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Full text of "Revue archéologique"

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PURCHASED  FOR  THE 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 

FROM  THE 

CANADA  COUNCIL  SPECIAL  GRANT 


FOR 

ART 


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REVUE     f''^'^' 


ARCHÉOLOGIQUE 

ou  RECUEIL 

DE  DOCUMENTS  ET  DE  MÉMOIRES 

RELATIFS  A  IITODE  DES  MONUMEMS  ET  A  LA  PHILOLOGIE 

DE   l'antiquité   et   DU   MOYEN   AGE 

PUBLIÉS   PAR   LES   PRINCIPAUX   ARCHÉOLOGUES 

y  W  A  N  Ç  A  1  s    E  T     Ê  T  11  A  N  G  E  U  S  y 


Kl-     ACCOMPAGNIS 


DE  PLANCHES  GRAVÉES  D'APRÈS  LES  MONUMENTS  ORIGL\AVX 


PREMIERE    PARTIE 

1844  -  -^  0 

DU     15    AVRIL    AU    15    SEPTEMBRE 


PARIS 
A.  LELEUX,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

RUF,   PIF,RRf>S\RRAZIN  ,    !I 


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DE  L'IMPRIMERIE  DE  CRAPELET, 
9,   RUE   DE  VAUGIRARD. 


AVERTISSEMENT  DE  L'EDITEUR. 


Les  recherches  archéologiques  ont  pris  en  Europe ,  depuis  une 
trentaine  d'années,  un  extrême  développement.  Dans  toutes  les  par- 
lies  du  monde  civilisé,  des  hommes  zélés  et  habiles  se  sont  consacrés 
à  la  publication  ou  à  l'explication  de  monuments  jusqu'alors  négh'gés 
ou  inconnus  ;  et  des  artistes  estimables  ont  prêté  à  cette  tâche  utile 
l'assistance  de  leur  talent  et  de  leurs  efïbrts. 

Rien  ne  peut  faire  encore  présumer  jusqu'à  quelles  limites  ces 
études  seront  poussées ,  car  chaque  jour  des  objets  nouveaux  s'of- 
frent à  l'examen  et  à  la  sagacité  des  antiquaires  ;  on  peut  dire  sans 
exagération  que  les  progrès  marchent ,  à  cet  égard ,  avec  une  telle 
rapidité  qu'une  différence  de  quelques  années  suffit  pour  faire  chan- 
ger ou  modifier  notablement  la  face  de  chacune  des  branches  de  la 
science  archéologique. 

Il  en  résulte  que  celui  qui  veut  suivre  attentivement  la  marche 
rapide  de  cette  science  et  des  découvertes  qui  se  font  en  quel- 
que sorte  simultanément  sur  tous  les  points  du  globe,  éprouve 
de  nombreuses  difficultés  et  n'atteint  presque  jamais  complètement 
son  but.  La  publication  des  ouvrages  destinés  à  exposer  l'état  de  la 
science  archéologique  n'est  ni  assez  générale,  ni  assez  rapprochée , 
pour  lui  fournir  toujours  un  tableau  complet  des  travaux  qui  ont 
été  accomplis;  et  des  intervalles  d'années  s'écoulent  pendant  les- 
quels il  demeure  en  arrière  ou  mal  renseigné. 

Un  journal  consacré  à  la  science  qu'il  cultive ,  est  le  seul  moyen 
qui  puisse  parer  à  cet  inconvénient  et  l'initier,  le  tenir  au  courant 
de  chaque  pas  que  fait  cette  science  ;  dans  ce  journal  seulement ,  il 
aura  sans  cesse  le  dernier  mot  auquel  les  antiquaires  de  l'époque 


IV  AVERTISSEMENT   DE   L  EDITEUR. 

se  sont  arrêtés  sur  chaque  question.  Les  Allemands  l'ont  bien  senti, 
et  si,  dans  leur  pays,  les  études  archéologiques  sont  florissantes,  il 
faut  peut-être  l'attribuer,  en  partie,  à  l'existence  de  plusieurs  recueils 
périodiques  destinés  à  la  publication  de  Mémoires  et  de  Documents 
sur  les  antiquités. 

En  France  où  la  science  des  monuments,  si  elle  a  moins  d'inter- 
prètes, n'est  pas  cultivée  avec  moins  de  bonheur  qu'au  delà  du  Rhin, 
nous  manquions  d'un  moyen  de  propager  et  de  populariser  les  con- 
naissances archéologiques;  lacune  d'autant  plus  sensible  qu'il  n'est, 
en  ce  moment,  presqu'aucune  des  autres  branches  des  connaissances 
humaines  qui  n'ait  son  écho  et  sa  tribune. 

L'éditeur  de  cette  Revue,  convaincu  des  avantages  que  ce  genre  de 
publication  procurerait  au  monde  studieux ,  a  conçu  l'idée  du  recueil 
dont  il  présente  aujourd'hui  le  premier  volume  contenant  les  six  pre- 
mières livraisons.  Comme,  en  créant  ce  recueil,  il  n'a  pour  but  que 
l'intérêt  et  l'avancement  des  études  archéologiques,  il  ne  veut  pas 
en  faire  l'organe  exclusif  de  telle  ou  telle  branche  de  la  science  en 
particulier.  Il  croit  devoir  embrasser  à  la  fois  l'antiquité  européenne , 
égyptienne  et  asiatique;  et,  parmi  les  monuments  européens,  il  ne  se 
borne  pas  à  l'antiquité ,  il  descend  jusqu'au  moyen  âge  ;  et  donne  une 
attention  convenable  à  l'archéologie  chrétienne,  qui  est,  depuis  quel- 
ques années,  l'objet  de  recherches  si  intéressantes. 

En  agissant  ainsi,  il  n'a  point  eu  seulement  en  vue  d'augmenter 
le  nombre  des  personnes  que  cette  publication  pourrait  intéresser  ; 
mais  il  a  été  encore  mû  par  l'idée  qu'il  s'est  toujours  faite  de  l'archéo- 
logie elle-même,  dont  les  diverses  branches  se  tiennent  par  un  lien 
indissoluble.  Le  passage  de  l'antiquité  au  moyen  âge  est,  pour 
ainsi  dire,  insensible.  Les  différents  styles  d'architecture  sont  des 
transformations  successives  et  graduelles  des  principes  des  anciens 
dans  l'art  de  bâtir  ;  les  mythologies  et  les  croyances  populaires,  des 
modifications  variées  d'idées  et  de  dogmes  analogues  ou  même  identi- 
ques; etbien  souvent  les  représentations  figurées  ne  sont  que  des  repro- 
ductions plus  ou  moins  altérées,  plus  ou  moins  heureuses  des  types 


AVERTISSEMENT   DE   L  EDITEUR.  V 

anciens  conservés  par  les  habitudes  sociales,  quand  le  changement 
des  croyances  semblerait  avoir  dû  les  faire  disparaître.  En  un  mot , 
il  n'est  guère  possible  d'étudier  les  monuments  mêmes  qui  ne  da- 
tent que  de  trois  ou  quatre  siècles ,  sans  en  retrouver  comme  les 
racines  et  les  éléments  dans  les  temps  antérieurs.  Que  serait  donc  le 
moyen  âge  étudié  isolément,  en  lui-même,  et  non  rattaché  à  la 
source  féconde  de  l'antiquité?  une  lettre  morte  dont  souvent  nous  ne 
saisirions  ni  l'esprit  ni  la  portée.  Consacrer  alors  exclusivement  la 
Remeau  moyen  âge,  par  la  raison  que  l'attention  paraît  maintenant 
se  porter  vers  l'étude  de  cette  époque  avec  plus  de  force ,  c'eût  été 
mal  servir  l'étude  de  cette  époque  elle-même,  et  tarir  en  partie  la 
source  des  idées  qui  peuvent  en  éclaircir  les  ténèbres  et  les  bizarreries. 
D'un  autre  côté,  borner  exclusivement  à  l'antiquité  une  Reçue  archéo- 
logique, ce  serait  une  sorte  d'anachronisme;  ce  serait  priver  nos  lec- 
teurs de  la  branche  de  l'archéologie  qui  se  rattache  de  plus  près  à 
l'état  actuel  de  notre  société,  à  notre  histoire  et  à  nos  institutions. 
Ainsi,  pour  être  véritablement  archéologique,  la  Reçue  a  dû  inscrire 
sur  son  titre  :  Recueil  de  Documents  et  de  Mémoires  relatifs  à  V étude: 
des  monuments  et  à  la  philologie  de  l'antiquité  et  du  moyen  âge. 

L'éditeur  n'ayant  pas  cru  devoir  réduire  sa  publication  aux  limites 
d'une  branche  unique  de  l'archéologie,  aura  encore  moins  voulu  faire 
de  celle-ci  l'organe  d'un  système  d'opinions  particulier  à  tel  ou  tel 
savant,  ou  même  à  telle  ou  telle  école.  C'eût  été  tomber  par  un  autre 
côté  dans  un  inconvénient  qu'il  venait  d'éviter,  celui  de  restreindre 
trop  son  cadre.  L'examen  des  diverses  doctrines  émises  par  ceux  qui 
s'occupent  des  monuments ,  constitue  une  partie  de  la  science  elle- 
même  ,  et  pour  qu'il  pût  trouver  place  dans  cette  publication ,  l'éditeur 
devait  permettre  l'accès  de  son  journal  à  toutes  les  écoles,  à  toutes 
les  idées.  Qu'on  n'attende  donc  pas  ici  de  prédilection  pour  tel  ou  tel 
homme,  pour  tel  ou  tel  système.  La  Reçue  est  ouverte  à  tous  les 
hommes  de  talent  et  de  conscience  qui  veulent  bien  l'honorer  de  leur 
concours  ;  aucune  acception  n'est  faite  de  leur  drapeau  et  de  leur 
couleur.  Chacun  est  responsable  de  l'œuvre  qu'il  signe,  et  l'éditeur 
n'entend  s'immiscer  dans  les  communications  qui  lui  seront  faites  que 
pour  adoucir,  s'il  y  a  lieu,  les  formes  de  la  critique,  pour  en  rendre 


VJ  AVERTISSEMENT   DE   L'ÉDITEUR, 

l'expression  toujours  convenable,  bornée  aux  choses,  et  n atteignant 
jamais  les  personnes.  Quant  au  fond  môme  des  articles,  il  ne  fera  nul 
obstacle  aux  opinions  quelles  quelles  soient;  il  ne  s'opposera  qu'à 
l'introduction  d'erreurs  de  fait  ou  de  raisonnement  qui  pourraient 
troubler  la  science;  et,  à  cet  égard,  il  cherchera  toujours  à  s'éclairer 
des  lumières  de  savants  distingués,  d'archéologues  éminents  qui  veu- 
lent bien  lui  prêter  l'appui  de  leurs  conseils.  Mais  il  le  répète,  tout  en 
réclamant  leur  assistance,  il  n'entend  se  ranger  sous  aucune  bannière, 
ni  subir  aucune  influence  personnelle  ;  il  demeure  libre  de  tout  enga- 
gement et  de  toute  coterie. 

Après  une  pareille  déclaration  ,  il  est  presque  inutile  de  prévenir 
que  tel  savant  qui  ce  trouverait  contrarié  dans  ses  idées  par  un 
article  de  la  Revue,  ne  serait  pas  fondé  à  croire  qu'il  a  en  elle  un 
adversaire  systématique  et  déclaré,  puisque  le  lendemain  il  y  trou- 
vera pour  ses  opinions  une  tribune ,  comme  son  antagoniste  en  avait 
trouvé  la  veille  pour  les  siennes. 

L'éditeur  peut  assurer  qu'il  n'épargnera  aucune  dépense  pour  que 
les  Documents  et  les  Mémoires  soient  accompagnés  de  dessins  qui 
donnent  une  idée  exacte  des  monuments.  Ces  dessins  formeront  des 
planches  séparées,  gravées  sur  acier  ou  lithographiées;  ou  bien 
gravées  sur  bois  et  insérées  dans  le  texte.  Déjà  le  premier  volume, 
qui  contient  douze  planches,  et  environ  cinquante  sujets  sur  bois, 
montre  quels  soins  il  se  propose  de  donner  à  cette  partie  importante 
de  toute  publication  archéologique. 

Puisse  ce  nouvel  organe  scientifique  fournir  aux  archéologues  et 
aux  amateurs  un  moyen  plus  facile  et  plus  répandu  de  faire  con- 
naître leurs  travaux  et  de  s'instruire  de  ceux  des  autres  ! 


TABLE   DES  MATIÈRES 

CONTENUES  DANS  LA  PREMIÈRE  PARTIE  (Avril  a  Septembre  1844. 


DOCUMENTS  ET   MEMOIUES. 

PAGE 

Archéologie  ,  par  M.  Ch.  Lenormant  ,  de 
l'Institut I 

Le  Mi-SÉK  DES  Thermes  et  de  l'Hôtel  de 
Cluny i8 

Voyages  et  recherches  archéologiques 
de  M.  Le  Bas,  de  l'Institut,  en  Grèce  et  en 
Asie  Mineure,  pendant  les  années  i843  et 
i844i  i"''  ^^'  ^^'  4^  rapports  à  M.  le  Mi- 
nistre de  l'Instruction  publique.  89,  98, 
167,  277. 

Commission  des  monuments  historiques, 
instituée  au  Ministère  de  l'Intérieur,  or- 
ganisation administrative  et  travaux  par 
M.   K.  Grille  de  Beuzelin Ô/j,  201 

Fragment  sur  l'étude  des  vases  peints 
antiques,  par  M.  Gh.  Lenormant,  de  l'In- 
stitut      81 

Numismatique,  par  M.  A.  de  Longpérier. .     89 

Rapport  de  M.  Egger,  sur  le  Recueil  gé- 
néral des  Inscriptions  latines 107 

Sur  l'origine  du  nom  d'Horace ,  par  C.-L. 
Grotefend 1 14 

Mythologie  ,  par  M.  J.-D.  Guigniaut ,  de 
l'Institut 1^5 

Inscriptions  romaines  deBaena,  par  M.  P. 
Mérimée,  de  l'Institut 176 

DÉCOUVERTE  DE  DEUX  COLONNES  MiLLIAIRïS 
sur  la  frontière  du  Maroc,  par  MM.  Callier 
et  Let  ronne 182 

DÉCOUVERTE    d'une    CHAUSSEE   ROMAINE    et 

de  l'ancien  pavé  de  Paris,  par  A.-P.-M. 
Gilbert 188 

Ancienne  chapelle  du  collège  de  Na- 
varre, par  M.  N.  Trocbe 192 

NiNiVE  EX  Khorsabad,  par  M.  de  Longpé- 
rier    2 1 3 

Recherches  sur  l'origine  des  représen- 
tations FIGURÉES  DE  LA  PSYCHOSTASIE  , 
par  M.  Alfred  Maury 235,  291 

Sur  un  bas-relief  du  musée  de  Stras- 
bourg, par  M.  P.  Mérimée 25o 

Restauration  de  l'église  de  Saint-Ger- 
main-l'Auxerrois  ,  lettre  de  M.  N.  Tro- 
che  au  directeur  de  la  Rei>ue 254 

Restauration  de  l'église  Saint-Ouen,  à 
Rouen,  par  M.  Delaquérière 257 

Le  musée  Grégorien  a  Rome,  par  M.  J.  de 
Wilte,  correspondant  de  l'Institut 3o8 

Lettre  deM.  P.  Le  Bas  à  M.  Léon  Renier.  3i4 

Observations  sur  les  inscriptions  conte- 
nues dans  la  lettre  précédente,  par  M.  L. 
Renier 3i6 


PAGE 

Tombeaux  du  moyen  âge  à  Kutayah  et  à 
Nymphi  (  Asie  Mineure  )  ,  par  M.  Ch. 
Texier,  correspondant  de  l'Institut 320 

Lettre  de  M.  L.  Griffi  a  M.  Raoul  Ro- 
CHETTE  sur  un  vase  peint,  de  la  colleclion 
du  cardinal  Lambruschini 326 

Obélisque  d'A.xOUM,  fragment  d'une  lettre 
de  MM,  Ferret  et  Galinier 33 1 

Manche  de  sceau  d'ivoire,  explication  delà 
pi.  9,  par  M.  A.  L 332 

Quelques  observations  sur  le  Musée 
DES  Antiques  du  Louvre,  par  M.  F,  L.  333 

Les  hiéroglyphes  et  la  langue  égyp- 
tienne ,  à  propos  d'une  critique  de  la 
grammaire  de  Cliampollion,  par  feu  le  doc- 
teur Dujardin,  par  M.  deSaulcy,  de  l'In- 
stitut     341 

Rapport  fait  a  l'Académie  royale  des 
Inscriptions  et  Belles  -  Lettres  ,  au 
nom  de  la  commission  des  anti(juités  de  la 
France,   par    M.   Lenormant,  séance    du 

9  août  1844 3^  * 

Rapport  fait  a  l'Académie  royale  des 
Inscriptions  et  Belles  -  Lettres  ,  au 
nom  de  la  commission  du  prix  de  numis- 
matique,  par  M.    de   Saulcy ,    séance  du 

5  juillet  1844 378 

Sur  l'absence  du  mot  Autocrator  dans 
les  cartouches  hiéroglyphiques  qui  ac- 
compagnent le  zodiaque  de  Dendera,  par 

M.  Letronne,  de  l'Institut 38 1 

Tombeau  d'enfant  découvert  à  Athènes , 
explication  de  la  pi.  12 388 

DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES. 

Inscription  de  Rosette 62,  65,  66 

Expédition  DU  Xanthe   66 

Découverte  de  monuments  étrusques.  .  67 

Monument  celtique  a  Marly 68 

Sarcophage  d'Aix-la-Chapelle 68 

Buste    en    bronze    découvert    près   de 

constantine 68 

Médailles  romaines  trouvées  en  Bre- 
tagne    69 

Catacombes  chrétiennes  a  Milo 69 

Note  de    M.  Buchon    sur  des   sculptures 

byzantines 69 

Portique  du  château  de  Gaillon 69 

Piège  de  canon  du  XVI^  siècle 70 

Découverte  de  sépultures  a  Scrupt 70 

Comité  d'archéologie   de   Chalons-sur- 

Marne 7» 


//» 


TABLR    DKS   MATIERES. 


Documents  histokiquf.s  nu  royaume  de 

Naples  et  de  la  Sicile 71 

Association  archéologique  anglaise.  ...     72 

Musée  DES  ANTIQUES  A  Barcelonne 72 

nécrologie.  —  J.-G.  ScliAveigliauser ^3 

Lettre  de  M.  le  Ministre  de  l'Instruc- 
tion   PUBLIQUE    au     directeur     DE     LA 

Kevue 117 

Monument  dhuidique  a  Plougoumelen  .  117 

Destruction  du  Menhir  de  Culey ii^j 

Temple  d'Auguste  et  de  Li vie  a  Vienne  .  118 
Fouilles  pratiquées  a  l'amphitéatre  de 

PRÎMES n8 

Découverte  d'une  villa  et  de  pierres 

TUMULAIRES    KOMAINES  A  SaVERNE I20 

Voie  romaine  près  de  Tarascon 121 

Fragments  de  statues  trouvées  a  Be- 

ziers  121 

Inscriptions  trouvées  en  Afrique.  .  i . . .  122 
Collier  d'or  découvert  a  Sain t-Géran.  .    124 

Ceinture  trouvée  près  de  Creil i23 

Tombeaux    gallo-romains    découverts    à 

Sceaux 124 

Fouilles  des  Champs-Elysées  d'Arles  ...   laS 

Sarcophages  chrétiens  d'Arli-s 127 

Origines  dks  cloches 128 

Restauration  de  Notre-Dame  de  Paris.  129 
Cuve  baptismale  de  l'église  de  Gonde- 

couRT 129 

Croix    processionelle    appartenant    a 

M.  Failly r3o 

Croix  du  cimetière  d'Éleguerec i3i 

Monnaies  trouvées  près  du  château  de 

Roquefort i3i 

Pièces  d'or  trouvées  a  Noyon i3i 

Peintures  sur  la  tour  du  Palais   de 

Justice  de  Paris i3i 

Caveaux   de  l'église   Saint-Georges  a 

Caen l32 

Dons  faits  au  musée  de  Cluny i32 

Incendie  de  la  flèche  de  l'horloge  de 

Notre-Dame  de  Laon i34 

Nécrologie.  —  M.  Burnouf  père i35 

Lettre  du  docteur  Lepsius '. 208 

Barrow  dans  le  Finistère 209 

Arrivée  de  M.  Le  Bas  a  Athènes 209 

Puits  antique  a  Beuzeville 211 

Bassin  antique  près  de  Jouy-aux-Arches.  21 1 

Nouvelles  fouilles  a  Beziers,  . . .  .• 2n 

Portraits  des  Pharaons 261 

Te-sseire  et  inscription  de  Pouzzole 261 

Monuments  découverts  a  Brindes 262 

Inscription    votive    trouvée    a   Péri- 
gueux 262 

Armes  découvertes  près  de  Saint-Malo  .  263 
Coupe    sassanide  de   la    Bibliothèque 

Royale 263 


Oratoire  des  Templiers  a  Metz 267 

Restauration  du  prieuré  de  Morlangk.  267 
L'Archéologie  a  la  Chambri;    des   Dé- 
putés     26S 

Catalogue  des  artistes  de  l'antiquité.  .  338 
Séance    annuelle    de    l'Académie    des 

Inscriptions  et  Belles-Lettres 338 

Denier  d'argent  de  l'époque  mérovin- 
gienne   338 

Document  sur  les  émailleirs  français.  339 
Revue  des  églises  de  Picardie  et  d'Ar- 
tois   339 

Troubles  a  Mossoul  . .  .^ 402 

Plâtres  moulés  sur  divers  objets  d'an- 
tiquités ,     envoye's    à    la     Bibliollièque 

Royale  de  Pari^ 40?. 

Découverte  d'une   ville    ancienne   en 

Toscane 4^3 

Objets    provenant   des    catacombes  de 

Rome 4^*3 

Fouilles  de  Vieux-Reng  (Nord) 40^ 

Fouilles  A  Fouren-le-Comte  (Belgique).  406 

Mosaïque  DU  Bellérophon  a  Autun 407 

Chasuble   de  la   cathédrale   de  Coire 

(Suisse). 408 

Chasuble  du  B.  Th.  Hélie 408 

BIBLIOGRAPHIE. 

Publications  nouvelles 74,  42<* 

(Ouvrages  dont  il  a  e'te'  rendu  compte  dans 
ce  volume.) 

Lettres  sur  la  Saintonge  et  sur  l'Au- 
Nis  ,  par  M.  Lesson 140 . 

Fastes  historiques  ,  etc.  ,  du  départe- 
ment DE  LA  Charente-Inférieure,  par 
M.  Lesson 140 

Souvenirs  historiques  sur  l'ancienne 
abbaye  de  Saint- Benoît -sur -Loire, 
par  M.  Marchand i4o 

Notice  sur  le  château  de  Langeais...   140 

Dictionnaire  Iconographique  ,  par  L.-J. 
Guenebault 14 1,  4*^ 

Éléments  d'Archéologie,  par  Balissier.   142 

Recherches  sur  la  peinture  sur  émail, 
par  Dussieux i43 

Examen  critique  de  la  découverte  du 

PRÉTENDU     COEUR    DE    SAINT  LoUIS  ,    par 

M .  Letronne 269 

Encore    le    prétendu   coeur  de    Saint 

Louis  !  par  M.  F 390 

Notre-Dame  d'Ajaccio,  par  A.  Arman.275,  4^9 

LaTINI  SERMONIS  VETUSTIORIS  RELIQUI^  SE- 
LECTE, recueil  publie' par  M.  A.-E.  Egger.  409 
MÉMOIRES  publiés  PAR  LA  SoCIÉtÉ  ROYALE 

DES  Antiquaires  de  France,  tome  VII. .  4'o 
Louis  et  Charles  ,  ducs  d'Orléans,  leur 
influence  sur   les  arts,    etc.,  par  M.   A. 
CliampoUion-Figeac 4*9 


REVUE  ARCHÉOLOGIQiE. 


ARCHEOLOGIE. 

Le  mot  d'archéologie  (1)  a  été  détourné  de  son  sens  primitif; 
chez  les  Grecs  on  désignait  sous  le  nom  d'archéologue  celui  qui 
recueillait  les  plus  anciens  souvenirs  d'un  pays,  d'une  nation.  Le 
livre  de  Denis  d'Halicarnasse  sur  les  origines  et  les  commence- 
ments de  Rome  a  reçu  de  son  auteur  le  nom  d'archéologie.  Chez 
nous ,  celui  qui  se  consacre  à  la  recherche  des  origines  historiques 
prend  place  parmi  les  historiens  ;  quel  que  soit  d'ailleurs  le  mérite 
de  ses  travaux ,  il  ne  compte  au  nombre  des  archéologues,  que  s'il  a 
appris  à  connaître  ce  qu'on  appelle  les  monuments  de  V antiquité  figu- 
rée, c'est-à-dire  s'il  distingue ,  classe ,  contrôle  ce  qui  nous  reste  des 
produits  des  arts  du  dessin  chez  les  peuples  anciens,  et  sait  tirer  de 
ces  débris,  des  notions  certaines  sur  les  idées,  les  penchants,  les  ha- 
bitudes, le  degré  de  culture  et  d'industrie  de  ces  peuples.  Un  archéo- 
logue aujourd'hui  (car  l'usage  de  cette  dénomination  ne  remonte 
qu'à  un  petit  nombre  d'années)  est  ce  qu'on  aurait  appelé  autrefois 
un  antiquaire,  si  les  antiquaires  d'autrefois  eussent  été  tout  ce  que 
sont  aujourd'hui  les  vrais  archéologues.  Les  deux  mots  d'antiquaire 
et  d'archéologue  sont  encore  employés  concurremment,  mais  avec 
une  nuance  assez  délicate  dans  le  sens.  Un  antiquaire  est  plutôt 
celui  qui  recueille  les  monuments  de  l'antiquité  que  celui  qui  les 
comprend;  un  antiquaire,  avec  du  goût,  du  tact,  de  l'habitude,  peut 
se  passer  d'érudition  :  M.  E.  Durand,  connu  par  la  richesse  et  le 
choix  des  collections  qu'il  avait  formées,  pouvait  être  considéré  comme 
un  excellent  antiquaire ,  mais  il  n'avait  pas  les  mêmes  droits  au  titre 
di  archéologue. 

(l)Cet  article  Archéologie  a  paru  il  y  a  quelques  années,  dans  V Encyclopédie  du 
XIX*  siècle.  J'aurais  pu,  afin  de  l'approprier  au  recueil  que  M.Gailhabaud  \ient  de 
fonder,  le  refaire  enlièiement;  mais  le  temps  m'a  manqué.  Tel  qu'il  est,  il  donnera 
peut-être  une  idée  exacte  des  deux  branches  les  plus  riches  et  les  plus  ardues  de 
l'archéologie,  l'archéologie  orientale  et  l'archéologie  classique.  Quant  au  moyen 
âge  et  à  l'archéologie  chrétienne  ,  un  autre  en  parlera  dans  un  article  spécial.  On 
retrouvera  donc  cet  article  à  peu  près  tel  qu'il  a  été  inséré  dans  V /encyclopédie 
du  XIX"  siècle.  Les  notes  que  j'y  ai  jointes,  et  qui  sont  nouvelles  ,  ont  pour  objet 
d'indiquer  les  progrés  les  plus  récents  de  la  science. 

I.  1 


2  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

On  doit  regarder  comme  un  des  faits  les  plus  singuliers  que  pré- 
sente l'histoire  des  sciences  historiques  chez  les  modernes,  la  lenteur 
avec  laquelle  les  principes  de  la  véritable  archéologie  se  sont  fondés. 
Les  lettres  antiques,  plus  heureuses,  n'ont  pas  connu  d'interrup- 
tion  dans  la  série  de  ceux  qui  les  ont  cultivées  et  expliquées  avec 
intelligence.  Les  Grecs ,  dispersés  en  Europe  au  XV*  siècle,  et 
fondateurs  de  toutes  les  chaires  de  littérature  érudite,  étaient  la 
plupart  d'excellents  philologues,  qui,  étrangers  peut-être  aux 
procédés  d'une  méthode  rigoureuse,  y  suppléaient  par  un  sens 
intime,  et  pour  ainsi  dire  sympathique,  des  modèles  qu'ils  expli- 
quaient. Aces  Grecs,  qu'on  doit  considérer  comme  les  derniers  des 
anciens,  succédèrent  les  Laurent  Valla,  les  Budée,  les  Came- 
rarius,  les  Estienne,  les  Casaubon,  les  Seal iger,  les  Burmann,  les 
Wetstein,  les  Bentley,  les  Markland,  les  Walckenaër,  les  Witten- 
back,  les  Schneider,  les  Hermann,  les  Boeckh.  C'est  à  peine  si  le 
progrès  s'aperçoit  dans  cette  suite  de  noms  illustres  dont  j'elfleure  ici 
les  sommités;  une  qualité  remplace  l'autre;  une  partie  du  domaine 
exploité  est  mise  en  valeur  quand  une  autre  rentre  dans  l'ombre. 
Les  philologues  réunis  de  notre  époque  représentent  beaucoup  plus 
que  la  science  isolée  d'Estienne  ou  de  Casaubon  ;  mais,  seul  à  seul, 
qui  oserait  lutter  avec  ces  colosses  d'un  autre  siècle  ?  L'archéologie  nous 
présente  un  autre  spectacle  :  d  énormes  travaux  sur  les  antiquités  ont 
pu  être  accomplis,  on  a  pu  imprimer  les  immenses  trésors  deGronove, 
de  Graevius  et  de  Polenus  ;  Fabricius  a  pu  recueillir  les  matériaux 
de  toute  une  Bibliothèque  antiquaire ,  sans  pour  cela  que  la  véritable 
science  des  antiquités  fût  encore  fondée.  Je  m'explique  :  pour  avoir 
accès  à  cette  science,  il  ne  suffisait  pas  de  recueillir  les  objets  de 
l'art  antique,  de  les  classer  dans  les  musées,  d'en  étudier  les  attri- 
buts ,  d'en  publier  des  explications.  L'absence  des  éléments  de  com- 
paraison et  des  principes  de  la  critique,  l'ignorance  absolue  des 
bases  de  l'histoire  de  l'art,  rendaient  toute  étude  infructueuse,  toute 
explication  incertaine,  toute  réussite  presque  impossible. 

Ajoutez  à  cela  que,  dès  l'aurore  de  la  renaissance,  l'antiquité  figurée, 
encore  étrangère  aux  sciences  historiques ,  était  devenue  la  proie  des 
artistes  qui  l'avaient  copiée,  multipliée,  contre-épreuvée  avec  un  talent 
et  une  fidélité  capables  de  confondre  une  critique  inexpérimentée.  Les 
beaux  esprits  rassemblés  autour  de  Laurent  de  Médicis  croyaient  déjà 
reconnaître  à  des  signes  certains  le  véritable  travail  antique  ;  et  pour- 
tant un  Michel  Ange  enfant  pouvait  se  jouer  de  leur  crédule  con- 
fiance ,  en  enfouissant  dans  la  terre  une  statue  toute  fraîche  sortie  de 


ARCHÉOLOGIE.  3 

l'atelier.  Ce  qui  d'abord ,  de  la  part  des  artistes,  avait  été  l'objet  d'une 
respectueuse  émulation,  d'une  lutte  ingénieuse  ,  devint  bientôt  ma- 
tière aux  spéculations  des  faussaires.  A  voir  les  collections  formées 
dans  le  XVP  siècle,  il  est  permis  de  penser  que  dès  1550  une  bonne 
partie  des  objets  qui  passaient  pour  antiques  ne  l'étaient  point.  Qu'on 
juge  des  progrès  qu'aurait  faits  une  telle  confusion,  si  la  corruption  du 
goût  dans  les  arts  du  dessin  n'eût  rendu  dès  1600  les  falsifications  plus 
aisées  à  reconnaître?  De  nos  jours,  sans  posséder  des  artistes  com- 
parables aux  cinquecentistes  italiens,  nous  avons  été  envahis  par  des 
faussaires  plus  adroits  encore  que  ceux  du  XVP  siècle  ;  l'erreur  et  l'il- 
lusion sont  aussi  faciles  qu'elles  l'ont  jamais  été  ;  mais  les  règles  de 
critique  qui  guident  les  imitateurs  nous  fournissent  aussi  les  moyens 
de  dévoiler  leurs  tromperies. 

La  première  condition  pour  devenir  archéologue  est  donc  de  con- 
naître les  monuments  :  l'iiistoire  de  l'art  est  la  base  de  toute  archéo- 
logie. Le  domaine  de  l'antiquité  est  comme  un  vaste  casier  dans  les 
divisions  duquel  on  doit  répartir  à  coup  sûr  les  objets,  à  mesure 
qu'ils  se  présentent.  Epuisez  votre  imagination  à  réunir  dans  le  même 
individu  les  qualités  les  plus  brillantes  et  les  plus  solides;  que  chez 
lui  la  pratique  des  hommes  et  des  choses  complète  et  éclaire  l'expé- 
rience des  livres;  qu'il  ait  appris  à  feuilleter  dès  longtemps ,  et  avec 
un  goût  aussi  sûr  qu'éclairé ,  l'ensemble  de  la  littérature  classique  ; 
qu'il  sache  les  musées,  que  sa  tète  représente  un  catalogue  vivant, 
tout  cela  n'est  rien  si  l'histoire  de  l'art  n'a  été  apprise  que  dans  les 
livres ,  si  la  critique  est  de  seconde  main.  Ainsi  donc ,  après  cette 
première  triture  qui  conduit  à  ne  plus  confondre  trop  grossièrement 
les  objets,  si  vous  voulez  connaître  l'aptitude  d'un  homme  à  l'archéo- 
logie ,  n'assemblez  pas  les  académiciens  :  un  jury  plus  simple  suffit; 
qu'en  présence  de  quelques  antiquaires,  ignorants,  si  l'on  veut,  mais 
exercés,  le  candidat  puisse  trier  une  masse  d'objets  antiques,  distin- 
guer en  bloc  le  grec  du  romain  ,  assigner  les  caractères  de  l'étrusque 
et  de  l'égyptien  ,  rendre  une  médaille  à  l'Asie  ou  la  restituer  à 
l'Italie.  Si  l'épreuve  réussit,  on  devra  en  conclure  à  une  véritable 
vocation  archéologique  ;  sinon ,  le  monde  littéraire  pourra  compter 
un  historien  élégant  de  plus ,  un  philologue  délicat ,  un  compilateur 
adroit  de  travaux  archéologiques ,  mais  jamais  un  archéologue 
véritable. 

Je  pense  aussi  que ,  chez  toute  personne  réellement  appelée  à 
cultiver  l'archéologie,  l'initiation  à  l'antiquité  par  les  monuments 
devra  accompagner  l'initiation  littéraire,  si  elle  ne  la  précède  pas* 


4  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

Sous  ce  rapport,  les  faits  les  plus  saillants  qui  se  soient  produits 
depuis  que  l'archéologie  existe,  méritent  d'être  étudiés.  Montfaucon, 
à  qui  l'on  doit  le  premier  et  le  plus  beau  programme  de  l'archéolo- 
gie, n'a  point  sa  place  néanmoins  parmi  les  maîtres  de  cette  science. 
A  quoi  tient  une  telle  exclusion  ?  uniquement  à  ce  que  Montfaucon, 
bon  philologue ,  comme  le  prouvent  ses  travaux  sur  les  Pères  et  sa 
paléographie,  ne  possédait,  en  fait  de  critique  appliquée  aux  monu- 
ments, que  des  lumières  limitées.  Caylus,  homme  tout  à  fait  du  monde, 
aussi  ignorant  que  pouvait  l'être  le  plus  érudit  des  grands  seigneurs 
de  la  cour  de  Louis  XV,  Caylus,  plus  heureux  que  le  docte  Mont- 
faucon ,  a  pris  rang  parmi  les  archéologues  :  c'est  que  Caylus  vivait 
parmi  les  monuments  et  les  aimait;  c'est  que  les  procédés  de  l'art 
chez  les  anciens  étaient  familiers ,  non-seulement  à  son  érudition  , 
mais  encore  à  sa  pratique  ;  c'est  qu'avant  Winckelmann  il  avait  en- 
trevu les  lois  de  l'histoire  de  l'art.  Au  milieu  des  préjugés  et  des 
opinions  précipitées,  inévitables  chez  un  homme  que  sa  position  et 
la  tournure  de  son  esprit  avaient  dû  livrer  tout  entier  aux  travers 
du  XVIIP  siècle,  Caylus  devançait  son  époque  dans  le  mouvement 
archéologique  qui  commençait  à  se  dessiner.  Winckelmann  eût 
existé  sans  Caylus,  mais  certainement  Caylus  n'a  pas  été  inutile  aux 
progrès  de  Winckelmann,  Ce  dernier  était-il  un  grand  philologue? 
L'étude  de  ses  ouvrages  nous  démontre  le  contraire.  Le  développe- 
ment de  son  génie  lient  à  une  éducation  d'artiste;  les  plus  impor- 
tantes vérités  se  dévoilent  à  lui  par  le  contact  des  monuments;  l'em- 
ploi des  secours  littéraires  ne  vient  que  subsidiairement  et  toujours 
d'une  manière  secondaire ,  souvent  embarrassée.  —  Zoëga  compte 
en  Allemagne  pour  un  grand  archéologue ,  mais  à  tort ,  ce  me 
semble.  Ce  qui  frappe  en  étudiant  les  précieux  travaux  de  cet  érudit, 
c'est  sa  stérilité  ;  son  Recueil  de  has-reliefs  antiques ,  mine  précieuse 
à  exploiter  pour  quiconque  possède  un  fonds  de  richesses  individuelles, 
ce  recueil  manque  d'explications  neuves  et  fécondes;  c'est,  au  con- 
traire ,  là  le  caractère  des  Monuments  inédits  de  Winckelmann,  livre 
dont  l'érudition  littéraire  est  incomplète  et  superficielle.  Le  grand 
travail  de  Zoëga  sur  les  obélisques  égyptiens,  avec  l'apparence  d'une 
conception  encyclopédique,  n'est,  en  définitive,  qu'un  vaste  amas  de 
matériaux  pour  un  édifice  à  venir,  dont  les  pierres  ne  sont  ni  assem- 
blées ni  taillées.  —  Notre  pays  présente  en  contraste  un  véritable 
phénomène.  Un  homme  contemporain  de  Zoëga,  mais  dont  l'exis- 
tence s'est  prolongée  pour  la  gloire  de  notre  époque ,  M.  Quatremère 
de  Quincy,  le  premier,   sans  contredit,  des  archéologues  vivants, 


ARCHEOLOGIE.  5 

semble  avoir  professé  toute  sa  vie  une  parfaite  indifférence  pour  l'éru- 
dition philologique  :  étranger  ainsi  à  l'usage  direct  des  monuments 
littéraires,  on  dirait  parfois  qu'il  n'a  pas  fait  plus  de  cas  des  monu- 
ments figurés;  ou  plutôt,  quant  aux  productions  de  l'art,  il  s'est 
borné ,  dans  chaque  genre ,  à  certains  types  que  son  goût  a  large- 
ment et  habilement  choisis ,  ne  tenant  de  tout  le  reste  aucun  compte. 
De  là  est  résulté  un  travail  concentré  sur  un  petit  nombre  d'objets, 
plus  limité  dans  les  exemples  qu'on  ne  peut  se  l'imaginer  quand  on 
n'en  a  pas  fait  soi-même  l'expérience ,  mais  alimenté  par  un  fonds 
d'idées  aussi  abondantes  qu'ingénieuses  ;  et  le  résultat  de  ces  travaux 
a  été  de  pourvoir  l'archéologie  de  plus  de  faits  constatés  et  essentiels 
que  n'avait  pu  en  produire  la  critique  prudente,  l'érudition  métho- 
dique de  Zoëga,  —  La  grande  exception  à  la  remarque  générale  que 
je  viens  de  faire,  c'est  Visconti,  unique  entre  les  archéologues,  en 
ce  que,  dès  l'enfance,  il  combina  les  deux  ordres  d'impression, 
initié  par  un  père,  homme  de  goût  et  de  savoir  lui-même,  à  la  pra- 
tique des  modèles  littéraires  de  l'antiquité,  puis  passant  de  la  lecture 
d'Homère  aux  galeries  du  Vatican,  lisant  les  marbres  grecs  dans  So- 
phocle ,  animant  les  mots  d'Euripide  par  les  figures  que  lui  fournis- 
sait la  statuaire  antique,  unissant  à  cette  double  vue  u-ne  modération 
scientifique  exemplaire,  un  bon  sens  exquis,  et  réaHsant  déjà,  dans 
les  limites  de  l'antiquité  classique ,  l'idée  que  nous  nous  faisons  au- 
jourd'hui de  l'archéologue  complet,  c'est-à-dire  de  l'homme  qui  ex- 
plique les  monuments  par  les  livres  et  les  livres  par  les  monuments. 
Et  pourtant ,  en  dépit  de  cette  parfaite  éducation  jointe  à  une  telle 
réunion  d'inappréciables  qualités,  Visconti,  osons  le  dire,  a  péché 
quelquefois  par  la  base  même  de  l'archéologie  ;  les  faussaires  et  les 
falsifications  ont  plus  d'une  fois  abusé  son  jugement.  Admirable  en 
présence  d'un  monument  certain,  et  sachant  en  développer  non-seu- 
lement le  sens,  mais  les  beautés,  Visconti  trébuche  devant  une 
supercherie  souvent  grossière.  Visconti  se  serait-il  montré  aussi 
accessible  à  l'erreur,  si  c'eût  été  l'instinct  et  non  l'éducation  qui  l'eût 
fait  archéologue? 

Les  personnes  qui  possèdent  aujourd'hui  la  véritable  expérience 
archéologique  ne  pourront  guère  contester  l'exactitude  des  observa- 
tions qui  précèdent.  Est-ce  à  dire  pour  cela  qu'une  expérience  anti- 
cipée de  la  philologie,  chez  un  homme  d'ailleurs  bien  doué,  puisse  être 
nuisible  au  développement  des  connaissances  archéologiques?  Si  je 
prétendais  soutenir  une  telle  opinion,  l'Allemagne  de  nos  jours 
me  donnerait  un  démenti.  Nous  avons  vu  des  hommes  d'un  grand 


6  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

savoir,  et  d'abord  connus  par  des  travaux  d'érudition  littéraire  ou  his- 
torique, MM.  K.  0.  Millier  et  Th.  Welcker  (le  premier  desquels,  à 
ma  connaissance,  n'a  vu  d'autres  monuments  que  ceux  de  Vienne,  de 
Londres  et  de  Paris)  (l),  se  faire  postérieurement  un  nom  respecté 
parmi  les  archéologues,  contribuer  aux  progrès  de  l'histoire  de  l'art, 
produire  des  travaux  non-seulement  utiles  et  bien  faits,  mais  encore 
originaux  et  féconds,  ce  qui  est  le  point  essentiel.  Les  Gerhard  ,  les 
Panofka,  encore  plus  exchLsivement  archéologues  que  les  Welcker  et 
les  Miiller,  ont  été,  avant  de  prendre  rang  dans  cette  science,  des  re- 
jetons distingués  des  séminaires  philologiques  de  l'Allemagne.  Tout 
cela  est  vrai;  et  pourtant  les  derniers  érudits  que  je  viens  de  citer 
nous  expliqueront-ils  quel  a  été,  sur  la  marche  de  leurs  idées,  l'effet 
de  l'érudition  littéraire  qu'ils  avaient  préalablement  acquise?  Après 
avoir  vu  si  avant  dans  l'antiquité,  uniquement  par  les  yeux  de  l'es-, 
prit,  ne  leur  a-t-il  pas  fallu  réformer  bien  des  impressions  erronées, 
quand  le  témoignage  direct  des  sens  est  venu  leur  apporter  des  notions 
plus  certaines? 

Ceci  m'amène  à  conclure  qu'il  serait  à  désirer,  pour  l'affermisse- 
ment définitif  de  la  science,  que  les  impressions  archéologiques  pris- 
sent, comme  chez  Visconti,  une  assez  large  place  dans  l'éducation. 
Les  archéologues,  formés  ainsi  par  l'art,  pourraient  rendre  d'aussi 
grands  services  que  Visconti  lui-même,  qui  n'était  peut-être  pas 
naturellement  archéologue,  et  ceux  qui  appartiendraient  de  droit 
à  cette  dernière  catégorie ,  prendraient  une  avance  qui  leur  permet- 
trait le  libre  usage  de  toutes  leurs  facultés.  Aujourd'hui  le  personnel 
archéologique  se  divise,  à  peu  d'exceptions  près,  en  deux  camps  : 
les  philologues  faisant  de  l'archéologie  par  occasion,  mais  rebelles  aux 
témoignages  des  monuments,  ou  les  torturant  au  profit  de  leurs  pré- 
jugés scolaires;  les  archéologues  d'instinct,  qui,  sachant  d'avance 
tout  ce  que  les  témoignages  littéraires  leur  apporteraient  de  lumières, 
n'en  restent  pas  moins,  en  leur  présence,  d'incurables  écoliers. — Disons 
aussi  que  l'éducation,  qui  a  fait  Visconti,  ne  produirait  aujourd'hui  que 
des  archéologues  incomplets.  Depuis  ce  savant,  que  nous  avons  vu 
mourir,  le  domaine  de  l'archéologie  s'est  démesurément  agrandi.  L'in- 
forme embryon  d'archéologie  orientale  que  Winckelmann  avait  cousu 


(1)  Tout  le  monde  connaît  la  fatale  issue  du  voyage  que  K.  O.  Miiller  avait  en- 
trepris pour  donner  à  son  admirable  érudition  ,  à  son  génie  actif  et  pénétrant  le 
complément  d'expérience  directe  qui  lui  manquait.  Frappé  à  Delphes  par  l'in- 
fluence du  climat,  il  revint  mourir  à  Athènes,  et  repose  aujourd'hui  sur  l'éminence 
de  Colonne,  à  quelques  pas  de  l'Académie. 


ARCHEOLOGIE.  7 

à  son  histoire  des  arts  de  la  Grèce  a  pu  suffire  à  Visionti,  qui  l'a- 
moindrit encore  quand  il  traite  de  quelque  monument  égyptien  ou 
asiatique.  La  question  des  origines  était  alors  aussi  obscure  que  celle 
de  l'archéologie  orientale.  Ces  deux  parties  de  la  science  en  occu- 
pent aujourd'hui  les  premières  avenues,  sollicitent  la  curiosité,  im- 
posent à  ceux  qui  parcourent  la  carrière,  la  solution,  ou  du  moins 
l'examen  des  plus  graves  problèmes.  L'archéologie  est  redevenue, 
en  quelque  sorte ,  ce  qu'elle  était  du  temps  de  Denis  d'Halicarnasse , 
la  science  des  origines. 

La  chose  en  est  venue  au  point  qu'on  se  trouve  obligé  de  diviser 
la  science  archéologique  en  plusieurs  branches,  et  de  faire  de  chacune 
de  ces  branches  l'accessoire  des  diverses  parties  du  programme  géné- 
ral des  sciences  historiques.  Ainsi  nous  avons  maintenant  une  ar- 
chéologie chinoise  et  japonaise,  une  archéologie  indienne,  une  ar- 
chéologie américaine.  Les  rapports  d'histoire  primitive  qui  peuvent 
unir  les  antiquités  chinoises  et  japonaises  avec  le  monde  occidental 
sont  on  ne  peut  pas  plus  obscurs.  Quant  aux  Indiens,  la  philologie  a 
constitué  d'une  manière  inébranlable  les  bases  d'une  grammaire  et 
d'un  vocabulaire  comparatifs  pour  un  ensemble  de  peuples  qui,  décri- 
vant un  arc  immense  depuis  les  embouchures  du  Gange  jusqu'à 
l'océan  Atlantique,  dans  la  direction  du  sud-est  au  nord-ouest,  ont 
couvert  de  leurs  tribus  l'Inde  occidentale,  la  Perse,  la  Bactriane, 
l'Arménie,  l'Asie  Mineure,  la  Scythie,  la  Thrace,  la  Grèce,  l'Italie, 
la  Germanie,  la  Scandinavie  et  la  Gaule.  Mais  quant  aux  secours  que 
peut  fournir  à  cette  admirable  étude  l'archéologie  indienne  propre- 
ment dite,  ils  sont,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  faibles  et  incertains. 
Le  classement  chronologique  des  monuments  figurés  de  l'Inde  a  été 
jusqu'à  présent  impossible ,  et  la  plupart ,  soit  qu'ils  appartiennent 
à  l'architecture,  soit  qu'ils  se  rapportent  à  la  statuaire  ou  à  la 
peinture,  sont  de  fabrique  fort  récente.  Sans  doute  on  peut  y  re- 
connaître l'application  d'idées  déposées  elles-mêmes  en  des  livres 
d'une  date  reculée ,  tels  que  les  Védas;  mais  le  service  le  plus  im- 
portant que  puisse  rendre  l'archéologie,  en  donnant  les  moyens 
d'établir  ou  de  confirmer  la  date  des  monuments  écrits,  ce  service 
ne  saurait  être  réclamé  de  l'étude  des  monuments  figurés  de  l'Inde. 
Il  est  donc  à  craindre  que  cette  branche  de  l'archéologie  ne  reste 
toujours  secondaire  et  subordonnée. 

En  Amérique ,  l'archéologie  reprend  ses  droits  ;  là  manquent  les 
productions  littéraires,  et,  à  leur  défaut,  quand  on  veut  rechercher 
quels  peuples  ont  habité  d'abord  ces  contrées,  à  quel  degré  de  civili- 


8  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

sation  ils  sont  parvenus ,  quels  rapports  doivent  unir  ces  peuples  à 
ceux  de  l'ancien  monde,  l'archéologie,  qui  rassemble  les  monuments  du 
Mexique,  du  Pérou  et  du  centre  de  la  péninsule  méridionale,  élève  la 
voix  tout  aussi  haut  que  l'ethnographie;  reste  à  apprécier  ce  qu'elle 
peut  alléguer  de  certain,  en  marchant  ainsi  dans  sa  liberté,  sans  la  tu- 
telle salutaire  de  l'histoire  et  des  textes. 

Au  reste,  l'archéologie  américaine  n'occupera  jamais  qu'une  place 
secondaire  dans  le  cercle  des  études  humaines;  la  chinoise  et  la  japo- 
naise ont  besoin  ,  pour  réclamer  notre  attention ,  d'avoir  puisé  avec 
persévérance  dans  les  immenses  travaux  des  antiquaires  chinois.  Il 
sera  longtemps  encore  facile  à  tout  indianiste  de  quelque  expérience 
d'apprendre  de  l'archéologie  indienne  tout  ce  qu'on  en  peut  savoir.  Il 
n'en  est  pas  de  même  des  branches  de  cette  science  qui  se  rapportent 
plus  directement  à  notre  propre  histoire,  et  dont  le  cœur,  pour  ainsi 
dire,  est  l'étude  des  antiquités  classiques.  Ici,  toutes  les  ramifications 
ont  entre  elles  des  rapports  étroits,  et  ce  serait  désormais  une  espé- 
rance vaine  que  de  prétendre  à  une  place  distinguée  dans  les  rangs  ar- 
chéologiques, en  limitant  son  horizon  à  une  province  isolée. 

Ainsi  la  première  question  qui  se  présente  est  celle  de  savoir  jus- 
qu'à quel  point  la  société  classique  a  profité  des  civilisations  orientales 
qui  l'ont  précédée  :  de  là,  nécessité  absolue  d'étudier  ces  civilisations 
dans  les  monuments  figurés  qu'elles  nous  ont  transmis. 

Pouvons-nous  étudier  les  antiquités  égyptiennes  dans  les  mo- 
numents eux-mêmes ,  ou  sommes-nous  réduits  encore  aux  témoi- 
gnages incertains  des  écrivains  grecs?  Qu'a  produit,  jusqu'à  ce  jour, 
l'instrument  découvert  par  Champollion?  Quelles  inductions  fournit 
l'étude  philosophique  du  mode  d'écriture  employé  par  les  Egyptiens? 
Y  a-t-il  lieu  à  un  classement  chronologique  des  monuments?  Ce  clas- 
sement conduit-il  à  établir  des  règles  pour  l'appréciation  des  phases 
de  l'art  chez  les  Égyptiens,  ou  bien  faut-il  croire  à  cette  immobilité 
dans  la  production  des  arts  que  l'on  attribue  communément  à  ce  peuple? 
Quelle  idée,  d'après  l'interprétation  des  monuments  figurés,  doit-on  se 
faire  du  degré  de  culture  intellectuelle  des  Égyptiens,  du  caractère  et  de 
la  tendance  de  leur  religion ,  de  leurs  institutions  politiques  et  civiles, 
des  lois  morales  qui  régissaient  la  vie  commune,  du  rapport  des  classes 
entre  elles ,  de  la  prépondérance  de  certaines  castes  et  du  bien-être 
des  individus,  du  développement  scientifique  et  de  la  capacité  indus- 
trielle? Et  de  là  on  devra  rechercher  si  la  civilisation  égyptienne  a 
été,  ou  complètement  originale,  ou  intégralement  transmise,  ou  mo- 
difiée après  transmission,  de  façon  à  conquérir  une  originalité  rela- 


ARCHEOLOGIE.  9 

tive;  si  le  panthéon  égyptien  n'est  point  un  appendice  du  panthéon 
asiatique;  si  la  religion  de  l'Egypte  n'a  pas  droit  d'être  considérée 
comme  une  réforme  de  la  religion  de  l'Asie  occidentale,  dirigée  dans 
une  intention  de  progrès  moral  ;  si  aux  indications  fournies  par  l'étude 
religieuse  ne  répondent  pas  celles  qu'on  peut  demander  à  l'étude  des 
monuments  d'architecture;  si,  en  démontrant  ainsi  que  l'Egypte,  peu- 
plée d'Asiatiques,  s'est  modelée,  à  une  époque  très-reculée',  sur  un 
type  asiatique,  on  ne  préjuge  pas  aussi  l'antériorité  de  la  civilisation 
dans  l'occident  de  l'Asie. 

Ainsi,  avant  de  s'enquérir  des  influences  que  l'Egypte  a  pu  verser 
sur  d'autres  contrées ,  on  apprend  que  l'Egypte  elle-même  a  eu  des 
maîtres  et  un  modèle;  on  remonte  à  la  source  d'où  les  ruisseaux 
de  la  civilisation  humaine  se  sont  répandus  dans  toutes  les  directions. 
Mais  ici  la  stérilité  des  documents  succède  à  leur  abondance.  Le  dé- 
faut de  rapports  directs  et  faciles  avec  les  localités,  la  nature  fragile 
des  matériaux  employés  sur  les  bords  de  l'Euphrate  et  du  Tigre ,  et 
d'où  résultent  des  monceaux  de  décombres  au  lieu  de  ruines  ;  l'impos- 
sibilité où  l'on  a  été  jusqu'à  ce  jour  de  pénétrer  les  mystères  de  l'écri- 
ture cunéiforme  autrement  que  dans  les  produits  du  système  per- 
sique,  le  plus  récent  de  tous,  toutes  ces  causes  réunies  ont  empêché 
l'archéologie  moderne  d'émettre,  sur  les  antiquités  babyloniennes  et 
assyriennes,  autre  chose  que  de  vagues  conjectures  (l).  Pour  combler 
autant  que  possible  cette  lacune,  la  plus  grave  de  toutes,  on  est  obligé 
d'avoir  recours  à  des  procédés  hardis,  à  examiner,  par  exemple,  si, 
indépendamment  du  secours  des  inscriptions,  on  ne  peut  pas  tirer  quel- 
ques lumières  d'attributs  fréquemment  répétés,  de  compositions  dont 
les  circonstances  principales  se  reproduisent  assez  souvent  pour  qu'on 
les  range  en  classes  sufGsamment  définies.  Ainsi,  l'on  a  pu  interpré- 
ter, avec  quelque  bonheur,  un  certain  nombre  de  monuments  égyp- 
tiens, avant  que  le  mystère  de  l'écriture  hiéroglyphique  ne  fût  dé- 
voilé; mais  la  difficulté  se  complique,  en  ce  qui  concerne  Babylone  et 
l'Assyrie,  par  la  petite  dimension  et  le  travail  négligé  des  monuments 

(1)  En  1843  ,  M.  Botla,  consul  de  France  à  Mosoul,  a  découvert,  au  village  de 
Khorsabâd,  non  loin  des  ruines  de  l'ancienne  Ninive,  les  restes  d'un  immense  édi- 
fice assyrien,  tout  rempli  d'inscriptions  cunéiformes  et  de  bas  reliefs  historiques. 
Les  détails  que  M.  Botta  a  donnés  sur  le  résultat  de  ses  travaux,  et  les  dessins  qui 
accompagnaient  ses  lettres,  ont  excité  dans  le  monde  savant  une  vive  curiosité.  Si 
ces  premières  recherches ,  puissamment  encouragées  par  le  gouvernement  français  , 
se  continuent  avec  un  succès  semblable  ,  il  n'y  a  rien  de  hasardé  à  comparer  la 
lumière  jetée  ainsi  tout  à  coup  sur  le  monde  sémitique,  à  la  transformation  que  subit 
l'archéologie  égyptienne  lors"  des  travaux  de  la  grande  expédition  française. 


10  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

qui,  la  plupart,  sont  des  cylindres  ou  des  amulettes.  Les  témoignages 
classiques,  dans  cette  recherche  périlleuse,  ne  sont  ni  nombreux,  ni 
d'un  secours  très-efficace  :  on  supplée  en  partie  à  leur  silence  par  l'é- 
tude de  la  Bible,  mine  précieuse  et  qui  n'a  pas  encore  été  épuisée. 
On  peut  chercher  aussi  des  éclaircissements  (et  c'est  ce  qu'a  tenté  l'au- 
teur de  cet  article)  dans  les  doctrines  des  sectes  demi-chrétiennes  qui 
se  sont  formées  sur  le  terriiin  de  l'antique  influence  babylonienne,  et 
qui  paraissent  avoir  donné  asile  à  ces  croyances  vivaces  dont  l'exis- 
tence cachée  succède  pendant  si  longtemps  à  l'éclat  florissant  des  re- 
ligions. Mais  on  sent  combien,  dans  ces  agglomérations  d'idées  neuves 
et  anciennes,  le  point  de  départ  est  difficile  à  établir  entre  ce  qui  a 
précédé  et  ce  qui  a  suivi.  On  ne  saurait  donc  blâmer,  jusqu'à  nouvel 
ordre,  les  archéologues  plus  prudents  qui,  mettant  un  frein  à  leur 
curiosité,  se  contentent  de  recueillir  et  de  classer  des  matériaux, 
dont  ils  lèguent  l'interprétation  à  une  génération  destinée  à  devenir 
plus  riche  que  la  nôtre  en  documents  de  cette  nature. 

L'archéologie  est  la  première  qui,  par  la  simple  comparaison  des 
cylindres  babyloniens  et  des  sculptures  monumentales  de  Tchihil-Mi- 
nar,  ait  deviné  la  connexion  qui  a  existé  entre  la  civilisation  des  bords 
de  l'Euphrate  et  celle  qui  fleurit  dans  les  montagnes  de  la  Perside. 
Mais  cette  route  n'est  qu'indiquée,  et  les  conclusions  anticipées  qu'on 
avait  tirées  du  parallèle  étaient  d'abord  le  contre-pied  de  la  vérité , 
puisqu'on  y  préjugeait  l'influence  de  la  Perse  sur  Babylone.  Aujour- 
d'hui la  Perse  n'est  plus  le  seul  terrain  sur  lequel  on  puisse  poursui- 
vre la  trace  de  la  domination  intellectuelle  de  Babylone  ;  l'Arménie, 
l'Asie  Mineure  surtout,  grâce  aux  découvertes  de  nouveaux  voyageurs, 
nous  offrent  des  monuments  qu'on  peut  rattacher  à  la  même  origine. 
Les  sculptures  de  la  Phénicie  sont  plus  rares,  plus  imparfaites,  ou 
d'une  époque  beaucoup  plus  récente.  Mais  les  inscriptions  dont  plu- 
sieurs philologues  ont  scruté,  non  sans  succès,  les  mystères,  suppléent 
au  défaut  des  représentations  figurées.  Enfin,  les  témoignages  classi- 
ques et  bibliques  s'accordent  à  nous  démontrer  l'identité  presque  ab- 
solue des  idées  religieuses  sur  les  bords  de  l'Euphrate  et  sur  les  côtes 
de  la  Phénicie;  à  partir  de  ce  point,  la  même  influence,  le  même  sys- 
tème religieux  s'étendent  sur  toute  la  côte  septentrionale  de  l'Afrique, 
en  Espagne,  très-probablement  dans  le  midi  de  la  Gaule.  La  Grèce 
et  l'Italie,  ces  deux  domaines  de  l'érudition  classique,  se  trouvent  donc 
comme  enveloppées  par  un  réseau  d'établissements  phéniciens,  et  la 
certitude  absolue  que  nous  avons  de  la  transmission  de  l'écriture  phé- 
nicienne aux  peuples  de  la  Grèce  et  de  l'Italie  nous  conduit  à  préju- 


ARCHEOLOGIE.  11 

ger  la  solution  d'une  foule  de  problèmes,  solution  dans  laquelle  se 
montre  la  domination  intellectuelle  d'un  peuple  plus  avancé  en  civili- 
sation sur  des  nations  encore  barbares. 

Cependant  les  peuples  dont  on  ne  peut  mettre  en  doute  la  soumis- 
sion aux  exemples  venus  de  laPhénicieont  traversé  plusieurs  périodes 
historiques  avant  d'avoir  pu  laisser,  par  l'architecture  et  la  statuaire, 
des  témoignages  durables  de  leur  histoire.  S'il  s'agit  de  scruter  les 
temps  héroïques,  l'archéologie  n'a  d'autre  guide  que  le  reflet  répandu 
sur  des  époques  plus  récentes  par  le  souvenir  de  ces  premiers  âges;  à 
peine  si  quelques  vestiges  épars  dans  la  Béotie,  l'Argolide,  la  Laco- 
nie,  les  tombeaux  de  Mycènes  et  d'Orchomène,  les  murs  deTirynthe, 
viennent  servir  de  preuve  et  de  commentaire  à  ce  que  l'épopée  ren- 
ferme de  réellement  historique.  Les  murs  pélasgiques  se  reconnais- 
sent encore  en  Italie  à  leur  informe  grandeur;  mais  on  doit  se  garder 
d'enfler  au  gré  de  l'imagination  le  catalogue  de  ces  débris  des  âges 
primitifs  ;  d'autant  plus  qu'on  a  reconnu  le  procédé  de  construction 
regardé  par  quelques-uns  comme  exclusivement  pélasgique  dans- des 
murailles  grecques  d'une  date  postérieure  à  la  guerre  du  Péloponnèse. 

Cependant  l'horizon  s'éclaircit  peu  à  peu  ;  entre  le  retour  des  Héra- 
clides  et  l'époque  de  Pisistrate,  les  monuments  épigraphiques  com- 
mencent à  apparaître.  Déjà  toutes  les  tribus  occupent  sur  le  sol  des 
deux  péninsules  leur  place  historique;  les  migrations  postérieures 
sont  toutes  connues;  on  en  sait  la  date,  l'importance  et  l'elTet.  La 
Grèce  et  l'Italie  dissipent  ce  brouillard  demi- oriental  qui  les  enve- 
loppait; mais  quelle  part,  dans  cette  existence  nouvelle,  assignerons- 
nous  aux  causes  précédentes?  Quel  domaine  d'idées  à  eux  propres 
auront  gardé  les  habitants  de  la  Grèce,  frères  par  l'origine  des  In- 
diens et  des  Perses  ?  Que  donner  à  cette  persistance  des  traditions 
dans  les  tribus  héroïques  des  Hellènes?  Que  reconnaître  comme 
l'efl'et  des  rapports  établis  avec  les  Phéniciens?  Et  dans  ces  peuples 
qui  couvrent  la  Grèce  et  l'Italie,  que  d'origines  encore  obscures!  Les 
Étrusques  sont-ils  Lydiens,  ou  sont-ils  descendus  des  Alpes,  selon 
l'hypothèse  fiivorite  de  Niebuhr?  Jusqu'à  quel  point  l'élément  méri- 
dional de  l'Asie  a-t-il  pénétré  non-seulement  dans  les  institutions, 
mais  dans  la  formation  même  du  peuple  pélasgique,  cette  couche 
humaine  qu'on  découvre  constamment  et  en  tous  lieux  sous  les  ori- 
gines helléniques? 

Ces  questions  principales  et  un  grand  nombre  de  celles  qui  s'y  rat- 
tachent sont  encore  pendantes  entre  les  savants.  La  critique  philolo- 
gique, l'intuition  historique  n'ont  répandu  sur  elles  qu'une  faible 


12  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

lumière  :  si  jamais  ces  problèmes  sont  résolus,  on  en  sera  rede- 
vable, pour  une  grande  part,  aux  efforts  de  l'arcbéologie.  Après 
Pisistrate,  en  effet,  commence  l'âge  où  les  monuments  figurés,  mé- 
dailles, vases  peints,  terres  cuites,  bronze  modelé,  marbre  sculpté, 
se  multiplient  sur  le  sol  classique.  S'il  ne  s'agit  que  de  l'origine  de 
ces  arts  qui  prennent  dès  lors  un  si  ricbe  développement ,  on  n'hési- 
tera plus  maintenant  à  reconnaître  les  traces  de  l'influence  orientale. 
Les  partisans  d'une  production  spontanée  ont  dû  battre  en  retraite. 
Mais  dès  que  la  Grèce  revêt  une  physionomie  originale,  un  nouveau 
principe,  inconnu  à  l'Orient,  se  développe  et  imprime  aux  pro- 
ductions de  l'art  une  physionomie  particulière.  Jusqu'à  quel  point 
cette  loi,  à  laquelle  on  a  attribué  le  nom  d'anthropomorphisme,  a-t-elle 
altéré  le  fonds  oriental?  N'avons-nous  ici  qu'une  apparence,  ou  la 
pensée  grecque  traverse-t-elle  un  âge  entièrement  possédé  par  les 
illusions  de  l'art  avant  de  retomber  dans  le  symbolisme  de  l'Egypte 
et  de  la  Chaldée?  Devons-nous  reconnaître  chez  les  Grecs  l'existence 
d'un  code  qui,  gouvernant  la  religion  aussi  bien  que  les  arts,  assi- 
gnait à  chaque  divinité  son  domaine  distinct  de  culte,  de  surnoms, 
de  fonctions  et  d'attributs  ?  ou  bien  le  syncrétisme,  qu'on  a  voulu  con- 
centrer dans  l'époque  postérieure  à  Alexandre,  est-il  un  élément  essen- 
tiel du  génie  de  la  religion  chez  les  Grecs?  Ce  sont  là  des  propositions 
que  la  science  débat  encore,  et  sur  lesquelles  elle  n'a  pu  oflrir,  jus- 
qu'à ce  jour,  un  corps  de  doctrines  à  l'abri  de  toute  objection. 

Quant  au  reste,  la  route  est  battue,  les  principes  posés,  la  tâche 
quelquefois  accomplie.  Tout  ce  que  l'archéologie  pouvait  fournir 
de  lumières  à  la  géographie,  aux  annales  des  royaumes,  à  l'histoire 
de  l'art,  de  l'économie  politique  et  des  sciences,  a  été  exploité  avec 
conscience  et  talent.  C'est  dans  ces  matières  surtout  que  l'archéologie 
peut  être  fière  des  services  qu'elle  a  rendus,  en  donnant  une  base  de 
certitude  absolue  aux  récits  de  l'histoire,  et  en  permettant  ainsi  de 
préjuger  la  même  réalité  pour  les  lieux  et  les  temps  qui  manquent 
d'un  tel  secours.  Citer  dans  les  différentes  branches,  après  les  noms 
que  nous  avons  rappelés  au  commencement  de  ce  travail ,  ceux  des 
Vaillant,  des  Pellerin,  des  Eckhel,  des  Froelich,  des  Corsini,  des 
Pacciaudi,  des  Dodwell,  des  Noris,  des  Marini ,  des  Ignarra,  des 
Mazzocchi,  des  Gori,  des  Passeri,  des  Fea,  des  Sestini,  des  Zannoni, 
des  Barthélémy,  des  Mariette,  des  Millin,  des  Hirt,  des  Boettiger, 
des  Raoul  Rochette,  des  Florez,  des  Bayer,  des  Émeric  David, 
des  Gesenius,  c'est  offrir  au  lecteur  une  des  réunions  intellectuelles 
les  plus  dignes  d'honorer  l'esprit  humain  ;  heureux  qui  méritera  à 


AilCHÉOLOGIE.  13 

l'avenir  d'être  adjoint  à  une  phalange  dont  les  rangs  sont  déjà  si 
pressés  et  si  bien  occupés  ! 

J'ai  dit  en  commençant  que  le  sentiment  de  l'art  me  paraissait  être 
caractéristique  de  la  vocation  archéologique,  et  que,  parle  passé, 
certains  hommes  doués  au  plus  haut  degré  de  ce  sentiment  avaient 
pu  être  de  grands  archéologues  en  dépit  de  leur  inexpérience  philolo- 
gique. Ce  n'est  pas  à  dire  pour  cela  que  le  néophyte  de  cette  science 
soit  dispensé  de  profondes  études  littéraires;  ce  que  l'archéologie 
pouvait  produire,  réduite  à  ses  propres  lumières,  est  accompli;  le 
reste,  et  le  plus  important  sans  aucun  doute,  dépend  d'une  alliance 
intime  de  l'archéologie  et  de  la  philologie.  Nul  ne  saurait  donc  désor- 
mais se  flatter  d'ajouter  aux  conquêtes  de  la  science ,  s'il  ne  se  met 
en  état  de  bien  comprendre  les  écrivains  des  littératures  grecque  et 
latine.  L'archéologue  doit  avoir  en  sa  possession  la  faculté  de  corriger 
un  passage  corrompu  ;  il  faut  qu'il  sache  assez  de  philologie  pour 
juger  sainement  de  ce  que  les  opinions  des  philologues  peuvent 
avoir  d'exclusif  et  de  trop  absolu.  Toute  archéologie  dont  l'application 
se  rattache,  de  près  ou  de  loin,  à  la  formation  ou  à  l'influence  des 
sociétés  hellénique  ou  romaine,  doit,  selon  nous,  procéder  de  l'intel- 
ligence des  auteurs  classiques.  La  plupart  des  interprètes  n'ont  pas 
appliqué  les  lumières  archéologiques  à  l'explication  de  ces  auteurs, 
et  il  reste  dans  les  textes  une  foule  d'éclaircissements  qui  attendent 
encore  l'esprit  qui  saura  les  découvrir.  N'oublions  pas  d'ailleurs  que 
les  écrivains  classiques  ont  été  nos  prédécesseurs,  et  souvent  encore 
nos  maîtres ,  dans  cet  emploi  de  l'analyse  et  de  la  critique  qui  a  fondé 
les  sciences  historiques  chez  les  modernes  :  que  de  choses  ces  écri- 
vains n'ont-ils  pas  sainement  observées,  dont  nous  ne  trouvons  plus 
la  trace,  et  qui,  déposées  dans  leurs  écrits,  servent  d'un  riche  sup- 
plément à  nos  observations  directes  I 

L'archéologue  de  nos  jours  ne  devra  pas  se  borner  à  l'étude  appro- 
fondie du  grec  et  du  latin;  je  ne  parle  pas  des  langues  de  l'érudition , 
l'allemand,  l'anglais,  l'italien  et  l'espagnol,  dont  l'usage  lui  sera  in- 
dispensable. Je  ne  crois  pas  même  qu'il  puisse  désormais  se  former 
un  sujet  de  quelque  valeur,  sans  qu'il  ait  puisé  à  la  source  de  la  phi- 
lologie orientale.  La  famille  des  langues  sémitiques  représente  la  plus 
large  part  des  origines  de  notre  civilisation  :  le  dialecte  araméen  était 
parlé  du  Tigre  jusqu'à  la  Méditerranée  ;  l'idiome  dont  les  Phéni- 
ciens faisaient  usage  ne  différait  pas  sensiblement  de  l'hébreu  ;  ce  qui 
manque  pour  compléter  la  connaissance  de  l'hébreu,  du  chaldaïque  et 
du  syriaque,  se  retrouve  dans  l'arabe  et  dans  l'éthiopien;  unecon- 


14  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

naissance  avancée  de  l'hébreu  et  du  chaldaïque;  une  teinture  suffisante 
des  autres  dialectes  sémitiques,  me  semblent  désormais  nécessaires 
aux  progrès  de  l'archéologie.  J'ai  tâché,  dans  une  autre  occasion, 
de  démontrer  la  connexité  de  ces  idiomes  et  de  celui  qu'on  parlait 
dans  l'antique  Egypte  :  cette  connexité  n'existerait  pas,  qu'il  serait 
toujours  du  devoir  de  l'archéologue  de  se  tenir  au  courant  des 
études  égyptiennes ,  et  de  se  mettre  en  état,  par  la  connaissance 
de  la  langue  copte,  de  profiter  de  leurs  progrès.  Je  serais  moins  frappé 
de  la  nécessité  d'étudier  les  langues ,  telles  que  le  zend  et  le  sanscrit^ 
dont  le  domaine  a  été  plus  reculé  dans  l'Orient,  si  l'habitude  n'avait 
point  prévalu,  dans  les  écoles  philologiques  de  la  moderne  Allemagne, 
de  recourir  à  ces  langues  comme  à  la  source  exclusive  de  toute  éty- 
mologie.  Si  donc  l'archéologue ,  guidé  par  les  rapports  que  lui  four- 
nissent les  monuments  de  l'antiquité  figurée,  trouvée  renouer  encore 
les  idées  que  lui  ont  fournies  ces  monuments  par  un  rapprochement 
entre  les  vocabulaires  sémitique,  grec  et  latin,  il  faut  qu'il  puisse  se 
tenir  en  garde  contre  les  arguments  qui  pourraient  lui  venir  du  camp 
des  indo-germanistes  exclusifs,  et  se  mettre  en  état  d'en  peser  équita- 
blement  la  valeur  (l). 

Les  connaissances  philologiques  dont  je  viens  d'esquisser  le  pro- 
gramme sont  comme  la  préparation ,  et  doivent  devenir  le  guide  con- 
stant des  études  archéologiques.  L'épigraphie  est  une  science  intermé- 
diaire entre  celle  des  langues  et  celle  des  antiquités.  Tout  philologue 
profond  et  sagace  acquerra  facilement  l'expérience  nécessaire  pour 
bien  interpréter  les  inscriptions:  les  travaux  des  Jacobs,  des  Welcker, 
des  K.  0.  Millier,  des  Boissonade,  des  Hase,  des  Le  Bas,  et  surtout 
des  Boeckh  et  des  Letronne,  en  sont  la  preuve.  Toutefois ,  le  philo- 
logue qui  se  consacre  à  l'épigraphie  a  besoin  des  lumières  archéo- 

(1)  Ici  j'avais  été  certainement  trop  loin,  en  m'efforçant  d'exclure  l'étude  des 
langues  de  la  famille  indienne  et  persique.  du  cercle  des  obligations  imposées  aujour- 
d'hui à  l'archéologue.  Les  travaux  de  Prinscp  dans  l'Inde,  les  découvertes  de  M.  Fel- 
lows  dans  la  Lycie,  la  publication  de  la  chronique  de  Kaschmyr,  par  M.  Troyer 
et  du  Rig-P^éda  par  Rosen,  la  prochaine  apparition  des  recherches  de  M  Eugène 
Burnouf,  sur  l'origine  du  Bouddhisme,  le  parti  que  ce  dernier  érudit  et  que 
M.  La?sen  ont  tiré  des  inscriptions  de  la  Perse,  ont  déjà  ouvert  ou  vont  ouvrir  des 
voies  nouvelles  à  la  science  qui  explique  les  monuments  de  l'antiquité  figurée.  Nous 
aurons  certainement  bientôt  une  chronologie  indienne;  en  Lycie,  des  sculptures 
imitées  des  ouvrages  grecs,  se  montrent  accompagnées  d'inscriptions  conçues  dans 
une  langue  qui  procède  du  zend  et  du  sanscrit  ;  dans  leurs  travaux  sur  les  médailles 
de  l'Inde  et  de  la  Baclriane,  iM.  Lasscn  et  M.  Wilson  ont  démontré  la  liaison  néces- 
saire de  celte  partie  de  la  numismatique  grecque  avec  les  monuments  liliéraires  de 
l'Hindoustan.  En  si  peu  d'années,  que  de  progrès  nouveaux,  et  par  conséquent , 
que  de  problèmes  de  plus  ! 


ARCHEOLOGIE.  15 

logiques  pour  apprécier  l'âge  ,  l'intention  et  la  destination  des 
monuments  de  l'antiquité  figurée,  dont  les  inscriptions  ne  sont  très- 
souvent  que  l'accessoire.  La  paléographie  s'occupe  non  pas  du  sens 
des  inscriptions,  mais  de  la  forme,  de  la  valeur  et  de  l'âge  des  carac- 
tères au  moyen  desquels  les  inscriptions  sont  tracées.  L'art  de  former 
les  caractères  est  dans  son  genre  une  espèce  de  peinture.  Un  phi- 
lologue tirera  un  mauvais  parti  des  éléments  de  critique  que  la 
paléographie  peut  fournir,  s'il  n'est  pourvu,  jusqu'à  un  certain 
point,  du  sens  archéologique. 

La  numismatique  procède  à  la  fois  de  l'archéologie,  quant  aux 
figures  dont  les  monnaies  antiques  sont  ornées,  de  la  philologie,  quant 
aux  inscriptions  qui  accompagnent  ces  figures,  de  la  paléographie, 
quant  à  la  forme  des  caractères  qui  composent  les  inscriptions,  et  de 
l'économie  politique,  quant  k  1  appréciation  de  la  valeur  des  monnaies 
et  de  leur  usage.  Ainsi  obligée  à  une  foule  de  connaissances  acces- 
soires, elle  réclame  de  celui  qui  se  consacre  à  son  étude  une  vocation 
toute  particulière.  Ses  produits  sont  si  multipliés  qu'un  don  de  la 
mémoire  peut  seul  suffire  à  embrasser  l'étendue  de  son  domaine  ; 
les  différences  qui  servent  de  guide  à  la  critique  sont  si  déli- 
cates que  le  sentiment  le  plus  exquis  de  l'art  est  à  peine  capable 
de  les  apprécier  toutes;  le  nombre  des  falsifications,  l'adresse  des 
faussaires,  exigent  du  numismatiste  une  pratique  sans  relâche  des 
monuments  originaux. 

Les  autres  classes  d'objets  antiques,  tels  que  les  marbres ,  ronde- 
bosse  et  bas-relief ,  les  bronzes ,  les  terres  cuites ,  les  vases  peints ,  ne 
présentent  point  de  distinctions  aussi  tranchées.  C'est  ici  surtout  que 
trouve  sa  place  la  division  en  diverses  archéologies,  selon  la  différence 
des  contrées  dont  on  étudie  les  produits.  On  n'oubliera  pas,  toutefois, 
que  les  archéologies  grecque,  romaine,  étrusque  et  italiote,  ne  sau- 
raient être  scindées  sans  désavantage  pour  la  science. 

L'histoire  de  l'architecture  forme  une  branche  particulière  de  l'ar- 
chéologie, cultivée  avec  succès  dans  ce  siècle.  Des  artistes  habiles 
ont  reconnu  l'avantage  qu'il  y  avait  à  joindre  l'expérience  de  l'anti- 
quaire aux  connaissances  indispensables  à  leur  profession;  en  tête  de 
ces  artistes  il  faut  placer  les  Cockerell,  les  Stieglitz,  les  Donaldson, 
les  Semper,  les  Hittorf  ;  n'oublions  pas  non  plus  les  beaux  travaux 
des  pensionnaires  de  l'Académie  de  France  à  Rome ,  entre  lesquels 
on  doit  citer  les  Huyot,  lesDuban,  les  Blouet,  les  deux  frères 
Labrouste. 

Le  degré  de  culture  des  sciences  mathématiques  et  physiques,  chez 


16  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

les  anciens,  intéresse  au  plus  haut  point  l'histoire  de  l'esprit  humain. 
Les  monuments  de  l'antiquité  figurée  renferment  une  foule  de  rensei- 
gnements utiles  à  la  solution  de  ce  problème.  Si,  jusqu'à  ce  jour,  il 
n'a  pas  été  résolu ,  c'est  moins  au  silence  des  monuments  qu'il  faut 
s'en  prendre  qu'aux  savants  modernes  eux-mêmes,  qui  se  sont  diffi- 
cilement asservis  à  rester  dans  le  point  de  vue  de  l'antiquité.  L'ar- 
chéologue à  qui  manqueront  presque  toujours  l'expérience  et  les  fa- 
cultés nécessaires  pour  approfondir  ces  questions,  doit  se  trouver  à 
chaque  instant,  faute  d'un  guide  sûr,  arrêté  dans  ses  recherches.  En 
attendant  qu'en  suivant  la  route  ouverte  par  les  Ideler,  les  Biot,  et  les 
Letronne,  tous  les  obstacles  que  présente  l'histoire  des  sciences,  chez 
les  anciens,  aient  été  aplanis,  l'archéologue  devra  se  mettre  en  état 
d'étudier  ce  qu'on  rencontre  de  notions  mathématiques  et  physiques 
dans  les  écrivains  tels  qu'Empédocle  et  Timée,  dont  les  opinions  ont  pu 
influer  sur  les  doctrines  religieuses,  ou  d;)ns  ceux  qui,  à  l'exemple  de 
Platon  et  de  Plutarque,  de  Proclus  et  des  autres  néoplatoniciens,  pa- 
raissent avoir  fait  des  emprunts  aux  religions  scientifiques  de  l'Orient. 
Le  rôle  de  l'astronomie  paraît  surtout  évident  dans  l'origine  et  le  déve- 
loppement des  doctrines  orientales.  Une  connaissance  assez  dévelop- 
pée de  l'astronomie  apparente  sera  nécessaire  à  l'archéologue  qui  ne 
craindra  pas  d'aborder  ces  importantes  mais  périlleuses  questions.  Je 
ne  parle  pas  ici  d'une  foule  d'autres  connaissances  pratiques  qui  réagis- 
sent sur  l'intelligence  de  l'antiquité.  On  sait  toutes  les  lumières  que 
produit  l'esprit  d'observation  dans  les  voyages;  on  connaît  l'analogie 
permanente  des  idées,  des  mœurs,  des  usages  dans  l'antique  comme 
dans  le  moderne  Orient,  les  pratiques  agricoles  dictées  par  le  climat 
et  conformes  encore  au  code  d'Hésiode  et  de  Virgile,  les  procédés  in- 
dustriels qui,  étudiés  sous  la  main  des  artisans  de  la  Perse,  de  l'Egypte 
ou  de  l'Asie  Mineure,  expliquent  les  particularités  de  la  fabrication 
chez  les  anciens.  La  science  qui  consiste  à  déterminer  les  causes  de 
la  production  et  de  la  richesse,  appliquée  à  l'antiquité  par  des  esprits 
supérieurs,  a  produi?;  aussi  des  résultats  remarquables.  Grâce  aux 
Boeckh,  aux  Letronne,  aux  Bureau  de  La  Malle,  nous  pouvons 
raisonner  presque  aussi  juste  sur  le  marché  d'Athènes,  à  l'époque 
de  Périclès,  sur  celui  de  Rome,  à  l'époque  d'Auguste,  que  sur  la 
bourse  de  Londres  et  les  mouvements  du  port  au  Havre  et  à  Mar- 
seille. 

On  sera  peut-être  effrayé  de  l'étendue  des  connaissances  que  j'exige 
de  rarchéolo[;ue  pour  gage  de  son  succès.  Sans  doute  personne  ne 
réunira  l'ensemble  de  ces  connaissances;  nul  surtout  ne  les  possédera 


ARCHEOLOGIE.  17 

toutes  au  même  degré.  Dans  un  cadn^  aussi  vaste,  il  sera  toujours 
utile  que  chacun  choisisse  une  spécialité  à  laquelle  il  se  livrera  de 
préférence,  selon  la  nature  de  ses  facultés.  Je  ne  m'en  crois  pas  moins 
autorisé  à  affirmer  que  la  garantie  du  progrès  réside  dans  l'étendue 
des  connaissances.  La  culture  de  l'esprit  que  je  demande  doit  être 
d'ailleurs  le  résultat  tout  naturel  des  succès  simultanés  de  la  mé- 
thode dans  toutes  les  applications  de  l'intelligence  humaine.  Les  fa- 
cultés individuelles  ne  croîtront  pas  sans  doute;  mais  l'existence  d'une 
foule  de  guides  et  de  manuels,  conçus  dans  un  esprit  philosophique, 
permettra  à  l'esprit  de  se  répandre  sans  efforts  dans  les  voies  les  plus 
opposées.  La  tendance  encyclopédique  des  travaux  allemands  est  un 
progrès  de  ce  peuple  sur  la  France;  lorsque  j'ai  cherché  à  m'expli- 
quer  les  causes  de  cette  supériorité,  je  n'en  ai  pas  découvert  de  plus 
évidente  que  l'existence  en  Allemagne  d'un  grand  nombre  d'ouvrages 
élémentaires,  composés  par  les  sommités  intellectuelles  de  la  nation  : 
chez  nous,  on  laisse  trop  souvent  cette  tâche  aux  esprits  du  quatrième 
ordre. 

Ne  nous  lassons  donc  pas  d'apprendre,  et  ne  craignons  pas,  en  vou- 
lant trop  apprendre,  de  perdre  l'occasion  d'appliquer  nos  connais- 
sances. En  toutes  choses,  en  désirs  de  connaissance  comme  en  désirs 
de  jouissance,  l'infini  est  toujours  devant  nos  yeux.  N'est-ce  pas  une 
des  conditions  essentielles  du  bonheur  de  l'homme,  que  de  voir  jus- 
qu'au dernier  jour  un  but  qui  lui  paraît  proche,  et  pourtant  recule 
toujours? 

Ch.  Lenokmant,  de  l'Institut. 


LE  MUSÉE  DU  PALAIS  DES  THERMES  ET  DE  L'HOTEL 

DE  CLUNY. 

PREMIER  ARTICLE. 

En  1793 ,  tandis  que  la  populace  jetait  au  vent  la  cendre  des  rois, 
un  vieux  soldat  qui  l'avait  suivie  dans  les  caveaux  de  Saint -Denis, 
ne  voulut  point  permettre  qu'on  insultât  les  restes  de  Henri  IV.  Cet 
homme ,  si  fidèle  à  l'honneur  national ,  n'était  heureusement  pas  le 
seul  qui  pensât  que  pour  répudier  l'ancien  régime  il  fût  nécessaire  de 
renoncer  à  la  gloire  acquise  par  nos  pères.  Quand  la  bande  noire 
s'abattait  sur  une  abbaye,  quand  le  fanatisme  mutilait  un  vieux  châ- 
teau ,  bien  des  gens ,  et  c'était  souvent  les  partisans  du  nouvel  ordre 
de  choses ,  bien  des  gens  exposaient  leur  vie  pour  arracher  à  la  des- 
truction les  chefs-d'œuvre  de  l'art.  Qui  ne  sait  qu'Alexandre  Lenoir 
fut  blessé  lorsqu'il  faisait  au  monument  de  Richelieu  un  rempart  de 
son  corps? 

Lenoir,  ce  respectable  vieillard  qui  ne  nous  a  quitté  que  depuis 
quelques  années,  était  alors  plein  de  jeunesse  et  d'enthousiasme. 
Dans  son  enfance  il  avait  vu  les  églises  de  Paris  toutes  remplies  de 
tombes,  de  statues,  de  vitraux  resplendissants;  ces  chefs-d'œuvre 
avaient  enflammé  son  ardente  imagination.  Lorsqu'un  ignare  officier 
municipal  osa  lancer  contre  eux  un  arrêt  de  proscription  et  les  décla- 
rer traîtres  à  la  patrie,  lorsque  les  rois  de  Notre-Dame  furent,  en 
vertu  d'un  décret  de  la  commune ,  violemment  arrachés  de  leurs  pié- 
destaux, le  jeune  artiste  ne  craignit  point  de  dénoncer  à  l'opinion 
publique  un  tel  attentat.  Sa  voix  fut  heureusement  entendue.  Bientôt 
le  vieux  cloître  des  Petits-Augustins  ofl"rit  un  asile  aux  nobles  débris 
qu'on  chassait  de  Maubuisson  ou  des  Célestins. 

Pendant  dix  ans  ce  Musée  des  Monuments  français  ofl*rit  un  magni- 
fique spectacle.  Plus  de  cinq  cents  monuments  d'architecture,  de 
sculpture  ou  de  peinture  y  avaient  été  rassemblés  et  classés  avec 
grand  soin.  Sous  les  arceaux  des  cloîtres,  on  voyait  rangées  les  statues 
de  nos  rois.  Ces  statues  n'étaient  point  isolées,  une  foule  d'illustres 
personnages,  jadis  comblés  d'honneurs,  jadis  morts  pour  la  patrie, 
maintenant  proscrits,  ainsi  que  leurs  maîtres,  semblent  s'être  donné 
rendez-vous  dans  ce  sanctuaire  consacré  à  toutes  les  gloires  de  la 
France,  Près  de  Charles  V  on  voyait  Duguesclin  et  Olivier  de  Clisson, 
près  de  Louis  XH  Georges  d'Amboise ,  près  de  Henri  H  l'inflexible 


MUSÉE   DES   THERMES   Eï   DE   L  HOTEL   DE   CLIJNY.  19 

Montmorency;  comme  si  ces  fidèles  serviteurs  avaient  cru  de  leur 
devoir  d'escorter  encore  dans  ces  lieux  ceux  à  qui  ils  avaient  dévoué 
leur  vie  tout  entière. 

Dans  le  préau,  dans  les  cours  c'étaient  des  bas- reliefs  et  des  chapi- 
teaux romans  qui  montraient  leurs  bizarres  et  symboliques  sculptures, 
des  arcades  et  des  pignons  gothiques  avec  leurs  nobles  et  sveltes 
proportions ,  tandis  qu'un  peu  plus  loin  le  XVP  siècle  étalait  ses 
capricieuses  fantaisies  sur  les  façades  du  château  d'Anet,  que  le 
Laid'Aristote,  le  Laide  Virgile,  un  rébus  picard,  ou  quelque  merveil- 
leuse histoire  de  la  Table  Ronde  mêlaient  leurs  joyeusetés  aux  images 
de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament. 

Tout  le  monde  en  France  applaudissait  aux  efforts  de  Lenoir,  tout 
le  monde  allait  admirer  cette  merveille  ;  l'empereur  l'encouragea  de 
son  approbation.  La  restauration  de  1814  ne  put  même  paralyser 
l'enthousiasme  général.  Les  hommes  du  Nord  ne  se  lassaient  pas 
d'admirer  ce  Musée  unique  en  son  genre ,  et  tous  ils  se.  portaient  en 
foule  aux  Petits-Augustins.  Qu'on  nous  permette  de  rapporter  une 
anecdote  qui  peindra  combien  les  grandeurs  passées  de  la  France  in- 
spiraientde  respect  à  ces  étrangers.  Un  jour,  le  1*'  avril  1814,  le  len- 
demain de  l'arrivée  des  alliés,  Lenoir  entendit  brusquement  frapper  à  la 
porte  de  son  Musée,  puis  il  vit  s'avancer  dans  la  cour  un  détachement 
de  Cosaques  qui  accompagnait  un  général  russe.  Celui-ci  demanda  à  vi- 
siter les  salles,  il  dit  qu'un  de  ses  plus  vifs  désirs  en  arrivant  à  Paris 
était  d'admirer  ces  belles  collections  qui  n'avaient  point  de  pareilles  en 
Europe,  Lenoir  l'accompagna.  Parvenu  à  l'extrémité  du  Musée,  le 
Russe  s'arrêta  tout  à  coup  devant  une  grande  figure  de  marbre  dont 
l'attitude  parut  le  frapper.  Quelle  est  cette  tête,  demanda-t-il?  Celle 
de  Henri  IV,  répondit  Lenoir.  Alors  il  vit,  non  sans  émotion,  ces 
Tartares  se  découvrir  et  fléchir  le  genou  devant  la  noble  figure  du 
Béarnais. 

Un  an  plus  tard  cependant  l'arrière-petit-fils  de  Henri  IV, 
Louis  XVni,  faisait  fermer  le  Musée  des  Petits-Augustins.  Pour  mo- 
tiver un  tel  acte  on  prétendit  qu'il  fallait  rendre  aux  édifices  religieux 
ce  que  la  terreur  leur  avait  enlevé,  comme  s'il  y  avait  encore  une  ab- 
baye de  Sainte  Geneviève  pour  recevoir  les  sarcophages  de  Clovis  et 
de  Clotilde ,  un  Paraclet  pour  abriter  Héloïse  et  Abélard? 

La  répartition  des  monuments  des  Petits-Augustins  se  fit  avec  peu 
d'intelligence;  Saint-Étienne-du-Mont  reçut  quelques  tombes  de 
Port-Royal  ;  Saint-Étienne  de  Meaux  la  statue  de  Charles  d'Espagne, 
qui  ne  lui  avait  jamais  appartenu;  Saint-Denis  les  cénotaphes  de 


20  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Saint-Gennain-des-Prés,  de  Sainte-Geneviève  et  une  foule  d'autres 
objets  qu'on  ne  savait  plus  où  loger;  le  reste  fut  abandonné  à  la  pluie 
et  à  la  gelée  pendant  plus  de  vingt  ans,  gisant  au  milieu  des  cours 
où  l'herbe  poussait  comme  dans  un  désert.  En  i836  bien  des  sculp- 
tures curieuses  étaient  encore  jetées  pêle-mêle  là  où  la  restauration 
les  avait  entassées. 

Louis  XVIIÏ,  en  détruisant  le  Musée  des  Monuments  français, 
n'avait  heureusement  pas  détruit  dans  les  cœurs  le  culte  et  l'admiration 
des  antiquités  nationales.  Lenoir,  non  content  de  conserver  nos  mo- 
numents, s'était  attaché  à  les  décrire,  il  avait  formé  des  élèves.  Un 
homme  de  cœur,  enthousiaste  pour  les  chefs-d'œuvre  du  moyen  âge  , 
M.  Alexandre  Dusorï^raerard,  consacrait  alors  sa  fortune  à  sauver  les 
débris  que  le  temps  avait  épargnés.  Vers  183Ô,  sa  collection,  la  plus 
riche  eh  son  genre ,  s'ouvrait  aux  artistes  et  aux  archéologues  avec 
une  libéralité  qu'on  ne  saurait  trop  louer;  heureux  de  pouvoir  com- 
muniquer ses  richesses  aux  hommes  capables  de  les  apprécier,  M.  Du- 
sommerard  avait  fait  de  sa  maison  un  autre  Musée  des  Monuments 
français. 

Bientôt  l'appartement  qu'il  habitait  devint  trop  étroit  pour  contenir 
tant  de  richesses.  Il  songea  à  choisir  une  demeure  plus  vaste  et  plus 
digne  de  les  renfermer.  Paris  alors  n'avait  plus  que  trois  hôtels  du 
moyen  âge;  c'était  l'hôtel  de  Sens,  l'hôtel  de  La  Tréniouille,  l'hôtel 
de  Cluny.  M.  Dusommerard  choisit  le  plus  curieux  de  tous ,  l'hôtel 
de  Cluny.  L'hôtel  de  La  Trémouille  n'est  plus.  L'hôtel  de  Sens,  mu- 
tilé de  toutes  parts,  est  à  peine  reconnaissable.  L'hôtel  de  Cluny  se 
trouve  encore  tel  qu'il  était  en  1830  et  c'est  à  son  généreux  locataire 
qu'on  doit  certainement  la  conservation  de  cette  précieuse  relique  des 
temps  passés. 

Nous  ne  dirons  pas  avec  quel  empressement  les  gens  du  monde  et 
les  artistes  couraient  à  la  rue  des  Mathurins-Saint-Jacques,  ce  serait 
dire  ce  que  chacun  sait;  nous  ne  dirons  pas  non  plus  que  par  la  noble 
générosité  avec  laquelle  il  communiquait  ses  collections,  M.  Dusom- 
merard n'a  pas  peu  contribué  aux  progrès  que  l'archéologie  nationale 
a  faits  dans  ces  derniers  temps:  à  qui  l'apprendrions-nous?  Il  n'est 
personne  qui  n'ait  eu  l'occasion  d'apprécier  son  obligeance  et  son 
désintéressement. 

Tandis  que  la  collection  Dusommerard  se  formait,  Louis  XVIII 
en  était  à  regretter  l'arrêt  de  1816  par  lequel  il  avait  ordonné  la 
clôture  du  Musée  des  Monuments  français,  et  il  songeait  sérieuse- 
ment à  réorganiser  cette  précieuse  institution.  La  branche  aînée  de  la 


MUSÉE   DES  THERMES  ET  DE   I/HOTEL   DR   CLUNY.  21 

famille  des  Bourbons  ne  fut  en  eflét  jamais  hostile  aux  beaux-arts  : 
un  de  ses  membres,  le  duc  d'Angoulême,  se  rappela  un  jour  qu'il  exis- 
tait dans  la  rue  de  la  Harpe  une  vieille  ruine  romaine  connue  sous  le 
nom  de  Palais  des  Thermes;  cette  ruine,  il  alla  la  visiter,  admira  le 
grandiose  de  ses  proportions  architecturales  et  en  reconnut  toute 
l'importance.  Le  palais  des  Thermes  appartenait  à  l'hospice  de  Cha- 
renton  qui  le  louait  moyennant  2  000  francs  à  un  tonnelier;  dans 
la  grande  salle  se  trouvait  son  atelier,  sur  les  combles  un  jardin  qu'om- 
brageaient des  arbres  d'une  prodigieuse  grosseur.  Le  duc  ordonna 
que  le  jardin  serait  jeté  bas,  que  les  combles  seraient  protégés  par 
un  toit,  et  que  le  tonnelier  irait  autre  part  porter  ses  magasins. 

Non  content  d'avoir  sauvé  l'édifice,  M.  le  duc  d'Angoulême  voulut 
l'utiliser;  il  projeta  d'établir  sous  ces  voûtes  majestueuses  un  Musée 
Gallo-Romain,  M.  Quatremère  de  Quincy  fit  un  rapport  sur  ce  projet, 
le  ministère  de  l'intérieur  obtint  pour  cinq  ans  un  crédit  annuel 
de  30  000  francs  destinés  à  couvrir  les  frais  nécessaires,  et  un 
membre  de  la  Société  des  Antiquaires  de  France,  M.  Auguis,  fut 
nommé  conservateur  du  nouveau  Musée.  Tout  ceci  se  passait  en  1 81 9; 
cependant  en  1830  rien  encore  n'était  terminé;  les  Thermes  mêmes 
n'avaient  pas  été  achetés,  et  l'hospice  de  Charenton  à  qui  l'on  discon- 
tinuait de  payer  sa  rente  annuelle  allait  les  mettre  en  vente.  Heu- 
reusement alors  le  vieux  Paris  et  ses  pittoresques  édifices  étaient 
passés  sous  la  protection  de  la  mode.  Les  artistes  et  les  hommes 
éclairés  n'étaient  pas  les  seuls  qui  demandassent  à  grands  cris  la  con- 
servation des  monuments  historiques;  peut-être,  il  faut  bien  le  dire, 
peut-être  le  goût  du  jour  autant  que  l'amour  de  Fart  sauva  le  plus 
ancien  palais  des  rois  de  France,  que  pour  de  mesquines  considéra- 
tions on  allait  sacrifier.  En  1831 ,  sur  la  proposition  de  M.  Boulay 
(de  la  Meurthe),  la  salle  des  Thermes  fut  acquise  par  la  ville  de 
Paris.  Dès  lors  toutes  les  fois  qu'une  vieille  église  tombait  devant  la 
nécessité  des  alignements,  qu'un  édifice  était  restaurée  neuf,  on 
trouva  tout  naturellement  où  déposer  une  foule  de  restes  précieux 
autrefois  employés  comme  des  moellons.  C'est  ainsi  que  les  chapi- 
teaux de  Saint-Germain-des-Prés,  les  tombeaux  de  laruedel'Arbre- 
Sec  et  de  Saint  Germain-l'Auxerrois,  le  curieux  pavé  romain  de  la 
rue  Saint-Jacques  nous  ont  été  conservés.  Certes,  sans  cette  heu- 
reuse circonstance,  tout  cela,  comme  les  statues  de  Notre-Dame,  eût 
servi  de  bornes  dans  quelque  quartier  perdu  ou  de  remblai  dans 
quelque  fondation  d'édifices.  La  ville,  en  ordonnant  le  dépôt  de  ces 
objets  dans  la  salle  des  Thermes,  avait  conçu  le  projet  de  reconsti- 


22  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

tuer  tôt  ou  tard  un  Musée  des  Monuments  nationaux  »  elle  était  en 
cela  d'accord  avec  l'esprit  public  ;  car,  alors  c'était  à  qui  présenterait 
un  projet  pour  l'établissement  d'un  musée  de  ce  genre;  l'un  désignait 
l'École  des  Beaux-Arts,  qui  s'élevait  sur  les  ruines  des  Petits- Au- 
gustins,  un  autre  l'église  de  Saint-Germain  l'Auxerrois  qu'une 
émeute  avait  récemment  enlevée  au  culte.  Parmi  tous  ces  projets  il  en 
est  un  qu'on  doit  surtout  distinguer,  c'est  celui  de  M.  Albert  Lenoir, 
fils  de  l'homme  qui  arracha  à  la  fureur  des  terroristes  tant  d'objets  pré- 
cieux<  Ce  projet  fit,  à  l'époque  oii  il  parut  (en  1 833),  une  assez  grande 
sensation  dans  le  monde  des  arts.  L'habile  architecte  proposait  à  peu 
prèscequi  se  réalise  aujourd'hui,  la  réunion  du  Palais  desThermesà 
l'hôtel  de  Cluny,  et  la  réorganisation  dans  ces  deux  splendides  mo- 
numents du  Musée  jadis  créé  par  son  père. 

M.  Vitet  était  déjà  inspecteur  des  monuments  historiques;  il  ap- 
puya de  tout  son  crédit  M.  Lenoir  auprès  du  ministère,  il  fit  tout  ce 
qui  dépendait  de  lui  pour  hâter  la  réalisation  d'un  tel  projet  ;  c'est 
grâce  à  son  zèle  sans  doute  et  grâce  à  celui  des  autres  membres  de  la 
Commission  des  monuments  historiques,  instituée  près  le  ministère  de 
l'intérieur,  que,  depuis  deux  ou  trois  ans,  le  Musée  des  Thermes  a 
été  commencé. 

Déjà  l'ignoble  cloison  en  planches  qui ,  du  côté  de  la  rue  de  la 
Harpe ,  masquait  le  vieil  édifice ,  avait  disparu ,  et  une  cour  avait  été 
construite  en  avant  de  la  grande  salle,  lorsque,  au  mois  d'août  1842, 
la  mort  vint  frapper  M.  Dusommerard  :  c'était  au  moment  oii  il  ter- 
minait un  livre  dont  il  avait  rassemblé  les  matériaux  pendant  toute 
sa  vie;  ce  livre  porte  pour  titre  :  les  Arts  au  moyen  âge. 

M.  Dusommerard,  comme  la  Commission  des  monuments  histo- 
riques, hâtait  de  tous  ses  vœux  la  formation  d'un  musée  dont  les 
Thermes  et  l'hôtel  de  Cluny  auraient  fourni  le  local.  Ce  qu'il  ne  put 
voir  pendant  sa  vie  fut  exécuté  un  an  après  sa  mort.  Le  29  juillet 
1843,  une  loi  autorisa  l'acquisition  par  l'État  de  ces  deux  édifices  et 
la  belle  collection  qu'il  avait  rassemblée  avec  tant  de  peine  et  de  sol- 
licitude. Dès  lors ,  sous  le  titre  de  Musée  du  palais  des  Thermes  et  de 
Ykôtel  de  Cluny,  on  put  espérer  de  voir  combler  la  lacune  qu'avait 
laissée  la  destruction  du  Musée  des  Petits- Auguslins. 

Qu'il  nous  soit  permis  de  mentionner  ici  le  désintéressement  d'une 
famille  qui,  sacrifiant  au  bien  public  son  intérêt  personnel,  n'a  point 
voulu  permettre  qu'une  si  belle  collection  fût  perdue  pour  la  France. 
Madame  veuve  Dusommerard ,  repoussant  des  offres  considérables ,  a 
préféré,  moyennant  une  somme  comparativement  modique,  aban- 


MUSÉE  DES   THERMES   ET   DE   T/HOTET.   DE   CUJNY.  23 

donner  à  l'État  toutes  ses  richesses  archéologiques.  Félicitons  en 
même  temps  M.  le  ministre  de  l'intérieur,  M.  le  directeur  des  beaux- 
arts  et  MM.  les  membres  de  la  Commission  des  monuments  historiques, 
d'avoir  su  apprécier  une  si  noble  conduite  et  d'en  avoir  profité. 

Après  les  travaux  nécessités  pour  l'appropriation  du  local ,  ce 
nouveau  Musée,  oii  se  presse  une  foule  avide,  a  été  ouvert  au  public 
le  17  mars  1844. 

M.  Edmond  Dusommerard  a  été  nommé  agent-conservateur  du  Mu- 
sée. Qui  mieux  que  lui  était  capable  de  remplir  ce  poste  important  et 
d'introduire  les  artistes  et  les  antiquaires  au  milieu  des  trésors  que,  dès 
son  enfance,  son  père  lui  avait  appris  à  apprécier?  C'est  à  M.  Albert 
Lenoir  que  la  direction  des  constructions  et  appropriations  nécessaires 
a  été  remise.  Qui  pouvait  mieux  exécuter  un  tel  plan  que  celui  qui  l'a- 
vait conçu?  Le  conservateur  et  l'architecte,  n'en  doutons  pas,  seront 
fidèles  aux  traditions  de  famille.  Dépendance  du  ministère  de  Tinté- 
rieur,  le  Musée  des  Thermes  et  de  l'hôtel  de  Clany  fait  partie  de  la  di- 
rection des  beaux- arts ,  et  est  soumis  à  la  surveillance  de  MM.  les 
membres  de  la  Commission  des  monuments  historiques,  c'est-à-dire 
des  hommes  que  leur  science  spéciale  a  fait  préposer  à  la  conserva- 
tion des  richesses  que,  malgré  ses  trop  nombreuses  et  trop  récentes 
pertes,  notre  belle  France  possède  encore  en  si  grand  nombre. 


D'ordinaire ,  lorsqu'on  entre  dans  un  musée  quel  qu'il  soit ,  ce  qui 
frappe  le  plus,  ce  sont  les  objets  d'art  qu'il  renferme;  ici,  au  con- 


24  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

traire ,  on  ne  sait  sur  quoi  arrôter  d'abord  son  attention.  La  pré- 
cieuse collection  qui  tapisse  les  murs  à  l'intérieur,  le  monument 
lui-même,  les  souvenirs  qui  se  groupent  en  foule  autour  de  ces  vé- 
nérables restes ,  tout  cela  se  présente  à  la  fois ,  éblouit ,  étonne  et 
captive. 

C'est  là  que  sous  les  Césars  on  bâtit  un  somptueux  palais  et  que 
Julien  rêva  la  réhabilitation  du  vieux  culte;  c'est  de  là  que,  proclamé 
Auguste  par  l'acclamation  des  soldats,  dont  il  était  l'idole,  l'Apostat 
partit  pour  galvaniser  un  instant  le  cadavre  du  paganisme. Plus  tard, 
le  rusé  Clovis,  le  sanguinaire  Childebert,  le  débauché  Caribert,  Sige- 
bert,  Chilpéric,  Dagobert,  tous  nos  rois  francs,  se  sont  tour  à  tour 
succédé  dans  le  palais  romain;  Clotilde  y  a  vu  couler  le  sang  de  ses 
petits-fils;  Bathilde,  cette  bonne  sainte  Baudour,  dont  les  habitants  du 
Parisis  ont  gardé  le  souvenir,  Bathilde  y  a  guidé  l'enfance  de  Clo- 
tairelll.  Lorsque  l'Austrasie  l'emporta  sur  la  Neustrie,  lorsque  Aix- 
la-Chapelle  devint  la  capitale  de  l'empire,  délaissé  par  les  rois  de  la 
race  de  Pépin  et  par  les  rois  fils  de  Hugues  Capet,  le  vieux  palais 
tombait  déjà  en  ruines,  et  la  tradition  vint  animer  de  ses  poétiques 
récits  ses  salles  abandonnées.  La  famille  de  Charlemagne,  cet  Aga- 
memnon  du  moyen  âge,  joue  encore  le  premier  rôle  dans  ces  contes 
populaires  ;  ce  sont  les  propres  filles  du  grand  roi,  Gilde  et  Rotrude, 
coupables  d'avoir  trop  aimé,  que  Louis,  leur  frère,  est  accusé  d'y 
avoir  retenues  captives.... 

En  1180,  si  l'on  en  croit  les  chroniqueurs,  le  palais  des  Thermes 
était  encore  un  majestueux  édifice.  C'est  alors  que  Philippe  Auguste 
en  fit  présent  à  Henri,  son  chambellan.  En  1340,  l'abbé  de  Cluny, 
Pierre  de  Chalus,  l'acheta  au  nom  de  sa  communauté. 

Vers  la  fin  du  XV*  siècle,  l'abbé  de  Cluny,  qui,  dans  ses  vastes  pos- 
sessions de  Paris,  n'avait  point  un  hôtel  digne  de  l'abriter  lorsqu'il 
venait  faire  sa  cour  au  roi,  l'abbé  de  Cluny  résolut  de  construire  en 
cet  endroit  une  demeure  princière.  Dès  lors  l'hôtel  fut  projeté.  Le  bâ- 
tard du  duc  Jehan  de  Bourbon ,  l'abbé  Jehan,  en  jeta  les  premiers  fon- 
dements ;  mais  bientôt  il  mourut,  laissant  son  œuvre  inachevé  (2  dé- 
cembre 1485).  C'était  à  Jacques  d'Amboise,  le  sixième  frère  du  minis- 
tre de  Louis  XH,  qu'il  appartenait  d'édifier  cette  somptueuse  demeure. 
c(  Dom  Jacques....  par  un  compte  de  trois  années,  reçut  de  son  re- 
«  ceveur  50  000  angelots  (plus  de  2  400  000  francs)  des  dépouilles 
c(  d'Angleterre,  lesquels  il  employa  à  la  réparation  du  collège....  et  à 
«  l'édification  et  bâtiment,  de  fond  en  cime,  de  la  superbe  et  magni- 
<(  fique  maison  de  Cluny,  »  dit  un  contemporain  qui  prétend  l'avoir 


MUSÉE   DES  THERMES  ET  DE   L'HOTEL  DE   CLUNY.  25 

SU  de  bonne  part.  Presque  dès  l'origine  celte  maison  fut  rarement  ha- 
bitée par  les  abbés  de  Cluny  qui  la  prêtaient  volontiers  à  de  grands 
personnages.  C'est  à  ce  titre  sans  doute  que  Marie  d'Angleterre,  veuve 
de  Louis  Xïl,  l'habita  pendant  quelque  temps  après  la  mort  de  son 
mari.  Parmi  les  hôtes  passagers  de  cette  maison ,  on  cite  encore  des 
légats  du  pape.  Peu  à  peu  et  à  mesure  que  des  habitations  d'un  autre 
goût  se  multiplièrent  dans  Paris,  l'hôtel  devint  désert,  des  baux  em- 
phytéotiques le  livrèrent  à  de  nouveaux  maîtres,  jusqu'à  ce  que  la 
révolution  vînt  effacer  le  titre  de  propriété  des  abbés  de  Cluny. 

Du  côté  de  la  rue  de  la  Harpe ,  une  grille  donne  accès  dans  le 
Musée  des  Thermes  et  de  Vhôlel  de  Cluny.  Une  cour  soigneusement 
dressée  s'offre  d'abord  au  visiteur;  à  droite  et  à  gauche,  deux  murs 
construits  en  pierres  de  petit  appareil,  que  de  distance  en  distance 
viennent  soutenir  des  chaînes  de  briques,  annoncent  qu'on  se  trouve 
au  milieu  de  ruines  romaines.  Cette  cour,  en  effet,  n'est  autre 
que  l'ancien  tepidarium  des  Thermes;  c'est  là  qu'on  prenait  les 
bains  tièdes ,  dans  les  dix  niches  à  plein  cintre  dont  on  aperçoit  les 
restes.  Le  long  des  murs  étaient  placées  les  baignoires  ;  plus  à 
l'ouest  était  Thypocauste;  plus  à  l'ouest  encore ,  un  égout,  toujours 
bien  conservé,  mais  caché  aujourd'hui  par  les  constructions  mo- 
dernes, et  qui  sans  doute  se  continuait  jusqu'à  la  Seine. 

La  cour  des  Thermes  n'a  point  été  arrangée  pour  le  nouveau 
Musée.  Il  y  a  deux  ou  trois  ans ,  lorsque  la  ville  possédait  encore  le 
vieux  palais  et  qu'elle  donnait  asile  aux  débris  provenant  des  édifices 
qu'on  détruisait ,  on  jugea  à  propos  de  la  paver.  Alors  c'était  peut- 
être  une  nécessité  ;  mais  cette  nécessité ,  quelque  puissante  qu'elle 
fût  à  cette  époque,  on  nous  permettra,  à  nous  autres  antiquaires, 
de  la  déplorer,  tin  musée  n'est  point  un  édifice  fait  pour  flatter  les 
yeux  de  la  foule,  c'est  un  sanctuaire  réservé  à  l'étude;  l'art  ne  doit 
rien  à  ces  mondaines  considérations  qui,  presque  partout,  le  forcent 
de  céder  aux  besoins  du  jour.  Dans  un  musée,  l'art  doit  régner  en 
maître  :  aussi ,  quelque  disgracieuses  que  fussent  aux  yeux  du  vul- 
gaire les  ruines  antiques  telles  que  les  avait  laissées  le  moyen  âge,  il 
eût  été  bien  préférable,  à  notre  sens,  de  ne  pas  les  ensevelir. 

En  face  de  la  grille  d'entrée ,  et  servant  pour  ainsi  dire  de  façade  à 
l'édifice,  s'élève  un  mur,  également  romain,  que  soutiennent  de  mo- 
dernes constructions.  Il  est  percé  de  trois  portes  à  plein  cintre, 
dont  les  archivoltes  sont  formées  par  de  petits  claveaux ,  tous  égaux 
entre  eux  et  entremêlés  de  briques.  Une  grande  fenêtre  de  même 
forme  surmonte  ces  trois  portes.  Autrefois,  ce  mur,  qu'ont  dégradé 


26  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

les  hommes  plutôt  que  le  temps,  offrait  aux  regards  une  cime  inégale, 
ébréchée  par  l'injure  des  siècles.  Certes,  la  pluie  ou  la  bise  la  plus  fu- 
rieuse ne  pouvaient  rien  contre  ces  pierres  si  fortement  cimentées,  et 
qui  étalaient  d'une  manière  si  pittoresque  et  si  majestueuse  leurs  nom- 
breuses cicatrices.  Si  ces  vénérables  restes  tombaient  en  ruines,  rien 
n'était  plus  facile  que  de  les  consolider  avec  une  couche  de  béton.... 
Cependant  on  a  jugé  à  propos  de  les  recouvrir  d'un  fronton  en  pierre 
de  petit  appareil  qui  donne  au  vieux  mur  païen  l'aspect  d'une  basili- 
que latine.  Puisse  bientôt  disparaître  cette  décoration ,  qui  heureu- 
sement n'a  point  attaqué  l'ancien  édifice  I 

Lorsqu'on  a  franchi  la  porte  qui  perce  ce  mur,  on  pénètre  dans 
une  petite  chambre  servant  à  faire  communiquer  le  tepidarium  et  le 
frigidar'mm,  l'endroit  où  l'on  prenait  les  bains  tièdes  et  l'endroit  où 
l'on  prenait  les  bains  froids.  Ce  frigidarium  est  une  magnifique  salle 
encore  intacte ,  la  seule  peut-être  en  son  genre  qu'on  possède  en 
France.  C'est  là  que  se  trouvent  les  monuments  de  pierre  déposés 
dans  le  Musée. 

Le  frjgidarium  a  été  construit  sur  des  proportions  colossales  ;  c'est 
un  parallélogramme  de  20  mètres  de  long  sur  11  mètres  50  centi- 
mètres de  large  et  18  mètres  d'élévation.  Une  vaste  voûte  lui  sert  de 
plafond,  et  huit  consoles  sculptées,  en  forme  de  proues  de  navire, 
soutiennent  la  retombée  de  cette  voûte ,  dont  une  partie  est  en  ber- 
ceau et  l'autre  en  arête.  Ces  consoles  sont  les  seuls  ornements  qu'on 
y  distingue  ;  toute  la  décoration  consiste,  ainsi  que  dans  le  reste  du 
palais,  en  de  longues  chaînes  alternés  de  briques  et  de  pierres. 
Si  l'on  en  croyait  quelques  antiquaires,  les  proues  de  navire  feraient 
allusion  aux  victoires  que  le  César  Constance  Chlore  remporta  dans 
la  Grande-Bretagne  :  aussi  regardent-ils,  mais  malheureusement  sans 
appuyer  leur  opinion  d'aucune  preuve,  le  père  de  Constantin  comme 
le  constructeur  du  palais  des  Thermes.  Pour  nous,  nous  y  verrons  les 
plus  anciennes  insignes  de  la  ville  de  Paris.  Paris  porte  encore  pour 
armes  :  de  gueules  au  navire  d'argent,  voguant  sur  une  mer  de  même. 
Sa  marchandise  de  Veau,  si  importante  autrefois,  cette  confrérie,  qui 
dominait  les  autres  confréries  parisiennes,  ne  descend-elle  point,  en 
ligne  directe,  des  nautœ parisiaci,  déjà  si  puissants  sous  Tibère?  Dans 
le  moyen  âge ,  la  marchandise  de  Veau  a  doté  la  ville  de  son  blason  : 
pourquoi  n'aurait-elle  pas  emprunté  elle-même  l'emblème  des  nautœ, 
et  pourquoi  ces  nautœ  n'auraient-ils  point  prêté  cet  emblème  à  Lutèce? 
De  tout  temps,  on  s'est  appliqué ,  quand  on  l'a  pu ,  une  origine  ro- 
maine; de  tout  temps,  on  s'est  enorgueilli  des  souvenirs  antiques 


MUSEE   DES   THERMES    ET   DE    1/llOTEL    DU    CI.UNY.  27 

qu'on  possédait  encore.  Trêves,  sur  les  monnaies ,  s'appelle  parfois  la 
seconde  Rome  et  y  figure  sa  porte  Manche.  Besançon  nous  y  montre 
aussi  sa  porte  noire,  qui  est  également  un  monument  romain.  Quant  à 
Nîmes,  elle  a  placé  sur  ses  poids  sa  tour  Magne,  et  sur  son  écu  le  cro- 
codile enchaîné,  qu'en  mémoire  d'Actium,  et  pour  flatterie  vain- 
queur d'Antoine,  elle  avait  jadis  gravé  sur  ses  monnaies  de  bronze. 

Puisque  nous  avons  tant  d'exemples  analogues,  qui  nous  empêche 
de  croire  qu'à  Paris,  comme  à  Trêves,  comme  à  Besançon,  comme  à 
Nîmes,  l'on  n'a  fait  que  conserver  une  tradition  antique? 

Dans  le  mur  méridional  du  frigidariiim  s'ouvraient  deux  larges  ar- 
cades aujourd'hui  fermées  ;  elles  communiquaient  avec  deux  autres 
salles,  dont  l'une,  encore  intacte,  est  une  propriété  particulière,  l'au- 
tre n'existe  plus.  Le  mur  occidental  est  décoré  absolument  comme 
celui  du  tepidarium  que  nous  avons  décrit  plus  haut.  On  y  voit  trois 
portes,  dont  deux,  celle  du  milieu  et  celle  du  nord,  ont  toujours  été 
bouchées  ;  une  large  fenêtre  les  surmonte.  Cette  fenêtre  recevait  le 
jour  d'une  petite  cour  parallèle  à  la  chambre  située  entre  les  deux 
grandes  pièces.  Le  mur  oriental  est  en  tout  semblable  à  celui-ci. 
C'est  au  nord  que  se  trouve  la  piscine  ;  elle  est  de  forme  quadrila- 
tère; son  aire  plus  basse  de  1  mètre  environ  que  celle  du  frigida- 
rium  a  10  mètres  de  long  sur  5  de  large.  Elle  était  autrefois  éclai- 
rée par  une  fenêtre  plus  petite  que  celles  qui,  au  midi,  à  l'est  et  à 
l'ouest,  donnent  du  jour  à  la  grande  salle.  Deux  ouvertures  de  forme 
carrée ,  percées  dans  un  arcature  en  plein  cintre  dont  le  tympan  a 
toujours  été  muré,  accompagnaient  cette  fenêtre.  Une  large  voûte 
fait  communiquer  la  piscine  avec  le  frigidarium. 

Le  plancher  du  frigidarium  paraît  avoir  été  un  peu  plus  élevé  qu'il 
ne  l'est  aujourd'hui  ;  entre  le  sol  antique  et  le  sol  actuel  circulaient 
des  canaux  qui  communiquaient  avec  h  piscine  et  le  tepidarium.  Ces 
canaux  dont  quelques  traces  existent  encore,  notamment  dans  le  mur 
du  tepidarium,  étaient  alimentés  par  un  château  d'eau  placé  au  midi 
du  frigidarium.  Des  restes  des  conduits  destinés  à  cet  usage  subsis- 
tent encore  dans  le  mur  méridional.  Au  milieu  des  trois  arcades  si- 
mulées qui  font  face  à  la  piscine,  on  peut  les  apercevoir,  ainsi  que 
les  débris  de  ceux  qui  alimentaient  le  frigidarium. 

Rien ,  on  le  sait ,  ne  coûtait  aux  Romains,  lorsqu'il  s'agissait  de  se 
procurer  une  eau  pure  et  abondante;  aussi  est-ce  à  Rungis,  à  trois 
lieues  de  Lutèce,  qu'ils  étaient  allé  chercher  celle  qu'ils  destinaient  à 
alimenter  les  Thermes  du  palais  des  Césars.  Depuis  Rungis  jus- 
qu'à Paris,  les  traces  de  l'aqueduc  des   Romains  sont  reconnais- 


28  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

sables.  M.  Albert  Lenoir  a  relevé  avec  grand  soin  la  .direction  que 
suivaient  les  canaux  sons  la  terre;  et  au  village  d'Arcueil,  chacun 
peut  encore  admirer  les  restes  imposants  de  ces  arcs  qu'ils  avaient 
jetés  sur  la  vallée  de  Bièvre  pour  la  lui  faire  traverser.  Ces  arcs, 
qu'une  restauration  indique  avoir  longtemps  servi  pendant  le  moyen 
âge,  sont  maintenant  en  ruine,  comme  le  réservoir  qu'ils  alimentaient. 
Depuis  bien  des  années  sans  doute  ils  ont  été  rompus,  ainsi  que  les 
canaux  du  grand  égout  destiné  à  recevoir  les  eaux  de  la  piscine  et  du 
frigidarium.  Depuis  bien  des  années  aussi ,  les  curieux  seuls  sont 
descendus  dans  les  souterrains  creusés  sous  la  grande  salle  pour  ad- 
mirer le  curieux  plafond  en  pierre  qui  se  soutient  depuis  tant  de 
siècles  par  la  seule  force  de  la  cohésion  des  matériaux  et  du  ciment 
dont  il  est  composé. 

En  passant  du  palais  des  Thermes  à  l'hôtel  de  Cluny,  on  se  trouve 
transporté  dans  un  tout  autre  monde.  A  la  noble  sévérité  romaine 
succède  tout  à  coup  la  coquetterie  surchargée  d'ornements,  mais 
cependant  gracieuse,  des  xv^  et  xvi^  siècles.  Ce  ne  sont  plus  seu- 
lement les  masses  et  l'harmonie  des  proportions  qui  captivent  l'œil , 
c'est  encore  la  profusion,  la  délicatesse,  le  nombre  infini,  bizarre 
et  capricieux  des  détails  qui  forcent  à  admirer. 

A  peine  entre-t-on,  que  le  noble  propriétaire,  l'homme  dont  les 
angelots  ont  fait  éclore  toutes  ces  merveilles,  décline  son  nom  et  ses 
titres.  Nous  sommes  dans  une  charmante  petite  salle  voûtée  en  ogive 
dont  les  nervures  vont,  en  s'entre-croisant,  retomber  sur  sept  con- 
soles, un  pied-droit  et  une  légère  colonnette.  Cette  colonnette,  qui 
semble  à  elle  seule  soutenir  tout  l'édifice,  est  le  premier  objet  qu'on 
regarde;  c'est  précisément  la  place  que  le  maître  a  choisie  pour  y  placer 
ses  insignes.  Il  en  a  décoré  la  corbeille  du  chapiteau.  D'abord,  en  bon 
courtisan ,  il  a  commencé  par  faire  graver  le  chiffre  du  roi  régnant , 
Charles  VIII;  c'est  le  K  couronné  qu'on  aperçoit  dans  un  coin  ;  puis 
vient,  en  y  tenant  une  place  plus  importante,  la  coquille  de  saint  Jac- 
ques, allusion  au  nom  de  baptême  que  porte  l'auteur  du  monument  ; 
enfin  paraît  l'écu  de  gueules  chargé  de  trois  pals  d'or  de  la  maison  d'Am- 
boise.  Cet  écu  s'y  trouve  répété  trois  fois,  timbré  de  la  crosse  épiscopale 
ou  abbatiale;  car  Jacques  n'était  pas  seulement  abbé  de  Cluny,  il  était 
encore  évêque  de  Clermont.  En  pieux  bénéficiaire,  comme  supports 
de  son  écu,  Jacques  a  d'abord  choisi  deux  anges  à  longues  robes,  à 
grandes  ailes  semi-éployées.  Les  prélats  en  agissaient  ordinairement  de 
cette  façon.  Cependant,  quelque  dévot  qu'il  fût,  le  somptueux  abbé 
ne  put  s'empêcher  de  sacrifier  à  la  pompe  du  siècle,  et  de  faire  porter 


MUSEE   DES   THERMES   ET   DE    L'HOTEL   DE   CLUNY.  29 

son  autre  écusson  par  deux  sauvages.  Les  sauvages  étaient  alors  de 
mode,  car  en  aucun  temps  Lancelot  du  Lac  n'avait  été  lu  avec  plus 
d'ardeur  ;  le  roi  lui-même  ne  rêvait  que  chevalerie.  Sur  ce  chapi- 
teau, les  sauvages,  ces  gardiens  des  trésors  et  des  belles  prison- 
nières, ces  hideux  complices  du  traître  Ganne,  se  trouvent  donc  repré- 
sentés, pour  ainsi  dire,  avec  prédilection.  On  les  a  placés  dans  un 
bois,  leur  demeure  ordinaire,  comme  l'indiquent  les  arbres  qui  les  en- 
tourent. Le  sauvage  est  généralement  armé  d'un  arbre  déraciné  ou 
d'une  énorme  massue;  au  moins  le  figure-t-on  ainsi  presque  partout: 
mais  ici,  le  sculpteur  semble  avoir  voulu  s'écarter  de  la  voie  com- 
mune; un  sauvage  y  paraît  armé,  p.ortant  d'une  main  un  écu  mal 
taillé,  et  de  l'autre  un  long  croc  de  fer  terminé  en  griffe  de  lion, 
absolument  semblable  à  ceux  que  les  peintres-miniateurs  de  la  même 
époque  prêtent  aux  démons  qu'ils  peignent  dans  les  miniatures  des 
missels.  Il  a  voulu  sans  doute  renchérir  sur  l'épouvante  qu'inspiraient 
ces  monstres.  Les  consoles  ne,  sont  point  richement  ornementées 
comme  le  chapiteau,  ou  au  moins  les  sculptures  qui  les  décoraient 
ont  été  grattées  ;  une  seule  reste  encore  et  ne  présente  qu'un  faible 
intérêt;  un  homme  à  longue  barbe,  coiffé  d'un  ample  bonnet,  vêtu 
d'une  large  robe  qu'une  cordelière  sépare  par  le  milieu,  y  est  repré- 
senté tenant  un  phylactère.  C'est  un  des  motifs  les  plus  usités  de  cette 
époque. 

La  petite  salle ,  que  nous  venons  de  décrire ,  n'a  jamais  été  fermée. 
Deux  gracieuses  ogives  ouvertes  ont  de  tout  temps  donné  accès  dans 
un  préau,  aujourd'hui  transformé  en  jardin;  c'est  au  midi  et  à  l'ouest 
de  ce  préau  que  s'élèvent  les  bâtiments  de  l'hôtel.  Le  principal  corps 
de  logis  est  la  partie  méridionale.  C'est  un  édifice  à  la  fois  simple  et 
gracieux  ;  il  se  compose  d'un  rez-de-chaussée ,  d'un  premier  étage  et 
d'un  galetas  (c'est  ainsi  qu'on  désignait  alors  ce  qui  aujourd'hui  s'ap- 
pelle un  étage  en  mansarde).  Dans  l'origine ,  cinq  croisées  éclairaient 
les  appartements.  Celles  du  rez-de-chaussée  et  du  premier  étaient  fort 
simples;  des  moulures  prismatiques  les  encadraient.  Les  croisées  du 
galetas  sont  plus  curieuses  de  beaucoup  ;  chacune  d'elles  a  un  fronton 
le  long  duquel  rampent  des  feuilles  de  chou  qui  se  terminent  par  un 
bouquet  de  feuillage  ;  dans  leur  tympan,  Jacques  d'Amboise  avait  fait 
peindre  son  écu,  surmonté  soit  de  sa  crosse,  soit  des  coquilles,  de  la 
pannetière  et  du  bourdon  de  saint  Jacques.  L'intempérie  n'a  point 
épargné  les  écussons  dont  les  traces  se  devinent  plutôt  qu'elles  ne  se 
voient.  Rien  dans  ce  corps  de  bâtiment,  qui  semble  avoir  été  le 
premier  ébauché ,  n'indique  la  renaissance ,  tout  y  est  gothique.  Nulle 


30  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

part  le  maître  de  l'œuvre  n'a  consulté  les  monuments  de  l'antiquité. 
Du  reste  ce  côté  n'est  point  terminé  ;  la  frise  qui  devait  courir  au-des- 
sous du  toit  n'existe  pas ,  le  ciseau  n'a  point  entamé  la  pierre  qui 
l'attend  toujours;  en  revanche,  les  monstres,  qui  semblent  garder 
les  fenêtres,  n'ont  point  été  oubliés  ;  là  ce  sont  des  lions,  ici  des 
dragons,  plus  loin  des  fous  qui  grimacent  ou  rient,  tandis  que  des 
gargouilles  à  figures  effrayantes  semblent  menacer  le  spectateur. 

Tout  le  luxe  architectonique  paraît  avoir  été  réservé  pour  le  corps 
de  logis  de  l'ouest,  c'était  justice:  car  l'abbé  avait  placé  là  sa  chapelle. 
Du  préau  on  aperçoit  une  demi-tourelle  ou  abside  en  encorbellement, 
dans  laquelle  on  a  établi  l'autel  ;  cette  tourelle  vient  finir  précisément 
entre  deux  ogives  qui  donnent  accès  dans  le  petit  narthex  que  nous 
avons  décrit  tout  d'abord^  et  qu'on  a  décoré  du  nom  de  chapelle  basse. 
Trois  fenêtres  ogivales,  séparées  chacune  en  deux  parties  par  un 
meneau )  en  font  presque  une  verrière  continue;  sa  partie  inférieure 
est  décorée  àe  moulures  et  de  deux  au  trois  guirlandes  de  feuilles  fri- 


sées de  la  plus  riche  élégance,  tandis  que  sous  son  toit  de  plomb, 
défendu  par  trois  petites  gargouilles,  serpente  une  bande  délicate  de 
feuillage  semblable,  entremêlé  de  limaçons,  de  monstres  et  d'ani- 
maux fantastiques.  Ce  n'est  pas  tout,  deux  fenêtres  ogivales  donnent 
encore  du  jour  à  la  chapelle  haute  dont  le  toit  est  un  peu  plus  élevé 
que  celui  du  reste  de  l'édifice.  Enfin,  selon  la  mode  d'alors,  ces 
fenêtres  posent  sur  de  petites  plinthes  semblables  à  l'entablement  de 
la  demi-tourelle,  qui  s'étendent  horizontalement  au-dessous  des  fenê- 
tres ,  puis  descendent  verticalement  jusqu'à  l'endroit  oii  la  tourelle 
se  termine  par  une  trompe.  Pour  que  la  demeure  civile  luttât  de  ri- 
chesse avec  la  demeure  de  Dieu,  on  ne  l'a  point  oubliée;  l'unique 
fenêtre  du  galetas  qui  se  trouve  de'ce  côté  est  beaucoup  plus  riche  et 
beaucoup  plus  ornée  que  les  autres.  Mais  gravissons  le  petit  escalier 
qui  de  la  chapelle  basse  nous  conduit  à  la  chapelle  haute ,  cette  vis 
où  le  sttjle  ogival  flamboyant  a  déployé  toutes  ces  moulures  contour- 


MUSÉE    DES   THERMES   ET   DE   L'HOTEL   DK   CLUNY.  31 

nées  qu'il  est  impossible  de  décrire.  Nous  avons  franchi  la  cage  de  cet 
escalier  dont  la  délicate  ornementation  n'est  pas  le  seul  mérite;  car 
les  monuments  de  ce  genre  ne  se  rencontrent  plus  guère  maintenant. 
C'est  aux  soins  de  la  Commission,  aux  soins  de  l'architecte  M.  Albert 
Lenoir  que  nous  devons  la  connaissance  de  ce  charmant  échantillon 
d'architecture  ;  il  y  a  peu  de  jours  un  mur  le  masquait  entièrement. 
Ce  mur  on  l'a  détruit  dernièrement,  et  les  matériaux  qui  le  compo- 
saient sont  venus  enrichir  le  Musée.  Jadis  la  chapelle  haute  était 
ornée  de  statues  représentant  tous  les  membres  de  la  famille  d*Am- 
boise;  on  s'était  servi  des  fragments  de  ces  statues  qui  n'existent  plus 
maintenant,  comme  de  matériaux ,  pour  édifier  le,  mur  qui  masquait 
l'escalier. 

Jacques  d'Amboise  avait  seize  frères  ou  sœurs,  il  les  avait  tous  fait  - 
poiirtraire  ainsi  que  lui ,  de  grandeur  naturelle,  à  genoux  et  priant 
Dieu.  L'effet  devait  en  être  agréable,  puisque  Piganiol  de  La  Force, 
et  sans  doute  comme  lui  les  hommes  du  XVIIP  siècle  ,  avaient  dai- 
gné remarquer  cette  çeuvre  de  barbarie ,  et  déclarer  que  ces  figures 
«placées  par  groupes  contre  les  murs  en  forme  de  mausolées...., 
c(  avec  les  habillements  de  leur  siècle  très-singuliers,  étaient  bien 
«  sculptées.  »  Un  peu  plus  haut,  le  même  Piganiol  décidait  «  que  le 
«  gothique  de  cette  chapelle  était  sans  aucun  goût  pour  le  dessin.  » 
Pour  la  disposition  générale,  nous  retrouvons  à  peu  près  l'ordon- 
nance de  la  chapelle  basse,  la  colonnette  centrale  soutient  de  même' 
tout  l'édifice;  son  chapiteau,  orné  de  larges  feuilles  de  vignes  entre- 
mêlées de  grappes  de  raisin ,  donne  naissance  à  une  innombrable 
quantité  de  nervures  accompagnées  de  moulures  prismatiques ,  qui 
tapissent  la  voûte  et  viennent  retomber  sur  huit  consoles  ornées  de 
feuillages.  Six  plinthes,  chargées  chacune, de  deux  rangs  de  feuilles 
de  chou  entre  lesquelles  se  cachent  des  animaux  fantastiques,  sou- 
tiennent douze  niches,  maintenant  vides,  que  couronnent  douze 
dais  de  la  plus  riche  ornementation.  De  nombreux  écussons  aux 
armes  d'Amboise  brillaient  parmi  ces  plinthes  ;  aujourd'hui  ils  sont 
complètement  effacés. 

Une  obscurité ,  qui  porte  au  recueillement,  règne  dans  cette  cha- 
pelle -,  elle  le  doit  aux  nombreux  vitraux  dont  l'a  garnie  M.  Dusom- 
merard  :  les  anciens  avaient  disparu  ;  elle  le  doit  aussi  aux  soins  de 
M.  Lenoir:  il  n'a  pas  oublié  de  fermer  deux  ouvertures  modernes  qui 
faisaient  le  plus  mauvais  effet. 

L'autel ,  on  l'a  vu ,  est  situé  dans  une  abside  en  encorbellement 
sur  la  cour,  et  presque  percée  à  jour.  Cette  abside  est  entière- 


32  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ment  peinte  à  fresque ,  ce  sont  les  seules  peintures  anciennes  qui 
restent  à  l'hôtel  de  Cluny  ;  car  on  ne  peut  donner  ce  nom  aux  croix 
de  consécration  qui  décorent  les  murs  de  ce  môme  oratoire. 

A  droite  et  à  gauche  du  sanctuaire  ,  une  main  fort  habile  a  peint  à 
l'huile  sur  le  mur  deux  saintes  femmes:  Marie  Jacohéet  Marie  Salomé; 
leur  nom  y  est  écrit  en  toutes  lettres  près  du  vase  à  parfum  qui  sert  à 
les  caractériser;  la  douleur  est  empreinte  sur  leur  visage.  Elles  assis- 
tent évidemment  à  l'ensevelissement  du  Christ.  En  effet,  Pigauiol 
nous  dit  encore  ;  «  Devant  l'autel  on  voit  un  groupe  de  quatre  figu- 
<(res  de  grandeur  naturelle,  oii  la  Vierge  est  représentée  tenant  le 
((  corps  de  Jésus-Christ  détaché  de  la  croix  et  couché  sur  ses  genoux.  » 
Puis  il  ajoute  :  «  Ces  figures  sont  d'une  bonne  main  et  très-bien 
.c(  dçssinées  pour  le  temps.  »  Renseignement  précieux  pour  apprécier 
le  mérite  de  cette  sculpture  aujourd'hui  malheureusement  perdue 
pour  jamais.  La  description  de  Piganiol  n'est  pas  complète  ;  selon 
Saint-Victor,  on  y  voyait  encore  Jean  et  Joseph  d'Arimathie.  Nous 
sommes  persuadé  que,  parmi  les  personnages,  Piganiol.  n'a  pas  compté 
Jésus-Christ;  s'il  en  était  ainsi,  le  quatrième  ne  serait  pas  difficile  à 
retrouver,  il  faudrait  y  reconnaître  Marie-Magdeleine,  la  plus  vénérée 
des  saintes  femmes.  Comme  à  cette  époque  la  sculpture  et  la  pein- 
ture s'entr'aidaient  l'une  l'autre ,  cela  expliquerait  comment  le  peintre 
n'a  eu  à  traiter  que  les  figures  de  Marie  Jacobé  et  de  Marie  Salomé. 
'  Ne  nous  étonnons  pas  au  surplus  de  voir  un  sépulcre  dans  la  cha- 
pelle de  Cluny.  Les  sépulcres  étaient  de  mode  à  la  fin  du  XV*  siècle. 
Ils  le  furent  également  pendant  tout  le  XVP. 

Le  chœur,  nous  l'avons  dit,  est  peint  du  haut  en  bas,  depuis  les 
deux  consoles  qui  l'accompagnent  en  recevant  les  retombées  de  la 
voûte  de  la  nef,  et  dont  les  feuilles  de  chou  sont  d'or  et  d'azur,  jus- 
qu'aux montants  des  ogives  que  garnissent  des  arabesques  dans  le 
goût  de  la  renaissance.  Au  milieu  de  ces  arabesques  se  trouve  un 
cartouche  sur  lequel  on  lit  :  CARBON  en  caractères  romains  de  cette 
époque.  Ce  mot,  personne,  que  nous  sachions  du  moins,  ne  l'a  re- 
cueilli ;  c'est  cependant  une  indication  précieuse,  car  c'est  sur  les  car- 
touches qu'au  XVP  siècle  on  gravait  les  dates.  N'est-ce  pas  là  aussi  la 
place  naturelle  que  devait  choisir  un  artiste  pour  y  placer  son  nom? 
Jusqu'ici,  les  artistes  qui  ont  coopéré  à  l'édification  de  l'hôtel  de  Cluny 
ont  été  complètement  ignorés;  voici  le  nom  de  l'un  d'eux  retrouvé, 
espérons  que,  tôt  ou  tard,  une  recherche  patiente  ou  un  heureux  hasard 
nous  apprendra  ceux  des  autres.  Carbon  était  certainement  peintre  ; 
est-ce  lui  qui  a  représenté  les  deux  saintes  femmes?  nous  n'osons  le 


MUSÉE   DES  THERMES   ET   DE    L*HOTEL   DE  CLUNY.  33 

eroire  ;  les  ornements  qui  les  entourent  sont  trop  supérieurs  aux 
arabesques  parmi  lesquelles  Carbon  inscrivait  son  nom;  d'ailleurs, 
les  deux  inscriptions  M.  lACOBI,  MARIA  SALOMI  sont  en  minus- 
cules gothiques. 

La  richesse  de  la  voûte  qui  couronne  l'autel  ne  le  cède  pas  au 
reste  ;  sur  un  fond  bleu  paraît  le  Père  éternel  coiffé  du  trirègne  et 
bénissant  au  milieu  d'un  nuage  ;  au  bas  est  Jésus-Christ  sur  la  croix  ; 
deux  anges  placés  à  ses  côtés  reçoivent  dans  des  calices  son  précieux 
sang,  tandis  que  huit  autres,  chargés  chacun  d'un  ou  de  plusieurs 
instruments  de  la  passion,  semblent  les  offrir  au  Père  éternel.  Une 
légende  en  caractères  gothiques  est  placée  en  bas  de  chacun  d'eux. 
De  chaque  côté  de  la  chapelle,  enfin,  deux  autres  anges,  de  plus 
grande  dimension,  semblent  s'élever  vers  Dieu  le  père  en  priant. 

Cette  chapelle ,  si  curieuse ,  comme  on  voit ,  et  que  cependant  nous 
n'avons  étudiée  qu'avec  une  grande  rapidité ,  cette  chapelle  n'est  pas 
intéressante  sous  le  rapport  de  l'art  seulement;  elle  l'est  aussi  par 
les  souvenirs  qu'elle  rappelle.  C'est  là,  dit-on,  que  François  I"  unit 
Marie  d'Angleterre  et  Charles  Brandon ,  duc  de  Suffolk.  Bayle ,  du 
reste,  est  sur  ce  fait  notre  autorité  la  plus  ancienne.  Bréquigny,  qui 
a  consciencieusement  étudié  la  vie  de  cette  veuve  de  Louis  XII,  ne 
dit  rien  de  tout  cela. 

De  la  chapelle  on  entre  dans  une  salle  connue  depuis  longtemps 
sous  le  nom  de  chambre  de  la  reine  Blanche.  C'est  encore  là,  dit  une 
chronique  citée  par  M.  Dusommerard ,  c'est  là  qu'habitait  la  belle 
Marie,  et  que  François  I",  sacrifiant  son  amour  à  l'ambition  d'un 
trône,  lui  tendit  un  piège,  et  la  surprit  avec  Suffolk.  Bréquigny  avait 
d'avance  encore  démontré  la  fausseté  de  cette  autre  fable  ;  peut-être 
même  serait-il  possible  de  prouver  que  ce  nom  de  chambre  de  la  reine 
Blanche  tient  à  une  tout  autre  cause. 

Il  paraît  certain,  et  des  textes  positifs  l'affirment,  que  les  veuves 
des  rois  de  France  portaient,  au  moyen  âge,  le  nom  de  reines 
blanches;  mais  la  véritable  reine  blanche,  Blanche  de  Castille,  la 
mère  de  saint  Louis ,  est  bien  la  seule  que  le  peuple  connaisse.  Le 
peuple,  qui  ne  lit  ni  les  histoires  ni  les  chroniques,  n'oublie  cepen- 
dant point  ces  grandes  et  nobles  figures  qui  dominent  tout  un  siècle. 
Répétés  de  bouche  en  bouche,  leurs  noms  se  transmettent  de  généra- 
tion en  génération ,  et  finissent  par  se  confondre  avec  les  mystères  et 
les  croyances  populaires.  D'un  autre  côté,  le  nouveau  venu  dans  la 
vie  ne  passe  point  devant  un  édifice  bâti  par  ses  aïeux  sans  être  frappé 
de  la  différence  que  cet  édifice  présente  avec  ceux  qui  s'élèvent;  il 
1.  3 


34  PEVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

consulte  les  vieillards  ;  ceux-ci  dans  leur  jeunesse  ont  éprouvé  la  mênoe 
impression;  ils  n'ont  connu  ni  le  prenjier  propriétaire  ni  l'architecte, 
mais  ils  se  rappellent  confusément  la  tradition  vulgaire  et  hasardent 
une  conjecture;  cette  conjecture  le  jeune  homme  l'adopte,  puis  il  la 
reproduit  comme  une  certitude.  C'est  pour  cette  raison  que ,  dans  la 
Normandie  et  dans  le  Poitou,  tout  est  attribué  aux  Anglais,  dans  le 
midi  tout  aux  Sarrasins,  dans  le  Maine,  dans  l'Anjou,  la  Touraine,  tout 
à  la  reine  Bérangère,  à  Foulques  Nerra,  à  Thibault  le  Tricheur;  dans 
la  France  entière ,  tout  à  César,  aux  fées ,  aux  chevaliers  du  Temple. 
La  reine  Blanche  et  la  belle  Gabrielle  sont  les  héros  favoris  des 
Parisiens;  chaque  village,  chaque  ancien  quartier  de  la  ville  possède 
une  ou  plusieurs  piaisons  qu'on  donne  à  ces  deux  femmes  célèbres , 
et  il  se  trouve  presque  toujours,  comme  à  Bagneux  et  à  Bourg-la- 
Reine ,  par  exemple ,  que  c'est  le  même  édifice  que  le  peuple  veut 
désigner.  Des  érudits ,  qui  ne  comprenaient  rien  au  génie  de  la  tra- 
dition et  voulaient  tout  expliquer,  se  sont  évertués  pour  trouver  des 
reines  douairières  à  chacune  de  ces  maisons.  Et  ils  en  ont  découvert 
même  pour  l'hôtel  de  la  Trémouille,  même  pour  l'hôtel  de  Sens. 
Pourtant,  ne  leur  en  déplaise,  le  peuple,  lorsqu'il  prononce  le  nom 
de  la  reine  Blanche ,  ne  veut  pas  parler  d'une  autre  Blanche  que  de  la 
mère  de  saint  Louis.  C'est  bien  celle  qu'a  chantée  Villon,  cet  enfant  du 
peuple,  lorsque,  dans  sa  gracieuse  ballade  des  iVei^esd'an^an,  il  s'écrie  : 

Mais  où  est  ceste  blanche  reine 
Qui  chantoit  à  voie  de  sereiqe. 

Autant  vaudrait  dire  que,  sous  le  nom  d'Hercule,  des  Cyclopés ,  de 
Dédale ,  le  peuple  de  la  Grèce  entendait  autre  chose  que  le  vainqueur 
de  l'hydre ,  les  compagnons  de  Vulcain ,  ou  l'inventeur  du  taureau  de 
Pasiphaé. 

Pour  nous,  nous  croirons  que  la  chambre  où  nous  entrons,  la 
chambre  de  la  reine  Blanche,  est  bien,  dans  l'esprit  de  celui  qui  l'a  le 
premier  désignée  ainsi ,  celle  où  Blanche  de  Castille  a  demeuré.  Cette 
désignation ,  elle  la  doit  sans  doute  à  la  richesse  de  son  ornementa- 
tion primitive.  C'était  probablement  l'appartement  le  mieux  décoré 
de  tout  l'hôtel.  En  effet,  lorsqu'on  arracha  des  murs  des  tapisseries  que 
M.  Dusommerard  y  avait  tendues ,  on  y  découvrit  quelques  traces  de 
peintures  dans  le  goût  des  arabesques  antiques ,  imitées  par  Raphaël 
dans  la  Loge  du  Vatican. 

Malheureusement  le  temps  les  avait  presque  détruites  ;  il  n'existait 
plus  sur  ce  mur  qu'une  légère  silhouette.  M.  Albert  Lenoir  l'a  pré- 
cieusement calquée;  grâce  à  son  obligeance,  nous  pouvons  donner 


MUSÉE   DES  THERMES    ET  DE   L'HOTEL  DE   CLUNY.  35 

ici  ce  qu'il  a  vu.  Une  peinture  dans  le  goût  antique  exécutée   au 


XVP  siècle  est  sans  doute  en  France  quelque  chose  de  précieux. 
Peut-être  comme  celle-ci  se  trouvait  dans  un  Musée ,  aurait-il  été 


bien  de  la  conserver  telle  quelle,  et  malgré  sa  dégradation.  Il  en  a  été 
auta^ement  décidé;  ces  fresques  ont  été  repeintes  absolument  dans  le 
même  style.  Le  goût  des  hommes  qui  ont  présidé  à  la  restauration  de 
l'hôtel  de  Cluny  nous  est  garant  qu'il  était  difficile  de  faire  autre  chose 
que  ce  qu'ils  ont  fait. 

La  chambre  de  la  reine  Blanche  communique  avec  le  jardin  par 
un  petit  escalier  en  vis  situé  dans  un  angle  ;  avec  le  principal  corps  de 
logis  par  une  porte  qui  permet  l'accès  de  deux  vastes  pièces  et  d'une 
longue  galerie  par  laquelle  on  se  rendait  jadis  dans  un  jardin  situé  sur 
les  ruines  des  Thermes.  Çà  et  là,  dans  l'hôtel,  on  remarque  des  dé- 
bris de  vieux  murs  romains.  Toutes  ces  pièces,  ainsi  que  celles  du 
bas,  seraient  complètement  dénudées,  si  M.  Dusommerard  ne  les 
avait  pas  splendidement  décorées  de  sa  riche  collection.  Traversons- 
les  vite  pour  nous  trouver  dans  la  cour  principale ,  celle  qui  fait  face  à 
la  rue  des  Mathurins. 

Au  nord,  à  l'est,  à  l'ouest,  elle  est  bordée  par  les  bâtiments  de 
l'hôtel  ;  au  midi,  un  mur  la  sépare  de  la  voie  publique  jusqu'à  la  porte 
d'entrée;  puis,  sur  la  même  ligne,  s'élève  une  construction  peu  im- 


36  '  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

portante,  qui  va  rejoindre  le  corps  de  logis  de  l'ouest.  Ce  mur  est  tout 
à  fait  nu  ;  cependant  il  faut  y  remarquer  un  grand  cercle  de  9  mètres 
de  circonférence  qui  s'y  dessine  en  rouge.  C'est  le  contour  de  Georges 
d'Amhoise,  la  grosse  cloche  de  la  tour  de  Beurre  à  la  cathédrale  de 
Rouen,  cloche  qui  pesait  37  360  livres  y  compris  son  battant,  et  qui 
exigeait  le  concours  de  seize  hommes  pour  être  mise  en  branle.  C'est 
de  l'hôtel  que  le  cardinal-archevêque  l'avait,  dit-on,  fait  jeter  en  moule. 
Aujourd'hui ,  nous  oublions  les  cloches  aux  sommets  des  clochers. 
Autrefois  il  n'en  était  pas  sans  doute  ainsi,  puisqu'elles  ont  inspiré 
Jeanne  d'Arc,  donné  un  proverbe  aux  buveurs  (l),  prédit  la  rhairie  de 
Londres  à  Witington ,  débité  une  foule  d'oracles  précieux  à  Panurge. 
Certes ,  les  cloches  méritaient  bien  alors  d'être  pourtraites.  Ne  nous 
étonnons  donc  pas,  si  le  ministre  de  Louis  XJI  a  voulu  laisser 
à  la  postérité  le  souvenir  de  celle  qu'il  avait  fondue.  Un  habitant 
d'Arcueil  s'est  bien  rendu  jusqu'en  Espagne  à  Compostelle ,  afin  d'y 
prendre  le  contour  de  la  cloche  de  l'église  de  Saint-Jacques,  et  la 
faire  graver  sur  les  murs  de  sa  paroisse.  Cependant,  qui  le  croirait, 
des  Parisiens  et  des  habitants  d'Arcueil  reprochent  à  leurs  voisins  de 
Bagneux  d'avoir  sacrifié  leurs  fontaines  pour  une  b^ne  sonnerie;  et 
ils  leur  jettent  sans  cesse  à  la  face  ce  dicton  populaire  :  Ce  sont  les 
fols  de  Bagneux  qui  ont  vendu  leurs  eaux  pour  avoir  du  son. 

Nous  sommes  dans  la  cour  d'honneur  ;  aussi  les  bâtiments  de  l'hô- 
tel y  sont-ils  ornementés  avec  plus  de  soin.  C'est  bien  toujours  la 
même  ordonnance;  rez-de-chaussée,  premier  étage ,  ^ato^ ;  les  fe- 
nêtres du  corps  de  logis  sont  toujours  encadrées  dans  des  moulures 
prismatiques ,  celles  du  galetas  sont  conçues  dans  le  même  système 
que  les  autres ,  elles  ont  chacune  un  fronton  aigu  qui  portait  autre- 
fois les  armoiries  de  l'abbé;  mais  elles  sont  plus  chargées  d'orne- 
ments et  en  outre  la  plate-bande  de  l'entablement  est  sculptée  avec 
grand  soin  dans  le  goût  gothique;  c'est  encore  un  enroulement  con- 
tinuel de  feuillages  et  d'animaux  fantastiques  qui  se  prolonge  d'un 
bout  à  l'autre  de  l'édifice  ;  enfin  une  curieuse  balustrade  oii  les  mou- 
lures prismatiques  du  gothique  expirant  sont  aux  prises  avec  les  gra- 
cieuses créations  de  la  renaissance  forme  une  galerie  qui  règne  tout 
le  long  des  toits.  Nous  devons  à  la  restauration  moderne  l'entière  con- 
naissance de  ce  beau  détail,  naguère  noyé  dans  le  plâtre.  Comme 
dans  tous  les  hôtels  et  maisons  seigneuriales  construites  à  cette  épo- 
que, l'escalier  se  trouve  contenu  dans  une  cage  de  forme  octogone 
placée  à  l'extérieur  du  corps  de  logis.  Cette  tourelle,  qu'une  plus  petite 

(1)  Boire  à  tire  la  RigauU.  La  Rigault  était  à  Rouen  la  compagne  de  George 
d'Amboisێ 


MUSEE   DES  THERMES   ET   DE   LHOTEL   DE   CLUNY. 


37 


accompagne ,  reçoit  le  jour  par  des  fenêtres  à  linteau  légèrement 
ëpannelé  et  surmonté  d'ogives  en  accolades.  Ces  petites  fenêtres  ne 
manquent  pas  d'une  certaine  grâce  non  plus  que  la  tour,  sur  les  parois 
de  laquelle  les  emblèmes  de  Jacques  se  montrent  encore  ;  heureuse- 
ment ils  ont  été  sculptés,  et,  malgré  leur  dégradation,  on  distingue 
au  milieu  des  bourdons  et  des  coquilles  quelques  lettres  tracées  sur 
des  banderoles;  restes  des  devises  adoptées  par  Jacques.  Disons-le  à 
sa  louange,  elles  sont  toutes  pieuses  :  c'est  d'abord  le  verset  16  de 

l'Ecclésiastique  :  INITIVM  SAPI MOR  DOML.  [initium  sa- 

piendœ  timor  Dommi).  Puis  d'autres  sentences  que  leur  état  de  dé- 
gradation nous  a  empêché  de  bien  comprendre.  Nous  les  donnons 
telles  que  nous  les  avons  vues  :  on  lit  d'abord  TIMES....,  puis  en 
différents  endroits  quelques  mots  qui  semblent  se  rapporter  à  une 
même  phrase  :  SERVAS  MANDATA.... 
REG....  EST....  dont  nous  ignorons  le 
véritable  sens. 

Nous  ne  dirons  rien  du  bâtiment  de 
l'est,  ce  serait  nous  répéter  d'une  ma- 
nière fastidieuse ,  car  pour  les  ornements 
et  les  dispositions  générales  c'est  tou- 
jours à  peu  près  la  même  chose.  Celui  de 
l'ouest  au  contraire  offre  à  l'œil  un  nou- 
veau spectacle.  Là,  quatre  arcades  ogi- 
vales flanquées  de  contre-forts  à  cloche- 
tons élégants ,  ornés  de  feuilles  frisées  et 
de  moulures  profondément  refouillées, 
présentent  une  disposition  particulière, 
enfin  la  seule  fenêtre  du  galetas  qu'on 
y  ait  sculptée  est  un  véritable  bijou  du 
style  de  la  renaissance.  On  dirait  un  défi 
lancé  par  les  romantiques  de  l'époque  aux 
partisans  de  l'ancienne  routine ,  de  l'ar- 
chitecture nouvelle  qui  s'introduisait  en 
France  à  la  vieille  architecture  nationale. 
Cependant  là  il  y  a  éclectisme  :  au  mo- 
ment oii  l'on  reconnaît  les  oves  et  les  tor- 
sades antiques,  tout  à  coup  les  figures 
géométriques  et  angulaires  reparaissent; 
c'est  le  gothique  revêtu  de  nouvelles 
moulures,  et  l'essence  des  deux  écoles 


38  ilEVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

est  tellement  confondue  qu'on  ne  sait  comment  les  distinguer. 
Qu'on  nous  pardonne  cette  longue  description,  si  loin  cependant 
d'être  complète;  et  après  s'être  arrêté  un  instant  devant  la  porte 
d'entrée  qu'un  pignon  découpé  à  jour  et  détruit  il  y  a  quelque  vingt- 
cinq  ans  rendait  digne  autrefois  du  somptueux  édifice,  qu'on  veuille 
bien  nous  suivre  encore  au  palais  des  Thermes,  pour  apprécier  une  à 
Une  les  richesses  dont  le  Musée  a  été  doté,  et  queM.  E.  Dusommerard, 
guidé  par  les  conseils  de  la  Commission,  a  disposé  avec  tant  de  goût. 
Pourtant,  si  le  temps  et  l'espace  ne  nous  pressaient,  bien  des  choses 
nous  resteraient  encore  à  étudier  ï  témoin  ces  admirables  cheminées 


en  bfiques  et  en  pierre  qui  surmontent  l'édifice,  et  qui,  sans  celle  du 
Palais-de- Justice,  seraient  les  plus  anciennes  de  Paris.  Aujourd'hui  les 
cheminées  font  le  désespoir  des  architectes;  au  moyen  âge  et  à  la  re- 
naissance, c'était  l'occasion  pour  eux  de  faire  éclore  de  nouveaux 
chefs-d'œuvre.  En  voyant  les  cheminées  deChambord  ou  de  l'hôtel  de 
Cluny  on  ne  s'étonne  plus  qu'un  poëte  du  XIV*^  siècle,  l'auteur  du 
roman  de  Berthe  aus  grans  pies,  le  roi  Adenès ,  ait  classé  les  chemi- 
nées de  son  temps  parmi  les  merveilles  de  Paris,  cette  ville  que  sous 
Philippe  le  Bel ,  comme  sous  Henri  IV,  on  pouvait  déjà  nommer 
Paris  la  grand' ville. 


La  darae  est  à  Montmartre,  s'esgarda  la  vallée, 
VIst  la  cist  de  Paris  qui  est  longue  et  lée  , 
Mainte  tour ,  mainte  salle  et  mainte  cheminée. 


A.». 


VOYAGES  ET  RECHERCHES  ARCHÉOLOGIQUES 

DE  M.   LEBAS,   MEMBRE  DE  l'INSTITUT  , 

EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE, 

PENDANT  LES  ANNÉES  1845  ET   1844. 


RAPPORTS  A  M.  LE  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE. 


M.  Villemain,  ministre  de  l'instruction  publique,  qui  a  déjà  donné 
tant  de  preuves  de  son  intérêt  éclairé  pour  le  progrès  de  toutes  les 
hautes  connaissances  et  de  l'archéologie  en  particulier,  a  chargé,  il  y 
a  quinze  mois ,  M.  Lebas ,  membre  de  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres,  d'aller  explorer  la  Grèce,  ses  îles  et  l'Asie  Mineure, 
afin  d'y  rechercher  et  d'y  copier  les  inscriptions  antiques  dont  ces  terres 
classiques  par  excellence ,  mieux  interrogées  chaque  jour,  n'ont  pas 
cessé  d'enrichir  l'histoire  et  la  philologie.  M.  Lebas,  si  bien  préparé 
par  ses  travaux  épigraphiques  antérieurs  à  cette  belle  et  laborieuse 
mission ,  continue  de  s'en  acquitter  avec  un  zèle  infatigable,  avec  un 
succès  croissant.  C'est  ce  dont  témoignent  les  rapports  nombreux, 
étendus,  pleins  de  faits  et  de  résultats  nouveaux,  qu'il  adresse  à 
M.  le  ministre,  qui  sont  communiqués  successivement  à  l'Académie 
par  ses  ordres,  et  que  M.  Villemain  a  voulu,  dès  à  présent,  porter  à 
la  connaissance  du  public  en  nous  autorisant  à  les  imprimer  dans 
notre  recueil.  En  lisant  les  récits  du  savant  voyageur,  en  parcourant 
avec  lui  ces  lieux  célèbres  qu'il  a  visités  après  tant  d'autres,  on  sera 
frappé  de  tout  ce  que  ses  consciencieuses  recherches  doivent  ajouter 
de  lumières  nouvelles  à  ce  que  l'on  savait  sur  l'état  ancien  de  ces  pays^ 
stir  la  géographie  comparée ,  sur  les  monuments  des  diverses  époques, 
sur  les  institutions,  les  mœurs,  les  usages  publics  et  privés  des 
peuples  et  des  villes ,  quelquefois  même  sur  des  faits  ou  des  événe- 
ments qui  intéressent  l'histoire  générale  de  l'antiquité.  Une  part  bien 
légitime  de  l'honneur  de  ces  travaux  et  de  ces  découvertes  revient  à 
l'homme  d'État  éminent,  au  savant  et  habile  ministre  qui  en  est  le 
promoteur  si  actif,  et  qui ,  tout  en  soutenant  avec  courage  et  talent 
les  droits  de  l'Etat  et  ceux  de  la  raison  dans  les  questions  politiques 
dti  jour,  n'en  suit  pas  avec  moins  d'attention  les  progrès  de  la  science, 
n'en  seconde  pas  avec  tnoins  d'ardeur  ses  intérêts  qui  sont  ceux  de 


40  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

tous  les  temps.  A  peine  M.  Minoïde  Mynas  était-il  de  retour  de  la 
terre  classique  de  Grèce,  en  même  temps  sa  terre  natale,  avec  une 
riche  moisson  de  manuscrits,  dont  quelques-uns  seront  bientôt  pu- 
bliés, que  M.  Lebas  partait  pour  les  mêmes  contrées  afin  d'y  recueillir 
les  inscriptions,  et  que  M.  Flandin  allait,  sous  la  même  et  féconde 
influence ,  mettre  son  crayon  exercé  au  service  de  M.  Botta ,  notre 
consul  à  Mossoul,  et  coopérer  avec  lui  à  l'exhumation  inespérée  des 
monuments  de  l'antique  civilisation  assyrienne  de  Ninive,  sur  lesquels 
nous  aurons  bientôt  à  appeler  l'admiration  de  nos  lecteurs. 


PREMIER  RAPPORT  : 

ATHÈNBS,  léLKDSIS,  EXCURSION  AU  SUNIUM  PAR  LA  CÔTE  DU  GOLFE  SARONIQUE ,  ET,  EN 
REMONTANT  PAR  LA  CÔTE  E.,  A  MARATHON,  RHAMNUNTf: ,  ETC.)  CÉPHISSIA  ET  LES 
MONUMENTS  D'HÉRODE  ATTICUS  ;   INSCRIPTIONS  DIVERSES, 

Monsieur  le  mimstre, 

Chargé  par  vous  de  recueillir  en  Grèce  tous  les  monuments  épi- 
graphiques  restés  inconnus  jusqu'à  ce  jour,  et  de  prendre  des  copies 
exactes  de  celles  des  inscriptions  qui  ont  été  déjà  publiées ,  je  viens , 
après  environ  six  mois  d'absence,,  aujourd'hui,  pour  la  première  fois , 
vous  rendre  compte  de  mes  travaux.  Ce  retard ,  est-il  bien  nécessaire 
de  le  dire,  n'a  eu  d'autre  cause  que  le  vif  désir  de  vous  présenter  des 
résultats  dignes  de  fixer  l'attention  du  monde  savant  ;  aucun  effort , 
aucune  fatigue  ne  m'a  coûté  pour  atteindre  ce  but  et  justifier  l'ho- 
norable preuve  de  confiance  que  vous  m'avez  donnée.  Vous  jugerez , 
monsieur  le  ministre ,  si  je  puis  me  flatter  d'y  être  parvenu. 

Un  voyage  dans  l'ancien  monde  hellénique  devait  nécessairement 
me  conduire  à  Marseille:  je  m'y  suis  arrêté  deux  jours,  mais  je  n'y 
ai  retrouvé  aucune  trace  de  l'époque  phocéenne.  Tout  a  disparu ,  si 
ce  n'est  quelques  mots  qui  survivent  dans  le  langage  du  peuple,  et 
encore  tendent-ils  chaque  jour  à  s'effacer.  Le  Musée,  dit-on,  contient 
quelques  inscriptions  et  quelques  sculptures,  mais  j'ai  vainement  de- 
mandé à  les  visiter  ;  mon  titre  de  membre  de  l'Institut  voyageant  avec 
une  mission  scientifique  n'a  rien  pu  contre  la  rigueur  d'un  règlement 
dont  le  conservateur  a  beaucoup  plus  à  se  louer  que  les  amateurs 
des  beaux-arts.  Le  même  motif  qui  m'a  retenu  deux  jours  à  Marseille, 
m'en  a  fait  passer  dix  à  Naples.  J'ai  revu  les  Stadj,  Pompeii,  Sorrenle, 
où.  tout  est  encore  grec,  le  costume,  la  coiffure  des  femmes,  et  même 


VOYAGES  EN  GRÈCE   ET  EN   ASIE   MINEURE,  4l 

quelques  noms  propres,  notamment  celui  de  mon  guide  Vincenzo  Acan- 
foro,  altération  manifeste  de  Ay,<xvBo(f6poç.  J'ai  revu  aussi  les  doctes 
membres  de  l'Académie  d'Herculanum ,  MM.  Gervasio ,  Quaranta , 
Guarini  et  Avellino.  Ce  dernier  venait  de  commencer  la  publication 
d'un  bulletin  archéologique  destiné  à  mettre  en  lumière  les  décou- 
vertes que  l'on  fait  chaque  jour  dans  le  royaume  des  Deux-Siciles. 
Comme  ce  journal  ne  peut  manquer  d'être  parvenu  à  Paris ,  je  crois 
devoir  me  dispenser  de  vous  entretenir  et  de  la  découverte  assez  ré- 
cente d'un  temple  et  d'une  charmante  statue  aujourd'hui  en  la  pos- 
session de  M.  le  duc  de  Montebello ,  et  de  celle  d'une  inscription 
longtemps  perdue  et  enfin  retrouvée,  laquelle  fait  connaître  le  nom 
de  l'une  des  anciennes  phratries  de  Néapolis,  les  Théotades  (Secùza^at). 
A  Malte  peu  de  monuments  rappellent  l'antique  MélUé,  La  plu- 
part des  inscriptions  qu'on  voit  dans  la  bibliothèque  proviennent  de  la 
Grèce,  et  particulièrement  d'Athènes.  A  Syros,  où  nous  avons  en- 
suite relâché,  un  assez  grand  nombre  des  inscriptions  du  Musée  public, 
confié  aux  soins  intelligents  de  M.  Valetta ,  ont  été  apportées  de  Délos  ; 
mais  plusieurs  proviennent  de  l'île  même,  notamment  une  inscription 
assez  longue,  mais  malheureusement  fort  mutilée  et  restée  inédite 
par  ce  motif.  Ce  monument,  un  autre  encore  publié  par  M.  Ross,  et 
un  troisième  que  j'ai  copié  à  Athènes,  chez  M.  Gasperi,  ancien  con- 
sul de  France,  m'offriront,  je  l'espère,  assez  de  renseignements  pour 
tenter,  à  l'égard  de  l'île  de  Syros,  un  travail  de  restitution  historique 
dans  le  genre  de  celui  que  j'ai  publié  sur  Égine.  Retenu  à  Syra  par 
le  mauvais  temps,  j'ai  mis  à  profit  ce  séjour  forcé  en  transcrivant 
tous  les  monuments  écrits  conservés  dans  le- Musée ,  à  l'église  princi- 
pale, et  dans  quelques  demeures  particulières,  au  nombre  de  trente 
environ.  J'ai  même  eu  la  satisfaction  de  déchiffrer  dans  l'une  de  mes 
excursions  une  inscription  métrique  restée  inédite  jusqu'à  ce  jour, 
par  la  raison  très-simple  que  les  caractères  en  sont  très-fins ,  et  que 
la  plus  grande  partie  de  la  stèle  oii  elle  est  gravée  était  encastrée  dans 
une  sorte  de  fronton  rustique  qui  surmontait  la  porte  d'un  jardin,  à 
quelque  distance  de  la  ville.  Je  vous  la  transmets  ici  en  caractères 
courants  : 

Eo-6)^ôv  Tïj^'  lzpr}(x.  xat  eyo-sêvj  à|:zçpixa).ii7rTSt 

XGwv  ïj^s  K'kziroffôôvxx  tôv  EpacnaBévox)' 
It-hl-ov  S'  ecTYjo-sç ,  crû  Tzxrip ,  stti  <7riy.a.Ti  rriv^e* 

Aù^oOffa  f-hpi-tiv  Trarpôç  zb^lzri  ypxfri. 

Cette  petite  pièce  n'a  guère  de  remarquable  que  le  mètre  dans 


42  REVUE  Archéologique. 

lequel  elle  est  écrite.  En  effet ,  le  deuxième  vers  de  chaque  distique 
est,  non  pas,  suivant  l'usage  le  plus  commun,  un  pentamètre  dacty- 
lique,  mais  un  iambique  trimètre.  Du  reste  l'ellipse  qu'offre  le  qua- 
trième vers  a  quelque  chose  d'assez  choquant,  et  le  génitif  Épao-io-Gevou 
dénote  une  époque  oii  l'on  avait  déjà  commencé  à  ne  plus  respecter 
les  formes  consacrées  par  les  bons  auteurs. 

A  peine  débarqué  au  Pirée,  je  dus  à  l'obligeance  d'un  compatriote, 
M.  Léon  Badin,  capitaine  du  port,  la  satisfaction  de  transcrire  un 
monument  inédit.  C'était  Un  début  de  bon  augure.  Mais  Athènes  me 
réservait  de  plus  importants  travaux  ;  les  trois  Musées  improvisés  aux 
Propylées ,  au  temple  de  Thésée  et  au  portiqtie  d'Adrien  renferment 
eux  seuls  près  de  dix-huit  cents  inscriptions;  si  l'on  y  ajoute  celles  qui 
sont  contenues  dans  l'enceinte  et  dans  les  dépôts  de  l'acropole,  celles 
qu'on  trouve  éparses  dans  les  églises ,  devant  les  demeures  des  habi- 
tants ,  dans  quelques  collections  particulières  telles  que  celles  de 
M.  le  chevalier  Prokesch  d'Osten,  ministre  plénipotentiaire  d'Au- 
triche; de  M*  Finlay,  l'un  des  plus  anciens  philhellènes  anglais;  de 
M.  Gasperi,  dont  j'ai  déjà  eu  occasion  de  parler  plus  haut;  de 
M.  Kontostavlos  près  du  Pirée ,  le  chiffre  ne  s'éloignera  guère  de 
deux  mille  quatre  cents,  c'est-à-dire  du  chiffre  auquel  s'élèvent  les 
quatre  premiers  cahiers  du  Corpus  inscripûonam  grœcarum,  publié  par 
M.  Boeckh.  J'ai  tout  estampé  avec  le  soin  le  plus  religieux,  et  copié 
ensuite,  quand  il  y  avait  lieu,  avec  la  plus  scrupuleuse  exactitude,  et 
deux  mois  ont  suffi  à  cette  tâche,  grâce  à  la  bienveillance  avec  la- 
quelle le  roi  des  Grecs  s'est  plu  à  favoriser  mes  travaux,  et  à  l'empres- 
sement de  ses  ministres,  MM.Rizo  et  Christidès,  à  me  donner  toutes 
les  autorisations  et  les  facilités  nécessaires.  Vous  comprendrez,  mon- 
sieur le  ministre,  que  j'ai  copié  sans  pouvoir  m'arrêtersur  aucun  de 
ces  monuments,  sans  même  m'attacher  à  rechercher  quels  sont  ceux 
d'entre  eux  qui  sont  déjà  publiés  et  ceux  qui  sont  inédits;  mais  je  suis 
fondé  à  croire  qu'un  assez  grand  nombre  de  ces  matériaux,  le  tiers 
au  moms,  n'a  pas  encore  vu  le  jour.  En  effet,  les  inscriptions  de 
l'Attique  dans  le  Corpus  occupent  mille  quarante-neuf  numéros  dont 
la  plupart  figurent  aujourd'hui  dans  les  Musées  de  la  France,  de 
l'Angleterre  et  de  l'Italie,  etc. ,  dont  quelques  autres  ont  disparu  et 
dont  par  conséquent  un  très-petit  nombre ,  cent  cinquante  à  peine , 
se  trouve  encore  sur  le  lieu  de  la  provenance.  Si  à  ces  cent  cinquante 
nous  ajoutons  les  huit  cents  environ  publiées  par  M.  Pittakis  dans  le 
Journal  archéologique  d'Athènes ,  et  cent  environ  insérées  jusqu'ici 
par  M.  Rizo  Rangabé  ^  dans  ses  Antiquités  helléniques ,  deux  cents 


VOYAGES  EN  GliÈCË  Et  ÉJV  k^tt  iVIINEURE.  4â 

autres  que  M.  Ross  va  publier  dans  le  troisième  cahier  de  son  re- 
cueil ,  et  qui  sont  particulièrement  relatives  aux  dèmes  de  l'Attique , 
-et  quelques  autres  encore  qui  ont  été  l'objet  de  travaux  spéciaux  en 
Europe,  comme  par  exemple  l'inscription  d'Êgine,  dont  je  me  suïs 
occupé  et  qu'on  voit  aujourd'hui  au  temple  de  Thésée,  on  peut  sans 
exagération  affirmer  que  des  deUx  mille  quatre  cents  inscriptions  exis- 
tant aujourd'hui  à  Athènes,  mille  au  moins  sont  encore  inédites. 
Dans  ce  nombre  se  trouvent  comprises  sans  doute  beaucoup  d'inscrip- 
tions funéraires  qui  n'offrent  que  des  noms  propres  et  des  noms  de  lieux  \ 
mais  il  en  est  d'autres  d'un  intérêt  plus  réel ,  des  décrets ,  des  catalo- 
gues, desépitaphesen  vers,  etc.  >  et  qui,  je  l'espère,  combleront  plus 
d'une  lacune  historique  ou  ajouteront  encore  à  nos  conMissances  sur 
l'organisation  politique  et  religieuse  d'Athènes,  et  sur  la  vie  intérieure 
des  Grecs.  Il  faut  d'ailleurs  bien  se  garder  de  croire  que  les  huit  cents 
monuments  du  Journal  archéologique  aient  été  l'objet  d'un  travail 
suffisant  et  soient  expliqués  de  manière  à  ne  plus  rien  laisser  à  faire 
aux  archéologues.  M.  Pittakis  est  un  homme  plein  de  zèle,  animé  du 
plus  ardent  amour  pour  les  antiquités  de  sa  patrie,  et  ayant  constam- 
ment» même  dans  les  temps  les  plus  difficiles,  veillé  à  leur  conser- 
vation avec  une  activité  digne  des  plus  grands  éloges  ;  mais  M.  Pit- 
takis n'est  pas  ce  qu'on  peut  appeler  un  savant;  ses  connaissances 
historiques  ont  peu  d'étendue  ;  il  a  plus  d'instinct  que  de  science 
réelle  ;  la  critique  verbale  lui  est  complètement  inconnue,  et  ses  res- 
titutions, comme  ses  interprétations,  laissent  souvent  beaucoup  à 
désirer.  M.  Rizo  Rangabé  lui-même,  qui  a  plus  d'érudition  que 
M.  Pittakis,  ce  qu'il  a  prouvé  dans  plusieurs  dissertations  sur  les 
comptes  du  trésor  d'Athènes  (l),  a  la  modestie  de  reconnaître  qu'il 
est  loin  d'avoir  tout  dit  sur  les  questions  qu'il  a  traitées.  Quoi  qu'il  en 
soit ,  il  sera  utile  de  posséder  à  Paris  un  fac-similé  des  monuments 
qui  peuvent  encore  appeler  l'attention  des  critiques,  tels  que  ceux 
qui  sont  relatifs  au  trésor  de  l'acropole»  aux  tributs  des  alliés,  à  la 
marine  d'Athènes ,  etc. ,  et  les  érudits  français  vous  devront  cet  im- 
portant service. 

C'est  au  procédé  de  l'estampage  que  je  dois  d'avoir  pu  faire  en  deux 
mois  ce  qui  en  eût  réclamé  au  moins  quatre  s'il  eût  tout  fallu  trans- 
crire. Ce  procédé ,  je  l'ai  également  appliqué  à  un  certain  nombre  de 

(1)  M.  Rangabé  prépare  en  ce  moment  une  édition  des  marbres  récemment  décou- 
verts, où  se  trouvent  inscrits  année  par  année,  pendant  un  espace  d'environ  dix- 
huit  ans ,  les  noms  des  alliés  d'Athènes  et  le  montant  des  tributs  qu'ils  payaient  à 
letir  ambitieuse  protectrice. 


44  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

bas-reliefs ,  et  ce  seront  encore  autant  de  ressources  nouvelles  dont 
les  antiquaires  vous  seront  redevables. 

Cette  tâche  accomplie,  il  fallait,  comme  complément  indispen- 
sable, s'occuper  de  l'Attique.  M.  le  général  Prokesch  d'Osten,  dont 
le  deuxième  nom  est  une  récompense  décernée  par  le  gouvernement 
autrichien  à  d'importants  écrits  sur  l'Orient,  et  notamment  à  un 
voyage  très-remarquable  en  Egypte  et  en  Nubie ,  qui  se  délasse  de  ses 
occupations  diplomatiques  en  se  livrant  à  l'étude  des  antiquités  et 
surtout  de  la  numismatique ,  m'a  offert  de  me  servir  de  guide  dans 
celte  excursion  ,  et  vous  devez  penser,  monsieur  le  ministre,  que  j'ai 
accueilli  avec  empressement  une  offre  aussi  aimable  et  aussi  utile. 
C'était  profiter  de  l'expérience  d'un  archéologue  habile  et  apprendre 
sous  un  maître  exercé  l'art  assez  difficile  de  voyager  dans  un  pays  qui 
n'a  pas  de  routes  et  qui  n'offre  encore  que  de  très-insuffisantes  res- 
sources. Une  première  excursion  a  été  consacrée  à  Eleusis.  Nous 
avons  visité  successivement  le  monastère  de  Daphné ,  qui ,  comme  le 
croit  avec  fondement  M.  Buchon,  d'après  des  sarcophages  portant 
des  armoiries  fleurdelisées,  dut  être,  à  l'époque  de  la  domination 
française,  le  lieu  de  sépulture,  le  Saint-Denis  des  ducs  d'Athènes. 
De  là,  en  suivant  les  traces  de  l'antique  voie  Sacrée,  nous  avons  visité 
le  rocher  consacré  à  Vénus,  à  l'entrée  de  la  vallée  d'Eleusis,  et  sur  le- 
quel on  voit  encore  quelques  niches  destinées  à  recevoir  les  dvaQ'nixoczx , 
comme  l'atteste  cette  inscription  gravée  au-dessous  de  l'une  d'elles 
dans  la  pierre  vive  : 

EYANAPIAAO 

POAITEIEYIAM 

ENHANEOHKE 

Et  cette  autre  : 

O1AHA0POA1TH 

Là  se  lisent  encore  ces  deux  lignes  : 

GMNH20HenArAon 

nY00NIKH2MAAIK02 

touchant  souvenir  d'un  frère ,  d'un  époux,  d'un  père  ou  d'un  amant, 
dont  M.  Franz ,  dans  ses  Elementa  epigrapUces  gmcœ,  a  cité  plu- 
sieurs exemples  empruntés  au  Corpus  inscr,  gr,  et  à  la  dissertation 
de  M.  Letronne  sur  la  statue  vocale  de  Memnon.  Vous  le  voyez , 
monsieur  le  ministre ,  l'usage  d'écrire  son  nom  sur  les  murs  des 
lieux  que  l'on  visite  ou  que  l'on  habite  temporairement  ne  date  pas 


VOYAGES   EN    GRECE    ET   EN   ASIE   MINEURE.  45 

d'hier.  Les  murs  des  Propylées  en  offrent  plus  d'une  preuve.  Je  n'en 
citerai  qu'une  seule  : 

OIAGAKPOOYAAKeC 
nPIMOC 

enAFAOïnN 

ePMHC 
Avant  d'arriver  à  Eleusis  nous  nous  sommes  arrêtés  pour  exarai  - 
lier  sur  la  droite  de  la  route  les  débris  d'un  tombeau  en  marbre  blanc 
destiné  à  la  famille  d'un  certain  Straton,  comme  l'atteste  l'inscription 
suivante ,  en  beaux  caractères  de  l'époque  romaine ,  déjà  publiée  par 
le  colonel  Leake ,  et  je  crois  aussi  par  M.  Boeckh  : 

2TPATnNI2IA0T0YKYA[A]G[HNAIEY2] 

nnAAAMOYNATIAnAKAlA 
l2IAOTO22TPATnNO2KYAA0HNAIEY[2] 

Si  je  n'étais  aussi  sûr  de  l'exactitude  de  ma  copie,  je  corrigerais 
sans  hésiter  à  la  fin  de  la  deuxième  ligne  Tl  AAfKA  au  lieu  de  ITAKAI  A. 
Le  nom  d'Isidotos  devint  assez  fréquent  dans  les  premiers  siècles  de 
l'empire  ;  on  le  retrouve  encore  sur  une  colonne  funèbre  conservée  à 
Eleusis,  dans  l'église  de  Saint-Zacharie,  servant  aujourd'hui  de 
Musée  public  : 

I2IA0TH 

I21A0T0Y 

MIAH2IA 

Au-dessous  est  un  bas-relief  qui  représente  une  femme  assise  tenant 
une  feuille  de  lotus.  Ce  monument  est  inédit. 

Il  ne  me  reste  rien  à  dire  aujourd'hui  sur  les  ruines  d'Eleusis,  après 
tant  de  voyageurs.  L'aspect  des  lieux  n  a  pas  changé  depuis  le  passage 
de  M.  de  Chateaubriand.  Pour  retrouver  avec  exactitude  le  plan  et  les 
débris  de  l'antique  sanctuaire ,  il  faudrait  transporter  dans  le  voisi- 
nage le  village  de  Lefsina,  très-malsain  d'ailleurs,  enlever  toutes  les 
baraques  qui  recouvrent  le  sol  et  faire  des  fouilles  qui  ne  manque- 
raient pas  d'être  fort  dispendieuses.  M.  Ross  l'avait  proposé,  alors 
qu'il  était  conservateur  des  monuments  antiques  de  la  Grèce  ;  mais 
l'état  financier  du  royaume  s'opposa  alors  et  s'oppose  aujourd'hui 
plus  que  jamais  à  ce  qu'on  réalise  un  pareil  projet. 

A  Eleusis  je  n'ai  retrouvé  que  quinze  inscriptions,  dont  quelques- 
unes  sont  inédites ,  notamment  la  dédicace  d'un  édicule  consacré  à 
Tibère.  Cette  dernière  consiste  en  cinq  lignes  dont  la  partie  droite 
manque  ;  elle  est  gravée  sur  l'architrave  même  du  monument.  Je  ne 


4Ç  RI5VUE   ARCHEOLOGIQUE. 

range  pas  dans  la  menue  classe  un  long  décret  des  artistes  dionysia- 
ques d'ÉIeusis,  copié  il  y  a  deux  ans  par  mon  ami  M.  Ch.  Lenormant, 
qui  me  l'a  rapporté  pour  en  faire  l'objet  d'une  publication  spé- 
ciale. Il  avait  été  publié  par  M.  Pittakis  quelques  mois  avant  le 
passage  démon  savant  confrère  à  Athènes.  Je  n'en  persiste  pas  moins 
dans  l'intention  d'en  faire  l'objet  d'un  Mémoire  spécial  pour  lequel 
j'ai  fait  déjà  de  nombreuses  recherches ,  et  qui  serait  prêt  depuis 
longtemps  si  mon  départ  pour  la  Grèce  n'était  venu  en  interrompre 
la  rédaction. 

Quelques  jours  après  nous  sommes  sortis  d'Athènes  par  la  porte 
d'Adrien ,  et ,  longeant  le  bord  de  la  mer ,  nous  avons  laissé  à  notre 
gauche  le  cap  Colias  et  les  lieux  où  exista  jadis  le  dème  d'Halae  iExo- 
nides,  et  traversé  successivement  les  ruines  ou  l'emplacement  d'axone, 
de  Prospalta  et  d'Anagyre;  à  ce  dernier  dème  appartiennent  sans 
doute  quelques  stèles  et  un  fragment  de  statue  équestre  qu'on  voit 
dans  l'église  du  petit  village  de  Bari.  De  ce  point  nous  avons  été 
visiter  sur  l'Hymette  la  grotte  de  Pan,  ses  antiques  sculptures  et 
ses  inscriptions.  De  là,  suivant  la  côte,  nous  avons  parcouru  les 
champs  oii  furent  Thoree,  Lamptra,  Sphettus,  ^Egilia,  Olympus 
(Elympo),  Anaphlystus,  Azenia,  Laurium  et  ses  mines,  et  nous 
sommes  parvenus  au  cap  Sunium.  Je  ne  tenterai  point  de  vous  pein- 
dre ,  monsieur  le  ministre ,  les  sentiments  qui  m'ont  animé  en  visitant 
ce  promontoire  célèbre  auquel  se  rattache  le  souvenir  glorieux  de 
Platon.  Vous  n'attendez  pas  de  moi  des  impressions  de  voyage.  Je 
me  bornerai  à  vous  dire  qu'en  parcourant  les  ruines  du  temple  de 
Minerve,  dont  les  colonnes  en  marbre  blanc,  rendu  plus  blanc  encore 
par  l'influence  du  voisinage  de  la  mer,  se  détachent  si  étincelantes 
sous  ce  beau  ciel  bleu  de  la  Grèce,  j'ai  vainement  cherché  des  in- 
scriptions qui  eussent  quelque  rapport  au  culte  de  la  déesse.  Trois 
seulement  ont  été  gravées  par  des  voyageurs  païens  sur  les  parois 
des  antes.  La  première  est  mutilée  et  inédite  ;  il  en  est  de  même  de 
la  deuxième  ;  la  troisième  est  déjà  connue.  Je  ne  rapporterai  que  les 
deux  dernières  ; 

[eiVINHjCOHZnCIMOC 

[APilcnniNneiPAieYC 

ONHCIMOC 
eMNHCOH 
THï=AAEA<t>HC 
XPHCTHC 


VOYAGES  EN  GRECE   ET  EN   ASIE   MINEURE.  47 

Mais  si  les  inscriptions  antiques  sont  rares  à  Sunium  ,  en  revanche 
les  modernes  y  pullulent.  Pas  de  mince  aspirant  de  marine,  d'obscur 
touriste  anglais  qui  ne  croie  devoir  apprendre  à  la  postérité  qu'il  est 
venu  s'asseoir  sur  les  débris  du  sanctuaire  de  Minerve  Poliade.  Parmi 
tant  de  noms  destinés  à  un  éternel  oubli,  j'en  ai  lu  trois  qui  certes  ne 
mourront  pas  : 

SUFFREN. 

1775. 
RIGNY. 

1814. 
BYRON. 

A  environ  une  demi-lieue  de  Sunium,  en  remontant  vers  le  nord 
pour  nous  rendre  à  Thoriscus ,  nous  avons  rencontré  deux  stèles  à 
antes  fixes  récemment  découvertes  lors  des  travaux  exécutés  pour  amé- 
liorer la  route.  Elles  sont  d'un  très-beau  travail  en  marbre  du  Pen- 
télique.  On  y  lit  sur  la  première  : 

AHMArOPA 

E0OAIONO2 

20Nin20YrATHP 

Ensuite  une  rosace  avec  couronne  au-dessous ,  puis 

MENEKYAH2 

[M1ENE2TPAT0Y 

EK[20]Y[NI0Y] 

Et  au-dessous  : 

MENE2TPAT02 
MENEKYAOY 

Enfin  une  quatrième  inscription  : 

AI2I2TPAT02 

MENEKYAOY 

20YNLIEY2] 

La  seconde  stèle  porte  ; 

MENE[KYAH2]  ou;!MENE[2TPAT02] 

KAAAini2[AI2]XPnN[02] 

20YNIEn20YrA[THP] 

D'où  l'on  peut  conclure  que  le  tombeau  que  décoraient  ces  stèles, 
et  qu'il  faut  peut-être  reconnaître  dans  un  tumulus  voisin,  était  la 
sépulture  d'une  famille  dans  laquelle,  suivant  l'usage  antique,  alter- 
naient de  père  en  fils  les  noms  de  Ménécyde  et  de  Ménestrate.  Cette 


48  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

famille  devait  être  une  des  plus  opulentes  de  Sunium,  à  en  juger  par 
l'élégance  des  deux  stèles  et  d'un  torse  d'homme  en  marbre  blanc  et 
d'un  très-beau  style ,  trouvé  dans  le  même  endroit. 

Thoriscus,  son  théâtre  et  les  ruines  de  son  temple  ont  ensuite  fixé 
notre  attention  -,  puis  nous  sommes  venus  chercher  un  gîte  au  beau 
village  de  Keratia.  Le  lendemain  nous  étions  de  bonne  heure  à  Me- 
renda,  nom  dans  lequel  il  faut  certainement  reconnaître  une  altéra- 
tion de  Myrrhinunte.  Ce  qu'il  y  a  de  certain  c'est  qu'on  y  trouve  des 
restes  assez  considérables  d'un  temple  restauré  et  embelli  par  Hérode 
Atticus  dont  une  inscription  comme  rappelle  le  nom  et  les  bienfaits  (l  ), 
mais  qui  devait  être  d'une  haute  antiquité  à  en  juger  par  une  autre 
inscription  en  caractères  archaïque^,  et  par  plusieurs  fragments  de 
dalles  en  marbre  d'Eleusis ,  par  des  colonnettes  votives ,  et  par  un 
bas-relief  mutilé  formant  l'une  des  dalles  de  l'église  qui  a  remplacé  le 
temple  et  représentant  une  Minerve  assise  dans  le  style  le  plus  ancien 
et  semblable  à  beaucoup  d'égards  au  fragment  de  statue  retrouvé  à 
l'est  du  temple  d'Érechthée  sur  l'acropole  d'Athènes ,  à  diverses  sta- 
tues ou  statuettes  du  Parthénon  et  à  celle  dont  on  voit  encore  la 
partie  inférieure  dans  la  grotte  de  Pan  sur  l'Hymette.  Je  dois  encore 
ajouter,  au  sujet  de  la  dernière  inscription  dont  je  viens  de  parler, 
qu'elle  porte  des  traces  évidentes  de  mutilation.  Quelle  main  peut 
l'avoir  mise  en  cet  état  si  ce  n'est  celle  de  Fourmont  auquel  on  en  doit 
la  copie  (voy.  Boeckh,  C.  I.,  n**  28).  Voilà  donc  encore  une  preuve 
incontestable,  selon  moi,  du  vandalisme  de  ce  voyageur  et  un  argu- 
ment à  opposer  aux  savants  qui  veulent  que  les  inscriptions  en  ca- 
ractères archaïques  rapportées  par  lui ,  n'aient  aucune  authenticité  et 
soient  regardées  comme  l'ouvrage  d'un  faussaire. 

Non  loin  de  ce  temple  j'ai  trouvé,  au  milieu  de  pierres  amoncelées, 
un  fragment  de  grand  bas-relief  oii  l'on  distingue  encore  le  pied  d'une 
femme  assise  et  les  pieds  d'un  enfant  qui  devait  se  tenir  debout  de- 
vant elle.  Au-dessous  on  lit:  A0nNI02  ce  qui  ne  peut  être  que  la  fin 
du  mot  [M  APA]0nNI02.  Sur  un  fragment  appartenant,  suivant  toute 
vraisemblance,  au  même  bas-relief  que  le  précédent,  on  reconnaît 


(0  HPHAHEATTIKOE 

MAPA0  VN  NIOETONNE  H  N 
EnEEREYArENKAITO 
ArAAMAANE0HKEN 
THA0HNAIA 

C.  inscr,  gr.,  n'  490. 


VOYAGES    EN   GRECE    ET    EN    ASIE    MINEURE.  49 

un  homme  debout.  C'était  peut-être  quelqu'un  des  ancêtres  d'Hérode 
Atticus  qui,  comme  on  le  sait,  était  du  bourg  de  Marathon. 

De  ce  lieu  intéressant  nous  nous  sommes  rendus  à  Prasiae,  aujour- 
d'hui Porto  Raphti,  ainsi  nommé  d'une  statue  romaine  dans  des  pro- 
portions colossales  qu'on  voit  encore  sur  le  sommet  d'une  île  qui 
forme  l'entrée  de  cette  baie  et  que  les  marins  grecs  ont  assimilée  à  un 
tailleur  ipaTirnç);  puis  à  Braona  (prononcez  Vraona)  où.  l'opinion 
commune  place  l'antique  Brauron  (l)  qu'il  faut  aller  chercher  beau- 
coup plus  au  nord  près  des  bords  de  l'Érasinus,  non  Idtn  de  la  baie  ap- 
pelée aujourd'hui  Porlo  Livadhi.  On  trouve  en  effet  dans  ce  dernier 
lieu  une  église  occupant  l'emplacement  d'un  petit  temple  ancien  q^i 
s'appuyait  latéralement  sur  un  rocher  taillé  à  cet  effet  et  dans  la  partie^ 
supérieure  duquel  on  voit  encore  des  trous  faits  de  main  d'homme 
pour  recevoir  des  statues  ou  des  offrandes.  C'est  là  sans  doute  que  se 
trouvait  le  temple  de  Diane  Brauronia  où  Oreste  vint  déposer  la  sta- 
tue qu'il  avait  enlevée  de  la  Chersonnèse  Taurique.  Sur  la  colline  qui 
s'élève  au-dessus  de  ce  rocher  et  qui  peut  avoir  environ  3  kilomètres 
de  circonférence  on  distingue  encore  les  soubassements  de  l'enceinte 
d'une  ville  (Brauron)  et  des  ruines  d'édifices  anciens  qui  ont  dû  ap- 
partenir à  cette  ville. 

Notre  route  nous  conduisit  ensuite  dans  le  lieu  appelé  Velanidésa 
(c'est-à-dire  chênaie,  plantée  de  chênes  vallons),  lieu  couvert  de  tu- 
muli  dans  l'un  desquels  on  a  trouvé  ce  fameux  bas-relief  peint  repré- 
sentant un  guerrier  contemporain  des  guerres  médiques  (2)  et  peut- 

(1)  Braona  ,  bâtie  près  d'un  cours  d'eau  assez  considérable ,  et  près  duquel  on  voit 
encore  une  tour  dont  la  construction  doit  remonter  à  l'époque  française ,  a  peut-être 
remplacé  l'antique  Képhalé.  C'est  ce  que  me  porterait  à  croire  une  stèle  à  anléfixe 
existant  dans  l'église  bâtie  sur  la  montagne  qui  s'élève  en  face  de  ce  raétochi  : 

N 
KE*AAHeEN 

deux  rosaces 
*ANOSTPATH 
,    ANAPOKAEOT 
KE*AAH0EN 

rïNH 
ANTIS0ENHS 
ANAPOKAEOTi: 
KE<ΫAAH©EN 
ÂNTIS0ENHS 
AAKIS6EN0Ï 
KE*AAH0EN 

(2)  Le  peuple  l'a  surnommé  Barba  Jani^  «  mon  oncle  Jani.  » 

t.  4 


50  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

être  même  antérieur  à  cette  époque,  lequel  bas-relief  est  aujourd'hui 
conservé  dans  le  temple  de  Thésée.  Beaucoup  de  fouilles  y  ont  été 
pratiquées,  mais  au  hasard,  sans  autre  inspiration  que  celle  de  l'avi- 
dité. Il  y  avait  cependant  là  une  étude  intéressante  à  faire  de  la  dis- 
position intérieure  de  ces  vastes  tombeaux,  de  l'ordre  dans  lequel  étaient 
rangés  les  sarcophages,  de  la  place  réservée  aux  chefs  de  famille  ou 
de  tribu.  Un  pareil  travail  pourrait  se  faire  en  assez  peu  de  temps  et 
n'exigerait  pas  de  très-grands  frais.  La  seule  difficulté  serait  de  trou- 
ver des  hommes  dans  le  voisinage,  car  ce  pays  est  presque  désert. 

Vourna,  oii  nous  avons  passé  la  nuit,  est  bâtie  sur  une  hauteur 
qui  doit  avoir  été  habitée  dans  l'antiquité.  C'est  ce  qu'on  peut  inférer 
d'un  bas-relief  d'un  bon  style,  gravé  sur  une  stèle  en  marbre  du 
Pentélique,  représentant  deux  hommes  debout  se  donnant  la  main  , 
avec  cette  inscription  : 

GE0B0A02 
[ElYBOAO 

lAO 

I.  .  IAII2 

Delà,  redescendant  à  la  côte  que  nous  avons  suivie  à  travers  les 
broussailles,  nous  sommes  venus  à  Raphena  [Apocc^-nv)^  lieu  désert 
arrosé  par  un  grand  ruisseau;  on  n'y. trouve  qu'une  église  de  la  Pa- 
nagia  bâtie  sur  une  colline  avec  des  débris  antiques,  parmi  lesquels 
on  distingue  un  fragment  de  colonne  et  un  autre  de  tuile  en  marbre 
du  Pentélique.  A  quelque  distance  de  là  on  voit  un  immense  sarco- 
phage; dans  la  plaine  qu'on  rencontre  après  avoir  passé  le  ruisseau 
on  reconnaît  quelques  traces  des  soubassements  d'un  temple,  et  un 
peu  plus  au  nord ,  à  deux  pieds  de  la  mer,  on  montre  une  fontaine 
d'eau  douce  à  laquelle  se  rattachait  sans  doute  quelque  tradition  my- 
thologique. 

Au  moment  oii  nous  sommes  parvenus  sur  la  grève  qu'occupait 
Probalinthus,  on  venait  de  découvrir  près  du  rivage  une  statue  de  style 
égyptien  en  marbre  blanc,  évidemment  de  l'époque  romaine  et,  sui- 
vant toute  probabilité,  du  temps  où  vivait  le  riche  Hérode  Atticus, 
qui  avait  une  maison  de  campagne  dans  ce  lieu  et  possédait  de  grands 
biens  à  Marathon,  sa  patrie,  ainsi  que  nous  l'apprend  Philostrate  et 
que  l'attestent  un  assez  grand  nombre  de  monuments,  entre  lesquels 
je  me  bornerai  à  citer  une  porte  en  marbre  blanc  ornée  de  deux  sta- 
tues assises ,  et  sur  l'archivolte  de  laquelle  on  lit  l'inscription  suivante  : 

0M0N0IA2A0ANAT0Y 
nVAH 


VOYAGES   EN   GRÈCE    ET   EN    ASÏE    MINEURE.  51 

Et  plus  bas  : 

HPnAOYOxnpoi 

EI[20N]EI[2E]PXEI  (1) 

A  mon  retour  à  Athènes,  monsieur  le  ministre,  je  me  propose  de 
retourner  dans  ce  lieu  accompagné  d'un  artiste ,  et  d'y  recueillir  tous 
les  éléments  nécessaires  pour  tenter  une  restauration  architectonique 
d'un  monument  qui  me  paraît  digne  d'intérêt,  puisqu'il  se  rapporte  à 
l'union  conjugale  d'Hérode  et  de  sa  femme  dont  j'aurai  occasion  de 
vous  parler  encore  un  peu  plus  loin. 

Je  n'ai  pu  me  trouver  à  Marathon  sans  examiner  avec  soin  les  dif- 
férentes opinions  relativement  à  la  position  de  l'armée  grecque  et  de 
l'armée  persane  dans  la  bataille  célèbre  qui  a  illustré  le  nom  de  Mil- 
tiade.  Je  reste  convaincu  que  le  bourg  de  Marathon  actuel  n'a  pas  été 
le  centre  des  opérations ,  qu'il  a  probablement  usurpé  ce  nom ,  et  que 
ce  nom  célèbre  appartiendrait  plus  justement  aux  ruines  voisines  du 
monastère  de  Varna,  au  milieu  desquelles  sont  encore  deux  églises 
bâties  en  grande  partie  avec  des  débris  antiques  et  ombragées  par  des 
chênes  séculaires.  L'exposition  des  motifs  sur  lesquels  repose  mon 
opinion  serait  hors  de  propos  en  ce  moment,  mais  vous  me  croire/ 
sans  peine  quand  j'ajouterai  que  les  questions  de  cette  nature  ne 
peuvent  être  bien  jugées  que  sur  les  lieux.  J'oubliais  de  vous  dire, 
monsieur  le  ministre ,  qu'on  ne  trouve  au  Marathon  actuel  aucune 
inscription,  tandis  qu'il  en  existe  trois  à  Varna,  dont  une  surtout  est 
en  lettres  d'un  très-beau  style  qu'on  peut  faire  remonter  au  IIP  siècle 
avant  notre  ère.  Elle  est  gravée  sur  une  stèle  de  1"33  environ,  cou- 
ronnée par  un  antéfixe  élégant  et  ornée  d'un  bas-relief  représentant 
une  femme  debout  tenant  un  vase  à  une  seule  anse  dans  la  main 
gauche.  Devant  elle  est  un  homme  debout,  la  tête  ceinte  d'un  ban- 
deau ,  la  poitrine  nue  et  étendant  la  main  vers  elle  :  au-dessus  du  bas- 
relief  on  lit  : 

APXinnHKAAAeni 

PAMN0Y2I0Y 

Rhamnunte  est  trop  près  de  Marathon  pour  qu'un  voyageur  se 

dispense  d'aller  visiter  son  double  temple  et  son  acropole  en  marbre 

blauc-  Il  serait  bien  à  désirer  qu'un  architecte  de  talent  s'occupât  de 

constater  letat  actuel  de  ces  importantes  ruines,  car  chaque  jour  elles 

.    sont  mutilées  par  les  touristes;  en  voici  la  preuve  :  au  mois  d'août  1838 

(1)  Les  ruines  de  cette  porte  se  trouvent  sur  le  penchant  de  la  vallée  «rrosée  par 
le  ruisseau  qui  couie  dans  le  boarg  actuel  de  Marathon. 


52  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

M.  Prokescli  a  vu  à  l'entrée  du  temple  situé  du  coté  des  terres 
et  séparé  de  l'autre  par  un  mur  polygonal,  deux  sièges  semblables 
en  marbre  blanc.  Sur  la  partie  antérieure  de  chacun  d'eux  on  lisait  : 

NEME2EI 
iniTPATOl 
ANEOHKEN 

Sur  celui  de  gauche  : 

OEMIAI 
2n2TPAT02 
ANEOHKEN 

Eh  bien  !  celui  de  droite  a  disparu  et  à  sa  place  on  voit  celui  qui 
autrefois  était  à  gauche.  Le  premier  a  donc  été  enlevé  malgré  son 
poids ,  et  décore  peut-être  aujourd'hui  quelque  obscur  musée  ;  le  se- 
cond a  pris  sa  place  pour  avoir  sans  doute  un  jour  le  même  sort. 

En  revenante  Athènes  nous  sommes  passés  par  le  beau  village  de- 
Képhissia  où  le  Céphise  prend  sa  source,  et  là  j'ai  copié  deux  inscrip- 
tions fort  curieuses  contenant  l'une  et  l'autre  les  mêmes  imprécations 
contre  tout  propriétaire  qui  déplacerait  des  statues  dont  une  devait 
être  celle  de  la  femme  d'Hérode ,  deRégilla ,  ainsi  qu'on  peut  en  juger 
par  les  deux  premières  lignes  de  l'une  des  deux  inscriptions  qui  sont 
conçues  en  ces  termes  : 

AnniAANNIAPHriAAAHPnAOYrYNHTO 
<t>n2TH20IKIA2 

D'où  l'on  apprend  ce  qu'on  ignorait  encore,  que  Régilla  appartenait 
à  la  gens  Appia  et  non  pas  à  je  ne  sais  plus  quelle  autre  maison. 
C'est  ce  que  prouve  encore  une  autre  inscription  trouvée  dans  le 
même  village  et  où  la  dixième  ligne  porte  : 

PHriAAHlAmiJOY...  TOY.... 

Vous  voyez,  monsieur  le  ministre,  que  Marathon  et  Képhissia, 
propriétés  du  riche  Hérode  Atticus,  sont  encore  remplis  de  sa  re- 
nommée. Il  y  a,  je  crois ,  dans  tous  ces  monuments  et  dans  d'autres 
encore  qu'il  me  sera  facile  de  recueillir,  des  éléments  pour  ajouter 
beaucoup  de  faits  nouveaux  à  la  biographie  de  ce  riche  Athénien  que 
nous  a  laissée  Philostrate.  C'est  un  travail  dont  je  me  propose  de 
m'occuper  à  mon  retour  et  qui  offrira,  je  l'espère,  quelque  intérêt, 
puisqu'il  pourra  jeter  des  lumières  sur  l'état  de  FAttique  au  IP  siècle 
après  notre  ère. 


VOYAGES    EN    GRECE    ET    EN    ASIE  MINEURE.  53 

Je  ne  suis  encore  parvenu  qu'au  6  avril ,  monsieur  le  ministre ,  je 
suis  donc  loin  d'avoir  terminé  le  récit  de  mes  excursions  jusqu'à  ce 
jour.  J'aurais  voulu  pouvoir  vous  le  transmettre  aujourd'hui  dans  son 
entier,  mais  je  me  vois  forcé  d'interrompre  pour  éviter  un  retard  de 
dix  jours.  Par  le  prochain  bateau  à  vapeur  vous  recevrez  la  suite  de 
cet  exposé  et  le  compte  rendu  de  mes  travaux  ultérieurs  ;  qu'il  vous 
suffise  de  savoir  dès  à  présent  que  j'ai  successivement  visité  Égine, 
Calaurie,  Trézène,  Phylé,  Acharne,  Décélie,  Éleuthère,  ^Ego- 
sthenae,  Pagœ ,  OEnoé,  le  promontoire  de  Junon  Acraea,  Corinthe, 
Sicyone,  Vostitza  (l'ancien  ^Egium),  Patras,  Elis,  Olympie,  Phi- 
galie,  Messène,  Geronthraî  et  Sparte;  qu'à  iEgosthenee  j'ai  trouvé 
des  inscriptions  très-longues  et  très-propres  à  jeter  du  jour  sur  l'his- 
toire de  cette  ville ,  sur  ses  rapports  avec  Mégare,  Siphœ,  Onches- 
tus,  etc.;  que  Pagae  a  aussi  fourni  son  contingent;  que  si  la  récolte 
jusqu'à  Messène  a  été  peu  productive,  j'en  ai  été  dédommagé  par  les 
fouilles  que  j'ai  fait  exécuter  dans  ce  lieu.  Elles  ont  amené  la  décou- 
verte d'un  temple  d'ordre  ionique  resté  inconnu  jusqu'à  ce  jour.  Enfin 
à  Geronthrœ  j'ai  eu  la  satisfaction  de  retrouver  quatre  inscriptions 
formant  neuf  colonnes  de  60  lignes  environ  chacune,  et  qui  ne  sont 
rien  moins  que  la  traduction  en  grec  d'une  partie  considérable  de  la 
loi  de  maximum  publiée  par  Dioclétien  dans  la  dix-huitième  année 
de  son  règne,  c'est-à-dire  en  301.  Ce  seul  résultat,  monsieur  le  mi- 
nistre ,  justifierait  la  mission  que  vous  m'avez  confiée,  car  il  est  im- 
possible qu'une  partie  des  540  lignes  grecques  ne  remplisse  pas 
quelques-unes  des  nombreuses  lacunes  qu'offre  l'original  latin  d'un 
monument  qui  répand  tant  de  lumière  sur  l'économie  politique  des 
Romains  et  sur  l'administration  impériale.  J'apprendrais  avec  joie, 
monsieur  le  ministre,  que  telle  est  votre  opinion  et  celle  de  l'Acadé- 
mie des  Inscriptions,  et  je  trouverais  dans  votre  assentiment  et  dans 
celui  de  mes  savants  confrères  la  plus  précieuse  récompense  des 
fatigues  que  je  supporte  pour  ajouter  de  nouvelles  richesses  aux  tré- 
sors de  la  science. 

