fourneaux.
Certaines églises , comme Saint-Bénigne de Dijon, ont des toitures
formées de tuiles vernissées, dont les combinaisons les plus riches et
les plus variées sont peut-être celles que nous a conservées la flèche de
Plombière près Dijon.
(1) F. le Mémoire de M. Hermand ; recueil de la Soc» des Ani. de la Morinie
t. V, 1841,p.75etsuiv.
(2) Essai historique sur la ville de Caen^ 1820 , t. U , p. 90.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
Nécrologie. -^ La Revue vient 'de perdre un de ses collabora-
teurs. M. Ernest Grille de Beuzelin, chevalier de la Légion d'hon-
neur, chef de bureau au Ministère de l'Intérieur, secrétaire de la
Commission des monuments historiques , vient de mourir dans sa
trente-septième année, à la suite d'une longue et douloureuse maladie.
Ayant fait de bonne heure des études d'architecture, il publia, en
1835, un ouvrage intitulé : Essai historique et archéologique sur
Véglise et le couvent de Saint- Jacques ou Saint- Jacoh-des-Ecossois, à
Ratisbonne. Cet ouvrage , accompagné de six planches dessinées par
l'auteur, lui valut une mission dans les provinces de l'est. Au mois
d'août de cette même année, il partit pour inspecter les monuments
du département de la Meurthe, et après plusieurs mois de recherches
assidues, il adressa à M. le Ministre de l'Instruction publique un tra-
vail qui fut imprimé deux ans après, en 1837, sous le titre de :
Rapport à M, le Ministre de V Instruction publique sur les monuments
historiques des arrondissements de Nancy et de Toul , accompagné de
cartes, plans et dessins. Depuis plusieurs années, M. Grille de Beu-
zelin rendait à l'histoire et à l'archéologie de nombreux services, par
le zèle et l'intelligence avec lesquels il s'acquittait de ses fonctions au
Ministère. Nos lecteurs se souviennent des comptes rendus qu'il nous
communiquait, et qui donnent une idée de la protection que le
gouvernement accorde à nos monuments historiques , protection qui
ne peut avoir d'efficacité qu'autant qu'elle est secondée par l'activité
des bureaux. La perte de M. Grille de Beuzelin sera vivement sentie
par tous ceux qui ont eu avec lui quelques-unes de ces relations d'af-
faires dans lesquelles il apportait tant d'obligeance, plus vivement
sentie par ses nombreux ^mis qui espéraient le voir longtemps en-
core partager leurs travaux.
— En faisant des fouilles au nord de Marseille ; au lieu dit le
Petit CamaSy on découvrit, il y a peu de temps; une dalle de marbre
blanc, d'un beau grain, ornée tout autour d'une moulure et d'un
élégant arabesque, et portant au centre une inscription, composée
de onze lignes de caractères arabes d'une forme très-ancienne.
M. Canonville, possesseur de ce monument, vient de l'apporter à
Paris, et M. Adrien de Longpérieren a donné la traduction suivante :
« Au nom de Dieu clément et miséricordieux , que Dieu soit
a favorable au prophète Mahomet, à sa famille, à ses compagnons.
844 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« et qu'il leur accorde le salut. Toute âme goûtera la mort et vous
« serez récompensés au jour de la résurrection; heureux celui qui
« sera préservé du feu et entrera dans le paradis ; quant à la vie
c( présente, ce n'est qu'une jouissance illusoire. Ce tombeau est
c( celui du Scheikh Aboul Abbas Ahmed, fils de Mohammed, sur-
« nommé Zalladj , il mourut le lundi quinze de Schaban de l'an
« cinq cent quatre-vingt-trois; il témoignera. » { Sous-entendu qu'il
n'y a de Dieu que Dieu unique.) On a peine à expliquer comment
un monument funéraire sculpté au XIP siècle (an 1187 de J. C. )
dans quelque ville d'Afrique , a été transporté en Provence et enfoui
pendant plusieurs siècles. On pourrait croire que cette inscription
avait déjà été déterrée au XVIP siècle, et que c'est là Yépltaphe
arabesque qne l'historien de Marseille, Ruffi, dit avoir été découverte
dans cette ville. Celle dont il donne une transcription fantastique
en caractères latins, accompagnée d'une traduction non moins sin-
gulière, conserve, malgré tout, quelques traits qui autorisent cette
supposition. Ainsi dans la phrase: Abon Alabes Àmel ben Maamed,
que à sa contemplation 's'achemina en Numidie et mourut en la ville de
Elomina, le 1" août en Vannée 500 de son prophète Mahomed, on
reconnaît les noms du mort et de son père , mais le reste est aussi
absurde qu'éloigné du vrai sens. Un peu avant, la phrase (qui est
ici traduite par : toute âme goûtera la mort, etc., et qui est un
verset bien connu de la m'' sourate du Coran), est rendue ainsi par
Ruffi : Vouant son âme à Dieu comme fit lorsque mourut Loeman
son frère. L'écrivain provençal exprime toute l'indignation que lui
inspire la présence, sur des tombeaux, du nom de Yinfâme Mahomet»
(V. Histoire de Marseille, t. II, liv. XIII, p. 316 et 317. )
— M. le duc de Luynes vient de faire don, au département des
médailles de la Bibliothèque royale, d'un demi-statère d'or d'Athènes,
monnaie d'ancienne fabrique et d'une très-grande rareté. Cette divi-
sion du statère d or était la seule qui manquât dans la série attique
du cabinet de France.
— M. Longa vient d'apporter à Paris un vase d'argent , contenant
deux cent cinquante monnaies aussi d'argent et une fibule de même
métal attachée à une longue chaînette. Le tout a été trouvé sur les
bords de l'Adour, à Ayries. Toutes les monnaies présentent le même
type ; une sorte de tête barbue très-grossièrement gravée et au revers
une élévation globuleuse un peu allongée. Comme ces monnaies ne
sont pas usées par le frottement on peut être assuré qu'elles ont été
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 845
frappées telles qu'on les voit maintenant. Le vase est en forme de
capsule profonde. Ces monuments appartiennent très-probablement
à la civilisation celtibérienne.
— M. le Ministère de l'Intérieur vient d'acquérir pour le musée des
Thermes et de l'hôtel de Cluny, une série de grands émaux qui déco-
raient autrefois la façade du château de Madrid , bâti par François P'
et Henri II. Ces pièces sont au nombre de neuf et représentent les
dieux de l'Olympe exécutés dans le plus beau style de la renaissance.
Chacune d'elles est signée Pierre Coiirteys avec ces mots : Fet à Li-
moges en 1559; elles étaient primitivement au nombre de douze,
mais, lors de la démolition du château, on en transporta trois en
Angleterre. On sait qu'il existe, à Chartres, dans une chapelle de la
cathédrale, douze grands émaux figurant les apôtres et qui ornaient
la façade du château d'Anet.
— L'Académie royale des Sciences de Berlin vient de décerner le
titre de correspondant à MM. Ch. Lenormant et J. de Witte.
— M. J. J. Ampère, membre de l'Institut, qui, ainsi que nous
l'avons annoncé, voyage en Egypte, vient d'adresser à M. le Ministre
de l'Instruction publique un premier rapport sur le résultat de ses
opérations. Ce travail qui est daté de Reneh , et qui est fort étendu ,
contient des indications intéressantes sur divers monuments et plu-
sieurs inscriptions hiéroglyphiques.
— Nous avons reçu de M. Rouard, bibliothécaire de la ville d'Aix,
des observations fort judicieuses sur notre Planche XX, représen-
tant le Tableau de saint Louis et l'article qui l'accompagne, p. 691.
Nous en aurions déjà fait la communication à nos lecteurs si nous
n'attendions pas de l'un de nos correspondants d'Italie de nouveaux
renseignements sur ce curieux tableau. Nous prions M. Rouard de
recevoir nos remerciements pour l'offre bienveillante qu'il nous a
faite dans l'intérêt de la Berne Archéologique, nous accepterons avec
reconnaissance les documents qu'il voudra bien nous adresser.
. — Nous avons annoncé dans le dernier numéro de la Reme ,
p. 761, la vente des Vases peints du prince de Canino. Ce n'est pas
au mois d'Août prochain, mais bien le 22 Ami 1845 que seront
vendus à la Salle des Ventes , rue des Jeûneurs, les Vases dont nous
avons parlé. L'exposition publique aura lieu le 20 et 21 à la Salle
de Vente, et provisoirement on pourra les voir les dimanche et
jeudi de 1 à 4 heures, rue Sainte-Anne, 44.
BIBLIOGRAPHIE.
ÉLITE DES MONUMENTS CÉRAMOGRAPHIQUES , matériaux pour servira l'his-
toire des religions et des mœurs de l'antiquité, expliqués et commentés par
CM. Lenormant et i. nP. Witte. — Paris, Leleux, in-4'', toîtie I", lMVj-304 fkâgés ,
109 planches.
DELXIÈMf: ARTICLE (1).
Nous trouvons en tète du volume une introduction savante et dé-
veloppée, divisée en trois chapitres; le premier contient l'exposition
très-complète de tous les systèmes adoptés jusqu'à nos jours par diffé-
rents archéologues touchant l'origine des compositions qui ornent les
vases peints ainsi que des vases eux-mêmes. Toutes ces opinions peu-
vent être ramenées à deux manières de voir principales; l'une qili
ferait attribuer à la Grèce les vases que l'on trouve en Italie, oii ils
auraient été transportés par le commerce; l'autre qui accorderait aux
peuples de l'Etrurie et de la Fouille le mérite d'avoir fabriqué ces
élégants vaisseaux d'après leurs seules inspirations. Les auteurs de
y Élite des monuments céramographiques ne se rallient ni à l'une ni à
l'autre de ces opinions. Le second chapitre est consacré à la démon-
stration de cette supposition , que là où les vases peints se trouvent
en très- petit nombre, il est probable qu'originairement on les avait
importés dans le pays, et que là, au contraire, où on les découvre
en grande abondance, cette abondance ne s'explique que par l'existence
d'une fabrique locale. Ce système , tout en faisant prédominer le fait
de la multiplication des fabriques, laisse encore, comme on le voit,
une assez belle part à celui de l'importation. Athènes, Égine, Co-
rinthe paraissent être les seuls centres de fabrication dans la Grèce
continentale. Dans l'archipel, il faut citer Milo etSantorin. Les vases
(1) Quelques fautes typographiques ont rendu à peu près incompréhensibles plu-
sieurs passages de notre premier article ; nous prions le lecteur de vouloir bien
rétablir :
Page 777, ligne 12 ; au lieu de : méthodique ou rigoureux; ..... méthodique kt
rigoureut.
778, ligne 13 ; au lieu de : tirrhéno-phéniclens ; tyrrhêno-phéniciens.
779, ligne iS ; au lieu de : sculpteurs; ..... sculptures.
780, ligne 3 ; au lieu de -. Cuvedoni; Cavedoni.
783, ligne 4 ; au lieu de • zs^to? ; /.v.Soi,
BIBLIOGRAPHIE. 847
trouvés sur les bords de la mer Noire, à Panticapée, offrent des par-
ticularités qui doivent faire croire à une industrie locale. On remarque
au musée de Leyde un petit vase noir trouvé dans la Cyrénaïque,
orné d'une tête de Jupiter Ammon, en relief, type national à Cyrène
et qui semblerait déterminer le lieu où fut fait ce monument. La con-
tribution de la Sicile à l'ensemble des richesses céramographiques ,
quoique plus considérable jusqu'à présent que celle de la Grèce, est
loin de pouvoir se comparer à ce qu'a fourni l'Italie.
Dans cette dernière contrée, il faut distinguer trois groupes prin-
cipaux , dont, chacun se divise en plusieurs branches différentes. Le
midi de la Péninsule, désigné sous le nom de grande Grèce, est re-
présenté par les fabrique de Locres et de Tarente , dont les produits
se distinguent plus par la qualité que par le nombre. On peut dire
absolument le contraire, comme nous l'avons déjà remarqué, des vases
presque innombrables qu'on découvre dans la région montueuse de la
Bajiiljcate et dans les cantons intérieurs de la Pouille; les nécropoles
de Canosa et de Ruvo figurent en première ligne dans cette abondante
production. Dans la Campanie, on trouve dans les sépultures de
Cumes des vases qui, d'après leur style, paraissent avoir été exécutés
postérieurement à la prise de cette ville par les Samniles. Tout le
monde connaît la finesse des produits céramiques de Noia , qui ne le
cèdent qu'à ceux d'Athènes. A mesure que l'on monte vers les gorges
du Samnium, à Capoue, à Avella, à Santa-Agatha-de-Goli, le goût
s'affaiblit graduellement en une pompe mêlée de rudesse» Si les vases
de ces localités conservent quelque supériorité sur ceux de la Basi-
licate, cette prééminence tient sans doute à l'ancienneté compara-
tivement plus grande de la fabrique. Les villes du revers de la Cam-
panie tombèrent avec la ligne du Samnium vers la fin du IIP siècle
avant notre ère, tandis que la Lucanie et le Brutium maintinrent
encore leur prospérité jusqu'au temps de la guerre sociale. Or, plus
un peuple continue longtemps à pratiquer un art, plus les produits
de cet art deviennent maniérés et médiocres. Au nord de Rome , les
vases peints se découvrent aussi abondamment qu'au midi, depuis Clu-
sium jusqu'à Véies, mais surtout à Tarquinies et à Vulci.
MM. Lenormant et deWitte ne s'occupent que des \ases peints,
et c'est à ce point de vue qu'il faut juger leurs divisions. Comme ces
monuments, en presque tous les lieux où on les exhume, révèlent une
influence grecque, il est nécessaire d'en découvrir la raison.
La difficulté que présenterait le transport de vases si fragiles est
un grave obstacle à opposer aux savants qui pensent que ces monu-
848 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ments oiit tous été fabriqués en Grèce. Cette difficulté paraîtra en-
core plus imposante si l'on réfléchit au peu de relations qui existaient
entre les divers peuples de l'Italie, ce qui se comprend lorsqu'on
\oit combien différaient les unités monétaires des villes dont les ter-
ritoires étaient limitrophes. C'est à l'exposition de cette idée qu'est
consacré le troisième chapitre , et nous recommandons ce morceau à
l'attention des archéologues comme étant de nature à jeter le plus
grand jour sur plusieurs questions très-importantes de la numisma-
tique. Les monnaies de l'Italie présentent plus ou moins la trace de
l'influence hellénique, et il est à remarquer que cette influence est en
rapport avec celle que révèlent les peintures des vases trouvés dans
les lieux où furent frappées ces monnaies. Personne assurément ne
sera tenté de croire que les monuments numismatiques de l'Italie,
quand môme ils nous montrent des légendes grecques, aient été fa-
briqués dans l'Attique ou dans TAchaïe.
Si les objets d'art étaient difficiles ou môme impossibles à trans-
porter en grandes masses, les artistes qui les exécutaient ne rencon-
traient pas individuellement les mêmes obstacles. Les monuments
numismatiques sont encore ici d'un grand secours; car, sans parler
des signatures d'un seul et même graveur inscrites sur les monnaies
de plusieurs villes, quelquefois séparées les unes des autres par de
grands intervalles, il existe souvent une telle identité de style et de
travail entre les monnaies appartenant à des contrées situées à des
distances considérables, qu'on ne peut s'empêcher de conclure que les
hommes de talent, partout bien accueillis, n'hésitaient pas à louer
leur industrie à qui savait la récompenser, en quelque lieu et sous
quelque gouvernement que ce fût. Ainsi donc le point capital qui
ressort de l'introduction est la substitution de l'hypothèse du dépla-
cement des artistes, à l'hypothèse du transport des vases. Il y a là
évidemment un grand pas de fait vers la vérité.
On sait que les sujets mythologiques forment la classe la plus nom-
breuse des peintures de vases. L'ouvrage commence par les mythes des
dieux, que suivront les mythes des héros. Ces deux divisions formeront
donc un galerie mythologique aussi complète que possible, dans son
genre toutefois, puisqu'elle est tirée uniquement des produits de l'art
céramographique. Et ici, qu'il nous soit permis de dire quelques mots
sur la manière dont nous concevons l'emploi des monuments de l'an-
tiquité dans les recherches qui ont pour but l'histoire des idées reli-
gieuses. Ainsi, par exemple, il nous semble que la plus grande im-
portance doit être accordée aux bas-reliefs ou aux statues qui ornaient
BIBLIOGRAPHIE. 849
les temples; le simple bon sens dit que ces représentations devaient
être empreintes de toute l'orthodoxie relative que Ion peut attendre
des peuples de l'antiquité (nous entendons parler du monde hellénique).
Viennent ensuite les tombeaux qui ont du être sculptés ou peints avec
une intention arrêtée et grave; les monnaies dont les types ne déno-
tent pas , nous le croyons , des idées bien profondes de la part des
graveurs, mais qui nous conservent des copies de figures, de groupes,
de symboles , reproduites parce que les originaux étaient consacrés
dans les temples. Or, ces modèles avaient été conçus, avec toute
apparence, suivant des idées hiératiques. Les monnaies nous offrent
donc le reflet des mythes, et on doit les expliquer dans le sens reli-
gieux, sans pour cela faire des artistes qui les ont produites d'ingé-
nieux théologiens. Nous classons, en dernier lieu, les peintures, les
sculptures privées, celles que l'on trouve dans les habitations particu-
lières , et celles qui décorent les ustensiles au nombre desquels nous
rangeons les vases. A coup sûr le caprice ou l'arrangement ont pu
avoir dans l'ornementation de ces derniers monuments une grande
part , et nous croyons qu'il est peut-être utile de tenir compte de
cette donnée lorsqu'on explique les peintures céramographiques.
Si nous faisons nos réserves pour ce qui concerne les vases funé-
raires, nous distinguons cependant la destination pieuse, de l'usage
officiel.
Ce n'est pas assurément que nous inclinions vers la mythologie
réduite en biographie, où les événements et les actions se développent
d'une manière rationnelle, en suivant l'ordre possible dans l'existence
humaine. Ce qui, dans la mythologie des monuments, paraît de la
confusion, tend, en fin de compte, à faire prévaloir le dogme de l'unité
dont les diflérentes fables ne sont que des expressions variées. La
permutation des indi\idus dans les scènes religieuses montre que les
dieux les plus différents confinent et se mêlent comme les rameaux
qui appartiennent à une même souche.
Nous voulons seulement dire que la signification donnée à un type
doit dépendre de la place qu'occupe la composition qu'il s'agit d'ex-
pliquer, et qu'il ne serait pas prudent de modifier la forme théorique
d'un mythe pour quelque association de personne fournie par une
peinture de vase, oii une dévotion personnelle, le besoin de remplir
un vide ont pu lui faire donner un rôle exceptionnel.