Je  suis  avec  respect, 

Monsieur  le  ministre. 

Votre  dévoué  serviteur, 

Ph.  Lebas. 

Sparte,  le ?6  juin  1843. 


COMMISSION  DES  MONUMENTS  HISTORIQUES 

INSTITUÉE  AU   MINISTÈRE   DE   L'INTÉRIEUR. 
OUGANISATION  ADMINISTHATIVE. 


Bien  des  monuments  ont  disparu  du  sol  de  la  France.  Ils  ont  été 
détruits  par  le  temps  et  par  les  hommes,  par  les  hommes  plus  que 
par  le  temps.  Les  guerres  étrangères  civiles  et  religieuses  ont  fait, 
bien  des  ruines;  l'orgueil  des  idées  nouvelles  qui  produit  le  dédain 
pour  les  objets  admirés  dans  l'époque  immédiatement  précédente  en 
ont  fait  plus  encore.  Les  Romains  ont  renversé  les  pierres  élevées 
par  le  culte  des  Druides,  les  nations  barbares  et  chrétiennes  ont  dé- 
moli les  temples  et  les  autres  édifices  de  la  civilisation  romaine,  les 
rois  ont  démantelé  les  forteresses  féodales,  les  protestants  ont  dévasté 
les  églises  catholiques,  les  révolutionnaires  de  93  ont  ravagé  les  monu- 
ments de  toutes  les  époques  de  la  monarchie  en  haine  des  institutions 
dont  ces  monuments  étaient  les  symboles.  —  Toutes  ces  manifestations 
du  fanatisme  religieux  ou  politique  ont  jonché  le  sol  de  débris,  mais 
leur  action  dévastatrice  a  peut-être  été  moins  funeste  aux  productions 
de  l'art  que  celle  des  artistes  de  toutes  les  époques.  C'était  avec  mé- 
thode que  ceux-ci  renversaient  de  fond  en  comble  les  monuments 
construits  par  leurs  devanciers,  ou  les  mutilaient  sous  prétexte  de 
restauration  et  d'achèvement.  L'abandon  eût  été  préférable.  Il  aurait 
laissé  aux  ruines  leur  caractère.  La  guerre,  une  guerre  acharnée  et 
impitoyable  du  présent  contre  le  passé  a  duré  sans  interruption  depuis 
les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours  ;  c'est  une  idée  toute  nou- 
velle que  celle  du  respect  pour  les  monuments  de  l'art  de  toutes  les 
époques,  et  peut-être  la  payons-nous  bien  cher  si  nous  la  devons  à 
la  perte  ou  du  moins  à  l'affaiblissement  de  la  faculté  créatrice. 

Sans  en  rechercher  la  cause ,  nous  pouvons  constater  comme  un 
fait  l'application  pratique  de  cette  idée  ;  elle  se  traduit  dans  un  cha- 
pitre du  budget  qui  ouvre  au  ministre  de  l'intérieur  un  crédit  affecté 
à  la  conservation  des  monuments  historiques.  —  C'est  en  1831  que  ce 
chapitre  fut  pour  la  première  fois  proposé  par  le  gouvernement  du 
roi  et  voté  par  les  chambres  :  il  était  de  80  000  fr.,  et  l'administra- 
tion en  fut  confiée  à  la  division  des  beaux-arts .  qui  jusqu'alors ,  dans 


COMMISSION   DES  MONUMENTS   HISTORIQUES.  55 

de  rares  circonstances,  avait  alloué  les  fonds  nécessaires  pour  des  ré- 
parations urgentes  fà  des  monuments  en  péril ,  sur  le  crédit  des  en- 
couragements aux  beaux-arts;  ces  allocations,  toujours  sans  impor- 
tance, étaient  subordonnées  aux  besoins  des  autres  services  imputés 
sur  le  même  crédit,  tandis  que  le  fonds  spécial,  qui  fut  alors  voté  par 
les  chambres,  avait  une  destination  exprimée  dans  le  titre  du  cha- 
pitre, et  ne  pouvait  en  être  détourné.  Un  inspecteur  général  avait  été 
nommé,  dès  les  premiers  jours  qui  suivirent  la  révolution  de  1830, 
sous  le  premier  ministère  de  M.  Guizot ,  pour  former  dans  les  dépar- 
tements la  liste  des  édifices  dont  l'importance  monumentale  était 
incontestable  et  les  besoins  urgents.  M.  Vitet,  auteur  de  plusieurs 
ouvrages  historiques  d'un  grand  mérite,  et  qui  s'était  livré  à  des 
études  sérieuses  sur  l'archéologie  antique  et  chrétienne,  fut  chargé 
de  cette  mission,  et  l'accomplit  pendant  deux  ans  avec  un  zèle  et  une 
activité  intelligente  qui  stimulèrent  dans  toute  la  France  un  mouve- 
ment d'études  dont  les  effets  se  firent  bientôt  sentir.  —  De  toutes 
parts  se  formèrent  des  sociétés  savantes  qui  explorèrent  les  contrées 
voisines  des  villes  où  elles  avaient  été  fondées,  afin  de  rechercher  les 
monuments  qu'il  fallait  conserver  et  réparer,  et  d'arrêter  les  mutila- 
tions que  des  spéculateurs  exerçaient  sur  des  édifices  anciens  pour  en 
vendre  les  matériaux.  Chacun  alors,  gouvernement  et  administrés, 
comprit  qu'il  était  temps  de  mettre  un  terme  au  vandalisme  qui 
sévissait  sur  les  monuments  de  la  France,  et  une  réaction  s'opéra  de 
toutes  parts  contre  les  démolisseurs.  Jusqu'alors  l'admiration  servile 
professée  pour  les  types  grecs  et  romains,  qui  étaient  pourtant  en 
général  peu  connus  et  mal  étudiés,  avait  exclu  toute  autre  recherche 
et  renfermé  dans  la  même  réprobation  toutes  les  œuvres  de  l'art  na- 
tional ;  dès  ce  moment,  au  contraire,  les  études  archéologiques  em- 
brassèrent toutes  les  époques  de  l'art.  La  réaction  imprimée  en  1831 
fut  suivie  par  M.  Mérimée,  nommé  inspecteur  général  en  remplace- 
ment de  M.  Vitet  auquel  l'activité  de  la  vie  politique  ne  permettait 
plus  de  s'occuper  uniquement  de  travaux  d'art.  —  M.  Mérimée, 
déjà  célèbre  comme  littérateur,  se  livra  à  de  vastes  recherches  ar- 
chéologiques; il  parcourut  la  France  dans  tous  les  sens  en  plusieurs 
années,  et  ses  rapports  éclairèrent  l'administration  sur  les  besoins 
immenses  du  nouveau  service  qui  avait  été  institué.  Les  chambres 
en  furent  informées,  et  augmentèrent  successivement  le  fonds  qu'elles 
y  avaient  atfecté. 

En  1834,  M.  Guizot,  alors  ministre  de  l'instruction  publique, 
avait  voulu  suivre  en  France  l'exemple  donné  par  l'Angleterre  pour 


56  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE, 

la  publication  des  Records,  et,  par  la  haute  autorité  de  son  nom,  il 
obtint  facilement  des  chambres  une  allocation  affectée  à  la  publica- 
tion des  documents  historiques  qui  jusqu'alors  étaient  restés  enfouis 
en  manuscrits  dans  les  bibliothèques  et  les  dépôts  d'archives.  Un  co- 
mité d'hommes  spéciaux  fut  chargé  de  juger  l'importance  des  docu- 
ments qui  seraient  publiés  ;  bientôt  le  ministre  sentit  le  besoin  de 
joindre  la  publication  des  monuments  de  l'art  à  celle  des  documents 
inédits  :  un  second  comité,  désigné  sous  le  nom  de  Comité  des  arts  et 
monuments  fut  institué;  MM.  Vitet,  Mérimée,  Lenormant,  Le  Pré- 
vost, Lenoir,  etc.,  en  firent  partie.  Il  proposa  la  publication  d'une 
Statistique  monumentale  de  la  France,  pour  la  préparation  de  laquelle 
plusieurs  archéologues  recevaient  la  mission  d'explorer  les  départe- 
ments, commune  par  commune,  afin  d'y  rechercher  les  monuments 
de  toutes  les  époques,  et  de  les  décrire  et  dessiner  tous  sans  excep- 
tion. L'auteur  de  cet  article  fut  chargé  de  visiter  de  cette  manière 
deux  arrondissements  du  département  de  la  Meurthe;  l'année  sui- 
vante le  département  des  Pyrénées-Orientales,  et  en  1837,  celui  du 
Lot.  De  ces  trois  ouvrages,  le  premier  fut  seul  publié  comme  spéci- 
men; l'étendue  de  cette  publication  ne  permit  pas  de  la  continuer, 
elle  aurait  absorbé  tous  les  fonds  alloués  pour  la  publication  des 
documents  pendant  plusieurs  années.  On  préféra  la  laisser  exécuter 
par  les  départements  eux-mêmes,  et  des  instructions  furent  adressées 
aux  correspondants  du  Comité  dans  les  départements  avec  des  ques- 
tionnaires rédigés  de  façon  à  obtenir  des  réponses  utiles  même  de  la 
part  des  personnes  les  moins  versées  dans  l'étude  de  la  science  ar- 
chéologiquje.  De  nombreux  matériaux  ont  été  ainsi  réunis,  mais  ils 
n'ont  pas  encore  été  livrés  à  la  publicité. 

La  nature  des  attributions  du  ministère  de  l'instruction  publique 
ne  lui  permettait  pas  de  s'immiscer  dans  la  répartition  du  fonds  destiné 
à  la  conservation  des  monuments,  qui  dépendait  de  l'administration 
de  l'intérieur,  et  avait  été  porté  à  la  somme  de  200  000  fr.  Une  com- 
mission fut  nommée  à  ce  ministère  pour  donner  des  avis  sur  l'em- 
ploi de  ce  crédit.  Elle  fut  ainsi  composée  :  M.  Vatout ,  directeur  des 
travaux  publics ,  président  ;  MM.  Le  Prévost,  Vitet,  comte  de  Mon- 
tesquiou,  baron  Taylor;  et  MM.  Caristie  et  Duban ,  architectes; 
M.  Mérimée,  inspecteur  général  et  secrétaire. 

Le  premier  acte  de  cette  commission  fut  de  proposer  à  la  signa- 
ture du  ministre  des  circulaires  qui  devaient  exciter  le  zèle  des  pré- 
fets pour  la  recherche  et  la  conservation  des  monuments  historiques. 
Les  effets  ne  s'en  firent  pas  longtemps  attendre ,  et  bientôt  le  grand 


COMMISSION   DES   MONUMENTS    HISTORIQUES.  57 

nombre  d'édifices  qui  avaient  été  jugés  dignes  de  figurer  sur  la  liste 
des  monuments  historiques ,  engagea  les  chambres  à  doubler  le  crédit 
qui  avait  été  affecté  à  leur  conservation  :  il  fut  porté  à  400  000  fr. 
Mais  alors  il  fallait  une  administration  spéciale  à  un  service  qui 
prenait  une  aussi   grande  importance;  d'ailleurs  la  direction   des 
bâtiments  civils  venait  d'être  adjointe  au  ministère  des  travaux  pu- 
blics ,  la  conservation  des  monuments  historiques  devait  rester  à  la 
direction  des  beaux-arts.  L'organisation  fut  complétée  en  consé- 
quence.   La  commission   fut  augmentée   de   plusieurs  membres  : 
M.  Lenormant  de  l'Institut ,  connu  par  de  nombreux  travaux  archéo- 
logiques; M.  Léon  de  La  Borde,  auteur  de  plusieurs  ouvrages  sur 
l'architecture;  MM.  A.  Passy,  de  Golbery,  de  Sade,  A.  Denis,  dépu- 
tés ,  la  plupart  ayant  fait  d'utiles  recherches  sur  les  monuments  de 
diverses  parties  de  la  France  y  furent  adjoints.  M.  le  ministre  de  l'in- 
térieur se  réserva  la  présidence  de  cette  commission.  M.  Vatout  con- 
tinua à  en  faire  partie  comme  président  du  conseil  des  bâtiments 
civils,  et  M.  Gavé  comme  directeur  des  Beaux-Arts  ;  MM.  Vitet  et 
Mérimée  furent  nommés  vice-présidents,  et  l'auteur  de  cet  article 
fut  chargé  des  fonctions  de  secrétaire  et  en  même  temps  de  celles  de 
chef  du  bureau  institué  à  la  direction  des  beaux-arts  pour  l'expédi- 
tion des  affaires  relatives  à  ce  service.  Des  circulaires  ministérielles 
firent  connaître  aux  préfets  la  marche  régulière  qui  devait  être  suivie 
désormais.  Toutes  les  décisions  du  ministre  sont  motivées  sur  des 
avis  émis  à  la  suite  d'une  délibération  de  la  commission  d'après  le 
rapport  d'un  de  ses  membres.  Aussitôt  que  la  correspondance  signale 
un  monument  encore  inconnu  à  classer,  ou  une  restauration  à  entre- 
prendre, le  secrétaire  réunit  les  pièces  réclamées  par  les  circulaires, 
lesquelles  sont ,  dans  le  premier  cas,  une  notice  historique  et  descrip- 
tive, un  plan,  une  coupe  et  une  élévation  de  l'édifice,  et  dans  le  second, 
un  devis  détaillé  des  travaux  projetés  classés  d'après  leur  degré  d'ur- 
gence en  trois  catégories,  avec  des  plans  et  détails  à  l'appui.  Ces  pièces 
sont  envoyées  à  un  membre  de  la  commission,  qui  fait  à  une  des 
séances  suivantes  un  rapport  sur  lequel  s'engage  la  discussion  suivie 
d'un  vote  à  la  majorité  des  voix.  Le  résumé  de  cette  discussion  et  le  vote 
sont  consignés  dans  le  procès-verbal  rédigé  par  le  secrétaire.  Il  en 
extrait  ensuite  les  dépêches  et  les  actes  qu'il  soumet  à  la  signature 
du  ministre  par  l'entremise  du  directeur  des  beaux-arts.  Telle  est  la 
marche  adoptée  pour  toutes  les  affaires  sans  exception.  L'influence 
de  la  commission  s'étend  donc  sur  tout  le  service.  Elle  a  compris  qu'en 


58  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

présence  des  besoins  immenses  qu'éprouvaient  les  monuments  de  la 
France,  après  les  épreuves  que  leur  ont  fait  subir  les  guerres,  les 
révolutions,  le  temps  et  les  réparations  mal  entendues;  le  crédit, 
même  depuis  qu'il  a  été  porté  à  600  000  fr.,  était  à  peine  suffisant 
pour  prévenir  la  ruine  imminente  des  édifices  les  plus  remarquables, 
et  qu'il  fallait  renoncer,  quant  à  présent,  aux  restaurations  com- 
plètes. Pour  quelques-uns  d'ailleurs,  une  restauration  serait  plus  fu- 
neste que  l'effet  du  temps.  Pour  les  ruines  romaines,  par  exemple, 
dont  la  masse  seulement  et  quelques  détails  sont  restés  debout,  il 
faudrait  les  revêtir  presqu'en  entier,  et  une  pareille  entreprise  serait 
un  acte  de  vandalisme;  pour  ces  ruines,  on  doit  se  borner  à  consoli- 
der les  fragments  qui  menacent  de  s'écrouler,  les  déblayer  et  acheter 
le  sol  sur  lequel  ils  s'étendent,  afin  d'empêcher  les  spéculateurs  d'en 
exploiter  les  matériaux.  Il  en  est  de  même  des  monuments  drui- 
diques, des  abbayes  et  des  églises  abandonnées,  ainsi  que  des  châ- 
teaux forts  en  ruines,  et  qui  ne  servent  plus  à  aucun  usage.  Le 
crédit  des  monuments  historiques  fournit  ordinairement  seul  toute  la 
dépense  que  nécessitent  leur  consolidation,  leur  déblayement,  l'acqui- 
sition des  habitations  modernes  qui  les  entourent ,  et  pour  laquelle 
on  procède  par  expropriation  pour  cause  d'utilité  publique,  quand 
les  propriétaires  se  refusent  à  les  vendre.  Il  n'en  est  pas  de  même  des 
monuments  qui  servent  encore  à  un  usage  public  :  comme  les  églises, 
les  forteresses  qui  ont  été  transformées  en  casernes  et  en  prisons  ,  les 
châteaux  appropriés  à  des  besoins  administratifs  ;  les  hôtels  de  ville 
devenus  mairies;  les  palais  de  justice,  les  beffrois,  etc.,  etc.  Ces  édi- 
fices reçoivent  des  secours  du  gouvernement  à  divers  titres ,  et  le 
ministre  de  l'intérieur  ne  leur  alloue  que  des  fonds  supplémentaires 
pour  diriger  les  travaux  dans  le  sens  de  l'art,  et  empêcher  les  admi- 
nistrations particulières  de  les  défigurer  dans  un  but  d'appropriation 
à  leur  usage  actuel.  Les  rapports  du  bureau  des  monuments  histo- 
riques sont  surtout  fréquents  avec  le  ministère  des  cultes,  et  des 
communications  perpétuelles  permettent  de  combiner  les  secours  des 
deux  administrations  de  manière  à  assurer  à  l'avenir  la  conservation 
de  toutes  les  églises  remarquables  sous  le  rapport  de  l'art. 

Il  est  à  regretter  seulement  que  les  cathédrales  restent  en  dehors 
de  cette  organisation;  le  crédit  spécial,  affecté  à  l'entretien  des  édi- 
fices diocésains,  est  compris  dans  les  attributions  du  ministère  de  la 
justice  et  des  cultes ,  et  si  le  ministre,  qui  est  à  la  tête  de  cette  admi- 
nistration ,  peut  seul  juger  de  l'opportunité  des  secours  et  de  leur  im- 


COMMISSION   DES   MONUMENTS   HISTORIQUES.  69 

portance,  il  serait  peut-être  à  désirer  que  la  direction  des  travaux 
fût  confiée  à  la  Commission  des  monuments  historiques. 

Les  conseils  généraux  et  municipaux  sont  appelés  à  voter  souvent 
des  fonds  pour  l'entretien  des  édifices  du  département  et  de  la  com- 
mune, et  avec  les  secours  du  ministre  des  cultes,  les  fonds  accordés 
par  le  ministre  de  l'Intérieur  sont,  dans  la  plupart  des  affaires,  triplés 
par  des  ressources  étrangères  au  crédit. 

Il  reste  à  expliquer  à  quelles  sources  sont  puisés  les  renseigne- 
ments qui  servent  de  base  aux  délibérations  de  la  Commission. 
D'abord,  l'inspecteur  général  fait  tous  les  ans  un  voyage  de  plusieurs 
mois,  dont  les  comptes  rendus  ont  déjà  fourni  la  matière  de  quatre 
volumes  publiés;  ensuite,  un  correspondant  du  ministère  est  institué 
dans  chaque  département  à  l'effet  de  fournir  au  préfet  tous  les  rensei- 
gnements archéologiques  dont  il  a  besoin  ;  il  peut  même  correspondre 
sur  ces  matières  avec  le  ministre.  Des  sociétés  ou  commissions  sa- 
vantes remplissent,  dans  plusieurs  départements,  le  même  office  au- 
près du  préfet,  et  en  outre,  les  correspondants  s'adressent  directement 
au  ministre  toutes  les  fois  que  les  besoins  du  service  l'exigent.  Leurs 
fonctions  sont  gratuites,  ils  reçoivent  quelquefois  des  indemnités  de 
déplacement  sur  les  fonds  du  département,  mais  ordinairement  ce 
sont  des  propriétaires  aisés  qui  occupent  honorablement  à  ces  travaux 
scientifiques  les  loisirs  de  la  vie  de  province.  Ils  font  par  an  deux 
rapports  généraux,  l'un  au  printemps,  à  l'époque  de  l'ouverture  de 
la  campagne,  l'autre  en  automne  lorsque  les  travaux  sont  exécutés. 
Telle  est  l'organisation  actuelle  du  service  de  la  conservation  des  mo- 
numents historiques  en  France;  un  établissement  nouveau  vient 
d  être  créé  pour  remplir  une  lacune  qui  s'y  faisait  sentir.  Des  objets 
anciens,  qui  ne  servent  plus  aux  usages  du  culte  ou  de  la  vie  privée, 
mais  qui  sont  précieux  sous  le  rapport  de  l'art ,  et  des  fragments  de 
monuments  détruits  étaient  perdus  ou  disséminés  faute  d'ufi  centre 
de  conservation  appartenante  l'État,  depuis  la  déplorable  dispersion 
du  Musée  des  Monuments  français  en  1815.  Ils  étaient  souvent 
achetés  à  vil  prix  par  des  étrangers  qui  les  exportaient,  ou  des  Fran- 
çais qui  les  enfermaient  dans  des  cabinets  inaccessibles  au  public;  l'un 
de  ces  amateurs,  celui  qui  le  premier  s'était  occupé  de  réunir  une 
collection  de  ce  genre,  M.  Dusommerard  étant  mort,  son  cabinet  a 
été  acheté  par  l'État  ainsi  que  l'hôtel  de  Cluny  dans  une  partie  du- 
quel il  l'avait  réunie.  Cet  édifice,  construit  par  Jacques  d'Amboise  à 
la  fin  du  XV^  siècle,  communique  par  une  cour  intérieure  avec  les 
ruines  du  palais  des  Thermes  romains  attribués  par  quelques  auteurs 


60  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

à  Julien  l'Apostat,  et  dont  il  reste  plusieurs  salles  dans  un  bel  état 
de  conservation.  Ces  deux  monuments  ont  été  réunis  et  serviront  de 
local  à  un  Musée  dans  lequel  seront  rassemblés  les  objets  d'art  an- 
tiques, du  moyen  âge  et  de  la  renaissance  trouvés  en  France,  et  qui 
seront  rangés  suivant  un  ordre  chronologique.  C'est  ainsi  que  tous 
les  ans  de  nouvelles  améliorations  sont  introduites  dans  cette  admi- 
nistration qui  est  sans  doute  destinée  à  recevoir  encore  de  nombreuses 
modifications  ;  mais  cependant  d'heureux  résultats  ont  été  déjà  obte- 
nus ou  sont  en  voie  de  l'être  incessamment. 

Dans  le  mouvement  général  qui  s'est  manifesté  en  France  pour  la 
conservation  des  monuments  historiques ,  il  est  nécessaire,  afin  d'être 
juste  envers  tout  le  monde,  de  distinguer  ce  qui  a  été  le  fruit  du  mou- 
vement spontané  des  particuliers,  et  ce  qui  appartient  à  l'action  gou- 
vernementale. L'élan  a  été  donné  par  les  poëtes,  les  gens  de  lettres  et 
les  savants.  Taudis  que  la  société  des  Antiquaires  de  Normandie,  dans 
le  sein  de  laquelle  se  distinguaient  surtout  MM.  de  Gerville,  Le  Pré- 
vost, Deville  et  de  Caumont,  recueillait  la  première  les  éléments 
d'une  histoire  de  l'art  en  France  pendant  les  siècles  du  moyen  âge , 
le  baron  Taylor  organisait,  dans  le  même  but,  une  croisade  d'ar- 
tistes, et  Charles  Nodier  écrivait  pour  lui  quelques-unes  de  ses  pages 
les  plus  brillantes;  M.  Victor  Hugo  convertissait  au  moyen  âge 
l'imagination  des  jeunes  gens,  M.  de  Montalembert  communiquait 
l'impulsion  au  clergé ,  M.  de  Caumont  excitait  l'ardeur  des  congrès 
scientifiques  par  toute  la  France.  Bientôt  le  gouvernement  est  entraîné 
lui-même  dans  cette  voie,  et  les  chambres  s'associent  à  l'impulsion 
qu'il  donne  à  son  tour.  L'action  du  gouvernement  a  pour  foyer  :  le 
Comité  des  arts  et  des  monuments  et  la  Commission  des  monuments 
historiques;  ces  deux  institutions  répondent  à  leur  but.  Si  l'une  est 
plus  connue  et  occupe  plus  les  esprits,  l'autre  est  plus  directement 
utile.  Le  Comité,  par  ses  instructions ,  son  bulletin,  sa  correspon- 
dance étendue,  a  créé  par  toute  la  France  un  zèle  extraordinaire 
pour  les  intérêts  archéologiques.  Son  président,  M.  le  comte  de  Gas- 
parin,  son  secrétaire,  M.  Didron,  ont  parfaitement  compris  leur 
mission.  Il  est  à  regretter  seulement  qu'un  fonds  annuel  déterminé 
ne  soit  pas  affecté  à  la  publication  des  monuments.  Sur  la  somme 
votée  par  les  chambres ,  le  Comité  des  monuments  n'a  en  quelque 
sorte  que  les  glanures  qui  lui  sont  abandonnées  par  le  Comité  des 
chartes  et  diplômes. 

La  Commission  des  monuments  historiques  dispose  au  contraire 
d'une  somme  annuelle  de  600  000  fr.,  à  elle  appartient  la  répartition 


COM3IISSION   DES   MONUMENTS   HISTORIQUES.  61 

équitable  et  éclairée  d'un  fonds  considérable  en  apparence,  mais  bien 
insuffisant,  si  l'on  tient  compte  des  besoins  réels:  l'accomplissement 
d'une  telle  tâche  a  dû  nécessairement  imprimer  à  ses  travaux  un  ca- 
ractère de  méthode  et  de  prudence;  chargée  d'un  service  entièrement 
nouveau,  il  lui  fallu  créer  les  règles  qu'elle  applique;  c'est  ce  côté 
pratique  de  la  question  que  le  public  connaît  peu,  et  sur  lequel  nous 
avons  voulu  appeler  son  attention. 

Dans  un  prochain  article  nous  ferons  connaître  les  travaux  déjà 
achevés ,  ceux  qui  sont  en  voie  d'exécution  et  enfin  ceux  dont  l'en- 
treprise est  prévue  et  doit  incessamment  avoir  lieu. 

E.  Grille  de  Beuzelin. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


Most  important  discovery,  tel  est  le  titre  que  porte  un  article 
inséré  dans  le  dernier  numéro  de  la  Gazette  littéraire  de  Londres  du 
10  février;  et  si  la  découverte  qu'il  annonce  est  bien  réelle,  comme 
il  n'est  guère  possible  d'en  douter,  l'épithète  de  très-importante  est 
parfaitement  méritée. 

11  ne  s'agit,  en  effet,  de  rien  moins  que  d'un  nouvel  exemplaire 
complet  de  la  fameuse  inscription  de  Rosette,  qui  aurait  été  trouvée 
dans  l'île  de  Méroé  par  M.  le  docteur  Lepsius,  chef  de  l'expédition 
scientifique  envoyée  par  S.  M.  le  roi  de  Prusse  pour  explorer  la 
vallée  du  Nil. 

On  appréciera  toute  l'importance  de  cette  découverte ,  si  l'on  se 
souvient  que  le  bloc  de  granit  appelé  pierre  de  Rosette,  du  nom  de 
la  ville  où  il  a  été  découvert  par  les  Français  en  1799,  porte  sur  une 
de  ses  faces  trois  inscriptions  superposées,  les  deux  premières  en 
égyptien,  écrites  l'une  en  caractères  hiéroglyphiques  ou  sacrés;  l'autre 
en  caractères  démotiques  ou  populaires;  et  la  troisième  en  grec;  et 
que  chacune  d'elles  n'est  qu'une  expression  différente  du  même  dé- 
cret, rendu  à  Memphis  par  les  prêtres  égyptiens,  en  l'honneur  de 
Ptolémée  V,  dit  Épiphane. 

La  découverte  de  ce  document  du  premier  ordre  produisit ,  au 
commencement  de  ce  siècle ,  une  sensation  extraordinaire  ;  car  elle 
ranimait  tout  à  coup  l'espoir,  alors  presque  entièrement  perdu ,  de 
retrouver  l'idiome  et  les  systèmes  graphiques  de  l'ancienne  Egypte, 
au  moyen  de  la  comparaison  de  trois  textes,  dont  l'un  était  parfaite- 
ment connu.  Elle  fut  donc  le  signal  de  recherches  poursuivies  parles 
premiers  savants  de  l'Europe,  les  Sylvestre  de  Sacy,  les  Akerblad, 
les  Thomas  Young  et  les  Champollion ,  pour  ne  citer  que  les  plus  il- 
lustres: 

Champollion  est  celui  qui  a  le  plus  avancé  le  déchiffrement  des 
deux  traductions  égyptiennes,  puisqu'il  est  parvenu  à  une  transcrip- 
tion presque  complète  du  texte  intermédiaire,  et,  par  le  rapproche- 
ment d'une  foule  d'indices,  à  une  intelligence  très-avancée  du  texte 
sacré ,  comme  l'attestent  et  sa  Grammaire  égyptienne  et  son  Diction- 
naire hiéroglyphique. 

Mais  les  efforts  de  ce  génie  pénétrant ,  comme  ceux  de  ses  devan- 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES-  63 

ciers,  ont  été,  en  partie  du  moins,  arrêtés  par  cette  fâcheuse  cir- 
constance, que  le  texte  hiéroglyphique  est  réduit  au  tiers  environ  de 
l'étendue  qu'il  avait  primitivement,  la  partie  supérieure  ayant  été 
emportée  avec  un  éclat  de  la  pierre. 

A  en  juger  par  les  pas  immenses  que  l'interprétation  des  hiéro- 
glyphes a  faits,  malgré  ce  grand  obstacle ,  on  peut  croire  qu'elle  se- 
rait à  présent  bien  avancée,  si  l'on  avait  pu ,  dès  l'origine,  s'appuyer 
sur  une  comparaison  complète  des  trois  textes.  Or,  sur  le  nouvel 
exemplaire  trouvé  par  M.  Lepsius,  le  texte  hiéroglyphique  est  ex- 
Iraordinairement  bien  conservé  (  the  hieroglyphic  portion  is  unusiially 
perfect)  selon  l'expression  de  la  Gazette  littéraire,  et  l'on  peut  croire 
à  l'exactitude  du  fait ,  puisqu'il  est  consigné  dans  une  lettre  adressée 
par  le  docteur  Lepsius  à  M.  Bunsen ,  ministre  de  Prusse  à  Londres , 
qui  est  lui-même  un  savant  très-distingué ,  occupé  depuis  longtemps 
de  grands  travaux  sur  l'histoire  et  la  chronologie  égyptiennes. 

C'est  assurément  là  une  des  nouvelles  les  plus  intéressantes  que 
pût  recevoir  le  monde  savant.  Dans  l'état  oii  se  trouvent  maintenant 
les  études  égyptiennes ,  ce  texte  hiéroglyphique  complet  doit  les 
éclairer  d'une  vive  lumière.  Ici  va  donc  se  présenter  une  épreuve 
décisive  pour  le  système  de  Champollion,  qui,  dans  ce  qu'il  a  d'es- 
sentiel et  de  fondamental,  a  obtenu,  dès  l'origine,  et  conservé  de- 
puis, l'assentiment  des  plus  habiles  philologues  de  l'Europe.  Niebuhr 
l'avait  proclamé  la  plus  belle  découverte  historique  des  temps  modernes; 
Silvestre  de  Sacy  a  plusieurs  fois  exprimé  l'opinion  qu'un  second 
monument,  tel  que  l'inscription  de  Rosette,  ne  ferait  qu'en  con- 
firmer les  bases  ;  et  cette  confiance  est  encore  partagée  par  tous 
ceux  qui  ont  pris  la  peine  d'étudier  avec  soin  les  écrits  de  Cham- 
pollion :  ainsi  ils  n'auront  probablement  nulle  inquiétude  pour  cette 
gloire  de  notre  siècle  et  de  notre  pays  ;  mais  la  vérification  n'en  sera 
pas  moins  attendue  avec  grand  intérêt  par  tous  Içs  amis  de  la  science 
historique. 

Du  reste,  la  découverte  d'une  nouvelle  copie  du  décret  de  Mem- 
phis  n'a  en  elle-même  rien  qui  puisse  surprendre. 

Dans  un  récent  ouvrage,  j'ai  indiqué  (1),  pour  stimuler  et  soutenir 
le  zèle  des  voyageurs,  tous  les  motifs  qui  donnent  lieu  de  croire  que 
des  fouilles  bien  dirigées  devront  amener  tôt  ou  tard  la  connaissance 
soit  d'un  nouvel  exemplaire  de  l'inscription  de  Rosette,  soit  de  toute 
autre  inscription  6i7m^we  analogue ,  àont  l'étude  comparée,  ai-je  dit, 

(l)  Recueil  des  Inscriptions  grecques  et  latines  de  V Egypte,  t.  I",  p.  332. 


64  REVUE    AUCHÉOLOGIQUE. 

fournira  le  moyen  de  déchirer  tout  à  fait  le  voile  que  notre  illustre 
Champollion  a  si  heureusement  soulevé. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  vraiment  extraordinaire  dans  la  découverte 
annoncée,  c'est  qu'elle  ait  été  faite,  non  en  Egypte ,  mais  à  Méroé. 
Cette  circonstance,  sur  laquelle  l'auteur  de  l'article  dans  la  Gazette 
littéraire  de  Londres  n'a  fait  aucune  remarque,  comme  si  elle  n'avait 
rien  que  de  naturel ,  est  cependant  tellement  inattendue,  qu'il  n'est 
pas  un  homme  instruit  qui  ne  soit  tenté  de  la  croire  historiquement 
presque  impossible.  En  effet ,  le  décret  des  prêtres  égyptiens ,  trans- 
crit sur  la  pierre  de  Rosette ,  ne  concerne  que  l'Egypte  dans  toutes 
ses  dispositions  ;  il  y  est  dit  qu'un  exemplaire  doit  en  être  envoyé  et 
déposé  dans  les  divers  temples  du  pays.  C'est  donc  en  Egypte  seule- 
ment qu'on  devrait  en  trouver  des  copies,  depuis  la  mer  jusqu'à 
Philes ,  ou  tout  au  plus  dans  la  portion  de  la  Basse-Nubie,  qu'on  ap- 
pelait le  dodecaschœnon  (espace  de  douze  schœnes)  qui  se  terminait 
à  Hiera-SycaminoSy  limite  méridionale  de  la  domination  des  Ptolémées 
et  des  Romains. 

Quant  à  Méroé,  contrée  reculée  si  loin  vers  le  midi ,  elle  fit  partie 
d'un  État  indépendant  appelé  le  royaume  d'Ethiopie,  qui  arrivait  au 
nord  jusque  vers  la  seconde  cataracte.  Il  confinait  donc  au  royaume 
d'Egypte.  De  là  des  guerres  continuelles,  dans  lesquelles  les  Éthio- 
piens ont  pu  être  souvent  battus  ;  mais  rien  n'annonce  que  les  Pto- 
lémées aient  jamais  porté  leurs  armes  jusqu'à  Méroé,  encore  moins 
que  cette  presqu'île  aient  jamais  fait  partie  intégrante  de  l'Egypte. 
Or  c'est,  à  ce  qu'il  semble,  ce  qu'il  faudrait  conclure  de  la  présence 
à  iferoe  d'une  copie  du  décret  rendu  par  les  prêtres  de  Memphis.  Je 
passe  sous  silence  bien  d'autres  considérations  qui  toutes  feraient 
ressortir  \ invraisemblance  du  fait. 

De  cette  invraisemblance  je  ne  conclus  pas  que  le  fait  n'est  pas 
vrai  ;  je  veux  dire  seulement  qu'il  paraît  contraire  à  toutes  les  induc- 
tions raisonnables  qu'on  peut  tirer  des  faits  connus.  Si  donc  il  se 
confirme  que  la  pierre  a  été  trouvée  à  Méroé,  ce  sera  une  nouvelle 
preuve  des  immenses  lacunes  qui  restent  encore  dans  l'histoire  de 
l'Egypte  sous  la  domination  grecque.  C'est  surtout  à  propos  de  cette' 
branche  si  importante  de  l'histoire  de  l'antiquité ,  qu'après  même  les 
plus  grands  efforts  pour  tâcher  de  savoir  quelque  chose ,  il  ne  doit 
rien  coûter  à  un  esprit  sincère  de  dire  :  Quantum  est  quod  nescinmsî 

Letronne. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES.  65 

Paris  ,  ce  (>  maiM. 

Monsieur  , 

La  nouvelle  que  je  vous  ai  transmise,  le  20  février  dernier,  de  la 
découverte  faite  par  M.  le  docteur  Lepsius  d'un  second  exemplaire 
de  Yinscription  de  Rosette  est  confirmée  par  la  lettre  même  adressée 
par  ce  voyageur  à  M.  le  baron  A.  de  Humboldt. 

Cette  lettre  (du  20  novembre) ,  datée  de  Korusko ,  dans  la  Basse- 
Nubie  ,  a  été  publiée  en  entier  dans  la  Gazette  générale  de  Prusse 
(  9  janvier),  et  par  extrait  dans  VAthenœum  (2  mars).  Entre  autres 
détails  intéressants,  on  y  lit  que,  dans  la  cour  du  grand  temple 
d'isis ,  à  Philes ,  il  a  été  découvert  deux  décrets  des  prêtres  égyp- 
tiens, en  caractères  hiéroglyphiques  et  démotiques,  dont  l'un  présente 
le  même  texte  que  celui  de  Yinscription  de  Rosette;  du  moins  M.  Lep- 
sius s'est  assuré  que  les  sept  dernières  lignes  sont  les  mêmes  dans 
les  deux  monuments,  quant  au  contenu  et  aussi  quant  à  la  longueur 
des  lignes.  Les  quatre  premières  lignes  de  la  partie  hiéroglyphique, 
jusqu'à  l'énoncé  du  décret,  manquent;  mais  le  reste  est  complet,  et 
doit  fournir  les  plus  précieuses  lumières.  A  côté  est  gravé  un  second 
décret  qui  appartient  également  au  règne  de  Ptolémée-Épiphane. 
Mais  on  n'a  trouvé  le  texte  grec  ni  de  l'un  ni  de  l'autre. 

Cette  lettre  ne  laisse  donc  plus  de  doute  sur  la  réalité  de  la  dé- 
couverte, qui,  bien  que  moins  complète  qu'on  pouvait  le  croire  d'après 
la  Gazette  littéraire  de  Londres,  est  encore  la  plus  importante  qui  ait 
été  faite  en  Egypte  depuis  celle  de  la  pierre  de  Rosette. 

Quant  au  lieu  oii  cette  copie  a  été  trouvée,  on  se  souvient  que, 
d'après  la  Gazette  littéraire,  ce  lieu  éiùii  Méroé.  J'avais  montré  com- 
bien ce  renseignement  était  invraisemblable;  et,  tout  en  m'y  soumet- 
tant d'avance,  s'il  venait  à  être  démontré,  j'avais  dit  qu'il  me  parais- 
sait historiquement  presque  impossible.  La  lettre  prouve  que  mes 
doutes  étaient  bien  fondés ,  puisque  la  pierre  a  été  découverte  dans 
la  cour  du  grand  temple  d'isis,  à  Philes,  sur  la  limite  même  de 
1^    l'Egypte  et  de  l'Ethiopie. 

^^       Ainsi  disparaît  cette  circonstance  extraordinaire  qui,  si  elle  se  fût 

^Êk  confirmée,  eût  renversé,  sur  un  des  points  les  plus  importants,  l'his- 

^H  toire  connue  de  l'Egypte  sous  les  Ptolémées. 

^P      II  reste  à  présent  ce  fait  remarquable ,  que  le  décret  des  prêtres  à 

Memphis  a  été  trouvé  aux  deux  extrémités  de  l'Egypte ,  à  Rosette  et 

à  Philes  ;  ce  qui  achève  de  montrer  avec  quelle  fidélité  fut  remplie 

la  prescription  ordonnée  dans  ce  décret,  d'en  envoyer  un  exemplaire 

I.  5 


66  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

à  tous  les  temples  du  pays;  et,  comme  il  est  bien  vraisemblable 
qu'une  pareille  prescription  accompagnait  tous  les  actes  publics  de 
ce  caractère,  on  peut  être  assuré,  comme  je  l'ai  dit  ailleurs,  que  des 
fouilles  bien  dirigées  dans  l'emplacement  des  anciens  temples  doivent 
amener  tôt  ou  tard  d'autres  découvertes  du  même  genre. 

Letronne  (  de  l'Institut  ) . 

—  La  première  lettre  de  M.  Letronne  a  été  traduite  textuellement 
dans  le  Journal  général  de  Prusse,  du  26  février,  le  rédacteur  l'an- 
nonce en  ces  termes  :  «  Le  feuilleton  du  Journal  des  Débats,  arrivé 
((  aujourd'hui  même ,  contient  une  lettre  de  Letronne ,  sur  un  des 
c(  résultats  de  l'expédition  scientifique  du  docteur  Lepsius.  Cette  lettre 
«  est  ainsi  conçue  :  » 

Puis  le  texte  de  la  lettre.  A  la  suite ,  le  rédacteur  (M.  Zinkeisen , 
auteur  d'une  Histoire  de  la  Grèce  moderne)  ajoute  cette  note  : 

((  Nous  croyons  devoir  communiquer  cette  lettre  intéressante  à  nos 
((  lecteurs.  L'erreur  qui  s'y  trouve,  tirée  de  la  Literary  Gazette,  sur 
<cle  lieu  où  l'importante  découverte  du  docteur  Lepsius  a  été  faite, 
c(  n'a  servi ,  comme  on  voit ,  qu'à  montrer  la  sagacité  et  la  science  de 
c(  Letronne.  Il  a  compris  tout  de  suite  combien  il  était  invraisemblable 
«  que  le  lieu  de  la  découverte  fut  Méroé;  et,  en  effet,  ce  renseignement 
((  reposait  sur  une  pure  inadvertance  du  rédacteur  de  la  gazette  ;  car, 
((  dans  la  lettre  du  docteur  Lepsius ,  adressée  à  Alexandre  de  Hum- 
(c  boldt,  il  est  dit  expressément  que  l'inscription  bilingue  a  été  trouvée 
«  dans  le  grand  temple  d'Isis  à  PMles,  La  domination  des  Ptolémées 
(c  ne  s'est  jamais  étendue  que  jusqu'à  Hiéra-Sycaminos  ;  et ,  à  cet 
c(  égard,  la  justesse  de  l'observation  de  Letronne  ressort  également 
c(  de  ce  que  dit  le  docteur  Lepsius,  dans  la  lettre  susdite,  que  Hiéra- 
«  Sycaminos  est  le  lieu  le  plus  méridional  où  l'on  ait  trouvé  des 
c(  inscriptions  grecques.  Ainsi  disparaît  l'invraisemblance  qui  pouvait 
((  planer  sur  cette  découverte  ;  il  ne  reste  plus  que  la  grande  impor- 
((  tance  dont  elle  doit  être  pour  la  science ,  et  que  Letronne  a  si  cor- 
«  dialement  proclamée.  » 

—  On  lit  dans  le  Standard  : 

((  M.  Fellows  et  les  autres  savants  envoyés  par  le  Musée  britan- 
nique pour  faire  partie  de  l'expédition  de  Xanthe  ont  donné  de  leurs 
nouvelles  en  date  du  20  janvier.  Ils  ont  découvert  le  tombeau  d'une 
chimère ,  contrairement  à  l'opinion  générale  des  antiquaires  que  de 
semblables  monuments  ne  pouvaient  se  trouver  dans  l'Asie  Mineure. 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  67 

Ce  tombeau,  construit  tout  en  marbre,  est  couvert  de  figures  d'hom- 
mes, de  femmes  et  d'animaux.  Un  des  groupes  représente,  dit-on, 
Bellérophon  apprivoisant  l'animal  fabuleux  appelé  chimère.  » 

—  Une  découverte  archéologique  assez  importante  vient  d'être  faite 
presque  sous  les  yeux  de  notre  collaborateur  M.  Ernest  Breton.  En 
fouillant  un  champ  au  lieu  appelé  la  Casa  bianca,  à  deux  milles  en- 
viron au  midi  de  Volterre  (  Toscane) ,  cette  ville  si  célèbre  par  ses  an- 
tiquités, on  a  trouvé  à  peu  de  profondeur  dans  la  terre  et  sans 
aucune  apparence  de  construction  divers  objets  de  bronze  tous 
étrusques  à  l'exception  d'un  seul. 

l^Six  serpents  de  diflerentes  grosseurs  ayant  tous  la  tête  surmontée 
de  crêtes  de  coq  plus  ou  moins  proéminentes,  et  au  milieu  du  ventre 
un  tenon  qui  dut  servir  à  les  fixer  sur  un  support.  Le  plus  long  étant 
développé  aurait  environ  O^eo. 

2«  Un  pigeon  en  bronze  massif  presque  de  grandeur  naturelle, 
d'un  travail  barbare ,  et  offrant  beaucoup  d'aimlogie  avec  les  colom- 
baires  de  moyen  ûge.  Il  porte  siir  l'aile  droite  l'inscriplion  suivante  en 
caractères  étrusques  : 

i-^ai/imAHH'  iSTv^e.^j3 
al^l^1...JV^^t... 

TIVI/l-At/^il 

3°  Trois  figures  grossières  démesurément  longues.  Les  deux  pre- 
mières sont  des  femmes  entières,  drapées,  et  tenant  en  main  despa- 
tères.  La  troisième,  qui  est  mâle,  est  beaucoup  plus  curieuse;  la  tête 
est  couronnée,  et  le  corps  est  remplacé  par  une  lame  comme  celle 
d'une  épée.  Au-dessous  de  la  tête  naissent  deux  bras ,  dont  le  droit 
entièrement  détaché  du  corps  tient  une  patère.  Le  bras  gauche , 
mince  outre  mesure,  n'est  indiqué  que  par  une  saillie  le  long  de  la 
lame  jusqu'à  la  hauteur  des  parties  sexuelles  qui  se  voient  également 
appliquées  contre  la  lame.  A  cette  hauteur  la  main  se  relève  et  tient 
un  petit  vase  avec  trois  fruits  ou  trois  boules. 

4«  Une  petite  figure  de  cheval  au  galop  du  style  le  plus  barbare. 

5°  Enfin  une  statuette  de  travail  romain.  C'est  un  jeune  homme 
amplement  drapé ,  et  ayant  au  col  la  bulle.  Sa  hauteur  est  de  0™35  ; 
son  poids  de  5^50,  Sa  conservation  est  satisfaisante,  il  manque  seule- 
ment le  pied  gauche. 

Ces  divers  objets  sont  en  la  possession  de  M.  Pilastri ,  propriétaire 


68  KKVUK    AKCHÉOLOGiQUE. 

du  champ ,  et  on  doit  espérer  qu'il  en  fera  hommage  au  musée  de 
Volterre ,  et  qu'ainsi  ils  seront  conservés  à  la  curiosité  et  à  l'étude  des 
antiquaires. 

—  On  vient  de  faire,  à  peu  de  distance  de  Paris,  une  découverte 
tout  à  fait  digne  d'exciter  l'intérêt  des  archéologues.  Au  sommet  du 
coteau  de  Marly ,  du  côté  qui  regarde  la  vallée ,  dans  un  champ 
nommé  le  Mississipi,  et  près  d'un  endroit  appelé  la  Tour-aux- 
Païens ,  on  a  mis  à  jour  un  de  ces  monuments  celtiques  connu  sous 
le  nom  d'Allée  Couverte  ou  Grotte  aux  Fées.  Ce  monument,  com- 
posé de  pierres  d'épaisseur  et  de  grandeur  inégales ,  toutes  égale- 
ment brutes ,  affecte  la  forme  d'une  galerie  dont  la  hauteur  peut 
être  environ  d'un  mètre  et  demi.  Les  grosses  pierres  qui  la  compo- 
sent sont  appuyées  des  deux  côtés  sur  un  blocage  de  pierres  sèches , 
de  nature  calcaire  ,  parfaitement  encastrées  dans  le  terrain.  Le  mo- 
nument est  orienté  de  l'Ouest  à  l'Est,  et  son  entrée  se  trouve  sur  le 
penchant  d'une  colline  du  côté  de  la  Seine.  Les  fouilles  que  la  Com- 
mission des  Monuments  Historiques  fait  pratiquer  en  cet  endroit  per- 
mettront de  se  rendre  un  compte  plus  exact  de  son  étendue  et  de  sa 
construction  ;  on  doit  même  espérer  qu  elles  conduiront  à  la  décou- 
verte de  fragments  précieux;  jusqu'ici  on  n'y  a  trouvé  qu'une  grande 
quantité  d'ossements. 

—  On  mande  d'Aix-la-Chapelle,  le  13  mars  : 

«  Le  célèbre  sarcophage  en  marbre  représentant  le  Rapt  de  Pro- 
serpine,  et  qui,  jusque  vers  la  fin  du  XIl^  siècle,  avait  été  placé  en 
guise  de  marchepied  dans  le  caveau  de  Charlemagne ,  après  quoi  on 
l'avait  mis  à  part  comme  un  monument  distingué  de  l'art  ancien 
dans  notre  vénérable  cathédrale,  devait  être  transporté  aujourd'hui, 
de  la  chapelle  oii  il  était ,  au  jubé  de  la  même  église.  Déjà  ce  sarco- 
phage, dont  le  poids  dépasse  deux  mille  livres,  touchait  presque  au 
lieu  de  sa  destination ,  quand  un  crochet  de  l'une  des  moufles  vint  à 
se  rompre  et  entraîna  la  chute  épouvantable  du  fardeau.  C'est  un 
grand  bonheur  qu'aucun  ouvrier  n'ait  été  atteint  et  que  le  sarcophage 
ne  se  soit  point  brisé.  Les  parois  latérales  et  de  derrière  ont  seules 
souffert,  mais  le  côté  de  devant  qui  contient  les  figures  ne  s'est 
fendu  qu'à  une  place  où,  depuis  plusieurs  siècles,  il  y  avait  une  fê- 
lure, en  sorte  que  le  dommage  n'est  pas  grand  et  sera  bientôt  ré- 
paré. » 

'  — On  écrit  de  Sétif  (province  de  Constantine),  que  des  ouvriers 
du  génie  militaire,  occupés  à  travailler  aux  fondations  de  l'hôpital 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  69 

qu'on  élève  dans  cette  ville,  ont  découvert  un  buste  en  bronze,  par- 
faitement bien  conservé ,  qu'on  suppose  être  celui  d'un  empereur  ro- 
main. Cette  découverte  est  d'autant  plus  précieuse  pour  l'archéologie 
qu'elle  est  la  première  qu'on  ait  faite  d'un  tel  métal  en  Afrique.  Des 
ordres  ont  été  donnés  pour  continuer  les  fouilles  ;  on  espère  obtenir 
des  résultats  aussi  heureux  que  celui-ci. 

—  Il  vient  d'être  trouvé ,  près  de  Hédé ,  en  Bretagne ,  dans  une 
excavation  carrée,  une  très-grande  quantité  de  pièces  romaines  de 
petit  module  du  Bas-Empire,  à  l'effigie  des  empereurs  Gallien, 
Claude,  Tétricus,  Victorinus,  etc.  Le  poids  pouvait  en  être  évalué 
à  deux  livres  et  demie  au  plus. 

—  Dans  l'une  des  séances  du  mois  de  mars  dernier,  M.  Raoul 
Rochette  a  communiqué  à  l'Académie  des  Ifiscriptions  et  Belles- 
Lettres  le  passage  d'une  lettre  de  M.  le  baron  de  Prokesch,  ministre 
d'Autriche  à  Athènes,  qui  annonce  que  le  professeur  Ross  et  lui  ont 
découvert  à  Milo,  non  loin  du  lieu  oii  fut  trouvée  l'admirable  Vénus 
qui  est  maintenant  au  Louvre,  des  catacombes  chrétiennes  remon- 
tant, selon  toute  apparence,  aux  premiers  temps  de  l'établissement 
du  christianisme.  M.  Ross  se  propose  de  publier  quelques  inscriptions 
des  tombeaux  que  le  temps  n'a  pas  complètement  effacées.  Les  ca- 
tacombes de  Milo  sont  les  premières  chrétiennes  qu'on  ait  décou- 
vertes en  Grèce. 

—  M.  Buchon  a  communiqué  à  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres ,  dans  l'une  des  séances  du  mois  de  mars  dernier,  une 
note  relative  à  des  sculptures  particulières  qu'il  a  observées,  pendant 
son  voyage  en  Grèce ,  dans  l'église  byzantine  de  Saint-Luc ,  lesquelles 
ont,  suivant  lui,  de  l'analogie  avec  des  monuments  persépolitains. 

—  M.  Deville,  directeur  du  Musée  des  Antiquités  de  Rouen ,  vient 
de  découvrir,  dans  les  archives  du  département  de  la  Seine-Infé- 
rieure ,  le  nom  de  l'architecte  auquel  on  doit  le  beau  portique  du 
château  de  Gaillon  qui  décore  la  cour  de  l'École  des  Beaux- Arts. 
Cet  architecte  se  nommait  Pierre  Fain,  et  était  de  Rouen.  Il  entre- 
prit la  construction  de  ce  portique,  à  forfait,  pour  la  somme  de 
650  livres  tournois,  et  l'acheva  dans  le  mois  de  septembre  de  l'année 
1509.  La  date  de  1500,  que  l'on  a  inscrite  sur  le  portique,  devrait 
donc  être  rectifiée.  Il  serait  bien  à  désirer  que  l'on  donnât  suite  au 
projet  de  publication  des  comptes  de  la  construction  du  château  de 


7Çi  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Gaillon ,  dont  ce  portique  faisait  partie ,  que  M.  Deville  a  retrouvés 
en  manuscrit  dans  les  anciens  papiers  du  cardinal  d'Amboise;  cette 
publication  serait  du  plus  baut  intérêt  pour  l'histoire  de  l'art  et  de 
notre  école  française.  Nous  formons  des  vœux  pour  que  M.  le  mi- 
nistre de  l'instruction  publique  accueille  favorablement  la  demande 
qui  lui  en  a  été  faite,  si  nous  sommes  bien  instruits,  par  le  Comité 
des  Arts  et  Monuments. 

—  Le  journal  V Algérie  annonce  qu'on  a  trouvé,  dans  le  Bordj  de 
Biskra,  une  pièce  de  canon  du  temps  de  Henri  II;  elle  porte  le 
millésime  de  1549  ,  et  le  chiffre  et  le  croissant  de  Diane  de  Poitiers. 
On  doit ,  dit-on ,  amener  cette  pièce  en  France. 

—  On  écrit  de  Vitry-le-Français  : 

A  l'extrémité  Nord-Est  du  village  de  Scrupt ,  canton  de  Thiéble- 
ment,  arrondissement  de  Vitry-le-Français,  on  a  trouvé,  il  y  a  une 
quinzaine  de  jours,  une  grande  quantité  de  squelettes  encore  bien 
conservés  et  dont  l'existence  remonte  très-haut.  Tous  ces  squelettes 
ont  les  pieds  dirigés  vers  l'Orient.  De  petits  vases  en  terre,  de  diffé- 
rentes formes  et  grandeurs,  se  trouvaient  entre  les  fémurs.  Dans  un 
de  ces  vases  existait  encore  une  substance  noire  et  légère,  ressem- 
blant exactement  par  la  couleur  et  la  forme  à  des  fragments  de  paille 
carbonisée  ou  de  vanille  détériorée. 

Dans  un  même  endroit  se  trouvaient  les  uns  sur  les  autres  plus 
de  cinquante  squelettes,  avec  quelques  armures,  des  colliers,  des 
sabres  courts,  des  poignards,  quelques  ceinturons  en  cuivre.  Les 
grains  des  colliers  sont  en  verroterie  et  en  terre  cuite  émaillée.  La 
disposition  de  ces  squelettes  fait  supposer  qu'à  la  suite  d'un  sanglant 
combat  les  cadavres  de  nombreux  guerriers  avaient  été  jetés  pêle- 
mêle  dans  une  fosse  commune  ;  et ,  ce  qui  donne  de  l'assertion  à 
cette  supposition ,  c'est  que  la  plupart  des  squelettes  avaient  la  face 
en  dessous ,  et  n'étaient  point  rangés  symétriquement  comme  dans 
les  autres  parties  de  ce  cimetière. 

Parmi  les  objets  les  plus  curieux  trouvés  à  Scrupt,  sont  deux 
pièces  de  monnaie  en  cuivre,  à  l'effigie  de  Constantin;  l'une,  d'un 
module  d'une  pièce  de  i  franc ,  porte  pour  exergue  :  Constantinus 
prœfectus  Augustus;  l'autre,  d'un  module  de  25  centimes,  porto 
Constantinus  Maximus, 

Ce  cimetière  doit  être  vaste,  si  l'on  en  juge  par  les  découvertes 
faites  beaucoup  plus  loin.  —  On  avait  déjà  trouvé  dans  ce  même 
village  ,  l'an  dernier,  une  pièce  d'argent  de  Clovis  :  Clovis  rex. 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  71 

—  Le  Comité  d'Archéologie  de  l'arrondissement  de  Châlons  s'est 
réuni  le  30  mars,  dans  une  des  salles  de  la  préfecture ,  sous  la  pré- 
sidence de  M.  le  préfet.  Dans  cette  séance,  M.  l'abbé  Gallois,  curé 
de  Bussy-Lettrée,  présente  un  travail  sur  les  églises  de  Soudron  et 
Bussy-Lettrée  ;  M.  l'abbé  Boitel,  une  notice  sur  l'église  Saint- Alpin, 
et  M.  Liénard,  une  notice  sur  les  frères  Jacques,  sculpteurs,  dont 
les  œuvres  ornent  encore  aujourd'hui  plusieurs  églises  de  ce  départe- 
ment. M.  Barbât  offre  un  dessin  colorié  d'un  reliquaire  en  émail  qui 
se  trouve  à  la  cathédrale  de  Châlons.  On  fait  remarquer  sa  ressem- 
blance avec  un  reliquaire  de  même  forme  qui  se  trouve  dans  l'église 
de  Villemaure  (Aube),  et  dont  la  description  existe  dans  le  Voyage 
archéologique  et  pittoresque  de  ce  département ,  par  M.  Arnaud.  Il 
serait  à  désirer  qu'un  tel  travail  pût  être  entrepris  pour  le  départe- 
ment de  la  Marne.  M.  le  préfet  recommande  de  nouveau  l'ouvrage 
intitulé  :  Éléments  dArcJiéologie^  par  Batissier  ;  et  il  fait  connaître  que 
plusieurs  secours  ont  été  accordés  pour  les  monuments  historiques, 
et  en  particulier  pour  l'église  Notre-Dame-de-Lépine.  M.  le  pré- 
fet appelle  l'attention  du  Comité  sur  le  mauvais  état  d'entretien  dans 
lequel  se  trouvent  plusieurs  de  ces  monuments ,  notamment  la  crypte 
de  l'église  Saint-Martin-de- Vertus ,  celle  de  l'église  de  Jalons,  les 
églises  de  Loisy-en-Brie ,  Bussy-Lettrée  et  Champigneul.  Des  com- 
missaires sont  désignés  pour  visiter  ces  divers  édifices ,  indiquer  les 
réparations  les  plus  urgentes,  ainsi  que  les  dalles,  inscriptions  qui 
mériteraient  d'être  estampées,  et  les  fragments  d'architecture  qui, 
par  leur  petit  volume  et  la  perfection  de  leurs  détails ,  pourraient 
être  utilement  reproduits  en  plâtre  et  placés  dans  les  collections  de 
la  Commission  d'Archéologie  ou  des  Comités  d'arrondissement.  M.  le 
préfet  fait  connaître  que  son  intention  est  d'affecter  à  cette  destina- 
tion une  partie  des  fonds  mis  à  sa  disposition  par  le  Conseil  général 
dans  sa  dernière  session.  Il  place  sous  les  yeux  de  la  commission 
l'inscription  du  tombeau  de  Saint-Domitien ,  successeur  de  Saint- 
Memmie,  estampée  à  la  mine  de  plomb  et  offerte  par  M.  Moutié, 
archéologue  du  département  de  l'Oise.  MM.  les  commissaires  devront 
faire  leur  rapport  sur  les  divers  édifices  qu'ils  sont  chargés  de  visiter, 
dans  une  prochaine  séance  qui  est  fixée  au  29  avril. 

—  S.  M.  le  roi  de  Naples  vient  de  nommer  une  commission  char- 
gée de  publier  tous  les  documents  remarquables  inédits  qui  se 
trouvent  dans  les  bibliothèques  publiques  et  particulières  du  royaume 
de  Naples  et  de  Sicile ,  concernant  l'histoire  de  ces  deux  pays,  depuis 


72  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

l'invasion  de  l'Italie  par  les  Lombards,  jusqu'à  l'avènement  de 
Charles  de  Bourbon  au  trône  des  Deux-Siciles  (1735).  La  commission 
à  laquelle  cet  immense  travail  a  été  confié  se  compose  de  vingt- 
deux  membres,  parmi  lesquels  se  trouvent  les  philologues  et  les 
historiens  les  plus  distingués.  On  calcule  que  l'accomplissement  de 
sa  tâche  durera  au  moins  de  douze  à  quinze  années  ;  car  on  estime 
le  nombre  des  documents  qu'elle  aura  à  compulser  à  plus  de  soixante 
raille. 

—  Une  nouvelle  société  vient  de  se  former  à  Londres  sous  le  nom 
d'Association  archéologique  anglaise.  Son  but  est  de  provoquer  et  d'en- 
courager toute  espèce  de  recherches  sur  les  arts  et  monuments  an- 
ciens et  du  moyen  âge,  particulièrement  en  Angleterre.  Cette  société 
compte  déjà  au  nombre  de  ses  premiers  membres  inscrits  les  hommes 
les  plus  éminents  de  la  science.  Son  programme  offre  une  très-grande 
analogie  avec  le  Comité  des  Arts  et  Monuments  en  France.  Le  premier 
numéro  du  journal  de  cette  association ,  qui  est  annoncé  dans  notre 
Bibliographie  sous  le  ihre  de Britisharcheologicalquarterlyjoarnal(i), 
a  devancé  de  très-peu  de  jours  la  mise  en  vente  de  notre  Revue  Ar- 
chéologique. On  nous  apprend  aussi  qu'il  paraît  à  Naples  un  recueil 
d'archéologie  (2).  Cette  coïncidence  de  publications  à  Paris,  à  Londres 
et  à  Naples ,  indépendamment  des  journaux  analogues  qui  existaient 
déjà  en  France  et  à  l'Étranger,  nous  paraît  un  fait  assez  important 
pour  qu'il  doive  être  signalé  à  l'attention  de  nos  lecteurs ,  et  nous  le 
considérerons  comme  une  nouvelle  preuve  du  besoin  qu'on  éprouve 
partout  de  propager  une  science  qui  est  destinée  à  rendre  les  plus 
grands  services  aux  études  historiques. 

—  L'Académie  deBarcelonne  vient  de  fonder  un  Musée  des  Antiques 
dans  les  cloîtres  du  vieux  couvent  de  San  Juan.  Elle  a  déjà  réuni 
beaucoup  de  débris  romans  et  gothiques.  —  On  ne  saurait  trop 
applaudir  à  la  création  de  ces  musées  qui  sont  appelés  à  sauver  un 
très-grand  nombre  de  fragments  de  tout  genre,  fragments  qu'on  aban- 
donnait autrefois  et  dont  il  faut  aujourd'hui  regretter  vivement  la 
perte.  Faisons  des  vœux  pour  que  notre  voix  soit  entendue  et  que 
nous  ayons  bientôt  la  satisfaction  de  pouvoir  annoncer  la  formation 
de  collections  historiques  dans  toutes  les  localités  où  se  trouvent 
encore  des  débris  de  monuments. 

(1)  Voyez  Revue  Archéologique,  T.  I,  page  7H. 

(2)  Ibid.,  page  41. 


DECOUVEKTES  ET  NOUVELLES.  73 

Nécrologie.  —  M.  Jean  GeotTroiSchweighfeuser,  membre  corres- 
pondant de  l'Académie  des  Inscriptions,  professeur  de  littérature  grec- 
que à  la  faculté  de  Strasbourg,  fils  d'un  savant  illustre  dans  toute  l'Eu- 
rope, vient  de  s'éteindre  à  l'âge  de  soixante-hnit  ans.  Depuis  quinze  ans 
il  était  cloué  sur  son  fauteuil  par  une  paralysie,  ne  vivant  plus  que  de 
la  vie  intellectuelle.  Homme  d'un  cbarmant  esprit  et  d'un  vaste  savoir, 
il  avait  pris  une  part  active  aux  excellentes  éditions  d'Hérodote,  de 
Polybe,  d'Appien,  d'Athénée,  d'Arrien,  d'Épictète,  etc.  Ce  fut  lui 
qui  collationna  sur  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Strasbourg 
l'édition  des  Épîtres  de  Sénèque,  signée  par  son  père ,  et  qui  n'a  point 
été  surpassée,  non  plus  que  les  éditions  des  auteurs  grecs.  Depuis 
une  vingtaine  d'années  M.  J.  G.  Schweighœuser  s'était  adonné  plus 
particulièrement  aux  recherches  archéologiques.  On  lui  doit  ce  qui  a 
été  écrit  de  meilleur  sur  le  mont  Saint-Odile ,  sur  la  cathédrale  de 
Strasbourg,  le  Champ  du  Feu,  etc.,  etc.  Il  avait  vécu  longtemps  à 
Paris  dans  la  société  intime  de  Millin ,  de  madame  de  Staël ,  de 
Benjamin  Constant,  de  Courier. 


BIBLIOGRAPHIE. 

PlJBIilCAXIOJVS  ARCHÉOIiOQIf^UES. 

PREMIER  BULLETIN. 

FRANCE. 

Champollion  jeune,  Dictionnaire  hiéroglyphique,  1  vol.  petit 
in-fol.;  sera  publié  en  quatre  livraisons;  trois  sont  en  vente,  à  Paris, 
chez  Firmin  Didot  frères. 

Champollion  jeune,  Monunjents  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie, 
d'après  les  dessins  exécutés  sur  les  lieux  et  les  descriptions  autogra- 
phes qu'il  a  laissées  ;  chez  Firmin  Didot  frères  ;  44  livraisons,  format 
grand  in-fol.,  sont  en  vente. 

LENORMANT(Ch.)  et  DE  WiTTE ,  Élite  dcs  monuments  céramo- 
graphiques,  matériaux  pour  servir  à  l'histoire  des  religions  et  des 
mœurs  de  l'antiquité;  Paris,  Leleux;  il  paraît  en  ce  moment  53  li- 
vraisons, format  in-fol.,  avec  planches  noires  ou  coloriées. 

Gailhabaud  (Jules),  etc.,  etc..  Monuments  anciens  et  modernes, 
formant  une  Histoire  de  l'Architecture  à  toutes  les  époques,  livrai- 
son 49^;  Paris,  Firmin  Didot  frères,  in-4,  pi. 

Isabelle  (C.  E.),  les  Édifices  circulaires  et  les  Dômes,  classés 
par  ordre  chronologique  et  considérés  sous  le  rapport  de  leur  disposi- 
tion, de  leur  construction  et  de  leur  décoration  ;  par  livraisons  in-fol. 
avec  planches,  dont  quelques-unes  coloriées;  il  en  paraît  déjà  cinq 
livraisons,  chez  Firmin  Didot  frères. 

Batissier  (Louis),  Éléments  d'Archéologie  nationale,  précédés 
d'une  Histoire  de  l'Art  monumental  chez  les  anciens  ;  Paris,  1843, 
Leleux,  1  vol.  gr.  in-18,  avec  nombreuses  vignettes  sur  bois  inter- 
calées dans  le  texte. 

Herbe,  Histoire  des  Beaux- Arts,  en  France,  par  les  monuments 
spécialement  de  sculpture  et  de  peinture,  depuis  la  domination  ro- 
maine jusqu'à  l'époque  de  la  renaissance  ;  Paris,  in-4,  avec  planches; 
les  huit  premières  livraisons  sont  en  vente. 

Ddsommerard,  les  Arts  au  Moyen  Age  ;  Paris,  5  vol.  grand  in-8, 
avec  atlas  et  album  in-fol. 

Gdenebadlï  (L.),  Dictionnaire  iconographique  des  monuments  de 
l'antiquité  chrétienne  et  du  Moyen  Age,  depuis  le  Bas-Empire  jusqu'à 
la  fin  du  XVP  siècle ,  indiquant  l'état  de  l'art  et  de  la  civilisation  à 


BIBLIOGRAPHIE.  75 

ces  diveres  époques  ;  Paris ,  Leleux ,  in-8  ;  les  quatre  premières  li- 
vraisons sont  en  vente. 

Lenoir  (Alb.)  et  Lenormant  (Ch.),  Instructions  du  Comité  des 
Arts  et  Monuments  :  1  ^^  cahier,  Monuments  gaulois,  grecs  et  romains; 
ceux  de  style  latin  et  byzantin;  in-4,  avec  un  très-grand  nombre  de 
vignettes  gravées  sur  bois  intercalées  dans  le  texte. 

Lenoir  (Alb.),  Instructions  du  Comité  des  Arts  et  Monuments, 
2^  cahier,  Monuments  de  style  roman  et  ogival;  in-4,  avec  vignettes 
intercalées  dans  le  texte. 

Mérimée  et  Lenoir  (Albert),  Instructions  du  Comité  des  Arts  et 
Monuments,  a*'  cahier,  Architecture  militaire  du  Moyen  Age;  in-4, 
avec  de  nombreuses  vignettes  dans  le  texte. 

DiDRON,  Instructions  du  Comité  des  Arts  et  Monuments  :  Icono- 
graphie chrétienne;  1  vol.  in-4,  avec  150  vignettes  gravées  sur  bois, 
d'après  les  dessins  de  MM.  Paul  Durand  et  E.  Boeswillwald. 

Bottée  de  Toulmon,  Instructions  du  Comité  des  Arts  et  Monu- 
ments :  Musique;  in-4  avec  planches. 

Lenoir  (Albert),  Statistique  monumentale  de  Paris,  publiée  par 
le  ministère  de  l'instruction  publique;  Paris,  in-fol.;  il  paraît  13  li- 
vraisons de  planches. 

Lassus  et  DiDRON,  Monographie  de  la  cathédrale  de  Chartres, 
publiée  par  le  ministère  de  l'instruction  publique  ;  par  livraisons 
in-fol. 

Cahier  et  Martin,  Vitraux  de  la  cathédrale  de  Bourges,  collec- 
tion format  gr.  in-fol.,  avec  planches  coloriées.  Les  premières  livrai- 
sons de  ce  savant  et  magnifique  ouvrage  sont  en  vente. 

Horeau  (Hector),  Panorama  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie;  Paris, 
chez  l'auteur;  en  vente  les  6  premières  livraisons,  format  in-fol., 
avec  planches  coloriées  et  vignettes  sur  bois  intercalées  dans  le  texte; 
l'ouvrage  entier  comprendra  12  livraisons. 

Texier  (Charles),  Description  de  l'Asie  Mineure,  faite  par  ordre 
du  ministre  de  l'instruction  publique,  de  1833  à  1837;  Paris,  Fir- 
min  Didot  frères,  in-fol.  avec  planches  ;  il  paraît  31  livraisons. 

Texier  (Charles),  l'Arménie,  la  Perse  et  la  Mésopotamie,  Géo- 
graphie et  Géologie  de  ces  contrées,  monuments  anciens  et  moder- 
nes, histoire,  mœurs  et  coutumes,  pour  faire  suite  à  la  Description 
de  VAsie  Mineure;  Paris,  Firmin  Didot  frères,  in-fol.  avec  planches. 
Les  huit  premières  livraisons  sont  en  vente. 

Coste  et  Flandin  ,  Voyage  en  Perse ,  avec  texte  rédigé  par 
MM.  E.  Burnouf,  H.  Lebas  et  Ach.  Leclère.  Recueil  d'architecture 


76  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

ancienne,  bas-reliefs,  inscriptions  cunéiformes  et  pehlvis,  plans  lo- 
pographiques  et  vues  pittoresques;  par  livraisons  in-fol.  avec  plan- 
ches. Les  deux  premières  sont  en  vente. 

De  la  Borde  (Léon),  Voyage  en  Orient:  Asie  Mineure,  Syrie, 
Palestine,  etc.;  par  livraisons  grand  in-fol.,  avec  planches  lithogra- 
phiées. 

Taylor  (baron).  Voyages  pittoresques  et  romantiques  dans  l'an- 
cienne France  :  Picardie,  Bretagne,  Champagne,  etc.;  par  livraisons 
in-fol.,  avec  planches  lithographiées  et  gravées. 

Michel  (Adolphe),  etc.,  l'Ancienne  Auvergne  et  le  Vélay,  his- 
toire, archéologie,  mœurs,  topographie;  Moulins,  Desroziers,  par 
livraisons  in-fol.,  avec  texte;  les  premières  sont  en  vente. 

LuYNEs(duc  de)  et  Huillard-Bréholles ,  Recherches  sur  les 
monuments  et  l'histoire  des  Normands  et  de  la  maison  de  Souabe 
dans  l'Italie  méridionale;  Paris,  1844,  1  vol.  grand  in-fol.  avec 
35  planches. 

Mémoires  de  l'Institut  royal  de  France  :  Académie  des  Inscriptions 
et  Belles-Lettres;  in-4  avec  planches. 

Journal  des  Savants,  rédigé  par  les  notabilités  scientifiques  de  la 
France;  paraît  par  cahiers,  format  in-4. 

LuYNEs  (duc  de),  etc..  Annales  de  l'Institut  archéologique  de 
Rome;  publiées  par  cahiers  in-8,  avec  planches. 

L'Institut  (partie  historique),  journal  publié  par  cahiers  men- 
suels. 

De  Caumont,  etc.,  Bulletin  monumental,  ou  Collection  de  Mé- 
moires et  de  renseignements  pour  servir  à  la  confection  d'une  statisti- 
que des  monuments  de  la  France,  classés  chronologiquement;  Paris, 
Derache.  Il  paraît  par  cahiers  mensuels,  format  in-8,  avec  planches; 
neuf  volumes  sont  en  vente. 

DiDR0i> ,  Bulletin  archéologique ,  publié  par  le  Comité  des  Arts 
et  Monuments;  paraissant  par  cahiers  in-8.  Deux  volumes  sont 
publiés. 

Cartier  et  de  la  Saussaye,  Revue  numismatique,  paraissant 
par  cahiers  mensuels,  format  in-8,  avec  planches.  Paris,  Rollin. 

PiOT,  etc.,  etc.,  le  Cabinet  de  l'amateur  et  de  l'antiquaire;  Paris, 
in-8,  planches;  publication  mensuelle. 

Daly  (César),  etc.,  etc.,  Revue  générale  de  l'architecture  et  des 
travaux  publics;  Paris,  in-4,  planches.  Les  trois  premiers  volumes 
sont  en  vente. 

Bibliothèque  de  l'École  des  chartes ,  paraissant  par  cahiers  men- 


BIBLiOGRAPHIK.  77 

vsuels,  dans  le  format  iii-8,  chez  Dumoulin ,  éditeur,  quai  des  Grands- 
Augustins. 


ALLEMAGNE  (1) 

Abeken  (W.),  Mittel  Italien  vor  den  Zeiten  rômischer  Herrschafl; 
nach  seinen  Denkmàlen  dargestellt;  Stuttgard,  in- 8,  avec  11  planches. 

Aloé  (Stanislas),  Les  peintures  deGiotto,  de  l'église  de  l'Incoro- 
nnta  àNaples,  publiées  et  expliquées  pour  la  première  fois;  Berlin, 
in-4 ,  avec  8  planches. 

Biiaun(E),  Antike  Marmorwerke,  zum  erslenmal  bekannt  gemachl  ; 
Leipsig,  1  ""  et  S'' décade ,  24  planches  iii-foL 

Becker  (  W.  a.)  ,  Handbach  der  roemischen  AUerlhdmer  nach  den 
Qiiellen  bearbeilet,  tome  I";  Leipsig,  in-8,  avec  5  planches. 

BuNSEiv  (C),  Die  Basiliken  des  christlichen  Roms  nach  ihrem  Ziisam- 
menhange  mitideeund  Geschichte  der  Kirchenbaakunst  dargestellt;  Mu- 
nich, in-4,  avec  une  planche.  — L'atlas  par  Guttensohn  et  Knapp, 
sept  livraisons  in-fol. 

Emmich  (W.),  Versuch  eines  Ubersicht  sammtlicher  bekannten 
Baiiwerke  der  Vorzeit  und  derenDenkmàler,  als  Beitrag  ziir  Geschichte 
und  Archàologie  derBaukunst;  Francfort-sur-l'Oder,  in-8 ,  avec  fron- 
tispice. 

Gerhard  (E),  Coupes  grecques  et  étrusques  du  Musée  royal  de 
Berlin;  Berlin,  in-fol.,  avec  35  planches. 

,  Vases  étrusques  et  campaniens  du  Musée  royal  de  Berlin  ; 

Berlin,  in-fol.,  avec  18  planches. 

,  Archàologische  Zeilangy  herausgegeben  von  E.  Gehrard, 

Berlin ,  4  cahiers  in-4 ,  avec  figures  chaque  année  ;  la  1  '"  année 
en  1843. 

Hefner  (de).  Costume  du  moyen  âge  chrétien,  d'après  les  mo- 
numents contemporains  :  la  première  division  ;  du  temps  le  plus 
ancien  jusqu'à  la  lin  du  XIII"  siècle.  — La  deuxième  division  :  XIV" 
et  XV"  siècles.  —  La  troisième  division  :  XVP  siècle;  Mannheim, 
in-4,  par  livraisons,  avec  planches  noires  ou  coloriées.  —  21  livrai- 
sons, prises  dans  les  trois  divisions,  sont  en  vente. 

Heideloff  (C),  Les  ornements  du  Moyen  Age.  Collection  d'or- 

(1)  On  trouvera  tous  les  ouvrages  allemands  et  anglais  que  nous  annonçons  dans 
ce  premier  bulletin ,  à  la  Librairie  étrangère  de  Friederich  Klincksieck  ,  rue  de 
Lille,  11. 


k 


78  REVUE    \KCHÉOLOGIQUE. 

nements  choisis  et  de  profils  de  l'architecture  byzantine  et  allemande  ; 
Nuremberg,  in-4,  planches;  les  9  premières  livraisons  sont  en 
vente. 

LAssEN(Ch.),  Indische  AUerthumskande ;  Bonn,  tome  P',  1"  par- 
tie, in-8. 

MiLDE  (C.  J.),  Denkmdler  bildender  Kunst  in  Liiheck,  begleitet 
mit Erlàiiterndem  îiistorischen,  Text  vonE.  Deecke,  Lûbeck,  T"  cahier, 
in-4,  avec  7  planches.  L'ouvrage  entier  formera  6  livraisons. 

MiJLLEU  (C.  0.),  Archàologische  Mittheilungen  ans  Griechenland , 
nach  den  hinterlassenen  papieren  herausgeg.  von  A.  Scholl;  Franc- 
fort-sur-Mein,  1'^  livraison,  in-4,  avec  6  planches  in-fol.  oblongues. 

Panofka  (T.),  Bilder  antiketi  Lebens;  Berlin,  4  cahiers  in-4,  avec 
20  planches  imprimées. 

Platner  (E.),  Bcnsen  (C),  Gerhard  (E.),  Bostell  (W.), 
und  Urlichs  (L.),  Beschreihung  der  stadt  Rom;  Stuttgard,  6  volumes, 
formant  3  tomes  in-8,  et  2  atlas  contenant  25  planches  in-fol. 

PopPE  (C),  Sammlung  von  Ornamenten  und  Fragmenten  antiker 
Architeclar,  Sculptur,  Mosaik  und  Toreutik ,  aufeiner  Reise  durai  Grie- 
chenland, Italien  und  Sicilien»  aufgenommen ;  Berlin,  1*^'  et  2 "^  ca- 
hiers, in-fol. 

Schafarik  (P.  J.),  Slawische  Alterthûmer.  Deutsch  von  Mosig  von 
Achrenfeld  herausgeg,  von  H,  Wuttke;  Leipsig,  2  vol.  in-8. 


AIVGLETERRE. 


Archœologia,  or  Miscellaneous  treatiesrelating  to  antiquity,published 
by  the Society  of Antiquaries  ofLondon;  in-4,  avec  planches. 

Barrington  (A.),  Pocket  manual  offoreign  architecture,  chrono- 
logically  arranged ,  presenting  at  one  view  a  séries  of  examples  of  the 
fwe  orders  of  architecture ,  etc.;  London,  1  feuille  in-fol. 

British  archeological  quarterly  journal,  n°  \,aprH;  London,  1844, 
in-8. 

RiCHARDSON  (E.),  The  monumental  effigies  of  the  Temple  Church; 
with  an  account  oftheir  restoration  in  the  y  car  1842  ;  London,  1842, 
in-4,  avec  11  planches iithographiées  et  coloriées. 

Rose  (H.) ,  Three  lectures  on  architecture  in  England,  from  the  car- 
liest  to  the  présent  time  ;  London,  1  vol.  in-8,  avec  12  planches. 

Weales  quarterly  papers  on  architecture  ;  London,  in-4,  planches, 
le  3^  cahier  vient  de  paraître. 


BIBLIOGRAPHIE.  79 

ITALIK. 

Campana  (Gio.  Pietro),  Antiche  opère  in  plastica,  etc.;  Roma, 
in-fol.,  planches;  les  6  premières  livraisons  sont  en  vente. 

Secchi  (P.  Gianpietro),  Monamenti  inediti  d'un  antico  sepolcro  di 
famigUa  greca scoperto  in  Roma  sulla  Via  Latina;  Roma,  in-fol.,  avec 
planches  noires  et  coloriées  (l). 


(1)  Ces  deux  derniers  ouvrages  se  trouvent,  à  Paris,  chez  Leleux,  libraire-édi 
leur,  rue  Pierre-Sarrazin ,  9. 


GRAVURES 

PUBLIÉES   DANS   LA    PREMIÈRE   LIVRAISON 

DE  LA 

REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 


TEMPS  ANCIENS. 

ART  GREC. 

SCULPTURE  ET  ICONOGRAPHIE  :  —  Bas-relief  trouvé  dans  un 
tumulus  près  de  Marathon;  voir  ce  qu'en  dit  M.  Lebas,  p.  49  et  50. 
—  Ce  monument ,  si  digne  d'intérêt  sous  plusieurs  rapports,  doit 
être  étudié  plus  tard  d'une  manière  spéciale  lorsque  nous  offri- 
rons à  nos  lecteurs  des  Mémoires  sur  YHistoire  de  la  Sculpture  et 

Y  Iconographie  militaire  des  Grecs. 

MOYEN  AGE. 

ART  CHRÉTIEN. 

ARCHITECTURE  :  — Siège  épiscopal  {thronus,  cathedra)  dans  l'église 
de  Saint-Césaire  à  Rome.  —  Ce  meuble  religieux  ouvre  la  publi- 
cation d'une  série  de  Planches  destinées  à  illustrer  un  article  sur 

Y  Ameublement  des  Églises  pendant  le  Moyen  Age. 

VIGNETTES  SUR  BOIS 

INTERCALÉES  DANS  LA   NOTICE 

SIR  LE  MISÉE  m  PALAIS  DES  THERMES  ET  DE  L'HOTEL  DE  (ILINV  : 

Architecture  :  —  Plan  géométral  des  deux  monuments. 

—  Elévation  d'une  section  de  la  façade  Ouest,  si- 

tuée dans  la  cour  d'honneur  de  l'Hôtel. 

—  Cheminées  en  pierres  et  en  briques. 
Sculpture  :  -—  Détail  de  l'encorbellement  de  la  chapelle. 

Peinture  :   —  Ensemble  et  détail  des  peinturesre  trouvées  dans 
la  Chambre  de  la  Reine  Blanche. 


FRAGMENT 

SUR  l'Étude 

DES  VASES  PEINTS  ANTIQUES, 

PAR  M.  LENORMANT ,  membre  de  l'académie  des  inscriptions  et  belles-lettres. 

(Lu  dans  la  séance  publique  des  cinq  académies  de  l'Institut  de  France, 
le  2  mai  1844.) 


L 


Il  y  a  quinze  ans ,  on  découvrit  dans  la  nécropole  d'une  ville  de  l'Étru- 
rie  une  prodigieuse  quantité  de  vases  antiques  ornés  de  peintures  ;  plus 
de  six  mille,  les  plus  beaux,  les  plus  intéressants,  si  on  les  considère 
en  masse,  qui  eussent  jusqu'alors  paru  à  la  surface  du  sol  classique 
de  l'Italie.  Une  telle  découverte  devait  naturellement  donner  une  im- 
pulsion nouvelle  à  l'étude  de  cette  classe  de  monuments.  Tandis  que 
les  explorateurs  redoublaient  d'activité  et  que  le  royaume  de  Naples, 
jusque-là  le  plus  riche  en  vases  peints ,  cherchait  à  reconquérir  la 
prééminence  qui  venait  de  passer  à  l'État  romain  (1  ) ,  les  savants  de  toute 
l'Europe  discutaient,  non  sans  quelque  chaleur,  les  problèmes  qu'a- 
vait soulevés  cette  apparition  inattendue.  Depuis  quelques  années , 
pourtant,  le  calme  s'est  rétabli  dans  les  découvertes  et  dans  la  dis- 
cussion. On  regarde  comme  presque  épuisées  les  localités  jusqu'ici 
les  plus  fécondes  ;  c'est  le  moment  peut-être  de  résumer  le  débat  et 
de  marquer  la  mesure  des  progrès  que  l'archéologie  a  faits  dans  cette 
voie. 

La  tâche  est  difficile  ;  car  il  faut  tirer  des  monuments  eux-mêmes 
à  peu  près  tout  ce  qu'on  en  peut  dire.  Les  anciens  n'en  ont,  en 
quelque  sorte,  point  parlé  :  leur  attention  s'est  exclusivement  portée 
sur  ces  composés  d'or  et  d'ivoire  dont  nous  n'avons  plus  aucune 
idée,  sur  ces  merveilles  du  pinceau  dont  pas  une  n'a  survécu,  sur  ces 
chefs-d'œuvre  de  la  toreutique  qui  ont  tous  également  disparu.  Les 
humbles  poteries  dont  nous  faisons  aujourd'hui  si  grand  cas ,  n'exci- 
taient l'intérêt  des  contemporains,  ni  par  la  matière,  ni  probablement 
par  le  travail  ;  ce  n'était  qu'un  reflet  des  grandes  conceptions ,  des 


(1)  Le  territoire  de  Tancienne  Vulci  (Ponte  délia  Badia,  près  de  Canino)  est 
situé  dans  la  partie  de  l'ancienne  Étrurie  qui  appartient  à  l'État  pontifical. 
I.  6 


82  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

productions  directes  du  génie,  et  ce  reflet  se  retrouvait  alors  partout. 
Pour  nous,  qui  recueillons  pieusement  ces  débris,  nous  répugnons  à 
nous  croire  égarés  par  une  admiration  qui  nous  semble  si  légitime  ; 
il  nous  arrive  encore  ce  qui  arrivait  à  Winckelmann,  quand,  à  l'aide 
des  statues  qui  sont  à  Rome,  il  restituait  le  code  de  l'art  grec  à 
l'époque  de  sa  plus  grande  perfection  ;  les  débris  du  Parthénon  ont 
suffi  pour  détruire  l'illusion  que  Winckelmann  avait  créée.  Quelle  que 
soit  pourtant  la  défiance  avec  laquelle  nous  devons  étudier  les  pro- 
duits de  la  céramique  grecque,  les  vases  peints  n'en  ont  pas  moins  pour 
nous  une  importance  capitale.  Si  nous  devons  renoncer  à  les  consi- 
dérer comme  l'œuvre  des  premiers  artistes  de  l'antiquité,  nous  ne 
pouvons  douter  qu'ils  n'appartiennent  à  la  plus  belle  époque  de  l'art, 
et  ce  n'est  point  se  passionner  mal  à  propos  que  d'admirer  des  ou- 
vrages contemporains  de  Phidias  et  de  Polygnote,  des  productions 
enfin  sur  lesquelles  a  passé  un  souffle  de  ces  artistes  souverains. 

Et ,  en  efi'et ,  quoiqu'il  ne  s'agisse  ici  que  de  vases  découverts  en 
Étrurie ,  c'est  de  l'art  grec  ,  de  l'influence  grecque  qu'il  sera  seule- 
ment question.  Sur  ce  point,  il  est  vrai,  les  savants  n'ont  pas  toujours 
été  du  même  avis.  Les  premiers  vases  ayant  été  trouvés  en  Étrurie, 
on  considéra  d'abord  le  sol  toscan  comme  la  patrie  originaire  de  cette 
branche  de  l'art.  La  vanité  nationale  s'exalta  ;  des  hommes  d'un  vrai 
mérite  donnèrent  créance  à  un  système  étrange,  suivant  lequel  les 
Tyrrhéniens  auraient  joui  d'une  civilisation  florissante  et  cultivé  les 
arts  du  dessin ,  longtemps  avec  les  Grecs ,  avant  Homère.  C'est  alors 
que  commença  à  prévaloir  la  dénomination  de  vases  étrusques ,  aussi 
peu  exacte  dans  son  genre  que  celle  d'architecture  gothique ,  et  qui , 
comme  cette  dernière ,  menace  de  rester  dans  notre  langue. 

Malgré  l'infatuation  des  uns  et  la  docilité  des  autres,  une  opinion 
aussi  erronée  ne  pouvait  longtemps  conserver  son  crédit.  On  re- 
marqua que  la  Toscane  n'était  pas  seule  à  fournir  des  vases  peints  ; 
on  réclama  en  faveur  de  la  Sicile  et  de  la  Grande  Grèce.  Bientôt  les 
vases  de  Gorinthe,  ceux  d'Athènes,  commencèrent  à  être  connus  ;  on 
ne  trouvait  d'ailleurs  sur  ces  vases  que  des  inscriptions  grecques, 
que  des  sujets  grecs,  que  des  imitations  des  ouvrages  de  la  Grèce  ;  il 
fallut  rentrer  dans  une  voie  plus  simple ,  adopter  une  opinion  plus 
conforme  à  ce  qu'on  savait  de  la  marche  des  arts  dans  l'antiquité.  Le 
nom  de  vases  étrusques  resta  la  dénomination  vulgaire  j  mais  les 
savants  ne  reconnurent  plus  que  des  vases  grecs. 

On  en  était  à  cette  conclusion  qui  paraissait  définitive ,  lorsque 
les  matériaux  presque  innombrables ,  fournis  par  les  fouilles  de  Ca- 


FRAGMENT  SUR  L'ÉTUDE   DES  VASES  PEINTS  ANTIQUES.      83 

nino,  vinrent  de  nouveau  compliquer  la  question.  Il  fallut  recon- 
naître qu'on  avait  compté  l'Étrurie  pour  trop  peu  de  chose  ;  ce  que 
n'avait  donné  aucune  des  cités  dominantes  de- la  Grèce,  ni  Athènes, 
ni  Corinthe,  ni  Agrigente,  ni  Syracuse,  ni  Naples,  ni  Tarente,  on 
venait  de  le  découvrir  dans  une  province  exclusivement  étrusque, 
au  sein  des  tombeaux  d'une  ville  à  peine  mentionnée  par  les  géogra- 
phes, et  dont  tout  souvenir  historique  aurait  disparu,  sans  la  men- 
tion du  triomphe  des  Romains  sur  les  habitants  de  Vulci ,  qui  s'est 
trouvée  dans  les  débris  des  fastes  du  Capitole  :  De  Vulsîmensibas  et 
Vulcientibus,  Si  une  ville  étrusque  du  second  ordre,  comme  Vulci , 
avait  possédé  tant  et  de  si  beaux  vases ,  on  était  forcé  d'en  revenir, 
en  partie  du  moins ,  à  l'opinion  de  ceux  qui ,  dans  l'inventaire  des 
richesses  céramiques,  faisaient  la  part  de  la  Toscane  plus  grande  que 
celle  de  la  Grèce  elle-même. 

Avant  tout,  ce  qu'il  fallait  expliquer,  c'était  cette  affluence  de 
vases  peints  d'un  mérite  supérieur,  dans  les  tombeaux  d'une  ville 
aussi  obscure  que  Vulci.  Le  silence  universel  des  écrivains  de  l'an- 
tiquité ouvrait  une  libre  carrière  aux  hypothèses  les  plus  hardies. 
Dans  le  premier  moment,  la  difficulté  du  problème  avait  rétabli 
l'égalité  entre  les  savants  ;  les  explications  proposées  avaient  toutes, 
quels  qu'en  fussent  les  auteurs ,  le  même  caractère  d'audace  et  pres- 
que de  caprice.  Les  uns  bâtissaient  une  Grèce  idéale  dans  l'Étrurie  ; 
à  les  entendre,  la  population  de  ces  contrées,  ayant  avec  les  Grecs 
une  origine  commune,  avait  marché  du  même  pas  qu'eux  dans  la 
carrière  des  arts.  D'autres  imaginaient  l'existence  de  corporations 
exclusivement  composées  d'artistes  grecs,  et  vivant  au  milieu  des 
Étrusques ,  avec  des  lois  et  une  constitution  particulières.  Ceux  qui 
repoussaient  ces  conjectures  voulaient,  au  contraire,  que  tous  les 
vases  de  Vulci  fabriqués  dans  les  villes  de  la  Grèce  ,  eussent  été  in- 
troduits en  Toscane  par  les  voies  du  commerce  et  de  la  navigation. 

De  ces  explications,  la  dernière  était  la  plus  sérieuse  :  elle  a  eu 
pour  elle  le  suffrage  de  quelques-uns  des  plus  habiles  interprètes  de 
l'antiquité,  et  pourtant  elle  donne  lieu  à  de  graves  objections.  Dans 
l'antique  Italie ,  le  morcellement  politique  était  poussé  à  un  degré  dont 
on  a  peine  à  se  faire  une  juste  idée,  quand  on  n'a  pas  fait  de  ces  ques- 
tions une  étude  spéciale.  Au  lieu  du  droit  des  gens,  tel  qu'il  règne  dans 
la  société  moderne ,  c'était,  entre  les  différents  peuples,  une  hostilité 
acharnée,  perpétuelle;  les  relations  commerciales  rencontraient  mille 
obstacles.  Aussi  chaque  ville  se  suffisait-elle  à  elle-même  et  trouvait 
dans  les  produits  de  son  sol  et  dans  son  industrie  particulière ,  les 


84  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

.  moyens  de  satisfaire  aux  besoins  de  la  vie  matérielle  comme  à  ceux  de 
l'imagination.  Si  des  obstacles  d'une  nature  toute  spéciale  n'avaient  pas 
entravé  le  transport  des  objets,  même  les  moins  encombrants  ;  si  les  mé- 
taux précieux  avaient  circulé  avec  la  liberté  qui  appartient  à  toute  so- 
ciété régulière,  d'oii  seraient  venus  les  contrastes  inouïs  qu'on  découvre 
entre  les  différents  systèmes  monétaires  d'une  seule  et  même  contrée? 
Comment  pourrions-nous  expliquer  l'existence  simultanée  en  Italie, 
que  dis-je?  au  sein  d'une  même  province  de  l'Italie,  par  exemple,  en 
Apulie,  en  Étrurie ,  dans  le  Latium,  de  systèmes  ayant  pour  base 
les  uns  l'argent,  les  autres  le  bronze?  Et  l'on  voudrait  qu'entre  des 
peuples  dont  les  échanges  étaient  si  limités ,  des  objets  d'une  nature 
aussi  fragile,  et  d'un  transport  aussi  difficile  que  les  vases,  eussent 
donné  lieu  à  un  commerce  florissant  et  étendu.  L'un  des  rhéteurs  les 
plus  spirituels  de  l'antiquité,  Dion  Chrysostome,  compare  l'éclat 
éphémère  et  la  grâce  frivole  d'un  de  ses  discours  à  ces  jolis  vases  que 
les  voyageurs  achetaient  dans  les  îles  de  la  Grèce.  «  Il  arrive  à  mes 
discours,  dit-il,  à  peu  près  ce  qui  arrive  aux  vases  de  Ténédos  :  bien 
que  chaque  navigateur  en  emporte  à  son  passage ,  aucun  ne  les  trouve 
sains  et  entiers  en  arrivant.  On  croyait  avoir  un  vase,  on  n'a  plus 
que  des  tessons.  »  Évidemment ,  l'esprit  de  spéculation  ne  pouvait 
consentir  à  joindre  ce  risque  particulier  à  tous  les  autres. 

Chose  étrange  pourtant  !  c'est  l'étude  de  la  numismatique  italienne 
qui  nous  a  fourni  la  preuve  de  l'isolement  réciproque  dans  lequel 
vivaient  les  peuples  de  cette  contrée;  et  c'est  en  contemplant  les 
mêmes  monnaies  que  nous  voyons  à  quel  point  le  sentiment  et  la 
pratique  des  arts  de  la  Grèce  s'étaient  répandus  dans  les  pays  qu'on 
est  tenté  de  considérer  comme  placés  en  dehors  de  cette  influence. 
Ici  c'est  une  force  qui  renverse  toutes  les  barrières  et  se  joue  de  tous 
les  obstacles.  Nous  retrouvons  l'empreinte  de  l'hellénisme  sur  l'as  le 
plus  pesant  du  Latium ,  comme  sur  la  drachme  la  plus  délicate  de 
Naples  ou  de  Tarente. 

Je  viens  de  parler  de  l'hellénisme ,  et  je  sens  qu'il  est  nécessaire 
d'expliquer  ce  que  j'entends  par  cette  expression.  L'hellénisme,  c'est 
le  caractère  propre  à  la  civilisation  grecque  :  l'essence  de  l'hellé- 
nisme ,  c'est  la  liberté,  le  mouvement.  L'Egypte  a  pour  elle  l'ordre  et 
la  durée ,  la  grandeur  des  proportions  nous  frappe  dans  les  monar- 
chies asiatiques ,  les  Romains  sont  supérieurs  dans  la  guerre ,  les 
Phéniciens  dans  le  commerce  :  mais  s'il  s'agit  de  ces  conditions  par- 
ticulières dans  lesquelles  l'activité  de  l'intelligence  et  du  goût  est 
perpétuellement  excitée,  la  prééminence  appartient  sans  contesta- 


FRAGMENT  SUR   L*ETUDE  DES  VASES   PEINTS  ANTIQUES.      85 

tion  à  la  société  grecque.  L'hellénisme  qui  se  révèle  avec  évidence 
dans  les  œuvres  littéraires ,  dans  les  mœurs ,  dans  les  événements  de 
l'histoire,  a  son  expression  la  plus  frappante  dans  les  productions 
des  arts  du  dessin.  Depuis  qu'on  a  appris  à  connaître  les  monuments 
de  l'Egypte  et  de  l'Asie,  l'art  grec  n'en  paraît  que  plus  manifestement 
l'art  complet  et  fécond,  l'art  véritable,  le  seul  qui  ait  eu  pour  prin- 
cipe constant  ce  qui  ailleurs  n'a  été  qu'une  rare  et  fugitive  exception, 
la  liberté,  le  mouvement,  par  conséquent  la  vérité,  la  vie. 

Cette  prérogative  sublime  ne  s'est  pourtant  manifestée  qu'assez 
tard  dans  la  Grèce.  Depuis  longtemps  la  poésie  avait  atteint  son  apo- 
gée, et  l'art  n'en  était  encore  qu'à  des  essais,  fort  inférieurs  aux 
beaux  ouvrages  que  l'Egypte  et  l'Asie  produisaient  depuis  tant  de 
siècles  :  le  mouvement  toutefois  s'y  manifestait  déjà  à  l'état  de 
symptôme,  et  pour  ainsi  dire  de  besoin.  Tout  à  coup,  le  feu  qui 
couvait  sous  la  cendre  de  l'archaïsme  éclate  par  une  prodigieuse 
éruption.  La  lutte  de  la  nation  contre  les  Perses  avait  communiqué 
au  génie  grec  un  ébranlement  suprême  :  Athènes ,  foyer  de  la  ré- 
sistance et  centre  de  la  gloire ,  recueillit  la  première  le  fruit  de  ces 
triomphes  :  Phidias  et  Polygnote ,  dans  cette  nouvelle  carrière ,  mar- 
chèrent d'un  pas  aussi  rapide  que  le  firent  Michel  Ange  et  Raphaël 
lors  de  la  renaissance  des  arts. 

Athènes  venait  de  donner  l'impulsion  :  la  Grèce  entière  y  répondit 
avec  une  spontanéité  merveilleuse.  Un  cachet  de  nouveauté,  une 
marque  de  révolution  s'imprima ,  dès  lors ,  sur  toutes  les  productions 
de  l'art,  même  sur  celles  qui,  soit  involontairement,  soit  à  dessein, 
conservaient  l'apparence  de  l'ancien  style  ;  l'étude  des  médailles  four- 
nit, sur  ce  point,  les  renseignements  les  plus  précieux.  Quelle  que 
soit  la  ville  grecque  dont  on  étudie  la  série  numismatique,  on  voit 
d'abord,  à  l'approche  de  la  grande  transformation,  c'est-à-dire  dans 
l'intervalle  de  quarante  années ,  qui  s'étend  depuis  la  bataille  de 
Salamine  jusqu'à  l'administration  de  Périclès ,  le  suc  de  l'hellénisme 
parfait  monter  graduellement  comme  le  mercure  dans  son  tube,  puis 
tout  à  coup  l'enveloppe  se  rompre ,  et  la  création  du  génie  s'élancer 
dans  tout  l'éclat  de  la  perfection.  C'est  un  fait  qui  n'a  point  eu  de  pré- 
cédents ,  et  dont  l'exemple  a  déterminé  dans  l'Italie  moderne  la  seule 
révolution  du  môme  genre  qui  depuis  se  soit  produite. 

Les  artistes  étaient  les  missionnaires,  partout  bien  accueillis ,  de 
cette  religion  de  la  beauté.  Leur  action  ne  se  bornait  pas  aux  villes 
purement  grecques  :  tous  les  peuples  qui  se  trouvaient  en  contact 
avec  l'hellénisme  subissaient  son  irrésistible  influence  ;  nous  le  savons 


86  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

par  les  monuments  eux-mêmes,  des  envahisseurs  carthaginois, 
comme  des  satrapes  de  l'Asie  Mineure ,  des  Scythes  campés  sur  les 
bords  du  Tanaïs  comme  des  Lucumons  de  l'Étrurie,  poëtes,  philo- 
sophes, généraux,  tous  les  Grecs,  il  faut  le  dire,  acceptaient  sans 
répugnance  un  établissement  chez  les  barbares,  quand  les  barbares 
se  montraient  généreux  pour  les  représentants  du  génie  grec  :  pour- 
quoi les  artistes  auraient-ils  témoigné  plus  de  scrupules  qu'un  Xéno- 
phon ,  un  Agésilas,  un  Euripide?  Pourquoi  n  auraient-ils  pas  profité 
de  la  trêve  perpétuelle  qui,  en  dépit  des  séparations,  des  inimitiés  et 
des  guerres,  s'était  établie  en  leur  faveur? 

L'Etrurie  n'est  pas  le  seul  pays  qui  ait  fourni  des  renseignements 
précieux  sur  cet  ordre  de  faits  jusqu'ici  mal  observés.  Au  même  mo- 
ment, et  pour  ainsi  dire  aux  deux  extrémités  de  la  même  mer,  on  dé- 
couvrait la  preuve  de  la  présence  des  artistes  grecs  chez  des  peuples 
que  la  langue  et  les  mœurs  semblaient  avoir  dû  rendre  étrangers  à  une 
telle  influence.  Les  tumulus  scythiques  de  la  Grimée  ont  révélé  des 
faits  delà  même  nature,  et  tenu  en  quelque  sorte  le  même  langage  que 
la  nécropole  étrusque  de  Vulçi.  Au  lieu  de  l'empreinte  nationale,  c'est 
la  Grèce,  c'est  Athènes  surtout  dont  l'influence  prédomine  dans  ces  sé- 
pultures. Nous  nous  servons  du  motd'influence ,  parce  que  nous  parlons 
d'une  chose  devenue  vénérable  à  force  d'antiquité  ;  mais  s'il  s'agissait  des 
temps  modernes,  nous  ne  dirions  plus  l'influence,  nous  dirions  la  mode. 

Le  règne  exclusif  de  la  mode  athénienne  dans  la  ville  étrusque  de 
Vulci ,  c'est  là  un  résultat  si  peu  attendu,  qu'il  a  fallu  pour  l'ad- 
mettre une  surabondance  de  preuves  :  mais  comment  résister  au 
témoignage  concordant  de  plusieurs  milliers  de  peintures?  On  croyait 
d'abord  que  tous  ces  vases ,  ornés  de  sujets  athéniens ,  chargés  d'in- 
scriptions conçues  dans  le  dialecte  de  l'Attique ,  avaient  été  importés 
en  Etrurie  :  après  mûr  examen ,  la  chose  s'est  trouvée  impossible. 
Nous  avons  vu  quels  obstacles  s'opposaient  à  cette  importation  : 
nous  savons  de  plus  que  les  vases  de  Vulci  difl'èrent  pour  la  plupart 
de  ceux  d'Athènes,  par  la  forme,  parla  terre  qui  les  compose, 
par  le  vernis  qui  les  recouvre,  par  les  nuances  même  du  style.  Il  faut 
donc  admettre  qu'on  fabriquait  à  Vulci  des  vases  à  la  manière 
d'Athènes ,  quand  on  n'en  pouvait  pas  tirer  d'Athènes  elle-même  : 
les  sujets  des  peintures  qui  ornaient  ces  vases ,  c'étaient  des  traits  de 
la  mythologie  particulière  aux  Athéniens ,  des  compositions  inspirées 
par  leurs  poëtes ,  des  figures  de  leurs  monuments ,  des  scènes  em- 
pruntées à  leurs  usages ,  à  leurs  gymnases,  à  leurs  jeux  publics  :  pour 
toutes  ces  séduisantes  nouveautés  athéniennes ,  les  Étrusques  avaient 


FRAGMENT   SUR    L'ÉTUDE  DES  VASES  PEINTS  ANTIQUES.      87 

en  quelque  sorte  abjuré  tout  ce  qui  leur  était  propre,  mythologie, 
religion,  langue,  coutume  et  préjugé  national. 

Aujourd'hui,  bien  que  l'étude  des  antiquités  étrusques  soit  encore 
environnée  de  grandes  obscurités ,  nous  pouvons  constater  trois 
phases  principales  dans  la  marche  de  la  civilisation  chez  ce  peuple , 
une  phase  asiatique ,  une  phase  corinthienne ,  une  phase  athénienne. 
Les  monuments  ont  tranché  la  question  en  faveur  de  ceux  des  écri- 
vains de  l'antiquité  qui  avaient  assigné  une  origine  lydienne  au 
peuple  qui  dominait  dans  l'Étrurie.  Une  liaison  certaine  unit  les  plus 
anciennes  productions  étrusques  avec  ce  que  nous  connaissons  de 
l'art  qui  florissait  à  une  époque  extrêmement  reculée  sur  les  bords 
de  l'Euphrate.  On  ne  sait,  il  est  vrai,  dans  quel  temps  les  Étrusques 
sont  venus  de  l'Asie  ;  mais  on  reconnaît  en  eux ,  avec  Hérodote  et 
Tacite,  le  démembrement  d'une  nation  asiatique,  à  laquelle,  lors  de 
sa  migration ,  la  pratique  des  arts  du  dessin  était  déjà  familière. 

Plus  tard,  beaucoup  plus  tard  sans  doute,  le  Corinthien  Déma- 
rate ,  débris  d'une  dynastie  qui  venait  d'être  renversée  du  trône , 
cherche  un  asile  en  Étrurie ,  et  y  arrive  escorté  d'artistes  habiles  dans 
la  plastique  et  la  peinture.  Au  bout  d'une  ou  deux  générations,  les 
descendants  de  Démarate  semblent  avoir  perdu  toute  trace  de  leur 
origine  hellénique  :  ses  fils  s'appellent  Aruns  et  Tarquin.  Mais  l'art 
grec  n'en  a  pas  moins  pris  pied  en  Etrurie  :  quoique  encore  enveloppé 
dans  les  langes  de  l'archaïsme,  il  a  fait  école  à  Tarquinies,  et  les 
vases  d'un  très-ancien  style  qu'on  découvre  dans  les  tombeaux  de 
cette  ville  témoignent  clairement  de  l'influence  exercée  par  l'éta- 
blissement de  Démarate. 

Nous  ne  distinguons  pas  si  clairement  la  cause  qui  ranima  l'hellé- 
nisme en  Etrurie ,  plus  d'un  siècle  après  que  Démarate  l'y  eut  im- 
porté ;  mais  en  rassemblant  avec  soin  les  circonstances  qui  dévelop- 
pèrent l'influence  politique  d'Athènes  à  l'époque  de  Périclès ,  nous 
sommes  amenés  à  reconnaître  que  la  domination  exercée  par  cette 
république  dans  le  domaine  de  l'art  fut  en  grande  partie  la  consé- 
quence de  son  action  politique.  La  marine  tyrrhénienne ,  longtemps 
maîtresse  des  mers  qu'elle  couvrait  de  pirates ,  venait  de  recevoir 
un  échec  formidable  par  l'établissement  des  Carthaginois  en  Sar- 
daigne ,  quand  la  victoire  de  Marathon  révéla  au  monde  la  gran- 
deur du  génie  athénien.  A  l'époque  qui  suivit  cet  événement,  les 
Grecs  du  midi  de  la  péninsule  italique,  et  surtout  ceux  de  la  Sicile, 
commencèrent  à  se  montrer  sous  un  double  aspect  aux  yeux  des 
Étrusques ,  comme  des  ennemis  redoutables ,  quand  il  s'agissait  de  la 


88  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

possession  exclusive  de  la  mer  Tyrrhénienne,  et  comme  des  libéra- 
teurs, après  que  la  victoire  d'Hyméra  eut  délivré  l'Occident  de  la 
conquête  carthaginoise,  en  même  temps  que  celles  de  Sa  lamine  et  de 
Platée  affranchissaient  la  Grèce  orientale  de  la  domination  des  Perses. 
Dès  lors  nous  voyons  les  Étrusques  se  mêler  aux  affaires  de  la 
Grèce,  soit  que  les  Syracusains  brisent  leur  marine  dans  le  combat 
livré  près  de  Cumes,  et  s'emparent  à  leurs  portes  des  îles  d'Elbe  et 
d'Ischia  ;  soit  qu'à  leur  tour  les  Etrusques  soutiennent  les  Athéniens 
dans  leur  entreprise  contre  Syracuse ,  ou  môme  envoient  des  renforts 
à  Agathocle  pour  combattre  les  Carthaginois.  Ainsi  donc,  à  y  regar- 
der de  près,  on  découvre  plus  d'une  raison  pour  que  les  Étrusques  se 
soient  vivement  préoccupés  de  ce  qui  se  passait  en  Grèce ,  et  pour 
que  la  ville  qui  alors  fascinait  par  son  éclat  la  Grèce  tout  entière  ait 
étendu  son  influence  jusque  sur  la  Tyrrhénie.  Les  Romains,  malgré 
leur  rudesse,  ne  subissaient-ils  pas  dès  lors  l'ascendant  de  l'hellé- 
nisme? Peut-on  méconnaître  la  coïncidence  des  triomphes  de  la  dé- 
mocratie athénienne ,  et  des  combats  que  rendit  alors  le  peuple  de 
Rome  pour  mettre  sa  puissance  au  niveau  de  celle  du  sénat?  N'est-ce 
pas  au  milieu  de  ces  circonstances  que  le  peuple  de  Rome  soumettait 
à  l'approbation  d'Athènes  le  code  de  ses  lois  ?  Quand  une  nation  dé- 
ploie ainsi  son  ascendant  parla  guerre,  la  politique,  la  philosophie, 
la  littérature  et  les  arts ,  tout  se  tient  dans  l'action  qu'elle  exerce  au 
dehors,  et  là  oii  elle  influait  comme  législatrice,  nous  devons  croire 
qu'elle  dominait  aussi  comme  artiste. 

Au  temps  oii  il  est  certain  que  la  plupart  des  vases  découverts  à 
Vulci  furent  exécutés,  les  prisonniers  athéniens,  dispersés  dans  la 
Sicile ,  adoucissaient  la  cruauté  de  leurs  maîtres  en  leur  récitant  les 
vers  d'Euripide.  Bien  qu'on  ait  trouvé  tant  d'inscriptions  attiques,  et 
jusqu'à  des  chansons,  sur  les  vases  de  Vulci,  je  doute  que  les  Lucu- 
mons  de  cette  ville  aient  eu  l'oreille  aussi  exercée  que  les  Siciliens 
aux  beautés  du  théâtre  d'Athènes  :  mais  celui  qui  se  serait  présenté 
devant  eux ,  tenant  à  la  main  un  des  charmants  vases  vraiment  athé- 
niens, qu'on  a  trouvés  en  petit  nombre,  et  parmi  tant  d'autres,  dans 
les  fouilles  de  l'Étrurie ,  aurait  certainement  trouvé  grâce  aux  yeux 
de  ces  descendants  des  Lydiens. 


NUMISMATIQUE 


Ce  que  l'on  se  propose,  ou  plus  exactement,  ce  que  l'on  devrait 
se  proposer  en  étudiant  les  médailles ,  ce  n'est  pas  tant  de  déter- 
miner la  rareté  de  ces  monuments,  mérite  bien  secondaire  aux 
yeux  des  vrais  archéologues,  que  de  les  faire  servir  à  l'histoire  hu- 
maine en  obtenant  de  leur  connaissance  toutes  les  vérités  générales 
qu'un  examen  méthodique  peut  scientifiquement  établir.  Pour  cela 
il  faut,  ce  me  semble,  après  avoir  approfondi  dans  leurs  moindres 
particularités  toutes  les  branches  de  la  numismatique,  abandonner 
un  instant  l'analyse  pour  embrasser  d'un  coup  d'œil  tout  ce  qui  a 
été  reconnu  certain.  Alors,  en  jugeant  dans  leur  ensemble  tous  ces 
groupes  d'idées  qu'un  rapprochement  délicat  et  scrupuleux  a  permis 
de  composer,  il  devient  possible  de  découvrir  la  loi  organique  qui  a 
dû  présider  à  l'apparition  des  types  monétaires,  comme  à  toute  autre 
production  des  hommes.  Aujourd'hui  les  grands  travaux  analytiques 
existent,  un  nombre  considérable  de  bons  écrits  nous  offrent  une 
source  abondante  de  détails ,  il  ne  s'agit  plus  que  de  les  résumer, 
d'en  extraire  la  doctrine. 

J'ai  parlé  du  type  monétaire,  et  c'est  de  ce  sujet  si  fécond  de  nos 
études  que  je  vais  entretenir  les  lecteurs  de  la  Revue  ;  avant  tout , 
nous  devons  définir  ce  terme.  On  nomme  type,  en  numismatique, 
l'image,  l'objet,  l'arrangement  des  figures;  en  un  mot,  la  composi- 
tion que  représente  une  monnaie  ou  une  médaille.  Chaque  jour  on 
acquiert  de  nouvelles  preuves  des  fruits  que  peuvent  retirer  les 
sciences  historiques  de  l'examen  des  types  que  portent  les  mé- 
dailles ;  mais  l'on  ne  s'est  pas  attaché  à  établir  des  notions  générales 
qui  facilitassent  l'appréciation  du  type  en  fixant  les  diverses  va- 
leurs qu'il  convient  de  lui  attribuer  suivant  l'ordre  d'idées  auquel 
il  doit  son  origine ,  suivant  l'époque  à  laquelle  il  appartient  ;  et 
bien  souvent,  faute  de  tenir  compte  de  ces  circonstances,  il 
est  arrivé  que  l'on  a  appliqué  à  un  type  une  signification  que 
ne  comportait  pas  sa  nature.  De  là  des  conséquences  absurdes 
qui  sont  venues  frapper  de  discrédit  des  documents  précieux  qu'une 
étude  mieux  entendue ,  basée  sur  un  système  raisonné  et  d'une  ap- 
plication générale,  eût  pu  vivifier  et  présenter  dans  toute  leur  va- 


90  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

leur.  Nous  n'entreprendrons  pas  de  donner  la  nomenclature  ,  même 
abrégée,  des  types  de  médailles  ;  un  tel  travail,  quelque  utile  d'ail- 
leurs qu'il  puisse  être ,  ne  saurait  trouver  place  ici  ;  mais  nous  es- 
saierons de  tracer  le  tableau  des  modifications  que  le  type  a  subies 
dans  son  essence,  persuadé  que  nous  sommes  de  la  nécessité  de  cette 
méthode  pour  bien  saisir  le  sens  des  médailles ,  ces  pages  écrites  oii 
l'art  a  su  rendre  merveilleusement  significatifs  les  représentations  les 
plus  petites,  les  types  les  plus  restreints  dans  leurs  dimensions. 

Et  d'abord,  on  ne  doit  pas  oublier  qu'à  l'origine  de  la  monnaie 
le  type  n'avait  d'autres  fonctions  que  de  donner  une  valeur  légale  au 
morceau  de  métal  qui  en  recevait  l'empreinte.  Ceci  explique  la  sim- 
plicité, nous  dirons  presque  l'insignifiance  des  premiers  types,  qui 
n'avaient  d'ailleurs  qu'un  seul  côté  des  monnaies  pour  se  produire. 
Cet  état  de  choses  ne  fut  pas  de  longue  durée  ;  avec  les  perfectionne- 
ments introduits  dans  l'exécution  matérielle  des  monnaies  se  présente 
un  changement  bien  autrement  important;  la  religion,  la  science, 
s'emparent  du  type  des  monnaies ,  s'en  font  un  moyen  de  communi- 
cation avec  le  vulgaire  illettré;  le  type  eut  dès  ce  moment  un  but, 
une  obligation  à  remplir.  L'observation  des  phénomènes  de  l'uni- 
vers, la  compréhension  des  forces  génératrices  de  la  nature  firent 
naître  dans  l'esprit  des  premiers  philosophes  certaines  idées  qui  furent 
la  base  du  polythéisme.  Ce  sont  ces  idées  que  l'on  s'attacha  d'abord 
à  exprimer  dans  les  arts  par  des  symboles  qui  ont  perdu  une  partie 
de  leur  sens  pour  nous  et  dont  cependant  une  intelligente  apprécia- 
tion nous  fait  quelquefois  reconnaître  la  portée.  Bien  qu'il  faille  ad- 
mettre quelques  rares  exceptions ,  si  nous  considérons  que  le  type  des 
monnaies  antiques  nous  retrace  d'une  manière  plus  ou  moins  détour- 
née les  mythes  particuliers  à  chaque  contrée ,  les  idées  dominantes 
d'un  peuple,  nous  comprendrons  bien  vite  que  c'est  à  ces  précieuses 
images  qu'il  nous  faut  redemander  les  éléments  nécessaires  pour  re- 
construire le  colosse  de  la  pensée  antique. 

Le  caractère  sacré  des  premiers  types  devait  leur  assurer  une  longue 
durée ,  et  c'est  en  effet  ce  qui  arriva. 

La  persistance  de  certains  types  à  travers  les  âges  n'est  pas  une 
bizarrerie  du  goût  des  peuples  ;  c'est  la  conséquence  de  leurs  institu- 
tions. Tant  que  l'art  demeura  subordonné  à  la  direction  sacerdotale , 
tant  que  la  reproduction  d'un  type  consacré  à  l'expression  d'une  idée  re- 
ligieuse fut  regardée  comme  un  acte  pieux ,  l'exactitude  la  plus  rigou- 
reuse dut  présidera  la  composition  des  sujets  que  portent  les  médailles. 

Les  graveurs ,  comme  les  statuaires ,  comme  les  peintres,  à  Egine, 


NUMISMATIQUE.  91 

à  Rhodes,  se  renfermaient  dans  certaines  limites  que  le  culte  posait 
à  l'art ,  et  qui  donnaient  à  leur  style  une  unité  toute  hiératique  et 
toute  stationnaire.  L'école  novatrice  de  Phidias  rencontra  l'opposi- 
tion la  plus  vive  de  la  part  des  premiers  d'entre  les  Grecs  par  le 
rang,  par  l'intelligence. 

Aux  yeux  de  Platon ,  ce  génie  immense ,  l'immutabilité  de  l'art 
égyptien ,  c'était  la  perfection  ;  et  en  exprimant  cette  idée  le  philo- 
sophe ne  faisait  que  confirmer  les  règles  établies  par  les  législateurs 
de  sa  patrie.  A  Thèbes  aussi  la  loi  enjoignait  aux  artistes,  sous  peine 
d'amende ,  l'exacte  observation  des  anciens  types.  On  ne  s'étonnera 
donc  point  de  voir  !e  plus  inconstant  des  peuples  anciens  conserver 
pendant  huit  siècles  le  même  type.  Alors  que  les  symboles  des  autres 
villes  disparaissaient  de  la  monnaie  pour  faire  place  à  l'effigie  des 
empereurs ,  la  vierge  d'Athènes  ne  céda  pas  aux  maîtres  du  monde. 
Cet  attachement  des  peuples  pour  le  type  de  leurs  monnaies  ne  s'ex- 
plique que  par  la  valeur  religieuse  de  ces  représentations  ;  ainsi  se 
trouve  exclu  le  système  de  quelques  antiquaires  qui  ne  voient  dans 
certains  types,  très-certainement  mythologiques,  tels  que  des  ani- 
maux ,  des  plantes ,  qu'une  allusion  à  la  fertilité  de  la  contrée ,  qu'un 
échantillon  des  productions  du  pays.  C'est  méconnaître  le  génie  de 
l'antiquité  que  de  s'arrêter  à  un  sens  aussi  étroit.  On  conçoit  aisé- 
ment que  chaque  peuple  ait  de  préférence  exprimé  ses  idées  au 
moyen  des  objets  qui  se  trouvaient  le  plus  à  sa  portée  ;  que,  suivant 
sa  position ,  l'un  ait  vu  dans  un  poisson ,  l'autre  dans  un  épi  un  sym- 
bole de  génération  ;  mais  encore  une  fois  il  est  difficile  de  croire 
qu'aucune  ville  ait  voulu  enseigner  à  la  postérité  que  son  territoire 
était  fertile  en  céréales ,  que  son  port  regorgeait  de  poissons. 

J'insiste  sur  ce  point,  parce  que  je  regarde  comme  une  erreur 
déplorable  l'opinion  qui  tendrait  à  transformer  les  médailles  antiques 
en  autant  d'enseignes  de  marchands ,  en  autant  de  mercuriales  tari- 
fant la  disette  et  l'abondance. 

D'ailleurs ,  en  suivant  cette  manière  de  raisonner,  que  fera-t-on 
du  lion  des  monnaies  de  Capoue ,  de  Vélie ,  de  Marseille ,  de  Reims  , 
toutes  villes  oii  cet  animal  n'a  pu  exister  que  par  importation?  Vou- 
dra-t-on  y  voir  un  emblème  du  courage ,  de  la  force  des  habitants  de 
ces  villes  ?  Autre  erreur  ;  si  telle  eut  été  la  signification  de  ce  type , 
toutes  les  villes  ne  l'eussent-elles  pas  adopté  avec  empressement?  et 
que  devrait-on  penser  de  celles  qui  en  avaient  choisi  de  nature  à  réveil- 
ler une  idée  tout  opposée?  Dira-t-on  que  les  habitants  d'Argos  étaient 
des  lâches  et  des  pillards  parce  que  leur  monnaie  a  pour  type  un  loup? 


92  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Lorsque  lanimal ,  la  plante ,  l'objet  que  représente  une  médaille 
n'est  pas  l'attribut  d'une  divinité ,  il  faut  examiner  si  ce  n'est  pas  par 
sa  forme  ou  par  son  nom  qu'il  est  significatif;  certaines  plantes,  par 
exemple ,  étaient  prises  comme  symboles  de  l'idée  que  leur  forme 
faisait  naître  (l).  Bien  plus  souvent  encore  le  type  n'était  qu'une  ex- 
pression phonétique  du  nom  du  peuple ,  de  la  ville  qui  l'avait  adopté  ; 
j'en  citerai  plusieurs  exemples.  Les  monnaies  des  Phocéens  de  l'Ionie 
et  de  la  Gaule  portent  un  phoque ,  ^coxy?  ;  celle  des  Phéniciens  de  Tyr 
un  palmier,  çpoîvi^,  ou  la  coquille  de  pourpre,  çpoivtzsç;  celles  de 
Chrithote  des  épis  d'orge,  xpiQri;  on  trouve  une  chèvre,  ocï'iy  gén. 
oùyoç,  sur  les  monnaies  d'iEgée,  d'^Egine,  d'iEgos-Potamos , 
d'iEgire  ^  un  cœur,  xap(^ia,  sur  celles  de  Cardia  ;  une  clef,  yJeiùiov, 
sur  celles  de  Clides  ;  une  grenade ,  ctc^ov  y  sur  celles  de  Side  ;  une 
pomme ,  (xtiIov^  sur  celles  de  Melos  ;  une  rose ,  po^ov,  sur  celles  de 
Rhode  de  Carie  et  de  Rhode  d'Espagne  ;  un  coude  ,  ayy.MVy  sur  celles 
d'Ancône  ;  une  feuille  de  persil ,  aélivov,  sur  celles  de  Selinunte  ;  un 
renard ,  àXcoTryj^,  sur  celles  d'Alopeconesus.  Le  cavalier  qui  presse  un 
cheval,  y,élnv  ^époi  est  une  allusion  au  nom  de  Célenderis.  Le 
drachme  de  Céraïtae  représente  une  femme  cornue ,  Y^z^oCiaThc,  ;  les 
monnaies  d'Histiae  une  femme  qui  "fait  flotter  une  voile,  i(Jxlov,  On 
peut  encore  citer  le  porc,  y(Xovvuov  sur  une  monnaie  de  Clunia  de  la 
Tarragonaise;  la  lune,  Camar  (Phenic.)sur  les  médaillesdeCamarina; 
une  tète  de  bélier,  y.z(foLlri ,  sur  des  monnaies  de  Céphallénie.  Les 
savantes  recherches  de  M.  J.  de  Witte  ont  prouvé  que  le  lion  des  mé- 
dailles de  Milet  et  de  Vélie  ,  le  daim  de  Damas  étaient  encore  des 
types  parlants  (2). 

C'est  ici  le  lieu  de  citer  les  types  obscènes  que  l'on  voit  sur  quel- 
ques médailles  antiques.  Les  pièces  frappées  dans  le  mont  Pangée,  à 
Éione,  à  Amphipolis,  dans  l'île  de  Thasos,  à  Lampsaque,  présentent 
des  sujets  que  nos  idées  modernes  ont  peine  à  reconnaître  pour  des 
images  religieuses,  et  qui,  pourtant,  n'avaient  pas  d'autre  significa- 
tion (3). 

(1)  Je  ne  rappellerai  ici  que  le  grain  d'orge  était  un  symbole  féminin  de  la  géné- 
ration que  parce  que  je  trouve  par  là  Toccasion  de  consigner  un  exemple  curieux  de 
la  perpétuation  des  idées  antiques.  Je  tiens  de  mon  ami  Ali  bcn  Ilamdan,  d'Alger, 
que  dans  les  montagnes  des  Béni  Djénad  ,  où  l'on  fait  encore  des  sacrifices  de  mou- 
tons à  la  manière  des  anciens ,  les  cheiks  prononcent  des  paroles  sur  des  grains 
d'orge  que  les  femmes  portent  ensuite  à  leur  cou  dans  le  but  de  devenir  fécondes. 

(2)  Annales  de  l'Institut  archéoL,  t.  YI,  p.  343.  Revue  numismatique, 

t.  m,  p.  8. 

(3)  Plus  tard,  à  Rome,  on  fabriquait  des  tessères  obscènes  que  l'on  distribuait 


NUMISMATIQUE.  93 

Outre  le  type  principal  qui  occupe  le  centre  et  pour  ainsi  dire  la 
première  place  du  champ  des  médailles ,  on  y  remarque  souvent  de 
petits  types  accessoires ,  très-finement  gravés ,  et  qui  sont  placés  là 
comme  différents  monétaires  ;  ils  étaient  très-certainement  laissés  au 
choix  du  magistrat  préposé  à  la  fabrication  de  la  monnaie ,  et  fai- 
saient allusion  à  son  nom  ou  à  quelque  circonstance  particulière  à 
l'histoire  fabuleuse  de  sa  famille. 

Sur  les  tétradrachmes  d'Athènes ,  trois  femmes  suppliantes  à  ge- 
noux (IzsTt^at)  font  allusion  au  nom  de  l'archonte  Hicesius.  La 
massue  d'Hercule  (EpazA-^^)  accompagne  le  nom  de  l'archonte  Hé- 
raclides.  M.  Fiorelli ,  dans  un  intéressant  ouvrage  sur  la  numisma- 
tique italienne,  a  relevé  les  noms  des  magistrats  et  mis  en  regard 
les  types  qui  accompagnent  ces  noms  et  qui  s'y  rapportent;  ainsi, 
Apollonius  a  pour  épisème  la  tête  radiée  du  soleil  ;  Dyonisius,  une 
amphore  ou  une  tête  de  bacchante  ;  Héracletas ,  un  arc  et  un  car- 
quois ;  Léon ,  un  lion  ;  Neumenius,  le  croissant  de  la  lune  ;  Olympis, 
une  couronne  ;  Symmachus  ,  un  casque  à  cimier  ;  Nikon ,  un  cava- 
lier qui  couronne  son  cheval  vainqueur.  Les  rois  empruntèrent  cet 
usage  aux  magistrats;  le  revers  d'un  tétradrachme  de  Démétrius 
Soter  de  Syrie  nous  montre  la  figure  de  Cérès,  en  grec  Anixrirnp. 

Le  roi  indien  Mayas  a  fait  placer  sur  ses  monnaies  de  cuivre  une 
tête  d'éléphant  qui  rappelle  celui  que  Maya  vit  en  songe  lorsqu'elle 
portait  Bouddha  dans  son  sein. 

De  même  l'ancre  des  monnaies  de  Seleucus  n'exprime  pas  la  puis- 
sance maritime  de  ce  roi,  mais  consacre  la  légende  de  sa  mèreLaodice, 
qui  avait,  en  songe,  reçu  d'Apollon  une  bague  sur  laquelle  une  ancre 
était  gravée. 

On  voit  donc  par  ce  que  je  viens  de  dire  que  le  type  des  médailles 
des  temps  grecs  était  purement  mythologique  ;  et  si  nous  ajoutons 
que  les  rois  ne  parurent  sur  la  monnaie  que  comme  divinités,  et 
que  les  types  qui  expriment  le  nom  des  peuples  et  des  villes  rappe- 
laient aussi  très-certainement  les  mythes  inhérents  à  l'origine  de  ces 
noms  (l),  on  pourra  poser  en  principe  que, jusqu'à  laprépondé- 


dans  les  théâtres.  Là  il  ne  faut  voir  aucune  intention  religieuse,  les  pièces  elles- 
mêmes  le  démontrent;  car  leurs  types  ne  présentent  que  l'idée  d'une  débauche 
recherchée  et  n'ont  rien  de  la  gravité  que  conservent  toujours  les  types  archaïques, 
même  lorsqu'ils  nous  montrent  les  actions  les  plus  matérielles. 

(1)  Ce  sont  des  chèvres  qui  sauvèrent  la  ville  d'Égire  lorsqu'elle  allait  tomber  au 
pouvoir  des  habitants  de  Sicyone.  Pausan,,  VII,  26.  C'est  ainsi  encore  que  la  tète 
de  Pan  forme  les  types  des  monnaies  de  Panlicapée. 


94  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

rance  de  Rome,  la  totalité  des  monnaies  ne  porte  que  des  types  reli- 
gieux sans  exception. 

Rome ,  en  adoptant  les  divinités  de  la  Grèce,  semble  n'y  avoir  vu 
que  des  statues  douées ,  malgré  leur  inanimation ,  d'une  puissance 
supérieure.  Il  y  a  loin  de  là  au  symbolisme  oriental  qui  reposait  sur 
les  idées  les  plus  profondes.  Les  villes  avaient  adopté  chacune  une 
forme  de  la  divinité  ,  Rome  se  les  appropria  toutes ,  et ,  pour  aug- 
menter cette  collection,  elle  créa  de  nouveaux  dieux,  parmi  lesquels 
elle  se  plaça  elle-même,  ainsi  que  son  sénat.  La  Grèce  déchue,  ré- 
pudiant ses  vieilles  divinités  protectrices ,  célébrait ,  sur  ses  monu- 
ments, sur  sa  monnaie,  le  sénat  et  le  peuple  par  excellence.  Les 
flgures  caractérisées  par  les  inscriptions  ïepà^vvxlnroç,  îgpoçA^oç, 
devinrent  les  types  de  toutes  les  monnaies.  Bientôt  après,  la  bassesse, 
l'abjection  de  la  Grèce  amenèrent  une  nouvelle  sorte  de  type  sur  sa 
monnaie  :  l'effigie  des  empereurs ,  non  pas ,  comme  celle  des  anciens 
rois,  cachée  sous  les  traits  des  dieux,  mais  humaine ,  vivante  et  ac- 
compagnée du  nom  du  personnage.  Toutefois,  et  comme  si  les  villes 
grecques  avaient  voulu  atténuer  la  honte  de  leur  soumission  par  le 
souvenir  de  leur  gloire  passée,  le  revers  des  médailles  impériales  re- 
présente les  temples,  les  statues  les  plus  fameuses,  les  acropoles,  tous 
ces  vestiges  d'une  époque  de  génie  et  de  liberté  qui  ne  devait  plus 
revenir. 

A  Rome,  vers  la  fin  de  la  république ,  apparaît  un  type  d'un  ca- 
ractère tout  nouveau,  le  type  historique;  l'enlèvement  des  Sabines, 
la  mort  de Tarpeïa,  l'alliance  avec  Gabies ,  le  serment  des  chefs  de  la 
guerre  sociale,  la  soumission  du  roi  Arétas  rentrent  dans  cette 
catégorie.  Nous  verrons  plus  tard  quel  développement  le  type  histo- 
rique prit  sous  les  empereurs.  Les  types  parlants  se  retrouvent  aussi 
fréquemment  sur  les  monnaies  consulaires:  la  tête  de  Pan  sur  les 
médailles  de  Pansa  ;  les  Muses  sur  celles  de  Poraf).  Musa  ;  un  veau 
sur  celles  de  Voc.  Vitulus;  un  marteau  sur  celles  de  Val.  Acis- 
culus  ;  les  étoiles  de  la  grande  Ourse  ;  Triones  sur  les  deniers  qui 
portent  le  nom  de  Lucr.  Trio  ;  la  tête  du  roi  Philippe  sur  les  mon- 
naies frappées  par  un  magistrat  romain  de  ce  nom  ;  le  masque  de 
Silène  sur  celles  de  Silanus;  un  maillet  sur  celles  de  Malleolus;  une 
fleur  sur  celles  de  Florus.  M.  Ch.  Lenormant  a  reconnu  sur  les 
deniers  de  la  famille  Titia  la  tête  du  dieu  Mutinus  Titinus  (i)  et  sur 
ceux  de  la  famille  Valeria  l'oiseau  Valeria. 

(1)  Jievue numismatique,  1838 ,  n. 


NUMISMATIQUE.  95 

Mais  c'est  sous  les  empereurs  que  le  changement  de  nature  des 
tyj3es  se  fait  surtout  sentir.  Le  type  des  médailles  impériales,  particu- 
lièrement de  celles  d'or  et  d'argent,  qui  émanaient  directement  des 
empereurs  sans  le  contrôle  du  sénat,  est  en  quelque  sorte  consacré 
à  la  famille  souveraine;  c'est  l'empereur,  sa  femme,  ses  fils,  ses 
proches ,  leurs  actions ,  leurs  vertus  que  célèbrent  les  monnaies  oii 
l'on  voit  rappelées  par  de  pompeux  trophées,  par  de  magnifiques  arcs 
de  triomphe,  les  moindres  victoires,  des  expéditions  qui  n'avaient 
pas  toujours  été  couronnées  de  succès.  Aux  sujets  historiques 
viennent  se  joindre  les  types  allégoriques;  c'est  la  prudence,  la  piété , 
la  santé,  l'abondance,  le  courage,  la  libéralité  de  l'empereur;  la 
pudeur,  la  fécondité  de  l'impératrice.  Toutes  ces  idées  immaté- 
rielles, représentées  sous  la  forme  humaine,  sont  caractérisées  par 
des  attributs  et  de  plus  exprimées  dans  la  légende  de  la  médaille.  Ce 
sont  ces  types  allégoriques  qui  ont  induit  en  erreur  les  antiquaires 
lorsqu'ils  ont  voulu  expliquer  les  types  plus  anciens;  mais  ces  abs- 
tractions personnifiées  sont  essentiellement  propres  au  génie  romain 
et  ne  doivent  pas  être  cherchées  ailleurs  que  sur  les  monuments 
qu'il  a  produits.  Quelquefois  même  des  légendes  en  apparence 
allégoriques  se  rattachent  à  des  symboles  religieux.  On  doit  à 
M.  Charles  Lenormant  de  curieux  mémoires  sur  l'^Eon  d'Hadru- 
mète  et  le  dieu  d'Emèse  qui  prouvent  que  les  monnaies  frappées 
dans  l'Orient  par  les  empereurs ,  tout  en  adoptant  la  phraséologie  la- 
tine, conservaient  leurs  types  locaux  et  sacrés. 

Il  est  à  remarquer  que  vers  le  milieu  du  IIP  siècle ,  alors  que 
les  révolutions  se  multipliaient  et  que  les  empereurs  se  succédaient 
rapidement,  élevés  et  renversés  presque  aussitôt  par  la  garde  pré- 
torienne ,  les  types  de  la  sécurité,  du  bonheur  des  temps  et  de  la  fidé- 
lité des  troupes  se  reproduisent  continuellement.  Quelle  était  donc 
leur  valeur:  un  heureux  présage  ou  une  affectation  de  confiance? 
Toujours  est-il  que  les  événements  en  ont  fait  autant  de  mensonges. 
Un  type  encore  que  nous  ne  devons  pas  oublier,  c'est  celui  de  la  con- 
sécration, qui  revient  inévitablement  à  la  mort  de  tous  les  princes. 
C'est  ordinairement  un  char  funèbre  ou  le  bûcher  sur  lequel  on  brû- 
lait les  corps.  Auguste,  en  déifiant  César,  avait  donné  un  exemple 
qui  fut  suivi  par  tous  les  empereurs  jusqu'à  Constantin,  et  que 
Julien  critique  amèrement  dans  sa  mordante  satire  des  Césars  (l). 
Rien   n'était  en  efl'et  plus  propre  à  renverser  le  polythéisme  que 

(1)  ôtôiv  oyrws  2wT»j/5wv  Ip/ps  êgovra  sMvefôpi^aev  ouroç  b  Ke/»07iAâffT>js ,  x.  t.  X. 


96  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

l'admission  au  rang  des  dieux  de  monstres  que  la  société  humaine  ne 
pouvait  conserver  dans  son  sein.  L'Olympe  escaladé  par  tant  d'hom- 
mes ,  les  dieux  s'en  allaient. 

Cependant  le  christianisme,  déjà  répandu  sur  toute  la  terre ,  mon- 
tait sur  le  trône  impérial  avec  Constantin  ;  le  signe  de  la  foi  chré- 
tienne parut  alors  sur  la  monnaie.  Pendant  quelque  temps  la  croix 
fut  placée  dans  la  main  de  la  Victoire  ;  victoire  toute  chrétienne ,  il 
est  vrai ,  puisqu'elle  est  figurée  sous  la  forme  d'un  ange ,  mais  qui 
n'en  est  pas  moins  un  reste  de  l'art  païen  (l).  Plus  tard  la  croix 
occupa  seule  le  revers  des  monnaies,  et  lors  du  démembrement  de 
l'empire,  les  souverains  des  nouveaux  États  la  prirent  pour  type 
de  leurs  monnaies ,  qu'ils  fabriquaient  à  l'imitation  de  celles  de  l'em- 
pereur. 

Pendant  le  moyen  âge,  le  type  indispensable,  général,  c'est  la 
croix;  symbole  quelquefois  politique,  religieux  toujours;  c'est  le 
principe  et  la  fin  de  toute  action  ;  ornement  variable  à  l'infini  dans 
sa  forme,  c'est  la  base  presque  unique  de  l'art.  A  plusieurs  époques 
on  trouve  des  monnaies  qui  ont  pour  type  une  croix  sur  chacune  de 
leurs  faces.  Au  IX^  siècle ,  les  rois  franks  donnaient  une  tournure 
cruciforme  au  monogramme  de  leur  nom  qui  sert  de  type  à  leur 
monnaie,  s'effaçant  ainsi  devant  le  symbole  de  la  foi.  Un  type  qui  pa- 
rut à  la  même  époque,  et  que  nous  devons  mentionner  à  cause  de 
sa  longue  durée,  c'est  le  temple  chrétien.  La  légende  qui  l'accom- 
pagne: XPisTiANA  RELiGio,  uc  laisso  pas  de  doutes  qu'on  y  ait  vu, 
non  pas  un  simple  monument ,  mais  cette  puissante  Église  imma- 
térielle à  laquelle  le  Christ  avait  donné  le  grand  apôtre  pour  première 
pierre. 

Lorsque  les  prélats  eurent  obtenu  des  rois  les  droits  régaliens ,  ils 
prirent  ordinairement  pour  type  de  leur  monnaie  le  saint  patron 
de  leur  église.  Quelquefois,  à  l'exemple  des  seigneurs  laïcs,  ils  ne 
firent  que  copier  la  monnaie  du  souverain.  C'est  ici  le  lieu  de  dire  un 
mot  de  l'imitation  des  types,  qui  introduisit  sur  les  monnaies  des 
singularités  inexplicables  pour  qui  n'aurait  pas  cette  notion. 

La  conformité  de  types  que  l'on  remarque  sur  les  monnaies  de 
quelques  villes  de  l'antiquité  tient,  le  plus  souvent,  à  une  commu- 
nauté d'idées ,  de  culte.  Cependant  il  est  certains  cas  où  l'imitation 


(1)  Les  statères  d'or  d'Alexandre  et  les  monnaies  de  plusieurs  autres  rois  grecs 
nous  montrent  la  Victoire  portant  une  croix  qui  n'est  autre  chose  que  l'armature 
destinée  à  former  un  trophée. 


NUMISMATIQUE.  97 

servile  est  tout  à  fait  sensible  (1).  Au  moyen  ège,  où  la  monnaie 
était  souvent  la  principale  source  des  revenus  de  celui  qui  la  fabri- 
(juait,  on  s'efforçait  de  lui  donner  le  cours  le  plus  étendu  possible» 
Pour  cela  on  copiait  le  type  en  vogue  ;  que  ce  fût  le  florin  de  Flo- 
rence, le  gros  de  Tours  ou  le  sterling  d'Angleterre,  peu  importe. 
On  conçoit  facilement  quelles  bizarreries  résultèrent  de  cette  cou- 
tume. Des  évoques  et  des  comtesses  se  firent  graver  sur  leurs  mon- 
naies, à  cheval,  en  armure  complète  et  la  couronne  royale  en  tête. 
Le  pape  Clément  IV  fut  obligé  de  réprimander  certains  évêques 
qui  copiaient  la  monnaie  arabe  avec  le  nom  de  Mahomet,  tandis  que 
les  sultans  de  la  race  d'Ortok  battaient  des  monnaies  à  l'effigie  du 
Christ,  de  la  Vierge  et  des  empereurs  (2).  L'introduction  des  armoi- 
ries sur  la  monnaie  ne  fut  même  pas  un  obstacle  à  l'imitation  (3). 
De  nos  jours  encore  les  petits  souverains  copient  la  monnaie  des 
grands  États. 

Depuis  deu^  siècles  le  type  des  monnaies ,  en  général  fort  simple , 
est  devenu  fixe,  c'est-à-dire  qu'une  fois  adopté  par  un  souverain, 
il  se  continue  pendant  toute  la  durée  de  son  règne,  et  souvent 
même  est  adopté  par  ses  successeurs.  Bien  des  artistes  ont  émis  le 
vœu  de  voir  reparaître  sur  la  monnaie  les  types  variés  et  commémo- 
ratifs;  mais  cette  rénovation  ne  se  ferait  qu'au  profit  de  l'art  seul. 
Quant  à  l'histoire,  aux  idées  religieuses,  elles  peuvent  se  passer 
désormais  de  ce  moyen  de  publicité.  L'imprimerie  est  pour  elles  un 
auxiliaire  bien  autrement  puissant  ;  le  changement  continuel  de  type 
nécessiterait  des  dépenses  énormes  et  n'atteindrait  pas  le  but  qu'on 
semble  se  proposer  de  laisser  des  monuments  durables  de  notre 
histoire.  La  grande  circulation  de  nos  monnaies ,  les  refontes  qui  en 
sont  la  conséquence  inévitable ,  ne  laissent  subsister  aucune  monnaie 
d'un  siècle  à  l'autre.  Quand  même  Louis  XIV  eût  fait  retracer  sur 
ses  monnaies  les  nombreux  événements  de  son  long  règne,  ses  écus 
n'en   seraient  pas  moins  décriés  et  détruits  ;  les  chefs-d'œuvre  de 
Warin  n'ont  pas  trouvé  grâce  devant  le  creuset  niveleur  du  système 
décimal.  Adrien  de  Longpérier. 

(1)  Les  tétradraclimes  de  Cydonia,  deGorlyna,  d'Hiérapyliia  ,  de  Priansus,  villes 
de  Crète,  sont  évidemment  calquées  sur  celles  d'Athènes.  A  Pharsale  de  Thessalic  , 
à  Héraclée  d'Ionie,  on  trouve  des  imitations  de  la  Minerve  attique. 

(2)  Une  magnilique  monnaie  du  cabinet  de  feu  M.  le  duc  de  Blacas  n'est  autre 
chose  que  la  reproduction  servile  d'un  dinar  du  khalif  Haroun  Al'Raschid,  avec 
l'addition  du  nom  du  roi  de  Mercie ,  Olîa  II. 

(o)  Les  seigneurs  de  ^Yezemale ,  de  Manloue,  de  Cugnon ,  d'Orange,  d'Arche 
ont  reproduit  sur  leurs  monnaies  les  trois  fleurs  de  lis  de  France  ,  sans  s'inquiéter 
des  droits  qu'ils  pouvaient  y  avoir. 

I.  7 


■ 


VOYAGES  ET  RECHERCHES  ARCHEOLOGIQUES 

DE  M.   LEBAS,   MEMBRE  DE  L'INSTITUI  , 

EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE, 

PENDANT  LES  ANNEES  i845  ET   1844. 


SECOND  RAPPORT  A  ^l.  LE  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE. 


ILgINE    et  SES  TKMl'LES,   PAL^AKHORA ,    INSCRIPTIONS  DÉCOUVERTES;  CALAIJRIE ,  TRÉZÈNE  , 
POROS,    RETOUR  A  ATHÈNES,   VISITE   A   PHYLÉ  ET   A   DÉGÊLIE. 

Monsieur  le  ministre, 

Monsieur  l'amiral  Kriesis ,  minisire  de  la  marine  du  roi  des  Grecs, 
ayant ,  avec  l'obligeance  qu'il  montre  à  tous  les  érudits  français  qui 
voyagent  en  Grèce,  mis  à  ma  disposition  le  Pollux,  l'un  des  trois 
cutters  du  gouvernement,  commandé  parle  brave  maître  d'équipage 
Antonio  Sapono,  d'Hydra,  je  partis  quatre  jours  après  mon  retour  à 
Athènes,  c'est-à-dire  le  10  avril,  pour  l'île  d'Egine  dont  l'histoire 
m'a,  comme  vous  le  savez,  occupé  d'une  manière  toute  particulière. 
J'étais  impatient  de  m'assurer,  sur  les  lieux  mêmes,  si  les  conjectures 
que  j'ai  émises  dans  mon  dernier  mémoire  trouveraient  leur  confirma- 
tion dans  quelque  monument  découvert  depuis  le  passage  de  la  Com- 
mission de  Morée,  et  de  me  faire  une  opinion  relativement  à  la  con- 
troverse  qu'a  excitée  l'attribution  du  temple  dont   les  bas-reliefs 
décorent  aujourd'hui  le  musée  de  Munich.  A  mon  arrivée,  je  reçus 
l'hospitalité  la  plus  empressée   de  monsieur  George  Logiotatidès, 
ancien  démogéronte  de  l'île,  et  dès  le  lendemain  je  me  mis  en  route 
pour  le  temple  qui  devait  être  l'un  des  principaux  objets  de  mes 
recherches. 

Chemin  faisant,  je  visitai  avec  soin  toutes  les  églises  que  je  ren- 
contrai :  celles  de  Saint-Démétrius,  de  Saint-Michel,  de  Tous-les- 
Saints,  de  la  Panagia,  de  Saint-George,  de  Saint-Élie,  de  Saint- 
Jean  :  presque  toutes  m'offrirent  des  tronçons  de  colonnes,  des 
fragments  de  pierre  d'Eleusis;  dans  presque  toutes  je  trouvai  une  de 


VOYAGES   EN   GRECE   ET   EN   ASIE  MINEURE.  99 

ces  colonnettes  cannelées  connues  des  antiquaires  sous  le  nom  de  co- 
lonnettes  votives  et  sur  lesquelles  le  savant  M.  Ross  a  publié  une  dis- 
sertation spéciale.  Si  je  ne  me  trompe,  Monsieur  le  Ministre,  ces 
colonnettes,  pour  la  plupart  en  pierre  noire  d'Eleusis,  sont,  dans 
les  pays  qui  ont  été  sous  la  domination  d'Athènes,  l'indice  de  rap- 
ports religieux  avec  le  centre  du  culte  athénien  et  prouvent  de  plus 
que  les  églises  oii  on  les  rencontre  aujourd'hui  ont  été  bâties  sur 
l'emplacement  de  temples  anciens;  aujourd'hui  encore  elles  sont  con- 
sacrées au  culte,  et  placées  la  base  en  l'air;  elles  servent  à  brûler 
l'encens  les  jours  de  cérémonies  pieuses.  La  seule  église  de  Saint- 
Eleousa  que  l'on  rencontre  un  peu  avant  que  de  passer  au  pied  de 
Palœakhora,  ville  en  ruines ,  située  au  centre  de  l'île  sur  une  montagne 
escarpée,  m'offrit  un  inscription  qui  est  certainement  inédite;  elle 
est  gravée  sur  une  petite  stèle  à  fronton  et  conçue  en  ces  termes  : 

M0MMI02 
0EOZENOY 

XAIPE 
APISTHAI 
KAIOrENOY 
XAI  ^^  PE 


Dans  l'intérieur  de  l'église,  l'autel  se  compose  d'une  colonnette 
votive  renversée  portant  un  chapiteau  d'un  ordre  que  j'appellerai 
volontiers  égypto  corinthien,  car  on  y  retrouve  réunis  les  caractères 
de  l'architecture  égyptienne  et  ceux  du  dernier  ordre  de  l'architec- 
ture grecque;  ce  chapiteau  est  également  renversé,  de  telle  façon 
que  la  face  sur  laquelle  il  reposait  primitivement  forme  aujourd'hui 
la  sainte  Table. 

Enfin,  Monsieur  le  Ministre,  j'arrivai  au  temple  si  souvent  décrit 
et  si  justement  admiré.  Après  un  examen  attentif  des  lieux ,  je  par- 
tage complètement  les  convictions  des  savants  qui  voient  dans  ce 
monument  non  pas  le  sanctuaire  de  Jupiter  Panhellénien,  mais  celui 
que  lesÉgifiètes  élevèrent  à  Minerve  après  la  bataille  de  Salamine, 
ainsi  que  nous  l'apprend  Hérodote.  Quel  argument  plus  concluant, 
en  effet,  que  la  position  de  ce  temple ,  à  l'extrémité  septentrionale 


100  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  l'île,  en  vue  d'Athènes,  comme  si  les  Éginètes  eussent  voulu  rap- 
peler à  leurs  ambitieux  voisins  qu'eux  aussi  ils  étaient  les  protégés 
de  Minerve,  qu'eux  aussi  ils  avaient  contribué  à  la  délivrance  de  la 
Grèce  et  que  dans  le  combat  décisif,  l'un  d'eux,  Polycrate  (1),  avait 
remporté  le  prix  de  la  valeur.  Quel  argument  encore  que  le  sujet  des 
deux  frontons  représentant  Minerve  qui  intervient  dans  deux  épisodes 
de  la  guerre  de  Troie ,  c'est-à-dire  de  la  première  lutte  de  la  Grèce 
contre  l'Asie  I  Je  dois  ajouter,  Monsieur  le  Ministre,  que  vainement 
j'ai  recherché  l'inscription  ATTÏÏ  AN  E  A  AH  N  ini  qu'on  prétend  avoir  vue 
dans  ce  lieu  il  y  a  quelques  années.  Qu'est-elle  devenue?  Je  l'ignore. 
Il  est  des  gens  qui  prétendent  qu'elle  n'a  jamais  existé,  et  qu'elle  est 
d'une  date  on  ne  peut  plus  récente;  tout  ce  que  dit  M.  Woodsworth 
à  cet  égard  me  paraît  on  ne  peut  plus  concluant.  Il  est  hors  de  doute 
qu'il  a  existé  dans  cette  partie  de  l'île  un  sanctuaire  de  Minerve  qui 
avait  une  étendue  considérable  et  proportionnée  à  l'importance  du 
temple  qui  en  formait  le  centre  principal  :  une  des  limites  de  cette 
enceinte  serait  encore  à  environ  deux  kilomètres  au  sud  du  temple  ; 
c'est  un  morceau  de  marbre  blanc  oblong  formant  aujourd'hui  le 
chambranle  d'une  église  consacrée  à  saint  Athanase;  sur  la  face  prin- 
cipale on  lit ,  gravé  en  caractères  archaïques  : 

HORO^ 

TEMEN05 

AOANAIA^ 

J'ai  copié  et  estampé  cette  inscription  qui ,  dans  le  débat  dont  il 
s'agit,  est  d'une  autorité  bien  plus  sûre  que  celle  dont  j'ai  parlé  plus 
haut. 

Mais  où  retrouver  le  temple  de  Jupiter  Panhellénien  dont  l'origine 
remonte  à  un  fils  de  Jupiter,  à  Éaque,  le  héros  protecteur  d'Égine? 
car  on  ne  peut  nier  l'existence  de  ce  sanctuaire.  Évidemment  c'est 
dans  la  cime  la  plus  élevée  de  l'île,  sur  l'Hagios  Hélias.  J'ai  gravi 
cette  montagne,  au  pied  de  laquelle  on  reconnaît  encore  les  substruc- 
tions  du  temple  de  Damia  et  Auxesia  ;  ce  sont  des  ruines  considérables 
d'un  caractère  antérieur  au  V*  siècle  avant  notre  ère.  Parmi  ces 
débris  si  importants  se  trouve  une  vaste  pierre,  probablement  des- 
tinée aux  sacrifices,  et  une  colonne  votive,  portant  toutes  deux  des 
inscriptions  copiées ,  pour  la  première  fois,  par  Fourmont  qui,  il  faut 

(1)  Notre  hôte,  M.  Logiotatidcs,  a  donné  ce  nom  à  l'un  de  ses  deux  fils;  l'autre 
porte  celui  d'Éaque.  C'est  ainsi  qu'à  Messéne  plus  d'un  enfant  s'appelle  Arisloméne. 
Mais  il  ne  suffit  pas  de  faire  revivre  d'anciens  noms. 


VOYAGES   EN   GRÈCE    ET    EN    ASIE    MINEURE.  lOl 

bien  le  reconnaître,  était  un  investigateur  très-heureux  et  non  moins 
zélé.  J'ai,  dis-je,  gravi  le  mont  Héiins,  rude  ascension  pour  un  Pari- 
sien ,  mais  non  pas  pour  un  érudifc  qu'entraîne  le  démon  des  décou- 
vertes! J'ai  trouvé  sur  la  cime  plusieurs  assises  quadrangulaires 
qu'on  a,  à  différentes  époques,  utilisées  dans  les  reconstructions  suc- 
cessives de  l'église  consacrée  à  saint  Élie ,  lequel  dans  toute  la  Grèce 
a  remplacé  Jupiter  sur  les  hautes  montagnes  d'où  tombent  et  le  ton- 
nerre et  la  pluie.  J'y  ai  trouvé  aussi  plusieurs  fragments  de  marbre 
blanc  bien  travaillés  et,  ce  qui  a  plus  d'importance  encore,  des  trous 
assez  profonds  creusés  avec  le  ciseau  dans  le  rocher  le  plus  élevé 
pour  y  recevoir  une  statue  qu'on  pouvait  apercevoir  de  toutes  les 
parties  de  l'île  et  même  de  la  côte  voisine. 

Ces  deux  points  observés,  il  me  restait  encore  une  excursion  à 
faire  à  Palœakhora,  cette  ville  au  centre  de  l'île  dont  j'ai  déjà  eu  oc- 
casion de  parler  plus  haut.  Là  se  rencontrent  (toujours  dans  les 
églises)  des  souvenirs  des  différents  âges,  des  inscriptions  en  carac- 
tères archaïques,  indiquant  les  limites  des  enceintes  sacrées,  le  dé- 
cret, en  dialecte  dorien,  que  j'ai  restitué  dans  mon  mémoire,  quel- 
ques stèles  funèbres,  une  épigramme  inédite  en  six  vers,  quelques 
épitaphes,  quelques  dédicaces  latines  du  XV^  siècle,  c'est-à-dire  de 
l'époque  vénitienne,  et  enfin  le  cadavre  d'une  ville  morte  depuis 
vingt  ans,  depuis  qu'on  peut  impunément  habiter  la  plaine  et  les 
côtes;  cadavre  auprès  duquel  veille  et  prie,  quand  il  ne  garde  pas 
ses  chèvres  ou  qu'il  ne  tricote  pas  ses  bas  bleus,  l'une  des  couleurs 
distinctives  du  clergé  grec,  un  papas  fort  ignorant  (ils  le  sont  presque 
tous),  mais  fort  hospitalier.  Quelles  ont  été  les  destinées  de  cette 
ville  depuis  les  temps  les  plus  reculés  ?  c'est  ce  que  je  me  propose 
d'examiner  un  jour.  Je  me  bornerai  en  ce  moment  à  vous  dire.  Mon- 
sieur le  Ministre,  que,  suivant  moi,  cette  ville  n'a  jamais  dû  être 
dans  l'antiquité  le  lieu  principal  de  l'île,  mais  une  retraite  naturelle- 
ment fortifiée,  où  les  habitants  se  réfugiaient  en  cas  d'attaque  sou- 
daine, comme  à  l'époque  des  pirates  Ciliciens,  aux  temps  des  grandes 
invasions  et  lors  des  ravages  exercés  par  les  barbaresques.  Je  ne  vous 
envoie  pas ,  Monsieur  le  Ministre,  l'épigramme  inédite,  parce  que  les 
trois  derniers  vers  en  sont  fort  mutilés,  et  que  je  désire  en  tenter  le 
premier  la  restitution  lorsque  j'aurai  quelques  loisirs  et  quelques 
livres  à  ma  disposition.  Je  vous  ferai  seulement  connaître  celles  qui 
n'étant  accompagnées  d'aucun  dessin  peuvent  être  reproduites  ici. 
La  première,  gravée  sur  un  marbre  blanc,  forme  le  linteau  de  la 
porte  d'A'/toç  yysjylcjx^oz.  Elle  est  ainsi  conçue  : 


102  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

HORO^ 

TEMENO^ 
AGANAIA5 

La  deuxième  est  gravée  sur  un  marbre  qui  sert  de  seuil  à  la  porte 
de  la  U(xvo(yloc  (^opyincraoc.  On  y  lit  : 

HORO^ 

TEMENOM 

AnOAALHN] 

0[2KAm02Ell 

An[N]0[2] 

Les  trois  dernières  lignes  sont  en  caractères  d'une  date  plus  récente. 

La  troisième  est  également  gravée  sur  un  marbre  blanc  dont  on  a 
fait  le  linteau  de  la  porte  de  l'église  épiscopale.  Elle  consiste  dans 
les  deux  lignes  suivantes  : 

H0R05 
TEMEN05 

Enfin,  à  la  porte  de  l'église  de  la  Uavayia  Tiavovla,  se  trouve  une 
stèle  à  fronton  avec  une  rosace  au  milieu.  On  y  lit  : 

GEOAOTH 
AHMHTPIGLY] 
OEO0IAO2 
/>l,HNOAnPOY 
X  AIPETE 

Il  me  reste  à  vous  entretenir  de  la  ville  d'Ègine.  Elle  a  été  si  sou- 
vent mutilée  depuis  quatorze  siècles,  les  débris  de  ses  monuments 
ont  servi  à  tant  de  constructions  diverses,  qu'on  chercherait  vaine- 
ment aujourd'hui,  à  l'aide  des  indications  très-vagues  de  Pausanias, 
l'emplacement  de  ses  principaux  édifices ,  celui  du  temple  de  Vénus 
excepté.  Quant  à  l'^Eaceinm ,  le  voyageur  grec  nous  apprenant  qu'il 
était  bâti  dans  l'endroit  le  plus  en  évidence  de  la  ville,  èv  rw  ènK^oc- 
vsorarw  tottw  rnç  irôhoiÇy  je  suis  très-porté  à  croire  qu'il  faudrait  le 
chercher  au-dessous  du  lazaret  actuel,  dans  un  lieu  qu'on  appelle 
aujourd'hui  Vardia,  oiij'ai  retrouvé  plusieurs  fragments  d'assises,  de 
chapiteaux  ioniques,  en  marbre  blanc,  et  oii  l'on  voyait  encore,  il  y 
a  quelques  années,  un  piédestal,  également  en  marbre  blanc,  qui  a 
été  brisé  pour  servir  à  la  construction  de  quelques  cabanes.  J'en  ai 


VOYAGES   EN    GRÈCE    ET    EN   ASIE    MINEURE.  105 

retrouvé  dans  les  murs  des  habitations  voisines  los  quatre  fragments 
suivants  : 

A'CO»lAAI 
OGTHN    T 
NTinATPON 
AIKAI'OBAI 
lYe 

NFIANTA 
lABlOYTO 

Arpoo 

XICPeA 
GBAC 


PIC 


Ceux  qui  ont  vu  Égine  à  l'époque  où  elle  était  le  centre  du  gou- 
vernement grec  auraient  peine  à  la  reconnaître  aujourd'hui,  tant  elle 
est  déchue.  Ce  n'est  plus  qu'un  grand  village  avec  deux  vastes  édi- 
fices comme  n'en  possède  pas  Athènes  :  le  Lazaret  et  l'Orphanotro- 
pheion,  tous  deux  déserts,  et  cependant  dans  un  état  qui  permettrait  de 
les  utiliser.  Le  musée,  pour  la  formation  duquel  Capo-d'Istria  avait  dé- 
pouillé Délos,  Mégare,  Calaurie,  etc.,  est  aujourd'hui  dispersé.  Une 
partie  a  été  transportée  à  Athènes,  notamment  la  grande  inscription 
qui  a  été  l'objet  de  mon  dernier  travail.  Tout  ce  qui  était  trop  pesant 
est  resté  à  droite  et  à  gauche  de  la  porte  principale  de  l'Orphanotro- 
pheion  ,  ou  dans  Tun  des  préaux  de  cet  établissement.  Le  reste,  pro- 
venant principalement  de  la  localité  même,  est  confusément  entassé 
dans  une  pauvre  cabane  que  le  démarque  honore  du  titre  pompeux 
de  Toirr/wov  /^o-jcrst'ov.  îl  m'a  fallu  tout  un  jour,  et  deux  hommes  de 
peine,  pour  passer  en  revue  les  richesses  enfouies  dans  cette  tanière. 
Les  deux  dépôts  m'ont  fourni  cent  six  inscriptions  dont  plusieurs  ont 
déjà  été  publiées  par  moi  dans  le  grand  ouvrage  sur  l'expédition 
scientifique  de  Morée ,  et  dont  certaines  autres  sont  assurément  iné- 
dites. Le  reste  de  l'île  a  moins  donné;  j'en  rapporte  cependant  qua- 
torze monuments  écrits. 

J'étais  à  Égine  trop  près  de  Calaurie  et  de  Trézène  pour  ne  pas 
visiter  ces  lieux  célèbres;  je  m'y  suis  donc  fait  transporter,  mais  j'ai 


104  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

vainement  cherché  dans  la  première  les  traces  du  temple  de  Neptune 
et  du  monument  appelé  le  tombeau  de  Démosthènes  ;  tout  a  presque 
entièrement  disparu.  Les  ruines  de  ces  édifices  ont  été  considérées , 
depuis  plus  de  cinquante  ans,  comme  une  carrière  offrant  des  maté- 
riaux commodes,  et  c'est  à  l'aide  de  ces  ressources  qu'ont  été  bâtis  la 
ville  d'Hydra,  le  vaste  monastère  de  Poros  et  un  grand  nombre  de 
maisons  de  cette  ville.  J'ai  cependant  pu ,  ù  l'aide  des  fouilles  récem- 
ment faites  pour  enlever  les  dernières  assises,  relever  le  plan  de  la 
plus  grande  partie  de  ces  lieux  ;  mais  il  fallait  se  hâter;  car,  à  l'heure 
qu'il  est  peut-être,  on  n'y  verrait  plus  rien. 

Trézène ,  qui  mérite  encore  l'épithète  d'aimable ,  n'a  pas  été  beau- 
coup plus  respectée  par  les  hommes  ni  par  le  temps.  On  y  retrouve 
pourtant,  dans  l'église  de  la  Panagia  Episcopi,  des  débris  de  colonnes 
doriques  qui  ont  dû  appartenir  au  temple  de  Junon.  Ce  temple  s'éle- 
vait sur  un  terre-plein  soutenu  par  des  constructions  cyclopéennes 
en  pierres  brutes  à  joints  taillés.  J'ai  encore  remarqué  une  tour  carrée 
de  construction  hellénique ,  qui  se  rattachait  sans  doute  au  système 
de  fortification  de  la  ville ,  puisqu'elle  est  située  à  l'entrée  du  défilé 
qui  conduit  à  Hermione,  et  oii  se  voit  dans  un  paysage  délicieux  un 
pont  au-dessus  d'un  torrent,  lequel  est  appelé  le  Pont  du  diable;  et 
enfin  plusieurs  églises  où  se  trouvent  encore  la  plupart  des  monu- 
ments écrits  que  Fourmont  a  copiés ,  mais  dont  quelques-unes  ont 
été  tellement  envahies  par  les  ronces  qu'on  ne  pourrait  y  pénétrer  que 
la  hache  à  la  main. 

Poros  ne  contient  rien  d'antique  qu'une  stèle  funèbre  servant  de 
banc  devant  la  porte  de  l'église  de  Saint-Constantin,  et  un  fragment 
connu  d'inscription  impériale  du  IIP  ou  du  IV^  siècle  encastré  dans 
la  façade  de  Saint-Spiridion.  v 

Rentré  à  Athènes  le  1 7  avril ,  je  me  suis  immédiatement  occupé 
des  préparatifs  de  mon  voyage  dans  le  Péloponèse  ;  comme  ils  exi- 
geaient quelques  jours  encore,  j'ai  profité  de  ce  délai  pour  aller  visi- 
ter deux  points  très-importants  de  l'Attique  :  Phylé  et  Décélie. 

APhyléj'ai  déterminé,  avec  plus  de  précision  et  de  certitude  que 
ne  l'avait  fait  le  colonel  Leake,  l'enceinte  de  la  forteresse,  l'un  des 
plus  solides  remparts  d'Athènes  du  côté  de  la  Béotie,  et  me  suis 
convaincu  en  même  temps  que  jamais  Thrasybule ,  lorsqu'il  vint  de 
ïhèbes  avec  quelques  bannis  pour  renverser  les  trente  tyrans,  n'aurait 
pu  occuper  ce  poste  inacessible  s'il  n'eût  eu ,  ce  que  l'on  conçoit 
facilement,  des  intelligences  dans  la  place. 

A  Décélie  j'ai  été  beaucoup  moins  heureux  et  n'ai  trouvé,  dans  le 


VOYAGES   EN   GRECE   ET    EN   ASIE   MINEURE.  105 

lieu  OÙ  l'on  s'accorde  à  placer  la  forteresse  de  ce  nom ,  aucune  autre 
trace  des  murs  bâtis  par  les  Spartiates  d'après  les  conseils  d'Alcibiade, 
que  les  premières  assises  d'un  monument  quadrangulaire  qui  n'était 
probablement  qu'une  tour  ou  qu'un  refuge.  Cette  position  n'est  donc 
pas  encore  bien  déterminée ,  selon  moi ,  et  la  question  demande  des 
recherches  ultérieures.  Je  verrai,  cet  automne,  s'il  me  sera  possible 
d'obtenir  un  résultat  plus  satisfaisant. 

Pour  se  rendre  à  Décélie  on  traverse  le  grand  village  de  Ménidi , 
qui  a  remplacé  l'ancienne  Acharne.  J'y  ai  copié  quelques  inscriptions 
funéraires;  les  plus  remarquables  sont  les  deux  suivantes  : 

AnOAAOAnPOI 

iiAïAArnroi 

A0POAI2IO2 
APMENI02 

J'ai  aussi  retrouvé  dans  cet  antique  dème  le  torse  d'une  statue 
d'empereur  romain  en  costume  militaire ,  étendue  sans  gloire ,  quoi- 
que d'un  assez  beau  travail  et  en  marbre  blanc,  à  la  porte  d'une  ca- 
bane. 

J'ai  encore  visité,  la  veille  de  mon  départ,  le  village  de  Koukouvaïa 
où  j'ai  copié  une  inscription  latine,  chose  rare  en  Grèce  et  surtout 
dans  l'Attique,  et  le  dème  d'Amarusia  dont  le  nom  s'est  conservé 
presque  intact  dans  celui  de  Marousia ,  charmant  village,  où  les  Athé- 
niens vont  chercher  la  fraîcheur  pendant  l'été.  Je  n'y  ai  trouvé  que 
l'inscription  suivante,  en  caractères  imitant  l'archaïque,  et  publiée 
dans  le  Corpus  d'après  une  copie  de  Fourmont. 

HQI^D^JAt^TE 

/v\IAn$:TEME 

NO^:AMAI>V 

Je  m'arrête  ici,  Monsieur  le  Ministre.  Dans  ma  première  lettre 
je  vous  parlerai  du  résultat  de  mes  recherches  d'Éleuthères  à  Corinthe. 
Un  autre  rapport  sera  consacré  à  mon  voyage  de  Corinthe  à  Messène 
en  passant  par  Sicyone,  yEgium,  Patras,  Élis,  Olympie,  Héraea, 
Épéion,  Phigalie.  Un  troisième  vous  entretiendra  de  mon  séjour  à 
Messène ,  des  travaux  que  j'y  ai  exécutés ,  des  découvertes  que  j'y  ai 
faites,  ainsi  que  de  mes  excursions  à  Pylos  et  à  Thouria.  Je  vous  par- 
lerai ensuite  de  mon  séjour  à  Sparte,  de  mon  voyage  à  Geronthrœ  et 


106  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

à  Marios  ;  et  enfin  un  dernier  compte  rendu  sera  consacré  à  Hélos,  à 
Mulaos ,  aux  antiquités  de  la  côte  occidentale  du  cap  Malée,  à  Gythium 
et  à  la  tournée  que ,  de  cette  ville,  je  vais  entreprendre  dans  le  Magne, 
ou  plutôt  le  long  des  côtes  de  la  presqu'île  qui  se  termine  au  cap  Té- 
nare.  J'aurais  voulu  pouvoir  vous  présenter,  en  une  seule  fois,  l'ex- 
posé de  ces  diflerentes  courses  ;  mais  les  chaleurs  de  l'été  commencent 
à  se  faire  sentir  avec  violence ,  et  la  prudence  me  fait  un  devoir  de  ne 
pas  séjourner  plus  longtemps  dans  le  sud  du  Péloponèse. 

De  Calamae ,  d'oiî  je  vous  adresserai  la  lettre  qui  doit  suivre  celle 
que  vous  recevrez  dans  dix  jours,  datée  encore  de  Gythium,  je  me 
propose  d'aller  visiter  Sténycleros,  Ira,  Mégalopolis,  Tégée,Man- 
tinée ,  Argos ,  Mycènes ,  Tyrinthe ,  Nauplie ,  Epidaure  ;  puis,  remon- 
tant à  l'ouest,  de  pénétrer  encore  une  fois  dans  les  montagnes  de 
l'Arcadie  pour  examiner  les  restes  d'Orchomène,  de  Raphiae,  de 
Cleitor,  de  Phénée,  de  Stymphale,  de  Phliunte,  de  Nemée  et  de 
Cléones  ;  puis  enfin  de  rentrer  à  Athènes  en  me  dirigeant  par  Mégare 
et  Salamine.  De  là,  j'irai  passer  les  mois  d'août  et  de  septembre 
dans  les  Cyclades  et  j'aviserai  alors  à  l'emploi  le  plus  utile  du  temps 
qui  me  restera.  Je  n'épargnerai  ni  peines  ni  soins  pour  obtenir 
d'utiles  résultats  et  pour  répondre  dignement  à  votre  attente. 

Je  suis  avec  respect, 

Monsieur  le  Ministre, 

Votre  dévoué  serviteur, 

Ph.  Lebas. 

Gythium,  le  4  juillet  1843. 


RAPPORT 


DE  M.  EGGER, 

lECR^TAIRE  DU   COMITÉ  CHARGÉ  DE   PROPOSER   LE   PLAN  ET   LES   PRINCIPALES  DIVISIONS 

BU 

lU  CIJFJL  GÉNÉRAL  DES  IISSCRÏPTIOAS  LATINES  (1). 


Monsieur  le  Ministre, 

Le  comité  choisi  par  vous  au  sein  de  la  commission  d'épigraphie 
latine  pour  proposer  le  plan,  l'ordre,  les  principales  divisions  et  la 
forme  d'exécution  du  recueil  confié  à  cette  commission ,  avait  d'abord 
à  déterminer  les  limites  chronologiques  de  l'ouvrage.  A  cet  égard , 
votre  intention  déjà  exprimée  était  de  vous  renfermer  dans  l'antiquité 
proprement  dite ,  et  d'exclure ,  au  moins  provisoirement ,  le  moyen 
âge.  Mais  où  finit  l'antiquité,  où  commence  le  moyen  âge?  La  chute 
de  Romulus  Augustule  et  la  fondation  des  royautés  barbares  semblent 
d'abord  marquer  une  époque  précise  ;  et  le  comité  s'y  arrêtait  volon- 
tiers. Vos  nouvelles  observations.  Monsieur  le  Ministre,  appuyées  dans 
le  sein  même  de  la  commission  par  de  graves  autorités,  ont  bientôt  fait 
reconnaître  qu'il  était  dangereux,  en  pareille  matière,  de  fixer  un  mil- 
lésime et  de  juger  l'état  social  des  peuples  d'après  le  nom  de  leurs 
chefs.  Au  VP  siècle  ,  Justinien  conserve  encore ,  sur  le  trône  de 
Constantinople,  le  titre  de  consul,  dernier  souvenir  de  la  république 
qui  survit  ainsi  à  la  ruine  de  l'empire  d'Occident.  Au  VP  siècle, 
le  Goth  Théodoric  est  encore  un  empereur  romain  qui  s'entoure  de 
toutes  les  formalités  de  la  législation  et  de  la  chancellerie  romaines  ; 
et,  plus  tard ,  quand  les  Barbares  négligent  de  contrefaire  ainsi  les 
vaincus,  la  société  qu'ils  gouvernent,  en  se  mêlante  elle  par  les  in- 
térêts de  la  conquête  et  les  liens  de  la  famille ,  n'est  pas  pour  cela 
subitement  transformée.  Combien  de  temps  il  a  fallu  au  christianisme 
pour  régénérer  les  mœurs  et  éteindre  les  vieilles  superstitions  ;  com- 
bien de  temps  la  société  reste  païenne,  malgré  l'active  influence  du 
gouvernement  épiscopal  et  de  la  morale  évangélique  !  Or,  si  le  recueil 
projeté  doit  servir  à  contrôler,  à  compléter,  par  le  témoignage  des 
inscriptions,  l'histoire  entière,  l'histoire  sociale  et  domestique  du 
monde  romain,  on  ne  peut  le  fermer  à  l'avènement  d'Odoacre  on  à 

(1)  Ce  rapport  a  été  lu  dans  la  séance  de  la  Commission  d'épigraphie  latine  du 
3  aoiH  iS4:i.  (M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique,  président.) 


108  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

la  mort  de  Théodoric.  II  vaut  mieux  simplement  désigner  pour  terme 
la  fin  du  VP  siècle,  en  permettant  aux  rédacteurs  de  recueillir, 
môme  au  delà  de  celte  date,  toute  inscription  qui  reproduirait  quelque 
chose  de  la  vie  romaine.  Ainsi  nos  recherches  s'arrêteront  sur  cette 
limite  quelquefois  indécise ,  mais  ordinairement  appréciable ,  où  le 
monde  n'est  plus  romain  que  par  l'usage  toujours  perpétué  de  la 
langue  latine.  Elles  comprendront  tout  le  domaine  ancien  d'une  civi- 
lisation dont  nous  ressentons  encore  l'action  puissante ,  et  d'une 
langue  qui  a  prolongé  jusqu'à  nous  son  impérieuse  popularité. 
'  Mais  s'il  importait  de  suivre,  jusque  dans  leur  dernier  développe- 
ment, les  mœurs,  les  lois  et  la  politique  de  Rome,  les  origines  de  sa 
langue,  livrées  encore  aux  doutes  et  aux  conjectures,  devaient  être 
exclues  de  notre  plan.  D'autres  recueilleront  les  monuments  des  di- 
vers dialectes  italiques  détruits  par  les  Romains  ou  fondus  par  eux 
dans  l'unité  de  la  langue  latine. 

Les  légendes  des  médailles  et  des  pierres  gravées  sortent  aussi  du 
cadre  de  nos  recherches  :  elles  appartiennent  à  la  numismatique  et  à 
l'archéologie.  C'est  faire  beaucoup  déjà  que  de  nous  engager  à  réunir 
les  inscriptions  déposées,  soit  par  mesure  de  police  ou  d'intérêt  mer- 
cantile, soit  par  un  simple  caprice  de  vanité,  sur  les  briques,  sur  les 
tessères  et  sur  des  ustensiles  de  tout  genre ,  comme  il  s'en  retrouve 
de  nos  jours  parmi  les  ruines  d'Herculanum  et  de  Pompéi. 

Une  question  plus  grave  concerne  l'ordre  à  suivre  dans  la  disposi- 
tion de  matériaux  si  nombreux  et  si  variés.  Sur  ce  point,  le  comité 
vous  propose  de  subordonner  l'ordre  des  matières  comme  celui  des 
dates  à  l'ordre  géographique ,  et  cela  pour  diverses  raisons  que  vous 
apprécierez.  Celle  qui  nous  frappe  surtout ,  bien  qu'elle  ne  soit  pas 
restée  sans  contradicteurs,  c'est  qu'il  y  aura  pour  l'historien  et  le  phi- 
losophe un  puissant  intérêt  à  suivre,  sur  les  monuments  lapidaires, 
le  progrès  méthodique  et  rapide  de  la  civilisation  romaine  à  travers  les 
peuples  conquis  ;  c'est  aussi  que,  sous  la  rigueur  uniforme  du  gouver- 
nement républicain  ou  impérial,  le  municipe,  la  cité,  et  dans  le  mu- 
nicipe,  dans  la  cité,  les  institutions  et  les  mœurs  de  la  famille  offrent, 
selon  les  lieux,  des  variétés  qui  appartiennent  à  l'histoire  et  que  dis- 
simule trop  la  division  par  ordre  de  matières  appliquée  jusqu'ici  dans 
les  recueils  d'épigraphie  latine.  D'ailleurs  cette  division,  toujours  un 
peu  arbitraire  et  difficile  à  réaliser  d'une  manière  satisfaisante  dans 
des  recueils  d'une  médiocre  étendue,  présentait  pour  le  nôtre  encore 
plus  de  difficultés.  Que  de  répétitions ,  que  de  confusions  presque 
inévitables,  le  jour  où  il  s'agirait  de  ranger,  par  ordre  de  matière. 


RAPPORT  DE   M.    EGGER   SUR   LES  INSCRIPT.    LATINES.       109 

soixante  ou  peut-être  quatre-vingt  mille  inscriptions,  qui  presque 
toutes,  par  les  détails  qu'elles  renferment,  se  rattachent  légitimement 
à  plusieurs  catégories.  Au  contraire,  sauf  de  rares  exceptions,  chaque 
monument  n'a  qu'une  place,  une  place  nécessaire  et  bien  déterminée, 
dans  l'ordre  géographique.  Enfin,  cette  distribution  du  travail  a  l'avan- 
tage de  s'appuyer  sur  une  foule  de  recueils  spéciaux  antérieurement 
composés,  et  d'autant  mieux  composés  qu'un  intérêt  national  y  venait 
seconder  le  zèle  de  la  science  ;  et  la  juste  prédilection  des  provinces 
et  des  villes  pour  leurs  antiquités  nous  assure  encore  dans  l'avenir 
plus  d'amis  et  d'utiles  collaborateurs. 

En  accordant,  f)our  ces  motifs,  la  préférence  à  l'ordre  des  lieux,  il 
a  semblé  convenable  d'y  faire  quelques  restrictions. 

La  rareté  des  monuments  épigraphiques  antérieurs  à  la  bataille 
d'Actium,  et  leur  caractère  commun  d'archaïsme,  nous  décide  à  en 
former  un  chapitre  distinct  en  tête  de  la  première  classe.  Comme  d'ail- 
leurs ces  documents  ont  tous  été  découverts  sur  le  territoire  italien, 
ou  dans  les  pays  limitrophes,  il  s'ensuit  que  leur  rapprochement  sa- 
tisfait en  même  temps  à  deux  convenances. 

A  partir  de  la  bataille  d'Actium,  les  monuments  seront  d'abord 
classés  selon  les  grandes  divisions  de  l'empire  romain. 

En  tête  de  chaque  division,  on  rassemblera  tous  les  monuments 
qui  intéressent  l'histoire  générale  de  la  contrée.  Après  avoir  distribué 
les  autres  par  cités ,  on  suivra ,  pour  chacun  de  ces  chapitres ,  l'ana- 
logie des  matières  ;  dans  chaque  subdivision ,  formée  d'après  ce 
principe ,  les  inscriptions  se  rangeront ,  autant  qu'il  sera  possible , 
par  ordre  chronologique ,  et  ainsi  les  monuments  chrétiens  forme- 
ront naturellement  le  dernier  paragraphe  de  chaque  subdivision. 

Cependant  notre  respect  pour  l'histoire  locale  ne  pouvait  aller 
jusqu'à  diviser  les  inscriptions  par  bourgades  et  hameaux  dans  l'inté- 
rieur des  anciennes  cités;  opération  peu  utile  d'ailleurs,  et  souvent 
embarrassante.  En  effet,  on  sait  d'ordinaire  à  quel  canton  appartient 
un  monument ,  mais  on  ne  sait  pas  toujours  à  quelle  localité  parti- 
culière dans  l'intérieur  du  canton.  Il  faudrait  donc  bien  des  chapitres 
à  part  pour  les  inscriptions  dont  l'origine  ne  peut  être  précisément 
assignée.  Au  contraire,  la  simplicité  du  plan  que  nous  suivrons  dissi- 
mulera en  partie  et  sans  mensonge  des  erreurs  ou  des  incertitudes 
que  rien  aujourd'hui  ne  saurait  corriger. 

Vous  le  voyez ,  Messieurs ,  votre  comité  est  loin  d'espérer  que  la 
distribution  qu'il  propose  soit  toute  facile  et  irréprochable;  il  a 
voulu  seulement,  entre  beaucoup  d'inconvénients  et  de  difficultés, 


110  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

choisir  les  moindres.  11  pense  que  le  meilleur  remède  à  l'insuffisance 
de  ces  diverses  méthodes  se  trouvera  dans  de  bonnes  tables  alphabé- 
tiques, et  il  a  cru  y  pourvoir  en  ramenant  les  liiils  épars  dans  le  Re- 
cueil à  sept  chefs  principaux  :  1"  signes  et  abréviations;  2*  noms  de 
divinités;  3°  noms  propres;  4"  lois  et  offices  publics  de  tous  genres; 
S»  géographie  (subdivisée  en  deux  tables)  ;  6°  latinité  ;  7«  sujets  di- 
vers. Cette  dernière  table  sera  la  plus  riche  après  celle  des  noms 
propres,  et,  de  toutes,  la  plus  curieuse;  elle  résumera,  pour  ainsi 
dire,  l'intérêt  historique  de  l'ouvrage. 

Mais  une  publication  aussi  vaste  et  aussi  longue  perdrait  un  peu 
de  ses  avantages  s'il  fallait  attendre,  pour  la  consulter  commodé- 
ment, l'achèvement  du  dernier  volume;  il  conviendra  donc  de  faire 
trois  séries  de  tables,  toutes  trois  sur  le  plan  qu'on  vient  de  voir,  et 
qui  se  rapporteraient,  la  première,  aux  Gaules  ;  la  seconde  à  l'Italie; 
la  troisième  aux  autres  provinces  de  l'empire  romain.  Par  ce  moyen, 
la  partie  du  recueil  qui  pourra  être  achevée  la  première  formera 
immédiatement  un  ouvrage  complet. 

La  commission  décidera  plus  tard  s'il  y  a  lieu  de  composer  des 
tables  générales ,  où  viendraient  se  fondre  les  trois  séries  de  tables 
précédemment  publiées  ;  elle  décidera  en  même  temps  quels  devront 
être  le  caractère  et  l'étendue  de  l'introduction  générale,  qui  ne  peut 
paraître  qu'avec  le  dernier  volume.  En  attendant,  quelques  pages 
d'avertissement,  jointes  à  la  première  livraison,  suffiront  pour  rendre 
compte  au  public  des  règles  qui  président  à  notre  travail. 

Ces  préfaces ,  comme  toutes  les  notes  et  explications  accessoires , 
seront  rédigées  en  latin,  dans  la  langue  commune  du  monde  savant. 

Malgré  l'exemple  donné  par  Muratori  au  dernier  siècle,  et  de  nos 
jours  par  M.  Bœckh,  nous  n'admettrons  pas,  dans  la  rédaction,  les 
digressions  historiques  et  philologiques.  Le  nombre  immense  des 
inscriptions  latines  exclut  de  notre  projet  toute  pensée  d'un  long 
commentaire,  et  rend  aussi  le  commentaire  moins  utile,  parce  que 
beaucoup  d'inscriptions  s'éclairent  l'une  l'autre  par  le  simple  effet  du 
rapprochement.  D'ailleurs,  la  science  de  l'épigraphie  latine  est  plus 
avancée  aujourd'hui  que  celle  de  l'épigraphie  grecque  ne  l'était ,  il  y 
a  vingt  ans,  avant  les  publications  de  M.  Bœckh.  Elle  compte  beau- 
coup de  maîtres  et  beaucoup  de  chefs-d'œuvre  auxquels  on  renverra 
le  lecteur  curieux  de  plus  amples  développements. 

San3  rien  donner  au  luxe,  l'exécution  typographique  doit  être  digne 
de  la  grandeur  de  l'entreprise  comme  de  l'autorité  nationale  et  savante 
qui  la  protège.  Les  dispositions  relatives  à  cette  partie  des  travaux 


RAPPORT   DE   M.    EGGER  SUR   LES  INSCRIPT.    LATINES.      111 

dans  le  programme  que  nous  allons  vous  lire  se  justifient  assez  delles- 
mômes.  Une  seule  exige  peut-ôtre  quelques  explications.  Beaucoup 
d'anciens  recueils  présentent,  quand  il  se  peut,  le  fac-rsimile  des  ca- 
ractères de  l'inscription ,  encadré  dans  un  dessin  du  monument  où 
elle  est  gravée.  D'autres  ne  conservent  pas  même  l'ordre  des  lignes 
du  monument  original,  et  se  contentent  d'en  indiquer  la  division  par 
un  signe  particulier.  En  cherchant  un  milieu  entre  une  fidélité  plus 
dispendieuse  qu'utile  et  les  calculs  d'une  économie  mesquine,  qui 
prive  quelquefois  le  lecteur  d'un  élément  nécessaire  à  la  restitution 
et  à  l'interprétation  des  textes  épigraphiques ,  on  a  eu  l'idée  de  faire 
graver  les  principaux  types  de  mormments  qui  offrent  des  inscriptions 
latines,  et  d'en  former  comme  un  répertoire  oii  l'on  renverra  le  lec- 
teur par  des  numéros  joints  à  toutes  les  inscriptions  pour  lesquelles 
ce  renvoi  sera  possible.  Grâce  à  ce  procédé  déjà  appliqué  dans  les 
recueils  de  céramographie,  on  n'aura  plus  à  décrire  en  détail  que  les 
monuments  d'une  forme  exceptionnelle.  Pour  tous  les  autres,  le 
dessin  dira  mieux  et  plus  vite  ce  que  les  lecteurs  ont  besoin  d'ap- 
prendre ;  la  philologie  restera  au  premier  rang  dans  un  recueil  essen- 
tiellement philologique,  sans  se  priver  pour  cela  des  lumières  que 
doit  lui  prêter  l'archéologie. 

Telles  seraient  donc.  Messieurs,  les  conditions  et  le  plan  du  recueil 
projeté.  L'immensité  d'une  pareille  œuvre  pourrait  effrayer,  si  nous 
n'avions  pour  l'entreprendre  d'autres  ressources  que  les  musées  et  les 
collections  comme  celles  de  Gruter  et  de  Muratori.  Mais,  hâtons-nous 
de  le  dire ,  nos  bibliothèques  nous  réservent  encore  des  matériaux 
plus  immédiatement  utiles.  Vous  le  saviez,  Monsieur  le  Ministre, 
le  jour  où  vous  nous  exposiez  ici  la  première  pensée  de  votre  projet; 
un  savant  qui  s'est  distingué  par  de  belles  recherches  dans  les  sciences 
naturelles,  Jean-François  Séguier,  avait  conçu,  avec  son  illustre 
ami  Scipion  Maffeï ,  le  projet  de  recueillir  en  un  seul  corps  toutes 
les  inscriptions  grecques  et  latines.  Détourné  de  ce  projet  par  divers 
obstacles,  et  entre  autres  par  la  publication  du  recueil  de  Muratori , 
il  s'imposa  une  autre  tâche  plus  utile ,  sans  doute ,  si  l'on  songe  à 
l'état  de  la  science  épigraphique  au  commencement  du  XVIII"  siècle, 
il  entreprit  de  rédiger  le  catalogue  alphabétique,  par  lignes  initiales, 
des  inscriptions  anciennes  publiées  dans  les  ouvrages  de  tout  genre 
depuis  l'invention  de  l'imprimerie,  et  durant  vingt-cinq  ans  il  pour- 
suivit son  travail  avec  cette  exactitude  et  ce  courage  qui  sont  bien 
près  du  génie  dans  les  choses  d'érudition.  Ce  dépouillement  d'envi- 
ron deux  mille  ouvrages  fait  monter  à  plus  de  cinquante  mille  le 


112  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

nombre  des  inscriptions  latines  connues  vers  1775.  Il  est  précédé  de 
longs  prolégomènes  oii  Séguier  analyse  et  juge  tous  les  auteurs  qui, 
jusqu'en  1 770 ,  ont  traité  de  l'épigraphie.  Si  on  joint  à  ces  deux  ou- 
vrages ce  qui  reste  aujourd'hui  de  la  collection  qu'il  avait  jadis  com- 
mencée ,  on  verra  que  Séguier  a  vraiment  posé  les  bases  du  monu- 
ment que  nous  tentons  d'élever  aujourd'hui.  Conçu  et  préparé  par 
un  Français,  ce  grand  projet  devait  s'accomplir  en  France,  et  sans 
renoncer  au  concours  des  philologues  étrangers,  à  l'avantage  de  cette 
précieuse  fraternité  qui  unit  maintenant  toute  l'Europe  savante,  vous 
vous  souviendrez,  Messieurs,  qu'il  vous  appartenait,  avant  tous,  de 
publier  le  Recueil  général  des  inscriptions  latines.  Vous  ne  négligerez 
pas  de  recueillir  les  matériaux  que  de  savants  hommes  ont  pu  amas- 
ser, hors  de  France ,  en  vue  de  semblables  études.  Mais  en  réali- 
sant la  pensée  de  Séguier,  sur  des  proportions  encore  agrandies,  avec 
les  précieux  instruments  qu'il  vous  a  légués ,  vous  revendiquerez  une 
gloire  méritée  pour  un  des  noms  les  plus  modestes  de  la  philologie 
française. 

Nous  avons  parlé,  Messieurs,  de  l'état  des  études  épigraphiques  au 
temps  de  Séguier,  et  nous  avons  laissé  voir  que  la  publication  du  Re- 
cueil projeté  est  plus  opportune  aujourd'hui  qu'elle  ne  l'eût  été  au 
milieu  du  XVIIP  siècle.  En  effet,  le  nom  seul  de  Scipion  Maffeï  vous 
rappelle  ces  abus  d'un  scepticisme  ingénieux  qui,  sur  les  plus  légers 
indices,  sur  les  soupçons  les  plus  arbitraires,  proscrivait  comme  sup- 
posées une  foule  d'inscriptions  parfaitement  authentiques.  En  publiant, 
en  1 732,  le  prospectus  d'une  Collection  universelle  d'épigraphiegrecque 
et  latine,  l'Académie  de  Vérone,  par  l'organe  de  Maffeï,  invitait  ses 
souscripteurs  à  ne  pas  trop  craindre  l'énormité  de  l'entreprise  ;  elle 
annonçait  qu'une  critique  nouvelle  débarrasserait  les  rédacteurs  de 
bien  des  matériaux  suspects,  et  rendrait  ainsi  leur  tâche  plus 
réalisable.  Cette  critique,  c'était  l'Jr^  cridca  lapidaria,  qui  ne  fut 
jamais  achevée,  et  qui  parut  après  la  mort  de  Maffeï  par  les  soins 
de  Séguier.  Le  temps  a  fait  justice  de  ces  exagérations  systématiques, 
et  rétabli  à  leur  place  bien  des  textes  imprudemment  supprimés.  Les 
recherches  faites  depuis  1775  nous  ont  encore  enrichis  d'une  foule 
d'inscriptions  curieuses ,  parmi  lesquelles  il  suffit  de  rappeler  le 
chant  des  Arvales,  l'édit  de  Dioclétien,  que  M.  Lebas  vient  de  com- 
pléter par  une  traduction  grecque  retrouvée  dans  le  Péloponèse ,  et 
les  inscriptions  découvertes  en  Algérie.  Aussi  nous  n'espérons  plus, 
comme  l'espérait ,  il  y  a  cent  ans ,  l'Académie  de  Vérone ,  renfermer 
en  cinq  ou  six  volumes  toutes  les  inscriptions  païennes  et  chrétiennes 


RAPPORT  DE  31.  EGGER  SUR  LES  INSCRIPTIONS  LATINES.    113 

cparses  dans  le  monde  ancien.  Mais  en  revanche  la  critique  a  fait 
depuis  cette  époque  des  progrès  qui  favorisent  de  plus  en  plus  l'ac- 
complissement de  l'œuvre  confiée  à  vos  soins.  Des  procédés  nouveaux 
permettent  de  reproduire  avec  une  fidélité  rigoureuse  les  inscriptions 
des  monuments  conservés  jusqu'à  nous,  et  facilitent  beaucoup,  pour 
l'épuration  des  textes,  la  tâche  des  futurs  éditeurs.  Les  excellents 
travaux  de  Hagenbuch,  de  Marini  et  de  Morcelli  nous  viendront  en 
aide.  Les  exemples  et  les  leçons  toujours  vivantes  de  notre  Académie 
des  Inscriptions  et  Belles- lettres  sont  pour  nos  plus  jeunes  collabo- 
rateurs un  encouragement  et  une  garantie  de  bon  succès.  Conduit 
avec  une  sage  et  forte  persévérance ,  ce  Recueil ,  qu'il  nous  soit  per- 
mis de  l'espérer,  secondera  bientôt  à  son  tour  les  progrès  ultérieurs 
de  la  science  épigraphique ,  si  féconde  en  beaux  résultats  pour  l'his- 
toire ancieniP3  de  la  France  et  de  tout  l'Occident. 


I. 


SUÇ  L  ORIGINE  DU  NOM  D  HORACE 


(1). 


Le  père  d'Horace  était  un  affranchi  ;  il  avait  par  conséquent,  suivant 
l'usage  des  Romains,  conservé,  dans  son  nouvel  état,  le  nom  (je 
parle  dans  le  sens  le  plus  restreint  du  mot)  qu'il  portait  avant  son 
affranchissement.  Or,  comme  les  affranchis  gardaient,  d'ordinaire, 
le  nom  de  leur  ancien  maître  (par  exemple  M.  Tullius  Tiron,  affran- 
chi de  M.  Tullius  Cicéron),  on  pourrait  en  conclure  qu'il  avait  reçu 
son  nom,  avec  la  liberté,  d'un  Horatius,  si  l'extinction  de  cette  noble 
famille  ne  datait  déjà  des  premiers  siècles  de  la  république  (V.  Ra-^ 
perd  stemmatanob.gent,  Rom.,^.  92).  Il  faut  donc  chercher  à  ce 
nom  une  autre  origine. 

Deux  inscriptions  dans  Gruter,  115,5  (Celeiœ)  : 

TI.  CLAVDIVS 
MVMCIPII  CELEIAE 
LIB.  FAVOR.  PRO.  SE.  ET 
IVLIA  PVSILLA 
VOTYM  SOLVIT 

et  601,  6  (Celeiœ)  : 

TI.  CLAVDIVS 
MVNICIPII  GELEIANI 
LIB.  FAVOR.  V.  F.  SIBI 
ET  IVLIiE  PVSILLiE 
CON.  SViE  ET  SVIS. , 

nous  montrent  qu'un  affranchi  du  municipe  de  Céleia  portait  le  nom 
de  Claudius.  Or,  Céleia  dépendait  de  la  tribu  Claudia,  comme  le  dé- 
montrent les  inscriptions  suivantes  (dont  je  ne  cite  que  les  mots  qui 
ont  rapport  à  mon  sujet)  : 

M.  PETRONIVS 

C.  F.  CLA.  CELE.  (  Bretzenheim ,  prèsMayence,  Grut.  550,7, 
Fuchs ,  Hist,  Mogunt.  I.  Cl.  4.  n.  22.  Orelli ,  501.) 

M.  SATVRNVS 

M.  F.  CLA. 

MAXIMVS 

CELEIA  (Rome,  GruL  560,  4)  * 

C.  VALERIO.  C.  F. 

CLA.  CVPITO 

CELEIE  (Rome,  Grut.  565,  1)  (2). 

(I)  Cet  arliclc  nous  a  été  communiqué  par  M.  Egger. 

{•2)  L'inscription  524,5  de  Gruter,  d'après  laquelle  un  habitant  de  Céleia  appar- 


SUR  l'origine  du  nom  d'horace.  115 

Ainsi,  suivant  toute  probabilité,  souvent  les  affranchis  d'une 
colonie  ou  d'un  municipe  recevaient  le  nom  de  la  tribu  à  laquelle 
cette  colonie  ou  ce  municipe  appartenait.  Si  cela  est  vrai,  le  nom  de 
Poblicius  venait  de  Vérone,  ville  dépendante  de  la  tribu  Poblicia  ; 
telle  serait  aussi  l'origine  du  nom  d'Horace  le  père,  sans  doute  af- 
franchi de  la  colonie  de  Vénuse,  car  celle-ci  dépendait  de  la  tribu 
Horatia.  Les  inscriptions  suivantes  confirment  encore  notre  opinion  : 

....  s.  M.  [F.]  HOR.  BASSVS.  YEN.  (Rome,  Mur.  2039.) 

G.  EGNATIO. 

C.  F.  HOR.  MARO.  (Près  Vénuse,  Orelli,  2217.) 

C.  ENNIO.  P.  F.  HOR.  BASSO.      ^  y  •„„„_    ç.„^...    ...a 

P.  ENNIO.  P.  F.  HOR.MAXIMO.  i   ^'enuse,  Orelli,  olo6. 

C.  OPTIO.  T.  F. 

HORATIO  [leg.  Horatia.  Reines.]  Vénuse ,  Grut.  655 ,  G. 

Cependant  tous  les  affranchis  d'une  colonie  ou  d'un  municipe  ne 
tiraient  pas  leur  nom  de  la  tribu;  quelques-uns  portaient  celui  de  la 
ville  même.  Ainsi  on  trouve  dans  une  inscription  (MeçanioBy  Mur, 
1548, 11)  : 

P.  MEVANAS 

MVNICIPIVM.  I.  (Leg.  KMnicipn.  m.  LautiJfMmcipwmZ.)Faustus. 

C'est  d'après  la  même  analogie  que  sont  formés  les  noms  Sassinas 
et  Senùnas  employés,  ainsi  que  Mevanas  comme  nomina.  On  trouve 
encore  les  noms  Àquileiensis,  Veliternius  et  Veronius,  qui  n'ont  cer- 
tainement pas  d'autre  origine. 

D'autres  affranchis  tiraient  leur  nom  de  leur  ancien  état.  C'est-à- 
dire,  par  exemple,  que  ceux  qui  avaient  été  esclaves  publics  {serçi 
puhlici)  portaient  le  nom  de  Publicius  (non  Poblicius),  Ainsi  : 


L.  PVBLICIVS  EVTYCHES. 

MVN.  TAR.  LIB.  (Jamsii.  Grut.  83,13.) 


et 


c.  PVBLICIVS 
VIRVNENSIVM 
LIB.  ASIATIGVS  {in  Carinthia ,  Mur.  2062,2.) 

Ces  deux  villes ,  le  municipe  de  Tarvisium  comme  la  colonie  de 
Virunum,  dépendaient  de  la  tribu  Claudia.  On  ne  peut  donc  penser 

tiendrait  à  la  tribu  Sub[urrana]  est  fausse  et  probablement  fabriquée  par  Onu- 
phrio  Panviiii,  qui  du  moins  la  cite  le  premier  [in  Grœv.  Thés.  Anl.  Rom.  1, 
p.  361.  Édit.  de  Venise). 

Dans  l'inscription  de  Muratori ,  814,2,  où  il  est  question  d'un  L.  Pompilius,  L.  F. 
Vol.  Celei,  il  faudrait  lire  Celer. 


116  SUR  L*ORIGINE   DU  NOM  D'HORACE. 

à  dériver  le  nom  de  Pablicius  de  la  tribu  Poblicia  ou  PohliUay  formes 
qui  auraient  été  confondues.  Nous  citerons  seulement  pour  preuves 
quelques  inscriptions  : 

C.  TITENIVS.  G.  F.  CL.  SEGVNDYS  TARVIS.  (Rome,  Mur.  2041.) 
M.  CALVICIVS.  M.  F.  CL.  FORTVNATVS.  TARV.  (Rome ,  Mur.  ibid.) 
P.  CASSIVS.  Q.  [F.] 
CLA. 

LONGINVS  (TarvisiiGrut.G7,4.) 
TIB.  IVLIVS.  TIB.  F.  CL. 

RYFINVS.  YIR.   (  Moguntiacu  Fuchs  Hist.  Mog.  l.  CL  3.  n.  3.  Wiener 
de  Leg.  Rom.  xxii,  p.  119.  n.  4a.) 

P.  AELL  P.  L.  [Leg.P.jP.SmeL]  CLA. 
FVSCL  YIRVNO.  (Romœ  Grut.  516,9). 

C.  L.  Grotefend,  ddiîis  la  Zeitschrift  fiir  die  Alterthumswissenschaf t. 
1834,  n.  22. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


LETTRE 

ADRESSÉE   PAR  M.    LE   MINISTRE   DE   l'iNSTRCCTION   PUBLIQUE 
AU  DIRECTEUR   DE  LA  ReVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Paris,  ce  2  mai  1844. 
Monsieur  , 

J'ai  l'honneur  de  vous  annoncer  que,  par  arrêté  en  date  de  ce  jour, 
je  viens  de  souscrire  au  Recueil  que  vous  publiez  sous  le  titre  de 
Reçue  Archéologique. 

Je  suis  heureux  d'avoir  pu ,  par  cet  encouragement ,  vous  prouver 
le  cas  particulier  que  je  fais  d'un  ouvrage  dont  l'objet  intéresse 
l'étude  des  monuments  de  l'Antiquité  et  ceux  du  Moyen  Age. 

Recevez ,  Monsieur ,  etc. 

—  Le  hasard  vient  de  faire  découvrir  un  monument  druidique  sur 
la  propriété  du  Rocher,  en  la  commune  de  Plougoumelen.  Il  se  com- 
pose d'une  galerie  conduisant  à  une  espèce  de  sanctuaire  à  peu  près 
pareil  à  celui  de  Gavrennez.  La  galerie  est  formée  par  d'énormes 
pierres  enfoncées  dans  la  terre ,  et  supportant  une  voûte  en  pierres 
également  brutes.  Des  vases  et  des  instruments  de  sacrifice  sont,  à 
ce  qu'il  paraît,  les  seuls  objets  qu'on  y  ait  trouvés. 

—  D'après  l'opinion  du  vulgaire,  il  existe  des  trésors  cachés 
au  pied  ou  sous  les  fondements  de  tous  les  monuments  antiques. 
Ce  préjugé  vient  de  causer  la  perte  d'un  des  plus  beaux  menhirs , 
celui  érigé  à  Culey  (Calvados),  dans  un  vallon  tout  à  fait  solitaire  et 
pittoresque.  Une  mine  et  quelques  grains  de  poudre  ont  bientôt  fait 
voler  en  éclats  le  monolithe  que  tant  de  siècles  avaient  respecté  :  il 
n'existe  plus  maintenant  que  dans  la  statistique  de  feu  M.  Galeron. 
Peut-être  la  Société  pour  la  Conservation  des  Monuments  jugera-t-elle 
à  propos  de  faire  pratiquer  à  son  tour  quelques  fouilles  sous  les  frag- 
ments de  cette  pierre  druidique ,  non  pour  y  chercher  un  trésor, 
mais  pour  vérifier  un  fait  authentique,  l'opinion  de  la  plupart  des 
antiquaires,  qui  pensent  que  ces  menhirs  ne  sont  que  des  pierres  tu- 
mulaires  dressées  sur  la  tombe  de  quelques  grands  personnages. 

(  L'abbé  Vautier  ,  curé  d'Harcourt.  —  Bulletin  Monumental) 


118  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

—  Il  existe  à  Vienne  un  temple  attribué  à  Auguste  et  Livie  qui , 
s'il  était  dans  un  aussi  bel  état  de  conservation  que  la  Maison  Carrée 
de  Nîmes,  pourrait  lutter  d'intérêt  avec  ce  célèbre  monument.  Mal- 
heureusement le  temple  de  Vienne  a  subi  les  plus  déplorables  ou- 
trages :  la  cella  a  été  détruite,  un  mur  a  été  construit  entre  les 
colonnes,  et  on  en  a  haché  les  parties  saillantes  qui  ressortaient  du 
mur.  Ce  monument,  d'abord  affecté  au  culte,  a  été  ensuite  converti 
en  Musée  et  Bibliothèque ,  et  on  y  a  entassé  des  objets  précieux 
trouvés  à  Vienne  et  dans  les  environs  ;  mais  l'espace  est  trop  rétréci , 
et  plusieurs  fragments  du  plus  haut  intérêt  sortent  en  dehors  exposés 
à  toutes  les  intempéries  des  saisons.  La  Commission  des  Monuments 
Historiques  a  été  frappée  de  cet  état  de  choses,  et  elle  a  demandé  à 
M.  le  ministre  de  l'intérieur  de  donner  à  M.  Questel  la  mission  de 
préparer  un  projet  destiné  à  y  remédier.  Ce  projet  consiste  à  transpor- 
ter dans  l'ancienne  église  de  Saint-Pierre  le  Musée  de  Vienne,  et  à 
restaurer  le  temple,  qui  serait  rétabli  dans  son  état  primitif.  L'église  de 
Saint-Pierre  est  elle-même  un  monument  du  moyen  âge  fort  remar- 
quable ;  elle  appartient  à  la  fabrique  de  Saint-Maurice ,  et  est  louée  à 
un  fabricant  qui  y  a  établi  une  usine.  Une  somme  de  60,000 fr.  serait 
nécessaire  pour  le  restaurer  et  l'approprier  à  la  destination  d'un  mu- 
sée; des  négociations  sont  entamées  avec  la  ville  pour  qu'elle  prenne 
à  sa  charge  une  part  considérable  de  cette  dépense,  et  pour  que  la 
fabrique  de  l'église  de  Saint-Maurice,  pour  la  conservation  de  laquelle 
l'État  a  fait  et  fait  encore  de  grands  sacrifices ,  renonce  au  revenu  du 
loyer  de  l'église  de  Saint-Pierre.  En  outre,  M.  le  ministre  a  accordé  une 
somme  suffisante  pour  le  dégagement  de  deux  travées  du  temple 
d'Auguste  et  de  Livie.  Il  importe,  en  effet,  de  découvrir  dans  quel 
état  sont  les  colonnes  à  l'intérieur  du  mur  moderne,  et  si  après  leur 
isolement  elles  seraient  susceptibles  encore  de  supporter  l'entable- 
ment. Déjà  une  somme  de  16,000  fr.  avait  été  affectée  à  l'acquisition 
des  maisons  environnantes  pour  le  dégagement  de  l'édifice  ;  la  ville 
f^vait  alloué  une  somme  égale  à  cette  utile  opération. 