Les vases peints n'ont conservé que bien peu de traces des divinités
italiotes; une amphore qui existe depuis peu de temps dans le cabinet
de M. le comte de Pourlalès, représentant Rhéa qui apporte à Saturne
I. 55
850 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
une pierre emmaillotée, et un rhython , orné dune Cybèle, cité par
par M. Raoul Rochette (Journal des Savants, nov. 184i ), n'ont pu
être figurés dans le livre de MM. Lenormant et de Witte, qui com-
mencent leur collection par les scènes de la guerre des dieux et des
Géants qui occupent les onze premières planches. Dix-sept autres
planches sont consacrées à la représentation de Jupiter , soit sous la
forme humaine et entouré de quelques divinités , soit sous la forme
d'aigle ou de taureau, enlevant Thalia, Égine, Europe. Dix planches
nous montrent JanoTi, seule ou accompagnée-, cette déesse est, quel-
quefois, très-difficile à reconnaître. Les sujets relatifs à Vulcain sont
répartis en dix-neuf planches, dont les deux tiers représentent ce dieu
ramené à l'Olympe par Racchus, sujet éminemment funéraire. On
trouve à la fin de ce même chapitre deux scènes de la formation de
Pandore et de la naissance des Pallques, Trente-neuf planches retra-
cent l'histoire àQ Minerve; la seule naissance de la déesse en occupe
treize. On conçoit sans peine que les peintres aient fréquemment
figuré Yarlifex par excellence. Quant à l'enfantement mystique de
Jupiter, c'est un de ces sujets qui , exprimant l'origine de la vie, de-
vaient naturellement être mis en parallèle avec les enlèvements, allé-
gories de la mort. Les dix dernières planches du premier volume
offrent différents types de la Victoire , placée à la suite de Minerve,
parce qu'elle n'est pour ainsi dire qu'un dédoublement de la déesse
ou plutôt un acolythe si intimement lié avec elle, que souvent toutes
deux ne forment qu'une même divinité, devenant alors cette Alhénér-
Nice, dont Pausanias vit le temple sur l'Acropolis de Mégare. Une
belle peinture ( PI. XCIV), tirée d'un vase de Hamilton, représente
la Victoire qui érige un trophée. Les auteurs de YÊlile des monu-
ments céramographiques , rapprochant avec raison ce sujet du type
qui se voit sur les tétradrachmes d'Agathocle, roi de Syracuse, pen-
sent que si le vase est de fabrique sicilienne, il a pu être peint à
l'époque des triomphes de ce roi sur les Carthaginois. Cette remarque
est très-ingénieuse, et nous croyons que l'époque assignée à ce mo-
nument serait tout à fait convenable ; car des types analogues se re^
trouvent sur les monnaies de deux contemporains d'Agathocle, Sé-
leucus 1", roi de Syrie, et Dionysus, tyran d'Héraclée. L'examen des
médailles prouve avec quelle régularité le niveau des idées en fait
d'art tendait continuellement à s'établir partout ou l'influence
grecque avait accès.
Il est quelquefois très-difficile de classer des peintures dans les-
quelles paraissent plusieurs divinités. Par exemple, les luttes de Ju-
BIBLIOGRAPHIE. 861
piter et d'Apollon , de ce dernier avec Hercule , avec Neptune , de
Neptune avec Minerve, avec Bacchus, peuvent faire ranger les scènes
dont elles font le sujet au chapitre de l'un ou l'autre des personnages
que nous avons énumérés; des renvois fréquents peuvent seuls parer
à cet inconvénient inséparable de la matière.
MM. Lenormant et de Witte décrivent avec le plus grand soin les
compositions , les figures , les accessoires qu'ils observent sur les vases.
Ils savent habilement tirer parti de chaque circonstance pour ratta-
cher les types céramographiques à d'autres monuments figurés ou à
des textes qui peuvent concourir à en donner l'intelligence. A coup
sûr la mythologie, telle qu'elle ressort de la comparaison que permet
d'établir l'immense quantité de vases découverts depuis quelques an-
nées, est essentiellement différente de celle que l'on s'était faite de-
puis la renaissance des lettres, à l'aide d'Horace, de Virgile et
d'Ovide. On ne voulait voir dans les croyances antiques qu'un fade
allégorisme ou une obscénité recherchée; il semblait que Demoustier
etLachaud avaient dit le dernier mot sur la religion de la Grèce et de
Rome, Aujourd'hui on se trouve en face d'un arsenal de documents
d'une haute valeur; il est devenu indispensable de renoncer à la bio-
graphie des dieux et des héros ; à la place de personnes, on trouve des
idées qui s'expriment surtout par la combinaison des individus. Les
dieux ne sont plus que des acteurs chargés tour à tour de représenter
une force qui témoigne d'une puissance supérieure à l'humanilé. L'ac-
tion est la chose importante, le nom de ceux qui y prennent part est
presque indifférent. Cette théorie se déduit nécessairement des
exemples fréquents et certains de permutations et d'associations
que nous présentent les scènes mythologiques. On peut, à la vérité,
dire comme Simonide, chargé par Hiéron de définir la divinité :
Quanlo diatius considero , ianto mihi res videUir ohsciirior (l). Mais
plus la mythologie deviendra complexe et obscure, et rebelle à tout
code, plus selon nous, il sera possible de nous faire une idée de ce
qu'elle était dans l'antiquité chez les peuples de race indo-germanique.
Une table de cinquante-deux pages à deux colonnes termine le
volume que nous analysons ; c'est assez dire que les auteurs n'ont riea
négligé pour rendre leur ouvrage utile et instructif. La lecture de
cette table suffit déjà pour donner une idée fort étendue de la mytho-
logie. Les cent neuf planches, qu'explique cette première partie, sont
exécutées avec un grand soin et rendent le style des originaux avec
(1) Cicer., de lYat, Deor,, I, XXII.
852 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
beaucoup d exactitude; ceux qui ne voudraient considérer la céramo-
graphie qu'au seul point de vue de l'art, trouveront donc dans ce
livre de quoi se satisfaire amplement.
Dans quelque esprit que l'on étudie le travail de MM. Lcnormant
et de Witle , on reconnaîtra sa grande utilité , la méthode simple qui
a présidé à sa rédaction, enlin l'érudition riche, ingénieuse que les
auteurs y ont déployée avec une bonne foi entière, un zèle qui ne
s'efforce pas de dissimuler les difficultés, une conscience qui leur
fait rechercher les exceptions. Espérons que rien ne s'opposera à la
prompte publication des volumes suivants. A. L.
— La Revue de Philologie , de Littérature et d'Histoire
ANCIENNE, qui paraît sous la direction de M. Léon Rénier, a publié
dans ses deux premiers numéros, entre autres articles:
Sur l'époque de l'avènement et du couronnement des Ptolémées à
,m'opos d'un passage de l'inscription de Rosette, par M. Lelronne, —
Voyage en Asie-Mineure, premier rapport adressé à M. le Ministre
de l'Instruction publique, par M. Le Bas. — Sur l'inscription de
Delphes, citée par Pline, par M, Rossignol, — Deux Inscriptions
grecques de Philes relatives à deux membres d'une confrérie diony-
siaque, par M. Lelronne. — Sur un passage de Salluste, par M, Qui-
cherat, — Ce recueil paraît tous les deux mois par cahier d'environ
six feuilles.
IVOIIVUIilii:!» PUBIilCATIOlVIS ARCHïIOIiOCïIQUES.
ITALIE.
Gervasio (Agost.): Osservazioni intornoalcune antiche inscrizioni
cbe sono o furono in Napoli. Lette nell' Accademia Ercolanese nell'
onno 1840. Mapoli, 1842. 4.
Scliulz (IL W.) : Ragguaglio délie principali escavazioni operate
ultimaraente nel regno di Napoli. Roma, 1843. 8.
Secchi (F. Ciamp) : 11 musaico Antoniano rappresentante la scuola
degli atleti trasferito, per ordine di Gregorio XVI, dalle terme di Ca-
racalla nel palazzo Lateranese. Roma, 1843. 4.
Studio Sull anfiteatro Puteolano. Napoli, 1842.
Turconi : Fabbriche antiche di Roma. Milano, 1843.
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES
DU PREMIER VOLCIUE
DE LA REVUE ARCHEOLOGIQUE.
Abad , signification de ce mot , note l 234
Abhaye de Monlre'al , 271; — de Gigny ,
36g ; — de Pontigny 36"9
Acade'mie des Inscriptions et Belles-Lettres,
6*9, 338, ^Çi": ; — des Scimces deliru\el]es,
rapport sur les fouilles de Fouvin-le-
Comte ^06
Académie d'HercuIanum ; ses membres dis-
tingue'» 4'
Actes d'adoration. V. Proscrnèmes .
Affranchis. Recliercbes sur l'origine de leur
nom Ii5
Abrens (M.) , savant cite' 3l7
Ain ( Recliercbes historiques sur le de'parte-
ment de 1'), par M. de Ja Teysonnière. . . SSS
Ainswortb , savant cité 628
Akerman , savant cité 628
Allemaune. Bibliographie des savants arcbe'o-
logues de ce pays 77, 56o, 618, figC)
Amlion de Saint-Laurent, pi. X 340
Ames (Pèsement des). V. Pbjchostasie.
Ammien Marcellin , sur la langue biérogly-
pbi(f ue } • 352
Ampère (M.-J.-J ). Son départ pour l'E-
gypte ; ^Sg, 845
Ampliiaraûs prenant congé d'Eripbyle , pein-
ture d'un vase de Nola l\%\
Amphore avec peintures noires, (\^1 : — Au-
tres dites bachiques, 783 ; — de Corcyre, ih.
An.phœa (Vase dit). . 779, 780
Ancre des Séleucides , sa signification gS
Ange gardien figurant dans une scène de psy-
choslasie * 3o6
Anges psvcbagogues,5i2; — de la mort 5i8
Anges. Comment représentés par les agio-
graphes, .597 ; — giirdiens, 658 ; — confon-
dus avec le génie des païens, ib.; — exter-
minateurs 667
Angleterre (Ouvrages d'archéologie en). . . .
78, 420, 628
Anjou (Arcbives d'), par M. Marchegay,
citées 363
Annales de l'Institut , t. XV, cité 4^,^
Anneau chrétien avec figures 762
Annonciation. Peinture symbolique du XV«
siècle, 4t>> ; — à l'église Saint-Denis. . . . 606
Antiquaire. En quoi il diffère de l'archéo-
logue • 1
Antiquaires de France (Mémoire de la so-
ci«'té des). Examen critique du 7<' vo-
lume l\io
Antiquité (I/) figurée i
antiquités chrétiennes (Mémoires sur les),
par Raoul Rochetle. Cité 3o4
PA.&ES
Anihrnpomorphisine 12
Aphytis , vase à puiser 782
Apoiliéose de Romulus. Sculpture 5gr
Ail)re de .Jessé. .Sciili>inre et vitrail expli-
qués, pi. XXI et XXII 755
Arc de Saintes 6i4
Arcbéoloiie (L'), i; — pose les bases cer-
taines de l'histoire, 12. En Allemagne, en
Angleterre, en Italie, en France. V. à ces
divers noms.
Archéologue. En quoi il diffère de l'anti-
quaire 3
Architecture (Etude indispensable de 1')... lii
Armoire aux saintes huiles àSaint-Clérnenf,
pi. VU 212
Ars criticn lapidaria 112
Arlaxcrte (Vase d') ; 49"^
Aryballos (Vases dits) 778
Aschraf (Malek el), son nom sur une coupe ,
540; — liste des princes ai-abes qui ont
porté ce nom 543
Asie-Mineure ( P'ayrures archéolngiqties
dans /'), par W. Le Bas : !«' rapport, ^9;
2^ rapport, 98 ; 3« rapport, 166; 4* rap-
port, 277 ; 5e rapport , 422 ; 6<' rapport ,
629, 705
Assaut d'une forteresse représenté dans une
sculpture assyrienne 224
Association archéologique anglaise 72
Athènes. Preuves de son influence sur les
arts, 83; — ses trois musées, 42 ; — lettre
sur ses antiquités. V. Le Bas. — Frag-
ments moulés de ses antiquités , 210; —
siège de ce.'te vi'le, par Morosinl 832
Attributs (De><). De lu Vierge, 470 ; — des
saints. Ouvrage allemand cité 6tn
Autel assyrien avec caractères cunéiformes. . 217
Autocraior. Sur l'absence de ce mol dans les
cartouches hiéroalyphinues du zodiaffi'C,
38i,.387
Avellino , archéidogue cité 784
Axoura. V. obélisques
Azema de Monlgravier (M ). Sa lettre .î
M. Hase sur des inscriptions 122, 566
Babylone. Description de cette ville , par
LÎérodote 2?.5
Ba;hr. V Sfmbnlich.
Balance , symbole de la justice , 297 ; — an-
tique 65o
Barrow. V. PtiHt.
Basiliques chrétiennes. Recherches sur \env.>
types primitifs et leurs modifications, par
M . Kugler 618
Basse-OEuvrc à Beauvais. mouum. roman. 549
854
TABLE ALPHABETIQUE
PAGES
Bassin anticfue à Nîmes. Description et pi. . ^77
Baleau romain retrouve' à Cliercliell 69Ô
Batissier. Les Elcmens d'archéologie na~
tinnale I^a
Baubo. Figure symbolique 4^2
Biudour (Sainte"» 24
Be'atrix , impe'ratrice; son portrait 620
Beclistein. Sur les monuments de la Franco-
nie et de la Tliuringe. 610
Benoît (Saint-) sur-Loire (^Souvenirs hislo-
riques sur l'abhaye de ce nom. ) \[\0 ; —
ordre de ce nom 36*9
Betli , arcliéolo;;ue ^8^
Bil)liograpLie archéologique, i" Bulletin, En
France, ']\ et suiv., 627; en Allemagne,
?7, Ô60, 704 ; en Angleterre, 78, 628 ; en
talie 79^784
Bircli (SatTi), g.«lerie d'antiquités publiée par
ce sa vanl 628
Bolilaye. Son ouvrage sur la Morée, 281, 282, 288
Boëckli. Recueil d'inscriptions dece savant. . [\'i
. iio, 317. 460, 683, 7of>, 715
Boiserie du XVe siècle sculptée. V. Arbre de
Jessé.
Bombylios (Vases) 778
Bon-Pasteur (anciennes représentations du). 4"4
Bosclierville (Éf;lise de) en restauration .... 5â5
Boita (M ). Ses découvertes archéologiques.,
9' 2'5, 402, 6"97
Bouddiiisme indien (Histoire du) , par
E. Burnouf 764
Boulayf(M. La), nommé membre de l'Acadé-
niièdes Iiisrn|'tions et Belles-Lettres. . . , G68
Braun (M ). Mémoire sur le tombeau deCer-
V(tri 3i3
Brindes. Objelsdécouveitsen ce lieu 262
Briques assyriennes , 225, 233 ; — de Baby-
lone , 225, 2î3, note 1, 778 — 617; — ver-
nissées du Xlll* siècle, 840 ; — pi. XXIV,
de l'Alhambra ^ 84^
Buchon (M.) JNote communiquée à l'Acadé-
mie des Inscriptions et Belles- Lettres 69
Bulletin de {'Institut archéologique 3t2
Burnouf père. Sa mort et son éloge i35
Burnour(lVL Hugène). Son histoire du Boud-
dhisme , 7^4; — ses travaux sur les in-
scriptions cunéiformes 44*^
Byzantin. Remarque importante sur l'emploi
banal de cette expression 53o
Byzantins, Véritables monuments de celte
époque 53 ï
Cabanes funéraires , 781
Cadalvène (M. de), à Constantinople, nommé
correspondant de l'Acad. des Inscriptions
et Belles-Lettres 697
G:iHier(M.). Sa lettrcà M. Letronne 182
Campana, arcliéologue 784
Cauino ( Le prince de). Sa belle collection ... 761
Canon du siècle de Henri II retrouvé en Al-
gérie 70
Capranesi,archéologue 784
Carbon, peintre du XVI« siècle 3a
Carnoët (Finistère). Objets trouvés dans la
forêt de ce nom ï33
Carter. AncienlPainting andseulpture, etc,
à la note 75(>
Cartouches vides du temple deDendera, 383,
note 3 ; — carloucbes pharaoniques 725
PAGES
Calacorhbes chrétiennes de Milo, 69 ; «—de
Naples 414
Caumont (M de). Son cours d'antiquités
monumentales 368
Cavedoni , archéologue 784
Cazouini, écrivain arahe ; son livre des mer-
veilles des créatures. 545
Cclestins. Gliapitaux provenant du cloître de
ce couvent .-, 559
Celtique Monument de cette époque à Marly. 68
Cér.imographie. Dissertation de M. de Long-
périer. ; . . . 776 , 846
Céramourapliie ( Monuments de la ) publiés
par MM. Ch. Lenormant et J. de Witte. . 627
Cercueils de bois chez les Athéniens 388
Cervetri (Tombeau de) 3ll
Chaletrixf Saint), évécjue de Chartres au VI"
siècle. Ménioire de W. de BoislliibauU sur
la découverte de son tombeau 874
Champs Elisées d'Arles. Fouilles 127, 128
Chatnpoisoau (M.) Ses tableaux chronolo-
giques de l'histoire de la Touraine 762
Cbampollion. Ses travaux sur les hiéro-
glyplies 62, 341
Chanson de Roland. Fragment 521
Ciiant des Ai vales 112
Chapelle du collège de Navarre (Rechercfies
historiques sur la) 192
Chapelle de Cluny ; . , , 3o
Chapelle des Pénitents 534
Chapelle du prieuré de Morlange 267
Char assyrien 219, 227
Charenle-Inférreure. F'astes historiques ^
Archéologie, etc., sur ce dé portement. . 140
Gharlemagne. Reliquaire et recherches sur
ses relityups , pi. XV 524, 53t
Charlemagne (Canonisation de) sous Barbe-
rousse , par le p.ipe Pascal 524
Charleuf ( M. Gilbert) , ses découvertes. . . . 698
Chasseurs orientaux 538
Chasuble d'étoffes arabes de la cathédrale de
Coire , 408
Chasuble du XIII* siècle à Cnulances Ib,
Château des Génois , Asie-Mineure 323
Chaussée romaine découverte à Paris 188
Cheminées de l'hôtel de Cluny 38
Cheval emblème de la Mort 674, 675
Cheval vainqueur couronné par son maître.
Épisème d'une médaille 93
Chevaux assyi iens 219, 227
Chimère , sculptée sur un tombeau 66
Christ de Naga, ..... ; 579, 58o
Ciel (La déesse), représentée sur le zodiaque. 38l
Clarac(M.le comte de). Musée de sculp-
ture antiq. et mod. 3o2, 5 ( [ ( note ) 594 ;
— Inscriptions grecques du musée, ib.
— son Catalogue des Artistes de l'anti-
quité 338
Clément (Saint), d'Alexandrie, cité à pro-
pos de la langue hiéroglyphique, 353 ; — ,
cité à propos des anges gardiens 658
Cléophas et Cléopas. Remarques sur ces deux,
noms 485
Cloches , leur origine ia8
Cloître .converti en musée à Barcelone, 72;
— de Cadouin , sculpture de ce monu-
ment 5l3
Cluny (Hôtel de), son musëe; voir ce mot.