—  (c  De  nouvelles  fouilles  viennent  d'être  faites  dans  l'amphithéâtre 
de  Nîmes ,  et  ont  amené  des  découvertes  intéressantes.  On  n'avait  pas 
pensé  jusqu'alors  que  ce  monument  fût  disposé  pour  les  naumachies, 
à  cause  de  la  position  du  sol  antique  que  l'on  croyait  de  4"50  plus  étroit 
qu'il  ne  l'est  effectivement.  En  1809  on  avait,  il  est  vrai,  découvert  le 
podium  composé  des  quatre  gradins  inférieurs,  les  grandes  dalles  ver- 
ticales formant  le  revêtement  de  l'enceinte  intérieure,  et  enfin  le 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  110 

sol  (Jq  l'cîrènQ  établi  à  2*36  en  contre-bas  du  sol  extérieur;  on  avait 
encore  reconnu,  sous  l'entrée  principale  du  Nord,  un  aqueduc  sem- 
blable, par  son  appareil  et  ses  dimensions ,  à  celui  du  pont  du  Gard; 
sa  direction  ne  laissait  aucun  doute  sur  sa  destination,  qui  était 
d'introduire  dans  l'amphithéâtre  les  eaux  de  la  fontaine  d'Eure,  ou 
peut-être  celles  de  la  fontaine  de  Nîmes,  et  un  autre  aqueduc  à  tra- 
vers le  sixième  portique  è  l'Est  de  la  porte  du  Sud,  qui  devait,  au 
couchant,  servir  à  enlever  les  eaux  du  monument,  puisque  sa  pente 
rapide  conduit  à  des  égouts  en  dehors  des  remparts.  On  avait  remar- 
qué également  que  les  dalles  du  revêtement  intérieur  de  l'arène  abou- 
tissaient à  un  dosseret  vertical  séparé  du  mur  par  un  espace  de 
19  centimètres  rempli  de  terre  glaise.  Cependant  ces  découvertes 
importantes ,  constatées  par  M.  Grangent ,  architecte ,  passèrent 
inaperçues,  mais  les  conjectures  qu'il  avait  dès  lors  exprimées  viennent 
d'être  pleinement  confirmées  par  les  nouvelles  fouilles  exécutées  sous 
la  direction  de  M.  Pelet,  correspondant  du  ministère  de  l'intérieur 
pour  les  monuments  historiques,  et  nous  extrayons  les  détails  sui- 
vants de  son  rapport  :  «  Sous  chacun  des  axes  de  l'arène  on  a  mis  à 
découvert  un  canal  entièrement  creusé  dans  le  tuf,  d'une  profondeur 
de  5"^20  ;  ses  murs  de  revêtement,  épais  de  60  à  70  centimètres  et  en 
moellons  smillés,  sont  détruits  dans  la  partie  supérieure,  mais  ils 
sont  conservés  à  1"^80  au-dessus  de  leur  fondation.  Le  canal  du 
grand  axe  a  7  mètres  de  largeur  dans  sa  partie  la  plus  rapprochée  du 
centre  de  l'ellipse,  mais  à  12  mètres  de  ce  point,  et  des  deux  côtés, 
il  s'élargit  de  1  mètre  par  une  courbe  vers  les  murs  latéraux;  trois 
mètres  après  cet  élargissement  les  constructions  ont  été  trouvées 
mutilées. 

((  Le  canal  creusé  sur  le  petit  axe  a  1  mètre  de  moins  que  le  pre- 
mier ;  ses  murs  n'ont  pas  de  retraits  à  leur  base ,  et  ne  présentent 
qu'un  évasement  dans  une  longueur  de  10  mètres,  après  lequel  ils 
avaient  été  détruits. 

ce  II  est  probable  que  ces  canaux  s'élevaient  dans  le  principe  jus- 
qu'à la  hauteur  du  sol  actuel,  et  qu'ils  étaient  terminés  comme  à  Ca- 
poue,  Duzzale,  Rome  et  Vérone  par  de  grandes  pierres  portant  une 
rainure  dans  laquelle  s'encastraient  des  bois  destinés  à  recouvrir  ces 
canaux  lorsque  des  combats  de  gladiateurs  ou  de  bêtes  féroces  de- 
vaient remplacer  les  spectacles  nautiques;  dans  ce  cas,  on  ouvrait  les 
vannes  du  canal  par  lequel  l'arène  était  mise  à  sec,  et  comme  le 
radier  d'écoulement  était  situé  à  3  mètres  au-dessous  de  l'arène  et  à 


120  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

2  mètres  au-dessus  du  sol  des  grands  canaux ,  il  restait  toujours  dans 
ces  derniers  une  pareille  quantité  d'eau  après  que  l'arène  était  entiè- 
rement desséchée.  On  peut  supposer  que  cette  disposition  avait  été 
prise  pour  remiser  les  barques  et  les  divers  agrès  de  naumachie  dont 
on  n'avait  pas  momentanément  à  se  servir,  mais  pour  la  conservation 
desquels  l'eau  était  indispensable.  Dernièrement ,  en  cherchant  à  ré- 
tablir les  marches  par  lesquelles  on  descendait  de  la  galerie  extérieure 
du  rez-de-chaussée  au  sol  incliné  des  grandes  entrées,  on  a  découvert 
à  la  communication  Sud-Ouest  que  la  quatrième  marche  atteignant 
ce  sol  n'était  pas  la  dernière,  puisqu'au -dessous  d'elle  il  s'en  trouvait 
encore  quatre  autres  de  19  centimètres  de  hauteur  sur  30  centimètres 
de  largeur  taillées  dans  un  seul  bloc  de  pierre;  mais  ces  dernières 
marches,  au  lieu  de  suivre  la  direction  de  celles  qui  étaient  au-dessus, 
se  retournaient  à  angle  droit,  afin  de  ne  pas  empiéter  sur  l'espace 
qu'on  voulait  conserver  aussi  large  que  possible  sous  les  portiques  de 
l'Est  et  de  l'Ouest,  et,  à  cet  effet,  ces  quatre  marches  monolithes 
n'avaient  que  48  centimètres  de  longueur  au  lieu  de  2  mètres  qu'ont 
les  plus  élevées. 

c(  Enfin ,  au-dessous  de  la  quatrième  marche ,  on  a  trouvé  le  sol 
antique  pavé  de  grandes  dalles  dont  la  majeure  partie  est  en  place. 
Son  inclinaison  est  telle  qu'au  point  le  plus  élevé,  à  2  mètres  de  la 
galerie  extérieure ,  il  est  encore  à  80  centimètres  en  contre-bas  de 
son  sol  ;  ce  qui  fait  supposer  qu'à  ce  point  il  devait  y  avoir  encore 
quatre  marches ,  dont  une  seule  a  été  trouvée  détachée.  Il  s'ensuit 
que,  quand  l'arène  était  inondée,  il  y  avait  1  mètre  d'eau  sous  les 
portiques  de  l'Est  et  de  l'Ouest,  et  comme  chacun  a  environ  100  mètres 
de  surface ,  on  pouvait  y  faire  les  préparatifs  des  naumachies  derrière 
un  rideau  qui  en  cachait  la  vue  aux  spectateurs;  les  marches  qui 
viennent  d'être  retrouvées  servaient  d'embarcadère,  et  comme  elles 
étaient  souvent  submergées ,  l'architecte  les  avait  sagement  fait 
tailler  dans  un  seul  bloc.  M.  le  ministre  de  l'intérieur  vient  d'accorder 
une  somme  de  1  000  fr.  sur  le  crédit  des  monuments  historiques  pour 
la  continuation  de  ces  fouilles  intéressantes ,  et  les  réparations  qu'elles 
nécessitent  au  monument.  » 

—  On  a  fait  à  Saverne  la  découverte  d'une  villa  romaine  assez 
grande;  et,  ce  qui  est  plus  curieux,  de  quelques  tombeaux  de  forme 
étrange,  avec  des  inscriptions  en  caractères  inconnus,  qui  passent, 
aux  yeux  de  quelques  archéologues ,  pour  des  runes  mêlées  à  des 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


121 


lettres  romaines  ;  elles  sont  gravées  sur  des  pierres  énormes  taillées 
à  peu  près  de  cette  forme  : 


O  H  ASv 

A-)vj'a-Y<; 


|— f r 

CAAS'BAQ 

R"ri  iRVîM.". 


— Une  tranchée,  pratiquée  pour 
l'établissement  du  chemin  de  fer 
en  aval  de  la  ville  de  Tarascon ,  a 
mis  à  découvert  les  restes  d'une 


COllNELIVvS'-VoL 
PLANTA- ^IBI-ET 

voie  romaine,  et  sur  les  bords  de|]A  CQRNELIOISlETOF 
la  voie  une  pierre  tumulaire  d'un'  -^^ 

grain  très-fin  et  jaunâtre.  Sur  la|         TE  ^TAMENTO 
pierre  se  trouve  gravée  l'inscription i 
suivante:  ITIERI'^^    ïSfSSlT 


—  On  lit  dans  l'Indicateur  de  Béziers  : 

En  creusant  les  fondements  d'un  mur,  dans  la  maison  Gasc,  rue 
du  Porche,  à  Béziers,  on  vient  de  faire  une  découverte  tout  à  fait 
digne  d'exciter  l'intérêt  des  archéologues. 

A  un  mètre  environ  de  profondeur ,  on  a  trouvé  de  grandes  briques 
romaines  à  rebords  prolongés.  Ces  briques  étaient  placées  debout  et 
en  dos  d'âne  ;  elles  servaient  à  recouvrir  des  ossements.  Un  ou  deux 
fragments  de  pavés  en  marbre  ont  été  également  trouvés  à  peu  de 
distance  des  briques;  non  loin  des  ossements  était  un  fragment  d'avant- 
bras  d'un  beau  marbre  statuaire,  veiné  de  bleu,  d'un  style  correct. 
Après  examen ,  on  a  reconnu  l'avant-bras  gauche  d'une  statue  co- 
lossale. 


}2^3  REVUE    AKCHÉOLOGIQUE. 

Cette  découverte  excita  la  curiosité  du  propriétaire ,  on  bêcha  la 
terre  avec  plus  de  soin.  Dans  un  fort  court  espace  de  temps,  un  nou- 
veau débris  fut  dégagé  de  la  terre  qui  le  recouvrait.  C'était  la  tête 
d'une  statue  de  femme  dont  la  face  était  tournée  contre  la  terre.  Cette 
tête  est  en  beau  marbre  parfaitement  conservé.  Le  port  de  la  tête  et 
du  cou  est  des  plus  gracieux,  la  sculpture  en  est  parfaite,  le  dessin 
correct.  La  coiffure  est  d'un  style  élégant.  Les  cheveux  tressés  en 
natte  forment  coquille  sur  le  sommet  du  crAne ,  et  la  tresse  va  se 
terminer  en  chignon  sur  le  derrière  de  la  tête.  Les  cheveux,  tou- 
jours en  natte ,  sont  aplatis  sur  les  terupes ,  mais  ne  dépassent  pas 
les  oreilles. 

De  nouvelles  fouilles  furent  pratiquées ,  et  elles  amenèrent  la  dé- 
couverte encore  d'une  autre  tête  représentant  les  traits  d'un  adulte. 
La  finesse  et  la  beauté  du  visage,  la  régularité  de  l'ensemble,  les 
particularités  des  détails,  tout  annonce  que  c'est  évidemment  un  por- 
trait. Le  marbre  est  d'une  transparence  et  d'une  blancheur  extraor- 
dinaire, et  le  grain  de  la  pierre  est  d'une  ténuité  extrême. 

En  continuant  les  travaux  en  ce  même  endroit,  les  ouvriers  ont 
encore  retiré  de  la  terre  un  autre  fragment,  également  en  marbre  , 
d'une  main  droite  appartenant  à  une  statue  colossale. 

Une  nouvelle  fouille  fut  pratiquée,  et  une  troisième  tête  fut  encore 
découverte. 

Les  fouilles  vont  encore  recommencer,  et  il  est  vraisemblable  que 
la  science  et  l'art  auront  encore  de  nouveaux  fragments  à  étudier  et 
à  admirer. 

— On  trouve  dans  l'un  des  derniers  numéros  de  la  Reme  de  Bibliogra- 
phie analytique  une  lettre  de  M.  le  capitaine  Azema  de  Montgravier, 
adressée  à  M.  Hase,  où  sont  rapportées  huit  inscriptions,  dont  trois 
découvertes  à  Tenez  et  cinq  à  Orléansville.  L'épitaplie  de  l'évêque 
Reparatus  fait  partie  de  ces  dernières.  Parmi  celles  de  Tenez,  nous 
en  distinguons  une  qui  est  de  la  plus  haute  importance,  parce 
qu'elle  établit  que  Tenez  est  l'ancienne  Cartenna  colonia,  et  que  les 
Baquates  (Bazouarat)  mentionnés  par  Ptolémée,  occupaient  l'in- 
térieur de  la  province  d'Oran  ;  d'ailleurs  elle  est  destinée  à  perpé- 
tuer la  mémoire  d'un  fait  historique.  La  voici  : 

C.  FVLCINIO  MFQVIR 
OPT  ATO. .  .L  AMAVGI  lYiR 
QQPONTIFIIVIRAVGVR 
AEDQV...ST0R1QVI 
INRVP....NEBAQVA 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 

TIVM NIAMTVI 

TVSEST IMONIO 

DECRETI  ORDINISET 
POPVLIC.RTENNITANI 
ETI^^COLA.  PRIMO  |PSI 
NECANTE  VILLI 
AERE  CONLATO 


123 


Caio  Fiilcinio  Optato  Marci  filio ,  Quirina ,  flamini  Angusii,  daum- 
viro  quinquiemaU ,  pontifici ,  duumçiro  augiirali,  œdili,  quœstori,  qui 
inrupdone  Baquatiiim  coloniam  luitus  est  ;  teslimonio  decreti  ordinis  et 
populi  cartennitani  el,  incolarum  ;  primo  ipsi  nec  ante  uUi ,  œre 
conlato, 

—  Le  Cabinet  des  Médailles  de  la  Bibliothèque  royale  vient  de 
faire  une  acquisition  précieuse.  C'est  un  magnifique  cercle  d'or  gau- 
lois trouvé  en  mai  1843,  sur  le  territoire  de  Saint-Leu  d'Esse- 
rens ,  canton  de  Creil. 


Nous  donnons  ici  (A  et  C)  le  dessin  de  ce  cercle  dont  les  archéolo- 


124  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

gues  n'ont  pu  encore  déterminer  la  destination  ;  les  uns  pensent  qu'il 
a  pu  être  employé  comme  ceinture ,  d'autres  aiment  mieux  y  voir 
une  anse  de  vase. 

Nous  y-joignons  la  figure  d'un  Torques  ou  collier  gaulois  (B  et  D) 
aussi  d'or  et  pesant  284  grammes,  qui  vient  d'être  découvert  à  Saint- 
Géran ,  près  Moulins ,  avec  cinquante  monnaies  d'or  gauloises , 
de  celles  connues  sous  le  nom  de  Philippes  parce  qu'elles  sont  des 
copies  plus  ou  moins  barbares  des  monnaies  du  roi  Philippe  de  Ma- 
cédoine. Les  deux  boutons  qui  terminent  les  extrémités  de  ce 
torques  sont  creusés  et  paraissent  avoir  été  ornés  de  pierres  ou  de 
monnaies  serties. 

Deux  médailles  d'argent  (E  et  F)  dont  l'une,  qui  porte  la  légende  Se- 
NODON,  paraît  à  quelques  numismatistes  frappée  chez  les  Sénonais  (l), 
tandis  que  l'autre  pourrait  avoir  été  fabriquée  sur  les  bords  du  Da- 
nube, nous  montrent  des  torques  tout  semblables  à  celui  de  Saint- 
Géran.  Cet  ornement  est  placé  au  cou  du  buste  gaulois  de  manière 
que  les  deux  boutons  qui  le  terminent  sont  au-dessus  des  clavicules  ; 
le  revers  de  la  monnaie  germanique  ou  pannonienne  présente  une 
figure  virile  drapée  qui  tient  le  collier  à  la  main.  La  statue  célèbre 
du  Capitole,  connue  sous  le  nom  de  Gladiateur  mourant ,  porte  au 
cou  un  torques  pareil  à  ceux  de  nos  médailles  ;  cet  ornement  na- 
tional est  un  des  caractères  auxquels  on  n'a  pu  méconnaître  le  gau- 
lois, que  représente  très-certainement  cet  admirable  morceau  de 
sculpture. 

—  On  lit  dans  la  Bibliothèque  de  T École  des  Chartes  : 
M.  de  Grouchy,  sous-préfet  de  l'arrondissement  de  Montargis, 
vient  de  découvrir  à  Sceaux,  village  du  département  du  Loiret,  quel- 
ques tombeaux  gallo-romains.  Sceaux  est  traversé  par  une  ancienne 
voie  connue  dans  le  pays  sous  le  nom  de  Chemin  de  César,  qui  con- 
duisait d'Agendicum  (Sens)  à  Genabum  (Orléans).  Le  cimetière  an- 
tique qu'on  vient  d'y  découvrir,  et  qui  est  loin  encore  d'avoir  été 
entièrement  exploré,  mérite  de  fixer  l'attention;  des  fouilles  prati- 
quées dans  ce  lieu  avec  intelligence  ne  peuvent  manquer  de  produire 
des  résultats  intéressants,  si  l'on  en  juge  par  ceux  qui  ont  déjà 
été  obtenus.  Les  tombeaux  que  M.  de  Grouchy  a  fait  ouvrir  sont 
construits  avec  une  pierre  étrangère  au  pays;  ils  renfermaient  des 

(1)  V.  Hevue  Numismatique,  18i0,  p.  165  et  178,  les  Mémoires  de  MM.  Du- 
halais  et  de  La  Saussaye. 


» 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  125 

cadavres ,  près  desquels  on  a  trouvé  des  fibules ,  des  boucles  de  cein- 
turon, de  petits  poignards  et  quelques  médailles  dont  la  plus  mo- 
derne est  à  l'effigie  de  Crispus,  fils  de  Constantin.  Ces  médailles 
étaient  connues,  à  l'exception  d'une  variété  inédite,  frappée  au 
nom  deValérien,  et  au  revers  de  Victoria  germanica  ;  elle  a 
été  donnée  par  M.  de  Grouchy  au  Cabinet  du  Roi ,  ainsi  que  les 
autres  objets  découverts ,  qui ,  sous  le  rapport  du  dessin  et  du  tra- 
vail, offrent  certaines  particularités  dignes  de  remarque.  M.  de 
Grouchy  regarde  ces  sépultures  comme  étant  du  IV^  ou  du  V° 
siècle,  et  il  y  reconnaît  les  caractères  de  ceux  qu'on  attribue 
généralement  aux  conquérants  de  la  Gaule.  Depuis  quelque  temps, 
les  découvertes  analogues  sont  fréquentes  par  toute  la  France. 
L'Orléanais  peut,  pour  sa  part,  citer  encore  quatre  cimetières  du 
même  genre:  ceux  de  Tavers,  de  Gravant  et  deRilli,  canton  de 
Beaugency ,  non  loin  desquels  se  trouve  celui  de  Briou ,  canton  de 
Marchenoir  (Loir-et-Cher).  La  multiplicité  de  ces  tombeaux  nous 
engagerait  à  croire  qu'ils  appartiennent  plutôt  aux  Francs  qu'à  tout 
autre  peuple ,  ainsi  que  l'a  dit  M.  Moutier,  à  propos  d'une  décou- 
verte semblable  faite  près  de  Rambouillet,  il  y  a  quelques  années. 
Dans  tous  les  cas ,  comme  le  cimetière  antique  de  Tavers  est  contigu 
au  cimetière  de  la  paroisse,  et  que  dans  celui  de  Briou  on  a  trouvé 
une  croix  sculptée  sur  une  des  tombes,  il  est  certain  que  la  plupart 
des  personnes  inhumées  là  professaient  la  religion  chrétienne.  Un 
antiquaire  suisse,  M.  Troyon,  qui  a  signalé  dans  les  environs  de 
Lausanne  une  multitude  de  sépultures  semblables ,  y  a  observé  des 
boucles  de  ceinturon  sur  lesquelles  on  avait  gravé  le  prophète 
Daniel  dans  la  fosse  aux  lions  ;  ce  sujet ,  si  fréquemment  reproduit 
dans  les  premiers  siècles  du  christianisme ,  était  accompagné  quel- 
quefois de  la  légende  daninil  ,  et  de  la  formule  vtere  felix  , 
formule  qu'on  trouva  aussi  sur  divers  objets  à  Rambouillet,  ainsi  qua 
Asnières,  lorsque,  au  siècle  dernier,  de  semblables  tombeaux  y  furent 
mis  à  découvert.  Les  mots  vtere  felix  se  rencontrent  souvent 
sur  des  ustensiles  du  Bas-Empire.  La  date  assignée  aux  tombeaux 
de  cette  nature  est  donc  à  peu  près  certaine  \  il  est  constant  d'ailleurs 
que  l'inhumation  ne  fut  substituée  à  l'incinération  que  postérieure- 
ment au  IP  siècle  de  notre  ère. 

—  Depuis  un  mois  environ  (1 5  février)  la  ville  d'Arles  fait  fouiller, 
dans  un  esprit  de  recherches  et  de  conservation,  les  terrains  qui 
entourent  les  bâtiments  de  l'église  de  Saint-Honorat,  située  dans 


126 


REVUE  ARCHEOLOGIQUE. 


l'ancien  cimetière  des  Champs-Elysées.  Le  nombre  des  tombeaux  en 
pierre  qui  ont  été  découverts  s'élève  déjà  à  229.  Tous  les  sarcophages 
ne  peuvent  malheureusement  pas  être  conservés.  Les  uns,  formés 
d'une  cuve  monolithe  et  d'un  couvercle  également  d'une  seule  pièce, 
sont  d'une  conservation  assurée;  les  autres,  composés  de  petites 
dalles  assemblées,  s'entr'ouvrent  en  perdant  leur  îbrme  dès  qu'on 
enlève  les  terres  qui  les  soutenaient  par  leur  pression  latérale.  Ceux- 
ci  ne  remontent  pas  au  delà  des  XV^  et  XVP  siècles,  derniers 
temps  du  cimetière ,  oii  l'ensevelissement  des  corps  ne  se  faisait  plus 
que  dans  des  tombes  construites  à  la  hâte. 

Pas  un  de  ces  tombeaux  n'est  en  marbre;  tous  ont  été  faits  avec 
des  pierres  extraites  des  carrières  du  Castellet  et  de  Fontvielle,  dont 
la  richesse  fournit  à  la  construction  de  l'amphithéâtre,  du  théâtre  et 
des  autres  monuments  romains  d'Arles,  et  qui,  de  nos  jours,  fournit 
encore  à  toutes  les  constructions  de  notre  colonie  d'Afrique.  Tous  ces 
tombeaux  sont  chrétiens;  ils  sont  sans  inscription,  et  ne  présentent, 
pour  tout  ornement,  que  des  croix  grossièrement  sculptées,  tantôt 
sur  le  couvercle,  tantôt  sur  les  faces  latérales  de  la  cuve. 

Une  seule  pierre  funéraire  en 
marbre  a  été  trouvée  mêlée  à  ces 
tombeaux;  elle  porte  l'inscription 
ci-contre,  dont  on  a  essayé  de  re- 
produire, avec  le  plus  d'exactitude 
possible,  la  forme  des  lettres  et 
l'inégalité  de  leur  assemblage  *.  on 
pense  que  cette  inscription  n'a  point 
été  exécutée  avec  le  ciseau  ;  le  mar- 
bre paraît  égratigné  plutôt  que  creu- 
sé. Il  semble  que  l'ouvrier  dut  em- 
ployer la  pointe  d'un  clou  ou  de  tout 
autre  instrument  aigu. 

L'intérêt  que  présente  cette  in- 
scription est  tout  à  fait  local ,  et  il 
tient  au  nom  du  consul  Aviénus  qui, 
en  l'année  450 ,  avait  pris  la  polirpre 
à  Arles. 

Nous  aurons  soin  de  faire  part 
à  nos  lecteurs  des  résultats  que 
pourront  produire  les  fouilles  des 
Champs-Elysées,  cette  nécropole  dont 


B  ÎVUS 

M.  EAIORI 
A  E  EVt^TA 

VIXITAN 
XXXVIO& 

côSs 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  127 

l'opulence  et  la  sainteté  obtinrent  une  réputation  universelle  pen- 
dant le  moyen  âge. 

—  Les  dernières  fouilles  (24  février)  qu'a  fait  exécuter  la  ville 
d'Arles  dans  les  Champs-Elysées  viennent  de  produire  de  nouveaux 
tombeaux  en  pierre  et  un  sarcophage  en  marbre.  Cette  dernière  dé- 
couverte nous  paraît  assez  importante  pour  entrer,  à  ce  sujet,  dans 
quelques  détails  qui  ne  seront  peut-être  point  sans  intérêt  pour  nos 
lecteurs. 

Le  tombeau  est  orné  de  bas-reliefs  sur  trois  de  ses  faces,  les  deux 
faces  latérales  et  celle  de  devant  ;  sur  la  face  latérale  gauche  est  un 
personnage  debout,  entre  deUx  autres  également  dans  la  même  position. 
Il  impose  ses  mains  sur  une  corbeille  tenue  par  chacun  des  acolytes. 
C'est  évidemment  la  représentation  du  miracle  de  la  multiplication  des 
pains,  La  face  latérale  de  droite,  gravement  mutilée,  n'a  conservé 
qu'une  partie  du  sujet  qu'elle  représentait.  On  y  voit  une  personne 
assise,  tenant  un  volume  à  la  main;  une  autre  personne  est  debout; 
mais  ce  dernier  personnage  na  conservé  que  la  moitié  inférieure 
du  corps.  La  pose  du  personnage  assis,  la  disposition  des  jambes  sur- 
tout sont  d'une  vérité  frappante.  Quoique  les  lignes  n'en  soient  pas 
très-pures j  il  y  a,  dans  ce  dessin,  un  naturel  qui  saisit. 

Le  bas-relief  de  devant  est  composé  de  quatre  compartiments  :  le 
premier,  en  partant  de  gauche,  représente  un  homme  dont  la  nudité 
est  presque  complète;  il  ne  porte  qu'un  léger  manteau  rejeté  sur  le 
dos  et  fixé  sur  la  poitrine  par  une  agrafe  de  forme  ronde  ;  à  partir 
de  ce  point  tout  le  corps  est  nu  ;  les  parties  sexuelles  sont  dans  une 
complète  évidence*  Ce  personnage  tient  par  la  bride  le  cheval  sur 
lequel  il  était  monté.  Le  même  sujet  se  retrouve ,  trait  pour  trait , 
dans  le  quatrième  compartiment.  Dans  le  deuxième,  on  voit  un 
homttjé  jeune,  sans  barbe,  placé  vis-à-vis  d'une  jeune  femme  à  laquelle 
il  semble  parler.  Le  costume  de  ces  deux  figures  est  romain.  Le 
troisième  compartiment  est  occupé  par  un  homme  jeune  encore ,  mais 
portant  une  barbe  épaisse  quoique  peu  longue.  Il  est  placé  vis-à-vis 
dune  femme  en  tout  semblable  à  celle  du  précédent  tableau.  Ces 
deux  personnes  se  tiennent  par  la  main  ;  entre  elles  est  un  autel;  de 
la  main  gauche  l'homme  tient  un  volume  ou  rouleau  de  parchemin. 
Dans  les  espaces,  ménagés  au-dessus  du  chapiteau  des  colonnes,  se 
montre  une  figure  à  mi-corps,  qui  est  partout  la  même.  D'une 
main,  elle  semble  bénir;  de  l'autre,  elle  tient  un  rouleau  sem- 
blable à  celui  du  troisième  compartiment.  Aux  deux  extrémités  du 


128  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

même  plan  supérieur  sont  des  colonnes  réunies  autour  d'un  vase  qui 
renferme  des  grains.  La  figure  représentée  à  mi-corps  paraît  être 
celle  de  Jésus  Christ,  bénissant  d'une  main ,  et  tenant  le  saint  Evan- 
gile de  l'autre. 

L'homme  et  la  femme  qui  se  tiennent  par  la  main  dans  le  troisième 
compartiment  représentent  une  scène  de  mariage.  Les  voyageurs 
qu'on  voit  aux  deux  extrémités  sont  les  paranymphes ,  ou  des  convives 
qui  arrivent  pour  assister  à  la  noce.  Le  sujet  du  second  compartiment 
semble  être  celui  de  la  demande  en  mariage.  La  femme  est  la  même 
dans  les  deux  tableaux  ;  mais  l'homme ,  imberbe  dans  le  second , 
porte  la  barbe  dans  le  troisième.  Si  c'est  le  même  personnage ,  il 
faudrait  croire  qu'un  assez  long  temps  se  serait  écoulé  entre  la  demande 
et  le  mariage. 

Le  dessin  de  ce  tombeau  a  un  caractère  supérieur  à  celui  de  beau- 
coup de  tombeaux  chrétiens  que  possède  le  musée  de  la  ville  d'Arles. 
Il  est  grave  et  nettement  expressif.  Le  trépan  n'y  est  employé  qu'avec 
sobriété.  Quoique  d'une  époque  de  décadence,  on  y  découvre  de 
fréquentes  réminiscences  de  l'art  antique, 

—  L'origine  de  l'usage  des  cloches  n'a  pu  être  déterminée  positi- 
vement par  aucun  auteur;  les  uns  prétendent  que  les  païens  leur 
avaient  déjà  donné  la  préférence,  pour  donner  le  signal  des  réunions, 
aux  trompettes  et  autres  instruments  de  bois  ou  de  fer  auxquels  on 
avait  recours.  Voici  un  passage  qui  fixerait  déjà  leur  usage  vers  le 
VP  et  VIP  siècle  du  christianisme.  Le  moine  de  Saint-Gai,  auteur 
du  VHP  siècle,  raconte  le  fait  suivant  :  (c  Un  ouvrier  avait  fondu  une 
cloche  dont  le  son  plaisait  beaucoup  à  Charlemagne.  Cet  homme  dit 
qu'il  en  ferait  une  dont  le  son  serait  plus  agréable  encore  si  on  lui 
donnait  cent  livres  d'argent  au  lieu  d'étain  ;  ayant  reçu  ce  qu'il  avait 
demandé,  il  garda  l'argent  pour  lui  et  employa  de  l'étain  comme  de 
coutume.  La  cloche  néanmoins  plut  au  roi.  On  la  plaça  dans  le  clo- 
cher, mais  lorsque  le  gardien  de  l'église  et  les  autres  chapelains  vou- 
lurent la  mettre  en  branle ,  ils  ne  purent  jamais  en  venir  à  bout.  L'ou- 
vrier en  colère  prit  alors  la  corde  et  tira  lui-même  la  cloche  pour  la 
faire  sonner;  mais  le  battant  de  fer  lui  tomba  sur  la  tête  et  le  tua.  » 
—  L'usage  des  cloches  n'a  été  introduit  en  Orient  qu'au  IX"  siècle. 
Les  Turcs  supprimèrent ,  au  XV*  siècle ,  les  cloches  aux  chrétiens 
de  leur  obéissance,  parce  qu'elles  leur  ofl'raient  un  moyen  facile  de 
rassembler  les  peuples  pour  les  soulever.  Mais  outre  la  raison  poli- 
tique ,  les  musulmans  ont  eu  encore  un  autre  motif  d'interdire  les 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  129 

cloches  :  c'est  qu'ils  craignent  que  leur  son  n'épouvante  et  ne  prive 
du  repos  dont  elles  jouissent  les  âmes  qui ,  suivant  eux,  sont  errantes 
dans  les  airs.  Pour  ce  motif,  les  Turcs  n'emploient  pas  de  cloches 
pour  marquer  les  heures.  Elles  sont  indiquées  par  leurs  prêtres,  qui 
crient  cinq  fois  le  jour  du  haut  des  mosquées. 

—  Dans  une  de  ses  dernières  séances ,  le  Conseil  des  Bâtiments 
Civils  vient  d'être  appelé  à  se  prononcer,  d'une  manière  explicite  et 
définitive,  sur  le  choix  à  faire  parmi  les  architectes  qui  ont  pris  part  au 
concours  ouvert  pour  la  restauration  de  Notre-Dame  de  Paris.  Un  fait 
remarquable,  et  qui  prouve  toute  la  confiance  inspirée  par  le  Conseil, 
c'est  qu'en  cette  circonstance  M.  le  ministre  des  Cultes,  abandonnant 
sa  prérogative,  a  fait  connaître  au  Conseil  qu'il  s'en  rapportait  entiè- 
rement à  son  jugement,  et  qu'il  était  décidé  à  le  ratifier.  C'est  afin 
de  répondre  convenablement  à  une  telle  marque  de  confiance  que  le 
Conseil  a  du  procéder  à  un  nouvel  et  scrupuleux  examen  des  diverses 
observations  soumises  à  son  appréciation ,  et  c'est  après  avoir  éclairé 
ces  questions  par  une  discussion  approfondie  qu'il  a  confirmé  son 
premier  jugement  en  désignant  le  projet  de  MM.  Lassus  et  Viollet- 
Leduc  comme  celui  qui  réunissait  toutes  les  conditions  désirables 
pour  arriver  à  une  bonne  restauration ,  et  même  comme  le  seul  exécu- 
table. Nous  avons  donc  lieu  d'espérer  que  l'on  va  donner  suite  à  cet 
important  travail ,  et  que  bientôt  la  capitale  de  la  France  ne  sera  pas 
plus  mal  partagée  que  la  plus  mince  ville  de  province.  Au  reste ,  il 
est  véritablement  urgent  de  mettre  la  main  à  l'œuvre  ;  car  plusieurs 
parties  menacent  ruine,  et  aujourd'hui  que  l'administration  est  par- 
faitement éclairée  par  les  savantes  et  judicieuses  observations  du 
Conseil  des  Bâtiments  Civils  sur  les  dangers  qui  existent,  elle  serait 
on  ne  peut  plus  coupable  de  rester  dans  une  inaction  qui  pourrait 
compromettre  la  solidité  d'un  monument  aussi  important  et  aussi  in- 
téressant à  tant  de  titres. 

' — Nous  trouvons  dans  l'un  des  numéros  du  Bulletin  de  la  Commis-- 
sion  archéologique  de  Lille  la  description  d'une  cuve  baptismale  de 
l'ancienne  église  de  Gondecourt  :  «  Ce  fonts  consiste  en  un  mono- 
lithe carré,  d'un  mètre  de  longueur  sur  chacune  de  ses  faces,  et  de 
0  m.  40  c.  de  hauteur.  Il  a  été  creusé,  dans  sa  partie  supérieure,  de 
manière  à  recevoir  un  bassin  circulaire  en  plomb,  destiné  à  contenir 
l'eau  nécessaire  au  baptême.  La  partie  inférieure,  aujourd'hui  complè- 
tement détériorée  par  l'exfoliation  de  la  pierre,  paraît  avoir  été  formée 
I.  9 


130  REVUE   ARCHÉOLOGIQCli. 

d'un  quart  de  rond,  interrompu  aux  quatre  angle»  par  des  dessins  en 
spirale  très-peu  apparents  aujourd'hui,  et  disposés  autour  d'une  tail- 
lure  ou  embrèvement  qui  a  du  recevoir  le  fut  d'une  petite  colonne. 
Cette  disposition  se  retrouve  dans  la  base  du  monument,  également 
fort  endommagée,  composée  d'une  plinthe  de  0  m.  3  c.  de  hauteur, 
d'un  tore  partagé  en  trois  parties  sur  chacune  des  faces,  et. ornée, 
aux  angles ,  d'une  large  feuille  plate.  La  cuve  paraît  donc  avoir  été 
supportée,  originairement,  par  quatre  colonnes  qui  ont  été  rempla- 
cées, au  XVII*  siècle,  par  un  pédicule  à  moulure  de  forme  octo- 
gonale, qui  n'a  aucun  rapport  avec  le  monument.  La  cuve  est  cou- 
verte de  sculptures  en  méplat  dont  nous  allons  donner  la  description. 
Sur  les  quatre  faces  règne  une  arcature  à  plein  cintre  soutenue  par 
des  colonnettes  alternativement  simples  et  jumelles,  en  s'amincissant 
de  haut  en  bas.  Les  colonnettes  accouplées  sont  taillées  en  hélice,  les 
autres  sont  unies.  Dans  les  entre-colonnements  existent  des  patères 
ou  rosaces  de  formes  variées.  Au-dessus  de  cette  galerie  se  développe 
une  large  arabesque  représentant,  sur  la  face  antérieure  et  sur  celle 
opposée,  quatre  dragons  ailés  et  enlacés  ;  sur  les  deux  cotés  latéraux 
on  voit,  d'une  part,  des  oiseaux  becquetant  des  grappes  de  raisin;  de 
l'autre,  les  mômes  oiseaux  buvant  dans  des  vases.  Enfin,  autour  du 
bassin,  on  a  sculpté  une  frise  élégante  et,  dans  le  vide  formé  par  les 
angles,  des  dessins  représentant  alternativement  un  vase  placé  entre 
deux  oiseaux  et  des  rameaux  de  feuillage.  Le  monument  a  1  m.  4  c. 
d'élévation  totale.  » 

—  La  Commission  archéologique  du  département  du  Nord,  dont  les 
travaux  se  poursuivent  avec  activité,  a  vu  avec  intérêt  deux  dessins 
exécutés  par  M.  de  Baralle ,  de  Cambrai ,  et  représentant  les  deux 
faces  d'une  croix  processionnelle  en  argent,  qui  appartenait  à  une 
église  des  environs  de  cette  ville,  et  qui,  après  avoir  été  vendue, 
est  tombée  entre  les  mains  de  M.  Failly,  inspecteur  des  douanes  et 
amateur  d'antiquités.  Cette  croix  est  en  chêne  blanc,  entièrement  re- 
vêtue d'une  feuille  d'argent  sur  laquelle  on  a  repoussé  et  riflé  des 
ornements  et  des  figures  qui  représentent  les  symboles  des  quatre 
évangélistes  et  Dieu  le  père.  Elle  a  0  m.  30  c.  de  l'extrémité  d'un 
bras  à  l'autre,  et  0  m.  40  c.  de  son  sommet  à  la  douille  qui  reçoit 
la  hampe.  M.  de  Contencin  pense  ,  avec  M.  de  Baralle ,  que  l'ab- 
sence du  nimbe  crucifère ,  la  disposition  et  la  forme  des  orne- 
ments doivent  faire  reporter  la  croix  dont  il  s'agit  au  XIII"  ou  au 
XlVe  siècle. 


DÉCOUVERTES  ET  KOUVELLES.  I3l 

—  Oïl  voit  dans  le  cimetière  cVEleguercc  (Morbihan)  une  croix  en 
granit  posée  sur  un  piédestal  de  même  nature  en  carré,  dont  chacune 
des  faces  porte,  dans  une  niche ,  une  petite  statue  fort  grossièrement 
sculptée.  On  y  reconnaît  cependant  sainte  Marguerite  foulant  aux 
pieds  le  dragon;  un  évêque,  un  prêtre,  et  (ce  qui  paraît  plus  cu- 
rieux) un  lalx)ureur  breton,  vêtu  de  la  saie  gauloise  (sagum),  tom- 
bant à  mi-corps ,  serré  de  la  ceinture  de  cuir  armée  d'une  boucle, 
encore  en  usage,  et  ayant  les  larges  culottes  ou  braies  (braccœ),  en 
breton  hragou-hras.  Il  tient  du  bras  gauche  une  gerbe,  et  de  la  main 
droite  la  longue  faucille  dont  on  se  sert  encore  au  pays.  Sa  tête  est 
nue.  Il  porte  les  cheveux  longs.  [Bulletin  Monumental.) 

—  A  peu  de  dislance  de  l'ancien  château  de  Roquefort  (Ariège) , 
un  habitant  de  la  commune  de  ce  nom  vient  de  découvrir  dans  un 
tertre  peu  élevé  une  quantité  considérable  de  pièces  d'argent  (blanc  à 
Vécu)  du  règne  de  Charles  VI.  Il  y  avait  aussi  dans  ce  trésor,  qu'on 
évalue  à  près  de  20  000  francs ,  quelques  pièces  d'or  de  la  même 
époque. 

—  Il  vient  d'être  trouvé  à  Noyon  un  petit  pot  en  terre  grise  asse^ 
grossièrement  travaillé  qui,  d'après  un  antiquaire,  paraît  dater  de 
plusieurs  siècles,  et  qui  renfermait  dix-huit  pièces  en  or,  dont  deux 
de  Charles  IX,  cinq  de  François  h',  une  de  Louis  XI,  une  de 
Henri  II ,  une  de  Charles-Quint ,  sept  pièces  d'Espagne ,  dont  plu- 
sieurs de  Philippe  II,  et  urie  de  Portugal. 

—  En  nettoyant  et  en  lavant  la  façade  de  la  tour  du  Palais  de 
Justice  de  Paris,  du  côté  du  Marché  aux  Fleurs,  on  a  découvert, 
sous  un  épais  badigeon,  une  large  peinture  ayant  à  peu  près  la  forme 
d'une  grande  arcade,  toute  parsemée  de  belles  fleurs  de  lis  qui  se 
détachent  sur  un  fond  d'azur.  La  partie  centrale  de  cette  peinture  est 
occupée  par  une  espèce  de  cadre  ou  de  cartouche,  orné  de  sculptures 
dans  le  style  de  la  renaissance,  au  milieu  duquel  devait  primitive- 
ment se  trouver  une  inscription  qui  fut  remplacée  plus  tard  par  celle 
qu'on  lit  encore  assez  nettement  aujourd'hui,  et  qui  est  d'une  date  peu 
ancienne.  Les  traces  de  couleurs  qu'on  croit  apercevoir  sur  quelques- 
unes  des  parties  sculptées  portent  à  penser  que  le  cartouche  dut  peut- 
être  participer,  pour  le  mettre  en  harmonie,  du  système  de  coloration 
employé  dans  la  grande  peinture  murale  fleurdelisée,  et  avoir  reçu, 
comme  elle ,  un  certain  luxe  de  décoration.  Au  reste ,  l'état  de  dégra- 


132  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

dation  assez  avancé  dans  lequel  ce  monument  fut  trouvé  ne  permet 
guère  ici  que  les  conjectures;  il  faudrait,  pour  pouvoir  approfondir 
cette  question ,  l'examiner  et  l'étudier  de  près ,  ce  qui  n'est  guère 
possible  vu  l'inaccessibilité  de  sa  position. 

—  M.  le  commandant  de  Courval  ayant,  il  y  a  quelques  mois,  fait 
déblayer  l'église  Saint-Georges  du  château  à  Caen,  trouva  une  ouver- 
ture scellée  au  moyen  d'une  pierre,  et  qui  donnait  issue  à  des  caveaux 
voûtés  sous  l'église.  On  y  descendait  par  une  espèce  de  puits  carré, 
dans  lequel  il  y  avait  à  peine  assez  de  place  pour  placer  une  échelle. 
Deux  membres  de  la  Société  française  pour  la  conservation  des  monu- 
ments nationaux  y  avertis  par  M.  le  commandant  de  Courval,  ont  pé- 
nétré dans  ce  caveau ,  et  ils  ont  reconnu  que  les  voûtes  ne  pouvaient 
être  fort  anciennes  :  d'après  la  manière  dont  elles  sont  construites , 
il  serait  difficile  de  leur  assigner  une  date  antérieure  à  la  deuxième 
moitié  du  X VP  siècle ,  et  probablement  elles  ont  été  pratiquées 
pour  cacher  des  objets  précieux.  Du  reste ,  le  système  qu'on  a  sou- 
vent observé  ailleurs  se  retrouve  ici  :  des  deux  côtés  d'une  allée 
principale  sont  des  niches  ou  alcôves  destinées  à  recevoir  les  objets 
cachés ,  et  qui  pouvaient  ensuite  être  murées.  M.  de  Courval  a  levé 
un  plan  détaillé  de  ces  galeries  souterraines,  qui  avaient,  dans  l'ori- 
gine, une  issue  dans  le  jardin  qui  borne  aujourd'hui  l'édifice  d'un 
côté.  (BisEUL,  Bulletin  Monumental,  ) 

—  Le  Musée  des  Thermes  et  de  l'Hôtel  de  Cluny  est  ouvert  de- 
puis un  mois  à  peine,  et  déjà  les  dons  y  affluent  de  toutes  parts  : 
non-seulement,  grâce  aux  soins  de  M.  le  Ministre  de  l'Intérieur, 
les  monuments  épars  de  divers  côtés  viennent  prendre  dans  le  nou- 
veau Musée  la  place  que  leur  assigne  et  leur  époque  et  l'intérêt  dont 
ils  sont  dignes,  mais  les  amateurs  eux-mêmes,  jaloux  de  concourir 
au  noble  but  que  s'est  proposé  le  Gouvernement  dans  la  création 
d'un  établissement  aussi  utile  aux  arts  et  à  l'étude  de  l'archéologie, 
s'empressent  d'ofi'rir  quelques-uns  de  ces  intéressants  débris ,  restes 
si  précieux  de  religions  et  de  civilisations  diverses. 

M.  le  ministre  de  l'Intérieur,  sur  l'avis  de  la  Commission  des  Mo- 
numents Historiques ,  a  fait  transporter  à  l'Hôtel  de  Cluny  les  beaux 
fragments  d'autels  romains  trouvés  en  1711  à  Notre-Dame.  Ces  cu- 
rieux monuments  sont  aujourd'hui  disposés  au  milieu  de  la  grande 
salle  des  Thermes  auprès  des  fragments  antiques  trouvés  dans  les 
fouilles  de  Saint-Landri  et  recueillis  par  M.  Dusomraerard,  et  des 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  133 

chapiteaux  de  Sainte-Geneviève,  de Saint-Germain-des-Prés ,  et  des 
statues  de  Notre-Dame,  donnés  au  Musée  par  la  ville  de  Paris. 

M.  le  Directeur  des  Beaux-Arts  avait  fait,  à  la  vente  du  cabinet 
de  M.  Didier  Petit ,  l'acquisition  de  plusieurs  pièces  en  émail  qu'il 
destinait  au  nouveau  Musée.  Ces  objets ,  qui  figurent  aujourd'hui 
dans  les  salles  de  l'Hôtel  de  Cluny,  au  milieu  de  la  belle  suite 
d'émaux  de  la  collection  Dusommerard,  sont  d'une  grande  beauté; 
ils  sont  au  nombre  de  cinq;  ce  sont  deux  diptyques  dont  l'un 
surtout  est  aussi  remarquable  par  sa  précieuse  conservation  que 
par  l'éclat  de  ses  couleurs.  Ils  représentent  le  Portement  de  Croix,  — 
le  Christ  entouré  des  saintes  femmes,  puis  le  Christ  et  la  Vierge  ;  — 
deux  grandes  coupes  sur  pied,  de  forme  évasée,  et  une  coupe  sur 
pied  à  balustre,  toutes  trois  du  XV"  siècle,  signées,  Pierre  Rémond; 
elles  représentent  divers  sujets  de  l'histoire  sacrée  et  de  l'histoire 
profane. 

M.  le  Directeur  des  Beaux-Arts  a  également  donné  au  Musée 
deux  statues  en  marbre  du  XV*  siècle  provenant  d'Autun.  Ces  sta- 
tues représentent  des  figures  de  saints  ;  elles  sont  d'un  style  remar- 
quable. 

Parmi  les  objets  nouvellement  offerts  nous  citerons  encore  : 

Une  suite  de  pièces  gallo-romaines  trou- 
vées par  M.  Boutarel,  ingénieur,  dans  une 
tombe  au  milieu  de  la  forêt  de  Carnoët  (Fi- 
nistère ) ,  et  données  au  Musée  par  M.  le 
Ministre  des  Finances.  Ce  sont  entre  autres  : 
une  chaîne  d'or  fin  composée  de  six  grands 
anneaux  ayant  chacun  quatre  tours  ^  une 
chaîne  d'argent  composée  de  trois  anneaux  ; 
uncasse-téle;  des  glaives  en  bronze,  piques, 
flèches  en  silex  et  divers  ornements. 

Un  chapiteau  et  une  console  en  marbre 
provenant  d'une  église  chrétienne  d'Athènes, 
rapportés  et  donnés  par  M.  le  baron  Taylor  ; 

Une  série  d'objets  gallo-romains  trouvés 
à  Hérouval  (Oise),  et  donnés   au   Musée 
par  M.  Sanson  Davilliers,  membre  du  conseil 
général  de  la  Seine  ;  ce  sont  :  1  "  une  bague  à 
2°  deux  vases  en  terre,  couleurs  rouge  et  grise;  3"  un  collier  ou 


pierre  et  cassolette  ; 


REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

bracelet  en  ambre  ou  verroterie  ;  4°  une  boucle  ;  5"  un 
style;  6"  une  bague  à  chaton  ;  7''des  anneaux,  chaînettes 
et  ornements  en  bronze;  8°  un  glaive;  9"  une  hache  en 
silex,  et  10°  quatre  eschinites,  talismans  renommés 
chez  les  Gaulois  et  appelés  œufs  de  serpent. 

Un  estampage  en  plâtre  de  la  belle  console  de  Saint- 
Michel  de  Dijon  envoyé  par  M.  de  Saint-Mesmin ,  con- 
servateur du  Musée  de  Dijon  ; 

Une  remarquable  tapisserie  du  temps  de  Louis  XIÏ 
donnée  par  MM.  Lenoir. 

Divers  chapiteaux,  bas-reliefs,  estampages  en  plâtre  donnés  par 
des  amateurs  et  des  artistes. 


—  Le  Journal  de  V Aisne  du  9  mai  donne  les  détails  qui  suivent 
sur  l'incendie  de  la  flèche  de  l'horloge  de  Notre-Dame  de  Laon  : 

Hier,  vers  trois  heures  de  l'après-midi,  le  vent  souftlantdu N,-E. 
amena  autour  de  notre  montagne  un  orage  violent  accompagné 
d'une  pluie  très-abondante.  Plusieurs  coups  de  tonnerre  retentissant 
avec  un  grand  éclat  firent  craindre  que  la  foudre  ne  fût  tombée  sur 
quelque  point  de  notre  ville.  Cette  crainte  n'était  malheureusement 
point  sans  fondement.  La  tour  du  cloître,  cette  construction  si  svelte, 
si  légère,  si  aérienne,  qui  compte  de  la  base  à  la  plate-forme  quatre- 
vingt-trois  mètres  d'élévation,  est  encore  exhaussée  d'un  clocher 
en  flèche  d'une  dizaine  de  mètres.  Ce  clocher,  de  forme  hexagone, 
et  qui  est  terminé  par  un  globe  sur  lequel  se  tient  debout  un  ange 
aux  ailes  déployées  et  portant  une  croix ,  présente  dans  sa  partie 
inférieure  un  campanile  dans  lequel  sont  placés  la  cloche  et  les  timbres 
de  l'horloge.  L'ange,  haut  de  six  mètres,  est  en  plomb,  il  est  du 
poids  d'une  centaine  de  livres;  le  globe  sur  lequel  il  est  debout  est  en 
cuivre;  les  six  côtés  qui  forment  la  flèche  sont  recouverts  de  feuilles 
de  plomb.  C'est  à  quelques  mètres  au-dessous  du  globe,  dans  la 
partie  déjà  très-ancienne  de  la  flèche ,  que  le  tonnerre ,  en  pratiquant 
un  trou ,  a  introduit  l'élément  incendiaire.  La  chute  du  globe  et  de 
l'ange  a  eu  lieu  et  n'a  heureusement  amené  aucun  des  graves  acci- 
dents que  l'on  redoutait.  L'ange  a  été  horriblement  mutilé.  Il  y  a 
vingt  et  un  ans  que  la  flèche  de  l'horloge ,  maintenant  tronquée  par 
l'incendie  et  qu'il  faut  raser  entièrement,  a  été  restaurée. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES.  135 

—  Vendredi  dernier,  10  mai,  ont  eu  lieu,  à  Saint-Sulpice ,  les 
obsèques  de  M.  Burnouf  le  père,  dont  les  titres  à  l'estime  et  à 
la  reconnaissance  publiques  sont  biôn  connus.  Un  concours  consi- 
dérable de  membres  de  l'Institut  et  de  l'Université ,  de  professeurs 
du  Collège  de  France  et  d'élèves  de  l'École  Normale ,  de  chefs  et  de 
maîtres  de  la  plupart  des  établissements  d'instruction  publique, 
se  pressait  aux  funérailles  de  ce  savant  homme,  de  cet  homme  de 
bien ,  si  généralement  aimé  et  respecté. 

On  y  remarquait  M.  Villemain,  ministre  de  l'Instruction  publique, 
son  ancien  collègue,  MM.  Cousin  et  Dubois,  membres  du  Conseil 
royal,  ses  anciens  disciples,  M.  Letronne ,  administrateur  du  Collège 
de  France,  M.  Lebrun,  pair  de  France,  directeur  de  l'Imprimerie 
royale,  M.  Delebecque,  directeur  du  personnel  au  ministère  de 
rinslruction  publique,  membre  de  la  chambre  des  Députés ,  M.  Nau- 
det,  directeur  de  la  Bibliothèque  royale,  MM.  Vitet,  Mérimée,  le 
comte  de  La  Borde,  etc.,  etc.  Le  cortège  étant  arrivé  au  cimetière 
du  Père  Lachaise,  et  les  derniers  devoirs  de  la  religion  ayant  été 
rendus  au  défunt,  M.  Guigniaut,  président  de  l'Académie  des  In- 
scriptions et  Belles-Lettres,  ancien  directeur  de  l'École  normale  et 
ancien  élève  de  M.  Burnouf,  a  pris  la  parole  sur  sa  tombe  et  s'est 
exprimé  en  ces  termes  : 

Messieurs, 

C'est  un  cruel  devoir  que  m'impose  aujourd'hui  l'Académie,  que 
me  commande  le  respect  de  nos  traditions.  Le  confrère  à  qui  nous 
venons  rendre  un  hommage  suprême,  dont  je  dois  rappeler  les  titres 
à  vos  unanimes  regrets,  si  hautement  partagés  par  l'Université,  par 
tout  le  monde  savant,  par  la  foule  de  ses  collègues,  de  ses  disciples,  de 
ses  admirateurs  ici  présents,  ne  fut  pas  seulement  pour  moi  un  con- 
frère, un  collègue,  un  exemple;  il  fut  le  plus  ancien,  le  plus  cher 
de  mes  maîtres;  il  fut  pour  moi,  pendant  trente-trois  ans,  un  guide 
vénéré,  un  ami  tendre  et  presque  un  second  père. 

Et  toutefois,  je  le  sens,  il  faut  faire  taire  ici  ma  douleur  person- 
nelle ;  il  faut  refouler  dans  mon  cœur  les  souvenirs  si  doux ,  aujour- 
d'hui seulement  si  amers,  de  cette  longue  et  précieuse  intimité.  Il 
faut  vous  montrer  M.  Burnouf  tel  que  vous  l'avez  tous  connu.  11  faut 
redire,  en  quelques  mots,  ses  travaux,  ses  services,  les  rares  qualités 
'de  son  esprit  et  de  son  âme ,  tout  ce  qui  vous  le  faisait  estimer  et 
aimer.  Il  le  faut  pour  vous,  non  pour  lui;  car  lui  il  ire  voulut  jamais 


136  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

être  loué,  et  sa  modestie  n'eut  d'égale  que  sa  science  profonde,  que  sa 
passion,  hélas  !  trop  persévérante  pour  l'étude  et  pour  l'accomplisse- 
ment du  devoir. 

L'unique  et  triste  avantage  que  je  trouve  à  cette  dispensation  si 
imprévue,  si  douloureuse  de  la  Providence,  qui  me  destinait  à  parler, 
au  nom  de  l'Académie,  sur  la  tombe  de  celui  que  j'avais  suivi,  là 
comme  ailleurs,  de  loin,  mais  qu'enfin  je  n'ai  jamais  quitté,  c'est  de 
pouvoir  vous  entretenir  de  lui  d'après  mes  propres  impressions, 
d'après  ce  que  j'ai  vu,  éprouvé  par  moi-môme,  durant  tout  le  cours 
d'une  génération  qui  lui  doit  tant.  Élève  de  l'Université  de  Paris,  qui 
lui  avait  décerné  l'une  des  dernières  et  la  plus  glorieuse  de  ses  cou- 
ronnes, M.  Burnouf,  surpris  par  la  tempête  révolutionnaire,  et  quelque 
temps  égaré  dans  des  voies  dont  ses  goûts ,  comme  le  souvenir  de 
ses  succès,  l'invitaient  à  sortir,  fut  appelé,  en  1810,  sur  la  désigna- 
tion de  son  ancien  maître,  M.Guéroult  l'aîné,  conseiller  de  l'Université 
de  France,  à  prendre  une  part  doublement  importante  à  la  régénération 
définitivedes  études,  organisées,  comme  toutes  les  forces,  comme  toutes 
les  grandes  institutions  du  pays,  sur  le  plan  de  l'unité  nationale,  par 
le  génie  des  temps  nouveaux.  Il  fut,  du  même  coup,  nommé  pro- 
fesseur de  rhétorique  au  lycée  Charlemagne  et  maître  des  confé- 
rences de  littérature  ancienne  à  l'École  normale,  cette  colonne  nais- 
sante de  l'Université.  Dès  la  fin  de  cette  première  année,  il  donnait 
à  l'École  son  plus  illustre  élève,  chargé  des  lauriers  du  concours 
général,  et  il  inaugurait  dans  son  sein,  de  concert  avec  une  autre 
gloire  de  nos  jeunes  lycées,  avec  le  ministre  actuel  de  l'Instruction 
publique ,  que  le  droit  du  talent  avait  fait  sans  noviciat  notre  maître 
à  tous,  un  enseignement  à  la  fois  philologique  et  littéraire,  qui  a 
laissé  des  traces  profondes,  qui  est  devenu,  pour  une  grande  part,  la 
tradition  vivante  de  la  nouvelle  Université.  M.  Burnouf  ne  se  borna 
pas  là  ;  il  voulut  fixer  dès  l'abord  une  partie  importante  et  fonda- 
mentale de  cette  tradition,  en  composant  sa  Grammaire  grecque,  le 
livre  classique  le  plus  populaire  peut-être  dans  des  études  qui  ne 
sauraient  l'être  tout  à  fait,  le  livre  qui  a  le  plus  contribué  au  progrès 
supérieur  de  ces  études  parmi  nous.  Peu  après,  et  tout  en  poursui- 
vant sa  double  et  laborieuse  tâche  d'enseignement,  il  commençait  à 
publier  cette  suite  de  traductions  excellentes,  inspirées  de  l'esprit  du 
traducteur  de  Pline  l'ancien,  qui  ont  de  plus  en  plus  perfectionné 
sa  méthode  d'élégante  fidélité,  d'exactitude  originale,  successivement 
appliquée  par  son  disciple,  et  avec  un  bonheur  croissant,  à  Tacite,  à 
Cicéron,  à  Pline  le  jeune.  Mais  ce  qui  l'avait  dès  longtemps  et  plus 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES.  137 

particulièrement  désigné  au  choix  de  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres,  comme  un  des  meilleurs  humanistes  de  notre  âge,  ce 
sont  les  remarques  critiques  et  historiques  dont  il  accompagna  ses 
traductions  si  françaises  des  auteurs  anciens,  ce  sont  les  commen- 
taires pleins  d'un  savoir  choisi ,  écrits  dans  un  latin  digne  de  l'anti- 
quité, qu'il  joignit  à  son  édition  de  Salluste,  faite  pour  une  collection 
dont  elle  est  demeurée  un  des  plus  rares  ornements.  Aussi  les  suf- 
frages du  Collège  de  France  prévinrent-ils  de  bonne  heure  les  nôtres 
en  l'appelant  à  remplacer  M.  Guéroult  le  jeune  dans  la  chaire  d'élo- 
quence latine  illustrée  par  de  grands  hommes.  M.  Burnouf,  pour 
mieux  répondre  à  la  hauteur  de  ce  nouvel  enseignement,  résigna  les 
autres  chaires,  mais  ne  pouvait  cesser  d'appartenir  à  l'Université, 
qu'il  avait  servie  si  utilement  dans  d'autres  fonctions.  Il  devint  inspec- 
teur de  l'Académie  de  Paris,  et  ce  qu'il  déploya  de  zèle,  de  prudence, 
de  lumières  dans  cette  mission  délicate ,  aussi  bien  que  dans  celle 
d'inspecteur  général  des  études,  où  l'éleva  la  révolution  de  Juillet, 
ce  qu'il  fit  pour  l'ordre  de  l'administration ,  pour  le  redressement  de 
la  discipline,  pour  l'amélioration  des  méthodes;  l'autorité  et  la  vigueur 
avec  lesquelles  il  lutta  contre  des  influences  diverses,  contre  des  pré- 
jugés contraires,  pour  le  maintien  des  saines  traditions,  des  fortes 
études ,  sœurs  des  bonnes  mœurs ,  c'est  à  d'autres ,  c'est  à  de  plus 
autorisés  qu'il  conviendrait  de  le  dire,  si  leur  présence  n'était  ré- 
clamée ailleurs  par  un  impérieux  devoir,  le  devoir  de  défendre  ces 
grands  principes,  non  pas  seulement  universitaires,  mais  sociaux, 
mais  français,  de  nouveau  attaqués.  Ce  que  je  dirai  du  moins  c'est 
que,  lorsque  M.  Burnouf  vint,  en  1836,  siéger  dans  notre  com- 
pagnie pour  y  perpétuer  la  lignée  respectable  des  professeurs  érudits 
de  l'ancienne  et  de  la  nouvelle  Université,  lorsque  cette  couronne  de 
l'Institut  fut  posée  sur  sa  tête  déjà  blanchie,  il  était  jeune  encore  et 
d'esprit  et  de  cœur;  il  était  en  possession  de  cette  plénitude  de  facultés 
jusque  dans  la  vieillesse,  qui  semble  tout  à  la  fois  le  privilège  et  la 
récompense  des  vies  pures  et  dévouées.  Il  venait  de  terminer  son 
Panégyrique  de  Trajan,  le  chef-d'œuvre  peut-être  de  ses  belles  et 
savantes  traductions.  Il  méditait  sa  Grammaire  latine,  digne  pendant, 
complément  désiré  de  sa  Grammaire  grecque,  qu'il  lui  a  été  permis 
d'y  joindre  pour  donner  un  double  instrument  d'analyse  simple  et 
philosophique,,  profonde  et  lumineuse,  aux  deux  grandes  langues 
classiques ,  bases  nécessaires  de  toute  instruction  vraiment  li- 
bérale. 

Il  ne  manquait  plus.  Messieurs,  à  l'activité  si  variée,  si  constante, 


k 


138  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

au  savoir  si  pratique  et  si  éminemment  méthodique  de  notre  confrère 
qu'une  application  :  sa  démission  des  fonctions  d'inspecteur  général, 
en  1840,  la  lui  valut.  En  môme  temps  qu'il  recevait  la  croix  d'officier 
de  la  Légion  d'Honneur  des  mains  de  son  premier  élève,  devenu 
ministre  de  l'Instruction  publique,  il  était  nommé  aux  fonctions 
plus  paisibles,  plus  convenables  à  son  âge,  de  bibliothécaire  en 
chef  de  l'Université.  Et  là ,  comme  dans  sa  chaire  du  Collège  de 
France,  l'infatigable  professeur  aimait  à  prodiguer  à  une  jeunesse 
studieuse,  empressée  autour  de  lui,  avec  les  richesses  littéraires 
confiées  à  ses  soins,  les  trésors  non  moins  précieux  de  son  érudition 
philologique  et  de  sa  longue  expérience.  Il  les  déployait  aussi,  ces 
trésors  de  zèle  et  de  science,  dans  une  mission  plus  laborieuse,  quoi- 
que temporaire,  mais  qu'il  sut  rendre  plus  efficace  encore,  qui  dut 
lui  tenir  lieu  du  premier  des  honneurs  universitaires,  et  dont  il  se  fit, 
par  un  dévouement  au-dessus  de  toute  ambition,  même  légitime, 
une  sorte  de  direction  intellectuelle  et  morale,  et,  si  je  l'ose  dire, 
comme  un  épiscopat  désintéressé  de  la  classe  la  plus  nombreuse  et 
non  pas,  certes,  la  moins  utile  des  jeunes  professeurs.  Je  veux  parler 
de  la  présidence  du  concours  de  l'agrégation  aux  classes  de  grammaire 
des  collèges  royaux,  qu'il  exerça  presque  sans  interruption  depuis  1830 
jusqu'à  ces  derniers  temps,  avec  une  autorité  ferme  autant  qu'éclairée, 
digne  autant  que  paternelle,  avec  un  succès  qui  lui  survivra  par  la 
puissance  féconde  de  la  tradition.  Qui  la  reprendra,  cette  tradition,  qui  la 
fera  fructifier  de  nouveau  pour  l'honneur  de  l'Université,  pour  le  bien 
de  toute  cette  jeunesse  militante  qui  avait  foi  dans  M.  Burnouf ,  pour 
la  force  et  la  moralité  des  études,  dont  cet  humble  enseignement  de 
la  grammaire  n'est  ni  la  source  la  moins  sûre,  ni  la  garantie  la  moins 
précieuse  ? 

Voilà,  Messieurs,  l'homme  que  nous  pleurons,  que  la  science,  que 
l'Université,  que  le  pays,  où  son  nom  était  devenu  populaire  à  force 
de  services,  pleurent  avec  nous.  Le  simple  récit  de  ses  travaux  de 
quarante  années  suffit  à  son  éloge;  sa  modestie,  je  l'ai  déjà  dit,  n'en 
voudrait  pas  d'autre.  Lui  encore,  il  était  de  ceux  qu'on  ne  remplace 
pas,  qui  laissent  après  eux  un  long  et  triste  vide,  comme  Silvestre  de 
Sacy,  comme  Daunou,  comme  Jouffroy,  bien  plus  jeune  I  On  peut 
remplacer  la  science ,  quoique  la  sienne  fut  rare  en  son  genre , 
quoiqu'elle  fût  des  plus  solides  et  des  mieux  éprouvées.  Ce  qu'on 
remplace  bien  difficilement,  c'est  l'action,  c'est  l'autorité,  c'est  le 
dévouement  uni  aux  lumières,  c'est  la  sévère  pureté,  l'unité  par- 
faite des  principes,  des  œuvres,  de  la  vie.  Tout  cela,  M.  Burnouf  le 


DÉCOUVERTES   ET   NOUVELLES.  139 

possédait  à  un  degré  supérieur.  Aussi  la  gloire  lui  est-elle  venue, 
comme  à  Kollin,  sans  qu'il  l'eût  désirée,  sans  qu'il  l'eût  cherchée,  et 
quand  il  ne  croyait  trouver  que  le  bien,  l'unique  passion  de  son  âme 
vraiment  chrétienne.  Elle  lui  est  venue  à  petit  hruit ,  simple  et  mo- 
deste, et  faite,  pour  ainsi  dire,  à  son  image.  Comme  Rollin,  et  au 
même  titre,  l'Académie  des  Inscriptions  l'avait  fait  asseoir  dans  son  sein 
pour  y  sceller  encore  une  fois  l'alliance  du  savoir  et  de  la  vertu.  Que 
cette  pensée  soit  notre  consolation,  Messieurs;  qu'elle  soit  celle  de  ses 
collègues,  de  ses  disciples,  parmi  lesquels  il  comptait  tant  d'amis; 
celle  de  cette  fiimilie  éplorée  qui  perd  en  lui  un  guide,  un  exemple, 
un  appui  si  sûr,  de  ce  fils  surtout,  notre  confrère,  qui  fut  aussi  sa 
gloire  et  non  pas  la  moins  douce  ni  la  moins  durable,  qu'il  avait 
formé  de  ses  mains  pour  être,  après  les  Sacy,  les  Ghampollion,  les 
Rémusat,  l'honneur  des  lettres  orientales  parmi  nous,  qui  a  porté 
hors  de  la  France,  hors  de  l'Europe,  l'éclat  d'un  nom  en  qui  sont 
désormais  associés ,  par  des  nœuds  indissolubles,  l'illustration  acadé- 
mique et  l'illustration  universitaire,  le  génie  des  découvertes  et  le 
génie  des  œuvres  dans  le  domaine  de  l'érudition. 

Après  ce  discours,  écouté  par  les  nombreux  assistants  dans  un  re- 
cueillement profond,  M.  Barthélémy  Saint-Hilaire,  professeur  de 
philosophie  ancienne  au  Collège  royal  de  France ,  a  rendu,  en  quel- 
ques paroles  énergiques  ,  un  nouvel  hommage  aux  vertus,  aux  talents 
de  son  vénérable  collègue,  et  l'assemblée  s'est  retirée  emportant 
un  souvenir  religieux  de  cette  vie  si  pleine  et  si  dévouée,  si  utile  et  si 
pure,  dont  les  fruits  se  perpétueront  tant  que  durera,  dans  notre 
pays,  la  tradition  des  fortes  études  et  des  bons  exemples. 


BIBLIOGRAPHIE. 


LETTRES   HISTORIQUES   ET   ARCHÉOLOGIQUES   SUR   LA    SAINTONGE ,    ET 
SUR  L'AUNIS,  par  M.  Lesson,  La  Rochelle,  1840,  1  vol.  in-8. 

FASTES  HISTORIQUES,  ARCHÉOLOGIQUES,  BIOGRAPHIQUES,  etc.,  DU  DÉPAR- 
TEMENT DE  LA  CHARENTE-INFÉRIEURE,  par  M.  R.  P.  Lesson  (Première 
Partie);  Rochefort,  1842,  1  vol.  in-8,  avec  Planches. 

SOUVENIRS  HISTORIQUES  SUR  L'ANCIENNE  ABBAYE  DE  SAINT-BENOIT-SUR- 
LOIRE,  ETC.,  par  M.  L.  A.  Marchand;  Orléans,  1838,  in-8,  avec  Planches. 

NOTICE  HISTORIQUE  ET  ARCHÉOLOGIQUE  SUR  LE  CHATEAU  DE  LANGEAIS 

(Indre-et-Loire);  Paris,  1839,  Vinchon ,  in-8. 

Le  goût  prononcé  des  études  archéologiques  qui  s'est,  il  y  a  quel- 
ques années  à  peine,  manifesté  tout  à  coup  dans  notre  pays ,  continue 
non-seulement  à  se  propager,  mais  il  prend  même  une  tension  à  se 
développer  encore  dans  l'avenir.  Sur  tous  les  points  de  la  France , 
des  hommes  intelligents  se  livrent  avec  une  ardeur  bien  digne  d'éloges 
à  l'étude  et  à  la  conservation  de  nos  monuments  nationaux  et  de 
nos  antiquités  de  tout  genre,  comprenant  enfin  tout  ce  que  peuvent 
offrir,  pour  l'interprétation  de  nos  annales,  des  objets  longtemps 
dédaignés,  des  monuments  témoins  des  diflerentes  phases  de  la  civi- 
lisation d'un  peuple.  Plus  d'une  fois  nous  aurons  l'occasion,  pendant 
le  cours  de  la  publication  de  cette  Reçue,  de  signaler  à  l'attention  de 
nos  lecteurs  des  travaux  dus  à  ce  mouvement  archéologique,  mouve- 
ment qui  a  déjà  produit  un  grand  nombre  de  recherches  précieuses 
et  souvent  pleines  de  documents  utiles  sous  le  double  point  de  vue  de 
l'histoire  et  de  l'art.  Nous  aurons  toujours  des  encouragements  et 
souvent  des  éloges  à  donner  à  ces  pieux  antiquaires  qui  consacrent  et 
leur  temps  et  leurs  veilles  à  de  si  nobles  occupations ,  et  nos  sym- 
pathies, qu'ils  le  sachent,  leur  sont  à  tout  jamais  acquises.  Qu'ils 
persévèrent  donc  dans  cette  laborieuse  exploration,  où  il  y  a  place 
pour  tous ,  car  le  champ ,  qui  est  vaste  et  qui  n'a  encore  été  que  bien 
peu  défriché,  réclame  de  nombreux  travailleurs! 

Parmi  les  ouvrages  historiques  qui  nous  ont  été  adressés  afin  qu'il 
en  soit  rendu  compte  dans  la  Reme  Archéologique,  nous  avons  dû 
choisir  les  premiers  en  date  de  réception;  nous  commencerons  donc 
par  eux  notre  série  d'articles  bibliographiques. 

M.  Lesson,  dans  ses  Lettres  et  ses  Fastes  historiques,  etc.,  nous 
paraît  avoir  su  recueillir  avec  assez  de  bonheur  plus  d'une  ancienne 
tradition  locale ,  et  signaler  quelques  coutumes  actuelles  qu'il  com- 


BIBLIOGRAPHIE.  l4l 

pare  non  sans  justesse  avec  celles  de  certains  peuples  de  l'antiquité. 
Historien,  M.  Lesson  cherche  d'abord  les  analogies,  puis  il  en  tire 
des  rapprochements  et  des  déductions  qui  ne  sont  point  sans  intérêt; 
archéologue ,  plus  d'un  monument  peu  connu  lui  doit  l'honneur  d'une 
description  souvent  fort  courte,  mais  généralement  faite  en  explora- 
teur instruit.  Il  y  aurait  bien  à  relever  ici  quelques  inexactitudes  de 
détails ,  mais  ces  petites  erreurs  nous  paraissent  fort  secondaires  à 
côté  du  grand  nombre  d'articles  remarquables  que  renferment  ces 
deux  ouvrages. 

Les  Soiwenirs  historiques  sur  l'ancienne  ahhaye  de  Saint-Benoît-sur- 
Loire  ont  fourni  à  M.  Marchand  le  sujet  d'une  étude  sérieuse  qui 
mérite  d'être  lue  et  consultée  par  toutes  les  personnes  qui  voudraient 
obtenir  des  renseignements  positifs  sur  l'histoire  et  les  monuments  de 
cette  abbaye. 

Nous  recommandons  encore  ànos  lecteurs  la  Notice  sur  le  Château 
de  Langeais  comme  le  travail  le  plus  complet  et  le  plus  utile  que  nous 
connaissions  sur  ce  curieux  monument  du  moyen  âge. 

L'exiguïté  du  cadre  qui  nous  est  accordé  pour  les  comptes  rendus 
d'ouvrages  d'archéologie  ne  nous  permet  point  de  suivre  plus  longue- 
ment ces  doctes  antiquaires  dans  chacun  de  leurs  ouvrages;  nous  ne 
voulons  point  d'ailleurs  enlever  à  nos  lecteurs  le  plaisir  qu'ils  éprou- 
veront à  leur  lecture,  nous  préférons  donc  les  y  renvoyer;  car  ils  se 
recommandent  d'une  manière  spéciale  par  la  réunion  des  documents 
historiques  qu'ils  renferment,  par  l'intérêt  et  la  description  des  mo- 
numents peu  connus  qu'on  y  trouve ,  mais  surtout  par  un  style  clair 
et  concis  qu'on  voudrait  voir  employé  dans  les  ouvrages  de  ce  genre. 

DICTIONNAIRE  ICONOGRAPHIQUE  DES  MONUMENTS  DE  L'ANTIQUITÉ  CHRÉ- 
TIENNE ET  DU  MOYEN  AGE,  par  L.  J.  Guenebault,  2  vol.  gr.  in-8,  divisés 
en  10  livraisons  a  2  fr.  — La  quatrième  livraison  est  en  vente  ;  Paris^  Leleux,  édit. 

Ce  livre  est  d'un  intérêt  et  d'une  utiHté  générale  :  on  y  trouve 
classée  par  ordre  alphabétique,  l'indication  de  tout  ce  que  les 
manuscrits  du  moyen  âge ,  les  livres  à  planches  gravées  ou  litho- 
graphiées ,  renferment  de  monuments  religieux  ,  civils  et  mili- 
taires les  plus  remarquables  à  chaque  époque,  depuis  le  IP  ou 
le  IIP  siècle  jusqu'à  la  fin  de  la  Renaissance.  Paléographie,  ar- 
chitecture, peinture,  broderie,  tenture,  tapisserie,  orfèvrerie,  attri- 
buts des  arts  et  sciences,  attributs  des  saints,  allégories,  emblèmes, 
armures,  costumes,  meubles,  ornements  de  tous  les  genres  et  de 
toutes  les  époques;  sceaux,  faits  historiques,  inscriptions,  tom- 
beaux, vases,  etc.,  tout  s'y  trouve  consigné  ;  c'est  un  véritable  in- 


142  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ventaire  de  toute  la  civilisation  de  l'ancienne  Europe,  indiquant  les 
sources  où  il  taut  aller  puiser  les  documents  dont  on  peut  avoir  besoin. 
On  doit  savoir  d'autant  plus  gré  de  ce  travail  au  patient  auteur, 
que  cet  ouvrage,  commencé  il  y  a  près  de  vingt  ans  et  continué  sans 
relâche,  est  du  nombre  de  ceux  qu'on  ne  devait  guère  espérer  de 
voir  entreprendre,  et  que  très- probablement  on  ne  refera  jamais.  Il 
est  dans  la  nature  d'un  aussi  vaste  ensemble,  dit  un  savant  anti- 
quaire, d'excéder  en  tous  genres  les  forces  ordinaires  d'un  seul 
homme,  et  de  ne  pouvoir  être  exécuté  par  plusieurs,  tant  l'unité  de 
plan  et  d'exécution  est  une  chose  indispensable  pour  ce  genre  de 
travail  ;  c'est  presque  un  travail  de  congrégation.  L'auteur,  qui  paraît 
doué  d'une  certaine  dose  de  persévérance,  présente  le  dépouillement 
de  plus  de  3  000  ouvrages  et  de  plus  de  200  000  sujets  puisés  aux 
meilleures  sources  ;  il  a  analysé  des  ouvrages  ou  des  collections  qui 
se  composent  de  250  volumes  in-folio  de  planches;  il  les  a  analysés 
par  figures ,  par  portions  de  costumes  et  a  classé  le  tout  dans  l'ordre 
alphabétique. 

ÉLÉMENTS  D'ARCHÉOLOGIE  NATIONALE,  précédés  d'une  Histwre  de  I'Aut 
MONUMENTAL  CHEZ  LES  ANCIENS;  par  M.  Louis  Batissier ,  1  fort  volume  in-12  de 
G08  pages ,  renfermant  la  matière  de  3  ou  4  volumes  in-8 ,  et  orné  de  plus  de 
200  vignettes.  —Prix  :  G  fr.  Paris ^  Leleux,  éditeur. 

L'archéologie  a  fait  de  nos  jours  de  grands  progrès.  Cette  science 
a  été  étudiée  par  un  bien  plus  grand  nombre  d'esprits  qu'autrefois, 
et  elle  fera  partie  sans  doute  prochainement  de  l'éducation.  Peut-on 
bien  comprendre,  en  effet,  les  mœurs,  les  institutions  civiles  et 
religieuses,  les  usages,  l'état  des  arts  chez  les  civilisations  anciennes, 
sans  avoir  recours  à  l'archéologie?  Elle  seule  porte  son  flambeau 
dans  les  ruines  du  passé,  et  ressuscite  les  temps  qui  ne  sont  plus. 
Elle  recompose  les  monuments  et  les  villes.  Les  écrits  des  histo- 
riens ,  les  vers  des  poëtes  eux-mêmes  ont  besoin  du  secours  de  ses 
lumières.  Jusqu'à  notre  époque ,  les  études  archéologiques  ont  été  le 
labeur  de  quelques  artistes  éruditsqui,  comme  Winckelmann,  ont 
consacré  leur  vie  à  l'histoire  de  l'art.  De  gros  volumes  enfouis  au 
fond  des  bibliothèques,  et  presque  aussi  bien  enterrés  que  les  débris 
dont  ils  parlent ,  ont  seulement  témoigné  de  ces  curieuses  investi- 
gations, de  ces  recherches  importantes  sur  les  destinées  antérieures 
de  l'humanité.  11  faut  donc  remercier  M.  Louis  Batissier  d'avoir 
exhumé  de  la  poudre  ces  travaux  inconnus ,  et  rendu  accessibles  à 
tous ,  dans  un  Manuel  solide  et  précis ,  les  éléments  de  cette  science. 


BIBLIOGRAPHIE.  US 

Des  définitions  exactes,  des  divisions  intelligentes  facilitent  la 
lecture  de  ce  volume ,  accompagné  de  dessins  qui  éclairent  encore 
le  texte,  en  donnant  une  idée  nette  et  détaillée  des  objets  dont  il  est 
question.  L'histoire  de  l'art  monumental  comprend  l'indoustan ,  la 
Phénicie ,  l'Assyrie ,  la  Médie ,  la  Perse  ,  la  Judée ,  la  Chine ,  le 
Mexique,  le  Pérou  ,  le  Canada  et  l'Egypte;  l'art  grec,  l'art  étrusque, 
l'art  romain  continuent  cette  vaste  étude ,  et  l'auteur  arrive  enfin  à 
l'archéologie  nationale ,  qu'il  divise  en  trois  ères ,  l'ère  celtiqne , 
l'ère  gallo-romaine  et  l'ère  du  moyen  âge.  Nous  n'avons  pas  besoin 
d'indiquer  tout  ce  qu'il  y  a  de  nouveau  dans  cette  partie ,  traitée 
avec  un  soin  particulier.  L'ère  chrétienne  présente  des  détails  d'un 
rare  intérêt.  Les  peintres  y  trouveront  sur  la  figure  du  Christ,  qui 
a  tant  occupé  les  théologiens,  des  renseignements  circonstanciés. 
Une  précieuse  bibliographie  archéologique  termine  ce  beau  travail, 
accompli  par  un  esprit  sérieux,  littéraire,  versé  profondément  dans 
l'histoire  de  l'art. 

HECHERCHES  SUR  L'HISTOIRE  DE  LA  PEINTURE  SUR  ÉMAIL  DANS  LES 
TEMPS  ANCIENS  ET  MODERNES,  ET  SPÉCIALEMENT  EN  FRANCE,  par 
L.  DussiEux,  1  vol.  in-8. — Prix,  3  fr.  Paris ^  Leleux,  éditeur. 

L'histoire  de  la  peinture  sur  émail  présente  une  suite  de  faits  très- 
intéressants,  mais,  en  général,  très-mal  connus.  On  ne  sait  presque 
rien  sur  la  plupart  des  artistes  célèbres  qui  se  sont  voués  à  la  culture 
de  cette  branche  de  l'art  :  un  nom  et  une  date,  inscrits  sur  l'une  de 
leurs  productions,  sont  souvent  les  seuls  renseignements  que  l'on 
puisse  se  procurer.  On  trouve  bien  quelques  faits  dans  les  livres, 
mais  ce  sont  des  faits  isolés,  souvent  faux ,  et  toujours  écrits  loin  des 
monuments.  La  tâche  était  donc  difficile  ;  aussi  n'est-ce  qu'après 
quatre  ans  de  recherches  assidues,  que  M.  L.  Dussieux  a  pu  pré- 
senter à  l'Institut  son  savant  Mémoire,  qui  a  obtenu,  en  1841 ,  une 
mention  honorable.  Le  public  ne  peut  manquer  daccueillir  avec  intérêt 
et  faveur  cet  excellent  travail,  fait  avec  une  conscience  bien  rare  de 
nos  jours. 

L'auteur,  après  une  introduction,  où  il  explique  ce  qu'est  la  pein- 
ture sur  émail,  fait,  en  vingt-cinq  chapitres  successifs,  l'historique  de 
ce  bel  art,  depuis  les  émaux  égyptiens,  babyloniens,  grecs,  etc.,  pen- 
dant le  moyen  âge,  etc.,  jusqu'à  ceux  du  XIX^  siècle;  puis,  il 
termine  par  une  liste  des  peintres  sur  émail ,  et  une  notice  sur  la 
manufacture  royale  de  porcelaine  de  Sèvres.  Nous  le  répétons ,  ce 
Mémoire  fait  grand  honneur  à  la  science  investigatrice  de  M.  L.  Dus- 
sieux. 


GRAVURES 

PUBLIÉES  DANS  LA  DEUXIÈME  LIVRAISON 

DE   LA 

REVUE  AllCHÉOLOGIQLE. 


TEMPS  ANCIENS. 

ARCHITECTURE  :  — Obélisques  d'Axum.  —  Cet  intéressant  dessin 
que  nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  le  docteur  Aubert  Roche, 
précède  la  publication  d'une  Notice  spéciale  qui  sera  insérée  dans 
notre  prochain  Numéro. 

MOYEN  AGE. 

SCULPTURE  ET  ICONOGRAPHIE  :  —  Ivoire  de  Saint-Jean  de 
Besançon.  —  Nous  nous  proposons  de  publier  successivement 
plusieurs  monuments  byzantins  de  ce  genre,  mais  d'époques  dif- 
férentes, avant  d'offrir  à  nos  lecteurs  un  Mémoire  sur  cette 
branche  de  l'histoire  de  l'art. 

VIGNETTES  SUR  BOIS 

INTERCALÉES  DANS  LE  TEXTE 

DES  DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES. 

Architecture  —  Pierre  tumulaire,  découverte  à  Saverne. 
Inscriptions     —  Pierre  funéraire  trouvée  près  de  Tarascon. 

Idem,        dans  les  Champs-Elysées  d'Arles. 
Idem.         à  Saverne. 
Armes    —      —  Glaive  en  bronze    découvert  dans  la  forêt  de 
Carnoët. 
Fer  de  pique  trouvée  au  même  endroit. 
Ornements       —  Cercle  ou  ceinture  en  or  trouvé  près  de  Creil. 
Agrafe  trouvée  à  Hérouval. 
Torques  ou  collier  en  or  découvert  à  Saint-Géran. 
Numismatique  —  Deux  médailles  représentant  l'usage  du  collier 
chez  les  Gaulois. 


MYTHOLOGIE  (^' 


MYTHOLOGIE ,  la  science  ou  la  connaissance  des  mythes,  mot 
que  l'exemple  de  la  docte  Allemagne  a  fait  passer  dans  notre  langue, 
depuis  quelques  années,  pour  remplacer  l'expression  équivoque  de 
fables,  sous  laquelle  on  comprenait  les  récits  delà  mythologie, comme 
on  disait,  au  singulier,  la  fable  pour  la  mythologie  elle-même.  Non 
pas  que,  dans  l'origine,  le  mot  grec  pOQoç  n'ait  eu  une  acception 
aussi  étendue  que  le  mot  latin  fabula,  puisqu'il  signifiait  toute  énon- 
ciation  quelconque  de  la  pensée  par  la  parole,  un  discours,  un  récit 
qui  se  prononce,  qui  se  répète,  qui  circule  par  la  tradition  orale,  sans 
distinction  de  vérité  ou  de  fausseté,  de  réalité  ou  de  fiction  ;  mais, 
peu  à  peu,  le  mot  [jvBoç  se  restreignit,  par  son  opposition  avec  celui 
de  lôyog,  d'abord  tout  aussi  vague,  aux  anciennes  traditions  libre- 
ment traitées  par  les  poëtes,  qui  s'en  emparèrent  comme  de  leur  do- 
maine; les  mythes  furent  les  traditions  poétiques  suspectes  de  fiction , 
tandis  que  les  logoi  furent  les  traditions  historiques,  ou  supposées 
telles,  qu'exposèrent  en  prose  les  premiers  historiens  grecs,  nommés 
pour  cette  raison  logographes.  Quant  aux  mythographes ,  dont  les 
plus  anciens  se  confondent  avec  eux ,  ils  firent  sur  les  récits  mythi- 
ques un  travail  analogue;  nous  y  reviendrons  plus  loin. 

Les  Grecs,  créateurs  du  mot,  commencèrent  à  avoir,  entre  le 
temps  de  Pindare  et  celui  de  Platon ,  sinon  l'idée  parfaitement  dis- 
tincte, au  moins  le  sentiment  vrai  de  la  chose.  Tandis  que  loyoç 
devint  pour  eux  l'expression  directe ,  simple  et  nue,  d'une  vérité  soit 
de  fait,  soit  de  raison,  telle  que  l'énonçaient  les  historiens  et  les 
philosophes,  yMoç  en  fut  l'expression  indirecte,  voilée,  ornée  de  la 
fiction  et  du  merveilleux,  telle  que  l'affectionnait  le  peuple  et  que  les 
poëtes  aimaient  à  la  parer.  Plus  tard ,  ils  rattachèrent  la  notion  du 

(1)  La  mythologie  étant  une  des  principales  lumières  de  l'archéologie,  nous  avons 
cru  devoir  placer  ce  morceau,  d'une  portée  que  nos  lecteurs  apprécieront,  en  tête 
d'une  des  premières  livraisons  de  la  Revue  Archéologique.  Nous  l'avons  emprunté, 
avec  l'autorisation  de  l'auteur  de  l'article,  et  avec  l'agrément  des  éditeurs  de  VEn- 
cyclopcdie  des  Gens  du  Monde,  à  cet  important  recueil ,  qui,  sous  un  titre  popu- 
laire ,  et  sous  une  forme  accessible  à  tous  les  esprits  cultivés,  contient  les  résultais 
les  plus  précis ,  les  plus  positifs,  quelquefois  les  plt:s  profonds ,  de  la  philosophie 
et  de  l'histoire,  des  sciences,  des  arts  et  de  toutes  les  connaissances,  soit  théoriques, 
soit  pratiques.  {Note  de  l'Éditeur.  ) 

I.  10 


146  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

mythe  aux  notions  plus  générales  de  symbole  et  d'allégorie;  ils  y 
virent  une  des  formes  principales  du  langage  intuitif  ou  figuré,  forme 
propre  à  la  haute  antiquité,  et  qui  leur  parut  surtout  consacrée  à 
renonciation ,  à  la  tradition  des  vérités  ou  des  faits  de  l'ordre  re- 
ligieux. 

Le  caractère  le  plus  frappant  que  les  Grecs  aient  reconnu  dans 
leur  mythologie,  c'est-à-dire  dans  l'ensemble  de  leurs  mythes,  est, 
en  effet,  d'appartenir,  du  moins  par  l'origine,  aux  temps  les  plus  re- 
culés de  leur  nation ,  à  ces  temps  dits  eux-mêmes  mythiques  ou  hé- 
roïques, parce  que  les  mythes  en  étaient  la  seule  histoire,  et  que 
cette  histoire  avait  pour  acteurs  les  héros,  pareils  aux  dieux,  et  les 
dieux  dont  ils  descendaient.  Ces  temps,  ils  les  révéraient,  ils  en  ac- 
cueillaient les  traditions  avec  une  foi  implicite,  et  pourtant  ils  les 
distinguaient  des  temps  historiques,  ils  en  faisaient  le  domaine  à  peu 
près  exclusif  de  la  poésie  et  de  l'art,  qui  vivent  de  fiction;  tout  en 
acceptant  le  merveilleux,  le  surnaturel,  l'impossible  même  des  ré- 
cits dont  ils  étaient  l'objet,  ils  y  soupçonnèrent  de  bonne  heure,  sans 
trop  s'en  rendre  compte,  autre  chose  que  de  l'histoire.  Néanmoins, 
dans  leurs  plus  hardis  essais  d'interprétation ,  aux  époques  philoso- 
phiques, ils  ne  parvinrent  jamais  à  pénétrer  le  secret  tout  entier  de 
la  mythologie,  à  saisir  complètement  le  génie  de  cette  forme,  dont 
l'unité  nécessaire  recèle  en  son  sein  les  éléments  les  plus  divers  de 
la  pensée  et  de  la  vie  humaines. 

Les  modernes  ont  été,  à  cet  égard,  plus  heureux  que  les  anciens. 
Après  s'être  égarés,  sur  leurs  traces,  dans  des  systèmes  exclusifs  et 
opposés,  tantôt  voulant  à  toute  force  retrouver  dans  la  mythologie 
des  faits  historiques,  des  personnages  et  des  événements  humains 
plus  ou  moins  déguisés,  tantôt  y  cherchant  de  préférence  tel  ou  tel 
ordre  d'idées,  d'opinions,  de  croyances,  sous  le  voile  de  l'allégorie  et 
du  symbole,  ils  ont  fini  par  renoncer  à  l'hypothèse,  et  par  demander 
la  vérité  qu'elle  leur  refusait ,  d'une  part  à  l'analyse  comparée  des 
mythes,  d'autre  part  à  l'observation  attentive  des  lois  qui  ont  présidé 
à  leur  création.  Riches  d'expérience  comme  ils  le  sont  devenus  de 
jour  en  jour  davantage,  ayant  eu  occasion  d'étudier  un  grand  nombre 
de  peuples  à  tous  les  degrés  de  la  barbarie  et  de  la  civilisation,  la 
mythologie  leur  est  apparue,  non  plus  comme  un  phénomène  isolé, 
particulier  à  l'antiquité  grecque  et  romaine,  comme  un  tissu  acci- 
dentel ou  prémédité,  soit  de  récits  et  de  fables  poétiques,  soit  de 
fictions  sacerdotales  et  savantes,  mais  comme  un  fait  général,  spon- 
tané, nécessaire,  qui  a  ses  analogues  à  toutes  les  époques  correspon- 


MYTHOLOGIE,  147 

dantes  du  développement  de  l'esprit  humain ,  et  qui  ne  saurait  s'ex- 
pliquer que  par  sou  histoire. 

De  ce  point  de  vue ,  la  mythologie,  considérée  dans  son  principe, 
est  la  forme  même  de  l'esprit  humain  et  de  ses  produits  quelconques 
aux  époques  dont  il  s'agit;  considérée  dans  ses  éléments,  dans  les 
matériaux  qui  la  composent,  elle  embrasse  à  la  fois  l'histoire,  la  re- 
ligion, la  philosophie  et  l'art  de  ces  époques,  si  ces  deux  mots  y  peu- 
vent trouver  place.  D'ordinaire,  la  poésie,  fille  aînée  de  la  mytho- 
logie, en  est  l'organe  et  le  véhicule;  mais  la  tradition  populaire, 
cette  poésie  naturelle,  qui  se  confond  par  son  origine  avec  la  mytho- 
logie elle-même,  est  son  premier  interprète.  C'est  assez  dire  que  la 
mythologie,  en  tant  qu'objet  d'étude,  est  infiniment  complexe; 
science  historique  et  philosophique  tout  ensemble,  elle  emprunte  de 
précieuses  lumières  à  la  philologie,  à  l'archéologie;  elle  a  besoin 
d'une  critique  supérieure  qui,  sans  exclure  la  méthode,  soit  capable 
de  se  transporter,  par  la  puissance  de  l'imagination ,  dans  une  sphère 
de  faits  et  d'idées  très-différente  de  la  sphère  actuelle;  telle  que  l'ont 
faite  les  travaux  de  ces  trente  dernières  années,  elle  a  pris  rang 
comme  une  science  sul  generis,  comme  l'indispensable  auxiliaire, 
non  pas  seulement  de  la  science  des  antiquités  dans  toutes  ses  bran- 
ches, mais  de  la  philosophie  de  l'histoire  dans  ses  parties  les  plus  éle- 
vées et  les  plus  difficiles. 

Ce  qu'il  y  a  de  capital  pour  l'intelligence  de  la  mythologie,  pour  la 
connaissance  de  la  nature  du  mythe,  c'est  le  rapport  de  la  forme  et 
du  fond  dans  ce  récit  traditionnel  des  temps  anciens.  Le  fond  peut 
être  une  idée,  une  croyance,  un  sentiment  ou  une  conception  de  l'es- 
prit; il  peut  être  un  fait,  un  phénomène  du  monde  physique  ou  du 
monde  moral ,  un  événement  de  la  nature  ou  de  l'histoire.  Dans  cette 
variété  d'éléments,  la  forme  reste  invariablement  la  même,  celle  du 
récit  ;  les  sujets  du  mythe,  quels  qu'ils  soient ,  en  sont  les  acteurs,  et 
ces  acteurs  figurent  comme  des  personnes; 

Tout  prend  un  corps ,  une  âme ,  un  esprit,  un  visage, 

ainsi  que  l'a  dit  notre  Boileau.  En  un  mot ,  la  personnification  est 
la  loi  fondamentale  de  la  mythologie,  et  les  personnages  mythiques 
se  développent  dans  le  temps  avec  tous  les  caractères  de  l'huma- 
nité; ils  agissent,  ils  parlent,  ils  pensent,  ils  sentent  à  la  manière 
de  l'homme.  11  y  a  plus  :  tandis  que  les  êtres  quelconques  se  présen- 
tent ainsi  sous  l'aspect  de  personnes;  leurs  accidents,  leurs  rapports 
quelconques  sous  celui  d'actions;  que  tous  les  phénomènes  du  monde 


148  REVUE   AUCHÉOLOGIQUE. 

physique  et  du  monde  moral  se  traduisent  en  histoire  apparente,  l'his- 
toire, à  son  tour,  l'histoire  réelle  se  rattache  par  des  liens  étroits  à  ces 
personnifications  idéales,  et  les  événements,  les  faits  humains,  les 
hommes  eux-mêmes  se  mêlent  et  se  confondent  de  raille  manières 
avec  les  créations  fantastiques  de  leur  pensée  ou  avec  ses  objets  dans 
la  nature.  C'est  que,  sous  l'empire  de  la  forme  mythique,  ni  le  monde 
des  idées  ni  celui  des  faits  ne  sont  conçus  distinctement,  ne  sont  nette- 
ment séparés  l'un  de  l'autre;  tour  à  tour  l'idée  se  personnifie,  s'indi- 
vidualise, quelque  générale  qu'elle  soit;  et  le  fait  particulier,  l'événe- 
ment ,  la  personne  véritable  s'idéalisent  au  point  de  devenir  des  types 
généraux ,  des  symboles.  L'imagination,  reine  de  cet  empire,  média- 
trice entre  le  corps  et  l'âme,  entre  l'esprit  et  la  matière,  crée  sans 
cesse  des  figures  sensibles  avec  des  éléments  intellectuels,  et  transfi- 
gure les  réalités  extérieures  en  les  élevant  jusqu'à  l'idée. 

De  ce  que  nous  venons  de  dire  il  résulte  que ,  dans  le  mythe ,  le 
fond  fait  corps  avec  la  forme,  l'idée  avec  le  fait,  que  ce  fait  soit  une 
vérité  qui  donne  à  l'idée  sa  forme,  ou  qu'il  ne  soit  autre  chose  que 
cette  forme  même  sous  laquelle  se  produit  l'idée.  C'est  en  quoi  le 
mythe  tient  par  ses  racines  au  symbole,  signe  nécessaire,  image 
naturelle  de  l'idée  prenant  un  corps;  en  quoi  il  diffère  de  l'allégorie, 
où  l'idée  et  la  forme,  conçues  à  part  l'une  de  l'autre,  s'unissent  par 
des  rapports  plus  ou  moins  arbitraires  et  artificiels.  Le  mythe,  comme 
le  symbole,  est  spontané,  irréfléchi,  quoiqu'à  un  moindre  degré, 
tandis  que  l'allégorie  a  conscience  d'elle-même  et  suppose  la  réflexion  ; 
elle  dit  une  chose  et  en  pense  une  autre,  ainsi  que  son  nom  l'atteste; 
le  mythe  pense  ce  qu'il  dit  et  comme  il  le  dit ,  la  forme  avec  le  fond , 
l'idée  avec  le  fait,  sans  avoir  conscience  de  cette  distinction,  au 
moins  une  conscience  claire  et  vraie.  Souvent  même  le  mythe  n'est 
qu'un  symbole  mis  en  action  par  la  parole;  il  est  d'autant  plus  voisin 
du  symbole  qu'il  est  plus  ancien  ;  au  contraire,  il  se  rapproche  d'au- 
tant plus  de  l'allégorie  qu'il  appartient  à  une  époque  plus  récente, 
à  un  développement  plus  mûr  de  l'esprit.  Il  y  a  progrès,  pour  la 
liberté  de  la  pensée,  pour  la  vivacité,  la  lumière,  sinon  pour  l'énergie 
et  la  profondeur  de  son  expression,  du  symbole  muet  et  immobile  au 
mythe  animé,  brillant,  dramatique,  à  l'ingénieuse  et  transparente 
allégorie. 

Peut-être  ces  idées  s'éclairciront-elles  si ,  de  la  nature  du  mythe  et 
de  ses  rapports  avec  les  formes  analogues  d'expression,  nous  remon- 
tons à  son  berceau,  nous  tâchons  de  surprendre  le  secret  de  son  ori- 
gine dans  l'état  de  l'esprit  humain  à  l'époque  oii  ces  formes  dominent. 


MYTHOLOGIlî.  149 

C'est  une  laborieuse  recherche,  et  où  nous  ne  saurions  mieux 
faire  que-  de  prendre  encore  une  fois  pour  guide  l'homme  de 
savoir  -et  de  génie,  qui,  mieux  qu'un  autre,  a  su  tout  à  la  fois 
poser  et  résoudre  la  question  dans  ce  sens.  Suivant  la  théorie  de 
M.  Creuzer,  théorie  qui  a  passé  dans  des  ouvrages  plus  récents  que 
le  sien,  avec  des  modifications  peu  importantes  au  fond  (l),  dans 
l'enfance  et  dans  la  première  jeunesse  de  tous  les  peuples,  de  ceux  du 
moins  dont  l'histoire  a  eu  son  cours  régulier,  se  retrouve  un  mode 
de  conception  et  en  même  temps  de  croyance  d'après  lequel  toute 
chose,  dans  la  nature,  est  douée  de  vie  et  de  sentiment.  Nulle  dis- 
tinction de  matière  et  d'esprit,  de  corps  et  d'âme;  dans  la  pensée 
naïve  des  hommes  de  ces  temps-là,  comme  des  enfants  de  tous  les 
temps,  et  jusqu'à  un  certain  point  des  hommes  simples  et  grossiers 
du  nôtre,  tout  vit  d'une  vie  commune  et  uniforme;  bien  plus,  tout  vit 
à  la  manière  de  l'homme,  tout  se  représente  sous  ses  traits.  Une 
sorte  de  nécessité  à  laquelle  ne  saurait  se  soustraire  absolument, 
dans  nos  siècles  de  civilisation  et  de  philosophie,  l'esprit  même  le  plus 
rigoureux  et  le  plus  exact,  porte  l'homme  à  se  considérer  comme  le 
centre  de  la  création,  à  se  réfléchir  en  quelque  sorte  dans  toute  la 
nature  comme  en  un  miroir,  à  ne  voir  partout  que  sa  propre  image. 
De  là  vient  que,  pour  lui,  toute  force  est  une  personne,  tout  être  est 
soumis  à  ses  propres  lois  ;  de  là  le  sexe  et  toutes  ses  conséquences 
transportés  aux  objets  quelconques  de  sa  pensée;  la  génération  et  l'en- 
fantement, l'amour  et  la  haine,  toutes  les  passions,  tous  les  phénomènes 
de  la  vie,  et  cet  autre  grand  phénomène  de  la  mort,  appliqués  indiffé- 
remment au  monde  intérieur  et  au  monde  extérieur  qui  sont  confondus 
dans  une  même  intuition. 

Cette  personnification  générale,  dont  nous  avons  fait  plus  haut  la 
loi  fondamentale  de  la  mythologie,  est  donc  la  loi  même  de  l'esprit 
humain ,  et,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  encore,  la  forme  nécessaire  et 
spontanée  de  ses  conceptions  comme  de  ses  produits  aux  époques 
justement  appelées  mythiques ,  parce  qu'elles  ne  sauraient  être 
mieux  caractérisées  que  par  ce  phénomène  du  mjthe  qui  leur  est  pro- 
pre. Le  mythe  y  naît  et  s'y  développe  de  lui-même  sous  l'inspiration 
de  la  nature ,  et  selon  cette  loi  primitive  de  l'esprit  qui  fait  que 

(1)  Nous  nous  contenterons  de  citer  ici  le  célèbre  théologien  Baur,  qui  a  combiné 
la  théorie  symbolique  de  Creuzer  avec  la  dogmatique  religieuse  de  Srhlciermacher, 
dans  son  livre  plus  philosophique  que  savant,  intitulé  :  Symbolik  und  Mythologie, 
Oder  die  N alun elig ion  des  yîllerlhums  ,  Stuttgart,  1824,  tome  I;  et  O.  Mûller, 
trop  tôt  ravi  à  la  science  dont  il  était  une  des  gloires,  dans  ses  Prolcqomena  zu 
einer  ff^issenschafUichen  Mythologie,  Gœllingen,  I825,  p.  267  et  suiv.,  332. 


150  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

l'homme  s'assimile,  qu'il  représente  à  sa  propre  image  tout  ce  qu'il 
voit,  tout  ce  qu'il  sent,  tout  ce  qu'il  imagine  et  croit  tout  ensemble, 
au  dehors  et  au  dedans  de  lui.  L'imagination  et  la  foi,  compagnes 
inséparables,  sont  les  deux  muses  de  cette  poésie  naturelle  qui  est 
aussi  une  religion,  et  dont  les  racines  tout  au  moins  s'entrelacent 
avec  celles  de  la  croyance  religieuse.  En  effet,  le  sentiment  religieux, 
à  son  premier  essor,  revôt  nécessairement  la  forme  mythique  et  s'unit 
pour  longtemps  à  elle.  Si  l'esprit  de  l'homme  est  invinciblement 
porté  à  personnifier  ce  qu'il  aperçoit,  mAme  dans  le  cercle  de  l'expé- 
rience vulgaire,  et  s'il  croit  à  ces  personnifications  au  moment  où  il  les 
crée,  que  doit-ce  donc  être  des  idées  qui  lui  apparaissent  en  dehors 
de  ce  cercle,  et  qui  exaltent  d'autant  plus  en  lui  la  puissance  de 
l'imagination  qu'il  fait  plus  d'efforts  pour  les  saisir  et  les  représenter? 
Aussi  personnifie-t-il  de  bonne  heure  et  adore-t-il  du  môme  coup, 
pour  ainsi  dire,  non-seulement  les  éléments,  les  astres,  les  grands 
phénomènes  de  la  nature,  mais  le  pouvoir  secret  qui  s'y  manifeste  à 
tous  les  degrés,  et  les  forces  visibles  ou  invisibles,  bienfaisantes  ou  fu- 
nestes, sous  l'empire  desquelles  il  se  sent  placé.  Plus  tard,  il  per- 
sonnifie et  divinise  de  même  ses  propres  facultés ,  qui  sont  aussi  des 
forces,  les  pouvoirs  de  l'esprit,  les  qualités  morales,  ainsi  que  les  qua- 
lités physiques  de  l'homme,  son  génie,  ses  vertus,  et  jusqu'à  ses  fai- 
blesses. Enfin,  il  anthropomorphise  jusqu'aux  attributs  métaphysiques 
de  la  Divinité,  tels  que  sa  raison  les  lui  révèle  dans  le  monde  extérieur 
ou  dans  sa  conscience,  et  longtemps  encore  après  l'époque  oii  il  le3 
identifiait  avec  les  forces  de  la  nature  ou  avec  les  facultés  humaines; 
ce  qui  a  fait  dire  que,  si  Dieu  a  formé  l'homme  à  son  image,  l'homme 
le  lui  a  bien  rendu. 

Ainsi  la  religion ,  dans  tous  ses  développements,  à  tous  ses  degrés, 
par  l'anthropomorphisme,  contracte  avec  la  mythologie  une  étroite  et 
durable  alliance.  Mais  le  polythéisme  principalement  lui  est  sympa- 
thique, ou  plutôt  ils  se  confondent  l'un  avec  l'autre  dans  cette  primi- 
tive et  merveilleuse  disposition  de  l'âme,  que  nous  décrivions  tout  à 
l'heure,  et  qui  porte  l'homme  à  transporter  hors  de  soi,  dans  le  monde 
physique  et  moral,  son  individualité,  sa  personnalité  propres,  une  vie, 
une  action  semblables  aux  siennes,  une  cause  enfin,  vivante,  volon- 
taire, intelligente  comme  lui,  là  surtout  oii  de  grands  effets  le  frap- 
pent, où  lui  apparaissent  des  phénomènes  plus  ou  moins  généraux,  où 
il  entrevoit  des  lois,  un  pouvoir  mystérieux  et  supérieur,  quelque 
émanation  de  la  cause  suprême,  de  la  substance,  de  l'être  infini,  que 
plus  tard  il  essaiera  de  dégager,  par  l'abstraction,  de  toutes  ces  manifes- 


MYTHOLOGIE.  151 

talions  accidentelles  et  finies.  De  là  cette  multitude  de  personnes  divines, 
dieux  ou  démons,  héros  ou  génies,  objets  de  la  foi  et  du  culte,  dont  les 
légendes  constituent  le  fonds  le  plus  riche  et  en  partie  le  plus  ancien 
de  la  mythologie.  Ces  légendes,  la  croyance  qui  en  est  le  principe,  le 
culte  qui  s'y  rattache,  se  développent  de  concert  sous  l'intluence  de  la 
nature  extérieure  et  des  circonstances  locales  chez  les  diver^  peuples, 
sous  celle  de  leur  génie  non  moins  divers,  d'où  la  diversité  môme  des 
formes  qu'affectent  ces  premières  créations  du  polythéisme  mytholo- 
gique. Elles  en  sont  la  partie  positive,  profondément  symbolique  dans 
l'origine,  mais  d'autant  plus  difficile  à  interpréter  que  s'unissant  inti- 
mement, d'une  part  aux  localités,  d'autre  part  aux  souvenirs  nationaux, 
les  mythes  des  dieux  et  des  héros,  bientôt  liés  en  généalogies,  revotent 
l'aspect  d'une  histoire  primitive.  A  la  tôtede  celte  apparente  histoire, 
où  l'élément  historique  est  secondaire,  où  domine  l'élément  religieux, 
quel  qu'en  soit  le  germe,  physique  ou  moral,  viennent  ensuite  prendre 
place  d'autres  mythes,  d'un  caractère  plus  spéculatif  et  généralement 
d'une  époque  plus  récente,  qui,  sous  le  voile  des  théogonies,  cachent 
de  véritables  cosmogonies.  La  réflexion  naissante  s'y  fait  jour,  à  tra- 
vers la  forme  mythique,  pour  remonter  d'abstraction  en  abstraction  à 
l'origine  des  choses;  pour  expliquer,  par  des  symboles  de  plus  en  plus 
généraux,  l'énigme  du  monde,  celle  de  l'homme,  les  lois  de  l'uni- 
vers.  Mais,  bien  ditïerents  des  premiers,  ces  symboles  sont  transpa- 
rents; l'idéey  perce  aisément  son  enveloppe  matérielle;  souvent  môme 
ce  sont  descpersonnifications  voisines  de  l'allégorie,  et  où  le  nom 
suffit  pour  mettre  sur  la  trace  du  sens.  Les  mythes  qui  en  résultent, 
quoique  objets  de  foi  comme  les  précédents,  vont  de  la  religion  à  la 
philosophie,  et  chez  les  Grecs,  par  exemple,  aussi  bien  que  chez  les 
Hindous,  ils  frayèrent  la  voie  à  cette  dernière.  Entre  ces  deux 
classes  de  mythes,  œuvres  du  peuple  ou  des  sages ,  ou  plutôt  encore, 
les  uns  comme  les  autres,  quoique  à  différents  degrés,  inspirations 
naïves  d'une  élite  d'hommes ,  naïvement  adoptées  par  les  masses ,  se 
place  un  troisième  ordre  de  légendes,  également  religieuses  et  des 
plus  révérées,  souvent  aussi  anciennes  que  les  premières,  aussi  signi- 
ficatives que  les  secondes,  mais  non  pas  d'un  caractère  aussi  général, 
auxquelles  se  rapportent  celles  que  les  Grecs  nommaient  kpol  lôyoi, 
ou  traditions  sacrées.  Ce  sont  principalement  des  interprétations  d'an- 
tiques symboles  du  culte  présentées  dans  de  courts  récits,  des  expli- 
cations mythiques  de  l'origine  des  rites,  des  fôtes,  des  temples,  des 
institutions  fondamentales  de  la  vie  religieuse  ou  civile;  d'autres  ex- 
plications, non  moins  mythiques,  des  noms  consacrés  et  tradition- 


à 


152  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

neis  des  dieux,  des  lieux  saints,  des  peuples,  des  pays,  des  villes.  Ces 
.légendes,  dont  une  partie  furent  l'ouvrage  des  prêtres,  vont,  les  der- 
nières surtout,  de  la  religion  à  l'histoire,  comme  les  mythes  cosmo- 
goniques  de  la  religion  à  la  philosophie. 

Plus  historiques  encore,  quoique  toujours  empreints  d'un  Caractère 
religieux  et  mêlés  d'éléments  symboliques,  sont,  en  partie  du  moins, 
les  mythes  relatifs  aux  héros ,  qui  racontent  leur  naissance ,  leurs 
aventures,  les  migrations,  les  guerres,  les  conquêtes,  les  entreprises 
lointaines  par  terre  ou  par  mer,  les  fondations  de  colonies,  et  d'au- 
tres événements  de  ce  genre  accomplis  sous  leurs  auspices.  Non  pas 
que  les  héros  soient  tous  des  personnages  humains  et  réellement  in- 
dividuels, qu'ils  aient  vécu  de  la  même  vie  que  nous,  bien  qu'ils 
soient  censés  avoir  passé  comme  nous  sur  la  terre ,  avoir  joui  et  souf- 
fert comme  nous;  beaucoup,  la  plupart  peut-être,  types  divins  de 
l'humanité,  modèles  proposés  à  l'imitation  des  mortels,  ne  sont, 
comme  au  fond  les  dieux ,  que  des  personnifications  ou  physiques  ou 
morales,  en  rapport  originaire  avec  eux,  avec  la  nature,  mais  ratta- 
chées de  plus  près  à  l'homme  et  à  l'histoire,  qu'elles  ravissent  en 
quelque  sorte  dans  la  sphère  de  l'idéal.  Cette  sphère,  idéale  et  histo- 
rique à  la  fois,  ce  sont  les  temps  dits  héroïques,  oii  les  héros  sont  les 
acteurs  souvent  supposés  d'actions  véritables ,  où  ils  sont  les  sym- 
boles des  peuples,  des  tribus,  des  pays;  où  les  dieux,  dont  ils  tiennent 
l'être  et  qu'ils  représentent  ici-bas,  interviennent  à  chaque  instant 
dans  les  affaires  humaines;  où  tout  est  grand,  surnaturel,  merveil- 
leux, parce  que,  dans  le  lointain  de  la  tradition  et  dans  la  simplicité 
des  esprits,  tout  apparaît  à  travers  le  prisme  de  l'imagination  et  de  la 
croyance.  Aussi  ne  faut-il  chercher  dans  ces  temps-là  ni  généalogies 
certaines,  ni  chronologie  suivie;  les  faits  y  sont  groupés,  développés 
selon  de  tout  autres  lois  que  celles  de  l'histoire,  et  souvent,  d'épo- 
ques plus  récentes,  transportés  au  sein  de  l'âge  héroïque,  mis  sur  le 
compte  des  vieux  héros,  par  une  illusion  de  la  piété  ou  de  l'orgueil 
national.  De  là  ces  grands  mythes  historiques,  concentrations  popu- 
laires d'éléments  anciens  et  nouveaux ,  fictifs  et  réels,  où  domine  ce 
que  nous  nommons  le  merveilleux,  c'est-à-dire  la  foi  poétique,  et  qui 
forment  le  tissu  infiniment  divers  et  sans  cesse  modifié  de  la  tradi- 
tion avant  de  servir  de  thèmes  à  l'épopée.  Les  plus  sûres  lumières 
que  la  mythologie  fournit  à  l'histoire  ne  consistent  pas  tant  dans  les 
faits  individuels,  les  événements  particuliers,  que  dans  les  faits  géné- 
raux qui  intéressent  un  pays  tout  entier,  qui  marquent  les  révolu- 
tions de  son  existence  et  de  ses  mœurs,  le  progrès  de  ses  établisse- 


MYTHOLOGIE.  153 

ments,  de  ses  armes,  de  son  commerce,  l'extension  de  ses  connais- 
sances et  de  ses  idées,  de  ses  relations  avec  les  autres  peuples,  les 
échanges,  les  transformations  d'opinions  et  de  croyances,  tous  objets 
de  mythes  que  l'on  peut. nommer,  à  toute  rigueur,  historiques,  et 
dont  les  plus  positifs,  sinon  les  plus  récents,  sont  les  mythes  ethno- 
graphiques et  géographiques. 

Nous  voudrions  pouvoir  faire  ressortir  la  vérité  de  ces  distinctions, 
faire  toucher  au  doigt  les  caractères  des  différentes  classes  de  mythes 
que  nous  venons  d'établir,  par  un  choix  d'exemples  pris  dans  la  my- 
thologie classique  ou  dans  les  autres  corps  analogues  de  traditions 
qui  se  trouvent  au  berceau  de  tous  les  grands  peuples,  à  l'origine  de 
toutes  les  littératures.  Mais  l'espace  nous  manque  (l),  et  nous  nous 
hâtons  de  joindre  à  cette  théorie  générale  des  mythes,  du  point  de  vue 
de  l'antiquité  grecque  et  romaine  principalement,  un  aperçu  rapide 
de  leur  histoire,  des  vicissitudes  qu'ils  ont  subies  dans  le  cours  des 
temps,  des  travaux,  des  systèmes  auxquels  ils  ont  donné  lieu  chez  les 
anciens  et  chez  les  modernes  ;  ce  qui  nous  conduira  à  comparer  ail- 
leurs, par  les  traits  les  plus  saillants  de  leurs  rapports  et  de  leurs 
différences,  les  mythologies  qu'on  peut  appeler  fondamentales.  Ce 
sera  l'objet  d'un  travail  à  part. 

La  plupart  des  mythes  étant  nés,  pour  ainsi  dire,  du  sein  du  peu- 
ple, ayant  formé  de  très-bonne  heure,  chez  les  Grecs  comme  chez 
les  autres  nations,  une  sorte  de  poésie  naturelle,  empreinte  au  plus 
haut  degré  du  cachet  des  lieux  et  des  temps,  se  conservèrent  d'abord 
par  la  tradition ,  circulant  sur  les  ailes  de  la  parole,  et  soumis  à  toutes 
les  variables  influences  de  la  mémoire,  de  l'imagination ,  des  circon- 
stances historiques  ou  autres.  Dans  cette  période  primitive,  qui 
n'est  autre  que  l'époque  mythique,  à  la  fois  mère  et  matière  des  my- 
thes, de  simples  images  de  la  nature  qu'ils  étaient,  de  personnifica- 
tions toutes  symboliques  déposées  dans  des  noms  expressifs,  ils  se 
développent  en  récits  de  plus  en  plus  libres ,  se  compliquent  de  toute 
sorte  d'éléments,  se  coordonnent  en  généalogies  et  commencent  à  se 
grouper.  Vient  le  chant,  vient  la  poésie,  et  l'art  à  leur  suite,  qui 
continuent  et  perfectionnent ,  au  grand  profit  de  la  forme ,  au  grand 
détriment  du  fond,  l'œuvre  ébauchée  par  la  tradition  orale  et  la  fan- 
taisie populaire.  A  réj3oque  mythique,  qui  se  confond  avec  l'âge  hé- 
roïque, succède  une  seconde  époque  encore  toute  passionnée  pour 

(1)  Le  lecteur  y  suppléera  aisément  en  parcourant  les  nombreux  articles  mytho- 
logiques ,  contenus  dans  V Encyclopédie  des  Gens  du  Monde ,  et  en  y  appliquant 
notre  classiflcation  et  les  principes  de  notre  théorie. 


154  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

les  mythes,  oubliant  le  présent  pour  ce  passé  révéré  qui  la  charnie, 
ou  l'y  transportant  par  un  prestige  qui  lui  est  propre,  mais  idéalisant 
et  le  passé  et  ce  présent  qu'elle  combine  avec  lui,  les  hommes  et  les 
choses,  traduisant  les  mythes  dont  elle  s'empare  en  de  merveilleuses 
et  dramatiques  histoires  dont  les  dieux  et  les  héros  sont  les  acteurs. 
Cette  époque  est  celle  de  l'épopée,  plus  divine  ou  plus  humaine, 
héroïque  ou  didactique,  mais  toujours  religieuse,  bien  que,  obéissant 
à  la  loi  nouvelle  du  beau  ,  cherchant  à  plaire  en  môme  temps  qu'à  in* 
struire,  elle  s'inquiète  peu  du  sens  des  antiques  symboles,  s'attache 
en  eux  aux  formes  extérieures,  et  y  fasse  triompher  le  génie  de  l'an- 
thropomorphisme. Homère  et  Hésiode ,  les  créateurs  de  la  théologie 
(plastique  )  des  Grecs,  selon  Hérodote;  Valmiki  et  Vyasa,  auteurs  du 
Bammjana  et  du  Mahabharala  chez  les  Hindous ,  représentent  cette 
époque  dans  son  plus  haut  essor,  et  font  une  œuvre  commune ,  bien 
qu'ici  sacerdotale,  et  là  toute  populaire.  Alors  se  forment  autour  de 
tel  dieu,  de  tel  héros,  de  tel  événement  traditionnel,  ce  qu'on  appelle 
les  cycles  épiques,  lesquels  s'enchaînant  les  uns  aux  autres  ,  comme 
les  mythes  élémentaires  s'étaient  groupés  dans  l'épopée,  mais  moins 
artistement  que  ceux-ci,  finissent,  dans  le  long  enfantement  des 
poëmes  cycliques  de  la  Grèce  et  des  PouranasàQ  l'Inde,  par  engendrer 
le  grand  cercle  mythique,  ou  le  corps  complet  de  la  mythologie  na- 
tionale élaboré  successivement  par  les  chantres  épiques.  A  mesure 
qu'ils  entrent  davantage  dans  les  temps  historiques,  cette  mythologie 
y  prend  davantage  aussi  la  physionomie  de  l'histoire  ;  à  mesure  qu'ils 
se  rapprochent  des  époques  de  réflexion  pratique  ou  spéculative  et  de 
poésie  artificielle,  elle  se  mélange  de  mythes  moraux,  philosophiques, 
scientifiques  et  de  fictions  purement  poétiques,  aboutissant  à  l'allégorie 
d'une  part,  au  conte  romanesque  de  l'autre,  lui-môme  dérivé  souvent 
des  vieux  mythes  symboliques,  à  travers  une  série  de  transformations 
diverses.  Chez  les  Grecs,  le  génie  mythique  ne  cessa  pas  de  multiplier 
ses  productions,  tantôtpopulaires  et  tantôt  savantes,  jusqu'au  VI*' siècle 
qui  précède  notre  ère,  époque  oii  la  philosophie  et  l'histoire  s'éman- 
cipant  de  la  poésie  et  de  la  tradition,  sous  la  double  influence  des 
progrès  de  la  raison  et  de  ceux  de  l'écriture,  parvinrent  à  se  créer  une 
îbrme  propre,  où  l'idée  et  le  fait,  perçus  distinctement,  trouvèrent 
enfin  dans  la  prose  leur  expression  vraie.  Et,  toutefois,  la  forme  du 
mythe  continua  d'être  employée  de  loin  en  lofn ,  en  vers  et  en  prose, 
ou  par  les  prêtres,  ou  par  des  sectaires  tels  que  les  orphiques,  ou 
môme  par  les  philosophes,  soit  qu'elle  leur  parût  atteindre  mieux  à 
la  hauteur  de  leurs  conceptions,  soit  qu'ils  voulussent  donner  à  leurs 


MYTHOLOGIE.  155 

dogmes  l'autorité  de  cette  forme  consacrée.  C'est  ce  que  fit  encore 
Platon  pour  les  pressentiments  sublimes  de  sa  morale  ou  les  spécu- 
lations transcendantes  de  sa  métaphysique  ;  c'est  ce  que  les  Alexan- 
drins appliquèrent  systématiquement  aux  découvertes  de  l'astro- 
nomie, à  la  représentation  des  phénomènes  célestes.  Chez  les  Hiridous, 
on  le  sait,  et  chez  plusieurs  autres  peu[)les  de  l'Orient  dominés  par 
la  théocratie,  jamais  ni  la  philosophie,  ni  l'histoire  surtout,  n'ont 
réussi  à  s'affranchir  complètement  du  joug  de  la  forme  mythique. 

Et  cependant,  pour  revenir  aux  Grecs,  qui,  plus  que  d'autres,  ont 
parcouru  toutes  les  phases  de  la  mythologie,  toutes  celles  de  l'esprit 
humain  ,  ils  portèrent  légèrement  ce  joug  et  se  plurent  à  le  couvrir 
de  fleurs.  Chez  eux ,  les  anciens  mythes ,  après  les  chants  épiques  dont 
ils  avaient  été  la  source,  qui  leur  avaient  donné  tant  de  développe- 
ment, de  variété,  d'éclat  extérieur,  furent  doublement  au  service 
des  autres  genres  de  poésie  issus  tour  à  tour  de  l'épopée ,  et  qui  les 
modifièrent  plus  ou  moins,  selon  leur  génie  propre  et  l'esprit  des 
temps. Des  lyriques,  comme  Stésichore,  comme  Pindare,  tout  en  respec- 
tant la  tradition  d'Homère  et  d'Hésiode,  s'en  écartèrent  plus  d'une 
fois  dans  un  but  moral  ou  religieux,  présentèrent  les  dieux  et  les 
héros  sous  des  couleurs  qui  leur  semblaient  plus  dignes  de  leur 
auguste  caractère,  et  produisirent  au  grand  jour  de  la  poésie  des 
mythes  populaires  jusque-là  restés  dans  l'ombre.  Les  poëtes  tragi- 
ques allèrent  plus  loin  :  non-seulement  ils  durent  plier  la  fable  de 
leurs  pièces  à  la  loi  de  l'intérêt  dramatique,  et  lui  donner,  de  gré 
ou  de  force,  une  péripétie,  mais  il  leur  fallut  encore,  pour  employer 
une  comparaison  bien  connue  d'Eschyle,  accommoder  au  goût  des 
Athéniens  les  reliefs  des  festins  d'Homère ,  sacrifier  à  leurs  opinions, 
à  leurs  préjugés,  pour  obtenir  leurs  applaudissements.  Toutefois, 
Eschyle  et  Sophocle,  génies  élevés,  encore  pleins  de  foi,  prirent 
moins  de  libertés  avec  la  tradition,  avec  les  dieux  mythiques  aux- 
quels ils  croyaient,  quoique  le  premier  les  entoure  d'une  auréole  mys- 
térieuse, le  second  d'une  pureté  idéale  où  perce  diversement  le 
progrès  des  idées.  Quant  à  Euripide,  poussé  par  le  besoin  d'innover 
pour  intéresser,  disciple  d'ailleurs  des  sophistes,  il  se  fait  sur  la  scène 
le  missionnaire  des  lumières  du  siècle,  et  non-seulement  il  travestit 
les  mythes  au  gréde  son  imagination,  mais  il  les  interprète  ouvertement 
dans  le  sens  de  la  philosophie  dominante.  C'est  ce  qui  le  rendait  cher 
à  Socrate  lui-môme,  et  ce  qui  le  mit,  au  contraire,  en  butte  à  la  rail- 
lerie mordante  et  patriotique  d'Aristophane,  défenseur  énergique  d'un 
passé  glorieux.  Plus  tard,  les  poëtes  d'Alexandrie,  et  à  leur  exemple 


156  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ceux  de  Rome,  sauf  dans  l'épopée,  qui,  jusqu'aux  derniers  temps,  garda 
avec  une  certaine  fidélité  le  sentiment  de  sa  mission  héréditaire,  firent 
des  inythes  l'ornement  obligé,  mais  arbitraire,  l'accessoire  enjoué,  ou 
bien  encore  la  matière  curieuse,  habilement  traitée  ou  pédantesque- 
ment  compilée,  de  leurs  élégantes,  érudites  ou  abstraites  compo- 
sitions. Il  suffit  de  comparer  Callimaque  et  Apollonius  de  Rhodes, 
Virgile  et  Ovide,  de  penser  aux  élégiaques  grecs  et  romains,  de 
nommer  l'obscur  Lycophron,  le  savant  Nonnus  de  Panopolis,  pour 
vérifier  ces  remarques. 

L'art,  de  son  côté,  l'art  proprement  dit,  s'inspirant  des  figures  divines 
et  héroïques  créées  par  le  génie  mythique,  développées  par  celui  de 
l'épopée,  parvint,  après  de  longs  efforts,  à  se  dégager  des  vieux  sym- 
boles hiératiques,  et,  subordonnant  tout  à  la  loi  du  beau,  à  révéler  dans 
la  forme  humaine,  épurée  jusqu'à  l'idéal,  la  divinité  et  ses  attributs. 
Les  temples,  les  tombeaux,  les  édifices  publics  et  privés  se  peuplèrent 
d'une  multitude  de  statues,  de  bas-reliefs,  de  peintures,  oii  les  dieux 
et  les  héros  prirent  réellement  un  corps,  où  les  scènes  de  la  mytho- 
logie apparurent  aux  regards  dans  toute  leur  variété.  Il  nest  pas  jus- 
qu'aux produits  inférieurs  de  la  plastique,  sans  parler  des  monnaies, 
des  bronzes,  des  pierres  gravées,  des  ornements  et  des  bijoux  de  toute 
sorte ,  qui ,  en  rendant  témoignage  de  la  vie  et  des  mœurs  des  anciens , 
ne  jettent  un  jour  plus  vif  encore  sur  leurs  traditions  religieuses. 
Communément,  les  artistes  demeurèrent  fidèles  à  ces  traditions,  et 
les  reproduisirent  par  les  moyens  et  dans  les  conditions  qui  leur 
étaient  propres ,  telles  que  les  poètes  les  avaient  traitées.  Il  s'ensuit 
que  les  documents  littéraires  suffisent  en  général  à  l'intelligence  des 
mythes ,  et  que  les  monuments  leur  empruntent  beaucoup  plus  de 
lumières  qu'ils  ne  sont  capables  de  leur  en  donner.  Mais,  d'une  part,  ils 
suppléent  à  ce  que  nous  avons  perdu  en  fait  d  écrits  ;  ils  nous  pré- 
sentent de  temps  en  temps  les  personnages  et  les  événements  mythi- 
ques sous  des  aspects,  avec  des  circonstances,  même  avec  des  noms 
sur  lesquels  les  auteurs  se  taisent.  D'autre  part,  il  est  difficile  de  ne 
pas  penser  que,  dans  certains  cas,  ils  sont  les  témoins  immédiats  de  la 
tradition,  surtout  pour  les  antiques  symboles  nationaux  et  pour  les  lé- 
gendes locales.  De  jour  en  jour,  les  preuves  abondent;  de  jour  en  jour, 
la  mythologie  s'enrichit  des  découvertes  de  l'archéologie  ;  et  quoiqu'il 
faille,  danj  l'étude  des  monuments  figurés,  consulter  avant  tout  les 
textes,  quoiqu'il  faille  se  tenir  sévèrement  en  garde  contre  les  sédui- 
santes mais  faciles  illusions  de  l'interprétation  livrée  à  elle-même, 
il  n'en  est  pas  moins  juste  de  reconnaître  que  l'archéologie  de  l'art, 


MYTHOLOGIE.  l67 

appliquée  à  la  mythologie,  lui  a  rendu,  dans  ces  derniers  tenfips 
surtout,  les  plus  grands  services,  et  qu  elle  peut  lui  en  rendre  de  plus 
signalés  encore. 

Mais  la  poésie  et  l'art  ne  sont  pas  les  seules  sources  de  la  con- 
naissance que  nous  pouvons  avoir  des  mythes;  ils  n'ont  pas  seuls  con- 
tribué à  les  modifier  en  les  transmettant.  Chez  les  Grecs,  nous  l'avons 
déjà  dit,  la  prose  naquit  au  VP  siècle  avant  notre  ère;  elle  naquit 
des  progrès  combinés  de  la  raison  et  de  l'écriture,  dans  la  marche 
générale  de  la  société  et  de  la  civilisation.  Au  VP  siècle  aussi  paru- 
rent la  philosophie  et  l'histoire,  sorties  du  sein  fécond  de  la  mythologie, 
mais  émancipées  par  la  réflexion,  et  presque  dès  l'abord  se  séparant 
avec  éclat  de  leur  mère  commune.  Pourtant  quelques-uns  des  pre- 
miers logographes,  tels  qu'Acusilaiis  d'Argos,  ne  firent  guère  que 
traduire  en  les  ordonnant,  les  abrégeant  et  les  dépouillant  de  leurs 
ornements  poétiques,  mais  non  pas  du  merveilleux,  les  traditions 
quelconques  déjà  recueillies  et  jusqu'à  un  certain  point  digérées  par 
l'épopée.  Successeurs  des  cycliques ,  conteurs ,  ou ,  si  l'on  veut , 
chroniqueurs  en  prose  comme  ceux-ci  en  vers ,  ils  ne  furent  au  fond 
que  des  mythographes  et  les  plus  anciens  de  tous.  Tel  ne  voulait  pas 
être  cet  illustre  Hécatée  de  Milet,  qui  prétendit  introduire  la  cri- 
tique dans  la  logographie,  commença  à  interpréter  historiquement 
les  mythes,  et  fut,  ainsi  que  nous  l'avons  nommé  ailleurs,  le  précur- 
seur d'Hérodote(l).  Ce  sont  les  logographes  qui,  revisant  et  contrôlant 
les  généalogies  épiques,  en  tirèrent  une  sorte  de  chronologie  en 
grande  partie  conjecturale;  ce  sont  eux  qui  achevèrent  de  réduire 
les  mythes  soit  divins,  soit  héroïques,  de  plus  en  plus  assimilés  à 
l'histoire,  en  un  système  qui  n'est  rien  moins  qu'historique,  et  qu'ont 
reproduit,  d'après  les  poëtes  cycliques  ou  autres  et  d'après  eux,  les 
mythographes  postérieurs.  Faut -il  s'étonner  si  des  esprits  moins 
religieux,  moins  sévères  qu'Hérodote  et  Thucydide,  si  des  historiens 
de  profession  comme  Ephore  et  Théopompe,  méconnurent  complète- 
ment, dans  la  suite,  la  notion  du  mythe,  et,  dupes  de  l'apparence, 
crurent  faire  sortir  de  ses  récits  la  véritable  histoire,  en  gardant  la 
forme  et  laissant  le  fond,  en  retranchant  l'élément  merveilleux,  en 
faisant  des  héros,  même  des  dieux  quelquefois,  des  hommes  comme 
nous,  et  suscitant  ainsi  de  vains  fantômes  de  personnes  et  d'événe- 
ments à  la  place  des  réalités  de  croyances,  de  mœurs ,  de  faits  géné- 

(1)  Ployez  dans  V Encyclopédie  des  Gens  du  Monde,  l'article  Hécatée  et  celui 
d'HÉRODOTE  ,  sans  parler  des  arUcles  Homère  et  Hésiode,  qui  peuvent  surtout  servir 
d'cclaircisâcmenls  au  présent  morceau. 


158  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

raiix,  qu'ils  furent  impuissants  à  dégager?  Faut-il  s'étonner  si  ces  tra- 
vestissements souvent  ridicules  d'un  passé  jadis  respecté  aboutirent, 
dans  la  décadence  de  la  foi ,  dans  le  progrès  du  scepticisme  et  du  maté- 
rialisme, au  système  ou  au  roman  historico-philosophiqued'Evhémère, 
qui ,  posant  en  principe  que  tous  les  dieux  sans  exception  devaient 
avoir  été  des  hommes  dans  l'origine ,  et  ne  pouvant  établir  son  asser- 
tion par  les  seules  traditions  de  la  Grèce,  imagina  un  voyage  à  l'île 
chimérique  Panchasa,  où,  suivant  lui,  existaient  des  monuments  de 
ces  hommes  déifiés?  Denys  de  Samos,  surnommé  le  cyclographe,  que 
l'on  a  confondu  longtemps  avec  le  vieux  logographe  Denys  de  Milet, 
mais  qui  fut,  selon  toute  apparence,  le  contemporain  d'Évhémère  et  un 
adepte  de  la  même  école ,  a  contribué  avec  lui  à  entraîner  le  crédule 
Diodore  de  Sicile  dans  cette  voie  aujourd'hui  décriée  de  la  mythologie 
romanesque,  où  se  sont  égarés  sur  ses  pas  tant  de  savants  hommes 
parmi  les  modernes. 

Les  philosophes,  en  général,  suivirent  une  meilleure  route  et  se 
firent  de  la  mythologie  des  notions  plus  dignes,  quoiqu'ils  aient 
péché  par  un  autre  excès ,  en  traitant  la  forme  mythique  comme  une 
pure  forme,  produit  de  la  réflexion,  en  y  méconnaissant  la  part  du 
fait ,  en  donnant  à  l'idée  une  importance  exclusive ,  et  se  méprenant 
ainsi  sur  les  simples  et  naïves  intuitions  de  la  haute  antiquité,  qu'ils 
dotèrent  gratuitement  de  leurs  spéculations  les  plus  abstraites.  Parmi 
les  premiers  sages,  tandis  que  les  uns,  tels  que  Xénophane,  Hera- 
clite etPylhagore  lui -môme,  du  point  de  vue  nouveau  de  la  raison  ^ 
proscrivaient  les  fables  symboliques  d'Homère  et  d'Hésiode,  comme 
attentatoires  à  la  morale  et  à  la  majesté  des  dieux;  d'autres,  les  Ioniens 
par  exemple,  avec  eux  Phérécyde,  Empédodc,  Parménide,  ou  trou- 
vaient dans  le  sens  caché  de  ces  fables  la  confirmation  de  leurs  propres 
hypothèses  sur  l'origine  et  le  gouvernement  du  monde,  ou,  comme 
nous  l'avons  déjà  fait  observer,  reprenant  pour  leur  propre  compte 
la  forme  consacrée  du  mythe,  lui  confiaient,  par  un  penchant  plus 
ou  moins  réfléchi ,  les  résultats  de  leurs  méditations.  Peu  à  peu 
l'interprétation  et  l'emploi  de  la  mythologie  devinrent  tout  à  fait  ar- 
bitraires; elle  dut  se  plier  successivement  à  tous  les  systèmes  philo- 
sophiques, accepter  leurs  explications,  ou  bien  leur  servir  d'organe. 
Les  stoïciens  n'y  voulurent  voir  que  de  la  physique,  et  crurent  dé- 
couvrir dans  les  poëmes  d'Homère  un  ensemble  d'allégories  de  ce 
genre;  d'autres  y  trouvèrent  de  préférence  des  allégories  morales. 
Les  néo  pythagoriciens  et  les  néo  platoniciens  y  cherchèrent  avec  plus 
de  grandeur  leurs  théories  métaphysiques,  et  se  flattèrent  en  vain  de 


MYTHOLOGIE.  l69 

raffermir  le  paganisme  ébranlé  en  élargissant  ses  bases  par  l'alliance 
de  l'éclectisme  avec  le  syncrétisme  religieux.  Le  dernier  et  triste 
fruit  de  cette  fausse  direction  donnée  à  l'interprétation  mythologique 
fut  la  secte  postérieure  des  allégoristes ,  digne  pendant,  quoiqu'on 
un  sens  opposé ,  des  Évhéméristes. 

Plus  utiles  pour  la  connaissance  et  même  pour  l'intelligence  de  la 
mythologie,  senties  mythographes  proprement  dits,  qui,  aux  épo- 
ques alexandrine  et  romaine,  compilèrent  les  mythes  d'après  les 
poëtes  de  tout  ordre  et  de  tout  âge,  les  logographes,  les  historiens  ; 
plus  précieux  encore  sont  les  débris  des  savants  commentaires ,  oii 
les  grands  critiques  d'Alexandrie  eurent  occasion  de  les  exposer  et 
de  les  expliquer.  Entre  ceux-ci  il  suffît  de  nommer  Aristarque  et 
Didyme;  parmi  les  premiers,  Apollodore,  de  la  bibliothèque  mytho- 
logique duquel  nous  avons  un  extrait  qui  nous  tient  lieu ,  jusqu'à  un 
certain  point,  de  l'original  et  de  tant  d'écrits  perdus*,  après  lui  Co- 
non,  Hygin ,  etc.  Une  mention  d'honneur  est  due  ici  à  Pausanias,  ce 
naïf  et  érudit  voyageur,  qui ,  au  temps  d'Hadrien  et  des  Antonins , 
étudia  sur  les  lieiyL  les  antiquités  de  la  Grèce,  décrivit  ses  monuments 
et  recueillit  avec  un  religieux  scrupule,  de  la  bouche  du  peuple  ou 
de  celle  des  prêtres,  ses  traditions  vivantes  encore,  sans  parler  d'une 
foule  d'écrivains  qu'il  avait  consultés  et  dont  il  cite  les  témoignages. 

On  peut  dire  sans  injustice  que  ce  qui  a  toujours  manqué  à  l'anti- 
quité, c'est  la  véritable  compréhension  de  cette  mythologie,  dont  pour- 
tant elle  se  préoccupa  jusqu'aux  derniers  temps,  et  où  elle  ne  cessa 
pas  de  soupçonner  une  grande  énigme.  Quand  régnait  la  foi  reli- 
gieuse, quand  la  vénération  pour  les  anciens  mythes  subsistait,  l'idée 
était  conçue  comme  elle  se  produisait  encore,  avec  la  forme  et  par 
elle;  elle  demeurait  identifiée  au  fait.  Quand  le  doute  fut  éveillé  par  la 
réflexion,  quand  la  raison  demanda  compte  à  la  foi  de  ses  respects 
et  de  ses  croyances,  la  forme  avait  tellement  prévalu  sur  le  fond  que 
les  meilleurs  esprits,  ceux  qui  ne  se  résignaient  point  à  prendre  les 
mythes*  au  pied  de  la  lettre,  ne  purent  y  retrouver  le  sens  primitif, 
fait  ou  idée,  et  qu'ils  se  virent  réduits  ou  à  le  nier,  en  admettant  la 
pure  fiction ,  ou  à  le  tirer  violemment  de  leurs  propres  hypothèses, 
jyiais  lorsque  se  fut  étendu  pour  les  Grecs  l'horizon  de  l'expérience, 
lorsque  leur  commerce  et  leurs  colonies  d'abord,  puis  l'expédition 
d  Alexandre. et  les  établissements  de  ses  successeurs,  enfin  leur  con- 
tact avec  Rome  et  leur  absorption  dans  son  empire,  leur  révélèrent 
l'Asie  et  l'Egypte,  l'Orient  et  l'Occident,  d'une  part  il  se  fit  un  rap- 
prochement, une  combinaison  de  dieux,  de  héros,  de  symboles  et 


160  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  fables  religieuses,  où  le  génie  de  l'hellénisme  domina  quant  à  la 
forme,  oii  au  fond  il  se  pénétra  chaque  jour  davantage  d'éléments 
étrangers;  d'autre  part,  les  hypothèses  historiques  prirent  place  à 
côté  des  hypothèses  philosophiques  dans  l'explication  de  la  mytho- 
logie. Même  avant  les  logographes,  avant  Hérodote  et  depuis,  indé- 
pendamment des  communications  plus  ou  moins  anciennes,  plus  ou 
moins  réelles ,  de  cultes  et  d'idées ,  une  multitude  de  liens  mythiques 
se  formèrent  entre  la  Grèce,  l'Egypte  et  diverses  contrées  de  la  basse 
et  de  la  haute  Asie,  venues  successivement  à  la  connaissance  des 
Grecs  et  en  relation  directe  ou  indirecte  avec  eux.  D'abord  ils  paru- 
rent vouloir  prendre  le  pas  sur  l'Orient;  ils  crurent  y  retrouver  par- 
tout la  trace  de  leurs  héros  et  de  leurs  dieux  ;  ils  les  promenèrent 
jusqu'au  fond  de  la  Thébaïdeou  même  de  l'Ethiopie,  jusque  dans  la 
Colchide  et  dans  l'Assyrie ,  dans  la  Perse  et  dans  l'Inde.  Mais  bientôt, 
soit  reconnaissance  implicite  de  la  priorité  de  l'Asie,  de  l'Egypte,  en 
fait  de  religion  et  de  civilisation,  soit  admiration  sentie  pour  la  su- 
périorité, la  grandeur  des  conceptions  symboliques  de  l'Orient  et  de 
ses  institutions  sacerdotales,  soit  besoin  de  découvrir  à  tout  prix  le 
mot  de  l'énigme  mythologique  qui  leur  avait  échappé,  de  rendre  le 
sens  et  l'idée  à  ces  formes  dont  la  beauté  plastique  ne  suffisait  plus  à 
leur  raison ,  ils  se  retirèrent  sur  le  second  plan ,  et  ils  posèrent  en 
principe  que  ces  dieux,  ces  héros,  amalgamés  déjà  en  partie  avec  les 
dieux  et  les  héros  asiatiques  et  égyptiens,  ces  mythes  helléniques 
mariés  peu  à  peu  avec  les  symboles  orientaux,  leur  étaient  parvenus 
dès  l'origine,  ou  de  l'Egypte  ou  de  la  Phénicie ,  ou  de  quelque  contrée 
encore  plus  reculée.  Alors  les  faits  et  les  idées,  les  personnes  et  les 
choses,  les  dates  et  les  pays  se  confondant  et  s'identifiant  de  plus  en 
plus  dans  cette  résurrection  systématique  de  la  mythologie,  œuvre 
mi-partie  d'érudition  et  d'enthousiasme,  qu'Alexandrie  surtout  vit 
s'opérer,  les  vieux  chantres  sacrés ,  les  prophètes  mythiques  de  la 
Thrace  et  de  la  Piérie ,  de  l'Olympe  et  de  l'Hélicon ,  durent  comme  les 
anciens  sages.  Thaïes  et  Pythagore,  mais  bien  avant  eux,  voyager 
en  Egypte  ou  dans  l'Inde,  et  puiser  à  la  source  orientale  les  dogmes 
d'une  philosophie  allégorique,  mêlée  d'éléments  fort  divers,  étroite- 
ment rattachée  aux  formes  anciennes,  et  donnée  comme  la  religion 
primitive.  Orphée,  tantôt  Égyptien,  tantôt  Thrace  ou  Grec,  Orphée, 
le  héros  d'une  secte  religieuse  qui  paraît  avoir  fait  de  très-bonne 
heure  une  tentative  analogue,  fut  érigé  en  théologien  du  paganisme 
ainsi  restauré  contre  l'assaut  du  christianisme  naissant,  et  sous  son 
nom  révéré,  dont  le  christianisme  lui-même  ne  dédaigna  pas  de 


MYTHOLOGIE.  161 

s'autoriser  dans  l'occasion,  se  multiplièrent  des  poésies  où  les  dieux, 
les  héros ,  les  mythes  et  les  symboles  retrouvèrent  un  sens  pour  les 
philosophes,  mais  ne  purent  retrouver  la  foi  des  peuples.  Toutes  ces 
combinaisons  historiques  ou  philosophiques  furent  impuissantes  à 
régénérer  l'antique  mythologie  aussi  bien  qu'à  en  surprendre  le  secret. 
En  vain,  comme  nous  l'avons  dit  déjà,  l'éclectisme  néo-platonicien 
vint  en  aide  au  syncrétisme  alexandrin ,  le  mysticisme  oriental  au 
mysticisme  grec.  Depuis  que  le  fond  et  la  forme,  l'idéal  et  le  réel 
avaient  cessé  de  se  pénétrer  réciproquement,  depuis  que  le  principe 
de  vie  qui  les  unissait  dans  la  vieille  paro/e  (le  mythe)  s'était  éva- 
noui, leur  nécessaire  alliance  ne  pouvait  se  reproduire  que  sous  l'in- 
Quenced'un  principe  supérieur,  d'un  médiateur  nouveau,  par  l'avé- 
nement  du  Verbe  fait  chair. 

Mais  il  nous  tarde  d'arriver  aux  travaux  modernes  dont  la  mytho- 
logie classique  principalement  a  été  l'objet  jusqu'à  nos  jours,  et  qui , 
par  une  analyse  à  la  fois  plus  large  et  plus  profonde  que  celle  qui 
fut  permise  aux  anciens,  l'ont  éclairée,  et  peu  à  peu  les  autres  mytho- 
logies  avec  elle,  d'une  lumière  de  plus  en  plus  vive. 

Quand  on  cherche  à  se  rendre  compte  de  la  marche  des  systèmes 
sur  la  mythologie  dans  les  temps  modernes ,  on  trouve  qu'ils  se  sont 
succédé,  sinon  dans  le  même  ordre,  au  moins  avec  les  mêmes  carac- 
tères généraux  que  les  systèmes  anciens ,  mais  sur  une  plus  vaste 
échelle  et  avec  un  notable  progrès.  Dans  la  double  préoccupation  de 
la  forme  mythique  prise  à  la  lettre  et  de  la  tradition  biblique  regardée 
comme  la  seule  histoire  véritable  du  genre  humain,  le  système  qui 
prévalut  d'abord  fut  celui  qui ,  rapprochant ,   des  personnages  et 
des  événements  supposés  de  la  mythologie ,  les  événements  et  les 
personnages  jugés  historiques  de  l'Ancien  Testament,  voulut  voir 
exclusivement  dans  ceux-là  ceux-ci  défigurés  et  altérés.  Le  savant 
Samuel  Bochart  {Plialeg  et  Canaan)  mit  une  merveilleuse  éru- 
dition philologique  au  service  de  cette  hypothèse  aujourd'hui  rui- 
née, malgré  les  efforts   récents  de  quelques   mystiques   pour   la 
relever.  L'abbé  Banier  et  bien  d'autres  chez  nous ,  l'Anglais  James 
Bryant,  en  Allemagne  Hiillmann,  et  à  quelques  égards  le  célèbre 
archéologue  Bottiger ,  peuvent  être  rangés  dans   la  même   école , 
plus  étroitement  ou  plus  largement  historique,  mais  au  fond  des 
mythes   cherchant   toujours  de  l'histoire,  soit  des  hommes,   soit 
des  institutions ,  grecque,  égyptienne ,  phénicienne    ou  autre.  Ce 
sont  les  évhéméristes  modernes,  quoique  dans  un  esprit  plus  ou  moins 
différent  de  celui  qui  animait  l'ancien  Evhémère.  Non  moins  exclusifs, 
I.  11 


162  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

mais  plus  heureusement  inspirés,  ont  été  ceux  qui,  soupçonnant 
dans  les  mythes  un  sens  caché,  et  faisant  la  distinction  de  la  forme 
et  du  fond ,  mais  les  traitant  l'une  et  l'autre  d'une  manière  complè- 
tement arbitraire,  ont  renouvelé  les  systèmes  d'interprétation  ou 
physique  ou  morale  des  anciens,  et  forment  ce  qu'on  peut  appeler 
l'école  allégorique.  A  cette  école  appartiennent  et  Noël  le  Comte,  ou 
plutôt  Conti  (Natalis  Cornes),  pour  qui  les  mythes  furent  surtout  mo- 
raux, et  le  grand  Bacon ,  qui  y  trouva  de  préférence  les  maximes  de 
la  sagesse  politique  de  l'antiquité,  et  le  Hollandais  Jacob  Tollius,  qui 
rapporta  à  la  chimie  naissante  l'histoire  fabuleuse  tout  entière,  sans 
parler  des  alchimistes  proprement  dits ,  qui  prétendirent  expliquer 
la  mythologie  par  leur  vaine  science ,  en  môme  temps  qu'ils  lui  en 
demandaient  la  clef.  Mais  l'hypothèse  qui,  dans  le  progrès  désor- 
mais assuré  de  toutes  les  connaissances  physiques  au  XVIIl''  siècle, 
et  l'invasion  d'un  esprit  philosophique  à  la  fois  sceptique  et  enthou- 
siaste ,  fut  développée  avec  le  plus  d'éclat,  accueillie  avec  le  plus  de 
faveur,  est  celle  qui,  dans  les  symboles  et  les  rites  des  cultes  an- 
ciens ,  dans  les  légendes  religieuses  et  les  récits  mythologiques  de 
tous  les  peuples,  essaya  de  montrer  l'histoire  de  la  nature  et  principa- 
lement celle  du  ciel.  L'ingénieux  abbé  Pluche  préluda  à  cette  théorie, 
que  le  savant  Dupuis,  dans  son  Origine  de  tous  les  cultes,  agrandit, 
généralisa  et  formula  en  un  système  aussi  hardi  qu'étroit,  aussi 
conséquent  que  faux,  qui  a  reçu  à  bon  droit  le  nom  de  système  as- 
tronomique, et  dont  Volney  et  d'autres,  en  le  copiant  avec  emphase 
ou  le  résumant  avec  sécheresse,  ont  encore  exagéré  les  conséquences 
matérialistes.  Dornedden,  en  Allemagne,  d'après  le  même  principe 
et  à  la  même  époque ,  mais  avec  moins  de  savoir  et  de  rigueur  que 
Dupuis,  a  cru  expliquer  par  le  calendrier  la  mythologie  et  l'art  de 
la  Grèce ,  dérivés ,  selon  lui ,  de  l'Egypte.  Tout  comme  ces  hypo- 
thèses, confondant  les  dates,  ont  transporté  dans  la  haute  anti- 
quité, et  le  zodiaque  chaldéo-grec ,  et  la  sphère  poétique  des  Alexan- 
drins, et  leurs  connaissances  relativement  récentes  en  astronomie, 
nn  auteur  de  nos  jours ,  M.  Schweigger,  a  gratifié  la  mythologie  des 
découvertes  les  plus  belles  de  la  physique  moderne,  de  celles  du  ma- 
gnétisme et  de  la  polarité  par  exemple. 

Ce  qui  manquait  également  à  tous  ces  systèmes,  qui,  s'attachant  à 
l'écorce  poétique  de  la  mythologie ,  au  fait  apparent  ou  réel,  ou  bien 
plaçant  son  essence  dans  tel  ou  tel  ordre  de  notions  et  d'idées  morales, 
politiques,  scientifiques,  arbitrairement  généralisé,  faisaient  saillir 
tour  à  tour,  à  l'exclusion  des  autres ,  un  des  éléments  divers  qui  la 


MYTHOLOGIE.  1G3 

composent ,  c'était  de  tenir  compte  du  plus  fondamental  de  tous , 
l'élément  religieux.  Telle  ne  fut  pas  l'erreur  du  grand  philologue 
Gérard  Jean  Vossius  ou  Vossius  le  père,  dans  son  livre  digne  en- 
core d'être  étudié  ,  dont  le  titre  complet  indique  le  point  de  vue  si 
étendu  et  si  élevé  pour  le  temps  :  De  Tlieologiâ  genlill  et  Physiologid 
christianâ ,  seii  de  origine  et  progressa  idololalriœ  ad  velerum  gesta  et 
rerum  naliiram  redactœ,  deqae  naturœ  mirandis,  quibas  homo  adda^ 
citur  ad  Deiim,  lib.  IX,  Amstelod.,  1G42,  1666,  etc.  Vossius  vit 
très-bien  que  la  mythologie  renferme  à  la  fois  des  faits  et  des  idées , 
mais  que  les  uns  et  les  autres  y  sont  rapportés  à  un  centre  commun, 
la  religion;  il  en  fit  la  théologie  du  polythéisme,  qu'il  dériva,  par 
une  série  de  dégradations  diQ'érentes,  selon  les  différents  cultes  païens, 
comparés  entre  eux,  du  monothéisme  des  Juifs  ou  du  seul  vrai  culte 
avant  le  Christianisme.  C'était  la  même  préoccupation  que  nous  avons 
vue  dominer  le  système  historique,  bien  plus  étroit,  de  Bochart, 
celle  que  partagèrent  Huet,  Bossuet,  et  tant  d'autres  pieux  savants 
du  XVIP  siècle;  c'est  ce  qu'on  peut  appeler  le  système  ou  l'école 
théologique,  qui  a  trouvé  jusqu'à  nos  jours  de  nombreux  partisans, 
surtout  dans  le  clergé,  rarement  d'aussi  érudits  et  d'aussi  sincères 
que  Vossius.  L'hypothèse  moderne  de  la  révélation  primitive,  faite 
aux  ancêtres  du  genre  humain ,  restreinte  depuis  dans  le  mosaïsme, 
obscurcie  successivement ,  sans  s'effacer  tout  à  fait ,  dans  les  reli- 
gions païennes,  et  reparaissant  triomphante  dans  le  Christianisme, 
n'est  qu'une  modification  de  l'ancien  système  théologique,  cherchant 
à  se  mettre  en  accord  avec  le  progrès  des  connaissances  historiques , 
et  pactisant  avec  la  philosophie. 

Avant  que  ce  système,  et  jusqu'à  un  certain  point  tous  les  autres, 
se  transformassent  dans  des  conceptions  plus  vastes  et  plus  indépen- 
dantes, où  le  véritable  esprit  philosophique  s'allierait  à  l'érudition 
historique  et  littéraire ,  il  fallait  que  la  nature  de  la  mythologie  fût 
étudiée  en  elle-même;  il  fallait  que  fût  déterminé  son  rapport  plus  ou 
moins  nécessaire,  soit  avec  le  polythéisme,  soit  avec  la  religion  en 
général.  Pour  cela ,  il  était  indispensable  qu'une  mythologie  particu- 
lière, et  de  préférence  la  mythologie  grecque,  la  plus  accessible, 
sinon  la  plus  riche  et  la  plus  parfaite  de  toutes,  fût  soumise  à  un 
examen  approfondi ,  impartial ,  exempt  de  préjugé  religieux  ou  autre. 
C'est  ce  qu'entreprit  l'école  que  nous  nommerons  philologique ,  à  la 
tête  de  laquelle  nul  ne  mérite  aussi  bien  d'être  placé  que  l'illustre 
Heyne,  pas  même  son  âpre  et  sagace  adversaire,  Jean-Henri  Voss, 
dont  les  efforts  pour  fonder  exclusivement  l'étude  de  la  mythologie 


161  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

sur  la  lettre  et  la  suite  en  quelque  sorte  matérielle  des  textes,  n'ont 
abouti  qu'à  faire  mieux  sentir  la  nécessité  d'une  critique  sévère  dans 
cette  difficile  recherche.  En  dépit  de  ses  attaques,  Heyne,  grâce  à 
l'étude  profonde  et  persévérante  qu'il  fit,  pendant  plus  de  quarante 
années  (de  1763  à  1807),  du  génie  des  Grecs ,  de  leur  langue,  de  leur 
poésie  etde  leur  histoire,  garde  l'honneur  d'avoir  le  premier  tenté  de  dé- 
finir la  nature  du  langage  mythique  ou  symbolique,  d'en  avoir  sondé  l'ori- 
gine, d'avoir  déduit  de  là  des  règles  d'interprétation,  auxquelles  il  ne 
demeura  piis  toujours  fidèle  dans  la  pratique,  ayant  donné  beaucoup 
trop  aux  explications  allégoriques  des  stoïciens.  Après  lui ,  le  spirituel 
Philippe  Butlmann  insista  de  nouveau  sur  le  caractère  essentielle- 
ment significatif  du  mythe,  le  sépara  nettement  de  la  tradition  histo- 
rique, ainsi  que  de  la  pure  fiction,  et  y  montra  une  forme  d'ex- 
pression simple  et  naïve  des  idées,  propre  aux  temps  primitifs,  et  bien 
distincte  de  ses  élaborations  poétiques,  même  les  plus  anciennes. 
Mais  de  nouveau  aussi  Buttmann  porta  son  regard  au  delà  de  l'horizon 
de  la  Grèce,  vers  l'Orient,  vers  l'Asie,  qui  lui  parut  receler  la  pre- 
mière origine  d'un  certain  nombre  de  mythes  grecs  ;  et  signalant  l'ana- 
logie, plus  encore  que  l'étymologie,  comme  un  puissant  moyen  d'in- 
terprétation ,  il  recommanda  la  comparaison  des  traditions  orientales 
et  des  Sagas  du  Nord  avec  la  mythologie  des  Hellènes.  C'est  par  là  qu'il 
s'écarte  du  système  rigoureusement  hellénique,  tel  que  Heyne  et 
Voss  l'avaient  professé  en  général,  tel  que  l'ont  adopté  et  développé 
à  leur  suite,  quoique  dans  des  voies  opposées  du  reste ,  MM.  Welc- 
ker  et  0.  Miiller  d'une  part,  Lobeck  de  l'autre,  les  deux  premiers 
se  plaçant  au  point  de  vue  symbolique  et  faisant  hautement  res- 
sortir l'élément  religieux  qui  pénètre  la  mythologie  tout  entière  ; 
l'autre  refusant  à  la  mythologie,  comme  aux  cultes  de  l'antiquité, 
toute  signification  élevée  et  sérieuse,  et  se  tenant  judaïquement, 
bien  que  savamment,  à  la  lettre,  sans  faire  acception  de  l'esprit. 

Mais  longtemps  avant  que  MM.  Welcker  et  Mûller,  avec  quelques 
différences  dont  nous  ne  tiendrons  pas  compte  en  ce  moment,  eussent 
produit  leurs  idées  sur  la  nature  de  la  mythologie  grecque ,  sur  l'ori- 
gine et  le  caractère  de  la  forme  mythique,  sur  le  lien  intime  et  nécessaire 
qui  l'unit  à  toutes  les  conceptions  de  l'esprit,  à  tous  les  sentiments 
de  l'âme,  surtout  au  sentiment  religieux,  ces  idées,  auxquelles  nous 
adhérons  presque  de  tout  point,  et  que  nous  avons  exposées  plus 
haut  telles  que  nous  les  admettons,  avaient  été  formulées  et  géné- 
ralisées par  M.  Fr.  Creuzer,  dans  la  belle  théorie  à  laquelle  nous 
nous  sommes  déjà  référé.  L'auteur  de  la  Symbolique  et  Mythologie, 


MYTHOLOGIE.  165 

publiée  pour  la  première  fois  de  1810  à  1812,  est  donc  aussi 
le  chef,  sinon  le  créateur,  de  l'école  nommée,  principalement 
d'après  son  livre  et  son  point  de  vue,  mythique  ou  symbolique; 
école,  disons-nous,  et  non  pas  système;  car  le  système  hellénique, 
le  système  théologique ,  transformé  en  oriental ,  et  le  système  allégo- 
rique ou,  si  l'on  veut,  philosophique,  représenté  aujourd'hui  par  le 
célèbre  Godefroy  Hermann ,  s'y  sont  également  donné  rendez-vous, 
en  dépit  de  la  polémique  de  ce  dernier  contre  Creuzer.  Creuzer  lui- 
même,  il  faut  le  reconnaître,  a  fait  de  son  principe,  dont  la  supério- 
rité et  la  vérité  se  trouvent  ainsi  établies,  une  sorte  d'amalgame  avec 
ces  trois  systèmes,  amalgame  que  n'avoue  pas  toujours  la  critique, 
que  les  esprits  sévères  lui  ont  vivement  reproché,  mais  qui  n'est 
peut-être  qu'une  de  ces  anticipations  hardies  que  les  esprits  élevés 
comprennent  et  qui  ont  au  moins  le  mérite  de  marquer  le  but,  si  elles 
ne  l'atteignent  pas ,  si  même  elles  se  trompent  sur  les  vrais  moyens 
de  l'atteindre.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'aborder  en  détail  cette  grande 
controverse;  mais  rien  n'empêche  que,  dans  le  progrès  ultérieur  des 
connaissances  historiques  et  philologiques,  dans  l'accord  de  plus  en 
plus  étroit  de  la  philosophie  de  l'histoire  avec  l'étude  des  antiquités  des 
peuples,  l'idée  du  développement  propre  et  local  de  la  mythologie 
grecque,  comme  de  toute  autre  mythologie  de  l'Occident,  ne  parvienne 
à  se  concilier  avec  celle  de  son  origine  orientale;  rien  n'empêche  que 
l'influence  de  la  Phénicie,  ou  de  l'Egypte,  ou  de  l'Asie  Mineure  sur 
les  cultes,  les  traditions,  l'art  de  la  Grèce  et  surtout  de  l'Étrurie,  ne 
se  vérifie,  quoique  dans  une  autre  mesure ,  par  d'autres  voies  ou  pour 
d'autres  époques  que  celles  qui  ont  été  généralement  admises  ;  rien 
n'empêche  qu'il  ne  se  forme  avec  le  temps  et  d'une  manière  légitime 
des  familles  de  mythologies,  de  religions,  comme  des  familles  de 
langues,  dont  les  racines  soient  identiques,  dont  les  flexions,  pour 
ainsi  parler,  soient  analogues,  et  qui  doivent  s'expliquer  finalement  les 
unes  par  les  autres,  quoiqu'elles  aient,  dans  leur  complète  efflores- 
cence,  un  caractère  d'originalité  relative;  rien  n'empêche  enfin  que, 
de  proche  en  proche,  et  par  la  comparaison  des  familles  mytholo- 
giques entre  elles,  une  fois  qu'elles  auront  été  profondément  étudiées 
en  elles-mêmes  et  dans  leur  immédiate  connexité ,  on  ne  soit  conduit, 
au  moins  pour  une  portion  considérable  de  notre  espèce,  à  la  pensée 
d'une  filiation  plus  générale,  d'une  source  commune  et  primitive,  soit 
des  grandes  institutions  religieuses,  soit  de  leurs  formes  symboliques 
principales,  source  qui  ne  serait  ni  le  monothéisme  hébreu,  ni  le 
monothéisme  chrétien  reporté  aux  premiers  temps  du  monde,  mais 


166  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Cette  simple  et  féconde  religion  de  la  nature ,  révélant  la  Divinité  à 
l'honinfie  par  ses  œuvres,  la  lui  montrant  dans  tout  ce  qui  l'entoure  et 
dans  lui-môme,  la  diversifiant  sans  perdre  de  vue  son  unité,  qui  est 
tout  ensemble  un  culte,  une  philosophie,  une  poésie,  et  que  l'on 
entrevolt  au  berceau  de  toutes  les  croyances  païennes,  de  tous  leà 
systèmes  religieux  comme  de  toutes  les  mythologies  de  l'antiquité^ 
depuis  l'Inde  jusqu'à  la  Grèce  et  l'Italie,  et  de  la  Scandinavie  ou  de 
U  Celtique  jusqu'à  l'Egypte,  l'Assyrie  et  là  Bactriane. 

J.  Di  GuiGNiAUT  de  Vlmiim, 


VOYAGES  ET   RECHERCHES  ARCHEOLOGIQtlES 

DE  M.  LEBAS,  MEMBRE  DE  L'INSTITUT, 

EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE, 

PENDANT  tfiS  ANNÉES  J845  ET  1844. 


TROISIÈME  RAPPORT  A  M.  LE  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE. 


ROUTE  D*ATHÊNES  A  CORINTHE  PAR  L'OUEST  DE  LA  MÉGARIDE  ;  ÉLEUTHÈRES  ET  jEGOSTHÈNES  , 
INSCRIPTIONS  IMPORTANTES;  PAG^,  AUTRES  INSCRIPTIONS  J  ŒNOÉ,  TEMPLE  DE  JUNON 
ACBiEA;   RECTIFICATIONS  GÉOGRAPHIQUES. 

Monsieur  le  Ministre, 

Peu  de  jours  avant  mon  départ  pour  le  Péloponèse,  M.  le  général 
Prokesch  d'Osten ,  avec  lequel  j'avais  déjà  si  agréablement  parcouru 
l'Attique,  me  proposa  de  faire,  de  compagnie,  route  jusqu'à  Mes- 
sène.  J'acceptai  avec  empressement  une  association  qui  ne  pouvait 
que  ra'être  agréable  et  utile. 

Comme  il  fallait  de  toute  nécessité  que  je  revinsse  à  Athènes  par 
Mégare,  nous  convînmes  de  ne  pas  pénétrer  dans  le  Péloponèse  par 
la  route  habituelle,  mais  de  faire  un  léger  circuit,  de  tourner  le  mont 
Kérata ,  de  nous  diriger  sur  Éleulhères  et  de  nous  rendre  à  Corinthe 
en  suivant  la  côte  occidentale  de  la  Mégaride. 

Éleuthères  fut  donc  notre  première  station.  Peu  de  lieux  antiques, 
monsieur  le  Ministre,  méritent  au  môme  degré  l'attention  du  voya- 
geur. Cette  place  importante,  qui  fermait  la  route  la  plus  directe  de 
Thèbes  à  Athènes,  avait  été  bâtie  par  les  Athéniens  avec  un  soin  tout 
particulier,  sur  un  immense  rocher  escarpé  de  toutes  parts,  et  situé 
entre  deux  ravins  aboutissant  tous  deux  à  un  défilé.  Une  partie  très- 
considérable  de  l'enceinte  subsiste  encore  aujourd'hui  et  ne  présente 
que  très-peu  de  solutions  de  continuité.  Toute  la  muraille  nord-est 
avec  ses  tours,  ses  murs  de  ronde,  ses  parapets  semble  dater  d'hier, 
et  se  prêterait  par  conséquent  très-facilement  à  une  restauration 
architectonique de  l'ensemble;  cette  forteresse ,  OEnoé,  Phylé,  for- 
maient pour  l'Attique  avec  les  Longs  Murs  et  Mégare  un  système  de 
défense  qu'il  serait  intéressant  d'étudier.  J'ai  déjà  fait  relever  le  plan 


168  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  Phylé;  on  connaît  la  direction  des  Longs  Murs;  on  sait  comment 
ils  se  rattachaient  à  l'enceinte  du  Pirée  ;  on  a  également,  si  je  ne  me 
trompe,  dessiné  ceux  deMégare;  il  ne  resterait  donc  plus  qu'à  s'oc- 
cuper d'Éleuthères  et  d'OEnoé.  11  faudrait  en  outre  étudier  les  routes 
qui  conduisent  de  Marathon  à  Athènes,  et  l'on  serait  alors  en  état 
de  publier  un  travail  qui  expliquerait,  d'une  manière  satisfaisante, 
plus  d'un  point  de  l'histoire  militaire  d'Athènes,  resté  obscur  jusqu'à 
ce  jour.  On  aurait  de  plus  des  éléments  importants  pour  un  travail 
non  moins  utile  :  l'histoire  de  la  fortification  militaire  chez  les  Grecs. 
Il  est  d'autant  plus  urgent  de  s'en  occuper  que  depuis  la  renais- 
sance de  la  Grèce,  depuis  que  les  villes  et  les  villages  se  rebâtissent, 
un  grand  nombre  de  ces  précieux  débris  ont  déjà  disparu  ,  et  bientôt 
ils  ne  présenteront  plus  par  conséquent  que  des  données  insuffi- 
santes. Je  me  propose,  si  le  temps  et  les  ressources  que  vous  avez 
mises  à  ma  disposition  me  le  permettent ,  de  faire  dessiner  et  mesurer 
tout  ce  que  je  trouverai,  non-seulement  d'OEnoé  et  d'Eleuthères, 
mais  des  autres  places  fortes,  tant  du  Péloponèse  que  de  la  Grèce 
centrale.  C'est  ce  que  j'ai  déjà  fait,  avec  un  soin  tout  particulier, 
pour  Messène  et  pour  le  mont  Ithôme ,  ainsi  que  j'aurai  l'occasion 
de  vous  le  dire  dans  une  des  lettres  suivantes. 

D'Eleuthères,  longeant  la  pente  méridionale  du  Cithéron,  nous 
nous  sommes  dirigés  sur  ^Egosthènes,  appelée  aujourd'hui  Porto- 
Germano,  nom  que  ce  lieu  doit,  peut-être,  à  ce  que  notre  saint 
Germain  y  a  été  l'objet  d'un  culte  particulier  à  l'époque  de  la  domi- 
nation française.  A  moitié  de  la  distance  qui  sépare  ces  deux  villes, 
à  environ  une  demi-lieue  du  village  moderne  de  Villia,  au  point  oii 
vient  aboutir  la  route  qui  monte  directement  à  Pagae ,  le  colonel 
Leake  a  retrouvé,  il  y  a  quelques  années,  dans  une  église,  une 
inscription  existant  aujourd'hui  dans  la  collection  particulière  de 
M.  Prokesch,  et  d'oii  il  résulte  que  dans  ce  lieu  même,  vallée  ver- 
doyante et  retirée,  se  trouvait  le  Mélampodéion,  sanctuaire  du  héros 
local  d'iîlgosthènes.  Je  me  propose  de  publier,  à  mon  retour,  cette 
inscription,  dont  il  est  possible  de  donner  une  restitution  plus  com- 
plète et  plus  satisfaisante  que  celle  qu'on  doit  à  M.  Leake ,  et 
d'en  faire,  avec  d'autres  encore  dont  je  vais  bientôt  vous  entretenir, 
l'objet  d'une  monographie. 

jEgosthènes,  monsieur  le  Ministre,  est  située  au  fond  d'une  baie 
que  forment,  d'une  part,  la  prolongation  occidentale  du  Cithéron  et 
de  l'autre  les  montagnes  de  la  Mégaride.  A  en  juger  par  ce  qui  reste 
de  ses  murailles,  et  il  en  reste  une  portion  considérable,  surtout  dans 


VOYAGES   EN   GRECE   ET   EN   ASIE   ^IINEURE.  169 

la  partie  qu'on  peut  envisager  comme  l'Acropole ,  elles  avaient  prin- 
cipalement pour  but  de  faire  de  cette  ville  un  obstacle  contre  une  in- 
vasion venant  de  laBéotie,  et,  sans  doute,  elles  se  rattachaient  au 
système  de  défense  propre  à  la  Mégaride.  Si  elles  ne  sont  pas  mieux 
conservées  aujourd'hui,  c'est  qu'elles  ont  été  utilisées  au  moyen  âge. 
Suivant  l'usage,  nous  avons  visité  attentivement  toutes  les  églises. 
Celle  de  la  Panagia  nous  a  offert  d'abord  cette  épitaphe  encastrée 
dans  la  façade  : 

MEAAMnOAOPA 
AXEAONO 

En  regardant  ensuite  de  plus  près,  nous  nous  sommes  aperçus  que 
sur  la  face  extérieure  de  la  pierre,  servant  de  linteau  à  la  porte,  était 
gravée,  en  caractères  très-fins  de  l'époque  macédonienne,  une  longue 
inscription  de  soixante-douze  lignes  environ  dont  quarante  au  moins 
pouvaient  se  lire  ;  et  que  sur  la  face  intérieure  il  s'en  trouvait  encore 
une  autre  un  peu  moins  étendue,  il  est  vrai,  mais  au  moins  aussi 
lisible.  La  position  de  cette  pierre  rendait  la  lecture  des  deux  monu- 
ments, surtout  du  dernier,  on  ne  peut  plus  difficile.  Comment  d'ail- 
leurs songer  à  déchiffrer  plus  de  cent  lignes,  de  trente-cinq  à  qua- 
rante lettres  chacune,  dans  le  court  espace  de  temps  dont  nous  pou- 
vions disposer;  car  il  avait  été  décidé  que  nous  irions  coucher,  le 
soir  même,  sur  les  ruines  de  Pagae.  J'ai  donc  eu  recours  à  l'estam- 
page qui  m'a  parfaitement  réussi ,  et  depuis  lors  j'ai  tenté,  dans  mes 
très-courts  instants  de  repos,  de  reproduire,  par  une  copie  fidèle,  le 
contenu  de  ces  deux  monuments.  Si  je  m'en  suis  fait  une  idée  exacte, 
la  pierre  sur  laquelle  ils  sont  gravés  devait  faire  partie  de  la  muraille 
extérieure  de  quelque  monument  public,  et  cette  muraille  elle-même 
était  comme  un  vaste  registre  où  l'on  déposait,  sans  observer  aucune 
classification  méthodique,  les  principaux  actes  de  l'autorité  ;  fait  dont 
notre  savant  confrère,  M.  Joseph-Victor  Leclerc,  a  déjà  fourni  plus 
d'un  exemple  dans  son  excellent  livre  sur  les  Journaux  des  liomains. 
Ainsi  ce  que  j'ai  pu  lire  jusqu'à  ce  jour  de  la  face  antérieure  contient 
cinq  actes  dont  deux  seulement  ont  du  rapport  entre  eux.  Le  premier 
est  un  décret  par  lequel  le  peuple  des  J^gosthénitains,  sur  la  propo- 
sition d'un  certain  Nicias,  fils  de  Dionysios,  soumise  préalablement 
au  sénat,  accorde  le  droit  de  préséance  à  la  ville  béotienne  de  Syphae, 
pour  des  preuves  constantes  de  bienveillance,  et  veut  que  tout  Syphéen 
qui  viendra  assister  aux  sacrifices  communs  jouisse  des  mêmes  avan- 
tages que  les  citoyens  d'^Egosthènes,  Ce  décret  doit  être  gravé  sur 


170  REVUE  archéologique; 

une  stèle  et  déposé ,  sans  doute  en  copie ,  dans  le  sanctuaire  de  Mé- 
lampe. 

Chose  remarquable ,  cet  acte  n'est  pas  écrit ,  comme  ceux  qui  le 
suivent,  dans  ce  dialecte  dorien  commun  dont  plusieurs  pièces  offi- 
cielles des  autres  villes  de  la  Mégaride  fournissent  des  exemples; 
mais,  autant  que  je  puis  l'affirmer,  dépourvu  que  je  suis  en  ce  mo- 
ment, au  milieu  des  rochers  de  la  Laconie,  du  seul  livre  qui  pourrait 
m'offrir  des  comparaisons,  dans  le  dialecte  béotien,  oii  V  H  rempla- 
çant AI,  on  écrivait  HrOSOENITHS  au  lieu  de  AirOSeENITAIS , 
KH  au  lieu  de  KAI ,  AEAOX0H  au  lieu  de  AEAOXeAI ,  ce  qui,  soit 
dit  en  passant,  pourrait  paraître  un  argument  en  faveur  des  gram- 
mairiens qui  ne  veulent  pas  admettre  que  H  se  soit  toujours  pro- 
noncé 1,  mais  ce  qui  prouve  en  môme  temps  que  H  n'avait  pas  la 
même  prononciation  que  AI ,  puisque  dans  d'autres  actes  on  lit  : 
Kocly  dsâo^Qociy  Aiy o(jQ ev iT àv ,  etc.;  où  2",  I  se  substituant  à  la 
diphthongue  El,  on  écrivait  EHIAH  pour  HEIAH  ,  ^YAATTI  pour 
^ÏAATTEI,  ce  qui  serait  encore  un  argument  en  faveur  de  la  môme 
cause;  011  3%  substituant  TT  à  S  on  disait  OHOTTOI  pour  OnOSOI. 
Je  me  borne  à  ces  trois  faits  entre  beaucoup  d'autres  que  je  pourrais 
citer. 

D  oii  vient  cette  différence  marquée  entre  des  actes  qui  évidem- 
ment ont  été  gravés  par  la  même  main  et  probablement  à  la  même 
époque,  ce  qui  est  incontestable  pour  les  deux  premiers?  Plusieurs 
conjectures  se  présentent  à  l'esprit.  Les  hommes  d'iEgosthènes 
avaient-ils  voulu  faire  une  politesse  à  leurs  voisins  en  employant  leur 
dialecte  dans  un  décret  dont  une  copie  devait  sans  doute  leur  être 
envoyée?  Il  est  bien  vrai  qu'il  n'est  pas  fait  mention  de  cet  envoi 
dans  l'acte  en  question,  mais  beaucoup  d'autres  monuments  du 
même  genre  autorisent  à  le  supposer.  Faut-il  au  contraire  penser 
qu'Jigosthènes ,  a  une  certaine  époque,  avait  été  réunie  à  une  con- 
fédération de  la  Béotie  et  employait  la  langue  de  ce  pays  dans  ses 
rapports  avec  les  différents  membres  de  cette  confédération  ?  Il  est 
constant,  par  le  décret  en  question,  qu'iEgosthènes ,  comme  Thèbes, 
avait  des  magistrats  désignés  sous  le  nom  de  polémarques;  d'un  autre 
côté,  il  résulte  du  troisième  et  du  quatrième  acte  de  la  face  A  et  de 
tous  ceux  de  la  face  B,  que  cette  ville  avait  pour  magistrat  suprême 
un  Archonte  qui  était  éponyme  et  dont  le  nom,  sur  les  actes  officiels, 
était  précédé  de  celui  de  Tarchonte  d'Onchestus,  Je  me  bornerai  à  un 
seul  exemple,  c'est  le  début  du  n''  2  de  la  face  B  :  ApiŒzoY.leoç  «p- 
XovToç  è[y  Oyjyridzcù  èm  de  izoXioç  K«XAiyev6[o$J.  De  ce  second  fait 


VOYAGES  EN  GRECE  ET  EN  ASIE  MINEURE.  171 

on  déduirait  encore  qu  a  l'époque  où  la  pierre  a  été  gravée  des  liens 
intimes  existaient  entre  iEgosthènes  et  l'amphictyonie  dont  la  ville 
d'Onchestus  était  le  centre. 

Le  second  décret  accorde  le  titre  àeproxène  et  de  bienfaiteur  à  un 
certain  Poli[ti]cos,  fils  de  Ménon,  habitant  de  Chaléon  (Xalzvç), 
ville  des  Locriens  Ozoles,  en  reconnaissance  des  services  qu'il  a  ren- 
dus à  la  ville  des  iEgosthénitains ,  et  cette  décision ,  comme  la  précé- 
dente, doit  être,  par  les  soins  des  polémarques,  gravée  sur  une  stèle 
et  déposée  dans  le  Mélampodéion. 

Dans  le  troisième,  on  trouve  les  noms  de  onze  éphèbes  désignés, 
selon  l'usage,  par  celai  de  leurs  pères,  et  cette  énumération ,  qui 
commence  par  ces  mots  :  rolâsè^if/i^m,  n'est  suivie  d'aucun  verbe 
qui  indique  ce  qu'ils  ont  fait,  ou  ce  qui  leur  mérite  cette  distinction. 
Le  quatrième  nous  apprend  que,  dans  l'année  où  Onasymos  était 
archonte  à  Onchestus,  Alci...,,  fils  d'ApoIlodore ,  a  été  inscrit,  sur 
quelle  liste?  dans  quelle  tribu?  C'est  ce  qu'il  faudra  examiner. 

Le  cinquième  mentionne  qu'une  pareille  inscription  est  accordée  à 
Denys,  fils  de  Pasiclès»  Les  trente-deux  lignes  suivantes  sont  horri- 
blement mutilées,  et  une  étude  très-longue,  très-difficile  et  très-fati- 
gante ne  me  conduira ,  je  le  crains  bien ,  qu'à  retrouver  quelques 
lettres  de  chaque  ligne.  Je  n'y  puis  songer  en  ce  moment. 

Je  passe  donc  à  la  face  B  qui  contient  quatre  listes  d'éphèbes 
toutes  dressées  dans  des  années  différentes.  La  première  contient  huit 
noms,  la  seconde  onze,  et  se  termine  par  ces  mots  :  tov  (twv)  onlirâtf 
èny.cc(7E  ùhovvœloç  Epéx  *  ce  qui  porterait  à  croire  que  ces  noms , 
comme  ceux  des  listes  dont  j'ai  déjà  parlé  et  de  celles  dont  je  parlerai 
plus  bas,  désignent  des  jeunes  gens  qui  ont  pris  part  à  des  jeux  so- 
lennels. Mais  alors  comment  se  fait-il  que  le  nom  du  vainqueur,  au 
combat  des  hoplites ,  ne  figure  pas  sur  cette  liste  et  soit  mentionné 
immédiatement  après?  Ce  vainqueur  appartiendrait-il  à  la  classe  des 
hommes  faits  ;  mais  alors  pourquoi  ne  donne-t-on  pas  une  liste  de 
ceux  qui  ont  combattu?  Il  y  a  là  une  difficulté  qu'un  voyageur,  éloi- 
gné de  ses  livres  et  de  tous  secours  scientifiques,  ne  peut  guère 
résoudre ,  mais  que  je  me  propose  d'examiner  dans  des  temps  plus 
favorables. 

Les  n°*  3  et  4  sont  de  même  nature  que  les  précédents,  mais 
d'une  date  différente.  Dès  que  j'aurai  le  Corpus  à  ma  disposition, 
j'examinerai  si  les  inscriptions  de  la  Béotie  présentent  quelques  faits 
analogues  et,  s'il  en  était  ainsi,  ce  serait  une  preuve  qu'^Egosthènes, 
que  tous  les  géographes  placent  dans  la  Mégaride,  a,  pendant  plu* 


172  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

sieurs  années,  à  l'époque  macédonienne,  dépendu  de  la  Béolie,  tant 
sous  le  rapport  politique  que  sous  le  rapport  religieux. 

C'est  à  des  temps  beaucoup  plus  récents  qu'appartient  l'inscrip- 
tion suivante,  découverte  récemment  par  un  paysan  de  Villia  : 

AYPHAIOIZHNLJNKAL!] 

AnOAAUJNIACYNTOlLC] 

TeKNOICKATAGYXLHN] 

TOnPONAIONTOlLC] 

GeOICeKTONIALl] 

(jjNenoiHceNC^îV:.) 

C'est-à-dire  :  Zenon  et  Apollonia,  de  la  gens  Aurélia,  ont,  avec 
leurs  enfants,  et  par  suite  d'un  vœu,  élevé,  à  leurs  frais,  ce  pronaos, 
en  Vhonneur  des  Dieux. 

Quels  Dieux  ?  Peut-être  Marc-Aurèle  et  son  frère  Vérus ,  déifiés  à 
iEgoslhènes ,  comme  Antonin,  sur  tant  d'inscriptions  de  Sparte,  ainsi 
que  j'aurai  occasion  de  le  prouver  dans  une  de  mes  prochaines 
lettres. 

Je  me  propose,  monsieur  le  Ministre ,  de  repasser  par  iEgosthènes 
lors  de  mon  voyage  en  Béotie;  les  murailles  de  celte  ville  me  parais- 
sent mériter  une  étude  attentive;  car  elles  offrent,  selon  moi,  un 
argument  en  faveur  de  l'opinion  que  j'ai  conçue  en  étudiant  les  murs 
de  Messène,  c'est  à  savoir  que  les  anciens  n'employaient  les  enceintes 
continues  que  pour  leurs  acropoles,  et  que  la  ville,  proprement  dite, 
n'était  défendue  par  des  murailles  que  sur  les  points  oii  elle  était 
directement  attaquable. 

Le  soir  môme,  nous  avons  été  chercher  un  gîte  à  Pagae,  aujour- 
d'hui Alopéko-Kampo ,  village  entièrement  abandonné.  Nous  n'y 
avons  pu  trouver  d'autre  asile  que  l'église,  sans  toit,  delaPanagia 
dont  les  murs  ne  sont,  en  grande  partie ,  que  des  fragments  de  mo- 
numents antiques  entassés  sans  art  comme  sans  mortier,  et  parmi 
lesquels  figurent  plusieurs  inscriptions.  Malheureusement  la  plus 
longue  et  la  plus  importante,  bien  qu'elle  soit  de  l'époque  romaine, 
sert  de  linteau  à  la  porte  du  sanctuaire  champêtre  et  ne  pourrait  être 
lue,  recouverte  qu'elle  est  par  des  matériaux,  qu'en  démolissant  cette 
partie  du  frêle  édifice,  sauf  à  reconstruire  ensuite.  Cette  opération 
serait  loin  d'être  difficile,  mais  elle  exigerait  cependant  au  moins  une 


VOYAGES   EN   GRÈCE   ET  EN   ASIE   MINEURE.  173 

journée  et  des  travailleurs  qu'on  ne  pourrait  trouver  qu'à  quelques 
lieues  de  là. 

Le  petit  nombre  de  monuments  écrits  que  j'ai  trouvés  dans  ce  lieu, 
quelque  courts  et  quelque  insignifiants  qu'ils  soient  en  apparence,  sont 
autant  de  chapitres  de  l'histoire  de  PagSB,  depuis  l'époque  de  la  ligue 
achéenne  jusqu'au  règne  de  Constantin.  En  effet,  un  fragment  de 
vingt-quatre  lignes  prouve  qu'à  l'époque  des  Achéens,  dont  le  nom 
revient  plus  d'une  fois  dans  ce  décret,  cette  ville  était  gouvernée  par  un 
magistrat  portant  le  titre  de  roi;  quelle  avait  un  port  désigné  sous  le 
nom  de  Panorme ,  dont  on  voit  effectivement  encore,  sur  le  bord  de 
la  mer,  quelques  traces  consistant  en  assises  et  en  colonnes  de  marbre 
blanc.  Un  tiutre  fragment  de  neuf  lignes  doit  avoir  appartenu  à  un 
décret  d'une  époque  rapprochée,  car  la  forme  des  caractères  est  à  peu 
près  la  môme.  Malheureusement  on  n'y  lit  que  les  premières  lettres 
de  neuf  lignes.  Vient  ensuite  une  épitaphe  qui  doit  être  postérieure 
d'un  siècle  : 

MENEKPATH2 
0AA2l!V10Y 

Au  premier  siècle  de  notre  ère  appartient  une  grande  colonne  fu- 
nèbre portant  : 

lENH 

lAA 

XAIPE 

et  au-dessous  une  femme  assise ,  ce  qui  prouve  que ,  sur  ces  sortes 
de  représentations,  le  personnage,  dans  cette  attitude,  n'est  pas 
toujours  le  mort. 

Il  faut  rapporter  à  la  même  époque  que  ce  monument  une  autre 
colonne  qu'un  paysan  nous  a  montrée  dans  la  vallée  au  nord  de  Pagae 
et  sur  laquelle  on  lit  : 

APIITHN 
2nTEAE02  , 
XAIPE 

Je  considère  comme  plus  récente  l'épitaphe  qui  suit  : 

nAlAMOAIE 
XPH2TE 
XAIPE 

La  dédicace  d'une  statue  d'Hercule,  élevée  gratis  par  le  Saint  Sy- 


J74  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

node  (tepàf  r7vv[o^oç]  twv  HpaHA[£i]Tc5v)  des  adorateurs  de  ce  dieu, 
doit  être,  à  en  juger,  par  la  forme  des  lettres,  d'une  époque  plus  ré- 
cente encore. 

EnOn  la  dernière ,  en  lettres  d'un  travail  grossier,  était  gravée  sur 
la  base  d'une  statue  élevée  en  l'honneur  de  l'empereur  Constance. 
Elle  est  ainsi  conçue  : 

TONKYPIONHMnNTONEni 
OANECTATONKAICAPAOA  . 
OYAAEP.KCJCTANTION 
HnOAlC 

Le  lendemain ,  nous  étions ,  à  midi,  dans  la  plaine  fertile  d'Aspro- 
Kampo,  où  les  murs  d'une  église  nous  offrirent  plusieurs  pierres  avec 
des  caractères  archaïques,  mais  dont  malheureusement  aucune  ne 
présente  un  sens ,  si  ce  n'est  celle  où  j'ai  lu  : 

H  OSTOA  ^  m  a  ma   (oç  Toâe  Gà^xoc  ) 

ce  qui  est  le  début  de  plus  d'une  inscription  métrique  relative  à  la 
dédicace  d'une  statue. 

A  dix  minutes  de  là,  au  sud-est,  on  voit,  sur  une  élévation,  une 
autre  église  avec  des  soubassements  en  assises  antiques;  c'est  évidem- 
ment dans  ce  lieu  qu'il  faut  placer  OEnoé  et  non  pas,  comme  l'ont 
fait  les  officiers  par  lesquels  a  été  dressée  la  carte  de  Grèce ,  sur  un 
rocher,  au  sud,  où  l'on  voit  un  mur  grossièrement  construit  que  les 
habitants  honorent,  fort  mal  à  propos,  du  nom  pompeux  de  PaJœo 
Kaslro,  et  qui  ne  date  probablement  que  de  la  dernière  guerre  contre 
les  Turcs. 

Le  jour  suivant,  nous  eûmes  encore  l'occasion  de  rectifier  une 
erreur  de  la  carte.  A  la  partie  la  plus  occidentale  de  la  côte  que  nous 
venions  de  suivre  se  trouve  un  promontoire,  célèbre  dans  l'antiquité, 
où  s'élevait  un  temple  consacré  à  Junon  Acraea,  et  qu'apercevaient, 
au  loin,  tous  les  navigateurs  qui  parcouraient  le  golfe  de  Corinlhe. 
Ce  temple,  dont  il  n'existe  plus  aucune  trace  certaine,  a  été  placé 
sur  la  carte  au  point  qu'occupe  aujourd'hui  l'église  d'Hagios-Nikolaos. 
Mais  de  ce  point  on  n'aurait  pu  l'apercevoir  au  loin  et  le  surnom 
d'Acrœa  n'aurait  pas  eu  de  sens.  11  me  paraît  hors  de  doute  qu'il  faut 
chercher  ce  monument  sur  un  plateau  un  peu  plus  élevé  à  600  mètres 
au  moins  en  avant,  où  j'ai  retrouvé  les  assises  du  soubassement  d'un 
temple,  orienté  de  l'est  à  l'ouest,  très-près  et  à  l'ouest  d'un  rocher 


VOYAGES  EN  GRECE  ET  EN  ASIE   MINEURE.  175 

sur  le  sommet  duquel  on  retrouve  une  citerne  antique  qui  devait  ser- 
vir aux  sacrifices  ;  un  peu  en  arrière  et  au  dessous,  on  distingue  encore 
un  terre-plein  soutenu ,  du  côté  de  la  mer,  par  un  soubassement  en 
assises  cyclopéennes  qui  formaient,  avec  les  parties  inaccessibles  du 
rocher,  l'enceinte  de  ce  lieu  vénéré. 

Quant  à  l'église  d'Hagios-Nikolaos,  qui  est  incontestablement  bâtie 
sur  l'emplacement  d'un  temple  antique,  entouré  lui  aussi  de  murs 
pélasgiques,  mais  d'une  construction  moins  belle  que  celui  dont  je 
viens  de  parler,  elle  doit  avoir  été  un  sanctuaire  de  Neptune ,  car,  à 
l'époque  oii  le  culle  chrétien  a  remplacé  le  paganisme,  saint  Nicolas 
a,  dans  plus  d'un  lieu,  détrôné  le  dieu  de  la  mer.  Du  reste,  tout  ce 
promontoire,  jusqu'au  lac  salé  qui  l'avoisine,  a  dû  être  habité  dans 
l'antiquité,  ainsi  que  le  prouvent  la  fertilité  du  lieu,  les  nombreux  dé- 
bris de  tuiles  antiques,  les  assises ,  les  citernes  taillées  dans  le  roc  vif, 
que  l'on  rencontre  sur  divers  points  de  la  route. 

Du  cap  on  se  rend,  en  cinq  heures,  à  Corinthe  oii  nous  vînmes 
coucher  le  soir.  De  cette  ville,  si  riche  autrefois,  et  qui ,  même  après 
sa  destruction  par  Mummius ,  avait  recouvré  un  certain  éclat  sous 
Auguste,  il  ne  reste  plus  aujourd'hui  qu'un  nom,  bien  que  le  gouver- 
nement grec  ait  fait  de  ce  triste  village  le  chef-lieu  d'une  province. 
Son  Acropole,  dont  nous  avons  parcouru  toutes  les  sinuosités,  n'offre 
plus  que  bien  peu  de  traces  de  l'enceinte  hellénique.  Ce  poste,  qui 
a  joué  un  si  grand  rôle  dans  toutes  les  guerres  de  la  Grèce,  n'a  plus 
aujourd'hui,  pour  garnison,  que  quatre  hommes  et  un  caporal,  et 
pour  moyen  de  défense  que  quelques  mauvais  canons  turcs  ou  véni- 
tiens encloués.  La  désolation  règne  partout  !  et  cependant  de  quelle 
importance  pourrait  être  encore  celle  ville  située  sur  deux  mers,  à 
quelques  heures  d'Athènes,  à  deux  jours  de  Constantinople  ou  de 
l'Italie  !  Espérons  qu'elle  renaîtra  de  sa  cendre  :  il  est  des  noms  qui 
ne  doivent  pas  mourir  1 

Je  suis,  avec  respect, 

Monsieur  le  Ministre» 

Votre  dévoué  serviteur, 

Ph»  Lebas. 

Gythiûm,  le  8  juillet  1843. 


INSCRIPTIONS  ROMAINES  DE  BAENA, 


Les  inscriptions  suivantes,  découvertes  en  Andalousie  au  mois 
d'août  1838  n'ont  jamais  été  publiées ,  du  moins  en  France  ;  nos  lec- 
teurs nous  sauront  gré  de  les  leur  faire  connaître. 

Des  bergers  gardant  leurs  troupeaux  au  lieu  dit  Cortijo  de  las 
Virgenes,  dépendant  du  bourg  de  Baena,  à  quelques  lieues  de  Mon- 
tilla ,  découvrirent  un  tombeau  souterrain,  voûté,  long  de  3  mètres 
environ,  large  de  2,  ayant  sous  clef  3  mètres  50  centimètres.  Le 
long  des  murs  régnait  une  corniche  saillante,  à  hauteur  d'appui, 
sur  laquelle  étaient  rangées  treize  urnes  en  pierre ,  dont  douze  por- 
taient des  inscriptions  en  beaux  caractères,  parfaitement  gravés.  Ils 
trouvèrent  encore  un  grand  vase  de  verre  dans  une  espèce  de  boîte 
en   plomb,  une   lampe,   des  fioles    et    quelques   poteries    gros- 
sières de  fabrique  romaine.  Persuadés  qu'un  pareil  lieu  devait  ren- 
fermer un  trésor,  les  bergers  le  mirent  au  pillage,  dispersèrent  les 
cendres  et  les  ossements  calcinés  que  contenaient  les  urnes,  brisè- 
rent le  vase  de  verre,  en  ouvrant  la  boîte  de  plomb,  et  n'avertirent 
de  leur  découverte  le  propriétaire  du  terrain,  M.  Don  Diego  Pineda, 
que  lorsqu'ils  se  furent  assurés  que  le  caveau  ne  contenait  aucun  objet 
en  métal  précieux.  M.  D.  Diego  Pineda  mit  les  urnes  en  sûreté  et 
recueillit  de  son  mieux  les  débris  échappés  aux  mains  sacrilèges  des 
chercheurs  de  trésor. 

Voici  les  inscriptions  : 

1.  Q.  POMPEl.  Q.  F.  SABINI 

2.  POMPEIAE.  Q.  F 

NANNAE 

3.  VELGAN 

4.  ILDRONS 
VELAVNIS  F 

5.  FABIA.  M.  F.  ANINNA 
M.  POMPEL  Q.  F 


INSCRIPTIONS   ROMAINES   DE    BÀENA,  177 

6.  CN.  POMPEIVS.  CN.   F 
GAL.  AFER.  AED 

11  VIR 

7.  M. POMPEIVS  Q.  F.  ICSTNIS 
llVm.  PRIMVS.  DE  FAMILIA 

POMPEIA 

8.  IGALGHIS.  ILDRONS.  F 

9.  Q.   POMPEIVS.  Q.  F 

VELAVNIS 

10.  IVNIA.  L.  F 

INSGHANA 

11.  SISEANBAHAN 

NONIS.  F 

12.  GRACCHI 

Nous  rapportons  les  inscriptions  dans  l'ordre  qu'elles  ont  sur  la 
copie  qui  nous  a  été  envoyée  de  Baena  ;  il  est  plus  que  probable  que 
telle  n'était  point  la  disposition  originelle  des  urnes  dans  le  tombeau. 
Leur  déplacement  est  regrettable ,  car  l'arrangement  primitif  aurait 
pu  fournir  quelques  indications  sur  les  rapports  de  parenté  ou  d'al- 
liance existant  entre  les  treize  individus  réunis  ainsi  dans  une  sépul- 
ture commune;  nous  essaierons  tout  à  l'heure  d'y  suppléer  par  nos 
conjectures. 

Remarquons  d'abord  que  dans  les  douze  urnes,  portant  des  in- 
scriptions, il  n'y  en  a  pas  une  seule  qui  renferme  les  restes  d'un 
affranchi.  Cette  particularité  distingue  ce  tombeau  de  la  plupart 
des  sépultures  romaines,  et,  à  notre  avis,  est  un  indice  qu'il  a  été 
construit  à  une  époque  où  l'Espagne  n'avait  point  encore  adopté 
complètement  les  usages  de  Rome.  Le  mélange  de  noms  latins, 
carthaginois  et  espagnols  vient  confirmer  d'ailleurs  cette  présomption. 

Dans  toutes  les  provinces  de  l'empire,  les  habitants  barbares  pri- 
rent de  bonne  heure  des  patrons  parmi  les  conquérants  et  adoptèrent 
leurs  noms ,  empressés  de  faire  oublier  leur  origine  et  de  s'affilier 
à  la  nation  souveraine.  La  naturalisation  entraînait  toujours  pour  le 
barbare  un  changement  de  nom;  le  patronage  seul  d'un  Romain 
illustre  avait  le  môme  résultat  :  on  est  en  droit  de  le  supposer ,  en 
I.  12 


178        '  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

voyant  sur  des  médailles  gauloises  des  chefs  protégés  qui  portent  le 
nom  de  JuUos  (l).  Lors  donc  que  dans  une  inscription,  à  un  nom 
purement  romain,  se  trouve  joint  un  surnom  barbare,  et  surtout, 
lorsqu après  le  nom  romain  d'un  personnage,  se  lit  le  nom  barbare 
de  son  père,  on  peut  en  conclure  avec  vraisemblance  que  peu  avant 
lepoque  où  l'inscription  a  été  tracée,  ce  personnage  a  été  naturalisé 
ou  bien  est  entré  dans  une  clientèle  romaine,  et,  dans  certains  cas, 
que  le  pays  auquel  il  appartient,  est  passé,  en  même  temps  que  lui, 
sous  l'influence  de  la  civilisation  de  Rome.  Que  si  le  nom  romain  est 
précisément  celui  du  magistrat  de  la  République  qui  a  subjugué  ou 
gouverné  le  pays  auquel  l'inscription  se  rapporte,  c'est  une  forte 
présomption  pour  croire  qu'elle  remonte  à  une  époque  peu  posté- 
rieure au  gouvernement  de  ce  magistrat.  Faisons  l'application 
de  la  règle  que  nous  venons  de  poser  à  l'inscription  de  l'arc  de 
Saintes,  laquelle  ayant  une  date  certaine  (le  quatrième  consulat  de 
Tibère)  ne  peut  nous  égarer.  La  dédicace  du  monument  est  faite  par 
un  magistrat  portant  le  prénom  et  le  nom  du  conquérant  de  la 
Gaule ,  et  un  surnom  latin.  Son  père  et  son  grand-père  avaient  les 
mêmes  noms  et  prénoms,  mais  des  surnoms  gaulois.  Enfin,  son 
bisaïeul  n'avait  qu'un  nom  gaulois. 

C.  IVLÏVS.  C.  IVLI.  OTTVANEVNL  F.  RVFVS.  C.  IVLL 
GEDEDMONIS  NEPOS.    EPOTSOROVIDL    PRONEPOS....  etc. 

On  voit,  au  premier  coup  d'œil,  que  la  famille  de  Julius  Rufus 
était  entrée  dans  une  clientèle  romaine ,  deux  générations  avant  lui  ; 
que  son  auteur,  Épotsorovide,  est  demeuré  barbare,  et  que  le  fils 
de  ce  dernier,  Gededmon  a  obtenu  de  César  le  droit  de  cité  romaine , 
ou  du  moins  qu'il  a  été  son  protégé. 

Nous  allons,  maintenant,  rechercher  dans  les  inscriptions  deBaena 
des  indications  analogues  à  celles  dont  nous  venons  de  constater 
la  valeur.  La  cause  qui  a  multiplié  les  Jules  dans  toute  la  Gaule  a  dû 
répandre  en  Espagne  le  nom  de  Pompée.  Obligés  de  se  choisir  un  pro- 
tecteur à  Rome,  les  Barbares  préféraient  avec  raison  le  plus  puissant, 
et  tel  était  à  leurs  yeux  celui  qui  les  avait  vaincus,  ou  qui  les  gou- 
vernait. Le  vainqueur,  de  son  côté,  surtout  dans  les  derniers  temps 
de  la  République ,  accordait  facilement  son  patronage  aux  chefs  bar- 
Ci)  Duratius ,  chef  des  Pictons,  et  un  certain  Togirix  qui  n'est  connu  que  par 
des  monuments  numismatiques. 


INSCRIPTIONS  JlOMAmES  P?  PAENA.  179 

bares  :  c'étaient  autant  de  soldats  dévoués  pour  le  cas ,  toujours  pro- 
bable ,  d'une  guerre  civile. 

Tous  les  noms  ronnains  inscrits  sur  les  urnes  de  Baena  appartiennent 
à  des  familles  illustres,  dont  quelques  membres,  par  une  coïnci- 
dence remarquable  ,  ont  exercé  une  influence  politique  en  Espagne, 
pendant  une  période  de  temps  antérieure  à  la  complète  soumission 
de  cette  province,  On  remarque  cinq  Pompée,  dont  deux  ont  des 
surnoms  purement  romains;  ce  sont  vraisemblablement  les  plus  mo- 
dernes. Vient  ensuite  une  Fabia  Aninna  (n°  5)  dont  le  nom  rappelle 
celui  de  Q.  Fabius  Maxiraus,  lieutenant  de  César  ej^  Espagne.  Il  faut 
remonter  plus  haut  pour  trouver  l'origine  du  nom  de  Jania  Insghana , 
(n°  10).  Tite-Live  nous  fait  connaître  deux  membres  de  la  famille 
Junia,  qui  ont  tous  les  deux  commandé  en  Espagne  :  le  premier, 
M.  Junius  Sllanus ,  lieutenant  de  Scipion  en  l'an  de  Rome  545  ;  le  se- 
cond, M.  Janias  Pennus,  prêteur  en  579.  Mais  le  nom  le  plus  extraor- 
dinaire à  rencontrer,  c'est  celui  de  Gracclms  (n^  12).  On  sait,  en 
effet,  que  ce  nom,  ou  plutôt  ce  surnom,  s'éteignit  avec  les  deux  fa- 
meux tribuns  Tiberius  et  Caïus.  Pour  expliquer  sa  présence  dans 
une  inscription  espagnole,  il  faut  admettre  qu'il  ait  été  introduit 
dans  la  Péninsule  ibérique,  par  le  patronage,  soit  de  Tiberius,  ques- 
teur dans  la  guerre  de  Numance ,  soit  de  son  père ,  préteur  quelques 
années  auparavant,  dans  la  guerre  contre  les  Celtibériens.  On  peut 
inférer  de  ce  qui  précède  que  le  tombeau  de  Baena  aurait  été  con- 
struit à  une  époque  postérieure  à  la  guerre  civile  de  Pompée  et  de 
César,  et  probablement  une  ou  deux  générations  après  cette  lutte 
mémorable. 

Une  dernière  considération  peut  encore  servir  à  confirmer  la  date 
à  laquelle  nous  a  conduits  le  rapprochement  des  noms  romains  et 
barbares.  Nos  lecteurs  ont  remarqué  la  formule  très-singulière, 
qui  se  lit  sur  l'urne  n''  7.  Nous  traduisons  ainsi  :  Marcus  Pompeius 
Icstnis  (nous  reviendrons  sur  ce  surnom)  fils  de  Quintus,  de  la  tribu 
Galeria,  le  premier  de  la  famille  Pompeïa  qui  ait  été  daumvir.  On  a 
quelque  peine  à  s'empêcher  de  sourire  à  cette  remarque  naïve,  oii  le 
nom  de  Pompée  se  trouve  associé  à  l'ambition  du  magistrat  d'une 
ville  de  province ,  Munda  suivant  toute  apparence ,  car  Montilla  qui 
occupe  l'emplacement  de  Munda  est  voisine  de  Baena  (1).  Il  peut 
paraître  étrange  qu'un  homme  prenne  soin  d'apprendre  à  la  postérité 


(1)  y.  Diccionario  geograflco-historico  de  la  Espana  antigua ,  por  dom  Mi- 
guel Cortès  y  Lopez ,  tomo  Ul ,  Munda  Bcelria. 