Plan 23
DES MATIÈRES.
855
PAGES
C(]eur 43e saint Louis. Examen de l'autbenti*
cite de celte de'couverie 269, 3go, 546
Collège de Navarre. Voir Chapelle.
Collier gaulois 1 24 ; — ■ Collier de la confré-
rie de saint Christophe (noie i) ÉJîo
Cjlognt- (Cathe'drale de) 6i5
Combat d'Achille et dp Memnon 65l
Commission des monuments historiques, 54,
201, 5i|9; — Archéologique du de'parte-
menl du Nord, 129; — des antiquités de
la France, 3fi3; — du prix de numisma-
tique , 378
Comte-Evêque (Notice sur le) ; par Géraud,
citée 3^5
Comt( s de Flandre ( Histoire des) , citée. . . . 3ot)
Cônes assyriens 218
Conrad , oncle de ParLerousse, son portrait. 528
Copie , ancienne langue égyptienne. B^C)
Corpus insiiiptioniim de Boëckh , cité 4?-» 3l6
Costumes présumés d'eunuques. 222
Coupe sassanide, 3i2 ; — sa description, 483}
arabe , sa description 538
Coupole du tombeau de Théodoric 6^3
Courtet ( Jules). Sur un porche roman 474
Croix ansée (De la) égyptienne, imitée par
lés chrétiens 4°^
Croix. Son apparition dans les types des
monnaies , 9^; — processionale , i3o j —
dans les mains de la Victoire des monnaies
antiques 9"
Crotales , observation sur ce mot Uil
Crypies du Vil'" et IX» siètlcs o5o
Cunéiformes (Caractères). Systèmes perse,
assyrien, babylonien, arménien, 234, 444-
Voir aussi Jiitels 217, 233, 23^, 697
Cuve baptismale 129
Ku/zoTOxo;. mot grec signalé comme inédit. . "il 6
Cyathis (Vase dit) 782
Cylindres babyloniens, leur importance. 12,617
Cypsélus ( Vase de) 4^4
Dalmacius. Bas-relief de Sémur 677
Daniel, grave sur des monuments des pre-
miers siècles du christianisme 125
Dauphin , emblème chrétien ; — d'Arion ;
— de Taras 4^^
Debret ( M.). Architecte injustement attaqué
pour sa restauration de l'église Saint-
Denis ,. 609
Delaquerièie(M.) V. Eglise Saint-Ouen.
Démarate (Je Corinthien). Ce que lui doit
l'art en Etrurie 87
Démons chez les chrétiens et les païens 669
Dépaulis (M.)- Don de divers objets au Ca-
binet des Antiques 617
Diable (Le) comment envisagé ? et repré-
senté (note 5) 668
Dialecte sacré , distinct du dialecte vul-
gaire , 344 ; — de Thessalie 3 16
Dictionnaire des monuments de l'antiquité
chrétienne et du moyen âge de M. L.-J.
Guénebault \l\i, l\\^, 610, 677
Diodore de Sicile sur l'éciiture hiérogly-
phique 35o
Diptyque de Besaiiçon ; PL IV, ï44 ' """ *"
ivoire du musée de Cluny ^3l
Divinités ( Des) psychopompes dans l'anti-
quité et le moyen âge ; par M. A. Maury.
Voir PsychOstasie.
I>ïé, dieu damai 294
PAGES
Druides (Monuments des). Broote découvert. 1 17
Dubeux (M.). Sa traduction de la Chronique
de 'labari 294
Dubois de Monpereux. Voyage au mont
Caucase (note 9) 599
Dujardin (doct.). Critique de Cliampoïlion
réfuté 341
Dumas (M.), chimiste, son rapport sur le
prétendu cœur de saint Louis Sgg
Durand , sa Collection célèbre 3 10
Édit de Dioclélien 1 12
Ijlgger ( M.), sa lettre en réponse i M. Lebas. 760
Egine ( Vases d' ) 779
Égypie. Importance de l'élude de ses monu-
ments , 8,9, 10; — Ouvrages cités sur ce
pays et ses antiquités, 291, 2Ç)2 , 293,
3oi ; — Explorée, par M. Prisse d'Avesnes. 723
Eléphant , vu en songe par la mère de Boud-
dha , 93 ; — support d'un siège épiscopal. 544
Eleusis (Ville d'), ses inscriptions _. . . 4^
Elie, son enlèvement: comment envisagé, 670,
()n{ • .^ l'histoire de ce prophète regardé
, comme un mythe ». 672
Email ( Peinture sur). Ouvrage de M. Dus-
, sieux .... 143
Emaux du château de Madrid 845
Emprunts ( Des) faits aux monuments païens
par les chrétiens 669
Epigraphie (Science de 1'), sa définition. , .. 14
Episcopus du XI* siècle. Voir Siège épisco'
pal.
Escalopier (M. de 1'). Sa traduction du
moine Théophile, citée avec éloge 372
Estampage. Importance et pratique de ce
procédé .... 4^
Éth lopiens. Costumes des rois de ce pays .5-'i;
— observations sur la forme de leur écri-
, ture 576
Etienne (Saint) lapidé- 5 12; — observa-
tions sur le costume inusité de cette figure
, (note 3) -677
Etrusques (Les). Vases qu'on leur attri-
bue 82, 87, 781
Eudamidas, fils de Perdiccas, figure debronze
de ce personnage , pi. XJII 4^9
Eulo^ie. Vase chrétien 4*^^
Junuques. Voir Costume.
Evêque d'Amiens (M. 1' ), sa circulaire sur
la conservation des monuments SBg
Expiation d'Oreste, peinture (à la note). . . 656
Fabrique phénicienne des vases peints, 777 ;
— fabrique grecque, 778; — fabrique
étrusque , 'jSt ; — de la Basilicate 783
Familles Romaines (Monnaies des), par
M . Gennaro Riccio 38o
Fano (Coupe arabe trouvée à ). , 539
Fata ( Les trois), déesses de la destinée 298
Fellows , savant anglais son exp. à Xanthe. 66
Ferret et Galinier. "V. Obélisque d'Axoum.
Figurine de bronze Conjecture à ce sujet. . 4^8
Fiorelli ( Joseph). Son ouvrage sur les mon-
naies grecques 93, 38o, 784
Firoux. Ce roi perse représentésur Une coupe 264
Flandre. Voir Comtes de.
Fortunées ( Iles). Séjour des âmes 677
Fortia d'Urban (M. de). Sa collection de
pierres gravées • 617
Fourmont. Hommage tendu à son exacti-
tude 100, 10*4, ïo5
S56
TABLE ALPHABETIQUE
PAGES
France (publications archéologiques) 7/J,
140 , 211, 269 , 338 , 409» 480 , 627, 764
Franz. Eiemenla epigraphU e»* grœca 019
Fre'dëric Barberousse , son portrait , 629; —
duc de Souabe, son portrait, 627 ; — Fre'-
déric II ; ses chasses 538
Fulche'rius, e'véque d'Avignon 47^
Gabriel (L'ange). Psyehopompe, 3o3; — re-
pre'sente' sur un autel du XII« siècle 47<'
Gaillon. De'couverte du nom de l'architecte
de son portique 69
Galeron. Statisticfue du Calvados 117
Gallo-Roraain. Monuments de ce style i33
Gammarus , tessère représentant ce crusta-
ce' 261, 4o5
Gargailo(M. P.). Lettreà M.de Witte sur
un tombeau tiécouvert près de Pe'rouse. . 761
Ge'npalogie de Je'sus-Ghrist , 756 ; — de la
Vierge 767
Génies ( Des ). Psychopompes dans l'anti-
quité, etc 5oo, 657
Geoffroy de Beaulieu, confesseur de saint
Louis 270
Georges d'Amboise. Cloche de la cathédrale
de Rouen 36
Géoi^ie. Monuments chrétiens de ce pays,
noie 6 5l5
Géraud (Hercule). Eloge de ce savant. Voy.
Ingeburge,
Gerhard (Edouard). Son ouvrage sur la Mi-
nerve d'.Athènes 704
Germain- (îfainl-) l'Auxerrois. Lettre de
M. Troche sur les restaurations de cette
église 254
Gilbert (M. ), antiquaire. Mémoire sur le
pavé de Paris , etc. 188
Gilles ( M. Florent), conservateur des mu-
sées de Russie fait don d'une collection de
plâtres à la Bibliothèque royale 402
Glanum ou Saint-Remy. Ville citée pour
ses beaux monuments SyB
Glaucus. Mémoire sur ce mythe 483
Globe céleste sur la tête de Firouz 266
Gnosticisme. ( Histoire du ^. S . Matter.
Gorgoniiim ( symbole du ) 761, 782
Goriée. Monurri. du gnosticisrae , note 2. . . . 696
Grasset (M. Edouard). Ses découvertes... 698
Gravure sur bois de 1423. Détails à ce sujet, b'io
Grèce (antique et moderne), 39. V. Asie~
Mineure, — Septentrionale. P'. Leake.
Gréijoire XVI. V. Musée Grégorien.