180  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

que  les  honneurs  municipaux  sont  nouveaux  dans  sa  famille.  Cette 
modestie  ou  cet  orgueil ,  si  l'on  veut ,  ne  se  rencontre  pas  d'ordinaire 
chez  les  Anciens.  On  peut  soupçonner  une  énigme;  voici  l'explica- 
tion que  nous  en  proposerions.  Après  les  victoires  de  César  et  d'Au- 
guste ,  la  clientèle  de  la  famille  Pompeïa  dut  cesser  d'être  un  titre  à  la 
faveur  des  magistrats  romains.  11  fallut  que  Sextus,  le  dernier  des 
Pompées,  fût  anéanti  avec  toute  sa  faction,  pour  que  ce  nom  illustre 
cessât  d'être  un  obstacle  pour  parvenir  aux  honneurs  dans  une  pro- 
vince longtemps  agitée  par  la  guerre  civile.  Cette  espèce  de  réproba- 
tion ne  dut  cesser  que  sous  Auguste ,  lorsque  l'empire  jouit  enfin 
d'une  complète  paix.  L'inscription,  alors,  au  lieu  d'être  offensante 
pour  les  aïeux  de  Poinpeias  lestais ,  marquerait  seulament  d'une  ma- 
nière détournée  qu'on  avait  rendu  tardivement  justice  à  sa  maison.  Si 
l'on  voulait  se  lancer  plus  avant  dans  le  champ  des  hypothèses ,  ne 
pourrait-on  pas  supposer  que  M.  Pompeius  Icslnis  dut  les  honneurs 
municipaux  à  son  mariage  avec  Fabia  Aninna,  dont  la  famille,  par 
le  patronage  d'un  lieutenant  de  César,  donnait  des  garanties  au  parti 
vainqueur?  Quelle  que  soit  la  valeur  de  cette  dernière  conjecture, 
en  réunissant  les  observations  qui  précèdent,  on  peut,  avec  beaucoup 
de  probabilité,  placer  la  date  des  inscriptions  de  Baena,  soit  à  la  fin 
de  l'empire  d'Auguste,  soit  au  commencement  du  règne  de  Tibère. 

Les  rapports  de  l'Espagne  méridionale  avec  l'Afrique  furent  tou- 
jours si  fréquents,  que  personne  ne  sera  surpris  de  voir  un  nom  car- 
thaginois sur  l'urne  (n"  11),  Siseanba,  fils  ou  fille  de  Hannon. 
J'ignore  si  ce  nom  de  Siseanba  est  espagnol  ou  punique.  Le  surnom 
d'Afer  donné  à  un  Cneïus  Pompée  (n°  6)  prouve,  d'ailleurs,  que  la 
famille  à  laquelle  appartenait  le  tombeau  comptait  des  Africains 
parmi  ses  membres. 

Nous  avons  promis  de  revenir  sur  le  surnom  bizarre  de  Icstniy,  Il 
est  probable  qu'un  tel  groupe  de  lettres  ne  forme  un  mot  dans  au- 
cune langue,  car  on  ne  saurait  le  prononcer;  suivant  toute  appa- 
rence, des  voyelles  ont  été  omises  dans  l'écriture,  suivant  l'usage 
des  Phéniciens,  imité  par  les  Celtibériens ,  autant  qu'on  en  peut 
juger  par  quelques-unes  de  leurs  médailles  (1).  Alors,  peut-être,  fau- 
drait-il cbercher  dans  Icslnis ,  un  surnom  dérivé  d'Icosiam,  ville  de  la 
Mauritanie,  dont  Pline  nomme  les  habitants  :  Icosilani,  11  y  avait  en- 
core en  Espagne  une  ville  d^Iclosia  dont  l'emplacement  n'est  point 
connu  avec  certitude,  mais  que  la  plupart  des  géographes  croient 
être  la  même  que  Octogesa,  au  confluent  de  la  Sègre  et  de  l'Èbre. 

(1)  Par  exemple  :  Clsa ,  pour  Celsa ,  Csa,  pour  Cissa, 


INSCRIPTIONS  ROMAINES  DE  BAENA.  181 

Tâchons  maintenant  d'indiquer  les  liens  de  parenté  ou  d'alliance 
qui  ont  pu  exister  entre  les  individus  rassemblés  dans  le  caveau  de 
Baena. 

Le  chef  de  la  fiimille  paraît  être  lidro  ou  Ildron,  fils  de  Velamis 
(n°  4);  mais  ce  Velaunis  pourrait  bien  être  le  même  que  Velgan 
(n"  3).  La  difficulté  de  transcrire  en  lettres  romaines  des  noms  bar- 
bares expliquerait  jusqu'à  un  certain  point  la  différence  dans  l'ortho- 
graphe des  deux  inscriptions. 

Vient  ensuite  Igalghis ,  fils  d'IIdron  (  n°  8). 

Puis ,  il  y  a  nécessairement  une  lacune  ;  la  famille  de  Velaunis  et 
d'IIdron  adopte  le  nom  romain  de  Pompée  ;  un  de  ses  membres  a  le 
prénom  de  Qainlus.  Ce  Quintus  n'est  point  renfermé  dans  le  tombeau 
commun.  Nous  pensons,  cependant,  que  le  surnom  de  Velaunis,  que 
porte  son  fils  (n°  9),  établit  suffisamment  son  origine  commune  avec 
les  précédents.  —  Le  même  Quintus  a  une  fille  nommé  Pompeia 
Nanna  (  n''  2). 

De  Pompée  Velaunis,  ou  de  son  père,  Quintus  Pompée....  se- 
raient fils  ; 

M.  Pomjjeius  Icstnis  (n*»  7),  marié  a  Fabia  Aninna  (n°  5)  et  Q. 
Pompeius  Sabinus  (n°  1  ). 

Quant  aux  autres  noms,  il  nous  paraît  impossible  de  les  rattacher 
avec  certitude  aux  précédents. 

Nous  joignons  ici  un  fragment  d'inscription  gravé  sur  pierre,  et 
trouvé  plusieurs  mois  après  la  découverte  du  tombeau ,  dans  le  voisi- 
nage du  Corlijo  de  las  Virgenes, 


Q.    MVMMIO 
I.    F.  GAL 
GALL  0  P 
VIR.  D.  L. 


P.  Mérimée  ,  de  V Institut, 


DECOUVERTE  DE  DEUX  COLONNES  MILLIAIRES 

SUR  LA  FRONTIÈRE   Dt)  MAROC. 


M.  Letronne  nous  communique  une  lettre  qu'il  a  reçue  de  son 
ami  M.  le  chef  d'escadron  Cailler,  aide  de  camp  de  M.  le  Maréchal, 
Ministre  de  la  guerre.  Nous  en  extrayons  les  passages  suivants, 
auxquels  M.  Letronne  a  joint  quelques  observations. 


Au  camp  de  Lalla-Magrenia ,  le  2  mai  1844, 


((  Il  faut  bien  commencer  par  vous  dire  oii  est  situé  le  lieu  d'oii  je 
vous  écris,  car  je  doute  fort  que  ce  nom  obscur  et  sans  importance 
soit  arrivé  jusqu'à  vous.  Lalla-Magrenia  est  le  nom  d'une  musulmane 
révérée  à  qui  on  a  élevé  un  de  ces  monuments  en  coupole  que  nous 
appelons  marabout,  bien  que  le  mot  marabout  (attaché  à  Dieu)  s'ap- 
plique à  l'individu  et  non  à  l'édifice.  La  pieuse  musulmane  à  qui  on 
a  rendu  cet  honneur,  de  couvrir  ses  cendres  d'un  monument  en  cou- 
pole ,  donna  son  nom  au  lieu  où  nous  sommes  campés.  Notre  pré- 
sence ici  a  pour  but  de  créer  un  établissement  militaire  pour  observer 
la  frontière  du  Maroc  et  pour  maintenir  dans  la  soumission  les  tribus 
remuantes  de  l'ouest.  Cette  position,  à  4  ou  5  lieues  de  la  frontière 
et  à  9  ou  10  lieues  en  ligne  droite  à  l'ouest  de  Tlemcen,  a  été  occupée 
par  les  Romains,  qui,  comme  nous,  avaient  sans  doute  eu  besoin  d'un 
poste  militaire  pour  maintenir  cette  grande  plaine  des  Angades,  que 
les  cartes  appellent  à  tort  Désert.  Nous  nous  établissons  sur  le  lieu 
même  oii  les  Romains  avaient  construit  leur  prœsidium  ;  c'est  presque 
toujours  ce  que  l'on  a  de  mieux  à  faire,  car  messieurs  les  Romains 
s'entendaient  parfaitement  à  occuper  les  positions.  Lemplacement  était 
facile  à  reconnaître  par  son  relief  et  sa  régularité  ;  il  est  circonscrit  par 
une  enceinte  triangulaire  de  250  mètres  sur  225.  Le  mur  est  en 
maçonnerie  de  grès ,  sans  chaux;  il  a  1"50  d'épaisseur.  Tout  l'inté- 
rieur est  encombré  de  ruines  ;  mais  à  part  quelques  voûtes  en  vous- 
soirs,  on  ne  trouve  que  des  traces  de  maçonnerie.  Vous  vous  deman- 


DÉCOUVERTE  DE  DEUX  COLONNES  MILUAIRES,  183 

dez  sans  doute  à  quoi  bon  tous  ces  détails;  je  ne  suis  pas,  en  effet, 
de  la  commission  des  inscriptions  latines;  mais  tout  ceci  est  cepen- 
dant  pour  arriver  à  vous  donner  une  inscription  et  les  documents  qui 
m  ont  paru  devoir  l'accompagner.  En  creusant  en  dedans  de  l'en- 
ceinte, on  a  trouvé  debout,  et  en  face  l'une  de  lautre,  deux  longues 
pierres  étroites  en  forme  de  bornes  railliaires,  portant  chacune  l'in- 
scription suivante  : 

IMCAE  

M.  ARELIVS  

IIV  IIV 

FELIX,  m.  P.P. Rç Divi  A  m.  P.P.  COS 

MAGNI.  ANTONI  VI  MAGNI 

NI.  FILIVS.  DIVI  ANTONINI 

SEVERI.  NEPOS  FILIVS  DIV 

MIL.  N0\^..  POS  VERI  NEPOS 

SVIT.  PER.  T.  AELÏ  MIL.  NOW  POSVIT 

VM.  DECRIANVM  PER.  T.  AELIVM 

PROC.  SVVM  ^  DECRIA  VM 

A.  N.  SEVERIA  PROC  SVVM 

NVM A.  N.  SEVERIA 

NVM 

SYR  

SYR 

JVPII  MPIII 

Je  vous  donnerai  les  deux  copies  comme  je  les  ai  prises  hier  ;  elles 
se  complètent  l'une  l'autre,  et  diffèrent  par  le  chiffre  de  la  fln.  Vous 
reconnaîtrez  les  lignes  effacées  à  dessein,  comme  il  arrive  souvent. 
L'inscription  me  paraît  bien  claire  jusqu'à  svvm*.  Mais  les  lettres 
A.N  et  le  mot  severianum  se  liaient  sans  doute  à  ce  qui  suivait  et  qui 
a  été  effacé.  Le  mot  syr,  parfaitement  distinct  sur  les  deux  pierres  et 
isolé,  serait-il  le  nom  du  lieu?  Je  ne  saurais  mieux  m'adresser  qu'à 
vous  pour  avoir  les  éclaircissements  nécessaires.  Écrivez-moi  donc 
quelques  lignes  sur  cette  inscription ,  et  dites-moi  si  elle  a  quelque 
intérêt  pour  les  savants;  je  serai  alors  heureux  de  vous  l'avoir  com- 
muniquée, et  d'être  sans  doute  le  premier  à  la  faire  connaître.  On 
n'a  trouvé  que  deux  médailles  en  bronze,  l'une  d'Hadrien ,  l'autre  de 
Faustine.  On  a  trouvé  aussi  un  petit  cavalier  en  bronze,  lançant 
quelque  chose  de  la  main  droite;  c'est  un  travail  assez  grossier; 

c'était  sans  doute  une  espèce  d'amulette » 

Callie». 


184  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

OBSERVATIONS. 

Je  propose  de  lire  de  cette  façon  le  texte  qui  résulte  des  deux 
copies  ; 

Implerator]  M[arcus~\  Aurelius  [Antoninus  P]ius  Félix  Ang[iistas] 
P[ater]  P[atnœ]  Magni  Anlonini  FUiaSy  Divi  Sei^eri  Nepos,  Mil[iaria] 

Nom  posuit  per  T[iUim]  Aeliam  Decriamm  Proc[uratorem^  suum 

Severianum  [LegaUim  Imperatoris  Augusli  Anlonini] M[ilia] 

Plassuuïïi]  H  aut  IIL 

Les  qualifications  de  magni  antonini  ftlivs  et  de  nivi  severi 
NEPOS  ne  peuvent  convenir  qu'aux  deux  empereurs  Iléliogahale  et 
Alexandre  Séçère.  D'un  autre  côté ,  les  titres  de  pivs,  feux  et  pater 
PATR1.E,  ayant  été  portés  également  par  ces  deux  princes,  il  n'y 
aurait,  dans  l'inscription  même  aucun  motif  pour  se  décider  entre 
l'un  et  l'autre,  sans  une  circonstance  qui,  à  ce  qu'il  me  semble,  ne 
permet  aucun  doute;  c'est  que,  sur  l'une  des  colonnes  milliaires  le 
nom  du  prince  contenu  dans  la  troisième  ligne,  et  sur  l'autre,  les 
trois  premières  lignes,  ont  été  effacées  à  dessein,  selon  le  rapport  de 
M.  Callier.  Cette  circonstance  ne  peut  guère  s'appliquer  qu'à  Hé- 
liogabale,  dont  le  nom  fut  effacé  des  monuments,  par  un  décret 
du  sénat,  au  témoignage  de  Lampride  (l)  :  Nomen  ejus  crasum 
esly  senalii  juhente ;  et,  en  effet,  plusieurs  inscriptions  relatives  à  ce 
prince  ont  déjà  montré  que  ce  décret  fut  assez  fidèlement  exécuté , 
tant  en  Italie  qu'en  Sicile  (2).  Ce  nouvel  exemple  atteste  que  l'exé- 
cution du  décret  fut  poursuivie  jusqu'à  l'extrémité  de  l'empire,  comme 
l'avait  été  celle  d'un  semblable  décret  relatif  à  Commode  (3). 

La  date  de  l'inscription  peut  même  être  déterminée  avec  une 
approximation  assez  grande ,  au  moyen  du  mot  cos  (4)  qui  n'était 
suivi  d'aucun  chiffre ,  ce  qui  est  évident  sur  la  première  borne  où  cos 
est  suivi  immédiatement  de  divi.  On  sait  qu'Héliogabale  s'appropria 
le  consulat  de  Macrin,  qui  périt  le  8  juin  218  de  notre  ère  ;  c'est-à- 
dire  qu'il  substitua  son  propre  consulat  à  celui  de  son  prédécesseur , 

(1)  In  Heliogahal.  §.  17. 

{2j  Orelli,  Inscr.  sclcct.,  n"  949,  1869. 

(3)  p^.  mon  Recueil  des  Inscript,  grecques  et  latines  de  l'Egypte,  1. 1,  p.  441. 

(4)  On  remarquera  les  siglcs  Çj  pour  COS  et  )^  pour  AVG.  qui  ne  sont  pas 
communes. 


DÉCOUVERTE  DE   DEUX   COLONNES  MILLI AIRES.  185 

au  lieu  de  le  continuer,  selon  l'usage,  pendant  tout  le  cours  de 
Fannéa  commencée  (1  ). 

Ainsi  la  date  des  deux  bornes  milliaires  se  renferme  dans  la  seconde 
moitié  de  l'an  218  de  notre  ère;  et,  comme  il  a  dû  s'écouler  un  cer- 
tain laps  de  temps  entre  l'avènement  d'Héliogabale  à  Antioche,  et 
l'exécution  de  l'ordre  de  réparer  les  colonnes  milliaires  à  l'extrémité 
de  la  Mauritanie  césarienne ,  la  date  peut  se  placer  dans  les  quatre 
derniers  mois  de  cette  année. 

A  la  fin  des  deux  inscriptions ,  la  partie  effacée  est  la  même  ;  il  n'y 
a  pas  une  lettre  de  plus  ni  de  moins  sur  l'une  et  l'autre.  M.  Callier 
ue  s'est  donc  pas  trompé  en  disant  que  cette  partie  avait  été  aussi 
effacée  à  dessein.  Car  si  la  mutilation  était  due  seulement  à  l'action 
du  temps,  on  y  remarquerait  quelque  différence.  On  doit  donc  pré- 
sumer qu'après  Seçerianum  (2),  se  trouvait  exprimée  quelque  autre 
circonstance  qu'on  avait  des  motifs  d'envelopper  dans  la  même 
proscription. 

C'est  ce  qui  m'a  fait  conjecturer  que  ce  Severianus  devait  porter 
le  titre  de  Legatas  Aiigiisti,  dont  la  présence  serait  ici  d'autant  plus 
naturelle,  comme  celle  du  Procurator  Cœsaris,  que  la  Césarienne 
était  une  province  impériale.  Ce  titre  ainsi  que  nous  le  mon- 
trent beaucoup  d'exemples,  étant  ordinairement  suivi  du  nom  répété 
de  l'empereur,  il  devait  y  avoir  leg.  imp.  avg.  antoxini;  ce  qui 
explique  assez  bien  pourquoi  les  deux  lignes  de  la  fin  ont  été  effacées 
comme  celle  du  commencement. 

Je  ne  sais  pas  d'oii  proviennent  les  lettres  syr,  bien  distinctes  sur 
les  deux  pierres.  On  s'attendrait  à  trouver  là,  selon  l'usage,  la  mention 
expresse  des  deux  points  extrêmes  de  la  route,  qu'on  avait  réparée  ou 
dont  on  avait  refait  les  milliaires,  comme  par  exemple  sur  une  pierre 
de  Nicée  : . . . .  Viam  ah  Apamea  adNiceam  coUapsam  vetastate  reslilaen- 
dam  curant, per  C.  J.  Aquilam,  procuralorem  suum  (3).  Dans  ce  cas, 
les  lettres  syk  pourraient  être  le  reste  d'un  nom  local  qui  n'a  pas  été 
conservé  ;  mais  j'en  doute  encore,  parce  que  la  place  manque  pour  un 
supplément  semblable  entre  la  ligne  effacée  et  les  lettres  syr  qui 
semblent  avoir  fait  partie  du  titre  précédent.  Ces  lettres  paraissent 
trop  distinctes  pour  que  tout  changement  ne  soit  pas  arbitraire. 

J'ai  demandé  à  M.  le  commandant  Callier  une  empreinte.  En 

(1)  Dio  Cassius  ,  lxxix  ,  2. 

(2j  Je  ne  sais  trop  que  faire  des  deux  lettres  A.  N.  séparées  par  un  point  sur  les 
deux  inscriptions. 

(3)  Vidua,  Inscr.  anliq.  Tab.  iv.  —  Journal  des  Savants,  1827,  p.  18.— .Bockh, 
Corp.  Inscr.,  n»  3743. 


186  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

attendant  qu'on  Tait  sous  les  yeux,  il  convient  de  s'abstenir  sur  ce 
point. 

Quant  au  miliaria  nom  posuit,  formule  que  je  n'ai  pas  trouvée 
ailleurs,  elle  doit  être  synonyme  de  miliaria  renovaçit  (l)  ou  bien  de 
miliaria  velustale  conlapsa  resdtui  jussit ,  qu'on  trouve  dans  d'autres 
inscriptions  analogues  (2).  J'ai  d'abord  pensé  que  cela  signifie  qu'on 
a  élevé  des  bornes  milliaires  dans  une  partie  de  la  route  déjà  faite 
[slrala]  mais  non  encore  divisée  par  milles  [miliariis  disdncta);  mais 
il  me  semble  qu'en  ce  cas  on  aurait  dit  seulement  miliaria  posuit  ou 
ponijussit,  et  non  pas  mî/tana  nova  posuit. 

Le  lieu  où  ces  colonnes  milliaires  ont  été  trouvées  donne  un 
certain  intérêt  à  cette  découverte  ;  c'est  un prœsidiam  ou  campement, 
placé,  dit  M.  Callier,  à  9  ou  10  lieues  (36  à  40  kilomètres),  en 
ligne  droite  à  l'ouest  de  Tlemcen,  par  conséquent  tout  près  des  fron- 
tières actuelles  du  Maroc;  il  doit  se  trouver  également  sur  la  lisière 
même  de  la  Mauritanie  césarienne,  et  correspondre,  soit  à  la  station 
appelée  ad  Rabras  dans  l'itinéraire  d'Antonin  (3) ,  soit  à  Calama , 
oii  commence,  dans  cet  itinéraire,  la  route  de  393  milles  qui 
aboutissait  à  Rusucurrus ,  fort  près  de  Dellys,  à  l'est  du  cap  Bengal, 
en  passant  par  Mina ,  Tigava  et  Oppidum  nomm  ;  car  on  sait  qu'au 
delà  de  Calama,  qui  a  dû  être  très-voisin  du  fleuve  Maha  ou  Molo- 
chath,  l'itinéraire  ne  compte  plus  aucune  station,  excepté  celles 
qui  continuent  à  longer  la  côte  jusqu'à  l'Océan.  Nous  nous  trouvons 
donc  ici  sur  la  frontière  de  la  Césarienne,  presqu'au  point  où  s'est 
toujours  arrêtée  la  route  romaine.  C'est  ce  qui  rend  plus  remarquable 
le  soin  mis  à  la  réparation  de  ces  bornes  milliaires,  sur  chacune 
desquelles  on  prenait  la  peine  de  graver  de  longues  inscriptions;  et  ce 
qui  ne  doit  pas  moins  attirer  l'attention ,  c'est  l'époque  d'un  tel  travail  ; 
à  savoir,  le  commencement  du  règne  d'Héliogabale,  de  ce  prince  qui 
s'occupa  toujours  si  peu  de  l'empire,  et  qui  alors  n'était  pas  encore 
venu  à  Rome,  puisqu'il  passa  à  Aniioche,  non-seulement  tout  le  reste 
de  l'an  218,  mais  encore  l'hiver  de  219,  ne  donnant  presque  d'autre 
signe  de  vie  que  l'empressement  à  prendre  de  lui-même  les  titres 
à  Empereur,  César,  fils  d'Antonin,  petit-fils  de  Sévère,  auguste ,  pieux , 
heureux,  proconsul,  revêtu  de  la  puissance  tribunitienne  (4),  tous  titres 
que  nous  trouvons  ici,  excepté  pourtant  les  deux  derniers  qui  existent 

(1)  Gud.  69,  1.  Spon,  Mise,  p.  271. 

(2)  Orelli,  n»  3330. 

(3)  Itin.  Anton.,  p.  36-39. 

(4)  Dio  Cas$iu$,  wxix,  2. 


DÉCOUVERTE  DE  DEUX  COLOxNNES  MILLI AIRES.  187 

dans  l'inscription  des  Arvales  (appartenant  à  la  même  année)  (1), 
comme  celui  de  père  de  la  patrie. 

Il  est  bien  à  présumer  qu'un  tel  prince  est  resté  étranger  au  renou- 
vellement des  bornes  milliaires  vers  les  limites  occidentales  de  l'em- 
pire. Elle  a  peut-être  été  opérée  à  son  insu,  comme  une  mesure 
d'intérêt  local,  due  à  l'initiative  du  procurateur  de  César;  mais  il  ne 
pouvait  se  dispenser  d'en  reporter  l'honneur  au  prince  régnant,  en  se 
gardant  d'oublier  les  titres  dont  il  s'était  revêtu ,  sans  attendre ,  selon 
Tusage,  qu'ils  lui  fussent  conférés  par  un  décret  du  sénat. 

Cette  mesure  a-t-elle  reçu  sa  complète  exécution?  on  serait  disposé 
à  en  douter,  puisque  les  deux  bornes  milliaires,  avec  les  chiffres  II 
et  III ,  ont  été  trouvées  dans  l'enceinte  même  au  prœsidiam ,  enfouies 
en  face  l'une  de  l'autre  ;  ainsi  de  deux  choses  l'une,  ou  elles  n'avaient 
pas  encore  été  mises  dans  leur  place  respective ,  ou  elles  furent  dé- 
placées plus  tard;  dans  le  premier  cas,  l'exécution  de  la  mesure 
aura  été  interrompue  par  quelque  cause,  peut-être  le  déplacement 
des  magistrats  qui  l'avaient  ordonnée. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  chiffres  II  et  III  indiquent  nécessairement 
qu'on  était  près  d'une  station,  soit  ad  Rabras ,  soit  Calama,  d'où 
se  comptaient  les  milles. 

Ce  sont,  au  reste,  des  questions  que  j'ai  soumises  à  M.  Callier, 
en  le  priant  de  les  étudier  sur  les  lieux  mêmes,  si  les  événements  de 
la  guerre  le  lui  permettent. 

Letronne  ,  de  l'Institut, 


(1)  Marini  atti  dei  Arv.,  p.  clxiii.  —  Oreift,  n»  347.  Je  m'étonne  que  ces  deux 
derniers  titres  manquent  ici ,  puisque  Dion  Cassius  dit  qu'Héiiogabale  les  avait  pris 
en  même  temps,  et  que  l'inscription  des  Arvales  montre  qu'il  les  portait,  en  (ffot, 
dans  les  premiers  six  mois  de  son  règne.  On  peut  présumer  que,  les  ayant  pris  un 
peu  plus  tard,  quoique  dans  la  même  année,  la  nouvelle  n'était  pas  encore  arrivée 
en  Mauritanie  lorsqu'on  répara  les  bornes  milliaires. 


DECOUVERTE  D'UNE  CHAUSSÉE  ROMAINE 

ET  DE  L'AIVCIEIV  PAVÉ  DE  PARIS  ^ 

FAITE   EN  JUILLET   1842. 


Les  fréquents  travaux  que  nécessitent ,  soit  l'assainissement  de  la 
ville  de  Paris  ou  ses  embellissements,  offrent  par  fois  des  découvertes 
fort  importantes  sur  son  état  primitif  qu'il  est  curieux  de  constater. 

Vers  la  fin  de  juin  ou  au  commencement  de  juillet  1842  ,  en  fai- 
sant les  fouilles  nécessaires  pour  la  construction  d'un  égout  sous  les 
rues  du  Petit-Pont  et  Saint- Jacques,  on  a  retrouvé  d'abord  une  grande 
partie  des  fondations  du  Petit  Châtelet,  ancienne  forteresse  ayant 
servi  depuis  de  prison.  M.  Auxerre,  dessinateur  attaché  aux  tra- 
vaux de  feu  M.  Jollois,  ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées, 
a  reconnu  sous  ces  mômes  fondations  une  construction  romaine, 
constatée  par  la  présence  des  grandes  briques  employées  en  libages  et 
placées  alternativement  entre  les  assises  des  pierres.  Cette  décou- 
verte ne  laisse  aucun  doute  sur  la  nature  de  la  construction  de  la  for- 
teresse du  Petit  Châtelet,  évidemment  romaine,  qui  existait  encore 
au  IV^  siècle,  et  qui  fut  remplacée  au  IX'  par  des  tours  en  bois, 
incendiées  et  détruites  par  les  Normands.  Ce  ne  fut  qu'en  1369 
que  Charles  V,  pour  arrêter  les  incursions  des  écoliers  de  l'Univer- 
sité sur  les  bourgeois  de  la  Cité,  ordonna  à  Hugues  Aubriot,  pré- 
vôt de  Paris,  de  faire  élever  cette  forteresse,  qui  après  avoir  servi  de 
prison,  fut  démolie  en  1781 ,  dans  la  vue  d'assainir  ce  quartier,  et 
dans  celle  de  l'intérêt  de  la  voie  publique,  extrêmement  resserrée  dans 
les  limites  de  la  longue  voussure  ogivale  qui  était  pratiquée  sous  cette 
tour. 

En  continuant  les  fouilles  sous  le  sol  de  la  rue  du  Petit-Pont,  on 
a  découverte  1  mètre  20  centimètres  de  profondeur,  l'ancien  pavé 
de  Paris ,  composé  de  gros  quartiers  ou  blocs  de  grès  de  différentes 
proportions,  mais  dont  les  plus  grands  portaient  de  1  mètre  50  centi- 
mètres carrés  sur  35  à  40  centimètres  d'épaisseur.  Afin  de  rendre  cette 
démonstration  plus  palpable,  nous  joindrons  ici  la  coupe  du  terrain 
de  la  chaussée  qui  a  été  retrouvée  intacte  depuis  le  Petit- Pont  jus 


DÉCOUVERTE  D'UNE   CHAUSSÉE   ROMAINE  A   PARIS.  189 

qu'à  la  rue  des  Noyers.  Cette  coupe  est  prise  devant  la  maison,  n"  16, 
de  celle  du  Petit-Pont  : 

Légende  de  la  coupe  du  terrain  : 

a.  Couche  de  remblai 
de  1  m.  d'épaisseur, 
mesurée  du  dessus 
du  pavé. 

5.  Blocs  de  grès  ajus- 
tés les  uns  contre  les 
autres,  aulant  que 
leur  irrégularité  avait 
pu  le  permettre ,  de 
35  à  40  centimè- 
tres d'épaisseur.  Plu- 
sieurs de  ces  blocs 
ont  été  déposés  au 
Musée  des  Thermes. 

c.  Couche  de  béton  grossier. 

d.  Sable  mêlé  de  petites  pierres  calcaires  de   50  centimètres  d'é- 
paisseur. 

e.  Blocage  en  moellons  de  roche  de  40  centimètres  d'épaisseur. 

f.  Couche  de  sable  de  montagne  qui  paraît  être  le  sol  naturel  de 
cette  partie  du  terrain  de  la  ville. 

L'abbé  Le  Beuf  fait  mention  d'une  semblable  découverte  (l)  faite 
au  mois  de  janvier  1739,  en  creusant  les  fondements  d'une  maison 
près  de  l'hôtel  de  l'ancienne  Poste,  située  alors  rue  des  Déchargeurs 
ainsi  que  dans  la  rue  Saint-Jacques,  à  deux  mètres  de  profondeur.  On 
s'aperçut  qu'il  existait  dans  l'épaisseur  de  la  tranchée ,  une  couche 
de  terre  superposée  qui  indiquait  l'existence  d'un  second  rang  de 
pavés  entre  ce  premier  pavé  et  celui  d'aujourd'hui.  En  1770,  en 
creusant  sous  l'un  des  bas  côtés  de  l'église  de  Saint-Benoît  (aujour- 
d'hui transformée  en  théâtre  )  pour  la  construction  d'un  caveau ,  on 
a  découvert  à  3  mètres  de  profondeur  un  rang  de  pavés,  semblable 
à  celui  que  nous  venons  de  signaler.  On  sait  que  Philippe  Auguste, 
qui,  mieux  que  ses  prédécesseurs,  s'était  occupé  des  embellissements 
et  de  l'agrandissement  de  la  capitale  du  royaume ,  qu'il  avait  fortifiée 


(1)  Dissertations  sur  l'Histoire  ecclésiastique  et  civile  de  Paris,  etc.,  tome  I, 
page  85  à  la  note. 


190  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

de  tours,  et  d'un  mur  d'enceinte  encore  existant  en  partie ,  fit  paver 
Paris  en  1185.  Son  historien  Rigord  raconte  le  motif  qui  provoqua 
cette  sage  mesure  de  salubrité.  «Ce  monarque,  occupé  d'affaires 
«  importantes ,  se  promenant  dans  son  palais  royal ,  s'approcha  des 
«  fenêtres  où  il  se  plaçait  quelquefois  pour  se  distraire  par  la  vue  du 
«  cours  de  la  Seine  (l).  Des  voitures  traînées  par  des  chevaux  tra- 
ce versaient  la  Cité  en  remuant  la  boue,  faisaient  exhaler  une  odeur 
ce  insupportable ,  le  roi  ne  put  y  tenir ,  et  même  cette  exhalaison  fétide 
((  le  poursuivit  jusques  dans  l'intérieur  de  son  palais.  Dès  lors,  il 
c(  conçut  un  projet  très-difficile  à  exécuter,  mais  très-nécessaire; 
ce  projet  qu'aucun  de  ses  prédécesseurs ,  à  cause  de  la  grande  dé- 
c(  pense  et  des  graves  obstacles  que  présentait  son  exécution ,  n'avait 
c(  osé  entreprendre.  Il  convoqua  les  bourgeois  et  le  prévôt  de  la  ville , 
«  et  par  son  autorité  royale,  leur  ordonna  de  paver  avec  de  fortes  et 
ce  dures  pierres  toutes  les  rues  et  voies  de  "a  Cité  (2).  »  Guillaume 
le  Breton  dit  que  ce  pavé  était  composé  de  pierres  carrées ,  quadratis 
lapidibas. 

Quelques  écrivains  prétendent,  et  entre  autres  Mézeray  (3) ,  que 
Gérard  de  Poissy  qui  avait  le  maniement  des  finances,  faisant  un  re- 
tour sur  sa  conscience ,  contribua  aux  frais  de  ce  pavage  pour  une 
somme  de  onze  mille  marcs  d'argent  (4),  chose  extraordinaire,  ajoute 
cet  historien  avec  ce  ton  caustique  qu'on  lui  connaît,  tant  il  est  vrai, 
dit-il,  que  ces  gens-là  iront  plutôt  au  gibet  que  de  venir  à  restitution. 
Mais  ce  qu'il  y  a  de  certain  ,  c'est  que  d'après  l'invitation  du  roi ,  le 
prévôt  et  les  bourgeois  payèrent  tous  les  frais  de  cette  entreprise. 
Cette  amélioration  qui  intéressait  la  circulation  et  la  salubrité  de  la 
capitale,  a  le  mérite  d'un  premier  exemple;  étendu  et  perfectionné 
dans  la  suite,  elle  fut  un  bienfait  pour  Paris ,  mais  ce  bienfait  ne  s'opéra 
que  lentement  et  ne  reçut  son  entière  exécution  que  sous  Louis  XIII, 
époque  à  laquelle  la  moitié  des  rues  de  Paris  n'était  pas  encore  pavée; 
on  s'était  simplement  borné  sous  Philippe-Auguste,  à  paver  ce  qu'on 
appelait  alors  la  chaussée  de  la  croisée  de  Paris,  deux  rues  qui  se 
croisaient  au  centre  de  la  ville,  dont  l'une  se  dirigeait  du  midi  au 
nord ,  et  l'autre  de  l'est  à  l'ouest  comme  les  plus  fréquentées. 

(1)  C'est  ce  même  palais  de  nos  rois,  qni  est  devenu  depuis  le  sanctuaire  de  la 
justice. 

(2)  Gesla  Philippi-AuguHi  ,elc..  Recueil  des  Historiens  de  France,  t.  XVII, 
page  IG. 

(3)  Abrégé  chronologique  de  l'Histoire  de  France;  édition  d'Amsterdam,  1688, 
tome  III.  page  589. 

(4)  27,500  francs  au  taux  de  Tépoque. 


DÉCOUVERTE   D'UNE   CHAUSSÉE   ROMAINE  A  PARIS.  191 

Quant  au  massif  en  maçonnerie  de  blocage  sur  lequel  s'appuyait  le 
pavé  de  Philippe  Auguste,  nous  n'avons  trouvé  aucun  indice  de 
l'époque  à  laquelle  il  fut  érigé  ;  mais  sa  construction  parfaitement 
identique  avec  celle  de  toutes  les  chaussées  romaines,  ne  permet  pas 
de  douter  qu'il  ne  fût  de  celte  époque  ;  il  porte  tout  le  caractère  et 
se  compose  de  tous  les  matériaux  qui  entraient  ordinairement  dans 
ces  sortes  de  constructions.  Le  travail  des  fouilles  pour  l'érection  de 
l'aqueduc  qui  a  été  pratiqué  sous  la  rue  Saint-Jacques ,  n'a  fait  que 
confirmer  cette  opinion,  par  une  solution  de  continuité  du  môme 
massif  de  maçonnerie,  construit  avec  les  mêmes  matériaux  indiqués 
dans  la  coupe  du  terrain  ci-dessus  gravée.  Tels  sont  les  indices  cer- 
tains de  l'existence  sous  la  rue  Saint-Jacques  de  l'une  de  ces  grandes 
chaussées  qui  sous  ,  la  domination  romaine,  traversaient  Lutèce,  et 
sur  l'une  desquelles  on  aura  établi  en  1185,  le  pavé  érigé  par  les  or- 
dres de  Philippe  Auguste. 

A.-P.-M.  Gilbert, 

Membr«  de  la  Société  royale  des  Antiquaires  de  France. 


ANCIENNE    CHAPELLE 

DU 

COLLEGE  DE  NAVARRE. 


C'est  une  grande  et  noble  pensée ,  que  celle  qui  créa  et  qui  nous  a 
dotés,  il  y  a  quelques  années ,  du  Comité  Historique  des  Arts  et  Mo- 
numents, pour  être  «  le  tuteur  naturel  de  nos  édifices  nationaux,  et 
«  dont  la  principale  mission  consiste,  par  une  influence  latérale,  si- 
ce  non  directe,  à  arrêter  toute  destruction  projetée,  toute  mutila- 
«  tion,  etc.  (1).  »  Nous  ne  porterons  point  un  regard  rétrospectif  sur 
les  innombrables  actes  de  vandalisme  qui  se  sont  commis,  même  sous 
la  Restauration,  avant  l'importante  institution  de  ce  Comité,  composé 
d'hommes  pleins  de  zèle,  de  science  et  de  courage  :  mais,  tout  en  re- 
connaissant qu'il  rend  d'immenses  services ,  nous  ne  pouvons  néan- 
moins nous  dispenser  de  dire,  que  très-souvent  aussi  sa  voix  est 
étouiïée,  ou  ses  justes  réclamations  méconnues.  Nous  pourrions  citer 
des  faits  à  l'appui  de  ce  raisonnement,  mais  il  nous  suffit  de  rappeler 
la  démolition  récente  de  l'hôtel  historique  de  la  Trémouille ,  et  les 
mutilations  ignobles  que  vient  de  subir  le  vieux  manoir  semi-féodal 
et  militaire,  ancienne  résidence  des  archevêques  de  Sens,  comme 
métropolitains  de  Paris. 

Malgré  l'incessante  sollicitude  du  Comité  Historique,  le  percement 
de  nouvelles  rues,  l'élargissement  ou  le  redressement  des  anciennes, 
et  les  spéculations  particulières,  font  disparaître,  de  temps  à  autre, 
le  peu  qui  reste  de  nos  vieux  monuments  religieux  et  civils,  ou  chan- 
gent leur  forme  et  leur  destination.  Les  sociétés  savantes,  les  com- 
missions d'antiquités ,  et  les  hommes  de  goût  et  de  talent  qui  les 
composent  auront  beau  faire  :  le  goût  des  lignes  droites  ou  du 
confortable,  et  surtout  l'impérieuse  loi  de  la  nécessité  en  matière  de 
casernes  et  de  prisons,  l'emporteront  sur  leurs  doléances  :  ils  seront 
presque  toujours  la  voix  qui  crie  dans  le  désert. 

Naguère,  nous  avons  donné  un  souvenir  aux  vénérables  débris  de 

(1)  Bulletin  Archéologique ,  tome  I,  page  12. 


CHAPELLE   DU   COLLEGE   DE   NAVARRE   A   PARIS.  193 

l'abbaye  Saint-Magloire ,  dont  le  sol  béni  est  traversé  maintenant  par 
la  rue  de  Rambuteau.  Depuis ,  nous  avons  exprimé  quelques  regrets 
de,  la  destruction  prochaine  de  la  chapelle  royale  et  priorale  des  Cé- 
lestins  :  aujourd'hui  nous  avons  à  signaler  la  disparition  imminente 
d'un  autre  de  ces  rares  et  derniers  fleurons  de  la  couronne  monumen- 
tale du  vieux  Paris.  La  pioche  du  démolisseur  officiel  va  s'abattre  au 
premier  beau  jour  sur  l'illustre  chapelle  de  Navarre,  dont  le  vieux  et 
modeste  portique  révèle  encore  le  souvenir  d'une  gloire  chère  à  la 
France  et  aux  lettres. 

L'Ecole  polytechnique  existe  aujourd'hui  dans  les  localités  et  sur 
l'emplacement  où  s'élevaient,  il  y  a  un  demi-siècle ,  les  collèges  de 
Navarre,  de  Boncourt  et  de  Tournay,  fondés  dans  la  première  moitié 
du  XIV^  siècle,  réunis  pendant  le  XVIP,  par  Louis  XIII  ;  supprimés 
et  détruits  en  partie,  en  1793 ,  avec  tous  les  établissements  religieux 
ou  d'instruction  publique  du  royaume. 

Le  collège  de  Navarre,  appelé  aussi  collège  de  Champagne,  à  cause 
d'une  des  dignités  de  la  royale  fondatrice,  rappelle  les  souvenirs  les 
plus  brillants  dans  les  fastes  de  l'instruction  publique  en  France. 
C'était  là  que  se  donnait  l'enseignement  le  plus  complet  des  établis- 
sements de  l'université  de  Paris.  Dès  son  origine,  il  fut  pourvu  de 
chaires  de  théologie,  de  philosophie  et  d'humanités.  Cette  maison 
avait  un  corps  de  docteurs  en  théologie  comme  la  Sorbonne,  et  qui 
prenaient  le  titre  de  Docteurs  de  la  société  et  maison  royale  de  Na- 
varre, 

Ce  collège,  si  dignement  remplacé  aujourd'hui,  dans  un  autre 
genre  d'études,  parle  magnifique  établissement  de  l'Ecole  polytech- 
nique, fut  fondé  en  1304,  par  le  testament  de  Jeanne  de  Navarre, 
femme  de  Philippe  IV,  dit  le  Bel,  et,  de  son  propre  chef,  reine  de 
Navarre,  comtesse  palatine  de  Champagne  et  de  Brie,  comme  fille  et 
unique  héritière  de  Henri  III,  roi  de  Navarre,  et  de  Blanche,  dite 
aussi  Jeanne  d'Artois.  Le  testament ,  ordonnant  cette  fondation ,  est 
datéde  Vincennes,  du  jour  de  la  nativité  N.  D.,  25  mars  1304. 
Par  une  libéralité  toute  nationale  ,  et  contrairement  aux  autres  éta- 
blissements de  ce  genre,  où  on  n'admettait  que  les  écoliers  de  la 
province  où  était  né  le  fondateur,  ou  de  celle  qu'il  habitait,  il  suffi- 
sait d'être  Français,  pour  avoir  droit  aux  bourses  du  collège  de  Na- 
varre. Simon  Festu,  évêque  de  Meaux ,  et  Gilles  de  Pontoise,  abbé 
de  Saint-Denis ,  tous  deux  exécuteurs  testamentaires  de  la  reine 
Jeanne,  ayant  été  chargés,  par  les  six  autres,  de  tout  ce  qui  concer- 
nait la  fondation  de  ce  collège,  en  rédigèrent  les  statuts,  et 
I.  13 


194  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

le  3  avril  1315,  les  maîtres  et  les  écoliers  assemblés  en  chapitre  dans 
la  chapelle,  dont  les  restes  extérieurs  vont  être  dénaturés,  jurèrent  de 
les  observer  :  ils  furent  approuvés  en  1316  par  le  pape  Jean  XXII. 

Depuis  1 357,  les  archives  et  le  trésor  de  l'université  étaient  gar- 
dés dans  la  maison  de  Navarre.  On  sait  que  l'université  était  divisée, 
dès  l'an  i218,  en  quatre  nations  ou  sociétés  de  maîtres  appartenant 
à  une  commune  patrie ,  et  régies  chacune  par  un  procureur,  dont  les 
quatre  voix  réunies  élisaient  le  recteur;  savoir:  la  nation  de  France, 
surnommée  Honorenda;  la  nation  de  Picardie,  surnommée  Ftdfe/i5- 
sima;  la  nation  normande,  surnommée  Venerenda,  et  la  nation  alle- 
mande, surnommée  Conslantissima.  Or,  le  collège  de  Navarre  était  le 
chef -lieu  de  la  nation  de  France  ;  c'est  là  qu'elle  tenait  ses  assemblées  ; 
elle  contribuait  à  l'entretien  de  la  chapelle  où  se  prononçaient  les 
sermons  généraux  de  l'université.  Il  serait  trop  long  d'énumérer  ici 
les  nombreux  privilèges  de  cet  illustre  établissement,  dont  la  re- 
nommée et  la  gloire  se  réfléchissent  et  se  perpétuent  dans  la  savante 
école  qui  le  remplace.  Nous  remarquerons  seulement  que  les  rois,  les 
princes  de  leur  famille  et  les  plus  grands  seigneurs  du  royaume  y  en- 
voyaient leurs  enfants  comme  pensionnaires  ;  c'est  pourquoi  Mézeray 
l'a  appelé  ce  l'école  de  la  noblesse  française  et  l'honneur  de  l'uni- 
versité (l).  » 

Par  suite  du  décret  de  la  convention  nationale  du  29  juin  1793, 
qui  prononça  la  suppression  de  tous  les  collèges  de  plein  exercice,  des 
facultés  de  théologie,  de  médecine ,  des  arts  et  de  droit,  sur  toute  la 
surface  de  la  république ,  le  collège  de  Navarre,  déserté  par  la  science, 
fut  loué  par  portions  à  des  particuliers.  On  y  vit  bientôt  des  indus- 
tries de  toute  nature.  Le  docteur  Capuron  y  faisait  des  cours  d'ana- 
tomie,  et  il  s'y  établit  jusqu'à  des  fabriques  de  papiers  peints,  de  cou- 
vertures et  de  coton.  La  chapelle,  coupée  en  deux,  par  une  cloison, 
servait  de  magasins  à  deux  libraires.  Cet  état  d'abandon  dura  douze 
ans  :  mais  un  décret  impérial  du  9  germinal  an  XIII  (30  mars  1805), 
ayant  affecté  toutes  les  dépendances  du  ci- devant  collège  de  Navarre 
au  service  de  l'Ecole  polytechnique,  établie  alors  dans  les  com- 
muns, la  salle  de  spectacle  et  l'orangerie  du  Palais  Bourbon,  l'École 
fut  installée  à  Navarre,  le  11  novembre  de  la  même  année,  490  ans 
après  que  les  maîtres  et  les  écoliers  de  Navarre  avaient  eux-mêmes 
pris  possession  des  mômes  lieux.  Dès  ce  moment  les  bâtiments  de 
Navarre  furent  en  grande  partie  démolis  ou  changés  dans  leur  aspect 

(1)  Méz.  Tome  V,  p.  634. 


CHAPELLE   DU   COLLÈGE   DE   NAVARttE   A   PARIS.  195 

extérieur  et  dans  leurs  divisions  intérieures,  par  les  reconstructions 
nécessaires  à  cette  grande  institution. 

Le  cloître  de  Navarre,  dont  les  fondements  furent  jetés  en  1309, 
au  même  temps  que  ceux  de  la  chapelle ,  qui  est  le  principal  objet  de 
cet  article,  a  été  démoli  en  1811.  Le  bâtiment  élevé  au  sud  du  cloî- 
tre, vers  1410,  par  la  munificence  du  célèbre  cardinal  Pierre  d'Ailly, 
qui  fut  successivement  boursier,  professeur  et  grand  maître  de  Na- 
varre ,  après  avoir  servi  de  lingerie  à  l'École  polytechnique,  a  été  dé- 
moli en  1836,  pour  faire  place  aux  nouvelles  constructions  de  l'en- 
trée principale  de  l'École. 

Il  ne  reste  plus  guère  des  bâtiments  du  moyen  âge  que  la  chapelle 
et  le  grand  bâtiment  à  pignons  cantonnés  de  pinacles ,  que  l'on  aper- 


çoit de  la  rue  Descartes.  Ce  bâtiment,  dans  lequel  la  salle  de  dessin 
de  l'École  a  remplacé  la  bibliothèque  du  collège,  fut  bâti  sous  Char- 
les VIII ,  aux  frais  de  Jean  Raulin ,  grand  maître  de  Navarre,  et  cé- 
lèbre prédicateur  du  XV^  siècle.  Le  roi  donna  240  livres  tournois 
pour  son  achèvement,  qui  s'effectua  en  1496.  Suivant  les  calculs  de 
M.  D***,  qui  a  bien  voulu  nous  communiquer  son  précieux  travail 
inédit   sur  les  bâtiments    de    l'École,   cette   somme   représentait 


196  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

13  000  francs  de  notre  monnaie  et  était  d'une  importance  à  peu  près 
égale  à  celle  de  50  000  francs  d'aujourd'hui.  Au  rez-de-chaussée  de 
ce  bâtiment  était  la  salle  des  actes.  Cette  salle ,  oii  Bossuet  fut  reçu 
docteur,  a  .servi  de  chapelle  à  l'École  polytechnique  sous  la  Restaura- 
tion ;  elle  est  maintenant  divisée  en  deux  étages  et  en  plusieurs  piè- 
ces, servant  aux  examens. 

La  chapelle  de  Navarre,  l'âme  en  quelque  sorte  de  cet  établisse- 
ment national ,  et  qui  résume  encore  tous  ses  souvenirs  et  sa  gloire, 
doit  disparaître  sous  peu  de  jours,  ou  du  moins,  la  dernière  transfor- 
mation qu'elle  va  subir,  achèvera  de  lui  ôter  son  caractère  historique 
et  religieux.  Si  les  philosophes  éclectiques,  qui  administraient  sous 
la  Restauration ,  ont  préféré  la  dénaturer  intérieurement  plutôt  que 
de  lui  rendre  son  auguste  destination ,  du  moins  ils  avaient  respecté 
sa  forme  extérieure,  qui,  bien  que  fort  simple,  n'est  pas  sans  grâce, 
ni  indigne  d'un  intérêt  conservateur.  Au  reste  on  pourra  en  juger  par 
la  sommaire  description  que  nous  allons  essayer  d'en  faire. 


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Le  bâtiment  de  cette  chapelle,  qui  n'est  point  orienté  suivant  le  rit 
catholique,  mais  disposé  à  peu  près  du  Nord  au  Sud,  est  un  parallé- 
logramme terminé  par  une  abside  à  trois  pans.  11  est  bâti  tout  en 


CHAPELLE   DU  COLLEGE  DE   NAVARRE   A  PARIS.  197 

pierre  de  cliqiiart,  solidement  appareillée.  Les  murs  de  flanc  et  les 
angles  sont  soutenus  par  des  contre-forts  à  larmiers,  qui  ont  conservé 
presque  toute  la  vivacité  de  leurs  profils.  L'édifice  est  percé  entre 
les  contre-forts,  par  vingt  grandes  fenêtres  ogivales,  sans  meneaux,  y 
compris  les  trois  de  l'abside  et  celle  de  la  façade,  mais  dont  les  baies 
sont  ornées  d'une  moulure  en  boudin,  avec  un  petit  chapiteau  feuil- 
lage à  la  naissance  de  l'ogive. 

Les  corniches  qui  soutiennent  le  toit  à  pentes  rapides,  et  les  ban- 
deaux qui  circulent  autour  du  monument,  sont  d'un  profil  très- 
simple  ;  ils  ont  une  gorge  dont  la  concavité  est  lisse.  Cet  édifice,  qui 
ne  conserve  plus  que  sa  robe  avec  sa  forme  extérieure,  et  dont  il  se- 
rait difficile  de  relever  les  dimensions  dans  œuvre,  autrement  que 
sur  quelque  ancien  plan,  a  47  mètres  70  centimètres  de  longueur, 
hors  d'œuvre,  sur  12  mètres  50  centimètres  de  largeur,  et  15  mè- 
tres de  hauteur,  du  sol  actuel ,  considérablement  surélevé,  jusqu'à 
la  pointe  du  pignon.  11  y  a  lieu  d'être  étonné  de  la  grandeur  de  cet 
édifice,  destiné  à  être  la  chapelle  d'un  collège,  peuplé  d'environ  qua- 
tre-^vingts  personnes,  tant  maîtres  qu'écoliers  :  mais,  suivant  la  ju- 
dicieuse remarque  de  l'auteur  du  Mémoire  précité  :  ce  C'est  que  les 
hommes  de  ce  temps  remplissaient  leur  rôle  de  fondateurs  sur  la 
plus  grande  échelle,  et  comme  animés  par  une  prévision  certaine  des 
destinées  de  leurs  institutions.  » 

Aux  angles  du  portail  sont  accolées  deux  tourelles  octogones ,  coif- 
fées de  leurs  toits  ou  lanternons  en  pierre,  et  amortis  par  une 
houppe  de  plomb,  jadis  peut-être  ciselée  en  fleurs  de  lis.  Elles  con- 
tiennent un  escalier  en  spirale ,  débouchant  sur  un  emmarchement 
de  pierres,  à  deux  pentes,  incrusté  en  formant  saillie,  dans  le  champ 
du  pignon,  et  défendu  par  une  main  courante  en  fer,  pour  laisser  ar- 
river par  une  baie  carrée  sous  le  comble  de  la  chapelle.  La  char- 
pente de  ce  comble,  bien  œuvrée  et  conservée,  est  assez  remarquable 
par  sa  complication.  Quelques  personnes  prétendent  que  cette  char- 
pente se  voyait  à  nu  dans  l'intérieur  du  vaisseau  :  mais  M.  Ché- 
ronnet,  notre  ami,  ancien  élève  de  la  maison,  nous  a  assuré  avoir  vu 
cette  chapelle  couverte  d'une  voûte  en  bardeaux,  que  le  temps  avait 
colorée  d'une  teinte  brune  très-foncée. 

La  crête  du  toit  au-dessus  de  la  nef  était  surmontée  d'une  flèche 
ou  clocher,  couvert  en  plomb  et  ardoises ,  d'une  construction  élé- 
gante ,  se  terminaut  par  une  croix.  On  voit  encore  sur  le  faîte  la 
naissance  de  ce  clocher,  et  sous  le  comble,  l'ingénieux  assemblage 
des  pièces  de  bois  se  réunissant  autour  du  poinçon  sur  lequel  s'éle- 


198  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

vait  son  aiguille.  La  pointe  du  pignon  indique  l'ancien  support  d'une 
statue ,  probablement  celle  de  Saint-Louis,  patron  titulaire. 

Lorsque  nous  l'avons  vu  encore  à  peu  près  intact,  vers  1818 ,  le 
portail  de  cette  chapelle  nous  paraissait  digne  d'être  conservé,  à  cause 
de  sa  physionomie  architectonique,  toute  particulière.  Sa  façade 
offrait,  dans  la  simplicité  de  l'ensemble ,  un  aspect  gracieusement  pit- 
toresque. Entre  les  rampants  du  double  escalier  de  pierre  en  porte  à 
faux,  conduisant  au  comble,  on  voit  encore  (mars  1844),  percée  en 
retraite  dans  le  mur  du  pignon,  une  large  croisée  ogivale,  ornée  de 
moulures  dans  l'ébrasement,  et  dont  le  champ  est  divisé  en  cinq  arca- 
tures,  aussi  en  ogive,  d'un  style  plus  récent,  jadis  remplies  de  vi- 
traux et  aujourd'hui  aveuglées  avec  du  plâtre. 

Au-dessous  de  cette  fenêtre  régnait  la  grande  porte,  aussi  en 
ogive,  percée  en  retraite  et  partagée  par  un  trumeau  sur  lequel  on 
voyait  jadis  une  statue  du  roi  Louis  X,  dit  le  Hutin,  avec  cette  in- 
scription sur  le  piédestal  :  ludovicus  decus  regnantium.  On 
voyait  à  droite  et  à  gauche  deux  autres  statues  royales  abritées, 
comme  la  précédente ,  sous  des  dais  gothiques.  Sous  les  pieds  de 
celle  à  droite ,  on  lisait  :  philippus  pulcher  ,  huîus  domus 
FONDATOR  EGREG1US ;   et   au  bas  de  celle  à  gauche  était  écrit: 

JOANNA  ,  FRANCItE  AC  ETIAM  NAVARRE  REGINA  ,  HUIUS  DOMUS 
QUONDAM    FUNDATRIX    INCLVTA.    ANNO    DOMINI   MCCCIV.     CcS    trois 

statues  du  père,  de  la  mère  et  du  fils  étaient  peintes  en  couleur  de 
chair,  avec  des  robes  d'azur,  semées  de  fleurs  de  lis  d'or.  Ce  portail 
a  été  masqué  en  1830,  par  une  construction  en  prolongement,  pour 
agrandir  la  bibliothèque  de  l'École  :  et  par  une  contradiction ,  qui 
ne  peut  d'ailleurs  que  rappeler  dans  la  suite  des  temps,  que  ce  bâ- 
timent informe  fut  jadis  un  édifice  consacré  à  Dieu ,  l'ignoble  con- 
struction qui  masque  aujourd'hui  si  désagréablement  ce  portail, 
et  qui  doit  bientôt,  en  se  surélevant,  faire  disparaître  le  pignon  et 
sa  gracieuse  vitre,  est  percée  en  avant  et  en  flanc  de  baies  ogivales 
de  même  dimension  et  style  que  les  autres  fenêtres  de  l'édifice.  Nous 
avons  remarqué  en  le  visitant  récemment ,  qu'on  a  affecté  aussi  la 
forme  ogivale  pour  la  plupart  des  ouvertures  pratiquées  dans  les 
cloisons  et  murs  de  refends  qui  fractionnent  maintenant  en  différents 
étages  et  pièces  irrégulières  d'un  aspect  peu  agréable,  l'intérieur  de 
la  vaste  et  vénérable  chapelle  de  Navarre. 

La  première  pierre  de  cette  chapelle  fut  posée  le  12  avril  1309, 
par  Simon  Festu,  alors  évêque  de  Meaux,  et  l'un  des  huit  exécuteurs 
testamentaires  de  la  reine  Jeanne  :  mais  elle  ne  fut  dédiée  par  Pierre 


CHAPELLE  DU  COLLÈGE  DE  NAVARRE  A  PARIS.     199 

de  Villers,  évoque  de  Nevers,  que  le  16  octobre  1373  ,  «  en  l'hon- 
«  neur  de  la  sainte  Trinité ,  de  la  victorieuse  croix  du  Christ  et  de 
«  la  glorieuse  Vierge  Marie,  sous  le  vocable  du  bienheureux  Louis, 
«  roi  de  France  et  de  la  bienheureuse  Catherine  vierge.  »  On  voyait 
scellée,  à  gauche  du  portail ,  une  inscription  indiquant  l'époque  oti 
fut  posée  la  première  pierre,  et  à  droite,  une  autre  faisant  mention 
de  la  dédicace  de  la  chapelle.  Ces  deux  inscriptions  latines  sont  insé- 
rées à  la  page  663  des  Antiquités  de  Paris,  par  D.  Dubreuil. 
C'est  la  première  église  de  Paris  qui  ait  été  dédiée  sous  l'invocation 
de  saint  Louis. 

Cette  chapelle  servait  pour  les  offices  et  services  de  la  nation  de 
France;  on  y  conservait  la  moitié  d'une  côte  de  Saint-Guillaume,  ar- 
chevêque de  Bourges  en  1200,  qui  fut  donnée  en  1407,  par  Jean, 
duc  (le  Berry,  à  Jean  Archer,  procureur  de  la  nation  de  France  ;  Ray- 
mond Perault,  cardinal  de  l'Église  romaine  et  légat  du  saint-siége, 
en  Allemagne,  qui  avait  été  autrefois  boursier  de  ce  collège,  lui  fît 
aussi  présent,  en  1511,  de  plusieurs  reliques. 

Au  mois  de  janvier  1415,  la  nation  de  France  y  fit  célébrer  un 
service  pour  Louis  d'Orléans,  assassiné,  en  1407,  par  Jean  sans 
Peur,  duc  de  Bourgogne.  Le  docteur  Brevi  Coxa  fit  l'oraison  funèbre 
et  condamna  les  doctrines  du  docteur  Jean  Petit,  qui,  s'étant  dévoué 
par  cupidité  au  duc  de  Bourgogne,  avait  fait  l'apologie  de  ce  meurtre. 
C'était  dans  cette  même  chapelle  oii  s'agitèrent  les  plus  impor- 
tantes questions  théologiques  et  oii  s'accomplirent  les  plus  impo- 
santes cérémonies,  qu'en  1491 ,  le  roi  Charles  VIII,  accompagné  des 
principaux  seigneurs  de  la  cour,  vint  deux  fois  honorer  de  sa  pré- 
sence les  actes  des  vespéries  de  Louis  Pinelle,  le  lundi,  d'après  Lœtare, 
et  de  Jean  Charron ,  la  veille  du  dimanche  de  Pâques  fleuries.  Le  roi 
et  sa  cour  étaient  au  jubé,  et  la  faculté,  les  prélats  et  le  parlement 
dans  la  nef.  On  remarque  encore,  dans  le  mur  intérieur,  à  la  nais- 
sance de  la  partie  du  chevet  qui  formait  le  chœur,  un  arrachement 
du  jubé  011  se  plaçaient  les  princes,  les  évêques  et  autres  grands  per- 
sonnages lors  des  réunions  solennelles  de  l'université. 

Parmi  les  doctes  personnages  dont  les  tombes  à  figures  et  épita- 
phes  formaient  presque  tout  le  pavement  de  cette  chapelle,  on  dis- 
tinguait dans  le  chœur  celle  de  Nicolas  Clémengis,  qui  fut  grand 
maître  et  une  des  gloires  de  Navarre  :  inhumé  sous  la  lampe ,  devant 
le  grand  autel,  où  il  était  souvent  venu  méditer,  son  épitaphe  rap- 
pelait, par  un  naïf  jeu  de  mots,  que  celui  qui  avait  été  le  flambeau 
de  l'Église,  reposait  maintenant  sous  la  lampe.  Dans  la  nef,  on  voyait 


200  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

aussi  la  tombe  de  Jean  Tessier,  connu  sous  le  nom  de  Ravisins  Textor, 
le  plus  fameux  linguiste  de  son  temps.  Sous  la  couche  salpêtrée,  qui 
a  été  superposée  pour  former  le  sol  des  salles  d'escrime  placées  dans 
la  vieille  chapelle ,  on  peut  retrouver  encore  les  pierres  tumulaires 
d'un  grand  nombre  de  ces  personnages  célèbres  du  collège  de  Na- 
varre, avec  des  inscriptions  et  leurs  images  gravées  en  creux,  quel- 
ques-unes crossées  et  mitrées ,  et  même  en  chapeau  de  cardinal  ;  mais 
toutes  fort  endommagées,  ce  local  ayant  servi  de  laboratoire  de 
chimie  pendant  plusieurs  années,  avant  que  le  sol  en  fût  recouvert 
déterre  (l). 

Sur  le  mur,  à  droite  dans  la  nef,  on  voyait  un  tableau  fort  an- 
cien où  étaient  inscrits  soixante-trois  vers  latins  rimes ,  insérés  dans 
Dubreuil,  page  662.  Ces  vers,  qui  composaient  tout  un  poëme  his- 
torique à  la  louange  de  Jeanne  de  Navarre,  sont  bien  propres  à  dé- 
mentir les  odieuses  anecdotes  répandues  sur  cette  généreuse  princesse. 

On  ne  peut  contempler  ce  vénérable  édifice  sans  se  rappeler  avec 
une  douce  et  respectueuse  émotion ,  que,  dans  son  enceinte,  Nico- 
las Oresme,  précepteur  de  Charles  V,  les  cardinaux  d'Ailly  et  Des- 
champs, Jean  Gerson,  regardé  par  quelques-uns  comme  étant  le  su- 
blime et  modeste  auteur  de  Vlmitadon  de  Jésus-Christ ,  et  Bossuet, 
vinrent  puiser,  dans  la  méditation  et  la  prière,  le  génie  qui  les  a 
rendus  la  gloire  de  la  religion  et  l'honneur  de  la  France. 

Aux  premiers  beaux  jours  qui  vont  luire,  le  pignon  et  le  toit  de  la 
chapelle  de  Navarre  vont  être  rasés  jusqu'au-dessous  de  la  corniche, 
et  les  constructions,  qui  vont  s'élever  au-dessus  pour  en  faire  des 
salles  d'étude  ou  des  dortoirs,  achèveront  d'ôter  à  cet  édifice  la  phy- 
sionomie de  son  ancienne  et  sainte  destination,  sans  doter  autrement 
l'École  que  d'une  construction  insolite,  incohérente  et  sans  harmonie. 

L'ancienne  chapelle  de  Navarre  devrait  être  conservée  telle  qu'elle 
est  par  un  gouvernement  qui  s'impose  des  sacrifices  pour  la  conser- 
vation des  monuments  historiques  :  mais,  si  réellement  un  besoin  im- 
périeux devait  l'emporter  sur  tant  de  glorieux  souvenirs,  du  moins 
que  des  dessins  exacts  et  un  plan  la  reproduisent  dans  la  Statistique 
monumentale  de  Paris,  publiée  par  M.  Albert  Lenoir  sous  le  patro- 
nage de  M.  le  Ministre  de  l'instruction  publique  (2).     . 

N.  M.  Troche, 

Auteur  d'une  Monographie  inédite  de  l'église  Saint-Germain-l'Auxerrois. 

(1)  Mém.  précité. 

(2)  Nous  pouvons  annoncer  à  nos  lecteurs  que  le  vœu  émis  ici  par  noire  docte 
collaborateur,  M.  Troche,  doit  recevoir  sous  peu  son  accomplissement. 


COMMISSION  DES  MONUMENTS  HISTORIQUES, 

INSTITUÉE  AU   MINISTÈRE  DE   LINTÉRIEUR. 


TRAVAUX. 

PREMIER  ARTICLE. 


Je  ne  remonterai  pas  au  delà  de  1840  dans  l'histoire  des  travaux 
entrepris  par  le  Ministre  de  l'intérieur  avec  le  crédit  aflecté  à  la 
conservation  des  monuments  historiques.  Ce  n'est  qu'à  partir  de  cette 
époque  que  ce  chapitre  du  budget  a  pris  assez  d'extension  pour 
obtenir  des  résultats  utiles,  et  que  son  administration  a  été  séparée 
de  celle  des  autres  services  de  la  direction  des  beaux-arts.  Dans  cette 
Revue,  je  compte,  au  reste,  me  borner  à  rendre  compte  des  princi- 
pales affaires  déjà  traitées;  on  conçoit  que  j'ai  dû  négliger  le  détail 
des  petites  allocations  affectées  à  des  travaux  de  consolidation  en 
quelque  sorte  |)rovisoires  ;  je  me  contenterai  de  rappeler  sommaire- 
ment tous  les  édifices  auxquels  des  secours  ont  été  accordés;  mais  je 
donnerai  des  renseignements  plus  précis  sur  les  décisions  qui  ont 
assuré  la  conservation  de  monuments  remarquables,  que  je  classerai 
dans  un  ordre  chronologique. 

La  restauration  des  monuments  druidiques  est  presque  toujours 
impossible,  et  serait  d'ailleurs  sans  but;  peut-être  aurait-il  été 
curieux  seulement  de  relever  le  menhir  colossal  de  Lockmariaker, 
qui  gît  sur  le  sol ,  brisé  en  trois  pièces ,  et  présente  une  masse  com- 
parable à  celle  de  l'obélisque  de  Louqsor;  des  études  ont  été  faites  à 
ce  sujet;  mais  leur  résultat  n'a  fait  que  constater  les  difficultés  de 
l'exécution  d'un  pareil  projet;  sans  fournir  l'assurance  du  succès,  et 
sans  faire  connaître  le  prix  auquel  il  faudrait  l'acheter;  l'action  du 
gouvernement  pour  cette  classe  de  monuments  a  dû  se  borner, 
jusqu'à  présent,  à  une  protection  qui  n'est  malheureusement  pas 
toujours  efficace  contre  la  cupidité  des  communes  et  des  particuliers 
sur  les  propriétés  desquels  ils  ont  été  découverts.  Des  circulaires  ont 
été  adressées  aux  autorités  locales  pour  éclairer  les  populations  sur 
l'importance  historique  de  ces  monuments;  mais  leur  situation, 
ordinairement  isolée ,  rend  la  surveillance  difficile;  les  habitants  des 
lieux  environnants,  où  la  pierre  est  rare,  vont  en  chercher  dans  ces 
carrières  factices;  d'aufres,  inspirés  par  une  superstition  générale- 
ment répandue,  les  bouleversent  pour  y  chercher  des  trésors,  et  les 
efforts  de  l'administration  sont  quelquefois  encore  impuissants  pour 
empêcher  ces  déprédations.  La  seule  allocation  qui  ait  pu  être  utile- 


202  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ment  employée  a  servi  à  dégager  un  dolmen  auprès  de  Saumur,  et 
dernièrement  une  somme  a  été  consacrée  à  des  fouilles  et  à  l'acqui- 
sition d'un  terrain  sur  lequel  on  a  découvert  une  de  ces  galeries 
auxquelles  on  donne  le  nom  de  Grotte-aux-Fées ,  dans  la  commune 
de  Marly,  près  Paris. 

La  meilleure  méthode  d'appliquer  l'action  conservatrice  de  l'admi- 
nistration aux  monuments  romains  est  aussi  très- difficile  à  déter- 
miner. Les  travaux  de  déblaiement  doivent  être  conduits  avec  de 
grandes  précautions,  ceux  de  consolidation  appliqués  avec  une 
extrême  réserve.  La  commission  désigne  pour  les  diriger  des  archi- 
tectes auxquels  leurs  études  sérieuses  de  l'antiquité  permettent  de 
produire  des  projets  qui  sont  examinés  avec  une  scrupuleuse  atten- 
tion, et  dont  l'exécution  est  surveillée  par  l'inspecteur  général  et  les 
correspondants.  En  effet,  les  constructions  modernes  qu'il  est  souvent, 
utile  de  juxtaposer  aux  anciennes  pour  soutenir  celles-ci  doivent 
être  de  nature  à  ne  pas  se  confondre  avec  elles,  et  cependant  leur 
aspect  ne  doit  pas  blesser  l'œil  par  un  contraste  trop  choquant;  cette 
mesure  est  difficile  à  garder;  il  faut  se  contenter  de  conserver  l'aspect 
des  masses,  sans  reproduire  les  détails;  les  travaux  exécutés  à  l'arc 
d'Orange,  sous  la  direction  de  M.  Caristie,  sont  un  excellent  exemple 
de  celle  méthode  de  consolidation.  Elle  avait  été  suivie  à  Nîmes 
pour  l'amphithéâtre,  et  le  déblaiement  de  celui  d'Arles  qui  était 
aussi  terminé  en  1840.  A  cette  époque,  il  restait  encore  dans  les 
villes  du  midi  deux  grandes  opérations  à  terminer,  le  dégagement 
des  théâtres  romains  d'Arles  et  d'Orange.  Elles  ont  été  conduites 
en  même  temps.  Tous  les  ans  une  somme  de  20  à  30  000  fr.  y  a  été 
employée,  et  cette  année  les  acquisitions  ont  été  complétées.  Le 
théâtre  d'Orange,  qui  a  conservé  son  mur  de  scène,  est  déjà  dégagé 
de  manière  à  être  fermé  de  toutes  parts;  celui  d'Arles  le  sera  dans  le 
courant  de  l'année  ;  alors  on  pourra  terminer  à  l'intérieur  les  travaux 
de  déblaiement  qui  ont  dû  être  arrêtés  pour  empêcher  la  dégradation 
des  parties  découvertes  par  le  public  lorsqu'il  n'était  pas  possible 
d'y  établir  une  surveillance  suffisante. 

Un  beau  travail  a  été  aussi  exécuté  à  la  Tour  Magne  de  Nîmes 
sous  la  direction  de  M.  Questel,  architecte.  Ce  monument  avait  été 
renfermé  en  1840  dans  l'enceinte  du  jardin  public  de  la  Fontaine, 
ce  qui  permettait  de  lui  restituer  quelques-unes  des  constructions 
comprises  jusqu'alors  dans  une  propriété  particulière  et  dont  la  priva- 
tion lui  ôtait  une  partie  de  son  caractère.  Cet  édifice  fut  probable- 
ment destiné,  dans  l'origine,  à  servir  de  mausolée;  son  élégante  sim- 
plicité fut  d'abord  altérée  par  des  constructions  romaines  qui  en  firent 


COMMISSION  DES  MONUMENTS  HISTORIQUES.  203 

une  tour  de  signaux  destinés  à  servir  à  la  sûreté  de  la  colonie.  Au 
commencement  du  V^  siècle,  les  Barbares  ravagèrent  Nîmes  et 
n'épargnèrent  pas  la  Tour  Magne.  Les  Sarrasins  devenus  maîtres  du 
pays  trois  siècles  après  y  ajoutèrent  quelques  constructions  pour  en 
faire  une  forteresse.  Charles  Martel  la  démantela  en  1 185 ,  et  lorsque 
le  Languedoc  fut  réuni  sous  la  souveraineté  du  comte  de  Toulouse, 
la  Tour  Magne  fut  rétablie  en  château  fort  auquel  le  duc  de  Rohan 
ajouta  plus  tard  quelques  ouvrages  avancés.  Toutes  ces  transforma- 
tions avaient  jusqu'alors  respecté  l'intérieur  de  l'édifice,  lorqu'en  1601 
Henri  IV  autorisa  le  jardinier  Trancal  à  y  exécuter  des  fouilles  pour 
y  chercher  un  trésor  ;  le  squelette  du  monument  était  pourtant  resté 
debout  et  intact,  lorsque  l'établissement  d'un  télégraphe  en  ébranlant 
toute  la  masse  pour  en  évider  l'intérieur,  avait  enfin  porté  atteinte 
à  sa  solidité.  La  partie  supérieure,  celle  oii  sont  les  niches,  étant 
moins  évidée  que  les  parties  basses,  reposait  à  faux,  de  sorte  que  le 
poids  principal  portait  justement  sur  des  arrachements  suspendus.  La 
construction  de  tout  l'édifice  consiste  en  un  blocage  parementé  en  petit 
appareil,  mais  il  n'y  a  ni  arc  ni  voûte,  et  le  massif  de  la  partie  supé- 
rieure ne  tenait  que  par  l'excellence  du  mortier.  L'établissement  d'un 
pilier  au  centre  a  consolidé  toute  cette  masse;  il  monte  jusqu'au 
massif  sur  une  épaisseur  de  2  m.  50  c.  de  diamètre  et  sert  de  noyau 
à  un  escalier  en  spirale,  au  moyen  duquel  on  rejoint  la  cage  de  l'esca- 
lier antique  qui  a  été  restauré  et  sert  à  monter  facilement  jusqu'au 
faîte.  Ces  travaux  sont  terminés,  ceux  du  Pont-du-Gard  sont  en  voie 
d'exécution.  Il  ne  s'agissait  d'abord  que  de  réparer  le  dallage  des  aires 
ou  plafonds  de  la  seconde  galerie  qui  présentaient  de  larges  excava- 
tions, et  de  consolider  par  incrustation  un  certain  nombre  de  pieds- 
droits  de  la  troisième  galerie.  Plus  tard  on  établira  une  pente  destinée 
à  remplacer  un  escalier  moderne  qui  sert  à  monter  au  sommet  de 
l'édifice  et  il  sera  aussi  nécessaire  de  remplacer  en  sous  œuvre  un 
grand  nombre  des  immenses  voussoirs  des  arcades. 

A  Nîmes  encore  et  sous  la  direction  du  même  architecte,  on  a 
reculé  la  grille  qui  fermait  le  temple  de  Diane  de  manière  à  l'isoler 
et  à  découvrir  le  sol  antique  d'une  galerie  qui  appartenait  à  l'édifice 
et  avait  été  laissée  en  dehors  de  l'ancienne  clôture,  et  on  a  rétabli 
une  partie  de  l'entablement  qui  soutient  le  tympan  semi-circulaire 
qui  est  au  fond  du  temple.  Cette  réparation  a  permis  de  supprimer 
un  pilier  en  moellon  qui  défigurait  le  monument;  le  département  et 
la  ville  ont  pris  une  part  notable  à  ces  travaux,  leur  concours  est 
encore  réclamé  pour  ceux  que  la  commission  des  monuments  histo- 
riques a  proposé  de  faire  exécuter  à  la  porte  d'Auguste.  Il  s'agirait  de 


204  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

retrouver  le  sol  antique  qui  est  à  2  m.  60  c.  du  contre-bas  du  bou- 
levard moderne.  Cette  porte  sert  actuellement  d'entrée  à  la  caserne 
de  la  gendarmerie;  M.  Questel  propose  de  donner  une  autre  issue  à 
la  cour  de  cet  établissement,  il  serait  alors  possible  d'exécuter  une 
fouille  qui  déborderait  légèrement  sur  le  boulevard ,  elle  s'avancerait 
de  3  mètres  en  face  du  pilier  qui  occupe  le  milieu  de  la  porte  et  for- 
merait une  portion  de  cercle  allant  gagner  à  droite  et  à  gauche  les 
murs  des  tours  qui  flanquaient  l'entrée  de  la  ville  antique.  Le  fossé 
se  prolongerait  dans  la  cour  de  la  gendarmerie  jusqu'à  l'extrémité  du 
mur  de  refend  antique  formant  la  galerie  couverte  qui  est  à  droite 
et  serait  terminé  au  fond  par  un  mur  de  soutènement,  au-devant 
duquel  on  établirait  l'escalier  par  lequel  on  descendrait  dans  la  fouille. 
Il  serait  surmonté  d'une  grille,  et  cette  disposition  permettrait  d'en 
défendre  l'entrée  aux  curieux ,  sans  un  surveillant.  Du  côté  du  bou- 
levard le  sol  moderne  pourrait  être  abaissé  sans  inconvénient  jusqu'à 
un  mètre  de  celui  du  fossé,  dont  une  grille  défendrait  l'entrée  sans 
empêcher  de  juger  de  l'aspect  du  monument.  Ce  projet  a  été  adopté 
par  la  commission ,  et  l'administration  en  poursuivra  incessamment 
l'exécution. 

A  Vienne,  le  même  architecte  vient  d'étudier  par  l'ordre  du  Mi- 
nistre un  projet  de  transport  dans  l'église  Saint-Pierre ,  du  Musée 
des  antiquités  qui  encombre  l'ancien  temple  d'Auguste  et  de  Livie. 
Ce  monument  serait  ensuite  dégagé  des  édifices  qui  l'entourent,  les 
colonnes  seraient  débarrassées  du  mur  en  moellons  qui  les  empâte; 
les  cannelures  qui  ont  été  intérieurement  et  extérieurement  hachées 
au  niveau  de  ce  mur,  seraient  établies  par  incrustation,  et  l'édifice 
reprendrait  son  élévation  primitive  au-dessus  du  sol  antique  mis  à 
découvert.  L'église  Saint-Pierre  qui  est  elle-même  un  monument 
intéressant  du  moyen  âge,  malgré  les  travaux  que  Soufflot  y  a  fait 
exécuter  et  qui  dénaturent  son  style,  échapperait  ainsi  à  la  ruine 
dont  la  menace  l'usage  industriel  auquel  elle  est  affectée  par  le  lo- 
cataire de  la  fabrique  de  Saint-Maurice  qui  en  est  propriétaire,  et 
serait  parfaitement  convenable  à  l'établissement  d'un  vaste  musée 
destiné  à  contenir  les  antiquités  déjà  réunies  et  celles  que  fournit 
chaque  jour  le  sol  fécond  en  beaux  fragments  de  l'ancienne  cité  ro- 
maine. Cette  affaire  est  difficile  à  conduire  à  une  bonne  fin ,  elle 
entraînera  des  dépenses  considérables,  mais  cependant  elle  est  suivie 
avec  persévérance  par  la  commission ,  et  déjà  plusieurs  bâtiments 
qui  encombraient  les  abords  du  temple  ont  été  achetés  avec  les  fonds 
de  l'État  et  ceux  de  la  ville  réunis  dans  la  proportion  d'un  à  deux  tiers. 

La  situation  de  l'arc  de  triomphe  de  Reims  (porte  de  Mars)  était 


COMMISSION  DES  MONUMENTS   HISTORIQUES.  205 

réellement  alarmante,  et  des  travaux  de  restauration  considérables  y 
étaient  devenus  nécessaires.  Les  travaux  de  terrassement  qui  doivent 
s'exécuter  prochainement  pour  la  suppression  d'un  ancien  boulevard 
dégageront  le  monument  et  permettront  d'apercevoir  les  façades  la- 
térales, l'une  d'elles  a  besoin  de  grandes  réparations,  le  pied-droit, 
fort  endommagé,  étant  poussé  au  vide  par  l'arcade  qui  s'y  appuyait.  Il 
en  résulterait  inévitablement  la  chute  d'une  partie  de  l'édifice.  L'archi- 
tecte de  la  ville,  M.  Brunelte,  a  proposé  de  reprendre  en  sous  œuvre 
ce  pied-droit  et  de.  couvrir  tout  l'arc  en  asphalte  pour  le  mettre  à  l'abri 
des  infiltrations  dont  il  a  déjà  eu  à  souflVir  ;  on  rétablira  en  même 
temps  quelques  pierres  d'entablement  renversées  depuis  longtemps , 
mais  conservées  avec  soin ,  et  des  mesures  seront  prises  pour  assurer 
l'écoulement  des  eaux  et  dégager  le  pied  des  constructions.  Ce  projet 
a  été  approuvé,  la  ville  et  le  département  ont  pris  à  leur  charge  la 
moitié  de  la  dépense,  l'autre  moitié  a  été  imputée  sur  le  crédit  des 
monuments  historiques  et  les  travaux  sont  en  voie  d'exécution. 
.  A  Saintes,   on   exécute   en    ce   moment  sous  la  direction   de 

M.  Clerget,  architecte,  un  travail  fort  important  et  sur  lequel  il  est 
nécessaire  de  donner  quelques  explications ,  car  il  a  été  l'objet  de  cri- 
tiques qui  étaient  au  moins  prématurées.  Un  arc  de  triomphe  à  deux 
portes  avait  été  élevé  par  les  Romains  sur  les  bords  de  la  Charente  ; 
ce  monument,  l'un  des  plus  remarquables  de  même  espèce  que  pos- 
sède la  France,  avait  subi  de  singulières  vicissitudes,  le  lit  de  la 
Charente  avait  changé  et  compris  dans  son  cours  l'arc  qui  fut  sans 
doute  exposé  pendant  quelque  temps,  d'abord  aux  crues  extraordi- 
naires et  ensuite  au  courant  régulier.  Un  pont  destiné  à  mettre  en 
communication  les  deux  rives  fut  appuyé  sur  la  pile  que  formaient  na- 
turellement ses  fondations;  ce  pont  renouvelé  à  plusieurs  époques  et 
dont  la  dernière  construction  remontait  à  trois  siècles  environ ,  avait 
changé  entièrement  l'aspect  du  monument.  Tout  le  soubassement  et 
une  partie  des  pied-sdroits  avaient  été  compris  dans  la  pile  et  le  tablier 
s'élevait  entre  les  arcs  à  une  hauteur  de  plus  de  3  mètres  dont  il 
diminuait  d'autant  l'élévation;  de  plus,  un  affaissement  du  sol  du 
côté  de  la  rivière  avait  causé  un  tassement  dans  les  constructions  qui 
faisait  pencher  tout  le  monument  d'une  manière  notable  et  rendait  sa 
conservation  problématique;  le  pont  était  d'ailleurs  en  très-mauvais 
état,  trop  étroit  pour  les  besoins  de  la  circulation ,  et  son  radier  for- 
mait un  des  principaux  obstacles  à  la  navigation  du  fleuve;  déjà 
en  1788  sa  démolition  avait  été  jugée  nécessaire:  en  1835  seulement 
elle  fut  résolue,  et  celle  de  l'arc  avec  lui;  en  1840,  sur  une  récla- 
mation de  la  commission  des  monuments  historiques,  l'affaire  fut 


•206  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

étudiée  de  nouveau ,  on  proposa  d'abord  de  conserver  la  partie  du 
pont  qui  réunissait  l'arc  et  le  faubourg ,  le  pont  jusqu'à  la  pile  qui 
supporte  l'arc  serait  resté  isolé  comme  le  Ponte  Rotto  à  Rome; 
l'administration  des  ponts  et  chaussées  y  consentait,  et  ce  projet 
aurait  été  adopté  si  l'arc  avait  été  dès  son  origine  établi  sur  un  pont 
romain  dont  on  aurait  retrouvé  le  sol  antique,  mais  il  n'en  était  pas 
ainsi,  et  en  admettant  qu'un  éperon  eût  été  suffisant  pour  maintenir 
l'arc  avec  son  surplomb  au-dessus  du  fleuve,  le  monument  romain 
aurait  toujours  été  enterré  dans  des  constructions  qui  liii  enlevaient 
une  partie  de  son  élévation  et  tout  son  caractère;  la  Commission  des 
monuments  historiques  a  pensé  qu'il  était  préférable  de  le  lui  rendre 
en  le  replaçant  sur  le  nouveau  rivage  de  la  Charente  dans  une  po- 
sition analogue  à  celle  qu'il  occupait  du  temps  des  Romains.  Il 
s'agissait  seulement  d'exécuter  avec  soin  l'opération  de  déposer  les 
pierres  en  les  numérotant,  et  leur  dimension  de  grand  appareil  en 
assurait  le  succès  ;  c'est  ce  qui  a  été  fait  sous  la  direction  de  M .  Clerget,^ 
et  la  démolition  de  la  pile  a  donné  raison  aux  prévisions  des  archéo- 
logues en  amenant  la  découverte  d'un  soubassement  dont  l'existence 
n'était  pas  connue  et  qui  en  restituant  à  la  construction  romaine  toute 
sa  hauteur,  a  prouvé  victorieusement  qu'elle  n'était  pas  dans  l'ori- 
gine placée  sur  un  pont,  puisque  sa  base  antique  est  presque  au  niveau 
des  eaux  du  fleuve.  Des  fonds  considérables  et  suffisants  ont  été 
alloués  pour  l'achèvement  des  travaux,  les  pierres  rangées  par  ordre  ont 
été  déposées  pendant  l'hiver  sous  des  hangars,  et  en  ce  moment  l'archi- 
tecte est  sur  les  lieux  pour  procéder  à  la  reconstruction  du  monument 
antique  qui  retrouvera  dans  son  ensemble  l'aspect  que  lui  avaient  donné 
ses  fondateurs  et  qu'il  avait  perdu  depuis  si  longtemps.  — Des  travaux 
considérables  ont  été  aussi  exécutés  à  Jublains  (Mayenne)  pour  dé- 
blayer et  consolider  un  fort  gallo-romain  dont  les  ruines  importantes 
présentent  un  ensemble  des  plus  intéressants  ;  ces  ruines  dépendaient 
d'une  propriété  privée  qui  a  été  acquise  au  moyen  d'une  allocation 
de  3  000  fr.  votée  par  le  conseil  général  du  département,  et  d'un 
secours  de  1000  fr.  accordé  par  le  Ministre  de  l'intérieur.  Des  murs 
de  1  m.  90  c.  à  2  m.  d'épaisseur,  conservant  encore  plus  de  3  mètres 
d'élévation  et  revêtus  extérieurement  en  pierre  de  taille  de  grand 
appareil,  et  intérieurement  d'un  parement  en  petites  assises  de  moellons 
smiilés  parfaitement  rejointoyés,  forment  une  enceinte  rectangulaire 
de  31m.  de  longueur  sur  18  m.  70  c.  de  largeur,  flanquée  à  chaque 
angle  de  tours  ou  pavillons  carrés  communiquant  tant  en  dehors 
qu'avec  l'intérieur  de  l'édifice  par  de  petites  portes  carrées  ou  pyra- 
midales de  i  m.  10  c.  à  1  m.  20  c.  de  largeur.  Un  bassin  ou  piscine,  des 


COMMISSION  DES  MONUMENTS   HISTORIQUES.  207 

vestiges  d'hypocauste,  une  porte  isolée  et  un  puits  creusé  dans  le 
granit,  se  sont  rencontrés  dans  l'espace  compris  entre  l'enceinte 
extérieure  et  l'édifice  central  qui  est  un  impluvium  recevant  les  eaux 
des  versants  des  quatre  toits  intérieurs  avec  deux  aqueducs  destinés  à 
le  dégager  de  son  trop  plein.  Ce  spécimen  curieux  des  constructions 
militaires  élevées  par  les  Romains  dans  les  Gaules  a  été  dégagé  des 
monceaux  de  terre  qui  l'avaient  encombré  ;  ses  murs  et  ruines  ont 
été  recouverts  de  chapes  en  mortier  et  brique  qui  empêchent  l'infil- 
tration des  eaux  sans  en  dénaturer  l'aspect,  et  ces  travaux  élant 
terminés,  des  fouilles  dirigées  avec  intelligence  dans  les  localités 
environnantes  par  M.  Magdeleine,  ingénieur  en  chef  du  département, 
ont  amené  la  découverte  d'un  temple  périptère,  et  de  thermes  dont 
la  salle  principale  avait  6  m.  50  c.  sur  7  mètres,  et  était  terminée  à 
ses  deux  extrémités  par  des  hémicycles. 

A  Autup ,  des  études  sont  faites  en  ce  moment  par  M.  Viollet- 
Leduc,  architecte,  pour  l'isolement  et  la  consolidation  de  la  porte 
romaine  de  Saint- André;  le  théâtre  a  été  acheté,  il  est  maintenant 
isolé  çt  clos,  et  on  pourra  y  diriger  utilement  des  fouilles  dont  le 
résultat  promet  d'être  intéressant;  des  fouilles  ont  été  également 
entreprises  sur  l'emplacement  de  l'amphithéâtre  de  cette  ville  ;  des 
travaux  de  même  nature  ont  été  exécutés  depuis  quatre  ans  à  Nar- 
bonne,  à  Aix,  à  Martres  (Haute-Garonne),  à  Pomponiana,  près 
d'Hvères  (Gard),  à  Apt  et  à  Vaison  (Drôme);  à  Évreux,  trois 
théâtres  ont  été  découverts  dans  un  espace  très-rétréci ,  et  de  su- 
perbes spécimens  de  sculpture  antique  ont  été  trouvés  dans  le  cours 
des  travaux.  Tous  les  objets  précieux  recueillis  dans  ces  fouilles  sont 
conservés  dans  les  musées  des  villes  environnantes.  Le  gouvernement 
permet,  en  effet,  que  ces  fragments  restent  dans  les  départements 
d'où  ils  proviennent  pour  y  former  comme  des  archives  de  l'histoire 
locale,  et  pour  y  répandre  le  goût  des  arts.  Si  cependant  quelques 
objets  d'une  importance  extraordinaire  étaient  découverts  dans  ces 
explorations,  le  Ministre  réclamerait  leur  dépôt  dans  les  grandes 
collections  de  la  capitale ,  car  c'est  là  seulement  qu'ils  peuvent  être 
d'une  véritable  utilité.  De  telles  raretés  intéressent  tous  les  savants, 
et  ne  peuvent  être  mieux  placées  que  dans  les  musées  de  Paris ,  qui 
sont  de  grands  centres  d'étude.  Dans  un  tel  cas,  qui  d'ailleurs  ne 
doit  pas  se  présenter  fréquemment ,  l'administration  s'est  engagée  à 
donner  à  la  ville  dans  le  territoire  de  laquelle  la  découverte  aurait  été 
faite  un  moule  de  l'objet  envoyé  à  Paris. 

E.  Grille  de  Beuzelin. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES 


Extrait  d'une  lettre  du  professeur  Lepsius. 

E.  Dahmer,  26  janvier  1844. 

Les  monuments  nubiens  ont  réellement  un  caractère  particulier, 
quoique  presque  tous  aient  été  élevés  par  les  rois  d'Egypte.  Très-peu 
sont  dus  à  des  rois  éthiopiens,  et  encore  sont-ils  unis  à  des  construc- 
tions égyptiennes.  Nous  n'avons  découvert  que  les  noms  de  Tahraca, 
Ergamenes  et  Atechramen,  et  en  partie  dans  des  lieux  qui  ont  échoppé 
à  Champollion.  La  vallée  entière  est  d'ailleurs  si  petite  et  la  contrée  si 
désolée  qu  elle  n'a  jamais  pu  faire  vivre  une  population  nombreuse  et 
n'a  pas  eu  de  monuments  avant  la  conquête  égyptienne ,  parce  qu'elle 
ne  pouvait  servir  de  séjour  à  des  princes  riches  et  puissants;  mais 
l'adoration  des  dieux  et  de  rois  môme  de  l'Egypte  offre  dans  ce  pays 
plusieurs  particularités,  entre  autres  la  divinisation  de  Ramsès  le 
Grand,  très-souvent  confondu  avec  Ammon,  Phre  et  Phtha,  et  qui  a 
comme  eux  le  titre  de  divinité  suprême.  Au  reste  l'homme  se  sépare 
de  Dieu  lorsque  ordinairement  il  s'adore  lui-môme.  C'est  ce  qui  a 
conduit  Champollion  à  cette  opinion  singulière  que  le  Ramsès  divin 
n'a  rien  de  commun  avec  le  roi ,  et  que  Ramsès  n'est  que  l'un  des 
noms  que  l'on  joint  à  celui  de  Ra  lui-môme.  A  E'  Sebua ,  le  roi  adore 
quatre  divinités  qui  sont  :  1  "  le  Phlha  de  Ramsès  dans  le  palais 
è Ammon;  2°  le  Phlha  avec  le  signe  da  Sakriy  Socharis;  3"  le 
Ramsès  dans  le  palais  de  Phtha;  4°  Ilalhor  ;  dans  le  môme  lieu  il 
adore  aussi  la  barque  sacrée  de  Y  Ammon  de  Ramsès  dans  le  palais 
d Ammon.  On  trouve  aussi  en  Nubie  plusieurs  dieux  nouveaux  et  in- 
connus à  l'Egypte.  Quelques-uns  d'entre  eux  sont  considérés  comme 
les  divinités  principales  des  temples  où  on  les  adore.  Tel  est  le  Môrul 
à  Talmis.  Une  autre  particularité  est  le  culte  fréquent  en  Nubie  de 
Sesertusen  IIL  Ce  prince  est  aussi  appelé  précisément  le  seigneur  de 
la  Nubie  et  les  rois  sont  nommés /^5  aimés  de  Seserlasen  et  d'autres 
divinités  encore.  C'est  à  Abu  Simbel  que  nous  avons  fait  le  plus  long 
séjour.  C'est  là  que  les  sculptures  égyptiennes  sont  les  plus  nom- 
breuses et  les  plus  intéressantes.  Nous  y  avons  trouvé  aussi  sur  les 
genoux  du  colosse  extérieur  des  inscriptions  grecques  et  phéniciennes 
très-remarquables;  parmi  les  inscriptions  grecques,  qui,  à  la  vérité, 
se  bornent  la  plupart  à  des  noms,  j'en  ai  découvert  une  en  quelques 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  209 

ligoes  écrite  à  la  manière  dite  (Soyo-rpocpsc^ov,  que  nous  n'avons  pu 
encore  déchiffrer  en  entier.  J'ai  fait  prendre  l'empreinte  de  toutes  ces 
inscriptions  et  j'en  ai  pris  moi-même  avec  beaucoup  de  soin  une  se- 
conde empreinte  de  manière  que  le  texte  deviendra  intelligible  avec 
quelque  étude.  Parmi  les  autres  inscriptions  grecques  il  y  en  a  plu- 
sieurs en  caractères  très-anciens  ;  quelques-uns  datent  du  temps  des 
Ptolémées,et  sont  écrites  dans  un  récent  système  paléographique.  J'ai 
dressé  une  liste  chronologique  des  princes  éthiopiens  qui  ont  gou- 
verné le  pays  sous  l'autorité  supérieure  de  l'Egypte,  depuis  Tuth- 
mès  III  jusqu'à  Ramsès  Miamun.  Ces  princes  n'étaient  pas  du  sang 
des  Pharaons,  le  nom  de  fils  royaux  n'était  pour  eux  qu'un  titre 
comme  celui  de  avyyzvriq  sous  les  Ptolémées.  La  Nubie  fournit  peu 
de  choses  utiles  pour  la  chronologie. 

—  M.  de  la  Pylaie  vient  de  découvrir  dans  le  Finistère,  vis-à-vis 
l'Anse  du  Fret,  à  main  droite  de  la  route  et  au  milieu  d'un  champ , 
un  petit  tertre  de  la  nature  de  ceux  auxquels  il  a  donné  le  nom  de 
barows-hian  (avec  encaissement).  Ce  tertre,  de  forme  un  peu  ovale, 
est  long  de  12  pieds  du  Nord  au  Midi,  large  de  10  de  l'Est  à  l'Ouest, 
et  haut  de  3  pieds  au-dessus  du  niveau  du  sol  ;  il  offre  à  sa  circon- 
férence quatre  pierres  établies  en  manière  de  contre-forts  ou  plutôt 
d'encaissements ,  dont  la  principale  est  du  côté  du  levant.  C'est  le 
seul  petit-baft-ow  de  cette  nature  que  l'on  connaisse  encore  dans  le 
Finistère,  mais  ces  tertres  sont  communs  à  l'île  de  Noirmoutier  et  à 
l'île  Dieu.  En  examinant  les  environs  du  sommet  du  tertre  du  Fret, 
on  ne  tarde  pas  à  apercevoir  dans  le  même  champ  une  pierre  isolée 
qui  est  à  trente-six  pas  de  distance  à  l'Est.  Cette  pierre  est  haute 
de  2  pieds  et  demi,  épaisse  de  2  pieds,  alignée  du  Nord  au  Midi. 
On  rencontre  encore  à  égale  distance,  du  côté  de  l'Ouest»  d'autres 
pierres  qui,  sans  doute,  forment  le  complément  du  même  système. 

(  Llnsdlut.  ) 

—  M.  Phil.  Lebas ,  membre  de  l'Institut ,  est  arrivé  à  Athènes 
dans  les  derniers  jours  d'avril,  venant  de  la  Carie,  où  il  a  fait  d'im- 
portantes découvertes  archéologiques,  telles  que  celle  de  la  véritable 
position  d'Alabanda,  chef-lieu  judiciaire  de  cette  province,  sous 
l'administration  romaine,  et  d'AÏinda,  refuge  de  la  reine  Adda ,  alors 
qu'Alexandre  le  Grand  vint  assiéger  Halicarnasse  ;  de  cent  cin- 
quante inscriptions  inédites  et  du  plus  haut  intérêt,  recueillies  à 
Mylasa  (l);  de  la  ville  de  Labranda  et  de  son  temple  de  Jupiter 

(1)  M.  Lebas  a  pris  non- seulement  des  copies  exactes  et  des  estampages  de  ces 
1.  14 


210  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

{ Jupiter  Lahrandeniis) ,  l'un  des  sanctuaires  les  plus  célèbres. de 
l'Asie  Mineure  dans  l'antiquité,  et  qui  cependant  s'était  jusqu'à  ce 
jour  dérobé  aux  recherches  des  archéologues;  enfin,  d'un  grand 
nombre  d'inscriptions,  jusqu'à  ce  jour  jugées  indéchiffrables,  qu'il  a 
cependant  lues  et  estampées  sur  les  ruines  d'un  théâtre  de  l'an- 
cienne Jasos,  et  oii  il  a  trouvé  plus  d'un  fait  curieux  pour  l'histoire 
de  l'art  dramatique  dans  l'antiquité.  Au  19  mai,  date  de  ses  der- 
nières lettres,  il  était  sur  le  point  de  partir  pour  la  Phocide ,  et 
d'aller  explorer  les  ruines  de  Delphes,  oii  les  découvertes  d'Ottfried 
Millier,  interrompues  par  le  funeste  accident  qui  a  privé  l'archéologie 
de  l'un  de  ses  plus  savants  interprètes ,  prouvent  qu'il  y  a  encore  une 
abondante  moisson  à  faire. 

M.  Lebas  a  fait  mouler  à  Athènes,  pour  notre  École  des  beaux- 
arts,  les  plus  beaux  morceaux  de  sculpture  que  renferme  cette 
ville.  Voici  la  liste  des  moulages  qu'il  a  jusqu'à  ce  jour  adressés  à 
Paris  : 

Quatorze  plaques  de  la  frise  du  Parthénon; 

Cinq  fragments  de  la  barrière  du  temple  de  la  Victoire  sans  ailes  ; 

Douze  fragments  de  la  frise  du  même  monument  ; 

Une  métope  du  Parthénon  ; 

Six  statues,  statuettes,  Hermès  ^ 

Dix  bas-reliefs  votifs ,  funèbres  et  autres  ; 

Trois  têtes  et  bustes  ; 

Deux  stèles  funèbres  ; 

Un  vase; 

Huit  fragments  d'architecture. 

Les  travaux  qui  restent  à  exécuter  sont  : 

1°  L'entablement  complet  du  Parthénon,  avec  la  naissance  du 
fronton  et  le  retour  d'angle  ;  c'est  une  des  plus  grandes  opérations  de 
ce  genre  qui  aient  été  exécutées  jusqu'ici  ; 

2°  Une  grande  partie  de  l'ordre  du  temple  d'Érechthée; 

T  Quelques  détails  du  temple  de  Minerve  Poliade  ; 

4"  L'entablement  et  le  stylobate  du  Pandrosiam. 

Au  moyen  de  ces  envois  déjà  faits  par  M.  Lebas ,  et  de  ces  tra- 
vaux que  le  savant  archéologue  espère  pouvoir  achever  d'ici  au  mois 
d'octobre ,  terme  assigné  à  sa  mission  par  le  gouvernement ,  on  aura 

inscriptions;  il  rapporte  les  nnarbrcs  mêmes  de  trois  des  plus  anciennes.  Ce  sont 
des  décrets  du  temps  d'Artaxerxès  Memnon  et  du  satrape  Mausole  ,  le  mari  de  la 
célèbre  Arlémisc.  Ces  marbres  sont  assurément  un  des  plus  précieux  ornemenlsde 
no'.rc  Musée  des  Antiques. 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  211 

l'ordre  complet  des  quatre  plus  beaux  temples  de  l'antiquité,  et  notre 
École  des  beaux -arts  sera  dotée  de  modèles  vraiment  dignes  de 
l'admiration  des  élèves  et  même  des  artistes. 

—  Un  puits  antique,  dont  l'origine  semble  remonter  aux  Gaulois 
ou  du  moins  être  antérieur  aux  Romains,  a  été  découvert  dans  le 
territoire  de  Beuzeville  (Eure).  Ce  puits  a  13  mètres  de  profondeur, 
1  mètre  30  centimètres  de  diamètre  ;  il  est  pierre  tout  au  tour  en 
silex ,  posévS  à  sec  et  sans  taille ,  mais  de  façon  à  former  un  revête- 
ment solide.  Parmi  les  déblais  qui  remplissaient  ce  puits  se  sont 
trouvés  divers  fragments  de  poterie  ornés  de  figures  en  relief;  le 
plus  grand  appartient  à  un  vase  sur  lequel  une  chasse  était  repré- 
sentée. Plusieurs  fragments  portent  une  frise  ornée  d'un  rang  d'oves 
séparés  les  uns  des  autres  par  un  cordon  pendant  et  terminé  par  un 
gland.  (L'Instiuu.) 

—  On  vient  de  découvrir,  près  de  Jouy- aux- Arches  (  Moselle),  un 
bassin  de  forme  circulaire,  placé  au  point  oii  les  eaux  de  l'aqueduc 
romain,  qui  traverse  cette  commune,  quittaient  les  arches  pour  en- 
trer dans  l'aqueduc  souterrain  dont  on  voit  encore  des  vestiges  sur 
le  chemin  adjacent. 

—  En  continuant  les  fouilles  commencées  à  Béziers,  dont  nous 
avons  fait  connaître ,  dans  notre  précédent  numéro ,  les  premiers  ré- 
sultats ,  on  a  fait ,  ainsi  qu'on  l'espérait ,  de  nouvelles  découvertes  : 
l'enlèvement  des  terres  a  mis  à  nu  l'angle  d'un  mur  auquel  on 
assigne  une  construction  d'origine  romaine.  Au  bas  de  ce  mur  ont 
été  retrouvées  six  têtes  parfaitement  conservées,  en  très-beau  marbre 
statuaire,  et  remarquables  par  la  correction  du  dessin.  Une  de  ces 
têtes  est  d'une  grande  dimension;  elle  porte  une  barbe  touffue  et 
une  chevelure  épaisse  et  bouclée.  Jusqu'à  présent  le  chiffre  des  têtes 
trouvées  s'élève  au  nombre  de  neuf.  On  espère  qu'en  creusant  un  peu 
plus  bas  on  trouvera  la  mosaïque  ou  le  pavé  de  l'édifice  qui  renfer- 
mait toutes  ces  richesses. 

—  Nous  annonçons  à  nos  lecteurs  la  mise  en  vente  d'une  publica- 
tion, portant  pour  titre  :  Examen  critique  de  la  découverte  du  prétendu 
cœur  de  Saint-Louis,  faite  à  la  Sainte- Chapelle ,  le  15  mai  1843; 
accompagné  d'extraits  de  ce  qui  a  été  publié  sur  cette  décowerte ,  etc.; 
par  M.  Letronne,  garde  général  des  Archives  du  royaume,  membre 
de  l'Institut,  etc.;  nous  nous  proposons  de  rendre  compte  de  cet 
important  ouvrage  dans  un  de  nos  plus  prochains  numéros. 


GRAVURES 

PUBUÉES   DANS  LA   TROISIÈME  LIVRAISON 

DE   LA 

REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 


MOYEN  AGE, 

ARCHITECTURE  :  —  Armoire  aux  Saintes  Huiles  dans  l'église  de 
Saint-Clément  à  Rome.  Ce  meuble  fait  partie  d'une  suite  de 
Planches  destinées  à  illustrer  un  article  sur  Y  Ameublement  des 
Églises  pendant  le  Moyen  Age, 

—  Tombeau  byzantin  à  Kutaya.  Nous  devons  le  dessin  de  ce  monu- 
ment à  l'obligeance  du  savant  voyageur  M.  Ch.  Texier,  qui  a 
bien  voulu  nous  promettre  une  Notice  archéologique  que  nous 
donnerons ,  avec  un  autre  monument  funéraire  du  moyen  âge , 
dans  notre  prochain  numéro. 


VIGNETTES  SUR  BOIS 

INTERCALÉES  DANS  LA   NOTICE 

DR  LA  CHAPELLE  DU  COUÉGE  M  MVARRE  A  PARIS. 


V  Vue  de  l'Ancienne  Bibliothèque. 
2"  Vue  de  la  Chapelle  du  Collège. 


NINIVE  ET  KHORSABAD, 


Si  Ton  cherche  bien  attentivement  à  quelles  causes  la  capitale  de 
l'empire  d'Assyrie  doit  l'immense  renommée  dont  elle  jouit  vingt- 
cinq  siècles  après  sa  destruction,  on  se  convaincra  bientôt,  je  crois, 
que  ce  n'est  ni  à  un  rôle  important  dans  l'histoire,  puisque  l'histoire, 
née  plus  d'un  siècle  après  qu'elle  avait  péri,  ne  nous  a  transmis  de 
ses  annales  que  des  fables  confuses,  ni  à  des  ruines  imposantes  qui 
auraient  été  un  témoignage  matériel  de  son  existence.  On  sait ,  en 
effet,  que  jamais  ville  n'a  laissé  moins  de  traces  de  sa  splendeur  (l). 
Je  pense  que  le  très-court  récit  de  Jonas ,  texte  qui ,  en  présentant  le 
tableau  d'un  pardon  obtenu  par  un  repentir  profond,  fournissait  une 
parabole,  frappante  et  toujours  prête,  au  zèle  des  prédicateurs  de  la 
loi  chrétienne,  a  suffi  pour  répandre  le  nom  de  Ninive  chez  toutes 
les  nations.  Adhnc  très  dies,  et  Nineçe  suhvertetur;  cet  avertissement 
terrible,  mille  fois  répété  dans  la  chaire  du  Christ,  a  eu  autant  de 
puissance  sur  les  esprits  du  moyen  âge  que  les  poëmes  d'Homère  et 
de  Virgile  en  avaient  eu  dans  l'antiquité  pour  rendre  célèbre  le  sort 
de  Troie.  C'est  un  fait  curieux  à  constater,  que  l'influence  d'une 
pensée  philosophique  et  religieuse  ait  placé  dans  la  mémoire  des 
peuples  une  ville  qui  n'a  jamais  été  entrevue  qu'à  travers  le  brouillard 
des  fables,  à  côté  de  Rome  et  d'Athènes  dont  l'histoire  nous  est  si 
familière ,  dont  les  langues  sont  les  bases  de  celle  que  nous  parlons. 
La  légende  du  prophète  Jonas  est  aussi  populaire  chez  les  musulmans 
que  chez  les  chrétiens,  et  c'est  au  nom  deiVeôt  lounas  imposé  par 
les  premiers  à  un  tombeau  voisin  du  Tigre  que  l'on  reconnaît  le  site 
de  Ninive  (2).  A  l'époque  de  dom  Calmet,  ce  site  était  encore  con- 


(1)  Lucien,  Xapu-j.  23.  'h  Nt'vo?  //iv,  àîro^w/sv  r,o-n  xal  ouck  tyyo^  Irt /oiTcàv  aOrvî^, 
ov5'àv  sxTioii  Stiov  îtot'  h-  Lucien,  comme  on  sait,  était  né  à  Samosate ,  à  cent  lieues 
de  Ninive. 

^2)  Nèbi  lounas,  c'est-à-dire  le  prophète  Jonas.  V.  liuckinghara  :  Travels  in  Me- 
sopotamia,  etc.,  wilh  rcsearchcs  on  the  ruins  of  Nineveh,  Bal)yionand  olher  ancient 
cities.  London,  1827,  in-8°.  — Rich:  Narrative  of  a  résidence  in  Khoordistan  and 
on  the  site  of  ancidnt  Nincvch,  etc.  London,  1836,  in-8\ 

I.  15 


214  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

testé  (Ij;  mais,  depuis  quelques  années,  des  voyageurs  anglais,  que 
leurs  prédilections  bibliques  attiraient  vers  cette  partie  de  l'Asie,  ont 
tranché  la  question  ,  et  il  est  désormais  constant  que  Ninive  occupait 
l'emplacement  qui  s'étend  sur  la  rive  orientale  du  Tigre  et  que  tra- 
verse la  rivière  nommée  Khausser ,  en  face  de  Mossoul. 

L'enceinte,  qui  embrasse  une  étendue  de  terrain  d'environ  deux 
tiers  de  lieue  de  large  sur  une  lieue  un  tiers  de  long,  est  formée  de 
deux  murs  séparés  par  un  fossé  encore  très-bien  conservé;  dans 
l'espace  que  renferment  ces  fortifications ,  construites  en  blocs  im- 
menses, des  fouilles  ont  fait  retrouver  quelques  substructions ,  parmi 
lesquelles  étaient  des  briques  et  des  dalles  de  gypse,  les  unes  et  les 
autres  chargées  de  caractères  cunéiformes. 

M.  Rich  acheta  un  curieux  siège  de  pierre,  qui  fut  trouvé  dans  la 
colline  qui  supporte  le  tombeau  de  Jonas.  Quelque  temps  aupara- 
vant, on  avait  découvert,  dans  la  partie  nord-ouest  de  l'enceinte,  à 
un  endroit  où  la  muraille  est  plus  haute  et  plus  épaisse  que  partout 
ailleurs,  un  immense  bas-relief  représentant  des  hommes  et  des  ani- 
maux ,  couvrant  une  pierre  grise  de  la  hauteur  de  deux  hommes  (2). 
Toute  la  ville  de  Mossoul  alla  examiner  ce  curieux  échantillon  de 
l'art  assyrien ,  qui  fut  ensuite  mis  en  pièces.  Quelque  vaste  que  fût 
cette  enceinte,  elle  paraît  insuffisante  pour  y  placer  la  ville  que  le 
prophète  hébreu  mit  trois  jours  à  traverser,   et  que  Diodore  de 
Sicile  nous  dit  avoir  eu  480  stades  de  tour,  être  fermée  d'un  mur 
de  100  pieds  de  haut,  sur  lequel  trois  chars  pouvaient  passer  de 
front  (ce  qui  équivaut  à  environ  10  pieds),  et  défendue  par  quinze 
cents  tours  de  200  pieds  de  hauteur.  Il  est  vrai  que  ces  dimensions 
colossales  indiquées  par  l'écrivain  grec,  à  une  époque  oii  l'on  faisait 
de  lliistoire  (3),  sont,  pour  ainsi  dire,  impossibles,  et  que  nous  ne 
savons  pas  dans  quelles  proportions  nous  devons  les  restreindre. 
Nous  pourrions  aussi  supposer  que  Jonas  ne  traversait  pas  seulement 
la  ville,  comme  presque  tous  les  écrivains  l'ont  entendu,  mais  qu'il 
parcourait  chaque  quartier,  et  s'arrêtait  pour  crier  ses  menaces;  en 
sorte  qu'il  a  pu  employer  trois  journées  dans  un  heu  d'une  moyenne 


(1)  Dictionnaire  de  la  Bible,  t.  I ,  p.  104.  Le  savant  bénédictin  paraît  s'être  sin- 
gulièrement préoccupé  du  témoignage  de  Diodore  de  Sicile. 

(2)  Uich,  loc  laud.,  t   II,  p.  41. 

(3)  Les  rpnseiguemcnls  que  Jonas  nous  fournit  sont  exprimés  naïvement  et  par 
basard ,  sans  aucune  inlenlion  d'établir  des  données  historiques,  il  en  est  autre- 
ment de  Diodore  qui ,  vivant  à  une  époque  annaliste  ,  veut  paraUrc  érudit  et  bien 
informé  sur  toutes  les  questions:  c'est  !à  le  genre  d'écrits  dont  ii  faut  se  défier. 


NINIVE   ET  KHORSABAD.  215 

étendue.  Ce  qui  le  ferait  supposer  avec  quelque  vraisemblance,  c'est 
que  le  prophète  put  se  faire  une  idée  de  la  population  de  la  ville, 
qu'il  porte  à  plus  de  120  000  houimes,  qui,  dit-il  dans  son  dépit,  ne 
savaient  pas  distinguer  leur  main  gauche  de  leur  main  droite  (l). 
M.  Ilich,  influencé  peut-être  parles  idées  qui  circulent  depuis  tant 
de  siècles  sur  la  grandeur  des  villes  d'Assyrie,  a  considéré  l'enceinte 
qui  existe  encore  aujourd'hui  comme  marquant  seulement  l'aire  de  la 
résidence  royale;  et  ce  qui  a  contribué  à  faire  naître  chez  lui  cette 
opinion ,  c'est  la  quantité  considérable  de  ruines  et  de  mouvements 
de  terrain  qui  se  remarquent  en  dehors  de  la  muraille,  dans  un 
rayon  fort  considérable. 

Un  orientaliste  distingué ,  que  le  gouvernement  français  a  envoyé 
récemment  à  Mossoul,  en  qualité  de  consul,  M.  Botta,  près  avoir 
fait  pratiquer  quelques  fouilles  sur  l'emplacement  de  Ninive,  tel  que 
nous  venons  de  le  faire  connaître,  et  fatigué  de  n'y  rencontrer,  de 
tous  côtés,  que  des  briques  et  des  fragments  insignifiants,  eut  l'idée 
d'envoyer  quelques  ouvriers  dans  un  village  voisin  ,  nommé  Khorsa- 
bad ,  d  oii  l'on  avait  apporté  déjà  des  briques  à  inscriptions  cunéi- 
formes. Les  fouilles  ne  tardèrent  pas  à  amener  les  plus  heureux 
résultats ,  et  nous  allons  en  donner  un  aperçu. 

Le  village  de  Khorsabad  est  à  quelque  distance  au  nord-est  de 
Mossoul,  sur  la  rive  gauche  de  la  petite  rivière  nommée  Khausser, 
qui ,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  vient  se  jeter  dans  le  Tigre  en  traver- 
sant l'antique  enceinte  de  Ninive.  Il  est  bâti  sur  un  monticule 
allongé  de  l'est  à  l'ouest  ;  l'extrémité  orientale  se  relève  en  un  cône 
que  l'on  dit  être  artificiel  et  moderne;  mais  cela  paraît  douteux. 
L'extrémité  occidentale  se  bifurque,  et  c'est  sur  la  pointe  septentrio- 
nale de  cette  bifurcation  que  les  ouvriers  de  M.  Botta  firent  Içurs 
premières  découvertes. 

On  mit  à  nu  la  partie  inférieure  de  murailles  parallèles  qui  sem- 
blaient déterminer  un  passage  d'environ  3  mètres,  au  bout  duquel 
se  trouvait  une  salle  dont  les  parois  sont  couvertes  de  bas-reliefs  dont 

(1)  Jonas,  C.  IV,  V.  2.  On  a  généralement  pensé  que  par  ces  cent  vingt  mille 
âmes  Jonas  avait  voulu  désigner  les  enfants  au-dessous  de  l'âge  de  raison  qui  ne 
savent  pas  distinguer  encore  leur  droite  de  leur  gauche,  et  que  ,  par  conséquent, 
en  établissant  la  proportion  qui  doit  exister  entre  le  nombre  des  enfants  et  celui  des 
hommes  faits,  on  arriverait  à  un  chiffre  de  GOO.OOO  habitants.  J'ai  connu  des  Arabes 
hommes  et  femmes,  d'un  âge  fait,  qui  n'avaient  pas  la  notion  de  la  droite  et  de  la 
gauche  Gela  paraîtra  moins  surprenant  à  ceux  qui  se  rappelleront  que  les  Orientaux 
ne  savent  jamais  leur  âge  et  qu'il  ne  leur  vient  même  pas  à  l'idée  de  s'en  occuper. 
Je  crois  donc  que  dans  sa  mauvaise  humeur  Jonas  a  simplement  voulu  traiter 
d'ignorants  les  habitants  de  Ninive  qui  étaient  au  nombre  de  plus  de  120,000. 


216  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

le  style  est  fort  intéressant.  On  voit  d'abord  un  guerrier  vêtu  d'une 
cotte  de  mailles  et  coiffé  d'un  casque  tombant  en  arrière,  percé  d'une 
lance;  derrière  lui  sont  deux  archers,  habillés  de  même  et  lançant 
des  llèches  dans  la  direction  du  guerrier  (actuellement  détruit)  qui 
portait  le  coup  de  lance  à  leur  compagnon.  Sur  une  autre  partie  de 
la  muraille ,  on  voit  une  forteresse  composée  de  deux  tours  crénelées , 
sur  lesquelles  sont  deux  personnages  fort  disproportionnés  relative- 
ment aux  tours.  L'un  d'eux  lève  les  bras  au  ciel  en  signe  de  déses- 
poir, et  l'autre  lance  un  javelot;  plus  au  sud  sont  deux  archers  ,  le 
genou  en  terre,  coiffés  d'un  casque  pointu  comme  celui  des  soldats 
normands  du  XI*'  siècle,  et  revêtus  de  cottes  de  mailles;  l'un  décoche 
un  trait  dans  la  direction  de  la  forteresse;  l'autre  se  couvre  d'un 
grand  bouclier  circulaire   orné   de  dessins ,  comme  les  boucliers 
étrusques  de  bronze  trouvés  dans  les  sépultures  de  Cere  (l),   ou 
comme  les  targes  de  jonc  recouvert  de  soie  dont  se  servaient  les 
Mamelouks.  Derrière  ces  deux  personnages  sont  deux  archers  debout, 
tirant  vers  la  forteresse.  Ces  ligures  sont  hautes  de  3  pieds ,  et  sont 
dessinées  avec  assez  de  naturel  et  de  mouvement.  Toute  la  scène  est 
surmontée  d'une  inscription  cunéiforme  très-dégradée ,  et  dont  il 
manque  une  grande  partie,  car  l'édifice  a  été,  comme  les  maisons  de 
Pompei,  entièrement  détruit  au  rez  du  sol,   et  quelques  figures 
colossales,  dont  je  vais  parler,  ne  subsistent  plus  que  jusqu'au  niveau 
des  hanches.  Dans  le  passage ,  la  muraille  du  nord  présente  d'abord 
un  personnage  de  3  pieds  de  haut,  barbu,  couvert  d'une  tunique 
courte,  et  portant  au  côté  un  parazonium;  delà  main  gauche  il  tient 
une  hampe  qui  peut  appartenir  à  une  lance  ^  non  loin  se  trouve  la 
partie  inférieure  d'un  colosse  qui  devait  avoir  au  moins  8  pieds  de 
haut;  il  était  richement  vêtu  d'une  tunique  et  d'une  large  robe  à 
franges;  ses  pieds  sont  munis  de  sandales,  et  il  me  semble  que  le  per- 
sonnage devait  être  un  roi,  si  je  compare  cette  figure  à  celle  de  Xerxès 
qui  se  voit  sur  les  pieds-droits  de  Persépolis,  et  qui  de  même  est  colos- 
sale et  accompagnée  de  serviteurs  d'unetaille  plus  petite  ;  ce  qui  me 
le  fait  supposer,  c'est  qu'à  Khorsabad  le  même  sujet  se  répète  aussi 
sur  le  mur  opposé. 

En  face  de  ce  bas-relief,  la  muraille  présente  la  partie  inférieure 
de  cinq  personnes  simplement  vêtues  et  tournées  vers  l'est  ;  derrière 
elles  marche  un  personnage  dont  la  tête  manque,  et  qui  semble 
avoir  eu  des  ailes,  ou  du  moins  un  manteau  de  fourrure  dont  le  poil 

(1)  V.  l'ouvrage. du  chevalier  Luigi  GriflS,  inlilulé:  Cerc   anlica,  Rome  ï842, 
in-folio. 


IVINIVE   ET  KHORSABA.D. 


217 


est  figuré  en  quadrille  comme  des  plumes.  Ensuite  on  voit  un  homme 
ayant  une  épée  au  côté,  et  tenant  à  la  main  un  long  bâton;  de  sa 
ceinture  pend  une  sorte  de  tablier  en  forme  d'aile  qui  rappelle  un 
ajustement  égyptien;  ce  soldat  semble  pousser  devant  lui  deux 
femmes  ,  dont  l'une  porte  une  bourse  et  l'autre  tient  par  la  main  un 
enfant  nu  ;  elles  sont  précédées  par  une  troisième  femme  qui  paraît 
porter  une  outre  ou  un  sac  sur  ses  épaules.  Il  semble  que  tout  ce 
côté  de  l'édifice  représente  les  prisonniers  faits  dans  l'expédition 
sculptée  de  l'autre  côté.  Tous  ces  personnages  ont  3  pieds  de 
haut,  et  sont,  comme  les  autres,  surmontés  d'une  inscription  cu- 
néiforme très-mutilée. 

Le  passage  entre  les  deux  massifs  sur  lesquels  sont  sculptées  les 
grandes  figures  royales  est  pavé  d'une  large  pierre  qui  en  occupe 
toute  l'étendue;  elle  est  couverte  d'une  inscription  cunéiforme  de 
32  lignes  de  beaux  caractères,  qui  paraissent  avoir  été  incrustés 
de  cuivre  si  l'on  en  juge  par  le  résidu  qui  s'y  trouve  encore. 

M.  Botta,  ayant  fait  creuser  un  puits  à  quelques  pas  en  avant  de  la 
muraille  du  nord,  en  découvrit  une  autre  portant  deux  très-remar- 
quables colosses  de  8  pieds  et  7  de  haut,  et  tout  à  fait  complets.  Le 
premier  est  un  personnage  barbu,  marchant  à  l'est  et  portant  à  la 
main  un  coffret  ou  une  corbeille  (1),  Devant  lui  s'avance  un  person- 
nage imberbe,  à  la  chevelure  ramassée  en  touffe  derrière  la  tête;  sa 
robe,  dont  les  manches  étroites  se  terminent  au  coude,  est  large, 
sans  taille,  finement  plissée  comme  la  saya  des  dames  espagnoles. 
Cet  individu,  au  côté  duquel  pend  un  parazonium,  et  dont  les  pieds 
sont  chaussés  de  sandales,  n'est  nullement  une  femme,  comme 
M.  Botta  l'avait  indiqué  dans  sa  corres- 
pondance, et  j'y  vois  un  prêtre  suivi  d'un  ^^^-Y,.^:^-^j5r  r? 
acolyte.  Ces  figures  portent  en  divers 
endroits  des  traces  évidentes  de  couleurs. 
Je  reviendrai  sur  ce  point  en  parlant 
d'autres  bas -reliefs  du  même  lieu. 
M.  Botta  découvrit  encore  un  autel  de 
pierre ,  composé  d'une  base  triangulaire 
surmontée  d'une  plate- forme  ronde,  le 
tout  soutenu  par  trois  griffes  de  lion 
très-bien  sculptées;  sur  le  bord  de  la 
table,  qui  est  parfaitement  plane,  règne 


(1)  Peut-être  encore  un  gril  destiné  à  recevoir  le  feu  sacré. 


218  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

une  inscription  cu^iéiforme  appartenant  au  même  système  d'écriture 
que  les  inscriptions  des  bas-reliefs  et  du  dallage,  et  sans  la  présence 
de  laquelle  on  aurait  pu  prendre  cet  autel  pour  un  monument  pure- 
ment grec  (l).  Tout  l'édifice  dont  je  viens  de  décrire  les  bas-reliefs 
est  bâti  sur  un  plancher  formé  d'un  seul  rang  de  briques  cuites 
et  portant  des  inscriptions.  Au-dessous  de  cette  aire,  il  y  a  une 
couche  de  sable  fin  de  10  pouces  d'épaisseur,  qui  est  étendue  sur 
un  autre  plancher  de  briques,  superposées  sur  plusieurs  rangs  et 
fortement  cimentées  avec  du  bitume,  Ornzàç  âï  izlivQovç  elç  aa^^alrou 
èv^maaixirn  r£ïy.oç  xara(Tz£va(7£  (2).  Ce  sable  a  été  apporté  du  Tigre, 
et  c'est  là  un  trait  qui  rapproche  ce  genre  de  construction  de  celles 
des  Romains. 

Les  murailles  sont  formées  de  grandes  et  minces  plaques  de  gypse 
marmoriforme,  connu  sous  le  nom  de  marbre  de  Mossoul;  ces  dalles 
sont  appuyées  sur  des  massifs  de  terre  argileuse  mêlée  de  chaux. 

En  continuant  les  recherches  on  déblaya  un  second,  puis  un 
troisième  passage  pavé,  comme  le  premier,  d'une  large  pierre  por- 
tant une  inscription  cunéiforme  ;  celle  du  second  passage  présente 
quarante-six  lignes  de  caractères ,  et,  quoique  fendue,  elle  est  com- 
plète. L'inscription  du  troisième  passage  est  un  peu  moins  bien 
conservée,  et  les  caractères  en  sont  très-espaces.  L'une  et  l'autre 
paraissent  avoir  été  incrustées  de  cuivre,  et  ce  métal,  en  s'oxydant, 
a  coloré  d'une  teinte  verte  la  surface  môme  de  la  pierre. 

La  paroi  occidentale  du  deuxième  passage  montre  deux  figures 
colossales  de  près  de  9  pieds  de  haut,  tournées  vers  le  sud  :  l'une  est 

un  personnage  ailé  à  tête 
d'oiseau  (maintenant  très- 
endommagée);  il  tient  à  la 
main  une  petite  corbeille 
tressée,  à  anse;  il  est  vêtu 
d'une  courte  tunique,  et  sa 
ceinture  est  très-riche.  Je 
donne  ici,  au  lieu  d'un  des- 
sin du  bas-relief,  celui  d'un  cône  de  calcédoine  blanche,  trouvé  dans 
les  fouilles  et  envoyé  par  M.  Botta  à  M.  de  Cadalvène.  Cette  pierre 
gravée  représente ,  sur  chacune  de  ses  faces ,  une  divinité  assyrienne; 
l'une .  montée  sur  un  animal ,  a  la  tête  ornée  d'une  tiare  ;  c'est  pro- 

(1)  Circonférence  de  la  table  5»», 20;  hauteur  totale  :  O'^JO;  largeur  de  chacune 
des  faces  de  la  base  0'»,74  j  id.  vers  le  haut,  O^jôô. 

(2)  Diod.  Sicul.  lib.  11,7, 


NINIVE   ET   KHOKSABAD. 


219 


bablement  Baal;  l'autre  est  ce  môme  personnage  ailé  à  tôte  d'oiseau 
que  nous  venons  de  voir  sur  les  has-rcliefs;  à  la  base  du  cône  se 
trouventdeux  figures  de  dieu-poisson  :Supo'jç....  Tiy.àv  tovç  iyBîJç  wç 
Qso-jg  (1).  Au-dessous,  la  plante  hoina  ou  le  barsom;  au-dessus,  un 
globe  ailé  à  queue  d'oiseau.  Il  semble  qu'il  y  ait  là  une  alliance  du 
culte  d'Oannès  et  de  celui  d'Ormouzd. 

Revenons  au  bas-relief  :  le  personnage  ailé  est  suivi  par  un  homme 
barbu ,  vêtu  d'une  tunique  courte ,  que  recouvre  un  long  habit  à 
franges,  ouvert  sur  le  devant;  il  a  le  bras  droit  élevé,  et  tient  de  la 
main  gauche  un  instrument  dont  la  base  à  trois  pieds,  encore  peinte 
en  rouge,  est  seule  conservée;  c'était  peut-être  un  candélabre  ou  un 
trépied  à  feu.  Un  peu  après  se  voit  un  petit  cavalier  au  galop;  il  a 
3  pieds  de  proportion  environ;  ses  yeux  sont  teints  en  noir,  ce  qui 
rappelle  l'usage  du  kohl  dont  les  Persans  se  servent  encore.  Ce  petit 
bas-relief  est  surmonté  d'une  bande  d'inscription  cunéiforme ,  au- 
dessus  de  laquelle  se  trouvaient  plusieurs  personnages  dont  on  ne 
voit  plus  que  les  jambes. 

Il  faut  faire  observer  que  cette  disposition  est  la  même  partout  oii 
les  figures  ne  sont  pas  colossales;  il  y  toujours  deux  bas-reliefs 
superposés  et  séparés  par  une  inscription  tracée  sur  un  bandeau 
d'environ  0^50  de  hauteur. 

Cette  même  muraille,  en  retour  à  l'ouest,  offre  deux  cavaliers  de 
front  courant  au  galop,  puis  un  autre  marchant  au  pas.  Presque  en 
face  dans  le  troisième  passage ,  se  trouve  un  petit  personnage  de  trois 
pieds  de  haut,  et  plus  à  l'est  deux  cavaliers  armés  de  lances  se  suivant 
au  galop  ;  au-dessus  d'eux  règne  la  bande  d'inscription  accoutumée; 
hommes  et  chevaux  offrent  partout  des  traces  évidentes  de  couleur. 

En  tournant  au  nord,  la  muraille  du  troisième  passage  fait  voir  un 


(1)   Diod.  Sicul.  lib   II, 


220  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

très-curieux  bas-relief,  qui  représente  un  char  traîné  par  deux  che- 
vaux, dans  lequel  se  trouvent  trois  personnages.  Le  principal  est  un 
homme  fortement  barbu,  ayant  les  cheveux  ramenés  en  touffe  der- 
rière la  tête  et  coiffé  d'une  tiare  peinte  de  couleur  rouge;  il  lève  la 
main  droite  et  tient  un  arc  de  la  gauche  ;  derrière  lui  est  un  ser- 
viteur imberbe,  portant  un  parasol  à  franges,  et  à  son  côté  gauche 
estlaurige,  tenant  les  rênes  et  un  fouet.  Le  roi,  car  je  crois  que  c'en 
est  un,  et  le  cocher,  ont  des  boucles  d'oreille.  Les  roues  du  char  sont 
à  huit  rayons;  il  était  orné  de  diverses  sculptures  actuellement  in- 
discernables. Une  barre  qui  semble  s'attacher  au  char  par  une  double 
bande,  vient  s'appuyer  sur  la  naissance  du  timon  ;  c'était  probable- 
ment une  tige  métallique  destinée  à  assurer  la  solidité  du  véhicule. 

Les  chevaux  ont  le  caractère  du  pur  sang  arabe  ;  leur  harnais  est 
très-riche  et  présente  des  traces  de  couleurs  très-visibles.  On  ne  dis- 
tingue toutefois  avec  certitude  que  le  rouge  et  le  bleu  ;  les  autres  sont 
devenues  noires  ;  quant  au  bleu,  il  est  extrêmement  vif.  Sur  la  tête  des 
chevaux  est  un  panache  pointu  formé  de  trois  houppes;  leur  front  est 
couvert  d'un  épais  bandeau  ;  sous  leur  cou  est  un  gland  peint  en  bleu 
et  suspendu  à  une  large  bande  rouge  qui  descend  de  derrière  la  tête. 
Le  cou  semble  entouré  aussi  d'un  large  collier  divisé  en  avant  en  plu- 
sieurs lanières  et  noué  sur  le  côté  par  une  rosette  ;  sur  le  poitrail  est 
un  ornement  formé  de  quatre  rangées  de  glands,  alternativement 
rouges  et  bleus,  suspendus  à  une  courroie  rouge  relevée  elle-même 
de  plusieurs  ornements;  quant  aux  rênes,  attachées  au  mors  par  une 
seule  courroie,  elles  semblent  ensuite  divisées  en  trois  lanières  rouges 
dont  l'une  revient  se  lier  au  char.  De  la  boucle  du  collier  pend  un 
riche  gland  formé  de  houppes  rouges  et  bleues.  Il  est  singulier  que 
ces  chevaux,  non  plus  que  ceux  dont  j'ai  parlé,  n'aient  pas  d'oreilles 
distinctes. 

Derrière  ce  char,  marche  un  guerrier  à  cheval,  tenant  une  lance, 
ayant  une  épée  à  la  ceinture  et  le  carquois  à  l'épaule.  On  aperçoit 
encore  la  barbe,  mais  le  reste  du  visage  a  disparu.  Son  cheval  est 
comme  les  précédents,  richement  enharnaché.  Le  bandeau  du  front 
est  bleu  pointillé  de  rouge;  le  gland  rouge  et  bleu  suspendu  sous  le 
cou  est  très-en  relief;  sur  la  tête  s'élève  un  ornement  que  je  ne  puis 
mieux  comparer  qu'à  la  crista  d'un  casque. 

Ce  bas-relief  a  environ  trois  pieds  de  hauteur  ;  l'inscription  cunéi- 
forme,tracée  au-dessus,  est  malheureusement  très-fruste,  en  sorte  que 
si  elle  contenait  un  nom  propre,  ce  nom  a  du  disparaître  avec  tout 
le  commencement  de  la  légende.  En  avant  du  char  marche  un  animal 


KINIVE  ET  KHORSABAD.  221 

à  peine  visible,  et  que  M.  Botta  pense  être  un  éléphant;  un  person- 
nage qui  le  précède  semble  écrire  et  prendre  livraison  de  six  tètes 
humaines  empilées  devant  lui. 

Le  personnage  mitre,  placé  dans  le  char,  a  la  tête  ceinte  de  ban- 
delettes dont  les  extrémités  tombent  sur  les  épaules.  C'est  à  cette 
particularité  que  je  reconnais  le  caractère  royal  ;  au  reste,  on  est 
frappé  de  la  ressemblance  de  cette  figure  traînée  dans  un  char  avec 
celle  que  nous  montrent  des  dariques  hexadrachmes  considérées  par 
quelques  numismatistes  comme  frappées  en  Cilicie  et  qui  me  parais- 
sent plutôt  appartenir  à  l'Assyrie  sous  la  domination  perse.  Sur  ces 
monnaies,  le  roi  (ou  peut-être  le  Dieu)  a  la  main  élevée;  mais,  au 
lieu  d'un  serviteur  qui  porte  un  parasol,  il  est  suivi  par  un  jeune  es- 
clave tenant  un  chasse-mouches ,  ainsi  qu'on  le  retrouve  sur  tant  de 
monuments  perses  (l).  Sur  les  hexadrachmes  comme  à  Khorsabad,  les 
crins  des  chevaux  sont  disposés  de  la  même  façon;  il  est  fort  curieux 
de  voir  dans  les  bas-reliefs  de  la  ville  de  Xanthus  de  Lycie  ce 
même  mode  d'arrangement  qui  fut  conservé  jusque  sous  les  Sassanides 
ainsi  que  je  l'ai  remarqué  ailleurs  (2).  A  Xanthus  aussi,  les  bas-re- 
liefs, et  en  particulier  le  harnachement  des  chevaux  sont  peints  de 
diverses  couleurs  (3),  et,  pour  le  dire  en  passant,  la  découverte  de 
M.  Botta  vient  confirmer  d'une  façon  aussi  heureuse  qu'inattendue,  les 
conjectures  de  M.  Charles  Texier  qui,  après  avoir  examiné  l'état  ac- 
tuel de  la  surface  des  bas-reliefs  de  Persépolis,  avait,  il  y  a  déjà  plu- 
sieurs années,  affirmé  que  ces  monuments  avaient  été  peints,  et  avait 
publié,  à  l'appui  de  cette  idée,  une  restitution  de  l'un  des  pieds-droits, 
représentant  le  roi  Xerxès  au-dessus  de  la  tête  duquel  un  serviteur 
tient  un  parasol  (4). 

Sur  la  muraille  orientale  du  deuxième  passage,  on  voit  deux  cava- 
liers marchant  au  pas  et  de  front.  Suivant  la  méthode  antique,  le  se- 
cond cheval  n'est  indiqué  que  par  un  double  trait  qui  reproduit  et 
suit  exactement  les  contours  du  premier;  le  soldat  qui  monte  celui-ci, 
le  seul  que  l'on  puisse  distinguer,  est  armé  d'une  épée,  un  arc  est 
passé  à  son  bras  gauche,  et  sous  l'aisselle  du  même  côté,  il  porte  un 

(1)  V,  Sir  Robert  Ker  Porter,  PI.  48,  40,  50.  V.  aussi  PL  41,  un  char  traîné  par 
deux  chevaux  ,  et  dont  la  roue  est  semblable  à  celle  des  chars  qui  se  voient  à  Khor- 
sabad, et  sur  les  dariques;  la  crinière  des  chevaux  offre  aussi  sur  tous  ces  monu- 
ments la  plus  frappante  analogie. 

(2)  Annales  de  l'Institut  archéologique.  T.  XV,  1843,  p.  112. 

(3)  Ch.  Fellows  :  Jn  account  of  discoveries  in  Lycia.  London  ,  18 il,  in-8, 
p.  173  et  199. 

(4)  royage  en  Arménie  ei  en  Perse,  PI.  III. 


2  22  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

assez  long  carquois  ;  les  jambes  sont  recouvertes  de  bas  à  larges  mail- 
les probablement  de  métal,  retenus  au-dessous  du  genou  par  un  an- 
neau ou  jarretière.  Les  ornements  du  cbeval  sont  peints  comme  ceux 
des  autres. 


Dans  un  angle  de  la  salle  à  laquelle  on  communique  par  le 
premier  et  le  deuxième  passage,  on  voit  deux  figures  colossales,  im- 
berbes et  armées  d'épées  ainsi  que  celle  dont  j'ai  parlé  plus  haut. 
M.  Botta  croit  que  ce  sont  des  eunuques.  Les  chevelures,  les  yeux  et 
les  sourcils  sont  peints  de  noir.  Devant  ces  figures,  sont  deux  per- 
sonnages tournés  l'un  vers  l'autre  aussi  de  dimensions  colossales  et 
très-remarquablement  conservés.  L'un  d'eux  a  la  tête  nue,  ceinte  d'une 
bandelette  rouge  qui  retombe  sur  le  dos.  Sa  chevelure  et  sa  barbe  sont 
peintes  en  noir  et  très-curieusement  tressées  (voyez  la  barbe  du  roi 
parthe  Vologès  III,  sur  les  tétradrachmes);  il  a  des  pendants  d'o- 
reille en  forme  de  croix  ansée  ,  de  riches  bracelets  au  bras  et  au  poi- 
gnet et  uneépée  sur  le  pommeau  de  laquelle  il  repose  sa  main  gauche. 
L'autre  personnage  est  coiffé  dune  tiare  ornée  de  bandes  rouges  au 


NimVÈ   ET  KHORSABAD.  223 

sommet  de  laquelle  est  une  pointe;  sa  chevelure,  sa  barbe,  sa  boucle 
d'oreille  et  ses  bracelets  sont  semblables  à  ceux  du  précédent.  De  la 
main  droite  il  tient  un  long  sceptre  peint  en  rouge;  sa  tunique  est 
ornée  de  rosaces  et  de  franges;  une  sorte  de  pallium  sacerdotal  tombe 
de  son  épaule  et  passe  sur  une  épée  courte  ou  parazonium.  D'après 
certaines  données  que  j'ai  réunies  sur  les  sujets  que  représentent  les 
pierres  gravées  assyriennes  et  les  bas-reliefs  delà  Perse,  je  crois  être 
fondé  à  penser  que  la  ligure  mitrée  est  celle  d'un  dieu,  et  que  le  per- 
sonnage qui  est  placé  debout  devant  elle  dans  une  attitude  de  respec- 
tueuse égalité  (1),  est  le  roi.  Je  ne  puis  d'ailleurs  qu'indiquer  sommaire- 
ment ici  cette  opinion  sur  laquelle  je  reviendrai  avec  des  preuves  dans 
un  autre  travail. 

En  entrant  dans  la  salle  située  à  l'extrémité  nord  du  deuxième 
passage,  on  voit  un  char  semblable  à  celui  que  j'ai  décrit  quelques 
lignes  plus  haut;  il  porte  également  trois  figures,  et,  de  plus,  est 
précédé  par  deux  soldats;  au-dessus,  règne  la  bande  ordinaire  char- 
gée d'une  inscription,  laquelle  est  surmontée  d'un  bas-relief  très-dé- 
gradé, dans  lequel  on  distingue  cependant  un  homme  qui  semble 
nager  dans  une  rivière,  et  des  montagnes  que  gravissent  des  trou- 
peaux. 

Tout  à  fait  en  face  du  passage  est  une  longue  muraille,  re- 
présentant des  scènes  de  guerre.  Je  donne  ici  le  dessin  de  la  portion 
la  plus  importante  de  cette  grande  composition. 

C'est  l'assaut  d'une  forteresse  ou  d'une  ville;  elle  est  formée  d'une 
enceinte  crénelée  défendue  par  des  tours  un  peu  plus  hautes  que  la 
muraille,  et  toutes  à  égale  distance;  au  centre  de  cette  fortification 
s'élève  un  tertre,  sur  lequel  on  voit  un  arbre  et  une  citadelle  qui 
devient  la  proie  des  flammes  (  peintes  en  rouge  )  ;  un  personnage 
barbu,  placé  au  sommet,  élève  les  bras  en  signe  de  désespoir.  Adroite 
de  l'enceinte,  au  pied  de  laquelle  coule  un  fleuve,  des  guerriers  ar- 
més de  casques,  de  piques  et  de  grands  boucliers  ronds,  montent  à 
l'assaut  par  une  échelle,  d'autres  sont  déjà  parvenus  sur  le  sommet 
des  tours,  et  dans  le  bas  on  voit  de  plus  petits  soldats  montant  sur 
six  échelles.  Il  y  a  aussi  des  guerriers  qui  escaladent  le  côté  gauche, 


(1)  Le  roi  Sapor  s'adrcssant  aux  chrétiens  qui  refusaient  de  l'adorer,  leur  dit  :  Ne 
savez-vous  pas  que  je  suis  de  la  race  des  dieux?  Un  officier  reproche  à  ces  mêmes 
chrétiens  le  refus  qu'ils  font  de  reconnaître  la  divinité  du  roi.  Acla  martyr,  onenl. 
Dans  une  lettre  adressée  par  Ghosroés  à  un  roi  d'Arménie,  on  trouve  le  préambule 

suivant  :  Xot/so*??  ^v-nilzit^  jSaffdéwv....  sv  6cOÎ?  /aèv  uvdpoiTxoç  àycOà^  xxt  àf-ôvco;  ,  sv  os 

Tots  ctvdpMTtotç  0EO2  iTTtyavsVaTos.  x.  t.  ;..  Theoph-  Slmocal  lib.  IV,  cap.  vui. 


224  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE* 

mais  ils  sont  très-endommagés  ;  on  peut  distinguer  seulement  que  l'un 


d'eux  frappe  de  son  épée  un  défenseur  de  la  place  ;  du  sommet  de  cette 
extrémité  tombe  up  homme  percé  d'une  flèche,  et  dans  divers  endroits 


NTNIVE  ET  KHOUSAfeAD.  525 

des  personnages  levant  les  bras  au  ciel.  Au  bas  de  l'enceinte  il  y  a  une 
rangée  de  malheureux  empalés  par  la  poitrine  (l).  Il  est  à  remarquer 
eniin  que  le  haut  de  la  montagne  porte  un  mot  composé  de  six  carac- 
tères cunéiformes  destinés  à  exprimer  soit  le  lieu  de  la  scène,  soit 
beaucoup  plus  probablement  le  nom  du  personnage  placé  au  sommet. 
J'avoue  qu'il  m'est  impossible  de  deviner  quels  peuvent  être  la  na- 
ture et  l'usage  de  l'espèce  de  grille  ou  de  herse  qui  s'élève  au-dessus 
des  trois  tours  de  gauche.  Une  très-belle  darique  de  grand  module,  que 
possède  la  Bibliothèque  royale ,  représente  une  ville  munie  de  tours 
percées  de  fenêtres,  qui  offre  avec  celle  que  je  viens  de  faire 
connaître  une  telle  analogie,  que  l'on  ne  manquera  pas  de  concevoir 
l'idée  que  la  monnaie  appartient  à  la  contrée  où  se  trouve  le  bas- 
relief. 

Après  avoir  étudié  les  détails  de  la  ville  sculptée  sur  les  murs  de 
Khorsabad,  j'ai  été  frappé  de  la  nouvelle  preuve  qu'ils  nous  donnaient 
de  la  véracité  d'Hérodote.Voici  ce  que  cet  écrivain  rapporte  au  sujet 
de  Babylone. 

L'Assyrie  contient  plusieurs  grandes  villes  ;  mais  Babylone  est  la 
plus  célèbre  et  la  plus  forte  ;  c'était  là  que  les  rois  du  pays  faisaient 
leur  résidence  depuis  la  destruction  de  Ninive.  Cette  ville  située  dans 
une  grande  plaine,  est  de  forme  carrée...  Un  fossé  large,  profond  et 
plein  d'eau,  règne  tout  autour;  on  trouve  ensuite  un  mur  de  cinquante 
coudées  de  roi  d'épaisseur,  sur  deux  cents  de  hauteur.  A  mesure  que 
l'on  creusait  les  fossés,  on  en  convertissait  la  terre  en  briques,  et 
lorsqu'il  y  en  eut  une  quantité  suffisante,  on  les  fit  cuire  dans  des 
fourneaux.  Ensuite,  pour  servir  de  liaison,  on  se  servit  de  bitume 
chaud,  et  de  trente  couches  en  trente  couches  de  briques  on  mit  des 
lits  de  roseaux  entrelacés.  On  bâtit  d'abord  de  cette  manière  le  bord 
du  fossé;  on  passa  ensuite  aux  murs  que  l'on  construisit  de  même; 
au  haut  et  sur  le  bord  de  cette  muraille,  on  éleva  des  tours  qui  n'a- 
vaient qu'une  chambre,  les  unes  vis-à-vis  des  autres,  entre  lesquelles 
on  laissa  autant  d'espace  qu'il  en  fallait  pour  faire  tourner  un  char  à 
quatre  chevaux.  11  y  avait  à  cette  muraille  cent  portes  d'airain  mas- 
sif (2). 

Je  ne  parlerai  pas  ici  des  briques  que  l'on  retrouve  en  grande  quan- 
tité sur  l'emplacement  de  Babylone  et  de  Ninive,  avec  le  bitume  en- 

(1)  roy.  Herodot.  L.  III.  159.  Cyrus  ayant  pris  Babylone  fait  mettre  en  croix  3,000 
prisonniers. 

(2)  Herod.  Clio.  CLXXVIH  et  CLXXIX. 


226  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

core  adhérent  et  portant  l'empreinte  de  roseaux  ;  chacun  connaît  ces 
particularités;  mais  je  dois  faire  ressortir  le  rapport  saisissant  qui 
existe  entre  les  paroles  de  l'historien  grec  et  la  représentation  décou- 
verte dans  une  ville  appartenant  à  la  même  contrée  que  Babylone, 
et,  suivant  toutes  probabilités,  bâtie  suivant  le  même  mode.  Le  fossé, 
la  forme  carrée  de  l'enceinte,  la  proximité  des  tours  entre  elles,  et 
les  portes  de  métal  (dans  le  bas-relief  on  distingue  les  clous  à  large 
tête),  tout  est  commun,  tout  est  exact. 

AXanthus,  en  Lycie,  l'infatigable  Fellows  a  découvert  la  frise 
d'un  édifice  qui  représente  toute  l'histoire  de  la  prise  de  la  ville  par 
les  Grecs.  C'est  d'abord  la  ville  entourée  de  hautes  murailles  et  de 
tours  au  sommet  desquelles  on  aperçoit  les  sentinelles,  puis  les  Grecs 
qui  s'avancent,  placent  des  échelles  et  montent  à  l'assaut  après  s'être 
déchaussés;  puis  différents  épisodes  du  combat  entre  les  hoplites  grecs 
et  les  archers  asiatiques.  Enfin,  sur  un  trône  semblable  à  celui  do 
Xerxès  dans  les  bas-reliefs  de  Persépolis,  et  comme  le  roi  des  rois 
abrité  sous  un  parasol  que  soutient  un  esclave,  un  satrape  assis, 
coiffé  d'un  bonnet  conique,  vêtu  à  l'orientale,  reçoit  des  députés  au 
milieu  de  ses  officiers,  dont  quelques-uns  se  reconnaissent  à  leur  cos- 
tume grec  pour  des  chefs  de  mercenaires.  La  frise  se  termine  par  la  re- 
présentation de  la  ville  prise  et  désolée,  tandis  que  deux  soldats  s'en 
échappent  emportant  ce  qu'ils  ont  jugé  de  plus  précieux,  un  sac  vrai- 
semblablement plein  de  dariques ,  le  trône  et  le  parasol ,  insignes  de 
la  royauté  (l). 

En  voyant  de  quelle  façon  les  nouveaux  maîtres  de  Xanthus 
avaient  célébré  la  prise  de  cette  ville  en  élevant  sur  les  lieux  mêmes 
un  monument  de  leur  conquête,  on  admettra  sans  doute  que  ceux 
qui  construisirent  les  édifices  de  Khorsabad  ont  pu  retracer  dans  les 
bas-reliefs  que  l'on  vient  de  retrouver  quelques  circonstances  de  la 
ruine  des  dynasties  qu'ils  avaient  remplacées. 

Après  avoir  comparé  les  bas-reliefs  découverts  par  M.  Botta  à  tout 
ce  que  nous  connaissons  de  monuments  asiatiques  du  même  genre, 
quoique  je  n'aie  pu  tirer  rien  encore  des  inscriptions,  j'ai  la  convic- 
tion de  l'impossibilité  de  faire  remonter  ces  ouvrages  au  delà  des  pre- 
mières années  du  VP  siècle  avant  l'ère  chrétienne.  A  cette  époque,  Ni- 
nive  était  détruite  et  l'Assyrie  au  pouvoir  des  Mèdes.  Je  crois  que  Khor- 
sabad aura  été  élevé  par  un  des  conquérants ,  à  côté  de  la  ville  ren- 
versée, de  même  (\ullmm  recens  a  succédé  à  Troie  primitive,  La 

(1)  Les  bas-reliefs  qui  ornaient  la  frise  de  Xanlhus  ont  été  apportés  à  Londres,  et 
placés  au  British  Muséum,  Us  seront,  je  l'espère,  incessamment  publiés. 


NINIVE  ET  KHORSABAD.  227 

prise  de  Ninive  par  les  deux  confédérés  Arbaces  et  Bélesis  avait  dà 
être  le  sujet  de  poésies  et  de  contes  nombreux  ,  et  lorsque  Astyages 
et  Nabopolassar  s'emparèrent  à  leur  tour  du  gouvernement,  le  sort 
si  dramatique  de  Sardanapale  ne  pouvait  être  oublié. 

J'oserai  donc  proposer  de  voir  dans  le  personnage  qui  au  sommet 
de  la  ville  élève  les  bras  au  ciel,  au  milieu  des  flammes ,  le  fils  de 
Phoul  au  moment  oii  il  périt  sur  l'immense  bûcher  qu'il  s'était  pré- 
paré (1). 

C'est  ainsi  que  dans  la  Grèce  on  reproduisit  pendant  des  siècles 
des  scènes  empruntées  aux  mythes  d'Hercule  et  de  Bellérophon  ; 
ainsi  encore  que  sur  une  terre  plus  voisine  de  l'Assyrie,  les  Persans 
puisent  dans  le  Schah-Nameh  des  sujets  pour  leurs  peintures.  Les 
Phéniciens  devaient  avoir  une  grande  communauté  de  mœurs  et 
d'usages  avec  les  Assyriens,  et  nous  voyons  précisément  dans  le  récit 
de  Virgile  que  Didon  avait  fait  orner  les  murailles  du  palais  qu'elle 
venait  de  construire  de  compositions  historiques  où  figuraient  des 
héros  dont  le  souvenir  était  familier  à  l'asiatique  Mnée  (2). 

Après  le  bas-relief  dont  je  viens  d'esquisser  le  commentaire,  vient 
sur  cette  môme  façade  un  char  portant  seulement  le  roi  et  le  cocher  ; 
les  chevaux  sont  au  galop,  dirigés  vers  la  forteresse,  et  foulent  aux 
pieds  un  homme  étendu  par  terre  (3)  ;  devant  eux  court  un  guer- 
rier. Ce  char  est  très-dégradé,  mais  on  distingue  toutefois  à  l'extré- 
mité un  ornement  en  forme  de  pelta  ou  de  fer  de  bipenne  sur  lequel 
est  sculpté  un  petit  personnage  à  tête  d'animal  ,  tenant  d'une 
main  le  T  mystique,  et  de  l'autre  un  anneau.  De  cet  ornement  pa- 
raît partir  une  bandelette  qui  va  se  rattacher  à  un  pilier  s'élevant  du 
milieu  du  char  (ou  passant  derrière),  et  surmonté  d'une  boule.  Le 
char  est  suivi  de  quatre  autres,  série  qui  était  certainement  destinée 
à  représenter  une  bataille.  Chacun  des  chars,  tourné  vers  la  forte- 
resse, est  traîné  par  deux  chevaux  et  porte  quatre  personnages;  le 
principal  d'entre  eux  est  coiffé  d'une  tiare  pointue  et  lance  des 
flèches;  à  ses  côtés  est  l'aurige,  et  derrière  sont  deux  guerriers  ar- 

(3)  Diod.  Sicul.,  lib.  II,  27.  "hx  ok  /j./j  roU  Tro^atotç  yi-jr,roct  xjT.oydpio^,  Tro/oxy  ht 
zQïi  èxaùziOiç  /«Tcc7)'.£Ùa(7cy   ÙTrsp/xsysQ/j ,  x«t  tov  rs  xpM^O'i  zat  TÔv  «pyupov  «ttîcvtsc..., 

(2)  ^Encid.  lib.  I,  y.  45G  et  seqq. 

(3)  Au  revers  de  l'hexadrachme  sur  laquelle  se  voit  une  ville  fortifiée  détours,  est 
un  roi  dans  un  char  conduit  par  un  aurige.  Les  chevaux  sont  aussi  au  galop  et  loua- 
ient aux  pieds  un  immense  bélier  imprimé  en  creux  dans  la  monnaie,  et  qui  repré- 
sente sans  duule  un  mauvais  dieu.  Je  n'ai  plus  de  doutes  maintenant  sur  l'origine 
assyrienne^de  celte  rare  pièce. 


228  REVim  ARCHÉOLOGIQUE. 

mes  de  dards  et  portant  des  boucliers.  Sous  les  pieds  des  chevaux  il 
y  a  toujours  un  cadavre,  et  au-dessus  d'eux  un  guerrier  qui  paraît 
blessé  et  jeté  en  l'air  la  tête  en  bas  (1).  M.  Botta  pense  que  la  sin- 
gulière position  de  cette  figure  ne  peut  guère  s'expliquer  que  par 
l'intention  d'exprimer  soit  la  confusion  de  la  bataille,  soit  la  rapidité 
du  char  qui  jette  au  loin  avec  violence  tout  ce  qu'il  rencontre. 
Je  crois  qu'il  est  plus  probable  que  l'artiste  a  voulu  rendre  la  per- 
spective du  champ  de  bataille ,  et  que  ce  guerrier  est  étendu  mort 
plus  loin  et  non  pas  plus  haut  que  les  chevaux. 

Dans  la  plupart  de  ces  bas-reliefs  les  chevaux  du  char  mettent  leurs 
pieds  de  devant  sur  la  croupe  d'un  cheval  abattu ,  portant  un  cava- 
lier blessé  qui  tombe.  Ces  cinq  groupes  ,  sculptés  chacun  sur  une 
des  grandes  plaques  de  gypse  qui  forment  la  muraille,  sont  essentiel- 
lement les  mêmes,  mais  les  détails  de  mouvement  et  d'arrangement 
varient.  Chaque  scène  est  très-animée;  les  chevaux  surtout  sont 
pleins  d'ardeur,  et  les  têtes  encore  conservées  de  quelques-uns  des 
vainqueurs  sont  empreintes  d'un  air  de  supériorité  satisfaite  très-bien 
rendue.  Il  est  à  remarquer  qu'il  y  a  une  grande  difl'érence  dans  les 
vêtements  des  vainqueurs  et  des  vaincus.  Ces  derniers  sont  géné- 
ralement couverts  de  cette  espèce  de  manteau  de  plumes  dont  il  a 
déjà  été  question.  M.  Botta  ayant  remarqué  à  ce  vêlement  un  ap- 
pendice qui  se  trouve  constamment  sur  le  côté ,  et  qui  semble 
la  dépouille  d'une  patte,  en  a  conclu  que  ce  manteau  était  fait 
d'une  peau  d'animal  dont  le  poil  est  représenté  par  les  losanges 
striées,  méthode  toute  conventionnelle  qui  se  retrouve  dans  les  ani- 
maux de  Persépolis,  et  même  dans  des  ouvrages  grecs,  romains  et 
égyptiens,  où  souvent  les  crinières  des  lions  sont  exprimées  par 
des  mèches  régulières  en  forme  de  losanges.  Le  harnachement  des 
chevaux  est  ici  très-riche  et  de  même  forme  que  celui  du  char  décrit 
plus  haut;  les  couleurs  sont  très-belles.  La  série  des  chars  est  sur- 
montée d'une  longue  inscription,  qui  au  premier  abord  semble  con- 
tinue; il  est  certain  cependant  qu'elle  doit  être  divisée  en  plusieurs 
parties  déterminées ,  chacune  par  le  bord  de  la  dalle  sur  laquelle  elle 
est  gravée  ;  il  y  a  en  effet  à  l'extrémité  de  chaque  plaque  une  ligne 
verticale  qui  borne  les  inscriptions.  Celles-ci  d'ailleurs  varient  par  le 
nombre  des  lignes. 

Au-dessus  de  ce  bandeau  chargé  de  caractères,  il  y  a  une  suite  de 
personnages  effacés;  c'est  une  répétition  de  la  scène  sculptée  au- 

(1)  Voyez  dans  la  Tignelle  de  l'assaut,  le  guerrier  de  gauche  qui  tombe  percé 
d'une  flèche. 


mmVE   ET   KHORSABAD.  229 

dessus  de  la  forteresse  assiégée  :  deux  personnages ,  dont  l'un  est  im- 
berbe, assis  en  face  l'un  de  l'autre,  et  séparés  par  une  table;  der- 
rière eux  plusieurs  individus  se  tiennent  debout. 

Lorsqu'on  sort  de  la  salle  des  Batailles,  par  le  troisième  passage,  et 
que  l'on  tourne  à  droite  vers  le  nord,  on  trouve  un  quatrième  passage 
conduisant  à  une  grande  salle;  on  voit  d'abord  (dans  ce  passage) 
une  figure  colossale;  sur  le  bas  de  la  robe  est  une  inscription. 
Ce  doit  être  le  nom  du  roi ,  car  à  Persépolis  la  figure  de  Xerxès 
porte  de  même  le  nom  de  ce  prince  gravé  sur  les  plis  de  sa  robe.  Plus 
loin  on  voit  une  suite  de  figures  colossales,  deux  desquelles  sont  des 
prisonniers  chargés  de  fers  aux  pieds  et  aux  mains.  La  tête  de 
l'un  d'eux  est  bien  conservée  et  d'un  fort  beau  caractère.  Devant  ces 
captifs  marchent  trois  personnes  vêtues  et  armées  comme  celle  qui , 
je  l'ai  dit  plus  haut,  est  considérée  comme  un  eunuque  par  M.  Botta. 
Dans  la  même  salle,  sur  la  face  qui  regarde  le  Nord,  on  remarque 
une  scène  composée  de  sept  personnages  ;  un  roi,  très-probable- 
ment ,  qui  se  reconnaît  à  son  riche  costume  :  une  robe  longue  à 
franges,  recouverte  en  partie  d'une  double  stola  (s^emblable  à  la  cha- 
suble des  prêtres  catholiques  ) ,  toute  parsemée  de  rosaces  et  bordée 
d'une  large  frange;  on  aperçoit,  malgré  la  ruine  de  la  pierre,  les 
bandelettes  qui  tombent  soit  de  la  tête  du  roi ,  soit  de  la  main  du 
porteur  de  chasse-mouches  qui  le  suit  immédiatement.  Tous  deux  ont 
des  sandales  peintes  en  rouge,  et  sur  le  bas  de  la  robe  royale  court 
une  inscription  ;  aux  pieds  de  cette  figure  deux  captifs  agenouillés, 
barbus,  vêtus  de  la  peau  d'animal  dont  j'ai  déjà  parlé,  sont  suivis  par 
deux  autres  prisonniers,  debout,  conduits  par  un  garde,  sur  le  vête- 
ment duquel  on  distingue  trois  caractères  cunéiformes.  Les  prisonniers 
ont  ici  une  chaussure  recourbée  à  la  pointe  qui  les  fait  ressembler 
à  la  représentation  de  Sésostris ,  sculptée  à  Karabel ,  près  de 
Smyrne(l). 

En  sortant  par  le  quatrième  passage ,  et  tournant  à  droite ,  on  dé- 
gagea un  bas-relief  qui  nous  apprend  dans  quelle  marnera  les  artistes 
assyriens  traitaient  le  paysage.  C'est  une  haute  montagne  très-escar- 
pée ,  couverte  d'arbres ,  au  sommet  de  laquelle  est  un  château  cré- 
nelé. Au-dessous  du  château  une  source  donne  naissance  à  un  cou- 
rant d'eau  qui  roule  en  cascade  rapide  jusqu'en  bas  du  tableau,  et 
vient  baigner  le  pied  d'une  ville  désignée  par  des  murailles  flanquées 
de  tourelles  tils-rapprochées.  Cette  ville  est  posée  sur  un  tumulus 

(1)  Cf.  Hérodol.  l.  102.  V.  ceUe  fig.  dans  le  Archœologischezeitung,  publié  à  Ber- 
lin, par  Éd.  Gerhard,  t.  ï,  pi.  2. 

I.  16 


Ô30  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

entouré  d'une  terrasse  soutenue  par  un  mur  percé  de  quatre  portes , 
et  sur  laquelle  croissent  des  arbres.  Évidemment ,  ce  sont  là  des 
jardins  suspendus  qui  nous  enseignent  quelle  était  la  nature  des  tra- 
vaux fameux  que  Sémiramis  fit  exécuter  à  Babylone.  Je  dois  dire  aussi 
que  dans  l'Inde ,  et  notamment  dans  l'île  de  Ceylan ,  on  voit  des 
Topes  composés  de  terrasses  en  retraite  et  plantés  d'arbres  (1). 

Un  homme  à  tunique  courte  s'avance  vers  la  ville  ;  quoique  la  par- 
tie supérieure  de  son  corps  ait  disparu,  on  voit  clairement  qu'il 
devait  dépasser  de  tout  le  buste  et  la  ville  et  la  montagne  ;  il  est  vrai 
qu'il  marche  au  premier  plan.  Dans  ce  paysage  la  surface  du  rocher 
est  rendue  d'une  façon  étrange  ;  elle  a  l'air,  littéralement,  carrelée. 

Les  figures  les  plus  grandes  qui  aient  encore  été  découvertes  se 
trouvent  dans  un  cinquième  passage,  parallèle  au  deuxième,  et  situé 
à  l'extrémité  est  de  la  salle  du  Dieu  et  du  Roi,  sujet  dont  la  copie  a 
été  donnée  dans  cet  article  (2)  ;  elles  sont  au  nombre  de  trois,  et  celle 
du  milieu,  plus  importante  que  les  deux  autres,  est  coiffée  d'une  tiare 
recourbée  comme  le  bonnet  phrygien,  et  ornée  de  deux  bandelettes, 
dont  les  bouts  pendent  sur  le  dos.  La  robe  est  très- riche  et 
semble,  autant  que  l'on  en  peut  juger  en  raison  de  sa  dégradation, 
porter  cette  espèce  d'écharpe  à  franges  qui  caractérise  toutes  ces  fi- 
gures royales  ou  hiératiques.  Comme  à  l'ordinaire,  cette  frange  passe 
sur  l'épée,  et  la  main  droite  du  personnage  est  levée;  l'autre  est  bais- 
sée et  tient  une  haste  dont  l'extrémité  est  ornée  d'un  fleuron  en  forme 
de  lotus  (3).  La  tige  du  milieu,  peinte  en  vert,  se  termine  par  une 
boule,  les  deux  autres  s'épanouissent  en  fleurs.  Derrière  le  roi,  une 
figure  imberbe  tient,  de  la  main  gauche,  une  double  bandelette;  de 
la  droite  elle  soutenait  un  chasse- mouches,  dont  on  voit  les  restes. 
En  face,  un  homme  se  tient  debout;  il  a  la  tète  nue  et  est  vêtu  plus 
simplement;  sa  main  droite  est  élevée  et  la  gauche  repose  sur  la  poi- 
gnée de  son  épée.  Les  sandales  de  ces  trois  figures  sont  peintes  en 
bleu. 

Tous  ces  bas-reliefs  sont  d'un  grand  mérite  pour  l'histoire  de  l'art, 

(i)  Transact.  of  the  asiatic  Society,  t.  III.  • 

(2)  Je  ne  dois  pas  oublier  de  faire  observer  la  ressemblance  de  costume  qui  existe 
entre  la  flgure  mitréc  de  Khorsabad  et  celle  qui  est  scupltéeà  iVahr-el-Kelb ,  prés 
Beyrouth  :  celte  dernière  a  le  corps  entièrement  couvert  de  caractères  cunéiformes. 

(3)  «  ils  (les  Assyriens)  ont  chacun  un  bâton  travaillé  à  la  main  ,  au  haut  duquel 
est  ou  une  pomme,  ou  une  rose,  ou  un  lys,  ou  un  aigle,  ou  toute*  utre  ûgure  ;  car  il 
ne  leur  est  pas  permis  de  porter  de  canne  ou  bâton  sans  un  ornement  caractéris- 
tique. »  {herodoi.  Lib.  I.  195.)  La  canne  et  la  fleur  de  lotus  se  trouvent  dans  les 
mains  de  Xerxès,  à  Persépolis.  {Ker  Porter,  pi,  48  et  49.) 


J 


NINIVE   ET  KHORSABAD.  231 

sinon  pour  celle  du  peuple  qui  les  a  vu  exécuter;  mais  aucun  deux, 
peut-ôtre,  ne  présente  un  intérêt  égal  à  celui  qu'inspire  l'apparition 
inattendue  des  grandes  figures  symboliques  de  taureaux  à  face  hu- 
maine, à  demi  engagées  dans  les  pieds-droits  de  deux  portiques  signa- 
lés par  notre  habile  consul  (1). 

Ces  colosses,  séparés  par  un  passage  de  deux  mètres  quarante  cen- 
timètres de  large,  décoraient  une  porte  d'un  caractère  fort  imposant 
et  d'une  grande  magnificence.  Les  jambessont  très-naturelles  et  bien 
musclées,  ;  chacun  des  taureaux,  haut  de  cinq  mètres  et  d'un  seul 
bloc  de  gypse,  envoie  dans  l'intérieur  du  passage  une  aile  qui  en  ta- 
pisse la  paroi.  Des  écailles  régulièrement  striées  indiquent  les  plumes. 
Le  visage  se  termine  par  une  barbe  soigneusement  tressée,  et  le  fa- 
non est  représenté  par  une  large  bande  de  stries  horizontales. 

Jusqu'à  présent  on  a  considéré  le  taureau  à  face  humaine  dePersé- 
polis  (2),  comme  appartenant  à  la  symbolique  arienne,  et  cependant 
nous  le  trouvons  ici  dans  un  édifice  qui  paraît  bien  assyrien.  Il  y  a 
là  matière  à  étudier  pour  les  érudits. 

Mais  un  fait  non  moins  curieux,  c'est  que  dans  l'enfoncement  situé 
derrière  les  taureaux  sont  deux  personnages  à  tête  d'oiseau ,  tout 
semblables  à  celui  que  j'ai  déjà  décrit,  et  qui  se  voit  sur  un  cône  de 
calcédoine.  Cette  combinaison,  tout  égyptienne,  qui  ne  s'est  encore 
rencontrée  sur  aucun  des  cylindres  que  j'ai  pu  examiner,  et  qui  n'a 
rien  absolument  de  Perse,  appartenant  à  la  même  portion  du  monu- 
ment que  les  taureaux,  prouve,  d'accord  avec  le  caractère  des  in- 
scriptions, que  ces  deux  quadrupèdes  à  visage  humain  n'ont  pas  été 
ajoutés  au  portique  après  coup  et  à  l'époque  de  la  conquête  de 
Xerxès. 

Dans  le  passage  on  trouva  en  enlevant  les  terres  un  petit  lion  de 
bronze  de  quarante-deux  centimètres  de  longueur  et  entièrement  de 
ronde  bosse.  Cet  animal  est  d'un  travail  très- fin  et  très-avancé.  Au 
dos  est  fixé  un  anneau ,  et  M.  Botta  ayant  observé  un  anneau  sem- 

(1)  Le  taureau  à  tête  humaine,  que  l'on  ne  connaît  en  sculpture  qu'à  Persépolis, 
mais  qui  se  retrouve  sur  des  pierres  gravées  sassanides  (entre  autres  sur  un  cône  du 
cabinet  de  Munich),  et  même  sur  des  monnaies  frappées  en  Lycie  sous  l'influence 
arienne,  paraît  à  M.  de  Sacy  représenter  l'homme  taureau  ou  Kaiomorts,  qui  est  l'ori- 
gine de  la  première  race  des  rois  de  Perse  et  même  du  genre  humain  Le  mot  de  Kaio- 
morts est  une  ailération  de  son  nom  pehlvi  Gaiomard,  formé  de  gaw,  bœuf,  et  de 
mard,  homme.  Heeren  y  avait  vu  leMartichorasde  Ctésias,  qui,  suivant  cet  écrivain, 
était  un  monstre  à  face  humaine  et  mangeur  d'hommes  (  mard,  hofnme,  Morden, 
manger)  ;  mais  l'opinion  de  M.  de  Sacy  me  paraît  préférable.  (V.  Mém.  de  VAcad. 
des  Inscrip.,  1815,  p.  212.) 

(2)  Ker  Porter ,  pi.  32  et  33. 


232 


REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 


blable  dans  la  muraille  à  côté,  a  pensé  qu'autrefois  ce  lion  était 
enchaîné,  idée  qui  me  paraît  très-juste.  En  elTet,  dans  le  lieu  oii  se 
rencontre  le  Kaïomorts,  splendide  et  triomphant,  il  est  tout  naturel 
que  son  ennemi  le  dew  Epéwesch  soit  vaincu  et  enchaîné.  Cette 
explication  ne  paraîtra  pas  extraordinaire  à  ceux  qui  sont  familiari- 
sés avec  la  théologie  asiatique  (1  ). 

M.  de  Cadalvène  a  bien  voulu  me  confier  une  sorte  d'amulette  de 
lapis-lazuli  qui  lui  a  été  adressée  par  M.  Botta.  Elle  se  compose  de 

deux  lions  couchés  en  sens  opposé  et  croi- 
sés selon  leur  longueur,  de  façon  que  la 
croupe  de  l'un  vient  se  confondre  avec  la 
poitrine  de  l'autre.  Cet  objet  est  percé, 
au  milieu,  d'un  trou  qui  le  traverse  dans 
toute  sa  hauteur.  J'en  donne  le  dessin 
de  grandeur  réelle.  Les  lions  sont  mu- 
selés et  leur  disposition  rappelle  d'une 
manière  frappante  les  chapiteaux  de  Per- 
sépolis  (2). 

Un  autre  type  bien  connu  a  été  retrouvé  sur  des  sceaux  d'argile 
non  cuite,  c'est  le  groupe  du  personnage  frappant  de  son  épée  un 
lion  debout  qu'il  tient  par  la  crinière.  Six  de  ces  sceaux  ont  été  re- 
cueillis à  diverses  places;  ils  sont  percés  d'un  trou  dans  lequel  on 
distingue  encore  le  reste  d'une  cordelette  carbonisée;  il  y  a  toujours 
surleliord  quelques  caractères  cunéiformes  qui  sont  de  la  même  nature 
que  ceux  des  inscriptions  du  dallage  et  des  parois.  Il  est  certain,  du 
reste,  que  ces  sceaux  ont  été  pétris  dans  le  creux  de  la  main  ;  on  y 
voit  encore  la  trace  des  doigts  et  des  pores  de  la  peau;  quant  à  leur 
destination,  elle  est  difficile  à  établir;  peut-être  étaient-ils  employés  à 
la  fermeture  des  portes  (3). 

Jusqu'à  présent  on  n'a  pas  trouvé  de  traces  de  fer  dans  le  monu- 
ment, tandis  que  l'on  rencontre  de  nombreux  restes  d'objets  de 
cuivre,  tels  que  des  clous,  des  anneaux  et  même  un  fragment  d'une 
petite  roue  à  jante  mince  d'environ  0,50'  de  diamètre. 

Les  briques  qui  ont  été  découvertes  à  Rhorsabad  sont  liées  entre 
elles  avec  du  bitume  et  tout  à  fait  semblables  à  celles  de  l'ancienne 
Ninive,  où  M.  Botta  a  aussi  trouvé  des  restes  de  sculpture,  exacte- 


(1)  V.  Silvestrc  deSacy,  Mém.  de  l'Acad.  d'^s  Inscripl.,  1815,  p.  "209,  211. 

(2)  Rer  Porter,  pi.  41. 

(3)  V.  dans  Hérodote,  lib.  II,  121^  l'anecdote  de  Rbampsinilc.  Le  roi  ne  savait  qui 
accuser  du  vol  de  son  trésor,  parce  que  les  sceaux  étaient  entiers. 


NINIVE   ET  KHORSABAD.  233 

ment  du  même  style  que  les  bas-reliefs  dont  j'ai  donné  l'ana- 
lyse. 

Les  murailles  sont  partout  formées  par  d'immenses  plaques  de  gypse 
marmoriforme,  de  dix  à  douze  pieds  en  carré  et  épaisses  d'un  pied; 
il  est  probable  cependant  que  n'étant  pas  assez  grandes  pour  donner 
aux  chambres  la  hauteur  nécessaire  à  leur  destination,  elles  étaient 
surmontées  de  quelques  rangs  de  briques  :  on  en  voit,  en  effet,  un 
très-grand  nombre  dans  les  décombres  qui  remplissent  les  chambres 
et  les  passages;  elles  n'ont  pas  la  dureté  de  celles  qui  forment  le  plan- 
cher, mais  elles  sont  émaillées  (1)  ou  peut-être  peintes  sur  une  de 
leurs  faces;  la  plupart  sont  jaunes  ou  blanches;  quelques-unes 
portent  des  portions  d'ornements  qui  devaient  être  complétés  par  la 
juxtaposition  d'autres  carreaux.  Sur  d'autres  on  voit  de  beaux  carac- 
tères cunéiformes,  peints  en  jaune  sur  un  fond  vert  obscur,  le  tour  de 
la  brique  étant  bordé  de  blanc;  au-dessus  devait  être  placée  une 
corniche  de  terre  cuite ,  composée  d'oves  striés  que  M.  Botta  com- 
pare à  un  poing  fermé.  Cette  corniche,  dont  les  débris  sont  tombés 
avec  les  briques,  est  peinte  en  jaune  et  a  environ  15''  d'épaisseur.  Le 
toit  ou  seulement  le  plafond  était  de  bois  et  peint  en  bleu;  c'est  du 
moins  ce  que  l'on  peut  conjecturer  d'après  la  quantité  de  charbon  et 
de  poutres  calcinées  que  l'on  retrouve,  mêlées  à  de  nombreux  frag- 
ments d'un  épais  enduit  d'un  beau  bleu  d'azur.  Pendant  un  incendie 
ce  toit  se  sera  écroulé  et  aura  contribué,  par  l'action  des  flammes,  à  la 
détérioration  des  bas-reliefs  dont  bon  nombre  sont  devenus  du  plâtre. 

On  voit  avec  quel  soin  M.  Botta  a  étudié  les  moindres  parties  de 
sa  découverte  et  les  plus  grands  éloges  lui  sont  dus  pour  le  zèle 
(l'étude  que  j'ai  faite  des  monuments  de  l'Orient  me  permet  d'ajouter 
pour  le  talent)  avec  lequel  il  a  su  dessiner  les  nombreuses  sculptures 
dont  nous  ne  posséderons  probablement  jamais  d'autre  souvenir.  En 
effet,  déjà  plusieurs  murailles,  détruites  par  le  contact  de  l'air,  entraî- 
nées par  les  pluies,  n'existent  plus.  Le  dessinateur,  que  la  libéralité 
de  MM.  les  ministres  de  l'Instruction  publique  et  de  l'Intérieur  avait 
permis  d'envoyer  sur  les  lieux,  et  qui,  par  suite  de  diverses  circon- 
stances qu'il  ne  m'appartient  pas  d'apprécier,  n'est  arrivé  à  Mossoul 
que  six  mois  après  son  départ,  ne  trouvera  plus  que  des  débris  in- 
formes et  délités  des  bas-reliefs  et  des  inscriptions  (2). 

(r  On  sait  que  l'abbé  de  Beauchamps  a  recueilli  à  Babylone  plusieurs  fragments 
de  briques  parfaitement  émaillées. 

(2)  Ces  inscriptions  cunéiformes  sont  conçues  en  caractères  qai  forment  une 
sixième  variété  à  ajouter  à  celles  que  nous  connaissons  déjà  et  qui  ge  trouvent  à  Ba- 


234  REVUE   AHCHÉOLOGIQUE. 

Notre  courageux  consul  a  donc  bien  fait  de  se  hâter  de  recueillir 
la  moisson  archéologique,  qu'avec  trop  de  modestie,  sans  doute,  il  pré- 
sente comme  insuffisante;  mais  il  lui  a  fallu  lutter  contre  la  maladie 
et  braver  les  obstacles  de  toute  nature  que  les  autorités  turques  et 
les  missionnaires  méthodistes  n'ont  cessé  d'apporter  à  ses  utiles 
travaux. 

Lenom  deKhorsabad  me  paraît  signifier  demeure  de  Khosrouh  (l), 
que  je  crois  être  la  forme  assyrienne  de  Xerxès.  Or  le  quatrième  suc- 
cesseur de  Sémiramis  se  nommait  ainsi  ;  ce  n'est  pas  assurément  que 
je  suppose  que  ces  sculptures  appartiennent  au  XXIl**  siècle  avant 
notre  ère  ;  mais  je  désire  seulement  constater  que  le  nom  de  Xerxès 
a  pu  être  porté  en  Assyrie  avant  le  fils  de  Darius. 

Si  les  constructions  de  Rhorsabad ,  qu'elles  aient  été  un  palais  ou 
une  nécropole,  avaient  été  élevées  après  la  conquête  des  Perses,  nul 
doute  que  l'on  y  aurait  trouvé  une  ou  plusieurs  de  ces  inscriptions 
trilingues  contenant  une  colonne  de  Zend  qui  sont  gravées  sur  tous 
les  monuments  perses  jusque  même  à  Suez  (2). 

Après  tout,  les  fouilles  ne  sont  pas  encore  terminées  et  les  décou- 
vertes ultérieures  viendront  peut-être  nous  secourir  dans  l'étude  de  ce 
problème  difficile  dont  la  solution  doit  vivement  préoccuper  le  zèle 
des  archéologues,  car  elle  intéresse  et  l'histoire  de  l'art  et  celle  d'une 
contrée  considérée  comme  le  berceau  du  monde. 

Adrien  de  Longpérier. 


bylone,  à  Van  en  Arménie,  et  à  Persépolis  (au  nombre  de  trois  dans  cette  dernière 
Yille). 

(1)  De  ahad,  demeure-  C'est  ainsi  qu'ont  été  formés   Firouzabad,  Djellalabad, 
Kbairabad,  Murschidabad  et  tant  d'autres  noms  de  villes. 

(2)  V.  le  Mémoire  de  M.  de  Rozière,  dans  le  grand  ouvrage  de  la  commission 
d'Egypte,  1. 1,  p.  265. 


RECHERCHES 

SUR 

rORIfill  DES  REPRÉSEKTATIOl  FIGURÉES  DE  lA  PSTCHCSIASIE 

ou  PÈSEMENT  DES  AMES 

ET  SUR  LES  CROYANCES  QUI  s'y  RATTACHAIENT. 

PREMIER  ARTICLE. 

La  pensée  de  l'autre  vie,  des  peines  et  des  récompenses  qui  nous 
y  attendent,  suivant  la  conduite  que  nous  avons  menée  ici-bas,  a 
fortement  préoccupé  les  esprits,  au  moyen  âge.  Dans  les  sermons, 
comme  dans  les  fabliaux,  les  écrits  théologiques,  comme  dans  les 
chansons  populaires,  sur  les  vitraux  et  les  bas-reliefs  des  églises, 
aussi  bien  que  sur  les  pierres  votives  et  sépulcrales ,  on  trouve  la 
preuve  que  cette  idée  religieuse  s'associait  à  tous  les  projets,  à  toutes 
les  conceptions,  à  tous  les  actes  de  nos  pères.  L'image  du  paradis 
et  de  l'enfer,  du  jugement  dernier  et  de  la  résurrection  générale, 
formait,  au  fond  de  leur  cerveau,  comme  un  miroir  dans  lequel  ve- 
naient se  réfléchir  toutes  leurs  pensées.  Et  cette  préoccupation  de 
l'avenir  qui  s'ouvre  au  delà  du  tombeau,  donnait  à  leurs  œuvres  lit- 
téraires ou  plastiques  une  physionomie  particulière,  qui  ne  s'est  effa- 
cée qu'au  moment  de  la  Renaissance.  Il  importe  donc  à  ceux  qui 
veulent  connaître  l'art  au  moyen  âge ,  d'étudier  les  différents  cercles 
d'idées  qui  se  rattachaient  à  la  croyance  à  l'autre  vie.  Pour  bien  saisir 
l'esprit  et  les  détails  des  sujets  que  nos  ancêtres  sculptaient  sur  la 
pierre  ou  peignaient  sur  le  verre,  il  faut  pénétrer  assez  avant  dans  les 
opinions  qu'ils  s'étaient  faites  de  l'existence  mystérieuse  à  laquelle  la 
mort  nous  fait  naître. 

Au  nombre  des  représentations  figurées  qui  appartiennent  à  cet 
ordre  de  croyances  religieuses ,  nous  avons  surtout  remarqué  celles 
qui  offrent  le  jugement  dernier  sous  l'image  du  pèsement  de  l'âme  et 
des  actions  de  chaque  homme.  La  répétition  fréquente  de  ce  sujet 
dans  les  églises,  particulièrement  en  France,  les  détails  curieux  qui 
l'accompagnent  d'ordinaire ,  enfin  le  grand  nombre  de  légendes  qui 
s'y  rapportent  et  en  forment  comme  le  commentaire,  nous  ont  engagé 


236  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

à  en  faire  l'objet  de  quelques  recherches.  Ce  sont  ces  recherches 
que  nous  soumettons  maintenant  au  lecteur. 

Le  pèsement  des  âmes,  ou  pour  nous  servir  du  mot  adopté  par  les 
antiquaires,  la  psychostasie ,  forme  habituellement  un  sujet  isolé  qui 
a  été  reproduit  sur  plusieurs  chapiteaux  d'église:  c'est  ainsi  qu'on 
le  voit  à  Sainte-Croix  de  Saint-Lô,  à  l'église  de  Montivilliers ,  à  celle 
de  Saint-Nectaire,  et  sur  des  bas-reliefs,  comme  à  Saint-Trophime 
d'Arles  par  exemple.  On  retrouve  le  même  sujet  dans  les  miniatures 
des  manuscrits  du  XIIP  au  X  VP  siècle.  Parfois  ce  jugement  forme 
un  des  épisodes  de  la  grande  scène  du  jugement  dernier  ou  de  la 
résurrection  ;  c'est  de  cette  manière  qu'il  s'offrait  à  Notre-Dame  de 
Paris ,  qu'il  a  été  placé  à  la  cathédrale  d'Amiens ,  à  Notre-Dame  de 
la  Couture,  au  Mans,  à  l'église  Sainte -Foy  de  Conques  et  que 
Van  Eyck  et  Lelio  Orsi  le  peignirent  dans  leurs  tableaux.  Sur  cer- 
tains manuscrits ,  c'est  Dieu  qui  tient  la  redoutable  balance.  Ainsi 
sur  la  Bible  moralisée  en  latin  et  en  français  de  la  Bibliothèque  royale, 
à  Paris,  cotée  6829,  Bible  que  M.  Paulin  Paris  (1)  soupçonne  être 
celle  de  Pierre  Comestor,  on  voit,  folio  1379,  une  miniature  dont  le 
sujet  est  Dieu  tenant  une  balance  et  pesant  une  âme  représentée  par 
une  figure  nue;  ces  mots  accompagnent  la  peinture:  Omnesviœho- 
minis  patent  ocuUs  Bomini,  spiritaum  ponderator  est  Domimis.  M.  Di- 
dron,  dans  son  Iconographie  chrétienne,  donne,  p.  576,  une  minia- 
ture italienne  d'un  manuscrit  du  XIIP  siècle  ,  dans  laquelle  on  a 
figuré  Dieu  tenant  un  compas  de  la  main  droite  et  une  balance  de  la 
gauche.  Dans  le  bas-relief  qui  décore  un  des  chapiteaux  de  Sainte- 
Croix,  à  Saint-Lô  (*2),  on  observe  seulement  un  bras  qui  supporte 


(1)  Cf.  Calai,  des  manuscrits  franc,  de  la  Bibl.  roy.,  t.  IV,  p.  4. 

(2)  Cotman's,  ^rchilecltiral  anliquities  of  lYormandy,  l  II,  p.  87,  in-foî. 


RECHERCHES  SUR    LA  PSYCHOSTASIE. 


237 


une  balance.  Dans  le  plateau  de  droite ,  est  une  petite  figure  tenue 
par  un  ange  demi-agenouillé  ;  dans  l'autre  plateau ,  dont  le  poids 
paraît  l'emporter,  sont  des  objets  qu'on  ne  peut  distinguer  :  un  bras, 
sans  doute  celui  du  diable,  entraîne  ce  plateau  trébuchant.  Le  plus 
ordinairement,  c'est  l'archange  saint  Michel  qui  tient  le  lléau  de  la 
balance.  A  Notre-Dame  de  Paris,  dans  la  partie  supérieure  du  tym- 
pan de  la  porte  principale  qui  a  été  supprimée  (1) ,  on  avait  figuré 
cet  archange  tenant  la  balance  de  la  justice  divine  et  pesant  les 
âmes;  au-dessous  était  le  champ  de  la  résurrection.  C'est  encore 
le  même  saint  Michel  qu'on  retrouve  sur  un  des  chapiteaux  de  l'église 
de  Montivilliers  (2).  A  Saint-Nectaire ,  sur  le  chapiteau  qui  ofire  la 
psychosta^ie ,  saint  Michel  tient  également  la  balance,  et  il  est  suivi 
de  l'ange  exterminateur  monté  sur  un  cheval  et  portant  à  sa  main  un 


grand  nombre  de  dards  (3).  Dans  une  fresque  du  XÎÏP  siècle  de 
Saint-Laurent  hors-des-Murs  à  Rome,  fresque  appartenant  à  l'école 
gréco- italienne,  on  voit  la  mort  et  les  obsèques  d'un  personnage 
dont  saint  Michel  pèse  les  actions  (4).  Dans  une  autre  fresque  ita- 
lienne, qui  date  du  XV^  siècle,  et  qui  est  à  Sainte- Agnès-hors-les-Murs 
dans  la  même  ville,  l'archange  tient  une  balance;  une  âme  est  dans 
chaque  plateau  (5).  Dans  un  des  bas-reliefs  du  tombeau  du  bien- 
heureux Alberto,  de  l'ordre  de  Cluny,  mort  au  monastère  de  Pon- 
dida,  en  i095,  on  a  sculpté  un  homme  à  cheval  portant  une  bâ- 


ti) Gilbert,  Descrip.  de  laBasiliq.  métrop.de  Paris,  p.  C?. 

(2)  D.  Ramée,  Manuel  de  l'histoire  générale  de  Varchileclure,  l.  II,  p.  170. 

(3)  Mallay,  Essai  sur  les  églises  romaines  du  Puy-de-Dôme,  p.  47.  Pl.\L\. 

(4)  D'Agincourt,  Hisl.  de  l'art,  Peint.  PI.  XCIX. 

(5)  D'Agincourt,  ibid. 


238  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

lance  et  une  âme  dans  chaque  bassin  (1  ).  Ce  personnage  est  très- 
probablement  saint  Michel,  ou,  peut-être,  l'ange  monté  sur  un 
cheval  noir,  qui,  dans  l'Apocalypse,  apparaît  à  l'ouverture  du  troi- 
sième sceau.  Sur  un  des  vitraux  de  la  cathédrale  de  Bourges  (2) , 


même  pèsement,  et  même  archange  pour  peser.  L'emploi  de  samt 
Michel  comme  grand  ponderator  s'est  conservé  à  des  époques  plus 
rapprochées  de  nous.  A  l'abbaye  de  Westminster,  on  voit  sur  le  tom- 
beau de  Henri  VII,  saint  Michel  portant  le  fléau  de  la  balance  (3). 
Sur  un  des  bas-reliefs  qui  ornent  le  tombeau  du  pape  Paul  lïl,  on  a 
sculpté  le  même  saint  tenant  un  glaive  de  la  droite  et  une  balance  de 
la  gauche  ;4).  Molanus  donne  positivement  la  balance  comme  attri- 
but ordinaire  de  saint  Michel  (5). 

Dans  presque  tous  ces  sujets,  l'âme  est  l'objet  d'une  vive  contesta- 
tion entre  les  anges  et  les  saints  patrons  qui  environnent  le  plateau 
de  droite,  et  les  diables  qui  cherchent  à  faire  basculer  celui  de 
gauche,  en  se  pendant  après  les  cordes  qui  tiennent  le  plateau,  ou 
en  pesant  dedans  du  poids  de  leurs  bras  ou  de  leurs  fourches.  C'est  ce 
qui  frappe  particulièrement  à  Notre-Dame   de  la  Couture,   au 

(1)  D'Agincourt,  Peint.  PL  \\\l. 

(2)  Martin  et  Cahier,  Vitraux  de  la  calhéd.  de  Bourges.  PL  H. 

(3)  Carter,  Spécimens  of  theanc  sculpt.  andpainL  in  England.  PL  LVIII, 
et  p.  85. 

(4)  CrypL  Falic.  mon.  ilL,  tab.  LXXVI. 

(5)  De  Historia  ss.  imaginum.  Ed.  Paquot,  Ub.  2,  c.  23,  p.  71  -,  lib.  3^  c.  4i, 
p.  366. 


RECHERCHES  SUR  LA   PSYCHOSTASIE.  239 

Mans  (l),  à  la  cathédrale  d'Amiens  (2),  à  Sainte-Foy  de  Con- 
ques (3).  Souvent,  comme  sur  les  bas-reliefs  de  Notre-Dame  de 
Paris  et  sur  un  des  vitraux  de  Bourges,  on  voit  un  diablotin  placé  traî- 
treusement sous  le  bassin  accusateur,  et  cherchant,  en  se  crampon- 
nant après,  à  le  faire  trébucher.  En  un  mot,  les  artistes  ne  manquaient 
jamais  de  représenter  les  démons  très-acharnés  à  la  perte  de  l'âme 
dont  le  procès  était  pendant  au  tribunal  divin.  «  Appirigunt  etiam 
nonnulli,  dit  Molanus  (4),  ad  lancem  in  qua  est  anima,  diabolum 
eam  deprementem  quo  significatur  quod  ipse  sit  calumniator  et  accu- 
sator  fratrum  et  rigidus  exactor  omnium  eorum  quae  maie  egimus.  » 

Si  maintenant  nous  étudions  les  autres  détails  qui  entraient  dans 
le  sujet  de  la  psychostasie ,  nous  y  reconnaîtrons  quelques  variantes. 

Dans  certaines  représentations ,  l'âme  est  dans  un  des  plateaux  et 
les  actions  dans  l'autre;  c'est  ce  qui  paraît  avoir  été  figuré  à  Sainte- 
Croix  de  Saint-Lô.  A  la  cathédrale  d'Amiens,  dans  le  bas  relief  en 
partie  mutilé  qui  offrait  la  psychostasie,  l'agneau  sans  tache  était  dans 
le  premier  plateau,  l'âme  dans  le  second.  Mais  plus  ordinairement 
il  y  a  une  âme  dans  chaque  plateau,  c'est  ce  que  nous  venons  déjà 
de  faire  observer  dans  divers  monuments.  A  Saint-Trophime  d'Ar- 
les, saint  Michel,  que  Millin  a  pris  à  tort  pour  saint  Gabriel, 
tient  une  balance  ,  et  dans  chaque  plateau  de  celle-ci ,  est  une  âme 
figurée  par  un  petit  personnage  nu,  vu  à  mi-corps;  une  autre  âme 
debout  qui  a  été  trouvée  de  bon  poids,  est  prête  à  entrer  dans  le  pa- 
radis. 

Le  pèsement  que  nous  rencontrons  sur  tant  de  monuments ,  était-il 
simplement  une  allégorie  adoptée  généralement  par  les  artistes,  comme 
plus  propre  à  exprimer  la  sévère  justice  du  jugement  de  l'Éternel, 
ainsi  que  nous  le  donnerait  à  penser  ce  passage  de  Molanus  (5)  • 
«  Michael  Archangelus  cum  libra  pingitur,  ut  simplices,  inquit  Ec- 
kius,  intelliganteum  potestatem  habere  animas  hominum  suscipiendî, 
eorumque  mérita  ponderare?  »  On  serait  tenté  de  le  croire,  si  l'étude 
des  légendes  ne  nous  montrait  pas  que  cette  représentation  n'était  pas 
seulement  pour  les  simplices  dont  parle  Molanus ,  une  image  emblé- 
matique, mais  bien  l'image  positive  d'un  mode  d'examen,  à  la  réalité, 
à  la  matérialité  duquel,  ils  ajoutaient  foi.  Il  nous  suffira  de  rapporter 


(1)  p.  Mérimée,  IVoles  d'un  voyage  dans  l'ouest  de  la  France ,  p.  61, 

(2)  Gilbert,  DescripL  de  lacalh.  d'Amiens,  p.  35. 

(3)  P.  Mérimée,  Notes  d'un  voyage  en  Auvergne,  p.  184. 

(4)  De  Historiass.  imaginum,  Ed.  Paquot,  p.  374. 

(5)  Ibid.,  lib.  3,  c.  39,  p.  347.  Ed.  Paquot. 


240  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

quelques-unes  de  ces  légendes,  pour  convaincre  le  lecteur  à  cet 
égard. 

On  lit  dans  la  Légende  dorée  de  Jacques  de  Voragine,  dans  l'histoire 
de  saint  Laurent,  qu'à  la  mort  de  l'empereur  saint  Henri,  lorsque  ce 
monarque  était  à  l'agonie,  un  ermite,  du  fond  de  sa  cellule,  vit  par- 
devant  sa  fenêtre,  qui  était  ouverte,  une  grande  foule  de  diables,  et  il 
demanda  à  celui  qui  allait  le  dernier  de  tous,  où  ils  se  rendaient,  et 
celui-ci  lui  répondit  :  «Nous  sommes  une  légion  de  démons  et  nous  ac- 
courons vers  l'empereur  qui  se  meurt ,  afin  de  voir  si  nous  ne  trouverons 
pas  en  lui  quelque  chose  qui  nous  revienne.  »  Et  l'ermite  pria  le  dia- 
ble de  lui  dire  à  son  retour  ce  qui  s'était  passé ,  et  le  diable  revint  fort 
triste,  et  dit  à  l'ermite  :  c(  Nous  n'avons  rien  eu  du  tout;  car  le  bien 
et  le  mal  qu'avait  fait  l'empereur,  ayant  été  mis  dans  la  balance,  les 
plateaux  se  maintenaient  dans  un  équilibre  parfait  ;  mais  il  a  été  mis 
dans  le  plateau  de  son  côté,  la  grande  chaudière  de  saint  Laurent,  et 
son  poids  immense  a  donné  un  énorme  avantage  au  bassin  où  étaient 
les  bonnes  actions  de  l'empereur,  et  dans  mon  dépit  j'ai  emporté  un 
morceau  de  cette  chaudière.  » 

Dans  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  de  Paris  (1),  intitulé: 
Faits  et  miracles  de  Notre-Dame ,  on  lit  le  fait  suivant,  pag.  31 ,  au 
chapitre  :  D'ang  clerc  qui  fat  pesé  en  la  balance  par  monseigneur 
saint  Michel,  sur  V accusation  de  l'ennemy.  (M.  Paulin  Paris  a  lu 
par  inadvertance,  saint  Remy)  :  Un  clerc  qui  avait  la  dévote  habi- 
tude de  dire  tous  les  jours  quatre  Ave  Maria  fut  mis  à  mort  par  l'en- 
nemy, c'est-à  dire  le  démon,  lequel,  comme  on  le  devine  bien,  vou- 
lait avoir  son  âme  ;  son  ange  gardien  le  défendait.  L'âme  fut  portée 
par  ledit  ange  devant  Dieu  et  fut  mise  en  la  balance,  dit  le  texte, 
avecques  tous  les  biens  quil  avoit  en  sa  vie  ditz  et  faitz  et  les  maulx 
que  l'ennemy  mist  de  Vautre  part.  Et  il  se  trouva  que  les  maux  pesaient 
merveilleusement  plus  que  les  biens.  Mais  la  Vierge  Marie  rétablit 
l'équilibre  et  môme  fit  trébucher  en  sens  inverse  la  terrible  balance, 
en  apportant  dans  le  bon  plateau  les  Ave  Maria,  qu'avait  journelle- 
ment récités  le  clerc  ;  et  en  récompense  l'âme  du  clerc  obtint  de  ren- 
trer dans  son  corps  et  de  revenir  à  la  vie,  et  notre  pécheur  dévot  à 
Marie  vesquit  en  religion  moult  dévotement.  Alain  de  La  Roche  nous  a 
raconté  une  légende  analogue  que  nous  rapporterons  également  :  Un 
certain  usurier  italien  n'avait  eu,  sa  vie  durant,  d'autre  mérite  que  de 
dire  exactement  tous  les  jours  son  rosaire.  Au  moment  de  mourir, 

(1)  Manuscrit  fr.,  fonds  J^ancelot,  n°  7018.  Cf.  P.  Paris,  Catal.  des  manuscrits 
fr.,  t.  IV,  p.  4. 


RECHERCHES  SUR  LA  PSYCHOSTASIK.  241 

l'usurier  eut  une  vision  :  il  vit  saint  Michel  mettant  dans  un  des  pla- 
teaux d'une  balance  qu'il  tenait  à  la  main ,  les  biens  qu'il  avait  faits, 
lui  usurier,  biens  fort  minces  et  de  peu  de  poids,  et  le  diable  accu- 
mula dans  l'autre  plateau  les  mauvaises  actions  cent  fois  plus  pesantes 
qu'il  avait  à  se  reprocher,  et  le  bassin  fatal  l'emportait ,  lorsque  la 
Vierge  accourut ,  et  jetant  le  rosaire  dans  le  plateau  des  bonnes  ac- 
tions qui  s'élevait  déjà  léger  comme  s'il  eût  été  vide ,  elle  décida  du 
bonheur  éternel  de  l'usurier  (1). 

L'auteur  de  la  chronique  de  Turpin  raconte  que  ce  prélat  étant  à 
Vienne,  et  venant  de  chanter  la  messe  et  de  célébrer  les  saints  mys- 
tères, s'apprêtait  à  réciter  les  psaumes,  lorsqu'il  entendit  une  vio- 
lente rumeur,  ce  qui  lui  fit  mettre  le  nez  à  la  fenêtre  ;  il  vit  alors  une 
innombrable  troupe  de  démons;  il  interrogea  le  plus  petit,  celui 
qui  lui  parut  le  moins  repoussant  ;  ce  diable  lui  répondit  qu'ils  allaient 
quérir  l'âme  de  Charlemagne  qui  venait  d'expirer.  L'archevêque  le 
conjura  de  lui  dire,  à  leur  retour,  quel  aurait  été  le  résultat  de  leur 
expédition  ;  et  en  effet,  à  peine  eut-il  achevé  son  psaume,  qu'il  en- 
tendit le  même  bruit  que  précédemment ,  ce  qui  lui  fit  regarder  de 
nouveau  par  la  fenêtre  ;  le  petit  démon  lui  apprit  alors  qu'à  peine  la 
légion  infernale  avait- elle  été  rassemblée,  l'archange  Michel  était 
accouru  avec  la  sienne,  et  que  tandis  qu'une  lutte  s'établissait  entre  eux, 
au  sujet  de  l'âme  impériale,  saint  Jacques  de  Compostelle  et  saint  Denis 
étaient  survenus,  ainsi  qu'on  pouvait  les  reconnaître  à  l'absence  de 
leur  chef,  qu'ils  avaient  placé  dans  une  balance  tous  les  biens  qu'avait 
faits  l'empereur,  biens  qui  l'avaient  emporté  de  beaucoup  sur  les 
maux  :  Et  in  stateram  miserunt  cum  bonis  operibus  qaœ  in  vita  sua 
rex  fecerat ,  tôt  ligna,  lapides  et  structuras ,  ornamenta  ecclesiarum  et 
cultus,  quod  mala  superare  et  multiplicare  minime  potuerunt  (2). 

Nous  citerons  encore  une  de  ces  curieuses  légendes  que  nous  re- 
commandons plus  particulièrement  à  l'attention  du  lecteur,  parce  que 
rien  ne  s'y  trouve  omis  dans  les  circonstances  de  ce  pèsement  terrible 
et  qu'on  y  rencontre  jusqu'aux  moindres  détails  de  cette  scène, 
telle  que  se  la  retraçaient  les  imaginations  au  moyen  âge. 

Odon ,  comte  de  Champagne,  mourut  après  avoir  mené  ici-bas  une 
vie  peu  édifiante.  Au  moment  de  son  trépas ,  Dieu  songea  à  la  vie 
charnelle  dans  laquelle  il  était  resté  plongé ,  scilicet  quod  pubis  vel 
car  à  non  spiritus  esset,  dum  viveret  cornes  Odo.  Toutefois,  se  rappelant 
que  ce  seigneur  avait  fait  réparer  le  grand  monastère  de  Saint-Mar- 

(1)  Michael  Nœvius,  Chronic.  apparit.  et  geslor.  S.  Michael.,  p.  286. 

(2)  Lenglet  Dufresnoy,  Dissert,  sur  les  apparitions,  t.  II,  p.  181  et  suiv, 


242  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

tin ,  œuvre  fort  méritoire  à  ses  yeux ,  il  eut  pitié  du  pécheur  et  fit 
avertir  par  un  ange  l'évêque  de  Tours,  d'intercéder  pour  celui  qui  lui 
avait  conservé,  au  milieu  de  ces  égarements,  une  dévotion  particu- 
lière et  de  le  défendre  contre  les  tentatives  des  démons  qui  allaient  le 
réclamer  comme  leur  propriété.  Le  grand  saint  s'empressa  d'accourir 
au  pied  du  tribunal  divin  et  de  faire  valoir  en  faveur  d'Odon ,  sa  piété 
envers  lui ,  sa  mort  repentante,  faisant  appel  surtout  à  la  miséricorde 
divine ,  à  la  rédemption  dont  le  bénéfice  s'étend  sur  tous  les  hommes. 
Les  diables  étaient  confondus  de  l'éloquence  de  saint  Martin  ;  la 
force  de  son  raisonnement  les  accablait  comme  un  coup  de  foudre  ;  ils 
eurent  recours  à  la  chicane,  refuge  ordinaire  des  mauvaises  causes. 
Hœc  Martino  pro  eripieiida  de  dentibus  ursorum  ovicula  adversus  im- 
pies non  transeuntis  inculcatione  sermonum  ,  sed  in  verbi  Dei  omnia 
penetrantis  et  comprehendentis  collatione  brevissima  allegante,    et 
causam  injustae  abdicationis  et  delentionis  captivi  sui  retractante  illi 
ejusdem  verbi  virtute  ac  si  tonitrui  corruscatione  prœstricti  non  haben- 
tes  qui  tantse  auctoritatis  objectionibus  rationabiliter  opponerent, 
haerebant  attoniti.  Ad  nota  callidae  machinationis  commenta  refu- 
giunt.  Les  diables  opposaient  le  grand  nombre  de  péchés,  et,  comp- 
tant sur  la  puissance  de  cette  considération,  ils  demandent  la  terrible 
épreuve  de  la  balance.  «  Comitis  specie  sibi  retinendi  eum,  polli- 
centes,  examen  librae  proponunt.  »   Ils  font  valoir  l'excellence  du 
pèsement  en  matière  d'équité.  «  Asserentes  œquius  nil  videri  quam 
ut  cujus  partis  opéra  in  eo  prœponderare  invenirentur,  eadem  illum 
opéra  secum  sive  sursum  sive  deorsum  traherent.»  Ils  rappellent  même 
le  passage  dont  l'interprétation  littérale  a  suggéré  l'idée  de  ce  pèse- 
ment. c(  Asserunt  etiam  nullo  mclius  quam  isto  probari  posse  argu- 
mente dominum  suum  qui  miserat  eum  justum  esse  judicem  de  quo 
scriptum  sit  quod  ommia  in  numéro  et  pondère  et  mensura  dispo- 
suit.  »  On  apporte  donc  la  balance  qui  est  suspendue  dans  le  ciel. 
«  Protinus  divinae  virtutis  potentia  non  parvae  quantitatis  trutina  in 
aère  suspensa  apparet.  »  Aussitôt  les  démons  d'amonceler  dans  le  si- 
nistre plateau  tous  les  méfaits,  tous  les  péchés  capitaux  et  véniels  du 
défunt  ;  ils  les  y  entassent  comme  des  pierres ,  comme  des  morceaux 
de  bois,  de  fer  ou  de  plomb.  «  Nec  mora  cupidissimi  feneratores  et 
exactores  nequissimi  omnes  quasi  totius  vitae  comitis  scrutantes  sub- 
stantiam  et  ut  brevissime  multa  perstringam,  quidquid  cogitando , 
loquendo  et  opérande  in  negligentia  seu  transgressione  divinorum 
prœceptorum  deliquerat,  memoriter  retinentes  in  similitudinem  lapi- 
dum ,  lignorum  ferri  et  plumbi  et  cœterorum  hujusmodi  in  paiera  si- 


RECHERCHES  SUR  LA  PSYCHOSTASIE.  243 

nistrae  partis  ejusdem  trutinge  alacres  etfestini  coacervant.  »  A  peine 
les  démons  ont-ils  comblé  le  plateau  de  cet  affreux  assemblage,  que 
la  balance  trébuche,  et  plus  vite  que  la  plume,  dans  l'air  s'élève  le 
bon  plateau,  tandis  que  l'autre  et  son  poids  accusateur  descendent 
aussi  bas  que  possible.  «  Fit  immensa  congeries  et  dextro  cornu  li- 
brae  in  altum  sublato,  sinistrum,  quantum  descendere  poterat,  in 
imum  demergitur.  »  Déjà  les  diables  crient  victoire,  tandis  que  saint 
Martin  et  l'ange  gardien  d'Odon  se  hâtent  de  rassembler  sur  le  plateau 
trop  léger  tout  ce  qu'ils  peuvent  découvrir  de  bon  dans  la  vie  du 
comte  ;  ils  y  placent  l'œuvre  pie  capitale  qui  milite  en  faveur  du  ciel , 
brille  comme  l'or  et  le  rubis  et  pèse  comme  les  métaux  les  plus  pré- 
cieux. «Sed  auri  et  argenti  atque  gemmarum  gravitatem  et  pulchritu- 
dinem  referentiœ  in  patera  dextrœ  partis  staterae  convehunt.  »  Ce- 
pendant l'équilibre  est  à  peine  rétabli ,  la  troupe  avide  de  Satan  réclame 
encore  ;  alors  saint  Martin  fait  valoir  les  prières,  les  veilles,  les  jeûnes 
du  défunt;  il  rappelle  le  saint  sacrifice  de  la  messe  auquel  Odon  ne  man- 
quait jamais  d'assister  dévotement,  il  exalte  la  puissance  de  ce  symbole 
journalier  de  la  Rédemption ,  qui  renouvelle  sans  cesse  les  mérites  qui 
ont  valu  aux  yeux  de  l'Éternel  le  salut  du  genre  humain.  Cette  der- 
nière considération  est  venue  ajouter  au  bon  plateau ,  ce  qui  lui  man- 
quait encore  pour  l'emporter  ;  la  balance  trébuche  en  sens  inverse, 
le  bassin  de  droite  s'abaisse  et  fait  sauter  en  l'air  celui  sur  lequel  s'ap- 
puyaient les  démons.  Le  premier  rayon  de  soleil  ne  fait  pas  fondre  la 
glace  plus  rapidement  ^ue  ne  s'effectua  ce  mouvement  :  «  Quo  facto 
pars  sinistrae  partis  trutinae  ac  si  vacua  esset,  dextera  prépondérante 
in  sublime  resilit  et  quicquid  in  ea  congestum  fuerat,  velut  glacies 
a  fervore  solis  deficiens  reliquatum  adnihilum  redigitur.  »  Saint  Mar- 
tin entonna  à  son  tour  le  chant  du  triomphe ,  et  son  cœur  compatis- 
sant tressaillit  de  joie,  tandis  que  la  troupe  horrible  des  esprits  impurs, 
teterrimus  immundorum  spiritaam  ille  globus ,  s'évanouissait  comme 
la  fumée,  sicut  déficit  fiimus y  se  fondait  comme  la  cire,  sicut  fiait  cera 
afacieignis,  et  était  replongée  dans  l'abîme,  in  ahyssum  suhplum" 
hatiis  (1). 

La  poésie  populaire  du  moyen  âge  nous  retrace  la  même  image  de 
pèsement:  écoutons  pour  preuve  Guillaume  de  Deguilleville,  moine 
de  Chalis,  qni  écrivait,  dans  la  seconde  moitié  du  XI V"  siècle,  le 
Pèlerinage  de  la  Vie  humaine.  Arrêtons-nous  à  la  seconde  partie  de 

(1)  Anomjmi  JYarratio  de  command.  Turonicœ  provinciœ  et  de  nomin.  et 
ad.  episcop.  civ.  Turon.,  p.  172  et  suiv.  à  la  suite  de  l'Histoire  des  Francs,  de 
Grégoire  de  Tours,  Parisiis,  1610,  in-12. 


244  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

son  poëme,  le  pèlerinage  de  Tâme.  Le  pèlerin  est  arrivé  en  présence 
de  la  justice  divine ,  les  anges  et  les  démons  se  le  disputent  avec  achar- 
nement. Satan  l'accuse  avec  tant  de  violence  devant  saint  Michel,  que 
l'archange  est  au  moment  de  le  damner.  Mais  dames  Justice,  Misé- 
ricorde, Raison,  Vérité  le  défendent  éloquemment.  Saint  Benoît,  le 
patron  de  l'ordre  qu'a  embrassé  le  pèlerin,  se  joint  à  eux;  saint 
Michel ,  embarrassé,  ordonne  alors  à  la  Justice  de  prendre  sa  balance, 

et  il  dit  : 

En  la  balance  tu  raetras , 
Dit-il ,  et  adroit  pèseras 
Quanque  ait  fait  le  pèlerin 
Pour  mettre  tost  sa  cause  à  fin. 
Qui  rien  y  era  à  mettre 
Soit  bien  ,  soit  mal ,  tost  li  mette. 
Et  quant  Benoist  avoit  escript, 
Quanque  aussi  Sathan  veult  dire 
Et  quanque  puet  contredire. 
Le  pèlerin  et  ceulx  qui  sont 
Pour  li ,  en  balance  metront 
Le  bien  saucun  est  à  destre 
Soit  et  les  maulx  à  senestre. 
Or  que  chascun  appoinlement 
Soit  enformés  du  jugement. 
De  nul  je  n'ay  reçeu  don 
Pour  quoy  doie  estre  en  souppeson. 
Aussi  ne  doit  juge  faire 
Qui  sonnour  ne  veult  defTaire. 

Après  ce  discours ,  dans  lequel  il  est  curieux  de  voir  saint  Michel 
protester  de  sa  probité  déjuge  et  assurer  qu'il  n'a  pas  été  gagné,  le 
poëte  commence  le  récit  du  pèsement. 

Lors  fut  Icvei  ung  eschafault 
Sur  la  cortine  tout  en  hault , 
Sur  laquelle  dehors  se  monstra 
Justice ,  qui  tost  aporta 
Ses  balances  aprestées 
Et  également  ajustées. 

Les  dames  allégoriques  citées  plus  haut  assistent  à  cette  pesée  solen- 
nelle. Le  pèlerin  met  dans  l'un  des  plateaux,  celui  de  droite,  son 
bourdon,  son  bâton,  son  écharpe.  Dans  l'autre,  s'amassent  les  mé- 
faits ;  le  monstre  Sideresis  y  entre  avec  sa  tête  énorme  et  ses  jambes 
grosses  et  courtes  (l),  et  déjà  le  diable  s'efforce  de  faire  pencher  ce 

(1)  C'est  au  moins  ainsi  qu'il  est  représenté  dans  le  manuscrit  de  Deguilleville 
que  j'ai  consulté.  Ce  manuscrit,  orné  de  peintures  fort  médiocres ,  appartient  à  la 
bibliothèque  de  Metz  où  il  est  coté  E.  1 1 0  ;  il  est  du  milieu  du  XIV^  siècle ,  et  pro- 
vient de  la  bibliothèque  des  Céleslins.  J'en  dois  la  communication  à  l'obligeance  de 
M.  Declcrckx,  bibliothécaire  de  Metz. 


RECHERCHES   SUR   LA.   PSYCHOSTÀSIE.  245 

plateau  si  chargé.  Saint  Benoît  apporte  à  son  tour  ses  écrits  dans  le 
plateau  du  paradis;  mais  le  démon  fait  observer  malicieusement  que 
cela  ne  fait  point  encore  le  poids.  Le  saint  rapporte  deux  cédules  et 
la  Justice  en  déclare  encore  l'insuffisance.  Enfin,  au  moment  où 
Satan  va  s'adjuger  sa  proie,  la  Miséricorde  accourt  avec  des  lettres  de 
grâce  de  Jésus-Christ  et  de  la  Vierge. 
.  Ces  légendes  sont  les  véritables  commentaires  des  représentations 
figurées  que  nous  avons  décrites  rapidement,  en  commençant  cet 
article  ;  nous  retrouvons  bien  ces  violences ,  ces  tentatives  traîtresses 
des  démons  pour  ravir  une  nouvelle  proie.  L'auteur  anonyme  du  dis- 
cours dans  lequel  est  racontée  la  légende  du  comte  Odon  rappelle 
lui-môme  cet  usage  oii  étaient  les  artistes  de  placer  cette  lutte  comme 
épisode  habituel  de  la  psychostasie.  Il  montre  aux  chrétiens  quelle 
salutaire  pensée  d'effroi  ce  pèsement  doit  jeter  dans  leur  âme ,  sans 
cependant  nous  frapper  de  stupeur  ou  nous  rendre  incrédules;  il  parle 
de  ces  tentatives  sournoises  et  perfides  des  diables,  pour  faire  trébu- 
cher le  plateau  accusateur,  quamçis  Diaholus  arte pictoris  supposilus, 
prœposilam  librœ pateram  utraque  manu  tenenSy  toto  nisu  ad  ima  conetur 
detrahere.  Mais  saint  Michel  imposait  par  son  autorité  aux  légions 
perverses  de  l'enfer,  et  c'était  à  lui  qu'elles  étaient  contraintes  de 
s'adresser,  pour  réclamer  celui  qui  avait  été  trouvé  trop  léger. 

Prévost  Micbîel  délivre  nous 
Et  ajuge  tost  noslre  proie, 

disent  les  Sathanas,  dans  le  Pèlerinage  de  la  Vie  humaine. 

D'où  venaient  ces  croyances?  Était-ce  une  figure,  une  allégorie 
qui  de  l'art ,  était  passée  dans  les  esprits  et  avait  fini  par  y  prendre 
corps?  était-ce  une  superstition  plus  ancienne,  dont  il  faut  aller 
chercher  les  racines  dans  l'antiquité?  Un  grand  nombre  de  passages 
d'auteurs  de  diverses  époques ,  nous  font  voir  que  l'expression  méta- 
phorique de  pèsement  fut  employée  non-seulement  chez  les  premiers 
chrétiens ,  mais  encore  chez  les  Juifs.  Tout  donne  à  penser  que  ces 
expressions  n'étaient  que  des  figures  de  langage  ,  pour  ceux  qui  en 
faisaient  usage,  tandis  qu'elles  étaient  traduites  par  le  peuple  dans  un 
sens  matériel  et  littéral. 

Le  fameux  mot  Thecel,  une  des  trois  paroles  prophétiques  qu'une 
main  mystérieuse  traçait  sur  le  mur  de  la  salle  du  festin  de  Balthazar, 
a  été  expliqué  ainsi  dans  la  Bible  :  Vous  avez  été  pesé  dans  la  balance, 
et  vous  avez  été  trouvé  trop  léger.  Appendat  me  in  slalerajnsta,  et  sciât 
Deas  simplicitatem  meam,  dit  le  livre  de  Job  (l),  et  le  iv'  livre  d'Esdras 

(t)  XXXI,  6. 

I.  17 


246  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

au  ch.  III,  verset  34  :  Niinc  ergo  pondéra  in  statera  nostras  iniqm- 

tates.  Saint  Augustin  a  développé  cette  idée.  Il  écrit  dans  un  de  ses 

sermons  (l)  :  Appendat  me  in  stalera  jasta,  et  sciât  Deus  simplicilalem 

meam;  et  il  dit  ailleurs  (2)  :  Erit  tibi  sine  daUo  compensatio  bonorum 

malorumque  et  velut  in  statera  posita  utraque  pars,  quœ  demerserit 

illa  eorurn,  que  momentum  vergitur,  operariuni  vendicabit  si  ergo 

malorum  muîtitado  superaçerït ,  operarium  suiim  pertrahit  ad gehennam. 

Si  vero  majora  faerint  opéra  bonorum  summa  vi  obsistent ,  et  repugna- 

hunt  malis  atque  operatorem  suum  ad  regionem  viçorum  in  ipso  eliam 

gehennœ  confinio,  convocabunt.  Fortunat,  dans  un  de  ses  chants 

sacrés ,  s'écrie  : 

Statera  faeta  corporis 
Prœdamque  tulit  Tartari, 

et  Prudence  dit  aussi  : 

Gentibus  justam  positurus  œquo  pondère  libram . 

Saint  Denis  l'Aréopagite  nous  parle  de  ces  balances  divines  qui  pèse- 
ront notre  vie  :  l-oïçQeiOLç  l^vyoïq  vnoriQeïda.  rhv  oUeiav  ÇwfyV  (3). 

On  lit  ce  distique  parmi  ceux  qui  expliquent  les  niellures  allégo- 
riques représentant  des  scènes  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament, 
que  le  prélat  Werner  fit  exécuter  en  1181,  par  Nicolas  de  Verdun, 
sur  le  parement  d'autel  du  cloître  de  Klosterneuburg  (4). 

JVos  tubaquando  ciel  tune  quod  cinis  est  caro  fiet 
Quam  manet  occulta  lanx,  surgit  turba  sepulta. 

Cette  balance  cachée ,  occulta  lanx,  qui  attend  les  ressuscites  repré- 
sentés au-dessous  de  ces  vers,  est  une  figure  évidente,  c'est  une  mé- 
taphore empruntée  à  la  même  idée  de  psychostasie. 

Un  passage  de  Léon  Diacre  paraît  renfermer  plus  qu'une  figure,  et 
annoncer  l'existence  de  la  croyance  réelle  à  un  pèsement,  ainsi  que 
nous  l'avons  constaté  dans  les  légendes  rapportées  ci-dessus.  Cet 
historien  raconte  qu'au  moment  de  mourir,  l'empereur  Jean  Zimisces, 
se  rappelant  ses  nombreux  péchés,  invoqua  saint  Nicolas  et  la  vierge 
Marie,  afin  qu'ils  le  secourussent  au  jour  du  jugement  dernier,  jour 
dans  lequel  on  pèsera  dans  la  balance  les  actions  des  hommes  : 

(1)  Serm.  De  tempor.  barbarie. 

(2)  Serm.  I  in  vig.  Penlecost.  par.  IG. 

(3)  De  eccles.  hierarch.  c.  4  ,  par.  8,  ap.  Oper.  S.  Dionys.  Jreop.  Ed.  Corde- 
rii.t.i,p.  337. 

(4)  Cf.  J.  Arnelh,  Das  NiellQ-Antipendium  zu  Klosterneuburg  in  Oest- 
reich,^,  9  (Wien,  lS4i ,  in-S"). 


( 


RECHERCHES  SUR  LA  PSYCHOSTASIE.  247 

Ev  Y)iJ-épa  rrig  dœnç^  oTryjviza  irapà  tw  vm  aùrriç  y,oà  0êw  toc  twv 
(BpoTwv  TrpazTga  rot;  àJejcaoToi?  C^yotç  xai  ora^ptoîç  raXavreuerai  (l). 

Il  serait  trop  long,  et  sans  grande  utilité  pour  notre  sujet,  de  rap- 
porter ici  les  passages  des  écrivains  plus  modernes  qui  ont  fait  usage 
<Je  cette  figure  du  pèsement  divin,  figure  qu'on  retrouve ,  jusqu'au 
XVIIl"'  siècle,  dans  le  sermon  de  Massillon  sur  lejugement  universel  : 
((  Je  ne  m'arrête  pas,  dit-il,  à  vous  foire  observer  tous  les  titres  dont 
;§era  revêtu  celui  qui  vous  examinera  et  qui  annonce  toutes  les  rigueurs 
dont  il  doit  user ,  enpesant  dans  sa  balance  vos  œwres  et  vos  pensées.  » 
Dans  la  bouche  éloquente  de  Tévôque  de  Clermont,  ce  n'est  qu'une 
figure,  et  cependant  à  la  même  époque,  au  XVIIP  siècle,  dans  les 
idées  populaires,  la  réalité  de  ce  jugement  était  encore  admise.  On 
croyait  que  l'Être  infini  pour  lequel  n'existe  ni  la  succession  des  rai- 
sonnements ,  ni  la  réflexion  que  réclame  l'imperfection  de  notre  in- 
telligence, usait,  dans  l'examen  de  nos  actions,  des  formes  dont  aurait 
pu  user  la  justice  humaine.  On  se  représentait  encore  la  vie  future 
sous  un  aspect  si  terrestre ,  si  anthropomorphique  !  Ecoutons  plutôt 
le  père  Hyacinthe  Lefébure  dans  son  Traité  du  jugement  dernier, 
page  77  :  «  Ce  fut  un  spectacle  effrayant,  écrit-il,  qui  arriva  en  la 
personne  d'un  défunt.  Les  chanoines  de  Notre-Dame  de  Paris  assis- 
taient à  des  funérailles,  au  moment  où  le  choriste  entonna  la  première 
leçon  du  second  nocturne  de  l'office  des  morts,  qui  commence  par  ces 
mots  :  Répondez-moi,  combien  ai-je  d'iniquités?  le  cadavre  se  leva 
sur  son  séant  et  dit  d'une  voix  haute ,  qui  troubla  le  chœur  et  épou- 
vai'ita  l'assemblée  :  Je  suis  accusé.  Après  quoi ,  il  se  remit  dans  son 
cercueil;  ce  qui  fit  différer  son  inhumationjusqu'au  lendemain,  auquel 
jour  le  corps  se  leva,  comme  le  précédent,  aussitôt  que  le  choriste 
eut  prononcé  les  mômes  paroles ,  et  dit  d'une  voix  horrible  :  Je  suis 
jugé.  L'inhumation  ayant  été  encore  difl'érée  jusqu'au  lendemain, 
au  moment  qu'on  commença  la  même  leçon,  le  cadavre  se  leva 
derechef  et  proféra  ces 'mots,  d'une  voix  qui  fit  retentir  toute  l'église  : 
Je  suis  condamné.  » 

C'était  donc  un  procès  en  bonnes  formes  que  le  peuple  se  figurait 
devoir  être  soutenu  devant  le  tribunal  de  Dieu  :  un  procès  qui,  comme 
le  montre  cette  légende,  pouvait  rester  pendant,  durant  plusieursjours, 
et  dans  lequel  la  Vierge  et  les  saints  patrons  jouaient  le  rôle  d'avo- 
cats, tandis  que  ledémonremplissaitles  fonctions  du  ministère  public  : 
Testis  est  diabolus  qui  ostendet  nohis  omnia  quœ  fecimus  aliquando,  dit 

(1)  Léon,  Diacon,  Hist.  X  ,  p.  178  ,  éd.  Hase ,  Bonnœ  ,  in  8», 


248  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

saint Bonaventure.  On  se  rappelle  ledramedeBartole  :  «L'homme  par- 
devant  Jésus,  le  diable  demandeur  et  la  Vierge  défendeur.  »  Le  diable 
réclame  l'homme  comme  sa  chose,  alléguant  sa  longue  possession. 

Au  sujet  de  cette  idée  toute  matérielle  de  la  justice  divine,  il  ne 
faut  pas  oublier  de  citer  le  singulier  ouvrage  du  père  Hyacinthe  Le- 
fébure  qui  nous  a  fourni  la  légende  précédente,  et  qui  est  intitulé  : 
c(  Traité  du  jugement  dernier  ou  Procez  criminel  des  réprouvez,  accu- 
sez, jugez,  et  condamnez  de  Dieu  selon  les  formalitez  de  la  justice, 
contenant  l'ordre  et  la  forme  de  procéder,  juger  et  condamner  en 
matière  criminelle,  selon  les  lois  divines,  canoniques  et  civiles  »  (Paris, 
Thierry,  1671,  in-4°).  Dans  ce  livre,  dédié  au  chancelier  de  France, 
Pierre  Séguier,  l'auteur  a  décrit  minutieusement  toutes  les  formes 
du  jugement  dernier,  comme  il  l'eût  fait  dans  un  traité  de  procédure 
criminelle.  Les  différentes  phases  du  jugement  sont  ponctuellement 
suivies,  depuis  la  dénonciation  ,  l'audition  des  accusateurs,  des  par- 
ties plaignantes,  jusqu'à  l'information,  la  citation,  la  consultation. 
On  y  retrouve  tout,  l'emprisonnement  des  réprouvés,  l'interroga- 
toire, le  récolement  et  la  confrontation  des  témoins,  l'extrait  du 
procès  criminel  fait  par  les  rapporteurs,  la  liste  des  juges  qui  com- 
posent le  tribunal,  en  un  mot,  par  une  puérilité  qui  ne  peut  s'expli- 
quer qu'au  moyen  des  croyances  que  nous  avons  exposées  précédem- 
ment, le  père  Hyacinthe  Lefébure  s'est  attaché  à  nous  initier  aux 
plus  légers  détails  de  ce  jugement  terrible. 

La  métaphore  du  pèsement  a  passé  dans  la  poésie  chrétienne  mo- 
derne, qui  l'a  empruntée  aux  représentations  du  moyen  âge,  et, 
nous  le  verrons  aussi  tout  à  l'heure,  à  l'antiquité.  Dans  le  Paradis 
perdu  de  Milton ,  l'Éternel  prend  dans  le  zodiaque  la  balance  d'or 
d'Astrée,  pour  peser  la  destinée  du  combat  entre  Satan  et  les  ar- 
changes. 

The  Eternal ,  to  prevent  such  horrid  fray 
Hung  forth  in  Heaven  his  golden  scales  ,  yet  seen 
Belwixt  Astrea  and  Ihe  scorpion  sign , 
Wherein  ail  things  created  first  he  weigh'd 
The  pendulous  round  Earlh  wilh  balanc  'd  air 
In  counterpoise,  now  ponders  ail  eyenls, 
Battles  and  realnis  :  in  thèse  he  put  two  weights , 
The  sequel  each  of  parting  and  of  fight  : 
The  laltcr  quick  up  flew  and  kick'd  the  beam  ; 
Which  Gabriel  spying,  ihus  bespake  the  fiend. 

Book  IV. 

Klopstock,  dans  son  immortelle  Messiade,  a  dit  aussi,  par  la  bouche 
d'Éloha: 


RECHERCHES  SUR  LA   PSYCHOSTASIE.  249 

Und  mit  eisernem  Gang  die  Todcsengel  herabgehn  ! 
DassdieGerichteten  aile  diestarren  Augcn  erheben 
Nach  d«ni  Thron  schaucn!  Denn  die  Entsclieidungfasset  die  Wage 
Bald,  bald  schwebt  in  die  Himrnelhinauf  die  sleigendeSchale! 
Also  rief  er.  Allgegenwa;rlige,  schauernde  Stille 
Halte  sichiiber  die  Himmelund  ûber  die  Erde  gebreitet. 

Ges.  XVIII. 

«  Anges  de  la  mort ,  descendez  des  cieux  ,  hâtez  votre  pas  de  fer. 
0  vous  qui  attendez  votre  arrêt,  levez  les  yeux  vers  le  trône  du  Tout- 
Puissant  I  Voilà  la  balance  qui  va  décider  de  voire  sort.  Déjà  ses  bas- 
sins s'agitent,  ils  s'élèvent,  ils  s'abaissent  et  s'élèvent  dans  les 
cieux.  » 

C'est  cette  même  idée  de  la  pesée  de  nos  actions  qui  a  fourni  à 
Schiller  une  de  ses  plus  belles  pensées  : 

Sehet  zu,  das  Schicksal  der  Menschen  steht  unter  sich  in  fiirchterlich 
schœnem  Gleichgewicht.  Die  Wagschale  dièses  Lebens  sinkend,  wird 
hochsteigen  in  jenem,  steigend  in  diesem,  wird  sie  in  jenem  zu  Boden 
fallen. 

((  Regardez-y  bien ,  le  destin  de  l'homme  se  balance  dans  une 
terrible  et  admirable  équité;  si  le  plateau  de  cette  vie  a  été  abaissé, 
il  se  relèvera  dans  l'autre  vie;  s'il  a  été  élevé  dans  cette  vie,  dans 
l'autre  il  s'abaissera  davantage.  » 

Alfred  Maury. 


(  La  suite  au  Numéro  prochain.) 


SUR 


UN  BAS-RELIEF  DU  MUSEE  DE  STRASBOURG. 


La  vignette  ci-jointe  est  la  copie  d'un  bas-relief  conservé  dans  la 
bibliothèque  de  Strasbourg.  Ainsi  qu'on  en  peut  juger,  l'original 
est  d'une  très-faible  saillie  et  d'un  travail  barbare.  J'ignore  le  temps 
précis  oii  il  a  été  découvert,  mais  il  est  plus  que  probable  qu'il  pro- 
vient des  environs  de  Strasbourg,  car  il  est  sculpté  sur  un  grès 
rouge  à  grain  fin  ,  semblable  à  celui  qui  est  employé  dans  toutes  les 
constructions  de  la  ville.  L'inscription  est  mutilée,  cependant  la  la- 
cune me  semble  facile  à  remplir,  et  je  n'hésite  point  à  lire  Lehe- 
RENHVs;  c'est  à  mon  sentiment  l'image  d'une  des  divinités  guerrières 
adorées  dans  la  Gaule ,  et  assimilées  à  Mars  par  les  Romains. 

Le  costume  est  remarquable.  Le  casque  percé  d'yeux  rappelle  le 
casque  béotien ,  qui ,  baissé  ou  plutôt  enfoncé  sur  la  tête ,  couvrait 
tout  le  visage.  Si  l'aigrette  est  dans  une  position  oblique,  il  faut  l'at- 
tribuer, je  crois,  à  lamaïadresse  dusculpteur,  embarrassé  pour  rendre 
cet  ornement  de  face  comme  il  devrait  être.  La  lance  sur  laquelle  le 
dieu  s'appuie  de  la  main  droite  est  également  de  forme  grecque.  On 
voit  dans  tous  les  musées  des  pointes  de  lance  en  bronze  absolument 
semblables  à  celle-ci.  Quant  à  l'épée,  sa  longueur  singulière  ré- 
pond bien  à  la  description  que  Tite-Live  nous  a  laissée  des  sabres 
gaulois  destinés  surtout  à  porter  des  coups  de  taille:  Gallis  prœlongi 


BAS-RELIEF  DU  MUSEE   DE  STRASBOURG.  251 

gladii  ac  sine  mucronihus,  XXII,  46^  Le  bouclier  rond,  légèrement 
bombé,  est  garni  d'un  umbo  étroit.  Au  limbe  extérieur  une  pointe 
est  adaptée  qui  permet  de  le  ficber  en  terre,  comme  les  pavois  dont 
les  archers  se  couvraient  au  moyen  âge.  Le  bas-relief  de  Strasbourg 
est,  à  ma  connaissance ,  le  seul  monument  antique  qui  offre  un 
exemple  de  cette  disposition.  Il  est  facile  de  reconnaître ,  malgré  la 
grossièreté  du  travail,  que  le  dieu  n'a  point  de  cuirasse.  Sa  poitrine 
n'est  couverte  que  d'un  sagum  à  manches,  qui  descend  jusqu'aux  ge- 
noux. Je  ne  crois  pas  qu'il  ait  d'armure  de  jambes,  et  rien  n'indique 
même  les  braies  gauloises.  L'absence  d'armes  défensives  autres  que  le 
casque  et  le  bouclier  s'explique  facilement,  car  on  sait  que  les 
guerriers  gaulois  pour  montrer  leur  mépris  de  la  mort  allaient  au 
combat  nus  jusqu'à  la  ceinture  ;  Galli  super  umbilicum  pugnant  midi, 
Liv.  XXII,  46.  A  gauche  de  la  figure,  sur  un  bâton  terminé  par 
une  barre  transversale  en  forme  de  ï ,  on  voit  un  coq ,  la  tète 
retournée  vers  le  dieu.  Est-ce  un  coq  véritable  ou  bien  une  enseigne 
militaire?  il  est  assez  difficile  de  décider  la  question.  Les  détails 
assez  fins  des  plumes,  surtout  la  longueur  et  le  mouvement  de  celles 
de  la  queue,  me  feraient  croire  que  le  sculpteur  a  voulu  repré- 
senter un  oiseau  vivant.  On  peut  encore  se  demander  si  le  coq  doit 
être  regardé  ici  comme  un  symbole  du  courage,  de  la  vigilance,  etc., 
ou  bien  si  l'artiste,  jouant  sur  le  double  sens  du  mot  Gallus,  a  voulu 
donner,  pour  ainsi  dire,  des  armes  parlantes  au  Mars  gaulois.  Les  habi- 
tudes belliqueuses  du  coq  sont  d'une  observation  si  facile  qu'on  peut 
supposer  que  les  Gaulois  avaient  consacré  cet  oiseau  au  dieu  des 
combats,  sans  qu'il  soit  besoin  de  supposer  une  importation  grecque 
de  la  fable  d'Alectryon. 

Gruter  a  publié  deux  inscriptions  tracées  sur  des  monuments  votifs 
à  Leherennus,  trop  concises  l'une  et  l'autre  pour  indiquer  les  attri- 
butions de  cette  divinité ,  qu'il  paraît  rapprocher  de  la  déesse  zélan- 
dmse  Nehallenia,  laquelle  présidait  au  commerce  et  à  la  navigation. 
V.  P.  MLXXIIII,  6,  7.  —  Reines.  1, 177,  seqq. 
LEHERENNO  (1) 
DOMESTICVS 

RVFI  -F 
V.  S.  L.  M. 

LEHEREN 

DEO 

TERTYLLVS 

V.  S.  L.  M. 
(1)  Orelli  a  mal  à  propos  donné  la  leçon  LEHERENNIO.  INSS.  coll.  3020. 


262  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Ces  deux  inscriptions  ont  été  découvertes  près  de  Saint-Bertrand 
de  Comminges. 

Les  quatre  inscriptions  suivantes ,  placées  aujourd'hui  dans  le  mu- 
sée de  Toulouse ,  et  trouvées  dans  les  Pyrénées ,  ne  permettent  pas 
de  méconnaître  le  caractère  de  Leherennus.  Suivant  l'usage  romain , 
son  nom  gaulois  est  devenu  l'adjectif  caractéristique  de  la  divinité 
à  laquelle  il  pouvait  être  assimilé. 

MARTI 

LEHERENN 

INGENVVS 

SIRICONS 

V  S  L  M 

LEHEREN 

MARTI 

RVMEIX  (1) 

PVRLIC 

V  S  L  M 

LEHERENO 

MARTI 

TITVLLVS    A 

MOENI  •  F 

V.  S.  L.  M 

LEHERENNO 

DEO 

MANDATV 

MASVETRE  {sic.) 

V.  S.  L.  M 

Il  est  fort  remarquable  que  les  deux  inscriptions  de  Gruter,  ainsi 
que  les  quatre  que  je  joins  ici ,  proviennent  toutes  du  voisinage  des 
Pyrénées.  Je  me  souviens  qu'un  savant  professeur  de  la  province  de 
Guipuscoa  à  qui  je  montrais  les  inscriptions  de  Toulouse,  réclama 
pour  son  pays  le  dieu  Leherennus.  Lehertcea ,  ou  quelque  chose 
de  semblable ,  veut  dire  en  basque ,  écraser,  briser.  Leherennus  si- 
gnifierait Tassommeur.  Cela  me  parut  alors  une  étymologie  pas- 
sable, mais  trouver  à  Strasbourg  une  divinité  basque  serait  un  fait 
assez  étrange.  Faut-il  chercher  à  son  nom  une  signification  germa- 

(1)  L'R  et  ie  V  sont  liés. 


BAS-RELIEF  DU  MUSEE  DE  STRASBOURG.  253 

nique,  Lehren  ,  par  exemple?  A  ce  compte,  Leherennus  serait  le  dieu 
qui  instruit  les  hommes,  non  parla  douceur,  mais  dans  la  lutte  et  le 
combat.  «  Le  Mars  du  Latium)) ,  dit  M.  Guigniaut  dans  son  savant 
ouvrage  sur  les  religions  de  l'antiquité ,  «  se  montre  sous  une  double 
({  face  comme  le  dieu  de  la  nature ,  sous  l'autre  comme  le  dieu  de 
((  la  guerre  ;  mais  avec  l'idée  première  d'une  lutte  perpétuelle 
((  nécessaire  au  développement  du  monde  aussi  bien  qu'à  celui  de  la 
«  société.  » 

Je  me  hâte  d'abandonner  des  étymologies  par  trop  incertaines, 
pour  revenir  à  ma  première  observation ,  c'est-à-dire  à  l'existence 
dans  les  Pyrénées  de  six  monuments  sur  sept  connus  ,  consacrés  à 
Leherennus.  Tandis  qu'un  autre  Mars  gaulois ,  Camulus ,  a  laissé 
des  monuments  de  son  culte  dans  maintes  provinces  fort  éloignées  (1), 
Leherennus ,  à  une  seule  exception  près ,  ne  paraît  avoir  été  connu 
que  des  peuples  au  sud  de  la  Garonne.  Il  ne  serait  pas  invraisem- 
blable, je  pense,  d'attribuer  l'inscription  de  Strasbourg  à  des  Aqui- 
tains ,  soldats  dans  les  armées  romaines.  L'armée  de  Germanie  avait 
cinq  cohortes  d'Aquitains ,  sous  Vespasien  ,  comme  l'atteste  une  cu- 
rieuse inscription  publiée  par  M.  Arneth  (2).  Plusieurs  des  monu- 
ments consacrés  à  Camulus  ont  été  érigés  par  des  Gaulois  éloignés 
de  leur  patrie  (3)  ;  on  peut  supposer  que  le  culte  de  Leherennus  a  été 
importé  de  la  même  manière  en  Alsace. 

(1)  Par  exemple ,  à  Rome  ,  sur  les  bords  du  Rhin  ,  à  Reims ,  à  Clermont.  L'in- 
scription de  Clermont,  qui  est ,  je  crois,  inédite,  indique  que  Camulus  était  une 
divinité  topique  de  la  Picardie.  Elle  est  tracée  en  très-grands  caractères  sur  une 
large  pierre  qui  paraît  être  le  tympan  d'un  assez  grand  fronton. 

CAMVLO   VIROMANDVO 

(2)  Romische  militar  diplôme.  Wien ,  1843 ,  p.     ,  lib.  IIL 

(3)  V.  l'inscription  précédente  ,  et  Gruter,  XL.  9.  LXI,  11 ,  12. 

MARTI    CAMVLO 

OB  SALVTEM  TIBERI 

CLAVDII  CAES  '  CIV  •  REMI 

TEMPLVM   CONSTITVERVNT. 

A  Rindenen ,  dans  le  duché  de  Cléves. 

P.  Mérimée  ,  de  V Institut. 


RESTAURATION 

DE 

L'ÉGLISE  DE  SAIIVT-GERMAIN-L'AUXERROISj  A  PARIS. 

Lettre  a  M.  le  Directeur  de  la  Revde  Archéologique. 
Monsieur, 

Après  une  interruption  qui  commençait  à  inspirer  des  regrets 
aux  amis  de  l'art  chrétien,  la  sollicitude  du  gouvernement  et  de  la 
ville  de  Paris  envers  l'antique  église  de  Saint-Germain-l'Auxerrois, 
l'une  des  plus  belles  de  cette  cité,  continue  à  se  manifester.  Les 
travaux  de  sa  restauration  typique  ont  repris  une  nouvelle  acti- 
vité. L'état  de  ruine  de  l'ornementation  extérieure  du  chevet 
disparaît  comme  par  enchantement  ;  les  galeries  à  jour  sont  refaites 
à  neuf  avec  une  imitation  de  style  qui  fait  désirer  la  restitution  de 
celles  du  grand  comble.  Les  trois  fenêtres  des  chapelles  au  sud  du 
chœur  et  les  quatre  du  collatéral  nord,  longtemps  privées  de  leurs 
meneaux ,  vont  enfin  les  recouvrer.  Le  trumeau  qui  divisait  autre- 
fois en  deux  baies  la  grande  porte  occidentale  va  reparaître  orné  de 
la  statue  du  Christ;  et  comme  complément  de  l'ornementation  sym- 
bolique de  la  voussure,  on  prépare  le  tympan  de  l'ogive  de  cette 
même  porte  à  recevoir  une  réduction  du  jugement  dernier  que  l'on 
voit  à  la  porte  principale  de  Notre-Dame  de  Paris.  On  sculpte  dans  la 
chapelle  de  la  Sainte-Vierge  un  retable  gothique  en  pierre,  qui  retra- 
cera les  faits  principaux  de  la  vie  mystérieuse  de  l'auguste  patronne. 
Les  chapelles  absidiales  sont  richement  ornées  de  vitraux  coloriés  et  de 
peintures  monumentales  d'une  exécution  plus  ou  moins  remarquable  : 
enfin,  leporche  construit  par  Jean  Gaussel,  et  commencé  en  1432,  est 
lui-même  en  voie  de  recevoir,  en  fresques,  une  semblable  décoration, 
confiée  au  talent  bien  connu  de  M.  Victor  Mottez;  mais  qui  s'opère 
avec  une  lenteur  désolante,  et  qui  a  l'inconvénient  d'offrir,  depuis 
déjà  trois  ans,  à  l'œil  du  visiteur,  les  ogives  de  ce  porche  délicat  et 
gracieux,  obstruées  par  d'horribles  châssis  recouverts  de  percaline  en 
lambeaux,  et  d'ignobles  palissades  qui  donnent  au  portail  l'aspect 
d'une  ruine  plus  hideuse  qu'après  le  désastre  de  1831. 


RESTAURATION  DE  L'ÉGLISE  ST-GERMAIN-L'AUXERROIS.      255 

Nous  suivons  les  phases  de  ces  divers  travaux  avec  un  intérêt 
d'autant  plus  légitime  que  nous  avons  consacré  de  longues  veilles 
pour  essayer  de  constater,  dans  une  monographie,  l'origine,  les  splen- 
deurs et  les  vicissitudes  de  ce  saint  monument.  C'est  pourquoi  nous 
voudrions  voir  s'accomplir  une  restauration  aussi  magnifique,  selon 
le  vœu  du  conseil  municipal  et  les  principes  posés  dans  le  bulletin 
archéologique  et  dans  les  instructions  du  comité  historique  des  arts 
et  monuments  :  c'est-à-dire  que,  comme  ^)lusieurs  parties  de  l'église 
appartiennent  à  des  époques  différentes ,  on  apportât  le  plus  grand 
soin  à  les  restaurer  dans  le  style  qui  les  caractérise;  car  sous  ce 
point  de  vue,  et  dans  un  intérêt  d'unité ,  il  serait  bien  à  désirer  que 
la  Commission  des  Monuments  Historiques,  attachée  au  Ministère  de 
l'Intérieur,  fut  chargée  d'exercer  une  surveillance  officielle  sur  la 
restauration  de  tous  nos  monuments  religieux,  civils  et  militaires,  ou 
au  moins  d'en  examiner  et  approuver  les  projets.  Nous  aimons  donc 
à  espérer  que  M.  l'architecte  chargé  de  la  direction  de  ce  travail 
qu'il  a  si  bien  commencée  ne  se  départira  pas  d'une  règle  aussi 
logique ,  et  dont  il  semble  avoir  fait  fheureuse  application  dans  la 
restauration  du  porche  et  de  la  fenêtre-rose  occidentale. 

Cependant  on  assure  que  dans  la  restauration  des  fenêtres  du 
collatéral  nord  de  féglise  de  Saint-Germain-l'Auxerrois ,  qui  ap- 
partiennent à  la  seconde  moitié  du  XVP  siècle,  on  va  repro- 
duire les  divisions  et  les  formes  des  meneaux  placés  dans  les  baies 
du  midi,  appartenant  à  la  fin  du  XIV^;  car  la  chapelle  de  la 
Sainte-Vierge  est  évidemment  la  plus  ancienne  de  toutes  celles  de 
l'église;  elle  date  à  peu  près  des  règnes  de  Charles  VI  et  de 
Charles  VII,  c'est-à-dire  de  1380  à  1463;  les  vingt  autres  ayant 
été  bâties  ou  refaites  dans  le  cours  du  XVl^  siècle,  ainsi  qu'il 
résulte  des  contrats  ou  notes  de  fondations  que  nous  avons  retrouvés. 
«J'apprends  des  comptes  des  marguilliers,  dit  Sauvai,  qu'en  1564 
on  commença  le  jubé  et  la  contre-nef  du  septentrion  »  (tome  I, 
page  337).  L'architecte  a  donc  fait  preuve  de  sa  science  archéolo- 
gique en  introduisant  dans  les  divisions  des  fenêtres,  les  trilobures  et 
les  rosaces  à  redans,  types  du  style  ogival  de  la  fin  du  XI V^  siècle. 

Partant  d'un  si  louable  précédent ,  il  serait  d'autant  plus  difficile 
de  comprendre  que  l'on  put  porter  l'amour  de  la  symétrie  jusqu'au 
point  de  faire  des  divisions  du  XIV^  siècle  dans  des  baies  du  XVP, 
que  nous  savons ,  d'une  manière  positive ,  que  le  projet  officiel  pré- 
senté l'an  dernier,  et  approuvé  successivement  par  le  conseil  des 
bâtiments  civils  et  par  M.  le  préfet  de  la  Seine,  indiquait  des  cora- 


256  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

partiments  du  XVI*'  siècle,  dont  le  type  existe  dans  les  chapelles  au 
nord  du  chœur,  et  qui  vient  d'être  si  harmoniquement  rétabli  dans 
les  six  fenêtres  des  deux  chapelles  polygonales  de  l'abside. 

Notre  unique  but,  en  recourant  à  la  publicité  de  votre  savante 
Revue,  est  de  voir  dissiper  un  bruit  que  nous  croyons  erroné,  et  de 
provoquer  ainsi  l'exécution  la  plus  prompte  du  projet  officiellement 
approuvé  par  l'autorité  compétente. 

Je  vous  prie  d'agréer  l'expression  des  sentiments  de  haute  consi- 
dération avec  lesquels  j'ai  l'honneur  d'être, 

Monsieur  le  Directeur, 

Votre  dévoué  serviteur, 

Troche , 

Chef  de  bureau  de  l'élat  civil  du  ¥  arrondissement  de  Paris. 


RESTAURATION 


DE 


L'ÉGLISE    SAIIVT-OUEN    A    ROUEIV, 


Depuis  plusieurs  années,  le  gouvernement,  éveillé  sur  l'immense 
mérite  de  l'église  de  la  ci-devant  abbaye  de  Saint-Ouen  comme  œuvre 
d'art,  a  conçu  la  pensée  d'en  opérer  l'achèvement  par  la  construction 
d'un  portail  qui  manque  à  cette  merveille  de  l'architecture  ogivale. 
En  conséquence,  M.  Grégoire,  architecte  en  chef  du  département, 
a  été  chargé  de  présenter  un  projet.  Ses  plans,  très-habilement  exé- 
cutés, se  voient,  en  ce  moment,  à  l'exposition  municipale (l).  Cette 
œuvre  projetée,  d'une  importance  capitale  par  son  objet,  doit  être 
examinée  sous  toutes  ses  faces  avec  une  grande  maturité  et  la  plus 
sévère  attention,  afin  d'acquérir  la  certitude  que  nous  posséderons 
cet  édifice  religieux  complètement  terminé ,  et  que  toutes  ses  parties 
se  coordonneront  de  la  manière  la  plus  satisfaisante. 

Nous  avons  jeté  un  coup  d'œil  sur  les  plans  du  projet  en  question, 
et  tout  aussitôt  nous  avons  été  saisis  de  la  crainte  qu'ils  ne  répon- 
dissent pas  à  l'attente  du  public  et  à  l'espérance  des  amis  de  nos 
anciens  monuments,  tant  la  pensée  de  l'auteur  nous  a  paru  au-dessous 
de  la  grandeur  de  l'entreprise. 

En  effet,  qu'exige  l'achèvement  de  Saint-Ouen?  une  façade  qui 
fasse  connaître,  tout  d'abord,  l'immensité  et  la  majesté  de  l'édi- 
fice. Que  nous  offre  M.  Grégoire?  un  triple  porche,  rien  autre  chose, 
un  porche,  il  est  vrai,  très-habilement  ajusté,  dans  le  style  du 
XIV ^  siècle  ;  ensemble  et  détails  charmants,  dessin  d'une  exécution 
admirable.  Malheureusement  ce  n'est  pas ,  suivant  nous ,  un  portail 
pour  une  église  de  l'importance  de  Saint-Ouen;  il  est  par  trop 
pauvre ,  par  trop  chétif ,  en  outre  des  défauts  que  nous  allons  signaler. 

L'auteur  a  jugé  à  propos  de  supprimer  les  tours  pour  faire  valoir 
sans  doute  la  belle  tour  centrale.  Nous  croyons  qu'il  s'est  grandement 
trompé. |Ndus  ne  discuterons  pas  ici  la  convenance  ou  la  non-conve- 
nance d'exécuter  le  portail  d'après  le  plan  de  dom  Pommeraye  dans 

(1)  Depuis ,  ces  dessins  ont  été  adressés  à  M.  le  Ministre  de  l'Intérieur  pour  être 
soumis  à  l'examen  de  la  Commission  des  Monuments  Historiques. 


258  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

son  histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Ouen,  avec  les  deux  tours  placées 
en  diagonale;  il  y  aurait  beaucoup  trop  à  dire  là-dessus  et  pour  et 
contre;  mais  nous  partirons  de  là  pour  établir  en  principe  que  les 
deux  tours  sont  nécessaires,  sont  indispensables. 

Dans  le  plan  actuel,  les  côtés  du  portail  ne  s'élèvent  pas  au  delà 
des  pignons  qui  couronnent  les  portes  latérales.  La  grande  porte  seule 
est  surmontée  par  la  rose  et  par  le  pignon  du  mur  de  la  nef.  Comme 
amortissement  à  ce  corps  central ,  s'élèvent  parallèlement  de  chaque 
côté  deux  clochetons;  et  dans  l'éloignement  le  plan  nous  retrace, 
sans  doute  pour  mémoire,  car  il  est  impossible  de  l'apercevoir,  à 
moins  de  se  mettre  sur  les  toits  qui  l'ont  face  à  l'église,  la  tour  cen- 
trale, à  laquelle,  il  faut  le  dire,  il  a  malheureusement  sacrifié  tout 
son  portail.  En  voulant  la  rehausser,  l'exalter,  il  a  cru  devoir  donner 
à  la  façade  principale  d'autres  parties  culminantes  que  les  deux  clo- 
chetons dont  nous  venons  de  parler. 

De  l'abaissement  des  ailes  de  son  portail,  il  résulte  qu'au  delà,  par 
derrière,  l'on  aperçoit  les  contre-forts,  les  pyramides,  et  jusqu'aux 
bras  de  la  croix,  avec  leurs  fenêtres  et  leur  toiture,  ce  qui  produit  le 
plus  mauvais  effet.  Son  portail,  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  est  de 
l'ordre  le  plus  secondaire.  Il  s'est  mépris.  Il  faut  à  Saint-Ouen  une 
masse  imposante  comme  sont  les  portails  de  toutes  les  cathédrales, 
de  toutes  les  grandes  églises,  qui  couvre  et  masque  la  vue  des 
parties  latérales  de  l'édifice,  en  setendant  même  au  delà,  comme  à 
la  cathédrale  de  Rouen ,  et  qui  s'élève  à  la  plus  grande  hauteur  pos- 
sible, comme  pour  annoncer  la  magnificence  et  le  grandiose  de 
l'intérieur. 

Il  est ,  en  outre,  indispensable  qu'un  tel  portail ,  autant  pour 
satisfaire  à  l'usage  général  que  comme  complément  d'ornementation, 
et  pour  ajouter  au  caractère  noble ,  imposant,  religieux  de  ces  sortes 
de  monuments,  soit  terminé  par  deux  tours  ou  par  deux  hautes 
flèches. 

En  adoptant  des  tours,  s'il  y  a  impuissance  de  les  faire  plus  hautes 
et  plus  belles  que  la  tour  centrale ,  nous  accorderons  que  celle-ci  les 
domine  de  deux  ou  trois  mètres.  Si  vous  préférez  des  clochers  pyra- 
midaux ,  que  ceux-ci  s'élancent  dans  les  airs  avec  la  hardiesse  la 
légèreté  de  ceux  de  Coutances,  par  exemple. 

Nous  croyons  avoir  démontré  que  le  projet  proposé  ne  doit  pas,  ne 
peut  pas  être  exécuté.  A  notre  avis,  il  vaudrait  mieux  laisser  encore 
les  choses  dans  leur  état  actuel ,  quelque  peu  satisfaisantes  qu'elles 
soient,  plutôt  que  de  nous  exposer  a  des  regrets  amers  et  inutiles. 


RESTAURATION  DE   L'ÉGLISE  SAINT-OUEN  A  ROUEN.        259 

Mon  estimable  et  savant  confrère,  M.  Déville,  inspecteur  des 
monuments  historiques  de  la  Seine-Inférieure ,  a  appuyé  la  préfé- 
rence à  accorder  au  projet  d'achèvement  de  Saint-Ouen  de  Rouen 
avec  tant  et  de  si  puissantes  raisons  (l),  qu'il  est  difficile  de  penser 
que  le  Comité  historique  des  arts  et  monuments  ne  se  range  pas  à 
son  avis ,  indépendamment  du  vœu  manifesté  par  l'immense  majorité 
du  public  appelé  aussi  à  se  prononcer. 

M.  Déville  a  véritablement  clos  la  discussion.  Après  lui,  il  n'est 
plus  possible  d'agiter  cette  question  :  Le  portail  de  Saint-Ouen 
doit-il  ou  ne  doit-il  pas  être  accompagné  de  tours?  Elle  est  résolue 
affirmativement.  Il  est  un  point  important  sur  lequel  nous  différons 
ensemble  :  c'est  qu'il  passe  condamnation  sur  rétrécissement  et  rac- 
courcissement des  tours  du  projet  présenté  concurremment  avec  celui 
qui  n'offre  point  de  tours  ;  c'est  que  même  il  approuve  ces  réductions, 
par  ce  motif  qu'il  faut  que  la  tour  centrale  domine  seule  le  monu- 
ment. 

Je  regrette  profondément  que  mon  sentiment  intime,  que  ma 
conviction  invincible  ne  s'accordent  point  avec  l'opinion  d'un  homme 
qui  a  donné  tant  de  preuves  de  science ,  de  goût  et  de  sagacité  que 
mon  honorable  confrère,  et  dont  la  manière  de  voir  doit  nécessaire- 
ment exercer  une  certaine  influence  sur  la  détermination  du  Comité 
historique  des  arts  et  monuments. 

Je  ne  peux  me  défendre  de  croire  qu'il  est  nécessaire,  indispensable 
d'élever  le  portail  de  Saint-Ouen  d'après  les  données  fournies  par  les 
rudiments  du  portail  non  achevé;  qu'il  faut  continuer  l'œuvre  com- 
mencée; qu'il  faut  seulement  l'achever,  uniquement  l'achever,  ne  pas 
faire  autre  chose ,  sous  peine  de  se  fourvoyer;  qu'il  faut  donc  bien  se 
garder  de  toucher  à  ces  indications ,  et  porter  franchement  les  tours  à 
la  hauteur  que  le  dernier  architecte  voulait  leur  donner,  lui  encore 
imbu  des  idées  architectoniques  du  moyen  âge,  sans  se  préoccuper 
si  ces  tours  seront  aussi  hautes  ou  même  plus  hautes  que  la  tour 
séparant  le  chœur  de  la  nef. 

Parce  que  le  clocher  central  devait  primitivement  avoir  une  hau- 
teur gigantesque,  que,  plus  tard,  on  ne  lui  a  pas  donnée,  puisqu'on 
l'a  converti  en  tour  couronnée,  au  lieu  d'en  faire  une  pyramide  à 
aiguille,  est-ce  à  dire  qu'il  faille  absolument  étrécir  le  diamètre  des 
bases  de  ces  tours ,  afin  de  diminuer,  en  tout ,  leur  volume  et  leur 
importance,  uniquement  pour  faire  revivre  ce  système  ahandomé de 

(1)  Revue  de  Rouen,  mois  de  mai  18U, 


260  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

prééminence  du  clocher  central?  Le  dernier  architecte  de  Saint- 
Ouen  ne  le  pensait  pas ,  lui ,  et  certainement  tous  les  architectes  de 
son  temps  avec  lui.  Pourquoi  donc  se  créer  des  théories  que  les 
hommes  de  ces  temps  éloignés  de  nos  idées  et  de  nos  études  n'ont 
pas  connues  ? 

Du  reste,  j'accorde,  comme  M.  Déville,  à  M.  Grégoire  de  justes 
éloges  pour  la  manière  heureuse  dont  il  termine  le  couronnement  de 
ses  tours  projetées  ;  mais  je  dis  que  le  projet  proposé  avec  tours 
amincies,  abaissées,  réduites  enfin,  pour  ainsi  dire,  à  leur  plus 
simple  expression ,  quelque  habilement  conçu ,  combiné ,  ajusté  qu'il 
soit,  malgré  quelques  défauts  faciles  à  corriger,  est  au-dessous  de  la 
magnificence  monumentale  de  l'admirable  basilique  de  Saint-Ouen  ; 
et  je  persiste  à  conclure  que  les  bases  actuelles,  de  même  que  l'arche 
sainte  à  laquelle  il  était  défendu  de  toucher,  doivent  demeurer  dans 
leur  intégrité. 


E.  Delaquérière  , 

Membre  de  l'Académie  de  Rouen. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


Nous  recevons  une  lettre  de  M.  E.  Prisse  qui  nous  annonce 
l'arrivée  en  France  d'un  monument  du  plus  grand  intérêt,  et  dont  il 
a  fait  don  à  la  Bibliothèque  nationale  :  ce  sont  les  fameux  bas-reliefs 
de  la  salle  des  ancêtres  de  Mœris  (Thoutmès  III)  qu'on  voyait,  il  y  a 
peu  dejemps  encore,  au  milieu  des  ruines  de  Karnac.  Parmi  les 
monuments  dynastiques  de  l'ancienne  Egypte,  la  petite  salle  qui  con- 
tient la  table  généalogique  des  ancêtres  de  Mœris  est  sans  contredit 
l'un  des  plus  précieux,  et  tous  les  hierogrammates  qui  l'ont  fait  con- 
naître par  des  descriptions  et  des  dessins,  ont  senti  l'importance  de  ce 
vieux  document  historique  qui  sert,  en  quelque  sorte,  de  complé- 
ment aux  fragments  mutilés  de  Manéthon  dont  l'ouvrage  composé, 
comme  on  le  sait,  d'après  les  monuments  mêmes,  ne  nous  est  pas 
parvenu  en  entier.  Les  bas-reliefs  de  la  chambre  des  rois  présentent, 
en  deux  compartiments  environ,  soixante  portraits  d'anciens  Pha- 
raons rangés  dans  leur  ordre  dynastique,  et  dont  la  plupart  des  noms 
ont  été  déchiffrés,  soit  par  Champollion  lui-même,  soit  par  d'autres 
savants  élevés  à  son  école.  Ou  doit  savoir  gré  à  M.  E.  Prisse  d'avoir 
sauvé  la  chambre  des  rois  du  Vandalisme  des  barbares,  de  son  enlève- 
ment par  la  commission  prussienne  qui  explore  en  ce  moment 
l'Egypte,  et  d'avoir  surtout  refusé  de  la  vendre  à. l'Angleterre  oii  est 
malheureusement  passée  la  célèbre  fahle  à'Abydos. 

— On  vient  de  découvrir  dans  un  tombeau  à  Pouzzuole,  au  pied  de 
Gaurus ,  une  tessère  d'ivoire  tout  à  fait  nouvelle  par  sa  forme.  Elle 
représente  ce  crustacé  que  Pline  appelle  gammarus  (lib.  XXVII, 
c.  3  )  et  qui  figure  sous  le  nom  d'ào-raxoç  dans  iElien  (de  nat,  anim, 
lib.  VI,  c.  22;  lib.  VIII,  c.  23)  et  porte  comme  les  autres  tessères 
de  théâtre  le  numéro  du  degré  où  devait  se  placer  celui  des  specta- 
teurs qui  en  était  muni.  Mais  ce  qui  rend  cette  marque  extraordinaire, 
c'est  quelle  est  conçue  en  deux  langues,  en  grec  :  r,  et  en  latin  :  III. 

Il  est  fort  curieux  que  l'on  ait  choisi  le  gammarus  pour  une  tes- 
sère du  3"""  rang,  puisque  cette  préférence  paraît  être  fondée  sur  le 
rapport  du  nom  de  ce  crustacé  avec  celui  de  la  lettre  grecque  qui 
indique  le  chiffre  trois.  Ainsi,  la  forme  même  de  la  tessère  était  une 
transcription  latine  du  gamma  pour  la  population  romaine  de  Pouz- 
I.  18 


262  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

zole.  Quant  à  l'existence  d'un  amphithéâtre  à  Pouzzole,  voy.  Suétone 
(aug.  c,  43 — 44).  On  se  rappelle  aussi  les  deux  victoires  du  cytharède 
Septimius  dans  les  fêtes  Hadrianales  (Reines,  Inscript,  ant.  cl.  V, 
n"  20). 

Dans  la  même  fouille  on  a  trouvé  l'inscription  suivante,  qui  nous 
paraît  digne  d'être  reproduite,  à  cause  de  la  formule  adoptée  pour 
invoquer  la  colère  des  mânes  contre  celui  qui  troublerait  le  silence  de 
cette  tombe. 

D.  M. 

CLAVDIAE  •  FOKTV 

NATAE  •  ET  •  FORTVNA 

TO      ET  •  LAETO  •  FILIS  •  EIVS 

BENE  •  MERENTIBVS 

ABASCANTVS  •  CONLfBER 

TVS  •  FECIT  QVISQVE  •  MA 

NES  •  INQVETABERIT  •  HABERIT  •  ILLAS  •  IRA 

TAS 

Les  lettres  sont  peintes  de  rouge  et  les  points  qui  séparent  les  mots 
sont  triangulaires;  celui  qui  devrait  suivre  fecit,  manque. 

Cette  attention  toute  particulière  donnée  aux  dieux  mânes,  rappelle 
le  voisinage  de  l'Averne. 


*o" 


—  Un  journal  annonce  qu'on  vient  de  découvrir  à  Brindes  plu- 
sieurs fragments  de  vases ,  lampes  et  urnes ,  et  plusieurs  pièces  de 
monnaie  qui  paraissent  appartenir  à  une  haute  antiquité.  Un 
taureau  d'airain  a  été  trouvé  aussi  non  loin  de  là;  ses  quatre 
pieds  étaient  encore  retenus  dans  un  bloc  de  granit,  dont  la  circon- 
férence est  de  10  mètres.  Quatre  tombeaux  romains  ont  été  mis  à 
découvert  le  même  jour.  Chaque  sarcophage  renfermait  un  squelette 
en  parfait  état  de  conservation.  Sur  les  casques  guerriers  on  distingue 
les  initiales  A.  N.  L.  Tous  ces  restes  ont  été ,  dit-on ,  recueillis  avec 
soin  par  M.  Callé ,  à  qui  appartient  la  propriété  où  tous  ces  objets 
ont  été  trouvés. 

—  En  creusant  les  fondements  d'une  maison ,  à  la  place  des  an- 
ciens remparts  de  Périgueux,  on  a  découvert  une  pierre  mutilée, 
mais  facile  à  reconnaître  pour  un  autel  romain ,  sur  lequel  on  lit 
l'inscription  suivante  :  JOVI.  0.  M.  Eï  GENIO  TI.  AVGVSTI 
SACRVM  LANIONES.  C'est-à-dire  «  A  Jupiter  très-bon,  très- 
grand  (oplimo,  maximo)  et  au  génie  de  Tibère-Auguste  les  bou- 
chers (de  A^ésone)  ».  On  voit,  par  cette  inscription,  entière  et  bien 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES.  263 

lisible ,  que  la  corporation  des  bouchers  de  Vésone  avait  consacré 
un  autel  à  Tibère.  Peut-être  cet  empereur  avait-il  fait  construire 
dans  notre  cité  quelque  macellum  (marché  aux  viandes.) 

—  On  a  découvert  quelques  objets  antiques  près  de  Saint-Malo , 
dans  les  ruines  d'une  ancienne  cité  romaine  (Curiosolis)  Corseuil. 
Ces  objets  sont  ;  un  coin  en  bronze  de  la  longueur  du  doigt,  un  petit 
poignard  également  en  bronze  et  d'un  travail  remarquable ,  enfin  un 
glaive  du  même  métal,  d'une  longueur  de  70  à  80  centimètres ,  d'un 
poids  énorme,  et  qui,  avec  le  coin,  servait  sans  douté  aux  sacri- 
fices. Le  glaive  ,  de  même  forme  que  les  sabres  dont  se  servent  main- 
tenant les  fantassins  de  l'armée  française,  est  percé  à  la  partie  la  plus 
large  de  la  lame  de  douze  petits  trous  réguliers  ;  au  milieu  de  la 
croix  formée  par  la  lame,  la  poignée  et  le  garde-main,  est  visible 
encore  une  figure  assez  régulièrement  exécutée  ;  le  garde-main  a  1^ 
forme  exacte  d'une  ancre  de  marine;  la  pomme  du  glaive,  entière- 
ment ronde,  est  massive  et  très-grosse.  De  ces  trois  objets,  deux 
sans  doute  sont  d'origine  gauloise,  et  le  troisième,  le  poignard, 
d'origine  romaine.  Malgré  la  couche  épaisse  d'oxyde  de  cuivre  qui  les 
couvre ,  ces  armes  sont  bien  conservées. 

—  Le  cabinet  des  antiques  de  la  Bibliothèque  royale  possède  depuis 
la  révolution  une  belle  coupe  formée  de  disques  de  verre,  rouge, 
vert  et  blanc  sertis  d'or,  et  au  fond  de  laquelle  se  remarque  la  figure 
d'un  roi  en  costume  oriental,  gravé  en  creux.  Celte  coupe  était  autre- 
fois conservée  dans  le  trésor  de  l'abbaye  de  Saint-Denis  où  elle  était 
connue  sous  le  nom  de  Vase  du  roi  Salomon.  Mongez,  dans  le  diction- 
naire d'antiquité  qu'il  a  fourni  à  l'Encyclopédie  méthodique,  reconnut 
que  ce  monument  était  de  l'époque  Sassanide  ;  et  M.  de  Longpérier 
dans  une  Notice  sur  quelques  monuments  émaillés  du  moyen  âge,  a 
proposé  d'y  voir  la  représentation  du  roi  Cosroès  I"  qu'une  médaille 
d'or  du  cabinet  de  M.  le  duc  de  Blacas  a  permis  d'identifier.  Depuis 
quelque  temps  les  conservateurs  de  la  Bibliothèque  royale  ont  acheté 
deux  coupes  d'argent  de  la  même  forme  que  la  coupe  de  verre  coloré 
et  appartenant  au  même  peuple  et  à  la  même  époque.  M.  le  duc  de 
Luynes  a  voulu  compléter  la  collection  perse  du  cabinet  des  antiques 
et  il  vient  de  faire  don  à  cet  établissement  d'un  magnifique  monument 
d'argent  qui  a  été  décrit  par  M.  de  Longpérier  dans  le  tome  XV  des 
Annules  de  V Institut  archéologique  de  Rome. 

Selon  cet  antiquaire ,  le  roi  que  représente  cette  coupe ,  dont  nous 


264  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

donnons  ici  le  dessin  réduit  au  tiers,  est  Firouz,  fils  d'Izdedjerd  II, 


qui  succéda  sur  le  trône  de  Perse  à  son  frère  Hormisdas  III,  en  458, 
et  fut  tué  dans  une  guerre  contre  les  Huns  Euthalites ,  en  488.  Le 
vase  sassanide  est  donc  de  la  seconde  moitié  du  cinquième  siècle  de 
l'ère  chrétienne.  On  trouvera  le  récit  des  événements  qui  signalèrent 
la  vie  du  roi  Firouz,  dans  la  traduction  de  Mirkhond,  publiée  par 
M.  de  Sacy. 

La  figure  équestre  est  dorée  et  se  détache  en  relief  sur  le  fond 
d'argent;  devant  le  roi  fuient  deux  sangliers  et  leur  marcassin,  un 
axis,  une  antilope  et  un  buffle. 

Deux  autres  sangliers,  un  axis,  un  buffle  et  une  antilope  gisent  à 
terre  percés  de  flèches  dont  quelques-unes  se  sont  brisées  dans  la 
bler^sure. 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  265 

Le  spectacle  d'un  roi  atteignant  de  ses  traits  une  multitude  d'ani- 
maux que  leur  force  et  la  rapidité  de  leur  course  ne  saurait  protéger, 
paraît  avoir  été  pour  les  Perses  empreint  d'une  idée  de  majesté  toute 
particulière.  On  connaît  l'immense  bas-relief  de  Takhti  Bostan  qui 
représente  un  roi  perçant  de  ses  flèches  des  troupeaux  de  sangliers 
et  de  cerfs  qui  se  réfugient  dans  un  marais  ;  on  sera  frappé  de  l'ana- 
logie qui  existe  entre  cette  composition  et  le  sujet  de  la  coupe  donnée 
par  M.  le  duc  de  Luynes,  en  remarquant  dans  ce  dernier  monument 
les  roseaux  vers  lesquels  se  précipitent  les  deux  sangliers. 

On  voit  aussi  au  musée  de  Naples  une  amphore  à  volutes ,  à  figures 
rouges ,  sur  laquelle  est  peint  un  roi  de  Perse,  accompagné  de  femmes 
vêtues  comme  les  Amazones,  et  chassant  au  sanglier. 

Nulle  part  peut-être  la  chasse  n'a  atteint  les  proportions  que  lui 
donnent  les  rois  de  Perse.  Chardin  rapporte  «  qu'aux  chasses  royales, 
«  on  entoure  de  rets  un  vallon  ou  une  plaine,  et  on  relance  les  bêtes. 
((  de  quinze  à  vingt  lieues  de  pays  à  l'entour,  qu'on  fait  battre  par 
«  des  paysans,  au  nombre  de  plusieurs  milliers.  Quand  il  y  a  un  grand 
«  nombre  de  bêtes  dans  cet  enclos ,  que  des  cavaliers  bordent  tout  à 
«  l'entour,  le  roi  y  vient  avec  sa  troupe,  comme  si  c'était  dans  un 
«  parc,  et  chacun  se  jette  sur  ce  qu'il  rencontre,  cerfs,  sangliers, 
«  hyènes,  lions,  loups,  renards;  on  en  fait  une  furieuse  boucherie 
«  qui  est  d'ordinaire  de  sept  à  huit  cents  animaux.  On  dit  qu'il  y  a 
ft  de  ces  chasses  où  l'on  a  tué  jusqu'à  quatorze  mille  bêtes.  Dans  les 
«  chasses  ordinaires  lorsqu'une  bête  est  arrêtée,  on  attend  que  le  plus 
«  noble  de  la  troupe  arrive;  il  lui  tire  un  coup  de  flèche,  et  après  chacun 
«  se  jette  dessus.  » 

Lors  du  second  voyage  qu'il  fit  en  Perse  avec  sir  Gore  Ouseley, 
Morier  vit  à  Koï  deux  KelUhminar  (colonnes  de  crânes)  qui  ont  été 
construites  comme  monuments  de  la  chasse  extraordinaire  de  Schah 
Ismaël ,  qui  tua  en  un  jour  une  telle  quantité  de  chèvres  sauvages  que 
l'on  a  pu  de  leurs  crânes  encore  garnis  de  cornes ,  construire  deux 
tours  très-élevées. 

Le  personnage  équestre  a  le  nez  aquilin,  l'œil  très-ouvert,  la  barbe 
courte,  la  moustache  longue  et  horizontale,  les  cheveux  réunis  der- 
rière la  tête  en  une  très-petite  masse;  l'oreille  ornée  d'un  pendant  à 
double  poire;  sa  tête  est  chargée  d'une  couronne,  crénelée  par  der- 
rière et  sur  le  côté,  et  portant  un  croissant  sur  le  devant;  deux  ailes 
que  surmonte  un  globe  posé  dans  un  croissant  forment  le  cimier  de 
cette  coifl'ure.  Si  l'on  parcourt  la  suite  des  monnaies  sassanides  on  se 
convaincra  que  le  seul  portrait  qui  présente  toutes  les  particularités 


266  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  physionomie  et  d'ajustement  que  nous  venons  de  signaler  est  celui 
de  Firouz ,  ce  prince  qui  fit  gémir  la  Perse  Bous  uti  sceptre  cruel 
pendant  trente  années. 

C'est  par  la  comparaison  avec  les  médailles  que  l'on  peut  recon- 
naître les  rois  asiatiques  que  les  bas-relièfs  nous  montrent  bien  sou- 
vent sans  inscriptions.  En  publiant,  il  y  a  quelques  années,  la  série 
des  monnaies  sassanides  sur  lesquelles  il  avait  déchiffré  les  noms  de 
presque  tous  les  rois  de  la  dynastie ,  M.  de  Longpérier  a  fourni  aux 
archéologues  le  plus  sûr  moyen  de  donner  une  époque  positive  à  tous 
ces  monuments  si  curieux  et  si  grandioses  dont  les  voyageurs  de  ce 
siècle  ont  rapporté  de  Perse  des  copies  nombreuses.  Lui-même  il 
applique  les  principes  qu'il  a  exposés  à  cet  égard,  dans  le  nouvel 
ouvrage  qu'il  va  publier  sur  les  Médailles  des  trois  races ,  Achéménidef 
Arsacide  etSassanide;  nous  espérons  qu'il  ne  négligera  rien  pour 
faire  servir  les  monuments  numismatiques  à  l'explication  des  sculp- 
tures dessinées  par  Ker  Porter,  Texier  et  Flandin. 

Le  cheval  semble  être  un  des  attributs  importants  de  la  royauté 
sassanide;  un  grand  nombre  de  bas-reliefs  représentent  des  princes 
de  cette  race  à  cheval  et  par  suite  de  la  confusion  perpétuelle  que  les 
peuples  anciens  faisaient  de  la  personne  royale  et  de  la  divinité ,  on 
a  figuré,  à  Nakschi-Roustam ,  Ormouzd  lui-même  monté  sur  un  che- 
val qui  foule  Ahriman  à  ses  pieds.  C'est  ainsi  qu'au  moyen  âge  les 
artistes  français  ont  fréquemment  donné  à  Dieu  le  père  et  à  la  Vierge 
les  costumes  et  les  ornements  des  rois  et  des  reines.  Cet  emprunt  fait 
aux  princes  des  attributs  de  leur  puissance  humaine  est  quelquefois 
poussé  si  loin,  que  l'on  a  dans  les  temps  modernes  cru  trouver  souvent 
des  sujets  historiques  là  où  les  sculpteurs  et  les  peintres  n'avaient 
voulu  représenter  que  des  scènes  religieuses  tout  à  fait  banales. 

Le  globe  qui  surmonte  la  tête  de  Firouz  paraît  destiné  à  reproduire 
la  sphère  céleste  ;  c'est  peut-être  une  expression  matérielle  de  cette 
idée  que  cinq  siècles  plus  tard  le  poëte  Firdousi  faisait  revivre  dans 
ce  vers  du  Schah-Nameh ,  où,  en  parlant  du  jeune  Féridoun  ,  il  dit 
pour  exalter  la  majestueuse  beauté  du  héros  :  au-dessus  de  sa  tête 
tournaient  les  sphères  du  ciel.  Dans  le  même  poëme  on  voit  Féridoun 
recevant  l'étendard  sacré  de  Kaveh ,  l'oriflamme  de  la  Perse,  le  cou- 
ronner d'un  glohe  semblable  à  la  lune,  de  même  que  les  empereurs 
byzantins  et  quelques  autres  rois  chrétiens  qui  portaient  sur  leur  dia- 
dème une  figure  de  la  croix ,  en  décoraient  aussi  la  hampe  de  leurs 
bannières. 

Les  ailes  que  l'on  voit  au-dessous  du  globe  sont  un  symbole  du 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES.  267 

caractère  divin  des  rois.  Dans  la  théologie  persane,  en  effet,  les 
heds  et  les  férouhers,  sont  munis  d'ailes. 

La  ceinture  dont  les  extrémités  voltigent  derrière  le  roi  est  le  koslié 
C'est  le  lien  sacré  que  tout  adorateur  du  feu  qui  a  atteint  l'âge  de 
quinze  ans  doit  mettre  sur  lui ,  chaque  jour,  à  son  lever.  Les  bonnes 
œuvres  de  celui  qui  n'en  est  point  ceint  sont  nulles  aux  yeux  de  la  loi. 

On  nous  a  dit  qu'il  existait  à  Saint-Pétersbourg,  dans  la  collection 
de  VErmitage,  plusieurs  vases  d'argent  sassanides;  il  serait  bien  à 
désirer  que  quelque  artiste  en  fît  le  dessin.  Il  n'est  pas  douteux  que 
ces  monuments  fourniraient  des  faits  nouveaux  et  intéressants  pour 
la  connaissance  des  antiquités  de  l'Orient,  jusqu'ici  bien  imparfaite- 
ment expliquées.  A.  W. 

—  Nous  recevons  la  lettre  suivante  d'un  de  nos  correspondants  de  la 

Moselle  : Si  vous  ne  me  venez  en  aide,  et  au  plus  vite,  l'oratoire 

des  templiers,  si  merveilleusement  conservé,  qui  se  trouve  au  centre 
de  l'emplacement  de  l'ancienne  citadelle  de  Metz,  va  devenir,  avec 

ses  curieuses  peintures,  une  forge  pour  le  train  des  équipages! 

Ce  monument,  décrit  par  M.  de  Saulcy  dans  les  Mémoires  de  l'aca- 
démie Messine  avec  la  haute  intelligence  et  le  goût  qui  distin- 
guent ce  savant,  ayant  été  classé  sur  la  demande  de  notre  inspecteur, 
M.  Victor  Simon  peut,  à  bon  droit,  réclamer  toute  la  sollicitude  de 
l'autorité.  Jusqu'ici,  l'artillerie,  maîtresse  du  terrain,  avait  respecté 
le  sanctuaire  ;  mais  c'est  le  génie  qui  le  possède  aujourd'hui ,  et ,  je  le 
répète ,  si  vous  ne  parvenez  à  conjurer  l'orage  :  c'en  est  fait.  La  ville 
aurait,  dit-on,  l'intention  de  consacrer  cet  oratoire  à  un  musée,  et 
ferait  volontiers  bâtir  une  forge.  Vous  voyez  qu'il  serait  ainsi  fort 
aisé  de  concilier  tous  les  intérêts. 

—  On  nous  écrit  de  Metz  : 

Les  amis  des  beaux-arts  et  de  nos  antiquités  nationales  appren- 
dront sans  doute  avec  plaisir  que  la  charmante  chapelle  du  prieuré 
de  Morlange  (arrondissement  et  canton  de  Thionville  ),  bâtie  vers  la 
fin  du  XIÏ''  siècle  (1188),  par  les  abbés  de  Gorze,  et  l'un  des  mo- 
numents les  plus  curieux  de  l'époque  de  transition  que  nous  ayons 
dans  nos  contrées,  doit  être  incessamment  restaurée.  En  1743  ,  ce 
prieuré  fut  loué  vingt  livres  annuelles  par  un  bail  emphytéotique 
que  souscrivit  le  cardinal,  duc  de  Rohan,  abbé  de  Gorze,  au  profit 
du  prieur  Simon  Varnier.  11  fut  ainsi  sauvé  des  fureurs  de  1793.  Le 
bail  expirant  cette  année,  on  a  vendu,  au  profit  de'nombreux  acqué- 
reurs du  domaine  de  l'abbaye  de  Gorze,  deux  jardins  et  deux  ma- 
sures qui  tiennent  à  l'église;  mais,  grâce  aux  démarches  de  M.  Ter- 


268  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

wer,  maire  de  Morlange ,  à  celles  de  son  adjoint ,  aux  sentiments 
religieux  du  conseil  municipal,  les  propriétaires  se  sont  désistés  de 
leur  quote-part  dans  la  chapelle  en  faveur  de  la  commune,  et  il 
est  décidé  que  cette  dernière  dépensera  cinq  cents  francs  pour  les  ré- 
parations les  plus  urgentes,  et  que  l'église  sera  rendue  au  culte.  — 
La  conservation  de  cet  édifice  si  intéressant  est  due  en  grande  partie 
à  l'intervention  de  la  section  d'archéologie  de  l'académie  de  Metz , 
et  au  zèle  de  son  président,  M.  le  baron  Emmanuel  d'Huart,  dont  les 
démarches  avaient  déjà ,  il  y  a  plusieurs  années ,  sauvé  cette  cha- 
pelle d'une  ruine  imminente ,  en  réunissant  les  secours  nécessaires 
pour  réparer  la  toiture  fortement  endommagée.  L.  A. 

—  La  Chambre  des  députés  a  examiné  le  9  juillet  le  budget  du 
ministère  de  l'Instruction  publique.  La  discussion  présentait  un  ca- 
ractère archéologique  tout  à  fait  de  notre  ressort.  C'est  en  vain  que 
M.  Isambert  a  réclamé  pour  le  cabinet  des  antiques  la  restitution  de 
la  chaise  curule  romaine  (connue  sous  le  nom  de  fauteuil  de  Dago- 
hert  ),  transférée  à  Saint-Denis  malgré  les  protestations  du  conser- 
vatoire de  la  Bibliothèque  royale  et  du  ministre  de  l'Instruction  pu- 
blique ;  la  Chambre  n'a  pris  aucune  décision  à  cet  égard. 

Un  député  a  soutenu  que  les  professeurs  de  langues  asiatiques  sa- 
vent à  peine  ce  qu'ils  enseignent  et  demandait  la  suppression  de  quel- 
ques chaires.  L'honorable  membre  paraît  avoir  peu  étudié  la  ques- 
tion. Il  saurait  que  l'école  des  langues  orientales  est  une  institution 
que  l'Europe  nous  envie.  Les  professeurs  de  tous  les  pays  se  sont 
formés  chez  nous.  MM.  Freytag,  Mùller,  Humbert,  Cohn,  Dernburg, 
Brosset,  Arri,  Amari,  Gorrezio,  Ochoa,  Pacho,  Weil,  sont  des  élè- 
ves de  l'école  de  Paris.  Ainsi  la  Prusse,  la  Bavière,  Genève,  la  Hon- 
grie, la  Russie,  la  Sardalgne,  la  Sicile  et  l'Espagne  ont  eu  recours  à 
notre  enseignement.  Ce  n'est  pas  tout,  nos  agents  consulaires,  nos 
interprètes  se  forment  encore  à  cette  école  des  langues  orientales. 
MM.  Brenier,  de  Nully,  Urbain,  Cor,  Botta,  Lauxerrois,  Bore,  d'A- 
baddie  avaient  trouvé  à  Paris  les  moyens  de  s'instruire  dans  les  lan- 
gues de  l'Orient  et  de  rendre  par  là  de  grands  services  à  la  science,  à 
la  politique  et  à  l'armée.  Si  le  gouvernement  encourageait  au  con- 
traire davantage  l'étude  de  l'arabe  et  qu'il  pût  entretenir  actuellement 
en  Afrique  cent  interprètes  probes  et  instruits  pour  remplacer  les 
juifs  algériens  qui  pillent  l'armée,  il  en  résulterait  une  économie  de 
plusieurs  millions,  et  ce  qui  est  plus  important,  on  épargnerait  la  vie 
de  bien  des  soldats. 


BIBLIOGRAPHIE. 


EXAMEN  CRITIQUE  DE  LA  DÉCOUVERTE  DU  PRÉTENDU  COEUR 
DE  SAIl^T  LOUIS,  faite  à  la  Sainte- Chapelle  le  15  mai  1843;  par 
M.  Leteonne.  Paris,  1844,  in-S"*. 

II  n'est  pas  de  découvertes  archéologiques  réellement  importantes 
pour  l'histoire  et  la  connaissance  de  notre  pays,  qui  aient  fait  plus  de 
bruit  et  occupé  davantage  les  érudits  que  celle  qui  est  l'objet  de  cette 
brochure.  Et  cependant,  il  faut  en  convenir,  s'il  n'y  avait  dans  les 
esprits  qu'un  froid  bon  sens  qui  ne  s'intéresse  qu'aux  choses  réellement 
intéressantes,  c'est  un  fait  qui  n'aurait  pas  eu  un  grand  retentisse- 
ment. De  quoi  s'agissait-il,  en  effet?  d'un  objet  trouvé  à  la  Sainte- 
Chapelle,  pendant  les  travaux  de  restauration  entrepris  dans  cette 
église  ;  d'une  boîte  de  fer-blanc  renfermant  un  cœur  humain  entouré 
d'un  morceau  de  linge,  sans  inscription  aucune,  et  contenant  seule- 
ment un  écrit  constatant  que  ledit  cœur  avait  été  déjà  découvert  en 
l'an  XI,  et  que  Camus,  alors  garde  général  des  archives,  l'avait  fait 
remettre  dans  une  autre  boîte,  dans  un  trou,'  à  la  même  place,  c'est- 
à-dire  derrière  l'autel,  sous  une  dalle.  En  vérité,  il  n'y  avait  ici  rien 
à  apprendre  pour  les  hommes  curieux,  et  peu  matière  à  disser- 
tation pour  les  antiquaires I  Un  cœur  dans  un  morceau  de  toile, 
renfermé  dans  une  boîte,  voilà,  ma  foi,  une  relique  comme  on  en 
trouva  probablement  par  centaines,  au  moment  de  la  révolution ,  alors 
que  l'on  détruisit  tant  d'édiflces  consacrés  au  culte,  que  l'on  viola 
tant  de  monuments  et  de  sépultures,  puisqu'un  usage  fort  répandu 
faisait  placer  dans  les  églises,  en  un  lieu  spécial,  le  cœur  des  digni- 
taires ecclésiastiques,  de  certains  chanoines,  des  bienfaiteurs  du  cler- 
gé I  Mais  non,  on  s'émut  de  cette  découverte,  on  voulut  y  voir  autre 
chose  qu'une  trouvaille  insignifiante,  et  voici  le  dialogue  qui  s'établit 
entre  certaines  gens  : 

Ce  cœur  est  quelque  chose  d'auguste  I  —  Cela  peut  être  ;  mais  nous 
nen  savons  rien.  —  Vous  n'avez  donc  pas  observé  la  place  qu'il  occu- 
pait. —  Eh  bien  I  il  était  derrière  le  maître-autel.  —  Non  pas,  mais 
précisément  sous  ce  maître-autel  lui-même.  (Notez  que  le  fait  est 
inexact,  et  donnez  raison  à  l'autre  interlocuteur.)  Il  était  là,  sous  la 
protection  des  saintes  reliques  de  la  passion  placées  derrière  l'autel. 
—  Qu'en  inférez-vous?  —Mais  alors,  c'est  le  cœur  d'un  bienfaiteur, 


270  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

d'un  fondateur  de  cette  église.  —  Gomment,  ainsi  placé,  sans  hon- 
neur, sans  inscription,  d'une  façon  furtive  et  honteuse,  dans  un 
morceau  de  toile?  —  Pure  humilité  du  monarque,  sentiment  exquis 
des  convenances,  qui  faisait  craindre  d'enterrer  avec  pompe  le  cœur 
d'un  roi,  quand  à  côté  de  lui  se  trouvaient  les  objets  vils  qui  avaient 
servi  à  martyriser  un  Dieu-Homme.  —  Ainsi,  vous  seriez  porté  à  ad- 
mettre que  ce  cœur  est  celui  de  saint  Louis?  —  Comment!  porté  à 
admettre,  dites  donc  sûr,  absolument  certain;  esprit  sourd,  âme  de 
glace,  n'enténdez-vous  pas  une  Voix  intérieure  qui  vous  crie  que 
c'est  le  cœur  vénérable  du  très-saint  roi? 

Sans  doute  qu'après  un  pareil  entretien,  l'interlocuteur  ignorant 
aura  éprouvé  encore  quelques  velléités  d'objections,  mais  il  n'y  avait 
pas  à  répliquer;  on  était  en  face  de  gens  qui  avaient  consacré  leurs 
veilles  à  approfondir  les  ténèbres  du  moyen  âge,  et  qui,  dès  lors,  pou- 
vaient, sur  la  simple  vue,  vous  nommer  le  personnage  auquel  le 
cœur  avait  appartenu,  avec  autant  d'assurance  que  s'ils  avaient  eux- 
mêmes  enterré  le  viscère  en  litige.  D'ailleurs,  ce  ne  pouvait  être  que 
le  cœur  de  saint  Louis  I  Cela  se  sentait,  cela  parlait  de  soi-même, 
pour  peu  qu'on  fût  une  noble  et  piease  intelligence.  Est-ce  que,  par 
hasard,  vous  croiriez  que  c'est  une  découverte  fortuite?  esprit  charnel, 
lie  comprenez-vous  pas  que  c'est  une  de  ces  voies  mystérieuses  que 
la  Providence  emploie,  dans  des  moments  donnés,  pour  faire  paraître 
des  marques  non  équivoques  de  sa  satisfaction.  C'est  à  l'instant  même 
oii  l'on  restaure  la  Sainte-Chapelle,  qu'elle  conduit  la  pioche  d'un 
maçon  et  fait  surgir  l'adorable  relique.  Or,  telles  étaient  les  raisons 
savantes  que  donnèrent  de  prime  abord  les  hommes  initiés  aux  choses 
da  moyen  âge,  et  qu'ils  opposaient  à  l'incrédulité  légère  et  superfi- 
cielle de  certains  esprits  forts,  et  de  M.  le  garde  général  des  archives 
en  particulier,  lui  qui  s'était  permis  de  donner  là-dessus  et  tout  de 
suite  son  opinion.  Et  quelle  opinion!  îl  avait  soutenuque  ce  n'était  pas 
le  cœur  du  saint  roi,  parce  que  l'histoire  disait  que  ce  cœur  n'était  pas 
venu  à  Paris.  11  s'appuyait  sur  des  preuves  positives  et  matérielles  que 
l'on  récusait,  attendu  qu'elles  venaient  d'un  helléniste,  etqu'un  hellé- 
niste ne  pouvait  que  se  tromper  en  matière  de  moyen  âge.  Il  est  vrai 
en  effet  que,  des  raisons,  MM.  les  antiquaires  du  moyen  âge  en  fai- 
saient bon  marché.  Il  y  avait  un  certain  passage  de  Geoffroy  de  Beau- 
lieu,  confesseur  de  saint  Louis,  qui  disait  formellement  que  la  chair. 
Je  cœur  et  les  intestins,  carnem,  necnon  cor  et  intestina,  avaient  été  ac- 
cordés au  frère  du  monarque,  Charles  d'Anjou,  roi  de  Sicile,  tandis  que 
les  ossements  seuls  étaient  restés  à  Philippe  le  Hardi.  On  avait  coupé 


BIBLIOGRAPHIE.  271 

le  corps  en  morceaux,  que  l'on  avait  fait  bouillir  dans  un  mélange 
d'eau  et  de  vin,  pour  détacher  la  chair  des  os,  et  faire  à  chacun  sa  part 
des  restes  vénérés.  Après  quoi,  la  chair,  le  cœur  et  les  intestins 
avaient  été  transportés  à  l'abbaye  de  Montréal ,  près  de  Palerme.  L'au- 
teur de  l'histoire  de  Philippe  le  Hardi,  Guillaume  de  Nangis,  était 
moins  explicite;  il  s'était  borné  à  dire  que  les  viscères,  viscera,  avaient 
été  placés  à  l'abbaye  en  question  ;  mais  il  ressortait  du  témoignage  de 
Geoffroy  de  Beauliëu,  qu'il  avait  compris  le  cœur  dans  ce  mot  viscera. 
D'ailleurs,  le  récit  circonstancié  de  la  translation  des  restes  de  saint 
Louis  à  Saint-Denis,  que  nous  donne  le  môme  Guillaume,  la  relation 
non  moins  détaillée  que  présentent  les  historiens  de  la  translation  de 
son  corps  à  Paris,  lors  des  cérémonies  de  la  canonisation  qui  eurent 
lieu  en  1 298,  ne  font  aucune  mention  de  ce  cœur. 

Mais  je  le  répète,  tout  cela  n'était  que  raisons  d'hellénisme,  c'est- 
à-dire  fort  mauvaises,  et  on  n'avait  pas  vu  le  fond  des  choses.  Geof- 
froy de  Beauliëu  n'avait  pas  tout  dit,  répondaient  les  hommes  versés 
dans  le  moyen  âge;  il  avait  bien  mentionné  l'arrivée  du  cœur  à  Mont- 
réal, mais  il  n'avait  pas  pu  parler  de  ce  qui  eut  lieu  postérieurement 
à  la  rédaction  de  son  récit,  le  retour  du  cœur  à  Paris,  à  la  suite  d'une 
négociation  tenue  secrète.  Et  comment  ce  retour  s'était-il  effectué, 
quelle  était  cette  mystérieuse  négociation  ?  Les  partisans  de  ladite  opi- 
nion ne  s'en  inquiétaient  guère,  sans  doute  par  un  eiïetde  la  grande 
habitude  qu'ils  avaient  des  hommes  et  des  éçénements  du  moyen  âge. 
On  avait  bien  essayé  d'une  première  hypothèse,  mais  comme  elle 
soulevait  une  foule  de  difficultés,  on  s'était  hâté  de  l'abandonner  pour 
une  seconde  tout  aussi  inadmissible.  Après  tout,  disaient,  sans 
doute  pour  se  consoler,  les  hommes  versés  dans  la  matière ,  l'autorité 
de  M.  Le  Prévost  vaut  bien  celle  de  Geoffroy  de  Beauliëu.  Cependant, 
il  faut  le  reconnaître,  il  y  avait  dans  le  camp  que  j'appellerais  volon- 
tiers des  croisés,  vu  qu'il  s'agit  de  saint  Louis  et  qu'il  me  revient  à  la 
tête  une  phrase  prononcée  dans  une  autre  discussion  célèbre  ;  il  y  avait 
dans  ce  camp ,  dis-je ,  des  gens  qui ,  tout  convaincus  qu'ils  étaient  de 
la  découverte  du  cœur,  voyaient  cependant  avec  peine  que  la  Provi- 
dence, puisqu'on  voulait  à  toute  force  la  faire  intervenir,  n'avait  pas 
pour  elle  l'histoire  et  les  faits.  Et  ils  se  mirent  à  leur  tour,  gens  à  foi 
moins  vive ,  moins  spontanée  et  plus  réfléchie ,  à  chercher  des  motifs 
en  faveur  d'une  croyance  qu'ils  avaient  d'abord  acceptée  sans  motifs, 
procédé  déplorable  employé  en  matière  de  croyance ,  il  faut  le  dire , 
par  bien  des  gens,  même  de  ceux  qui  se  piquent  de  raisonner.  Or 
donc,  ils  opposèrent  au  malencontreux  Geoffroy  de  Beauliëu  un  pas- 


272  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

sage  d'un  certain  moine  anonyme  de  Saint-Denis ,  que  M.  Guérard , 
qui  a  soutenu  de  son  excellent  esprit  et  de  sa  vaste  érudition  la  même 
cause  que  M.  Letronne,  nous  a  appris  se  nommer  Guillaume  Scot  et 
avoir  écrit  en  1317.  Ce  Scot  avait  écrit,  lui,  que  les  os  et  le  cœur 
avaient  été  apportés  à  Saint-Denis.  On  opposait  encore  une  lettre  de 
levêque  de  Thunes,  à  Thibaud,  roi  de  Navarre,  qui  dit  expressément 
que  les  entrailles  furent  portées  à  Montréal ,  mais  que  li  mers  et  U 
cors  démolir èrent  encore  en  Vost,  li  peuples  en  nule  manière  ne  veut 
soufrir  qu'il  en  [eut  porté. 

On  avait  donc  enfin  trouvé  des  raisons  bonnes  ou  mauvaises!  Dès 
lors ,  les  défenseurs  de  la  cause  nationale  ne  se  lassèrent  pas  de  crier 
victoire,  et  comme  le  succès  avait  accru  leur  audace,  ils  ne  voulurent 
même  pas  laisser  subsister  le  passage  accusateur  de  Geoffroy  de  Beau- 
lieu,  et  un  savant  académicien  se  chargea  de  prouver  que  c'était  une 
pure  interpolation. 

Après  cela,  il  n'y  avait  plus  moyen  de  douter:  M.  le  garde  général 
des  archives  était  confondu  ;  et  en  conséquence  on  ne  lui  épargna 
pas  les  injures  et  on  lui  cria  aux  oreilles:  Victoire I  le  plus  haut  qu'on 
put.  J'oublie  une  circonstance  importante  :  les  deux  parties  s'étaient 
accordées  sur  ce  seul  point,  de  demander  une  enquête  à  Montréal,  pour 
connaître  quel  était  l'état  des  reliques  du  saint  roi.  On  avait  procédé 
en  conséquence  sur  les  lieux,  à  l'ouverture  de  l'urne  qui  contenait  les 
précieuses  reliques  et  on  n'avait  trouvé  que  des  fragments  noirs ,  pu- 
tréfiés, semblables  entre  eux  et  daris  lesquels  il  n'était  pas  possible  de 
distinguer  si  le  cœur  y  était  renfermé.  L'enquête  ne  pouvait  donc 
éclairer  en  rien  la  question.  Mais  les  défenseurs  de  la  cause  nationale 
ne  regardaient  pas  de  si  près  quant  au  choix  de  leurs  raisons,  et  pour 
peu  que  quelque  chose  eût  eu  l'apparence  d'en  être  une ,  ils  la  pre- 
naient d'acclamation.  Le  cœur  n'avait  pas  été  trouvé  à  Montréal , 
dirent-ils,  donc  il  est  à  Saint-Denis.  Et  notez  bien  que  les  médecins 
appelés  à  constater  l'état  des  restes,  n'avaient  nullement  affirmé  que 
le  cœur  ny  fût  pas.  Voilà,  au  reste,  en  résumé,  quel  était  l'enchaî- 
nement rigoureux  et  inextricable  des  raisonnements  de  ces  nobles  et 
pieuses  intelligences  : 

Geoffroy  de  Beaulieu  a  dit  que  le  cœur  du  monarque  avait  été  porté 
à  Montréal,  donc  il  a  été  porté  de  Montréal  à  Paris,  L'anonyme  de 
Saint-Denis  dit  que  le  cœur  a  été  porté  avec  le  corps  à  Saint-Denis, 
donc  il  est  à  la  Sainte-Chapelle  de  Paris.  On  ne  peut  plus  distinguer 
le  cœ.ur  des  autres  restes  pulvérulents  de  saint  Louis,  dans  sa  châsse 
à  Montréal ,  donc  il  n'est  plus  à  Montréal,  donc  il  est  à  Paris. 


BIBLIOGRAPHIE.  273 

En  face  d'une  dialectique  pareille,  comment  ne  pas  se  confesser 
vaincu.  Il  y  avait  pourtant  des  gens  qui  n'avaient  pas  raisonné  comme 
eux  !  il  y  avait  un  duc  de  Serra  di  Falco,  un  des  premiers  antiquaires  de 
l'Italie,  un  révérend  père  Tarallo  qui  avaient  jugé  autrement  I  Ahl 
c'est  évidemment  qu'ils  étaient  aveuglés  par  un  intérêt  de  clocher, 
celui  de  Montréal,  à  ce  qu'on  répondait.  Il  y  avait  aussi  beaucoup  de 
membres  de  la  docte  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  qui 
ne  se  croyaient  pas  foudroyés  par  de  pareilles  raisons,  c'étaient  des 
gens  incompétents,  des  entêtés,  des  hommes  dominés  par  une  in- 
fluence occulte! 

Cependant  il  devenait  de  plus  en  plus  urgent  de  faire  écrouler  une 
fois  pour  toutes,  cet  échafaudage  de  preuves  contradictoires  que  les 
amis  de  la  France  et  de  la  religion  étayaient  depuis  quelque  six  mois, 
de  déclamations  et  d'injures.  C'est  à  celui  qui  avait  ouvert  le  premier 
la  brèche,  qu'il  appartenait  d'accomplir  cette  tâche,  puisque  l'accom- 
plir, c'était  achever  son  œuvre!  Oui,  c'était  M.  Letronne  qui  devait 
réduire  au  silence  ces  fanfarons  de  moyen  âge  et  de  patriotisme  ; 
c'est  ce  qu'il  a  fait  dans  le  livre  que  nous  annonçons,  livre  qui  est  à 
la  fois  la  défense  de  son  premier  rapport  taxé  de  légèreté  et  d'igno- 
rance, et  la  défaite  la  plus  complète  de  la  coterie  qui  avait  écrit  sur 
sa  bannière  :   Cœar  de  saint  Louis.  Nous  l'avouons  franchement , 
jusqu'à  l'apparition  de  la  brochure  de  M.  Letronne,  nous  n'avions 
pris  qu'un  médiocre  intérêt  à  la  polémique  soulevée  par  cette  ques- 
tion, car  nous  ne  nous  croyions  plus  à  une  époque  oii  les  reliques 
avaient  une  importance  telle  qu'on  s'en  préoccupât  autant  que  des 
affaires  d'État  :  nous  nous  croyions  bien  loin  du  temps  où  on  négo- 
ciait leur  échange  comme  des  traités  de  paix.  Nous  pensions  tout 
cela  tout  au  plus  du  ressort  d'une  sacristie,  fort  peu  d'un  corps  sa- 
vant... Mais  M.  Letronne  a  traité  le  sujet  d'une  manière  si  neuve, 
si  incisive,  il  a  déroulé  avec  tant  de  clarté  le  fil  des  faits  et  des  preuves 
évidentes  à  l'appui  de  son  opinion,  il  a  si  curieusement  fait  voir  qu'en 
pareille  matière,  la  raison  n'est  pas  toujours  la  science,  puisque  tant 
de  gens  savants  avaient  déraisonné  jusqu'à  la  fin,  il  a  donné  de  si 
bonnes  leçons  de  critique  et  décoché  tant  de  traits  piquants,  qu'il  est 
impossible  de  ne  pas  lire  sa  brochure  avec  le  plus  vif  intérêt.  Que 
d'erreurs  matérielles  il  a  relevées!  depuis  celte  description  si  circon- 
stanciée, si  poétique  en  même  temps,  donnée  de  la  boîte  renfermant 
le  cœur,  par  un  savant  antiquaire  qui  ne  l'avait  jamais  vue  et  qui 
probablement  la  voyait  par  l'intermédiaire  de  Dieu,  suivant  le  sys- 
tème philosophique  de  Malebranche ,  jusqu'à  cette  croix  tracée  par 


274  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

une  main  du  XIIP  siècle  et  qui  se  trouve  finalement  avoir  été  taillée 
parle  ciseau  d'un  maçon,  sous  les  yeux  du  citoyen  Terrasse,  le  5  ven- 
tôse an  XI  de  la  république  une  et  indivisible. 

Après  l'examen  matériel  de  la  découverte,  vient  l'examen  des 
preuves  historiques.  L'évoque  de  Thunes  devient  un  évêque  de  Tus- 
culum,  français  d'origine,  qui  n'écrit  plus  la  lettre,  mais  auquel  tout 
au  contraire  écrit  Thibaud  de  Navarre,  du  camp  même  de  Tunis, 
c'est-à-dire  avant  le  départ  du  cœur  pour  Montréal  où  l'on  n'avait  en- 
core expédié  que  les  chairs  et  les  entrailles.  Le  moine  anonyme, 
c'est-à-dire  Scot,  n'est  plus  qu'un  copiste  et  un  traducteur  maladroit 
d'une  chronique  française  fabriquée  d'après  Guillaume  de  Nangis  et 
qui  ne  mérite  nulle  confiance,  d'autant  plus  que  ce  Scot  annonce  un 
fait  que  ceux  mômes  qui  veulent  accepter  son  témoignage,  sont  forcés 
de  rejeter  en  partie,  puisqu'il  veut  que  les  ossements  et  le  cœur 
aient  été  apportés  à  l'abbaye  de  Saint-Denis,  tandis  que  Guillaume 
de  Nangis  dit  expressément  que  cette  abbaye  ne  possédait  que  les 
ossements. 

M.  Natalis  de  Waiily  s'est  chargé  de  nous  démontrer  l'impossibilité 
de  l'interpolation  du  passage  de  Geoffroy,  dans  la  chronique  duquel 
tout  se  lie,  tout  se  tient  et  oii  il  est  impossible  de  retrancher  des 
faits  auxquels  il  est  fait  allusion  dans  d'autres  passages. 

Ainsi  cette  brochure  est  excellente  à  lire  comme  règle  de  conduite 
pour  les  antiquaires  es  moyen  âge  (bien  que  l'auteur  n'en  soit  pas 
un  et  ne  se  pique  pas  de  l'être),  et  c'est  à  ce  titre  que  nous  la  re- 
commandons à  la  méditation  de  certaines  gens  qui  nous  font  l'effet 
de  voir  un  peu  trop  cette  époque,  qui  ne  sera  jamais  qu'un  temps 
d'ignorance  et  de  naïve  crédulité,  comme  le  bel  âge  de  la  poésie  et  de 
la  religion.  D'ailleurs  en  lisant  le  mémoire  du  savant  garde  général 
des  archives,  on  trouve  le  résumé  le  plus  complet  et  le  plus  impar- 
tial de  toute  la  question,  de  tout  le  débat  littéraire,  puisqu'il  n'a  pas 
balancé  à  y  insérer  la  plupart  des  écrits  publiés  en  faveur  du  cœur, 
dont  plusieurs,  il  faut  malheureusement  en  convenir,  ressemblent 
plus  à  des  pamphlets  qu'à  des  dissertations  historiques. 

11  est  vrai  que  nous  voilà  désormais  privés  du  plus  nohle  cœur  qui 
ait  jamais  hatlu  dans  la  poitrine  d'un  roi.  Nous  nous  en  consolons 
volontiers,  en  pensant  que  nous  avons  en  échange  un  plaidoyer  spiri- 
tuel et  amusant ,  écrit  avec  clarté  et  logique,  qualités  si  ordinaires 
chez  M.  Letronne  qu  il  ne  m'est  plus  permis  de  l'en  louer,  puisque 
prononcer  son  nom ,  c'est  pour  ainsi  dire  les  désigner.  Le  cœur  de 
saint  Louis  nous  eût  au  fond  peu  appris ,  enrichi  encore  moins,  il 


BIBLIOGRAPHIE.  ,  275 

eût  fallu  payer  une  châsse  et  des  cérémonies  pompeuses.  Le  mémoire 
en  question  nous  instruit  et  nous  éclaire  ;  y  a-t-il  beaucoup  de  reli- 
ques qui  aient  eu  cette  vertu?  nous  ne  le  croyons  pas.  Malgré  la 
vive  admiration  que  nous  avons  vouée  à  Louis  IX,  nous  pensons  que 
ce  prince  vit  beaucoup  plus  dans  l'histoire  et  l'amour  des  Français, 
que  dans  un  reste  humain  en  partie  putréfié.  On  sera  de  l'avis  de 
M.  Letronne  et  peut-être  du  nôtre,  si  on  lit  cette  brochure  avec  ce 
bon  sens  et  cette  simple  raison,  à  la  place  desquels  certaines  gens 
voudraient  substituer  je  ne  sais  quel  sentiment,  quel  amour  du  mira- 
culeux 5  car  tout  ceci  nous  confirme  dans  ce  précepte  :  Dieu  nous 
garde  des  savants  qui  sentent  au  lieu  de  savoir! 

F.  *** 

NOTRE-DAME  D'AJACCIO,  ARCHÉOLOGIE,  HISTOIRE  ET  LÉGENDES;  par 
Alex.  Arman  ;  tel  est  le  titre  d'une  brochureMn-8 ,  qui  vient  de  paraître  au 
bureau  de  la  Revue  Archéologique. 

Cette  publication  renferme  un  grand  nombre  de  faits  intéres- 
sants, curieux  et  peu  connus  sur  ce  monument,  et  l'histoire  de 
la  Corse. 


GRAVURES 

PUBLIÉES   DANS  LA   QUATRIÈME  LIVRAISON 

DE  LA 

i^EVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 


MOYEN  AGE, 

SCULPTURE  :  — Bas-relief  à  l'Église  de  Saint-Ouen  à  Rouen, 
représentant  le  transport  d'une  châsse. 

Tombeau  à  Nymphi.  Nous  devons  le  dessin  de  ce  monument 

à  l'obligeance  de  M.  Ch.  Texier. 

VIGNETTES  SUR  BOIS. 

—  Autel  trouvé  à  Khorsabad. 

—  Cône  de  Calcédoine  gravé. 

—  Roi  assyrien  dans  un  char;  bas-relief. 

—  Dieu  et  Roi  assyrien;  bas-relief. 

—  Prise  de  Ninive  ;  bas-relief. 

—  Double  lion  de  lapis-lazuli. 

Chapiteau  de  l'Église  Sainte-Croix  à  Saint-Lô. 

—  Saint-Michel  sur  un  chapiteau  de  Saint-Nectaire. 
Pèsement  d'une  âme  sur  un  vitrail  de  Bourges. 

—  Bas-reiief  du  Musée  de  Strasbourg.  Divinité  gauloise. 

—  Coupe  donnée  à  la  Bibliothèque  royale,  par  M,  le  duc  de  Luynes. 


VOYAGES  ET  RECHERCHES  ARCHEOLOGIQUES 

DE  M.   LE  BAS,   MEMBRE  DE  l'INSTITUT  , 

EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE, 

PENDANT  LES  ANNÉES  J84S  ET   1844. 


QUATRIÈME  RAPPORT  A  M.  LE  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE. 


ROUTE  DE  CORINTHE  A  PATRAS  PAR  LA  CÔTE  NORD  DU  PÉLOPONÈSE.  —  ANTIQUITÉS  DE 
PATRAS,  INSCRIPTIONS  GRECQUES  ET  ROMAINES.  —  KATO-ACHAÏA ,  ATTRIBUTION  DE  CE 
VILLAGE  A  OLÉNUS,  CONTROVERSE  A  CE  SUJET,  MONUMENTS.  —  ROUTE  A  ÉLIS  PAR 
l'intérieur  DES  TERRES  ET  LA  VALLÉE  DE  SANTA-MÉRI. — SOUVENIRS  DE  LA  DOMINATION 
FRANÇAISE,  RUINES  FÉODALES.  —  MONASTÈRE  DE  MARITZA ,  INDICES  CURIEUX  D'UN 
TEMPLE  D'ESCULAPE. —  ÉGLISE  BYZANTINE  DE  ST.-DÉMÉTRIUS  ET  DE  ST.-GEORGE,  AUTRES 
INDICES  d'antiques  CROYANCES.  —  OLYMPIE  ,  COMBIEN  PEU  CONNUE  ENCORE. —   TOMBEAU 

PRÉTENDU  DE  CORCffiBUS. HELLENIKO,  PROBABLEMENT  ÉPION. —  PHIGALIE  ET   LE  TEMPLE 

D'APOLLON  A  BASSiE.  —  ARRIVÉE  A  MESSÈNE. 


Monsieur  le  Ministre  , 

De  Corinthe  notre  plan  de  voyage  devait  nous  conduire  à  Patras , 
en  suivant  la  côte  septentrionale  du  Péloponèse.  Rien  de  plus  beau , 
de  plus  imposant  tout  à  la  fois  que  la  vue  dont  on  jouit  de  cette  route, 
si  toutefois  on  peut  donner  le  nom  de  route  aux  mauvais  sentiers  qui 
mettent  en  communication  les  différentes  contrées  de  la  Grèce.  Au 
nord,  à  l'horizon,  les  cimes  neigeuses  de  l'Hélicon  et  du  Parnasse; 
plus  près,  les  côtes  de  la  Béotie  et  de  la  Locride;  plus  près  encore, 
la  mer  des  Alcyons;  au  sud,  les  collines  élevées  et  verdoyantes  de 
la  Sicyonie  et  de  l'Achaïe ,  leurs  riantes  et  fertiles  campagnes ,  leurs 
villages  bien  bâtis;  et  à  l'ouest,  à  mesure  que  nous  approchions  de 
l'entrée  du  golfe ,  les  longues  silhouettes  d'Ithaque  et  de  Céphalonie. 
Toutefois  le  charme  qu'on  éprouve  n'est  pas  sans  quelques  contrastes  : 
d'excellentes  terres  abandonnées,  des  constructions  interrompues, 
de  tristes  paroles  dans  la  bouche  des  habitants ,  prouvent  que  le  bon- 
heur n'a  pas  encore  revu  ces  lieux,  et,  malgré  soi,  lors  même  qu'on 
voudrait  être  tout  au  passé ,  on  se  sent  pris  de  mélancolie ,  et  l'anti- 
quaire ,  oubliant  les  Grecs  d'autrefois ,  ne  peut  se  défendre  de  faire 
des  vœux  pour  les  Grecs  d'aujourd'hui. 

I.  19 


278  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

La  première  ville  ancienne  dont  on  rencontre  les  restes  est  Si- 
cyone.  Je  ne  décrirai  point,  après  tant  d'autres  voyageurs  les  ruines 
de  la  patrie  d'Aratus ,  le  théâtre  et  ses  deux  vomitoires,  le  stade  et  ses 
substructions  cyclopéennes ;  je  dirai  seulement  que,  comme  un  sa- 
vant archéologue  (1),  j'ai  admiré  la  régularité  des  murs  de  cette  ville, 
relativement  assez  récente,  puisqu'elle  a  été  bâtie  par  Démétrius- 
Poliorcète.  Leur  alignement,  à  en  juger  par  les  fondements  des  mai- 
sons qu'on  distingue  encore  sur  un  assez  grand  nombre  de  points, 
les  place  toutes ,  suivant  le  précepte  rappelé  par  Vitruve  (1 , 6,  7,  8), 
dabsla  direction  de  deux  vents  principaux,  du  nord-est  au  sud-ouest, 
ou  du  nord-ouest  au  sud-est.  Rien  dans  ces  lieux  pour  l'épigraphie. 
Le  peu  quy  ont  vu  Cyriaque  d'Ancône  et  plus  tard  Dodwell,  a  totale- 
ment disparu. 

A  Aristonantœ,  l'ancien  port  de  Pellène,  on  voit  encastrées  dans 
la  façade  d'une  maison  particulière,  un  petit  bas-relief  représentant 
deux  hiérodules  debout,  d'un  style  imitant  l'archaïque,  privées  l'une 
et  l'autre  de  la  partie  antérieure  des  bras,  laquelle  devait  être  rap- 
portée dans  le  principe ,  car  on  voit  encore  la  trace  des  trous  destinés 
au  scellement. 

La  rapidité  avec  laquelle  nous  avons  parcouru  la  côte  de  l'Achaïe 
ne  m'a  pas  permis  de  remonterjusquà  J^^ira,  à  ^gœ,  à  Bara  dont 
on  assure  qu'il  existe  encore  des  traces;  mais  maintenant  que  l'ar- 
chéologue ne  voyage  plus  en  touriste, *je  me  propose,  en  sortant  de 
Clitor,  d'aller  visiter  le  couvent  de  Megaspilœon ,  pour  m'assurer  s'il 
ne  serait  pas  possible  dy  retrouver  d'anciens  maimscrits,  et  de  ce 
monastère  je  dirigerai  quelques  excursions  sur  les  points  dont  je 
viens  de  vous  parler.  Je  pousserai  même  peut-être  jusqu'à  ^Egium, 
dont  je  n'ai  pu,  au  mois  de  mai,  admirer  que  le  platane  séculaire,  qui 
est  aussi  le  monument  le  plus  vénérable  de  ce  lieu. 

Il  ne  reste  plus  absolument  rien  de  l'antique  ville  achéenne  de 
Patrcè.  Le  peu  de  ruines  qu'on  voit  encore  là  oîi  elle  exista ,  sont 
toutes  ou  de  l'époque  romaine,  ou  des  temps  de  la  domination  féodale 
des  Français.  Ce  ne  sont  pas  les  seuls  souvenirs  que  notre  patrie  ait 
laissés  dans  ces  lieux;  il  en  est  de  plus  récents,  plus  glorieux  pour 
elle  et  plus  chers  aux  descendants  des  Hellènes,  qui  parlent  encore 
avec  enthousiasme  du  séjour  que  nos  troupes  firent  il  y  a  quinze  ans 
au  milieu  d'eux ,  du  dévouement  toujours  désintéressé  qu'elles  leur 
montrèrent.  Mais  c'est  surtout  dans  la  Messénie  que  ce  sentiment 

(1)  L*  Ross ,  Reisen  im  Peloponnes ,  Berlin ,  1841 . 


I 


VOYAGES   EN   GRÈCE    ET   EN   ASIE   MINEURE.  279 

d'admiration  et  de  reconnaissance  subsiste  avec  le  plus  de  force. 
Quelque  chose  de  nos  mœurs,  de  nos  habitudes,  de  notre  langage, 
j'allais  presque  dire  de  notre  physionomie ,  s'y  fait  reconnaître  en- 
core, et  l'on  y  parle  du  temps  de  l'occupation  française,  comme  des 
jours  de  bonheur  qu'on  voudrait  voir  renaître. 

Mais  je  reviens  aux  antiquités  de  Patras.  Un  sarcophage  romain 
sur  la  grande  place  de  la  ville,  qui,  soit  dit  encore  pour  ne  plus  reve- 
nir sur  le  présent ,  est  tirée  au  cordeau  d'après  le  plan  d'un  ingé- 
nieur français  ;  dans  l'intérieur  de  la  citadelle  un  tronçon  de  statue 
de  femme,  peut-être  de  Minerve,  d'un  travail  passable;  à  l'extérieur 
un  torse  d'empereur  drapé  en  Hercule  et  surmonté  d'une  tête  de  Ju- 
piter qui  n'appartient  pas  à  ce  torse;  deux  fragments  d'inscription, 
l'un  grec,  et  l'autre  romain,  une  inscription  latine  dans  la  maison 
habitée  en  dernier  lieu  par  le  consul  anglais  ;  une  assez  grande  quan- 
tité de  ruines,  d'édifices  romains,  bains,  temples,  demeures  particu- 
lières ;  quelques  fragments  de  mosaïque  de  la  même  époque,  voilà 
tout  ce  qu'une  journée  de  recherches  m'a  fait  voir ,  j'oserais  presque 
•    dire,  tout  ce  qui  existe. 

Sur  la  plinthe  du  sarcophage  où,  suivant  l'usage  le  plus  commun, 
on  voit  grossièrement  sculpté  un  eyy.apnov  soutenu  au  centre  par 
un  génie  funèbre  ailé,  et  aux  angles  par  des  têtes  de  taureau,  on  lit 
l'inscription  suivante  : 

CePBIAIOCOIAePCJCKATCCKEYACANAYTCJKAITHCYNBlCo- 
MOYBOYAOYMNIACYN....  YCH 

La  syntaxe  de  cette  inscription  est  fort  irrégulière  ;  cette  irrégula- 
rité vient-elle  de  celui  qui  s'était  fait  préparer  le  tombeau  dont  il 
s'agit,  ou  de  l'artiste  chargé  de  graver  l'épitaphe?  Je  pencherais  pour 
cette  dernière  opinion  et  serais  disposé  à  croire  que  le  manuscrit  remis 
au  graveur  portait:  KATeCKe  Y  ACAeX^' A  YTCJ.  A  cette  époque 
les  Grecs  étaient  sans  doute  tombés  bien  au-dessous  d'eux-mêmes  ; 
mais  il  n'est  pas  croyable  qu'un  affranchi  de  la  gens  Servilia  uni  à  une 
femme  qui  avait  appartenu  à  la  gens  Volumnia,  et  comme  elle  de  race 
grecque,  ait  pu  commettre  une  faute  de  langage  aussi  grave,  car  il 
est  plus  que  probable  que  l'épitaphe  a  été  rédigée  par  lui.  Vous  au- 
rez sans  doute  remarqué ,  monsieur  le  Ministre ,  dans  ma  précédente 
lettre,  que  l'inscription  d'iEgosthènes ,  commençant  par  AYPHAIOI 

ZHNLiJNKA[l]AlTOAAU)NIA  finit  par  le  verbe  enOIHCCN,  ce 
qui  est  une  construction  contraire  à  celle  du  sarcophage  de  Patras , 


280  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

mais  dont  l'irrégularité  n'est  qu'apparente  et  qu'on  pourrait  expli- 
quer  logiquement  eu   s'étayant  de  nombreux  exemples. 

Les  deux  fragments  d'inscription  se  bornent  à  très-peu  de  lettres; 
voici  le  premier  : 

IPoTAToN 

Le  deuxième,  que  je  connais  uniquement  par  une  copie  qui  m'en 
a  été  remise  et  dont  il  ne  m'a  pas  été  loisible  de  vérifier  l'exactitude, 
contenait,  dit-on,  ce  qui  suit  : 

U  L 
ITRIORISIII 
RMIPROPABIEOIN 
ITIAIIS 

Enfin,  l'inscription  latine  se  compose  de  six  lignes  dont  les  trois 
dernières  seulement  sont  assez  distinctes  pour  présenter  un  sens  vrai- 
ment satisfaisant.  On  y  lit  : 

CORNONO 

CNFMODSA 

POIOSCERERI 

DIANAM 
SPCONSECRA 
VIT 

Peut-être  ce  monument  doit-il  être  lu  ainsi  :  Corn  (elius)  Ono- 
(marchus),  Cn  (aei)  f  (ilius)  Mod  (esti)  Sapo[n]  os,  Cereri  Diarmm 
s  (ua)/)  (ecunia)  consecravit.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  cette 
inscription  prouve  un  fait  sur  lequel  j'aurai  occasion  de  revenir ,  c'est 
à  savoir  que,  dans  l'antiquité  païenne,  toutes  les  statues  consacrées 
dans  les  temples  n'offraient  pas  d'absolue  nécessité  l'image  de  la  di- 
vinité qui  était  dans  ces  lieux  l'objet  d'un  culte  spécial  ;  qu'ainsi  une 
statue  de  Diane  pouvait  être  consacrée  à  Cérès ,  et  que,  par  consé- 
quent, la  découverte  de  telle  ou  telle  image  dans  les  ruines  d'un  tem- 
ple ne  prouve  pas  péremptoirement  que  ce  temple  avait  été  élevé  en 
l'honneur  du  dieu  ou  de  la  déesse  qu  elle  représente. 

A  Kato-Achaïa,  oii  nous  sommes  venus  coucher  le  soir,  et  oii, 
pour  notre  malheur,  les  habitants  célébraient  la  fête  de  saint  Geor- 
ges ,  ce  qui  nous  a  tenus  éveillés  toute  la  nuit  au  bruit  de  leur  musi- 
que tout  à  la  fois  aigre  et  monotone,  les  murs  de  l'église  nous  ont 


VOYAGES   EN   GRECE   ET    EN    ASIE   MINEURE.  281 

offert  un  fort  joli  petit  fronton  en  pierre  blanche,  d'une  bonne  époque, 
et  l'inscription  latine  suivante  : 

M'LOLLIVS 

EPINICVS 

AED    VOVIT 

fî'VIR 
DEC    DEC 
STATAE    MATRLII 
DE  SVA  PECVNLIAI 
POSVIT 
SACRVM 

II  résulte  de  ce  monument  que  M.  Lollius  Epinicus  avait  fait  vœu, 
étant  duumvir,  d'élever  un  temple  à  une  déesse  désignée  sous  le  nom 
de  Stata Mater;  ce  vœu,  au  sortir  de  ses  fonctions,  il  l'accomplit  de 
ses  propres  deniers,  après  avoir  obtenu  le  consentement  de  l'autorité 
municipale. 

On  retrouve  encore  à  Kato-Achaïa  une  inscription  grecque  en  deux 
fragments,  qui  a  été  publiée  successivement  parDodwell,  par  Pou- 
queville  et  par  M.  Bœckh,  n""  1 544  du  Corpus  inscr,  gr,  La  voici  : 

n0AI2OAPAIEn  [N]  EYOPANOPA 
APETA2ENEKENKA  [I]  KAA0KArA0IA2A2EX 

Uohç  (papai£co[v]  Eù(ppavopa  [toO  ^eïvoc  vlbv]  âperâç  evsxsv 
%ai  ■aaloKayccBiaç  dç  s^  [cr3V  âiarelst  y,,  t.  A.] 

Je  ne  reproduis  ki  cette  inscription,  monsieur  le  Ministre,  que 
parce  qu'elle  se  rattache  à  une  question  assez  difficile.  Le  village  de 
Kato-Achaïa  occupe-t-il  l'ancien  emplacement  dePharœ,  comme 
paraît  le  supposer  Pouqueville ,  si  j'ai  bonne  mémoire  ;  ou  celui  d'O- 
lénus,  comme  le  pensent  M.  Bœckh  et  M.  Boblaye  (1);  ou  bien  en- 
core celui  deDymé,  comme  on  pourrait  le  conclure  de  l'inscription 
latine  que  j'ai  rapportée  plus  haut  et  oii  la  Stata  Mater,  à  laquelle 
M.  Lollius  Epinicus  consacre  un  monument  à  ses  propres  frais,  ne 
peut  être  autre  que  Cybèle,  que  la  Bsà  Ma,  la  ^ivâvy.'nw)  y-nz-rip  qui 
avait  un  temple  à  Dymé.  Pausanias  le  dit  expressément  (VIII,  1 7, 5)  : 
^Vfjmoiç  âe  zari  ptèv  AQnvàç  vabç  zal  ayaA^a....  sort  as  y.cx\  ccklo 
tepov  (j(^i(7i  Atv(Jupiyivy)  [irirpi  y.oCi  Atty]  rczizoïfiiiivov , 

(1)  Recherches  géographiques  sur  les  ruines  de  la  Morée ,  p.  20. 


282  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Pour  ma  part,  les  raisons  géographiques  alléguées  par  M.  Boblaye 
me  semblent  l'emporter  sur  les  preuves  qu'on  pourrait  déduire  de  nos 
deux  inscriptions.  En  effet,  que  dit  la  grecque  •-  que  la  ville  des  Pha- 
réensa  décerné  une  distinction  à  Euphranor,  fils  de...  pour  la  vertu  et 
les  bons  sentiments  dont  il  ne  cesse  de  faire  preuve^  etc.  Mais  n'est-il 
pas  possible  que  cet  Euphranor,  citoyen  d'Olénus,  ait  rendu  des  ser- 
vices aux  habitants  d'une  ville  voisine,  et  que  ceux-ci  soient  venus 
lui  apporter  un  témoignage  de  gratitude  dont  sa  patrie  se  sera  fait  un 
ornement? 

Les  recueils  épigraphiques  et  l'histoire  fournissent  un  grand  nom- 
bre d'exemples  de  cet  usage.  Quanta  l'inscription  latine,  il  a  très- 
bien  pu  se  faire  que  M.  Lollius  Epinicus  ait  transporté  et  propagé  à 
Olénus  un  culte  qui  était  en  vigueur  dans  une  ville  voisine  et  qui 
avait  fait  de  si  grands  progrès  dans  tout  l'empire;  d'ailleurs  le  sanc- 
tuaire élevé  par  ce  personnage  devait  être  de  petite  dimension,  à  en 
juger  par  la  pierre  qui  porte  l'inscription,  tandis  que  celui  deDymé, 
pour  mériter  la  mention  qu'en  fait  Pausanias,  devait  avoir  des  pro- 
portions beaucoup  plus  grandes. 

Et  lors  même  qu'il  serait  constant  que  les  deux  inscriptions  fi'ap- 
partiennent  pas  à  Olénus,  qu'elles  proviennent,  l'une  de  Pharae,  et 
l'autre  de  Dymé,  on  n'en  pourrait  encore  tirer  aucun  argument  contre 
l'attribution  donnée  au  village  de  Kato-Achaïa  ;  car  on  aurait  alors  à 
objecter  que  toutes  deux  sont  de  petite  dimension;  que  la  grecque  se 
compose  de  deux  fragments  ayant  le  premier  0,  25  sur  0,  10  et  le 
second  0,  26  dans  sa  plus  grande  largeur,  et  0,  16  dans  sa  plus  petite 
sur  0,  10;  que  la  latine  n'a  guère  plus  de  0,  66  sur  0,  27,  et  que 
par  conséquent  toutes  deux  auraient  pu  être  transportées,  l'une  de 
l'emplacement  de  Dymé,  et  l'autre  de  l'emplacement  de  Pharae  lors 
de  la  construction  du  village  de  Kato-Achaïa  et  de  son  église.  Cela 
serait  d'autant  plus  admissible  que  tout  ce  qui  porte  la  trace  du  ciseau 
est  appelé  par  les  paysans  ypay^ixocra  et  considéré  par  eux  comme 
un  ornement,  quand  ils  n'en  ont  pas  besoin  pour  faire  de  la  chaux. 
Quelque  plausible  que  soit  cette  dernière  explication,  je  regarde  la 
première  comme  de  beaucoup  préférable  et  même  comme  la  seule 
vraie. 

Ce  qu'il  y  a  de  très-positif,  c'est  qu'on  trouve  à  Kato-Achaïa  les 
traces  incontestables  d'un  établissement  ancien  qui  devait  avoir  des 
édifices  d'une  certaine  élégance,  à  en  juger  par  plusieurs  fragments  de 
sculpture  conservés  dans  les  murs  des  chaumières  actuelles,  et  que 


VOYAGES  EN  GRECE   ET  EN  ASIE   MINEURE.  283 

cet  établissement  existait  encore  à  l'époque  romaine,  qui,  elle  aussi, 
a  laissé  des  traces. 

De  ce  point,  pour  nous  rendre  à  Elis,  nous  pouvions  ou  suivre  la 
route  ordinaire  le  long  delà  côte,  ou  remonter  directement  au  sud  et 
traverser  la  vallée  de  Santa-Méri ,  nom  dans  lequel  il  faut  probable- 
ment reconnaître  l'altération  de  celui  de  Saint-Omer,  autre  trace  du 
séjour  des  seigneurs  français  dans  la  Morée;  visiter  en  passant  l'anti- 
que monastère  de  Maritza ,  puis  redescendre  dans  les  plaines  riantes 
qu'arrosent  le  Ladon  et  le  Pénée.  C'est  à  ce  dernier  parti  que  nous 
nous  sommes  arrêtés.  Comme  cette  route  n'a  été  suivie  ni  par  Gell, 
ni  par  le  colonel  Leake,  je  crois  devoir  la  retracer  ici  avec  quelques 
détails. 

En  remontant  vers  le  sud  pour  aller  rejoindre  la  vallée  du  Pirus, 
on  passe  sur  le  plateau  de  Kato-Achaïa  près  d'un  petit  lac;  puis  on 
descend  dans  une  plaine  fertile  et  bien  cultivée.  A  l'horizon  s'élèvent 
les  cimes  orgueilleuses  de  l'Olénus,  aujourd'hui  Santa-Méri.  On  re- 
monte en  suivant  un  sentier  le  long  du  penchant  d'une  colline  om- 
bragée par  des  chênes  vallons,  jusqu'à  ce  qu'on  arrive,  après  une 
heure  de  marche,  au  village  moderne  d'Apano-Achaïa,  où  quelques 
géographes  modernes  placent,  sans  aucune  raison  valable,  la  ville  de 
Dymé.  Là  se  trouvent  les  ruines  d'un  château  féodal  encore  garni  de 
deux  tours  qui ,  par  une  singularité  que  justifie  peut-être  la  nécessité 
de  surveiller  deux  vallons  différents,  sont  placées  non  pas  sur  une 
même  fîiçade,  mais  aux  extrémités  de  la  diagonale  qui  se  trouve  dans 
la  direction  de  ces  deux  vallons. 

On  continue  ensuite  à  remonter  la  vallée,  laissant  à  droite  et  à  gau- 
che deux  moulins  abandonnés,  puis  on  rencontre  à  40  minutes 
les  ruines  d'un  village  antique  au  confluent  de  deux  ruisseaux.  A  30 
minutes  de  là ,  une  source  fraîche  et  limpide,  sous  un  vaste  platane, 
invite  le  voyageur  à  se  reposer  quelques  instants.  De  ce  point  on  com- 
mence à  monter,  et  l'ascension  se  continue  pendant  une  heure  à  tra- 
vers des  rochers  jusqu'au  couvent  de  Maritza,  véritable  oasis  au  mi- 
lieu de  ces  montagnes  incultes. 

Dans  l'église  de  ce  monastère  dont  le  pavé  se  compose  de  plusieurs 
fragments  de  mosaïque  de  l'époque  romaine,  nous  attendait  une  scène 
qui  devait  tout  à  la  fois  nous  éclairer  sur  l'antique  destination  de  ce 
lieu,  et  nous  prouver  la  persistance  des  préjugés  populaires.  La  porte 
de  l'église  était  fermée  ;  nous  aperçûmes  en  l'ouvrant  une  paysanne 
debout,  tenant  un  jeune  enfant  dans  ses  bras.  Devant  l'autel,  en  de- 
hors de  l'enceinte  sacrée  où  le  prêtre  seul  pénètre,  étaient  étendu^ 


284  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

quelques  tapis  et  un  coussin,  seul  genre  de  lit  connu  des  Grecs  de  la 
campagne.  Que  faisait  là  cette  femme?  Elle  était  venue,  suivant  un 
usage  de  toute  ancienneté,  passer  la  nuit  dans  le  temple,  afin  que  la 
Panagia  lui  apparût  en  songe  pour  lui  révéler  le  remède  qui  devait  le 
plus  sûrement  rendre  la  santé  à  son  fils.  Nous  étions  donc,  à  n'en  pas 
douter,  dans  un  antique  sanctuaire  d'Apollon  ou  d'Esculape,  dont 
Pausanias  ne  parle  point,  parce  qu'il  n'a  pas  visité  ces  montagnes, 
mais  dont  l'existence  est  prouvée  et  par  les  restes  de  mosaïque  dont 
j'ai  parlé  plus  haut,  et  plus  sûrement  encore  par  l'affluence  des  mala- 
des qui  viennent  chercher  leur  guérison  dans  ce  lieu. 

En  voyant  cet  enfant  d'une  physionomie  intéressante,  M.  Prokesch 
s'était  approché  de  lui  et  lui  avait  fait  quelques  caresses.  Nous  étions 
depuis  quelque  temps  assis  dans  la  fraîche  et  verte  prairie  située  der- 
rière le  monastère,  quand'  nous  vîmes  arriver  nos  domestiques  grecs 
tout  effarés.  Eux  aussi  ils  avaient  visité  l'église  ;  ils  y  avaient  trouvé 
la  pauvre  femme  tout  en  pleurs.  Le  regard  de  M.  Prokesch  s'était 
fixé  le  premier  sur  son  enfant;  ce  devait  être  pour  lui  un  regard  fu- 
neste (le  mauvais  œil,  Baczavia);  et  le  seul  moyen  de  détourner 
le  danger,  c'était  qu'il  vînt  immédiatement  lui  cracher  trois  fois  au 
visage.  Je  me  croyais  au  temps  des  bergers  de  Théocrite  1  Dois-je 
ajouter,  monsieur  le  Ministre,  que  la  paysanne  fut  satisfaite  et  que  le 
remède  prescrit,  accompagné  de  quelques  pièces  d'argent,  tranquillisa 
pleinement  sa  tendresse  maternelle. 

Après  une  heure  ou  deux  de  repos,  nous  redescendîmes  dans  la 
vallée  que  domine  le  village  de  Santa-Méri,  bâti  sur  la  pente  orien- 
tale de  la  montagne  de  ce  nom.  Est-ce  une  illusion?  Mais  il  me 
sembla  que  la  disposition  des  chênes  et  des  poiriers  sauvages  rappe- 
lait nos  vergers  de  l'Artois  et  de  la  Flandre,  comme  pour  justifier  le 
nom  donné,  il  y  a  quelques  siècles,  au  lieu  d'où  le  seigneur  féodal 
veillait  sur  les  terres  de  son  domaine. 

Nous  avions  marché  depuis  trois  heures  en  plaine,  quand  nous 
recommençâmes  à  monter.  Nous  découvrîmes  bientôt  Zante,  le  cône 
de  Klémoutzi,  les  montagnes  de  Phigalie  et  toute  la  partie  occiden- 
tale du  mont  Olénus.  De  ce  point  on  descend  jusqu'à  une  petite 
église ,  on  traverse  ensuite  la  rivière  de  Vervina  et,  une  heure  après 
avoir  quitté  la  vallée  de  Saint-Omer,  on  atteint  le  village  d'Agrapido- 
Rhori.  C'est  là  que  nous  allâmes  chercher  un  gîte. 

Le  lendemain,  à  cinq  minutes  de  ce  village,  nous  visitâmes,  au 
confluent  du  Pénée  et  du  Ladon,  une  colline  où  nous  trouvâmes  l'em- 
placement d'une  antique  construction  (peut-être  d'Amessus),  empla- 


VOYAGES   EN   GRÈCE   ET    EN   ASIE    MINEURE.  285 

cément  indiqué  sur  la  carte  par  le  mot  ruines  bien  que,  à  vrai  dire, 
il  n'existe  pas  de  ruines  en  cet  endroit.  Dix  minutes  plus  tard  nous 
passions  le  Ladon.  Les  villages  de  Roupakia,  deSouli,  de  Bali,  bâ- 
tis sur  des  collines  que  suit  la  route ,  furent  successivement  visités 
par  nous.  Puis  le  chemin ,  tournant  à  droite  au  pied  des  coteaux, 
nous  conduisit  à  l'église  d'Iman-Tchaoutchi,  à  une  fontaine  ombragée 
par  un  chêne,  non  loin  de  Rolokyntha,  et  enfin  à  une  église  byzan- 
tine située  près  d'un  ruisseau  qu'on  traverse  sur  un  pont.  Cette  église 
d'une  construction  pittoresque,  a,  on  n'en  saurait  douter  d'après  plus 
d'un  indice,  remplacé  un  temple  antique  ;  et  comme  elle  est  à  dou- 
ble nef  et  dédiée  à  saint  Démétrius  et  à  saint  Georges ,  je  ne  crois  pas 
être  loin  de  la  vérité  en  supposant  qu'elle  a  remplacé  un  sanctuaire 
de  Cérès  et  de  Proserpine  qui  devaient  être  l'objet  d'un  culte  particu- 
lier dans  ces  contrées  fertiles ,  de  Cérès  dont  le  nom  grec ,  Av3^v7T73p , 
a  servi  à  former  celui  de  Démétrius,  de  Proserpine,  déesse  qui  habite 
les  entrailles  de  la  terre  [yri  d'où  Georgios).  Le  plan  de  cet  édifice 
a  été  relevé  et  j'en  ai  fait  prendre  deux  vues. 

Une  heure  plus  tard  nous  étions  à  PalœopoHs,  après  avoir  ren- 
contré, chemin  faisant,  deux  ruines  romaines  assez  importantes.  Le 
village  de  Palaeopolis  s'élève,  dit-on,  sur  l'emplacement  d'Elis.  Ainsi 
de  cette  ville  sainte ,  de  ses  pompeux  monuments,  des  chefs-d'œuvre 
de  l'art  qui  l'enrichissaient,  il  ne  reste  plus  que  quelques  ruines  en 
briques,  rappelant  la  domination  romaine,  un  pauvre  village  sur  le- 
quel veille  un  jeune  prêtre  épileptique  exténué  par  la  maladie,  ten- 
dant humblement  la  main  aux  voyageurs  en  leur  disant  à  voix  basse: 
elliai  aaQsvhç  yiou  mo^jâq  {je  suis  malade  et  pauvre  ) ,  et  une  seule 
inscription,  un  seul  mot,  AN€nAYCATO  {elle  repose  pour  tou- 
jours, elle  est  morte). 

D'Elis  nous  nous  sommes  dirigés  sur  Gastouni ,  où  après  une  route 
de  trois  heures  et  demie,  nous  sommes  parvenus  en  suivant  le  cours 
du  Pénée.  Gastouni,  qui  doit  sans  doute  ce  nom  à  quelque  seigneur, 
compagnon  de  Villehardouin,  est  une  ville  devenue  presque  déserte 
depuis  le  départ  des  Turcs,  et  qui  n'offre  d'autre  intérêt  à  l'antiquaire 
que  le  fleuve  qui  l'arrose  et  les  marais  qui  l'avoisinent.  C'est  là,  en 
eftet,  que  la  fable  place  les  écuries  d'Augias,  et  je  ne  puis  rappeler, 
sans  un  sourire,  que  le  voyageur  anglais  Dodwell  a  vu  des  traces 
certaines  de  l'un  des  travaux  d'Hercule  dans  un  vaste  fossé  qu'on 
rencontre  en  sortant  de  la  ville. 

Je  ne  vous  décrirai  point,  monsieur  le  Ministre,  mon  voyage  jus- 
qu'à Pyrgos.  Tout  ce  pays ,  sans  grand  intérêt  pour  moi,  a  du  en  of- 


286  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

frir  beaucoup  à  M.  Buchon,  car  il  est  plein  des  souvenirs  du  moyen 
âge.  J'ai  hâte  d'arriver  à  Olympie ,  lieu  sacré  pour  un  amant  de  l'an- 
tiquité. Mais  que  vous  dire  de  ce  lieu?  qu'il  n'y  a  encore  de  certain , 
dans  toutes  les  topographies  qu'on  en  pourrait  donner,  que  l'empla- 
cement du  temple  de  Jupiter  olympien  et  que  la  restauration  qu'en 
ont  faite  messieurs  les  architectes  de  la  commission  de  Morée  ;  que 
tout  le  reste,  l'emplacement  assigné  à  l'hippodrome,  aux  trésors  et  à 
tant  d'autres  monuments  décrits  par  Pausanias,  doivent  être  regardés 
comme  autant  de  rêves  ou  de  conjectures  sans  fondements  solides, 
jusqu'au  jour  où  des  fouilles  qui,  pour  être  productives,  devront  être 
entreprises  sur  une  très-grande  échelle,  viendront  mettre  un  terme  a 
toutes  les  incertitudes.  C'était  un  des  vœux  de  Winckelmann  :  si  ja- 
mais un  gouvernement  ami  des  arts  et  des  sciences  historiques,  ten- 
tait de  le  réaliser,  il  faudrait  commencer  par  compléter  les  fouilles  du 
temple  de  Jupiter  qui  sont  loin  d'avoir  donné  tout  ce  qu'on  en  pour- 
rait attendre.  On  devrait  ensuite  rechercher,  et  l'on  retrouverait  sans 
trop  de  difficultés,  le  Pelopeion  et  YHerœon  qui,  à  en  juger  par  les 
indications  de  Pausanias,  étaient  au  nord  du  temple  de  Jupiter.  Tout 
cela,  je  le  répète,  demanderait  beaucoup  d'argent  et  beaucoup  de 
temps  ;  mais  les  résultats  offriraient  un  ample  et  précieux  dédom- 
magement. 

En  quittant  Olympie,  nous  remontâmes  les  bords  enchanteurs  de 
l'Alphée  et  passâmes  à  gué,  non  sans  quelques  périls,  l'Erymanthe  et 
leLadon.  Sur  la  rive  droite  du  premier  de  ces  deux  affluents  du  Pénée, 
on  voit  un  tumulus  d'une  élévation  considérable  dans  lequel  M.  Ross 
veut  reconnaître  le  tombeau  de  Korœbus,  dont  la  victoire  aux  jeux 
olympiques  commence  l'ère  des  olympiades.  Avant  déformer,  avec  le 
savant  professeur,  le  souhait  de  voir  ce  tumulus  creusé  et  de  conce- 
voir avec  lui  l'espérance  d'y  trouver  un  nombre  considérable  de  vases 
peints  et  d'objets  en  bronze  qui  fourniraient  un  riche  objet  de  com- 
paraison avec  les  trésors  découverts  dans  les  nécropoles  étrusques ,  je 
voudrais,  ce  qui  n'est  pas,  et  je  le  regrette,  partager  ses  convictions 
sur  l'authenticité  de  ce  tombeau.  En  effet,  que  dit  Pausanias?  que  les 
limites  du  territoire  d'Heraea  du  côté  de  l'Élide  étaient,  à  en  croire  les 
prétentions  des  Arcadiens,  le  cours  de  l'Erymanthe,  tandis  que,  sui- 
vant les  Éléens,  le  tombeau  de-Korœbus  déterminait  les  frontières  de 
i'Élide  de  ce  côté,  ce  que  rappelait  l'inscription  qu'on  lisait  sur  le  mo- 
nument. Or  si  le  tombeau  s'était  trouvé  sur  la  rive  droite  de  l'Ery- 
manthe, comment  y  aurait-il  eu  débat  entre  les  habitants  des  deux 
pays  voisins  ?  Évidemment  la  limite  eût  été  la  même  et  la  dispute 


VOYAGES  EN   GRECE  ET  EN  ASIE   MINEURE.  287 

n'eût  plus  été  qu'une  dispute  de  mots,  ce  qu'on  ne  peut  admettre.  Le 
monument  de  Korœbus  devait  donc  être  plus  loin,  probablement  sur 
les  bords  du  Ladon,  autre  limite  naturelle  qui  ajoutait  une  portion  de 
territoire  assez  considérable  au  pays  des  Éléens,  et  qui  resserrait 
d'autant  celui  des  Héréens.  Il  était  trop  tard  quand  nous  avons  fran- 
chi le  Ladon,  pour  examiner  si  le  terrain  offrait  quelque  élévation 
qu'on  pût  prendre  pour  une  sépulture  antique.  D'ailleurs  rien  dans 
Pausanias  n'indique  de  quelle  nature  était  le  monument  du  célèbre 
Olympionice,  et  le  texte  du  voyageur  grec  porterait  plutôt  à  croire 
que  c'était  un  éditice  et  non  un  tumulus  :  /-ai  sortv  sTrtypafxpa  èm 
rçf)  (i-UYj^ocTi.,.,  y.acL  on  rriç  HXetaç  èm  tm  Trepart  6  T(X(foç  «ùrw 
TïeTïoimrai, 

Le  soir  même  nous  couchâmes  à  Hagios-Johannis ,  non  loin  de 
l'emplacement  de  l'antique  Herœa,  Les  ruines  qui  subsistent  encore 
de  cette  ville  sont  assez  étendues,  mais  fournissent  peu  de  données 
certaines.  Le  court  espace  de  temps  que  j'ai  passé  dans  ce  lieu  ne 
m'a  permis  de  dessiner  qu'une  esquisse  rapide  de  cette  position  qui 
était  encore  occupée  à  l'époque  romaine,  comme  le  prouvent  les  res- 
tes qu'on  trouve  sur  la  pente  qui  conduit  à  l'Alphée. 

Le  lendemain,  nous  franchissions  ce  fleuve  sur  lequel  il  existait 
vers  ce  point,  du  temps  de  Polybe ,  un  pont  dont  on  ne  voit  plus  aucune 
trace.  Redescendant  ensuite  la  rive  gauche  de  l'Alphée  jusqu'au  point 
où  le  Diagon  se  jette  dans  ce  fleuve,  nous  avons  suivi  les  sinuosités 
de  ce  dernier  que  nous  avons  traversé  pour  nous  diriger  verS  le  village 
de  Platania,  au-dessus  et  au  sommet  duquel,  sur  le  sommet  d'une 
vaste  montagne  qui  s'étend  de  l'est  à  l'ouest,  sont  les  ruines  connues 
aujourd'hui  des  habitants  sous  le  nom  d'Hellénico.  Ces  ruines  sont 
celles  d'une  ancienne  ville  dont  l'acropole  entoure,  sur  une  longueur 
considérable  et  sur  une  largeur  relativement  beaucoup  moindre,  la 
crête  étroite  de  la  montagne,  tandis  que  les  murs  de  la  ville  propre- 
ment dite  descendent  en  l'entourant  le  long  du  flanc  méridional  de  la 
montagne.  Dans  l'acropole  qui  est  divisée  en  plusieurs  parties  par 
des  murs  en  assises  plus  ou  moins  régulières,  on  voit  les  fandations 
et  même  des  restes  importants  d'édifices  quadrangulaires  construits 
comme  les  murs  d'enceinte,  en  assises  tantôt  régulières  et  tantôt  ir- 
régulières, dans  lesquelles  un  voyageur,  qui  a  visité  ces  lieux  avant 
moi,  voit  des  maisons  particulières,  ce  qui  me  paraît  au  moins  dou- 
teux. On  y  remarque  encore  de  vastes  citernes  et  les  restes  d'un  petit 
théâtre,  restes  parmi  lesquels  j'ai  retrouvé  un  siège  en  pierre,  de  tout 


288  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

point  semblable,  quant  à  la  forme,  au  siège  votif  de  Rhamnunte.  Il  y 
aurait  là  d'importantes  recherches  à  faire.  Si,  comme  l'a  conjecturé 
M.  Boblaye  et  comme  tout  porte  à  le  croire ,  ces  ruines  sont  celles 
de  l'antique  Epion ,  il  serait  intéressant  de  lever  un  plan  et  de  pren- 
dre quelques  vues  de  cette  antique  cité  qui  doit  occuper  une  place 
importante  dans  l'histoire  militaire  des  Grecs,  comme  elle  en  a  oc- 
cupé une  tout  récemment  dans  les  troubles  civils  de  la  Grèce.  C'est 
sur  ce  nid  d'aigle  que  Colocotronis,  suivi  de  3  000  de  ses  partisans, 
vint  camper  pendant  quelque  temps,  alors  qu'il  était  en  lutte  contre 
la  régence. 

Le  désir  où  j'étais  de  ne  point  me  séparer  de  mon  compagnon  de 
voyage  ne  m'a  pas  permis  de  mettre  immédiatement  cette  idée  à 
exécution,  mais  je  me  propose  de  revenir  dans  ces  lieux,  et  les  des- 
sins que  je  rapporterai  de  cette  excursion  vous  prouveront,  monsieur 
le  Ministre,  à  quel  point  elle  était  utile. 

Le  jour  suivant,  nous  admirions  le  temple  d'Apollon  àBassae,  tem- 
ple dont ,  il  y  a  quelques  années ,  j'ai  longuement  décrit  la  frise  in- 
térieure, un  des  plus  riches  ornements  du  musée  de  Londres.  Ces 
lieux  sont  encore  tels  que  les  ont  vus  les  membres  de  la  commission 
de  Morée.  Le  jour  oii  nous  les  avons  visités  était  le  premier  mai  des 
Grecs.  Toutes  les  jeunes  filles  des  villages  voisins  s'y  étaient  réunies 
en  habits  de  fête,  et ,  sur  une  plate-forme,  non  loin  du  temple,  célé- 
braient par  des  chants  et  par  des  danses  le  retour  du  printemps. 
Un  instant  nous  nous  crûmes  transportés  à  l'époque  où  ces  admirables 
ruines  étaient  encore  dans  toute  leur  beauté  native,  et  où  les  Grâces 
réunies  aux  Nymphes  venaient  au  son  de  la  lyre  former  des  chœurs 
et  adorer  le  fils  de  Jupiter.  Une  pluie  abondante  vint  bientôt  inter- 
rompre cette  fête  champêtre  et  nous  contraindre  de  gagner  en  toute 
hâte  le  village  de  Paulitza  bâti  sur  l'emplacement  de  Phigalie. 

L'air  devenu  serein ,  nous  avons  parcouru  l'enceinte  de  la  ville  an- 
tique, également  digne  de  notre  attention  sous  plus  d'un  rapport,  car 
elle  embrasse  un  espace  d'au  moins  8  kilomètres.  Là  j'ai  trouvé  dans 
une  église  ruinée  quatre  inscriptions  au  moins  en  aussi  mauvais  état 
que  l'église.  La  seule  qu'on  puisse  lire  facilement,  et  qui  présente 
quelque  suite,  est  l'inscription  funèbre  qui  suit  : 

AnPIKAHKAINinnA  lENnN 

AAMEA  API2TE 

XAIPETE  ÎENOAn 

C'est  encore  une  épitaphe  gravée  sur  un  polyandrion  ;  seulement 


VOYAGES   EN   GRECE   ET  EN   ASIE   MINEURE.  289 

les  noms  sont  écrits  à  la  suite  l'un  de  l'autre  sur  plusieurs  lignes  au 
lieu  d'être  distribués  sur  deux  colonnes. 
La  deuxième  est  un  fragment  de  décret  : 

/  AnnA2AN 

AAIONY        lA 
ENlAYTniENniAEITAANAPINE 
API INE20nnAPATPIA 

Quant  aux  deux  autres,  comme  il  ne  m'a  été  possible  d'en  prendre 
qu'un  estampage,  moyen  très-insuffisant  quand  les  caractères  ont 
aussi  peu  de  creux  que  ceux  des  monuments  dont  il  s'agit,  voici  tout 
ce  que  j'ai  pu  en  déchiffrer  : 

m  ON.  En.  TON 

nOMA 
A2TA 
A 
TAnOAlO 

O 
TnKAlOYïïOA..  ArOPNO 

EKA2TA<t>IAATA 
(2)  A 

niPA  10 
A2oni 


OAI 
XONE 

OAEKTflNA...  PO 
OAONTOnOAl 
HTO 

m 

TARPOKA 
PO 
O 

noAi2ct)irAAEn 

TONAAMONTON 
AinPOKAEIAA..AN 


290  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

De  ce  peu  de  lettres,  on  est  en  droit  de  conclure  que  les  deux  pier- 
res en  question  contenaient  des  décrets.  Je  tenterai  donc,  si  ma  route 
me  conduit  de  nouveau  par  Phigalie,  de  m'arrôter  dans  ce  lieu  le  temps 
nécessaire  pour  parvenir  à  une  lecture  plus  complète,  ce  qui  ne  sera 
peut-être  pas  impossible  avec  beaucoup  de  patience  et  en  me  plaçant 
dans  un  jour  plus  favorable. 

De  Phigalie  nous  sommes  descendus  dans  les  plaines  fertiles  de  la 
Messénie,  et  après  un  jour  de  marche,  nous  visitions  les  lieux  qu'ont 
à  jamais  rendus  célèbres  les  noms  d'Aristodème  et  d'Aristomène. 
Parvenu  à  ce  point,  mon  savant  compagnon  de  voyage  dut  penser  au 
retour.  Nous  nous  séparâmes,  lui,  pour  rentrer  à  Athènes  par  la  voie 
la  plus  courte,  moi  pour  glaner  laborieusement  dans  un  champ  où  mes 
devanciers  ont  si  richement  moissonné,  bien  résolu  à  ne  quitter 
Messène  qu'après  l'exécution  d'un  travail  auquel  j'attachais  le  plus 
grand  prix.  Frappé  de  l'admirable  état  de  conservation  de  l'enceinte 
bâtie  par  Epaminondas ,  je  voulais  me  rendre  compte  jusque  dans  les 
plus  petits  détails  du  système  adopté  par  ce  général  pour  défendre  la 
ville  qu'il  opposait  à  Sparte  dans  le  midi  de  la  Grèce.  C'était  le  moyen 
de  connaître  avec  exactitude  le  système  de  défense  des  places  adopté 
par  les  Grecs  à  l'époque  du  plus  grand  développement  de  leur  art  mi- 
litaire. Ce  projet  je  l'ai  mis  à  exécution  sans  me  laisser  décourager 
par  les  difûcultés  ni  par  les  obstacles,  et  dans  mon  prochain  rapport, 
monsieur  le  Ministre,  j'aurai  l'honneur  de  vous  exposer  ce  qu'ont 
produit  quatre  semaines  d'un  travail  constant  et  opiniâtre. 

Je  suis  avec  respect , 

Monsieur  le  Ministre , 

Votre  dévoué  serviteur, 

Ph.  Le  Bas. 

Calamœ ,  26  juillet  1843. 


RECHERCHES 

SUR 

l'ORlGIl  DES  REPRÉSENIATIOl  FIGURÉES  DE  lA  PSÏCHOSTASIE 

ou  PÈSEMENT  DES  AMES 

ET  SUR  LES  CROYANCES  QUI  s'y  RATTACHAIENT. 

DEUXIÈME  ARTICLE. 

Si  nous  portons  nos  regards  vers  l'Orient ,  nous  verrons  que  la 
psychostasie  ne  prenait  pas  seulement  sa  source  dans  l'emploi  de 
toutes  ces  métaphores;  là  nous  trouvons,  comme  au  moyen  âge,  une 
croyance  sérieuse  à  un  pèsement.  Dans  les  religions  de  l'Egypte,  de 
l'Inde  et  de  la  Perse,  ces  ancêtres  des  religions  qui  leur  ont  succédé, 
et  dont  le  christianisme  s'est  approprié  tant  de  mythes,  en  les  pu- 
rifiant  par  un  souffle  divin ,  en  les  métamorphosant ,  en  les  animant 
par  une  pensée  nouvelle,  dans  ces  religions,  disons-nous,  apparaît 
à  une  époque  qui  a  précédé  de  longtemps  les  figures  de  langage 
oii  se  peint  le  pèsement  des  âmes,  tout  le  sujet  de  la  psychostasie. 

En  Egypte  l'existence  de  ce  dogme  nous  est  attestée  par  la  plupart 
des  rituels  funéraires ,  par  nombre  de  peintures  qu'offrent  les  hypo- 
gées et  les  cercueils  des  momies. 

Dans  ces  représentations  du  jugement  qui  a  lieu  dans  la  région 
de  Kel  (l),  on  voit  Osiris,  le  juge  de  l'Amenthi  ou  de  l'enfer  égyp- 
tien, figuré  de  grandeur  colossale,  assis  sur  un  trône;  devant  lui 
est  une  balance  au-dessus  de  laquelle  se  tient,  au  centre  du  fléau, 
Hap,  un  des  ministres  de  Thoth,  sous  la  forme  symbolique  d'un 
babouin.  Horus,  à  tête  d'épervier,  regarde  le  plateau  où  sont  déposées 
les  actions  du  défunt,  et  Anubis  à  tête  de  chacal ,  celui  oii  l'âme  est 
placée.  Devant  eux ,  Thoth  ibiocéphale  écrit  le  résultat  du  jugement 
qu'Osiris  prononce  du  haut  de  son  trône.  Cette  représentation  a  été 
observée  par  €hampollion  dans  la  nécropole  royale  de  Biban-el- 
Molouk,  au  tombeau  de  Siphtah  (2),  au  milieu  du  grand  tableau  qui 
offre  la  marche  du  soleil  dans  les  deux  hémisphères.  «  A  la  troisième 

(1)  Caillaud ,  Voyage  à  Meroé,  t.  IV,  p.  43. 

(2)  Lettre  sur  V Egypte,  13e  jeure,  p.  230. 


292  -  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

heure,  le  dieu  Soleil  arrive  dans  la  zone  céleste  où  se  décide  le  sort 
des  âmes,  relativement  aux  corps  qu'elles  doivent  habiter  dans  leurs 
nouvelles  transmigrations.  On  y  voit  le  dieu  Atraou  assis  sur  son 
tribunal ,  pesant  à  sa  balance  les  âmes  humaines  qui  se  présentent 
successivement.  L'une  d'elles  vient  d'être  condamnée;  on  la  voit  rame- 
née sur  terre  dans  une  bari  qui  s'avance  vers  la  porte  gardée  par  Anu- 
bis  ;  elle  est  conduite  à  grands  coups  de  verges  par  des  cynocéphales  , 
emblèmes  de  la  justice  céleste.  Le  coupable  est  sous  la  forme  d'une 
énorme  truie,  au-dessus  de  laquelle  on  a  gravé  en  grands  caractères  : 
Gourmandise  ou  gloutonnerie;  sans  doute  le  péché  capital  du  délin- 
quant, quelque  glouton  de  l'époque.  »  Cet  Atmou,  chef  des  dieux  de 
la  seconde  classe,  n'est  qu'une  des  nombreuses  formes  du  dieu  Phré, 
c'est  donc,  comme  Osiris,  une  image  du  soleil,  un  des  types  de  l'Apol- 
lon grec.  On  observe  le  même  sujet  du  pèsement  dans  un  bas-relief 
du  Rhamesseum,  reproduit  dans  l'excellent  ouvrage  de  M.  Ch.  Lenor- 
mant,   intitulé  :  Musée  des  Antiquités  égyptiennes  (PI.  IX,  n°  12.) 

Dans  l'un  des  manuscrits  funéraires  appartenant  à  lord  Mount- 
norris ,  et  publié  dans  les  Hieroglyphical  Collections  of  the  Egyptian 
Society  (1),  on  voit  Osiris  assis  sur  son  trône,  tenant  de  la  main 
droite  le  fouet,  et  le  crochet  de  la  gauche  ;  au-dessus  du  tableau  sont 
rangés  sur  deux  ligues ,  les  quarante-deux  juges  assesseurs  de  la 
divinité  infernale,  et  devant  le  trône  est  Teoum-em-Ement  à  la 
tête  de  crocodile ,  le  cerbère  égyptien ,  et  les  quatre  génies  de 
l'Amenthi.  Près  d'eux,  Thoth  ibiocéphale  écrit  sur  des  tablettes  les 
actions  du  défunt ,  tandis  qu'Horus  et  Anubis  tiennent  les  plateaux 
de  la  balance  derrière  laquelle  l'âme  attend  son  destin.  Rosellini  (2) 
a  donné  une  représentation  complète  de  cette  scène  funéraire.  On 
y  voit  Horus  qui  tient  le  plateau  qui  est  à  la  gauche  d'Osirîs  et  dans 
lequel  est  la  plume ,  emblème  de  Tmei ,  la  justice  ;  Anubis  supporte 
le  plateau  de  droite  sur  lequel  est  placé  le  cœur  du  défunt,  et  porte  la 
main  au  fil  à  plomb  qui  indique  l'équilibre  des  bassins.  L'ombre  du 
défunt,  sïàMloVy  est  figurée  derrière,  implorant  la  déesse  de  la  jus- 
tice, représentée  par  une  femme  de  couleur  verte  et  reconnaissable 
à  la  plume  qu'elle  a  sur  la  tête  et  au  thau  ou  signe  de  la  vie  qu'elle 
porte  à  la  main.  Celle-ci  a  l'air  de  l'interroger. 

Ce  sujet  se  présente  au  reste  dans  presque  tous  les  grands  rituels 
funéraires  et  notamment  dans  celui  qui  est  intitulé  :  Livre  des  Mani- 

(1)  Cf.  Samuel  Sharpe,  The  early  hislory  of  Egypt ,  p.  32.  London,  1838, 
in-4°. 

(2)  Monumenti  delVEgitto  e  délia  JYubia.  Atlas ,  t.  II.  PL  CXXXV. 


RECHERCHES   SUR   LA    PSYCHOSTASIE. 


293 


festations  de  la  Lumière  (l).  Il  offre  seulement  parfois  de  légères 
variantes;  souvent  apparaît  une  double  image  de  Tmei,  emblème  de 
la  justice  et  de  la  vérité.  Ce  sont  les  deux  divines  vérités  du  champ 
de  Oen-ro,  qu'on  invoque  dans  les  manuscrits  funéraires.  Et  un 
petit  personnage,  peut-être  le  mort  lui-même,  place  dans  un  des  pla- 
teaux ,  son  cœur,  tandis  qu  Horus  et  Anubis  s'ap  prêtent  à  le  peser. 


Ce  dogme  de  la  psychostasie ,  clairement  exprimé  en  Egypte ,  se 
retrouve  avec  des  circonstances  moins  précises,  mais  cependant  bien 
reconnaissables  ,  dans  la  religion  mazdéenne.  Mithra  et  Raschné-Rast 
pèsent  les  actions  des  hommes  sur  le  pont  Tchinevad  qui  sépare  la 
terre  du  ciel  (2). 

On  retrouve  aussi  le  pèsement  des  âmes  dans  le  bouddhisme.  Sur 
une  représentation  bouddhique  rapportée  par  le  père  Georgi ,  dan  s 
son  Alphabetam  tlbetanum  (3),  et  qui  ne  doit  pas  remonter  beau- 
coup au  delà  du  X^  siècle ,  à  ce  que  soupçonne  M.  Eugène  Bur- 
nouf ,  on  a  figuré  un  cercle  qui  renferme  les  douze  Nidânas  ou 
causes  de  la  vie  ;  au  centre  est  placée  la  division  cosmologique  adop- 
tée par  le  bouddhisme.  Dans  la  partie  supérieure  sont  les  demeures 
des  dieux ,  au-dessous  se  trouvent  la  terre  et  les  autres  mondes ,  au- 
dessous  desquels  est  l'enfer.  Dans  la  partie  supérieure  de  l'enfer,  ou 
Patala,  est  designé  en  thibétain  par  le  nom  de  Cen-re-si,  et  assis  sur 
un  trône,  Yama  que  les  Indiens  nomment  Dherma-Radja(4),  le  roi  de 

(1)  cf.  LenormaiJt,  Mitsée  des  Antiquités  égyptiennes,  PI.  XI,  n^  3.  PI.  XII, 
n»?.  Descript.  de  V Egypte,  anliq.  Figur.,  tom.  II,  PI.  67.  Caillaud,  Voyagea 
Meroé,  tom.  IV,  p.  33. 

(2)  Zend-Avesta,  tr.  Anquetil  Duperron ,  t.  I,  part.  2,  p.  131 ,  note. 

(3)  Alphàbetum  tibetanum  studio  Aug.  Ant.  Georgii  edit.  Romœ,  17Gi? , 
in-4°.  PI.  II,  p.  487. 

(4)  Cf.  Ed.  Moor,  The  hindu  panthéon,  p.  302. 

I.  20 


k 


•294  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

la  justice,  et  qui  règne  sur  le  Patala.  De  la  droite  il  tient  une 
sorte  d'épée,  de  la  gauche  un  miroir  dans  lequel  se  reflètent  les  biens 
çt  les  maux  faits  par  ceux  qui  doivent  être  jugés  (l).  A  la  gauche  de 


Cen-re-si ,  ou  Yama,  est  un  personnage  qui  pèse  les  corps  de  ceux 
qui  vont  être  précipités  dans  les  enfers.  Aux  pieds  du  juge  souverain 
sont  deux  esprits,  celui  du  bien,  Lhaam,  et  celui  du  mal,  Dré.  Ils 
secouent  des  sacs  pleins  de  cailloux,  qui  représentent  les  bonnes  et 
les  mauvaises  actions.  Les  cailloux  de  l'un  sont  blancs  et  les  autres 
sont  noirs.  Au-dessous  sont  représentés  les  supplices  de  l'enfer. 

Voilà  la  preuve  que  la  psychostasie  existait  dans  les  religions  de 
l'Orient;  on  comprend  alors  comment  les  Grecs  l'adoptèrent,  eux 
dont  la  religion  n'était  qu'un  syncrétisme  du  culte  grossier  des  Pé- 
lasges  et  des  mythes  asiatiques.  Ils  la  reçurent  sans  doute  des  Égyp- 
tiens, auxquels  Hérodote  nous  dit  qu'ils  avaient  emprunté  leurs  dieux. 
C'est  en  effet  sur  les  bords  du  Nil  que  ce  dogme  paraît  avoir  été 
le  plus  répandu ,  le  plus  populaire.  Ce  sont  les  poëtes ,  les  théolo- 
giens du  paganisme  qui  ont  apporté  le  pèsement  des  âmes  chez  les 
Grecs ,  dans  les  écrits  desquels  nous  voyons  figurer  de  bonne  heure  la 

(1)  Voyez  dans  la  Chronique  de  Tàbari,  part.  I,  ch.  v,  tr.  Dubeux,  p.  31,  un 
passage  qui  paraît  se  rapporter  à  ce  miroir  du  jugement  dernier. 


RECHERCHES   8UR   LA   PSYCHOSTASIE.  296 

^■QyprjraaioL  (l).  Homère  nous  montre  Jupiter  pesant  les  destinées  des 
Grecs  et  desTroyens.  Au  moment  où  ces  deux  peuples  vont  en  venir  aux 
mains ,  le  roi  de  l'Olympe  prend  ses  balances  d'or,  il  y  place  les  deux 
keres  qui  amènent  le  long  sommeil  et  la  mort,  celle  des  Grecs  et  des 
Troyens;  il  saisit  cette  balance  par  le  milieu;  le  malheur  des  Grecs  se 
déclare,  leur  destinée  descend  jusqu'à  terre,  et  celle  des  Troyenp 
s'élève  jusqu'aux  nues. 

Kac  ToVe  ^  %p<içii{(^  7f«(TW/9  hifmn  Ta^flfVTec' 

À.i  fxèv  'A^xtûv  n-Pipsç  èTTÎ  x^°"'''  TrouAuSorsip/? 
'EÇia-ô/jv'  T/5WWV  ^5,  tt/sôs  oo/saypv  eù/îWv  âtpBsvt 

Iliad.  IX.  V,  69-74. 

Lorsqu'Achille  et  Hector  vont  combattre,  le  poëte  fait  usage  de  la 
même  figure,  Jupiter  pèse  également  les  destinées  des  deux  héros.  Le 
basgin  dans  lequel  est  celle  d'Hector  touche  aux  enfers,  et  celui 
d'Achille  monte  jusqu'aux  cieux. 

K.al  ràrs  Sv}  y^pha&ioL  tza.tr^p  ST^Tatve  râ^avra* 

Tïjv  {xk-i  'Aj^iUïjoî ,  Tïjv  è"  "EnTopoQ  innQ$çiM'9i9' 
"EAxe  5g  /AÉffffa  ).aêojv'  péîre  5'  "ExTopoç  ataifiov  rift-ccp 

"ûxsTo  5'  2tç  à««o-  if/ad.  XXII.  V.  210-214. 

C'est  encore  l'idée  du  pèsement  des  religions  orientales ,  mais  le  poëte 
a  ajouté  des  circonstances  nouvelles  à  ce  mythe  emprunté  ;  ce  ne  sont 
plus  précisément  le§  âmes  que  Jupiter  pèse,  mais  les  divinités  qui 
président  à  la  destinée  de  chacun  de  ses  héros.  Cet  échange  n'a  rien  que 
de  naturel  et  que  de  très-conforme  aux  habitudes  de  la  Fable,  et  il 
ne  nous  empêche  pas  de  reconnaître  l'origine  de  ces  images  homé- 
riques. Disons  d'ailleurs  que  les  keres  se  prenaient  pour  les  âmes 
elles-mêmes  ;  le§  mots  de  kere  et  d'âme  étaient  pris  comme  syno- 
nymes (2).  Ces  balances  d'or  sont  celles  que  l'antiquité  donnait  à  la 
justice ,  à  Dicé,  celte  noble  fille  de  Jupiter.  Tel  est  le  langage  des 
poëtes  :  lisons  plutôt  cette  épigramme  grecque,  nous  allons  y  re- 
trouver en  même  temps  une  allusion  au  passage  d'Homère  : 

Ila/sô/vos  l^iita.répzix  At'xvj,  TipisQsipx  ttoX^wv 

Ou  TGV   Iv   SUffsêcjJ    X/5U<5"ÔV    klZOŒTpéfSTOCt 

(1)  Gf.  Juin  Pollucis  Onomasticon,  éd.  Lederling  et  Hemsterhuis.  Amsteledt 
1706,  lib.  IV,  c.  19,  tom.  I,  p.  428.  Philosl.  Heroic,  éd.  Boissonade,  619.  Schow 
aiBesych.  96.  H.  Eslienne,  Th€s.  ling.grœc.,ed.  Loudinl,1825,  p.  10S98,vofux>7. 

(2)  Suidas ,  v°  x>5/5  :  nvjp  §s  yj  >|^ux^. 


296  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

'A>.>à  xai  aura  rà^avra  Aidç  Ttâ.y/_p\)7X  TS/éffôv/, 
OTeri  Ta^avTSUsi  Tcâvra  vd/tov  jStÔTOu 
Kaî  TOre  5)7  x/^ûneia  TiccTrip  èriTaive  râXavra 
El  /A5^  '0//./3/5êiwv  l|sAâ0ou  ^ocpiroiv. 

fMacédon.,  éptflr*  38,  ap.  ^we/i.  grecq.,  éd.  Jacobs,  t.  IV,  p.  91. 

Des  Grecs,  la  psychostasie  a  passé  chez  les  Romains,  et  Virgile, 
lorsqu'il  faisait  peser  par  Jupiter  les  destinées  d'Ènée  et  de  Turnus, 
lorsqu'il  écrivait  : 

Jupiter  ipse  duas  œquato  examine  lances 
Sustinet,  et  fata  imponil  diversa  duorum, 
Quem  damnet  labor,  et  quo  vergat  pondère  lethum. 

Mn.  XII,  726. 

substituant  les  fata  aux  keres,  il  ne  faisait  qu'imiter  Homère. 

On  voit  aussi  que  c'est  à  cette  école,  beaucoup  plus  que  dans  les 
légendes ,  que  Milton  a  puisé  l'allégorie  que  nous  avons  rapportée 
plus  haut. 

L'art  grec  s'est  éloigné  moins  que  les  poètes  de  la  tradition  égyp- 
tienne ;  les  représentations  rappellent  davantage  les  détails  de  la  psy- 
chostasie des  bords  du  Nil.  Ce  ne  sont  plus  les  destinées  que  pèse 
Jupiter,  ce  sont  les  âmes  mêmes  que  pèse  Mercure ,  Hermès ,  le  Thoth 
des  Grecs.  C'était  Thoth  ibiocéphale  en  effet,  qui,  dans  le  jugement 
de  r Amenthi ,  inscrivait,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  la  sentence  solen- 
nelle. 

Le  miroir  mystique  connu  sous  le  nom  de  Patère  de  Jenkins  et 
qu'ont  publié  Winckelmann  (l)  et  Millin  (2),  représente  Mercure 
assis,  pesant  dans  une  balance ,  en  présence  d'Apollon  qui  remplace 
Osiris,  dieu  solaire,  avec  lequel  il  a  effectivement  le  plus  grand  rap- 
port d'attributs,  les  âmes  d'Achille  et  de  Memnon.  Peut-être  aussi 
l'artiste  avait-il  substitué  Apollon  à  Jupiter,  parce  que  la  balance 
était  un  des  symboles  du  dieu  Soleil ,  comme  nous  le  montre  une 
cornaline  du  musée  de  Cortone ,  représentant  un  corbeau ,  oiseau 
consacré  à  Phœbus,  entouré  des  attributs  de  cette  divinité  et  tenant 
une  balance  dans  le  bec.  {Ap.  Muséum  Cortonens.,  PL  XXVH , 
Romœ,  1750).  Le  combat  des  deux  guerriers  cités  tout  à  l'heure, 
le  pèsement  de  leurs  destinées  était  un  fait  célèbre  dans  l'anti- 
quité ;   il  avait  fourni   à  Eschyle  (3)  le  sujet  d'une  de  ses  tragé- 

(1)  Monum.  ant.  «rie(i.II,34.  Passeri.Picr.  eïrwsc,  t.  III.pl.CCLXII-CCLXIII. 

(2)  Millin,  Peint,  de  vases  anliq.,  publ.  par  Dubois-Maisonneuve,  t.  I. 
PL  LXXII,  no  1. 

(3)  Plularch.  De  audit,  poet.  58,  éd.  Francof. ,  t.  II,  p.  17.  Eschyl.,éd.  Pauw, 
t.  II,  p.  646. 


RECHERCHES   SUR   LA   PSYCHOSTASIE.  297 

dies    perdues,    et    qui    était  intitulée  :  Wv)(^o(jtoc(jlûc,  Quintus  de 
Smyrne  a  reproduit  le  môme  mythe  dans  son  poëme  ;  mais  s'écartant 


comme  Homère,  de  la  tradition  égyptienne,  et  introduisant  davantag 
l'allégorie,  il  a  substitué  à  Mercure  la  Discorde,  entre  les  mains  de 
laquelle  il  place  la  balance  (l).  Le  même  sujet  se  retrouve  sur  un 
vase  peint  qu'a  également  publié  Millin  (2)  :  Mercure  est  assis  devant 
la  balance  qui  est  suspendue  à  un  arbre  ;  il  y  a  une  figure  ailée  dans 
chaque  plateau,  tandis  que,  dans  la  patère  de  Jenkins,  les  âmes  n'ont 
pas  d'ailes. 

Celte  association  des  idées  de  balance  et  de  Mercure  s'est  conservée 
encore  après  la  chute  du  paganisme,  et  a  passé  dans  l'astrologie.  Dans 
les  miroirs  astrologiques  des  Orientaux,  la  Vierge  qui  porte  la  balance 
est  accompagnée  de  la  figure  de  Mercure  (3). 

La  balance  fut  toujours,  dans  l'antiquité,  le  symbole  de  la  rigoureuse 

(1)  Lib.  II,  V.  539. 

(2)  Peint,  antiq.,  1. 1.  PI.  XIX. 

(3)  Reinaud,  Monum.  du  cabinet  du  duc  de  Blacas ,  t.  II,  p.  413. 


298  REVUB   ARCHÉOLOGIQUE. 

équité  du  destin  qui  nous  assujettit  tous  ûu  nivean  commun  du  tré- 
pas }  et  de  même  qu'elle  figurait  entre  les  mains  de  la  déesse  A^quiias^ 


^^H^^HSily^^^^^^^^l 


au  revers  de  plusieurs  monnaies  impériales  (t),  elle  servait  aussi 
d'attribut  aux  Parques,  les  déesses  de  la  destinée,  ainsi  .qu'on  peut 
l'observer  sur  un  bas-relief  du  Musée  Capitolin  (2).  Dans  ce  bas- 
relief,  on  voit  les  trois  Fata  ;  celle  du  milieu  porte  une  balance  de 
la  main  droite,  et  une  corne  d'abondance  de  la  gauche.  Ajsa  droite 
est  la  Parque  qui  tourne  le  fuseau;  à  sa  gauche,  celle  qui  tient  le 
rouleau  sur  lequel  est  écrit  l'arrêt  de  l'Etpapfxevyj ,  du  fatum.  Ces  ba- 
lances sont  les  crcfodepà  raAavra  t:^^  rv^nç* 

dit  Agathias ,  en  tête  de  son  Anthologie  (3). 

Nous  devons  maintenant  être  frappés  de  l'analogie  qut  existe  entre 
\m  représentations  que  nous  venons  d'étudier  et  celles  que  nous 
avons  examinées  dès  notre  début.  Ces  points  de  contact  seraient-ils 
de  simples  effets  du  hasard,  oii  y  a-t-il  un  lien  de  parenté  qui  lie  des 
croyances  si  analogues  subsistant  à  des  époques  cependant  si  éloi- 

(i)  Cf.  Rasche,  Lexicon  rei  numariœ,  l.  I,  p*  138  et  suiv. 

(2)  Hirt,  Bilderbuch  fur  Mythologie,  Archxologiè  und  Kunst  {herhn,  1805), 
FI.  XXVII. 

(3)  Agath.  proœm.  ap,  F.  Jacobs  Animadv.  in  Epigram.  AiHholog.  grœc. 
Vol.  I,  part.  I,  p.  LVIII.  Cf.  C.  F.  N&Qgehhàch ,  die  Jiomêrhôhe  Théologie , 
p.  121.  (Nûrnb.  1840.) 


RECHERCHES  SUR   LA.   PSYCHOSTASIE.  299 

gnées  l'une  de  l'autre?  Si,  envisagée  en  elle-même,  la  première  hy* 
pothèse  répugne  à  l'esprit >  elle  devient  complètement  inadmissible, 
dès  qu'on  étudie  les  religions  qui,  nées  du  paganisme,  des  mythologie» 
orientales,  en  conservent  encore  des  traits  nombreux  et  primitifs. 
Eh  bien,  dans  ces  religions,  chez  les  Druses,  les  Nazoréens ,  les  Mu- 
sulmans, nous  retrouvons  précisément  cette  même  psychostasie, 
comme  chez  les  chrétiens  !  Au  jugement  dernier,  disent  les  Druses , 
les  balances  seront  posées  pour  l'examen,  les  actions  seront  jugées  (1). 
Les  nazoréens  ou  Mandaï-Jahia  sont  encore  plus  explicites.  Voici  ce 
qu'on  lit  dans  le  Divan,  un  de  leurs  livres  religieux  :  Les  deux  anges 
Beedat  et  Gourât  pèsent  dans  une  balance  les  actions  de  chaque 
âme  (2).  Enfin,  le  Coran  nous  tient  clairement  le  même  langage: 

<(  Lorsque  la  trompette  sonnera ,  les  liens  de  parenté  n'existeront 
plus  pour  les  hommes.  On  ne  se  demandera  plus  d'assistance;  ceux 
dont  la  balance  penchera  jouiront  de  la  félicité  ;  ceux  pour  qui  la 
balance  sera  légère ,  seront  les  hommes  qui  se  sont  perdus  eux-mê- 
mes, et  ils  demeureront  éternellement  dans  la  géhenne  (3);  »  et  on  lit 
ailleurs  dans  le  même  livre (4)  :  «Celui  donc  les  œuvres  seront  de 
poids  dans  la  balance,  aura  pour  demeure  le  fossé.  »  Ce  fossé  est  le  feu 
éternel. 

Droits  comme  le  pont  Sirath,  justes  comme  la  balance  dans  laquelle 
seront  pesées  les  œuvres  des  mortels  ,  dit  Scherf-Eddin  Elboussiri  ^ 
dans  le  Borda  (5). 

Les  musulmans  s'imaginent  que  cette  balance,  dans  laquelle  Dieu 
pèsera  les  actions  des  hommes ,  sera  tenue  par  l'ange  Gabriel  ;  elle 
sera  d'une  si  prodigieuse  grandeur  que  les  bassins ,  dont  l'un  sera  sus- 
pendu sur  le  paradis  et  l'autre  sur  l'enfer,  pourraient  contenir  la 
terre  et  les  cieux. 

Toutes  ces  analogies  ne  peuvent  être  une  œuvre  fortuite,  toutes  ces 
croyances  sont  évidemment  écloses  dans  le  même  berceau.  Le  chris- 
tianisme, aussi  bien  que  l'islamisme,  le  nazoréenisme,  la  religion  de 
Hakem ,  a  emprunté  ce  pèsement  aux  doctrines  religieuses  qui  l'ont 
précédé.  Ne  voyons-nous  pas,  dès  le  premier  siècle,  la  balance 
apparaître  comme  symbole  du  jugement  dans  l'Apocalypse ,  c  est-ô- 
dire  dans  celui  de  tous  les  écrits  canoniques  de  la  nouvelle  loi ,  qui 

(1)  Silv.  de  Sacy,  Expos,  de  la  religion  des  Druses ,  t.  II ,  p.  628. 

(2)  L.  E.  ËurckhafJt ,  Les  iVa2rorcens,  thèse,  p.  40  (Strasib.  1840  ,  in-4°), 

(3)  Koran ,  ch.  XXIII ,  V.  103.  Ir.  Kasimirski ,  p.  313. 
(4j  Ibid.,  ch.  GII,  5,  6,  p.  671. 

(5)  Cf.  trad.  de  ce  poëme  par  M.  Silvestre  de  Sacy,  p.  140,  à  la  suite  dé  TEx- 
position  de  la  foi  musulmane ,  trad.  par  M.  Garcin  de  TaSsy. 


300  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

porte  l'empreinte  la  moins  méconnaissable  des  idées,  des  mythes  de 
rOrient?  ne  voyons-nous  pas  un  personnage ,  un  ange  monté  sur  un 
cheval  noir  et  portant  une  balance  se  montrer  à  l'ouverture  des 
sceaux?  (1) 

Un  détail  de  la  psychostasie,  sur  lequel  nous  avons  déjà  attiré 
l'attention  ,  prouve  non-seulement  la  transmission  des  croyances 
païennes  chez  les  premiers  chrétiens,  mais  encore  la  fidélité  avec  la- 
quelle l'art  nouveau  conservait  souvent  les  traditions  antiques ,  lors 
même  que  ces  traditions  n'étaient  plus  en  complet  accord  avec  les  idées 
catholiques.  Nous  avons  observé  la  présence  d'une  âme  dans  chacun 
des  plateaux  de  la  balance ,  cependant  nous  avons  vu  que  dans  les 
légendes,  dans  les  passages  des  auteurs  chrétiens  qui  parlaient  du 
pèsement,  il  n'était  pas  question  de  la  pesée  comparative  de  deux 
âmes,  mais  simplement  de  la  pesée  de  son  âme  ou  de  ses  actions.  De 
plus ,  dans  les  idées  chrétiennes  qui  expriment  si  nettement  la  tra- 
duction matérielle  et  littérale  des  expressions  de  libra,  lanx^  tnilina, 
rien  n'annonce  qu'une  âme  dût  entrer  dans  chacun  des  bassins.  Il 
n'est  trait  que  de  l'âme  placée  dans  un  des  plateaux,  et  des  mauvaises 
actions  dans  l'autre,  ou  des  bonnes  placées  dans  le  premier  bassin,  et 
des  mauvaises  dans  le  second.  Ce  ne  peut  donc  être  qu'à  la  psychostasie 
grecque,  à  celle  d'Homère,  oii  nous  voyons  Jupiter  ou  Mercure,  com- 
parant les  âmes,  les  keres  de  deux  héros,  que  l'idée  de  placer  une  âme 
dans  chaque  plateau  peut  avoir  été  empruntée.  C'est  un  souvenir  tout 
antique  qui  corrobore  puissamment  notre  opinion  de  l'origine  païenne 
des  représentations  qui  nous  occupent. 

L'emploi  de  l'archange  Michel  à  titre  de  grand  peseur  dans  la  scène 
de  la  psychostasie  nous  semble  avoir  une  origine  orientale,  comme 
la  psychostasie  elle-mêftie.  Nous  avons  déjà  fait  observer  que  saint 
Michel  remplissait  à  peu  près  les  mêmes  fonctions  dans  la  psychosta- 
sie chrétienne,  que  Thoth  et  Hermès  dans  la  psychostasie  antique. 
Mithra  et  Raschné-Rast  qui  pèsent,  d'après  la  doctrine  macdéenne, 
ainsi  que  nous  avons  vu,  les  actions  des  hommes  sont  des  Izeds 
et  répondent  comme  tels ,  parfaitement  à  nos  archanges.  D'ailleurs, 
chef  de  la  milice  céleste,  défenseur,  protecteur  spécial  des  fidèles, 
esprit  victorieux  des  légions  rebelles,  Michel  devait  à  tous  ces  titres 
être  choisi  comme  l'ange  chargé  de  faire  respecter  l'équité  des  lois 
divines,  de  faire  régner  dans  cette  pesée  terrible  la  plus  sévère  justice. 
Aussi  Nicéphore  le  nomme-t-il  6  rriq  Xpto-rtavwv  ttio-tswç  ï(5^opoç  (2), 

(1)  Apoc.yu,  6. 

(2)  Hist.  eccles.  VII ,  50. 


RECHERCHES   SUR   LA   PSYCHOSTASIE.  301 

et  Sophroniiis,  dans  son  discours  sur  l'excellence  des  anges,  lui  donne 
les  épithètes  de  sanctus  archUrapa,  animorum  propugnator,  corporum 
coiiservalor,  universœqae  nalurœ  illastralor{\).  Dans  le  style  du  moyen 
âge,  c'est  le  grand  prévôt  du  Paradis.  Mais  ce  n'était  pas  tant  comme 
commandant  des  armées  célestes,  qu'à  raison  de  l'analogie  de  son  rôle 
dans  la  hiérarchie  céleste  avec  celui  de  Thoth ,  d'Hermès  dans  la 
hiérarchie  divine,  antique,  qu'il  a  été,  nous  le  répétons,  chargé  des 
fonctions  îibratrices  dans  le  jugement  futur.  Dans  la  psychostasie 
égyptienne,  Thoth  écrit  la  sentence  prononcée  par  Osiris  ;  et  ces  fonc- 
tions de  scribe  ont  été  conservées  au  personnage  de  Mercure  dans 
l'astrologie  orientale.  Sur  les  tableaux  relatifs  à  cette  science  men- 
songère, on  voit  cette  planète  représentée  sous  la  figure  d'un  écrivain, 
tenant  un  roseau  à  la  main,  ayant  un  encrier  à  la  ceinture  (2);  Mer- 
cure, disent  les  astrologues  arabes,  est  chargé  d'écrire  les  événements 
de  la  terre  et  du  ciel  ;  il  met  par  écrit  les  ordres  du  Tout-Puissant. 
Non-seulement  Thoth  pesait  les  actions  des  morts ,  inscrivait  la 
sentence  solennelle,  il  conduisait  encore  l'âme  aux  pieds  du  trône  d'At- 
mou,  il  la  préparait  à  l'effrayante  épreuve  du  jugement  (3).  Cedieu  ibio- 
céphale  est  devenu  Hermès  chez  les  Grecs,  et  il  a  conservé  chez  ce  peuple 
ses  fonctions  de  Psychopompe.  Sur  les  vases  antiques  nous  voyons  ce 
messager  des  dieux,  couronné  de  myrte,  le  pétase  rejeté  sur  le  dos, 
tenant  le  caducée,  assis  sur  un  ocladias  ou  le  pied  appuyé  sur  un  bas- 
sin. Il  est  ordinairement  imberbe  comme  nos  anges.  Il  veille  sur 
l'âme,  l'ombre  du  défunt,  représentée  par  une  petite  figure  nue, 
sldcùlov,  qui,  le  front  ceint  d'une  bandelette,  attend  son  sort.  Cette 
figure  nous  reporte  à  l'image  de  l'âme  qu'on  observe  sur  les  sarco- 
phages ou  les  rituels  funéraires  égyptiens,  comme  le  bâton  recourbé, 
le  sceptre  de  Minos  ou  de  Rhadamanthe  nous  reporte  au  crochet  tenu 
par  Osiris.  Tel  est  le  Mercure,  l'Hermès  Wv^otioixtioç,  Wvy^xycùyog, 
Hyep.ovtoç,  AynzMpy  Évôdioç,  Wvyo)v  raydocç,  sorte  de  type  de  notre 
saint  Michel.  Non-seulement  Mercure  protège  les  âmes,  les  mène  au 
tribunal  des  trois  juges  de  Tenfer  (4),  veille  sur  elles  pendant  le  juge- 
ment, les  dirigeet  les  conduit  durant  leur  course  dans  le  monde  éthéré, 
c'est  encore  lui  qui  les  porte ,  qui  les  soutient ,  ignorantes  qu'elles  sont 
de  la  route  qu'il  faut  tenir,  sitôt  qu'elles  se  sont  échappées  de  leur 

(1)  Bihl.  P.  P.Max.  Lugd.,  t.  XII,  p.  210. 

(2)  Reinaud,  Monum.  du  cabinet  Blacas ,  tom.  II,  p.  381. 

(3)  Cf.  Champollion,  Panth.   egypt. ,  art.    Thoth  psychopompe.  Notice  des 
Monum.  égypt.  du  Musée  Charles  X.  A.  309. 

(4)  Cf.  deux  peintures  du  tombeau  des  Nasons  ap.  Bellori,  Pictur.  sepulcr. 
IVason.  Tab.  v  et  viii. 


302  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

terrestre  enveloppe ,  impuissantes  qu'elles  se  sentent  à  se  soutenir 
dans  l'espace  et  à  voler  dans  les  sphères  aériennes.  Et  c'est  là  surtout 
la  fonction  qui  a  valu  à  ce  dieu  les  noms  précédents.  Voyez-le  sur  les 
monuments,  dans  l'attitude  d'un  homme  qui  marche,  tenant  de  la 
main  gauche  son  caducée  et  de  la  droite,  l'âme  humaine  sous  les  traits 
de  Psyché  aux  ailes  de  papillon  et  vêtue  d'une  robe  longue.  Psjché, 
la  personnification  de  l'âme,  supportée  par  le  dessous  des  ailes,  pré- 
sente en  avant  ses  deux  mains,  à  la  manière  de  ces  figures  égyptiennes 
qui  prient  ou  implorent  quelque  divinité»  Ainsi  cette  attitude  pour- 
rait fort  bien  être  empruntée,  aussi  bien  que  le  mythe  d'Hermès  Psy- 
chopompe, à  l'art  égyptien.  C'est  ainsi  que  le  dieu  se  voit  sur  un 
sarcophage  dans  le  corlile  du  palais  des  Studi  à  Naples  (l)* 

Mercure  ramène  aussi  à  la  vie  l'âme  qui  s'en  est  échappée,  il  la 
réintroduit  dans  le  corps  : 

dit  Eschyle  dans  ses  Perses. 

C'est  à  Cyllène  qu'on  fendait  surtout  un  culte  à  Mercure  Psycho- 
pompe ,  à  ce  dieu  qui  de  sa  baguette  d  or  chasse  aux  enfers  les  âmes 
légères,  qui  les  évoque  à  son  gré. 

Tu  pias  lœlis  animas  reponis 
Sedibus,  virgaque  levem  coeH'ces 
Aurea  turbam^ 

dît  Horace  (lib.  I,  od.  X).  Écoutons  encore  Homère,  c'est  lui  qui 
donne  au  dieu  l'épithète  de  Cyllénien. 

'Epfiyii  os  <pu;{àç  KuW.vjvtoî  IÇcxaAstTO 
'AvSpôJv  fivYjsr-npoiv'  e^s  Ss  pdèoov  fJLtTK  j^SjOulv 
JLot.lY}v,  -/^pxjjeiriv. 

Odyss.si,  1-3. 

Les  inscriptions  funéraires  désignent  également  Hermès  de  Cyllène 
comme  celui  qui  conduit  l'âme  dans  le  séjour  de  l'Elysée  (2). 

Cette  baguette  du  dieu  xp^^^Pp<^^^i  (3)  rappelle  la  baguette  que  les 

(1)  Admir.  67.  Mus.  cûpitol.  IV,  25.  Winckelmann,  Mon.  ined.,  n°  39.  A.Hîrt, 
Bilderbuch  fur  Mythologie,  taf.  VIII,  n»  8  Cf.  sur  une  représentation  analogue 
comte  de  Clarac ,  Mus.  de  Sculpt.  anliq.  et  moderne  ^  bas-relief  n°  31,  p.  201 , 
PL  CCXVI. 

(2)  Comte  de  Clarac,  Insc.  greeq.  du  Louvre,  n"  481.  A.  ap.  Mus.  de  sculpt. 
anc.  et  mod.,  t.  II ,  P.  2 ,  p.  886. 

(3)  Cf.  sur  cette  épithète  Schol.  Hom.  ad  Iliad.  G.  v.  266.  Phurnutii  liber  de 
natur.  Deor.  16. 


RECHERCHES  SUR  LA  PSYCH08TASIE.  ^03 

artistes  placent  dans  la  main  des  anges.  C'est  la  verge  de  messager, 
c'est  celle  avec  laquelle  l'ange  qui  apparut  à  Gédéon,  sous  le  chêne 
d'Ephra,  toucha  la  pierre  sur  laquelle  descendit  le  feu  du  ciel  qui  con- 
suma les  chairs  du  chevreau  et  les  pains  azymes  (l). 

Ce  culte  de  Mercure,  conducteur  des  ombres,  remonte,  on  le  voit, 
aux  premiers  âges  de  la  mythologie  grecque,  et  si  Diogène  Laerte 
nous  dit  (2)  que  ce  fut  Pythagore  qui  apporta  d'Egypte  en  Grèce,  le 
mythe  d'Hermès  Psychopompe,  il  faut  croire  que  lephilosophe  deSamos 
ne  l'introduisit  pas  le  premier;  mais  cette  assertion  du  biographe  n'en 
est  pas  moins  précieuse,  puisqu'elle  confirme  formellement  l'origine 
égyptienne  que  nous  révélait  l'examen  interne  du  mythe  lui-même. 

Les  fonctions  de  Psychopompe  sont  formellement  attribuées  par  les 
chrétiens  à  l'archange  Michel,  quoique  les  autres  anges,  et  surtout 
Gabriel,  les  partagent  souvent  avec  lui  (3). 

C'est  à  saint  Michel  qu'on  consacre ,  au  moyen  âge,  les  chapelles  des 
cimetières  ;  c'est  son  image  que  l'on  place  à  l'entrée  des  champs  de 
repos ,  de  même  que  dans  l'antiquité  on  peignait  à  la  porte  des  tom- 
beaux, la  figure  du  génie  de  la  mort  ou  celle  de  Mercure  Propyleus  (4). 

C'est  sous  son  invocation  que  se  mettaient  les  confréries  qui  enseve- 
lissaient les  morts.  Dans  les  révélations  de  Saint  Barthélémy  (5),  c'est 
cet  archange  qui,  sur  l'ordre  du  saint  Père  éternel,  lui  amène  les  âmes 
d'Adam  et  d'Eve  auxquelles  Dieu  annonce  que  la  rédemption  est 
proche.  Dans  l'histoire  arabe  de  saint  Joseph,  c'est  lui  et  saint  Gabriel 
qui  reçoivent  l'âme  de  l'époux  de  Marie  dans  un  brillant  linceul  (6), 
et  dans  la  légende  dorée,  d'après  Grégoire  de  Tours,  c'est  lui  qui  pré- 
sente à  Dieu  l'âme  de  la  Vierge  :  «  Et  ecce  dominus,  dit  ce  dernier  (7), 
«Jésus  advenit  cum  angelis  suis,  et  suscîpiens  animam  ejus,  tradidit 
«  Michaeli  archangelo  et  recessit.  »  Chez  les  Grecs  modernes,  saint  Mi- 
chel est  encore  le  conducteur  des  âmes  (8) ,  c'est  lui  qui  précipite  dans 
les  abîmes  les  broucolacas,  dont  les  spectres  hideux  assiègent  et  tour- 
mentent les  pécheurs.  Ces  spectres,  personnification  des  affres  de  la 

(1)  Judic,  Vï,2i. 

(2)  Lib.  Vin,  p.  263,  éd,  Hubner. 

(3)  Je  me  propose  de  publier  incessamment  un  Mémoire  sur  les  divinités 
psychopompes  qui  fera  suite  à  ce  travail.  J'y  donnerai  sur  ce  sujet  de  plus  amples 
détails. 

(4)  Pausan. ,  I,  228.  Annal,  de  l'InstiL  archéol. ,  X,  249. 

(6)  Dulaurier,  Fragment  des  révélât,  apocryph.  de  saint  Barthélémy ,  p.  t) 
(Paris,  1836). 

(6)  Thilo,  Cod,  apocryph.  JVovi  Testant.,  1. 1,  p.  43. 

(7)  Ve  Gloria  Martyr. ,  lib.  ï  ,  c.  4 ,  p.  724 ,  éd.  Ruinart. 

(8)  Pouqueville,  Voyage  en  Grèce,  t.  V,  p.  160. 


304  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

mort,  sont  ceux  dont  la  vierge  Marie,  dans  la  légende  copte  citée  plus 
haut,  demandait  à  Dieu  d'écarter  la  présence.  11  n'est  pas  jusqu'aux 
poésies  populaires  dans  lesquelles  nous  ne  retrouvions  des  traces  des 
mêmes  idées.  Dans  la  chanson  de  Roland,  saint  Michel  et  saint  Gabriel 
viennent  recevoir  l'âme  du  paladin  : 

Seint  Gabriel  de  sa  main  l'ad  prins 

Desur  sun  bras  teneit  le  chef  enclin 

Juntes  ses  mains  en  alet  à  sa  fin. 

Deus  tramist  sun  angle  chérubin 

Et  seint  Michel  del  péril 

Ensemble  od  els  seint  Gabriel  i  vint  : 

L'anme  del  cunte  portem  en  pareis 

Morz  en  Rollans  :  Deus  en  ad  l'anme  es  cels. 

(Chanson  de  Roland,  éd.  F.  Michel,  p.  93.  St.  173.) 

Voilà,  certes,  des  analogies  bien  grandes  entre  Mercure  et  saint  Mi- 
chel ,  et ,  pour  parler  des  monuments ,  nous  dirons  qu'à  la  tour  de 
Glastonbury  où  est  représenté  l'archange,  tout  rappelle  en  lui  le  dieu 
de  Cyllène.  Un  bas-relief  antique  du  musée  de  Vérone  offre  réci- 
proquement un  Mercure  qui  a  toute  l'apparence  d'un  saint  Michel  (l). 
Enfin,  pour  dernière  preuve  de  l'introduction  de  l'Hermès  Psycho- 
pompe dans  les  légendes  chrétiennes,  sous  le  nom  de  saint  Michel,  nous 
remarquerons  que  M.  Raoul-Rochette  a  reconnu  dans  une  des  pein- 
tures du  cimetière  de  Saint-Calixte,  à  Rome,  le  sujet  païen  de  l'âme 
introduite  par  Mercure  dans  l'asile  du  repos  éternel  (2). 

Une  fonction  qui  rapprochait  encore  Mercure  des  anges,  c'est  qu'il 
était  le  conducteur  des  songes,  ov£tpo7:sp.7ry)ç, 

Dat  somnos  adimitque  et  lumina  morte  résignât. 

Mneid.,  IV,  242. 

On  sait  que  dans  les  idées  chrétiennes ,  les  anges  donnent  parfois  en 
songe  des  avertissements ,  de  la  part  du  Seigneur. 

Ajoutera-t-on  que  Mercure  apparaît  aussi  dans  la  mythologie 
grecque  comme  l'adversaire  de  Prométhée,  antique  personnification 
du  mal  et  de  la  science ,  sorte  de  démon  du  mythe  hellénique.  C'est 
Mercure  qui,  par  l'ordre  de  Jupiter,  attache  avec  des  clous  de  fer 
Prométhée  au  sommet  du  Caucase,  et  qui  place  sur  son  sein  l'aigle 
qui  doit  lui  ronger  le  foie  (3).  Voilà  un  dernier  point  de  commun 
entre  Michel  auquel  le  Tout-Puissant  ordonne  d'aller  combattre  les 

(1)  Muséum  Feronens.  PI.  CCXI,  n»  2.  (Veronae,  1749,  in-fol.) 

(2)  Cf.  Mémoire  sur\les  Anliq.  chrétiennes  ap.  Mém.  de  l'Acad.  des  Insc.  et 
Belles-Lettres,  tom.  XIll,  ip,  ii6. 

(3)  Hygini  fabulœ,  c.  144. 


RECHERCHES   SUR   LA   PSYCHOSTASIE.  305 

légions  rebelles  de  Satan  et  de  les  enchaîner  dans  les  enfers,  et  Hermès 
qui  enchaîne  le  rival  orgueilleux  des  divinités  de  l'Olympe.  En  faisant 
ce  rapprochement,  nous  ne  prétendons  pas  prouver  que  le  personnage 
de  saint  Michel  ne  soit  autre  que  l'Hermès  Psychopompe  grec,  nous 
voulons  seulement  faire  comprendre  comment  une  quasi-identité  dans 
les  attributs  avait  porté  naturellement  les  chrétiens ,  en  adoptant  le 
dogme  païen  de  la  psychostasie,  à  remplacer  par  leur  archange  le  dieu 
psychagogue  des  Grecs  et  des  Égyptiens.  Tout  le  monde  sait  d'ailleurs 
que  l'attribution  des  fonctions  psychopompiques  à  saint  Michel  remonte 
plus  haut  que  le  christianisme  et  qu'elle  a  sa  source  dans  les  idées 
juives  d'oii  la  religion  nouvelle  l'a  empruntée.  Les  rabbins  admettaient 
que  saint  Michel  présente  à  Dieu  les  âmes  des  justes  (l).  Et  les  juifs 
disent  encore  dans  la  prière  pour  les  morts,  appelée  Tsiddouk  haddin, 
c'est-à-dire,  justification  du  jugement  :  L'archange  Michel  ouvrira 
les  portes  du  sanctuaire,  il  offrira  ton  âme  en  sacrifice  devant  Dieu. 
L'ange  libérateur  sera  de  compagnie  avec  toi  jusqu'aux  portes  de 
l'empire  oii  est  Israël  (2). 

Tel  était,  au  moyen  âge,  le  système  de  croyances  qui  se  rattachait  à 
ces  curieuses  représentations  du  pèsement  de  l'âme.  Au  XVP,  au 
XVH^  siècle,  celles-ci  disparurent  peu  à  peu.  D'ailleurs  les  eut-il 
reproduites,  l'artiste  n'eût  plus  excité  par  leur  vue,  les  mêmes  impres- 
sions qu'elles  avaient  jadis  provoquées.  H  y  a  plus,  c'est  que  les  an- 
ciennes représentations  de  la  psychostasie  n'étaient  plus  comprises,  et 
l'oubli  des  anciennes  croyances  leur  faisait  attribuer  des  sens  nouveaux 
et  arbitraires.  Nous  n'en  citerons  qu'une  preuve  qui  nous  fournira 
l'occasion  de  signaler  une  singulière  association  d'idées  en  apparence 
bien  disparates.  Nous  avons  trouvé,  en  Allemagne,  une  vieille  gravure 
sur  bois  que  nous  avons  rapidement  crayonnée,  et  qui  représentait  un 
pèsement  de  l'âme.  On  y  voit  St.  Michel  tenant  la  balance.  L'archange 
est  couvert  d'une  armure  qui  rappelle  celle  qui  lui  est  donnée  sur  le 
tombeau  de  Henri  VH  (3).  Au-dessous  de  la  balance  sont  les  initiales 
MG  AN.  Nous  ne  voyons  guère  d'autre  moyen  d'expliquer  ces  deux 
monogrammes ,  qu'en  admettant  qu'ils  signifient  mancipatio  animœ, 
la  mancipation  de  l'âme.  En  effet,  en  Jetant  les  yeux  sur  la  gravure, 
on  reconnaît  que  Dieu  a  été  considéré  par  l'artiste,  comme  l'acheteur 
de  l'âme  ;  celle-ci,  agenouillée  et  les  mains  jointes,  attendavec  anxiété, 
aux  pieds  de  son  ange  gardien ,  le  résultat  du  pèsement.  L'artiste 

(1)  Cf.  Targum.  in  Canlic,  lY,  12,  et  Eesbilh  Chochmach,  c.  3. 

(2)  Mardoch.  Venture,  Prières  journal,  des  Juifs,  p.  643. 

(3)  Carier,  ouvr.  cit.,  PI.  LVIII. 


306  revue;  archéologique. 

semble  avoir  eu  devant  les  yeux  les  paroles  duKoran,  chap.  Taoïihat, 
ou  de  la  Pénitence  :  Dieu  a  acheté  des  fidèles,  leurs  vies  et  leurs  biens, 
leur  donnant  en  échange  le  Paradis  (l),  ou  encore  celle-ci  que  pro- 
nonçaient les  juifs  à  la  maison  de  ceux  qui  étaient  dans  le  deuil  (2); 
Dieu  rachètera  mon  âme  de  l'enfer  quand  il  me  l'aura  reprise.  Sans 
doute  que  cette  gravure  fut  commandée  par  quelque  amateur  de  droit 
romain  du  XVl^  ou  du  XVIP  siècle,  quelque  disciple  d'Irnerius, 
d'Açcurse,  de  Barthole  ou  d'Alciat,  qui  voulait  retrouver  jusque  danij 
le  Paradis  la  jurisprudence  romaine. 

Voici  le  Paradis  devenu  chose mancipi.  Saint  Michel  est  le  libripens 
qui  doit  assister  à  cette  antique  forme  d'acquisition  de  la  propriété. 
Le  Christ  est  là,  il  fait  de  la  droite  ce  signe  qui  avait  valu  à  ce  mode 
d'acquisition  le  nom  de  mancipium.  Voici  bien  les  cinq  témoins  qui 
devaient  être  pubères  (3)  ;  ici  ils  ne  sont  pas  citoyens  romains,  mais 
citoyens  de  l'autre  univers.  C'est  la  Vierge  qui  n'est  plus  une  femme 
incapable,  en  tutelle,  mais  la  mère  d'un  dieu,  deux  saints  et  deux 


^7  ly--* 


démons  témoins  d'assez  mauvaise  mine,  que  la  vue  de  saint  Michel,  qui 
brandit  sur  eux  son  épée,  frappe  de  terreur.  L'archange  a  bien,  comme 
chef  de  la  milice  céleste,  le  caractère  sacerdotal  ou  magistral  qui  était 
exigé  pour  le  libripens.  Le  Christ,  de  la  main  gauche,  touche  avec  un 
bâton  fort  court  un  des  plateaux  de  la  balance,  C'est  l'image  du  lin- 
got d'airain  avec  lequel  celui  qui  recevait  in  mancipio  frappait  le  bassin 
et  qu'il  donnait  au  mancipant  comme  prix  fictif  de  la  vente  (4).  Il 


(1)  Cf.  d'Herbelot,  Biblioth.  orient,,  art.  Paradis. 

(2)  M.  Venture,  Prières  des  Juifs,  p.  552. 

(3)  Cf.  Galus,  InstiL,  lib.  I,  par.  119.  UIp. ,  Fragm. 
Cicer.,  éd.  Orelli,  tome  I,  p.  322. 

(4)  Yarr. ,  De  Ling.  Min.,  V,  par.  163. 


XIX,   9.  Scholiast. 


RECHERCHES   SUR   LA   PSYCHOSTASIE.  307 

ne  manque  à  cette  reproduction  bizarre  de  la  mancipation  que  les 
paroles  sacramentelles.  «Huncergohominem  exjureQuiritiummeum 
«esse  aioisque  mihi  emptus  est  hoc  œre  aeneaque  libra  ».  Il  n'y  aurait 
eu  que  les  mots  Qairitium  à  remplacer  par  dwino. 

L'idée  de  notre  artiste  paraîtra  moins  étrange,  quand  on  observera 
que  la  mancipation  s'appliquait  même  au  changement  d'état  des  per- 
sonnes et  que  le  jugement  dernier  était  l'acte ,  le  contrat  par  lequel 
s'accomplissait  le  plus  solennel  de  ces  changements.  Sans  doute,  un 
artiste  voulut  exprimer  par  cette  allégorie ,  digne  de  l'école,  que  c'est 
au  moment  de  la  mort,  que  l'homme  passe  d'un  état  temporaire  et 
misérable  à  un  autre  permanent  et  irrévocable. 

Mais  quelle  qu'ait  été  sa  véritable  intention,  il  est  certain  qu'il  s'écar- 
tait de  la  donnée  sur  laquelle  reposaient  les  représentations  que  nous 
venons  d'étudier,  représentations  qui  devaient  cesser  d'être  traitées 
avec  intelligence,  une  fois  que  les  croyances  sur  lesquelles  elles  repo- 
saient avaient  disparu,  par  suite  du  progrès  des  idées  métaphysiques. 

Alfred  Maury. 


LE  MUSEE  GREGORIEN  A  ROME 


Le  musée  étrusque  dont  S.  S.  Grégoire  XVI  a  doté  Rome  et  le 
monde  savant  est  une  des  collections  les  plus  remarquables  qui  existent. 
Réuni  aux  trésors  inappréciables  du  Vatican,  ce  nouveau  musée  vient 
compléter  ces  suites  de  monuments  de  l'art  ancien  qui  ont  reçu  le 
tribut  d'admiration  de  tant  de  siècles  !  Ce  sont  les  fouilles  de  l'an- 
cienne Étrurie  qui  ont  fourni  ces  collections  ;  les  tombeaux  de  Vulci, 
de  Campo  Scala,  de  Tarquinies,  de  Caere,  de  Toscanella,  de  Bo- 
marzo  étaient  remplis  de  milliers  de  vases  peints,  de  bronzes,  de 
morceaux  de  plastique,  de  bijoux  d'or  et  d'argent,  aujourd'hui  dissé- 
minés sur  tous  les  points  de  l'Europe.  C'est  grâce  à  ces  découvertes, 
un  des  grands  événements  scientifiques  de  notre  siècle,  qu'on  doit  les 
richesses  archéologiques  qui  ont,  pour  ainsi  dire,  changé  la  face  de  la 
science.  La  nouvelle  delà  découverte  de  la  nécropole  de  Vulci  eut, 
il  y  a  maintenant  plus  de  quinze  ans,  un  grand  retentissement  dans 
le  monde  savant;  mais,  tandis  que  tous  les  musées  de  l'Europe  se 
disputaient  les  innombrables  vases  peints ,  tirés  des  hypogées  étrus- 
ques, Rome,  la  capitale  des  arts,  de  laquelle  sont  sorties  ces  innom- 
brables statues  qu'on  montre  avec  orgueil  dans  les  autres  capitales, 
semblait  se  laisser  dépouiller  des  trésors  qu'on  trouvait  à  ses  portes. 
Il  n'en  était  rien  pourtant;  le  saint-père  avait  conçu  le  noble  projet 
de  former  un  musée  étrusque,  pour  la  création  duquel  le  gouverne- 
ment pontifical  s'était  imposé  de  grands  sacrifices  en  se  réservant  les 
plus  importantes  trouvailles.  A  l'appel  du  pape  répondit  le  zèle 
d'hommes  éclairés.  Les  cardinaux  Lambruschini,  Angelo  Mai  et 
Fieschi,  secondés  par  M.  le  chevalier  Visconti,  secrétaire  perpétuel  de 
l'Académie  pontificale  d'archéologie,  et  par  le  directeur  des  Musées  du 
Vatican,  M.  le  chevalier  Fabris,  dirigèrent  les  travaux  et  les  acqui- 
sitions. Bientôt  des  villes,  des  corporations,  de  simples  particuliers 
vinrent  enrichir  de  leurs  dons  le  nouveau  musée;  et  Rome,  si  rem- 
plie de  monuments  antiques,  fut  étonnée  d'avoir  à  admirer  une  collec- 
tion de  plus,  une  collection  d'une  richesse  inouïe. 

Les  objets  précieux  qui  composent  le  nouveau  musée  sont  ras- 
semblés dans  la  partie  du  Vatican  oii  furent  les  appartements  de 
Pie  IV.  Les  premières  salles  renferment  les  sarcophages,  urnes,  sta- 
tues et  bas-reliefs  de  terre  cuite ,  de  pierre  et  d'albâtre.  C'est  là  que 


LE   MUSÉE   GRÉGORIEN    A   ROME.  309 

sont  placés  ces  vases  de  terre  noire  et  en  forme  de  cabanes  ou  de  huttes, 
trouvés  principalement  à  Albano  et  regardés  par  la  plupart  des  sa- 
vants comme  des  monuments  qui  remontent  à  l'époque  des  Abori- 
gènes italiotes.  Dans  une  de  ces  premières  salles,  près  de  la  porte 
d'entrée,  on  remarque  un  grand  sarcophage  de  nenfro  qui  est  orné  de 
bas-reliefs.  Sur  un  des  grands  côtés,  on  voit  au  centre  Etéocle  et  Po- 
lynice  qui  s'entretuent  ;  à  droite  Polynice  assis  sur  un  trône ,  deux 
furies  et  Étéocle  debout  devant  son  frère  ;  à  gauche  un  éphèbe  nu 
guide  les  pas  d'OEdipe  aveugle;  plus  loin  se  présente  une  furie  et 
Jocaste  assise  sur  un  rocher.  La  seconde  grande  face  du  sarcophage 
montre  le  corps  de  Clytemnestre  placé  sur  un  lit  funèbre,  aux  pieds 
du  lit  Electre  assise  qui  verse  des  larmes;  à  droite  Pylade  debout, 
Égisthe  étendu  par  terre,  et  deux  personnages  qui  déplorent  cette 
catastrophe  ;  à  gauche  le  vieux  pédagogue  qui  pleure,  et  Oreste  tour- 
menté par  deux  furies.  Les  bas-reliefs  des  petits  côtés  de  ce  sarco- 
phage ont  pour  sujets,  d'une  part  :  Pyrrhus  qui  égorge  Priara  ;  le 
vieillard  presse  entre  ses  bras  le  jeune  Astyanax  ;  de  l'autre  on  voit 
le  même  Pyrrhus  qui  immole  Polyxène  sur  le  tombeau  d'Achille. 

Dans  la  salle  suivante  on  admire  la  statue  de  terre  cuite  repré- 
sentant Mercure,  trouvée  à  Tivoli,  et  l'urne  de  terre  peinte  de  diverses 
couleurs,  sur  le  couvercle  de  laquelle  on  voit  Adonis  blessé  à  la  cuisse 
et  couché  sur  un  lit  funèbre;  à  côté  est  son  chien  de  chasse. 