Greifwald (Ott Joh.) Mémoires archéolog. 704
Grifi (lechev.). Sut- les monuments de
Cœre , 3i2; — Lettre sur un Vase peint. 326
Grille de Beuzelin ( M. ). Rapports sur les
travaux de la Commission des monuments
historiques , 54 , 549 ; — sa mort, ses ou-
vrages 843
Grouchy (M. de). Ses découvertes 121
Guarini. Archéologue 784
Guénebaull (L.-J.). Dictionnaire des Mo-
numents, etc., l4l, 4'5; — sur le tableau
dit de saint Louis 691
Guerrier de Marathon , planche 1 49
Guichard(M. Marie). Son introduction en
tête de l'édition du moine Théophile. . . . 374
Guigniaut (M.) Mythologie, i45 ; — son ou-
vrage sur les religions de l'antiquité 253
Guy de Crème, pape , 629
PAGES
Gwilt. Savant i 628
Hagenhach. Savant numismate 1 13
Hamilton. Savant 628
Harnaciiemcnt des chevaux assyriens.. 219, 228
Harpies (Fable des ). Peinte sur un vase grec. 48 1
Hathor. Divinité égyptienne. 2()8
Hébreux. Leurs livres 660
Heffler (docteur). Mythologie grecque et
romaine 704
Hel. Dieu de la mort chez les Germains . . . 076
Hellénisme (Définition de 1') 84, 87
Henri VII, roi d'Angleterre. Bas-relief de
son tombeau 3o5
Herculanum. Son Académie. F. ce' mot.
Hermès , psychopompe 3oo
Héroïques ( Temps). Ce qu'on en connaît. . . 11
Hérouval (Oise). Objets trouvés près de ce
village i33
Hiérodules 278
Hiéroglyphes ( Les ) , ou réponse à une cri-
tique de ta grammaire de M. Cliampollion,
34 1 ; — • de quoi se compose cette écri-
ture , 35 1 ; — ce qu'en disent les anciens. 35a
liieroglyphical collections oflhe Egyptian
Society 292
Holcion (Vase dit) 781
Horace. Origine du nom de ce poêle 114
Horloge de la cathédrale de Laon incendiée. i34
Huyseburg. Basilique remarquable de ce mo-
nastère 622
Hypogées détruits , 726 ; — avec peintures
de travaux agric, 727 ; — autres , 729, 732, 733
Icosium ( Mosaïque trouvée à ) 556
Ingeburge ( La reine). INotice historique de
M. Géraud , citée avec éloge 375
Innocent 111, défenseur de ia reine Inge-
burge. Ses lettres publiées par M. De la
Porte du Theil 376
Inscriptions (Plan du recueil général des
inscriptions latines). Rapport à ce sujet
par M . Egger 107
Inscriptions de Rosette. Détails à ce sujet,
62 ; —découverte d'un exemplaire com-
plet de ce monument , 62 ; — inscription
latine trouvée à Marsal , 492
Inscriptions de Niuive, 697 ; — d'une borne
milliaire à Tunis 828
Inscription arabe funér. trouvée à Marseille. 843
Inscription greco-ilalienne découverte 481
Inscriptions romaines ne iiacna , 176; — dé-
couverte à Avignon 479
Inscriptions grecques reproduites, 4' et
suiv.; — 99 et suiv.; — 1(19 el suiv.; —
279 et suiv ; — 3 1 4 . 4^4 *' suiv. ; — 63 1
et suiv.; — 705 et suiv.
Institut archéologique 3 1 2
Institut de correspondance archéologique. . 480
Instruments de musique connus des anciens.
(Observations sur quelques ) 4^2
Italie. Publications archéologiques de ce
pays 79,784, 854
Ithôme (C ouvent d') 4^6'
Jenkins ( Patère de ) 2()6
Jeux funèlires sur un vase 655
Jonas, ses paroles, citées, 2i3 ; — explication
du chiffre de la population de Winive, in-
diquée par lui 2l5
Jorio ( Le chanoine André de ), Guida per
le cataçombe di Napoli 4'4
DES MATIERES.
857
PAGES
Jouarre, restauration de la crypte. ....... 55o
Journal des Semants , cité au sujet du tom-
lieau de Cervefii 3 12
Journal archéologique d'Àthenes. Inscrip-
tions altiques ^^%
Jugement dernier de Michel-Ange 5()3
Justice (Fif>iire de h). V . Manc/iede sceau.
Justinien l^^. Reclierches sur les monnaies
de cet empereur 378
Karnak. Palais des Pharaons 645
Kennouda (Afrique), ne'cropole de'couverte
en ce lieu 566
Ke'res (Les) ou desline'es, 647, 648; — por-
tant des ailes 65^
Kiopsiock. Sa Messiade 248
Khorsah;id. Recherche sur cette ville 234
t^éléhé (Vase dit ) 780
Kuoler (M. le professeur). Sa dissertation
sur les divers types des hasiliques chré-
tiennes 618
Kutayah. Tomheaux. , planches et texte.. . . 320
Lhaam , dieu du bien 294
Laclance , cité sur les démons 658
Lan^ieais ( Château de). Notice sur ce monu-
ment . . . 140
Langues (Etude des) indispensables l3
Langues asiatiques. Leur enseignement at-
taqué par un député 268
Lassen (Christian), ses travaux sur les in-
scriptions cunéiformes 44^
Lasteyrie (Le comte de). Son histoire de la
Peinture sur verre t><)7, 756
Latinités anciennes. Recueil à ce sujet par
M. Egger 940
Lautard (M. le docteur) à Marseille, nommé
corresp. de l'Acad. des Jns. et Bell.-Letl. 697
Leakc. Foyage dans la Grèce septentrio-
nale 317
Le Bas (M.). Ses travaux scientifiques, 39,
98 , 167, 277 , 421 , 629, 705 ; — lettres
sur les antiquités d'Athènes , 3i4; — sa
réclamation contre M. Egger, 686; — sa
lettre contre M. Papadopoulo-Vrélos 837
Lécylhus (Vase dit ) 779, 784
Légendes impériales du temple de Den-
derali 383
Leherennus. Divinité romaine 25o
I,enormant (Charles). V. Vases antiques l
— Mémoires sur l'OEon d'Hadrumète ,
g5 ; — Musée des Antiquités égyptien-
nes , V. à ce nom ; — Rapport au nom de
la Commission des Antiquités de la France,
1>63 ; — nommé nicmhre de l'Acad. royale
de Sciences de Berlin 845
Léopardâ, qui sciant equitare 538
iiCpsius (docteur). Extraits de ses lettres de
vovages aux Pyramides, 573; — sa lettie
sur le. Recueil des inscriptions grecques
de 1 Egypte 678
Leli'Onne(M,). Son rapport sur l'inscript. de
Rosette prétendue , trouvée ik Mcroé , 62;
— Lettre de ce savant qui rectifie cette
découverte, 65; — sur deux colonnes
milliair<'S , 1H4 ; — sa réfutation sur la
découverte du cœur de saint Louis , 2S9 ;
— sur la Croix ansée. V. à ce nom ; —
sur le Zodiaque de Dendéra, 38 1; — sa
réfutation à une assertion de M. Raoul
Rochette , 439; — sur les noms de Cléo-
PAGES
phas et Cléopas, 485; — recueil des inscrip.
grecques de l'Egypte , 678 ; — sa lettre à
M. de Saulcy sur les proscynèmes, 748;
— ses observations historiques et géogra-
phitfues sur l'inscriplidn d'une borne rail-
îiaire qui existe à Tunis 820
Libellule, cheval du diable 676
Licorne , symbole du sauveur 4^^i 4^
Lions do bronze cl de lapis lazuli trouvés à
î*inive 232 et 6(7
Lion porté en croupe 539
Lit funèbre 3 1 1
L iure noir 364
Lobeck, .savant 3lO
Longpérier M. de) \ . Numismatique, Ni-
nive et Khorsabad. — Son travail sur les
médailles des trois i-aces persannes, 266 ;
— sur les monnaies sassanides, ib.\ — sur
les noms de rois perses écrits sur des vases,
444 î — Figurine n'Eudamidas , 458 ; —
sur la châsse de Charlemagne, 525 ; — sur
une coupe arabe , 528; — sur des tumulus
de la Mauritanie, 555 ; — sur les vases an-
tiques, 776 et 846; — son application
d'une coupe sassanide , 483 ; — sa tra-
duction d'une inscription arabe funéraire. SiS
Louis (Saint). Divers articles sur la préten-
due découverte de son cœur. . . . 267, 390, 54?
Louis (Saini), évêque de Toulouse • 6gi
Louis cl Charles d'Or éans; leurinfluencesur
les arts, la littérature, etc., par M. Cbam-
pollion-Figeac ; . . 419
louis le Débonnaire. Son poi trait 02.^
Luynes ( M. le duc de) , fait don au Cabinet
des Antiques d'une coupe perse, 263; —
d'une, médaille d'or d'Athènes, 844 5 —
Ses Eludes sur le culte d'Hécate ^ "^Gi,
782 ; — son Mémoire sur Phinée délivré
par les Harpies 481
Maftëi (Scipion). Défaut de son ouvrage. .. . ïi2
Mailly. Statues de personnages de cette fa-
mille au portail d'une église Qin
Maisons de Rouen (Description historique
des), par M. de la Quérière 3yt
Malo (Saint-).Objets découverts près de cette
V ille 263
Manche de sceau d'ivoire, pi. IX 33^
Marathon (Ville de), 5i ; — guerrier de, pi. I;
— Taureau de (offert en sacrifice), 780. V.
Guerrier e\ Théi.ée.
Marcadier (Notice sur), parGéraud S^S
Marchegay (M.) 364
Marsal (Meurthe). Inscription trouvée en ce
lieu : 492
Marficboras, monstre à face humaine, note 23l
Masson. Mém. sur les topes de l'Afghanistan. 565
Matler(M.). Histoire du Gnosticisme 620
Maury (M. Alfred). Sur une peinture symbo-
lique, 4t>2; — sur les représentations psv-
chostasiques, 235 et 291 ; — recherches sur
les divinités psycbopompes, 5ot, 58l, 657;
— sur deux leprcsenlalions de l'arbre de
Jessé ; • ^55
Mécanique des anciens Égyptiens 642
Médailles (Etude des). V. Numismatique.