On  entre  ensuite  dans  les  salles  destinées  aux  vases  peints.  D'abord 
se  présentent  à  la  vue  les  vases  à  figures  noires  sur  fond  jaune. 
Parmi  les  vases  enrichis  de  compositions  mythologiques  je  citerai 
plusieurs  des  travaux  d'Hercule,  des  Gigantomachies,  des  Hydro- 
phories,  des  exploits  de  Thésée,  des  scènes  de  la  guerre  de  Troie,  etc. 
Au  centre  de  cette  première  salle  est  placé,  sur  un  socle  d'albâtre 
oriental  fleuri,  un  des  plus  beaux  vases  qui  existent  ;  c'est  un  cratère 
à  fond  blanc ,  sur  lequel  sont  tracées  des  figures  dessinées  avec  un 
goût  exquis,  rehaussées  de  plusieurs  couleurs,  et,  ce  qui  est  extrême- 
ment remarquable,  distinguées  des  produits  ordinaires  de  la  céramo- 
graphie  par  des  lumières  et  des  ombres.  Le  sujet  de  cette  précieuse 
peinture  est  Mercure  qui  porte  le  petit  Bacchus  à  Silène.  Au  revers 
sont  représentées  trois  Muses  qui  célèbrent  par  leurs  chants  la  nais- 
sance du  fils  de  Jupiter. 

La  salle  qui  suit  renferme  des  vases  de  la  plus  grande  beauté  :  on 

y  voit  encore  quelques  vases  à  fond  jaune  et  figures  noires,  quoique 

le  plus  grand  nombre  soit  à  figures  rouges  sur  fond  noir.  Parmi  les 

premiers,  on  remarque  surtout  la  grande  amphore  tyrrhénienne  sur 

I.  21 


310  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

laquelle  sont  représentés  Achille  et  Ajax  qui  consultentle  sort;  au  re- 
vers les  Dioscures  Castor  et  Pollux,  Tyndare,  Léda  et  le  cheval  Cyl- 
larus.  Au  nombre  de  la  seconde  classe  de  vases,  ceux  à  figures  rouges, 
on  distingue  principalement  l'hydrie  qui  montre  Apollon  Delphinien 
assis  sur  le  trépied  fatidique  et  porté  sur  les  flots.  On  remarque  aussi 
le  combat  d'Achille  et  d'Hector  et  une  foule  d'autres  sujets  in- 
téressants. 

Vient  ensuite  la  galerie  en  hémicycle,  dans  laquelle  sont  rangés  de 
grands  vases,  la  plupart  à  figures  rouges  sur  fond  noir.  On  y  remarque 
l'amphore  sur  laquelle  est  représenté  Hector  qui  prend  congé  de 
Priam  et  d'Hécube,  le  stamnus  qui  montre  Jupiter,  Égine,  Asopus 
et  ses  filles  ;  l'hydrie  qui  a  pour  sujet  Neptune  et  Éthra ,  une  autre 
amphore  qui  représente  Achille  et  Briséis ,  une  hydrie  qui  ofl're  la 
dispute  de  Thamyris  avec  les  Muses,  le  stamnus  orné  d'une  assemblée 
de  dieux,  l'hydrie  qui  montre  Hercule  et  Auge,  etc.  Ce  dernier,  vase 
est  surtout  remarquable  par  une  restauration  antique  ;  le  vase  a  été 
fracturé  au  milieu  de  la  panse,  de  sorte  qu'une  partie  des  figures  d'Her- 
cule et  de  la  nymphe  ont  disparu  ;  le  restaurateur  ancien  a  mis  à  la 
place  un  fragment  de  coupe  peinte  sur  laquelle  était  tracé  un  festin. 
Ces  sortes  de  restaurations  se  voient  à  un  assez  grand  nombre  de  vases, 
qui,  dans  l'antiquité,  ont  été  brisés  par  accident  :  on  les  réparait  d'une 
manière  grossière  au  moyen  de  tenons  et  d'attaches  de  bronze  qui 
fixaient  des  morceaux  d'autres  vases  sans  aucun  égard  pour  la  com- 
position qu'on  voulait  rétablir;  il  paraît  qu'on  n'avait  d'autre  but  dans 
ces  sortes  de  restaurations  que  de  boucher  les  ouvertures  et  de  refaire 
la  forme  du  vase.  J'ai  déjà  dans  plusieurs  occasions  signalé  des  restau- 
rations de  ce  genre  (l). 

Il  faudrait  nommer  tous  les  sujets,  si  on  se  laissait  entraîner  ;  car 
tous  les  vases  placés  dans  cette  galerie  sont  du  plus  grand  intérêt. 
Parmi  les  vases  à  figures  noires  je  me  contenterai  de  citer  l'amphore 
sur  laquelle  est  représentée  l'Aurore  qui  pleure  la  mort  de  son  fils 
Memnon  ;  le  corps  est  étendu  par  terre  au  milieu  d'une  forêt  de  myrtes. 

Après  la  galerie  en  hémicycle,  on  entre  dans  la  galerie  des  coupes, 
collection  merveilleuse  où  l'on  admire  les  sujets  de  Mercure  enfant, 
voleur  des  bœufs  d'Apollon,  du  roi  Midas,  de  Jason  vomi  par  le  dra- 
gon, d'Hercule  naviguant  dans  la  coupe  du  Soleil,  de  Sisyphe  et  de 
Tityus  punis  aux  enfers,  etc.  Dans  une  armoire  vitrée  on  a  rassemblé 
quelques  vases  de  formes  singulières,  des  verres  antiques  diaprés  de 
« 

(1)  Voyez  mon  Catal.  Durand,  n°  819,  et  mon  ÇataL  Étrusque,  n»  134. 


LE   MUSÉE   GRÉGORIEN   A   ROME.  311 

diverses  couleurs  et  des  vases  qui  se  distinguent  par  la  finesse  de  l'émail 
et  la  correction  des  dessins  qui  s'y  trouvent  tracés.  Citer  Hélène 
poursuivie  parMénélas,  en  présence  de  Vénus,  de  l'Amour  et  de  Pilho  ; 
un  personnage  royal  en  costume  oriental,  désigné  par  l'inscription 
BA2ILEY2,  le  Roi,  auquel  une  jeune  femme  qui  s'appelle  la  Reine 
BA2ILE2  (sic)  apporte  un  vase  ;  le  combat  de  coqs,  etc.,  c'est  indi- 
quer tout  ce  que  l'art  hellénique  a  su  produire  de  plus  délicat,  de  plus 
gracieux. 

Il  faut  retourner  sur  ses  pas  pour  pénétrer  dans  la  grande  salle 
des  bronzes  et  des  bijoux,  dont  l'aspect  étonne  par  le  nombre  et  la 
variété  des  monuments  qu'elle  renferme.  On  y  admire  la  statue  de 
Mars  découverte  à  Todi,  des  trépieds,  des  candélabres,  des  cistes, 
un  lit  funèbre,  des  plaques  de  bronze  destinées  à  la  décoration  des 
portes,  des  armes  de  toute  espèce,  des  boucliers,  des  cuirasses,  des 
cnémides,  des  trompettes  tyrrhéniennes,  un  char  étrusque,  des  vases, 
des  ustensiles  de  toute  sorte,  et  enfin  une  magnifique  collection 
de  miroirs  avec  laquelle  on  ne  peut  mettre  en  parallèle  que  la  riche 
collection  de  miroirs  du  Cabinet  des  Médailles  à  Paris,  augmentée  dans 
ces  dernières  années  de  la  presque  totalité  des  miroirs  du  cabinet  Du- 
rand. On  remarque  surtout  Ulysse  qui  consulte  l'ombre  de  Tirésias,  la 
lutte  de  Pelée  et  d'Atalante,  Galchas  qui  inspecte  les  entrailles  d'une 
victime.  Hercule  et  Atlas,  Jupiter  entre  Thétis  et  l'Aurore,  le  So- 
leil accompagné  de  Neptune  et  de  l'Aurore,  l'Aurore  qui  enlève 
Céphale,  et  enfin  la  dispute  de  Vénus  et  de  Proserpine ,  pour  la 
possession  d'Adonis-Thammuz ,  miroir  sur  lequel  j'ai  publié  ailleurs 
une  dissertation  (1). 

La  collection  d'objets  d'or  et  d'argent,  disposée  sur  une  grande 
iable  ronde  au  milieu  de  la  salle,  est  d'une  richesse  prodigieuse.  Il 
est  difficile  de  se  faire  une  idée  de  la  délicatesse  de  travail,  de  la 
finesse  des  ornements  et  du  goût  des  artistes  anciens  qui  excite  l'ad- 
miration jusque  dans  les  moindres  détails.  C'est  là  qu'on  a  réuni  à 
quelques  bijoux  trouvés  dans  la  nécropole  de  Vulci,  tous  ceux  dé- 
couverts dans  la  célèbre  tombe  de  Cervetri.  La  construction  de 
cette  tombe  paraît  remonter  à  une  époque  très-reculée.  On  en  a 
retiré  une  masse  considérable  de  bijoux  d'or  et  de  coupes  d'argent 
)rnées  de  composition  en  bas-relief,  traitées  dans  le  style  oriental. 
Au  nombre  des  objets  d'or,  on  remarque  un  ornement  de  tête  d'un 
travail  surprenant,  une  plaque  d'or  qui  servait  de  pectoral  et  sur 

(1)  JYouv.  Annales  de  l'InsUt.nrch.,  t.  I ,  p.  507  et  suiv.  Cf.  Bull,  de  VInst, 
arch.,  1842,  p.  149  et  suiy. 


312  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

laquelle  sont  tracés  des  animaux  symboliques  rangés  par  bandes  ou 
zones.  Les  coupes  d'argent  sont  enrichies  de  figures  aussi  bien  en 
dedans  qu'en  dehors  ;  on  y  voit  des  chasses  qui  sont  traitées  dans  le 
genre  de  la  chasse  représentée  sur  la  magnifique  coupe  Sassanide, 
dont  la  libéralité  de  M.  le  duc  de  Luynes  vient  d'enrichir  le  Cabinet 
des  Médailles  (l).  D'autres  de  ces  coupes  montrent  des  armées  en 
marche,  des  combats,  etc. ,  le  tout  empreint  d'un  caractère  qui  rap- 
pelle pour  le  style  les  monuments  de  l'art  asiatique.  Il  serait  im- 
possible d'énumérer  ici  toutes  les  richesses  trouvées  dans  le  tom- 
beau de  Cervetri  ;  on  peut  consulter  à  ce  sujet  un  rapport  de  M.  Em. 
Braun,  inséré  au  Bulletin  de  l'Institut  archéologique  de  1836,  p.  56 
et  suiv.  ;  le  savant  ouvrage  de  M.  le  chevalier  L.  Grifi  sur  les  mo- 
numents de  l'antique  Caere  ;  celui  de  M.  Canina,  sur  l'ancienne  ville 
de  Caere  ;  le  Muséum  Gregorianumy  et  enfin  plusieurs  articles  de 
M.  Raoul-Rochette,  dans  le  Journal  des  Savants,  mai,  juin,  juillet 
et  septembre  1843. 

La  collection  de  bijoux  d'or  est  aussi  extrêmement  riche  en  pa- 
rures à  l'usage  des  femmes  ;  on  y  voit  des  colliers,  des  bracelets,  des 
boucles  d'oreille ,  des  chaînes,  des  fibules,  des  bagues  avec  ornements 
ciselés,  d'autres  enrichies  de  scarabées  ;  des  plaques,  des  bulles  pour 
les  magistrats  et  les  enfants  nobles,  des  couronnes  de  toute  espèce 
destinées  aux  morts,  complètent  cet  ensemble  de  richesses  éblouis- 
santes. 

De  la  grande  salle  des  bronzes  et  des  bijoux,  un  corridor  rempli 
d'inscriptions  étrusques  conduit  à  la  salle  dans  laquelle  on  a  placé 
les  copies  des  peintures  dont  les  originaux  couvrent  les  parois  des 
tombeaux  de  Vulci ,  de  Corneto  et  de  Tarquinies.  On  y  voit  des  jeux, 
des  repas,  des  luttes,  des  courses.  C'est  une  heureuse  idée  sans 
doute  d'avoir  réuni  dans  une  salle  ces  copies  de  peintures  qui  chaque 
jour  risquent  de  disparaître  pour  jamais.  Malheureusement  la  dispo- 
sition de  la  salle  n'a  pas  permis  de  ranger  ces  peintures  dans  l'ordre 
où  elles  se  trouvent  dans  les  tombeaux,  ce  qui  est  un  inconvénient 
assez  grave  pour  ceux  qui  veulent  en  étudier  les  sujets. 

En  sortant  du  Musée  Grégorien,  on  trouve  l'imitation  exacte  d'un 
tombeau  étrusque,  disposé  de  manière  à  ce  que  le  visiteur  puisse 
se  rendre  compte  de  la  place  qu'occupent ,  dans  ces  dernières  de- 
meures,  les  cercueils,  les  urnes,  les  vases  peints,  les  ustensiles  de 


(1)  Adrien  de  Longpérier,  ^nn.  de  l'insl.  arch,»  t.  XV,  p.  98-114,  et  Marié 
inédits,  t.  III,  pi.  li.  Cf.  la  quatrième  livraison  de  la  Hevue  archéologique,  p.  264. 


LE   MUSÉE   GRÉGORIEN    A   ROME.  313 

bronze,  les  armes ,  etc.  A  la  porte  d'entrée  sont  placés  deux  lions 
de  nenfro,  qui  originairement  décoraient  un  tombeau  de  Vulci. 

Cette  courte  Notice  ne  peut  donner  qu'une  idée  imparfaite  des 
richesses  que  renferme  le  nouveau  Musée  étrusque,  créé  par  les 
ordres  du  souverain  pontife  ;  mais  elle  suffira  pour  faire  apprécier 
l'idée  qui  a  présidé  à  sa  formation.  Ces  salles  remplies  de  tré- 
sors qui  nous  initient  à  la  civilisation,  aux  arts,  à  la  vie  intérieure 
des  anciens  habitants  de  l'Italie,  fournissent  des  matériaux  inappré- 
ciables à  l'étude  et  aux  recherches.  C'est  à  Rome  qu'il  faut  aller 
pour  trouver  de  grandes,  de  nobles  pensées.  A  mesure  que  le  do- 
maine de  la  science  s'étend,  les  collections  de  la  ville  éternelle  s'a- 
grandissent et  offrent  un  nouvel  aliment  aux  méditations  et  aux 
études  de  l'historien ,  de  l'archéologue  et  de  l'artiste. 

Le  gouvernement  pontifical  vient  de  faire  paraître  un  grand  ou- 
vrage en  deux  volumes  in-folio,  sous  le  titre  de  Muséum  Etruscum 
Gregorianum,  Cette  publication  excite  au  plus  haut  degré  l'intérêt 
de  tous  ceux  qui  s'occupent  d'études  archéologiques.  Je  me  propose, 
dans  un  prochain  article,  de  rendre  compte  de  cet  ouvrage  im- 
portant. 

J.  DE  WiTTE,  Correspondant  de  V Institut, 


LETTRE  DE  M.  PHIL.  LE  BAS,  DE  L'INSTITUT. 

L'un  de  nos  collaborateurs  nous  communique  la  lettre  suivante  qu'il  a  reçue  de 
M.  Le  Bas,  et  à  laquelle  il  a  joint  quelques  observations. 

Athènes,  le  20  juin  1844. 

Vous  me  demandez ,  mon  cher  ami ,  si  mes  recherches  à  Athènes 
m  ont  fait  découvrir  beaucoup  d'inscriptions  inédites.  Il  vous  semble 
peu  probable  qu'un  lieu  si  souvent  exploité  par  les  voyageurs 
puisse  encore  offrir  des  richesses  inconnues.  Sans  doute,  tous  les  mo- 
numents qu'on  rencontre  dans  cette  ville  célèbre  n'ont  pas  l'attrait 
séduisant  de  la  nouveauté;  mais  j'ai  la  conviction  que,  séparation  faite 
de  ce  qui  a  été  déjà  publié,  il  me  restera  encore  à  livrer  au  public  un 
recueil  assez  considérable  à'Anecdota  Attica.  D'ailleurs  il  faut  bien 
se  garder  de  croire  que  les  textes  épigraphiques,  déjà  connus,  ne 
laissent  plus  rien  à  dire,  que  tous  aient  été  copiés  avec  fidélité  et  in- 
telligence, et  par  conséquent  expliqués  d'une  manière  satisfaisante. 
Chaque  jour  j'ai  lieu  d'acquérir  la  conviction  du  contraire.  Dès  à  pré- 
sent, je  voudrais  vous  la  faire  partager,  je  voudrais  vous  prouver, 
pièces  en  main,  que  mon  voyage,  n'eût-il  eu  d'autre  résultat  que  de 
mettre  à  la  disposition  des  érudits  des  copies  rectifiées  de  toutes  les 
inscriptions  déjà  connues  qui  subsistent  encore  ici,  on  ne  saurait  nier 
qu'il  n'ait  élé  d'une  grande  utilité  pour  la  science.  Mais  le  choix 
m'embarrasse.  Commencerai-je  par  les  125  lignes  de  l'inscription  re- 
lative à  la  reconstruction  des  longs  murs,  déjà  publiée  quatre  fois 
d'après  des  transcriptions,  où  les  restitutions  de  plusieurs  des  passages 
mutilés  ont  été  insérées  dans  le  texte  par  le  copiste,  comme  s'il  avait 
eu  ces  passages  sous  les  yeux ,  ce  qui  donne  souvent  à  ses  conjec- 
tures une  importance  qu'elles  sont  loin  de  mériter?  Une  pareille 
tâche  serait  trop  rude  ;  elle  serait  même  impossible  en  ce  moment. 
Je  me  garderai  bien  aussi,  mais  pour  un  autre  motif,  de  vous  mettre 
sous  les  yeux  les  cent  et  quelques  fragments  du  registre  en  marbre 
(passez-moi  cette  expression)  sur  lequel ,  au  temps  de  Périclès ,  on 
inscrivait  les  sommes  que  les  alliés  payaient  à  Athènes,  pour  qu'elle 
défendît  la  grande  famille  Hellénique  contre  les  agressions  du  Barbare  : 
je  me  plais  à  vous  annoncer  qu'un  archéologue  grec,  M.  Rizo  Rangabé, 
qui  s'est  fixé  à  Athènes  après  avoir  fait  de  très-fortes  études  en  Alle- 
magne ,  publie  sur  ce  document  si  curieux  un  travail  qui  fera  oublier 
tout  ce  qu'on  en  a  imprimé  précédemment,  et  laissera,  je  crois,  peu 


LETTRE   DE   M.    PH.    LE   BAS,   DE   L*INSTITUT.  315 

de  choses  nouvelles  à  dire  aux  savants  qui  voudront  s'en  occuper  à 
l'avenir.  Mais,  à  défaut  de  celui-là,  il  en  reste  bon  nombre  d'autres, 
et,  puisqu'il  faut  renoncer  provisoirement  aux  textes  qui  occuperaient 
trop  de  place,  nous  choisirons,  si  vous  le  voulez  bien,  une  classe  de 
monuments  qui,  au  charme  de  la  poésie,  réunissent  le  mérite  de  la 
concision,  c'est-à-dire,  les  inscriptions  métriques. 

Le  temps  me  manque  aujourd'hui  pour  commencer  cette  revue  ; 
trouvez  donc  bon  que  je  renvoie  la  partie  à  dix  jours.  Cependant 
vous  aimez  tant  l'inédit ,  que  je  ne  veux  pas  fermer  cette  lettre  sans 
satisfaire  votre  goût.  Voici  une  inscription  que  M.  Pikerton,  fils  de 
sir  Edmund  Lyons,  ministre  plénipotentiaire  d'Angleterre  en  Grèce, 
a  estampée  l'an  dernier  en  Thessalie,  à  Tricala,  Fancienne  TptVxyj  ; 
elle  est  gravée  sur  une  stèle  avec  fronton,  en  lettres  du  troisième  siècle 
avant  notre  ère,  et  conçue  en  ces  termes  (je  me  borne  à  une  trans- 
cription en  caractères  courants)  : 


IIOTJTaXa  IIouTa^sta  v-ôpoc 
h.  TtTupsta  «yuvâ. 

w^go  Zxi  (TTU'yspw  ôavocTw  Trpokmoxicru  Toxï3a[ç], 

IIwTa^a  ,   ly  yoccrrpbi;  xvpoToxotç  d^yvat; , 
ouTS  yo-Jri  7rà|jt7rav  xsx).V3|:zsvï3  ouxsrt  y.ovpr) 
TTSvôoç  Tzarpi  ILtzzç  pyjrpt  ts  tïj   (isléoç. 

Eppàou  X60V10U. 

Potala,  fille  de  Potalus, 
femme  de  Tityre. 

Tu  n'es  plus;  une  mort  cruelle  t'a  raçie  aux  auteurs  de  tes  jours, 
Potala ,  au  milieu  des  douleurs  d'un  pénible  enfantement  ;  tu  n'avais 
point  encore  entièrement  mérité  le  nom  de  femme ,  tu  n'étais  plus  une 
jeune  fille;  tu  laisses  dans  le  deuil,  un  père  et  une  mère  infortunés. 

A  Hermès  souterrain. 

Cette  inscription  peut  fournir  matière  à  d'intéressantes  observa- 
tions ;  mais,  je  vous  l'ai  dit,  l'heure  me  presse.  Je  me  borne  donc  à  y 
joindre  deux  autres  épitaphes  provenant  du  même  lieu,  vous  laissant 
le  soin  de  faire  sortir  de  la  comparaison  de  ces  trois  monuments  ce 


316  REVUE  ARCHEOLOGIQUE. 

qu'ils  peuvent  contenir  de  faits  nouveaux  pour  l'histoire  de  la  langue. 
Voici  mes  deux  autres  «vsx(Jora  : 

2. 

AAE3EOMEN02APrAAEl02 
EPMAOYXOONIOY 

3. 

PAY2ANIA2A2T0KPATEI02. 

A  dix  jours  donc  :  préparez-vous  à  beaucoup  de  variantes.  Pour 
vous  dédommager  de  cet  insipide  réchauffage  d'une  vieille  cuisine, 
je  vous  donnerai  de  temps  en  temps  un  peu  de  fruit  nouveau. 

Recevez,  etc. 

Ph.  Le  Bas. 


OBSERVATIONS 

SUR  LES  INSCRIPTIONS  CONTENUES  DANS  LA  LETTRE  PRÉCÉDENTE. 

Les  deux  dernières  épitaphes  et  la  partie  non  métrique  de  la  pre- 
mière sont  en  dialecte  thessalien.  Pourquoi  l'auteur  du  tétrastique 
gravé  sur  le  tombeau  de  Potala  n'a-t-il  pas  employé  le  même  dia- 
lecte? Eustathe  nous  l'apprend  probablement  ;  c'est  que  la  langue  de  la 
Thessalie  passait,  ainsi  que  celle  de  TÉlide  et  celle  de  la  Béotie,  pour 
être  un  peu  barbare  :  on  âï  tq  twv  HAetwv  yTioêapêapov  eo-xcoTTrero , 
^73^0?  6  ev  T(^  èpMZYjBrivoci  y  iioTepcx.  Boi(ùto\  (Bapêapcorspoi  Tuy^^avouaiv 
bvreç  r?  SsTTalol ,  (fd^jLsvoç  wç  nXeïoi  (l).  Quoi  qu'il  en  soit,  cette 
épigramme  est  assez  bien  tournée,  et  nous  ne  doutons  pas  qu'elle  ne 
trouve  place  dans  une  nouvelle  édition  de  l'Anthologie  grecque.  Elle 
fournira,  d'ailleurs,  aux  dictionnaires  un  mot  nouveau,  l'adjectif 
%v[x6roy,oç ,  qui  se  présente  ici  pour  la  première  fois,  mais  qui  est 
parfaitement  conforme  à  l'analogie  (2). 

On  ne  sait  presque  rien  sur  le  dialecte  de  la  Thessalie.  Quelques 
mots  mentionnés  par  les  grammairiens  ou  expliqués  par  les  lexico- 
graphes, quelques  légendes  de  monnaies,  dix  inscriptions  (3)  dont  trois 

(1)  Ad  Jl.  p',p.  304,  2,  éd.  Bas. 

(2)  Voy.  Lobeck  sur  Phrynichus ,  p.  6G8  elsuiv. 

(3)  Les  numéros  1766  et  1767  du  Corpus  Inscr.  Gr.;  les  huit  autres  ont  été  pu- 


LETTRE  DE  M.   PH.   LE  BAS,  DE  L'INSTITUT.  317 

seulement  ont  plus  de  deux  ou  trois  lignes,  mais  sont  tellement  muti* 
lées  qu'on  y  trouve  à  peine  une  phrase  entière ,  voilà  tout  ce  que  l'on 
en  possédait  avant  la  découverte  des  trois  inscriptions  que  nous  adresse 
le  savant  voyageur.  Cette  découverte  est  donc  fort  intéressante  ;  car 
les  monuments  qu'elle  nous  fait  connaître  vont,  malgré  leur  peu  d'éten- 
due, occuper  une  place  importante  parmi  ceux  qui  nous  restent  de  la 
langue  d'une  partie  considérable  de  la  Grèce. 

Le  nom  de  IlcoraXa,  dont  UovTcda  est  la  forme  thessalienne  (l), 
figure  ici  peut-être  pour  la  première  fois.  Le  nom  masculin  IIcot«Xoç 
se  trouve  dans  une  inscription  d'Iasos,  lue  à  Chios  par  Chandler; 
il  est  porté  par  un  Macédonien  (2). 

Uovzaloi  Uovraleia  Kopd  f  etc.,  équivaut  à  ïlcoraXa  Ucùrdlov  0u- 
yaryjp,  yvvh  $s  Tirvpov.  Dans  les  inscriptions  thessaliennes,  ainsi  que 
dans  celles  de  la  Béotie ,  écrites  en  dialecte  béotien  (3) ,  les  liens  de 
parenté  sont  indiqués  par  un  adjectif,  au  lieu  de  l'être,  suivant  l'usage 
ordinaire,  par  un  génitif  [Corp.  Inscr,  Gr,,  n°  1766,  SoycrtTrarpoç 
noA£/aap;)^i^aioç  ;  Leake,  IIÏ,  n*^  150,  Niy.a(rt7r7roç  Ntxouvstoç;  IV, 
n**  211,  Aylotiç  iimolvTEia,  etc.;  voyez  aussi,  dans  les  deux  dernières 
inscriptions  que  nous  adresse  M.  Le  Bas,  Ah^oiJLevoç  Apyâleioç  et 
Ilauo-avtaç  Âo-roxparsioç)  ;  Tépitaphe  de  Potala  nous  offre  un  exemple 
de  l'extension  de  cet  usage  aux  liens  matrimoniaux. 

Epftaou  yj^ovio-o  répond ,  grammaticalement  du  moins,  au  Bis  ma- 
nïbus  des  Romains  et  au  Oeolç  Kar<x-)(BovLoiç  ou  XBovloiç  des  Grecs, 
formules  si  souvent  exprimées  par  les  initiales  D-  M,  0-  K,  ou  G.  X. 
Ces  deux  mots  sont  donc  au  datif.  On  savait  que  les  Thessaliens  for- 
maient ce  cas  en  ou ,  au  singulier  de  la  seconde  déclinaison  (  Corp, 
Inscr,  Gr.,  n**  1766,  Arthvvi  )iep^[o]Lov;  Leake,  III,  n*"  149,  1.  5, 
dtd6(jBai  avrov  y,ai  roiç  [è(r]yovotç...;  ibid,,  1.  8,  [irjpo^svtav  «ùtov 
îtai...  etc.).  La  formule  Èpixdov  XÙovtovy  deux  fois  répétée  dans  les 
inscriptions  que  nous  adresse  M.  Le  Bas  (4),  prouve  que  ces  peuples 
donnaient  également  cette  terminaison  au  même  cas  des  noms  mas- 
culins qui ,  dans  les  autres  dialectes,  font  partie  de  la  première  décli- 

bliées  par  M.  Leake  ( /^ôt/tt^e  dans  la  Grèce  septentrionale ,  t.  II!,  numéros  149, 
149  6is,  160  et  151  ;  t.  IV,  numéros  185,  209,  211  et  219);  M.  Ahrens  les  a  réim- 
primées parmi  les  Addenda  du  second  volume  de  son  Traité  des  Dialectes  grecs. 

(1)  Corp.  Inscr.   Gr.,  n°  1766,  SouatTtccT/sos  pour  Swa^Trarpos ;  Leake,  t.  III, 

tt"  149,  Kpavvouv^otç  pottr  K/ssJWMv^otg  ;  y))o{)[/.o(.  pOUr  yvci//.a  ,  etC. 

(2)  Corpus  Inscr.  Gr.,  n»  2675  b  ,  1.  10. 

(3)  Voy.  Bœckh,  sur  V Inscr.  n°  1674  du  Corpus. 

(4)  Et  dans  le  n»  150  de  M.  Leake,  où,  sans  nul  doute,  il  faut  llfe  "Ê/j/tetew  au  lieu 
de  'EpiAM* 


318  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

naison.  De  l'inscription  nM767  du  Corpus,  laquelle  est  ainsi  conçue: 

AnAOYNITEMnEITA 

AI2XYAI22ATVP0I 

EAEYOEPIA 

M.  Bœckh,  et  après  lui  M.  Ahrens,  ont  conclu  que  ces  noms  formaient 
ce  cas  en  a.  Mais  rien  ne  prouve  que  cette  inscription  soit  entière; 
et ,  ce  qui ,  au  contraire ,  nous  ferait  croire  qu  elle  a  subi  quelque 
mutilation,  c'est  que  le  mot  Sarupot,  qui  termine  la  seconde  ligne, 
et  oii  M.  Bœckh  voit  le  génitif  du  nom  du  père  à'Ai(j-)(yl\q  ,  présen- 
terait, si  cette  conjecture  était  admise ,  un  fait  contraire  à  l'usage  du 
dialecte,  lequel  remplace,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  plus  haut,  ce 
génitif  par  un  adjectif  patronymique.  Il  faudrait  donc  peut-être  lire 
ainsi  ce  monument  : 

ÂTrXouvt  Tep7retTà[ou] 
èLl(7/^vViç  2aTup[e]t[a] , 

A  Apollon  de  Tempe,  JEschylis,  fille  de  Satyre, 
a  consacré  celte  offrande  en  reconnaissance  de  son  affranchissement. 

Si  ces  inscriptions  ne  nous  étaient  adressées  par  un  savant  aussi 
habile  que  M.  Le  Bas  dans  l'art  de  déchiffrer  et  d'interpréter  les  textes 
épigraphiques ,  nous  proposerions  de  lire,  au  n°  2,  APPAAEIOS, 
au  lieu  de  APFAAEIOS-  Harpalus  était  un  nom  fort  commun  chez  les 
Macédoniens;  il  fut  porté,  entre  autres,  par  cet  officier  d'Alexandre, 
qui  s'enfuit  à  Athènes  avec  une  partie  des  trésors  dont  le  conquérant 
lui  avait  confié  la  garde,  et  par  le  chef  de  l'ambassade  envoyée  à 
Rome  par  Persée,  en  172  avant  Jésus-Christ  (l).  Le  nom  à^Argalus, 
au  contraire,  n'est  connu  que  par  un  passage  de  Pausanias,  qui  le 
donne  à  l'un  des  fils  d'Amyclas,  fondateur  de  la  ville  de  Sparte  (2). 
On  avait  douté  qu'ApyaXoç  fut  la  véritable  leçon  de  ce  passage  (3)  ; 
notre  inscription  sera  une  forte  présomption  en  faveur  de  son 
exactitude. 

L'épitaphe  n°  3  présente,  dans  un  nom  nouveau,  Aoroxparyjç , 
un  terme  de  comparaison  au  moyen  duquel  on  pourra  peut-être 

(1)  Foyez  Tit.  Liv.  XLII,  14. 

(2)  Pausan.  III,  l,n°  3. 

3)  Clavier,  Hist.  des  temps  primitifs  de  la  Grèce,  1. 1 ,  p.  120 ,  2«  éd. 


LETTRE   DE  M.   PH.   LE   BAS,   DE   l'INSTITUT.  319 

restituer  le  fragment  suivant,  trouvé  dans  la  Phthiotide  et  inséré 
dans  le  Corpus,  sous  le  n°  1768  : 

2T0KPATEIA 
TTAPAIEIA 
EMIAIAOXE 
""AIEYEM 

Les  formules  ©eolç  XBovIolç  et  Seoïç  K<xt a)(QovLOLç  n'avaient  été 
lues  jusqu'ici  que  sur  des  tombeaux  de  l'époque  romaine  (1),  et  l'on 
en  avait  conclu  que  c'étaient  de  simples  traductions  de  la  formule  la- 
tine Dis  manibus;  nos  épitaphes  1  et  2,  dont  la  date  est  de  plus  d'un 
siècle  antérieure  à  cette  époque  (2),  pourraient  leur  faire  attribuer 
une  autre  origine.  Ajoutons  que  ces  deux  épitaphes  sont,  avec  celle 
qui  a  été  publiée  par  M.  Leake  sous  le  n''  150,  les  seules  encore 
oii  l'on  ait  vu  le  défunt  placé  sous  la  protection  spéciale  d'Hermès;  et 
qu'outre  ce  fait ,  déjà  curieux ,  elles  nous  apprennent  que  ce  dieu , 
auquel  les  Athéniens  offraient  chaque  année,  dans  une  espèce  de 
fête  des  morts,  des  sacrifices  solennels,  en  l'invoquant  comme  dieu 
souterrain [^) y  était  aussi,  au  même  titre,  l'objet  d'un  culte  parti- 
culier dans  la  Thessalie. 

Léon  Renier. 

(1)  Franz,  Elementa  Epigraphices  grœcœ ,  p.  340. 

(2)  M.  Le  Bas  nous  dit  qu'elles  sont  formées  de  lettres  du  111^  siècle  avant  l'ère 
chrétienne;  on  pourrait  encore  démontrer  leur  haute  antiquité  par  leur  dialecte 
(toutes  les  inscriptions  thessaliennes  de  l'époque  romaine  étant  en  dialecte  com- 
mun), et  par  cette  circonstance  que  le  nom  du  mort  y  est  mentionné  simplement 
au  nominatif.  Foy.  Franz,  Ouvr.  cilé ,  p.  339. 

(3)  Foy.  M.  Guigniaut,  Religions  de  l'antiquité,  t.  II ,  1-^'  part.,  p.  327  et  suiv. 


TOMBEAUX  DU  MOYEN  AGE 

A  RUTAYAH  ET  A  NYMPHI  (asie  mineure. 


Ce  qui  a  surtout  contribué  à  la  conservation  des  monuments  an- 
tiques, en  Europe  comme  en  Asie,  c'est  l'heureuse  application 
qu'ont  pu  en  faire  les  peuples  modernes  à  des  destinations  et  à  des 
usages  utiles.  La  plupart  des  temples  qui  sont  parvenus  jusqu'à 
nous  ont  été  convertis  en  églises  dès  les  premiers  temps  du  chris- 
tianisme. Il  est  probable  que  depuis  longtemps  nous  ne  pourrions 
plus  admirer  le  Panthéon  d' Agrippa ,  si  un  pape  n'eût  conçu  la 
pensée  d'en  faire  un  Panthéon  chrétien,  consacré  à  tous  les  martyrs 
de  la  foi.  La  pieuse  consécration  des  tombeaux ,  les  malédictions  et 
les  amendes  dont  étaient  menacés  ceux  qui  vendaient,  qui  dimi- 
nuaient ou  qui  voulaient  dépouiller  les  sépultures,  n'ont  pas  em- 
pêché des  mains  sacrilèges  de  s'enrichir  des  trésors  que  contenaient 
les  tombeaux  célèbres. 

Le  tombeau  de  Cyrus  ne  fut  pas  à  l'abri  d'un  pareil  affront,  et  les 
seules  sépultures  que  nous  trouvions  aujourd'hui  intactes,  et  qui 
offrent  une  riche  et  rare  proie  aux  antiquaires  de  nos  jours  sont  celles 
qui,  cachées  dans  des  cryptes  presque  inconnues,  ont  échappé  jus- 
qu'à présent  aux  investigations  des  curieux  de  tout  genre. 

Après  avoir  enlevé  les  matières  précieuses  que  contenaient  les 
tombeaux ,  on  en  est  venu  à  convoiter  les  monuments  eux-mêmes  : 
les  nombreuses  chambres  sépulcrales  taillées  dans  le  flanc  des  montagnes 
ont  été  converties  en  maisons  d'habitation,  et  les  sarcophages  de  marbre 
qui  paraient  les  abords  des  grandes  routes  ont  servi  comme  bassins 
pour  les  fontaines.  C'est  grâce  à  cette  destination  que  la  plupart  des 
sarcophages  antiques  qui  sont  disséminés  dans  toutes  les  anciennes 
villes  de  l'Asie  mineure,  sont  parvenus  jusqu'à  nous.  Mais  l'horreur 
que  professent  les  Musulmans  orthodoxes  (1)  pour  toute  représentation 
de  figure  humaine,  a  été  cause  de  nombreuses  mutilations,  qui  n'ont 
été  du  reste  que  la  suite  des  outrages  que  les  iconoclastes  avaient 
fait  subir  à  toutes  ces  œuvres  de  la  sculpture.  Aussi  est-il  extrême- 
Ci)  Les  Schytes  admettent  la  peinture  et  la  sculpture  des  figures  d'hommes  et 
d'animaux. 


TOMBEAUX  DU  MOYEN   AGU.  321 

ment  rare  de  rencontrer  un  sarcophage  antique  contenant  des  figures 
intactes.  On  peut  à  peine  en  citer  trois  ou  quatre  dans  toute  l'Asie 
nuineure  ;et,  par  une  singularité  remarquable,  l'un  de  ces  monuments , 
qui  représente  des  faits  de  l'Iliade,  a  été  conservé  par  les  princes 
Seldjoukides  d'Iconium,  qui  l'ont  fait  encastrer  dans  l'une  des  tours  de 
la  ville. 

Il  n'est  pas  très-facile  de  déterminer  à  la  seule  inspection ,  en  quel 
lieu  étaient  placés  les  sarcophages  antiques,  qui  sont  aujourd'hui 
exposés  aux  regards.  L'usage  chez  les  anciens  était  de  les  élever  sur 
les  grandes  routes  ou  dans  des  champs  de  sépulture,  comme  à  Arles 
en  France,  è  Antiphellus  en  Asie.  Le  caractère  des  Nécropoles  n'était 
pas  le  même  dans  toutes  les  villes  ;  quelquefois  les  sarcophages  étaient 
déposés  dans  des  chambres  creusées  dans  le  roc,  ou  dans  des  aedicules 
richement  ornés  ;  quelquefois  dans  des  caveaux  souterrains,  avec  une 
faible  indication  au  dehors,  souvent  une  simple  pierre. 

Les  chrétiens  ont  admis  les  sépultures  aux  environs  des  temples ,  et 
même  dans  les  églises  ;  aussi  les  sarcophages  de  l'époque  byzantine 
sont-ils  les  plus  nombreux.  La  proximité  des  temps  n'est  pas  la  seule 
cause;  mais  l'Eglise  d'Asie,  surtout  depuis  les  ravages  des  iconoclastes, 
n'a  jamais  admis  les  sculptures  des  figures  humaines  comme  ornement 
sur  les  monuments  religieux.  Les  sarcophages  de  cette  époque  ont 
donc  offert  au  fanatisme  turc  une  cause  de  moins  de  destruction. 

Le  premier  sarcophage  que  nous  avons  publié  dans  la  3^  livraison, 
existe  dans  le. château  de  la  ville  de  Kutayah,  ancien  Cotyaeum,  ville 
qui  fut  toujours  assez  bien  peuplée,  et  qui  offre  par  conséquent  un 
très-petit  nombre  de  monuments  antiques.  Le  château ,  ouvrage 
des  empereurs  Byzantins,  est  aujourd'hui  abandonné,  on  y  re- 
marque une  église  assez  bien  conservée,  avec  des  traces  de  peintures. 
Ce  sarcophage  est  de  marbre  blanc  ;  sa  face  antérieure  est  divisée  en 
quatre  parties  par  des  arcs  et  des  pilastres  ornés  d'un  treillis  réticulé. 
Les  deux  arcs  extrêmes  ont  leur  partie  centrale  ornée  d'une  croix 
grecque,  entourée  d'une  rosace  formée  par  huit  cercles  qui  se  coupent. 
Un  des  arcs  du  centre  présente  un  bas-relief  a  un  travail  assez  médiocre, 
mais  dont  le  sujet  se  perpétue,  pour  ainsi  dire,  sans  lacune,  depuis  les 
temps  les  plus  reculés.  Un  lion  monstrueux  dévore  un  daim  ou  une 
gazelle.  Les  plus  anciennes  représentations  de  ce  type,  purement 
asiatique,  se  rencontrent  sur  les  cylindres  babyloniens,  sur  les  monu- 
ments de  Persépolis,  sur  les  tombeaux  de  la  Lycie.  Plusieurs  monu- 
ments grecs,  phrygiens  et  romains  nous  en  offrent  la  répétition,  sans 
autre  variante  que  la  nature  de  l'animal  dévoré  par  le  lion,  mais  qui 


322  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

est  toujours  un  herbivore,  —  un  taureau,  une  antilope,  un  daim,  et 
même  un  lièvre.  Les  chrétiens  ont  adopté  ce  type,  comme  le  prouve 
notre  monument.  On  en  voit  également  plusieurs  représentations  à 
Athènes,  sur  l'église  Catholicon,  et  sur  la  grande  porte  de  l'Acropolis. 
Il  serait  d'ailleurs  impossible  d  enumérer  toutes  ces  répétitions  de  ce 
sujet  qui  sont  connues  en  Europe. 

Il  est  probable  que  le  principe  de  cette  représentation  a  été  d'a- 
bord un  emblème  tout  astronomique,  qui  a  changé  de  signification 
par  la  suite  des  temps,  jusqu'à  représenter  aux  yeux  des  peuples  la 
lutte  entre  le  bon  et  le  mauvais  principe.  Ce  sujet  a  d'ailleurs  été 
traité  plusieurs  fois  par  M.  Lajard.  Cette  nouvelle  représentation 
de  ce  symbole  sur  un  tombeau  chrétien  est  une  preuve  de  plus  en 
faveur  de  l'opinion  du  savant  académicien. 

Il  est  rare  de  trouver  sur  les  monuments  des  dates  aussi  précises 
que  celle  que  l'on  peut  lire  sur  celui-ci.  L'orthographe  de  l'inscrip- 
tion ,  horriblement  défectueuse,  est  cependant  d'accord  avec  la  pro- 
nonciation de  la  langue  grecque  telle  qu'elle  est  parlée  en  Grèce.  Ceci 
doit  être  aujourd'hui  une  question  jugée;  il  serait  à  désirer  que  les 
savants  qui  sont  à  la  tête  de  l'instruction  publique  prissent  en  consi- 
dération les  travaux  qui  ont  été  faits  dans  les  quinze  dernières  années, 
et  pensassent  à  faire  enseigner  le  grec  dans  les  collèges,  avec  la  pro- 
nonciation hellénique. 

L'inscription  du  tombeau  doit  être  expliquée  ainsi  : 

EzotjtJtv^Ôyj  0  dovloç  zov  Qsov,  rpyjyopaç,  IIpoTOffTraGaptoç  xai  Srpa- 
TYiyoç  Adiavbç  Mrjvt  AvyovGTCù  sic  ttjv  TpiaKOdrriv  Trpcoryjv  (v^piepav) 
iv^Ly.Tiovoç  àevATYic ,  ev  tw  èrsi  ÇCOO  (  eii^ikidàeç  izevziXMtJLOc 
eèùoixmovTûc  evvea.)  (1) 

Littéralement  : 

c(  S'est  endormi  le  serviteur  de  Dieu ,  Grégoire ,  Protospatare  (  im- 
(cpérial)  et  général  d'Asie,  le  31  août  delà  dixième  indiction, 
«  l'an  6579.  )) 

Cette  année  correspond  à  l'année  commune  1071,  c'est-à-dire  à 
l'époque  de  l'arrivée  des  Seldjoukides  en  Asie  mineure. 

Il  faut  remarquer  l'orthographe  :  EKYMIOI  pour  EKOIMHOH  ; 
l'un  et  l'autre  mot  se  prononcent  d'une  même  manière. 

KC  pour  KAI  ;  la  prononciation  cài  est  encore  plus  barbare  que 
l'orthographe  de  l'inscription. 

(1)  Voyez  la  planche  dans  le  numéro  du  15  juin  1844. 


TOMBEAUX   DU  MOYEN  AGE.  323 

HCTIN  pour  £12  THN  [sous-entendu  HMEPAN] ,  AA,  (M)  ;  £71 
pour  ETEI.  On  s'apercevra  sans  peipe  qu'il  y  a  eu  dans  le  calque 
transposition  du  signe  Ç. 

L'aigle  sculpté  sur  l'autre  compartiment  indique  que  le  défunt 
occupait  une  haute  charge  à  la  cour  des  empereurs.  En  effet,  le 
Protospatare,  porte-épée ,  était  une  des  grandes  fonctions  à  la 
cour  de  Byzance. 

L'aigle  des  Paléologues  se  retrouve  encore  sur  plusieurs  monu- 
ments à  Constantinople,  et  notamment  sur  la  porte  du  bazar  appelé 
le  Bezestein, 


TOMBEAU  A  IVYMPHI^  L* ANCIEN  NYHPHJEUM. 

La  tradition  répandue  parmi  les  Turcs  de  l'Asie  mineure,  qui 
attribue  à  des  peuples  francs  tous  les  châteaux  et  forteresses  que 
l'on  aperçoit  sur  les  côtes,  et  même  fort  avant  dans  les  terres,  n'est 
pas  toujours  complètement  dénuée  de  fondement.  Les  Génois ,  les 
Vénitiens,  les  chevaliers  de  Rhodes  ont  possédé  et  fortifié  un  grand 
nombre  de  ports  ;  les  cours  des  rivières  ont  été  interceptés  par  des 
tours  et  des  échauguettes  qui  arrêtaient  les  caravanes.  Les  ports  de 
Boudroum,  de  Jassus,  de  Castello-Rizo,  offrent  encore  des  traces 
nombreuses  de  ces  constructions  qui  sont  généralement  illustrées  par 
des  écussons  et  des  inscriptions,  dans  lesquels  un  amateur  des  an- 
tiquités du  moyen  âge  ferait  un  ample  butin. 

La  ville  de  Nymphi ,  quoique  assez  avancée  dans  l'intérieur  des 
terres,  devint  l'apanage  d'un  prince  latin  à  l'époque  oii  les  Latins, 
maîtres  de  Constantinople,  de  Nicomédie,  de  Chalcédoine,  dominaient, 
pour  ainsi  dire,  sur  toute  la  partie  occidentale  de  l'Asie  mineure.  On 
voit  encore  à  l'entrée  du  village  un  immense  château  de  forme  carrée, 
sans  tours,  ressemblant  plutôt  à  un  palais  qu'à  une  forteresse.  Les 
Turcs  l'appellent  le  Château  des  Génois;  ces  ruines  imposantes  sont 
situées  sur  la  route  de  Smyrne  ;  la  façade,  sans  ornements,  est  percée 
de  grandes  fenêtres  qui  étaient  peut-être  couronnées  par  un  linteau 
en  bois,  car  elles  sont  toutes  ruinées  dans  la  partie  supérieure 
L'appareil  de  la  construction  est  formé  de  trois  assises  de  briques  et 
d'une  assise  de  moellon,  de  sorte  que  de  loin  on  croit  voir  un  édifice 
romain.  Mais  la  nature  des  briques,  la  composition  du  mortier  et 
les  dispositions  du  plan  suffisent  pour  faire  reconnaître  à  quelle 
période  cet  édifice  appartient. 


a9l4  RBVUB  ARCHSOLOGIQUB. 

Le  village  de  Nyrophi,  qui  était  déjà  célèbre  à  Smyrne  par  sa 
position  pittoresque  et  par  ses.  riches  vallées  plantées  de  cerisiers, 
est  devenu  un  lieu  de  pèlerinage  obligé  pour  les  antiquaires  et  les 
touristes,  depuis  que  nous  avons  fait  connaître  au  monde  savant 
l'existence  d'un  bas-relief  taillé  dans  le  roc,  dans  une  vallée  située 
à  une  lieue  du  village,  et  que  les  antiquaires  ont  été  d'accord  pour 
regarder  comme  le  portrait  de  Sésostris,  sculpté  par  ordre  de  ce 
prince,  et  qui  est  mentionné  par  Hérodote  comme  se  trouvant  sur 
la  route  de  Sardes  à  Éphèse. 

Pendant  qu'assemblés  sur  la  place  du  village  nous  prenions  les 
renseignements  nécessaires  pour  aller  observer  ce  monument  qui 
était  inconnu  de  la  plupart  des  habitants,  je  remarquai  le  sarco- 
phage qui  se  trouve  encastré  dans  la  fontaine  voisine  de  la  maison 
de  l'aga.  Les  fleurs  de  lis  répandues  parmi  les  ornements,  les  ani- 
maux plus  ou  moins  barbares  sculptés  dans  divers  compartiments 
m'ont  fait  distinguer  ce  tombeau  parmi  le  grand  nombre  de  mo- 
numents de  même  espèce  que  l'on  rencontre  sur  les  routes,  et  qui 
sont  pour  la  plupart  d'un  style  moins  barbare  que  celui-ci,  mais  en 
môme  temps  moins  curieux. 

Je  regrettai  que  l'inscription  tracée  dans  le  bandeau  ne  m'apprît 
pas  le  nom  du  défunt,  et  ne  pût  me  permettre  de  déterminer  posi- 
tivement l'époque  à  laquelle  il  faut  attribuer  cet  ouvrage.  J'estime 
qu'il  a  été  exécuté  dans  la  seconde  moitié  du  douzième  siècle. 

L'inscription  paraît  avoir  été  tirée  de  quelque  poëme  religieux  de 
l'époque  ;  elle  se  compose  de  deux  vers  dont  le  sens  est  assez  obscur, 
quoique  les  hellénistes  les  trouvent  d'une  assez  bonne  facture. 

NYN  K02M02  HAY2  2XHMA  201  OEION  MEfA 
NYN  OYN  BAAIZE  nP02  0£0N  2TEcDH0OPO2  (1). 

Nuy  o\JV  ^aâdî^^s.  T^poç  ôgov  (TTS^vî^opoç, 

((  Maintenant  un  ornement  délicieux  te  donne  une  attitude  (  une 
«  forme  divine);  va  donc  maintenant  à  Dieu,  portant  la  couronne.  » 

Ceci  est  tellement  mystique  qu'on  ne  saurait  comprendre  quel  est 
le  genre  d'ornement  dont  il  est  question.  Était-ce  en  réalité  un 
riche  vêtement  dont  on  avait  décoré  le  corps  selon  l'usage  des  By- 
zantins? Les  sculptures  ne  permettent  pas  de  décider  si  le  défunt 
était  clerc  ou  soldat,  homme  ou  femme. 

(1)  Voyez  la  planche  dans  le  numéro  du  15  juillet  1844. 


TOMBEAUX  DU  MOYEN  AGE.  325 

Le  corapartiment  à  gauche  contient  deux  chats  (?)  assis  qui  se  don- 
nent la  patte,  deux  fleurs  de  lis ,  et  deux  oiseaux  qui  ressemblent 
à  des  pigeons.  La  disposition  des  figures  me  porte  à  croire  que  le 
sculpteur  a  voulu  avant  tout  chercher  un  dessin  symétrique.  La  ro- 
sace du  milieu  qui  surmonte  un  gritYon  passant,  est  ornée  de  quatre 
fleurs  de  lis.  On  retrouve  encore  un  de  ces  signes  héraldiques  près 
d'une  autre  figure  de  chat  dans  le  compartiment  à  droite.  Deux  paons 
qui  se  becquètent  remplissent  le  vide  inférieur. 

J'avoue  que  si  ces  figures  oflVent  quelque  sens  allégorique,  je  ne 
Tai  nullement  saisi,  mais  j'ai  pensé  que  ce  monument  devait  être 
conservé  tant  à  cause  de  l'inscription  qu'à  cause  du  caractère  bizarre 
des  ornements  qui  le  décorent. 

Ch.  Texier,  Correspondant  de  l Institut. 


1.  22 


LETTRE  A  M.  RAOUL  ROGHETTE 

SUR  UN  VASE  PEINT  DE  LA  COLLECTION  DU  CARD.  LAMBRUSCHINI. 


«  Pour  remplir  ma  promesse  de  vous  informer  de  ce  qui  se  découvre 
ici  d'intéressant,  j'espère  qu'il  ne  vous  sera  pas  désagréable  d'avoir  la 
description  d'un  vase  de  la  collection  de  M.  le  cardinal  Lambruschini, 
secrétaire  d'État,  qui  joint  à  toutes  ses  belles  connaissances  un  goût 
éclairé  pour  l'antiquité.  Le  vase  dont  il  s'agit  est  une  amphore  d'ex- 
cellent dessin  qui  tient  beaucoup  de  celui  des  vases  de  Ruvo ,  outre 
quelle  est  très-remarquable  par  son  sujet  et  par  sa  provenance;  elle 
fut  déterrée  dans  les  fouilles  des  tombeaux  antiques  de  Poggio- 
Sommavilla,  en  Sabine^  ce  qui  donnerait  lieu  de  croire  que  les 
Étrusques  auraient  introduit  dans  la  Sabine,  non-seulement  leur 
manière  d'ensevelir  les  morts,  mais  encore  leurs  arts  du  dessin  et  les 
agréments  de  leur  manière  de  vivre.  Quant  au  trait  d'histoire  repré- 
senté sur  ce  vase,  il  n'a  encore  paru  sur  aucun  monument  de  ce 
genre.  On  y  voit  un  homme  jeune,  armé  du  casque  et  de  l'épée  qu'il 
tient  nue  de  la  main  droite,  tandis  que  de  la  main  gauche  il  tient 
serré  sur  sa  poitrine  le  simulacre  de  Pallas;  et  ainsi ,  tournant  légè- 
rement la  tête  pour  regarder  en  arrière,  il  marche  d'un  pas  leste  et 
rapide.  Il  est  suivi  d'un  quadrige  traîné  par  quatre  rapides  coursiers 
excités  dans  leur  course  et  guidés  par  une  femme  qui  est  assise  sur  le 
char,  auprès  d'un  jeune  homme  vêtu  à  la  phrygienne,  la  tête  ceinte 
d'une  bandelette  et  couronnée  de  lauriers.  Il  ne  paraît  pas  douteux  que 
dans  la  figure  qui  tient  le  Palladium  on  ne  doive  reconnaître  le  trait 
de  l'enlèvement  de  cette  statue  ;  mais  comme  ce  ne  fut  pas  une  seule 
fois,  mais  bien  plusieurs,  que  cet  événement  eut  lieu,  soit  par  le  fait 
de  Diomède  et  d'Ulysse,  soit  par  celui  de  Démophon  et  à'Ergiœus, 
il  ne  semblera  pas  hors  de  propos  d'examiner  auquel  de  ces  enlève- 
ments peut  se  rapporter  cette  peinture. 

c(  Pour  commencer  par  le  trait  de  Démophon ,  c'est  à  Agamemnon 
qu'il  enleva  le  Palladium,  si  nous  nous  en  tenons  à  la  narration 
d'Eustathe,  de  Suidas,  d'Harpocration  et  à  celle  du  Grand  Étymo- 
logique. Or,  l'air  du  personnage  qui  est  dans  le  char,  et  son  vête- 
tement  qui  n'est  point  grec ,  ne  s'accorderaient  pas  avec  une  inter- 
prétation puisée  dans  ce  sujet,  les  traits  du  chef  des  Grecs  étant  bien 


LETTRE  A  M.  RAOUL  ROCHETTE.  327 

connus,  sinon  dans  sa  jeunesse,  du  moins  dans  son  âge  mûr,  tels 
qu'on  les  voit  si  bien  dans  son  effigie  sculptée  sur  le  cercueil  trouvé 
il  y  a  peu  de  temps  dans  le  tombeau  près  du  Camp  des  prétoriens,  hors 
de  la  porte  Pia  ;  et  bien  que  la  femme  assise  à  ses  côtés  pût  se  prendre 
pour  Cassandre,  qui,  selon  Euripide,  lui  échut  par  le  sort  lors  du 
partage  des  captives  troyennes ,  et  que  l'épée  tenue  par  le  héros  pût 
faire  allusion  au  carnage  que  Démophon  fit  des  Argiens,  cependant 
l'aspect  et  le  costume  de  celui  qui  devrait  représenter  Agamemnon  ne 
se  rapportant  pas  aux  conditions  de  sa  personne,  après  la  prise  de 
Troie ,  il  semble  véritablement  qu'on  ne  puisse  trouver  là  le  trait  en 
question  de  Démophon  ;  à  quoi  l'on  pourrait  ajouter  l'air  hautain  de 
la  femme  qui,  si  c'était  Cassandre,  devrait  paraître  plutôt  affligée, 
tant  à  cause  de  la  mort  des  siens  qu'à  raison  de  sa  condition  d'esclave. 
Si,  au  sujet  de  cet  enlèvement,  on  préférait  à  l'autorité  des  auteurs 
que  j'ai  cités  celle  de  Pausanias,  qui  dit  que  Démophon  enleva  le 
Palladium  à  Diomède,  et  non  pas  à  Agamemnon,  l'explication  n'en 
deviendrait  pas  plus  aisée;  car  le  héros  assis  sur  le  quadrige,  tel  qu'il 
est  représenté,  non-seulement  n'a  point  l'aspect  de  Diomède,  mais 
n'a  même  pas  le  genre  de  vêtements  employé  par  les  anciens  pour 
indiquer  les  personnages  de  V Iliade.  Quant  à  l'entreprise  d'Ergiaeus, 
le  peu  qu'en  rapporte  Plutarque,  dans  ses  Questions  grecques,  ne 
suffit  pas  pour  nous  donner  l'explication  de  notre  peinture;  de  sorte 
que  le  meilleur  parti  à  prendre  est  d'y  reconnaître  le  rapt  du  Palla- 
dium, exécuté  à  Troie  par  Ulysse  et  Diomède.  Sur  la  table  iliaque,  ils 
sont  tous  deux  sculptés,  avec  leurs  noms,  sur  le  point  de  sortir 
victorieux  de  leur  entreprise;  mais  c'est  Diomède  qui  tient  le  Palla- 
dium, et  Ulysse  le  suit  de  près,  comme  le  remarque  aussi  Fabretti. 
Euripide  était  de  l'opituon  que  ce  fut  Diomède  seul  qui  enleva  la 
statue;  ce  à  quoi  semble  se  rapporter  la  peinture  d'Athènes  décrite 
par  Pausanias,  où  était  retracé  l'enlèvement  dont  nous  parlons;  et 
Conon  avait  suivi  la  même  tradition.  D'un  autre  côté,  Virgile  et 
Suidas  rapportent  les  noms  de  ces  deux  guerriers  comme  ayant  con- 
couru ensemble  à  cette  périlleuse  entreprise;  ce  qui  se  trouve  aussi 
dans  Pline  et  dans  Ovide,  toutefois  avec  la  mention  d'Ulysse  en 
première  ligne,  et  de  Diomède  en  second  rang.  Mais  il  est  vrai  qu'en 
parlant  comme  il  faisait  du  roi  d'Ithaque,  il  entrait  dans  la  pensée 
d'Ovide  d'accumuler  sur  lui  tous  les  éloges;  ce  qui  se  remarque  aussi 
dans  les  récits  de  Libanius  et  de  Sabinus,  qui  attribuent  à  Ulysse  et 
non  à  Diomède  la  principale  part  dans  cette  glorieuse  entreprise. 
D'après  tout  ce  qui  vient  d'être  observé ,  il  semble  que  le  héros  de 


328  REVUK   ARCHÉOLOGIQUE. 

notre  peinture  doive  représenter  Diomède  armé  d'une  épée  nue  qu'il 
élève  en  l'air  avec  un  geste  menaçant,  encore  ému  du  combat  qu'il 
vient  de  livrer  aux  gardes  de  la  citadelle  de  Troie,  et  hâtant  son 
retour  vers  le  camp  des  Grecs.  II  est  représenté  entièrement  nu,  avec 
le  casque  sur  la  tête,  de  la  même  manière  qu'on  le  voit  sur  le  camée 
publié  dans  l'ouvrage  de  Fabretti.  Il  semble,  en  effet,  que  cette 
figure  doive  se  rapporter  plutôt  à  Diomède  qu'à  Ulysse,  parce  que 
ce  dernier  était  souvent  représenté  barbu,  comme  on  le  voit  sur 
beaucoup  de  vases  étrusques,  et  en  particulier  sur  le  miroir  oii  il  est 
figuré  au  moment  oii  il  vient  consulter  Tirésias.  Nul  doute  ne  peut 
s'élever  quant  à  la  statue  de  Pallas,  vu  la  description  qu'en  fournissent 
le  scholiaste  de  Lycophron,  Apollodore  et  Eustathe;  et,  quoique 
Strabon  suppose  qu  elle  était  assise,  son  témoignage  n'est  pas  si  sûr 
qu'il  ne  soit  infirmé  par  d'autres,  et  spécialement  par  les  monuments, 
parmi  lesquels  celui-là  même  dont  nous  nous  occupons  mérite  un 
rang  distingué,  ainsi  que  le préféricule  de  Ménélas  et  Hélène,  dans 
le  Museo  Gregoriano.  En  admettant  donc  qu'on  dut  reconnaître  ici 
l'enlèvement  du  Palladium ,  il  ne  saurait  être  douteux  que  le  char  et 
les  figures  qui  y  sont  assises  n'aient  quelque  rapport  avec  cette  his- 
toire. Il  a  été  démontré  que  ni  Agamemnon  ni  Ergiaeus  ne  pouvaient 
être  retrouvés  sous  ces  traits;  et  il  ne  serait  pas  probable  que  le 
peintre  y  eût  représenté  Anténor  et  Theano  s'enfuyant  de  la  citadelle, 
après  leur  trahison  opérée  en  faveur  des  Grecs ,  ainsi  que  le  raconte 
Suidas.  Mais  l'enlèvement  de  la  fatale  statue  se  joignait  à  d'autres 
circonstances ,  et  en  particulier  à  la  violence  exercée  sur  le  divin 
Hélénus  pour  le  forcer  à  révéler  les  destins  secrets  de  sa  patrie  et  la 
manière  dont  il  était  arrêté  par  le  sort  qu'elle  succomberait  aux 
attaques  de  ses  ennemis.  Ulysse  se  chargea  de  cette  entreprise ,  en 
promettant  d'amener  Hélénus  aux  Grecs.  Il  y  a  néanmoins  une  autre 
tradition,  suivie  par  Conon ,  d'après  laquelle  Hélénus ,  mécontent  de 
ce  que  Déiphobe ,  son  frère ,  avait  reçu  pour  épouse  Hélène  après  la 
mort  de  Paris ,  se  retira  sur  le  mont  Ida ,  d'oii ,  par  suite  de  la  haine 
qu'il  avait  conçue  contre  les  siens ,  il  se  rendit  auprès  des  Grecs  et 
leur  dévoila  les  arrêts  du  Destin.  En  suivant  donc  le  récit  de  Conon, 
on  pourrait  voir  dans  la  figure  virile  assise  sur  le  char  Hélénus  con- 
duit par  Junon  au  camp  des  Grecs.  La  femme  a  les  bras  nus  (ce  qui 
peut  faire  allusion  à  l'épithète  de  hw^levoç  que  lui  donne  Homère) 
et  ornés  de  bracelets ,  et  elle  semble  guider  la  course  des  chevaux 
et  les  pousser  vers  le  but  ;  ce  qui  indique  à  la  fois  la  reine  des  dieux 
et  l'implacable  ennemie  des  Troyens ,  la  déesse  qui  leur  enlève  leur 


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LETTRE  A  M.  RAOUL  ROCHETTE.  329 

dernière  ressource  en  dévoilant  les  secrets  du  Destin.  Rien  de  plus 
convenable  que  de  la  représenter  emmenant  avec  elle  sur  son  char 
Hélénus,  comme  pour  indiquer  que  c'est  elle  qui  lui  a  inspiré  la 
volonté  de  trahir  sa  patrie  :  l'auteur  de  cette  peinture  ne  pouvait 
mieux  représenter  la  démarche  d'Hélénus  entraîné  par  Junon.  Il 
existe  d'ailleurs  beaucoup  de  vases  peints  oii  sont  représentés  des 
dieux  et  des  déesses  montés  sur  des  quadriges  ;  et  il  est  conforme 
aux  récits  d'Homère  de  voir  l'image  d'une  déesse  marchant  de  cette 
manière  au  secours  des  Grecs. 

((  Si  l'on  préférait,  au  contraire ,  la  tradition  suivant  laquelle  c'était 
Ulysse  qui  avait  amené  Hélénus  dans  le  camp  des  Grecs,  tradition 
d'accord  avec  celle  de  quelques  auteurs  précédemment  cités  qui  attri- 
buaient à  Ulysse  la  gloire  d'avoir  enlevé  le  Palladium ,  on  trouverait 
précisément  tracées  dans  cette  peinture  deux  des  principales  actions 
de  ce  héros  résumées  dans  ces  vers  des  Métamorphoses  d'Ovide  (1)  : 

Quam  sum  Dardanio ,  quem  cepi ,  vale  potitus, 
Quam  responsa  deûra  trojanaque  fata  retexi , 
Quam  rapui  Phrygiae  signuni  penetrale  Minervœ 
Hostibus  è  mediis. 

«  Et  comme ,  selon  Pindare ,  Ulysse  était  souvent  protégé  par 
Junon,  celle-ci  peut  intervenir  aussi  dans  cette  entreprise,  et  c'est 
une  manière  d'indiquer  le  succès  qui  doit  la  couronner,  que  de  faire 
conduire  le  char  par  la  déesse  elle-même.  Or,  les  signes  extérieurs 
de  celui  qui  enlève  le  Palladium  se  rapportant  aussi  bien  à  Ulysse 
qu'à  Diomède,  la  peinture  peut  être  aussi  bien  interprétée  par  Ulysse 
qui  dérobe  le  Palladium  et  force  Hélénus  à  le  suivre.  On  doit  aussi 
remarquer  que  le  sol  que  parcourent  les  coursiers  est  indiqué  comme 
une  montagne,  afin  d'exprimer  ainsi  le  lieu  quitté  par  Hélénus, 
lequel  était  l'Ida.  Le  costume  même  du  jeune  homme  convient  par- 
faitement à  celui  des  tils  de  Priam  qui  avait  la  faculté  de  révéler 
l'avenir;  car  il  porte  les  anaxyrides  avec  une  tunique  courte,  par- 
dessus laquelle  est  jeté  un  manteau  brodé  à  la  phrygienne.  Il  est 
couronné  de  lauriers,  ce  qui  est  le  signe  d'un  prêtre  et  d'un  devin;  et 
sa  tête  est  ceinte  d'une  bandelette  qui  lui  voltige  en  arrière  sur  les 
épaules  comme  marque  de  sa  dignité  sacerdotale  ;  à  l'appui  de  quoi 
je  me  conterUerai  de  rappeler  le  vers  de  Sapho  cité  par  Athénée  sur 
les  couronnes  des  prêtres,  et  le  vase  de  la  collection  du  vicomte 
Beugnot,  où  se  voit  Hercule  prêt  a  sacrifier,  avec  la  tête  ceinte  d'une 

(1)  Liv.  XIII ,  V.  335-338. 


330  REVUE   ABCHÉOLOGÏQUE. 

couronne  de  lauriers.  Les  formes  jeunes  et  gracieuses  indiquent  un 
fils  de  Priam;  car  il  devait  être  tel  avant  la  prise  de  Troie;  l'arran- 
gement des  cheveux,  le  costume  riche  et  difl'érent  du  vêtement  hel- 
lénique le  désignent  comme  Troyen ,  en  même  temps  que  tout  le  luxe 
déployé  sur  sa  personne  indique  bien  sa  royale  origine.  Reste  à 
expliquer  le  motif  de  la  massue  qu'il  tient.  Comme  c'était  une  arme 
de  guerre,  on  pourrait  supposer  que  par  là  l'artiste  a  voulu  aussi 
faire  allusion  à  sa  qualité  de  guerrier;  car  il  est  représenté  sur  la 
tahle  iliaque,  une  fois  combattant,  et  une  autre  fois  sans  armes  et 
assis  parmi, les  prisonniers;  sans  compter  qu'il  est  nommé  par  Ho- 
mère, au  1 3*=  chant ,  parmi  ceux  qui  combattent  contre  Ménélas.  La 
massue  pourrait  encore  être  regardée  comme  un  symbole  asiatique , 
attendu  qu'on  la  voit  empreinte  sur  les  monnaies  d'Archelaiis  et  de 
Mithridate;  ou  bien  encore  ce  pourrait  être  un  moyen  d'indiquer  que 
Priam,  père  d'Hélénus,  aurait  reçu  d'Hercule  le  royaume  de  Troie; 
mais  je  n'insiste  pas  sur  cette  conjecture.  Cette  amphore  fut  trouvée, 
il  y  a  quelques  années ,  au  lieu  que  j'ai  indiqué.  Elle  est  de  couleur 
rouge  sur  fond  noir.  La  peinture  du  côté  opposé  est  peu  importante; 
on  y  voit  un  satyre  faisant  le  mouvement  d'exécuter  un  saut  devant 
une  jeune  fille  enveloppée  d'un  manteau.  » 

L.  Grifi. 


OBÉLISQUE  D'AXOUM  (!)• 

(  Extrait  du  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie,  ) 

Plusieurs  voyageurs  ont  visité  et  décrit  les  ruines  d'Axoum.  Tous 
ont  admiré  l'obélisque  qu'on  voit  encore  debout  sur  une  grande  place 
au  nord  de  la  ville ,  ainsi  que  l'arbre  colossal  qui  l'ombrage  de  ses 
immenses  branches. 

Il  est  d'un  bloc  de  syénite  gris  et  il  est  probable  qu'il  a  été  taillé  dans 
la  montagne  voisine  qui  est  formée  de  la  même  roche.  Les  Abyssins 
qui  n'ont  pas  la  moindre  idée  des  sciences  ni  des  arts  ne  conçoivent 
pas  comment  on  a  pu  élever  une  si  grande  pierre  et  ils  sont  tous  con- 
vaincus qu'on  n'a  pu  y  parvenir  qu'à  l'aide  des  esprits  malins.  Ils 
pensent  aussi  qu'elle  a  été  érigée  par  les  méchants  qui  espéraient  ainsi 
arriver  au  séjour  des  bienheureux. 

Bruce  et  Sait  ont  dessiné  cet  obélisque,  le  plus  bel  ornement  de  la 
ville  d'Axoum.  Mais,  en  examinante  dessin  que  chacun  d'eux  en  a 
donné,  il  est  impossible  de  croire  qu'ils  ont  voulu  représenter  le 
même  objet.  Bruce  s'écarte  tant  de  la  vérité  qu'il  nous  est  permis  de 
supposer  qu'il  l'a  dessiné  pour  la  première  fois  en  Angleterre,  se  rap- 
pelant alors  seulement  ce  magnifique  monument,  mais  ayant  oublié 
complètement  et  ses  formes  et  ses  contours.  Sait,  quoique  moins 
inexact  que  son  devancier,  a  commis  cependant  quelques  erreurs 
qu'il  importe  de  faire  connaître  et  de  rectifier. 

La  patère  qui  couronne  l'obélisque  est  représentée  par  lui  comme 
terminée  en  pointe  et  formée  par  deux  arcs  de  cercle  qui  se  coupent; 
mais  nous  pouvons  assurer  qu'elle  est  entièrement  arrondie  et  que 
son  contour  forme  exactement  un  demi-cercle.  Sait  dessine  des  orne- 
ments sur  toutes  les  faces  et  cependant  il  n'en  existe  que  sur  celle 
qui  est  tournée  vers  le  sud.  Cette  dernière  face,  la  seule  qui  porte  des 
sculptures,  a  été  creusée  au  milieu  et  on  y  a  pratiqué,  de  haut  en 
bas,  une  espèce  de  rainure  urt  peu  plus  large  que  le  tiers  de  la  largeur 
totale  de  l'obélisque.  C'est  dans  cette  partie  seulement  qu'ont  été 
taillés  les  ornements  en  relief  dont  il  est  question.  Poucet  qui  a  visité 
l'Abyssinie  avant  Bruce  et  Sait  est  complètement  dans  l'erreur  quand 
il  dit  que  cet  obélisque  est  chargé  d'hiéroglyphes. 

Ferket  et  Galinier. 

(1)  Voir  la  Pianc^e  de  la  deuxième  livraison,  15  mai  1844. 


MANCHE  DE  SCEAU   DIVOIRE 


Millin  s'était  procuré  pendant  son  voyage  en  Italie  le  dessin 
d'un  monument  d'ivoire  appartenant  à  la  collection  célèbre  du  comte 
Gherardesca  :  ce  dessin  n'a  jamais  été  publié  et  nous  le  donnons  dans 
ce  recueil,  parce  qu'il  se  rapporte  au  travail  de  notre  collaborateur, 
M.  Maury  (1  );  c'est  le  manche  d'un  sceau  qui  paraît  avoir  été  sculpté 
au  xiii^  siècle  dans  l'Italie  septentrionale.  Il  représente  d'un  côté 
saint  Michel  assis,  tenant,  de  la  main  droite,  une  épée  ;  de  la  gauche, 
une  balance.  L'archange  est  ici  revêtu  complètement  du  caractère  de 
la  Justice,  car  il  tient  d'une  main  la  balance  qui  lui  sert  à  peser  les 
actions  des  hommes,  de  l'autre,  le  glaive  qui  devra  châtier  ceux  que 
la  souveraine  et  éternelle  équité  aura  reconnus  coupables.  Au  revers 
de  saint  Michel  on  a  figuré  un  évêque  debout,  appuyé  sur  sa  crosse, 
et  levant  la  main  droite,  en  faisant  le  geste  de  la  bénédiction.  Nous 
ne  saurions  dire  si  cet  évêque  est  saint  Ambroise  ou  tout  autre  saint 
évêque  d'Italie;  pour  déterminer  l'identité  de  ce  personnage,  il 
faudrait,  avant  tout,  savoir  dans  quelle  ville  le  manche  de  sceau  a  été 
sculpté.  Mais  là  n'est  pas  la  question ,  et  nous  croyons  que  l'on  peut 
trouver  la  symbolique  de  ce  monument,  indépendamment  de  toute 
notion  de  sa  provenance.  La  bénédiction  épiscopale  est  essentielle- 
ment un  symbole  de  paix  ;  et,  de  fait,  en  imposant  les  mains,  un  évêque 
dit  aux  chrétiens  :  Pax  tecum.  Sur  la  monnaie  des  évêques  du  moyen 
âge  le  mot  pax  et  la  main  bénissante  sont  des  équivalents.  Je  crois 
donc  qu'en  donnant  au  saint  évêque  l'attitude  de  la  bénédiction,  on  a 
eu  pour  but  d'exprimer  la  Paix ,  au  point  de  vue  chrétien  et  que  la 
réunion  de  cette  justice  et  de  cette  paix  fait  allusion  au  onzième  ver- 
set du  psaume  84  ;  Misericordia  et  çeritas  ohviaçerunt  sihi;  justicia 
et  PAX  oscalatœ  sunt.  Cette  idée  convient  parfaitement  à  l'instrument 
qui  doit  servir  à  authentiquer  des  transactions  où  la  justice  doit  régner, 
et  qui  sont  destinées  à  prévenir  la  discorde.  On  pourra  objecter  que 
deux  figures  adossées  répondent  mal  à  l'expression  osculatœ  ;  mais 
l'essentiel  est  que  l'assemblage  soit  évident  ;  et  ici  l'idée  de  réunion 
est  parfaitement  rendue. 

A.  L. 


(1)  Voyez  plus  haat ,  p.  237,  ce  que  cet  archéologue  a  dit  au  sujet  de  saint  Michel 
considéré  comme  grand  Ponderator. 


QUELQUES  OBSERVATIONS 


SUR 


LE  MUSÉE  DES  AIVTIQUES  DU  LOUVRE, 


Une  lettre  écrite  d'Athènes,  en  date  du  21  juin  dernier,  et  adressée 
au  directeur  de  la  Reme  de  Paris,  vient  d'appeler  l'attention  des 
amis  des  arts  sur  l'état  actuel  du  Musée  du  Louvre.  L'auteur  ano- 
nyme de  cette  lettre  a  été  tellement  frappé  de  l'incurie  apportée  par 
les  conservateurs  du  Musée,  à  la  garde  de  cette  précieuse  collection, 
qu'il  s'applaudit  de  savoir  que  les  nouveaux  objets  envoyés  par 
M.  Prisse  ne  vont  plus  grossir  le  nombre  de  ceux  qui  sont  entassés 
dans  les  rez-de-chaussée  du  Louvre,  et  que  les  curieux  bas-reliefs 
de  la  Chambre  de  Mœris  sont  destinés  à  la  Bibliothèque  royale. 
Quant  à  nous,  nous  avons  été  d'autant  moins  surpris  d'apprendre 
que  l'insouciance  coupable  des  directeurs  des  Musées  royaux  était 
chose  connue  jusqu'à  Athènes,  que  nous  avions  pour  notre  part 
fait  depuis  longtemps  de  tristes  réflexions  à  cet  égard  ;  toutefois  nous 
espérions  toujours  qu'une  disposition  de  l'intendant  général  de  la 
liste  civile  viendrait  remédier  à  cet  abus,  et  nous  attendions  impa- 
tiemment le  moment  oii  tant  de  monuments  intéressants  seraient 
livrés  aux  regards  et  aux  études  du  public.  Mais  puisque  tout  donne 
à  penser  que  d'ici  à  longlemps  ce  système  de  vandalisme  continuera 
à  être  suivi,  puisque  nous  voyons  le  Musée  apprendre  avec  in- 
différence que  M.  Prisse  envoie  à  la  Bibliothèque  royale  des  mo- 
numents dont  la  place  était  marquée  d'avance  au  Louvre,  nous  ne 
pouvons  plus  garder  le  silence,  et  nous  viendrons  joindre  notre  voix 
à  celle  inconnue,  mais  pleine  de  bon  sens  et  parfaitement  éclairée, 
qui  est  partie  d'Athènes. 

Lorsque  nous  commençâmes  à  explorer  le  Musée  du  Louvre, 
nous  fûmes  frappés  de  voir  combien  il  s'était  peu  enrichi  depuis  une 
douzaine  d'années.  Cette  observation  nous  était  d'autant  plus  pé- 
nible que  nous  savions  combien,  au  contraire,  depuis  ce  même  laps 
de  temps,  les  Musées  de  Londres,  de  Berlin ,  de  Munich,  de  Turin, 
s'étaient  agrandis.  En  1831,  Paris  pouvait  se  placer  avec  avantage 
parmi  les  villes  les  mieux  dotées  sous  le  rapport  archéologique,  et  de- 
puis nous  remarquions  avec  peine  qu'il  tendait  à  déchoir  notablement 
du  rang  qu'il  occupait.  Et  cependant  nous  ne  pouvions  nous  ex- 
pliquer cet  état  stationnaire;  car  si,  d'une  part,  nous  savions  que 


334  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

le  Musée  avait  peu  acquis  dans  ces  dernières  années,  nous  savions, 
d'un  autre  côté,  que  des  voyageurs  courageux ,  des  annateurs  zélés 
et  amis  de  la  France,  avaient  enrichi  gratuitement  ce  même  Musée 
du  fruit  de  leurs  explorations.  Quelle  ne  fut  pas  notre  surprise, 
quand  nous  apprîmes  que  d'innombrables  débris  antiques,  et  no- 
tamment plusieurs  de  ceux  que  nous  savions  être  arrivés  au  Louvre 
par  une  voie  toute  libérale,  étaient  entassés  pêle-mêle,  sans  pré- 
caution ,  dans  le  rez-de-chaussée  I  Nous  pensâmes  alors  que  le  dé- 
faut de  place  contraignait  les  directeurs  du  Musée  de  tenir  ces  pré- 
cieux monuments  loin  des  yeux  des  visiteurs,  et  nous  ne  doutâmes 
^lus  qu'on  ne  s'empressât  de  leur  trouver  un  local  et  un  emplace- 
ment. Illusion  dont  nous  fûmes  cruellement  désabusé ,  lorsqu'étant 
parvenu  à  pénétrer  dans  le  rez-de-chaussée,  nous  reconnûmes  que 
les  salles  où  tout  était  entassé  fournissaient  en  grande  partie  le  local 
demandé  ;  qu'il  n'y  avait  qu'à  apporter  un  peu  d'ordre  et  de  régu- 
larité dans  la  disposition  des  monuments;  qu'à  effectuer  quelques 
transports  pour  avoir  quatre  nouvelles  salles,  et  de  la  plus  belle  gran- 
deur, digne  complément  de  notre  Musée.  Alors,  nous  l'avouons,  la 
conduite  de  la  liste  civile  nous  a  paru  inexplicable  ;  nous  nous  sommes 
demandé  si ,  en  présence  d'un  tel  état  de  choses,  le  titre  de  conser- 
vateurs, donné  à  ceux  qui  sont  placés  à  la  tête  de  ces  établissements, 
n'était  pas  la  plus  amère  plaisanterie  qu'on  pût  leur  adresser.  Nous 
nous  demandâmes  surtout  si  la  France  pouvait  consentir  à  ce  qu'on 
traitât  ainsi,  sans  plus  de  réçérence  que  ne  le  ferait  un  maçons  ce 
qu'elle  avait  fait  venir  à  grands  frais  ;  ce  qui  était  le  résultat  de 
voyages  et  d'explorations  qui  avaient  figuré  lourdement  au  budget, 
et  si  les  représentants  de  la  nation  ne  se  croiraient  pas  fondés  à 
refuser  les  allocations  demandées  pour  de  pareilles  dépenses,  quand 
ils  sauraient  que  tel  est  l'emploi  fait  des  antiquités  auxquelles  elles 
sont  consacrées. 

Il  faut  avoir  vu  les  salles  basses  du  Louvre  où  sont  déposés  en  tas 
comme  des  décombres  tous  les  monuments  qui  nous  occupent,  pour 
se  faire  une  idée  de  ce  désordre  si  funeste  à  la  conservation  de  ces 
monuments  eux-mêmes,  puisque  l'on  est  obligé  de  marcher  sur  plu- 
sieurs d'entre  eux,  pour  pouvoir  extraire  de  ces  salles,  des  statues  mo- 
dernes qui  y  sont  parfois  momentanément  déposées.  Et  quand  on 
pense  que  ce  qui  est  abandonné  comme  un  tas  de  pierres  se  compose 
de  la  plus  admirable  collection  de  sarcophages,  de  stèles,  d'inscriptions 
de  frise,  de  statuettes  et  de  statues  colossales,  tout  cela  venu  d'Egypte 
et  au  milieu  desquels  figurent  plusieurs  morceaux  de  premier  ordre, 


MUSÉE  DES  ANTIQUES  DU  LOUVRE.  336 

on  ne  peut  pas  se  défendre  d'un  peu  d'humeur  pour  ne  pas  dire  davan- 
tage, si  l'on  est  Français  et  si  on  aime  les  arts.  C'est  dans  ces  salles 
que  se  trouvent  les  bas- reliefs  d'Assos  si  intéressants  pour  l'histoire  de 
la  sculpture,  posés  à  terre  sans  plus  de  cérémonie  que  des  moellons; 
c'est  là  que  sont  placés  les  superbes  fragments  venant  d'Olympie  et  la 
belle  statue  du  pédagogue  des  Niobides  qui  ferait  envie  à  Florence,  et 
qu'à  coup  sûr  elle  ne  mettrait  pas  à  la  cave.  C'est  là  enfin  que  se 
pressent  plusieurs  des  morceaux  de  première  rareté,  énumérés  par 
l'auteur  de  la  lettre  d'Athènes  :  le  grand  sarcophages  de  Rhamsès  IV, 
en  granité  rouge,  la  slatue  colossale  de  Rhamsès  III,  en  brèche  memno- 
nienne,  celle  d'Aménophis  III,  en  granité  rouge,  celle  de  Meneph- 
thath  III,  en  granité  gris ,  un  sphinx  colossal  de  Rhamsès  III,  en  gra- 
nité rose,  deux  chapelles  monolithes  de  Psammétichus  II  et  de  Cléo- 
pâtre,  un  autre  sarcophage  du  temps  de  Psammétichus  II,  acheté 
30,000  francs  de  M.  Drovetti. 

Nous  pourrions  continuer  encore  longtemps  cette  énumération; 
elle  fatiguerait  le  lecteur;  elle  noircirait  encore  davantage  les  con- 
servateurs, assez  noirs  déjà  dans  l'esprit  des  amateurs.  Au  reste, 
cette  insouciance,  qui  paraît  porter  surtout  sur  les  monuments 
égyptiens  (bien  qu'outre  le  conservateur  des  Antiques,  ils  aient  en- 
core un  sous-conservateur  particulier),  se  révèle  déjà  dans  la  partie 
du  Musée  égyptien  exposée  au  public  :  là,  aucun  ordre  systématique 
dans  la  disposition  des  objets,  aucun  catalogue  qui  en  fasse  connaître 
au  visiteur  la  signification,  la  rareté,  la  provenance;  rien,  en  un 
mot,  qui  mette  en  relief  pour  l'étranger  ce  musée,  le  plus  français  des 
musées  antiques,  puisque  c'est  un  Français  qui  l'a  formé,  qui  lui  a 
donné  son  importance ,  qui  en  a  déchiffré  les  monuments  !  Champol- 
lion ,  dont  nous  devrions  retrouver  le  nom  écrit  sur  la  porte  !  Cette 
même  négligence  à  publier  les  catalogues  de  ses  richesses  archéolo- 
giques ne  s'est  pas  arrêtée  là  chez  la  liste  civile  :  hormis  l'excellent 
catalogue  de  M.  de  Clarac,  aucun  autre  catalogue  n'a  été  publié,  et 
celui  des  vases,  si  important,  si  plein  d'intérêt,  n'est  pas  encore  mis 
sous  presse,  bien  qu'on  assure  qu'il  soit  fait  et  n'attende,  pour  être 
livré  à  l'impression,  que  le  bon  plaisir  de  M.  l'intendant  général.  Ne 
nous  étonnons  pas,  du  reste,  de  cette  négligence,  on  devait  s'y  attendre 
de  la  part  d'un  Musée  qui  avait  laissé  passer  à  l'étranger  l'admirable 
collection  du  chevalier  Durand.  Ce  n'est  rien  encore,  et  l'indifférence 
pour  l'antiquité  vient  d'être  portée  si  loin,  que  nous  en  sommes  réduits 
à  souhaiter  qu'au  moins  tous  les  monuments  que  le  Louvre  possède , 
jouissent  d'un  abri,  fût-ce  même  pêle-mêle  avec  des  statues  modernes 
sans  destination,  et  qu'on  a  achetées  à  des  artistes  apparemment 


336  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

pour  encombrer  un  peu  plus  les  rez-de-chaussée.  Maintenant,  à  oe  qu'il 
paraît,  c'est  la  cour,  ou  plutôt  l'enclos  placé  devant  la  colonnade,  et 
dans  laquelle  reposèrent  autrefois  les  héros  de  juillet,  qui  va  servir  de 
succursale  aux  salles  basses  ;  c'est  là  qu'à  la  pluie,  au  vent,  à  la  neige, 
à  la  poussière,  à  la  fumée  des  maisons  voisines,  sous  le  climat  chan- 
geant de  Paris,  on  conserve  le  magnifique  sarcophage  de  Thessalonî- 
que,  envoyé  par  M.  Gillet,  et  les  bas -reliefs  de  la  frise  du  temple  de 
Diane  Leucophryne,  à  Magnésie,  apportés  par  M.  Texier.  Ce  sarco- 
phage ,  un  des  plus  beaux  de  conservation  que  nous  ait  laissés  sans 
contredit  l'art  Romain,  est  placé  là  provisoirem'ent,  ce  qui,  en  style 
de  liste  civile,  dans  le  dictionnaire  dont  fait  usage  M.  l'architecte  du 
Louvre,  signifie  fort  longtemps,  pour  ne  pas  dire  toujours. 

Lorsque  nous  vîmes  ce  magnifique  monument,  on  était  en  train  de 
vider  l'eau  croupie  dont  il  était  rempli  !  Il  n'y  aurait  qu'à  replacer  la 
tête  des  deux  personnages  dont  les  statues  sont  couchées  sur  ce  sarco- 
phage, pour  que  ce  monument  parût  sortir  des  mains  de  l'ouvrier.  Il 
ferait  un  des  ornements  de  la  salle  du  Tibre  ou  des  Cariatides  ou  de 
toute  autre  salle ,  dans  laquelle  il  serait  aisé  de  lui  faire  une  place. 
Mais  nous  avons  appris  que  M.  Fontaine  attend  pour  le  placer  qu'il 
ait  un  pendant,  vu  qu'il  ne  veut  rien  que  de  symétrique,  dût-il  pri- 
ver le  public  du  plus  beau  morceau!  A  l'ignorance  et  à  l'insouciance 
qu'il  manifeste  pour  tout  ce  qui  est  antiquité,  nous  croirions  volon- 
tiers qu'il  s'imagine  qu'on  fabrique  à  Thessalonique  des  sarcophages 
antiques  dans  le  même  goût,  et  qu'il  attend  l'envoi  de  quelque  autre, 
pour  se  décider  à  ne  plus  laisser  celui-ci  se  déliter  et  se  noircir  à  l'air; 
il  se  dit  sans  doute  que  si  ce  monument  vient  à  être  endommagé,  il 
en  serait  quitte  pour  le  faire  réparer!  Memmius,  s'il  eût  été  architecte 
du  Louvre,  n'aurait  certainement  pas  agi  autrement. 

Ce  qui  nousirrite  et  nous  afflige  tout  à  la  fois,  c'est  que  nous  ne 
connaissons  pas  au  juste  le  criminel  ou,  pour  mieux  dire,  que  tout  le 
monde  nous  paraît  coupable,  depuis  les  ouvriers  jusqu'à  l'intendant 
général.  Nous  accuserions  en  première  ligne  le  conservateur  des  an- 
tiques ,  si  l'amour  désintéressé  qu'il  a  toujours  témoigné  pour  les 
arts,  le  zèle  excessif  qu'il  apporte  dans  tout  ce  qui  les  concerne,  ne 
rendait  cette  accusation  évidemment  injuste  et  invraisemblable.  Il 
faut  du  moins  que  les  excellentes  intentions  de  ce  conservateur, 
savant  amateur  lui-même,  soient  paralysées  par  le  mauvais  vouloir  des 
uns  et  l'entêtement  des  autres.  Nous  avons  ouï  dire  que  le  principal 
auteur  de  ce  désordre  serait  l'architecte  du  Louvre  lui-même  :  soutenu 
aussi,  il  faut  croire,  dans  ses  ridicules  préventions  contre  l'antiquité, 
par  le  directeur  des  musées  royaux  qui  paraît  aussi  étranger  aux  arts 


MUSÉE    DES    ANTIQUES    DU    LOUVRE.  337 

que  peu  soucieux  de  les  encourager.  (Il  est  bien  entendu  que  nous 
disons  les  arts  et  non  les  artistes,  ce  qui  est  bien  à  distinguer.)  S'il  est 
vrai  que  la  monomanie  et  l'obstination  d'un  vieillard ,  incapable  de 
comprendre  l'antiquité,  soient  les  causes  qui  maintiennent  cet  état  de 
choses,  nous  ne  pouvons  que  former  des  vœux,  pour  que  la  personne 
auguste  et  si  amie  des  arts,  au  pouvoir  de  laquelle  ces  trésors  archéo- 
logiques sont  placés,  jette  un  regard  sur  ces  abus  et  les  fasse  cesser. 
Nous  sommes  persuadé  que  si  elle  était  instruite  de  ce  qui  se  fait  au 
Musée  des  Antiques  et  si  elle  apportait  autant  de  soin  qu'elle  en  met 
à  parcourir  le  Musée  de  Versailles,  le  désordre  ne  se  prolongerait  pas 
davantage.  Nous  sommes  d'autant  plus  fondé  à  le  croire  que  l'on  ne 
peut  alléguer  les  frais  énormes  que  nécessiterait  la  mise  en  état  du 
nouveau  musée ,  dont  l'emplacement  et  les  éléments  existent,  et  qui 
ne  demanderait  tout  au  plus  que  quelques  journées  d'ouvriers.  Si  nous 
connaissions  les  conservateurs  des  Antiques  et  du  Musée  égyptien, 
nous  les  engagerions ,  en  vertu  du  proverbe,  charbonnier  est  maître 
chez  lui,  à  ne  pas  laisser  un  architecte  s'immiscer  à  ce  qu'il  ne  com- 
prend et  déclare  lui-même  ne  pas  vouloir  comprendre.  L'existence  du 
Musée  égyptien  est  liée  aux  progrès  de  l'histoire ,  non-seulement 
en  France,  mais  dans  le  monde;  et  si  nous  ne  nous  trompons, 
elle  importe  un  peu  plus  à  ses  progrès,  que  la  série  plus  ou  moins 
médiocre  de  tableaux  de  commande  et  de  pacotille,  destinés  à 
apprendre  aux  badauds  qui  vont  voir  Versailles,  des  faits  que  tout  le 
monde  sait  et  qu'on  a  pris  le  soin,  à  si  grands  frais,  de  leur  expliquer 
dans  un  volumineux  catalogue. 

Nous  dirons,  en  terminant,  que  si  l'état  dans  lequel  sont  les  anti- 
quités du  Louvre  doit  durer,  nous  regrettons  sincèrement  que  la  révo- 
lution de  juillet  n'ait  pas  rendu  à  la  nation  des  musées  que  l'on  n'a  laissés 
à  la  royauté  que  dans  l'espoir  qu'ils  s'agrandiraient  davantage  par  sa 
munificence.  Une  telle  conduite  de  la  liste  civile  va  faire  multiplier  les 
imitateurs  de  M.  Prisse.  Quand  on  saura  que  le  généreux  donateur  du 
sarcophage  de  Thessalonique,  M.  Gillet,  qui  avait  refusé  de  le  livrer  à 
l'étranger  pour  cent  mille  francs,  n'a  pas  même  reçu  un  remercîment 
de  la  maison  du  roi  et  qu'il  est  encore  à  savoir  officiellement  ce  qui 
est  advenu  de  son  présent,  on  sera,  certes,  peu  encouragé  à  imiter  une 
générosité  payée  par  tant  d'ingratitude.  Et  tout  nous  donne  à  penser 
qu'il  ne  faut  plus  rien  espérer  pour  un  musée  pour  lequel  il  est  de 
bon  ton  de  montrer  à  la  cour  de  l'indifférence  et  du  dédain  I 

F.  L. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES 


—  M.  le  comte  de  Clarac,  conservateur  du  Musée  des  antiques 
du  Louvre,  vient  de  faire  paraître  le  Catalogue  des  Artistes  de  l'anti- 
quité ,  le  plus  complet  qui  ait  été  encore  composé.  Ce  travail ,  qui 
forme  une  partie  de  l'important  Manuel  de  l'Art  ancien  que  publiera 
incessamment  cet  habile  et  consciencieux  antiquaire ,  sera  accueilli , 
nous  l'espérons,  par  le  monde  savant,  avec  toute  la  faveur  qu'il 
mérite  par  le  soin  excessif  qui  a  été  apporté  à  sa  rédaction ,  et  les 
nombreux  détails  sur  les  procédés  de  l'art  qu'il  renferme.  Il  nous 
donne  à  l'avance  une  idée  bien  avantageuse  du  livre  dont  il  ne 
constitue  qu'un  fragment. 

—  L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  a  tenu  sa  séance 
publique  annuelle  le  9  août,  sous  la  présidence  de  M.  Guigniaut. 

M.  Lenormant  a  présenté  le  rapport  sur  les  Mémoires  envoyés 
au  concours  pour  les  prix  d'antiquités  nationales.  Le  savant  acadé- 
micien sait  donner  à  ce  genre  de  communications  un  intérêt  très- 
réel  et  très-vif  par  la  manière  ferme  et  impartiale  avec  laquelle  il 
expose  les  jugements  de  l'Académie,  et  donne  des  avis  pour  l'avenir. 

La  première  médaille  a  été  décernée  au  Mémoire  de  feu  Hercule 
Géraud,  intitulé  :  Ingerburge  de  Danemark  y  reine  de  France. 

Les  autres  médailles  ont  été  données  à  MM.  Marchegay,  la  Tey- 
sonnière,  Cheruel  et  Leglay. 

Plusieurs  mentions  trèâ- honorables,  ou  simplement  honorables, 
ont  été  accordées  à  divers  antiquaires. 

Le  prix  de  numismatique,  fondé  par  Allier  de  Hauteroche,  a  été 
décerné  à  M.  Gennaro  Riccio,  juge  napolitain,  pour  son  ouvrage 
intitulé  :  Monete  délie  FamigUe  Romane,  livre  très-intéressant  dont 
nous  rendrons  compte. 

La  Reçue  donnera  in  extenso,  dans  un  de  ses  plus  prochains 
numéros ,  les  rapports  lus  à  l'Académie,  sur  le  prix  de  numismatique 
et  sur  les  antiquités  nationales. 

—  On  vient  de  trouver  dans  les  environs  de  Valenciennes  un  denier 
d'argent  de  l'époque  mérovingienne  qui  paraît  inédit.  Cette  monnaie, 
parfaitement  conservée,  fait  aujourd'hui  partie  du  cabinet  de  M.  Be- 
nezech  de  St. -Honoré,  maire  du  Vieux-Condé.  D'un  côté,  autour 
d'une  tête  d'un  style  barbare,  on  lit  ce  mot  :  montiniaco.  De  l'autre 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  339 

est  une  croix'entre  les  branches  de  laquelle  on  distingue  deux  lettres 
avec  cette  inscription  autour  :  eodvlfo  mone.  Ce  denier  doit  être , 
selon  toutes  probabilités,  attribué  au  bourg  de  Montigny  en  Bassigny, 
situé  près  des  sources  de  la  Meuse,  à  six  lieues  de  Langres.  Le  nom 
de  l'officier  monétaire  qui  a  frappé  cette  pièce  était  peut-être  Theo- 
doïfas,  car  jusqu'à  présent  le  nom  Eodulfus  est  inconnu,  et  l'antiquaire 
à  qui  nous  devons  cette  nouvelle  n'a  peut-être  pu  distinguer  le  th 
initial  emporté  par  le  temps. 

—  M.  Albert  Way,  directeur  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Lon- 
dres, adressa,  vers  la  fin  de  l'an  dernier,  au  Comité  historique  des 
arts  et  monuments,  un  document  ancien  qui  intéresse  vivement  la 
France.  Dans  le  second  tiers  du  xiir  siècle,  un  artiste  français  fut 
chargé  de  confectionner,  à  Limoges  même,  une  tombe émaillée  pour 
un  évêque  de  Rochester;  Jean  de  Limoges ^  l'émailleur,  accompagna 
son  œuvre  jusqu'en  Angleterre  pour  en  diriger  la  pose.  Le  document 
recueilli  par  M.  Way  révèle  non-seulement  le  nom  de  l'artiste ,  mais 
encore  le  prix  qui  fut  alloué  pour  confectionner,  charrier  et  construire 
le  monument.  Cette  tombe  de  Rochester  n'existe  plus,  mais  l'abba- 
tiale de  Wetsminster  en  conserve  encore  une  semblable,  entièrement 
française  d'exécution,  et  qui  représente  un  comte  de  Pembroke, 
originaire  de  la  famille  française  de  Valence.  On  savait  bien  que  la 
France  avait  prêté,  durant  le  cours  du  moyen  âge,  des  architectes  et 
des  peintres  sur  verre  à  l'Angleterre,  mais  on  ignorait  encore  qu'elle 
lui  eût  fourni  des  fondeurs  et  des  émailleurs. 

—  Dans  plusieurs  diocèses  de  France,  on  rassemble  avec  soin  les 
éléments  d'une  statistique  de  tous  les  monuments  religieux.  Le  carac- 
tère de  leur  construction,  les  légendes  et  les  pèlerinages  des  anciens 
tempsqui  se  rattachent  à  ces  édifices  sont  l'objet  d'investigations  mul- 
tipliées. M.  l'évêque  d'Amiens  a  voulu  seconder  un  zèle  si  louable. 
Par  une  circulaire  qu'il  a  adressée  à  tous  les  ecclésiastiques  de  son 
diocèse,  il  les  a  invités  à  répondre  à  une  série  de  questions  qui  leur 
ont  été  transmises  par  MM.  H.  Dusevel  et  P.  Roger,  d'Amiens.  A 
l'aide  des  documents  qui  leur  sont  parvenus  ces  deux  écrivains  viennent 
de  faire  paraître  la  première  partie  d'une  Revue  historique  et  archéo- 
logique des  églises  de  Picardie  et  d'Artois,  qui  présente  un  grand 
nombre  de  détails  sur  l'architecture ,  la  sculpture  et  la  peinture  au 
moyen  âge. 


GRAVURES 

PUBLIÉES    DANS  LA   CINQUIÈME    LIVRAISON 


DE   LA 


KEVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 


MOYEN  AGE. 

SCULPTURE  :  —  Manche  de  sceau  d'ivoire,  d'après    un  dessin 
inédit  de  Millin.  Voy.  page  332. 

ARCHITECTURE  :  —  Arabon  de  Saint-Laurent  à  Rome ,  d'après 
un  dessin  de  M.  Horeau.  (Voir  l'article  sur  les 
Ambons  dans  les  Éléments  d'Archéologie  du  doc- 
teur Batistier,  p.  354  et  suiv.  ) 

VIGNETTES  SUR  BOIS. 

—  Scène  de  la  Psychostasie  chez  les  Égyptiens. 

—  Yama  pesant  des  cadavres  ;  représentation  bouddhique.     • 

—  Miroir  de  Jenkiiis. 

—  Balance  d'après  un  vase  peint. 

—  Pèsement  de  l'âme ,  d'après  une  ancienne  gravure  allemande. 


LES  HIEROGLYPHES 

ET  LA  LAXGUE  ÉGYPTIENNE, 

A  PROPOS  d'une  critique  DE  LA  GRAMMAIRE  DE  CHAMPOLUO?? , 

PAR  FEU  LE  DOCTEtR  DUJARDIN  (1). 


Huit  années  se  sont  écoulées  depuis  la  publication  de  l'article  que 
le  docteur  Dujardin  avait  destiné  à  ruiner  jusque  dans  ses  fondements 
la  théorie  de  Champollion  le  jeune  sur  les  écritures  et  la  langue  de 
l'antique  Egypte;  huit  années  entières,  pendant  lesquelles  les  disciples 
du  créateur  d'une  science  admirable,  parce  qu'elle  est  réelle,  ont  été 
détournés,  par  leurs  propres  travaux,  de  prendre  la  plume,  pour  dire 
au  public  lettré  qu'on  cherchait  à  le  tromper,  pour  protester  contre 
des  sophismes  entassés  à  plaisir  afin  d'égarer  l'opinion  de  ce  public  sur 
un  sujet  aussi  digne  de  son  attention  ;  c'était  donc  à  moi  qui  me  suis 
mis  en  opposition  avec  Champollion  lui-même  sur  quelques  points 
de  sa  doctrine,  c'était  à  moi  qu'était  réservé  l'honneur  de  repousser 
la  plus  vive  des  attaques  que  cette  doctrine  ait  subies  jusqu'à  ce  jour. 
Étrange  fatalité  !  c'est  à  Champollion  mort  que  s'adressaient  les  in- 
justes critiques  de  Dujardin,  et  c'est  à  Dujardin  mort  que  je  viens 
répondre  aujourd'hui.  N'ai -je  donc  pas  à  craindre  qu'on  ne  m'accuse 
d'élever  la  voix   parce  que  la  discussion  n'est  plus  possible?  Dieu 
merci ,  ce  reproche  ne  saurait  m'atteindre.  La  race  des  envieux  est 
vivace,  et  pour  un  qui  périt,  il  en  naît  dix.  Vienne  donc  une  ré- 
plique que  j'attends  sans  inquiétude,  que  j'ose  appeler,  et  il  faudra 
bien  que  la  vérité  se  fasse  joar. 

La  découverte  de  Champollion  avait  eu  assez  d'éclat  et  de  reten- 
tissement pour  qu'il  y  eût  quelque  gloire  à  proclamer  et  à  démontrer 
qu'elle  était  imaginaire.  M.  Dujardin  se  laissa  séduire  par  l'appât  du 
renom  qu'un  semblable  exploit  lui  promettait;  et  comme  il  était 
tranquille  sur  les  suites  de  sa  croisade  anti-égyptienne,  attendu  que 
pas  un  peut-être  de  ses  lecteurs  ne  serait  tenté  de  le  suivre  sur  le  ter- 
rain qu'il  choisissait ,  peu  de  temps  après  la  mort  de  Champollion , 

(!)  V.  Revue  des  Deux  iP/onde* ,  premier  cahier  de  juillet  1836. 
I.  23 


342  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

il  lança  dans  le  monde  littéraire  l'article  décourageant  auquel  nous 
venons  répondre  de  point  en  point. 

L'homme  qui  combat  un  système  a  toujours  plus  de  chance  de  se 
faire  écouter  que  celui  qui  le  défend  ;  car  ainsi  est  fait  le  public  devant 
lequel  commencent  et  finissent  les  débats  scientifiques  auxquels  il 
assiste  pour  opiner;  il  est  tout  disposé  à  prendre  pour  le  plus  savant  et 
le  plus  habile  celui  qui  accuse  hardiment  d'ignorance  l'adversaire  qu'il 
prend  à  partie.  Je  serais  donc  embarrassé  du  rôle  que  je  me  suis  donné, 
si  l'attaque,  par  cela  même  qu'elle  est  imprimée,  ne  m'eût  livré  les  idées 
que  je  voulais  combattre.  Comme  pendant  vingt  années  de  ma  vie  j'ai 
été  plongé  dans  le  milieu  mathématique  qui  rend  si  exigeant  pour  les 
autres  et  pour  soi-même,  on  ne  s'étonnera  pas  de  me  voir  apporter 
dans  cette  discussion  une  allure  géométrique  qui,  si  elle  marche  au 
but  le  plus  directement  possible  et  sans  ambages,  néglige  par  com- 
pensation d'arrondir  des  périodes  élégantes  et  fleuries.  Quand  il  s'agit 
d'une  science  sérieuse  et  grave,  grave  et  sérieuse  doit  être  la  discus- 
sion dans  laquelle  peut  renaître  ou  périr  étouffée  la  foi  réclamée  pour 
cette  science.  Je  ne  me  contenterai  donc  pas  de  probabilités  plus  ou 
moins  subtilement  mises  au  jour ,  et  l'a  peu  près  que  je  suis  tout  dis- 
posé à  rejeter  chez  autrui,  je  m'abstiendrai  d'en  faire  usage  pour 
moi-même.  J'entre  donc  en  matière  sans  plus  d'hésitations ,  et  je 
déclare  que  la  cause  que  je  soutiens  est  si  bonne,  que  si  je  la  perdais, 
ce  serait  à  ma  maladresse  seule  que  ma  défaite  devrait  être  imputée. 

Avant  d'attaquer  le  système  de  Champollion,  M.  Dujardin  ne 
pouvait  se  dispenser  d'esquisser  à  grands  traits  l'histoire  des  re- 
cherches sur  les  monuments  écrits  de  l'Egypte;  par  conséquent  il 
dut  nécessairement  commencer  par  l'appréciai  ion  des  essais  tentés 
pour  le  déchiffrement  du  triple  texte  de  )a  fameuse  pierre  de  Rosette. 
On  a  tant  de  fois  décrit  celle-ci ,  qu'il  serait  inutile  d'en  donner  une 
nouvelle  description  ;  tout  le  monde  la  connaît,  tout  le  monde  sait  ce 
qu'est  et  ce  que  vaut  ce  monument ,  sans  lequel  les  écritures 
égyptiennes  seraient  encore  lettres  mortes  pour  nous.  Je  ne  puis 
toutefois  me  dispenser  de  transcrire  la  dernière  phrase  descriptive  de 
M.  Dujardin ,  parce  que  plus  loin  elle  me  sera  fort  utile.  «  Enfin,  la 
((  partie  inférieure,  dit-il,  est  occupée  par  une  inscription  grecque 
((  plus  longue  encore,  au  moyen  de  laquelle  nous  apprenons  que  les 
(c  trois  inscriptions  ne  sont  qu'un  même  décret  tracé  en  caractères  et 
«  en  langages  différents.  » 

Je  prends  acte  de  cette  concession. 

Après  avoir  fait  la  part  du  savant  Ackerblad,  qui,  le  premier,  sut 


LES  HIÉROGLYPHES  ET  LA  LANGUE  ÉGYPTIENNE.     343 

analyser  les  noms  propres  du  texte  égyptien  vulgaire  ou  démotique  du 
décret  (1) ,  M.  Du  jardin  ajoute  que  «  l'alphabet  qui  résulta  de  l'analyse 
<(  des  noms  propres  étrangers  n'eut  aucune  prise  sur  le  texte  égyp- 
«  tien;  que  toutes  les  tentatives  de  déchiffrement  demeurant  infruc- 
((  tueuses,  lesérudits  renoncèrent  bientôt  à  marcher  plus  longtemps 
((  dans  cette  voie.  Ils  y  étaient  entrés  convaincus  que  l'écriture  égyp- 
«  tienne  vulgaire  était  alphabétique  comme  la  nôtre;  ils  la  quittèrent 
((  emportant  des  doutes  nouveaux,  et  se  demandant  de  quelle  nature 
«  pouvait  être  cette  écriture  vulgaire.  » 

Ce  passage  contient  à  peu  près  autant  d'erreurs  que  de  proposi- 
tions; je  vais  le  démontrer. 

Dans  le  travail  qu'il  écrivit  currente  calamo,  à  l'apparition  de  la 
lettre  de  Sylvestre  de  Sacy,  Ackerblad,  après  avoir  lu  correctement 
tous  les  noms  propres  qui  s' étaient  présentés  à  lui,  s'empressa  de 
faire  l'application  de  son  alphabet  4  quelques  mots  dont  le  sens  était 
assez  bien  défini  par  leur  position  naturelle  dans  le  texte,  pour  qu'il  fût 
impossible  de  se  méprendre  sur  leur  compte.  Deux  de  ces  mots, 
nachè,  beaucoup,  et^,  porter,  cédèrent  à  ses  premiers  efforts,  et  ces 
mots  étaient  du  copte  puri  Ackerblad  fit  plus  encore;  il  reconnut  la 
présence  d'un  mot  grec,  écrit  en  toutes  lettres,  comme  tant  d'autres 
qui  ont  pris  successivement  place  dans  l'idiome  des  Pharaons  devenu 
le  copte,  c'est-à-dire  une  langue  qui  mérite  à  peine  ce  nom^  Le 
seul  mot  grec  qui  paraisse  dans  le  texte  démotique  du  décret  de 
Rosette  est  le  nom  d'un  impôt,  GvvraliÇy  importé  par  le  gouvernement 
fiscal  des  Ptolémées.  Ainsi  donc,  en  peu  de  jours,  Ackerblad  avait 
saisi  la  clef  de  ce  texte  mystérieux,  et,  à  l'aide  de  cette  clef,  il  avait 
remarqué  des  radicaux  coptes;  il  lui  eût  été  facile,  s'il  eût  persévéré 
dans  cette  voie,  d'arriver  à  tout  lire,  et  je  dis  tout  avec  conviction  ; 
mais  la  légèreté  habituelle  du  savant  suédois  l'emporta  sur  le  désir 
de  résoudre  ce  magnifique  problème,  et  l'insouciance  que  tous  les 
hommes  qui  ont  vécu  dans  l'intimité  d'Ackerblad  s'accordent  à  lui 
reprocher,  lui  fit  abandonner  à  tout  jamais  la  voie  qu'il  avait  ouverte 
avec  tant  de  bonheur.  Il  n'est  donc  pas  vrai  de  dire  que  l'alphabet 
qui  résulta  de  l'analyse  des  noms  propres  étrangers,  n'eut  aucune 
prise  sur  le  texte  égyptien.  J'espère  bien  donner  quelque  jour  aux 
plus  incrédules  la  preuve  complète  du  contraire. 

Il  me  reste  maintenant  à  expliquer  pourquoi  les  tentatives  posté- 

(1)  Sylvestre  de  Sacy,  avant  Ackerblad,  avait  déterminé  neHemcnt  la  place  et  les 
limites  de  chacun  de  ces  noms  propres  ;  mais  l'analyse  qu'il  en  avait  proposée  avait 
été  bientôt  abandonnée,  quoiqu'à  regret ,  par  lui-roême. 


344  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

rieures  de  déchiffrement  demeurèrent  infructueuses,  et  pourquoi  sur- 
tout la  croyance  que  récriture  vulgaire  était  alphabétique  comme  la 
nôtre,  fut  abandonnée  par  les  deux  seuls  hommes  qui  s'étaient  obstinés 
dans  la  recherche  d'une  solution,  c'est-à-dire  Young  et  ChampoUion. 
Comme  je  ne  veux  pas  m'appesantir  sur  l'écriture  démotique  et  sur 
son  déchiffrement,  pour  ne  pas  avoir  l'air  d'écrire  une  apologie  de  la 
méthode  à  l'aide  de  laquelle  j'ai  eu  le  bonheur  d'arriver  à  résoudre  le 
problème ,  je  me  bornerai  à  dire  ici  comment  il  a  pu  se  faire  que 
des  esprits  aussi  justes,  aussi  sagaces  que  ceux  de  ces  deux  savants , 
renonçassent  au  seul  principe  capable  de  les  amener  à  de  bons 
résultats,  et  je  reviendrai  ensuite  à  l'examen  critique  de  l'article 
publié  par  M.  Dujardin. 

Young  et  ChampoUion  étaient  convaincus  que  le  texte  hiérogly- 
phique et  le  texte  démotique  appartenaient  à  une  seule  et  même 
langue,  ou  mieux  à  un  seul  eJt  même  dialecte;  ils  devaient  donc 
s'attendre  naturellement  à  trouver  les  mêmes  mots ,  doués  des  mêmes 
consonnances,  destinés  à  peindre  les  mêmes  idées  et  à  constituer 
les  mêmes  phrases.  Pour  eux  la  conséquence  était  rigoureuse;  et 
pourtant  comment  expliquer  la  préoccupation  étrange  qui  les  a  dé- 
cidés à  admettre  l'existence,  sur  la  même  pierre,  d'un  même  décret , 
composé  des  mêmes  mots,  reproduit  en  deux  écritures  différentes, 
dont  l'une  était  inévitablement  connue  de  tous  les  lecteurs  égyptiens, 
puisqu'au  dire  de  saint  Clément  d'Alexandrie,  pour  s'initier  à  la 
lecture  des  écritures  égyptiennes,  on  commençait  par  apprendre 
l'écriture  démotique.  Ceux  qui  savaient  lire  le  texte  hiéroglyphique 
étaient  donc  a  fortiori  en  état  de  lire  couramment  le  texte  démo- 
tique; dès  lors  à  quoi  bon  ce  double  emploi  qui  aurait  été  presque 
ridicule?  Je  me  hâte  de  déclarer,  avec  M.  Dujardin  lui-même,  que 
les  trois  inscriptions  n'étaient  qu'un  même  décret  tracé  en  carac- 
tères et  en  langages  différents  (1). 

Puisque  les  idées  seules  restaient  les  mêmes,  tandis  que  les  expres- 
sions étaient  différentes,  il  est  précisément  arrivé  ce  qui  devait  arri- 
ver à  tout  homme  raisonnant  juste ,  mais   partant  d'un  point  de 
départ  essentiellement  faux  ;  il  était  bien  possible  d'opérer,  tant  bien^ 
que  mal,  une  coïncidence  factice  d'une  première  phrase  hiérogly- 

(1)  Manéthon  (ap.  Georg.  Syncel.)  parle  de  dialecte  sacré,  hpà.  otâiexTos,  et 
d'écriture  sacrée,  te/5ov/5«ytxàv/5âu/;aTa.  Et  le  même  écrivain,  dans  le  précieux  passage 
conservé  par  Jusèphe  ,  établit,  à  propos  des  noms  des  Hyksos  ou  Rois  pasteurs 
une  distinction  fort  tranchée  entre  la  langue  sacrée  Upà  y'nûaax  ,  et  le  dialecte  vul^ 
gaire ,  -/.obri  ùiAhy.roî.  Pourquoi  donc  avoir  mis  à  néant  un  pareil  témoignage  ? 


LES  HIEROGLYPHES  ET  LA   LANGUE   EGYPTIENNE.  345 

phique  avec  sa  contre-partie  démotique ,  en  déduisant  de  la  connais- 
sance approximative  de  l'une  des  écritures,  la  détermination  des 
caractères  employés  dans  l'autre;  mais  cette  coïncidence  devait 
échapper  dès  que  l'on  passait  à  la  phrase  suivante,'  dans  laquelle  il 
était  impossible  de  conserver  aux  signes  alphabétiques  égyptiens  la 
valeur  imaginaire  qu'on  venait  de  leur  assigner.  Cent  fois,  je  n'en 
doute  pas,  ces  malencontreux  essais  furent  repris  et  abandonnés,  si 
bien  que,  fatigués  de  cette  impossibilité  de  lire  l'écriture  qu'ils 
avaient,  avec  toute  raison,  considérée  comme  alphabétique,  Young 
et  Champollion  finirent  par  croire  et  par  affirmer  qu'elle  était  aussi 
chargée  de  symboles  que  l'écriture  hiéroglyphique  elle-même. 

Je  reviens  actuellement  aux  assertions  du  docteur  Dujardin.  Suivant 
lui  «  le  docteur  Young  reconnut  promplement  que  dans  une  foule  de 
«  cas,  et  surtout  dans  les  noms  propresétrangers,  les  caractères  du  texte 
«  vulgaire  n'étaient  autre  chose  que  des  abréviations  des  caractères 
((  hiéroglyphiques.  La  conséquence  obligée  de  cette  remarque  était 
((  que  la  méthode  employée  pour  exprimer  les  noms  propres  étrangers 
«  dans  les  écritures  hiéroglyphiques  pourrait  bien  être  analogue  à 
«  celle  dont  faisait  usage  l'écriture  vulgaire.  Le  docteur  Young  tenta 
((  donc  sur  le  nom  de  Ptolémée ,  le  seul  qui  fût  conservé  dans  le 
«  texte  hiéroglyphique,  ce  qui  avait  été  tenté  par  M.  Ackerblad  sur 
«  les  noms  propres  du  texte  vulgaire.  » 

Pour  faire  crouler  tout  ce  paragraphe  et  détruire  de  fond  en 
comble  les  raisonnements  qu'il  contient,  il  me  suffira  de  mettre  sous 
les  yeux  du  lecteur  les  formes  hiéroglyphiques  et  démotiques  du  nom 
de  Ptolémée,  sur  lequel ,  de  l'aveu  de  M.  Dujardin ,  porta  l'examen 
du  docteur  Young.  Et  si  tout  le  monde  n'est  pas  d'accord  avec  moi 
pour  déclarer  imaginaire  le  prétendu  principe  énoncé  par  Young,  et 
qui ,  des  signes  démotiques ,  fait  une  simple  abréviation  des  signes 
hiéroglyphiques  équivalents,  je  suis  prêt  à  passer  condamnation  sur 
tout  le  reste. 


Ce  nom  dans  l'écriture  hiéroglyphique  est  :  '  1 1       ^  jl  ^ 
Dans  l'écriture  démotique,  il  est  :     <- 1 1  >  1 1 1  -^  l/v  O  ' 


PTOLMES 


PTLOMIOS. 


346  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

On  en  conviendra  facilement,  j'espère,  pour  retrouver  dans  les 
signes  équivalents 

U    =    1    -  P,   li    =   r  =  O,    'I  =  <|1  =  S, 
û     =    Z.    =  T,=^  =  3  =:  M. 

-%s  =  /    =  L,  11  =  m  =  I. 

des  indices  d  une  pure  dégénérescence  par  abréviation  ;  il  a  fallu 
que  le  docteur  Young ,  et  M.  Dujardin  après  lui ,  Ossent  un  prodi- 
gieux effort  d'imagination. 

Celte  communauté  d'origine,  reconnue  surtout  dans  les  noms  étran- 
gers ,  pour  des  signes  qui  n'ont  pas  la  moindre  analogie  de  forme, 
est  un  fait  parfaitement  nul,  matériellement  faux;  toutes  les  consé- 
quences qu'on  en  a  voulu  déduire  sont  donc  fausses  aussi,  et  il  est 
bien  évident  quelles  n'ont  pas  peu  contribué  à  fermer  jusqu'ici 
l'accès  des  textes  démotiques. 

Et  qu'on  ne  croie  pas  que  M.  Dujardin  ait  prêté  une  erreur  au 
docteur  Young;  non,  il  a  cru  devoir  adopter  l'erreur  de  celui-ci, 
comme  il  a  soin  de  le  constater  quelques  lignes  plus  loin.  On  a 
voulu,  dit-il,  faire  du  docteur  Young  et  de  M.  Champollion  deux 
rivaux  se  disputant  une  même  découverte  :  c'est  une  erreur.  Et  alors 
pourledémotitrer  il  rapporte  la  phrase  suivante,  extraite  des  dernières 
pages  tracées  par  la  plume  du  savant  anglais,  c'est-à-dire  de  la  préface 
de  son  Dictionnaire  démotique  :  «  Ce  fut  alors  que  pour  la  première  fois 
«  je  fis  connaître  l'identité  originelle  des  différents  systèmes  d'écriture 
c(  employés  par  les  anciens  Egyptiens,  observant  qu'on  peut  recon- 
«  naître  dans  le  nom  Enchorial  (en  écriture  vulgaire)  de  Ptolémée 
«  une  imitation  éloignée  (loose)  des  caractères  hiéroglyphiques  dont 
c(  se  compose  le  môme  nom.  J'ai  étendu  ensuite  la  même  comparaison 
((  au  nom  de  Bérénice  (t).  » 

(1)  Voici  pour  l'édiGcalion  du  lecteur  les  deux  formes  du  nom  de  Bérénice  et  les 
identités  que  le  docteur  Young  y  a  découvertes ,  et  que  M.  Dujardin  y  a  vues  sans 
difiQcullé,  d'après  lui. 


-^M   »l^,BRNIKS,   n<lll^/4.BRNIKE. 

d'où  par  conséquent:  '^  =z /^  =   g^   «==>.  =    /==   R,    waw/   =yO=N, 

11  =  III  =  i,  w  =  n<  =  K. 

Inutile  de  dire  que  celte  identité  se  manifeste  aussi  nettement  dans  tous  les  nom» 
connus  dans  les  deux  sysléoies. 


LES   HIÉROGLYPHES   ET   LA    LANGUE  ÉGYPTIENNE.  347 

Voilà  ce  que  M.  Dujardin  appelle  la  découverte  réelle  du  docteur 
Young.  Certes,  il  était  diflicile  de  mieux  réduire  à  zéro  tout  le  fruit 
des  veilles  du  savant  docteur,  et  probablement  celui-ci  pensait  avoir 
une  part  plus  belle  que  M.  Dujardin  ne  la  lui  a  faite.  Voyons  main- 
tenant commeni  le  critique  termine  l'intéressant  parallèle  qu'il  établit 
entre  Young  et  Champollion  : 

«  Ainsi,  avoir  démontré  que  les  écritures  sacrées  et  vulgaires  sont 
((  de  même  nature,  voilà  la  part  qu'il  n'est  pas  possible  de  contester 
«  au  docteur  Young,  et  c'est  la  seule  qu'il  réclame. 

«  Avoir  fixé  la  valeur  propre  à  chacun  des  caractères  hiérogly- 
«  phiques  qui  composent  des  noms  propres,  voilà  la  part  que  réclame 
«  M.  Champollion ,  et  que  personne  ne  lui  conteste.  Il  n'y  a  point  ici 
a  découverte  disputée;  il  y  a  deux  découvertes  tout  à  fait  distinctes, 
«  celle  du  savant  Français  est  venue  après  celle  de  M.  Young;  mais 
«  elle  n'en  est  point  une  conséquence  obligée.  » 

Si  l'appréciation  de  M.  Dujardin  était  juste,  le  docteur  Young 
serait  peu  exigeant,  puisqu'il  n'élèverait  de  pptention  que  sur  la 
propriété  d'une  erreur.  Heureusement  pour  lui,  ceux  mêmes  qui  sont 
les  plus  ardents  admirateurs  de  Champollion,  ceux-là,  dis-je,  accor- 
dent plus  au  docteur  Young.  Quant  à  la  restriction  par  laquelle 
M..  Dujardin  réduit  la  découverte  de  Champollion  à  l'appréciatiorï 
exacte  des  articulations  qui  constituent  les  noms  propres,  elle  ne  peut 
être  sérieuse,  comme  la  lecture  d'une  seule  page  de  la  grammaire  le 
démontre  surabondamment;  mais  n'anticipons  point.  Chaque  grief 
viendra  en  son  temps. 

Nous  arrivons  maintenant  au  point  oii  M.  Dujardin  commence  à 
élever  les  batteries  qui  doivent  foudroyer  le  système  de  Champollion. 
Suivons  bien  son  raisonnement  :  «  Champollion  a  lu  les  noms  de 
((  Septime  Sévère,  de  Geta ,  de  Caracalla  sur  le  grand  temple  d'Esné, 
«  dont  la  décoration  hiéroglyphique  se  trouve  ainsi  ramenée  jusque 
«  dans  la  première  moitié  du  111^  siècle,  et  la  présence  d'inscriptions 
«  hiéroglyphiques  sculptées  sur  les  temples  égyptiens  au  11%  au 
«  IIl^  siècle  de  notre  ère,  et  peut-être  plus  récemment  encore,  est 
«  un  fait  de  la  plus  haute  importance,  comme  nous  allons  le  voir. 

a  Nous  possédons  une  langue  égyptienne,  désignée  plus  ordinai- 
(c  rement  sous  le  nom  de  langue  copte;  elle  nous  est  donnée  princi- 
«  paiement  par  les  versions  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament. 
«  On  a  longuement  et  savammentdisputé  sur  l'origine  de  cette  langue, 
ce  De  fort  habiles  critiques  ont  examiné  la  question  sous  toutes  ses 
«faces.  Un  premier  résultat  de  leurs  laborieuses  recherches,  au- 


348  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

a  jourd'hui  généralement  admis,  est  que  la  langue  copte  est  la  même 
a  que  la  langue  égyptienne  de  l'époque  des  Pharaons,  sauf  les  chan- 
a  gements  que  le  temps  et  les  autres  circonstances  peuvent  apporter 
«  dans  un  idiome  usuel.  Un  autre  résultat  est  que  la  version  copte 
<(  de  IWncien  et  du  Nouveau  Testament  a  dû  être  faite  au  plus  tard 
«  dans  le  cours  du  II'  siècle,  et  que  cette  version,  qui  a  joui  dès 
(c  l'origine  d'une  autorité  égale  à  celle  du  texte  grec  qu'elle  a 
(c  promptement  remplacé,  représente  fidèlement  le  langage  des  hâ- 
te bitantsde  l'Egypte  dans  les  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne.  On 
<c  sait  le  caractère  d'immutabilité  des  livres  sacrés. 

«  Nous  avons  donc  la  langue  dont  faisait  usage  la  population 
ce  égyptienne  à  l'époque  où  Septime  Sévère  faisait  recouvrir  de 
«  légendes  hiéroglyphiques  le  grand  temple  d'Esné.  Nous  pouvons 
«  désormais  tenter,  avec  espoir  de  succès,  l'interprétation  des  hiéro- 
«  glyphes  qui  recouvrent  les  temples  d'Esné ,  ceux  de  Denderah , 
<(  tous  les  édifices  de  l'époque  romaine  :  nous  avons  la  langue  con- 
«  temporaine.  »  Plu|J}as,  après  avoir  rappelé  les  propres  paroles  de 
Champollion,  qui  affirmait  que  la  connaissance  exacte  du  copte  pouvait 
seule  amener  à  l'intelligence  des  textes  égyptiens,  il  ajoute  :  «Cham- 
«  pollion  fut  envoyé  pour  arracher  à  la  destruction  et  livrer  à  la 
ce  science  ces  inscriptions  dont  le  sens  ne  pouvait  plus  nous  échapper, 
ce  et  les  restes  de  cette  langue  copte  qui,  seule,  nous  en  pouvait  four- 
ce  nir  la  clef. 

ce  Mais,  pour  remplir  cette  double  mission  dont  il  s'était  chargé,  il 
ce  eût  fallu  à  M.  Champollion  un  temps  double  de  celui  dont  il  pou- 
ce vait  disposer....  Il  fut  donc  obligé  de  revenir  rapportant  un  porte- 
ce  feuille  riche,  inappréciable,  ayant  fait  tout  ce  qu'il  était  possible 
ce  de  faire  pour  fournir  à  la  question  un  de  ces  deux  éléments  indispen- 
cc  sables,  la  connaissance  exacte  des  ecritureSy  et  laissant  à  d'autres  les 
et  fatigues  nouvelles  par  lesquelles  on  pouvait  obtenir  le  deuxième 
ce  élément ,  la  connaissance  complète  de  la  langue  copte, 

ce  Privé  d'une  partie  des  moyens  qu'il  avait  lui-même  jugé  néces- 
«  saires  au  succès ,  M.  Champollion  n'hésita  point  cependant  à  mar- 
ée cher  en  avant.  Il  se  sentait  trop  près  du  but  pour  ne  pas  essayer  de 
ce  l'atteindre  à  l'aide  des  ressources  dont  il  pouvait  disposer....  Il  fut 
ce  entraîné  graduellement,  par  des  rapprochements  heureux,  par  le 
ce  succès  apparent  de  quelques  essais,  à  considérer  l'écriture  hiéro- 
(c  glyphique  comme  étant  plus  qu'aux  trois  quarts  alphabétique. 
<e  M.  Champollion  entreprit  de  soutenir  cette  opinion  en  opposition 
«  avec  tous  les  témoignages  historiques.  » 


LES  HIÉROGLYPHES  ET  LA  LANGUE  ÉGYPTIENNE.    349 

Avant  d'aller  plus  loin  et  de  nous  édifier  sur  la  rectitude  de  juge- 
ment avec  laquelle  M.  Dujardin  coordonne  et  commente  les  textes 
dont  il  se  sert ,  arrêtons-nous  un  instant  pour  voir  crouler  tout  cet 
échafaudage  de  raisonnements  mal  étayés,  sous  le  choc  d'un  seul 
mot  que  le  critique,  par  malheur,  a  laissé  couler  de  sa  plume. 

M.  Dujardin,  décrivant  la  pierre  de  Rosette,  dit,  sans  arrière- pen- 
sée :  «  Enfin,  la  partie  inférieure  est  occupée  par  une  inscription 
«  grecque  plus  longue  encore,  au  moyen  de  laquelle  nous  apprenons 
c(  que  les  trois  inscriptions  ne  sont  qu'un  même  décret  tracé  en 
c(  caractères  et  en  langages  différents.  » 

En  langages  différents  !  ces  trois  mots  ont  tué  le  système  de 
M.  Dujarditi  avant  qu'il  ne  ^ortît  de  l'œuf.  Il  admet  l'existence  de 
deux  langages  égyptiens  différents  ;  l'un  est  le  langage  vulgaire 
démotique,  et  celui-là  est  devenu  du  copte  ;  il  est  distinct  du  langage 
sacré  hiéroglyphique  ;  et  de  quel  droit  alors  peut-on  demander  aux 
mots  coptes,  aux  mots  du  langage  démotique  du  11^  siècle  de  notre 
ère,  de  s'ajuster  sur  les  mots  du  langage  sacré  de  la  même  époque? 
Le  critique  de  Champollion  a  pris  soin  de  constater  lui-même  l'im- 
mutabilité des  textes  sacrés;  il  eût  pu  dire  aussi  justement  l'immuta- 
bilité des  idiomes  sacrés.  Le  copte,  cette  langue  qui,  pour  lui,  est 
la  même  que  la  langue  égyptienne  de  l'époque  des  Pharaons,  sauf 
les  changements  que  le  temps  et  les  autres  circonstances  peuvent 
apporter  dans  un  idiome  usuel ,  en  quoi  peut-il  être  identique  avec 
cette  langue  sacrée  dont  il  reconnaît  l'existence,  avec  cette  langue 
pétrifiée  depuis  des  milliers  d'années,  pour  me  servir  de  la  juste  et 
spirituelle  expression  que  M.  Letronne  a  su  lui  appliquer?  Où  sont 
les  textes  démotiques  que  nous  ayons  le  droit  de  comparer  au  copte 
attribué,  sans  bonnes  preuves,  au  11^  siècle,  parce  qu'ils  sont  eux- 
mêmes  écrits  au  IP  siècle?  Nous  n'en  avons  pas  un  seul;  et  parce 
que  l'on  aura  reconnu  que  le  langage  hiéroglyphique  du  texte  du 
temple  d'Esné  n'est  pas  du  copte,  on  jettera  un  cri  de  triomphe,  et 
l'on  se  croira  le  droit  de  croire  que  Champollion  en  a  imposé  !  Certes, 
celui  qui  le  dirait  abuserait  étrangement  du  droit  de  critiquer. 

Et,  une  fois  pour  toutes,  puisque  l'occasion  s'en  présente  natu- 
rellement, finissons-en  avec  le  copte,  et  apprécions  cet  idiome  à  sa 
juste  valeur.  «C'est,  dit  M.  Dujardin,  la  langue  égyptienne  de 
c(  l'époque  des  Pharaons,  sauf  les  changements  que  le  temps  et  les 
((  autres  circonstances  peuvent  apporter  dans  un  idiome  usueL  »  Mais 
est-ce  donc  peu  de  chose  pour  une  langue  usuelle  que  l'influence  de 
quelques  siècles  de  vieillesse ,  que  l'influence  du  contact ,  pour  ne  pas 


360  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

dire  de  la  suprématie  écrasante  d'un  autre  idiome  que  le  vainqueur 
impose  aux  vaincus  ?  Qui  oserait  prétendre  que  les  invasions  successives 
qui  ont  désolé  l'Egypte,  depuis  les  Perses  jusquaux  Arabes,  ont  assez 
respecté  Tidiome  vulgaire  du  pays  pour  le  laisser  intact  et  pour  lui 
conserver  sa  pureté  primitive?  Que  l'on  juge  par  les  phases  qu'a  subies 
la  langue  latine  pour  se  transformer  en  italien,  en  espagnol  et  en 
français  ,  des  modifications  apportées  à  la  langue  égyptienne ,  et 
signalées  avec  tant  d'indifférence  par  M.  Dujardin  ;  que  l'on  fasse 
mieux  encore,  que  l'on  compare  le  français  d'aujourd'hui  au  français 
du  XIV'-  et  môme  du  XVl^  siècle,  et  l'on  comprendra  ce  qu'ont  été 
les  différences  absolues,  nécessaires,  inévitables  que  quatre  siècles, 
que  trois  siècles,  que  deux  siècles  ont  du  imposer  à  un  idiome  étouffé 
dans  les  étreintes  du  grec  et  du  latin;  l'arabe  a  tué  le  copte  à  tout 
jamais,  dira-t-on  que  le  latin  et  le  grec  avaient  été  sans  action  sur 
l'égyptien?  non,  mille  fois  non.  Qu'on  lise  une  page  du  copte  le  plus 
ancien,  et  l'énorme  proportion  des  mots  grecs  qui  s'y  sont  glissés 
prouvera  au  plus  incrédule  que  le  copte  ne  peut  être  appelé  la  langue 
usuelle  des  Pharaons,  à  moins  qu'on  ne  se  hâte  d'ajouter  que  les 
changements  que  le  temps  et  ce  que  M.  Dujardin  appelle  les  autres 
circonstances,  lui  ont  imposés,  furent  des  altérations  assez  profondes 
pour  porter  la  gangrène  au  cœur  de  cette  langue. 

Mais  ici  prenons  garde  de  nous  laisser  entraîner  trop  loin.  Parce 
que  les  mots  de  la  langue  copte  telle  que  nous  la  livrent  les  manuscrits 
dont  le  dépouillement  a  engendré  les  meilleurs  Lexiques  publiés 
jusqu'à  ce  jour,  parce  que  ces  mots,  dis-je,  sont  tellement  vagues 
sous  le  rapport  des  sons  voyelles,  et  si  peu  arrêtés  sous  le  rapport 
des  articulations  essentielles,  que  l'on  voit  à  chaque  instant  les  con- 
sonnes congénères,  et  douées  de  l'affinité  que  la  philologie  n'a  pu 
méconnaître,  se  remplacer  sans  rien  changer  au  sens  des  radicaux, 
devons-nous  conclure  que  le  copte  ne  peut  être  d'un  très-puissant  se- 
cours dans  le  déchiffrement  des  anciens  textes  égyptiens?  Nullement. 
Les  radicaux  ont  survécu  au  naufrage  de  la  syntaxe  grammaticale, 
comme  lès  radicaux  de  la  langue  française  sont  bien  et  dûment  iden- 
tiques avec  les  radicaux  latins ,  quoique  le  mécanisme  grammatical 
des  deux  langues  n'ait  plus  le  moindre  rapport. 

Le  copte  comporte  ce  que  l'on  est  convenu  de  nommer  trois  dia- 
lectes, le  memphitique,  le  baschmourique  et  le  thébain.  Ici  que  l'on 
me  permette  un  rapprochement  trivial  ,  ces  trois  dialectes  sont  les 
patois  picard,  dauphinois  et  provençal  de  la  langue  égyptienne.  Nos 
Dictionnaires  nous  donnent  ces  radicaux  primitifs ,  tels  qu'ils  sont  ac- 


LES  HIEROGLYPHES  ET  LA  LANGUE  EGYPTIENNE.    361 

commodes  par  chacun  de  ces  patois,  nous  devons  donc  nous  conten- 
ter, quand  nous  procédons  à  l'analyse  d'un  texte  égyptien,  de  tirer  parti 
de  la  connaissance  de  ces  radicaux  fournie  par  le  copte,  sans  concevoir 
l'incroyable  prétention  de  retrouver  du  copte ,  c'est-à  dire  de  l'égyptien 
décrépit  et  corrompu ,  dans  un  texte  rédigé  longtemps  avant  que  le 
phénomène  de  la  décrépitude  et  de  la  corruption  du  langage  ne  lût 
consommé. 

Après  cette  longue  digression,  qui  n'était  peut-être  pas  inoppor- 
tune, revenons  aux  raisonnements  de  M.  Dujardin.  J'ai  démontré,  je 
crois,  qu'il  n'y  avait  absolument  rien  à  conclure  de  la  comparaison 
du  copte  le  plus  ancien,  c'est-à-dire  de  l'égyptien  vulgaire,  avec  des 
textes  hiéroglyphiques  de  la  môme  époque,  c'est-à-dire  avec  des 
phrases  d'un  langage  différent,  comme  M.  Dujardin  a  pris  soin  de  le 
dire.  La  conclusion  de  ceci  est  légitime  :  toute  argumentation  basée 
sur  une  comparaison  de  ce  genre  demeure  stérile  et  sans  force.  C'est 
pourtant  là  tout  ce  que  nous  offre  la  critique  de  M.  Dujardin,  un 
ballon  gonflé  à  grand'peine,  et  dans  lequel  il  a  donné  lui-même  le 
coup  d'épingle  qui  devait  le  rendre  vide  et  flasque  en  un  instant. 

J'ai  tout  à  l'heure  annoncé  que  j'examinerais  de  près  l'usage  que 
M.  Dujardin  fait  des  textes  ;  j'y  arrive.  Gomme  il  lui  importe  de 
démontrer  que  l'écriture  hiéroglyphique  n'est  pas  alphabétique, 
puisqu'il  veut  renverser  la  théorie  de  Ghampollion ,  il  passe  en  revue 
quelques  passages  qui  lui  semblent  étayer  solidement  cette  opinion. 

Diodore  de  Sicile  est  le  premier  dont  il  invoque  le  témoignage 
{Bibl.  hist.,  livre  III).  Je  transcris  : 

«  Après  avoir  dit  que  ces  caractères  offrent  à  nos  yeux  des  animaux 
((  de  tout  genre,  des  parties  du  corps  humain,  des  ustensiles,  des 
«  instruments ,  principalement  ceux  dont  font  usage  les  artisans ,  il 
«  expose  dans  les  termes  suivants  les  motifs  qui  leur  ont  fait  donner 
«  ces  formes.  Ce  n'est  point,  en  effet,  par  l'assemblage  des  syllabes 
«  que  chez  eux  l'écriture  exprime  le  discours ,  mais  c'est  au  moyen 
c(  de  la  figure  des  objets  retracés,  et  par  une  interprétation  métapho- 
c(  rique  basée  sur  l'exercice  de  la  mémoire;  plus  bas,  après  avoir 
((  donné  divers  exemples  de  cette  manière  d'employer  les  hiéroglyphes, 
((  il  ajoute  -.C'est  en  s'attachant  aux  formes  des  divers  caractères  qu'ils 
((  arrivent,  au  moyen  d'un  exercice  prolongé  de  la  mémoire,  à  recon- 
«  naître  le  sens  de  tout  ce  qui  est  écrit.  Ce  qu'il  y  a  de  fort  clair 
«dans  ces  paroles,  c'est  que  l'écriture  hiéroglyphique  ne  fournit 
«  point  de  syllabes,  c'est-à-dire  qu'elle  ne  se  rattachait  point,  comme 
((  notre  écriture,  aux  idées  par  l'intermédiaire  des  sons,  mai§  bien 


352  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

c(  par  la  forme,  par  la  figure  de  ses  caractères.  Ce  qui  est  beaucoup 
«  moins  clair,  c'est  la  manière  dont  ces  figures  exprimaient  les  idées. 
((  On  reconnaît  cependant,  par  les  détails  dans  lesquels  est  entré 
«l'historien,  qu'une  figure,  outre  l'objet  représenté  directement, 
a  pouvait  représenter ,  métaphoriquement  ou  d'une  manière  détour- 
«  née,  un  grand  nombre  d'autres  idées;  ce  qui  est  conforme,  du 
«  reste,  aux  notions  que  nous  fournit  le  Dictionnaire  symbolique 
«  d'Horus  Apollon.  » 

Diodore,  en  écrivant  ce  qu'il  a  dit  des  hiéroglyphes,  a-t-il  annoncé 
qu'il  allait  mettre  ses  lecteurs  parfaitement  au  courant  de  ce  qu'il 
ignorait  lui-même?  Savait-il  lire  les  textes  hiéroglyphiques?  Nulle- 
ment. Et  s'il  a  pris  la  peine  de  demander  à  un  Égyptien  lettré  qu'il  lui 
traduisît  une  phrase  quelconque  d'une  inscription  dans  laquelle  se 
rencontraient,  à  côté  d'expressions  phonétiques  que  lui  Diodore  ne 
comprenait  pas,  des  symboles  non  phonétiques  qu'il  pouvait  plus  aisé- 
ment comprendre,  qu'a-t-il  dû  penser?  Précisément  ce  qu'il  a  écrit. 
C'était  évidemment  l'idée  nouvelle  pour  lui,  habituée  son  alphabetgrec, 
qui  devait  le  frapper,  et  à  laquelle  seule  il  devait  s'arrêter;  c'est  cette 
idée  qu'il  a  enregistrée  dans  son  livre.  Quant  à  la  deuxième  phrase, 
rapportée  par  M.  Dujardin,  elle  est  si  parfaitement  insignifiante, 
qu'elle  s'applique  tout  aussi  bien  à  l'emploi  de  notre  alphabet  de 
vingt-quatre  lettres  qu'à  celui  des  hiéroglyphes. 

Vient  ensuite  le  tour  d'Ammien  Marcellin,  dont  l'assertion  rappor- 
tée par  M.  Dujardin  est  la  suivante  :  «  Les  anciens  Égyptiens  n'a- 
«  vaient  point,  comme  aujourd'hui,  un  nombre  de  lettres  déterminé 
c(  et  d'un  emploi  facile  pour  exprimer  tout  ce  que  peut  concevoir 
«  l'esprit  humain;  mais  chaque  lettre  représentait  un  mot,  et  quel- 
((  quefois  même  une  phrase  entière.  » 

Comme  le  nombre  des  hiéroglyphes  recueillis  jusqu'ici  ne  dépasse 
pas  neuf  cents ,  on  est  en  droit  de  conclure  ou  qu'Ammien  Marcellin 
s'est  moqué  de  ses  lecteurs,  ou  que  celui  qui  a  fourni  ce  renseigne- 
ment à  l'écrivain  s'est  moqué  de  lui.  Et  pourtant  M.  Dujardin,  mis 
à  l'aise  par  ce  témoignage  en  faveur  de  sa  thèse ,  le  fait  suivre  de 
cette  réflexion  :  Cela  est  assez  positif;  Ammien  compare  les  anciens 
procédés  des  Égyptiens  à  ceux  qu'ils  employaient  de  son  temps, 
c'est-à-dire  à  l'écriture  alphabétique.  Je  dirai,  moi  :  Oui,  cette 
assertion  est  tellement  positive  qu'il  en  découle  clairement  qu'Am- 
mien Marcellin  ne  savait  rien  de  ce  qu'il  prétendait  enseigner  à  ses 
lecteurs,  et  que  son  témoignage  sur  ce  point  de  philologie  est  trop 


LES  HIÉROGLYPHES   ET  LA   LANGUE   ÉGYPTIENNE.  353 

empreint  d'une  crédulité  enfantine,  je  ne  veux  rien  dire  de  plus ,  pour 
mériter  d'être  pris  en  considération. 

Les  assertions  de  saint  Clément  d'Alexandrie  étaient  beaucoup  plus 
embarrassantes  pour  M.  Dujardin;  il  lui  a  donc  fallu  user  de  subtilités 
pour  en  éluder  les  conséquences  rigoureuses.  Nous  allons  voir  com- 
ment il  y  est  parvenu ,  en  faisant  dire  au  saint  écrivain  ce  qu'il  n'a 
jamais  eu  dans  la  pensée.  Je  transcris  : 

«  Saint  Clément,  parlant  dans  ses  Mélanges  des  voiles  mystérieux 
((  dont  on  s'est  plu  souvent  à  entourer  la  science  pour  n'en  permettre 
(c  l'abord  qu'aux  initiés ,  cite  comme  exemple  de  ces  obstacles  mul- 
((  tipliés,  l'usage  qui,  de  son  temps,  c'est-à-dire  sur  la  fin  du  11''  siècle, 
(c  régnait  encore  chez  les  Égyptiens.  L'on  ne  pouvait  atteindre  que 
«  par  des  degrés  successifs  le  terme  le  plus  élevé  de  l'instruction  qui 
«  était  la  science  des  hiéroglyphes.  Il  résulte  bien  clairement  de  là 
((  que  la  science  des  hiéroglyphes  n'était  rien  moins  qu'une  chose 
((  facile,  et  l'on  pourrait,  avec  toute  apparence  de  raison,  affirmer 
«  que  saint  Clément  n'a  point  vu  dans  les  hiéroglyphes  une  écriture 
Ci  presque  entièrement  alphabétique.  11  parle  cependant  de  l'emploi 
((  des  caractères  hiéroglyphiques  comme  caractères  alphabétiques.  » 

Comment  M.  Dujardin  a-t-il  pu  lire  dans  le  texte  de  Clément 
d'Alexandrie  que  la  science  des  hiéroglyphes  n'était  rien  moins  qu'une 
chose  facile?  Je  l'ignore;  mais  ce  que  je  sais  très-bien,  c'est  que  ce 
texte  nous  dit  simplement  :  Ceux  qui  parmi  les  Egyptiens  reçoivent 
de  l'instruction ,  apprennent  d'abord  le  genre  d'écriture  égyptienne 
qu'on  appelle  épistolographique;  en  second  lieu,  l'hiératique  dont  se 
servent  les  hiérogrammates  ;  et  enfin  l'hiéroglyphique.  Cette  tra- 
duction, qui  appartient  à  M.  Letronne,  mérite  à  coup  sûr  toute 
confiance.  Oii  donc  le  critique  a-t-il  vu  que  le  texte  en  question 
impliquait  des  difficultés  énormes  interdisant  aux  proTanes  l'accès  de 
la  science  des  hiéroglyphes?  Dans  son  imagination  ou  dans  sa  volonté; 
ailleurs,  il  n'y  en  a  pas  de  trace.  Le  mot  dont  se  sert  saint  Clément 
est  TTaiâeîiO[j£voi;  or  Trat(5*£uo3,  formé  de Traîç,  iratc^oç  enfant,  signifie 
à  la  lettre  :  Donner  à  un  enfant  l'instruction  convenable ,  et,  par 
extension,  instruire,  enseigner;  d'où  au  passif  7raicJ£uo//.aï,  apprendre. 
Il  y  a  loin  de  là  à  l'idée  d'une  science  mystérieuse,  comme  M.  Dujar- 
din prétend  la  trouver  caractérisée  dans  le  texte  de  saint  Clément.  Le 
critique,  après  avoir  été  forcé,  bon  gré  mal  gré,  de  reconnaître  que 
saint  Clément  d'Alexandrie  constate  l'existence  d'hiérogyphes  pho- 
nétiques et  d'hiéroglyphes  symboliques,  ajoute  :  «  De  cette  distinction 
((  faite  par  saint  Clément,  il  résulte  qu'il  a  voulu  signaler  la  méthode 


354  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

((  au  moyen  de  laquelle  on  écrivait  les  noms  étrangers  si  fréquemment 
«  employés  dans  les  décorations  hiéroglyphiques;  mais  il  est  évident, 
c(  par  l'ensemble  du  passage,  que  cet  alphabet  hiéroglyphique  pho- 
«  nétique  ne  pouvait  être  qu'un  accessoire  peu  considérable  du 
«  système  total.  Il  devait  servir  à  exprimer  des  noms  propres  étran- 
c(  gers,  des  noms  de  peuples,  de  pays,  de  villes,  des  mots  empruntés 
((  aux  langues  étrangères ,  quelques  mots  de  la  langue  égyptienne 
((  elle-même ,  lorsque ,  pour  représenter  une  action  faîte  par  des 
c(  étrangers,  ou  à  la  manière  des  étrangers,  on  voulait  éviter  l'emploi 
((  d'un  symbole  qui,  rappelant  le  mode  d'action  égyptien,  pouvait 
<(  donner  une  idée  fausse.  » 

Toutes  ces  conclusions  sont  autant  de  conséquences  monstrueuses 
que  l'on  peut  bien  tenter  de  proposer  à  des  lecteurs  qui,  voulant  une 
opinion  toute  faite,  se  soucient  peu  de  rechercher  si  on  leur  dit  la 
vérité,  mais  qui  ne  peuvent  être  de  mise  pour  les  hommes  sérieux  qui 
croient  aux  petites  subtilités  scientifiques,  et  qui  par  conséquent 
sont  bien  aises  de  vérifier  les  assertions  même  les  plus  positives,  avant 
de  leur  donner  du  crédit  en  les  acceptant.  Je  n'hésite  pas  à  le  déclarer: 
en  avançant  que,  d'après  le  témoignage  de  saint  Clément,  les  noms 
des  personnes  et  des  choses  ne  pouvaient  être  exprimés  phonétique- 
ment qu'à  la  condition  de  se  rapporter  à  des  personnes  ou  à  des 
choses  étrangères,  ou  enfin  à  des  actions  faites  par  des  étrangers, 
M.  Dujardm  a  étrangement  abusé  du  droit  de  chercher  dans  les  textes 
des  preuves  à  l'appui  du  système  que  l'on  conçoit.  Jamais  saint  Clé- 
ment n'a  dit  un  seul  mot  de  cela.  M.  Dujardin  devait  donc  parler 
pour  son  propre  compte ,  et  se  garder  de  donner  comme  évident  ce 
qu'il  savait  bien  n'être  pas  rigoureusement  vrai. 

Au  reste,  la  discussion  du  texte  de  Clément  d'Alexandrie  a  fait 
commettre  à  M.  Dujardin  un-  second  lapsus  calami  dont  il  n'a  pas 
compris  la  portée,  plus  qu'il  ne  l'a  fait  lorsqu'il  avait  l'imprudence  de 
reconnaître  deux  langages  égyptiens  diflérents. 

((  La  pierre  de  Rosette,  dit-il,  nous  offre  un  exemple  assez  re- 
((  marquable  de  rex[)ression  alphabétique  d'un  mot  égyptien;  il  est 
ii  question  d'écrire  le  décret  en  lettres  sacrées,  en  lettres  vulgaires  et 
«  en  lettres  grecques.  Un  même  symbole ,  rappelant  les  procédés 
c(  d'écriture  adoptés  par  les  Égyptiens,  se  trouve  répété  deux  fois 
«  pour  exprimer  les  lettres  sacrées  et  les  lettres  vulgaires  de  l'Egypte; 
(c  mais  comme  la  méthode  d'écriture  des  Grecs  diflérait  complètement 
c(  de  celle  des  Égyptiens,  quand  il  s'agit  d'exprimer  les  lettres 
«  grecques ,  ce  n'est  plus  le  symbole  précédent  qu'on  emploie ,  c'est 


LES  HIÉROGLYPHES  ET   LA   LANGUE   ÉGYPTIENNE.  355 

«  le  mot  lettres,  empruntée  la  langue  égyptienne,  que  l'on  écrit  à  la 
a  manière  alphabétique.  » 

Examinons  cette  preuve  matérielle  que  M.  Dujardin  trouve  si 
favorable  à  son  opinion  sur  la  transcription  des  noms  et  des  choses 
apportés  par  les  étrangers.  Ne  fallait-il  pas  chez  les  scribes  une 
incroyable  subtilité  pour  distinguer  l'idée  écriture  tracée  par  un 
Egyptien  de  l'idée  écriture  tracée  par  un  Egyptien  se  servant  d'une 
langue  étrangère?  Quoi!  dans  un  cas  il  était  régulier,  convenable, 
prescrit  d'employer  un  symbole?  dans  l'autre,  d'employer  le   mot 
égyptien  écrit  en  toutes  lettres?  Les  lettres  dont  la  valeur  a  été 
découverte  par  Champollion  sont  donc  bonnes  à  quelque  chose,  et  le 
copte  aussi,  tout  corrompu  que  soit  l'égyptien  qu'il  nous  rappelle, 
puisqu'à  l'aide  de  ce  copte  et  de  ces  lettres  on  lit  nettement  le  mot 
égyptien  et  copte  sakh,  caractères,  que  M.  Dujardin  a  l'imprudence 
de  reconnaître.  Mais  ce  n'est  pas  tout  encore  :  le  critique  explique  à 
sa  façon  l'emploi  du  symbole  et  du  mot  phonétique  qui  a  lieu  dans  des 
cas  prescrits  et  déterminés  ;  qu'il  nous  explique  donc  aussi  pourquoi 
dans  l'écriture  démotique,  qu'il  a  déclaré  procéder  exactement  de 
même  que  l'écriture   hiéroglyphique ,   c'est    le  même  groupe  qui 
se  trouve  reproduit  trois  fois,  sans  le  moifidre  changement,  quand  il 
s'agit  de  l'écriture  grecque ,  aussi  bien  que  quand  il  s'agit  des  deux 
écritures  égyptiennes?  Pourquoi  passer  sous  silence  cette  circon- 
stance qui ,  ce  me  semble ,  contre-balance  le  hen  trovato  de  l'emploi 
régulier  de  deux  groupes  hiéroglyphiques  distincts  signifiant  écriture? 
Les  préliminaires  d'entrée  en  campagne  de  M.  Dujardin  se  termi- 
nent par  le  paragraphe  suivant  :  «  Si  donc  chez  les  auteurs  anciens 
«  on  a  trouvé  l'indication  de  la  méthode  alphabétique  employée  pour 
«  écrire  les  noms  étrangers  (toujours  les  noms  étrangers!),  on  n'y 
«  saurait  trouver  de  même  que  l'écriture  hiéroglyphique  était  d'une 
(c  nature  presque  exclusivement  alphabétique.  Bien  loin  de  là  :  l'opi- 
«  nion  adoptée  par  M.  Champollion  est  en  opposition  directe  avec 
(c  tous  les  témoignages  de  l'antiquité.  Cette  circonstance  nous  rendra 
((  naturellement  plus  scrupuleux  dans  l'examen  des  preuves  alléguées 
((  à  l'appui  du  système  nouveau;  cependant  il  ne  faudrait  pas  les 
<(  condamner  sur  ces  seuls  indices;  il  n'est  peut-être  pas  impossible 
«  que  tous  les  auteurs  qui  nous  ont  parlé  de  l'écriture  hiéroglyphique 
«  se  soient  mépris  sur  sa  nature.  » 

J'en  ai  dit  assez,  je  crois,  pour  saper  les  raisonnements  sur  lesquels 
s'appuient  les  conclusions  renfermées  dans  le  paragraphe  qui  précède. 


356  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

M.  Dujardin  en  parlant  ainsi  se  croyait  sûr  de  la  victoire,  et,  à  mon 
avis,  il  était  loin  de  compte. 

Suivons-le  maintenant  dans  l'examen  de  la  grammaire  de  Champol- 
lion.  Chacun  sait  que  la  première  partie  de  cette  précieuse  grammaire 
ne  parut  que  plusieurs  années  après  la  mort  de  son  auteur,  et  que 
par  conséquent  celui-ci  ne  put,  jusqu'au  dernier  moment,  améliorer 
son  travail.  C'est  donc  un  premier  jet  que  nous  possédons-,  et  bien  que 
la  grammaire  égyptienne  soit  destinée  à  subir  quelques  modifications 
que  les  découvertes  ultérieures  pourront  peut-être  rendre  nécessaires, 
il  n'en  est  pas  inoins  vrai  que  l'œuvre  du  maître ,  telle  qu'elle  est, 
peut  soutenir  un  examen  sévère,  mais  loyal,  sans  cesser  d'être  la  base 
impérissable  de  la  science.  Voici  comment  M.  Dujardin  aborde  défini- 
tivement la  question  : 

«  L'auteur,  dit- il,  s'écartant  de  la  marche  ordinairement  suivie 
«  dans^  les  grammaires,  a  mis  avec  profusion,  dans  cette  première 
«partie,  de  longues  phrases  hiéroglyphiques,  empruntées  aux  mo- 
c(  numents  de  toutes  les  époques,  depuis  les  temps  les  plus  reculés 
«  jusqu'au  IIP  siècle  de  notre  ère,  et  toutes  ces  phrases  sont  accom- 
<(  pagnées  de  leur  traduction  complète.  Nous  pouvons  donc  juger  la 
((  méthode  nouvelle  par  ses  résultats,  par  les  applications  qu'en  a 
((  faites  l'auteur  lui-même  :  la  juger  n'est  pas  difficile;  nous  savons  que 
«  la  langue  copte  était  la  langue  de  l'Egypte  aux  premiers  siècles  du 
a  christianisme  ;  voilà  notre  pierre  de  touche.  La  nouvelle  méthode 
c(  sera  bonne  dès  qu'elle  pourra  lire  sur  les  temples  d'Esné,  sur  ceux 
((  de  Denderah,  des  mots,  des  phrases  appartenant  à  la  langue  copte 
«  qui  fut  contemporaine  de  ces  monuments.  Tout  système  de  lecture 
(c  qui,  essayé  sur  les  édifices  dont  nous  parlons,  ne  reproduira  ni  les 
<(  mots,  ni  la  syntaxe  de  cette  langue,  ne  pourra  prétendre  à  aucune 
<(  confiance.  » 

Nous  savons  déjà  que  le  raisonnement  du  critique  pèche  par  sa 
base  ;  c'est  donc  la  méthode  d'expérimentation  de  M.  Dujardin  qui 
ne  peut  prétendre  à  aucune  confiance,  puisqu'elle  n'a  aucun  fonde- 
ment solide.  Les  textes  sacrés  de  l'époque  la  plus  reculée  et  les  plus 
modernes  sont  conçus  dans  la  même  langue,  et  cette  langue  n'est  pas 
du  copte  pour  M.  Dujardin  lui-même,  qui  ne  s'aperçoit  pas,  dans 
son  désir  de  trouver  mauvais  ce  que  Champollion  a  fait,  qu'il  a  lui- 
même  condamné  son  opinion,  puisqu'il  a  été  forcé  d'admettre  l'exis- 
tence de  deux  langages  égyptiens  diiïérents,  lorsqu'il  s'est  trouvé  en 
face  de  la  pierre  de  Rosette.  Il  a  constaté  que  les  textes  sacrés  sont 
doués  d'immutabilité  ;  il  faut  donc  qu'il  admette  par  contre-coup  que 


LES  HIÉROGLYPHES  ET  LA  LANGUE  ÉGYPTIENNE.    357 

ce  fait  notoire  implique  l'immutabilité  matérielle  du  langage  dans 
lequel  ces  textes  sont  conçus;  et  c'est  après  avoir  affirmé,  à  dix  pages  de 
distance,  ce  fait  qui  domine  tout  le  reste,  ce  fait  de  l'existence  évidente 
de  deux  langages  différents,  que  M.  Dujardin,  oubliant  ce  qu'il  a  déjà 
dit,  raisonne  ainsi  qu'il  suit  : 

«  La  conséquence  à  laquelle  on  serait  conduit  par  l'application  de 
«  la  méthode  nouvelle,  c'est  qu'il  y  avait  en  Egypte,  au  II!"  siècle  de 
«  l'ère  chrétienne,  deux  langues,  différant  très -notablement  l'une  de 
«  l'autre,  tant  pour  les  mots  que  pour  la  syntaxe,  dont  l'une,  abso- 
((  lument  inconnue  jusqu'à  nos  jours,  s'employait  sur  les  monuments, 
«  tandis  que  l'autre,  la  langue  copte,  était  à  l'usage  de  la  popula- 
ce tion.  Mais  oii  est  la  démonstration  de  l'existence  d'une  langue 
((  monumentale  différente  de  la  langue  copte,  ailleurs  que  dans  la 
<(  certitude  de  la  méthode  qui  l'a  fait  découvrir?  Où  peut  être  la 
«  certitude  de  la  méthode  nouvelle,  ailleurs  que  dans  l'identité  des 
((  résultats  qu'elle  fournit,  avec  la  langue  copte  que  nous  connaissons? 
((  La  méthode  ne  saurait  être  démontrée  par  la  chose  nouvelle  qu  elle 
«  nous  fait  connaître,  en  même  temps  que  cette  chose  nouvelle  se- 
c(  rait  démontrée  par  la  méthode.  » 

Pour  admettre  ce  raisonnement,  il  faudrait  qu'à  la  phrase  qui 
demande  où  est  la  démonstration  de  l'existence  d'une  langue  monu- 
mentale différente  de  la  langue  copte,  ailleurs  que  dans  la  certitude 
de  la  méthode  qui  l'a  fait  découvrir,  il  faudrait,  dis-je,  qu'on  ne  pût 
pas  répondre  :  cette  démonstration  est  où  vous  l'avez  trouvée  vous- 
même,  dans  le  fait  matériel ,  dont  vous  n'avez  pas  éludé  la  significa- 
tion incontestable,  parce  que  le  fait  était  plus  fort  que  votre  vouloir; 
elle  est  dans  la  présence,  sur  la  pierre  de  Rosette,  du  double 
texte  égyptien  d'un  même  décret  pour  le  même  peuple,  chez  lequel 
tous  les  hommes  sachant  lire,  et  pour  qui  le  décret  était  apparem- 
ment gravé  et  exposé ,  devaient  trouver  suffisant  le  texte  démotique. 
Il  fallait  donc  que  M.  Dujardin  choisît  l'opinion  qu'il  voulait  adopter, 
qu'il  prît  soin  de  s'en  bien  pénétrer,  qu'il  réfléchît  plus  mûrement 
qu'il  ne  l'a  fait  à  l'attaque  qu'il  dirigeait  contre  la  découverte  de  Cham- 
pollion,  et  surtout  qu'il  ne  se  crût  pas  infaillible  et  invulnérable, 
tout  en  s'exposant  à  dire  blanc  et  noir  sur  le  même  point  de  doctrine. 

Champollion,  ainsi  que  le  fait  observer  M.  Dujardin,  n'a  point 
été  conduit  à  concevoir  l'existence  de  deux  langues  contemporaines. 
Ceci  est  vrai,  et  c'est  certainement  cette  erreur  de  Champollion  qui 
l'a  empêché  de  réussir  à  analyser  complètement  le  texte  démotique  du 
décret  de  Rosette. 

I.  24 


368  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Après  tout  ce  que  je  viens  dé  dire  contre  la  comparaison  tout 
à  lait  inopportune  des  phrases  hiéroglyphiques  avec  les  phrases 
coptes  exprimant  les  mêmes  pensées ,  il  demeure  absolument  inu- 
tile de  s'appesantir  sur  les  dissemblances  que  M.  Dujardin  constate 
par  quelques  exemples ,  et  qu'il  devait  inévitablement  rencontrer, 
sous  peine  d'être  en  contradiction  avec  lui-même  dans  ce  qui  faisait 
la  base  fondamentale  de  son  travail.  Des  textes  démotiques  du 
IIP  siècle  de  notre  ère  et  des  textes  coptes  contemporains,  voilà  ce 
qui  seulement  pouvait  être  m,is  en  regard  ;  toute  autre  comparaison 
était  essentiellement  illusoire  et  inutile;  et,  par  suite,  toute  conclusion 
tirée  d'une  comparaison  de  ce  genre  devenait  fausse  et  nulle. 

Ma  tâche  n'est  pas  Gnie  encore,  puisqu'il  me  reste  à  faire  justice 
des  phrases  suivantes  :  «  Que  l'on  examine  dans  la  grammaire  elle- 
(c  même  toutes  les  traductions  d'inscriptions  appartenant  à  l'époque 
«  romaine,  et  que  l'on  ne  s'en  laisse  point  imposer  par  les  caractères 
«  employés  qui  sont  bien  réellement  des  caractères  coptes,  on  verra 
«  qu'elles  ne  contiennent  pas  un  seul  mot  copte,  pas  un  seul,  obtenu 
((  au  moyen  de  la  nouvelle  méthode;  et  que  quand  il  se  rencontre, 
«  ce  qui  est  rare ,  quelque  mot  de  cette  langue  que  l'on  parlait  en 
(c  Egypte  au  IP  siècle  de  notre  ère,  il  répond  à  un  caractère  sym- 
«  bolique  sous  lequel  M.  Champollion  place  le  nom  copte  de  l'idée 
<(  qu'il  est  supposé  représenter.  L'examen  des  fragments  empruntés 
ce  à  l'inscription  de  Rosette  nous  donne  absolument  les  mêmes 
c(  résultats....  Nous  obtenons,  par  les  procédés  de  lecture  qui  nous 
(c  sont  proposés,  une  langue  nouvelle  qui,  loin  de  pouvoir  démontrer 
(c  la  certitude  de  ces  procédés,  aurait  besoin  elle-même  d'être  dé- 
«  montrée.  Dès  cet  instant,  la  nouvelle  méthode  est  jugée.  » 

Après  avoir  pris  M.  Dujardin  en  défaut  comme  je  l'ai  fait,  j'aurais 
pu,  je  pense,  écrire  aussi  ;  Dès  cet  instant  la  critique  de  M.  Dujardin 
est  jugée  :  je  n'ai  pas  eu  cette  outrecuidance.  J'ai  préféré  fouiller 
jusqu'au  fond  sa  pensée  et  démontrer  de  point  en  point  que  tout  ce 
qu'il  avait  dit  était  contestable,  pour  ne  pas  dire  plus.  Ici,  malheu- 
reusement ,  mon  rôle  change ,  et  je  ne  puis  plus  dire  :  M.  Dujardin 
s'est  trompe.  A  l'en  croire ,  les  phrases  rapportées  par  Champollion, 
comme  exemples  à  l'appui  de  ses  aphorismes  grammaticaux,  ne  con- 
tiennent pas  un  seul  mot  copte,  pas  un  seul;  il  n'est  pas  possible 
que  le  critique  ait  été  de  bonne  foi  lorsqu'il  écrivait  ces  dures  pa- 
roles. Que  penser  d'une  semblable  assertion  en  face  de  la  longue 
série  de  mots  égyptiens  hiéroglyphiques,  purement  phonétiques,  rap- 
portée à  la  page  60  et  aux  pages  suivantes,  mots  qui  présentent  tous 


LES  HIÉROGLYPHES   ET   LA  LANGUE    ÉGYPTIENNE.  359 

une  identité  presque  absolue  avec  les  mots  coptes  corrrespondants? 
Sont-çe  des  choses  étrangères  à  l'Egypte  que  celles  désignées  par  les 
mots:  Gloire  y  soif,  dent,  lait,  vin,  lune,  vache,  lumière,  soleil,  etc., 
etc.?  Et  puisque  ce  ne  sont  pas  des  choses  étrangères,  que  devient 
l'opinion  si  tranchée  de  M.  Dujardin?  Je  laisse  à  d'autres  le  soin  de 
qualifier  le  sentiment  qui  l'a  dictée. 

La  première  phrase  hiéroglyphique  rapportée  en  exemple  se  trouve 
page  81;  elle  se  transcrit,  abstraction  faite  des  déterminatifs  et  des 
signes  du  pluriel  qui  suivent  les  substantifs  : 

TF     EHO,     OPT,    ERP,  ERT,   MRH. 

et  se  traduit  :  ce  II  donne  des  bœufs,  des  oies,  du  vin,  du  lait,  de 
((  la  cire.  » 

Au  lieu  de  TF ,  qui  se  compose  du  radical  T  donner  et  du 
pronom  affixede  la  troisième  personne  du  masculin  singulier  F ,  on 
trouverait  en  copte  FTl ,  mot  dans  lequel  le  pronom  F  préfixe  est  suivi 
du  radical  Tl  donner.  Quant  aux  substantifs  extraits  de  cette  phrase, 
le  lecteur  peut  en  faire  la  comparaison  avec  les  substantifs  coptes 
correspondants,  en  tenant  compte  de  la  suppression  des  voyelles  dans 
l'écriture  égyptienne  et  de  l'équivalence  des  liquides  L  et  R.  En 
voici  le  tableau  : 


Egyptien. 

Copte. 

Signiûcation. 

EHO 

EHOOU 

Bœufs. 

OPT 

n'a  pas  encore  été  retrouvé 
dans  les  textes  coptes. 

Oies, 

ERP 

ERP 

Vin. 

ERT 

EROTE 

Lait, 

MRH 

MOULH 

Cire. 

Dans  cet  exemple ,  sur  six  mots  cinq  sont  coptes ,  et  je  me  con- 
tente de  cette  réponse  à  l'affirmation  de  M.  Dujardin.  Quant  aux 
exemples  tirés  du  teniple  d'Esné  et  du  décret  de  Rosette,  comme 
tous  ceux  qui  ont  été  donnés  sont  essentiellement  religieux  et  formés 
des  idées  temple.  Dieu,  fête,  etc. ,  accompagnés  de  noms  propres  de 
divinités ,  je  maintiens  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  de  ce  que  ces 
phrases  sont  empreintes  d'un  symbolisme  assez  transparent  pour 
qu'il  y  ait  impossibilité  de  faire  un  contre-sens  en  les  traduisant. 
M.  Dujapdinen  convient  en  disant  ;  «  Le  sens  d'un  grand  nombre 
de  caractères  et  de  groupes  hiéroglyphiques  a  pu  être  déterminé 
d'une  manière  certaine,  indépendamment  de  toute  lecture.  »  Mais 
quand  il  ajoute  :  C'est  là  ce  qui  a  égaré  M.  Champollion,  il  rai- 


360  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

sonne  de  la  façon  la  plus  étrange,  car  l'erreur  absolue  ne  peut  pas 
découler  avec  la  vérité,  du  même  coup  et  des  mômes  faits  observés  par 
le  même  esprit.  Si  M.  Dujardin  se  fût  borné  à  blâmer  l'hafiitude 
que  Champollion  avait  de  transcrire  en  lettres  coptes  de  purs  symboles 
dont  la  véritable  prononciation  ne  sera  peut-être  jamais  connue  ,  je 
serais  le  premier  à  lui  donner  raison;  mais  telle  n'a  pas  été  sa  pensée  ; 
blâmer  tout  et  sans  réserve,  c'est  ce  qu'il  a  voulu  ;  voilà  précisément  ce 
qui  m'a  décidé  à  discuter  son  opinion  sans  indulgence,  ou  plutôt  sans 
faiblesse.  Un  peu  plus  loin,  M.  Dujardin  accuse  Champollion  de  s'être 
engagé  dans  la  voie  des  étymologies  pour  rattacher  sa  langue  nou- 
velle à  la  langue  copte:  «  C'est,  dit-il,  par  des  rapports  étymologiques 
((  qu'il  a  cru  masquer  les  différences  profondes  que  nous  avons  signa- 
<(  lées  :  ces  rapports  l'ont  séduit;  nous  le  concevons;  il  est  l'auteur  de 
c(  la  méthode  nouvelle.  Mais  nous  qui  examinons,  libres  des  préoccu- 
pe pations  par  lesquelles  il  se  trouvait  dominé,  tous  ces  rapproche- 
K  ments,  quelque  ingénieux  qu'ils  soient,  ne  sauraient  nous  faire 
tt  illusion ,  et  nous  rejetons  un  système  qui  ne  s'appuie  que  sur  des 
«  subtilités  étymologiques.  » 

Le  lecteur  a  vu  plus  haut  quelques  échantillons  des  subtilités  éty- 
mologiques de  Champollion;  et  comme  je  l'ai  mis  en  demeure  d'ap- 
précier ce  que  je  me  permets,  à  mon  tour,  d'appeler  les  subtilités 
logiques  de  M.  Dujardin,  il  pourra  juger  en  connaissance  de  cause, 
et  décider  ce  qu'il  veut,  ce  qu'il  doit  accorder  de  confiance  aux  dires 
passionnés  du  critique  de  la  grammaire  égyptienne. 

L'article  de  M.  Dujardin  est  terminé  par  des  observations  plus  ou 
moins  justes  sur  l'emploi  du  copte  fait  par  Champollion,  qui,  très- 
certainement,  savait  fort  bien  cette  langue,  quoi  qu'on  en  puisse  dire. 
A  l'entendre,  les  fautes  de  syntaxe  fourmillent,  et  le  choix  de  ces  fautes 
à  signaler  serait  seul  embarrassant.  Et  cependant  M.  Dujardin  n'est 
pas  absolument  heureux  dans  ses  reproches  :  «  Parcourez  la  grammaire, 
dit-il,  vous  y  trouverez  sans  cesse  l'article  pluriel  indéterminé,  associé 
aux  noms  de  nombre,  combinaison  que  la  syntaxe  copte  n'admet 
pas  plus  que  la  nôtre.  »  Au  premier  abord  ce  reproche  semble  juste, 
et  cependant,  tout  bien  considéré,  il  ne  l'est  pas,  cette  prétendue 
faute  ne  se  retrouvant  que  dans  des  énumérations,  comme,  par 
exemple,  dans  un  compte  de  têtes  de  bétail  enlevé  à  l'ennemi,  oii 
chaque  nom  d'espèce  forme  un  titre  indéterminé ,  suivi  du  nombre 
d'individus  capturés;  de  même,  enfin,  que  nous  dirions  aujourd'hui 
en  français,  on  a  pris  à  l'ermemi  :  drapeaux,  10;  canons,  20;  prison- 
niers, iOOO.  Je  le  demande,  dans  le  cas  oii  l'on  aurait  à  traduire 


LES  HIÉROGLYPHES   ET  LA   LANGUE   EGYPTIENNE.  361 

en  copte  une  énuméralion  de  ce  genre,  de  quel  article  pluriel  se  ser- 
virait-on, si  ce  n'est  de  l'article  indéterminé? 

A  propos  du  mot  égyptien  nib  signifiant  tous,  et  que  ChampoUion 
transcritconstammentainsi,M.  Dujardin  ajoute  :  nib,  préféré,  je  ne  sais 
pourquoi,  au  mot  nim  du  dialecte  thébaïque  et  au  mot  niben  du  dialecte 
memphitique.  Le  pourquoi, le  voici  :  c'est  qu'il  est  rendu  incontestable 
par  des  centaines  de  passages  que  le  même  symbole  signifie  tout  et 
seigneur.  Or  ce  dernier  mot  est  7iè6  ou  nib  en  copte,  et,  de  plus, 
M.  Dujardin  a  sans  doute  oublié  qu'en  bascbmourique  tout  se  ditm6t. 
Il  était  donc  absolument  nécessaire  de  lire  ce  symbole  nib  ou  nibi  en 
restituant  la  voyelle  finale  qui  s'est  conservée  dans  le  dialecte  bas- 
cbmourique. 

Puis,  à  propos  des  mots  coptes  djo ,  tête ,  rat,  pied,  ro ,  bouche, 
M.  Dujardin  avance  qu'ils  ne  se  montrent  dans  la  grammaire  de 
ChampoUion  qu'avec  les  articles  simples  ou  possessifs  :  petro,  ta 
bouche;  netrat,  tes  pieds ;^/i5en/o,  leurs  têtes;  tandis  que  dans  les 
livres  coptes  les  mêmes  mots  n'admettent  pas  autre  chose  que  des 
terminaisons  comme  rof,  sa  bouche;  djoSf  sa  tête;  ratou,  leurs  pieds. 
Ajoutons,  dit-il,  que  les  articles  possessifs, /)e^,  net,  ensen,  sont  com- 
plètement étrangers  à  la  langue  copte. 

Cette  fois  M.  Dujardin  a  raison,  l'exemple  dans  lequel  il  a  reconnu 
ces  fautes  de  copte,  se  trouve  à  la  page  205,  et  il  est  incontestable  que 
les  prétendus  articles  possessifs , /)e^,  net,  ensen,  ne  sont  ni  égyptiens 
ni  coptes;  aussi  dans  le  chapitre  fort  détaillé,  oii  ChampoUion  traite 
des  articles  possessifs,  le  tableau  général  des  articles  ne  présente-t-il 
aucun  des  trois  mots  monstrueux  que  le  lithographe  a  tracés  par  mé- 
garde,  et  qui  eussent  infailliblement  disparu  si  l'auteur  n'eût  été,  par 
sa  mort  prématurée ,  empêché  de  corriger  lui-même  les  épreuves  de 
son  livre.  On  a  donc  mauvaise  grâce  de  reprocher  à  ChampoUion  les 
fautes  d'un  artiste  qui,  sans  aucun  doute,  ne  se  piquait  pas  de  savoir 
le  copte. 

Quant  à  l'observation  sur  l'emploi  des  pronoms  personnels  suffixes 
comme  pronoms  possessifs,  elle  est  très-juste,  et  les  trois  mots  cités 
par  M.  Dujardin  comme  comportant  ces  pronoms  possessifs  suffixes 
ne  sont  pas  les  seuls  mots  coptes  auxquels  cette  règle  soit  applicable; 
les  mots  tôt ,  main ,  hèt,  cœur,  sont  dans  le  même  cas,  et  ce  qui  n'est 
plusdans  le  copte  qu'une  exception  était  positivement  la  règle  générale 
dans  l'ancienne  langue  égyptienne.  En  un  mot,  le  fait  allégué  par 
M.  Dujardin  est  un  des  faits  grammaticaux  les  plus  favorables  à  la 
méthode  de  lecture  de  ChampoUion.  Je  ne  suis  pas  aussi  convaincu 


362  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  la  justesse  du  reproche  adressé  à  la  locution  mai/,  aimant  lui,  mise, 
dans  les  transcriptions  de  Champollion  à  la  place  du  copte  moderne 
etmaiemmof  (\\ie  M.  Dujardin  voudrait  à  toute  force  y  trouver.  Il  n'est 
pas  possible,  en  effet,  de  contester  l'existence  de  l'emploi  même  récent 
des  pronoms  personnels  régimes  suffixes  dont  le  mot  maif^  qui  aime 
lui,  est  un  exemple,  et  le  savant  Peyron  est  fort  explicite  sur  le 
compte  de  ces  pronoms  aux  pages  5 i  et  55  de  son  excellente  gram- 
maire. Dès  lors,  si  en  copte,  mainoute  veut  dire  aimant  Dieu,  mai- 
chemmo,  aimant  les  étrangers,  pour  hospitalier,  mai/"  signifie  tout 
naturellement  aimant  lui. 

Et  maintenant  M.  Dujardin  avait-il  le  droit  de  dire?  «Ces  négligences 
et  bien  d'autres  encore  qu'il  serait  trop  long  de  citer,  montrent  a  quel 
point  M.  Champollion  avait  perdu  de  vue  les  règles  de  la  langue  copte  ; 
elles  suffiraient,  quand  même  l'art  des  rapprochements  étymologiques 
dont  il  a  fait  usage,  serait  moins  trompeur,  elles  suffiraient  pour  faire 
douter  de  la  réalité  des  rapports  qu'il  a  cru  apercevoir  entre  cette 
langue  et  les  résultats  de  ses  lectures.  » 

Le  lecteur  jugera  lui-même. 

Il  ne  me  reste  plus  maintenant  qu'à  exprimer  sans  arrière-pensée 
le  regret  sincère  que  j'éprouve  et  que  tous  les  amis  des  progrès  scien- 
tifiques partageront  sans  doute,  en  pensant  que  le  docteur  Dujardin  a 
péri  sur  les  rives  du  Nil,  au  moment  môme  où  il  allait  se  mettre  à  la 
recherche  des  manuscrits  coptes  qu'il  était  plus  que  personne  à  même 
d'apprécier  et  de  recueillir.  Profondément  versé  dans  la  connaissance 
de  cette  langue,  il  eût,  j'en  suis  convaincu,  puisé  dans  lexécution 
de  la  mission  honorable  qui  lui  avait  été  confiée  à  si  juste  titre,  la  cer- 
titude qu'il  s'était  laissé  entraîner,  beaucoup  plus  loin  peut-être  qu'il 
ne  l'avait  voulu  lui-même,  par  des  influences  étrangères.  De  retour 
en  France,  il  eût,  sans  aucun  doute,  reconnu  et  réparé  loyalement  le 
tort  qu'il  avait  fait  à  l'étude  dont  il  proclamait  hautement  l'utilité,  et 
son  appui  consciencieux  eût  été  probablement  plus  profitable  à  la 
science  des  écritures  égyptiennes  que  son  dédain  ne  leur  a  été  nuisible. 

F.  DE  Saulcy,  membre  de  l'Institut, 


RAPPORT 


FAIT 

A  L'ACADÉMIE  ROYALE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES, 

AU  NOM  DE  LA  COMMISSION  DES  ANTIQUITÉS  DE  LA  FRANCE , 

PAR  M.  LENORMANT. 

LU  A  LA  SÉANCE  PUBLIQUE  DU  9  AOUT  1844. 


Messieurs, 

Votre  Commission  des  antiquités  nationales  a  éprouvé  cette  année 
l'embarras  des  richesses.  Plus  de  trente  ouvrages  imprimés  ou  ma- 
nuscrits avaient  été  présentés  au  concours.  C'a  été  une  tâche  des 
plus  délicates  que  de  classer  des  productions  dont  les  sujets  et  le 
caractère  offraient  tant  de  variété;  et  même,  après  s'être  acquittée  de 
cette  lâche  avec  tout  le  soin  dont  elle  était  capable,  votre  Commis- 
sion est  contrainte  de  demander  qu'on  n'attribue  point  une  signifi- 
cation absolue  à  l'ordre  dans  lequel  sont  énumérés  les  ouvrages 
qu'elle  a  le  plus  distingués,  certaines  productions  n'ayant  dû  la  pré- 
férence dont  elles  ont  été  l'objet,  qu'à  ce  qu'elles  rentraient  plus 
spécialement  dans  le  cadre  des  antiquités,  dont  l'Académie  a  surtout 
voulu  encourager  l'étude. 

L'observation  qu'on  vient  de  faire  ne  s'applique  point  à  l'ouvrage 
auquel  votre  Commission  vous  propose  d'accorder  la  seconde  médaille. 
En  tout  état  de  cause,  le  Recueil  des  archives  d Anjou,  par  M.  Paul 
Marchegay,  aurait  excité  votre  attention  et  mérité  vos  suffrages. 
M.  Marchegay  a  puisé  dans  l'École  des  chartes,  une  instruction  so- 
lide, avec  un  goût  passionné  pour  la  diplomatique  et  la  paléographie. 
C'est  dans  toute  la  force  du  terme  un  bénédictin  laïque ,  s'il  est 
permis  à  l'érudition  seule  de  s'emparer  d'un  nom  qu'elle  a  si  puissam- 
ment contribué  à  maintenir  en  honneur  dans  le  cours  des  deux  der- 
niers siècles.  Chargé  de  la  conservation  des  archives  du  département 
de  Mai ne-et  Loire,  M.  Marchegay  devait  ressentir  un  attrait  parti- 
culier pour  les  souvenirs  de  l'abbaye  de  Saint  Maur  de  Glanne- 
feuille  ,  qui  reçut  la  première  dans  la  Gaule  le  disciple  de  saint 
Benoît ,  et  qui,  plus  de  mille  ans  après,  était  destinée  à  donner  son 
nom  à  la  réforme  dont  l'influence  a  produit  les  principaux  raonu- 


364  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ments  de  l'érudition  bénédictine.  Cette  recherche  toutefois  aurait  re- 
buté la  patience  des  investigateurs  ordinaires.  Indépendamment  de 
plus  anciens  désastres  qui  l'avaient  ruinée  et  appauvrie,  l'abbaye  de 
Saint-Maur  fut  pillée  trois  fois  dans  le  XVP  siècle.  La  dernière  de 
ces  calamités  pensa  consommer  la  destruction  de  ses  titres.  Quand  la 
paix  et  l'ordre  furent  rétablis,  ce  fut  à  peine  si  les  religieux  purent 
recueillir  quelques  lambeaux  à  demi  consumés  de  leur  précieux  car- 
tulaire.  De  nouveaux  périls  attendaient  ces  débris,  lors  de  la  sup- 
pression des  monastères  :  les  vingt-neuf  feuillets  arrachés  aux  sol- 
dats de  Duplessis-Mornay,  furent  de  nouveau  lacérés  et  dispersés 
dans  des  liasses  composées  des  papiers  les  plus  disparates.  M.  Mar- 
chegay  est  parvenu  à  les  retrouver  tous ,  et  le  Recueil  des  archives 
d'Anjou  contient  les  LXII  chartes  de  Saint-Maur,  toutes  antérieures 
au  XlIP  siècle,  un  grand  nombre  contemporaines  des  deux  pre- 
mières races,  et  inédites  pour  la  plupart. 

Mais  ce  n'a  été  là  pour  M.  Marchegay  que  la  moindre  et  la  plus 
facile  de  ses  conquêtes.  Le  dépôt  des  archives  de  Maine-et-Loire 
possédait,  il  y  a  une  quinzaine  d'années,  un  cartulaire  également  du 
XIP  siècle,  appelé  le  Lwre  Noir,  et  provenant  d'un  monastère 
moins  illustre  par  son  origine  que  celui  de  Saint-Maur,  mais  dont 
l'importance  dura  bien  plus  longtemps,  l'abbaye  de  Saint-Florent  de 
Saumur.  On  ignore  dans  quelle  année  précisément,  et  par  suite  de 
quelle  infidélité  ou  de  quelle  négligence  a  disparu  le  Lwre  Noir  de 
Saint-Florent;  seulement  la  perte  de  ce  monument  diplomatique  avait 
été  constatée  avant  l'installation  de  M.  Marchegay.  Mais  que  les  amis 
de  la  science  se  rassurent I  avec  un  tel  archiviste,  il  n'est  point  de 
pertes  irréparables.  Les  copies  des  différentes  pièces  dont  se  compo- 
sait le  Liçre  Noir,  étaient  éparpillées  dans  un  grand  nombre  de  re- 
cueils, ou  conservées  en  original  dans  le  dépôt  de  Maine-et-Loire. 
M.  Marchegay,  avec  une  sagacité  et  une  patience  admirables,  a 
rapproché  ces  documents  épars  en  y  rattachant  les  indications  acces- 
soires qu'il  avait  pu  recueillir.  A  cinq  ou  six  chartes  près,  il  nous 
rend  le  Livre  Noir  :  travail  singulier,  unique  en  son  genre,  et  auquel 
ne  sauraient  trop  applaudir  ceux  qui  s'intéressent  au  progrès  de  notre 
histoire. 

On  sait  en  effet  quelle  est  l'importance  et  l'autorité  des  chartes, 
surtout  pour  les  époques  les  plus  anciennes  :  elles  suppléent  alors 
presque  toujours  au  silence  ou  à  l'excessive  sécheresse  des  chroni- 
queurs. Plus  tard,  et  quand  les  renseignements  commencent  à  de- 
venir abondants,  les  chartes  perdent  peu  de  leur  valeur  :  c'est  à  leur 


RAPPORT   DE   M.    LENORMANT.  365 

aide  surtout  qu'on  surprend  les  secrets  de  la  vie  civile;  sans  elles  les 
pensées  dominantes  du  moyen  âge  et  les  rouages  de  l'organisation 
sociale  resteraient  souvent  enveloppés  d'un  mystère  impénétrable. 

Nous  venons  de  voir  les  résultats  de  fortes  études  dans  un  homme 
jeune  et  dévoué.  La  production  désignée  à  vos  suflVages  pour  la 
troisième  médaille  diffère  totalement  de  celle  qui  précède.  Vous  ne 
trouvez  dans  les  Recherches  historiques  sur  le  département  de  VAin , 
ni  les  ressources,  ni  les  prétentions  d'une  érudition  profonde.  C'est 
tout  le  charme,  c'est  souvent  aussi  tout  le  décousu  de  la  conversa- 
tion chez  un  homme  qui,  à  des  connaissances  très-variées,  joint 
l'habitude  du  monde,  et  cette  curiosité  intelligente  pour  laquelle  les 
moindres  détails  ont  leur  intérêt  et  leur  signification. 

M.  de  la  Teyssonnière  n'a  point  voulu  faire  une  histoire  :  il  s'est 
contenté  de  classer,  dans  un  ordre  chronologique  (et  qui  n'est  pas 
toujours  suivi  avec  une  scrupuleuse  fidélité),  le  fruit  de  ses  lectures 
et  de  ses  recherches,  en  les  accompagnant  de  réflexions  sensées, 
quelquefois  piquantes,  et  dont  une  mise  en  œuvre  plus  soignée  au- 
rait pu  faire  ce  qu'on  appelle  complaisamment  aujourd'hui  de  grandes 
vues  historiques.  Les  défauts  et  les  mérites  du  volumineux  ouvrage  de 
M.  de  la  Teyssonnière  se  résument  en  un  seul  mot  :  variété.  Riche 
surtout  en  détails  sur  les  coutumes  locales ,  la  législation  et  les  inci- 
dents du  foyer  domestique,  il  ne  lui  manque  sous  ce  rapport  qu'une 
exactitude  plus  constante  dans  l'indication  des  sources  oii  l'auteur  a 
puisé  les  matériaux  de  ses  recherches. 

Après  le  paléographe  exercé,  après  le  causeur  instruit  et  spirituel , 
nous  avons  placé  l'historien  proprement  dit,  l'homme  qui  saisit  les 
masses,  et  y  subordonne  sans  peine  les  faits  accessoires.  On  ne  sau- 
rait assurément  dénier  ces  qualités  à  M.  Chéruel ,  auteur  d'une 
Histoire  de  Rouen  pendant  l époque  communale ,  et  c'est  à  propos  de 
ce  livre  surtout,  que  votre  Commission  a  éprouvé  quelque  peine  à  se 
rappeler  qu'elle  avait  pour  mission  de  couronner  plutôt  l'œuvre  de 
l'antiquaire  que  celle  de  l'historien.  Sans  doute  on  remarque  un  cer- 
tain contraste  entre  les  espérances  que  M.  Chéruel  avait  conçues  en 
entreprenant  son  livre,  et  le  langage  un  peu  désabusé  de  la  con- 
clusion. Point  de  noms  illustres  à  exhumer,  de  grandes  actions  à 
mettre  en  lumière,  dans  l'histoire  de  cette  commune  indisciplinée, 
égoïste,  tracassière,  comme  presque  toutes  les>communes  du  moyen 
âge.  Si  l'on  prend  quelque  intérêt  à  sa  formation,  on  la  voit  au 
contraire  disparaître  sans  regret,  et  se  fondre,  par  la  perte  de  ses 
privilèges,  dans  la  grande  unité  nationale.  Cependant  Y  Histoire  de 


366  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Rouen  a  ses  renseignements  précieux.  Là  se  montre,  plus  marquée 
peut-être  que  partout  ailleurs,  la  transition  progressive  de  l'état  de 
serf  à  celui  de  citoyen  d'un  grand  royaume.  La  ville  de  Rouen  est 
comme  la  personnification  intelligente  et  passionnée  des  sentiments 
qui  durent  successivement  attacher  à  la  cause  française  ou  en  séparer 
les  provinces  qui,  dans  l'origine,  avaient  joui  d'une  existence  indé- 
pendante de  la  royauté.  Sous  le  gouvernement  d'un  Philippe  Auguste 
et  d'un  Louis  IX,  elle  passe  promptement  d'une  résignation  sombre 
à  un  attachement  sincère  pour  ses  nouveaux  maîtres.  Un  règne 
tyrannique,  suivi  d'une  administration  désordonnée,  ébranle  sa  fidé- 
lité du  XIII"  siècle,  mais  ne  la  détruit  pas  immédiatement;  elle 
donne  encore  son  sang  à  Crécy  pour  la  France,  et  ne  se  livre  à 
l'esprit  de  sédition  qu'après  Poitiers.  La  sage  administration  de 
Charles  V  restaure  1  esprit  français  dans  la  cité  normande  ;  au 
milieu  de  la  lutte  si  difficile  que  notre  pays  soutint  alors,  la  résistance 
isolée  des  communes  devint  une  cause  de  salut  pour  la  France.  La 
constance  des  Rouennais  y  produisit  un  effet  prépondérant,  et 
Charles  V  prouva  qu'il  l'avait  bien  compris  en  léguant  son  cœur  à 
leur  cathédrale.  Mais  bientôt  les  tuteurs  de  Charles  VI  détruisent 
l'œuvre  du  prudent  monarque  à  Rouen  comme  dans  le  reste  du 
royaume  :  de  là,  une  rébellion  terrible ,  punie  avec  une  rigueur  irré- 
fléchie, dont  le  ressentiment  jette  la  capitale  de  la  Normandie  dans  le 
parti  de  l'étranger.  Trente-sept  ans  de  servitude  apprirent  aux 
Rouennais  que  l'abandon  de  la  cause  nationale  est  un  triste  remède 
au  mauvais  gouvernement  de  la  patrie. 

Ces  remarques  intéressantes  ne  trouvent  malheureusement  qu'une 
assez  faible  place  dans  le  livre  de  M.  Chéruel.  Avec  quelque  talent 
que  ce  professeur  ait  traité  son  sujet,  il  n'a  pu  échapper  à  ce  qu'ont 
de  monotone  et  de  fastidieux  les  querelles  incessantes  de  la  commune 
et  du  chapitre,  de  la  ville  et  de  l'abbaye  de  Saint-Ouen  :  en  un  mot, 
l'historien  est  supérieur  au  sujet  qu'il  a  choisi.  Une  critique  toute 
contraire  s'applique  à  YHistoire  des  comtes  de  Flandre ,  par 
M.  Edward  Leglay;  ici  la  tâche  était  peut-être  trop  forte  pour  celui 
qui  l'avait  embrassée. 

Et  d'ailleurs,  en  se  réduisant  à  un  simple  récit,  en  s'interdisant 
toute  réflexion  et,  comme  il  le  dit  quelque  part,  toute  pause,  M.  Le- 
glay n'a-t-il  pas  accru  à  plaisir  la  difficulté  de  son  entreprise?  Il  est 
vrai  que,  se  proposant  surtout  de  faire  une  introduction  à  la  belle 
histoire  des  ducs  de  Bourgogne  par  M.  de  Barante,  il  a  cru  devoir 
suivre  fidèlement  le  système  adopté  par  son  modèle.  Mais  qui  ne  voit 


RAPPORT  DE   M.    LENOUMANT.  367 

qu'un  pur  récit  qui  s'approprie  à  des  événements  d  une  notoriété 
éclatante ,  comme  tout  ce  qui  se  rapporte  aux  règnes  de  Charles  VI 
et  de  Charles  VIÏ,  ne  saurait  convenir  aux  annales  obscures  et  con- 
fuses des  premiers  comtes  de  Flandre?  L'historien  de  ces  princes  est 
obligé,  sous  peine  de  n'être  pas  compris,  d'entrer  dans  les  détails  des 
généalogies  et  des  alliances;  il  lui  faut  faire  marcher  de  front  les 
souverainetés  diverses  qui,  pendant  plusieurs  siècles,  ont  occupé  le 
sol  de  la  Belgique  :  les  ducs  de  la  basse  Lorraine  et  du  Brabant,  les 
comtes  de  Hainaut,  de  Boulogne  et  de  Hollande  réclament  son  atten- 
tion tout  autant  que  les  comtes  de  Flandre.  Comment  d'ailleurs  ne 
pas  s'arrêter  à  la  fondation ,  au  progrès  de  toutes  ces  villes,  à  l'origine 
et  au  développement  de  ces  puissantes  industries?  Qu'est-ce  que 
l'histoire  de  Flandre  sans  les  mœurs?  Depuis  les  Forestiers  des  pre- 
miers temps  jusqu'au  brasseur  Artevelle,  quels  changements,  quelle 
transformation  !  Cette  terre  est  d'abord  comme  le  centre  des  mœurs 
héroïques  :  les  Francs  en  descendent  sur  la  Gaule  ;  elle  donne  aux 
croisades  le  premier  roi  de  Jérusalem,  le  premier  empereur  latin  de 
Constantinople-,  et,  ensuite,  comme  si  ce  flot  d'une  barbarie  glo- 
rieuse s'était  tout  à  fait  écoulé  vers  l'Orient,  une  noblesse  marchande 
succède  à  la  noblesse  des  temps  de  chevalerie.  Semblables  aux  esclaves 
des  Scythe*  qui  avaient  pris  la  place  de  leurs  maîtres,  entraînés  au 
loin  parla  passion  des  conquêtes,  les  serfs  émancipés  de  la  Belgique 
fondent  ces  communes  tumultueuses  avec  lesquelles  les  souverains 
sont  forcés  de  capituler  dès  le  XÏP  siècle,  et  en  qui  se  développent 
pour  la  première  fois,  les  avantages  et  les  inconvénients  d'une  démo- 
cratie industrielle  et  marchande,  peu  difl"érente  de  celle  dont  le  temps 
présent  offre  de  si  notables  exemples. 

Telle  est  la  grande  révolution,  dont  nous  aurions  voulu  trouver  les 
causes  et  le  progrès  plus  clairement  exposés  dans  V Histoire  des  comtes 
de  Flandre,  On  n'en  lit  pas  moins,  avec  un  vif  intérêt,  quelques 
parties  de  ce  livre,  et  surtout  celles  oii  un  récit  clair  et  rapide 
s'adapte  à  des  circonstances  plus  saillantes,  comme  l'assassinat  de 
Charles  le  Bon  et  la  poursuite  de  ses  meurtriers.  C'est  là  surtout  que 
les  défauts  du  système  adopté  par  M.  Leglay  disparaissent ,  et  que 
son  mérite  se  montre  avec  avantage. 

Tout  en  assignant  à  M.  Chéruel  une  place  plus  élevée  que  celle  à 
laquelle  M.  Leglay  peut  prétendre,  la  Commission  avait  émis  le  vœu 
qu'une  quatrième  médaille  fut  partagée  entre  ces  deux  historiens.  Le 
vœu  a  été  accueilli  par  M.  le  Ministre  de  l'instruction  publique,  et, 
grâce  à  cet  acte  d'une  munificence  dont  l'Académie  a  déjà  eu  tant  de 


368  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

preuves,  la  médaille  qui  doit  récompenser  MM.  Chéruel  et  Leglav, 
sera  mise  à  la  disposition  de  l'Académie. 

La  Commission  aurait  été  embarrassée,  et  ses  dispositions  au- 
raient sans  doute  été  différentes,  si  deux  ouvrages,  spécialement 
consacrés  à  l'archéologie,  Y  Histoire  de  ïarl  dans  V  ouest  de  la  France, 
et  la  Description  des  vitraux  de  Bourges ,  n'avaient  été  déjà  couronnés 
par  l'Académie  :  celui-ci  à  la  suite  du  concours  de  l'année  dernière, 
celui-là  à  une  époque  plus  ancienne ,  mais  dont  la  compagnie  n'a 
point  perdu  le  souvenir,  ayant  depuis  lors  admis  l'auteur  au  nombre 
de  ses  correspondants. 

MM.  Martin  et  Cahier  ont  donné  un  heureux  démenti  aux  craintes  > 
que  votre  Commission  avait  exprimées  :  la  Description  des  vitraux  de 
Bourges,  sans  rien  perdre  de  l'abondante  et  profonde  érudition  qui  la 
distingue,  marche  rapidement  vers  son  terme  :  si  les  auteurs  n'ont 
plus  trouvé  l'occasion  de  développements  aussi  féconds  que  ceux  qui 
leur  ont  été  suggérés  par  le  vitrail  représentant  la  nouvelle  alliance, 
en  revanche,  ils  se  sont  abandonnés  à  de  moins  longues  digres- 
sions, et  ont  réformé  en  partie  leur  vocabulaire.  Ce  livre  restera, 
avec  de  grands  défauts  sans  doute,  mais  avec  des  qualités  supé- 
rieures. 

Ce  n'est  pas  la  science  avec  ses  derniers  efforts  que  les  nombreux 
lecteurs  de  M.  de  Caumont  cherchent  dans  le  Cours  d* antiquités  mo- 
numentales; nous  ajouterons  même  que  s'il  s'agissait  déjuger  un  livre 
d'après  sa  valeur  absolue,  celui  que  M.  de  Caumont  vient  de  com- 
pléter, par  la  publication  d'un  sixième  volume  consacré  au  mobilier 
des  édifices  religieux,  soulèverait  quelques  objections.  On  lui  deman- 
derait plus  d'ordre  et  de  méthode,  une  nomenclature  plus  correcte, 
des  opinions  moins  flottantes,  une  critique  plus  individuelle.  Mais  si 
l'on  juge  l'ouvrage  de  M.  de  Caumont  d'après  l'effet  qu'il  a  produit 
et  sur  son  incontestable  utilité,  la  sentence  sera  nécessairement  plus 
favorable.  Qui  ne  sait  avec  quel  zèle  M.  de  Caumont  a  propagé  dans 
toute  la  France  l'étude  de  nos  monuments?  La  Commission  ne  peut 
/)ublier  que  le  but  de  l'institution  des  médailles  que  l'Académie 
distribue,  a  été  d'encourager  un  genre  de  recherches  dont  l'abandon 
était  un  juste  sujet  de  chagrin  pour  les  amis  de  la  science.  Si  tout  est 
changé  maintenant,  si  un  zèle  véritable  a  succédé  à  l'indifférence,  il 
y  aurait  de  l'ingratitude  à  ne  pas  proclamer  hautement  les  noms  de 
ceux  qui  se  sont  dévoués  à  ce  mouvement.  Et  certes,  M.  de  Cau- 
mont occupe  dans  cette  liste  une  des  premières  places. 

Au  jugement  de  la  Commission,  M.  de  Caumont  et  MM.  Martin 


RAPPORT  DE  M.    LENORMANT.  369 

et  Cahier  ont  continué  de  mériter  les  médailles  que  l'Académie  leur 
a  précédemment  décernées. 

Après  les  distributions,  les  vœux  et  les  rappels  de  médaille,  la 
Commission  a  épuisé  ses  ressources;  et  il  ne  lui  reste  que  le  regret 
de  ne  pouvoir  désormais  proportionner  les  témoignages  de  son  ap- 
probation au  mérite  réel  des  ouvrages  dont  elle  va  maintenant  en- 
tretenir l'Académie.  L'Histoire  de  Gigny,  par  M.  Gaspard  ;  V Abbaye  de 
Poniigny,  par  M.  le  baron  Chaillou  des  Barres;  la  Descr'plion histo- 
rique des  maisons  de  Rouen,  par  M.  de  la  Querière,  et  l'édition  cri- 
tique du  Viversarum  artium  schedula,  du  moine  Théophile,  donnée 
par  MM.  de  l'Escalopier  et  Guichard,  ont  paru  dignes  à  la  Com- 
mission d'une  mention  très-honorable ,  et  plusieurs  de  ces  pro- 
ductions auraient  été  sans  doute  plus  heureuses  dans  un  moins  riche 
concours. 

Ce  fut  une  desCinée  singulière  que  celle  de  la  royale  abbaye  de 
Gigny  :  liée  intimement  à  l'histoire  des  principaux  développements 
de  l'ordre  de  Saint-Benoît  en  France ,  elle  n'y  tient  néanmoins  qu'une 
place  secondaire ,  et  on  dirait  qu'à  toutes  les  époques  elle  s'est  volon- 
tairement refusée  à  prendre  sa  part  de  mérite  et  de  gloire  dans  des 
travaux  dont  l'influence  a  été  si  puissante  sur  la  civilisation  et  Ja 
science.  Fondée  avant  Cluny  par  B.  Bernon ,  les  cénobites  qui  com- 
mencèrent cette  illustre  abbaye,  sortirent  de  son  sein.  Mais  Cluny, 
conhée  à  la  direction  des  plus  nobles  esprits  du  X*  siècle,  grandit  et 
propagea  rapidement  son  empire.  Gigny,  au  contraire,  demeura 
stalionnaire,  et  ne  se  signala  que  par  sa  résistance  au  mouvement 
dans  lequel  voulait  l'entraîner  son  illustre  fille.  Vous  chercheriez  en 
vain  quelques-uns  de  ceux  qui  l'ont  conduite  ou  habitée ,  dans  la 
liste  des  grands  noms  de  l'ordre  de  Saint-Benoît,  et  ce  n'est  qu'après 
être  tombée  en  commende,  au  XV^  siècle,  que  le  hasard  de  la  dési- 
gnation de  ses  prieurs  jette  sur  elle  un  reflet  indirect.  Le  plus  illustre 
de  ces  commendataires  fut  sans  contredit  le  cardinal  Julien  de  la 
Rovère,  depuis  pape,  sous  le  nom  de  Jules  II;  et  ce  n'est  pas  le 
moins  piquant  des  contrastes  qu'offre  l'histoire  des  arts,  que  de  trou- 
ver au  pied  du  Jura,  sur  le  portail  d'une  église  qu'il  avait  fait  recon- 
struire dans  le  style  gothique,  le  nom  et  les  armes  du  protecteur  de 
Raphaël  et  de  Michel-Ange. 

Quand  au  XVIP  siècle,  se  lève,  pour  l'ordre  de  Saint-Benoît, 
l'aurore  d'une  glorieuse  régénération,  la  royale  abbaye  ne  se  montre 
pas  mieux  inspirée  :  elle  refuse  d'entrer  dans  la  congrégation  de 
Saint-Vannes;  elle  aime  mieux  se  recruter  de  gentilshommes  à  seize 


370  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

quartiers,  et  rester  ce  qu'on  appelait  sérieusement  alors  un  hôpital 
de  noblesse,  que  de  devenir  un  des  sanctuaires  de  la  piété  et  de  la 
science.  Plus  tard,  les  illustres  voyageurs,  D.  Martenne  et  D.  Du- 
rand, se  présentant  à  Gigny,  trouvent  une  maison  en  désordre,  et  ne 
peuvent  même  pénétrer  dans  le  dépôt  des  chartes.  Quand  la  révo- 
lution vint  frapper  les  monastères,  elle  n'eut  plus  à  détruire,  dans 
Gigny,  qu'un  chapitre  noble,  triste  monument  du  relâchement  et  de 
la  décadence  arrivée  à  son  extrême  limite. 

On  le  voit,  la  royale  abhaye  n'excitera  pas  au  dehors  un  bien  puis- 
sant intérêt;  et  pourtant  elle  a  rencontré  un  historien  passionné, 
un  défenseur  intrépide.  M.  Gaspard,  natif  de  Gigny,  prend  parti 
pour  l'abbaye,  contre  Cluny  et  la  congrégation  de  Saint-Vannes, 
contre  Henri  IV  et  contre  la  France,  en  un  mot,  contre  tout  le 
monde.  Jamais  on  ne  vit  patriotisme  plus  robuste;  et,  chose  singu- 
lière! le  livre  y  gagne  sous  un  rapport  essentiel.  Ne  demandez  pas  à 
M.  Gaspard  une  appréciation  exacte  de  l'histoire  générale,  un  Sen- 
timent juste  du  rôle  religieux,  politique  et  social  qu'a  joué  le  mo- 
nastère de  Gigny;  ce  qui  le  recommande,  c'est  une  patience  de  re- 
cherches à  toute  épreuve.  Pas  un  nom,  lié  de  près  ou  de  loin  à 
l'histoire  de  Gigny,  ne  lui  échappe  :  il  en  suit  l'influence  jusque  dans 
les  ramihcations  les  plus  éloignées;  toutes  les  pierres  ont  pour  lui  un 
langage,  un  souvenir.  De  tout  cela  résulte,  non-seulement  une 
mine  précieuse  de  renseignements^  mais  encore  un  livre  amusant  et 
original. 