Mercure pesant les âmes d'Achille et deMcm
non, 296; — conducteur des âmes 3o3
Mérimée (M.), de l'inslitul. V. Inscriptions
romoiriç.<ideHoçna, J76; ■■» bas relief du
858
TABLK ALPHABETIQUE
PAGES
musée de Strasbourg , 25o ; — Notre-
Dame-des-Doms , .'>33 ; — sur un frag-
ment rl'une des statues du Part lie'non 832
Me'roé. Epoque exacte de la construction de
ses monuments 675
Messine. Inscription découverte aux envi-
rons 4-^^
Micali (savant) ^55, 78^
Michel, archange. Représentation de ce per-
sonnage sur divers monuments 237
Millin. rases antiques 29Ô, 297
Minervini. archéologue 78a
Minutius Félix. Sur 1'ex.istence du démon.. o5o
Miroir de Jenkins, 296 ; — collection de. . . 3i l
Mœris, Bas-relief des ancêtres de ce roi. Con-
duit en France 25o
Moïse. Son ^ssomption 5o8
Monnaies (Elude des). V. Numismatique', —
leur imitation au moyen âge , 97 ; — leur
histoire, 372 ; — des évêfTnes de Tout, 627 ;
— des villes grecques. "V. Fiorelli. Trou-
vées sur les Lords de l'Adour . 844
Monigravier (M. de). V. Azema.
Monligny (Denier mérovingien frappéà).. 338
Monuments figurés. Quand ils commencent
à être él ud iés .' 12
Morcelli, savant numismate Ii3
Morée (Recherches géographiques sur le» rui-
nes de la) • 28 1
Morini, savant numismate. n3
Morlange ; son prieuré 267
Morusini , assiège Athènes 832
Mort ( La). Comment représentée 673, (>74
Morts emportés sur le cheval infernal 675
Mossoul, ville d'Assyrie 2 14
Moulages de divers fragments d'art de la ville
d'Athènes 210
Muralori. Sur les inscriptions 1 10
Moyen âge ; difficulté d'en fixer l'époque. . . . 107
Murs d'Athènes. Inscription grecque sur leur
reconstruction 3l^
Musée des Thermes et de l'hôtel deCluny, 18,
i32, 479, ')59 ,. 845 ; — des Petits- .-luguE-
lins, 19; — d'Eleusis. 45 ; — des Antiques,
à Barcelone, 72 ; — de Strasbourg, 25o ; —
Grégorien , à Rome, 3o8 ; — du Louvre,
323"; — de Nîmes, 374 ; — de Berlin. . . 699
Musée de Sculpture ancienne et moderne.
V. Clarac.
Musée des j4ntiquités égyptiennes , par
M. Cli. Lencrmant 292, 386
Muséum Cortoncnse, 296; — Veronens, 3o4 ;
Gregonanum 3i2
Mythe. Définition de ce mot i45, 148
Mythologie envisagée comme science i45
!Naples. (Création d'une commission histo-
rique à ) 71
Naudet (M.), nommé vice-président del'A-
cadéiine des Inscriptions et Bel les- Lettres. 697
j^aumachie antique retrouvée à îiîmes 1 18
!Nehallenia, déesse zélandaise 25 1
jNeuvy-Pailloux (Indre). Découverte faite
près de ce village i^'jd
!Nicétas Eugénianus. Traduct. franc, de cet
auteur 4^7
jNielles, ou Niellures allégoriques représen-
tant des scènes de l'ancien et du nouveau
Testament exécutées au Xil* siècle dans
ym cloître. . . , , , 24^
PAGES
Niai ve et Khorsabad. BecKercbes sur ces deux
villes, par M. de Longpérier 2i3
.Nivernais (Le). Album historique, par
M. Morellet 3;73
Wola (Vases et tombeaux de) 484i 780
JSolre-Dame de Paris. Architectes nommés
pour la restauration de cette église 129
Notre-Dame-dcs-Doms. Recherches sur l'é-
poque de son porche 4?^» 533, 602
Notre-Dame d' À jaccio. Histoire et légendes 419
Wubie ( Monuments de la), par M. Champol-
lion-Figeac 384
Numismatique. Importance de son étude,
par M. de Longpérier i5, 89
Numismatique ( Rapport de la commission
de l'Académie des Inscriptions sur divers
ouvrages de ) 878
Nympbi, ville de l'Asie-Mineure ; son châ-
teau féodal, 323 ; — tombeau, pi. "VII.
Oannès figuré sur un cône de Ninive 219
Obélisque d'Axum , publié, pi. III, et ex-
plïqué 33l
Odon , comte de Champagne ; épisode de sa
vie aAi
OEil. Symbole funéraire sur les vases 782
Ogive ouverte , dans un monument antique
de la Mauritanie 570
Olympie (Ville célèbre) 286
Oratoire des Templiers, à Metz 267
Orphanolrophéion (L') d'Egine loi
Ordre de la Paix, en Prusse 394
Osymandias (Tombeau d'). Remarque sur ce
monument 684
Olhon III Son portrait 627
Ouen (Saint-) de Rouen. La restauration de
celte église, Q.'S'j ; — bas-relief de cette
église, pi. ViiJ.
Ouvrages archéologiques. V. archéologie.
Palais à Trêves. Sa restauration • 696
Paléographie (f.,a) ; sa définition l5
Palladium (Enlèvement du). Commentaire à
ce sujet 326
Panofka. Recherches sur les noms des vases
grecs, 655, (à la note 3) ; — description des
terres cuites du musée de Berlin, 699; —
sa dénomination des vases antiques 777
Papadapoulo-Vrétos (M.) , réponse de M. Le
Bas à sa critique 83'
Papi (Cartouche de) 7
Parasol assyrien sur un bas-relief
Pardessus (M ), nommé présiitent de l'Aca-
démie des Inscriptions et Belles-Lettres.. 697
Parlhénon ( Fragment d'une des statues du) . 832
Passeri. Monuments étrusques 296
Patère de Jenkins 296
Patronomes, magistrats grecs H'^o
Pavé de Paris (Sur l'ancien), par M Gilbert. 188
Pectoral d'or 3 1 1
Pédagogue (Le) des Niobides. Statue du mu-
sée du Louvre 335
Pégase. Sa fonction, 674 ; -— psychopompe. 675
Peinture du XV« siècle représentant une an-
nonciation 1^62
Peinture assyrienne 224
Peintures sur verre de l'église Saint-Denis,
606, 759, et pi. XVIIl et XXII.
Pellissier (M.). Sa lettre à M. Hase sur I9»
antiquités de la régence de Tunis .,.,,,.. 81O
Pcrdiccas. Y< Ëudamidas»
5
219
DES MATIÈRES.
S59
PAGES
Pèsenoent des âmes. V. Psycostasie.
Pelit-Barow de'couvert , . , . . 20g
Phidias (Sculpture de) 833
Phiale (Vase dit) 779
Philippe-Auguste l'ait paver Paris 189
Pliilippe, monnaie gauloise 1^4
Philologie (Science de la). Sa de'finition. . i3, l4
Phine'e de'iivre' par les llar()ies (Me'moire). . ^81
Phlha, divinité' égyptienne 208
Pierre tumulaire avec inscriplion 126
Pierre (Saint-) de Borne; — type d'église. 626
Plane (M. de la) à Sisteron, nomme' corres-
pondant de l'Acad.des Inscript, et B.-L. . 698
Plastique. (Sur l'art de la) à Athènes et à Co-
rinl Le 69Q
Poissons symboliques, monuments chrétiens. l\o5
Pôly t liéisme 90
Ponfpoinl (Oise). Découverte faite près de ce
-village. 479
Pouzzuole. Objets découverts en ce lieu. . . 261
Porche roman de Nptre-Dame-desrrDoms , à
Avignon 47*
Préféricules 328
Prisse d' A vesnes; sa Lettre à M. Champol-
lion-Figeac sur diverses inscriptions égyp-
tiennes 723
Proscynèmes. Actes d'Adoration en langue
égyptienne et en écriture démotique,
735, 786; r — démotique expliqué par
M. Le t ronne ^54
Proserpine. Son analogie avec Marie; son ea^
ractère funéraire 673
Proverbe hourguignon sur la mort 697
Psychostasie (Recherches sur la) chez les di-
vers peuples , 235, 291, 5oi, 681,657 et
suiv. ; — scènes de psychostasie liomérique 6^7
Publications a»-cliéologiques en France , 74,
i/jjO, 211, 269, 338, /(«^f), 627, ')&j^ ; — en
Italie, 79, -84 ; — en Allemagne, 77, 56'q,
618, 699; — eu Angleterre, 78, 4^0 628
Pythaules. Observation sur ce mot 4'-^
Baugabé (M.). Ses travaux 4^
Bapt de Proserpine représenté sur un sarco-
phage 68
Baoul Rochette (M )• V. antiquités chré-
tiennes ,' — allégories chrétiennes, 669 ; —
Sa publication des peintnresantiques inéd. 779
Bappori de M. Lenormant, au nom de la
Commission des Antiquités de la France. . 363
Bawlinson ( M. ) à Bagdad, nommé corresp.
de l'Aca'^. des Inscript, et B.-L 698
Piegesium de l'empereur Frédéric II 538
Beiilenberg ( Le baron de). IMotice sur une
ancienne gravure sur bois 610
Beinaud. Moniim. du Cab. du duc deBla-
cus 297, 3oi, 5'|0, 541
Reliquiœ selevtœ latini sermonis, etc. Publi-
cation de M. Kgger 4^9
Bémond (Pierre), emailleur du XV^ siècle. i33
Bénier(i'Vl. Léon). Sur diverses inscriptions
thessaliennes 3 14
Béservoirs romains découverts à Nîmes 477
Bestauration de monuments, 129, 202, 254,
257, 267, 479. 55o, 5^9.