L'abbaye  de  Pontigny,  près  d'Auxerre,  ofl'rait  un  intérêt  plus  sé- 
rieux que  celle  de  Gigny  ;  elle  a  trouvé,  dans  M.  Chaillou  des  Barres, 
un  historien  impartial  et  judicieux.  Sans  doute  le  livre  assez  court 
qu'il  a  écrit  est  plutôt  le  fruit  des  loisirs  d'un  homme  instruit,  que 
le  résultat  d'un  labeur  patient  et  soutenu  pendant  de  longues  années; 
mais  on  aurait  tort,  pour  quelques  inexactitudes,  pour  quelques 
traces  de  négligence,  cte  ne  pas  tenir  compte,  au  nouvel  historien, 
des  qualités  attachantes  qui  distinguent  son  récit.  Et  d'ailleurs, 
quelle  grandeur  dans  cette  histoire!  quel  intérêt  dans  les  person- 
nages qui  y  figurent!  Saint  Bernard  préside  à  la  naissance  de  Pon- 
tigny; il  imprime  à  l'immense  vaisseau  de  son  église  le  cachet  de  son 
austère  réforme.  Bientôt  la  seconde  fille  de  Cîteaux  devient  le  refuge 
des  hommes  les  plus  importants  de  l'Église  d'Angleterre.  Les  murs 
parlent  encore  de  leurs  illustres  hôtes  :  Thomas  Becket,  Etienne 
Langlon;  et  son  sanctuaire  expose  à  la  vénération  des  fidèles  les 
restes  de  saint  Edmond,  celui  des  archevêques  de  Canlorbéry  dont 


RAPPORT  DE   M.    LENORMANT.  371 

le  nom  clôt  la  liste,  commencée  à  Lanfranc  et  à  saint  Anselme,  des 
grands  évoques,  qui  furent  les  rivaux  des  princes  et  les  protecteurs  du 
peuple.  Admirable  dans  sa  ferveur,  Pontigny  n'est  pas  moins  cu- 
rieuse à  étudier  dans  sa  décadence.  Le  caractère  de  Dom  Chanlatte , 
dernier  abbé  sous  la  protection  duquel  s'abrita  quelque  temps  le  cer- 
cueil de  Voltaire  ,  a  fourni  à  la  plume  de  M.  Chaillou  des  Barres  le 
sujet  d'observations  à  la  fois  piquanties  et  mesurées. 

M.  de  la  Querière  est  venu  trop  tard  au  concours,  et  il  en  porte  la 
peine.  Quand  il  y  a  plus  de  vingt  ai^s,  il  pqblia  la  Description  histo- 
toriqae  des  maisons  de  Rouen,  c'était  un  heureux  novateur.  L'un 
des  premiers,  il  avait  ressenti  un  intérêt  intelligent  pour  ces  vieux 
témoins  de  la  vie  privée  de  nos  pères  ;  le  premier,  il  avait  assuré  le 
souvenir  de  ces  débris  fragiles  d'un  art  ingénieux  et  délicat.  Le  vo- 
lume que  M.  de  la  Querière  a  récemment  mis  au  jour,  complète  ses 
recherches;  et,  quoiqu'il  ait  eu  bien  des  imitateurs,  l'exactitude  des 
renseignements  et  le  mérite  des  planches ,  conservent  à  sa  publica- 
tion une  grande  partie  de  ses  avantages  primitifs.  C'est,  au  reste,  un 
véritable  nécrologe  que  le  livre  de  M.  de  lu  Querière  :  peu  à  peu, 
tous  ces  petits  chefs-d'œuvre  de  l'architecture  civile,  pendant  les 
XV*  et  XVI^  siècles,  qui  décoraient  nos  villes  du  nord  de  la  France, 
surtout  dans  la  Normandie  et  les  provinces  de  la  Loire,  disparaissent 
sous  les  coups  de  deux  ennemis  implacables ,  l'ignorance  des  pro- 
priétaires et  la  passion  des  alignements.  Lorsque  les  villes  regor- 
geaient de  ces  richesses,  on  n'y  faisait  aucune  attention;  quand, 
au  contraire  ,  tout  le  monde  aura  appris  à  les  goûter  et  à  les  regret- 
ter, il  n'en  restera  plus  vestige.  On  consultera  alors  le  livre  de  M.  de 
la  Querière ,  avec  le  sentiment  douloureux  auquel  les  amis  des  arts 
ne  peuvent  se  soustraire,  en  retrouvant  dans  Ducerceau  et  dans 
Chastillon,  ces  palais,  ces  châteaux  qui  nous  rendraient,  si  nous 
les  possédions  encore,  moins  jaloux  des  merveilles  architecturales  de 
l'Italie. 

Aujourd'hui,  cependant,  on  a  commencé  à  faire  de  sérieux  efforts 
pour  s'arrêter  dans  cette  voie  de  démolition  ;  si  un  zèle  éclairé  n'est 
que  trop  fréquemment  impuissant  à  conjurer  la  deslriiclion  des  édi- 
fices qui  appartiennent  à  des  particuliers,  il  n'en  est  pas  de  même 
des  monuments  publics,  que  protège  une  sollicitude  de  plus  en  plus 
active  de  la  part  du  gouvernement  et  des  autorités  locales.  On  ne  se 
contente  pas  de  soutenir  les  monuments,  on  les  restaure  :  sorte  d'opé- 
ration d'une  nature  très-délicate,  et  qui  ne  saurait  être  conduite  à 
bien,  sans  la  connaissance  pratique  des  procédés  en  usage  chez  les 


372  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

artistes  du  moyen  ège.  C'était  donc ,  dans  les  circonstances  actuelles, 
une  publication  opportune,  que  celle  du  seul  ouvrage  dans  lequel 
aient  été  minutieusement  décrites  les  recettes  employées  par  le 
peintre,  le  verrier,  le  mosaïciste,  le  ciseleur  et  le  fondeur  de  mé- 
taux, à  l'époque  oii  la  plupart  de  nos  grands  édifices  religieux  furent 
bâtis  et  décorés.  Lessing  avait  déjà  donné ,  dans  le  recueil  de  la  biblio- 
thèque de  Wolfenbiittel,  l'ouvrage  du  moine  Théophile  ;  Raspe  l'avait 
reproduit  en  Angleterre ,  à  la  suite  d'une  dissertation  sur  l'origine  de 
la  peinture  à  l'huile;  mais  ces  éditions  étaient  fort  rares  en  France,  et 
l'on  n'avait  pas  établi  définitivement  le  texte  d'après  la  collation  des 
divers  manuscrits.  M.  de  l'Escalopier  s'est  acquitté  de  cette  tâche 
avec  succès,  et  le  magnifique  volume  qu'il  a  donné  suffira  sans  doute 
pendant  longtemps  aux  savants  et  aux  artistes,  pour  lesquels  l'ouvrage 
de  Théophile  présente  un  intérêt  du  premier  ordre.  Malheureuse- 
ment, des  notes  un  peu  superficielles  et  une  traduction  tellement  lit- 
térale ,  qu'elle  en  devient  inexacte ,  nuisent  à  l'ensemble  de  ce  beau 
travail.  A  part  le  texte,  il  n'aurait  donc  eu  qu'un  prix  secondaire  aux 
yeux  de  la  Commission,  si  M.  Guichard  ne  l'eût  enrichi  d'une  disser- 
tation claire  et  spirituelle,  dans  laquelle  sont  discutés,  et  à  peu  près 
établis,  l'origine  et  l'âge  de  l'auteur,  ainsi  que  le  mérite  de  son  ou- 
vrage. Suivant  M.  Guichard ,  Théophile  était  Allemand ,  et  doit 
avoir  vécu  à  la  fin  du  XII"  ou  au  commencement  du  XllP  siècle. 

Voici  déjà  bien  des  noms,  et  cependant  nous  n'avons  pas  comblé  la 
mesure  de  nos  éloges.  On  en  doit  à  M.  Cartier,  l'un  des  fondateurs 
de  la  Reme  rmmsmaliqae ,  auteur  de  Lettres  sur  ïhistoire  monétaire 
de  France,  insérées  successivement  dans  cette  Revue,  et  dont  le  re- 
cueil a  été  mis  sous  les  yeux  de  la  Commission.  M.  Cartier  joint  à  un 
grand  zèle  pour  l'étude  de  nos  antiquités  numismatiques ,  des  con- 
naissances spéciales  sur  l'art  monétaire,  qui  l'ont  mis  en  état  d'éclair- 
cir  un  certain  nombre  de  difficultés  techniques.  Ses  vues  sur  les  vicis- 
situdes de  la  monnaie  baronnale  sont  justes  et  ingénieuses,  et  ses 
conjectures  quelquefois  heureuses  quant  à  l'attribution  des  tiers-de- 
sou  d'or  mérovingiens.  Mais  l'étude  de  ces  derniers  monuments  ne 
saurait  conduire  à  des  résultats  positifs  sans  un  dépouillement  appro- 
fondi des  documents  littéraires  et  diplomatiques  des  premiers  siècles 
de  la  monarchie,  et  M.  Cartier  n'a  pas  abordé  cette  étude. 

Nous  devons  à  M.  Mantelier  une  Notice  sur  la  monnaie  de  Trévoux 
et  de  Dombes.  Les  monuments  de  cette  monnaie  appartiennent  à  une 
époque  comparativement  récente,  puisqu'ils  ne  commencent  qu'après 
le  milieu  du  XV*  siècle,  quand  l'héritage  des  sires  de  Villars  et 


I 


UAPPORT   DE   M.    LENORMANT.  373 

de  Thoire  eut  été  dévolu  à  la  maison  de  Bourbon  :  mais  aussi  ils  se 
prolongent  plus  tard  que  le  reste  de  la  numismatique  des  feudataires 
français,  et  il  est  piquant  de  voir  la  Grande  Mademoiselle,  au  nom 
et  comme  souveraine  d'une  imperceptible  enclave  dans  le  vaste 
royaume  de  Louis  XIV,  frapper  des  écus  d'argent  à  l'égal  de  son  fier 
cousin  le  roi  de  France.  M.  Mantelier  n'a  pas  connu  tous  les  moyens 
dont  les  agents  de  Louis  XIV  se  servirent  pour  dégoûter  la  fille  de 
Gaston  de  l'exercice  d'un  attribut  aussi  important  de  la  souveraineté  : 
sa  Notice  n'en  est  pas  moins  judicieuse  et  élégamment  écrite. 

Il  faut  applaudir  au  zèle  déployé  par  les  auteurs  du  Nivernais, 
album  historique  et  pittoresque,  ouvrage  soumis  à  la  Commission  avec 
un  grand  nombre  de  corrections  et  d'additions  manuscrites.  M.  Mo- 
rellet,  le  principal  auteur  de  ce  recueil ,  a  eu  raison  d'en  entreprendre 
la  révision;  seulement  il  ne  l'a  pas  faite  assez  sévère.  Un  style  plus 
châtié  et  moins  empreint  de  néologisme,  des  couleurs  moins  hasar- 
dées, des  ornements  moins  étrangers  au  sujet,  auraient  imprimé  à 
ce  livre  une  physionomie  plus  grave  et  un  cachet  d'utilité  incon- 
testable. Tel  qu'il  est,  il  témoigne  d'un  courageux  dévouement  et 
d'un  ardent  amour  de  la  terre  natale.  La  Commission  n'a  pas  voulu 
se  montrer  trop  rigoureuse  pour  une  production  considérable,  et  qui 
atteste  les  progrès  rapides  de  la  typographie  et  de  l'impression  sur 
pierre  dans  les  provinces. 

M.  Cartier,  M.  Mantelier,  M.  Morellet  et  ses  collaborateurs  ont 
paru  dignes  à  la  Commission  d'une  mention  honorable.  Elle  exprime 
le  même  vœu  à  l'égard  du  Recueil  manuscrit  des  inscriptions  grecques 
et  latines  de  Glanum,  envoyé  par  M.  le  marquis  de  Lagoy,  correspon- 
dant de  l'Académie,  et  du  Rapport  imprimé  de  M.  Rouard,  sur  les 
fouilles  faites  à  Aix  dans  le  cours  de  Vannée  1 842. 

On  connaît  les  beaux  monuments  de  Glanum ,  aujourd'hui  Saint- 
Remy  :  cette  ville  tient  aussi  une  place  honorable  dans  la  numisma- 
tique grecque  de  la  Gaule.  Le  recueil  des  inscriptions  rassemblées  par 
M.  Lagoy  pourrait  déjà  servir  à  reconstruire,  en  quelque  sorte,  l'an- 
tique histoire  de  Glanum.  On  y  remarque  trois  inscriptions  gauloises 
en  caractères  grecs,  sorte  de  monuments  auxquels  le  témoigiiage  de 
Jules  César  nous  avait  préparés ,  et  sur  lesquels  toutefois  on  n'a  ap- 
pelé que  très-récemment  l'attention  de  l'Académie. 

Le  rapport  de  M.  Rouard  est  excellent  :  mais  les  fouilles  de  1842 
ont  malheureusement  été  peu  productives.  On  verra  sou\ent  des  tré- 
sors inappréciables  surgir  à  la  surface  du  sol,  et  se  disperser  aussitôt 
entre  des  mains  ignorantes  et  cupides  :  ici  toutes  les  précautions  étaient 
I.  25 


374  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

prises;  remplacement  d'Aquse  Sextiae  était  admirablement  choisi: 
l'Académie  d'Aix  épiait,  le  style  à  la  main ,  les  moindres  circonstances 
de  la  fouille,  et  l'on  n'a  trouvé  qu'une  mosaïque  médiocre,  des  médailles 
insignifiantes  et  deux  marbres  d'un  intérêt  secondaire.  Ce  sont  là  des 
coups  de  cette  Fortune,  dont  les  autels  ont  couvert  le  monde,  et  que 
par  distraction  un  antiquaire  pourrait  bien  encore  implorer  ou  mau- 
dire. 

Des  éloges  et  des  encouragements  sont  dus  à  M.  Doublet  de 
Boisthibault ,  lequel  a  donné,  dans  un  mémoire  manuscrit,  des 
détails  sur  la  découverte  du  tombeau  de  saint  Chaletric,  évêque  de 
Chartres  au  VP  siècle,  et  à  M.  Auguste  Pelet,  auteur  d'une  bonne 
Notice  des  monuments  antiques  conservés  dans  le  musée  de  Nîmes.  On 
doit  savoir  gré  à  M.  Pelet  d'avoir,  par  cette  publication,  comblé  une 
lacune  qui  affligeait  les  amis  de  la  science ,  dans  le  chef-lieu  des 
antiquités  romaines  de  la  Gaule ,  et  dans  la  patrie  de  Séguier.  De  son 
côté,  M.  Doublet  de  Boisthibault  a  eii  raison  de  ^lire  connaître  à 
l'Académie  un  monument  contemporain  des  rois  mérovingiens,  orné 
d'une  épitaphe  dans  laquelle  on  sent  encore  le  parfum  de  la  primi- 
tive Eglise.  La  Commission  a  pensé  qu'un  extrait  du  travail  de 
M.  Doublet  de  Boisthibault  pourrait  figurer  avantageusement  dans 
le  recueil  de  ses  Mémoires. 

Afin  d'achever  l'énumération  des  ouvrages  sur  lesquels  l'attention 
des  commissaires  a  été  appelée,  il  suffira  d'indiquer  YHistoire  ma- 
nuscrite de  la  cité  des  Carnutes  et  du  pays  chartrain,  par  M.  Ozeray  ; 
la  Notice  historique  sur  la  Guïlloneu,  par  M.  Cassany  Mazet;  les 
Recherches  imprimées  et  manuscrites  relatives  aux  vigueries  et  aux 
origines  de  lu  féodalité  en  Poitou,  par  M.  de  la  Fonlenelle  de  Vaudoré; 
les  Coutumes  de  Charroux,  ouvrage  manuscrit  du  même  correspon- 
dant de  l'Académie;  Y  Attribution  à  Solonium  de  la  médaille  gauloise 
avec  la  légende  Solos,  par  M.  Chaudruc  de  Crazanne,  notre  cor- 
respondant; Histoire  des  juifs  dans  le  nord- est  de  la  France,  par 
M.  Emile  Bégin  ,  et  le  second  volume  de  YHistoire  de  la  cathédrale  de 
Metz,  ouvrage  du  même  auteur,  déjà  mentionné  dans  le  rapport  de 
l'année  dernière. 

Enfin ,  quels  que  soient  les  égards  que  nous  impose  la  confiance 
des  personnes  qui  soumettent  leurs  ouvrages  au  jugement  de  l'Aca- 
démie, nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  dire  quelques  mots  des 
singulières  observations  qu'on  trouve  dans  un  livre  intitulé  :  Ar- 
chéologie  celto -romaine  de  V  arrondissement  de  Châiillon- sur -Seine, 
Les  auteurs  de  cette  Archéologie  ont  accru  le  nombre  des  habitants 


m 


RAPPORT  DE   M.    LENORMANT.  375 

de  rOlympe  celtique  :  ils  y  ont  découvert  le  dieu  Ogne,  d'où  vient 
Bourgogne;  le  dieu  Hé,  d'où  vient  Valais;  le  dieu  /,  d'où  dérive  le 
nom  des  Ueh'cùi.  De  quelque  manière  que  ce  livre  ait  été  conçu,  que 
l'intention  en  soit  sérieuse  ou  satirique ,  les  auteurs  ont  eu  tort  de 
l'envoyer  à  l'Académie  :  de  telles  productions  ne  sont  pas  de  notre 
compétence. 

L'Académie  s'étonne  peut-être  de  ce  que,  après  avoir  mentionné 
tant  d'ouvrages  divers ,  nous  n'ayons  encore  rien  dit  de  celui  auquel  la 
Commission  a  cru  devoir  décerner  la  première  médaille.  C'est  que, 
indépendamment  du  mérite  intrinsèque  de  cet  ouvrage,  un  doulou- 
reux intérêt  s'y  attache.  Dans  les  premiers  jours  d'avril  dernier, 
M.  Hercule  Géraud  présenta  à  l'Académie  un  Mémoire  manuscrit  sur 
Ingehurge  de  Danemark,  reine  de  France.  Le  9  mai  suivant,  il  avait 
cessé  de  vivre.  La  Commission  saisie  de  l'examen  du  Mémoire  n'a  pas 
cru  que  la  mort  de  l'auteur  fût  un  motif  pour  l'exclure  du  concours  : 
elle  a  pensé,  au  contraire,  qu'en  attachatit  une  récompense  éclatante 
au  dernier  de  ses  ouvrages,  elle  témoignerait  ainsi  de  son  estime 
envers  un  savant  dont  l'Académie  avait  suivi  les  progrès  avec  un 
constant  intérêt. 

La  notice  sur  Ingeburge  de  Danemark  était  une  suite  à  des  travaux 
du  même  genre  sur  les  houders,  sur  Marcadier,  sur  le  Comte-évéque, 
que  M.  Géraud  avait  insérés  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des 
chartes,  et  par  lesquels  il  préludait  à  la  composition  d'une  histoire 
critique  de  Philippe  Auguste  et  de  son  siècle.  Ces  publications  suc- 
cessives avaient  excité  l'att»  ntion  de  ceux  qui  croient  que  l'histoire  de 
France  ne  pourra  enfin  être  écrite  d'une  manière  satisfaisante  que 
quand  les  vastes  matériaux  dont  elle  se  compose  auront  été  soumis  à 
une  analyse  approfondie,  et  pour  ainsi  dire,  à  une  trituration  com- 
plète. M.  Géraud  se  montrait  admirablement  préparé  pour  accomplir 
une  partie  de  celte  tâche.  Une  prodigieuse  facilité  de  travail,  une 
inaltérable  clarté  dans  la  disposition  des  matériaux,  une  critique 
juste ,  une  modération  constante ,  telles  étaient  les  qualités  précieuses 
qu'on  voyait  chez  lui  se  développer  et  grandir. 

La  plupart  des  lecteurs  ne  s'accommodent  pas  des  scrupules  de 
l'historien  critique  :  ils  s'ennuient  de  ses  lenteurs ,  ils  refusent  de  le 
suivre  dans  la  comparaison  consciencieuse  des  autorités  et  des  témoi- 
gnages, sans  laquelle  pourtant  la  recherche  de  la  vérité  n'est  qu'une 
chimère.  La  réussite  populaire,  le  renom  universel  auraient  donc 
échappé  ]r«ut-ètre  à  M.  Géraud  :  mais  les  vrais  connaisseurs  l'au- 
raient élevé  d'autant  plus  haut  qu'il  aurait  moins  cherché  un  de  ces 


376  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

succès  de  surprise ,  à  l'attrait  desquels  il  est  si  rare  qu'on  ré- 
siste. 

La  vie  d'Ingeburge  de  Danemark  est  un  des  points  de  notre  histoire 
qui  présente  le  plus  d'obscurités.  Le  motif  du  brusque  dégoût  que 
Philippe  Auguste  manifesta  pour  cette  princesse  aussitôt  après 
l'avoir  épousée,  est  resté  et  demeurera  sans  doute  un  mystère.  La 
plupart  des  contemporains  étaient  intéressés  à  embrasser  la  cause  du 
roi  contre  cette  étrangère.  De  là ,  l'indiflérence  qu'on  a  montrée  pour 
ses  infortunes,  la  disposition  qu'on  a  eue  généralement  à  en  atténuer 
la  rigueur,  à  en  dissimuler  la  durée.  D'ailleurs,  par  l'appel  qu'Inge- 
burge  fit  au  saint-siége,  sa  cause  se  trouva  mêlée  à  la  grande  que- 
relle du  sacerdoce  et  de  la  royauté.  Les  imaginations  furent  saisies 
par  les  sombres  couleurs  de  l'interdit  qu'Innocent  III  jeta  sur  la 
France  entière,  pour  réduire  Philippe  Auguste  à  reprendre  la  reine. 
Les  historiens  français  se  montrèrent  donc  sévères  envers  la  princesse 
danoise ,  tellement  que ,  du  fond  de  son  tombeau ,  elle  aurait  pu  en- 
core répéter  les  cris  de  Mala  Fmncia  !  Mauvaise  France  l  qu'elle 
proférait,  quand,  ignorant  la  langue  du  pays  oii  on  l'avait  amenée 
pour  être  reine,  séparée  de  ses  femmes  et  de  ses  compatriotes,  elle 
promenait  des  regards  désespérés  sur  tous  ces  hommes  que  le  besoin 
de  plaire  au  roi  avait  rendus  serviles  jusqu'à  la  cruauté. 

Le  savant  éditeur  des  Lettres  d'Innocent  III ,  de  la  Porte  du  Theil , 
entrevit  le  premier  la  justice  de  la  cause  d'Ingeburge.  M.  Géraud, 
à  l'aide  de  documents  d'une  authenticité  incontestable,  complète 
cette  réhabilitation  nécessaire.  C'est,  il  faut  le  dire,  une  admirable 
prérogative  de  l'historien,  que  la  faculté  qu'.l  a  d'instruire  de  grands 
procès  de  révision,  et  de  faire  casser,  après  plusieurs  siècles,  des 
sentences  dictées  par  l'iniquité  ou  l'erreur.  Un  tel  rôle  convenait  à 
l'âme  si  droite  et  si  pure  de  M.  Géraud.  Il  est  beau  pour  lui  que  son 
dernier  ouvrage  ait  été  une  bonne  action. 

Un  talent  iVappé  dans  sa  fleur,  une  organisation  rare  qui  se  brise 
avant  le  temps,  une  voix  harmonieuse  qui  s'éteint  avant  que  son 
chant  soit  achevé,  voilà  ce  qui  touche  justement  les  hommes,  et  la 
mort  prômaturée  des  artistes  et  des  poêles  excite  d'ordinaire  les  plus 
vives  sympathies.  Nous  n'en  voulons  pas  à  l'expression,  quelquefois 
exagérée,  de  sentiments  si  naturcl.3;  mais  qu'd  nous  soit  permis  de 
réclamer  un  peu  de  cet  intérêt  en  faveur  des  martyrs  de  la  science. 
M.  Géraud  fut  de  ce  nombre  :  il  était  bien  doué  pour  toutes  les 
œuvres  de  l'esprit;  la  carrière  des  succès  brillants  lui  était  ouverte;  il 
l'abandonna  pom  des  travaux  plus  obscurs  et  plus  utiles.  L'excès  du 


RAPPORT  DE   M.    LENOBMANT.  377 

travail  eut  bientôt  ruiné  sa  complexion  délicate  et  maladive.  Il 
n'écouta  pas  les  avertissements  de  la  nature,  et  pour  avoir  voulu  trop 
tôt  atteindre  le  but,  il  a  succombé  à  trente-deux  ans,  déjà  vieux  de 
travaux ,  et  trompant  ainsi  l'une  des  plus  belles  espérances  que  nous 
ayons  conçues.  Son  nom  laissera  donc  peu  de  bruit  :  mais  cette  Com- 
pagnie ne  l'oubliera  pas.  Elle  Ici  avaitdécerné,  en  1837,  la  première 
des  médailles  du  concours  des  an-Jquités  nationales,  pour  son  début 
dans  la  carrière  de  l'érudition  :  elle  consacre  de  nouveau  cette  dis- 
tinction à  sa  mémoire,  comme  témoignage  d'un  regret  profond  et 
durable. 

Lenormant. 


RAPPORT 

FAIT 

À  L'ACADÉMIE  ROYALE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES, 
AU  NOM  DE  LA  COMMISSION  DU  PRIX  DE  NUMISMATIQUE , 

DANS  LA  SÉANCE  DU  5  JUILLET   1844  ,   PAR  M.   DE  SAULCY. 

L'Académie  a  décidé  que  la  Commission  chargée  d'examiner  les 
ouvrages  présentés  officiellement  au  concours  pour  le  prix  de  numisma- 
tique, pourrait  en  outre  faire  participer  à  ce  concours  les  ouvrages 
sur  la  matière  publiés  dans  les  délais  voulus,  et  non  soumis  à  son 
jugement  par  leurs  auteurs.  Votre  Commission  a  donc  commencé  dès 
cette  année  à  user  de  l'autorisation  que  vous  lui  aviez  donnée,  et  son 
examen  a  porté  sur  les  ouvrages  désignés  ci-après  : 

Osservazioni  sopra  alcune  monete  rare  di  cilla  greche,  par  Giuseppe 
FiORELLi,  in-4'^; 

Le  monete  délie  antiche  famigUe  di  Roma,  fîno  allô  imperadore  Au- 
gusto  inclasivamenle ,  co  siioi  zecchieri,  detli  communemenle  consolari, 
par  Gennaro  Ricçio; 

Numismatique  gauloise,  par  M.  Lambert  ; 

Monnaies  du  règne  de  V empereur  Justinien  P%  par  MM.  Pinder  et 
Friedlaender ; 

Monnaies  de  Lixus,  par  MM.  Falbe  et  Lindberg. 

Ces  deux  dernières  brochures  n'étant  en  réalité  que  des  spécimens 
des  ouvrages  très-importants  que  leurs  auteurs  comptent  publier  in- 
cessamment sur  l'histoire  monétaire  de  l'empire  grec  et  sur  la  nu- 
mismatique punique  et  mauritanique  en  général ,  votre  commission 
ne  peut  qu'exprimer  toute  l'estime  que  de  semblables  essais  lui  font 
concevoir  à  l'avance  pour  les  ouvrages  auxquels  ces  essais  devront  se 
rattacher,  La  monographie  numismatique  du  règne  de  Justinien, 
outre  qu'elle  est  un  véritable  modèle  d'ordre  et  de  clarté,  contient  un 
très-grand  nombre  d'explications  nouvelles,  indubitables,  de  ces  sigles 
monétaires  si  fréquentes  sur  les  monnaies  byzantines,  et  qui  étaient 
demeurées  de  véritables  énigmes  jusqu'à  ce  jour.  Le  travail  de  MM.  Pin- 
der et  Friedlaender  a  donc  paru  à  votre  Commission  mériter  une  men- 
tion très  honorable. 

Quant  à  la  monographie  numismatique  de  la  ville  africaine  de 
Lixsus,  elle  donne  un  point  de  repère  de  plus  dans  la  classification 
des  rares  monuments  de  la  langue  et  de  l'écriture  puniques.  La  dé- 
termination des  monnaies  de  Lixsus  est  d'ailleurs  établie  par  MM.  Falbe 


RAPPORT  DE  M.  DE  SAULCY.  379 

et  Lindberg  sur  l'étude  d'un  assez  grand  nombre  de  monnaies  puni- 
ques, munies  do  légendes  africaines  et  latines  équivalentes,  et  elle  a 
de  plus  le  singulier  mérite  d'avoir  conduit  à  l'interprétation  de  la  lé- 
gende latine  par  celle  de  la  légende  punique. 

Votre  Commission,  en  mentionnant  honorablement  de  semblables 
essais,  espère  avoir,  dans  un  avenir  rapproché,  la  satisfaction  d'étu- 
dier et  de  vous  f^iire  apprécier  les  ouvrages  auxquels  ces  essais  ser- 
vent en  quelque  sorte  d'annonce. 

M.  Lambert,  de  Bayeux,  a  consacré  quelques  années  à  l'étude 
comparative  des  monnaies  antiques  de  notre  pays,  c'est-à-dire,  des 
monnaies  de  fabrication  gauloise.  La  numismatique  des  Gaules  a  fait 
dans  les  dix  dernières  années  des  progrès  très-réels  et  très-rapides, 
qu'il  n'est  pas  possible  de  contester;  mais  ces  progrès  sont  loin  encore 
d'avoir  tout  éclairci.  Il  est  pourtant  un  fait  saillant  qui  semble  aujour- 
d'hui hors  de  doute  ;  c'est  que  nos  ancêtres  ont  fort  peu  créé  de  types 
qui  leur  fussent  propres  et  qu'ils  se  sont  contentés  presque  toujours 
de  copier  tant  bien  que  mal  les  types  qu'ils  rencontraient  sur  les  mon- 
naies grecques  et  latines  que  le  commerce  faisait  affluer  dans  leur 
pays.  On  se  tromperait  néanmoins,  si  l'on  prétendait  que  les  artistes 
gaulois,  s'il  est  permis  de  leur  donner  ce  nom,  ont  toujours  et 
partout  servilement  copié  des  œuvres  étrangères  ;  les  monuments 
prouvent  le  contraire,  et  il  existe  des  types  monétaires,  en  assez  pe- 
tit nombre  il  est  vrai,  qui  sont  bien  certainement  d'mvention  pure- 
ment gauloise.  M.  Lambert  n'a  pas  constamment  démêlé  les  origines 
des  types  qu'il  décrivait;  mais  placé,  comme  il  l'était,  loin  des  admi- 
rables collections  de  monuments  et  de  livres  qui,  pour  les  habitants 
de  la  capitale,  rendent  les  travaux  plus  faciles,  il  devait  nécessaire- 
ment laisser  échapper  une  foule  de  rapprochements  qu'il  eût  sans 
doute  saisis  en  étudiant  avec  soin  l'histoire  numismatique  de  la  Grèce. 
Souvent ,  trop  souvent  M.  Lambert  s'est  efforcé  de  faire  ressortir  de 
l'inspection  des  monnaies  qu'il  décrivait,  les  éléments  d'une  sorte  de 
symbolique  religieuse  de  la  Gaule.  C'est  là  une  entreprise  plus  que 
hardie  qu'il  ne  sera  peut-être  jamais  permis  de  mener  à  bonne  fin.  Oii 
les  textes  manquent  presque  entièrement,  il  est  bien  difficile  de  ne 
pas  céder  un  peu  aux  conseils  de  l'imagination;  et  l'on  sait  à  quels 
écarts  l'imagination  peut  conduire  dans  les  études  archéologiques. 
Avant  d'expliquer  les  symboles  gaulois,  qui  peut-être  resteront  tou- 
jours inexplicables,  il  est  prudent,  il  est  sage  de  s'en  tenir  à  la  simple 
recherche  des  attributions  monétaires,  attributions  qui  naîtront  d'elles- 
mêmes,  lorsqu'on  aura  des  notions  multipliées  et  précises  sur  les  lo- 


380  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

calités  qui  fournissent  d'habitude  telle  ou  telle  monnaie  de  métal  vul- 
gaire. Cnaque  jour  les  faits  de  ce  genre  s'enregistrent ,  et  le  temps 
n'est  probablement  pas  loin  oii  l'on  pourra,  avec  toute  chance  de  suc- 
cès, réclamer,  pour  la  numismatique  gauloise,  le  bénéfice  de  la  mé- 
thode si  heureusement  appliquée  à  la  classification  des  monnaies 
grecques  anépigraphes  ou  munies  de  simples  initiales.  Le  livre  de 
M.  Lambert  contienten  appendice  un  chapitre  intéressant  où  sont  men- 
tionnées par  dates  et  par  localités  les  découvertes  de  monnaies  gau- 
loises dont  il  a  eu  connaissance  depuis  un  certain  nombre  d'années. 
Ce  chapitre  fournira  certainement  des  documents  précieux  pour  la 
classification  dont  je  viens  de  parler  à  l'instant.  En  résumé,  le  livre 
de  M.  Lambert  a  paru  digne  d'encouragement  à  la  Commission,  qui 
néanmoins  a  cru  devoir  protester  une  fois  pour  toutes  contre  la  ten- 
dance à  expliquer  tous  les  symboles  gaulois,  tendance  qui  se  mani- 
feste trop  fréquemment  dans  ce  livre, 

M.  Giuseppe  Fiorelli  est  de  l'école  du  savant  Cavedoni,  et  ses 
Osservazioni  sopra  alcune  monete  rare  di  cilla  greche  sont  peut-être 
trop  empreintes  de  cette  finesse  d'explication  que  l'auteur  du  Spicilegio 
a  plus  sobrement  employée,  tout  en  la  mettant  à  la  mode.  Sans 
doute,  il  est  permis  de  reconnaître  dans  un  type  monétaire  une  allu- 
sion au  nom  d'un  personnage  ou  d'une  ville,  quand  cette  allusion  est 
toute  naturelle,  toute  palpable;  mais  la  rechercher  en  subtilisant, 
c'est  s'exposer  à  des  erreurs.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  travail  de  M.  Fio- 
relli nous  promet  un  bon  numismatiste  de  plus,  et  votre  Commission 
ne  peut  qu'applaudir  à  l'apparition  de  son  premier  ouvrage. 

Reste  enfin  le  livre  de  M.  Gennaro  Riccio,  sur  les  monnaies  des 
familles  romaines ,  et  cette  fois  les  éloges  de  votre  Commission  sont 
sans  restriction,  sauf  en  ce  qui  concerne  la  faible  exécution  des 
planches;  ce  livre,  en  effet,  quoique  rédigé  dans  une  petite  localité 
du  fond  de  l'Italie,  loin  de  tout  secours  littéraire,  résume  de  la  ma- 
nière la  plus  heureuse  les  travaux  antérieurs  sur  la  matière,  et  il  est 
un  excellent  répertoire  pour  toutes  les  personnes  qui  étudient  et  re- 
cherchent cette  classe  si  intéressante  des  monuments  numismatiques. 
En  conséquence,  votre  commission  vous  propose  d'accorder  le  prix 
fondé  par  M.  Allier  de  Hauteroche  à  M.  Gennaro  Riccio. 

Les  membres  de  la  commission  : 

Raoul-Rochette,  le  duc  de  Luynes,  Lenormant, 
et  De  Saulcy,  rapporteur. 


SUR 

L'ABSENCE  DU  MOT  AUTOCRATOR 


LES  CARTOUCHES  HIEÎlOGLYPHTQtJES  QUI  ACCOMPAGNENT 
LE  ZODIAQUE  CIRCULAIRE  DE  DEIVDERxl. 


Le  fait  sur  lequel^j'appelle  ici  l'attention  des  lecteurs  paraîtra  peut- 
être,  au  premier  abord,  minutieux  ou  indifférent.  Les  détails  où  je 
vais  entrer  montreront,  je  l'espère,  qu'il  n'est  ni  sans  importance 
ni  sans  intérêt. 

On  sait  que  le  zodiaque  circulaire,  maintenant  à  Paris,  occupait 
la  moitié  du  plafond  d'une  petite  salle  supérieure  dans  le  temple  de 
Dendera. 

Le  zodiaque  était  séparé  de  la  seconde  partie  du  plafond  par  une 
grande  figure  de  femme  qui  en  prend  toute  la  largeur.  Cette  figure 
nue,  dont  les  bras  sont  élevés  au-dessus  de  la  tête,  se  retrouve  avec 
la  même  attitude  à  la  partie  intérieure  du  couvercle  de  quelques 
momies,  entourée  d'étoiles  ou  bien  des  signes' du  zodiaque,  dans  les 
momies  d'époque  romaine.  C'est  une  expression  de  la  déesse  ciel , 
Tpe ,  représentée  ordinairement  les  parties  supérieure  et  inférieure 
du  corps  courbées  en  avant  pour  envelopper,  en  quelque  sorte,  les 
figures  symboliques  qui  l'accompagnent.  Car,  je  le  remarqué  en  pas- 
sant, il  n'y  a  peut-être  pas,  dans  toute  l'Egypte,  dereprésentation 
dite  astronomique ,  zodiacale  ou  autre,  qui  n'ait  une  signification  pro- 
prement ^neraîVe  ;  ce  que  montre  soit  l'ensemble  de  la  représenta- 
tion elle-même ,  soit  le  lieu  où  elle  a  été  découverte.  C'est  une  vue 
archéologique  que  j'ai  fait  ressortir  le  premier  dans  mon  Analyse  cri- 
tique des  Zodiaques  de  Dendera  et  d'Esné{\). 

Lorsqu'on  voulut  détacher  le  zodiaque  pour  le  transporter  en 
France,  on  ne  toucha  pas  à  la  grande  figure,  qui  devait  être,  à  elle 
seule,  d'un  poids  considérable.  Cette  figure,  avec  les  deux  bandes 
d'hiéroglyphes  qui  la  bordent,  est  donc  encore  restée  en  place.  La 
scie,  ayant  coupé  fort  irrégulièrement  la  pierre,  la  colonne  de 
gauche  des  hiéroglyphes  a  été  entamée  ;  il  n'en  subsiste  sur  le  lieu 
qu'une  très-petite  partie  (2);  le  reste  est  à  présent  perdu. 

(1)  Qui  s'imprime  dans  le  t.  XVI  des  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscriptions 
et  Belles-Lettres. 

(2)  On  a  marqué  par  une  teinte  plus  foncée  sur  notre  planche  n°  11,  les  seules 
parties  de  celte  bande  qui,  sur  les  lieux ,  ont  résisté  à  l'opération. 


382  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

Cette  grande  figure  nous  intéresse  à  plus  d'un  titre.  D abord,  elle 
n'offre  pas  ce  relief  si  plat  qui  distingue  les  sculptures  égyptiennes; 
le  relief  en  est,  au  contraire,  fort  saillant  et  presque  de  ronde  bosse; 
pour  obtenir  ce  résultat,  le  sculpteur  a  creusé  la  pierre  en  forme  de 
niche  demi-circulaire;  par  ce  moyen  le  relief  de  la  figure  a  pu  être  con- 
sidérable. Cette  particularité  a  été  fort  nettement  exprimée  dans  le 
dessin  de  Denon  (l),  mais  très-imparfaitement  dans  celui  de  la  Com- 
mission d'Egypte  (2).  Le  dessin  de  M.  Prisse,  que  j'ai  sous  les  yeux, 
ne  laisse  plus  aucun  doute  sur  cette  particularité,  d'autant  moins 
indifférente  qu'elle  est  unique  dans  les  monuments  égyptiens;  aussi 
bien  que  cet  arrangement  du  cercle  céleste,  contenant  le  zodiaque,  qui 
est  inscrit  dans  un  carré  et  soutenu  alternativement  par  des  figures 
debout  et  agenouillées  Cette  disposition  pleine  de  symétrie,  de 
grâce  et  d'élégance,  dont  on  ne  trouve  aucune  autre  trace  en  Egypte , 
avait  seule  suffi  pour  faire  dire  à  M.  Quatremère  de  Quincy  qua 
coup  sûr  V esprit  grec  avait  passé  par  là. 

On  sait  que  le  tableau  qui  renferme  le  zodiaque  ne  porte  aucun  de 
ces  encadrements  elliptiques,  dit  cartels  ou  cartouches,  dans  lesquels 
sont  ordinairement  renfermés  les  noms  des  rois  ou  des  empereurs. 
Il  n'offre  donc  directement  aucun  caractère  chronologique.  Mais,  au 
bas  de  la  grande  figure  dont  je  parle,  se  trouvent  deux  de  ces  en- 
cadrements elliptiques.  Dans  le  dessin  de  Denon  ,  qui  a  pourtant  re- 
produit tous  les  hiéroglyphes  des  deux  bandes,  les  deux  cartouches 
sont  vides,  comme  on  les  a  figurés  sur  notre  planche;  et  il  tombe  sous 
le  sens  qu'il  y  aurait  aussi  marqué  des  signes  hiéroglyphiques,  s'il  y 
en  avait  aperçu.  Au  contraire,  dans  celui  de  la  Commission  d'Egypte 
ils  sont  remplis  de  signes  hiéroglyphiques. 

En  présence  d'une  si  frappante  contradiction  on  devait  se  deman- 
der de  quel  côté  se  trouvait  l'erreur.  A  cet  égard,  il  semble  qu'en 
bonne  critique  on  ne  pouvait  hésiter.  Car  il  était  peu  vraisemblable 
que  les  auteurs  du  second  dessin,  exécuté,  on  devait  le  croire,  avec 
toute  l'exactitude  possible,  eussent  mis  des  signes  là  où  il  n'y  en 
aurait  pas  eu  sur  l'original. 

En  celte  circonstance,  l'erreur  n'était  pas  du  côté  de  Denon. 

Dans  son  Voyage  en  Egypte,  Champollion  n'avait  pas  négligé  de 
remarquer  que  ces  deux  cartouches  sont  restés  vides.  Le  texte 
imprimé  de  ses  lettres  porte,  d'une  manière  générale  :  ce  Dans  tout 
«l'intérieur  du  Naos,  ainsi  que  dans  les  chambres  et  les  édifices 

(l)JPLCXVIII. 
(2)^W(tq.,  pf.  t.  IV,  pl.21. 


SUR   L'ABSENCE  DU  MOT   AUTOCRATOR.  383 

«  construits  sur  la  terrasse  du  temple,  il  n'existe  pas  un  seul  car- 
re touche  sculpté  ;  tous  sont  vides  et  rien  n'a  été  effacé  (l).  Dans  le 
texte  manuscrit  des  lettres,  que  M.  Champollion  Figeac  a  bien  voulu 
me  communiquer,  on  lit  ensuite  cette  autre  phrase  que  l'éditeur  avait 
cru  devoir  supprimer.  «  Le  plaisant  de  Vaffaire  c'est  que  le  mor- 
«  ceau  du  fameux  zodiaque  circulaire ,  qui  portait  le  cartouche, 
a  est  encore  en  place  et  que  ce  même  cartouche  est  vide,  comme  tous 
«  ceux  de  l'intérieur  du  temple,  et  il  n'a  jamais  reçu  un  seul  coup  de 
«  ciseau  »  (2).  Rien  de  plus  formel  que  celte  phrase  qui  ne  fait, 
comme  on  voit,  que  particulariser  celle  qui  a  été  imprimée  dès  1828, 
et  réimprimée  en  1833. 

Maintenant,  M.  Prisse,  qui  avait  été  consulté  sur  ce  point  en 
Egypte,  par  M.  Champollion  Figeac,  vient  de  rapporter  un  dessin  étudié 
de  la  grande  figure,  ainsi  que  des  hiéroglyphes  sculptés  sur  les  deux 
bandes  latérales.  11  résulte  de  ce  dessin  que  les  deux  cartouches  sont 
réellement  vides.  M.  Prisse  déclare  qu'il  n'y  a  jamais  rien  eu.  C'est 
donc  là  un  fait  désormais  établi  et  hors  de  toute  contestation. 

M.  Devilliers,  l'un  des  deux  auteurs  du  dessin  de  la  Commis- 
sion d'Egypte,  a  réclamé,  devant  l'Académie  des  sciences,  contre 
l'observation  que  M.  Champollion  Figeac  a  faite  (3),  sans  aucune 
intention,  j'en  suis  convaincu,  d'atténuer  le  mérite  de  ce  dessin,  mais 
seulement  pour  constater  un  fait  qui  devait  finir  par  être  établi  tôt  ou 
tard.  M.  Devilliers  se  rejette  sur  la  grande  exactitude  qu'on  doit 

(1)  Lettres  écrites  d'Egypte,  p.  9i ,  92. 

(2)  M.  Prisse  confirme  celte  assertion  de  CharapoHion  ,  dans  la  note  suivante  qu'il 
m'a  communiquée  : 

«  A  l'exception  du  portique  ,  qui  est  en  entier  couvert  des  légendes  impériales  de 
Tiberiis,  de  Gaïus  Galigula  ,  de  Claudius  et  de  Nero,  les  parties  intérieures  du 
grand  temple  n'olTrent  que  des  cartouches  vides  Le  petit  hypèthre  qui  est  sur  la 
plate-forme,  ainsi  que  toutes  les  ciiambres  qui  sont  sur  la  terrasse,  n'offrent  que  des 
cartouches  vides.  Tous  les  cartouches  de  la  salle  du  Zodiaque  et  de  celles  qui  l'avoi- 
sinent,  n'ont  jamais  reçu  de  sculptures,  à  l'exception  d'un  petit  cartouche  qui  fait 
partie  de  la  légende  d'un  prêtre  brûlant  de  l'encens  à  la  suite  de  plusieurs  divinités 
qui  officient  devant  Osiris.  Ce  singulier  cartouche  ne  contient  que  les  signes  qui  sont 
dans  celui  que  nous  donnons  {v.  plus  bas,  p.  385),  et  qu'on  rencontre  si  souvent  dans 
les  édifices  de  l'époque  romaine.  Ces  deux  signes  auxquels  on  a  donné  le  sens  de 
grande  demeure  ,  paraissent  devoir  se  traduire  par  le  décorateur  de  la  de- 
meure,  du  temple.  En  effet,  le  caractère  posé  |)erpendicuiairement,  qui  signifie 
grand,  est  souvent  employé  comme  déterminant  des  verbes  sculpter,  décorer  et 
comme  signe  initial  du  nom  de  plusieurs  pierres  dures  pour  lesquelles  on  em- 
ployait probablement  ce  genre  de  poinçon  ou  burin  figuré  ainsi  dans  les 
grands  tableaux.    » 

(3)  Fourier  et  Napoléon ,  l'Egypte  et  les  Cent  Jours ,  p.  64,  65. 


î 


384  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

attribuer  à  des  dessins  soumis  à  V examen  dune  commission  présidée 
par  Monge  (l).  Mais  ce  n'est  pas  là  répondre;   car,   pour  le  cas 
dont  il  s'agit,  l'autorité  de  Monge  est  loin  d'ôtre  une  garantie  suf- 
fisante. Comment  ce  grand  géomètre  pouvait-il  savoir,  si,  dans  les  des- 
sins qu'on  lui  présentait  à  Paris,  ou  mêmeenÉgypte ,  les  hiéroglyphes 
avaient  été  bien  ou  mal  copiés?  Selon  le  même  habile  ingénieur  «  toutes 
«  les  fois  que  les  auteurs  de  ces  dessins  n'ont  donné  les  hiéroglyphes 
«  qu'en  masse,  et  sans  prétendre  à  l'exactitude,  ils  en  ont  averti  »; 
or,  comme  l'avertissement  n'a  pas  été  donné  en  cette  circonstance,  il 
en  'conclut  que  les  cartouches  sont  pleins  et  non  vides.  M.  Jomard  a 
dit ,  dans  le  même  sens  :  que  les  auteurs  du  dessin  et  de  l'explication 
ont  as^erti  que  tons  les  signes  ont  été  copiés  exactement  y  et  quils  lavaient 
été  dans  la  précision  de  l'importance  quon  poumit  attacher  aux  bas- 
reliefs  astronomiques  [2).  Que  peuvent  valoir  de  telles  réclamations,  en 
présence  du  fait  constaté  parle  dessin  de  Denon,    par  l'affirmation 
expresse  de  Champollion,  qui  l'a  vérifié  sur  les  lieux  mêmes,  et  par  le 
nouveau  dessin  de  M.  Prisse,  exécuté  justement  daris  la  vue  de  ne 
laisser  à  personne  aucun  doute?  D'ailleurs,  il  résulte  de  ce  même 
dessin,  oii  les  hiéroglyphes  sont  exprimés  avec  le  plus  grand  soin, 
que,  sur  le  dessin  de  la  Commission  d'Egypte,  ceux  de  la  seule  bande 
conservée  ont  été  représentés  avec  une  très-grande  inexa(5titude. 
En  efl'et ,  sans  parler  de  ce  que  le  sens  de  la  bande  a  été  renversé , 
c'est-à-dire  que  tous  les  signes  sont  retournés,  ce  qui  s'explique  dans 
le  passage  du  dessin  à  la  gravure,  il  faut  dire  que,  sur  les  cent 
quatre-vingts  signes  inscrits  sur  cette  bande ,  il  n'y  en  a  pas  dix  qui 
aient  été  exactement  reproduits  ;  que  presque  tous  l'ont  été  de  ma- 
nière à  être  presque  méconnaissables  ;  que  plus  de  douze  ont  été 
passés  et  omis  par  le  dessinateur.  C'est  là  ce  qui  résulte  de  la  com- 
paraison que  chacun  pourra  faire  bientôt  du  dessin  de  la  Commission 
d'Egypte  avec  celui  de  M.  Prisse,  que  publie  en  ce  moment  M.  Cham- 
pollion Figeac,  dans  les  Monuments  d'Egypte  et  de  Nubie ,  formant 
les  matériaux  recueillis  pendant  le  voyage  de  son  illustre  frète.  Ce 
dessin  mérite  toute  confiance,  étant  l'œuvre  d'un  très-habile  dessina- 
teur, depuis  plusieurs  années  exercé  à  copier  des  hiéroglyphes,  et 
qui  a  traité  ceux-ci  avec  un  soin  tout  particulier,  d'après  la  recomman- 
dation expresse  qu'il  en  avait  reçue. 

Ces  erreurs,  quoique  graves ,  sont  fort  excusables.  A  l'époque  oii 

(1)  Comptes  rendus  des  Séances  de  l'Académie  des  Sciences  (23  juillet  1844), 
t.  XIX,  p.  235. 
(*2)  Les  mêmes ,  endroit  cité. 


SUR  l'absence  du  mot  autocrator.  385 

le  dessin  du  zodiaque  a  été  fait  en  Egypte,  nul  n'était  exercé  à  saisir 
et  à  discerner  les  signes  hiéroglyphiques.  Personne  n'ignore  com- 
bien il  faut  de  soin  et  d'habitude  pour  copier  sans  faute ,  quand 
on  a  peu  de  temps,  une  longue  suite  de  pareils  signes,  quelquefois 
en  partie  effacés;  c'est  ainsi,  par  exemple,  que  M.  Champollion 
Figeac  a  trouvé  plus  de  quarante  erreurs  dans  les  hiéroglyphes  du 
dessin ,  d'ailleurs  très-exact ,  que  M.  Gau  ,  si  habile  à  rendre  les 
formes  égyptiennes,  a  mis  trois  mois  à  exécuter  à  Paris,  avec  tous 
les  secours  dont  il  pouvait  avoir  besoin  ,  et  dont  avaient  manqué 
les  auteurs  du  dessin  de  la  Commission  d'Egypte. 

Une  plus  grande  exactitude,  dans  ce  genre  de  détails,  était  peut- 
être  au-dessus  des  forces  humaines,  au  milieu  des  obstacles  qu'ils 
avaient  à  vaincre  en  Egypte.  Le  reconnaître  n'est  pas  seulement  de 
la  bienveillance,  c'est  de  l'équité. 

Voyons  quelle  est  au  juste  la  gravité  de  ce  fait,  à  présent  constaté, 
que  les  deux  cartouches,  placés  au  bas  de  la  figure,  ne  renferment 
aucun  signe. 

MM.  Jollois  et  Devilliers,  persuadés,  comme  ils  l'étaient  alors, 
que  les  sculptures  du  temple  de  Dendera  remontaient  au  delà  de  la 
conquête  des  Perses  (l),  étaient  fort  loin  de  se  douter  que  les  signes 
même  dont  ils  meublaient  généreusement  un  des  cartouches,  démen- 
taient leur  opinion.  Ce  ne  fut  qu'en  1 822  que  la  découverte  de  l'alphabet 
phonétique  fit  reconnaître  à  Champollion  (2),  dans  le  cartouche  de 
gauche,  le  mot  bien  distinct  AOTKPTP  (Aùro/paTcop)  ;  d'oii  il  ré- 
sultait que  la  grande  figure,  comme  le  reste  du  plafond, 
qui  était  de  la  même  main ,  avait  été  exécutée  au  temps 
de  la  domination  romaine.  Champollion  alla  plus  loin.  Il 
remarquaque,surdesmédaillesalexandrines  de  Claude  et 
de  Néron,  on  trouve,  au  revers,  le  mot  AYTOKPATOPA, 
sans  autre  désignation  (^3),  comme  au  zodiaqne;  il  en 
conclut  que  ce  devait  être  l'un  de  ces  deux  empereurs 
que  désignait  le  cartouche  isolé;  car  le  cartouche  de 
droite  ne  portait  que  deux  signes  qui  n'ont  nul  rapport 
à  un  nom  impérial. 

Dans  mes  travaux  sur  l'époque  des  zodiaques  égyptiens,  j'ai  fort 
légèrement  glissé  sur  l'argument  tiré  de  ce  nom  (ïautocralor ,  je 

Ine  l'ai  jamais,  cité  que  comme  venant  à  l'appui  d'autres  arguments 


(1)  Description  de  Dendera,  p.  62. 

(2)  Lellre  à  M.  Dacier,  p.  24. 

(3)  Même  lettre  ,  p.  26. 


386  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

décisifs  (i);  C'est  que,  tout  en  n'osant  pas  rejeter  ces  cqrtouches,  si 
formellement  exprimés  dans  le  dessin  de  la  Commission  d'Egypte,  ils 
m'ont  toujours  fort  embarrassé  ,  en  laissant  dans  mon  esprit  un 
de  ces  doutes  dont  on  ne  peut  se  défendre ,  quoiqu'on  n'ose  pas  s'y 
abandonner  ;  et  voici  sur  quoi  il  se  fondait  : 

1°  On  ne  trouve  jamais  le  mot  autocralor  ainsi  isolé;  il  est  tou- 
jours accompagné  de  KAESAR  ou  de  SEBASTOS,  tantôt  compris 
dans  le  même  encadrement,  tantôt  placé  à  côlé,  quand  il  s'agit  d'Au- 
guste ;  en  outre ,  accompagné  du  nom  particulier  de  l'empereur , 
quand  il  s'agit  de  tout  autre,  tels  que  Tiberios,  Càios,  Néron,  etc. 
L'exemple  tiré  des  médailles  alexandrines  me  paraissait  peu  concluant  ; 
car,  s'il  est  vrai  qu'au  revers  on  n'y  trouve  que  le  mot  aulocratora,  de 
l'autre  côté  est  l'effigie  de  l'empereur,  avec  lès  noms  qui  complètent 
la  légende.  Ainsi  la  difficulté  restait  entière. 

2°  Un  second  motif  de  doute  se  trouvait  dans  le  deuxième 
cartouche ,  que  ce  dessin  représentait  comme  composé 
de  deux  signes,  le  quadrilatère,  signifiant  demeure,  et 
un  vase;  deux  signes  bien  connus  ,  pris  isolément, 
mais  dont  la  réunion  dans  un  cartouche  est  jusqu'à  pré- 
sent inouïe.  Sa  vraie  forme  est  celle-ci,  comme  dans  le 
Musée  des  antiquités  égyptiennes  de  M.  Ch.  Lenormand , 
page  37. 

L'embarras  que  me  causaient  les  deux  cartouches 
n'était  pas  sans  fondement ,  puisqu'il  est  à  présent  démontré  que  ni 
l'un  ni  l'autre  n'existent  sur  le  zodiaque. 

Mais  comment  donc  expliquer  que  les  auteurs  du  dessin  de  la 
Commission  d'Egjpte,  dont  nul  ne  peut  soupçonner  la  sincérité,  aient 
rempli  de  signes  imaginaires  des  cartouches  qui  étaient  vides?  et 
pourquoi  les  ont-ils  remplis  de  ces  signes  plutôt  que  d'autres? 

Ces  deux  singulières  circonstances  s'expliquent,  ce  me  semble, 
d'une  manière  très-simple. 

Je  suis  d'abord  convaincu  que  le  dessin  original  de  MM.  Jollois 
et  Devilliers  fait  en  Egypte,  n'offrait  que  les  cartouches  vides, 
comme  le  dessin  deDenon.  Sur  place,  ils  ne  pouvaient  pas  y  mettre  ce 
qu'ils  ne  voyaient  pas;  mais  ensuite,  soit  au  Caire  quand  on  mit  la 
minute  au  net,  soit  plus  tard  à  Paris,  lorsque  le  dessin  fut  préparé 
pour  la  publication,  on  s'étonna  de  cette  vacuité;  on  crut  qu'elle  était 
le  résultat  d'une  erreur;  car  on  devait  bien  se  souvenir  que  les  car- 
touches du  Pronaos  et  du  Naos  étaient  pleins  ;  pourquoi  ne  l'au- 

(1)  Recherches  pour  servir  à  l'histoire  de  l'Egypte,  etc.  Introduclion,  p.  xsxsn 


SUR  l'absence   du  3I0T   AUTOCRATOR.  387 

raient-ils  pas  été  dans  la  chambre  supérieure?  et,  comme  les  signes 
composant  le  mot  autocrator,  dont  on  ignorait  alors  la  signification, 
se  trouvent  réunis  dans  tous  les  encadrements  elliptiques  du  temple, 
qu'on  y  avait  copiés,  on  pensa  qu'on  pouvait,  sans  risque  de  se 
tromper,  remplir  ainsi  l'un  des  deux  cartouches  restés  vides  sur  la 
minute  du  dessin. 

Quant  à  l'autre  cartouche,  la  note  de  M.  Prisse  l'a  suffisamment 
éclairci  (plus  haut,  p.  383,  n.  2).  La  fréquence  de  ces  deux  signes,  dans 
les  chambres  supérieures  du  temple  de  Dendera,  explique  très-bien 
comment  les  auteurs  du  dessin  de  la  Commission  d  Egypte  crurent 
pouvoir  en  remplir  l'autre  cartouche  vide, 

11  ne  reste  plus  qu'à  savoir  quelle  conclusion  on  doit  tirer  de  l'ab- 
sence du  nom  d'autocrator.  On  a  dit  que  c'était  là  un  fait  tout  nouveau, 
qui  pouvait  remettre  en  question  l'époque  romaine  du  monument.  En 
quoi  l'ons'estdoublementtrompé.  En  premier  lieu,  le  fait  n'est  pas  nou- 
veau, puisqu'il  était  connu  par  le  dessin  de  Denon  et  parl'affirmation  ex- 
presse de  Champolhon,  dans  ses  lettres  imprimées.  Quant  à  l'époque 
du  zodiaque,  il  faudrait,  pour  attacher  la  moindre  importance  à  cet  ar- 
gument négatif,  n'avoir  aucune  idée  des  preuves  archéologiques  et 
historiques  qui  établissent  son  époque  récente.  Pour  fixer  les  idées  à  cet 
égard,  je  me  contenterai  de  citer  cette  phrase  de  Champollion,  dans 
sa  lettre  datée  du  24  novembre  1828,  phrase  qui  n  existe  que  dans 
son  manuscrit,  et  qui  avait  été  retranchée  par  l'éditeur.  «  Du  reste, 
((  dit- il,  que  Ion  ne  se  presse  pas  de  triompher  parce  que  le  car- 
te touche  du  zodiaque  est  vide  et  ne  porte  aucun  nom  ;  car  toutes 
«  les  sculptures  de  cet  appartement,  comme  celles  de  tout  l'intérieur 
«  du  tem[»Ie,  sont  atroces,  du  plus  mauvais  style,  et  ne  peuvent  re- 
<(  monter  plus  haut  que  Trajan  et  les  Antonins.  »  Cet  arrêt,  con- 
firmé par  l'opinion  de  tous  les  connaisseurs  qui  ont  depuis  vu  ces  sculp- 
tures, empêchera  ceux  mêmes  qui  seraient  restés  étrangers  à  l'étude 
de  la  question,  de  tirer  de  cette  circonstance  le  moindre  indice  que  le 
zodiaque  pourrait  ne  pas  être  de  l'époque  romaine. 

Après  avoir  vu  le  monument,  Champollion  se  convainquit  que 
l'exécution  du  zodiaque  est  d'un  siècle  plus  récente  qu'il  ne  l'avait  cru 
d'abord.  En  le  plaçant,  au  plus  haut,  vers  l'époque  de  Trajan,  il  le 
fait  contemporain  des  momies  de  la  famille  de  Soter,  qui  contiennent 
des  zodiaques ,  dont  la  ressemblance  avec  ceux  de  Dendera  m'avait 
frappé  dès  1824  (1).  Letronne. 

(1)  yoir  mes  Observations  sur  les  représentations  zodiacales,  ip.  43  et  suit. 
Paris,  1824, 


TOMBEAU  D'ENFANT,  DECOUVERT  A  ATHENES. 


Ce  sarcophage  (  F.  la  pi.  1 2) ,  contenant  des  vases  ornés  de  peintures 
noires  avec  bordures  rouges,  est  celui  d'un  enfant.  Il  était  muni  d'un 
couvercle,  et  les  os  qu'il  renfermait  étaient  placés  d'une  manière  symé- 
trique tout  à  fait  remarquable.  Le  tombeau  a  été  trouvé  près  de  la 
porte  Acharnienne,  et  il  fut  dessiné  ,  lors  de  sa  découverte,  par  le 
savant  Stackelberg.  La  forme  en  est  elliptique  et  rappelle  les  dimen- 
sions d'une  baignoire.  Les  cercueils  de  bois  de  cette  forme  portaient 
le  nom  de  à^oivn.  Celui-ci  était  tourné  de  l'est  à  l'ouest,  circonstance 
qui  vient  à  l'appui  de  ce  que  nous  dit  Plutarque  (Solon ,  x)  de  l'usage 
où  étaient  les  Athéniens  de  placer  les  morts  la  face  du  côté  de  l'orient, 
séjour  des  dieux  et  des  bienheureux.  Les  Mégariens  elles  Phéniciens 
pratiquaient  le  contraire.  Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que 
cette  règle  fût  sans  exception  ,  car  on  a  des  exemples  de  tombeaux 
athéniens  tournés  vers  le  sud  et  vers  le  nord. 

Tous  les  objets  contenus  dans  ce  coffre  étaient  soigneusement  en- 
tourés de  terre ,  qui  remplissait  tout  l'intérieur  du  tombeau  jusqu'à  la 
hauteur  du  couvercle,  ce  qui  assurait  ainsi  une  position  plus  ferme 
et  plus  stable  au  mort  et  aux  ustensiles  dont  on  croyait  devoir  l'appro- 
visionner. 

Ce  qui  étonne  dans  ce  tombeau ,  c'est  que  des  os  très-importants 
et  qui  ordinairement  se  conservent  le  mieux,  ne  s'y  sont  pas  retrou- 
vés. De  chaque  côté  des  vertèbres  du  cou,  qui  ne  sont  conservées  que 
d'une  manière  incomplète,  au-dessus  des  humérus,  se  voient  deux 
figures  hiératiques  peintes.  Ces  terres  cuites,  moulées  avec  assez  de  soin 
et  d'un  type  Sn,  représentent  Gea  Olympia  ,  reine  des  Mânes.  Entre 
ies  os  des  épaules,  à  la  place  de  la  poitrine  et  de  l'abdomen  où  l'on 
ne  trouve  aucune  trace  du  bassin ,  il  y  avait,  de  chaque  côté,  un  lécy- 
thus  peint  à  ligures  noires  sur  fond  jaune,  dont  l'orifice  se  trouvait 
tourné  vers  le  crâne  ;  deux  cotyles  et  un  diota  dont  l'ouverture  était 
dirigée  en  sens  contraire ,  c'est-à-dire  vers  les  pieds.  Les  os  des 
avant-bras  et  des  mains  manquent  totalement,  mais  à  la  place  du  bras 
gauche  se  trouvait  un  lécythus,  probablement  destiné  à  contenir  l'of- 
frande offerte  aux  divinités  qui  recevaient  les  morts. 

Entre  les  genoux  est  une  phiale  ou  coupe  plate  de  moyenne  gran- 
deur, et  dans  laquelle  est  placée  une  lampe.  Contre  celle-là  est  un 


TOMBEAU  d'enfant,  DÉCOUVERT  A  ATHÈNES.      389 

cotjle  dirigé  vers  les  pieds,  recouvert  d'une  tasse  remplie  d'une  ma- 
tière épaisse  et  gluante,  qui  pourrait  bien  être  le  reste  d'utie  libation 
de  miel  faite  aux  mânes  ou  aux  divinités  chthoniennes.  Immédiate- 
ment au-dessous  était  un  petit  cotyle  posé  dans  une  grande  coupe 
peinte  intérieurement,  et  placée  droite  sur  son  pied;  cette  coupe  était 
située  entre  les  os  des  tarses,  et  il  se  pourrait  que  ce  fût  le  (j(^oLytlo]t 
ou  vase  qui  contenait  une  libation  de  sang  que  l'on  était  dans  l'habi- 
tude de  présenter  au  mort  pour  apaiser  son  ombre.  Enfin,  à  la  partie 
tout  à  fait  inférieure  du  coffre,  se  voyait  un  cotyle  de  plus  grandes 
dimensions. 

Outre  ces  vases,  dont  plusieurs  pourraient  bien  avoir  contenu  les 
débris  du  repas  funéraire,  ù  en  juger  par  la  position  dans  laquelle  on 
les  a  découverts,  était  encore,  près  des  os  des  jambes,  un  lécythus 
renversé,  et  à  gauche  un  petit  jouet  d'enfant  placé  entre  deux  petits 
vases  de  terre. 

D'après  la  disposition  régulière  des  objets  trouvés  auprès  d'un 
squelette  aussi  incomplet,  et  auquel,  chose  singulière,  manquent  des 
parties  aussi  solides  que  les  vertèbres  lombaires,  les  os  des  épaules, 
le  sternum,  tandis  que  des  parties  beaucoup  moins  dures,  telles  que 
les  tarses  et  les  métatarses  ont  été  conservées,  on  peut  croire  que  nous 
avons  là  un  cercueil  et  un  appareil  funéraire  accordé  à  quelque  cada- 
vre recueilli  par  pitié,  nous  dirions  par  charité ,  s'il  s'agissait  d'une 
époque  chrétienne.  Il  arrivait,  en  effet  quelquefois,  que  l'on  rendait 
les  honneurs  de  la  sépulture  à  des  corps  déjà  décomposés,  et  dont  une 
partie  avait  été  dévorée  par  des  bêtes  de  proie.  Toute  la  tragédie 
d'Antigone  de  Sophocle  roule  sur  ce  sujet. 

Au  reste,  ce  que  nous  avons  voulu  surtout,  c'était  de  donner  une 
idée  de  la  disposition  des  vases  dans  les  cercueils,  et  de  répondre  par 
là,  à  la  curiosité  qui  nous  a  été  manifestée  à  cet  égard,  par  plusieurs 
antiquaires.  L'intérêt  toujours  croissant  que  donnent  à  l'étude  des 
vases  antiques  les  différents  ouvrages  où  l'on  trouve  l'explication  des 
sujets  qu'ils  représentent,  s'étendait  aussi  à  la  manière  dont  ils  ont 
été  confiés  à  la  terre  par  les  anciens.  Nous  venons  de  décrire  un  tom- 
beau découvert  dans  l' Attique  ;  nous  en  ferons  plus  tard  connaître  d'au- 
tres trouvés  dans  l'Étrurie,  dans  la  Fouille  et  dans  la  Gaule.  On  pourra 
de  cette  manière  acquérir  des  notions  comparatives  sur  le  mode  de 
sépulture  en  usage  dans  l'antique  Europe. 


I.  26 


ENCORE  LE  PRÉTENDU  COEUR  DE  SAINT  LOUIS 


RÉCENTES  BROCHURES  DE  M.  BERGER  DE  XIVREY ,  DE  M.  LETRONNE  ET 
DE  M.  LE  PREVOST  SUR  CE  SUJET.  —  RAPPORT  DE  M.  DUMAS.  —  SOLUTION 
PRÉSENTÉE  PAR  L'ACADÉMIE. 


Puisque  nous  avons  commencé  à  entretenir  nos  lecteurs  de  cette 
question  (l  ),  qui  touche  autant  à  l'archéologie  qu'à  l'histoire ,  nous 
pensons  qu'ils  nous  sauront  gré  de  les  mettre  au  courant ,  par  ce 
second  article,  de  l'état  où  elle  se  trouve  en  ce  moment. 

On  nous  a  reproché  d'avoir,  dans  notre  premier  article,  pris  un 
ton  ironique,  et  de  nous  être  tant  soit  peu  amusé  des  méprises  pro- 
duites ou  des  faux  raisonnements  allégués  par  certaines  personnes  dans 
cette  discussion.  Mais ,  en  vérité,  le  moyen  de  garder  son  sérieux  en 
présence  de  cette  manière  d'argumenter,  dont  M.  Letronne  avait  si 
bien  fait  ressortir  le  côté  plaisant?  Il  faut  que  la  chose  fût  assez 
difficile ,  puisque  les  nombreux  journaux  qui  ont  parlé  de  cet  ou- 
vrage, tels  que  r/7mVer5  religieux,  la  Reme  de  Paris,  la  Gazette 
de  r Instruction  publique,  le  Courrier,  le  Siècle,  le  National  et  le 
Journal  des  Débats ,  ont  tous  pris  le  même  ton  que  nous,  et  même  se 
sont  permis  des  accès  degaîté  que  nous  nous  étions  interdits.  Enfin, 
un  des  plus  grands  littérateurs  de  notre  temps,  le  traducteur  de 
Shakspeare,  de  Calderon,  du  poëme  sanscrit  du  Ramayana,  le  grave 
Aug.-Guill.  de  Schlegel,  fait  en  ce  moment  circuler  en  Allemagne, 
et  a  envoyé  en  France,  une  pièce  de  vers  français,  où  il  s'amuse  à 
soutenir  que  le  fameux  cœur  est  celui  du  perruquier  YÀmour,  en- 
terré là  clandestinement  par  Anne  sa  perruquier e ,  comme  l'appelle 
Boileau.  De  cette  pièce,  nous  n'avons  par  malheur  retenu  que  les 
deux  premiers  vers  : 

«  On  vient  de  retrouver  dans  la  Sainte-Chapelle , 
«  Le  magnanime  cœur  du  perruquier  V Amour.  » 

C'en  est  assez  pour  voir  qu'il  y  a  vraiment  là  de  quoi  faire  un  pen- 
dant au  Lutrin  l  Avis  aux  poètes  qui  ont  du  temps  et  du  talent  de  reste  I 

(1)  ^oyejf  la  quatrième  livraison, 


ENCORE   LE   PRÉTENDU   COEUR   DE   SAINT  LOUIS  !  391 

Nous  ne  sommes  donc  pas  si  coupables  de  ne  nous  être  pas  dit,  non 
plus  que  tant  d'écrivains  sérieux:  Gardons-nous  bien  de  rire  en  si 
grave  sujet  :  mais  à  cette  heure ,  changeons  de  ton  ;  moto  quœramus 
séria  îudo. 


La  première  brochure  publiée  depuis  notre  article  est  intitulée  : 
Sur  la  polémique  relatiçe  au  cœur  de  Saint  Louis ,  par  M.  Berger  de 
Xivrey.  Cet  académien  s'est  fait,  dès  l'origine,  une  position  bien  triste 
dans  ce  débat.  D'abord  il  s'y  est  jeté,  on  ne  sait  pourquoi;  car,  étran- 
ger à  la  question,  il  ne  pouvait  y  apporter  aucune  lumière.  Il  s'était 
donc  contenté  de  se  faire  le  fidèle  écho  et  le  prôneur  des  erreurs  de  fait 
et  de  raisonnement  de  MM.  Taylor,  Le  Prévost,  Lenormant  et  Paris. 
Mais  au  lieu  de  continuer  à  se  renfermer,  comme  il  l'avait  fait  d'abord, 
dans  une  discussion  calme  et  modérée ,  la  seule  convenable  en  pareil 
sujet  ,  il  s'est  mis ,  dans  une  inqualifiable  diatribe ,  à  insulter  son 
confrère,  M.  Letronnc,  uniquement  parce  qu'il  n'adoptait  pas  son 
opinion,  et  à  se  jeter  dans  de  telles  excentricités,  qu'il  en  fut  blâmé 
par  l'Académie,  séance  tenante.  Après  cet  échec,  ce  qu'il  avait  de 
mieux  à  faire,  c'était  à  coup  sûr  de  se  tenir  tranquille,  ou,  s'il  vou- 
lait reprendre  la  parole ,  il  devait  au  moins  chercher  de  bonnes  raisons, 
en  laissant  de  côté  toute  question  personnelle.  Mais,  pour  cela  ,  il 
aurait  fallu  avoir  quelque  chose  de  raisonnable  à  dire  ;  ce  qui  ne  pa- 
raît pas  être  en  son  pouvoir;  aussi,  dans  sa  nouvelle  brochure,  il 
n'apporte  aucun  fait  nouveau  :  il  revient  encore  sur  des  choses  ju- 
gées, sur  des  erreurs  détruites  sans  retour;  puis,  en  dédommagement 
de  cette  nullité,  le  voilà  qui  recommence  sur  nouveaux  frais  ce  que 
M.  Letronne  avait  qualifié,  à  bon  droit,  (ï  aménités  littéraires  dignes 
de  TrissotiUy  et  attribué  aux  efforts  désespérés  dune  coterie  aux 
abois. 

Croirait-on,  par  exemple,  qu'une  partie  de  cette  brochure  est 
occupée  par  la  réimpression  du  Rapport  au  Ministre,  fait  par  M.  Le- 
tronne, déjà  imprimé  dix  fois?  M.  Berger  y  joint  des  notes  pour  prou- 
ver que  l'auteur  a  changé  des  points  ou  des  virgules;  ici  retranché,  là 
ajouté  quelques  mots.  Mais,  quand  cela  serait,  M.  Letronne  n'aurait 
fait  que  ce  que  font  sans  scrupule  tous  les  Députés,  les  Pairs  de 
France  et  les  Ministres ,  passés  et  présents ,  lorsqu'ils  corrigent  la 
rédaction  de  leurs  discours  de  tribune.  S'il  avait  aussi  quelque  peu 
modifié  sa  première  rédaction,  oii  serait  le  mal,  et  qui  cela  regarde- 
rait-il?  Ce  savant  a  dit  que,  depuis  son  premier  rapport,  il  n'a  rien 


392  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

changé  à  son  opinion,  et  que  les  conclusions  de  son  Rapport  sont  les 
mômes  sur  tous  les  points  essentiels  que  celles  de  son  Examen  critique; 
que  ce  soit  là  une  chose  parfaitement  exacte,  M.  Berger  ne  le  con- 
teste pas.  Mais  alors  son  reproche  n'a  pas  de  sens  et  sa  brochure  n'a 
aucun  but. 

Ce  qui  paraît  avoir  le  plus  piqué  cet  académicien  excentrique,  c'est 
une  petite  note  de  M.  Letronne  à  propos  de  sa  phrase  :  Ce  Rapport 
a  oublié  de  consulter  les  hagiographes  ;  sur  quoi  M.  Letronne  dit  : 
quel  style  l  L'autre  veut  défendre  à  toute  force  sa  phrase ,  qui  est  dé- 
testable ;  puis ,  se  mettant  à  chercher  avec  la  loupe  dans  le  livre  de 
M.  Letronne,  il  y  découvre  deux  énormes  fautes;  savez -vous  les- 
quelles? c'est  d'abord  la  vileté  de  la  matière,  quoique  la  locution 
ait  été  employée  par  Massillon,  et  soit  autorisée  par  le  Dictionnaire 
de  l'Académie;  ensuite  le  mot  trowaïlle,  terme  familier  parfaite- 
ment de  mise  à  l'endroit  où  il  est  employé.  Voilà  donc  les  seules 
taches  qu'il  a  découvertes  dans  un  livre  de  deux  cents  pages.  Tout  le 
monde  en  tirera  la  conclusion  que  le  livre  est  écrit  passablement. 


On  pense  bien  que  M.  Letronne  ne  s'est  pas  beaucoup  ému  de 
cette  nouvelle  brochure.  Cependant  elle  a  occasionné  de  sa  part  une 
téplique  de  quelques  pages,  intitulée  :  Addition  à  V examen  critique  de 
la  découverte  faite  à  la  Sainte- Chapelle,  Cette  addition  n'a  qu'un  seul 
objet,  c'est  de  donner  un  démenti  formel  à  M.  Berger  de  Xivrey,  qui 
prétend  que  M.  Letronne  a,  par  ses  obsessions  et  ses  étranges  manœu- 
vres, empêché  la  publication  de  sa  précédente  brochure  dans  le  Bulle- 
tin du  Bibliophile.  M.  Letronne  répond  en  publiant  la  lettre  que  lui  a 
écrite  l'éditeur  du  Bulletin,  M.  Techener,  attestant  que  c'est  lui- 
môme  qui  a  retiré  la  brochure  de  son  plein  gré.  M.  Letronne  pou- 
vait donc  qualifier  sévèrement  cette  nouvelle  excentricité;  pourtant 
il  ne  l'a  point  fait.  II  s'est  contenté  de  montrer  combien  est  ab- 
surde cette  accusation  qu'on  lui  intente  d'avoir  voulu  faire  suppri- 
mer une  brochure  qui  était,  quand  il  l'a  connue,  imprimée  et  distri- 
buée déjà  à  plus  de  trente  personnes,  et  qu'il  a  reproduite  lui-môme 
dans  son  ouvrage,  justement  afin  que  le  public  ne  fût  pas  privé 
de  ce  chef-d'œuvre.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  drôle,  et  ce  que  M.  Le- 
tronne n'a  point  remarqué,  c'est  que  cette  brochure,  supprimée. 
et  détruite,  est  pourtant  inscrite  sur  la  liste  des  ouvrages  qui  se 
vendent  chez  Techener  (l),  où  elle  est  annoncée  au  prix  de  trois 

(I)  Bulklin  du  Bibliophile ,  numéro  de  juillet  1844. 


ENCORE   LE   PRETENDU   COEUR  DE  SAINT-LOUIS  I  ^93 

francs f  papier  ordinaire;  et  de  cinq  francs,  papier  de  Hollande. 
Cependant  que  ceux  qui  veulent  l'avoir,  se  dépêchent;  car  il  n'en 
reste  plus,  dit  l'annonce,  que  trente-cinq  exemplaires;  partant,  vrai 
gibier  de  bibliophile  ! 

En  se  jetant  à  la  traverse  d'une  question  si  nouvelle  pour  lui,  il 
semble  que  M.  Berger  n'ait  cherché  qu'une  occasion  et  un  prétexte 
pour  attaquer  M.  Letronne  et  tâcher  de  déprécier  un  mérite  reconnu. 
Pourquoi?  cela  est  difficile  à  deviner.  Qui  sait?  peut-étrç  est-il  ennuyé 
d'entendre  dire  partout  que  M.  Letronne  est  un  savant  homme  ; 
mais  enfin,  pour  un  motif  ou  pour  un  autre,  à  ses  yeux,  M.  Le- 
tronne n'a  qu'un  mérite  usurpé;  car  qua-t-il  fait  depuis  vingt-cinq 
ans,  sinon  de  tout  amoindrir,  de  tout  déprécier ,  de  tout  rapetisser. 
Voilà  ce  que  dit  M.  Berger  dans  sa  première  brochure.  Dans  celle-ci, 
nous  lisons  que  M.  Letronne  n'a  fait  que  traduire  quelques  passages 
grecs  de  peu  d'étendue.  C'est  tout  :  pas  davantage.  Il  paraît  bien 
que  M.  Berger  ne  lit  pas  ou  ne  veut  pas  comprendre  ce  qu'il  lit. 

A  qui  persuadera-t-il ,  en  elfet,  que  celui  qui,  dans  l'opinion  de 
tous  les  Français  instruits,  comme  des  étrangers,  tient  le  premier 
rang  parmi  les  érudits  du  siècle ,  n'a  pas  fait  quelque  autre  chose 
depuis  vingt-cinq  ans?  Pour  nous  ,  qui  connaissons  les  travaux  de 
M.  Letronne,  qui  apprécions  tous  les  services  qu'il  a  rendus  à  la 
science,  tant  par  ses  écrits  que  nous  avons  tous  lus,  que  par  ses 
cours  publics,  auxquels  nous  assistons  depuis  huit  ans,  nous  en  avons 
une  idée  un  peu  différente.  Mais ,  comme  notre  opinion  personnelle 
n'est  d'aucun  poids,  nous  nous  bornerons  à  mettre  sous  les  yeux 
de  M.  Berger  le  jugement  des  étrangers,  appréciateurs  non  suspects 
quand  il  s'agit  de  nos  compatriotes.  Voici  donc  ce  que  disent  quel- 
ques-uns des  plus  éminents  :  Dans  une  lettre  deNiebuhr,  publiée  par 
M.  de  Golbéry  (l  ),  ce  grand  connaisseur  de  l'antiquité  disait  en  1 828 , 
il  y  a  déjà  seize  ans  :  «  M.  Letronne  est  décidément  le  digne  suc- 
ce  cesseur  des  grands  hommes  qui  mirent  la  France  au  premier  rang 
a  de  la  philologie,  dans  le  XVH"  siècle.  »  Et  que  de  grands  travaux 
il  a  faits  depuis  dignes  de  leurs  aînés,  ou  même  leur  sont  supérieurs! 
Le  môme  Niebuhr  (mort  le  2  janvier  1831  )  avait  l'habitude  de  dire: 
«  M.  Letronne,  à  lui  seul ,  vaut  toute  une  académie  (2).  »  Le  célèbre 
M.  Guill.-Aug.  de  Schlegel,  en  commençant  avec  M.  Letronne  une 


(1)  En  tête  du  tome  YII  de  la  traduclion  de  l'Histoire  romaine. 
(i)  Golbéry  ,  Noiice  historique  sur  Niebuhr,  p.  17  j  dans  la  nouvelle  Revue  ger^ 
manique  de  février  1831, 


394  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

polémique  sur  le  zodiaque,  dans  laquelle  celui  ci  est  resté  vainqueur, 
le  qualifie  deegregium  Academiœparisinœ  decus  (l)  :  voilà  comment  un 
adversaire  le  traite.  M.  de  Humboldt  l'appelle  «  cet  helléniste  érudit  et 
c(  spirituel, qui  embrasse, avec  une  égale  supériorité  de  vues,  le  champ 
«  entier  de  l'antiquité  (2)  »  ;  et  dans  son  livre  sur  la  géographie  de 
l'Amérique,  il  reconnaît  qu'il  lui  doit  des  vues  ingénieuses  et  pro- 
fondes sur  la  géographie  générale  et  l'astronomie  des  anciens  (3).  Un 
des  preniiers  philologues  de  ce  siècle,  M.  Aug.  Bôckh,  témoigne  dans 
plusieurs  de  ses  écrits  son  estime  et  son  admiration  pour  la  méthode, 
la  science  et  la  sagacité  de  notre  compatriote  [ingenium,  quale  in 
Letronnio  maxime  admiror)  (4).  Dans  ses  savantes  Recherches  mé- 
triques (5),  il  exprime  le  cas  qu'il  fait  des  Considérations  gmérales  sur 
les  monnaies  f  publiées  en  1817  par  M.  Letronne,  tout  au  commen- 
cement de  sa  carrière  académique.  Selon  lui,  cet  ouvrage  est  à  la 
tête  ^e  tout  ce  qu'on  a  écrit  sur  la  matière  ,  et  forme  la  base  de  ses 
propres  recherches  (6).  Enfin,  M.  Amédée  Peyron,  le  premier  philo- 
logue actuel  de  l'Italie,  esprit  d'ailleurs  éminent,  l'appelle  le  Lagrange 
des  archéologues  (7). 

Il  y  a  deux  ans,  le  roi  de  Prusse  a  fondé  un  ordre  nouveau  ou 
plutôt  a  formé  une  nouvelle  classe  de  la  paix  dans  l'ordre  militaire 
fondé  il  y  a  un  siècle  par  Frédéric  le  Grand.  Cet  ordre  destiné  à  ré- 
compenser le  mérite  européen  dans  les  sciences,  les  lettres  et  les  arts 
se  compose  de  soixante  membres  en  tout,  trente  pour  l'Allemagne,  et 
trente  pour  le  reste  de  l'Europe.  Quatre  savants  ou  littérateurs  y  ont 
été  admis  pour  représenter  les  sciences  et  la  littérature  en  France; 
Arago,  les  sciences  mathématiques;  Gay-Lussac,  les  sciences  phy- 
siques; Chateaubriand,  la  littérature  française  dans  son  expression 
la  plus  haute;  et  Letronne,  la  littérature  ancienne  dans  toute  sa 
vaste  extension.  Ce  choix  a  paru,  sans  doute,  fort  injuste  à  M.  Ber- 


(1)  De  Zodiaci  antiq»  et  origine.  Bonn,  1839. 
(?)  Asie  centrale,  T  I,  introd.,  p.  un. 

(3)  Ex.  critique  de  la  géogr.  du  nouveau  continent.  T.  I ,  p.  37  ;  III ,  p.  t  /8. 

(4)  Corp.  inscr.  T.  I,  praefat.,  p.  xix. 
(6)  Page  4. 

(6)  Sie  bilden  die  Grundlage  meiner  Forschungen,  ibid. 

(7)  AUri  loderanno  la  vasla  erudizione,  l'acula  filologiaja  giusla  crilica  del 
Letronne,  etc.  Quello  che  piu  ammiro  nel  chiar.  aulore ,  e  dirige  e  perfeziona 
le  tre  doliprecedeïUi,si  e  la  lucidissimn  analisi  condolta  con  un  melodo  affatlo 
geomelrico,  tank)  piu  mirabilmenle  applicalo  aile  cose  morali,  quanlomaggiore 
è  la  loro  distanza  dagli  ordini  malematici.  Egli  è  il  Lagrange  degli  archeo- 
logi.  Bibliot.  italiana,  n.  ccxly,  maggio  1836,  p.  255,  266. 


ENCORE   LE   PRÉTENDU  COEUR  DE   SAINT- LOUIS  !  395 

ger;  qu'y  faire?  Ce  sont  là  des  honneurs  qu'on  ne  va  pas  chercher; 
mais,  comme  on  aurait  mauvaise  grâce  à  se  plaindre  de  n'y  avoir  pas 
été  admis,  on  se  venge  en  médisant  de  celui  qui  les  a  obtenus! 

En  tout  cas,  ce  sont  là  des  autorités  que  nous  prenons  la  licence 
d'opposer  à  la  sienne,  et  même  de  lui  préférer,  au  moifjs  jusqu'à  ce 
que  l'auteur  des  Traditions  lératologiques  se  soit  élevé  au  niveau  des 
Niebuhr,  des  Schlegel ,  de  Bôckh,  des  Humboldt  et  des  Amédée  Pey- 
ron.  Nous  désirons  môme  ne  pas  attendre  longtemps,  puisque  nous 
aurions  à  enregistrer,  parmi  les  Français ,  un  homme  illustre  de  plus. 
Ce  que  nous  ne  désirons  pas  moins,  en  l'espérant  davantage,  c'est 
qu'une  si  triste  campagne  dégoûte  M.  Berger  de  se  mêler  de  ce  qu'il 
ne  sait  pas ,  et  surtout  le  guérisse  de  cette  manie  qui  le  porte  à 
vouloir ,  sans  rime  ni  raison  ,  à  propos  du  premier  sujet  venu , 
rabaisser  ceux  de  ses  compatriotes  que  l'estime  de  la  France  et  de 
l'étranger  place  à  un  rang  si  élevé.  ^ 


La  seconde  brochure,  intitulée  :  Réponse  à  V écrit  de  M.  Letronne, 
par  M.  Auguste  Le  Prévost,  37  pages,  nous  place  heureusement  sur 
un  autre  terrain.  Le  savant  auteur  est  bien  un  peu  piqué  contre  son 
confrère  qui,  tout  en  le  ménageant  autant  que  possible,  a  cependant 
relevé  les  erreurs  de  fait  où  il  était  tombé,  voire  même  un  peu  raillé 
la  teinte  mystique  de  ses  arguments;  l'intérêt  de  la  question  l'exigeait 
sans  doute.  M.  Le  Prévost  tâche  de  parer  ces  coups  portés  par  des 
armes  courtoises.  C'était  son  droit,  et  il  le  fait  comme  il  convient  à 
un  homme  aussi  distingué  par  son  caractère  que  par  son  esprit  élevé, 
mais,  comme  le  dit  trop  justement  M.  Letronne,  malheureusement 
foun^oyé  dès  le  commencement. 

Répondre  à  son  adversaire  n'était  pas  chose  facile.  Pour  y  réussir, 
M.  Le  Prévost  devait  l''  montrer  qu'il  n'avait  pas  commis  les  erreurs 
matérielles  qu'on  lui  reproche;  2°  détruire  les  faits  et  les  arguments 
qu'on  lui  oppose;  3°  en  produire  un  nouveau,  tant  soit  peu  con- 
vaincant. 

Nous  sommes  obligés  de  convenir  qu'il  n'a  rien  fait  de  tout 
cela.  11  commence  par  reconnaître  que  des  erreurs  ont  été  com- 
mises. Passant  condamnation  sur  celles  qui  avaient  été  signalées  par 
M.  Letronne,  il  avoue  qu'on  ne  s'était  pas  bien  rendu  compte  de  l'état 
des  choses;  ce  qui  équivaut  à  convenir,  comme  l'avait  dit  l'adversaire, 
qu'on  avait  négligé  de  s'en  instruire  :  singulier  moyen  d'arriver  à  la 


396  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

vérité!  Puis  il  cherche  à  atténuer  l'effet  de  ces  erreurs  qui,  selon  lui, 
affectent  médiocrement  le  fond  de  la  question.  Nous  ne  pouvons  être 
de  cet  avis;  car,  comme  ces  erreurs  constituaient  les  seuls  faits  qui 
pussent  rendre  vraisemblable  l'origine  sacrée  du  cœur  découvert, 
cette  origine  n'a  plus  aucune  base,  dès  le  moment  que  ces  faits  sont 
faux;  car  tout  alors  devient  contre,  et  rien  ne  reste  pour. 

Toutefois,  dans  cette  litanie  des  faits  faux  déroulée  par  M.  Le- 
tronne,  M.  Le  Prévost  s'inscrit  contre  deux  qu'il  regarde  comme 
importants ,  et  sur  lesquels  il  croit  pouvoir  prendre  son  adversaire  en 
faute. 

Le  premier  concerne  la  place  oii  le  cœur  a  été  trouvé  dans  Taxe 
de  l'abside,  derrière  le  maître-autel .  M.  Le  Prévost  persiste  à  soutenir 
que  cette  place  était  réservée  au  fondateur;  il  reproche  même  à  M.  Le- 
tronne  d'avoir  glissé  sur  cette  circonstance,  et  confondu,  dans  les 
exemples  qu'il  a  cités,  ï abside  avec  les  autres  parties  du  chœur. 

Cette  confusion  n'existe  pas.  M.  Letronne  a  reconnu  que,  dans  les 
églises,  les  environs  du  maître-autel  étaient  places  d'honneur  pour  les 
sépultures  ;  mais  qu'aucune  n'était  constamment  réservée  au  fondateur, 
ce  qu'il  a  prouvé  par  une  multitude  d'exemples;  il  a  même  soutenu 
qu'aucun  texte  n'indique  le  contraire.  Que  devait  donc  faire  M.  Le 
Prévost? Evidemment  citer  un  texte  ou  montrer  la  constance  de  V usage 
appliqué  au  fondateur  seul.  Or,  il  n'a  fait  ni  l'un  ni  l'autre.  Dans  la 
discussion  académique,  où  nous  avons  assisté,  M.  Letronne  l'a  sommé 
de  citer  une  autorité  ou  un  fait  positif.  Sur  ces  deux  points,  l'adver- 
saire est  resté  muet.  En  revanche,  l'autre  l'a  accablé  d'exemples  qui 
attestent  que  des  personnages,  qui  n'étaient  point  fondateurs  Jurent 
inhumés  dans  l'axe  de  l'abside,  et  que  des  fondateurs,  au  contraire, 
furent  enterrés  en  d'autres  parties  de  l'église.  Voilà  donc  un  fait  faux 
qu'il  n'est  plus  possible  de  retrancher  de  la  fameuse  litanie,  et  pour 
lequel  M.  Le  Prévost  n'a  pas  d'autre  autorité  que  la  sienne,  qui  est 
grande  sans  doute,  mais  qui  ne  suffit  pas. 

Le  second  fait  est  relatif  à  la  boîte  en  plomb,  qui  renfermait  le  cœur 
de  Ricimrd.  M.  Letronne  avait  avancé  qu'elle  êtd\t  doublée  en  argent, 
se  fondant  sur  \erapport  officiel  rédigé  à  Rouen,  que  lui  avait  trans- 
mis M.  Deville,  un  des  signataires  de  ce  rapport.  Depuis,  une  ana- 
lyse chimique  a  montré  à  M.  Deville  que  la  feuille  émargent  est  à'étain; 
mais  on  ne  le  savait  pas  lorsque  M.  Le  Prévost  et  M.  Letronne  ont 
écrit  leurs  dissertations.  Le  premier  triomphe  de  cette  erreur;  cepen- 
dant il  n'y  a  pas  de  quoi  :  car  lorsqu'elle  a  été  commise,  elle  n'en  était 
pas  une.  C  est  lui-même  qui  se  trompait  alors ,  puisqu'il  allait  contre 


ENCORE   LE   PlîÉTENDU  COEUR  DE   SAINT-LOUIS  I  397 

une  pièce  officielle,  dont  rien  ne  pouvait  faire  soupçonner  l'exacti- 
tude sur  ce  point. 

Maintenant,  que  la  boîte  de  plomb  soit  ou  non  doublée  d'argent, 
cela  fait-il  quelque  chose  à  la  question  ?  Nullement.  Le  raisonnement 
de  M.  Le  Prévost  était  celui-ci  :  «  M.  Letronne  croit  qu'on  n'a  pas  pu 
mettre  le  cœur  de  saint  Louis  dans  une  boîte  d'étain  ;  pourquoi  cela? 
puisque  celui  de  Richard  avait  bien  été  mis  dans  une  boîte  de  plomb,  » 
L'analogie  était  juste  et  le  raisonnement  fondé;  il  resterait  tel,  si 
M.  Letronne  s'était  contenté  d'opposer  que  la  boîte  de  plomb  était 
doublée  d'argent;  fait  qui  n'est  plus  exact  :  mais  il  avait  ajouté  une 
circonstance  bien  importante,  d'après  la  chronique  de  Normandie,  et 
Guillaume  le  Breton,  c'est  que  le  cœur  de  Richard  fut  mis  dans  une 
sépulture  d'argent  massif,  tellement  riche,  qu'on  la  fondit  pour  servir 
à  parfaire  la  rançon  de  saint  Louis ,  prisonnier  à  Damiette.  Cette  cir- 
constance, qui  avait  échappé  à  M.  Le  Prévost,  tout  savant  qu'il  est 
dans  l'histoire  de  Normandie,  fait  tomber  son  raisonnement;  car 
l'extrême  richesse  de  la  sépulture  de  Richard  rend  d'autant  plus 
invraisemblable  qu'on  n'eût  employé  que  Vétain,  pour  renfermer  le 
cœur  du  saint  roi. 

On  voit  par  là  que  ses  deux  réclamations  contre  la  litanie  ne  sont 
pas  heureuses,  et  laissent  la  question  dans  le  même  état. 

11  revient  encore  sur  Yabsence  d'inscription ,  cet  argument  si  fort 
contre  son  hypothèse.  Pour  l'écarter,  il  avait  soutenu ,  jusqu'au  der- 
nier moment,  que  ce  que  M.  Letronne  prenait  pour  le  comercUf  était 
le  fond  de  la  boîte;  à  présent  qu'il  a  vu  les  objets,  il  convient  que 
celui-ci  avait  raison.  C'est  bien  le  comercle;  mais  alors  il  se  rejette 
sur  la  conjecture  purement  gratuite  de  M.  Paris ,  approuvée  et  fort 
exaltée  par  M.  Berger  de  Xivrey ,  que  l'inscription  éimi  peut-être  sur 
les  côtés,  qui  sont  détruits.  Avec  {mpeut-étre  on  va  loin.  M.  Letronne 
avait  objecté  l'invraisemblance  de  cette  conjecture  ;  et  il  avait  prié  ces 
Messieurs  de  lui  citer  un  seul  exemple  d'une  inscription  pareille , 
mise  autre  part  que  sur  le  cowercle.  M.  Le  Prévost  essaie  de  répondre 
que  cette  place  pourrait  s'expliquer  par  l'usage  où  l'on  était  de  met- 
tre les  inscriptions  tumulaires ,  non  au  milieu  de  la  dalle ,  mais  sur  le 
bord,  tout  autour.  Cette  réponse  qu'il  a  prise  à  M.  Berger  de  Xivrey, 
ne  nous  étonne  pas  de  la  part  de  celui-ci  ;  mais  elle  nous  surprend 
un  peu  de  la  part  de  M.  Le  Prévost,  qui  connaît  si  bien  le  moyen 
âge.  Comment  ne  voit-il  pas  qu'il  n'y  a  nulle  parité  entre  les  deux 
faits?  Que  les  pierres  sépulcrales,  ayant  leur  surface  occupée  par  une 
stature,  comme  on  disait,  ou  par  une  figure,  soit  en  relief,  soit  gravée, 


398  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

force  était  de  placer  les  inscriptions  sur  les  bords;  maïs  il  lui^sera 
aussi  difficile  de  trouver  une  inscription  ainsi  placée  sur  une  pierre, 
dont  le  milieu  serait  resté  vide,  que  sur  une  boîte  dont  le  couvercle 
serait  libre  de  tout  ornement. 

Ceci  montre,  nous  regrettons  de  le  dire,  que  M.  Le  Prévost  sac- 
croche  à  tout,  comme  les  gens  qui  se  noient.  Les  plus  mauvaises 
explications  lui  servent ,  du  moment  qu'elles  lui  sont  favorables.  Son 
adversaire  a  eu  beau  les  détruire,  il  y  revient  toujours,  parce  qu'il 
n'en  peut  trouver  d'autres  :  telle  est,  par  exemple,  l'analogie  qu'on 
lui  a  fournie,  entre  autres  erreurs  qui  l'ont  égaré,  telles  que  la 
boîte  sous  le  maître-autel  et  encastrée  dans  la  voûte,  et  cette  ado- 
rable croix  du  WW  siècle,  qui  fait  en  ce  moment  le  tour  de  l'Europe, 
au  grand  agrément  des  archéologues.  Cette  analogie  est  celle  qu'il 
tire  du  corps  de  saint  Bernard  ,  laissé  dans  son  tombeau  ;  d'oîi 
M.  Lenormant  concluait  que  le  cœur  de  saint  Louis  pouvait  avoir  été 
abandonné  sous  une  dalle.  M.  Letronne  a  beau  répondre  que  cet 
exemple  ne  prouve  rien,  puisque  c'était  un  usage,  prouvé  par  une 
infinité  d'exemples,  de  ne  lever,  lors  delà  canonisation,  que  le  chef 
d'un  saint,  et  de  laisser  le  reste  du  corps  dans  son  tombeau,  où  il 
n'était  pas  moins  l'objet  de  la  vénération  des  fidèles.  Mais  le  cœur  de 
saint  Louis,  du  héros  du  XIIP  siècle,  on  l'aurait  mis  avant  la  cano- 
nisation, on  l'aurait  laissé  après,  enfoui  sous  une  dalle,  foulé  aux 
pieds  par  le  premier  venu  !  Cela  est  impossible  ;  il  n'y  a  vraiment  que 
la  prévention  la  plus  aveugle  qui  puisse  supporter  cette  idée;  et, 
lorsque  dans  la  discussion  académique,  M.  Letronne  a  fait  res- 
sortir cette  impossibilité,  en  s'appuyant  de  l'opinion  des  membres  les 
plus  instruits  du  clergé  de  Paris,  nous  avons  entendu  avec  surprise 
un  membre  de  l'Académie  rejeter  l'opinion  du  clergé ,  comme  suspect 
de  ne  savoir  pas  Y  hagiographie. 

C'est  vraiment  un  peu  fort.  Il  paraîtrait  donc,  par  le  temps  qui 
court,  qu'il  n'y  a  plus  que  ces  Messieurs  du  moyen  âge  qui  aient 
qualité  pour  écrire  sur  les  saints  I  mais  que  voulez-vous?  lorsqu'on  a 
pris  son  parti ,  quand  même ,  la  raison  en  personne  se  présenterait 
qu'on  ne  la  voudrait  pas  voir.  Mais  pourquoi  faut-il  qu'un  homme  aussi 
instruit  que  loyal  comme  l'est  M.  Le  Prévost,  jusque-là  peu  disposé 
à  l'enthousiasme,  se  soit  laissé  entraîner  dans  cette  impasse?  Il  n'avait 
qu'un  moyen  d'en  sortir,  c'était  de  suivre  le  conseil  que  lui  a  donné 
un  excellent  esprit,  M.  Guérard,  et  de  convenir  qu'on  l'avait 
d'abord  fourvoyé  par  de  faux  renseignements;  car,  lui  disait-il  : 
c(  j'en  suis  encore  à  imaginer  un  commencement  de  preuves ,  un 


ENCORE   LE   PRÉTENDU   COEUR   DE   SAINT  LOUIS  !  399 

«  simple  indice,  en  faveur  de  votre  opinion.  »  Mais  on  roit  que, 
par  malheur,  M  Le  Prévost  est  encore  à  cent  lieues  de  se  douter  de 
l'excellence  de  ce  conseil. 

En  terminant ,  il  se  propose  de  donner  une  leçon  de  mélJiode  à 
M.  Lclronne.  Il  lui  reproche  de  se  poser  comme  le  représentant  de 
la  vraie  méthode  historique.  M.  Letronne,  dans  sa  préface,  se 
donne  seulement  pour  un  représentant  de  cette  méthode  :  or  c'est  ce 
qu'on  ne  peut  lui  contester.  M.  Le  Prévost  lui  reproche  encore  de  pré- 
tendre décider  la  question ,  et  de  démontrer  que  le  cœur  n'est  pas  et 
ne  peut  être  celui  de  saint  Louis.  11  lui  voudrait  plus  de  réserve,  un 
ton  moins  affirmatif;  mais  celui  qui  sent  qu'il  a  vingt  fois  raison, 
peut-il  afficher  un  doute  qu'il  ne  peut  avoir,  et  laisser  dans  l'incer- 
titude une  question  qu'il  croit  avoir  complètement  résolue  !  M.  Le 
Prévost  lui  recommande  le  doute  cartésien.  Nous  pensons  qu'il  ne  se 
fait  pas  lui-même  une  juste  idée  du  doute  cartésien.  Descartes  pla- 
çait le  doute  avant  toute  recherche,  et  non  après.  Pour  lui,  le  doute 
était  une  condition  nécessaire  de  toute  recherche  impartiale,  et  un 
moyen  d'arriver  à  la  certitude.  Prétendre  que  Xincertitude  doit  toujours 
se  trouvera  la  fin  de  toute  recherche,  c'est  préconiser  le  scepticisme , 
nou  le  doute  cartésien.  Or  lequel  des  deux  antagonistes  s'est  montré 
le  plus  fidèle  à  ce  doute  philosophique,  de  celui  qui,  comme  M.  Le 
Prévost,  açant  tout  examen,  sans  avoir  rien  vu,  rien  observé,  a 
formé  sa  conviction,  comme  il  le  dit,  d'une  manière  inébranlable; 
ou  de  celui  qui ,  comme  M.  Letronne ,  a  d'abord  douté ,  s'est 
roidi,  en  quelque  sorte,  contre  la  tendance  de  son  esprit,  et  n'a 
formé  sa  conviction  qu'après  une  élude  complète  de  tous  les  faits  ? 
Assurément,  c'est  celui-ci.  Oui,  la  méthode  qu'il  a  suivie  en  cette 
circonstance  est,  ainsi  qu'il  a  eu  le  droit  de  le  dire ,  la  vraie  méthode 
historique  ;  c'est  la  seule  qui  puisse  mener  à  des  résultats  certains  ; 
la  seule  qui  ait  fait  la  gloire  de  l'Académie  des  Inscriptions ,  et  qui 
puisse  la  maintenir  au  rang  quelle  occupe  encore  à  la  tête  des 
sciences  historiques. 


Depuis  que  ces  trois  brochures  ont  paru,  le  savant  chimiste, 
M.  Dumas ,  a  fait  son  rapport  sur  l'analyse  des  objets  trouvés  à  la 
Sainte-Chapelle.  Ce  rapport  a  été  lu  à  la  séance  de  l'Académie, 
séance  que  quelques-uns  voulaient  rendre  secrète;  mais  qui  a  été 
maintenue  publique,  grâce   aux  instances  d'autres  académiciens; 


400  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

MM.  Quatremère,  Letronne  et  Raoul-Rocliette.  C'est  surtout  à 
eux  que  nous  devons  d'y  avoir  assisté  ;  et  nous  leur  en  faisons  nos 
remerciements.  Voici  les  résultats  : 

1°  La  boîte  est  en  étain  du  commerce,  c'est-à-dire  pur  d'alliage. 
Elle  était  neuve  quand  on  l'a  employée.  Il  n'y  a  nul  vestige  d'ar- 
genture. 

2°  La  charnière  et  Vagrafe  qui  attachaient  le  couvercle  à  la  boîte, 
sont  d'un  travail  grossier.  M.  Letronne  avait  dit  médiocre;  M.  Le  Pré- 
vost, qui  ne  l'avait  pas  vu,  a\  ait  présumé  que  ces  objets  étaient  d'un 
iramil  métallurgique  précieux ,  d'un  dessin  délicat  et  pur  (IV  Lettre). 

3°  Le  fond  et  les  côtés  ont  été  détruits  par  un  effet  galvanique , 
qu'a  favorisé  l'humidité. 

4"  La  toile  qui  enveloppe  le  cœur  est  une  toile  ordinaire  de  lin, 
neuve  quand  on  l'a  employée.  Elle  avait  été  trempée  dans  un  bain  de 
cire. 

5°  Le  cœur  était  embaumé  avec  diverses  substances  aromatiques, 
qui  en  ont  absorbé  en  grande  partie  la  substance. 

6°  Il  n'a  probablement  pas  fallu  moins  de  deux  siècles  pour  l'ame- 
ner à  cet  état ,  mais  il  peut  être  plus  ancien  ;  parce  qu'une  fois  réduit , 
il  pouvait  subsister  encore,  sans  nouvelle  altération  notable,  pendant 
plusieurs  siècles. 

Le  fait  de  \ embaumement  suppose  une  sépulture  soignée ,  comme 
celle  de  tout  personnage  distingué,  roi,  prince,  trésorier  ou  pre- 
mier président. 

Ce  rapport,  comme  on  voit,  laisse  subsister  la  question  dans  les 
mêmes  termes. 

Le  nom  de  saint  Louis,  on  devait  s'y  attendre,  n'est  pas  plus  sorti 
de  ce  rapport  si  bien  étudié,  que  des  autres  faits  historiques  ou  maté- 
riels qu'on  avait  pu  recueillir. 

Ainsi  l'a  pensé  la  Commission  nommée  par  l'Académie  pour  exa- 
miner les  objets  et  lui  proposer  une  réponse  à  faire  au  Ministre.  Cette 
Commission  était  composée  de  neuf  membres  (c'est  plus  du  tiers  des 
membres  présents  à  cette  époque  de  l'année),  choisis  parmi  ceux  qui 
s'étaient  occupés  de  la  question,  MM.  Letronne,  Guérard,  Quatre- 
mère, de  Wailly,  Le  Prévost  et  P.  Paris,  auxquels  on  avait  joint  les 
trois  membres  du  bureau,  MM.  Guigniaut,  Pardessus  et  Waicke- 
naër.  Après  avoir  examiné  longuement  tous  les  éléments  de  la  ques- 
tion, après  avoir  écouté  le  rapport  de  M.  Dumas ,  et  l'avoir  discuté 
avec  son  savant  auteur,  e[le  n'a  pas  été  embarrassée  longtemps 
pour  proposer  son  opinion.  Elle  a  conclu,  à  l'unanimité  moins  une 


ENCORE   LE    PRETENDU  COEUR   DE   SAINT  LOUIS  î  401 

voix  (M.  Le  Prévost  absent),  à  ce  qu'il  fût  répondu  au  IVIinistre: 
(c  Considérant  qu'en  attribuant  ce  cœur  à  saint  Louis,  on  s'expo- 
«  serait  à  commettre  une  erreur  grave;  et  que  cette  conjecture,  con- 
((  tredite  par  plusieurs  textes  anciens,  et  surtout  par  le  silence  de 
((  ihisloire,  ne  serait  ni  la  seule  qui  pût  être  proposée,  ni  même  la 
«  plus  probable , 

((  La  Commission  propose  de  faire  cette  réponse  au  Ministre  : 
((  Rien  n'autorise  à  croire  que  le  cœur  trouvé  dans  l'abside  de  la 
«  Sainte-Chapelle  soit  le  cœur  de  saint  Louis.  » 

Cette  proposition  émanée  d'une  telle  Commission,  éclairée  par 
l'examen  des  objets  découverts,  était,  à  coup  sur,  la  plus  modérée 
qu'on  pût  faire,  et  celle  qui  répondait  le  mieux  à  la  pensée  de  l'Aca- 
démie. Elle  a  cependant  hésité  à  s'exprimer  si  formellement  contre 
une  opinion  soutenue  par  plusieurs  de  ses  membres.  Elle  a  cédé  à  la 
réclamation  de  M.  Le  Prévost,  qui  a  demandé  la  suppression  du  consi- 
dérant, et  la  substitution  du  mot  affirmer  au  mot  croire.  La  majorité 
a  été  pour  ce  moyen  terme,  espèce  de  coussin  qui  devait  amortir 
la  rudesse  de  la  chute. 

La  plupart  des  membres  qui  ont  voté  pour  affirmer,  en  sortant  de 
la  séance ,  ne  dissimulaient  pas  le  motif  respectable  de  l'adoucisse- 
ment, et  n'étaient  pas  moins  convaincus  que  la  question  ne  peut  lais- 
ser aucun  doute  dans  tout  esprit  impartial. 

Quand  la  passion  qu'on  y  a  portée  sera  tout  à  fait  dissipée, 
nous  sommes  convaincus  que  ceux  même  qui  se  sont  d'abord 
laissé  égarer  seront  surpris  de  s'être  à  ce  point  abandonnés  à  la  pré- 
vention, dans  une  question  où  il  suffit,  pour  avoir  une  opinion  arrê- 
tée, de  se  laisser  conduire  par  les  simples  lumières  du  bon  sens. 
Ils  sentiront  que  le  nom  de  saint  Louis  a  été  introduit  bien  mal  à 
propos  dans  cette  affaire  puisqu'il  n'y  était  appelé  par  aucun  indice , 
tandis  qu'il  en  était  repoussé  par  les  preuves  les  plus  palpables, 
comme  l'a  si  bien  démontré  le  livre  de  M.  Letronne.  Ce  livre  restera 
pour  indiquer  la  vraie  marche  à  suivre  dans  les  recherches  historiques 
de  ce  genre.  Qu'elles  concernent  le  moyen  âge  ou  l'antiquité ,  peu 
importe  :  c'est  toujours  le  même  instrument  qui  sert  à  frayer  la  route, 
ce  sont  les  mêmes  dons  de  l'esprit  qui  font  découvrir  la  vérité ,  dons 
fort  modestes,  sans  doute,  très-peu  enviés  surtout  de  nos  jours, 
qu'on  ne  se  doute  pas  jusqu'à  quel  point  leur  réunion  est  rare.  Ce 
sont  tout  simplement  Vimpartialité  qui  accueille  tous  les  faits,  Vat- 
tention  qui  les  rassemble,  le  sens  commun  qui  les  classe,  les  discute 
et  les  juge.  F'*". 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES 


—  La  nouvelle  des  troubles  récents  qui  ont  éclaté  à  Mossoul  a  dû 
faire  concevoir  des  inquiétudes  sur  le  sort  des  découvertes  de  M.  Botta; 
mais,  fort  heureusement,  avant  ces  désordres,  notre  consul  avait  pu 
exécuter  de  nouveaux  travaux;  déjà  nous  savons  qu'il  a  déblayé  une 
salle  de  108  pieds  de  longueur.  Les  détails  de  ces  fouilles  sont  con- 
signés dans  une  nouvelle  lettre  adressée,  comme  les  précédentes,  à 
M.  Jules  Mohl,  membre  de  l'Institut,  et  elle  sera  imprimée  dans  le 
Journal  Asiatique,  C'est  dans  ce  recueil,  auquel  nous  avons  emprunté 
une  partie  des  renseignements  qui  nous  ont  servi  à  rédiger  notre 
article  sur  Khorsabad ,  que  l'on  trouvera  tous  les  dessins  des  bas-reliefs 
et  les  nombreuses  inscriptions  relevées  par  M.  Botta.  Nous  attendons 
avec  impatience  la  publication  des  planches  qui  accompagnent  les 
lettres  inédites  dont  M.  Mohl  a  bien  voulu  nous  permettre  de  faire 
usage.  Ces  planches  nous  fourniront  très-probablement  le  sujet  d'un 
second  article.  A.  de  L. 

—  M.  Florent  Gilles,  conservateur  des  Musées  et  arsenaux  parti- 
culiers de  l'empereur  de  Russie,  vient,  avec  l'autorisation  spéciale 
de  Sa  Majesté  Impériale,  d'adresser  au  cabinet  des  antiques  de  la 
Bibliothèque  royale  de  Paris  une  collection  de  plâtres  moulés  avec  le 
plus  grand  soin  sur  les  plus  beaux  morceaux  d'antiquité  qui  existent 
au  palais  de  V Ermitage, 

On  remarque  parmi  ces  monuments  un  grand  vase  d'argent  re- 
poussé ,  de  la  forme  la  plus  élégante.  Trouvé  à  Kertch ,  l'ancienne 
Panticapée,  il  représente  des  sujets  scythes  traités  par  des  artistes 
grecs,  et  a  probablement  été  exécuté  en  Italie,  comme  les  vases  de 
beaucoup  plus  petites  dimensions  découverts  à  Pompeï  et  à  Bernay, 
avec  lesquels  il  offre  une  singulière  analogie. 

Un  rhyton  d'argent,  en  forme  de  tète  de  bœuf,  orné  à  sa  partie  éva- 
sée d'un  relief  mythologique  très-intéressant,  semble  avoir  été  copié, 
quant  à  la  forme  générale,  des  vases  de  même  espèce  (mais  d'argile) 
qui  se  fabriquaient  dans  la  Grande  Grèce,  et  dont  il  existe  à  Naples, 
tant  au  musée  des  Studj  que  chez  M.  de  Santangelo,  des  variétés  si 
nombreuses. 

Un  disque  d'or,  que  l'on  croit  avoir  été  l'ombilic  d'un  bouclier, 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  403 

offre  le  mélange  le  plus  bizarre  et  le  plus  curieux  du  style  indien  et 
du  style  grec.  A  le  voir  en  masse,  on  le  croirait  arraché  à  quelque 
statue  de  Krichna  ou  de  Parvati ,  et,  lorsqu'on  l'examine  de  près,  on 
reconnaît  que  ces  dessins  surchargés,  ces  lancéolés  asiatiques,  sont 
composés  de  petites  têtes  de  Méduse  toutes  semblables  à  celles  de  la 
monnaie  frappée  à  Néapolis  de  Macédoine,  à  Populonia  d'Étrurie  ou 
dans  l'île  de  Motya. 

Nous  avons  été  très-satisiiiit  de  trouver  dans  cette  collection ,  outre 
les  plâtres  d'une  quantité  considérable  de  plaques  d'or,  de  bracelets, 
coupes ,  monuments  qui  tous  proviennent  des  fouilles  de  Kertch ,  deux 
coupes  persanes  représentant  des  rois  combattant  des  lions  et  des  san- 
gliers; la  Reme  (p.  267)  avait  signalé  ces  vases  inédits  à  l'attention 
des  artistes  qui  vont  à  Saint-Pétersbourg  étudier  les  musées,  et  les 
engageait  à  en  faire  des  dessins.  Ce  vœu  se  trouve  accompli  ou  plutôt 
prévenu,  grâce  à  la  libéralité  de  M.  Gilles. 

—  Les  ruines  d'une  ville  ancienne  viennent  d'être  découvertes  près 
de  Magliano,  dans  la  Maremme  toscane.  En  perçant  une  route  à  tra- 
vers une  terre  basse,  entre  cette  petite  ville  et  la  mer,  des  ouvriers 
rencontrèrent  quelques  gros  blocs  de  pierre,  et,  en  déblayant  dans  le 
sens  de  leur  direction,  ils  furent  conduits  à  mettre  à  nu  tout  un  cir- 
cuit de  murailles  qui  ne  mesurent  pas  moins  de  six  milles  en  longueur. 
D'après  la  grandeur  et  la  forme  des  blocs  qui  composent  ces  murs,  et 
d'après  diflerents  objets  qui  ont  été  trouvés  dans  l'enceinte,  notam- 
ment quelques  tombeaux  qui  ont  offert  quelques  poteries  et  bronzes 
étrusques,  il  paraît  certain  que  cette  ville  est  d'origine  étrusque.  On 
n'y  a  découvert  aucun  objet  d'antiquités  romaines,  ce  qui  prouve 
qu'elle  avait  déjà  cessé  d'exister,  lorsque  les  Romains  firent  la  con- 
quête de  cette  partie  de  l'Étrurie.  Il  est  difficile  de  comprendre  com- 
ment une  ville  située  à  si  courte  distance  de  la  mer  et  d'une  étendue 
aussi  considérable,  car  elle  ne  le  cède  en  rien  à  Veii  ou  Volterra,  a 
pu  être  passée  sous  silence  par  les  écrivains  de  l'antiquité  ;  il  est 
également  difficile  de  savoir  quelle  a  pu  être  cette  ville  ;  était-ce 
Vétulonia,  autrefois  la  gloire  des  Étrusques,  comme  nous  l'apprend 
Silius  Italiens,  la  première  qui  donna  à  Rome  les  douze  licteurs  avec 
leurs  faisceaux,  la  chaise  curule  et  la  robe  de  pourpre  de  l'Etat?  Des 
recherches  ultérieures  sont  nécessaires  pour  éclaircir  ce  fait. 

—  Les  monuments  du  premier  âge  du  christianisme  ont  été  de  tout 
temps  fort  recherchés  par  les  antiquaires,  et  principalement  en  Italie. 


404  DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES. 

Mais  ce  n'est  guère  que  de  notre  temps  que  la  critique  s'est  appliquée 
à  les  interpréter  d'une  manière  satisfaisante.  M.  Raoul  Rochette  a, 
dans  le  tome  XIII  des  Mémoires  de  l'Académie  des  inscriptions  et 
belles-lettres,  publié  trois  Mémoires  qui  constituent  un  véritable  traité 
de  l'art  chrétien  primitif.  Ce  savant  archéologue,  tout  en  distinguant 
avec  soin  ce  qui  dans  les  représentations  chrétiennes  devait  son  ori- 
gine aux  nouvelles  croyances,  a  su  fort  bien  aussi  faire  la  part  de  la 
perpétuation  des  types  empruntés  au  paganisme.  Dans  les  manifes- 
tations figurées  des  doctrines  chrétiennes,  on  retrouve  en  effet  des 
idées  nouvelles  exprimées  à  l'aide  de  compositions  qui,  jusque-là, 
avaient  eu  une  autre  valeur  symbolique;  tandis  que  dans  les  textes 
on  découvre,  au  contraire,  d'anciennes  idées  qui  s'efforcent  en  vain 
de  revêtir  un  accoutrement  nouveau. 


Parmi  les  représentations  chrétiennes  les  plus  importantes,  on  doit 
placer  le  Bon  Pasteur,  6  r.oiiiMv  o  y.aloç,  cette  image  du  Dieu  qui  dis- 
cerne entre  les  individus  de  son  troupeau  la  brebis  pure  de  celle  qui  est 
souillée,  qui  l'aide  et  la  défend.  Voici  une  pâte  de  verre  bleu  trouvée 
à  Rome,  vraisemblablement  dans  les  Catacombes,  et  rapportée  par 
M.  le  comte  Ch.  de  L'Escalopier,  antiquaire  plein  de  zèle  et  d'obli- 
geance ,  à  qui  nous  devons  la  communication  de  tous  les  petits  monu- 
ments dont  nous  donnons  la  gravure  (1).  Cette  pâte  représente  le  y.cclbç 
îioiy.r^v  dans  une  altitude  tout  antique.  L'améthyste  qui  suit  porte  une 
ancre,  une  nef  et  un  poisson,  accompagnés  des  lettres  S.  ï.  qui  sont 
ou  les  initiales  du  nom  d'un  saint  ou  celles  du  propriétaire  de  la  pierre. 
Les  symboles  que  je  viens  de  nommer  ont  une  signification  de  salut 
assez  connue,  pour  que  nous  n'insistions  pas  sur  leur  sens.  Une  pâte  de 
verre  brune,  gravée  en  creux,  nous  montre  une  colombe  tenant  dans 
son  bec  une  branche  d'olivier;  au-dessous  un  dauphin  croisé  avec  une 
ancre;  dans  le  champ,  les  lettres  C.  I.  P.  Nous  avons  dit  que  la 
pierre  qui  précède  exprimait  l'idée  de  salut,  et  nous  en  dirons  autant 
de  cette  pâte.  La  colombe  de  la  nouvelle  alliance  indique  le  salut  ma- 
tériel de  l'arche,  figure  antique  du  salut  spirituel.  Le  dauphin  a  tou- 

(1)  Ces  monumenls  sont  représentes  ici  de  grandeur  naturelle  à  reiceplion  de 
l'eulogie  qui  est  réduite  de  moitié. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


405 


jours  été  pour  les  anciens  un  animal  crwTyjp ,  témoin  ceux  de  Taras 
et  d'Arion. 

La  Berne  nous  entretenait  dernièrement  (p.  261)  de  la  découverte 
d  une  tessère  représentant  le  crustacé^ammar«5  dont  le  nom  rappelait 


la  valeur  numérique  trois»  Les  chrétiens,  eux  aussi,  avaient  leurs  tes- 
sères  qui  servaient  de  marques  de  reconnaissance  pour  l'admission 
aux  saints  mystères,  et  précisément  le  nom  du  poisson  Ix^vç  qui, 
décomposé  lettre  par  lettre,  formait,  comme  on  sait,  la  phrase  sacra- 
mentelle ln(7ov<;  XpLfiroç  Ssov  Ylbg  ^(ùvhp  donnait  à  cet  animal  un  sens 
très-significatif.  L'un  de  ces  deux  poissons  est  de  cristal  de  roche;  ses 
yeux  étaient  d'émail  :  un  seul  subsiste ,  il  est  irisé.  Le  second  poisson 
est  de  verre  bleu,  et  f irisation  lui  donne  l'apparence  d'un  poisson 
véritable. 


Les  chrétiens  avaient  conservé  l'usage  de  remplir  les  tombeaux 
d'ustensiles  et  de  vases  funéraires.  On  trouve  quelquefois  de  petits 
vases  à  parfum  d'une  terre  rougeâtre  un  peu  grossière  et  portant  assez 
communément  l'inscription  GYAOriA  TOY  AnOY  MHNA.  Sur  la 
face  antérieure  de  l'eulogie  que  nous  publions  ici,  et  qui  ne  porte  pas 
d'inscription,  on  voit  saint  Menas,  les  bras  étendus  vers  deux  oiseaux; 
dans  le  champ,  sont  deux  petites  crQix.  La  Bibliothèque  royale  pos- 
I.  27 


406  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

sède  une  eulogie,  avec  l'inscription  rapportée  ci-dessus  et  la  figure 
du  saint  entièrement  semblable  à  celle  du  vase  de  M.  le  comte  de 
L'Escalopier. 

—  Des  ouvriers  travaillant  au  terrassement  delà  nouvelle  route  de 
MaubeugeàBinch,  trouvèrent,  il  y  a  quelque  temps,  à  la  profondeur 
d'environ  2  mètres,  une  grande  quantité  de  vieux  ossements.  Cette 
rencontre  ayant  vivement  piqué  leur  curiosité,  ils  poussèrent  plus 
loin  leurs  excavations,  et  ne  tardèrent  pas  à  mettre  au  jour  les  débris 
de  deux  cents  squelettes  humains,  à  peu  près  ;  ils  découvrirent  en 
outre  deux  fers  de  hache,  une  lance,  plusieurs  tronçons  d'une  large 
épée  à  deux  tranchants ,  et  trois  petits  vases  en  terre  grisâtre  et  ver- 
nissée, renflée  par  le  milieu.  L'un  des  squelettes  fut  trouvé  renfermé 
dans  une  maçonnerie  rectangulaire  d'un  mètre  de  hauteur,  et  la  face 
tournée  contre  terre,  comme  tous  les  autres.  Entre  les  jambes  se  trou- 
vait un  des  fers  de  hache ,  la  lance,  les  tronçons  d'épée  et  deux  des 
vases  en  terre.  11  y  avait  dans  un  de  ces  vases  quelques  petits  objets 
en  cuivre,  qu'on  peut  soupçonner  avoir  servi  de  garniture  à  une  boîte 
ou  à  un  ceinturon. 

Deux  petits  disques  de  même  métal  et  de  forme  concave  se  trou- 
vaient également  avec  ces  objets  ;  les  ouvriers,  qui  les  prirent  d'abord 
pour  des  médailles,  reconnurent  bientôt  que  ce  ne  pouvait  être  que 
les  plateaux  d'une  petite  balance,  à  l'aspect  des  trois  petits  trous 
percés  au  bord  de  chaque  plateau  ;  et  la  présence  d'une  petite  verge 
de  bronze,  qui  n'était  autre  que  le  fléau  de  la  balance,  vint  les  confir- 
mer dans  cette  pensée.  Tous  ces  objets,  dans  un  état  complet  d'oxy- 
dation qui  leurôtait  une  partie  de  leur  forme  primitive,  furent  remis 
à  M.  André,  maire  de  Vieux-Reng  qui,  à  la  première  nouvelle  du 
fait,  s'était  transporté  sur  les  lieux,  et  avait, assisté  aux  fouilles  avec 
une  sollicitude  judicieuse. 

—  L'Académie  des  Sciences  de  Bruxelles  a  entendu,  dans  sa 
séance  du  3  février  dernier,  la  lecture  d'un  rapport  fait  par  une 
commission  composée  de  MM.  Cornelissen,  de  Reiffenberg  et  Roulez, 
sur  divers  objets  d'antiquités  provenant  de  fouilles  faites  sur  la  com- 
mune de  Fouren-le-Comte ,  à  l'endroit  dit  Steenhosch,  dans  un  champ 
appartenant  à  M.  Delvaux  :  ces  fouilles,  exécutées  par  le  proprié- 
taire du  champ ,  ont  mis  à  découvert  douze  pièces  d'une  habitation 
romaine.  Djns  l'un  des  appartements,  on  a  découvert  les  restes  d'un 
hypocauste.  Cent  trente-cinq  piliers  de  forme  ronde,  mais  dont  aucun 
n'était  resté  entier,  soutenaient  le  pavé  de  l'appartement,  et  formaient 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  407 

une  cave  servant  à  la  circulation  du  calorique,  fourni  sans  doute  par 
un  fourneau  voisin.  Les  piliers,  distant  les  uns  des  autres  de  2  cen- 
timètres, se  composaient  de  briques  rondes,  placées  les  unes  sur  les 
autres,  et  liées  par  une  couche  de  mortier.  Une  de  ces  briques  fait 
partie  de  l'envoi  de  M.  Del  vaux  :  elle  a  25  centimètres  de  diamètre. 
Sur  les  piliers ,  reposaient  de  grandes  briques  carrées  formant  la  base 
du  pavé  de  l'appartement;  elles  ont  i3  centimètres  de  longueur  et 
largeur  sur  5  à  6  d'épaisseur;  quelques  fragments  se  trouvent  parmi 
les  objets  envoyés.  On  y  rencontre  également  un  fragment  d'un  des 
tuyaux  qui  ont  dû  servir  à  conduire  la  chaleur  dans  les  appartements. 
La  cave  de  l'hypocauste  avait  elle-même  un  pavé,  composé  de  deux 
couches  de  ciment,  assises  sur  deux  grosses  pierres  brutes.  Le 
ciment  de  la  couche  inférieure,  épaisse  de  1  décimètre,  était  rempli 
de  petites  pierres  blanches.  Dans  celui  de  la  couche  supérieure, 
ayant  9  centimètres  d'épaisseur,  se  trouvaient  de  petits  morceaux  de 
terre  cuite  qui  donnaient  une  belle  couleur  rouge  à  l'extérieur  du 
pavé.  L'Académie  possède  des  échantillons  de  ces  ciments.  Le  toit 
de  cette  habitation  était  formé  de  tuiles  plates  munies  de  rebords  sur 
les  côtés,  à  l'exception  des  extrémités  par  oii  elles  s'engageaient  les 
unes  dans  les  autres;  c'est  du  moins  ce  qu'autorisent  à  croire  les 
nombreux  morceaux  répandus  dans  la  campagne  jusqu'à  la  distance 
de  150  mètres.  Mais  on  a  trouvé  quelques-unes  de  ces  mêmes  tuiles 
dans  l'hypocauste.  Celles-ci  sembleraient  avoir  été  employées  en 
guise  de  briques;  car  l'intérieur  de  quelques-unes  est  rempli  de 
morceaux  d'autres  tuiles  attachées  avec  du  mortier.  Des  exemples 
d'un  pareil  emploi  ont  été  constatés  en  Angleterre  et  en  France. 


—  Parmi  les  monuments  antiques  que  le  zèle  éclairé  des  archéo- 
logues dévoués  à  la  science  et  aux  arts  a  sauvés  de  la  destruction,  il 
en  est  un  qui,  déjà  plusieurs  fois,  a  éveillé  l'attention  du  gouverne- 
ment et  fixé' celle  des  étrangers.  Nous  voulons  parler  de  la  mosaïque 
du  Bellérophon,  découverte  à  Autun  dans  une  propriété  qui  sera 
probablement  vendue  tôt  ou  tard.  Il  est  vivement  à  souhaiter  que  le 
gouvernement  fasse  les  sacrifices  nécessaires  pour  conserver  sur  place 
cette  admirable  page  historique  qui  rappelle  les  plus  beaux  temps  de 
l'époque  gallo-romaine,  oii  la  ville  d'Auguste  (Autun)  fut  pompeu- 
sement décorée  du  titre  de  sœur  et  d'émulé  de  Rome. 

Les  ruines  vénérables  de  quelques-uns  de  ses  temples  et  de  son 
vaste  théâtre,  deux  portes  magnifiques,  sans  compter  une  infinité  de 


408  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

fragments  d'antiquités  remarquables  enlevés  au  pays,  attestent  suffi- 
samment quelle  fut  l'importance  de  la  vieille  cité  gauloise  qui,  nous 
l'espérons,  n'aura  pas  le  regret  de  voiries  derniers  et  précieux  vestiges 
de  sa  splendeur  passée  conquis  sur  elle,  comme  une  dépouille,  par 
l'or  de  l'étranger. 

—  M.  Reinaud,  professeur  de  langue  arabe  à  Paris,  a  parcouru  la 
Suisse  dans  le  but  d'y  trouver  des  traces  du  passage  des  Huns.  Dans 
la  cathédrale  dcCoire,  canton  des  Grisons,  on  lui  fit  voir  une  cha- 
suble que  l'on  regardait  comme  remarquable  uniquement  à  cause  de 
son  ancienneté.  M.  Reinaud  la  considéra  avec  un  étonnement  tou- 
jours croissant,  et  demanda  aux  personnes  qui  l'accompagnaient  si 
qutlqu'un  avait  essayé  de  déchiffrer  les  broderies  qui  se  voyaient  sur 
la  bordure;  et,  sur  la  réponse  négative  qu'on  lui  fit,  il  y  lut  les  mots  : 
Es'souUhan,  elmalek,  en'nasser, {ro'i^mois  arabes  (\u\  signifient:  sultan, 
prince,  protecteur.  Le  vêtement  de  cérémonie  du  prêtre  chrétien 
était  composé  de  magnifiques  élofl'es  orientales  que  sans  doute  les 
croisés  avaient  rapportées  d'Orient  dans  le  xiii^  siècle. 

—  Un  journal  deCaen  rapporte  que  monseigneur  l'évéque  de  Cou- 
tances  a  chargé  M.  Couppey,  au  commencement  de  l'année  dernière, 
d'examiner  une  chasuble  attribuée  au  bienheureux  Thomas  Hélie , 
et  de  vérifier  si  elle  porte  réellement  le  type  du  XlIP  siècle.  Suivant 
une  ancienne  tradition ,  cet  ornement  aurait  été  envoyé  par  saint 
Louis  au  pieux  Hélie,  alors  curé  de  Biville.  M.  Couppey  a  remarqué 
sur  l'étofl'e  de  la  chasuble  une  fleur  de  lis,  un  lion,  un  aigle  et  un 
château  fort  à  deux  tours  crénelées.  La  présence  de  ces  emblèmes 
héraldiques  confirme  la  tradition  locale.  On  les  retrouve  sur  plusieurs 
monuments  du  siècle  de  saint  Louis,  entre  autres  à  Saint- Denis  sur 
deux  devants  d'autels  en  verroteries.  La  fleur  de  lis  y  figure  comme 
pièce  principale  du  blason  royal;  le  lion  et  le  château  sont  empruntés 
aux  armoiries  de  la  reine  Blanche  de  Castille.  Le  royaume  de  Gastille 
timbre  en  effet  son  blason  d'un  château  sommé  de  deux  tours,  et  le 
royaume  de  Léon  porte  un  lion  sur  son  écu.  Quant  à  l'aigle,  il  appar- 
tient sans  doute  aux  armoiries  de  quelque  alliance  germanique. 


BIBLIOGRAPHIE. 


LATINI  SERMONIS  VETUSTIORÏS  RELIQUI^E  SELEGTiE,  Recueil  publié  sous  les 
auspices  de  M.  Villemain,  ministre  de  rinslruction  Publique ,  par  A.  E.  Egger, 
professeur  suppléant  à  la  Faculté  des  Lettres,  maître  de  conférences  à  l'École 
normale,  1  vol.  in-8.  Paris,  Hachette,  1843. 

Dans  l'impossibilité  de  recueillir  tous  les  fragments  de  l'ancienne 
latinité  épars  dans  un  si  grand  nombre  d'ouvrages ,  M.  Egger  a 
cherché  du  moins  à  en  composer  un  choix  qui  pût  jeter  quelque  jour 
sur  les  origines  et  les  vicissitudes  de  la  langue.  On  n'avait  pas  eu 
jusqu'ici  l'idée  de  réunir  en  un  seul  recueil  ces  monuments,  et  les 
savants  seuls  pouvaient  les  consulter  dans  des  collections  spéciales  ; 
aussi  les  élèves  de  nos  collèges,  et  même  des  humanistes  plus  expé- 
rimentés, se  contentaient  d'étudier  les  chefs-d'œuvre  de  la  littéra- 
ture latine,  sans  songer  à  rechercher  par  quels  essais  elle  est  arrivée 
successivement  à  ce  point  de  maturité  et  de  perfection.  On  connais- 
sait vaguement  les  efforts  tentés ,  vers  le  commencement  du  vi^  siè- 
cle, parLivius  Andronicus,  et  un  peu  plus  tard  par  Ennius,  pour 
adoucir  la  rudesse  de  la  langue  et  donner  à  la  poésie  une  forme  plus 
régulière.  On  retrouvait  encore  la  trace  de  ce  travail  dans  les  vers 
de  Lucrèce  et  de  Catulle  ;  mais  peu  de  gens  avaient  tenté  d'entrer 
dans  les  détails  de  cette  lente  réforme  par  la  comparaison  attentive 
des  textes.  Cette  étude  est  devenue  facile  aujourd'hui,  grâce  au  recueil 
de  M.  Egger.  On  y  trouvera  aussi ,  surtout  dans  la  première  partie, 
qui  comprend  les  fragments  de  quinze  grammairiens  antérieurs  au 
siècle  d'Auguste,  des  éclaircissements  importants  sur  la  formation 
grammaticale  et  le  sens  propre  d'un  grand  nombre  de  mots ,  et  l'on 
pourra  se  convaincre  que  tantôt  les  modernes  ont  laissé  s'introduire 
dans  les  lexiques  des  expressions  qu'aucun  exemple  ne  justifie ,  et 
que  tantôt,  au  contraire,  la  langue  latine  s'est  appauvrie  dans  nos 
livres  par  des  scrupules  exagérés.  Mais  ce  n'est  pas  là  le  seul  avan- 
tage qu'on  doive  se  promettre  de  la  lecture  des  Reliquiœ.  Ces  frag- 
ments, intéressants  pour  la  philologie,  sont  en  même  temps  des  docu- 
ments précieux  pour  l'histoire  ;  c'est  là  même  une  des  considérations 
sur  lesquelles  l'auteur  a  le  plus  insisté  dans  sa  préface,  et,  pour 
compléter  autant  que  possible  cette  galerie  historique,  il  a  joint  à  la 
fin  de  son  livre  quelques  ipiQiQeaux  originairement  écrits  en  latin ,  et 


410  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

dont  la  traduction  grecque  nous  est  seule  parvenue.  On  remarque 
aussi ,  à  la  place  que  leur  date  leur  assigne  parmi  les  fragments  des 
poëtes  et  des  orateurs,  plusieurs  pièces  législatives  presque  tombées 
dans  l'oubli  ou  reproduites  avec  peu  d'exactitude  dans  des  collations 
récentes.  Mais  surtout  nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  quelques 
pages  d'un  exemplaire  grec  du  testament  politique  d'Auguste,  dont 
M.  Egger  a  enrichi  son  volume  ,  grâce  à  une  nouvelle  découverte 
faite  sur  les  ruines  d'Ancyre  par  le  voyageur  anglais  Hamilton ,  et 
qui  comblent  heureusement  plusieurs  lacunes  du  texte  latin.  Chaque 
chapitre  est  précédé  d'une  notice  bibliographique  et  critique,  oii  l'au- 
teur a  réuni  en  peu  d'espace  les  renseignements  les  plus  nécessaires 
à  l'étude  de  ces  divers  monuments,  et  le  volume  se  termine  par  un 
index  où  toutes  les  formes  archaïques  sont  accompagnées  d'une  ex- 
plication en  langue  plus  vulgaire  et  qui  supplée,  autant  qu'il  est 
possible,  à  l'absence  d'une  annotation  continue. 

Tout  concourt  ainsi  à  faire  de  ce  recueil  un  livre  également  inté- 
ressant pour  les  littérateurs ,  les  historiens  et  les  jurisconsultes,  et  à 
le  rendre  digne  du  ministre  et  de  l'homme  de  lettres  éminent  qui  en 
a  fourni  lui-même  l'idée  première  à  l'auteur  et  sous  les  auspices  du- 
quel il  est  publié. 

MÉMOIRES  ET  DISSERTATIONS  SUR  LES  ANTIQUITÉS  NATIONALES  ET 
ÉTRANGÈRES ,  publiés  par  la  Société  royale  des  Antiquaires  de  France. 
Nouvelle  série.  Tome  VIP.  Paris,  1844,  in-8. 

La  Société  des  Antiquaires ,  qui  vient  de  livrer  à  la  publicité  le 
VIP  volume  de  ses  Mémoires ,  est  une  institution  qui  date  déjà  de 
loin.  Fondée  sur  les  débris  de  l'Académie  celtique,  elle  en  a  pendant 
quelque  temps  suivi  les  errements  d'une  manière  assez  complète. 
La  spécialité  de  ses  travaux  leur  assurait  du  moins  cette  part  d'es- 
time qui  s'attache  au  labeur  bien  intentionné  ;  Hominibus  honœ 
voluntaùs. 

Si  nous  parcourons  la  liste  des  personnes  qui  composent  la  Société 
actuelle,  nous  y  voyons  deux  membres  de  l'Institut,  beaucoup 
àhommes  de  lettres ,  et ,  nous  le  reconnaissons ,  aussi  quelques  ar- 
chéologues qui,  s'ils  ne  sont  pas  nombreux,  sont  assez  habiles 
pour  justiGer  le  titre  que  porte  la  compagnie  dont  ils  font  partie. 
D'un  autre  côté,  si  nous  jetons  les  yeux  sur  la  table  des  chapitres 
placée  à  la  fin  du  volume  que  nous  avons  entre  les  mains ,  nous 
voyons  avec  étonnement  que  parmi  les  auteurs  de  Mémoires,  les 
hommes  de  lettres  figurent  seuls.  Que  font  donc  les  antiquaires  de 


BIBLIOGRAPHIE.  4U 

profession  ?  Hélas  !  il  faut  le  dire ,  ils  travaillent  ailleurs.  Les  uns 
rédigent  la  Bibliothèque  de  V Ecole  des  Charles,  cet  excellent  et  solide 
recueil  ;  les  autres  portent  à  la  Revue  numismatique ,  au  Bulletin 
du  Bibliophile ,  au  Journal  de  ï Instruction  publique  et  au  Jour* 
nal  asiatique,  le  tribut  de  leurs  consciencieuses  recherches,  leurs 
découvertes ,  leurs  idées  brillantes.  Que  reste-t-il  donc  pour  former  le 
contingent  érudit  que  la  Société  enfante  laborieusement  tous  les  deux 
ou  trois  ans?  Le  volume  que  nous  avons  sous  les  yeux  est  là  pour 
nous  l'apprendre.  Et,  il  faut  le  déclarer  dans  l'intérêt  môme  de  la 
science ,  après  une  lecture  attentive  de  près  de  six  cents  pages  de 
Notices  et  de  Mémoires,  on  demeure  frappé  de  la  nullité  du  résultat. 

On  devine  la  lutte  continuelle  dans  laquelle  doit  épuiser  ses  forces 
un  comité  de  l'impression  composé  de  trois  hommes  intelligents , 
qui  se  sont  vus  obligés  de  mettre  au  bas  de  certaines  pages  des 
notes  qui  contredisent  les  assertions  imprimées  immédiatement  au- 
dessus.  Pourquoi ,  en  pareil  cas ,  ne  pas  obtenir  des  auteurs  la  sup- 
pression totale  du  passage  que  des  témoignages  formels  démentent? 
C'est  que  souvent  ces  passages  sont  inhérents  à  l'objet  même  du  tra- 
vail que  l'on  a  accepté,  afin  de  remplir  à  tout  prix  le  volume. 

Ce  que  l'on  remarque  tout  d'abord ,  c'est  que  les  écrivains  paraissent 
étrangers  à  la  matière  qu'ils  traitent,  et  semblent  croire  que  leurs 
œuvres  sont  destinées  à  être  lues  dans  les  boudoirs  ;  de  là  la  nécessité 
peureux  d'expliquer,  à  eux-mêmes  d'abord,  aux  autres  ensuite,  la 
signification  d'une  foule  de  mots  qui  sont  du  vocabulaire  habituel  de 
l'Archéologue.  Ainsi  (page  xxiij)  l'un  déclare,  dans  une  note  spéciale, 
que  le  quinaire  est  la  moitié  du  denier,  et  à  peu  près  de  l'épaisseur 
et  du  diamètre  d'une  pièce  de  25  centimes  de  notre  monmie  actuelle  ; 
que  le  sesterce  vaut  la  moitié  du  quinaire,  qu'il  est  beaucoup  plus 
mince  et  d'un  diamètre  moins  grand ,  ce  dont  on  ne  doutera  pas  dès 
l'instant  que  l'on  sait  qu'il  ne  vaut  que  la  moitié;  tout  de  suite  après 
nous  voyons  consigné  ce  fait  neuf,  à  savoir,  que  le  titre  d'Auguste 
n'était  porté  que  par  les  empereurs  régnants ,  et  celui  de  César  par 
leurs  héritiers  présomptifs.  Un  autre  dit  :  Adiabène ,  province  d'As- 
syrie. Plus  loin  (p.  15)  il  est  question  «  de  l'influence  qu'exercera  sur 
les  artistes  et  sur  les  hommes  de  litres  la  conviction  de  M.  Eugène 
Bareste  »  en  ce  qui  touche  le  sens  d'un  mot  grec;  l'éditeur  de  YAlma- 
nach prophétique  donné  comme  un  helléniste,  serait-ce  une  plaisante- 
rie par  hasard? 

Nous  pensons  plutôt  que  tout  cela  n'est  que  de  l'innocence  ;  mais 
Tious  avons  à  dire  autre  chose  d'une  Notice  sur  Roquefort,  dont  le 


412  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Style  trivial  dépasse  toutes  les  bornes  concevables.  Ce  sont  des  fils 
décédés  avant  leur  père  (  p.  cj  )  ;  des  correspondants  défunts  (p.  xcvi  ). 
L'auteur  de  la  Notice  remarque  que  «  M.  Philarète  Chasle  a  eu  bien- 
tôt fait  de  dire,  etc.  (p.  xcvij).»  Roquefort,  suivant  son  biographe, 
«  avait  malheureusement  fréquenté  certains  artistes  qui  l'entraînèrent 
dans  des  parto,  etc.  (p.  cj.)  »  Puis  c'est  une  phrase  ainsi  conçue: 
((  Une  circonstance  terrible  acheva  d'anéantir  Roquefort  ;  c'était  en 
«  1832,  lorsque  le  choléra  sévissait  avec  fureur  sur  notre  malheu- 
«  reuse  France,  et  que  cette  lie  de  la  population,  moins  soulevée  par 
«  le  fléau  dévastateur  qu'égarée  par  d'indiscrètes  proclamations , 
((  voulait  assouvir  ses  vengeances  (p.  cv.).  »  Il  ne  nous  a  pas  semblé 
que  l'insinuation  politique  que  renferme  cette  période  rachetât  ce  que 
sa  forme  a  de  défectueux  ;  nous  serions  surtout  très-empressé  de 
savoir  à  quoi  se  rapporte  le  pronom  démonstratif.  Pourquoi  ne  pas 
imiter  la  sage  réserve  du  rapporteur  de  1842,  M.  Guichard?  son 
travail  n'est  pas  sans  doute  celui  d'un  archéologue  consommé ,  mais 
il  est  clair,  d'un  ton  simple  et  parfaitement  écrit.  Nous  étendrons  cet 
éloge  à  une  notice  excellente  de  M.  Depping  sur  Gauttier  d'Arc ,  le 
moins  antiquaire  peut-être  de  tous  les  correspondants  de  la  docte 
société.  Voilà  certes  deux  morceaux  qui  sont  agréables  à  lire,  mais 
aussi  ne  sont-ils  pas,  nous  le  répétons ,  du  domaine  de  l'archéologie. 

Nous  avons  toujours  cru  que  l'on  ne  saurait  être  bibliothécaire 
sans  être  aussi  quelque  peu  bibliographe,  ou  bien  encore  que  la 
bibliographie  était  une  science  qui  consistait  à  transcrire  exactement 
le  titre  des  livres.  Il  nous  faut  renoncer  à  l'une  de  ces  deux  convic- 
tions, en  lisant  (p.  83)  dans  un  long  travail  sur  les  instruments  de 
musique,  le  titre  d'un  livre  de  Strutt  (appelé  Slruth  ici)  :  A  compleat 
(sic)  VI w  (sic)  ofthe  manners,  costums  (sic)  of  the  inhabitans  (sic) 
of  england  (sic).  Six  fautes  en  deux  lignes,  et  lorsqu'il  serait  si  facile 
de  consulter  plusieurs  confrères  qui  savent  l'anglais  comme  leur 
propre  langue!  Dans  la  même  dissertation  nous  trouvons  (p.  68),  à 
propos  d'un  instrument  de  musique,  «  le  nom  véritable  est  acetubula, 
en  grec  o^oêa!pa«;  nous  croirions  plus  correct  dédire  :  acetabula  et 
bl\k(x(s^oL  ;  mais  chacun  a  son  goût. 

c(  Les  Crotales ,  dit  le  môm^  écrivain ,  étaient  simplement  des 
grelots.  »  Et  à  l'appui  de  cette  assertion  il  cite  un  passage  de  J.  de 
Salibury  (îisejzSalisbury),  passage  qu'il  ponctue  mal.  Nous  aurions 
désiré  que  l'auteur  ajoutât  :  Si  l'on  a  appliqué  par  extension  le  nom 
de  crotales  aux  grelots,  il  est  certain  que  dans  l'antiquité  ce  nom, 
qui  exprime  l'idée  de  percussion ,  était  donné  aux  castagnettes,  instru- 


BIBLIOGRAPHIE.  413 

ment  que  nous  voyons  fréquemment  dans  les  mains  des  satyres  et 
des  ménades ,  et  qui  se  retrouve  sur  le  tympanum  de  la  statue  de 
Cybèle  du  musée  Pie-Clémentin. 

En  générïil ,  nous  croyons  que  l'écrivain ,  dont  nous  examinons  le 
travail ,  aurait  pu  consulter  avec  fruit  quelques  ouvrages  élémentaires 
d'archéologie. 

«  Chez  les  anciens,  dit-il  encore  (p.  73),  on  nomma  primitive- 
«  ment  pylhaules  des  joueurs  de  flûte  de  Pythie.  Plus  tard  on  désigna 
((par  ce  mot  l'instrument  que  nous  nommons  musette,  et  qui  était 
((  connu  de  l'antiquité ,  puisque  l'on  trouve  dans  la  Copa  de  Virgile  ; 

Ebria  formosa  saltat  tasciva  taberna. 
Ad  cubitum  raucos  excutiens  calamos. 

UvBocvÀ'nç  est  celui  qui  célèbre  sur  la  flûte  la  défaite  du  serpent  Py- 
thon vaincu  par  Apollon  ;  quant  aux  vers  attribués  à  Virgile,  nous  ne 
voyons  pas  bien  ce  qu'ils  établissent  en  faveur  de  la  musette.  De  ce 
qu'une  femme  ivre  souffle  dans  des  pipeaux  enroués,  nous  ne  sau- 
rions conclure  à  l'existence  de  telle  ou  telle  espèce  d'instrument. 
La  flûte  de  Pythie  n'en  reste  pas  moins  une  énigme. 

Après  la  citation  des  vers  de  la  Copa,  nous  ne  comprenons  pas 
quel  scrupule  peut  empêcher  l'auteur  de  rechercher  si  la  flûte  traver- 
sière  était  connue  de  l'antiquité  (p.  135).  Il  avait  d'ailleurs  à  indiquer 
un  monument  superbe,  la  coupe  d'argent  antique  dont  M.  Edouard 
Gerhard  a  publié,  à  Berlin  (Archœologische  Zeitung)^  une  excellente 
description ,  et  sur  laquelle  on  voit  cette  flûte. 

Nous  avons  encore  remarqué  ce  passage  :  ((  Parmi  les  instruments 
((  à  corde  de  cette  époque  reculée,  figure  le  circulus,  qui  devait  être 
((  une  harpe ,  d'après  le  passage  suivant  :  ((  Qui  harpatorem ,  qui  cum 
a  circulo  harpare  potest,  in  manu  perçussent.  »  Lex  Anglorum  Weteri- 
((  norum,  tit.  5,  §.  20.  Il  est  probable  que  le  circulus  devait  son  nom 
«  à  sa  forme  arrondie  (p.  74).  »  Cette  dernière  réflexion  ne  sera  cer- 
tainement contredite  par  personne;  mais  on  pourrait  entendre  autre- 
.  ment  le  latin  de  la  loi  germanique,  et  traduire  harpare  cum  circulo, 
jouer  d'un  instrument  à  corde  avec  un  archet.  Dans  tous  les  cas,  il 
aurait  fallu  écrire  leges  Angliorum  et  Werinorum,  il  ne  s'agit  ici  ni 
d'Anglais  ni  de  bêtes  de  somme  -,  mais  bien  de  deux  petits  peuples 
de  la  Germanie,  devenus  aujourd'hui  des  Saxons  et  .des  Mecklem- 
bourgeois.  Nous  voudrions  encore  in  manam  percusserit,  au  lieu  de 
in  manu;  les  Anglais  frappent  dans  la  main  de  leurs  amis,  assez  fré- 
quemment, mais  ils  ne  sont  pour  cela  condamnés  à  aucune  amende. 


414  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Nous  aurions  aussi  désiré  trouver,  à  l'article  du  Cromorne  (p.  138) 
l'explication  de  ce  mot,  qui  nous  paraît  être  le  krummhorn,  ou  cor 
recourbé  des  Allemands. 

Qui  a  jamais  connu  Vita  Saint-Yvonis  (sic),  auteur  d'un  ouvrage 
en  4  volumes ,  intitulé  le  Processus?  Assurément  il  faut  que  ce  per- 
sonnage inédit  figure  dans  le  catalogue  de  la  Bibliothèque  du  conser- 
vatoire detnusique,  car  nous  le  trouvons  mentionné  à  la  page  69  du 
Mémoire  sur  les  instruments.  Nous  prions  cependant  les  biblio- 
graphes, avant  de  transcrire  le  nom  de  l'auteur  du  Processus,  de 
consulter  les  Bollandistes;  ils  trouveront,  au  tome  IV  de  mai 
(p.  541),  un  chapitre  ayant  pour  titre  :  Processus  de  vitâ  et  miracuUs 
sancd  Yçonis,  et  qui  pourrait  bien  être  le  seul  acte  de  naissance  de 
l'écrivain  nouvellement  découvert. 

Après  ces  citations,  que  nous  pourrions  facilement  accroître, 
comment  avoir  le  courage  de  reprocher  à  l'auteur  du  Mémoire  quel- 
ques omissions?  Nous  ne  lui  demanderons  donc  pas  pourquoi  il  n'a 
rien  dit  de  l'Olifant,  qui  serait  peut-être  ce  cor  sarrazinois  qui  paraît 
si  fort  l'intriguer  (p.  146).  Nous  devons  plutôt  le  prévenir  que  le 
tahour  des  Arabes  et  des  Turcs  n'est  pas  un  tambour,  mais  une  man- 
doline à  très- long  manche. 

Un  jeune  voyageur  découvre,  en  visitant  les  catacombes  de  Naples, 
une  épitaphe  grecque  qu'il  copie,  et  la  Société  des  Antiquaires  s'em- 
presse de  la  publier  comme  inédite  (p.  50).  11  faut  peu  connaître 
l'Italie  pour  s'imaginer  qu'il  y  subsiste  quelque  chose  d'inédit,  et  dans 
le  cas  actuel  il  était  indispensable  de  consulter  les  ouvrages  où  pou- 
vait se  trouver  publiée  l'inscription  funéraire.  Le  plus  connu  de  tous 
c'est  le  Guida per  le  catacombe  di  S.  Gennaro  de'  poi^eri,  du  chanoine 
André  de  Jorio,  le  doyen  des  antiquaires  de  l'Italie.  L'épitaphe  de 
Charitosa  existe  dans  ce  volume,  gravée  en  très-gros  caractères, 
pi.  IV,  n"  3.  Elle  figure  encore  à  la  page  23  du  livre  de  Giuseppe 
Fusco,  intitulé  :  Dichiarazioni  di  alcune  iscrizioni  perdnend  aile  cata- 
combe di  S.  Gennaro  dei  Poveri,  Naples,  1839  ;  et  nous  apprenons  de 
M.  Fusco  que  cette  même  inscription,  publiée  il  y  a  longtemps  par 
Martorelli ,  a  été  l'objet  d'excellentes  observations  dues  à  Pelliccia.  Le 
mot  inédit,  qui,  seul,  donnait  quelque  prix  à  la  plus  ordinaire  de 
toutes  les  épitaphes  déjeunes  filles  était  donc  de  trop. 

Nous  avouons  que  nous  n'avons  pas  pu  lire ,  avec  la  liberté  d'esprit 
nécessaire,  les  quarante-cinq  pages ,  suivies  des  soixante-treize  pages 
de  pièces  justificatives  qui ,  réunies ,  constituent  les  Recherches  sur  la 
grande  confrérie  Notre-Dame;  nous  espérons  que  l'auteur  remplira 


BIBLIOGRAPHIE.  4l5 

bientôt  la  promesse  qu'il  a  faite  de  consacrer  un  Mémoire  aux  repré- 
sentations théâtrales  qui  furent  exécutées  à  Paris  par  les  différentes 
confréries;  il  nous  le  doit  pour  nous  dédommager  des  soixante- 
treize  pages  de  pièces  justificatives  à  qui  il  ne  manque  que  d'être 
justifiées.  Nous  ne  ferons  non  plus  aucune  observation  sur  les 
«Origines  du  mont  Saint-Michel»  (p.  349),  car  un  homme 
d'un  grand  mérite  a  fait  suivre  ce  travail  d'une  excellente  note 
oii  il  répond,  avec  l'autorité  que  donne  une  vaste  érudition  ,  à  des 
assertions  que  nous  eussions  repoussées.  Nous  regrettons  seulement 
qu'il  n'ait  pas  averti  l'auteur  des  Origines  que  M.  Maximilien  Raoul , 
auquel  il  s'en  prend,  n'est  qu'un  être  imaginaire  forgé  par  un  caprice 
de  M.  Letellier. 

On  trouvera  peut-être  que  nous  sommes  sévère  dans  notre  examen; 
mais  on  devra  comprendre  quels  ont  été  notre  désappointement,  notre 
douleur,  en  trouvant  ce  que  nous  venons  de  relever,  dans  un  livre  oii 
nous  cherchions  des  travaux  pleins  d'érudition,  et  tels  qu'on  en  doit 
attendre  d'une  compagnie  qui  pourrait  être  l'une  des  plus  savantes  de 
France.  On  ne  nous  accusera  pas  d'aimer  les  personnalités,  nous 
n'avons  nommé  aucun  des  auteurs  que  nous  critiquons  ;  c'est  qu'aussi 
nous  nous  en  prenons  à  la  société  tout  entière  qui,  d'après  le 
titre  même  de  son  recueil,  publie  les  Mémoires,  et  qui  devrait  veiller 
à  leur  impression ,  à  leur  rédaction ,  et  attendre  s'il  le  fallait  dix  an- 
nées pour  composer  un  volume,  plutôt  que  de  s'exposer  à  perdre  le 
renom  dont  elle  a  joui  en  se  rendant  solidaire  de  travaux  d'une  mé- 
diocrité qui  indigne. 

Quoi  !  nous  trouvons  à  la  fin  de  votre  volume  la  liste  de  dix  aca- 
démies étrangères  qui  échangent  avec  vous  leurs  publications  I  Que 
vont-elles  dire,  hélas!  E.  N. 

DICTIONNAIRE  ICONOGRAPHIQUE  DES  MONUMENTS  DE  L'ANTIQUITÉ  CHRÉ- 
TIENNE ET  DU  MOYEN  AGE,  par  L.-J.  Guenebault.  Paris,  Leieux,  1844. 

Tous  les  peuples  de  l'Europe,  après  l'introduction  du  christianisme, 
ont  subi,  avec  plus  ou  moins  de  différence,  les  mêmes  modifications 
dans  leurs  usages,  leurs  mœurs  et  leurs  symboles,  lors  des  invasions 
des  Barbares,  aux  III,  IV  et  V"'  siècles  de  notre  ère.  On  est  con- 
venu de  donner  au  temps  qui  s'est  écoulé  depuis  les  premières  no- 
tions historiques  que  la  science  a  pu  recueillir,  jusque  vers  le  V*"  siècle, 
le  nom  ^'antiquité.  Là  où  finit  l'antiquité  commence  le  moyen  âge 
qui,  lui-même,  a  fini  aux  temps  modernes ,  et  la  période  intéressante 
désignée  par  cette  appellation  date  de  la  chute  de  l'empire  grec  et  la 


416  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

prise  de  Constantinople  par  Mahomet  II ,  empereur  des  Turcs ,  au 
milieu  du  XV"  siècle  (1453). 

Le  moyen  âge  est  l'époque  oii  la  philosophie,  les  sciences  et  les  arts 
vinrent  se  réfugier  dans  les  cloîtres  et  dans  les  cathédrales,  près  des- 
quels, sous  le  patronage  de  prélats  éminents  en  vertus  et  en  science, 
se  formèrent  les  premières  universités,  et  d'où  elles  furent  tirées  par 
ces  hommes  illustres  qui  préparèrent  ce  qu'on  appelle  la  renaissance, 
dans  le  XV  et  le  XVP  siècle;  époque  brillante,  mais  qui  ne  peut 
échapper  au  reproche  d'avoir  introduit  dans  l'architecture  religieuse 
toutes  les  réminiscences  archaïques  de  l'art  païen. 

L'histoire  a  démontré  que  les  inventions  utiles,  perfectionnées  plus 
tard,  datent,  pour  la  plupart,  du  moyen  ège;  ainsi,  la  boussole,  la 
peinture  à  l'huile,  la  poudre  et  les  canons,  la  gravure  sur  bois  et  sur 
cuivre,  la  taille  du  diamant,  les  lunettes,  l'imprimerie,  etc.,  furent 
découverts  dans  la  période  du  XIP  au  XVl*^  siècle.  Mais  le  vrai  carac- 
tère distinctif  du  moyen  âge,  c'est  la  grande  importance  de  l'archi- 
tecture religieuse,  qui  se  divise,  du  IV*'  au  XVP  siècle,  en  deux 
genres  :  le  roman,  et  celui  improprement  appelé  gothique. 

Depuis  quelques  années,  nous  sommes  témoins  d'un  mouvement 
intellectuel  qui  entraîne  les  esprits  vers  l'étude  des  monuments  du 
moyen  âge,  et  l'on  éprouve  un  besoin  insatiable  de  connaître,  d'ap- 
prendre et  de  savoir.  Il  n'est  plus  permis  aujourd'hui  de  contester 
l'utilité  ni  l'intérêt  qu'offre  l'étude  de  l'art  chrétien  :  de  toutes  parts 
on  s'en  occupe  avec  amour  et  avec  succès.  L'archéologie  monumen- 
tale et  l'iconographie,  qui  est  une  de  ses  branches,  font  maintenant 
partie  de  l'enseignement;  elles  ont  leurs  cours  et  leurs  professeurs 
spéciaux. 

Pour  satisfaire  plus  facilement  les  recherches  inspirées  par  cette 
effervescence  d'un  amour  désintéressé  pour  nos  monuments  natio- 
naux et  pour  ces  ruines  vénérables  dont  la  présence  rappelle  tant  de 
glorieux  souvenirs  et  perpétue  des  autorités  traditionnelles  dont  la 
trace  semblait  naguère  vouloir  se  perdre  er)  France  ,  il  manquait  à  la 
science  archéologique,  telle  qu'on  la  cultive  aujourd'hui,  un  réper- 
toire ou  manuel  général  qui  présentât  dans  un  cadre  étroit  et  avec 
une  définition  rapide,  facilement  saisissable,  les  productions  des  arts, 
et  les  écrits  des  auteurs  qui  en  ont  parlé,  ou  dans  lesquels  ils  sont 
reproduits  par  le  dessin  ou  la  gravure,  tout  en  indiquant  l'état  de  l'art, 
de  la  civilisation  et  de  tout  ce  qui  constitue  l'iconographie  des  monu- 
ments dans  ses  ramifications  diverses  pendant  l'espace  de  quinze  siècles 
qui  s'écoulèrent  depuis  la  fin  du  Bas-Empire  jusqu'à  la  fin  du  XVP. 


I 


BIBLIOGRAPHIE.  417 

Un  homme  modeste  et  laborieux  vient  de  combler  cette  immense 
lacune,  en  dotant  les  archéologues  de  cet  important  monument  litté- 
raire, qui  leur  abrégera  bien  des  recherches.  Les  six  premières  livrai- 
sons formant  le  premier  volume  du  Dictionnaire  iconographique  des 
Monuments  de  V antiquité  chrétienne  et  du  moyen  âge,  etc.,  par  L.-J. 
GuENEBAULT,  sout  cu  Vente  et  ont  été  publiées  dans  l'espace  de 
quelques  mois,  ce  qui  laisse  espérer  que  le  second  et  dernier  volume 
se  fera  peu  attendre. 

Cette  vaste  et  utile  entreprise  a  coûté  à  M.  Guenebault,  homme  de 
conviction  profonde,  vingt  années  de  patientes  et  consciencieuses  re- 
cherches, dont  la  seule  pensée  étonne  ;  car,  quel  courage  ne  lui  a-t-il 
pas  fallu  pour  dépouiller  le  nombre  immense  de  rares  et  beaux  livres  à 
figures,  publiés  jusqu'à  ce  jour  dans  tous  les  paysde  l'Europe,  et  les  ana- 
lyser ;  traiter  avec  tant  de  constance  et  de  soins  un  travail  dont  la  matière 
inépuisable  ne  pourra  jamais,  il  faut  en  convenir,  être  contenue  dans 
les  deux  volumes  in-S**  compacts,  petit-texte  et  à  deux  colonnes,  qu'il 
nous  offre?  11  prend  son  point  de  départ  aux  catacombes,  et  déroule  ce 
grand  panorama  monumental  en  s'appuyantde  citations  toujours  prises 
aux  sources  primitives.  Son  livre  est  un  immense  inventaire  énumé- 
rant  par  ordre  alphabétique  tout  ce  qui  peut  servir  à  constater  la  vie 
publique  et  religieuse  des  peuples,  les  découvertes,  le  mouvement 
des  intelligences  dans  les  vieux  âges ,  et  les  progrès  dans  les  arts,  qui 
annoncent  la  civilisation  perfectionnée;  les  rites,  les  cérémonies  litur- 
giques, etc.  :  c'est  véritablement  un  rudiment  universel ,  oii  l'histo- 
rien, l'artiste,  l'industriel  et  tous  ceux  qui  aiment  les  études  graves, 
découvriront  en  un  instant  les  sources  où  ils  devront  puiser  pour 
trouver  ce  qu'ils  chercheraient  longtemps  et  souvent  sans  succès  dans 
une  multitude  de  livres.  Cet  ouvrage  sera  aussi  pour  les  érudits  un 
mémoire  supplémentaire  qui  leur  rappellera  incontinent  ce  qui  au- 
rait pu  échapper  à  leurs  souvenirs. 

Le  christianisme,  qui  a  produit  à  lui  seul  plus  de  bien  que  toutes 
les  institutions  purement  humaines,  et  qui  a  inspiré  le  génie  dans 
tous  les  siècles,  déploie  toutes  ses  splendeurs  dans  l'ouvrage  de 
M.  Guenebault,  depuis  la  Vaste  cathédrale  et  l'antique  abbatiale  jus- 
.qu'à  la  plus  modeste  chapelle.  Puis,  viennent  les  objets  sacrés  du 
culte  et  de  la  liturgie  catholiques  :  les  vêtements  et  les  insignes  des 
évêques  et  des  prêtres;  les  vases  sacrés,  les  reliquaires,  les  saintes 
images  et  autres  objets  à  l'usage  du  sacerdoce;  les  tableaux,  statues, 
autels ,  diptyques,  triptyques,  missels,  etc.  Or,  présenter  ainsi  le  ca- 
talogue de  tout  ce  que  les  hommes  voués  aux  arts  et  pleins  de  foi  ont 


418  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

essayé  dans  tous  les  temps  pour  honorer  Dieu ,  c'est  le  servir  et  Tho- 
norer  :  c'est  prouver  que  le  génie  ne  se  développe  jamais  plus  noble- 
ment et  plus  glorieusement  que  sous  l'empire  du  sentiment  religieux; 
car  la  foi,  loin  de  dédaigner  les  arts  et  leur  séduisant  prestige,  les  ap- 
pelle, les  encourage  et  les  honore.  Néanmoins,  le  livre  de  M.  Guene- 
bault  renferme  une  foule  de  renseignements  précieux  dans  un  autre 
ordre  d'idées  ;  ses  minutieuses  recherches  seront  accueillies  avec  em- 
pressement et  mises  à  profit  par  tous  les  hommes  sérieux  qui  s'occu- 
pent des  productions  de  l'art ,  quelle  que  soit  d'ailleurs  leur  façon  de 
penser.  Des  notes  bibliographiques,  critiques  ou  technologiques,  pla- 
cées au  bas  des  pages,  offrent  de  curieux  détails,  ou  des  définitions 
courtes  et  claires,  de  ce  qui  n'a  pu  être  expliqué  dans  la  rapide  conci- 
sion que  comportent  nécessairement  les  articles  d'un  dictionnaire. 

Après  avoir  exposé,  avec  une  impartiale  justice,  la  haute  impor- 
tance du  livre  de  M.  Guenebault,  ce  ne  sera  pas  sortir  des  bornes 
d'une  sage  critique,  si  nous  exprimons  la  pensée  que,  dans  un  ouvrage 
aussi  sérieux ,  l'auteur  aurait  pu  citer  de  meilleures  productions  que  les 
gravures  de  Y  Unwer  s  pittoresque,  publié  par  MM.  Didot  frères,  et  celles 
de  la  France  monamenlale,  de  M.  Abel  Hugo.  Toutefois,  nous  serions 
trop  sévère  si  nous  relevions  avec  rigueur  quelques  noms  propres  mal 
orthographiés  et  quelques  erreurs  typographiques  échappées  à  la  cor- 
rection d'une  matière  si  ardue,  et  d'un  texte  aussi  compliqué.  Ces  légères 
imperfections  notent  rien  à  l'excellence  de  cette  publication  conscien- 
cieuse. 

Quand  on  songe  à  ce  qu'il  a  fallu  à  M.  Guenebault  de  soins,  de  com- 
paraisons, de  révisions  pour  comprendre  dans  son  œuvre  les  châteaux 
forts,  les  maisons,  les  édifices  publics,  les  théâtres,  les  cirques,  les 
colonnes,  les  obélisques,  les  arcs  de  triomphe,  les  tombeaux  ;  tout  ce 
qui  tient  à  la  numismatique,  à  la  paléographie,  à  la  glyptique,  la 
plastique ,  la  mosaïque ,  à  l'étude  des  meubles ,  des  ustensiles  reli- 
gieux, civils,  domestiques  et  funéraires  :  combien  il  lui  a  fallu  de 
persistance  pour  réunir  tant  de  matières  diverses  ;  on  en  vient  à  se 
rappeler  ces  immenses  travaux  exécutés  jadis  dans  le  recueillement  des 
cloîtres  par  les  studieux  bénédictins  :  miracles  de  patience  qui  épou- 
vantent notre  futilité. 

En  somme ,  le  Dictionnaire  iconographique  de  M.  Guenebault ,  qui 
résume  des  milliers  de  volumes,  tiendra  une  place  honorable  parmi  les 
œuvres  utiles  de  notre  époque,  où  l'étude  de  l'art  chrétien  a  repris 
son  rôle  et  son  rang  comme  au  temps  des  congrégations  religieuses  à 


BIBLIOGRAPHIE.  419 

qui  nous  devons  nos  grandes  et  magnifiques  collections  historiques. 
Ce  livre  sera  classé  dans  les  bibliothèques  parmi  les  plus  usuels. 

Troche. 

louis  et  charles  ducs  d'orléans ,  leur  influence  sur  les  arts , 

LA  LITTÉRATURE  ET  L'ESPRIT  DE  LEUR  SIÈCLE  ,  d'après  les  Documents 
originaux  et  les  Peintures  des  Manuscrits ,  par  Aimé  Champollion  Figeac  ,  pre- 
mière et  deuxième  partie.  —  Paris,  Comptoir  des  Imprimeurs-Unis,  1844,  in-8. 

L'auteur  de  cet  ouvragé  a  eu  la  très-heureuse  idée  de  faire  l'histoire 
d'un  siècle  comme  nous  voudrions  voir  faire  toute  l'histoire  de  France, 
à  l'aide  des  monuments.  Ce  sont  les  chartes,  les  comptes  de  dépenses, 
les  quittances,  les  inventaires,  les  vignettes  de  manuscrits  qu'il  range 
dansun  ordre  méthodique  et  dont  il  tire  des  faits  parfaitement  certains  et 
authentiques,  qui  viennentainsi  enrichir  d'autant  l'histoiregénérale.  On 
se  fait,  après  avoir  lu  celivre,  une  plus  juste  idée  des  mœurs  féodales, 
artistiques,  du  commerce,  des  manufactures,  des  jeux,  des  chasses, 
de  la  littérature  des  XIV'  et  XV^  siècles  ;  et  il  n'est  pas  un  peintre 
ou  un  romancier  qui  ne  trouvât  à  puiser  dans  cette  mine  abondante 
des  renseignements  de  toutes  espèces.  Si  cet  ouvrage  précieux  était 
fait  par  tout  autre,  nous  nous  en  tiendrions  à  l'éloge  que  nous  venons 
d'en  tracer,  mais  M.  Aimé  Champollion  porte  un  grand  nom,  et 
nous  devons  attendre  beaucoup  de  lui.  Aussi  lui  reprocherons-nous 
de  n'avoir  pas  donné  une  explication  assez  détaillée  des  planches  qui 
ornent  son  livre.  Six  pages  pour  commenter  trois  cents  sujets  (céré- 
monies, portraits,  sceaux,  devises,  voyages,  tournois,  repas, 
costumes,  musique,  architecture,  navigation,  caricatures,  vénerie, 
armes),  cela  ne  nous  a  pas  suffi,  et  nous  demandons  avec  instances  à 
l'auteur  de  nous  donner  un  chapitre  de  plus,  pour  nous  dire  l'origine 
et  la  signification  complète  de  toutes  ces  représentations ,  à  la  vue 
desquelles  la  curiosité  est  excitée  au  plus  haut  degré,  sans  pouvoir 
toujours  se  satisfaire. 

Nous  tenions  à  signaler  dès  aujourd'hui  ce  livre  de  M.  Cham- 
pollion aux  lecteurs  de  la  Revue;  mais  nous  le  leur  ferons  mieux 
connaître  encore,  en  en  extrayant  quelques  dessins  très-curieux  qui 
nous  ont  paru  donner  matière  à  un  article  spécial. 

NOTRE-DAME  D'AJACCIO,   ARCHÉOLOGIE,    HISTOIRE   ET  LÉGENDES,    par 
Alex.  Arman,  etc.  —  Paris,  LeIeux,  1844,  in-8. 

Nous  devons,  à  notre  grand  regret,  protester  contre  le  titre  même 
que  porte  ce  volume.  En  effet,  il  n'y  est  guère  question  d'archéolo- 


420  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

gie;  c'est  une  description  agréable ,  semée  d'anecdotes  intéressantes , 
à  propos  d'églises,  de  construction  évidemment  très-moderne. 
L'auteur  a  longtemps  habité  la  Corse ,  il  a  recueilli  de  la  bouche  des 
habitants  des  traditions  qu'il  reproduit;  mais  ces  traditions  ne  remon- 
tent pas  au  delà  des  années  qui  ont  vu  naître  ceux  qui  les  lui  ont 
fournies.  Nous  dirons  encore ,  au  risque  de  passer  pour  sévère,  que 
le  style  de  M.  Arman  est  empreint  d'italianismes  qui  pourraient  être 
excusés  à  Bastia  ou  à  Corte ,  mais  qui ,  pour  notre  continent ,  sont 
quelquefois  incompréhensibles.  Après  tout,  au  point  de  vue  de  l'his- 
toire contemporaine,  la  notice  sur  N.-D.  d'Ajaccio  renferme  des 
renseignements  intéressants  ^  quelques  pages  nous  font  connaître  des 
détails  curieux  des  mœurs  de  cette  île  si  pittoresque  et  si  peu  explorée. 
En  somme,  si  l'on  ne  trouve  pas  dans  la  publication  de  M.  Arman 
la  description  architecturale  des  églises  de  la  Corse,  ni  l'explication 
des  sculptures  et  des  peintures  qui  les  ornent,  on  y  rencontre  avec 
quelques  traits  historiques  empruntés  à  Moréri ,  des  idées  sages  sur 
les  améliorations  à  introduire  dans  l'administration  et  une  juste  ap- 
préciation des  efforts  que  quelques  esprits  généreux  tentèrent  à 
diverses  époques  pour  le  bien  de  la  Corse.  Ce  livre  peut  donc 
être  lu  avec  plaisir,  même  après  l'excellent  Voyage  eu  Corse  de 
M.  Prosper  Mérimée. 


IVOlJTEliliES  PUBIilCAXIOlVS  ARCHÉOIiOC^IQlJi:!». 

Bibliothèque  de  V École  des  chartes,  6^  liv.,  juillet-août,  in-8\  Paris, 
rue  de  Verneuil,  51. 

Bulletin  monumental,  publié  par  la  Société  française  pour  la  con- 
servation et  la  description  des  monuments  nationaux,  et  dirigé  par 
M.  de  Caumont;  (i^  liv.,  1844.  Paris,  Derache. 

Dictionnaire  iconographique  des  monuments  de  l'antiquité  chré- 
tienne et  du  moyen  âge,  par  L.-J.  Guenebault,  6«  liv.  contenant  la 
fin  du  tome  I",  grand  in-8°.  Paris,  Leleux. 

Journal  des  Savants,  août  1844,  in-4°.  Paris,  Artus-Bertrand. 

Archéologie  celto-romaine  de  l'arrondissement  de  Châtillon-sur- 
Seine  (Côte-d'Or),  par  M.  J.-B.  Leclerc,  dessins  de  M.  Gaveau,  in-4». 
Paris,  Anselin. 

British  archeological,  Quarterly  journal,  n**  2,  june  1844,  London. 


REYUE 


ARCHÉOLOGIQUE 

pu  RECUEIL 

DE  DOCUMENTS  ET  DE  MÉMOIRES 

RELATIFS  A  l'ÉIDDE  DES  MOPMEMS  ET  A  LA  PHIIOIOGIE 

DE  l'antiquité   et   DU   MOYEN   AGE 

PUBLIÉS  PAR  LES  PRINCIPAUX  ARCHÉOLOGUES 

FRANÇAIS    ET    ÉTRANGERS 

ET    ACCOMPAGNtS 

DE  PLANCHES  GRAVÉES  D'APRÈS  LES  MONUMENTS  ORIGINAUX 


SECONDE    PARTIE 

DU   15  OCTOBRE   1844  AU   15  MARS  1845 


PARIS 
A.  LELEUX,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

BUE  PIERREtSAR&AZIN  ,   !> 

1845 


DE  LIMPRIMERIE  DE  CRAPELET, 

BUE  DE  VAUGIRARD  ,  N"  9. 


TABLE  DES  MATIERES 

CONTENUES  DANS  LA  DEUXIÈME  PARTIE  (Octobre  1844  a  Mars  ms.) 


DOCUMENTS  ET  MEMOIUES. 

JPÀGES 

Voyages  et  recherches  Archéologiques 
de  M.  Le  Bas,  de  l'Institut,  en  Grèce  et  en 
Asie  Mineure,  pendant  les  anne'es  18^3  et 
i844i  ^*»  ^*  rapports  à  M.  le  Ministre 
de    l'Instruction    publique,    4^'  »  ^29,  706 

SxjB  l'usvge  des  anciens  de  consacrer  la  sta- 
tue d'un  dieu  à  un  autre  dieu,  par  M.  Le- 
tronne ,  de  l'Instilut 4^9 

Vase  fabriqué  en  Egypte  pendant  la  do- 
mination perse  ,  par  M.  de  ï.ongpe'rier 444 

Lettre  de  M.  P-  Le  Bas  à  M.  Guigniaut  , 
sur  le  nombre  d'inscriptions  ine'dites  qui 
existent  à  Atljènes 4^* 

Figurine  de  bronze  du  cabinet  de  M.  le 
▼icomte  de  Jessaint,  parM.  deLongpe'rier.  458 

Peinture  symbolique  de  l'Annonciation, 
par  M.   A.  Maury    ^62 

Observations  sur  l'âge  du  porche  de 
jVotre-Dasie-Des-Doms  d'Avignon,  par 
M.  J.  Courtet 4?^ 

Su»  les  noms  grecs  de  Cléophas  et  de 
Clfopas  ,  par  M.  Letronne 4^^ 

Inscription  découverte  en  i8:j2  a  Mar- 
SAL,  explique'e  par  M-  deSaulcy,  de  Tins.  49^ 

Sur  l'Époque  du  vase  d'Artaxebce,  par 
M.  A.  de  Longpe'rier 49^ 

Des  Divinités  et  dis  Génies  pstchopom- 
PES  ,  par  m.  a.  Maury 5oi,58i,657 

Keliquaire  de  saint  Charlemagne  ,  ex- 
plication de  la  PI.  XV,  par  M.  A.  de  Long- 
pe'rier   525 

î<0UVELLFS  OBSERVATIONS  sur  l'âge  du  por- 
che  de  Notre-Dame-des-Doms,  par  M.  P. 
Me'rime'e ,  de  l'Institut 533 

îSoTiCE  sur  une  coupe  ARABE,  explication 
de  la  PI.  XVI,  par  M.  A.  de  Longpérier .   538 

Un  dernier  mot  sur  le  prétendu  coeur 
DE  s  vint  Louis 546 

Commission  des  monuments  historiques, 
institue'e  au  Ministère  de  l'Intérieur,  or- 
ganisation administrative  et  travaux  par 
M.  K.  Grille  de  Beuzelin 549 

Les  Tumulus  de  Djebel  el  Akhdhar,  par 
M.  A.  de  Longpe'rier 565 

Extraits  des  dernières  lettres  du  docteur 
Lepsius , 573 


PAGES 

Nouvelles  observations  sur  l'âge  du 
porchedeNotre-Dame-des-Doms,  par  M.  J. 
Courtet ". 602 

Vitrail  de  l'abbaye  de  Saint-Denis  ,  re- 
présentant l'abbé  Suger,  explication  de  la 
planche XVIII,  par  M.  A.-M 606 

Note  sur  une  gravure  en  bois  de  1418, 
par  M.  le  baron  de  ReifFenberg 611 

Sur  la  Mécanique  des  anciens  Egyp- 
tiens ,  par  M.   Letronne 64a 

Scènes  delà  psychostasie  homérique, par 
M.  de  Witte  ,  corresp.  de  l'Institut 6'47 

Extrait  d'une  lettre  du  docteur  Lepsius  à 
M.  Letronne 678 

Lettre  a  l'Editeur  de  la  Revue  Archéo- 
logique ,  par  M.  Le  Bas 686 

Tableau  de  saint  Louis,  explication  de 
la  PI    XX ,  par  M.  L.-J.  Guénebault 691 

Archéologie  Egyptienne,  lettreà  M.  Cliam- 
pollion-Figcac ,  par  M.  Prisse ...   723 

Lettre  a  M.  Letronne  sur  les  actes  d'ado- 
ration ,  ou  proscynèmes,  par  M.  de  Saulcy, 
accompagnée  de  sept  Planches 734,  785 

Lettre  a  M.  de  Saulcy  sur  l'époqne  d'un 
proscynème  démotique,  par  M,  Letronne.  748 

Arbre  de  JessÉ  ,  explication  des  PI.  XXI  et 
XXII ,  par  M.  A.  Maury 755 

Lettre  de  M.  Egger  a  l'Éditeur  de  la 
Revue  Archéologique 760 

Lettre  a  M.  Hase  sur  les  antiquités  de  la 
régence  de  Tunis  ,  par  M.  Pellissier 810 

Observations  historiques  et  géographi- 
ques sur  l'inscription  d'une  borne  mil- 
liaire  qui  existe  à  Tunis ,  par  M.  Le- 
tronne  820 

Sur  un  Fragment  d'une  des  Statues  du 
ParthÉnon  ,  par  M.  P.  Mérimée 832 

Lettre  de  M.  Le  Bas  au  rédacteur  du 
Moniteur  grec •  837 

Note  sur  quelques  briques  vernissées 
du  musée  de  Sèvres 840 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES. 

Tombeau    antique    découvert    à    Neuvy 
(Indre) 47*» 


TABLE  DES  MATIERES. 


PAGES 

Construction  romaine  decouv.  àWîtpes.  477 

Inscription  trouvée  à  Avignon 47^ 

Don  (le  M.  E.  Guillemotau  musée  deCluny.  479 
Restauration  de  l'église  de  Voullpn. . . . ,  479 
Temples  de  Cérès  Augusta  découvert  dans    • 

l'île  de  Côs 556 

Ruine  de  l'antique  Icosium Ib. 

Objets  antiques  découverts  à  Ciudad-Réal 

(Kspagne) 557 

Fouilles  a  Steenbosch Ib. 

ToMBFAux  découverts  dans  la  cathédrale  de 

^  Troyes a Ib. 

Épée  remarquable  trouvée  dans  la  pro- 
vince de  Luxeni])Ourj> 568 

Ange  de  la  flèche  de  l'Horloge  de  Notre- 
Dame  de  Laon 559 

Église  de  Saint-Julien  a  Tours,  à  vendre.  //;. 
Chapiteaux  du   Cloître  Dts   Ctî-ESTiNs 

à    Paris ; .    Ib. 

DÉPART  DE  M.  J.-J.  Ampère  pour  l'E- 
gypte      Id. 

FOUII.»  ES  DE  NiNIVE 6l4 

Inscriptions     grecques     découvertes     à 

Alexandrie. . .    Id. 

Restauration  de  l'abc  romain  de  Saintes    Id. 

MpdaILLi  s  Iniuvées  à  Nugent. /(/. 

MONLMENTS   DE    Toi;RS 6l5 

Vente  di:  la  collection  des  médailles 

DE   LA  BVCTRIA.VE 6l6 

DiSTBiBrjTlcN  DE  MKDAILI.ES  de  la  commis- 
sion des  monuments  historiques Id. 

Travaux  exécutés  à  l'église  de  Sainl-Spire 
de  Corbeil. .    Id. 

Restauration  du  portail  de  l'église  de 
Mailly 6j7 

Achats  faits  par  le  cabinet  des  anti- 
Qnts   de  la   Bibliotlièque  royale Id. 

Don  de  m.  Prisse  à  la  Bibliothèque  royale.  (jgS 

Restauration  du  palais  constantinien  , 
à  Trêves Id- 

Mosaïque  découverte  près  de  Paiji 696 

Bateau  romain  découvert  à  Clierchell..  . .    Id. 

Restauration  de  l'église  de  Munster.  .  697 

Nouvelles  de  M.  Botta Id. 


VJlGES 

Académie  des  Inscbiptions  et  Belles- 
Lettres,  élections  du  10  et  17  janvier. .    Id. 

Fouilles  à  Saint-Rivérien 698 

Découverte  faite  par  M.  Ed,  Grasset ,  à 
Janina Id. 

Extrait  d'une  lettre  de  M.  Gargallo 
Grimaldi  a  m.  De  Witte,  sur  les  fouil- 
les exécutées  à  Pérouse 761 

"Vente  de  la  collection  des  vases  du 
prince  de  Canino Id. 

Destruction  du  vase  Portland  au  Bri- 
TisH  Muséum, 762 

Anneau  d'or  trouvé  à  Tunis Id. 

Détails  sur  une  maison  du  XV"  siècle ,  à 
Tours Id. 

Nécrologie.  —  E.  Grille  de  Beuzelin 8^3 

Inscription  trouvée   a  Marseille.' Ib. 

Don  de  m.  le  duc  de  Luynes  au  départe- 
ment des  médailles  de  la  Bibliot.  royale. .  S!\^ 

Monnaies  trouvées  sur  les  bords  de  l'Adouf.   Ib. 

Émm  X    pu  CHATEXU  DE  MaDRID 8^5 

Académie  royale  des  Sciences  ue  Berlin.  Ib. 

Nouvelles  de    M.  Ampère Ib. 

Tableau  de  smnt  Loiis Ib. 

Vente  de  Vases  peints  du  Prince  de  Canine  Ib. 

BIBLIOGRAPHIE. 

Publications  nouvelles,  484»  56o,  627,  628, 

704,  784 
Ouvrages  dont  il  a  été  rendu  compte  dans 
ce  volume  : 

Annales  de  l'Institut  archéologique  , 
t.  XV,  1er  cahier. .  . .  •  . 4^'' 

Analy.se  d'une  dissertation  du  profes- 
seur Kugler  sur  les  basiliques  chré- 
tiennes   618 

Description  des  terres  cuites  nu  musée 
DE  Beuliv  ,  par  M.  Th.  Panoilta 699 

Introduction  A  l'histoire  du  bouddhisme 
INDIEN  ,  par  M.  E.  Burnouf 764 

Elite  des  monuments  céramographiques, 
par  MM.  Lenormant  et  De  Wille.  .   776,  8!{fi 

Revue  de  Philologie , 852 


VOYAGES  ET  RECHERCHES  ARCHÉOLOGIOUES 

»E  M.   LEBAS,   MEMBRE  DE   l'iNSTITUT, 

EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE, 

PENDANT  LES  ANNÉES   J843  ET   1844. 


CINQUIÈME  RAPPORT  A  M.  LE  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE. 


TRAVAUX  A  MESSÈNE.  —  ENCEINTE  FORTIFIÉE  d'ÉPAMINONDAS  ,  SES  INTERRUPTIONS ,  IDÉES 
A  CE  SUJET.  —  SOUBASSEMENTS  DE  TEMPLES.  —  FOUILLES  EXÉCUTÉES  A  SPELOUZA  , 
TEMPLE  DÉCOUVERT,  INSCRIPTIONS,  CONJECTURES.  —  AUTRES  INSCRIPTIONS  FRAGMEN- 
TAIRES DE  SUJETS  DIVERS.  —  INSCRIPTIONS  MODERNES  DU  COUVENT  DE  l'iTHÔME  ET  DU 
MONASTÈRE  DE  VULCANO. — VISITE   A   PYLOS. 


Monsieur  le  Mimstke, 

Avant  que  je  vous  rende  compte  du  résultat  de  mes  travaux  à 
Messène,  vous  me  permettrez,  je  l'espère,  de  rappeler  quelques  faits 
qui  se  rattachent  immédiatement  aux  lieux  dont  je  dois  vous  entre- 
tenir. 

Quand  Epaminondas,  par  la  victoire  de  Leuctres,  eut  brisé  la  puis- 
sance des  seuls  rivaux  que  Tlièbes  eût  alors  à  craindre  dans  toute  la 
Grèce ,  il  comprit  que,  pour  les  empêcher  à  jamais  de  se  relever,  il 
fallait  rendre  aux  confédérations  longtemps  opprimées  par  eux  l'im- 
portance politique  dont  leurs  ambitieux  voisins  les  avaient  dépouillés. 
Mégalopolis  devint  pour  l'Arcadie  un  grand  centre  d'attaque  et  de 
défense  où  la  population  de  quarante  villes  éparses  accourut  se  réunir 
en  un  seul  faisceau.  Ce  n'était  pas  assez  :  les  plus  anciens  et  les  plus 
opiniâtres  adversaires  de  Sparte,  les  Messéniens,  qui  avaient  contre 
elle  les  plus  justes  griefs,  avaient  survécu,  comme  peuple,  à  trois 
guerres  d'extermination  et  conservaient,  dans  les  lieux  divers  oii  ils 
vivaient  exilés,  leurs  mœurs,  leur  langage  et  leur  haine  contre  leurs 
cruels  oppresseurs  :  Epaminondas  les  rappela  dans  leur  patrie,  et  tous 
répondirent  à  sa  voix.  Mais  il  fallait  qu'ils  fussent  assez  forts  pour  se 
défendre.  Il  résolut  de  leur  bâtir  une  ville  qui  les  mît  à  l'abri  de  toute 
attaque.  Frappé  de  l'heureuse  position  de  î'Ithôme  et  de  la  vallée  qui 
s'étend  à  sa  base  occidentale,  il  reconnut  que  c'était  là,  dans  ces  lieux 
I.  28 


422  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

consacrés  par  de  si  grands  souvenirs,  sous  la  protection  même  de 
Jupiter  Ilhomate,  qu'il  fallait  placer  l'indestructible  rempart  de  la 
Messénie.  Aucun  moyen  ne  fut  oublié  pour  accroître  la  confiance  de 
ses  futurs  défenseurs.  Le  général  thébain  fit  intervenir  les  dieux  par 
la  voix  des  augures  dont  toutes  les  réponses  furent  favorables.  Tous 
les  héros  de  la  Messénie,  Aristomène  surtout,  furent  invoqués  pour 
qu'ils  vinssent  présider  à  la  renaissance  de  la  patrie  dont  ils  avaient 
fait  la  gloire.  Une  musique  guerrière  exécutant  les  airs  de  Pronomos, 
le  plus  grand  compositeur  de  l'époque,  excitait  les  travailleurs  ac- 
courus des  différents  points  du  Péloponèse,  et  dirigés  par  les  archi- 
tectes les  plus  habiles.  Il  dut  être  beau  le  jour  où  l'illustre  Thébain 
vint  poser  la  première  pierre  de  la  ville  nouvelle;  il  dut  être  plus  beau 
encore  celui  oii  les  Messéniens  célébrèrent  par  des  fêtes  religieuses 
l'achèvement  de  cette  grande  entreprise  ! 

Une  forte  muraille  garnie  de  fortes  tours,  rondes  ou  quadrangu- 
laires,  suivant  que  l'exigeait  la  position  des  lieux  qu'elles  devaient 
observer  et  défendre,  partait  du  point  le  plus  élevé  de  la  pente  occi- 
dentale de  rilhôme,  suivait  à  l'ouest  les  sinuosités  des  mamelons  qui 
dominent  les  routes  de  l'Arcadie  et  de  l'Élide,  puis  redescendait,  pres- 
que perpendiculairement,  vers  le  sud,  le  long  d'une  crête  très-abrupte 
qui  formait  comme  un  rempart  naturel.  Elle  serpentait  ensuite  vers 
l'est  jusqu'au  défilé  qui,  séparant  l'ilhôme  du  mont  Évan,  conduit 
dans  les  plaines  orientales  de  la  Messénie.  De  ce  point  fortifié  avec 
un  soin  minutieux,  comme  le  plus  directement  accessible  aux  Spar- 
tiates, la  muraille  remontait  vers  le  nord  le  long  de  la  pente  orientale 
de  rilhôme,  s'interrompant  seulement  là  où  les  escarpements  du  ro- 
cher rendaient  toute  construction  inutile,  et  s'élevait  ainsi  jusqu'au 
plateau  du  mont  Sacré,  jusqu'à  l'acropole  défendue  elle  même  par  sa 
position  et  par  de  formidables  travaux. 

Cette  vaste  enceinte.  Monsieur  le  Ministre,  cette  enceinte  dont  le 
développement  occupe  au  moins  une  étendue  de  16  kilomètres, 
subsiste  encore  sur  beaucoup  de  points,  et  nous  pourrions  l'admirer 
tout  entière  si  partout  on  eût  employé  pour  la  construire  la  pierre 
dure  de  l'ithôme.  Mais  dans  un  assez  grand  nombre  d'endroits,  la 
partie  inférieure  des  remparts  a  été  bâtie  avec  une  sorte  de  pierre 
poreuse  qui,  sous  l'action  de  l'air,  du  soleil  et  de  la  pluie,  se  broie,  se 
décompose  et  se  fond  pour  ainsi  dire,  de  telle  sorte  que  là  où  jadis  on 
voyait  un  mur  recouvert  de  ses  dalles  surmontées  d'un  parapet  et  de 
créneaux,  on  ne  voit  plus  aujourd'hui  que  la  j)artie  supérieure,  laquelle 
était  en  pierre  dure  ;  on  la  voit  descendue  de  plus  de  3  mètres  et 


VOYAGES   EN  GRECE   ET  EN   ASIE   MINEURE.  423 

reposant  sur  le  sol,  attendu  que  la  partie  inférieure  s'est  totalement 
dissoute.  Là  au  contraire  où  des  matériaux  solides  et  durables  ont 
été  seuls  employés,  les  fortifications  de  Messène  semblent  dater 
d'hier. 

Quatre  portes,  et  même  peut-être  cinq,  facilitaient  les  communi- 
cations avec  l'extérieur.  Trois  d'entre  elles  subsistent  encore;  une 
surtout,  celle  d'Arcadie,  dont  MM.  les  architectes  de  la  Commission 
de  Morée  ont  publié  une  restauration  qui  ne  laisse  rien  ù  désirer  sous 
aucun  rapport. 

Mais  comment  faire  comprendre  au  public  érudit  les  différentes 
parties  de  cette  immense  place  forte  ;  les  procédés  employés  pour  que, 
sur  des  murs  qui  avaient  souvent  une  pente  très-escarpée,  les  défen- 
seurs fussent  toujours  en  état  de  combattre  ;  par  quels  moyens  ils 
communiquaient  entre  eux  et  avec  la  ville  ;  comment  étaient  inté- 
rieurement disposées  les  tours;  de  quel  genre  de  défense  elles  étaient 
susceptibles,  etc.,  etc.?  La  description  la  plus  circonstanciée  et  la  plus 
habilement  faite  n'atteindra  jamais  ce  but  aussi  efficacement  qu'une 
suite  de  dessins;  et  certes  on  doit  tenir  à  connaître  comment  Épami- 
nondas  entendait  l'art  de  fortifier  les  villes,  afin  de  pouvoir  ensuite 
comparer  son  système  avec  celui  des  Athéniens,  à  l'époque  de  leur 
puissance,  et  avec  celui  des  autres  peuples  de  la  Grèce  dans  des  temps 
plus  reculés;  car  c'est  sur  cette  comparaison  que  doit  s'appuyer  l'his- 
toire de  la  défense  des  places  fortes  chez  les  Grecs,  travail  qui,  même 
après  les  écrits  de  Juste  Lipse,  reste  encore  à  faire  aujourd'hui,  et  ne 
peut  manquer  d'éclairer  plus  d'un  point  resté  obscur  dans  l'histoire 
militaire  d'un  peuple  qui  compte  tant  de  grands  capitaines,  et  dont 
toute  l'existence  politique  fut  une  longiie  lutte  guerrière.  Je  me  suis 
donc  mis  à  l'œuvre  avec  un  artiste  qui  m'accompagne  en  ce  moment; 
il  a  dessiné,  nous  avons  mesuré  la  muraille  dans  toute  son  étendue, 
ses  dimensions  diverses,  tous  les  angles  qu'elle  forme,  et  nous  sommes 
en  état  de  publier  aujourd'hui  un  plan  général  de  l'enceinte  beaucoup 
plus  exact  et  plus  circonstancié  que  tous  ceux  qu'on  en  a  donnés 
jusqu'à  présent,  ainsi  qu'une  série  de  planches  qui  satisferont  à  toutes 
les  questions  que  j'ai  posées  plus  haut. 

1!  est  un  seul  point,  Monsieur  le  Ministre,  sur  lequel  je  ne  suis 
pas  encore  fixé..  Dans  plusieurs  endroits  l'enceinte  de  la  ville  cesse 
tout  à  coup  sans  qu'on  puisse  en  retrouver  aucune  trace,  de  quelque 
espèce  qu'elle  soit.  Cette  solution  soudaine  de  continuité  se  fait  sur- 
tout remarquer  immédiatement  après  la  porte  dite  de  Messénie.  A 
1  kilomètre  de  la,  on  retrouve  la  muraille  dans  liXie  étendue  d'environ 


424  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

100  mètres;  puis,  plus  rien  jusqu'à  la  porte  de  Laconie.  Le  même  fait 
se  reproduit  au  nord  dans  la  parlic  qui,  de  la  porte  d'Arcadie,  remonte 
jusqu'à  rithôme.  Pour  ce  dernier  point,  la  chose  peut  s'expliquer 
d'une  manière  plausible  :  il  est  permis  de  supposer  que  desèboule- 
ments  occasiormés  par  des  tremblements  de  terre  ou  par  de  très- 
grandes  pluies  auront  renversé  et  recouvert  la  portion  de  la  muraille 
la  plus  voisine  de  la  montagne;  mais  au  sud  aucun  événement  de  ce 
genre  ne  peut  être  admis,  et  je  serais  très-disposé  à  croire  que  sur  ce 
point  aucune  muraille  n'a  jamais  existé.  En  effet,  à  peu  de  distance 
de  la  porte  de  Messénie  commence  un  ravin  très-escarpé  formé  par  un 
ruisseau  qui  coule  au  pied  du  montEvan,  rempart  plus  sûr  pour  la 
ville  que  les  murailles  les  plus  épaisses.  Le  mur  qu'on  trouve  un  peu 
plus  haut  et  qui,  à  en  juger  par  la  manière  dont  il  se  termine  aux 
deux  extrémités,  n'a  jamais  dû  se  rattacher  à  rien,  ne  peut  être,  selon 
moi,  considéré  que  comme  un  ouvrage  avancé,  destiné  à  défendre  la 
ville  contre  les  ennemis  qui  arriveraient  par  un  étroit  défilé  qui ,  par- 
tant du  versant  occidental  du  mont  Évan ,  vient  aboutir  en  face  de  ce 
mur.  En  effet,  la  partie  la  plus  resserrée  de  ce  défilé  était  elle-même 
fermée  par  une  sorte  de  défense  en  assises  très-régulières.  De  là  jus- 
qu'à la  porte  de  Laconie,  aucune  issue  praticable,  par  conséquent 
aucun  besoin  de  défense.  Ce  qui  porterait  à  croire  que  ce  moyen  de 
résistance  était  préféré  partout  où  il  pouvait  suffire ,  c'est  qu'une  double 
construction,  du  même  genre  que  celle  qui  formait  le  défilé  du  mont 
Evan,  était  à  cheval  sur  le  sentier  qui,  de  la  porte  de  Laconie,  conduit 
dans  l'intérieur  de  la  ville  en  suivant  à  mi-côte  le  versant  méridional 
de  rithôme. 

Je  dois  ajouter.  Monsieur  le  Ministre,  que  la  disposition  du  ter- 
rain au  delà  de  ce  qui  reste  du  mur  méridional  est  telle  qu'on  peut 
l'envisager  comme  formant  une  série  non  interrompue  d'ouvrages 
avancés.  Pendant  près  de  4  kilomètres  les  ravins  succèdent  aux  ra- 
vins, plus  ou  moins  profonds,  mais  tous  parallèles  les  uns  aux  autres 
et  parallèles  aux  murs  de  la  ville.  De  distance  en  distance,  le  seul 
sentier  praticable  qui  aujourd'hui  conduit  de  Mavromati  (1)  à  Anaziri, 
en  traversant  la  porte  de  Messénie  et  le  petit  village  de  Simissa, 
passe  entre  des  mamelons  assez  élevés,  dont  quelques-uns  portent 
encore  des  traces  de  construction  en  larges  assises.  On  peut  présu- 
mer que  ces  points  étaient  occupés  par  des  postes  d'observation  aux  - 

(1)  Village  moderne  bâti  au-desius  de  l'emplacement  qu'occupait  l'agora  de  Mes- 
f  ène ,  près  de  la  fontaine  Arsinoé. 


VOYAGES   EN   GRECE   ET  EN  ASIE   MINEURE.  425 

quels  la  marche  de  Tennemi  arrivant  par  le  sud  ne  pouvait  nulle- 
ment échapper. 

Accoutumé  à  la  vue  de  places  fortes  ceintes  d'une  muraille  con- 
tinue, j'ai  longtemps  hésité  à  adopter  l'explication  que  je  vous  pro- 
pose. Deux  jours  ont  été  consacrés  à  battre  la  campagne  en  tous 
sens,  à  suivre  péniblement  tous  les  accidents  de  terrain  dont  les  ingé- 
nieurs grecs  avaient  pu  profiter  pour  y  placer  des  remparts,  et  je 
n'ai  rien  découvert  qui  contrariât  mon  opinion,  dont  les  premières 
lueurs,  comme  j'ai  déjà  eu  occasion  de  vous  le  dire  dans  mon  troi- 
sième rapport,  datent  de  mon  passage  à  iEgosthènes  et  de  la  vue  de 
ses  fortifications.  Je  la  crois  donc  vraie  aujourd'hui,  et  serais  même 
disposé  à  regarder  le  fait  dont  il  s'agit  comme  le  résultat  d'une  loi 
générale;  c'est-à-dire  à  penser  que  les  anciens  n'adoptaient  l'en- 
ceinte continue  que  pour  leurs  acropoles,  et  ne  fortifiaient  autour  de 
leurs  villes  que  les  points  vraiment  susceptibles  d'attaque.  Toutefois, 
je  ne  serai  complètement  satisfait  que  lorsque  des  fouilles  pratiquées 
à  l'est  de  la  porte  de  Messénie  auront  indiqué  le  point  précis  où  s'ar- 
rêtait la  muraille  dont  les  auteurs  de  la  carte  de  Morée,  sur  leur  plan 
particulier  deMessène,  indiquent  à  tort  la  continuation  par  une  ligne 
ponctuée  qui  fait  supposer  des  traces  là  où  il  n'en  existe  aucune. 

Dans  le  cours  des  recherches  laborieuses  auxquelles  je  me  suis 
livré  pour  fixer  mon  incertitude,  j'ai  rencontré  au  nord-est,  à  environ 
150  mètres  de  la  porte  de  Messénie,  des  soubassements  que  les  au- 
teurs du  plan  ont  supposé  avoir  appartenu  à  l'enceinte,  faute  de  les 
avoir  suffisamment  examinés.  En  effet,  cette  construction  diffère  es- 
sentiellement des  remparts;  elle  a  moins  de  largeur,  elle  est  plus  ré- 
gulière, les  assises  en  ont  moins  d'élévation;  et  comme  en  outre  ce 
mur  est  orienté  de  l'est  à  l'ouest,  on  doit  le  considérer  comme  ayant 
été  destiné  à  soutenir  la  plate-forme  sur  laquelle  était  bâti  un  des 
plus  grands  temples  de  Messène,  peut-être  celui  d'Esculape  qui,  au 
dire  de  Pausanias,  renfermait  tant  de  belles  statues.  Un  peu  plus  loin, 
en  redescendant  vers  le  nord-est,  car  les  constructions  dont  je  viens 
de  parler  se  trouvent  sur  un  plateau  assez  élevé,  on  remarque  les 
traces  d'un  autre  temple  ayant  la  même  orientation,  et  que  je  sup- 
pose avoir  été  celui  de  Messéné,  car  il  semble  résulter  du  récit  de 
Pausanias  (iv,  31,  8  et  9)  que  ces  deux  édifices  étaient  voisins. 

C'est  également  à  tort  que  sur  le  plan  on  a  indiqué  (lettre  P) 
comme  des  soubassements  de  tours  antiques  certains  restes  de  con- 
struction que  l'on  rencontre  à  droite  du  sentier  abrupte  qui  de  Ma- 
vromati  conduit  au  sommet  de  l'Ilhôme.  Si  on  eût  mieux  observé 


426  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

cette  position,  à  Inquelle  les  habitants  du  pays  donnent  le  nom  de- 
Spelouza,  on  y  aurait  remarqué  trois  plates-formes  d'une  étendue 
inégale,  mais  qui  toutes  devaient  se  rattacher  à  un  môme  système 
de  construction.  La  plus  considérable  et  la  plus  haute  est  oblongue, 
assez  régulière  et  a  sa  plus  grande  dimension  de  l'est  à  l'ouest.  L'o- 
rientation de  ce  plateau,  sa  position  élevée  d'oii  l'on  découvre  toute 
la  partie  méridionale  de  la  Messénie  que  ne  masque  point  le  mont 
Évan,  laquelle  s'étend  au  sud-est  jusqu'au  golfe  de  Galamata,  à  l'est, 
jusqu'aux  cimes  neigeuses  du  Taygète,  au  sud-ouest,Jusqu'aux  mon- 
tagnes voisines  de  Coroné,  et  à  l'ouest  jusqu'à  Pjlos,  nous  firent 
préjuger  qu'un  temple  avait  pu  exister  dans  ce  lieu.  Cette  idée  nous 
porta  à  sonder  les  buissons  épais  de  lentisques,  dont  le  terrain  était 
couvert,  et  nous  découvrîmes  deux  bases  de  colonnes  ioniques,  un 
fragment  d'ante  et  quelques  assises  ayant  appartenu  à  un  soubas- 
sement. Dès  lors,  toute  incertitude  cessa,  et  je  résolus  d'entre}»rendre 
les  fouilles  nécessaires  pour  découvrir  le  plan  de  ce  temple,  persuadé 
que  la  partie  supérieure,  dont  il  ne  restait  plus  aucune  trace  sur  le 
sol,  avait  été  employée,  après  la  chute  de  l'édifice,  à  des  construc- 
tions particulières. 