Bestauration des ^-ases dans l'antiquité 3ro
Bestitul ( Église de Saint-) 532
Bétable d'or de Bâie 52i
Rhamesseion , monument 684
Robert, Sur les monnaies de Toul 627
PAGES
Roi chassant. Coupe d'argent ciseltie . « 2&
Bomoaldus, sculpteur du XI* siècle 54
Boss. Becueild'inscriptionsparcesavant. ...
Rosette ( Inscription do) retrouvée 68 1
Boue ( La ). Sa. signification funéraire ( à la
note 5 ) 5o6
Bouen (Histoire de) sous l'époque communale 365
Boulez ( archéologue à Gand ) h9&
Routiers ( Notice sur les^, par M. Géraud. . 075
Saint-Pierre de Borne, ( Eglise de), 626 ; —
Sain t-Zacha rie , à Eleusis, église transfor-
mée en musée 4^
Saint-Révérien ; fouilles faites en ce lieu. . 698
Sain longe. ( Lettres his t. arcfiéol. , etc. sac la) 140
Sancie , femme de Bobert, roi de Naplc» .... 692
Sansonnetti (M. V. de) son ouvrage, 627; —
relève les plans pour la restauration de
l'église de Munster 697
Sarcophage de Charlemagne, 68 ; — do thés»
salonique au musée du Louvre, 336; —
prétendu d'Alexandre Sévère, erreur re-
levée par Visconti 76a
Sassanide. Coupe , 264 ; — pierre gravée du
du cabinet de Munich , note a3l
Saulcy (M. de). Défense de M. Champollion,
341 ; — rapport au nom de la commission
de numismatique, 378; — sur une in-
scription bilingue. 481 ; — inscription
trouvée à Marsal, 492 ; — lettre à M. Le-
tronne sur les proscynèmes ^35
Saussaye (M. de la) nommé membre de
l'Acad. des Inscript, et B.-L 698
Sauvages sur des armoiries; leur accoutrement,
29 ; — représentés dans des armoiries .... 763
Savenières , restauration de son église.... 55o
Saverne ( Découverte à) * 120
Scandinaves Leurs divinités funèbres 676
Sceau de saint Edmond 5l4
Sceaux as.,yrienà, 232 ; — égyptiens cités par
Hérodol e. ?.32, not. 3.
Schlegel (Aug.-Guil. de). Vers sur la dé-
couverte du cœur de saint Louis 390
Schreman, Savant cité 628
Schweiiihajuser Mort et éloge de ce savant . . 73
Secciii (Le P.). Antiquaire de Bome, nommé
correspondant de l'Académie des Jnscript.
et Belles-Lettres 69$
Séguier ( Jean-Franç.) Son travail sur les
inscriptions .....,., iil,II2
Sésostris. Son portrait sculpté sur un rocher,
229 , 324
Sicotière (M, de la). Sa Notice sur les vi-
traux d'une église 767
Siège épiscopai de l'église Saint-Césaire à
Bonje , planche II 80
Siéj^e d'une ville assyrienne 224
Styles monétaires sur les monnaies bysaa-
tines 378
Smith. Savant cité 6a8
Sparte. Etat présent de cette ville, 63o; —
inscriptions qu'on y trouve 63l
Spire ( Cathédrale de ) 628
Squelette de bronze dédié par Hippocrate , .
4;")9;t^ conservé dans le musée Kirchcr. 461
Scrupt ( Haute-Marne). Objets trouvés près
de ce village 70
Stammion ou Stamnos ( Vase dit ) 783
Statue d'un dieu cpnsacrée à un autre dieu. . qSo
Statues de rois d'Egypte au nausée du Louvre 335
860
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIERES.
TAGES
Stewart. Savant cité 628
Stoupas ou Topes. Monuments indiens 565
SiruU. Savant cité , 628
Suger, représenté sur un vitrail, pi. XVIII
et texte 6'«)6
Sylla. Mémoire sur ce mylbe !\S'i
Symbolik des Mnsnïsvhen cultus de Bcehr. 608
Symbolique de l'Orient. Abus qu'en font
les savants ^82
Tal)le d'Abydos, 2t)i ; — iliaque 027
Tableau dit de saint Louis, 691, 84^ » *'
pi. XX; — tableaux cbronologiques de
l'bistoire de Touraine 76a
Talair (tunique dite) 653
0xi&v»ffàv6eia. Mot composé remarquable.. ^^6
Taureau a tête bumaine. Mote i 23i
Temple antique retrouvé à Vienne 1 18
Templiers. V. Oratoire.
Temps béroiquL'S. \ . Héroïques .
Terres cuites dans l'antiquité 700
Tesèrts cbiétiennes, [^o!\ ; — ol scènes, 92;
— de plomb, 567 ; — tbéâtrale 261
Testament politique d'Auguste retrouvé et
publié 4'°
Tête d'ange renfermant un petit tombeau. 559
Texier (M. j. Sur deux tombeaux du moyen
âge 320
Tbeccl. Mot propbélique 245
Tbéopbanon , femme d'Otbon ; son portrait
sur un dyptique 53 1
Théopbile ( Le moine ). Son livre sur les
arts, traduit et publié 872
Tbermes ( Les ) de Julien 18
Thermopotis ( Va^e dit ) 779
Tbésée immolant un taureau. V. Marathon.
Tbol h , psycbopompe 291
Tyrrliéno-Pbéniciens (Vases) 778
Tombeau d'un enfant à Albènes. PI. XII.. 3d8
Tombeaux du moyen âge à Kutuyab et
Wympbi, PI. V et VU 3ao
Tombes dei comtes de Champagne retrouvées
à Troyes 558
Torques , collier j:aulois l2/i
Toti (Cartouche de) 726
Toul(Evêques de). Leurs monnaies. V. Ro-
bert .
Tour Magne à Nîmes, restaurée 20a
Tour du Palais de Justice, à Paris. Sa pein-
ture murale i3i
Tours ( Peinture de la porte du Change à ),
6i5 ; — bas-relief de bois , 6i5 ; — mai-
son dite de Trislan-l'Krmite 762
Translation de reliques ; bas-relief de Saint-
Ouen, à Rouen, pi. VUI.
Troche (M.). V. Germain- (Saint-) l'Ju-
xerrois. Collège de Navaire.
Troyes. Dérouverte faite dans une chapelle
de la cathédrale 55^
Tumuluï de Djebel cl Akhdbar 565
Tunis (Antiquités de la régence de) 810
Type numismatique 89
Types parlant des monnaies 92, 94, 9^
Types accessoires 93
Urnes funéraires, avec des noms expliqués par
Hcrmann 4^^
Vase égyptien portant le nom de Xerxès, l\(\!\ ;
— autre portant le nom d'Artaxerce , à
Venise 44^
Vase de Nola avec peinture historique, 4^4»
— vase de Portland, brisé, 762 ; — expli-
qué par M. Lenormant, ibid.
Vases antiques et peints trouvés dans un tom-
beau d'enfant , 38ç), et la pi. Xli.
Vases chrétiens (Des) trouvés dans les cata-
combes, 4')5; — Céramographiques. V. Cè-
ra mog rapide.
Vases funèbres dans les tombeaux. V. 2'om-
beaux.
Vases de la BasiUcale comparés aux monu-
ments gnostiques 78^
Vases grecs Leurs noms, V. Panofka.
Vases peints du musée Grégorien 3oQ
Ventes d'antiquités 616, 761, 845
Vfzelay (Notice sur l'église de) 65 1
Vigne iSon emploi syniltolique 767
Villa antique, retrouvée» Saverne 120
Vital (Église Saint-) 626
P'itraux de Bourges (Description des), 368 ;
— de Saint-Denis. V . arbre de Jessé, Suger.
Volkes, peuplade qui a habité le midi de la
France 479
Volterre. Objets antiques trouvés près decelte
ville 67
Voullon (Restauration de l'église de) 479
Foyages archéologiques en Grèce et dans
I'j4ste-Mineure , par M. Le Bas, 39, 98,
167, 277,421. 629 705.
Vulcano (Monastère de). Ignorance de ses
moines 4^6
Vulri (Tombeau de) 3o8
Vyse (M.), savant cité 628
Wallhen (M ), savant cité 628
Way (M. Albert), antiquaire anglais cité. . . 3o9
Wieseler (W), savant cité 628
"Wilkinson(SirGardner), savant anglais cité.
4'|5, 520, 733
William Mure (M), savant cité 628
Witte (M. J.de). Musée Grégorien, 3o8; —
psychostasie homérique , 647 ; — nommé
membre de l'Académie roy. des Sciences
de Berlin 845
Xantbus de Lycie. Prise decelte ville figurée
sur une frise , 226 ; — bas-rcliels peints
que l'on y a trouvé 221
Xerxès. Figure de ce roi à Per.^épolis , 22r,
226, 229; — Ibnne assyrienne de sou
nom , 234 ; — vase avec le nom de ce rui . . 444
7âcharie (Eglise Saint-), à Eleusis 4^
Zodiaque d'un dypt iqiie 59 1
FIN m LA TABLE ALPHABETIQUE DU PREMIER VOLUME.
ô\i ly/u
ce Revue archéolo Ique
3
année 1
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