Une  première  tranchée  fut  ouverte  immédiatement  dans  la  direc- 
tion du  nord  au  sud,  c'est-à-dire  perpendiculairement  à  la  direction 
supposée  de  l'axe  du  temple.  Elle  eut  pour  résultat  la  découverte 
presque  immédiate,  à  une  profondeur  de  0"\60  environ,  d'un  dallage 
d'une  conservation  admirable.  Nous  avions  rencontré  le  péristyle  1  En 
continuant  vers  l'est,  nous  trouvâmes  deux  rangs  de  gradins  que  plus 
tard,  quand  nous  eûmes  mis  au  jour  les  quatre  angles,  nous  recon- 
nûmes régner  autour  de  l'édifice. 

En  creusant  en  avant  de  la  partie  antérieure  du  temple  dans  l'es- 
poir de  découvrir  quelques  restes  des  colonnes,  de  l'entablement,  etc., 
et  peut-être  quelques  bas-reliefs,  nous  trouvâmes,  en  effet,  quelques 
débris  informes  et  mutilés  de  corniches,  de  colonnes,  d'archi- 
traves, etc.,  mais  tous  de  cette  pierre  tendre  et  poreuse,  dont  j'ai  déjà 
parlé  plus  haut,  et  par  conséquent  d'une  nature  bien  différente  de 
celle  de  la  pierre  qui  avait  été  employée  pour  les  soubassements,  les- 
quels, grâce  à  la  dureté  de  la  matière  première,  sont  encore  aujour- 
d'hui dans  un  si  bel  état  de  conservation  que  notre  première  idée 
fut  de  supposer  que  ces  restes  si  différents  avaient  appartenu  à  doux 
édifices  distincts.  Mais  bientôt  nous  dûmes  nous  convaincre  qu'il  n'en 
était  pas  ainsi  ;  que  le  temple  en  question  était  construit  en  pierre 
dure  jusqu'à  la  hauteur  des  bases  des  colonnes  inclusivement,  tandis 


VOYAGES  EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE.  427 

que  tout  le  reste  était  en  tuf  et  recouvert  d'un  stuc  dont  nous  re- 
trouvâmes des  restes  bien  conservés  sur  plusieurs  fragments. 

Le  péristyle  une  fois  dégagé,  nous  procédâmes  au  déblayement 
de  l'intérieur  du  temple ,  et  nous  découvrîmes  successivement  le 
seuil  de  la  cella  d'une  seule  pierre  de  3'",20;  le  pavé  du  temple, 
consistant  en  une  sorte  de  mosaïque  grossière,  sans  aucun  dessin, 
faite  à  l'aide  d'un  ciment  rougeâtre  et  de  petits  cailloux  noirs  et 
blancs;  un  piédestal  creusé  à  sa  partie  supérieure  pour  y  placer  une 
statue,  et  une  sorte  de  vasque  carrée  qui  peut  être  était  destinée  à 
recevoir  un  bassin  en  bronze  contenant  l'eau  lustrale  ou  le  sang  des 
victimes  immolées  dans  les  sacrifices.  Vainement  nous  recherchâmes 
l'image  du  dieu  ou  du  héros  adoré  dans  ce  sanctuaire.  Les  ouvriers 
ne  découvrirent,  sur  différents  points  très-éloignés  les  uns  des  autres, 
que  quelques  fragments  de  peu  d'importance  :  V  un  pied  chaussé 
d'un  brodequin  à  large  et  épaisse  semelle,  tenant  encore  à  une  base 
circulaire  qui  s'adapte  parfaitement  au  trou  pratiqué  dans  le  piédes- 
tal ;  2"  la  partie  supérieure  d'une  jambe,  s'arrôtant  au-dessus  du  ge- 
nou et  garnie  de  courroies  se  croisant  sur  le  devant,  laissant  voir  en 
outre,  ainsi  que  le  pied  dont  je  viens  de  parler,  plusieurs  trous  de 
scellement,  oii  sans  doute  étaient  fixés  des  ornements  en  bronze; 
3°  un  poignet  à  demi  fermé  et  sur  la  paume  de  la  main  la  trace  assez 
informe  d'une  corde  ou  d'une  flèche. 

J'ajouterai  ici  que  les  fouilles  pratiquées  en  dehors  du  temple 
prouvèrent  que  toute  la  décoration  extérieure  était  en  terre  cuite. 
On  trouva  en  effet  des  antéfixes,  des  rinceaux,  une  tête  de  lion,  tous 
élégants  produits  de  la  céramique. 

En  résumé,  Monsieur  le  Ministre,  les  fouilles  exécutées  à  Spelouza 
ont  eu  pour  résultat  la  découverte  d'un  édifice  resté  inconnu  jusqu'à 
ce  jour  et  que  tout  indique  avoir  été  un  temple.  Les  parties  retrou- 
vées suffisent  effeclivement  pour  en  prouver  la  destination,  et  de  plus 
fournissent  les  matériaux  indispensables  pour  une  restauration  ar- 
chitectonique.  Le  plan  de  ce  temple,  d'ordre  ionique  et  d'une  époque 
que  l'on  peut  regarder  comme  postérieure  d'au  moins  cent  cinquante 
ans  à  la  fondation  de  Messène,  est  le  p<us  simple  de  tous  ceux  que  les 
anciens  adoptaient.  Il  se  compose  d'une  cella  et  d'un  péristyle  avec 
deux  colonnes  seulement.  Il  est,  suivant  l'usage  le  plus  commun, 
orienté  de  l'est  à  l'ouest;  sa  longueur  est  de  16™, 30  sur  lO'^jlS. 

A  qui  ce  sanctuaire  était-il  consacré?  J'espérais  que,  à  défaut 
d'une  statue  bien  caractérisée,  quelque  inscription  viendrait  m'éclai- 
rer  à  cet  égard;  mais  aucune  des  quatre  auxquelles  les  fouilles  ont 


428  REVUE  AllCHÉOLOGIQUE. 

fait  revoir  la  lumière,  n'est  de  nature,  je  le  crains  bien,  à  nous  éclai- 
rer sous  ce  rapport.  La  première,  gravée  sur  une  peiite  stèle  creusée 
à  la  partie  supérieure  pour  recevoir  un  ava07jp.3c ,  et  dont  le  bord 
antérieur,  aujourd'hui  mutilé,  contenait  vraisemblablement  une  pre- 
mière ligne  est  ainsi  conçue  : 

2nTEAH2 

APXol 

AIMNATI 

IEPITEY2ANTE 

La  deuxième  et  la  troisième  qu'on  lit  sur  des  monuments  du  même 
genre  que  le  précédent,  portent,  l'une  : 

EPIIAPEoIT 

IMAPXnAOI 

HTI0IAn  VC 

l'autre  : 

EOIEPE02OIA"" 
IAAE0OPOYOAA 
lAAMOYMHA 
""PIAAI 

Enfin,  sur  la  gauche  d'une  grande  pierre  brisée,  ayant  actuellement 
environ  l'^jGO  de  longueur,  et  qui  doit  avoir  eu  dans  son  intégrité  en- 
viron 3  mètres,  on  lit,  en  assez  grand  caractères  d'une  forme  contem- 
poraine de  la  construction  du  temple,  et  peut-être  même  antérieure, 
les  quatre  lettres  suivantes  : 

KT02 

Les  recherches  les  plus  minutieuses  faites  par  nos  travailleurs, 
dont  j'avais  stimulé  et  redoublé  le  zèle  par  la  promesse  d'une  forte 
récompense,  n'ont  pu  faire  retrouver  la  partie  droite  de  ce  mono- 
lithe. Je  suis  donc  réduit  aux  conjectures  pour  rétablir  le  commen- 
cement de  l'inscription. 

Si  la  pierre  appartenait  à  un  des  gradins  extérieurs  du  temple, 
comme  je  l'avais  d'abord  pensé,  le  nom  qu'on  pourrait  y  reconnaître 
avec  le  plus  de  vraisemblance  serait  celui  du  père  de  l'architecte,  le- 
quel nom  aurait  eu  pour  dernier  élément  le  mot  av«$,  comme 


VOYAGES   EN  GRÈCE  ET   EN   ASIE   MINEURE.  429 

Tlhi(7T(ùvoi'i  y  Èpu.s(7idvaê, ,  etc.  On  sait,  par  plusieurs  exemples,  que 
les  artistes,  peintres,  sculpteurs,  architectes,  inscrivaient  souvent 
leur  nom  sur  la  partie  la  moins  en  évidence  de  leurs  ouvrages. 

Si,  au  contraire,  la  pierre  eût  formé  le  linteau  de  la  porte,  on 
pourrait  supposer,  comme  j'ai  déjà  eu  occasion  de  le  prouver  dans 
l'ouvrage  de  Morée,  à  propos  d'un  autre  temple  de  Messène,  que  le 
magistrat  sous  l'administration  ou  aux  frais  duquel  le  monument  avait 
été  élevé,  y  avait  inscrit  son  nom  et  celui  de  son  père. 

Enfin,  si  elle  eût  été  placée  sur  le  frontispice,  l'inscription  n'au- 
rait pu  contenir  que  le  nom  du  dieu  ou  du  héros  adoré  dans  le 
temple,  nom  auquel  aurait  été  ajouté  le  titre  d'aval ,  fait  dont  je  ne 
me  rappelle  aucun  exemple  épigraphique. 

Plus  d'une  raison  s'oppose  à  ce  que  l'on  admette  cette  dernière 
supposition.  D'abord  l'emploi  insolite  du  mot  Sivaly  et  ce  qui  est 
plus  concluant,  la  nature  même  de  la  pierre  qui  est  de  l'espèce  la 
plus  dure,  tandis  que  toutes  les  parties  de  la  façade  du  temple  étaient 
en  tuf.  La  première  n'est  pas  plus  admissible,  car  il  résulte  de  la 
forme  de  la  pierre  et  d'autres  données  architecturales  que  le  temple 
n'a  pu  avoir  d'autres  gradins  que  ceux  dont  j'ai  parlé  plus  haut. 
Quant  à  la  deuxième,  pour  laquelle  je  pencherais,  j'attends,  pour  la 
regarder  comme  une  vérité,  que  l'étude  des  différentes  parties  de 
l'édifice  ait  permis  à  l'architecte  qui  me  seconde  de  se  prononcer 
avec  certitude.  Dans  le  dernier  cas  même,  ce  ne  serait  point  par 
cette  inscription  qu'on  arriverait  à  une  solution  de  la  question  prin- 
cipale. 

Il  reste  donc  à  examiner  si  les  inscriptions  des  trois  petites  stèles 
peuvent  aidera  la  résoudre.  Occupons -nous  d'abord  de  In  première. 

Du  duel  lEPITEYSANTE  ou  du  pluriel  IEPITEY2ANTES ,  si  l'on 
admet  que  le  S  final  a  disparu,  ce  que  l'état  de  la  pierre  rend  très- 
vraisemblable,  on  doit  conclure,  comme  je  l'ai  déjà  fait  plus  haut, 
que  le  monument  contenait  un  premier  nom  qui  a  été  brisé.  Reste- 
raient à  expliquer  les  lignes  3  et  4.  Le  mot  APXOI  ne  peut  être  que 
le  datif  de  APXQ ,  nom  propre  de  femme,  dont  le  Corpus  inscr.  gr. 
offre  un  exemple  au  n°  15  70  que  je  n'ai  malheureusement  pas  à  ma 
disposition  en  ce  moment.  Le  mot  AIMNATI  ne  peut  être  non  plus 
que  le  datif  de  l'élhnique  >apaç,  Arparoç,  le  même  que  Aiavanç, 
lilxydi'Lâoç.  Cette  Archo  de  Limnes,  je  serais  disposé  à  le  croire,  n'est 
autre  que  la  Diane  Limnatide  adorée  sur  les  frontières  de  la  Messénie 
touchant  à  la  Laconie,  et  le  nom  qu'elle  reçoit  ici  est  sans  doute  un 
nom  mystique.  Mais  de  tout  cela,  peut-on  inférer  que  le  temple  de 


430  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Spelouza  était  consacré  à  celte  déesse?  Je  ne  le  pense  pas.  Sotélès  et 
un  autre  Messénien,  après  avoir  rempli  des  devoirs  religieux  en 
l'honneur  d'Archo  de  Limncs,  ont,  au  retour  du  saint  pèlerinage, 
consacré  près  de  notre  temph^.  un  petit  «vaO/jfta,  probablement  en 
terre  cuite,  suivant  un  usage  dont  nous  avons  eu  des  preuves  sur  les 
lieux  mômes.  On  a  en  efl'et  trouvé  dans  les  fouilles  de  Spelouza  plu- 
sieurs fragments,  malheureusement  très-mutilés,  de  petites  figures 
en  terre  cuite,  ayant  appartenu  à  des  offrandes  de  ce  genre,  et  repré- 
sentant,  les  unes  Bacchus,  les  autres  Minerve,  etc.  Ce  que  Sotélès 
et  un  autre  Messénien  font  ici,  Cornélius  Onomarchus  le  faisait  à 
Patras,  où  il  consacrait  une  statuette  de  Diane  à  Cérès;  mais,  encore 
une  fois,  comme  j'ai  déjà  eu  occasion  de  le  remarquer  dans  mon  pré- 
cédent rapport,  on  ne  peut  conclure  de  là  que  notre  temple  fut  celui 
d'Artémis.  Passons  donc  aux  deux  autres  inscriptions. 

La  première  est  certainement  plus  ancienne  que  l'autre,  puis- 
qu'elle est  écrite  en  dialecte  dorien,  sans  doute  dans  ce  dialecte  que 
les  Messéuiens,  tout  dispersés  qu'ils  étaient,  avaient  conservé  dans  sa 
pureté  première  ;  mais  toutes  deux  se  raj)prochent  en  ce  qu'elles  por» 
tent  l'mdication  d'un  sacerdoce  éponymc,  c'est-à  dire  la  date  d'une 
année  (1).  Or,  le  seul  sacerdoce  éponyme  à  Messène  était,  Pausanias 
nous  le  dit  expressément,  celui  de  Jupiter  llhomate.  Ces  deux  in- 
scriptions ne  nous  apprennent  donc  rien  de  plus  que  la  première; 
comme  elle,  elles  sont  destinées  à  instruire  la  postérité  que,  à  telle 
époque  déterminée,  telle  ou  telle  offrande  a  été  faite  à  la  divinité  du 
sanctuaire.  11  faut  donc  recourir  à  d'autres  ressources  et  voir  avant 
tout  si  le  texte  de  Pausanias  ne  pourrait  pas  nous  fournir  quelques 
lumières. 

Suivant  le  voyageur  grec,  lorsque  Démétrius,  envoyé  par  son  père, 
Philippe  IH,  roi  de  Macédoine,  pour  lever  des  tributs  d'argent  dans 
le  Péloponèse,  pénétra  dans  Messène,  en  escaladant  la  muraille  qui 
existe  entre  la  ville  et  l'acropole  (ce  qui  est  impossible  pour  quiconque 
a  vu  les  lieux  et  prouve  que  le  passage  de  Pausanias  est  altéré),  il 
fut  repoussé  par  toute  la  population,  femmes,  enfants,  vieillards,  et 
par  la  garnison  de  l'acropole.  Messène  avait  alors  pour  chef  ou  pour 
premier  magistrat  un  certain  iElhidas,  riche  citoyen,  qui  mérita  si 
bien  de  la  patrie  dans  cette  journée  mémorable  qu'on  lui  décerna 

{V  On  trouve  encore  un  exemple  de  cotle  manière  de  supputer  les  annéos  à  Mes- 
sène dans  une  inscripli'in  provenant  de  ceUe  \ille  rt  publiée  dans  le  Corpus  «ous 
le  n"  l?97.  j'en  ai  donné  une  explicaUon  détaillée,  t.  I,  p.  43  de  l'uuvrage  de 
Morée.  (T.  I,  p.  15  du  tirage  à  part.  ) 


VOYAGES   EN   GRECE   ET   EN   ASIE   MINEURE.  431 

après  sa  mort  les  honneurs  dus  aux  héros,  c'est-à-dire  qu'on  \n\  éleva 
un  temple.  Pausajiias,  après  ce  récit,  ajoute  :  et  là  aussi  est  le  tom- 
beau dAvistomène  :  xai  ApiuToy^évovg  de  ^Wiuoi  ianij  èvrocvOx,  Or,  à 
10  mètres  environ  à  l'est  de  la  façade  du  temple,  des  fouilles  posté- 
rieures nous  ont  fait  retrouver,  reposant  sur  une  base  travaillée  dont 
l'axe  est  sur  la  même  ligne  que  celui  du  temple,  de  grandes  dalles 
qui  n'ont  pu  appartenir  qu'à  un  cénotaphe.  Ce  monument  était  re- 
couvert par  une  pierre  qui  subsiste  encore  en  deux  fragments,  et 
dont  les  extrémités  se  relevaient  en  s'arrondissant,  comme  tous  les 
couvercles  de  sarcophages  antiques.  Seulement,  le  travail  de  cette 
pierre  étant  assez  grossier,  on  doit  supposer  qu'elle  portait  des  orne- 
ments plus  soignés  en  marbres  précieux  ou  plutôt  en  bronze.  Nul 
doute  pour  moi  que  cette  conjecture  ne  soit  très-fondée  et  que  l'araour- 
propre  national  n'ait  voulu  rapprocher  les  noms  de  deux  grands 
hommes  et  les  honorer  pour  ainsi  dire  d'un  même  culte. 

Je  ne  dissimule  pas  que  Pausanias  parle  d'iEthidas  à  la  suite  de 
la  mention  qu'il  fait  des  statues  qu'on  voyait  dans  le  gymnase,  et  que 
de  ses  paroles  relatives  à  ce  personnage  il  semblerait  résulter  que  son 
image  était  gravée  sur  une  stèle  existant  dans  le  lieu  consacré  aux 
exercices  du  corps.  Mais  on  sait  que  Pausanias,  dans  ses  descrip- 
tions, n'observe  pas  un  ordre  très-méthodique,  qu'il  saute  souvent 
d'un  sujet  à  un  autre  sans  transition  bien  sensible.  Si,  comme  il  le 
dit,  iEthidas  reçut  les  honneurs  réservés  aux  héros,  ces  honneurs  ne 
durent  pas  se  borner  à  une  image  gravée  sur  une  stèle,  mais  durent 
consister  surtout  en  un  temple  et  en  un  culte  spécial,  comme  celui 
dont  Flamininus  était  encore  l'objet  au  temps  de  Plutarque.  Mais, 
m'objectera-t-on  encore,  il  paraît  qu'il  y  avait  eu  deux  iEthidas: 
^ihidas  le  riche,  et  ^Elhidas  le  brave.  Ma  réponse  est  facile:  au 
riche  les  honneurs  du  gymnase;  au  brave,  au  sauveur  de  la  patrie 
les  honneurs  divins. 

Il  me  reste  peu  de  choses  à  dire  des  deux  plates-formes  qui  con- 
duisaient à  la  plus  importante.  Elles  avaient  eu  sans  doute  pour  but 
de  fficiliter  le  passage  des  processions  dans  les  jours  solennels,  et  le 
mur  qu'on  remarque  en  avant  de  la  plus  basse  n'a  pu  être  construit 
que  pour  soutenir  les  terres  rapportées  dans  cette  partie  très-escarpée 
de  la  montagne. 

Mais  il  est  un  point  du  voisinage  qui  mérite  une  mention  toute 
particulière.  C'est  un  petit  plateau  à  environ  20  mètres  au-dessous 
du  plus  bas  de  ceux  dont  je  viens  de  parler  et  à  l'ouest  sud-ouest  du 
temple.  Ce  plateau  est  soutenu  au  midi  par  un  mur  de  même  con- 


432  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

struction  que  le  mur  de  soutènement  du  plateau  supérieur/  et 
a  une  largeur  d'environ  3™, 32.  Dans  la  moitid  de  la  largeur,  et 
parallèlement  au  mur  dont  il  vient  d'être  fait  mention,  on  voit  un 
autre  mur  en  assises  très-régulières  avec  des  retours  d'angle  qui 
ont  dû  former  une  enceinte  rectangulaire  en  se  rattachant  avec 
des  assises  que  l'on  trouve  au  bas  de  la  pente  du  plateau  supérieur. 
Au  milieu  de  ce  dernier  côté  du  rectangle  se  voient  cinq  colonnes 
grossières  supportant  des  architraves  qui  elles-mêmes  supportent  des 
dalles  et  forment  ainsi  une  sorte  de  caveau  dans  la  pente  de  la  mon- 
tagne. Chose  assez  remarquable,  l'intérieur  était  enduit,  sur  toutes  ses 
parois,  et  même  sur  le  sol,  d'une  couche  de  mortier  très-dur,  comme 
si  c'eût  été  celui  d'une  citerne.  11  me  paraît  assez  difficile  de  déter- 
miner quelle  pouvait  être  la  destination  de  cette  construction  singu- 
lière. Ce  qui  est  certain,  selon  moi,  c'est  qu'elle  dépendait  du  temple 
d'^thidas. 

Ces  différents  travaux.  Monsieur  le  Ministre,  qui  tous  ajoutent  à  nos 
connaissances  relativementà  la  ville  de  Messène,  ont  nécessité  un  séjour 
de  près  d'un  mois,  tant  au  monastère  de  Vulcano  qu'au  village  de  Ma- 
vromati  et  sur  le  sommet  de  l'Ithôme,  où  nous  avons  bivouaqué  deux 
jours,  nous  désaltérant  aux  eaux  délicieuses  de  la  fontaine  Clepsydre 
et  couchant  à  la  belle  étoile  «dans  la  cour  d'un  couvent  abandonné.  Si 
la  raison  ne  m'eût  dit  qu'il  fallait  enfin  quitter  ces  lieux  pour  visiter 
d'autres  contrées,  un  second  mois  aurait  pu  y  être  très-utilement 
employé;  car,  si  l'on  excepte  Olympie,  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  en 
Grèce  beaucoup  de  5ols  qui  puissent  être  plus  féconds  en  découvertes 
archéologiques.  J'ai  la  conviction  que  si  on  creusait  à  la  porte  de  La- 
conie,  on  y  retrouverait  un  temple  qui  était  encore  debout  lors  du 
voyage  de  Fourmont,  et  dont  le  plan  est  encore  presque  entièrement 
visible  aujourd'hui.  Je  suis  non  moins  persuadé  que  si  un  pareil  tra- 
vail était  exécuté  à  la  porte  de  Messénie,  non-seulement  on  éclairci- 
rait  l'intéressante  question  dont  je  vous  ai  entretenu  plus  haut,  mais 
on  aurait  encore  la  satisfaction  de  mettre  au  jour  des  constructions 
qui,  pour  être  moins  imposantes  que  celles  de  la  porte  d'Arcadie, 
n'en  seraient  pas  moins  très-dignes  d'attention,  car  elles  seraient  sans 
aucun  doute  d'un  travail  plus  élégant,  d'une  architecture  plus  pure, 
d'un  ciseau  plus  délicat.  C'est  ce  dont  j'ai  pu  me  convaincre  en  fai- 
sant déblayer  un  pilier  qui ,  dans  ce  lieu  ,  soutenait  l'architrave 
d'une  double  porte. 

Je  me  hâte  d'ajouter.  Monsieur  le  Ministre,  que  mes  études  sur 
l'enceinte  de  la  ville,  non  plus  que  les  fouilles  de  Spelouza,  ne  m'ont 


VOYAGES   EN   GRÈCE   ET   EN   ASIE   MINEURE.  433 

pas  fait  oublier  le  but  principal  de  mon  voyage  :  les  recberches  épi- 
graphiques.  Malheureusement,  si  j'excepte  les  inscriptions  du  temple 
d'iEthidas,  deux  épitaphes  trouvées,  l'une  à  Simissa,  l'autre  à  l'ouest 
de  la  porte  de  Messénie,  et  quatre  fragments  encastrés  dans  les  murs 
de  l'église  du  monastère  de  l'Ithôme,  je  n'ai,  à  cet  égard,  obtenu  que 
des  résultats  au-dessous  de  mon  attente,  eu  égard  à  la  durée  de  mon 
séjour.  Toutefois,  mon  passage  dans  ce  lieu,  indépendamment  des 
nouvelles  acquisitions  qu'on  lui  devra,  aura  encore  cet  avantage  que 
je  rapporte  des  copies  plus  exactes  de  quelques-uns  des  monuments 
lus  avant  moi.  Ainsi,  j'ai  acquis  la  certitude  que  la  base  d'une  statue 
qu'on  supposait  élevée  en  l'honneur  de  Lucius  Vérus,  se  rapporte 
bien  certainement  à  Marc-Aurèle,  dont  les  bienfaits  envers  les  Grecs 
sont  attestés,  dans  les  différentes  contrées  du  Péloponèse,  par  des 
témoignages  de  gratitude  semblables.  J'ai  aussi  pu  me  convaincre 
qu'une  conjecture  émise  par  moi  au  sujet  d'une  sigle  gravée  sur  un 
monument  funèbre  devait  être  abandonnée,  attendu  que  le  0  lu  à  la 
partie  supérieure  par  mes  devanciers  n'est  autre  chose  qu'un  0  ;  et 
cependant  cette  conjecture  avait,  je  puis  le  dire,  quelque  chose  d'in- 
génieux, et  avait  été  approuvée  par  plus  d'un  juge  compétent.  Il  fau- 
dra bien  la  remplacer  par  une  autre. 

Voici  les  quatre  fragments  trouvés  sur  l'Ithôme  : 

I.  Sur  une  pierre  dans  l'église  : 

A1NE2 

II.  Fragment  de  stèle  faisant  partie  de  l'un  des  jambages  de  la 
porte  : 

AAIOIA 
MAPXIAH2  .  K 
ATPANO  .  .  Al 

THPI 

IIL  Fragment  de  stèle,  sur  un  banc  près  de  la  porte  : 

GE0TIM02 
PAYAINnS 

KEIAN 

XAT 


434  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

IV.  Sur  une  plaque  de  marbre  brisée,  servant  de  chambranle  à 
une  croisée  du  couvent  : 


T 

TPITOBOY 
TIMAlinN  OIA0KPATH2 

APISTHN  ANAP0N1K02 

HPIHN  0E0TIM02 

API2TEA2  THAEA2 

IVIENAAKIAA2  KAAAITEAh 

0NA2INIK02  NE0AAM02 

AKPATHT02  API2T  A 


Serai-je  bien  loin  du  vrai,  Monsieur  le  Ministre,  en  supposant  que 
cette  dernière  inscription  a  dû  appartenir  à  un  contrôle  des  soldats 
formant  ia  garnison  de  la  citadelle?  Si  c'était  un  monument  funèbre, 
le  nom  de  chacun  des  morts  serait,  conformément  à  l'usage,  accom- 
pagné du  nom  de  son  père  au  génitif,  ce  qui  n'a  pas  lieu  ici.  D'ail- 
leurs, le  sommet  de  l'ithôme  n'était  pas  un  lieu  de  sépulture  :  c'est  au 
sud  des  murs  de  la  ville,  au  fond  de  la  vallée,  qu'on  a  retrouvé  tous 
les  monuments  funéraires  de  Messène.  Sur  un  contrôle  destiné  aux 
appels,  le  nom  du  père  de  chaque  soldat  était  inutile  et  eût  allongé 
sans  nécessité  l'étendue  d'un  marbre  que  l'officier  devait  pouvoir  lire 
avec  promptitude.  Je  ne  me  rappelle  pas  d'exemples  de  semblables 
monuments  dans  l'épigraphie  grecque  ;  mais  l'épigraphie  latine  en 
offre  de  très-nombreux,  oii,  chose  assez  naturelle,  tous  les  noms  sont 
au  vocatif.  Je  me  contenterai  de  citer  un  des  marbres  de  la  villa 
Albani,  publiés  par  le  maître  de  ré[)igraphie  latine,  Tdlustre  abbé 
Mari  ni,  et  un  fragment  que  je  possède  dans  ma  très-modeste  col- 
lection* 

Il  me  reste  à  vous  entretenir  des  deux  épitaphes  dont  j'ai  parlé 
plus  haut.  Celle  de  Simissa  est  gravée  sur  une  pierre  carrée,  dont 
chacune  des  faces  porte  une  suite  de  noms,  maliieurensement  très- 
elï'acés,  pour  la  plupart.  Voici  ce  que  j'ai  pu  en  déchiffrer: 


VOYAGES  EN  GRÈCE   ET   EN   ASIE  MINEURE. 


435 


iFace  postérieure 
2INIA 


Face  antérieure . 
ENOANH2 

nATn 

AY2IN02;API2T0KAH2 

.  .  .  .    2n 

5.    .  2l02n3EHI02 
GAAIAPX02 
[0]IAnTA2...  ETANA 

.  -  .  .    PAI 

KAEO0ATO2 
10.         2AI0IAA 


15. 


¥ 


API2T0ÎEN02 


Face  lat.  droite  : 

XAPIAA 
EYANA 
API2T0A 
E.  lOIAOK 
5.)  API2 
APIAA 
EYNOA 
A 


Face  latér.  gauche  : 

M0A02 
EA2 
IIKOY 


[A]EÎAMENH 


5.)  Y2NIK02 

KinniA 


AO.AA 


A"' 
A2 


Il  est  assez  embarrassant,  au  premier  aperçu,  de  préciser  quel  a 
pu  être  l'emploi  de  ce  monument.  Presque  tous  les  noms  intacts  qu'il 
porte  sont  au  nominatif.  Les  seuls  génitifs  qu'on  y  rencontre  sont 
SAI0IAA,  ligne  10  de  la  face  antérieure,  et.  .  .  .  [NjIKOÎ  ,  ligne  3 
de  la  ftice  latérale  gauche.  De  plus,  aux  noms  d'hommes  se  trouvent 
mêlés  des  noms  de  femmes  [  EAETjSINIA  ,  ligne  1  de  la  l^ice  posté- 
rieure et  AESAMENH  (  As^a/zaV/î  ),  ligne  4  de  la  face  latérale  gauche. 
De  plus,  encore,  tous  les  noms,  à  en  juger  par  la  forme  et  les  dimen- 
sions des  caractères,  n'ont  pas  été  inscrits  à  la  même  époque  ;  je  serais 
donc  disposé  à  croire  que  ce  marbre  a  appartenu  à  une  sépulture  com- 
mune et  qu'on  y  a  gravé  successivement  les  noms  des  morts  qui  auront 
été  successivement  déposés  dans  le  caveau  qu'elle  surmontait.  Ce  qui 
ajoute  beaucoup  de  vraisemblance  à  celte  conjecture,  c'est  que  la  stèle 
en  question  a  été  déterrée  non  loin  de  la  vallée  des  tombeaux.  Quant 
au  manque  des  noms  au  génitif,  il  est  possible  qu'il  ne  soit  qu'apparent, 
et  que  beaucoup  des  noms  qui  ont  disparu  ou  dont  on  ne  lit  plus  que 
les  premiers  éléments,  aient  reçu  dans  le  principe  cette  flexion.  Je 
vous  ferai  remarquer  encore  que  le  nom  KAsocparoç  paraît  pour  la 
première  fois  et  que  Satôrâa  est  aujourd'hui  le  deuxième  exemple 
connu  d'un  nom  qui  paraît  avoir  été  particulièrement  usité  cà  Mes- 
sène.  (Voyez  Corpus  inscr,  gr.,  n-^  1318,  et  l'ouvrage  de  Morée, 
1. 1 ,  p.  45  ;  t.  1,  p.  26  et  suiv.  du  tirage  in-8°.) 


I 


436  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

L'autre  inscription  est  gravée  sur  le  larmier  de  l'architrave  d'un 
édicule  funèbre  d'assez  grandes  proportions ,  laquelle  a  été  trouvée 
tout  récemment  par  suite  de  l'éboulement  d'un  mur  qui  soutenait 
l'extrémité  d'un  champ  disposé  en  gradins.  Elle  est  ainsi  conçue  : 

KAIPE  GAA0Y2AN0EIAXAIPE 

Il  paraît  que  ce  monument  était  destiné  à  recevoir  deux  corps,  et 
avait  été  bâti  par  un  mari  à  l'occasion  de  la  mort  de  sa  femme;  que 
ce  mari  avait ,  à  droite  de  l'inscription  portant  le  nom  de  la  défunte, 
fait  ajouter  le  mot  x^^P^  précédé  de  l'espace  nécessaire  pour  inscrire 
son  propre  nom,  quand  il  y  aurait  lieu.  Son  trépas,  loin  de  Messène, 
ou  quelque  autre  événement,  sera  venu  tromper  ses  prévisions.  Du 
reste,  ne  trouvez-vous  pas  comme  moi.  Monsieur  le  Ministre,  que  ce 
nom  de  ©aXXojcavQeia  qui  réunit  l'idée  d'une  fleur  à  celle  du  vert 
feuillage  qui  l'accompagne,  est  un  des  plus  gracieux  exemples  de  la 
composition  des  mots  dans  la  langue  grecque? 

Pour  en  finir  avec  Messène ,  Monsieur  le  Ministre ,  je  transcrirai 
ici  trois  inscriptions  très-modernes  copiées,  la  première,  au  couvent 
d'Ilhôme,  les  deux  autres  au  monastère  de  Vulcano.  Elles  vous  prou- 
veront où  en  étaient  au  XVIIl''  siècle  les  connaissances,  même  or- 
thographiques, des  moines  de  l'ordre  qui  a  pour  fondateur  le  grand 
saint  Basile.  On  peut  affirmer  qu'ils  ne  connaissaient  plus  autre 
chose  que  le  nom  de  cet  admirable  écrivain.  Ceux  d'aujourd'hui  sont 
encore  de  quelques  degrés  au-dessous  de  leurs  prédécesseurs,  car 
beaucoup  d'entre  eux  ne  savent  même  pas  lire. 


(1)  La  véritable  orthographe  de  ce  nom  serait  @xW/.o\)9KvQtix»  C'eitune  nouvelle 


VOYAGES  EN   GRÈCE   ET   EN   ASIE  MINEURE.  437 

c,  a,  d.  May.dpUoJç  ovroç  6  êx(w)v  u7:a(x)oyîV  àyaOm'  ixiii-nrÇrt'jr, 

IL 


J^ETAN  OEiTE  -H  P£î 

KE  •FA?HBA23^EfA-T 

ONtiV/KHOYi-HA  S'K  A 

2/NM  -TTPÛS  O^HNPIZA 

\^-  ^UJ!-i  AE^NA'P'ajN'hCÊlT' 

^3.  ^f  W'H'oî^N-  K-At^ 

TroN-K:».^-//oN  •  £~k:,k:.o 

TT^ETAl  ICAÎ  Ef^  TTYP- 

b^AJIjI  et  Aï   :• 

A    v|.    z    ^ 

M  A'n  T  »  «     1^  â 


preuve  d'un  fait  que  j'ai  déjà  signalé  dans  mon  commentaire  sur  ma  traduction 
française  de  ^'icélas  Eugenianus  otdans  mes  notes  encore  inédites  sur  le  roman  de 
Théodore  Prodrome,  c'est  à  savoir  que  les  Grecs  d'autrefois  ne  faisa'cnl  pas  sentir 
les  doubles  consonnis  dans  leur  prononciation  que  les  Grecs  d'aujourd'hui  ont  par- 
faitement conservée.  Il  est  digne  de  remarque  que  chacun  des  élémcnls  de  ce  mot 
si  frais  et  si  >irgiual  a  été  le  nom  d'une  courtisane.  Voyez  Athénée  et  Lysias. 

I.  29 


438  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Uerocvoeïrsj  (eï)p('n]y.s  yccp  -n  fioc(jihia  t(w)v  o'jpxv[(ù)v.  (ïâohy 
ri  x'iivTi  Tzpbç  TTjv  piÇav  twv  âivâpMV  xcîrat*  [xal  tô  âévâpov]  pr\  ttoioûv 
xapiTOV  xaXov  éxxoTTTsrai  zai  £tç  TrOp  |3aA^£T«r  A^EZ,  Mapri'ou  x0 

m. 

MNHMHOANATOY 

XPYCIMeYeTCJBiCJ 

A4^IB 

Mvv^/jLYî  6avaTou  )(;p(yî)o'ip£u£(t^Tw  (BtM.  A^IB. 

Avant  de  terminer  cette  lettre,  déjà  bien  longue,  je  dois  vous  faire 
savoir,  Monsieur  le  Ministre,  que  pendant  les  quelques  jours  consa- 
crés par  mon  habile  auxiliaire  à  dessiner  les  murs  de  Messène  et  quel- 
ques bas-reliefs  funèbres  découverts  depuis  le  passage  de  la  Commis- 
sion de  Morée,  j'ai  visité  l'antique  Pylos;  mais  là  rien  que  de  grands 
souvenirs  :  celui  de  Nestor,  celui  des  Spartiates  morts  ou  pris  dans 
Sphactérie,  et  celui  de  Santa  Rosa  immolé  par  le  cimeterre  des  Turcs 
en  défendant  une  belle  cause,  celle  de  la  liberté  et  de  l'indépendance 
des  Hellènes. 

Je  suis  avec  respect. 

Monsieur  le  Ministre , 

Votre  dévoué  serviteur, 
Ph.  Le  Bas. 

Thouria»  i  août  1841. 


SUR 

L'USAGE  DES  ANCIENS  DE  CONSACRER  lA  STATUE  D'UN  DIEU 

A  UIV  AUTUE  DIEU. 


Dans  une  des  intéressantes  lettres  de  M.  Le  Bas,  insérée  dans 
lavant-dernière  livraison  de  la  Reçue  (l),  ce  docte  et  courageux 
voyageur  nous  fait  connaître  une  inscription  latine  qui  finit  par  les 

mots  CEREUI  .  DIANAM.  S.  P.  CONSECRAVIT,  et  il  ajOUtC  : 

«  Cette  inscription  prouve  un  fait  sur  lequel  j'aurai  occasion  de 
«  revenir,  c'est  à  savoir  que,  dans  l'antiquité  païenne,  toutes  les  sta- 
«  tues  consacrées  dans  ses  temples  n'olîraient  pas  d'absolue  nécessité 
«  l'image  de  la  divinité  qui  était,  dans  ces  lieux,  l'objet  d'un  culte 
«  spécial;  qu'ainsi  une  statue  de  Diane  pouvait  être  consacrée  à 
«  Cérès;  et  que,  par  conséquent,  la  découverte  de  telle  ou  telle 
«  image  n'aïuionce  pas  qu'elle  avait  été  élevée  en  l'honneur  du  dieu 
«  et  de  la  déesse  de  ce  temple.  » 

Ces  observations  sont  fort  justes;  et  l'inscription  a  bien  la  portée 
que  M.  Le  Bas  lui  donne.  Quant  à  l'usage  qu'elle  constate,  qui  paraît 
le  surprendre,  ou  du  moins  lui  semble  avoir  besoin  d'ôtre  éclairci, 
puisqu'il  se  propose  d'y  revenir,  je  crois  utile  de  rappeler  que  cet 
usage  de  dédier  une  statue  de  dieu  à  un  autre  dieu  a  déjà  été  l'objet 
d'une  contestation  entre  M.  Raoul  Rochette  et  moi.  L'inscription 
trouvée  par  M.  Le  Bas  ne  fait ,  comme  on  va  le  voir,  qu'apporter  un 
nouvel  argument  en  faveur  de  l'opinion  que  j'ai  soutenue. 

Tout  le  monde  connaît  la  statue  archaïque  de  bronze  qui  est  au 
musée  du  Louvre.  M.  Raoul  Rochette  prétendit  qu'elle  représentait 
un  jeune  athlète  ou  un  lampadophore  ;  et  il  y  reconnut  un  style  pri- 
mitif qui  devait  être  antérieur  à  Phidias  (2).  Ce  savant  archéologue 
me  parut  avoir  fait  fausse  route  sur  ces  deux  points.  Je  soutins ,  de 
mon  côté,  1"  qu'elle  représente  Apollon,  2"  qu'elle  est  de  style 
dimitation,  et  certainement  postérieure  à  Alexandre ,  peut-être  même 

{le  l'époque  romaine  (3). 
Le  premier  point  ne  fut  guère  contesté,  et  tous  les  antiquaires  se 
jont  rendus  à  mon  opinion ,  excepté  pourtant  M.  Raoul  Rochette 


(0  Ci-dessus,  p.  280. 

(?)  Lettre  à  K.  O.  Mûller,  dans  les  Annales  de  l'Imtit.  arch.  T.  V  (1833), 
p.  193  et  suiv. 
(3)  Lettre  à  M.  Millingen,  dans  les  Annales.  T,  VI  (t834) ,  p.  198  et  suiy. 


440  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

qui,  dans  un  Mémoire  récemment  lu  à  l'Académie,  a  maintenu  celle 
qu'il  avait  proposée,  dont  il  est,  assure-t-il,  plus  convaincu  que 
jamais;  mais  il  est  resté  à  peu  près  seul  de  son  avis. 

Le  second  point  rencontra  plus  de  contradicteurs  parce  qu'il  bles- 
sait davantage  les  idées  reçues.  On  alla  même  jusqu'à  prétendre  que 
je  bouleversais  l'histoire  de  l'art. 

Ce  point  est  pourtant,  si  l'on  peut  dire,  plus  certain  encore  que 
le  premier.  Je  ne  parle  pas  ici  du  mélange  de  deux  styles, 
d'époques  différentes,  que  j'y  aperçus  le  premier.  Comme  l'appré- 
ciation de  ce  caractère  tient  au  sentiment  individuel,  et  peut  ne  pas 
frapper  tout  le  monde,  quoiqu'un  œil  exercé  ne  manque  pas  de  le 
reconnaître  à  présent,  je  n'insiste  pas  sur  ce  point,  et  je  me  borne 
à  rappeler  un  argument  tout  positif  que  je  fis  alors  valoir.  Je  le  tirai 
de  l'inscription  [OAHM]  02  AOANAIAI  AEKATAN,  incrustée  en 
lettres  d'argent  sur  le  pied  gauche.  Cette  inscription ,  intimement  liée 
à  l'exécution  de  la  statue,  en  est  contemporaine.  Or,  comme  les  letlres 
ont  la  forme  de  celles  qui  furent  employées,  non-seulement  après  Phi- 
dias, mais  ,  au  plus  tôt ,  dans  le  siècle  d'Alexandre ,  ainsi  qu'en  con- 
viendront tous  les  paléographes  ,  c'est  une  preuve  sans  réplique  que 
la  statue  est  postérieure  à  Phidias ,  et  dès  lors  qu'elle  ne  peut  être  que 
de  style  d'imitation.  C'est  la  un  argument  auquel  on  s'étonne  que 
M.  Raoul  Rochelte  n'ait  pas  pensé,  la  première  fois  qu'il  s'est  occupé 
de  la  statue  -,  et  l'on  s'étonne  plus  qu'il  s'y  montre  insensible , 
après  qu'on  le  lui  a  fait  remarquer.  Mais  qui  ne  sait  combien  on  a  de 
peine  à  revenir  une  fois  qu'on  s'est  engagé  dans  une  fausse  route? 

Ainsi ,  mon  opinion  sur  le  style  d'imitation  de  cette  figure  étant 
appuyée  sur  un  argument  de  cette  force,  n'avait  nul  besoin  d'être 
confirmée  par  une  nouvelle  preuve  ,  telle  que  la  découverte  d'une 
seconde  inscription,  faite  plus  tard  en  1842  ,  dans  l'intérieur,  indi- 
quant les  noms  des  auteurs  de  la  statue,  dont  l'époque  est  de  peu 
antérieure  à  l'ère  chrétienne,  si  même  elle  n'est  pas  postérieure. 
Cette  découverte,  curieuse  à  d'autres  égards  (dont  la  sottise  et  la  pré- 
somption voulurent  d'abord  révoquer  en  doute  l'authenticité),  était 
réellement  superflue ,  pour  établir  un  fait  clairement  démontré  déjà 
par  l'examen  seul  de  la  première  inscription. 

Après  ce  petit  préambule,  qui  rappelle  au  lecteur  les  principaux 
traits  de  cette  discussion ,  devenue  assez  célèbre  dans  le  monde  ar- 
chéologique, j'arrive  à  l'objet  spécial  de  ma  note. 

Contre  l'idée  que  la  statue  représente  Apollon,  M.  Raoul  Rochette 
avait  surtout  opposé  l'inscription  AOANAIAI  AEKATAN  qui  indique 


STATUE   d'un  dieu  A   UN   AUTRE   DIEU.  441 

que  la  statue  était  le  produit  d'une  dîme,  et  quelle  fut  dédiée  à 
Minerve,  Car,  selon  le  savant  antiquaire,  il  était  contrai''e  à  toutes  les 
traditions  de  Tart  et  de  la  religion  antiques  qu'une  statue  dApolion  ait 
été  dédiée  à  Minerve. 

Dans  ma  Lettre  à  M.  Millingen,  je  fis  observer  que  mon  docte  adver- 
saire méconnaissait  sur  ce  point  les  traditions  et  les  usages  de  Vart  et  de 
la  religion  antiques.  Car  rien  n'éiait  moins  rare  chez  les  anciens  que  de 
dédier  une  statue  de  dieu  à  un  autre  dieu.  C'est  un  fait  depuis  longtemps 
reconnu  que  les  anciens  dédiaient  souvent  des  statues  de  particuliers 
dans  les  temples  (l).  Pourquoi  n'en  aurait-il  pas  été  de  même  de  sta- 
tues de  dieux?  Aussi  j'avais  cité,  d'après  Pausanias,  des  statues  de  divi- 
nités consacrées  dans  le  temple  d'autres  divinités.  Dans  l'un  et  l'autre 
cas,  ce  n'était  ni  Yhomme  ni  le  dieu  que  Ton  dédiait;  c'était  la  statue 
elle-même,  qui  servait  d'ornement  au  temple,  ou  augmentait  sa  ri- 
chesse; elle  avait  le  caractère  d'offrande,  âvdOniJLx,  comme  un  tré- 
pied ,  un  cratère ,  un  autel ,  ou  tout  autre  objet  distingué  par  la 
richesse  de  la  matière  ou  le  mérite  de  l'art,  que  l'on  dédiait  également, 
accompagné  le  plus  souvent  d'une  inscription,  indiquant  le  nom  du 
donateur,  et  celui  de  la  divinité  à  laquelle  la  donation  était  faite. 

Mais,  pour  qu'on  n'eût  aucun  doute  sur  la  réalité  de  l'usage,  j'avais 
cité  cette  inscription  de  Smyrne  :  Koïvroç  Balépioç  IovIkxvoç  S^up- 
voLOç  A(7Y,):nT:L(ù  Inv/ipt.  Atoç  lar/ipoç  àycCk^xoL  aùv  (Saorgi  àpyvpi-n  yv^^iov 

^éarr}  à:véBrr/.£v (2).  c(  Quintus  Valerius   Julianus  de  Smyrne  a 

((  dédié  à  Esculape ,  médecin ,  celte  statue  de  Jupiter  sauveur ^  avec  sa 
«  base  d'argent  remplie  de  plâtre  (3).  »  Puisqu'on  dédiait  une  statue  de 
Jupiter  à  Esculape,  disais-je,  on  pouvait  bien  dédier  une  statue  d'Apol- 
lon à  Minerve.  Cet  exemple  était  si  décisif  que  j'ai  cru  inutile  d'en 
citer  d'autres  qui  ne  le  sont  pas  moins.  Mais  comme  M.  Raoul  Rochette 
revient  encore,  dans  son  Mémoire,  sur  son  erreur,  et  refuse  de  se  ren- 
dre à  cette  preuve  si  palpable,  il  faut  bien  le  renvoyer  aune  autre  in- 
scription rapportée  parM.Bœckh,  où  l'on  voit  qu'une  statue  d'Hercule 
amit  été  dédiée  àEseulape{\);  et,  ce  qui  est  plus  singulier,  qu'un  autel 
portant  les  figures  des  divinités  grecques  d'Apollon,  de  Diane  et  de 
Latone,  3i\a\t  été  dédié  aux  divinités  égyptiennes  Sévapïs  et  Anubis  (5). 
L'inscription  trouvée  par  M.  Lebas,  est  un  cinquième  exemple,  non 

(1)  Annales.  T.  VI,  p.  215. 

(2)  Maffei,  Mus.  Feron.,  p.  xxxviii.  —  Bœckh ,  Corp.  Imcr.,  n«  8159. 

(3)  Annales,  volume  cité,  p.  211. 

(4)  Corp.  Inscr.y  d«  1774  a, 

(5)  Id.,  no  2304. 


442  BEVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

moins  évident  que  les  quatre  autres,  qui  ne  fait  qu'ajouter  une  auto- 
rité latine  aux  autorités  grecques  que  je  viens  de  citer.  Je  les  recom- 
mande à  l'attention  de  M.  Le  Bas,  quand  il  voudra  revenir,  comme 
il  se  propose  de  le  faire,  sur  ce  point  curieux  d'archéologie.  Cet 
usage  devait  être  bien  peu  connu  des  antiquaires,  avant  cette  discus- 
sion, si  Ion  en  juge  par  la  fausse  opinion  d'un  des  plus  savants  d'en- 
tre eux,  lequel  se  montre  encore  si  difficile  à  convaincre  sur  un  point 
à  présent  si  clair. 

Ce  qui  paraît  l'avoir  engagé  à  persister  dans  cette  erreur,  c'est , 
comme  on  le  voit  dans  son  Mémoire  récent ,  un  passage  de  Dion 
Chrysostome  dont  il  abuse  étrangement,  à  mon  avis.  Il  croit  y 
trouver  la  preuve  manifeste  que  les  anciens  n'o/i^  jamais  pa  dédier 
une  statue  de  dieu  à  un  autre  dieu.  Mais  on  peut  d'avance  être  sûr 
que  le  rhéteur  connaissait  trop  bien  les  usages  de  sa  nation  pour 
commettre  une  erreur  pareille.  Il  parle  en  effet  de  l'ignorance  de 
Mummius  qui ,  méconnaissant  le  sujet  de  la  belle  statue  du  Nep- 
tune Isthmien  de  Corinthe,  après  l'avoir  fait  transporter  en  Italie, 
ou  du  moins  l'avoir  ôtée  de  sa  base,  l'avait  dédiée  à  Jupiter  (1); 
mais  il  ne  s'agissait  pas  seulement  de  dédier  la  statue  à  un  autre  dieu; 
ce  qui  se  faisait  sans  cesse.  Mummius,  par  ignorance  (tpsO  r/iç  à^aSt'aç ), 
en  avait  change  l'attribution ,  c'est-à-dire  qu'il  avait  transformé  un 
Neptune  en  Jupiter ,  en  consacrant  la  méprise  par  une  inscription 
gravée  sur  la  statue  ;  et  ce  qui  prouve  que  telle  est  bien  la  pensée  de 
Dion,  ce  sont  les  deux  exemples  suivants  qui  annoncent,  de  la  part 
du  général  romain ,  une  ignorance  plus  grande  encore,  car  il  fit 
inscrire  le  nom  (2)  de  Philippe  fils  d'Amyntas,  sur  une  statue 
enlevée  à  Thespie  (  probablement  la  statue  faite  par  Lysippe,  re- 
présentant Y  Amour,  divinité  principale  de  cette  ville)  (3);  ainsi  que 
les  noms  de  Nestor  et  Priam  sur  les  statues  de  deux  jeunes  gens, 
peut-ôlre  Jolas  et  Myrlilus  (4),  qu'il  avait  enlevées  de  Pheneos  en  Ar- 
cadie  (5);  ce  qui  était  le  comble  ce  l'ignorance,  puisqu'évidemment 
Mummius  ne  savait  même  pas  que  Priam  et  Nestor  étaient  des  vieil- 
lards. Tel  est  le  vrai  sens  du  passage  de  Dion  qui,  je  le  répète,  ne 
pouvait  pas  dire  une  chose  contraire  à  ce  qu'il  avait  sous  les  yeux. 

(l)  Tôv  "IjO/xiov....  Md/A/Ato;  k-jxvnâvxi ,  àviQ/j/.e  tw  Aif.  Oral.  XXXVII.  T.  II, 
p.  12:5   Reiske  ^ 

(?)  «tutTTTTOv  /xîv  TÔV  kttûvTOU  [ TOV  'Epcaxx] ,  o'j  Ix  ôsffTTtetwv  Daê^v^  iniypst'pt. 

(3)  Pausan.  iX,  27,  *3. 

V4)  /d.  VllI,  14,  Gel  7. 

(5)  Kai  T0Ù5  EX  ^£V£oï>  v£Kvîff/ou{,  TÔV  /*£«  Ne'ffTO/sK,  TÔV  Sk  n^ta/xov.  Dio  Chrysostom. 
Ibid.,  p.  124. 


STATUE   d'un  dieu   A   UN   AUTRE  DIEU.  443 

Ce  qui  explique,  sans  les  justifier,  ces  méprises  de  Mummius, 
c'est  que  les  statues  des  dieux  ou  des  héros  portaient  rarement  des 
noms  indiquant  le  personnage  qu'elles  représentaient,  parce  que  cette 
indication  était  inutile.  C'est  le  fait  qu'exprime  clairement  le  même 
Dion  Chrysostome,  lorsqu'il  dit  que  ïusage  n  était  pas  de  mettre  le 
nom  des  dieux  sur  leurs  statues;  aussi,  dans  la  suite  finit-on  bien 
souvent  par  ignorer  quels  personnages  divins  ou  héroïques  elles  re- 
présentaient (1).  Cette  circonstance  favorisa  les  fausses  attributions 
que  l'on  fit  si  fréquemment  vers  l'époque  romaine,  de  quelques-unes 
de  ces  statues  anonymes  auxquelles  on  imposa  des  noms  d'empereurs 
ou  d'autres  hommes  puissants.  En  cela,  l'ignorance  vint  au  secours 
de  la  flatterie. 

Pour  revenir  à  mon  sujet,  en  finissant,  on  voit  que  la  nouvelle 
inscription  trouvée  par  M.  Le  Bas  achève  d'établir  le  sens  que  j'ai 
donné  à  celle  de  la  statue  de  bronze  :  [6  ôt,^^oç  AÔavata  (Js/.arav 
qui,  dans  sa  concision,  était  aussi  claire  pour  un  Grec  que  si  elle  avait 
porté  oâriixoç  [to^s  dy(xliJ.ûc]  AQavccioc  ^v/.6lxclv  [ave'QyjzsJ.  ((  Le  peuple 
«  de....  [a  dédié  cette  statue]  à  Minerve,  [produit  d'une]  dîme.  » 

Letronne,  de  ï Institut. 


(1)  "h  TivÛv  [lisez  rlvuv]  YifjLtBébiv  ^  xaî  6ewv  ovraç  vttsjoov  àyvoîôijvat  Stk  rbv  xpôvov 
Tovc  yàp  Qtovi  i'niypAfsiv  oùx  c^rtv  tQoç.  Oral.  XXXI ,  t.  I ,  p.  Clô. 


VASE  FABRIQUE  EN  EGYPTE, 

PEIVDAIVT  la  DOMIIVATIOIV  PEUSE. 


Tout  le  monde  connaît,  soit  de  vue,  soit  par  les  descriptions  qui 
en  ont  été  données,  le  vase  d'albâtre  portant  le  nom  de  Xerxès  qui, 
du  cabinet  du  comte  de  Caylus,  est  passé  dans  celui  de  la  Bibliothè- 
que royale  (l). 

Ce  vase  présente  sur  la  panse ,  un  cartouche  égyptien  surmonté  de 
deux  lignes  de  caractères  cunéiformes  qui  donnent  dans  trois  sys- 
tèmes d'écritures,  et  très-certainement  en  trois  langues  différentes,  le 
nom  de  Xerxès  suivi  du  titre  de  grand  roi. 

C'est  aux  efforts  réunis  de  Saint-Martin  et  de  Champollion  jeune 
que  l'on  doit  l'interprétation  de  cette  quadruple  forme  d'une  même 
légende  royale. 

Obligé  de  défendre  son  système  contre  des  personnes  qui  doutaient 
de  l'existence  de  l'alphabet  hiéroglyphique  avant  les  Grecs  et  les  Ro- 
mains, Champollion  regarda  comme  une  bonne  fortune  la  découverte 
du  cartouche  de  Xerxès ,  qui  venait  prouver  d'une  manière  irréfra- 
gable l'emploi  de  cet  alphabet  plus  de  cent  cinquante  ans  avant 
Alexandre  (2). 

De  son  côté,  Saint-Martin  comprit  toute  l'importance  de  ce  petit 
nombre  de  lettres  cunéiformes  qui  s'accordaient  si  bien  par  leur  va- 
leur et  leur  position  avec  le  cartouche  égyptien;  aussi  déclare-t-il , 
dans  son  Mémoire  inséré  au  tome  XII  du  Recueil  de  l'Académie  des 
Inscriptions  et  Belles-Lettres,  que  sans  cette  circonstance  qui,  au 
moment  oii  il  s'y  attendait  le  moins,  est  venue  ajouter  un  nouveau 
degré  de  vraisemblance  à  ses  conjectures,  il  n'eût  pas  songé  à  donner 
de  la  publicité  à  son  travail  suf"  les  inscriptions  cunéiformes  (3). 

.  (1)  Recueil  d'antiquités,  U  V,  pi.  xxx.  Caylus,  qui  nous  apprend  que  ce  monu- 
ment avail  été  trouvé  en  Egypte,  le  considérait  comme  une  preuve  à  l'appui  de 
l'opinion  qu'il  avait  développée  dans  un  Mémoire,  à  savoir  que  Persépolis  était  une 
colonie  égyptienne. 

(2)  Précis  du  système  hiéroglyphique ,  1824,  première  édition  ,  p.  179.  Cham- 
pollion n'avait  pu  encore  trouver  le  nom  d'aucun  autre  roi  perse  écrit  hiéroglyphi- 
quement.  Depuis ,  on  a  retrouvé  ceux  de  quatre  des  rois  de  la  première  dynastie 
persane  en  Egypte  à  commencer  par  Cambyse. 

(3)  Mém.  de  VAcad.  des  Inscript.,  t.  XII ,  deuxième  partie ,  p.  143. 


VASE   FABRIQUÉ   EN  EGYPTE.  446 

Depuis  vingt  ans  la  science  a  fait  des  pas  immenses;  mais  il  y  a 
toujours  un  grand  nombre  de  gens  qui  veulent  s'instruire  sans  efforts, 
et  qui  ne  croient  pas  à  une  méthode  dès  l'instant  qu'elle  ne  les  dis- 
pense pas  de  tout  travail,  de  toutes  difficultés  (1).  Pour  ceux-là,  les 
arguments  les  plus  courts  sont  les  meilleurs,  et  je  ne  doute  pas  qu'ils 
n'aient  compris  beaucoup  plus  aisément  la  démonstration  réciproque 
fournie  par  le  vase  de  Xerxès  que  les  excellents  travaux  analytiques 
de  MxM.  Burnouf  et  Lassen(2). 

Mais  combien  les  inductions  que  l'on  a  pu  légitimement  tirer  de 
l'examen  du  vase  de  Xerxès  n'acquerront-elles  pas  de  force  lorsque 
l'existence  de  ce  monument  ne  sera  plus  un  fait  isolé?  car  si  le  ha- 
sard avait  permis  que  l'étonnant  parallélisme  des  caractères  cunéi- 
formes et  hiéroglyphiques  ne  fut  qu'une  vaine  coïncidence,  une  ex- 
ception spécieuse  à  laquelle  on  ne  pouvait  accorder  de  confiance ,  il 
devient  impossible  de  douter  encore  en  présence  d'un  second  exemple 
dans  lequel  toutes  les  notions  qui  ressortent  du  premier  viennent 
trouver  leur  application,  et  par  conséquent  se  vérifier. 

Telle  a  été  ma  pensée  aussitôt  que  j'ai  eu  connaissance  de  la  décou- 
verte que  sir  Gardner  Wilkinson  vient  de  faire  dans  le  trésor  de 
Saint-Marc,  à  Venise,  d'un  vase  sur  lequel  se  voit  le  nom  d'Ar- 
taxerce(3). 

Le  savant  Wilkinson  ne  nous  fait  pas  savoir  de  quelle  matière  est 
le  vase  en  question  ;  mais  d'après  la  disposition  des  inscriptions  qui 
est  identiquement  celle  que  nous  remarquons  sur  le  vase  de  Paris , 
nous  pouvons  supposer  que  l'un  est  d'albâtre  aussi  bien  que 
l'autre. 

Le  dessin  que  je  place  ici  a  été  communiqué  à  l'Association  archéo- 
logique britannique  par  M.  Petligrew,  à  qui  sir  Gardner  Wilkinson 
avait  envoyé  une  empreinte  prise  au  moyeu  du  frottement  sur  le 


(1)  Personne  ne  doute  de  la  réalité  de  la  lecture  des  livres  arabes,  ni  du  raérile 
de  la  savante  grammaire  de  Silveslre  de  Sacy  ;  comment  se  fait-il  donc  qu'il  y  ait 
dans  le  Coran  et  dans  bien  d'autres  ouvrages  des  passages  que  l'on  a  tant  de  difficulté 
à  expliquer?  pourquoi  aussi  un  si  petit  nombre  d'intelligences  réussit  il  à  com- 
prendre et  à  appliquer  les  principes  grammaticaux  exposés  dans  la  grammaire  de 
l'illustre  orientaliste  ?  faut-il  pour  cela  regarder  l'alphabet  arabe  comme  ima- 
ginaire? 

(2)  Mémoire  sur  deux  inscriptions  cunéiformes  trouvées  près  d'Hamadan ,  etc. 
Paris,  1836,  in-4.  Die  AUpersischç^  Keil-Inschriflen  von  Persepolis,  Enlzif- 
ferung  des  ^Alphabets  undErklœrung  des  Inhalls.  Bonn  ,  1836,  in-8. 

(3)  Celte  nouvelle  a  été  donnée  au  monde  savant  par  la  Lilterary  gazette,  du 
21  septembre  1844,  n°  1444. 


UQ 


REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

vase  de  Venise.  Ce  procédé,  qui  réussit  à  merveille  lorsque  Ton  opère 
sur  un  monument  gravé  profondément,  ne  donne  qu'un  résultat 


yr  ^"^^ 


très-imparfait  lorsque  ion  doit  relever  des  traits  faiblement  tracés 
comme  le  sont  probablement  ceux  qui  forment  les  caractères  cunéi- 
formes du  vase  de  Saint-Marc  (1  )  ;  aussi  ne  doit-on  pas  s'étonner  de 
voir  en  plusieurs  endroits  des  lettres  très-incorrectement  figurées. 

(I)  C'est  à  peine  si  le  dessinateur  du  comte  de  Caylus  avait  pu  distinguer  lei 
caractères  hiéroglyphiques  du  vase  de  Xerxès,  et  s'il  a  mieux  vu  les  caraclères  cu- 
néiformes, il  ne  les  a  pourtant  pas  rendus  d'une  manière  tout  à  fait  exacte;  le  mot 
ffasark,  grand,  qui  suit  le  nom  du  roi,  est  illisible  dans  sa  copie.  On  sait  du  reste 
que,  quelque  degré  de  talent  que  l'on  y  ^^porie,  on  ne  peut  jamais  copier 
exactement  une  inscription  conçue  dans  une  langue  que  l'on  ne  lit  pas.  C'est  ce  qui 
fait  que  nous  n'avons  pas  encore  deux  copies  identiques  des  inscriptions  cunéi- 
formes de  la  Perse. 


VASE   FABRIQUÉ   EN   EGYPTE.  447 

Comme  on  le  pense  bien,  l'apparition  de  la  nouvelle  inscription 
quadrililtérale  a  fait  sensation  dans  le  monde  scientifique,  et  M.  le 
baron  Walckenaer  l'ayant  communiquée  à  l'Académie  des  Inscriptions 
et  Belles-Lettres,  elle  a  donné  lieu  à  de  savantes  observations,  aux- 
quelles ont  pris  part  MM.  Burnouf ,  Lelronne  et  Lenormant.  On  me 
pardonnera  de  publier  mes  propres  observations  sur  un  sujet  déjà 
examiné  par  les  maîtres  de  la  science;  mon  seul  but  est  de  faire  con- 
naître aux  lecteurs  de  la  Reme  un  monument  qui  me  paraît  digne 
de  tout  leur  intérêt. 

La  première  ligne  de  l'inscription  cunéiforme  se  compose  de  treize 
caractères  disposés  en  trois  mots  séparés  par  de  petits  traits,  qui,  au 
lieu  d'être  obliques  conime  dans  la  plupart  des  inscriptions  murales, 
sont  verticales.  C'est  une  particularité  que  j'avais  déjà  remarquée 
dans  une  inscription  qui  appartient,  je  crois,  à  l'un  des  derniers  Da- 
rius, et  que  Rich  a  copiée  sur  la  muraille  du  nord  au-dessus  du  grand 
escalier  de  Persépolis(l). 

La  transcription  de  ces  mots  donne  ARDaKHevscHY  Nan  wazaRK, 
c'est-à-dire  Arlaxerce,  roi  grand.  C'est  là  une  forme  différente  de 
celle  que  nous  montre  l'inscription  si  curieuse  copiée  par  Rich  (2),  et 
dans  laquelle,  si  je  ne  me  trompe,  je  trouve  la  généalogie  des  Aché- 
ménides.  Dans  ce  texte,  en  eifet,  le  nom  d'Artaxerce  est  toujours 

écrit  ARTaKHeSCHTHA. 

Dans  les  deux  cas ,  il  est  remarquable  que  le  nom  d'Artaxerce  est 
bien  distinct  de  celui  de  Xerxès,  qui  est  toujours  écrit  KHSCHaHARSCHA 
ou  KHSCHARSCHA  (3).  Aiusi  l'indicatiou  fournie  par  Hérodote  (4)  qui 
dit  que  Xerxès  signifiait  dans  la  langue  des  Perses  guerrier,  et  Ar- 
taxerxès  grand  guerrier,  bien  qu'elle  puisse  être  étymologiquement 
exacte,  n'implique  pas  l'identité  de  prononciation  pour  ces  deux 
noms  à  l'époque  de  l'historien  grec. 

La  langue  dans  laquelle  est  conçue  la  seconde  ligne  de  caractères 


(1)  Rich,  IVarralive  of  a  journey  to  the  site  ofBabylon,  etc.,  with  narrative 
ofa  journey  to  Persepolis.  Londou,  1839  ,  in-8  ,  v.  pi.  XXIV. 

(?)  Ibid.,  pi.  XXIIÏ. 

(:î)  Ctlle  dernière  forme  ne  se  trouve  ,  je  crois ,  qu'à  la  quatorzième  ligne  de  l'in- 
scription précitée  ,  ce  qui  prouve  que  la  langue  allait  en  s'adoucissant. 

(4)  Lib.  VI,  C.  98.  Aûvarai  SkxxTX  'ED-Û-Sx  y/dJujav  raûrs:  rà  oùvd/AKTa,  ^apsXo;,  è^|ît*;ç* 
Ss^s^vî;,  apr,toi'  'AproiépHr,^,  fxi'/a.i  kpr/ioç.  Hérodole  écrit  Arloxerxcs;  Thui-ydide,  Uio- 
dore,  Cornélius  Ncpos  ,  Élierme  de  Byzarice,  emploient  la  forme  Arlaxerxes-  Main- 
tenant que  nous  avons  le  nom  en  caractères  cunéiformes,  nous  voyons  que  la  voyelle 
entre  le  D,  ou  le  T,  et  le  KH,  était  omise  et  que  les  Grecs  ont  pu  écrire  O  ou  A  sui- 
vant la  prononciation  plus  ou  moins  large  des  Perses  qu'ils  entendaient. 


448  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

cunéiformes  est  encore  inconnue.  Les  uns  ont  supposé  que  c'était  le 
mède;  d'autres,  les  orientalistes  anglais  principalement,  y  voient  du 
parsi.  Mais  toutes  ces  conjectures,  qui  ne  reposent  que  sur  des  consi- 
dérations historiques,  n'ont  aucune  valeur,  et  pourraient  se  multiplier 
à  l'infini.  Ce  qu'il  faudrait  pour  résoudre  la  question,  ce  serait  l'ana- 
lyse et  la  lecture  des  textes  que  nous  fournissent  en  assez  grand 
nombre  les  monuments  de  la  Perse  et  de  l'Arménie  ;  et  cette  tâche 
pourrait  être  accomplie  du  jour  où  l'on  obtiendrait  des  copies  cor- 
rectes de  ces  inscriptions.  En  attendant  on  a  pu,  à  l'aide  de  la  contre- 
partie zende  des  inscriptions  trilingues,  retrouver  les  noms  propres 
et  un  assez  grand  nombre  de  mots ,  mais  c'est  une  sorte  de  diction- 
naire muet  dont  les  éléments  peuvent  être  compris,  mais  non  pas 
articulés. 

Dans  l'état  des  choses,  voici  tout  ce  que  je  puis  dire  :  le  nom 
d'Artaxerce  paraît  se  composer  de  six  lettres  seulement.  La  première, 
qui  se  trouve  toujours  la  troisième  dans  le  nom  de  Xerxès  (qui  dans 
ce  système  ne  compte  que  quatre  lettres),  doit  être  un  a.  La  seconde 
ressemble,  si  elle  est  exactement  tracée,  à  la  lettre  qui  commence  le 
nom  de  Darius,  et  termine  celui  d'Ormouzd  dans  les  inscriptions  de 
l'Elvend;  on  peut  donc  la  considérer  comme  un  d. 

La  troisième  lettre  que  nous  voyons  en  tête  du  nom  de  Xerxès, 
aussi  bien  à  Persépolis  qu'à  Van  et  sur  le  vase  de  la  Bibliothèque 
royale,  ne  peut  être  qu'une  gutturale  fortement  aspirée;  elle  ne  parait 
pas  dans  le  nom  d'Achemènes.  Au  quatrième  et  au  sixième  rang 
figure  le  même  caractère  que  nous  retrouvons  le  second  dans  le  nom 
d'Ormouzd.  C'est  probablement  un  u,  avec  plus  ou  moins  le  son  ou. 

Si  la  cinquième  lettre  est  une  sifflante,  ce  que  nous  ne  sommes 
autorisés  à  supposer  par  aucun  exemple  antérieur,  on  obtiendrait  pour 
le  nom  complet  AnaKHOuscHOU  ou  quelque  chose  d'approchant.  On 
devine  plutôt  qu'on  ne  distingue  à  la  suite  de  ce  nom  le  caractère 
unique  qui  répond  au  mot  roi  dans  toutes  les  inscriptions  appartenant 
à  ce  système.  Vient  après  le  mot  grand,  dont  on  n'aperçoit  que  les 
trois  lettres  aua,  la  dernière  manquant  tout  à  fait. 

Le  système  d'écriture  que  nous  montre  la  troisième  ligne,  et  que 
l'on  appelle  communément  assyrien,  est  plus  facile  à  étudier  que  le 
précédent,  parce  que  les  caractères  en  sont  en  général  plus  distincts, 
et  qu'ils  paraissent,  non  pas  syllabiques,  mais  simplement  alphabéti- 
ques. Malheureusement  la  copie  que  nous  avons  sous  les  yeux  est  très- 
imparfaite,  et  les  deux  premiers  caractères  tout  à  fait  incertains.  Le 
troisième  est  un  d,  que  nous  connaissons  par  sa  présence  dans  les 


VASE    FABRIQUE    EN    EGYPTE.  449 

noms  de  Darius  et  d'Ormouzd.  Le  quatrième  est  une  lettre  aspirée  qui 
se  reproduit  deux  fois  dans  le  nom  de  Xerxès,  au  centre  et  à  la  fin  , 
et  qui  termine  aussi  les  mots  Achemènes  et  Ormouzd.  La  lettre  qui 
suit  est  aussi  la  dernière  du  nom  de  Darius,  et  doit  être  une  sifflante. 
Les  trois  autres  restent  incertaines;  mais,  selon  toute  probabilité,  lan- 
tépénultième  est  une  voyelle.  Le  tout  est  terminé  par  le  groupe  bien 
connu  qui  répond  toujours  à  roi  grand. 

Tels  sont  les  résultais  bien  minimes  que  j'obtiens  de  l'étude  de  ces 
phrases  si  courtes  et  si  peu  instructives.  J'espère  que  l'inscription 
contenant  le  nom  d'un  Artaxerce,  copiée  par  M.  Coste,  en  Perse ,  et 
dont  M.  Burnouf  nous  fait  espérer  la  traduction,  sera  plus  féconde  en 
enseignements  de  toute  nature. 

Je  passe  maintenant  à  l'examen  de  la  bande  hiéroglyphique  placée 
au-dessous  des  caractères  que  j'ai  décrits.  M.  Pettigrew  a  positive- 
ment avancé  que  Sir  Gardner  Wilkinson  lisait  phonéliqaement  la 
légende  entière,  et  qu'elle  donnait  ainsi  Ard-Kho-scho  Erpra.  Le 
savant  baronnet  traduit  ces  mots  par  Ârlaxerce  grand,  ce  qui  ne 
serait  pas  un  équivalent  de  la  phrase  déjà  trois  fois  répétée,  puisque 
le  mot  roi  manquerait. 

Sur  les  sept  caractères  contenus  dans  le  cartouche,  six  sont  parfai- 
tement connus  et  ils  entrent  en  fonction  dans  un  si  grand  nombre  de 
noms  royaux  qu'il  serait  superflu  de  chercher  à  en  appuyer  la  va- 
leur par  des  citations.  Un  seul  présente  quelque  difficulté,  c'est  le 
signe  elliptique  placé  au-dessus  du  s,  et  qui  doit  sonner  après  le  kh. 
M.  Pettigrew  en  fait  un  d,  afin,  dit-il,  d'avoir  un  équivalent  du  ca- 
ractère cunéiforme  d,  qui  occupe  une  position  correspondante.  Or, 
le  caractère  qui  figure  à  ce  rang  dans  le  zend,  est  celui  que  M.  Bur- 
nouf a  reconnu  pour  un  v  dans  son  Mémoire  sur  les  Inscriptions 
d'Hamadan,  en  sorte  que  je  ne  puis  m'expliquer  la  pensée  de  l'an- 
tiquaire anglais.  Le  caractère  elliptique  ressemble  beaucoup  au  Rhé 
que  nous  montrent  tant  de  cartouches  hiéroglyphiques,  et  si  nous 
adoptions  cette  valeur,  le  nom  entier  pourrait  être  lu  :  ARTaKHeRS- 
escH,  ou  ARTCfKHeRssCH  è,  forme  qui  aurait  cela  de  singulier  qu'elle 
se  rapprocherait  davantage  de  la  transcription  grecque  Apraîsp^y/ç 
que  de  l'original  zend  ARDaKHevsCHY. 

Il  faut  encore  faire  observer  que  l'on  a  trouvé  en  Egypte,  à  Qosseir, 
deux  cartouches  d'Artaxerce,  que  M.  Rosellini  croit  sculptés  pour 
Artaxerce-Longue-Main  (i),  et  que  ces  cartouches  (qui  d'ailleurs 

(1)  i  Monumenli  delV  Egillo  e  delta  Nuhia.  Pisa,  1833  ,  in  8.  Parle  prima. 
T.  II ,  p.  183,  pi.  XII ,  numéros  151  et  161  a. 


450  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

présentent  quelques  variantes  dues  à  l'emploi  d'omophones),  portent 

ARTaKHSCHeSSCUè  ou    ARTaKHSCHSeSCH. 

On  pourrait  en  conclure  que  le  vase  de  Venise  et  la  représentation 
de  Qosseir  n'appartiennent  pas  au  môme  Arlaxerce;  comme  d'un 
autre  côté,  j'ai  fait  remarquer  la  diiïérence  de  forme  qui  distingue 
le  nom  royal  cunéiforme,  tel  que  nouf?  le  voyons  sur  ce  vase,  de  celui 
qu'on  trouve  dans  la  table  généalogique  de  Persépolis,  table  qui  pa- 
raît avoir  été  gravée  sous  Artaxerce  111  ;  il  en  résulterait  que  le  vase 
pourrait  être  attribué  à  Artaxerce  Mnémon.  Ce  prince  cependant  ne 
paraît  pas  avoir  régné  sur  l'Egypte  (l),  en  sorte  que  l'on  ne  saurait 
trancher  la  question  sans  témérité.  Pour  résoudre  ce  problème,  il 
faudrait  posséder  la  merveilleuse  sagacité  et  la  connaissance  profonde 
des  annales  de  l'Egypte,  qui  servent  si  admirablement  M.  Letronne 
dans  l'interprétation  historique  des  moindres  monuments  de  l'épigra- 
phie.  Je  me  borne  à  appeler  son  attention  sur  ce  point. 

Au-dessous  du  cartouche  royal  se  voient  cinq  caractères  que  Sir 
Gardner  croit  former  le  mot  eri>ra,  grand.  Champollion  avait  lu  sur 
le  vase  de  Xerxès,  Friena,  lerina  ou /neno  qui,  selon  lui,  répondrait  au 
persan  iere  et  signifierait  héros  ou  Iranien ,  c'est-à-dire  Perse.  11 
avait  été  trompé  en  cela  par  la  lecture  de  M.  Saint-Martin  qui  n'avait 
pas  su  reconnaître  le  mot  wazaRK,  grand,  qu'a  lu  depuis  M.  Lassen 
et  que  M.  Burnouf  adopte. 

M.  Rosellini,  en  proposant  de  lire  Hanpena  au  lieu  àlriena,  avoue 
qu'il  ne  saurait  traduire  ce  mot  (2). 

Je  pense  que  l'erreur  consiste  à  vouloir  faire  un  seul  mot  de  ces 
cinq  caractères,  et  la  solution  de  cette  difficulté  nous  est  donnée  par 
M.  Charles  Lenormant  dans  ses  Recherches  sur  Vulililé  des  Hiéro- 
glyphiques d'UorapoUon  (3). 

«  Les  Égyptiens,  suivant  l'écrivain  alexandrin ,  regardent  leur  roi 
«  comme  le  maître  du  monde*  Voulant  exprimer  cette  idée,  ils  pei- 

(1)  l  Monumenti  dclV  Egillo ,  etc.,  M  Rosellini  remarque  que  l'on  manque 
presque  lotalemenl  de  nionumenls  des  rois  égyptiens  de  la  XXJX*  dynastie,  cont*  ra- 
porains  d' Artaxerce  U,  et  il  attribue  ce  dénùmcnl  aux  guerres  qui  iroublèrenl  cette 
époque.  Le  roi  Achuris  eut  à  combattre  conlinueilement  Artaxerce  Mnémon.  Serail-ce 
dans  un  instant  où  ce  dernier  aurait  fait  quelques  progrès  sur  les  posessr^ions  égyp- 
tiennes que  le  vaî^e  aurait  été  fabriqué?  Nous  savons  que  Darius  avait  élevé  à  Suez 
un  monument,  probablement  pour  constater  le  premier  pas  qu'il  avait  fait  sur  la 
terre  des  Pharaons.  Malgré  les  dilTérences  qui  se  remarquent  dans  les  cartouches, 
il  vaut  peut  être  mieux  les  attribuer  tous  à  Artaxerce  1". 

(?)  Ibid.,  p.  17G.  «  Non  Irina ,  ma  bensi  Manphena  o  Hanpena,  voce  che  dir 
«  non  saprci  che  cosa  significare  potesse.  » 

(3)  Paris,  1838,  p.  23. 


VASE    FABRIQUÉ    EN   EGYPTE.  451 

((  gnent  un  serpent;  dans  le  milieu  de  ce  serpent,  ils  indiquent  une 
«  grande  maison;  car,  dans  leurs  idées,  la  demeure  du  roi,  c'est  le 
«  monde  lui-même.  » 

((  On  rencontre  fréquemment,  ajoute  M.  Lenormant,  dans  les 
«  édifices  égyptiens  de  l'époque  romaine ,  un  cartouche  au  milieu 
«  duquel  on  dislingue  deux  caractères  seulement  :  le  premier,  le 
«  plan  d'une  maison  ;  le  second ,  le  symbole  ordinaire  de  l'idée  de 
grandeur.  Ce  cartouche  est  placé  auprès  de  la  figure 
du  souverain,  laquelle,  selon  l'usage  égyptien,  inter- 


« 

c(  vient  continuellement  dans   les  scènes   religieuses. 


ft" 


((  C'est  donc  là,  comme  Horapollon  le  dit  expressé- 
c(  ment,  une  désignation  générique  du  souverain  de 
«  l'Egypte.  » 

Il  suifit  de  jeter  les  yeux  sur  ce  cartouche  pour  y  re- 
connaître immédiatement  les  deux  premiers  signes  qui 
succèdent  au  nom  d'Artaxerce ,  et  le  mot  roi  se  trouve 
ainsi  occuper  la  môme  place  que  dans  les  lignes  cunéiformes. 

Vient  ensuite  le  signe  pe,  déterminalif  masculin;  puis  les  deux 
caractères  qui,  suivant  Champollion,  signifient  réunis,  grand  (voy.  le 
n"  444  du  tableau  lithographie  à  la  suite  du  Précis).  La  légende 
complète  est  donc  Artaxerce  roi  grand  y  et  d'une  part,  nous  sommes 
débarrassés  du  mot  Iriena  qui  ne  pouvait  se  lire  qu'en  changeant  la 
valeur  ordinaire  de  deux  signes;  de  l'autre,  nous  avons  l'avantage 
d'expliquer  l'absence  des  titres  royaux  au-dessus  du  cartouche,  ab- 
sence que  l'on  conçoit  très-bien ,  puisque  ces  titres  ne  pourraient 
être  à  la  fois  à  deux  places;  enfin,  on  obtient  une  traduction  com- 
plète et  exacte  des  lignes  cunéiformes.  Il  aurait  été  bien  extraordi- 
naire, que  sur  un  vase  très-vraisemblablement  fabriqué  en  Egypte, 
on  eût  omis  la  qualité  de  roi  précisément  dans  la  langue  du  peuple 
vaincu.  Ce  fait  n'aurait  pu  s'expliquer  que  par  une  intention  poli- 
tique qu'il  est  bien  difficile  d'attribuer  aux  Égyptiens,  très- empressés 
en  général  de  célébrer  leurs  maîtres,  quels  qu'ils  fussent. 

Adrien  de  Longpérieji. 


LETTRE  DE  M.  LE   BAS   A  M.    GUIGNIAUT. 

SUR  LE  NOMBRE  DINSCRIPTIONS  INÉDITES  QUI  EXISTENT  A  ATHÈNES. 


M.  Guigniaut,  président  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles- 
Lettres,  ayant  donné  lecture  à  celte  Académie,  dans  l'une  de  ses  der- 
nières séances,  d'une  lettre  qui  lui  a  été  adressée  par  M.  Ph.  Le  Bas, 
son  confrère,  au  sujet  des  inscriptions  existant  dans  les  divers  dépôts 
d'Athènes  ;  nous  croyons  faire  plaisir  à  nos  lecteurs  et  rendre  service 
à  la  science  en  publiant  cette  espèce  de  statistique  d'une  des  bran- 
ches les  plus  importantes  de  l'épigraphie  grecque. 

Quelques  doutes  avaient  été  élevés  dans  le  sein  de  l'Académie  sur 
une  assertion  précédente  de  M.  Le  Bas,  à  savoir  que ,  des  2  000  in- 
scriptions grecques  existant  à  Athènes,  1000  à  1200  sont  inédites. 
Voici  comment  le  savant  et  zélé  voyageur  justifie  cette  assertion  : 

Il  n'est  pas  exact  de  dire  que  tout  ce  qui  se  découvre  d'inscriptions 
à  Athènes  est  immédiatement  mis  au  jour  par  la  rédaction  du  Journal 
archéologique  publié  dans  cette  ville.  C'est  ce  qu'il  est  facile  d'établir 
d'une  manière  incontestable.  Le  nombre  des  monuments  soit  figurés, 
soit  épigraphiques,  publiés  jusqu'à  ce  jour  dans  le  journal  en  ques- 
tion, s'élève  à  800.  Dans  ce  nombre,  les  monuments  figurés  entrent 
pour  44,  les  inscriptions  pour  740,  total  784.  La  différence  de  16 
provient  de  quelques  erreurs  commises  par  l'éditeur  dans  le  numé- 
rotage. 

Sur  les  740  inscriptions,  504  seulement  proviennent  del'Attique, 
savoir  : 

Inscriptions  trouvées  à  l'Acropole 305 

dans  Athènes 176 

au  Pirée 76 

dans  les  autres  dômes  ....       37  • 

Total  pareil 594 

Les  146  numéros  restants  appartiennent,  soit  aux  îles,  soit  aux 

villes  du  nord  de  la  Grèce. 

Voilà  donc  un  fait  bien  constaté  :  le  Journal  archéologique  d'Athènes 

ne  contient  que  594  inscriptions  attiques. 
Est-ce  à  ce  nombre  que  se  bornent  les  monuments  existant  dans 

celte  contrée?  il  s'en  faut  de  beaucoup.  Le  résumé  ci-joint,  dont  les 

chiffres  sont  plutôt  au-dessous  qu'au-dessus  de  la  vérité,  le  ptouve 

d'une  manière  péremptoire. 


LETTRE    DE   M.    LE    RAS   A    M.    GUIGNIAUT.  453 

Dans  la  série  des  3600  fragments  de  sculpture,  d'architecture  ou 
d'épigraphie,  conservés  dans  les  quatre  grands  dépôts  d'Athènes,  les 
Propylées,  la  Pinacothèque,  le  temple  de  Thésée  et  le  carré  d'fladrien, 
série  dont  tous  les  numéros  sont  loin  d'être  occupés  (l),  et  qui ,  en 
ce  moment ,  se  borne  à  3100  numéros  environ,  les  inscriptions  figu- 
rent pour  1420,  savoir  : 

Temple  de  TRésée 166 

Propylées 222 

Pinacothèque 793 

Portique  d  Hadrien 239 

Total  pareil 1420,  ci...  1420 

A  ce  nombre  il  convient  d'ajouter  : 

Les  fragments  non  numérotés  des  inscriptions  relatives  aux 

tributs  des  alliés,  lesquels  s'élèvent  à 117 

Les  inscriptions  non  numérotées  éparses  au  milieu  des 

ruines  de  l'Acropole,  et  montant  à 90 

25  monuments  funèbres  transportés  récemment  dans  la 

tour  d'Andronique  de  Cyrrhus 25 

Les  inscriptions  que  j'ai  vues  et  copiées  dans  différentes 

maisons  particulières  d'Athènes  au  nombre  de 172 

La  collection  de  M.  Finlay  composée  de 18 

Celle  de  M.  Prokesch  qui  en  contient. 12 

Celle  de  M.  Pittakis 10 

Celle  de  M.  Gasperi .  10 

Les  79  inscriptions  que  j'ai  copiées  en  Attique 79 

Les  15  que  j'ai  transcrites  au  Pirée 15 

Total 1968 

J'étais  donc  en  droit  de  dire  qu'à  ma  connaissance  il  existait ,  tant 
à  Athènes  que  dans  les  dèmes  de  l'Attique,  environ  2000  inscrip- 
tions. 

J'étais  également  dans  le  vrai  en  affirmant  que,  sur  ce  nombre  de 
2000,  1000  à  1200  étaient  inédites.  C'est  ce  que  je  vais  établir  en 

(0  Cette  série  qui  commence  au  temple  de  Thésée  s'arrête,  pour  les  monuments 
contenus  dans  ce  musée,  au  n  ■  cns.  Elle  continue  sons  le  jjortiqne  gauche  des  Pro- 
pjlées;  mais  le  premier  numéro  n'est  pas  G('9.  On  a  jugé  plus  cunven.ibîe  de  lais- 
ser 400  numéros  libres  pour  les  acquisitions  ultérieures ,  et  le  premier  numéro  de 
ce  dépôt  est  lOOl.  Le  dernier  numéro  des  monuments  de  l'Acropole  estî8G6,  et  le 
premier  du  carré  d'Hadrian  qui  vient  ensuite  est  3001.  Il  n'y  a  donc  par  le  lait  que 
3100  monuments  numérotés. 

I.  30 


464  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

éliminant  successivement  du  nombre  de  1968  tous  les  chiffres  qu'il 
convient  d'en  défalquer.  Commençons  par  les  594  inscriptions  pu- 
bliées dans  le  Journal  Archéologique  d' Aihènes.  Il  nous  restera  1374 
monuments  écrits  qui  ne  figurent  pas  dans  ce  recueil,  ci.  .  .     1374 

Un  examen  attentif  m'a  prouvé  que  sur  les  1049  inscrip- 
tions attiques  contenues  dans  le  Corpus  inscriplionum  grœ- 
carum y  on  ne  pourrait  aujourd'hui  en  retrt)uver  à  Athènes 
plus  de  150.  En  effet,  le  plus  grand  nombre  a  été  prendre 
place  dans  les  ditîerents  musées  de  l'Europe,  notamment  à 
Oxford ,  à  Londres  et  à  Paris,  et  le  reste  a  disparu  dans  les 
décombres  ou  dans  les  fours  à  chaux.  Je  ferai  remarquer  en 
passant  que,  sur  les  150  marbres  en  question  ,  il  en  est  bien 
peu  dont  M.  Bœckh  ait  eu  une  copie  exacte.  Quoi  qu'il  en 
soit,  déduction  faite  de  ces 150 

il  reste  encore 1 224 

Retranchons  de  ce  nombre  une  centaine  de  monuments 
qui  ont  été  dans  ces  dernières  années  l'objet  de  publications 
spéciales  soit  en  Italie,  soit  en  Allemagne,  telles  que  les  inscrip- 
tions relatives  à  la  marine  athénienne,  celle  qui  se  rapporte 
à  la  réédification  des  longs  murs,  celles  qui  contiennent  les 
comptes  annuelsdes  tributs  payés  par  les  alliés  d'Athènes,  etc.,  ci       100 

le  reste  ci-dessus  se  trouvera  réduit  à 1124 

J'accorde  encore  que,  de  ces  1124 ,  on  déduise  les  100  à 
120  inscriptions  relatives  aux  dômes  de  l'Attique,  que  M.  Ross 
se  propose  de  faire  insérer  dans  les  Mémoires  de  l'Académie 
de  Munich,  bien  que  la  publication  puisse  s'en  faire  attendre 
assez  longtemps,  il  n'en  reste  pas  moins  constant  que,  même 

après  cette   dernière  déduction, 120 

les  inscriptions  inédites  d'Athènes  dépassent  le  nombre  de 

1000,  puisqu'elles  sont  au  nombre  de 1004 

On  pourra  m'objecter  qu'en  cherchant  bien,  on  parviendrait  à 
retrouver  quelques-unes  de  ces  1004  inscriptions  dans  un  livre 
publié  à  Athènes  en  1835  sous  le  titre  suivant  :  L ancienne  Athènes 
ou  la  description  des  antiquités  d'Athènes  et  de  ses  environs.  Mais  qui 
jamais  aurait  le  courage  de  se  donner  une  peine  aussi  infructueuse? 
Que  tirer  de  ce  gouffre  où  tous  les  monuments  sont  confondus  pêle- 
mêle,  sans  explications,  sans  commentaires,  dénaturés  le  plus  souvent 
par  les  plus  grossières  fautes  d'impression ,  oii  enfin ,'  il  faut  bien  le 


LETTRE   DE   M.    LE   BAS  A  M.    GUIGNIAUT.  455 

dire,  beaucoup  d'inscriptions  passent  pour  avoir  été  forgées  au  profit 
d'un  système  topographique?  Mieux  vaut  cent  fois  copier  de  nouveau 
que  de  tenter  un  triage  dont  les  résultats  seraient  nuls  et  ne  pourraient 
môme  qu'égarer.  Pour  ma  part,  quelque  grande  que  soit  ma  patience, 
je  ne  saurais  la  pousser  jusqu'à  ce  point.  D'ailleurs,  ce  livre  est  de 
1835 ,  et  un  grand  nombre  d'entre  les  monuments  qui  ne  (igurent  ni 
dans  le  Corpus  ni  dans  le  Journal  Archéologique  ont  été  découverts 
depuis  cette  époque.  Je  tiens  donc  les  1004  inscriptions  dont  il  s'agit 
pour  inédites  et  suis  convaincu  que  mon  opinion  sera  partagée  par 
quiconque  aura  voulu,  comme  moi,  se  rendre  minutieusement  compte 
de  l'état  des  choses. 

Sans  doute,  Monsieur  le  président,  toutes  les  1004  inscriptions  dont 
je  parle  n'ont  pas  l'importance  du  registre  des  tributs  payés  par  les 
alliés,  de  celui  qui  contient  les  comptes  rendus  par  les  gardiens  du 
trésor,  de  celui  où  sont  énumérées  les  dépenses  occasionnées  par  les 
chefs-d'œuvre  dont  Périclès  avait  embelli  sa  patrie,  de  cet  autre  encore 
où  sont  consignés  les  états  de  situation  de  l'Arsenal  du  Pirée.  Je  n'ai 
jamais  rien  avancé  de  semblable.  Depuis  longtemps  j'ai  prévenu  M.  le 
Ministre  de  l'Instruction  publique  que  dans  ce  nombre  était  comprise 
une  certaine  quantité  d'inscriptions  funéraires,  et  même  quelques 
fragments  plus  ou  moins  insignifiants.  C'est,  du  reste,  le  cas  de 
presque  toutes  les  collections  de  ce  genre.  Mais  ne  tirât-on  de  ces 
lOOi  monuments  que  2  ou  300  documents  qui  intéressent  l'histoire, 
ce  serait  encore  une  acquisition  précieuse,  et  je  puis  répondre  avec 
connaissance  de  cause,  dussé-je  être  de  nouveau  contredit,  qu'on 
obtiendra  bien  plus  encore. 

Il  s'agirait  d'ailleurs  d'examiner  si  toutes  les  inscriptions  attiques 
qui  ont  vu  le  jour  depuis  quinze  ans  ont  été  l'objet  d'un  travail  suffi- 
sant, et  si  une  nouvelle  édition  de  la  plupart  d'entre  elles  n'est  pas 
absolument  indispensable.  Qu'on  voie,  pour  me  borner  à  un  seul 
exemple,  comment  a  été  traitée  dans  le  Journal  Archéologique 
d'Athènes  l'inscription  d'Égine  dont  j'ai  fait,  en  1842,  l'objet  d'une 
dissertation  spéciale,  et,  si  l'on  veut  être  de  bonne  foi,  on  convien- 
Ira  avec  moi  qu'une  pareille  publication  ne  saurait  avoir  aucune  au- 
torité scientifique.  Par  égard  pour  l'auteur  de  ce  travail,  je  ne  veux 
)as  insister  ici  sur  sa  prétendue  restitution  du  texte  non  plus  que 
(ur  les  déductions  historiques  qu'il  en  tire.  Je  me  borne  à  constater 
jue  la  copie  du  monument  n'est  pas  même  fidèle.  Or,  on  sait  qu'une 
transcription  peu  fidèle,  faite  par  une  main  peu  exercée,  embarrasse 
)arfois  et  souvent  même  égare  les  archéologues  les  plus  habiles,  et 


456  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

qu'un  monument  ne  cesse  vraiment  d'être  inédit  qu'autant  que  la 
copie  qui  en  est  mise  sous  les  yeux  du  public  peut  être  considérée 
comme  un  fac-similé  de  l'original;  de  môme  qu'on  est  toujours  en 
droit  de  s'exercer  sur  ce  monument  tant  que  les  explications  qui  en 
ont  été  données  précédemment  ne  satisfont  pas  à  toutes  les  exigences 
de  la  critique.  Qui  oserait  blâmer  M.  Welcker.d'avoir,  après  le  Jour- 
nal Archéologiqne ,  reproduit  dans  le  Bheinisches  MaseM/n  l'inscrip- 
tion suivante ,  conservée  au  carré  d'Hadrien  sous  le  n**  3162  : 

EP2HI2 

THA0rATPIA0202E0AN0NFAENAI2ENA0HNAI2 
EP2HI2rNnTOI2INnA21Ain02ArOOON 

surtout  après  avoir  lu  la  transcription  suivante  en  caractères  courants 
qu'en  donne  l'éditeur  athénien  (p.  302,  n°  359)  : 

Éparjïç 
T'riXov  narplâoç  wç  ëQoivov  y.leivcx.ïç  iv  AGvivaiç 
Epa'Tj'ïç  yvcûToîciv  izqlgi  Aittoç  aTroGoOffa , 

tandis  qu'il  fallait  lire,  en  tenant  compte  de  certains  faits  dialec- 
tiques : 

Ep(77]tÇ. 

ÈpGYIÇ  yVCÙTOÏGlV  TlddL  iLr.ovdXTToBov, 

Un  monument  aussi  mal  lu  (l),  disons  le  mot,  aussi  maladroite- 
ment estropié,  ne  demandait-il  pas  à  être  repris  et  ne  justifie-t-il  pas 
la  réflexion  du  savant  professeur  de  Bonn  :  Sic  isd  legunt  inscripùones 
grœcas!  Et  certes,  ce  n'est  pas  le  seul  qui  soit  de  nature  à  provoquer 
de  sévères  critiques.  Pour  ne  pas  sortir  des  inscriptions  mé'riques, 
je  puis  signaler  encore  les  n"*  22 ,  53,273,287,  302,311,423, 
456,  509,  560,  569,  641 ,  716,  748  qui  tous  ont  été  mal  lus  (2), 
mal  reproduits  et  par  conséquent  mal  compris  (3). 

(1)  Sur  la  planche  lithographique  qui  est  supposée  donner  le  fac-similé  de  l'in- 
scription ,  on  lit  à  la  fin  du  second  vers  :  rAilAIPOSAPOGOY. 

(2)  N°  G43,  une  inscription  latine  a  été  prisi3  pour  une  inscription  grecque. 

(3)  Ce  qui  prouve  à  quel  point  le  Journal  Archéologique  d'Athènes  mérite  peu 
d'être  considéré  comme  une  publication  sérieuse,  c'est  qu'ici  même  un  archéologue 
grec,  M.  Rizo  Rangabé,  qui  a,  pendant  les  premiers  temps,  fourni  quelques  articles 
a  ce  recueil,  a  cru  devoir  renoncer  à  toute  coopération  et  entreprendre  une  nou- 
velle explication,  dans  un  ordre  plus  méthodique,  de  tous  les  monuments  Uouvés 


LETTRE   DE    M.    LE   B/VS   A    M.    GUIGNIAUT.  457 

C'est  parce  que  la  plupart  des  copies  d'inscriptions  attiques  publiées 
en  Europe  depuis  quinze  ans  sont  dues  à  ceux  qui  lisent  ainsi  les 
monuments  épigraphiques  de  la  Grèce,  c'est  parce  que,  en  comparant 
ces  copies  aux  monuments,  j'ai  eu  lieu  de  me  convaincre  qu'elles 
étaient  loin  d'être  fidèles,  et  que  dans  les  plus  importantes,  comme, 
par  exemple,  dans  celle  qui  concerne  les  réparations  des  longs  murs, 
les  conjectures  du  copiste  ont  été  insérées  par  lui  dans  le  texte, 
comme  si  elles  faisaient  partie  du  monument;  c'est  pour  ce  motif, 
dis-je ,  que  j'ai  cru  devoir,  une  fois  pour  toutes ,  constater  par  la 
transcription  et  par  l'estampage  l'état  actuel  de  tous  ces  documents 
historiques,  qu'ils  fussent  déjà  publiés  ou  non.  Je  persiste  à  croire 
que  j'ai  eu  raison  de  mettre  ainsi  à  profit  mon  séjour  à  Athènes.  Si 
d'autres  voyageurs,  envoyés  ici  comme  moi  avec  une  mission  archéo- 
logique, n'ont  pas  jugé  à  propos  d'en  faire  autant,  s'ils  ont  trouvé  un 
emploi  plus  utile  ou  plus  agréable  de  leur  temps  dans  un  pays  oii  il 
n'y  a  pas  autre  chose  à  faire  lorsqu'on  ne  dessine  pas  ou  qu'on  a  un 
dessinateur  à  sa  disposition,  je  suis  bien  loin  de  les  en  blâmer;  mais 
je  puis  aussi  leur  demander  d'avoir  la  môme  bienveillance  à  mon 
égard  et  de  me  savoir  même  quelque  gré  de  n'avoir  pas  reculé  devant 
une  tâche  pénible  dont  l'accomplissement  ne  peut  qu'être  utile  à  la 
science. 


en  Grèce  depuis  la  régénération  de  ceUre  contrée.  Ce  travail  estimable  et  qui  dé- 
note beaucoup  de  connaissances  et  de  sagacité  est  digne  de  l'aUention  de  l'Acadé- 
mie ,  à  laquelle  l'auteur  m'a  chargé  de  faire  hommage  à  mon  retour  d'un  exem- 
plaire de  tout  ce  qui  a  paru  jusqu'à  présent.  L'impression  a  atteint  len°  248  et  n'a 
pas  encore  dépassé  la  première  section  qui  doit  contenir  tous  les  actes  promulgués 
entre  l'olympiade  80  et  l'olympiade  94. 

Athènes,  le  34  juillet  1S44. 


FIGURINE  DE   BRONZE 

DU   CABINET  DE   M.    LE  VICOMTE   DE  JESSAINTi, 

PAIR  DE  FRANCE. 


De  toutes  les  figures  de  bronze  que  nous  a  laissées  l'antiquité,  les 
plus  rares,  sans  contredit,  sont  celles  qui  représentent  des  particu- 
liers. Je  ne  parle  pas  des  bustes,  mais  des  images  entières,  surtout 
de  celles  qui  sont  exécutées  en  petit.  La  raison  de  cette  rareté  est, 
en  premier  lieu,  que  l'exécution  d'un  portrait  réclame  le  talent  d'un 
artiste  habile  ;  que,  dans  l'antiquité,  les  artistes  ne  furent  jamais  bien 
nombreux,  et  que  peu  de  particuliers  pouvaient  faire  les  sacrifices 
d'argent  nécessaires  pour  mettre  à  leur  service  un  ciseau  consacré  à 
la  reproduction  du  type  idéal  de  Jupiter,  de  Vénus  ou  d'Apollon  ; 
quant  aux  artistes  médiocres,  aux  artisans,  ils  préféraient  sans  doute 
copier  à  la  douzaine  les  statues  célèbres  des  dieux  et  des  héros  ;  il 
ne  s'agissait  plus  pour  eux,  dans  ce  cas,  que  d'imiter  une  attitude 
bien  connue  qui  suffisait  pour  déterminer  l'identité  du  personnage. 

Si  l'on  avait  quelque  vœu  à  accomplir,  quelque  offrande  intéressée 
à  déposer  dans  les  temples,  plutôt  que  de  faire  faire  sa  propre  image, 
on  aimait  mieux  dédier  une  statue  de  dieu,  même  d'un  dieu  diffé- 
rent de  celui  que  l'on  voulait  implorer  ou  remercier,  comme  l'a  fait 
voir  M.  Letronne  (1). 

En  second  lieu,  les  portraits  de  particuliers  n'offraient  souvent, 
après  quelques  générations,  aucun  intérêt,  et  s'ils  étaient  de  métal, 
ils  échappaient  bien  difficilement  à  la  fonte,  genre  de  malheur  que 
le  marbre  n'avait  pas  du  moins  à  redouter.  II  en  fut  de  même  au 
moyen  âge,  temps  pendant  lequel  les  représentations  de  Dieu ,  de  la 
Vierge  et  des  Saints  étaient  transmises  de  siècle  en  siècle,  et  toujours 
conservées  par  les  fidèles. 

La  découverte  de  la  figurine,  dont  M.  le  vicomte  de  Jessaint  vient 
d'enrichir  sa  collection,  est  donc  un  fait  digne  de  remarque.  Ce  mo- 
nument fut  récemment  trouvé  dans  l'Aisne,  à  quelque  distance  de 
Soissons  ;  sa  hauteur  est  de  onze  centimètres,  et  il  est  fait  de  bronze 

(1)  Voyez  ci-dessus  ;  p.  439. 


I 

I 


FIGURINE  DE  BRONZE.  459 

jaune  recouvert  d'une  belle  patine  brune.  Les  yeux  sont  d'argent,  et 
toute  la  figure  est  exécutée  avec  un  soin  qui  en  fait  un  morceau  pré- 
cieux ,  indépendamment  de  fintérôt  qu'elle  excite  sous  le  rapport 
archéologique. 

Le  personnage  que  représente  cette  figurine  est  assis  sur  un  siège 
dont  les  pieds  manquent;  il  a  les  cuisses  et  les  jambes  recouvertes 
par  une  draperie ,  dont  l'extrémité  tombe  derrière  le  siège»  La  tête 
offre  une  expression  douce  et  souffrante.  Un  des  pieds  est  nu  et  posé 
seulement  sur  une  sandale,  l'autre  est  complètement  chaussé. 

Ce  qui  rend  cette  figure  extrêmement  remarquable,  c'est  l'état  de 
maigreur  extraordinaire  des  bras  et  du  torse  qui  laissent  Voir  tout  le 
système  osseux.  Une  créature  humaine  ne  peut  être  amenée  à  cette 
élisie  surprenante  qu'après  une  maladie  fort  longue  et  fort  grave, 
telle,  par  exemple,  que  la  phthisie  pulmonaire.  On  s'aperçoit  bien  fa- 
cilement que  l'artiste  a  découvert  toute  la  partie  supérieure  du  corps 
pour  mettre  en  évidence  celte  effrayante  maigreur. 

La  gravité  maladive  du  visage,  le  soin  avec  lequel  les  cheveux  et  les 
yeux  sont  traités,  excluent  l'idée  d'une  caricature,  car  on  a  des  exem- 
ples d'empereurs,  d'acteurs,  de  divinités  même,  dont  les  imperfections 
étaient  ridiculisées  avec  une  extrême  liberté  (l).  Parmi  les  infirmités 
qui  prêtaient  à  la  raillerie,  on  peut  compter  la  maigreur,  témoin  les 
misérables  infibulés ,  dont  Winckelman  a  publié  le  dessin  (2) ,  mais 
l'attitude  grotesque  de  ces  figures  les  distingue  complètement  de  la 
nôtre. 

Celle-ci  paraît  avoir  été  faite  par  ordre  d'un  malade  qui  voulait 
consacrer  dans  le  temple  d'un  Dieu  sauveur,  Apollon  ou  iEsculape, 
le  souvenir  de  sa  guérison,  plus  heureux  que  Phayllus,  général  pho- 
céen, dont  parle  Pausanias  qui,  s'étant  vu  en  songe  aussi  maigre  que 
le  squelette  de  bronze  dédié  par  Hippocrate  dans  le  temple  de  Del- 
phes (3),  ne  tarda  pas  à  tomber  dans  une  maladie  de  langueur  qui 
réalisa  bientôt  ce  que  lesongeavait  présagé,  etleconduisit  au  tombeau. 

(1)  Winckelman,  Monumenti  incdili,  n"  190.  —  Lenormant,  Mémoire  sur  les 
caricatures  de  Caracalla  conservées  dans  le  musée  d'Avignon  ;  Nouvelles  an- 
nales de  l'Inslilut  archéologique ,  t.  Il ,  deuxième  partie.  —  J.  de  WiUe,  Calalo- 
guc  de  la  collection  Durand,  n»  1G85  à  1G92,  069  el  G70.  —  Le  même,  Expli- 
calion  d'une  amphore  à  svjel  comique,  annales  de  l'inst.  archéol.  de  Rome, 
t.  XIII ,  p.  303.  Voy.  la  parodie  de  l'anivée  d'Apollon  à  Delphrs  gravée  en  lète  de 
la  Ihèse  do  M.  Lenormanl  :  cur  Plnto  Aristophanem  in  convivium  induœerit;  1833. 

(2j  Monumenti  inedili,  n°  188, 

(1)  'Ev  toTç  àva0v7/u.a!7i  tou  'AttcJW.wvos  fjLÎfi-^ixa.  vj-j  j^a^xou  p^povtwT^pou,  y.aTspp\)Y)/.àTOç  te 
^'5>j  TKç  aipx.«,i,  xat  xà  ostSl  uTToAeiTro/Asvou  fxôvx»  Paus.  Phocid.,  II,  10. 


460  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE.  ^ 

Sur  le  devant  de  la  draperie,  se  lit  une  inscription  en  caractères 
formés  de  points  : 

CYAAMIAAC 
nePAlK 

On  doit  sous-entendre  ANE0HKEN,  et  traduire  :  Eadamidas ,  fils 
de  Perdiccas ,  a  dédié  cette  figure. 

C'est  donc  un  ex-voto  du  genre  d3  ceux  que  le  christianisme  a 
rendus  si  communs  ;  mais  je  ne  connaissais  d'autre  monument  antique 
de  cette  classe  que  la  jambe  de  plomb  suspendue  à  une  chaîne  d'or 
que  Linck  avait  rapportée  de  Grèce. 

Cette  statuette,  trouvée  au  centre  de  la  Gaule,  ne  saurait  y  avoir 
été  fabriquée,  mais  elle  a  pu  y  être  apportée  comme  une  singularité 
intéressante  à  l'époque  où  les  mœurs  romaines,  et  avec  elles  le  goût 
des  collections,  se  répandirent  dans  notre  pays. 

Les  caractères  sont  tracés  de  manière  que  l'on  ne  sait,  au  premier 
abord,  s'il  faut  lire  EYAAAAIAAC  ou  EYAAMIAAC.  Sans  la  petite 
distance  qui  existe  entre  les  jambages  intérieurs  de  l'M,  ce  qui  semble 
en  faire  deux  lambda,  je  ne  penserais  pas  au  premier  de  ces  noms 
qui  est,  autant  que  je  puis  le  croire,  tout  à  fait  inconnu,  tandis  que 
l'histoire  et  les  monuments  nous  ont  conservé  le  souvenir  de  plusieurs 
Eudamidas.  Car,  sans  compter  ce  Corinthien  si  confiant  en  amitié,  et 
dont  Lucien  a  rendu  le  testament  célèbre  (l),  on  connaît  deux  rois 
de  Sparte  (2)  q^i  portaient  ce  nom,  ainsi  qu'un  vo/jLO(puXaç  de  la  môme 
ville  (3),  et  ce  chef  lacédémonien,  frère  de  Phœbidas,  qui  fut  mis  i  la 
tête  de  troupes  envoyées  en'Thrace  pendant  la  guerre  contre  les  Olyn- 
thiens  (4). 

D'ailleurs,  ce  noni  ^st  un  dérivé  régulier  d'Eudamus,  nom  connu 
aussi  bien  que  celui  d'Eudames  (5).  Perdiccas  est  un  nom  que  l'on 

(1)  Lucian.  ToxariS ,  22.  'ATro),ei7rw  'ÂpzrxOji  /asv  tyjv  inriripa.  iiom  rpzfst'jxxi  yripo/.o- 
li.sii>,  XapiÇévw  ^s  T^îv  6\)-/scTépoc  /aou  i/.Sovvxi  p.s.xv.  irpoixài  ,  OTcdff/jv  «v  Ti}.zisTr,v  sTCtcoOvat 

Ttxp^  aUToO    ÙXJJYjTOCt. 

(2)Pulyb.,  IV,  35,  13.  — Plut.  tn^âfïd.,c.  3.  — Pausan,  III,  10,5. 

(3j  Inscription  trouvée  à  Sparte  près  du  théâtre  et  de  la  tour  méridionale.  Bœckh, 
rMol.,  p.  616.  n'  12i0.  V.deox  autres  personnages  du  même  nom  dans  les  inscrip- 
tions découvertes  au  théâtre  et  prés  du  temple  de  Lycurgue.  Ibid. ,  p.  623,  n°  1249 
et  p.G:>8,  n°  125G. 

(4)  Xeuoph.  tiisl.  grœc,  lib.  V,  c.  ii  ,  24.  — Dio'J.Sic.,lib.  XV,  xx,  3;  xxi,  1. 

(5)  Aristoph.  PI.  884  Eudamus,  philosophe  qui  vendait  des  anneaux  magiques. 
—  Cf.  Mioniiet.  Ces  noms  se  trouvent  sur  des  médailles  de  Cos  et  de  Smyrne.  V.  aussi 
Muratori,  MXXVII,  1.  L'inscription  d'Eudamus,  fils  de  Castor.  ^ Cf.  Diog.  Laert,, 
IV,  30,  31. 


FIGURINE   DE    BRONZE.  AGI 

peut  dire  exclusivement  macédonien ,  et  qui  se  rencontre  rarement 
dans  les  écrivains  anciens,  mais  il  a  pu  être  porté  à  Alexandrie,  et  de 
là  transporté  à  Rome. 

1!  est  assez  difficile  de  déterminer  le  pays  oii  cette  figurine  a  été  fa- 
briquée; quant  à  l'époque  à  laquelle  vivait  Eudamidas,  je  crois  qu'elle 
a  dii  précéder  de  bien  peu  l'ère  chrétienne.  La  coiffure  de  ce  person- 
nage est  tout  à  fait  celle  d'Auguste;  je  dois  faire  observer,  en  outre, 
que  l'on  aperçoit  aux  extrémités  des  jambages  droits  des  lettres  de 
1  inscription  (voyez  pi.  xiii,  le  fac-similc  placé  au-dessous  de  la 
figure)  de  petits  traits  que  les  paléographes  appellent  apices  ,  genre 
d'ornement  qui  s'est  introduit  vers  le  1'"'  siècle,  avant  Jésus-Christ, 
mais  seulement,  comme  le  remarque  M.  Letronne  (l),  dans  l'écriture 
des  inscriptions  sur  pierre  ou  sur  métal,  car  il  nen  reste  aucune  trace 
dans  celle  des  manuscrits  d'Egypte  ou  d'Herculanum. 

Il  est  fort  étonnant  que  fartiste  à  qui  l'on  doit  Yex-voto  d'Euda- 
midas,  et  qui  a  su  modeler  le  cou,  le  dos,  le  bas-ventre  et  les  bras 
avec  un  talent  anatomique  vraiment  irréprochable,  n'ait  pas  su 
comment  s'attachaient  les  côtes  et  n'ait  nullement  indiqué  le  ster- 
num. Un  petit  squelette  de  bronze  conservé  dans  le  musée  Ktr- 
cher  (2)  présente  la  même  singularité  ;  sept  côtes  de  chaque  côté 
viennent  se  joindre  entre  elles  sans  sternum  ni  fausses  côtes. 

Cet  oubli  dénote,  chez  les  artistes  de  f  antiquité,  l'absence  d'études 
ostéologiques ,  et  le  fait  est  que  les  représentations  de  squelettes 
sont  très-rares.  Cela  tient  à  ce  que,  bien  difïérents  en  cela  des  chré- 
tiens du  moyen  âge,  les  anciens  avaient  horreur  de  la  mort;  si,  à 
une  époque,  comparativement  récente,  on  voit  Trimalcion  faire 
apporter  à  ses  convives,  au  milieu  d'un  festin,  un  squelette  d'ar- 
gent, il  faut  considérer  cette  action  comme  un  raffinement  de  dé- 
bauche d'un  homme  blasé  qui  avait  emprunté  à  la  civilisation  cor- 
rompue des  Égyptiens  (3)  ce  moyen  d'excitation ,  et  que  la  peur  de 
cesser  de  vivre  stimulait  à  abuser  de  la  vie. 

Adrien  de  Longpérier. 

(1)  Explication  d'une  inscription  grecque  trouvée  dans  l'intérieur  d'une  statue  an- 
tique de  bronze.  Paris,  1843 ,  p.  33. 

(2)  Ficoroni ,  Gemm.  anliq.  lillerat ,  Rome ,  1758 ,  pi.  YIII ,  n°  4. 

(3)  Hérodole,  H,  78.  'Ev  Zi  rv^Tt  awovrji-çat.  roXui  sÙSoi.Iixo'jL  «utîwv,  sTreàv  àitô  Ssîtcvo^j 
yévwvTKt,  izzpifipst  àvTipvexpbv  h  nopco  |û/tyov  Tzi-TzovniJ.i'JQ-j ,  fMciJ.ifJLniJ.i-jO'J  i$  rà  fj-ûXiarx  xai 
ypy.f^  xal  ipyoi'  fj.iyoiOoi  ô-ia-j  rs  TrâvTv?  7r/;x'J«'ov,  ri  êi7fr,yyj'  ûstzvùj  Ss  é/.ôiarw  twv  eu/ATto- 
Tswv,  Hysi,  Eç  TOUTOv  épswv,  ttîvs  ts  xy.tTêjOTrcU*  sffsat  yscp  aTroQavwv  zoio'ùroç. 


SUR 

ME  AIVCIEMNE  PEmiURE  SYMBOLIQUE 

DE  L'ANNONCIATION 

»E    LA    BIBLIOTHÈQUE   DE    WEIMAR, 

(  Voir  la  Planche  14.) 

Nous  donnons  ici  la  gravure  d'un  tableau  fort  curieux  de  la  biblio- 
thèque ducale  de  Weimar,  qui  nous  a  paru  mériter  l'attention  de 
ceux  qui  s'occupent  d'iconographie  chrétienne.  Quoique  cette  gra- 
vure ait  été  déjà  publiée  par  Bertuch,  dans  le  sixième  volume  de  son 
recueil  périodique  intitulé,  Curiositàten  der  pJiysisch-lilerarlsch-arliS' 
tisch'historischen.  Vor  md-mitmelw  {Weimar,  1817),  nous  avons 
jugé  utile,  maintenant  que  les  études  sur  la  symbolique  du  moyen 
âge  sont  approfondies  davantage,  de  la  reproduire  et  d'en  faire  l'ob- 
jet d'un  examen  plus  détaillé  et  plus  sérieux. 

Le  style  et  la  manière  de  ce  tableau  nous  font  reconnaître  la  main 
d'un  artiste  allemand  de  la  fin  du  XV^ou  du  commencement  du  XVP 
siècle ,  époque  qui  nous  est  indiquée  d'ailleurs,  par  l'armure  d'un 
guerrier  à  genoux  sur  une  toison,  et  que  l'inscription  de  la  bande- 
role située  dessous,  nous  apprend  être  Gédéon. 

Devant  une  porte  fermée,  porta  clama,  ainsi  que  le  dit  la  bandelette 
qui  s'étend  dans  sa  largeur,  est  une  jeune  fille  agenouillée,  aux  che- 
veux blonds  flottant  sur  les  épaules,  et  la  tête  surmontée  d'une  au- 
réole. A  sa  physionomie  qui  respire  la  douceur  et  la  piété,  qui  rayonne 
d'une  purelé  céleste,  il  est  aisé  de  reconnaître  la  Vierge  Marie,  celle 
dont  saint  Épiphane  a  dit  :  «Sur  ton  front  brille  un  rayon  céleste;  le 
Christ  t'illumine  comme  un  soleil  (l).  »  Elle  est  vêtue  d'une  robe  de 
couleur  brune,  semée  de  fleurs  d'or;  un  manteau  vert  est  jeté  sur 
ses  épaules.  Elle  est  assise  au  milieu  d'un  parterre  de  fleurs  entouré 
d'une  enceinte  à  l'intérieur  de  laquelle  s'élève  aussi  la  porte  close.  Sur 
son  sein  repose  une  licorne  qu'elle  caresse  de  la  main  et  qui  franchit 
l'enceinte,  en  s'élançant  dans  son  giron.  En  dehors  de  cette  même  en- 
ceinte, et  en  face  de  Marie,  est  un  ange  qui  s'annonce  tout  de  suite 
pour  être  Gabriel.  Il  est  en  habit  de  chasseur;  sa  tunique  est  verte 

(1)  De  laud.  beat.  Virg.  ap.  Oper.  éd.  Petavii ,  t.  II,  p.  298. 


ANCIENNE  PEINTURE  DE   L' ANNONCIATION,  463 

semée  d'or,  son  manteau  est  écarlate  et  ses  ailes  rayonnent  de  mille 
couleurs.  Du  bras  droit,  il  porte  une  lance  ou  plutôt  un  épieu;  de  la 
main  gauche  il  sonne  du  cor.  Du  pavillon  de  l'instrument  s'échappe 
une  banderole  portant  ces  mots  :  Ave,  gralia  plena,  Dominus  tecum. 
De  la  main  droite,  il  tient  en  laisse  quatre  limiers  retenus  par  des 
cordons  rouges  attachés  à  leurs  colliers  verts.  Deux  de  ces  chiens 
sont  brun  noir,  le  troisième  est  brun  clair,  et  le  quatrième  blanc.  De 
leurs  gueules  s'échappe  à  chacun,  une  bandelette  sur  laquelle  est  écrit, 
pour  les  deux  premiers,  verilas  eijuslilla,  pour  le  troisième,  miseri- 
cordia,  pour  le  quatrième , pa^.  Ces  quatre  animaux  sont  dans  l'atti- 
tude du  repos,  ils  regardent  la  haie  de  ïhorlus  conclusus  (  on  a  écrit 
ortus  suivant  l'ancienne  orthographe).  Au  devant  de  la  Vierge,  sont 
inscrites  dans  une  banderole  les  paroles  de  la  salutation  angélique  : 
Ecce  ancilla  Domini,  fiat  mihi  secundum  verhum  tuum ,  qui,  réu- 
nies à  celles  prononcées  par  Gabriel,  nous  indiquent  avec  certitude 
que  le  sujet  représenté  par  le  peintre,  est  l'annonciation.  Il  y  a  en 
outre  autour  du  tableau  une  foule  d'autres  inscriptions  sur  des  phy- 
lactères ;  à  savoir  aux  pieds  de  l'ange  :  quasi  oVwa  formosa  exallala  est 
in  cawpis;  aux  pieds  de  la  Vierge,  Porta  Ezechielis  et  Porta  aurea;  au- 
dessous  de  Gédéon,  sur  le  second  plan,  vellus  Gedeonis  (on  a  écrit 
wellus,  suivant  l'orthographe  allemande);  au-dessus  d'une  ville  et 
d'une  tente  dressée  devant  la  .ville,  Archa  Domini;  sur  le  même  plan, 
Fons  hortorum,  puteus  aquarurn  viçentiam;  cette  inscription  est  auprès 
d'une  fontaine  dont  l'eau  s'échappe  par  trois  conduits,  et  non  loin  d'un 
puits  placé  entre  cette  fontaine  et  la  ville.  Sur  le  plan  postérieur  à 
celui  du  puits,  un  autel  sur  lequel  brûlent  huit  cierges,  et  au  milieu 
desquels  s'élève  la  verge  d'Aaron  qui  fleurit,  v/r^a^aron,  ainsi  que 
l'annoncent  ces  deux  mots  écrits  sur  l'autel.  Le  long  de  l'enceinle,  à 
peu  près  sur  le  même  plan  que  cet  autel,  sont  plusieurs  phylactères, 
sur  lesquels  on  lit  :  Turris  eharnea,  urnaaurea;  sicut  lilium  interspinas 
sic  arnica  mea  inler  fîlias  ;  cum  creavit  me  requieçit  in  tahernaculo  meo. 

Au  dessus  de  la  porte  close  est  le  buste  de  Dieu  le  père,  placé 
dans  une  couronne  de  chêne;  il  ouvre  les  deux  bras,  et  de  sa  poitrine 
s'échappent  des  rayons  lumineux  sur  lesquels  s'élance  l'enfant  Jésus, 
nu,  nimbé,  et  portant  sa  croix.  Les  rayons  se  dirigent  vers  Marie,  et 
à  leur  extrémité,  on  a  peint  la  colombe  divine,  la  lêle  surmontée  de 
lauréole  et  volant  droit  à  l'oreille  de  la  Vierge.  On  lit  sur  une  bande- 
lette placée  dans  la  même  direction:  Veni,  auster, perfla  hortam  et 
fluant  aromata. 

L'artiste  avait  ainsi  réuni  dans  son  tableau,  presque  tous  les  symbo- 


464  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

les  sous  lesquels  la  mère  du  Sauveur  était  représentée.  En  eflet,  ces  di- 
verses inscriptions  sont  autant  de  passages  tirés  des  Écritures ,  qui 
s'appliquent  à  Marie.  Les  expressions  :  Sicut  lilium  inter  spinas,  ut  fons 
horlorum,  putms  aquarnm  vwentiam,  Veni,  ausler,  perfla  ortam,  etc., 
horlas  conclasiis,  turris  ehurnea,  sont  empruntées  au  Cantique  des 
Cantiques  (l),  et  étaient  regardées  comme  autant  de  métaphores 
prophétiques,  par  lesquelles  la  Vierge  avait  été  désignée. 

Marie  est  la  fleur  éternelle,  suivant  les  expressions  de  saint  An- 
selme (2),  /?os  œlerms;  c'est  la  fleur  des  champs  d'oii  est  sorti  le  lis 
précieux  de  la  vallée,  flos  campi  de  qiio  orlam  estpretiosum  UUamcon- 
çallium  (3),  le  puits  des  eaux  vives  (4),  la  fontaine  qui  étanche  la 
soif  de  tous  ceux  qui  sont  altérés  (5),  le  lis  qui  fleurit  au  milieu  des 
épines  (6);  la  tour  d'ivoire,  qui  se  dresse  entre  toutes,  comme  un 
monument  de  piété  inaccessible  au  vice  comme  le  perpétuel  triomphe 
de  la  vertu  dont  elle  est  la  récompense  (7)  ;  le  parterre  que  vient  ra- 
fraîchir le  souffle  divin  du  zéphyr  (8)  ;  le  jardin  fermé  d'où  s'échappe 
la  source  divine  dont  les  eaux  fécondent  le  monde  (9). 

La  toison  est  encore  une  image  de  Marie ,  car  le  Psalmiste  s'est 
écrié  (lO)  :  Descendit  siciitpluvia  invellus  ;  paroles  qui  ont  été  appli- 
quées à  Marie  par  saint  Ephrem  (11),  saint  Bonaventure  (12),  saint 
Bernard  (  1 3),  Richard  de  Saint-Victor  (l  4)  et  St.  Jean  Damascène  (1 5). 
C'est  également  à  Marie  que  se  rapportant  ces  paroles  de  l'Écriture  : 

(I)  Cantic.  Cantic  II,  2;  IV.  12,  16,  15;  VII,  4. 
(?)  In  Hymn.  I  in  beat.  Domini  geneiric.  Mar. 

(3)  S.  Augustin  ,  Serm.  2  de  Annunt.  beat.  Mariae,  12. 

(4)  S.  Hieronym.,  Serm.  de  Assumpt.  beat.  Mari»,  4.  SMIdephons.,  Serm.  1  de 
Assuinpt.  beat.  iMariae,  10. 

(6)  Psaller.beat.Virgin.PS.  81,v.3,ap.  Oper.  S.  Bonavent.  T.  VI.(BernaB,  1696.) 

(6)  «  Liliiira  inter  spinas  ,  quia  de  spinosa  propagine  Judcorum  nala  candcscebat 
«  munditia  virgineae  caslitatis  in  corpore ,  flammescebat  aulcm  ardore  gemmœ  cha- 
«  rilatis  in  mente,  fragrabat  passim  odore  boni  operis,  etc.  »  S.  Petr.  Damian. 
Hom.  in  naliv.  beat.  Virgin. 

(7)  «  Turris  eburnea,  vere  praeposita  cunctis  in  exemplum  sanctimoniae,  circura- 
«  posila  singulis  in  praesidium  pugnae,  superposila  omnibus,  in  speelaculum  glo- 
«  riaî ,  reposita  universis  légitime  certantibus  in  praemium  coronœ.  »  Hclinandus 
Cisterc.  Serm.  2,  in  naliv.  beat.  Virg. 

(8)  «  Hortus  conclusus  quera  auster  Spirilus  Saneti  adventu  visitât  pleniore-  >• 
Philippus  abb.,  lib.  IV,  in  Cantic.  Cantic.  c.  29. 

(9)  Joan.  Gerson.  Serm.  in  cœn.  Domini. 

(10)  LXXI,  6. 

(II)  Serm.  in  laud.  beat.  Virgin,  ap.  Oper.  éd.  Assemani,  t.  III,  p.  57.'>. 

(12)  Psalt.  in  beat.  Virgin.  XL,  2. 

(13)  Serm.  3  sup.  Salve  regina. 

(î'i)  Exposit.  in  Cantic.  Cantic.  c.  42. 
(15)  Orat.  de  nativ.  beat.  Virgin.  III.  21. 


ANCIENNE   PEINTURE    DE   l'ANNONCIATION.  465 

Quasi  oliva  speciosa,  exaUata  est  in  campis  (l).  L'urne  d'or,  l'arche 
du  Sauveur,  sont  autant  d'emblèmes  de  cette  iemme  incomparable  : 
Salut,  urne  d'or  qui  contient  la  manne,  dit  en  l'invoquant,  saint 
André  de  Crète  (2)  :  Uriîe  d'or  qui  porte  la  manne ,  c'est-à-dire  le 
Christ,  écrit  saint  Chrysostome  (3)  :  Urna  aurea  de  lato  nostrœna- 
tarœ  producta  quœ  in  se  recondilam  halmit  manna  cœlestis  gratiœ , 
lit-on  dans  Pierre  Comestor  (4)  :  Arche  du  Sauveur  qui  a  une  âme 
et  une  intelligence,  dit  saint  Jean  Damascène  (5);  KtêwToç  toO 
Ô£gt:6tov,  trouve-t-on  dans  une  homélie  de  saint  Chrysostome  (6)  ; 
tu  arcapielatis  etgïoriœ,  écrit,  dans  son  concert  de  louanges  à  Marie, 
le  mystique  saint  Bonaventure  (7). 

La  porte  close  qui  occupe  le  milieu  du  tableau  et  à  laquelle  se  rap- 
portent aussi  les  titres  de  Porta  Ezechielis,  Porta  Aurea,  est  un  autre 
symbole  de  la  Vierge.  Cette  porte  fait  allusion  au  passage  d'Ezé- 
chiel  :  Et  convertit  me  ad  viam  portœ  sanctuarii  exterioris ,  quœ  respi- 
ciehat  adorientem  et  erat  clausa.  Et  dixit  Dominas  ad  me  :  Porta  hœc 
clausa  erit  :  non  aperielur  et  vir  non  transibit  per  eam  :  quoniam  Do- 
minus  Deus  Israël  ingressus  est  per  eam,  erilque  clausa  (8).  Elle  est  à  la 
fois  l'image  de  la  porte  du  ciel  (9)  et  de  celle  par  laquelle  le  Seigneur 
est  venu  visiter  son  peuple;  c'est  l'emblème  de  la  conception.  Écou- 
tons plutôt  saint  Éphrem  s'écriant  :  Ai^e,  porta  cœlorum,  açe,  porta- 
ram  cœlestis  paradisi  reseramentam ,  et  il  ajoute  ailleurs  (10): 
Claires  nias  portœ  orientalis  semper  clausœ  non  excussit  Deus  creator 
iuus,  in  virginali  tuo  utero  sine  semine  carnem indulus{i  1  ).  C'est  la  porte 
fermée  par  laquelle  est  entré  Jésus  :  Jésus  enim  clausis  ingressus  est 

(1)  Superbe  olivier  qui  porte  un  fruit  i^Iorieux  et  dont  la  fleur  exhale  un  délicieux 
parfum.  S.  Joan.  Chrys.  Orat.  VII.  in  dom.  Deipar.  14.  k  Oliva  speciosa  qui  pukhra 
«  in  ramis,  in  foliis  et  fructibus.  »  Jacob,  a  Voragine  in  Mariai.  Serm.  3.  Cf.  Joan. 
Gerson.  Tract.  IX  snp.  Magnificat- 

(2)  S.  Andreœ  Cictcnsis  Serni.  in  Anuunt.  beat.  Mariae  ,  éd.  Combefis,  p.  3. 
(3i  Orat.  Vil  in  sancliss.  Deipar.  14. 

(4)  In  Serm.  de  concept,  beat.  Virgin. 

(5)  Orat.  III  de  Assumpt.  beat.  Virgin.  19. 

(G)  Serm.  in  sanct.  Virgin,  et  Deipar.  ap.  Opéra  éd.  Montfaucon,  t.  VIII,  p.  237. 

(7)  Gîintic.  ad  beat.  Virgin,  ap.  Oper.  T.  VI,  p.  516. 

(8)  IV,  U2. 

(9)  «  Porta  orientîUls  ,  ut  ait  Ezechiel,  semper  clausa  et  lucida,  openens  m  se  , 
«  vel  ex  se  proferens  sancta  sanclorum  per  quam  sol  Jusliliae  et  Ponlifex  noster 
«  secundum  ordinem  Meichiscdech  ingredilur  el  egrodilur.  »  S.  HIeron.  Ep.  30  ad 
Pammach.  pro"  libr.  adv.  Joviiiian.  ap.  Oper.  T.  V,  col.  2il.  (Opéra,  ni6, 
Paiisiis ,  in-fol.,) 

(10;  Serm.  de  sancliss.  Deipar.  virg.  Mar.  T.  III,  p.  570  ap.  Opéra, 
{U)  Ibid.,\).  575. 


466  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

ostiis.  Hortus  conclusus,  forts  signalas,  écrit  saint  Jérôme  en  faisant 
allusion  au  verset  du  Cantique  des  Cantiques  (l), 

La  verge  qui  fleurit  sur  l'autel,  c'est  celle  d'Aaron  -.gracieuse 
image  de  Notre-Dame  :  Ero  quasi  ros,  Israël  germinahit  sicut  Uliam 
et  erumpet  radix  ejus  ut  Libani,  dit  le  prophète  Osée  (2).  Ce  sont  les 
Pères  qui  se  sont  tous  accordés,  pour  expliquer  ainsi  la  miraculeuse 
fleuraison  de  la  baguette  d'Aaron,  cette  verge  qui,  comme  Marie,  a 
fleuri  àvUa(ùç  (3).  Virga  Aaron  frondens  et  fructam  faciens ,  dit  saint 
Augustin  (4).  Virga  Aaronis  viridans,  dit  saint  Ephrem  (5).  Virga 
Aaron  de  qua  sinis  omni  lœsione  prodiit  nàscendo  flos  Christas ,  écrit 
Hugues  de  Saint- Victor  (6).  Virga  Aaron  quœ  frondait^  floruit  et  fruc- 
tificaçit  sine  opère  humano,  dit  saint  Antonin  (7).  C'est  aussi  la  verge 
de  Jessé  (8)  qui  joue  un  si  grand  rôle  dans  l'iconographie  chrétienne 
et  qui  a  été  le  type  de  tant  de  légendes  (9). 

Et  comme  cette  fleur  est  l'emblème  de  Marie,  le  peintre  l'a  aussi 
placée  au  milieu  d'un  parterre  de  fleurs  ;  car  Marie  est  la  fleur  des 
fleurs,  flos  florum.  Ces  fleurs  sont  là,  pour  faire  allusion  au  passage 
du  Cantique  des  Cantiques  :  Flores  apparuerunt  in  terra  noslra,  tempas 
putalionis  adçenit  (10). 

Mais  arrêtons-nous  surtout  au  symbole  qui  forme  le  sujet  prin- 
cipal de  ce  tableau,  à  la  licorne  et  à  l'ange  chasseur.  L'animal  est 
poursuivi  par  Gabriel,  et  il  se  réfugie  sur  le  sein  de  Marie:  voilà  une 
allusion  à  une  antique  croyance  populaire  relative  à  cet  animal  fabu- 
leux (il).  Écoulons-la,  telle  que  nous  la  trouvons  consignée  dans  le 
traité  intéressant  des  propriétés  des  bêtes  extraites  du  neuvième  livre 
du  Roman  d'Alexandre,  et  publié  par  M.  Berger  de  Xivrey  :  a  Ceste 
besle  est  si  forte  qu'elle  ne  puisse  estre  prinze  par  la  vertu  des  ve- 
neurs, sinon  par  subtilité.  Quant  on  la  vieult  prandre ,  on  fait  venir 
une  pucelle  au  lieu  où  on  scet  que  la  beste  repaist  et  fait  son  re- 


(1)  s.  Hieronym.  Epist.  30  ad  Pammach.  col.  242. 

(2)  XIV,  6.  ^ 

(3)  Soû«uT-^5  (tt^v  4"^x^^)  'A«/5wv  p5c65ov  àvt'x/Aw  jSAsco-Tvjoraffav  lûijoaxs.  S.  Athan.  Ûrat. 
in  occurs.  Domini ,  c.  16  ,  ap  Oper.  éd.  Gong.  S.  Maur.  T.  II,  p.  423. 

(4)  Serra.  IX  ad  fratr.  in  Her.  Erera. 

fô)  Serm.  de  laud.  sancliss.  I3eipar.  \irg.  Mar.  p.  676. 
(6)  Annotation  elucid.  S.  Joan. 
(7   Summ.  Part.  III,  31,  c.  3. 
(8)Isaie,XI,  1. 

(9)  Voyez  mon  Essai  sur  les  Légendes  pieuses ,  p.  76. 
(10)11,1?. 

(Il)  Fabuleux!  On  sait  qu'on  prétend  aujourd'hui  avoir  retrouvé  ce  célèbre  ani- 
mai ;  mais  nous  doutons  encore  et  attendons  confirmation. 


ANCIENNE   PEINTURE   DE   L'ANNONCIATION.  467 

peire.  Si  la  licorne  la  veoyt  et  soit  pucelle,  elle  va  se  coucher  en  son 
giron,  sans  aucun  mal  lui  faire  el  illec  s'endort.  Alors  viennent  les 
veneurs  qui  la  tuent  au  giron  de  la  pucelle.  Aussi  si  elle  n'est  pu- 
celle, la  licorne  n'a  garde  d'y  coucher,  mais  tue  la  fille  corrompue  et 
non  pucelle(l).  »  La  licorne  indique  donc  ici  l'innocence,  la  virginité 
de  Marie.  Cet  animal  était  devenu ,  d'après  la  fable  que  nous  citons, 
le  type  de  la  pureté.  Cette  attribution  et  cette  fable  remontent  sans 
doute  l'une  et  l'autre,  à  une  haute  antiquité,  puisque  chez  les  Perses, 
la  licorne  était  un  symbole  du  règne  entier  des  animaux  purs, 
tandis  que  le  fantastique  martichoras  était  à  la  tête  des  animaux  im* 
purs  (2). 

Mais  en  même  temps  que  la  licorne  apparaît  ici  comme  emblème 
de  la  virginité,  elle  est  aussi  l'image  du  Sauveur,  l'homme  pur  par 
excellence.  C'est  ce  que  nous  apprennent  plusieurs  passages  des 
Pères.  On  lit  par  exemple  dans  saint  Chrysostome  :  «  Les  licornes  sont 
les  justes,  et  far-dessus  tout  Jésus-Christ  qui  combat  contre  ses  ad- 
versaires avec  sa  croix  comme  avec  ,une  corne  ;  celte  corne  est 
celle  dans  laquelle  repose  notre  confiance  (3).  »  Saint  Basile  nous  dit 
que  la  licorne  est  l'emblème  de  la  force  et  que  la  licorne  est  la  force 
du  Père  (4).  On  lit  dans  un  écrivain  scolastique,  moins  célèbre  que 
ces  deux  Pères  :  «  Dilectus  quasi  filius  unicornium.  Quid  filio  Dei 
((  similius  quam  filius  unicornium?  Captus  est  et  ipse  araore  virginis 
<(  etmajestatis  oblitus,  carneis  vinculis  irretitur  (5).  »  Ici  l'allusion  à 
la  croyance  vulgaire  est  évidente  ;  elle  reparaît  dans  ce  verset  du  can- 
tique à  la  Vierge  de  saint  Bonaventure  :  «Benedicta  sit  Domina  et 
((  mater  Dei  Israël  qui  per  levisitavitet  fecit  redemptionem  plebis  suae 
ce  et  erexit  unicornu  salutaris  castitatis  tuae  ((i).  » 

Au  moyen  âge,,  ce  rôle  symbolique  de  la  licorne  était  devenu  po- 
pulaire. Philippe  de  Thaun  dit,  à  ce  sujet,  dans  son  Bestiarias  : 

Monosceros  grui  est ,  en  françois  un  corn  est; 
Besle  de  tel  baillie  Jhesu  Crist  signifle 
Un  Dell  est  et  serat  et  fuet  el  parmaindrat 
En  la  Virgene  se  parut  et  Virgene  le  conceut 
Virgene  est  et  serai  et  tuz  jurz  parmaindrat 

{Apud  T.  Wright,  Popular  Ireatises,  on  science wrillett 
during  Ihe  middle  âge,  p.  86.) 

(1)  Traditions  tératologîques  ,  p*  559. 

(2)  Cf.  Creuzer,  Religions  de  l'Antiquité  ,  trad.  Gnigniaut ,  t.  I ,  p.  340. 

(i)  S.  Chrysostoni.  Spuriain  Fsalm.  XCI.  ap.  Oper.  ed  Monlfaucon.  t  VII,  p.  778. 
('i)  Homil.  in  Ps.  XXVIII  ,c.  G,  ap.  Oper.  ed.  Garnier,  t.  I,  p.  120.  Cf.  Beda  in 
Psalm.  LXX,  1.  Isidore  Hispalena  Origen.  Lib.  XII,  c.  2. 
(6)  S.  Thomas  Villannvus  in  rialiv.  Domin.  Cône.  4. 
(6)  Cantic.  ad  beat.  Virgin,  ap.  Oper.  1.  c.  p.  515. 


468  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

Le  minnesinger  Conrad  de  Wurzbourg  tient  le  même  langage, 
quand,  parlantde  l'incarnation  du  Christ,  il  s'écrie:  «Que  cherches-tu 
au  sein  de  Marie  :  cs-tu,  comme  la  licorne,  cette  bête  farouche  qui, 
aux  aboîs,  fuit  vers  la  Vierge  (1)?  » 

Il  est  clair,  d'après  ces  passages,  que  cet  animal  était  à  cette  époque 
l'emblème  du  Christ.  C'est  à  ce  titre  qu'il  figure  sur  certains  chapi- 
teaux des  églises  romanes  et  gothiques,  et  notamment  sur  un  de  ceux 
de  saint  Regnobert  de  Caen,  où  l'on  voit  la  licorne  poursuivie  par  un 
chasseur,  se  réfugier  sur  le  sein  d'une  jeune  fille  (2).  Image  souvent 
répétée  et  qui  a  fourni  à  plus  d'un  poëte  de  ces  temps ,  d'heureuses 
comparaisons,  comme  on  le  voit,  entre  autres,  par  cette  chanson  du 
trouvère  Pierre  de  Gand  ; 

Ausi  com  l'unicorne  suis 
Rc  s'csbahil  en  regardant 
Quanl  la  pucellc  vait  mirant , 
Tant  est  de  son  anuit  , 

Pasmcc  chiét  en  son  giron  , 
Lors  roccist-on  en  ttaixon  , 
El  moi  ont  mors  d'duleil  semblant 
Amors  et  ma  dame  por  voir 
Mon  cuer  ont,  n'en  puis  poenl  avoir. 
Ap.  Arlh  Dinaiix,   Trouvères ,  Jongleurs  et  Ménestrels  du  nord 
de  la  France ,  t.  H,  p.  o43. 

Citons  aussi  ces  vers  naïfs  du  minnesinger  Rumslant  : 

Ein  Thicr  hal  greulichen  Zorn 

Dcss  aile  Jœj^er  grauet  ;  das  ist  das  Einiiorn. 

Man  jagl'es  lang  uiid  durfl's  nichl  fahen , 

Doch  Cng  es,  wie  man  mir  gf'sagt, 

Ganz  eine  und  lauter,  einc  magd. 

Et  legt  sich  in  des  .^lœgdleins  schoos , 

Und  gab  slch  ilir  gcfangen. 

Maners,  Minnesinger-Samrnlung,  l,  22 i. 

Un  autre  minnesinger,  Hohenfels ,  a  fait  une  allusion  analogue 
dans  ces  deux  vers  : 

Das  Rinhorn  in  der  niœgde  Schoos 
Giebt  der  Keuschheit  seinen  Leib. 

Maners ,  o.  c.  I,  84. 

Dans  plusieurs  anciens  zodiaques  la  vierge  est  accompagnée  d'une 
licorne,  toujours  par  la  même  intention  symbolique. 

L'animal  ifabuleux  est  donc  le  Christ  qui  choisit  Marie,  parce  qu'elle 

[i)  Maners ,  Minnesinger-Sammlung ,  II ,  201. 

(2)  Cf.  Delarue ,  Essai  hislor.  sur  Caen,  l  I,  p.  99. 


ANCIENNE   PEINTURE   DE   L*ANNONCIA.TION.  469 

est  la  plus  pure.  Gabriel  est  le  chasseur  qui  la  poursuit;  il  donne  du 
cor,  comme  pour  annoncer  l'arrivée  du  Seigneur  et  faire  ouvrir  la 
porte  close.  Ainsi  jadis,  au  pied  de  la  tourelle  du  manoir  féodal, 
l'écuyer  annonçait  le  retour  de  son  maître.  Les  chiens  s'arrêtent 
d'étormement  devant  la  Vierge  qui  a  servi  de  refuge  à  l'animal.  Ils 
annoncent  le  règne  de  la  vérité,  de  la  paix,  de  la  miséricorde  et  de 
la  justice,  ou  plutôt  ils  adressent  ces  mots  à  celle  que  les  pères  ont 
pro«lamée  :  Pax  mundi  (1) ,  pax  Dominl  (2  ,  Oupavtoç  slpTivn  (3), 
Veritas  prophelarum  (4),  misericordia  ipsa  (5),  juslitia  perfecta  (6). 

Pour  achever  l'examen  de  cette  composition  symbolique,  il  nous 
reste  à  parler  du  rayon  lumineux  et  de  la  colombe  qui  se  dirige  vers 
l'oreille  de  Marie.  Cette  particularité  se  rattache  à  une  croyance  cu- 
rieuse, et,  à  ce  qu'il  paraît,  jadi.s  fort  répandue;  aussi  a-t-elle  été  sui- 
vie par  un  grand  nombre  de  peintres  qui  ont  traité  le  sujet  de 
l'annonciation.  Raphaël,  entre  autres,  dans  un  de  ses  tableaux  re- 
présentant la  salutation  angélique,  a  observé  les  mêmes  détails  :  la 
colombe  est  près  de  l'oreille  de  la  Vierge,  et  de  son  bec  s'échappent 
des  rayons  qui  se  dirigent  vers  cet  organe.  Dans  un  autre  de  ses  ta- 
bleaux, où  l'on  voit  le  même  sujet  et  dans  lequel  Dieu  le  Père  est 
également  représenté  en  buste  sur  le  dernier  plan,  la  colombe  est  plus 
éloignée,  mais  elle  prend  la  même  direction.  Nous  pouvons  citer, 
comme  ayant  adopté  le  détail  en  question,  Angélico  de  Fiesole,  Ho- 
race Gentileschi,  Vasari,  Guido  Reni,  Solimene;  plusieurs  graveurs 
de  l'école  allemande,  tel  que  Hans  Schaufelein,  Hans  Springinklee, 
Lucas  de  Leyde,  s'y  sont  aussi  conformés. 

La  croyance  que  nous  venons  de  rappeler,  est  celle  dans  laquelle 
on  admettait  que  la  Vierge  avait  conçu  par  l'oreille,  croyance  que 
l'on  étayait  de  certains  passages  d  écrivains  sacrés,  tels  que  celui-ci  de 
saint  Augustin  :  «  Deus  per  angelum  loquebatur  et  Virgo  per  aurem 
«  impraegnebatur  (7)  ;  »  ou  celui-là  de  saint  Ephrem  :  «  Quemad- 
«  modum  ex  parvulo  sinu  illius  auris  ingressa  et  infusa  in  mors;  ita 
(cet  per  novam  Mariae  aurem  intravit,  atque  infusa  in  vita  (8).  » 


(1)  s.  Ephrem,  Serm.de laud.  Virg.  ap.Oper.,  p. 297. 

(2;  Albert.  Magn.  sup.  Missus  est,  c.  121. 

(3)  S.  Epiphan.  de  laud.  beat,  virgin.  Marias  ,  ap.  Oper.  c.  p.  300. 

(4;  S.  Bana\ent.  Cantic.  ad  beat.  Yirgin.  ap.  Oper.,  p.  5lG. 

(6)  Albert.  Ma^n  sup.  Missiisest,  c.  195, 

(6)  Origcn.  Humil.  l,  in  divers.,  14. 

(7)  Serm.  de  teriipor.  2?. 

(8)  Cf.  Cal Ixti  Mariae  virgiiiis  immaculalae  concept.,  p.  134.  Fenstel,  Miscellan. 
sacra,  p.  195. 

I.  31 


470  REVUE    AHCHÉOLOGIQUE. 

Dans  le  Bréviaire  des  Maronites,  on  lit  cette  formule  :  «  Verbum 

«  Patris  per  aurem  benedictje  intravit;»  et  Agobart  s'écrie  en  termes 

semblables  :  «  Descendit  de  cœlis  missus  ab  arce  Patris,  introivit  per 

a  aurem  Virginis  in  regionem  nostram,  inductus  stola  purpurea  et 

«  exivit  perauream  portem  lux  etDeusuniversaefabricae  mundi(l).  » 

On  s'explique  maintenant  la  particularité  de  notre  tableau,  qui,  du 

reste,  est  rendu  dans  d'autres  compositions  plus  anciennes,  souvent 

d'une  façon  plus  frappante.  Par  exemple,  à  KIosterneuburg,  sur  le 

parement  d'autel,  qui  date  du  XIP  siècle,  et  qui  est  dû  à  Nicolas  de 

Verdun,  on  voit  l'ange  Gabriel  étendant  la  main  droite  vers  Marie, 

et  de  l'extrémité  de  ses  doigts  s'échappent  des  rayons  qui  se  rendent 

vers  l'oreille  de  la  Vierge  (2).  Sur  un  ancien  vitrail  de  la  sacristie  de 

Pistoje,  voici  comment  on  avait  figuré  le  môme  sujet  :  Devant  la 

Vierge,  qui  lisait  l'office,  était  un  jeune  homme  ailé,  et  dans  un  des 

angles  du  vitrail,  une  colombe  du  bec  de  laquelle  s'échappaient  des 

rayons  lumineux,  entre  lesquels  était  peint  un  petit  enfant;  ces 

rayons  pénétraient  dans  l'oreille  de  Marie  (^3).  C'est  cet  enfant  Jésus 

que  nous  retrouvons  ici  dans  notre  tableau.  Au-dessous  on  avait 

écrit  : 

Gaude  virgo  mater  Chris ti 
Çuœ  per  aurem  concepisti. 

en  sorte  qu'il  n'y  avait  pas  moyen  de  douter  de  l'intention  et  de  la 
croyance  de  l'artiste.  Cette  strophe  est  au  reste  empruntée  à  une 
hymne  qui  est  attribuée  à  Saint-Thomas  Becket. 

M.  Hyac.  Langlois  a  cité  dans  son  Essai  sur  la  Calligraphie  (4), 
les  vers  suivants  qui  se  lisent  dans  un  exercice  spirituel  avec  gravures 
en  taille-douce,  daté  de  1654,  et  dédié  à  madame  la  chancelière 
Seguier  : 

Réjouissez-vous,  vierge  et  mère  bienheureuse 
Qui  dans  vos  chastes  chants,  conceules  par  l'ouyr, 
L'Esprit  sainct  opérant  d'un  très-ardent  désir, 
Et  l'ange  l'annonçant  d'une  voix  amoureuse. 

On  voit  qu'il  n'y  a  pas  encore  bien  longtemps  que  de  pareilles 
puérilités  se  glissaient  parmi  les  croyances  chrétiennes.  Cette  concep- 

(1)  De  conviction.  Antiphonarii ,  c.  8. 

(2)  Arnelh,  Das  Niello-Antipendium  zu  KIosterneuburg  in  OEslerrcich, 
p.   11. 

(3)  Cicognara ,  Storia  délia  sculturayt.  I ,  p.  324,  n"  I. 

(4)  P.  173. 


ANCIENNE   PEINTURE   DE   L'ANNONCIATION.  471 

tion  par  l'oreille  rappelle  celle  que  l'on  prêtait  à  la  belette,  ou  Mus- 
toile,  qui,  au  dire  de  Richard  de  Fournival,  conçoit  par  l'oreille  et  en- 
fante par  la  bouche  (l).  Ce  rayon  lumineux,  par  lequel  Marie  conçoit, 
rappelle  lefaitd'Aloung-Goa,  veuve  de  Dounboun-Bayan  qui  conçut 
trois  fils  par  un  rayon  de  lumière  (2),  fable  souvent  reproduite  en 
Asie,  pour  consacrer  la  naissance  du  fondateur  d'un  empire,  du  chef 
d'une  dynastie.  Les  bœufs  Apis  et  Mnevis  furent  conçus  par  une  va- 
che fécondée  par  un  rayon  de  soleil,  et  le  dieu  indien  de  la  lumière, 
Sourya,  lança  dans  le  sein  d'une  jument  un  de  ses  rayons  qui  la  ren- 
dit mère  des  jumeaux  Aswinî  et  Koumara  (3)  ;  dans  la  même  mytho- 
logie, le  moani  Jahnou  enfanta  par  l'oreille  Ganga,  sous  le  nom  de 
Jahnavi  (i). 

On  pourrait  singulièrement  multiplier  les  rapprochements  de  ces 
fables  ;  nous  ne  les  poursuivrons  pas  davantage. 

Le  tableau  qui  nous  occupe  et  qui  nous  a  suggéré  toutes  ces  ré- 
flexions, n'est  pas  le  seul  de  ce  genre  que  poi^sède  l'Allemagne.  Ru- 
dolphi,  dans  sa  Gotha  diplomaùca,  en  a  publié  un  autre  fort  analogue 
qui  se  voit  dans  l'église  de  l'hôpital  de  Grimmenthal ,  au  bailliage  de 
Mersfeld,  dans  le  duché  de  Saxe-Meiningen;  un  second  se  voit  aussi 
à  Weimar,  à  ce  que  dit  Bertuch  qui  ne  donne  à  son  égard  aucune  in- 
dication. Enfin  le  quatrième  est  à  Brunswick,  et  Ribbenlrop  en  a  fait 
connaître  la  description.  Il  est  peint  sur  une  sorte  de  grand  triptyque 
qui  surmonte  Tautel  de  la  cathédrale;  on  y  retrouve  presque  aosolu- 
ment  les  mêmes  symboles  que  dans  le  nôtre  ;  il  y  en  a  toutefois  quel- 
ques-uns qui  ne  figurent  pas  dans  ce  dernier,  tels  sont  la  porte  de 
Jephté ,  la  Roche  ardente  ,  nipes  ardens ,  le  soleil  levant,  avec  le  mot 
aurora,  l'étoile  de  Jacob.  Enfin,  on  lit  dans  la  bouche  de  l'ange  ces 
mots  qui  font  une  allusion  plus  directe  à  la  licorne  :  Qaia  qaem  cœli 
capere  nonpossunt,  in  tuo  gremio  contalislL 

Quoique  ces  œuvres  soient  d'une  époque  relativement  assez  mo- 
derne, elles  se  rattachent  à  un  ordre  d'idées  infiniment  plus  an- 
ciennes, et  il  est  important  pour  les  antiquaires  de  les  étudier,  car  ils 
y  retrouvent  une  sorte  de  clef  des  emblènaes  qui,  isolés,  ont  plus  d'une 
fois  mis  en  défaut  leur  sagacité. 

Alfred  Maury. 

(f)  cf.  dans  le  CataL  des  Manus.  franc,  de  ta  Bibl,  roy.,  par  M.  P.  Paris,  t.  IV, 
p.  24  ,  l'analyse  du  Besliarius  de  cet  auteur. 
(2)  C.  d'Ohsson  ,  Histoire  du  Mongot ,  t.  I- ,  p.  23. 
(3j  Ch.  Coleman,  the  Mythotogy  oflhe  Uindus ,  p.  374. 
(4)  Guignlaut,  p.  615,  Not.  auliv.  I  de  laSymboliq.  de  Creuzer. 


OBSERVATIONS 


SUR 


l'AGE  DU  PORCHE  DE  NOTRE-DAMEDES-DOMS ,  A  AVIGM. 

Le  département  de  Vaucluse  possède  quelques  restes  de  monu- 
ments dont  la  physionomie  singulière  devait  exercer  la  sagacité  des 
archéologues.  Ce  sont  les  frises  extérieures  des  vieilles  églises  de 
Vaison  et  de  Cavaillon  ,  la  porte  latérale  très-fruste,  il  est  vrai,  de 
l'église  de  Pernis ,  l'abside  triangulaire  de  la  chapelle  de  Saint- 
Quenin  à  Vaison  et  le  porche  de  Notre-Dame-des-Doms,  la  vieille 
métropole  d'Avignon.  Il  y  a  entre  ces  diverses  parties  un  air  de  fa- 
mille assurément;  et  en  même  temps  chacune  d'elles  présente  ce  ca- 
ractère hybride  qui  dénote  une  époque  de  transition.  Or,  c'est  cette 
époque  que  nous  croyons  pouvoir  déterminer  aujourd'hui. 

Nous  n'entreprendrons  pas  de  donner  ici  une  description  qu'on 
trouvera  très-bien  détaillée  dans  les  notes  d'an  voyage  dans  h  midi 
de  la  France;  M.  Mérimée  a  trouvé  dans  l'abside  de  Saint-Quenin 
des  détails  dont  le  caractère  est  roman;  mais  il  reconnaît  pourtant 
que  la  frise,  les  chapiteaux  des  pilastres,  la  corniche  et  la  partie  ex- 
térieure des  transsepts  rappellent  fortement  l'ornementation  du  Bas- 
Empire.  M.  Lenormant,  selon  lui,  n'hésiterait  point  à  croire  l'exté- 
rieur de  cette  abside  du  VHP  siècle.  L'époque  ne  nous  paraît  pas 
heureusement  choisie.  Pendant  le  VllP  siècle,  le  midi,  continuelle- 
ment ravagé  par  les  Sarrasins  ou  les  Franks,  dut  voir  beaucoup  plus 
der  uines  et  de  destructions,  que  de  constructions  religieuses.  On  sait 
que  ces  pays-ci  furent  très-souvent  le  théâtre  de  la  guerre.  Nous  pen- 
cherions plutôt  pour  le  siècle  suivant;  caries  chroniqueurs  nous  ap- 
prennent que  sous  Charles-le-Chauve ,  prince  passionné  pour  les 
arts,  on  répara  .beaucoup  de  monuments  détruits  par  les  Arabes  et 
les  Northmans. 

II  est  hors  de  doute  que,  dans  le  midi,  la  vue  continuelle  des  mo- 
numents romains  a  dû  réagir  beaucoup  sur  l'imagination  des  ouvriers 
chrétiens.  Cette  remarque  trouve  ailleurs  aussi  son  application,  (c  En 
((  Italie,  dit  M.  D.  Ramée  (l),  les  monuments  du  IX''  siècle  ont  encore 
«  tout  à  fait  le  cachet  de  l'antique,  tant  dans  leur  ensemble  que  dans 
«  leurs  détails;  ils  ne  ressemblent  pas  aux  édifices  élevés  ailleurs  en 
«  Occident  pendant  la  même  époque...  Le  style  antique  romain,  sauf 
c(  de  légères  modifications ,  se  maintint  en  Italie  jusqu'à  la  fin  du 
<t  X^  siècle.  »  Or,  ce  qui  était  vrai  pour  l'Italie  a  du  l'être  également 

(1)  Manuel  de  l'HisL  de  V^rchileclure,  l.  II,  p.  416. 


AGE   DU  PORCHE  DE  N.-D.-DES- DOMS  ,  A  AVIGNON.  473 

pour  le  midi  de  la  France.  L'histoire  nous  prouve  les  nombreux ,  les 
incessants  rapports  qui  existaient  entre  les  deux  pays.  Depuis 
Louis  II ,  empereur  d'Italie,  et  roi  de  Provence  par  la  mort  de  son 
frère  Charles,  en  863,  jusqu'à  la  cession  du  roi  Hugues,  en  930 ,  ils 
ont  toujours  obéi,  à  peu  de  chose  près,  au  même  souverain.  Pour- 
quoi les  relations  qui  existaient  à  coup  sûr  entre  les  individus  de 
plusieurs  classes  appartenant  aux  deux  pays  n  auraient-elles  pas  été 
aussi  habituelles  chez  les  artistes  et  les  ouvriers  qui  devaient  avoir 
puisé  leurs  inspirations  à  une'source  commune? 

On  a  eu  raison  de  remarquer  que  le  système  architectural  en  vi- 
gueur dans  plusieurs  provinces  de  France  devait ,  en  général ,  son 
origine  à  l'imitation  plus  ou  moins  fidèle  de  quelques  monuments 
antiques.  Sous  ce  rapport,  le  midi  n'avait  que  l'embarras  du  choix. 
Aussi,  le  style  qui  prévalut,  comme  le  remarque  fort  bien  un  archéo- 
logue anglais,  H.  Gally  Knight ,  dérive  directement  du  siècle  des 
Césars,  et,  à  cause  de  cela,  il  l'appelle  le  roman  impérial  (1).  C'est  ce 
style  décoré  par  nos  voisins  d'une  si  juste  et  si  pompeuse  appellation 
qui  a  régné  parmi  nous,  au  milieu  de  ces  temps  qu'on  est  convenu 
d'appeler  barbares.  C'est  celui  qui  se  fait  remarquer  dans  plusieurs 
de  nos  monuments,  et  qui  n'a  pas  peu  contribué  à  jeter  les  archéolo- 
gues dans  la  plus  grande  incertitude  à  l'endroit  de  leur  origine.  Au 
premier  aspect,  on  est  véritablement  tenté  de  les  croire  antiques,  et  il 
faut  une  inspection  minutieuse  des  détails  pour  revenir  sur  cette  opi- 
nion. Le  porche  de  Notre -Dame-des-Doms  à  Avignon  est  le  spéci- 
men le  plus  remarquable  de  ce  style  {Voir  la  fin  de  la  note  ci-dessus). 
Tl  se  compose  d'une  grande  arcade  à  plein  cintre  entre  deux  colonnes 

(1)  The  Edinburgh  Reriew,  n°  CXXXIX,  april  1839,  p.  85.  ^nd  hence  il  may 
be  lermed  Ihe  impérial  romanesque ,  par  opposition  au  tlyle  qui  prévalut  dans  le 
Nord  ,  au  Romanesque  barbarous  style.  Voici  les  principaux  caractères  de  celui 
du  MiiJi .  d'après  M  Knight  :  «  Le  chapiteau  est  presque  invariablement,  non  une 
«  imitation  de  l'ordre  corinthien  ,  mais  corinthien  môme  ,  tel  qu'il  existe  dans  les 
«  derniers  monuments  romains  et  travaillé  généralement  avec  beaucoup  de  vérité  , 
«  de  goût  et  de  délicatesse  ,  les  moulures  surtout ,  dans  les  archivoltes,  s'accordent 
«  avec  les  colonnes;  ce  qui  domine,  c'est  l'ove  fleuronné  et  l'ove  à  dard  de  serpent 
«  [Ornamenled  echimes,  Ihe  egg  and  longue).  Les  frises  consistent  fréquemment 
«  en  feuillages,  en  anim.iux,  et  en  masques  antiques.  Toutes  les  décorations  tendent 
«  veis  un  système  uniforme.  La  disposition  ordinaire  des  portos  présente  un  ove 
«  au-des^ous  d'un  fronton.  L'imposte  est  déterminée,  les  pilastres  cannelés  sont 
«  communs  et  le  baplislère,  avec  sa  colonnade  circulaire,  partout  où  on  le  ren- 
«  contre  ,  ressemble  à  un  temple  païen.  Une  série  régulière  d'exemples  de  ce  style 
«  pourrait  être  citée,  depuis  l'éreclion  du  palais  de  Diocîétien,  jusqu'au  XIII" siècle; 
«  à  celle  époque  il  céda  infin  devant  la  gothique ,  et  même  alors,  beaucoup  de  ses 
«  trails  se  marièrent  avec  l'arc  pointu.  »  [  The  portai  ofthe  Calhedral  of  Avignon, 
probably  of  Ihe  lenth  cenlury ,  is  a  splendid  example  of  the  besl  Impérial  Ro- 
manesque. C'est  cette  probabilité  que  nous  désirons  voir  se  changer  en  certitude. 


474  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

corinthiennes  cannelées  qui  soutiennent  un  assez  riche  entablement; 
celui-ci  est  surmonté  d'un  fronton  dont  l'inrlinaison  rappelle  les  rè- 
gles antiques  ;  mais  les  moulures  des  corniches  rampantes  ont  dis- 
paru, lors  de  la  démolition,  par  Rodrigues  de  Luna,  en  14 10.  Au 


Porche  de  N.-D.-des-Doms,  à  Avignon. 

milieu  du  fronton  est  un  oculus  à  moulures  concentriques;  au  fond 
du  porche,  une  por1e  à  colonnes  torses  ouvre  dans  l'église.  L'arcade, 
l'entablement,  les  colonnes,  leurs  chapiteaux ,  les  moulures  et  les  or- 
nements des  archivoltes ,  tout  évidemment  est  une  copie  de  l'archi- 
tecture romaine.  Ce  qui  en  diffère,  c'est  cet  appareil  moyen  que  nous 
rencontrons  dans  toutes  nos  constructions  religieuses;  c'est  un  com- 
mencement de  mépris  pour  la  symétrie  dans  les  détails ,  et  le  tam- 
bour des  colonnes  qui  sont  engagées  dans  la  muraille,  à  droite  et  à 
gauche  alternativement.  On  a  remarqué  aussi  l'analogie  qu'il  y  avait 
par  les  caulicoles  et  les  tailloirs,  entre  ces  chapiteaux  et  ceux  de  l'arc 
d'Orange.  Il  ne  faut  pas  être  étonné  si  les  opinions  les  plus  opposées 
ont  été  émises  relativement  à  l'âge  de  ce  monument.  Les  uns,  avec 
raison ,  séparent  le  porche  et  le  corps  de  l'église  ;  les  autres  le  font 
contemporain,  ce  qui  n'est  pas  possible.  Ceux-ci  font  remonter  le  tout 
à  l'époque  de  Charlemagne.  Nous  ne  mentionnerons  que  pour  mé- 
moire les  gens  qui  osent  remonter  jusqu'à  Constantin  ,  et  môme  plus 
haut  encore,  d'autres  réclament  pour  le  XI"  siècle  et  le  XIP  siècle. 
Nous  sommes  convaincu ,  pour  notre  part ,  que  le  porche  de  la  mé- 
tropole, avec  la  partie  inférieure  du  clocher,  jusqu'au-dessus  de  la 


AGE  DU  PORCHE  DE  N.-D.-DES-DOMS,  A  AVIGNON.  475 

corniche  (l),  ainsi  que  les  portions  de  nos  quelques  églises  qui,  par 
leur  imitation  de  l'antique,  rentrant  dans  le  style  roman  impérial  y  ap- 
partiennent à  la  seconde  moitié  du  IX*"  siècle  et  de  la  première  moitié 
du  X^  Il  y  eut  un  moment  de  tranquillité  pour  la  Provence,  ce  fut 
comme  un  temps  d'arrêt.  La  paix  réveilla  les  arts  sur  cette  terre  clas- 
sique. Charles,  roi  de  Provence  (841),  et  son  tuteur,  le  f[imeux  Gé- 
rard de  Roussillon ,  Louis  II  (863),  Bozon  (879),  son  fils  Louis, 
Taveugle  (890),  Hugues  (923),  ainsi  que  les  premiers  comtes  de 
Provence  qui  succédèrent  au  pouvoir  royal ,  durent  encourager  les 
grandes  constructions  religieuses.  Leur  politique  y  était  fort  inté- 
ressée, c'était  un  moyen  facile  d'avoir  les  suffrages  des  peuples  et  du 
clergé.  Louis,  renvoyé  aveugle  d'Italie  par  son  compétiteur,  necon- 
tinua-t-il  pas  à  régner  sur  la  Provence  par  une  espèce  de  commisération 
publique?  Ne  fallait-il  pas  la  justifier  à  quelque  titre?  Par  une  coïn- 
cidence assez  remarquable ,  l'histoire  des  évoques  d'Avignon  cite  un 
Fulchérius  comme  l'évêque  auquel  on  doit  la  réparation  de  toutes  nos 
églises.  Or,  ce  Fulchérius  jouissait  d'un  très-grand  crédit  auprès  de 
Louis  l'aveugle.  Nous  pensons  donc  que  c'est  à  ce  règne  pacifique  du 
fils  de  Bozon,  de  890  à  923,  qu'il  faut  attribuer  l'érection  ou  le  com- 
mencement d'édification  de  la  plupart  de  ces  grands  monuments  reli- 
gieux. Au-delà,  la  chose  n'était  guère  possible,  à  cause  des  invasions 
sarrasines  et  frankes  ;  du  reste,  les  œuvres  de  l'époque  carlovingienne 
sont  empreintes  de  la  plus  grande  barbarie,  et  les  sièges  épiscopaux 
furent  en  grande  partie  vacants  pendant  les  Vil*"  et  VHP  siècles.  En 
deçà,  à  partir  du  XP  siècle ,  commence  un  style  d'architecture  telle- 
rrent  caractérisé,  qu'il  est  impossible  de  s'y  méprendre.  Toutes  ces 
raisons  nous  font  croire  que  ces  diverses  parties  de  nos  monuments  à 
physionomie  antique  datent  de  la  fin  du  IX*^  siècle  et  du  commence- 
ment du  X^  siècle.  On  ne  sera  donc  plus  surpris  de  Tair  de  famille  qui 
règne  entre  le  porche  de  la  métropole  d'Avignon,  la  porte  de  l'église 
de  Pernes  et  l'abside  extérieure  de  Saint-Quenin ,  entre  la  frise  de 
Cavaillon  et  celle  de  la  vieille  basilique  de  Vaison.  Ces  divers  frag- 
ments ont  triomphé  des  siècles  et  se  font  aisément  remarquer  au  mi- 
lieu même  des  remaniements  qu'ont  exigés  les  édifices  auxquels  ils 
appartiennent. 

Jules  Courtet. 

(1)  M.  l'architecte  du  déparlement  a  vérifié  que  le  profil  de  celle-ci  était  copié 
exactement  sur  celui  de  la  corniche  qui  décore  l'allique  de  l'arc  d'Orange.  Le  sou- 
hassenient  du  clocher  a  conservé  ses  décorations  de  petites  colonnes  engagées  tout 
à  fait  dans  le  goût  romain. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


—  Un  tombeau  d'une  haute  antiquité  a  été  découvert  le  8  sep- 
tembre dans  un  champ,  près  du  village  de  Neuvy-Pailloux  (Indre),  à 
iO  kil.  d'issoiidun.  C'est  une  espèce  de  caveau  construit  en  moellons 
dont  la  base  est  à  quatre  mètres  au-dessous  du  sol,  et  dont  les  quatre 
pans  rectangulaires  ont  chacun  cinq  mètres  de  longueur.  On  a  trouvé 
ces  murs  revêtus  d'un  enduit  épais  et  poli,  couverts  d'une  peinture 
noire  et  divisés  par  de  larges  bandes  perpendiculaires  de  couleur 
rouge  en  panneaux  réguliers.  Ces  panneaux,  ainsi  qu'un  lambris  ré- 
gnant, portent  des  dessins  d'oiseaux ,  de  fruits ,  de  plantes ,  de  feuil- 
lages funéraires,  et  ces  fresques  ont  apparu  dans  un  état  de  conser- 
vation étonnant,  quand  on  considère  les  effets  d'une  longue  durée  de 
siècles  et  du  contact  direct  d'un  sol  humide.  On  a  trouvé  dans  ce 
tombeau  un  squelette  humain  d'une  taille  moyenne ,  autour  duquel 
étaient  placés  des  vases  de  terre  cuite ,  une  double  meule  à  bras , 
entourée  d'un  détritus  noir,  produit  sans  doute  par  du  froment  décom- 
posé; plusieurs  grandes  amphores  pouvant  contenir  chacune  27  litres, 
à  en  juger  par  celles  qui  ont  été  trovvées  intactes ,  un  grand  instru- 
ment porte-crémaillère,  un  bassin  de  cuivre  de  trois  mètres  de  circon- 
férence dont  les  anses  remarquablement  travaillées  ont  été  détachées 
par  l'oxydation,  beaucoup  d'autres  vases  de  môme  métal,  dont  quel- 
ques-uns présentent  des  sculptures  importantes  à  étudier;  deux  mas- 
ques en  cuivre  doublés  de  fer,  un  grand  nombre  d'objets  en  cuivre 
de  plus  petite  dimension  et  d'une  conservation  complète,  des  fers  de 
lance,  des  débris  d'armes,  des  instruments  de  pionnier  et  une  quan- 
tité considérable  de  cercles  de  fer,  de  pièces  forgées,  dans  un  tel  état 
d'oxyd.ition  qu'il  est  difficile  au  premier  aspect  d'en  deviner  la  desti- 
nation. Des  ossements  de  sanglier  et  d'autres  animaux  ont  été  re- 
cueillis près  de  la  meule  à  bras.  Au  doigt  annulaire  de  la  main  droite 
du  squelette  était  un  anneau  d'or  massif  absolument  semblable  à  nos 
bagues  dites  chevalières.  Le  chaton  de  cet  anneau  est  vide. 

Tel  est  sommairement  l'état  des  richesses  archéologiques  qui  vien- 
nent d'être  exhumées  d'un  tombeau  qu'on  présume  être  celui  d'un  des 
chefs  de  cohortes  romaines  qui  occupèrent  ce  pays  avant  l'établisse- 
ment des  Francs. 

MM.  de  La  Villegille  et  Des  Meloize  ont  dirigé  les  travaux  d'ex- 
ploration ;  ce  dernier  a  réuni  chez  lui  la  précieuse  collection  d'objets 
découverts. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


477 


—  On  vient  de  fliire  à  Nîmes  une  découverte  qui  complète  la  série 
de  monuments  antiques  civils  et  religieux  qui  rendent  celle  ville  si 
intéressante  pour  les  archéologues.  M.  Henri  Durand,  architecte,  en 
faisant  des  fouilles  près  de  la  maison  centrale  de  détention,  a  mis  à 
découvert  une  construction  romaine,  qu'il  a  recoimue  pour  un  bassin 
destiné  à  distribuer,  dans  l'enceinte  de  la  ville  les  eaux  amenées  par 
l'aqueduc  du  Gard.  Voici  le  plan  du  bassin,  relevé  par  M.  Durand 
avec  lin  soin  dont  on  doit  lui  savoir  gré  : 


E.  Trois  auges  circulaires  servant  probablement  à  vider  complète- 
ment le  bassin  lorsqu'on  voulait  le  nettoyer.  L'orifice  conserve  des 
traces  de  scellement  en  plomb. 

K.  Angle  de  la  maison  du  sieur  Carbonnel ,  où  ont  été  découverts  les 
premiers  vestiges. 

L.  Seuil  de  la  porte  antique  donnant  sur  la  plate-forme  concentrique 
au  bassin. 

0.  Débouché  de  l'aqueduc  du  Gard  dans  le  bassin. 

P.  Point  où  l'aqueduc  reprend  la  section,  est  surmonté  d'une  route 
et  présente  les  mêmes  dimensions  que  sur  le  reste  de  la  ligric  gé- 
nérale. 

e.  Pertuis  circulaires  dégorgeant  de  deux  en  deux  dans  cinq  ramifi- 
cations de  canaux;  celui  indiqué  par  la  lettre  I  est  le  mieux  con- 
servé. 


478 


REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 


f.  Rainure  circulaire  et  traces  de  l'ancien  scellement  de  la  grille  qui 
entourait  le  bassin. 

g.  Trous  indiquant  l'existence  d'une  herse  au-devant  de  l'aqueduc 
d'alimentation. 

M.  Maison  centrale  de  détention. 

Au-dessus  du  bassin  est  une  chambre  dont  les  murailles  sont  dé- 
corées d'une  plinthe  verte  et  d'encadrements  rouges.  Le  dessin  suivant 
fera  comprendre  la  disposition  des  lieux  : 


Profil  suivant  la  ligne  C  D  en  regard  du  point  B. 

h.  Reste  d'un  enduit  de  siuc,  orné  d'un  soubassement  vert  et  de  deux 

bandes  rouges  formant  frise. 
j.  Parties  d'enduit  oii  la  superficie  du  stuc  a  disparu. 
l.  Partie  du  mur  en  moellons  taillés  sur  lequel  il  ne  reste  plus  de 

traces  d'enduit. 

Nous  ajouterons,  pour  compléter  ces  indications^  que  ce  bassin 
présente  exactement  la  même  disposition  que  celui  qui  est  connu  à 
Montpellier  sous  le  nom  de  Peyrou.  Quelques  fragments  de  colonnes 
et  de  frises  que  l'on  a  recueillis  dans  les  fouilles,  font  penser  que  le 
bassin  était  surmonté  d'une  colonade  circulaire  formant  rotonde. 
M.  Durand  suppose  que,  lors  de  la  construction  de  la  citadelle,  ce 
bassin  aura  pu  être  découvert  et  que  le  plan  en  aura  été  étudié  par 
l'architecte  à  qui  l'on  doit  l'édification  du  Peyrou  de  Moritpellier. 

Le  plan  et  le  profil  que  nous  donnons  ici  ont  été  réduits  sur  une 
échelle  de  0,005  millimètres  par  mètre. 

—  En  faisant  des  fouilles  sur  le  rocher  de  Notre-Dame-des-Doms, 
à  Avignon,  on  a  découvert  un  bloc,  d'un  calcaire  compacte  à  grain 
fin  et  blanc,  faisant  partie  sans  doute  d'un  autel  votif.  Sur  l'une  des 
faces,  on  lit  en  très-beaux  caractères  l'inscription  suivante.  (Inédite 
par  conséquent.) 

Des  substructions  assez  considérables  permettent  de  croire  que  là 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  479 

était  ce  fameux  temple  (de  Diane  peut-être)  qui  a  servi  aux  archéo- 
logues des  deux  derniers  siècles  pour  trouver  une  incroyable  élymo- 
logie  d'Avignon.  Ce  temple  fut-il  élevé  par  le  préteur  ou  le  pro- 
préteur des  Volkes,  Carisius?  Comment,  dans  Avignon,  sur  la  rive 
gauche  du  Rhône,  chez  les  Cavares,  trouva-t-on  un  monument  d'un 
préteur  des  Volkes  qui  habitaient  la  rive  droite?  Est-ce  le  résultat 
d'un  fait  personnel ,  ou  faut-il  y  voir  une  conséquence  de  la  division 
territoriale? 

En  parlant  du  passage  d'Annibal ,  Tite-Live  dit  que  les  Volkes 
occupaient  les  deux  rives  du  Rhône.  Jam  in  Volcarum  perçeniat 
agriim,  genlis  validœ.  Colant  autem  circa  ulrumque  ripam  Bhodani. 
(Lib.  XXI,  26.)  De  son  temps  pourtant  le  Rhône  séparait  les  Volkes 
des  Cavares.  Il  faudrait  donc  en  conclure,  ou  que  les  Cavares  n'exis- 
taient pas  sous  ce  nom  du  temps  d'Annibal ,  ce  qui  n'est  guère  pro- 
bable, ou  qu'ils  étaient  une  division  de  la  grande  confédération  des 
Volkes.  M.  Walckenaer  pense  que  le  nom  de  Volcie  dérive  du  mot 
germain  volckqm  signifie  peuple,  et  devait  être  commun  à  plusieurs 
peuplades  ;  d'oii  les  Wolkes  tectosages  (Toulouse),  les  Volkes  aréko- 
mikes  (Nîmes)  et  les  Volkes  cavares  (Avignon).  Cette  inscription 
confirmerait  le  récit  de  Tite-Live  et  l'opinion  de  M.  le  baron  Walc- 
kenaer. 

T    CARISIVS.  T.  F. 
PR.  VOLCAR.  DAT. 

—  Le  Musée  des  Thermes  et  de  l'Hôtel  de  Cluny  vient  de  s'en- 
richir d'un  grand  nombre  d'objets  donnés  par  M.  Eug.  Guillemot  qui 
les  a  recueillis  près  de  Pontpoint  (Oise),  oii  ils  ont  été  découverts  en 
défrichant  un  bois.  Ce  don  se  compose  d'armes  et  d'ornements  en 
bronze  d'origine  gallo-romaine,  tels  que  bracelets,  boucles  d'oreilles, 
hachettes  de  grandeurs  et  de  formes  variées,  fers  de  lance,  etc.  Tous 
ces  objets  ont  été  trouvés  liés  ensemble  par  des  bandelettes  de  cuivre 
très-mince. 

—  M.  l'évêque  de  Meaux  ,  à  qui  le  conseil  général  de  Seine-et- 
Marne  avait  attribué,  par  un  vote  récent,  une  somme  de  2900  fr., 
vient  de  refuser  cette  allocation  pour  lui-même,  en  manifestant  l'in- 
tention où  il  était  de  l'employer  à  la  réparation  de  l'église  de  Voulton, 
l'une  des  plus  intéressantes  de  son  diocèse. 


BIBLIOGRAPHIE. 


ANNALES  DE  L'INSTITUT  ARCHÉOLOGIQUE,  t.  XV,  premier  cahier.    Paris, 
Brokhaus  et  AvENARius  ,  in-8 ,  p.  220. 

Notre  intention  étant,  comme  nous  l'avons  manifesté,  de  rendre 
compte  des  principaux  recueils  archéologiques,  nous  ne  pouvons 
mieux  commencer  que  par  la  collection  que  publie  l'Institut  archéo- 
logique. 

Nous  ne  ferons  pas  l'injure  à  nos  lecteurs  de  croire  qu'ils  ignorent 
les  services  rendus  à  la  science  de  l'antiquité  par  YInstitat  de  corres- 
pondance archéologique.  Cette  association,  fondée  à  Rome  vers  la  fin 
de  1828,  s'est  proposé  dès  Icrs  pour  but  de  recueillir  tous  les  faits 
dont  l'archéologie  s'enrichit  chaque  jour,  par  suite  des  fouilles  entre- 
prises et  des  voyages  exécutés  sur  le  sol  des  contrées  classiques.  Elle 
fut  composée  d'un  directoire  de  trente  personnes,  dont  dix  formaient 
le  comité  des  fondateurs,  à  savoir:  MM.  le  duc  de  Blacas,  le  duc  de 
Luynes,  Bunsen,  Fea,  Gerhard,  Restner,  Millingen,  Panofka,  Thor- 
Waldsen,  Welcker,  et  vingt  autres  savants  furent  élus  parmi  les  ar- 
chéologues les  plus  distingués  de  l'Europe.  Déjà  quatorze  volumes 
sous  le  titre  d'Annales,  ont  été  publiés  par  cet  Institut,,  accompagnés 
de  planches  qui  offrent  la  gravure  d'une  foule  de  monuments 
inédits.  Ces  volumes  contiennent,  outre  l'explication  de  ces  mo- 
numents ,  des  mémoires  sur  les  diverses  branches  de  l'archéologie. 
Entre  les  noms  des  auteurs  de  ces  travaux ,  on  distingue  ceux  de 
MM.  le  duc  de  Luynes,  Gerhard,  Panofka,  Bunsen,  Millingen,  Bor- 
ghesi,  Welcker,  Bœckh,  0.  Millier,  Raoul  Rochette,  Letronne,  Le- 
normant,  de  Witte,  etc.;  c'est  dire  assez  le  mérite  et  l'intérêt  que 
ces  travaux  doivent  offrir. 

Il  nous  est  impossible  à  présent  de  revenir  sur  les  quatorze  vo- 
lumes de  cette  collection  qui  ont  paru  avant  la  fondation  de  notre 
lîeme.  Nous  devons  nous  borner  à  tenir  nos  lecteurs  au  courant  de 
ceux  qui  paraîtront  par  la  suite,  en  commençant  parle  ib"  volume, 
dont  la  première  partie  a  été  publiée  tout  récemment  par  la  section 
française,  qui  se  compose  à  présent  de  MM.  le  duc  de  Luynes,  Lajard, 
Letronne,  Guigniaut,  de  Witte,  de  Saulcy  et  Adrien  de  Longpérier. 

Le  cahier  que  nous  annonçons  est  l'ouvrage  de  la  section  française 


BIBLIOGRAPHIE.  48 1 

de  cet  Institut.  Le  cahier  suivant,  qui  complétera  le  tome  XV,  sera 
l'œuvre  de  la  section  italienne. 

Celui-ci,  pour  la  variété  et  l'importance  des  matières  qu'il  con- 
tient, ne  le  cède  point  aux  volumes  précédents  qui  ont  pris  une  place 
si  distinguée  dans  la  science.  Nous  allons  justifier  ce  jugement  en  in- 
diquant brièvement  les  mémoires  qui  sont  entrés  dans  ce  cahier. 

1"  Phinée  deUvré par  lesHarpyies.  Ce  Mémoire,  composé  par  M.  le 
duc  de  Luynes,  a  pour  objet  l'explication  d'un  vasegrecdécouvert  près 
d'x4thènes  parM.  Graham.  L'illustre  auteur  l'a  fait  précéder  de  quel- 
ques considérations  sur  le  mythe  de  Phinée  et  des  Harpyies  expulsées 
par  les  Argonautes.  11  en  expose  les  principales  formes,  en  suivant 
l'ordre  chronologique  des  auteurs  qui  en  ont  parlé,  depuis  Hésiode 
jusqu'à  Tzelzès.  On  ne  saurait  qu'approuver  celle  méthode,  tant  re- 
commandée par  H.  VossetK.-O.  Miiller.  Mais  ce  n'est  là  qu'un  premier 
travail  qui,  dans  le  volume  suivant,  sera  complété  par  des  recher- 
ches sur  lesHarpyies,  leur  nature  symbolique,  leurs  fonctions  et  les 
manières  diverses  dont  les  anciens  les  ont  figurées.  M.  le  duc  de 
Luynes,  qui  fait  un  usage  si  judicieux  des  textes,  et  qui  connaît  si 
bien  les  monuments,  ne  laissera  rien  à  désirer  sur  ce  mythe  curieux 
et,  à  certains  égards,  encore  très-obscur. 

2°  Ex  temporalia  de  nonnuUis  nominum  etruscoriim  formis,  par 
M.  F.  Hermann,  professeur  jadis  à  Marburg,  maintenant  à  Gôttin- 
gue.  Ce  ne  sont  que  cinq  pages,  où  l'auteur  examine  plusieurs  noms 
propres  étrusques  qu'on  trouve  sur  les  urnes  funéraires.  11  croit  re- 
connaître que  les  syllabes  isa  ou  sa,  qui  terminent  certains  noms, 
signifiaient  épouse;  ainsi  Tlesnalisa,  Phrinisa  signifient  Tlesnal  et 
Plirinis  uxor, 

3°  Dichiarazione  délie  pitture  d'un  vaso  greco  inedito ,  da  Gargallo 
Grimaldi.  Le  sujet  de  ces  deux  peintures  est  fort  obscur;  nous  ne 
savons  si  le  docte  interprèle  l'a  complètement  éclairci.  Mais  les  efforts 
qu'il  a  faits  pour  y  parvenir  l'ont  conduit  à  quelques  observations  de 
détail  qui  présentent  leur  utilité. 

4°  Noie  sur  une  inscription  bilingue  gréco- égyptienne,  découverte  à 
Athènes  en  1841,  par  M.  de  Saulcy ,  membre  de  l'Institut.  Cette  in- 
scription a  déjà  exercé  M.  Quatremère,  qui  l'a  expliquée  dans  le 
Journal  des  Suçants  de  septembre  1842;  mais  la  copie  qu'il  a  eue 
sous  les  yeux  étant  inexacte,  a  induit  en  erreur  ce  savant  sur  quel- 
ques points.  M.  de  Saulcy,  tout  en  adoptant  le  sens  général,  rectifie 
plusieurs  détails  d'après  une  copie  plus  exacte  ;  et  il  en  propose  une 
explication  plus  complète,  qu'il  ne  présente  qu'avec  la  réserve  que 


482  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

tout  bon  esprit  doit  mettre  quand  il  s'agit  des  inscriptions  phéni- 
ciennes, "dont  l'inlerprétation,  et  môme  la  lecture,  offre  encore  tant 
d'obscurité. 

5"  Mcmoiresnr  le  xp^avovv  Qépoq  et  sur  quelques  médailles  de  Meta- 
ponte  et  de  Cyrène,  par  M.  de  Witte.  Dans  l'opinion  du  savant  archéo- 
logue, le  yypdovv  Qépoç  que  Métaponte  envoyait  à  Delphes  est  repré- 
senté sur  ces  médailles  par  le  grillon  et  le  dauphin,  qu'on  y  reconnaît. 
Ce  ;)(pu(7oûv  Qipoç  était ,  selon  lui ,  Vimage  d\in  champ  de  blé  en  or; 
conjecture  ingénieuse,  que  l'auteur  appuie  par  beaucoup  de  rappro- 
chements curieux. 

6''  Ènée  sauvé  par  Vénus,  autre  Mémoire  du  même  savant.  Il  s'agit 
de  deux  peintures  qui  ornent  une  amphore  à  figures  noires  de  la  col- 
lection Paoli  à  Rome.  M.  de  Witte  y  reconnaît  des  sujets  empruntés 
aux  scènes  du  V^  livre  de  l'Iliade,  dans  lequel  Homère  célèbre  les 
exploits  de  Diomède. 

7"  /?a«&o,parM.  J.  Millingen.  Ce  Mémoire  a  pour  objet  d'expliquer 
une  terre  cuite  fort  curieuse  représentant  une  femme  les  jambes  écar- 
tées, dans  l'intention  de  montrer  ses  parties  génitales  :  elle  est  assise 
sur  un  porc.  M.  Millingen,  dont  on  connaît  la  justesse  de  coup  d'œil 
et  l'érudition  sobre  et  choisie,  voit  dans  cette  figure  énigmatique 
Baabo  ou  Jamhé  qui,  selon  l'hymne  orphique  rapporté  par  Clément 
d'Alexandrie,  «  reçut  Déméter  chez  elle,  et  lui  offrit  un  breuvage  que 
«  la  déesse  refusa.  Baubo  prenant  ce  refus  comme  un  acte  de  mé- 
«  pris,  releva  ses  habits,  et  montra  la  marque  de  son  sexe.  »  Le  savant 
antiquaire  rattache  à  ce  passage  d'autres  textes  qui  s'y  rapportent,  et 
à  l'aide  desquels  il  explique  toutes  les  circonstances  de  ce  monument 
unique.  A  celte  occasion,  il  fait  des  observations  pleines  de  justesse 
sur  la  nouveauté  des  mystères  chez  les  Grecs,  et  sur  l'abus  que  l'on 
fait  encore  dans  ce  iemps-c'i  de  h  symbolique  de  V  Orient;  abus  qui,  «loin 
ce  d'être  utile  et  d'avancer  les  progrès  de  la  science,  a  contribué  au 
«  discrédit  dans  lequel  elle  est  tombée.  »  H  aurait  pu  appuyer  son 
jugement  de  plus  d'un  exemple  péremptoire^  mais  il  s'est  arrêté,  de 
peur  de  donner  trop  d'étendue  à  son  Mémoire  ;  «  Le  champ  de  l'ar- 
((  chéologie,  dit-il ,  est  devenu  aujourd'hui  si  étendu,  qu'il  faut  une 
t(  grande  sobriété  dans  les  discussions  qui  s'y  rapportent,  afin  de  ne 
((  pas  consumer  inutilement  le  temps  de  l'écrivain  comme  celui  de  son 
«  lecteur.  »  Observation  fort  juste,  à  laquelle  il  serait  à  désirer  que 
tous  les  archéologues  voulussent  bien  se  rendre.  Dans  cette  disserta- 
tion, comme  dans  tout  ce  qui  est  sorti  de  sa  plume  judicieuse,  M.  Mil- 
lingen a  prêché  de  précepte  et  d'exemple. 


BlJiLIOGllAPHIK.  483 

S"  Explication  d'une  coupe  sassanide,  par  M.  Adrien  de  Longpérier. 
Après  quelques  observations  sur  les  autres  nnonuments  de  l'époque 
sassanide,  le  jeune  et  savant  antiquaire  décrit  et  explique  cette  belle 
coupe  d'argent,  que  le  cabinet  des  antiques  de  la  Bibliothèque  royale 
doit  à  M.  le  duc  de  Luynes  qui  lui  en  a  hh  présent.  Cette  coupe 
représenie  un  roi  sassanide  faisant  la  chasse  à  des  animaux  sauvages. 
M.  de  Longpérier  pense  que  ce  prince  est  Pérose  ou  Firouz,  fils 
d'Jzdegerd  11,  tué  en  488.  Celte  coupe  serait  donc  du  milieu  du  V*  siè- 
cle de  notre  ère.  Les  divers  détails  qui  entrent  dans  le  sujet  compliqué 
qu'elle  représente  sont  éclaircis  par  d'ingénieux  rapprochements  oii 
M.  de  Longpérier  montre  beaucoup  d'érudition  et  un  sens  droit,  qui 
devient  de  plus  en  plus  rare,  quoiqu'il  s'appelle  le  sens  commun. 

9°  De  la  croix  ansée  égyptienne  imitée  par  les  chrétiens  d'Egypte, 
pour  figurer  le  signe  de  la  croix,  par  M.  Letronne.  Ce  Mémoire  a 
pour  ol)jet  de  repousser  une  critique  mal  fondée  de  M.  Raoul  Ro- 
chette,  qui  n'avait  pas  compris  une  observation  qu'avait  faite  l'au- 
teur.   Celui-ci  avait  remarqué  en  tête  de    plusieurs   inscriptions 
chrétiennes  d'Egypte  la  croix  ansée  égyptienne,  tenant  la  place  de  la 
croix  ou  du  monogramme;  et  comme  il  n'avait  pas  trouvé  pareille 
chose  hors  de  l'Egypte,  il  en  avait  conclu  qu'elle  était  propre  à  ce 
pays,  et  devait  tenir  à  une  circonstance  particulière.  M.  Raoul  Ro- 
chette,  de  son  côté,  prétendit  qu'on  le  trouve  aussi  dans  les  monu- 
ments des  catacombes  de  Rome.  M.  Letronne  prouve  qu'il  a  commis 
une  erreur  en  confondant  l'une  des  formes  du  monogramme  chrétien 
avec  la  croix  anaée.  11  entre,  à  ce  sujet,  dans  des  détails  aussi  neufs 
que  curieux  sur  les  différentes  formes  de  la  croix  et  sur  les  diverses 
espèces  de  monogrammes  ;  et  il  explique  l'adoption  du  signe  païen 
par  les  chrétiens  d'Egypte,   au  moyen  des  passages  des  historiens 
ecclésiastiques  rapprochés  des  livres  sibyllins.  Ce  Mémoire,  plein  de 
faits  et  d'idées,  forme  un  chapitre  très-neuf  et  très-curieux  d'archéo- 
logie chrétienne.  îl  serait  à  désirer  que  tous  ceux  qui  s'occupent  de 
cette  branche  si  importante  y  portassent  la  même  réserve  et  le  même 
esprit  de  critique.  La  lecture  de  ce  Mémoire  doit  prémunir  les  archéo- 
logues, comme  l'observe  l'auteur,  «  contre  la  tendance  trop  commune 
a  de  s'arrêter  aux  ressemblances  apparentes,  au  lieu  de  distinguer  les 
«  caractères  essentiels  ou  fondamentaux  des  symboles,  afin  d'en  dé- 
((  terminer  exactement  l'origine  et  la  nature.  » 

10"  Recherches  et  conjectures  sur  le  mythe  de  Glaucus  et  de  Sylla, 
par  M.  Ernest  Vinet.  Ce  Mémoire  est  le  coup  d'essai  d'un  jeune  ar- 
chéologue fort  zélé  pour  la  science,  et  qui  s'annonce  comme  réunissant 


484  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

déjà  1  érudition  des  textes  et  celle  des  monuments.  Ce  travail  est  une 
étude  approfondie  de  ce  mythe  marin,  qui  se  présente  dans  l'antiquité 
sous  des  formes  très-diverses,  quoique  se  rapportant  toutes  à  un  type 
commun  qui,  comme  le  dit  fort  judicieusement  l'auteur ,  «  est 
((  une  sorte  de  fédche  en  qui  se  résumait  la  plus  grande  partie  des 
((  croyances  et  des  superstitioîis  des  pécheurs  et  des  matelots.  Aussi 
<(  trouvons-nous  son  culte  répandu  dans  tout  l'archipel  grec  et  sur  les 
«  côtes  de  la  Méditerranée,  depuis  la  péninsule  italique  jusqu'aux 
«  côtes  de  l'Asie  Mineure.  »  Ce  Mémoire  donne  de  grandes  espé- 
rances pour  l'avenir  scientifique  du  jeune  archéologue. 

11°  AmpMaraus  prenant  congé  (ÏÉriphyle.  Tel  est  le  sujet  d'une 
peinture  représentée  sur  un  vase  de  Nola,  et  dont  M.  Roulez,  savant 
professeur  de  Gand,  donne  l'explication.  Il  ne  saurait  y  avoir  de  doute 
sur  le  sujet,  d'après  le  caractère  des  deux  figures  princip-des,  au-des- 
sus de  l'une  desquelles  se  trouve  le  nom  d'AM<I>IAPAOS.  Ce  sujet 
était  déj«i  représenté  sur  le  coiïre  de  Cypsélus,  selon  Pausanias.  Quel- 
ques détails  de  la  peinture  olTrent  des  difficultés  que  le  savant  inter- 
prète résout  d'une  manière  simple  et  plausible;  ce  qui  n'étonnera 
pas  ceux  qui  connaissent  l'érudition  et  le  bon  esprit  de  M.  Roulez. 

Cette  analyse  un  peu  sèche  suffira  cependant  pour  donner  une 
idée  du  mérite  de  ce  volume,  et  inspirer  aux  amateurs  de  l'antiquité 
l'envie  de  lire  les  morceaux  qui  le  composent;  c'est  l'unique  but  que 
nous  nous  sommes  proposé  d'atteindre. 

A. 


]%0UVX:L<I.E1S  PUBIilCATIOlVi^  AKCHÉOI^OGIQUEIS. 

Elite  des  monuments  céramograpJiiqaes ,  par  MM.  Lenormant  et  de 
Witte,  60'  liv.,  grand  in-4".  Paris,  Leleux. 

Choix  de  peintures  de  Pompéi,  lithographiées  en  couleur  et  accom- 
pagnées d'un  texte  et  d'une  introduction  sur  l'histoire  de  la  peinture 
chez  les  Grecs  et  chez  les  Romains,  par  M.  Raoul-Kochette,  mem- 
bre de  l'Institut,  1"  liv.,  grand  in-fol.  Paris,  chez  l'auteur  et  Duprat. 

Cet  ouvrage  sera  publié  en  huit  livraisons.  Il  paraîtra  deux  livrai- 
sons par  an. 

Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Picardie,  in-8%  tome  IV. 
Amiens,  Duval  et  Hermont. 


SUR 

LES  NOMS  GRECS  DE  ClÉOPHAS  ET  DE  CLÉOPAS 

(KAEO<[>ÂS  ET  KAEOnÂS). 

QUEL  EST  CELUI  DES  DEUX  QUE  PORTAIT  LE  FRÈRE  DE  SAINT  JOSEPH  ,    HONOUÉ 

PAR  l'Église  sous  le  nom  de  saint  cléophas  ? 

CORRECTIONS   (ORTHOGRAPHIQUES)    A   INTRODUIRE  DANS   LES   TEXTES   DB  SAINT  LUC, 
DE    SAINT    JEAN,    DE    SAINT    PAUL    ET    DE    L'HISTORIEN    JOSÈPHE. 


L'étude  des  noms  propres  grecs ,  la  plupart  composés  et  significa- 
tifs, est  susceptible  d'un  intérêt  qui  peut  quelquefois  s'élever  jusqu'à 
un  intérêt  historique.  J'en  pourrais  citer  plus  d'une  preuve.  Je  me 
borne,  pour  ce  moment,  aux  observations  suivantes,  que  me  sug- 
gère un  passage  du  dernier  rapport  de  M.  Le  Bas,  inséré  dans  la 
Reç^ae Archéologique  (1).  Ce  rapport,  relatif  à  la  Messénie,  contient 
de  judicieuses  et  savantes  remarques,  comme  tous  ceux  que  notre 
confrère  a  adressés  à  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique.  En 
effet,  dans  ces  rapports,  écrits  au  courant  de  la  plume  et  sans  le 
secours  des  livres,  brillent,  à  un  très-haut  degré,  le  bon  sens  et  le 
savoir  du"  zélé  voyageur. 

L'inscription  dont  je  parle  est  assez  insignifiante  en  elle-même, 
puisqu'elle  ne  se  compose  que  de  noms  propres.  Cependant  elle  en 
contient  un  qui  peut  donner  lieu  à  plus  d'une  observation  que  les 
lecteurs  de  la  Reçue  ne  seront  peut-être  pas  fâchés  de  rencon- 
trer ici. 

Ce  nom  se  présente  sous  la  forme  KAEO^ATOS.  Prise  pour  celle 
d'un  nominatif,  Kle6(^aToçy  comme  le  fait  M.  Le  Bas,  elle  est  réel- 
lement, ainsi  qu'il  le  dit,  jusqu'à  présent  inconnue. 

Une  observation  fort  juste  que  fait  M.  Le  Bas  pouvait  le  mener 
à  la  solution  de  cette  petite  difliculté  onomatologique,  11  a  remarqué 


(t)  ^.  livraison  vi%  p.  435. 
I. 


32 


486  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

que  plusieurs  des  noms,  que  l'inscription  contient,  sont  au  génitif. 
Il  n'avait  qu'à  mettre  celui-ci  dans  le  nombre;  et  tout  était  dit; 
car  KAEO<ï>ATOS  devenait  Kho'-^ôcroç ,  génitif  de  Khocfàtç ,  nom  qui 
se  trouve  en  premier  lieu  dans  les  versions  latines  des  évangiles  de 
saint  Luc  (1)  et  de  saint  Jean  (2),  pour  désigner,  dans  le  premier, 
un  des  pèlerins  d'Emmaiis  ;  dans  le  second ,  le  frère  de  saint  Joseph, 
et  l'époux  de  Marie,  sœur  de  la  Sainte  Vierge.  Les  commentateurs 
ne  sont  pas  d'accord  sur  la  question  de  savoir  si,  dans  les  deux  évan- 
gélistes ,  il  est  question  du  même  personnage  (3).  Mais  il  n'y  a  pas 
d'hésitation  sur  le  nom  même,  qui ,  dans  les  textes  latins  de  tous  les 
deux,  est  écrit  uniformément  Cléophas;  c'est  sous  ce  nom  que  le 
saint  personnage  est  honoré  par  l'Église  catholique,  le  25  septembre. 
Il  n'a  pas  manqué  de  savants  qui  ont  voulu  voir  dans  cette  forme 
un  nom  hébraïque  plus  ou  moins  déguisé;  mais  que  le  nom  soit 
d'origine  grecque ,  c'est  ce  qu'attestent  plusieurs  inscriptions. 

D'abord,  une  inscription  latine  d'Augsbourg,  où  il  se  montre  sous 
la  forme  dorienne  clevphas  (4),  en  grec,  KXsucpàç;  ce  qui  revient  à 
KXeo(jpaç;  comme  ©eu^oToç,  Ssvâo)poç,  pour  Bco^oroçet  (deoâ(ùpoç,  etc. 
AzvvTLoiùnç  pour  A£OVTia(Jy5ç(5),  et  Khvixavôpoç  (6),  KleviJLeviâaç  (7), 
KlevvLy.oç  (8),  pour  Kl£6u.(xvdpoç,  etc.  Le  même  nom  se  reconnaît  éga- 
lement dans  deux  inscriptions  d'Amorgos,  publiées  parM.  Ross  ;  dans  la 
première  on  lit  :  TO  WH<ï>II:MA  ZQSLMOT  TOT  KKEO^AÇrb '^Yimff{j.a 
ZcùGii^ov  Toîf  KXsocpa  (9),  avec  le  génitif  en  a,  qui  est  fréquemment 
usité;  mais  le  génitif  en  àroç  n'est  pas  moins  commun  pour  ces 
noms  en  a^,  qui  sont  des  abrégés  dont  l'usage  est  fréquent  à 
l'époque  romaine;  tels  que  M/jvàç  (pour  M/îvoJwpoç ),  Z-nvxç  (pour 
Zyjvo'jJcopoç),  ApT£iJ.Sig  (pour  Aprsat^wpoç),  ^nj^oiq  (pour  AyîptyîTptoç), 
AA£^âç(pour  kli'ioLvàpoç,  etc.);  ainsi,  les  inscriptions  d'Egypte  me 
fournissent  les  génitifs  AXs^àrz-oç,  <ï>&)zàToç,  Avouêaroç,  raiwvaToç, 
IIpcùTaroç,  ApT£p(^6ap«Toç,  au  lieu  de  AAs^à,  $w/.à,  etc.  On  voit 


(1)  XXIV,  18. 

(2)  XIX ,  25. 

(3j  D.  Calmet,  Dict.  de  la  Bible ,  à  ce  nom;  —  Schleusner,  Lexic.    JYov 
Teslam.  h.  voce.  —  Winer,  Bibliscfies  Real-fVœrlerb.  T.  I ,  p.  783. 

(4)  Gruter,  p.  649,  10  ;  —  Orelli ,  n»  4250. 

(5)  Ross,  Insc.  incd.  n"  182. 

(6)  Bheinisches  Muséum,  1841 ,  p.  208. 

(7)  Corp  Inscr.  n"  2574. 

(8)  Theorr.  XIV,  13, 

(9)  Ross,  Inscripl,  ined.  n"  121, 


NOMS  GRECS  DE  CLÉOPHAS   ET  DE   CLÉOPAS.  487 

que  Kl£o(^dç  est  un  nom  du  même  genre  et  un  abrégé  de  KXgocpav- 
Toç;  il  doit  donc  avoir  le  double  génitif;  et,  conséquemment  le 
KAEO<I>ATOS  de  rinscrijHion  de  Messénie  est  le  génitif  Kvleocpàroç. 
C'est  aussi,  je  pense  ,  de  cette  manière  qu'il  faut  achever  le  même 
nom,  auquel  manque  la  syllabe  finale,  dans  une  deuxième  inscription 
d'Amorgos  (t)  :  ArA01NOS  AFAeiNOY  TOT  KAEO<ï>A....  (Âya- 
Bîvoç  AyccSivov  Tov  KAsotpa  [toJ. 

Je  me  suis  quelquefois  demandé  d'oii  vient  que  ces  noms  abrégés, 
avec  la  finale  en  âçy  sont  tous  affectés  du  circonflexe  au  nominatif, 
comme  aux  cas  obliques.  Je  crois  que  c'est  parce  qu'on  les  a  considé- 
rés,  à  l'époque  alexandrine,  comme  des  contractions  de  saç ,  qu'on 
aura  cru  être  leur  désinence  régulière.  Gela  paraît  certain,  au  moins, 
pour  quelques-uns  d'entre  eux.  Ainsi  on  trouve  la  double  forme 
Ayjjaeaç  (2),  OU  l^aiiiocç  (3)  et  Ayj^àç  (4),  Aptoraç  (5)  et  Aptoreaç, 
nom  fort  connu.  On  trouve,  sur  une  médaille  de  Smyrne,  APISTAS,  et, 
sur  quelques-unes  d'A pâmée,  d'Éphèse,  d'Erythrée,  de  Stratonicée,etc. 
APISTEA2,  qui  est  le  môme  nom;  IIpwTàç,  dans  une  inscription  de 
Philes,  et  Ilpcorsaç,  forme  la  plus  usitée  (6).  Le  nom  macédonien 
(dorien)  <I>tXcoT£aç  est  écrit  ^ùmxôcç  dans  les  manuscrits  de  Denys 
d'Halicarnasse  (7) ,  ainsi  que  d'Athénée  (8);  et,  à  tort,  ^tAforaÇ  dans 
ceux  d'Arrien(9)  et  de  Diodore.  On  peut  ajouter  encore  Scoreaç^lO), 
ou  2&)Taç  (il);  Saupaç  (12),  le  môme  nom  que  Saypsaç  (  1 3) ,  et  que 
Sa-jptaç,  dans  Athénagore(14).  LesDoriens  ontécritsouvent  sans  con- 
traction ÎTTTTo/Jgaç,  k^KSTovléoLÇy  ctc.  (15):  ct,  demêmo,  les  anciens  At- 
tiques,  ITaTpo/Jiyjç,  T^o/Js/jç ,  Ayao-txXe/jç  (16).  Lors  donc  que  s'est 

(1)  Ross,  Inscript,  ined.  n»  135. 

(2)  Thucyd.  V,  116.  Xenoph.  Mémor.  II,  7,  6  et  ailleurs. 
(3.  Paus.  VI,  14,  5;X,  9,  8. 

(4)  Corp.  Inscr.  n°  1085. 

(5j  Mionnet ,  Med.  Gr.  Suppl.  T.  VI,  p.  285. 

(C)  Arrian.  Anab.  II,  2,  7.  Athen.  IV,  129,  A. 

(7    Heges.  ap.  Dion.  Halic.  De  composit,  verbor.  p.  252,  éd.  Schaef. 

(8)  VIII,  p.  352  B. 

(9)  Anab.  1,2,  1-14,2.  III,  11,  13.  IV,  13,7;  Diod.  Sic.  XVII,  8,  17. 

(10)  Corp.  Jnscr.  ii"  1279.  | 

(1 1)  Id.  n'^  2U  ,  1.  10  ;  266  ,  17,  et  alibi. 
(12;  Piine,XXXVI,5. 

(13)  Le  Saureas  de  Plaute  dans  l'Asinaria-  C'est  à  tort  que  les  traducteurs  français 
écrivent  Saarea.  Plaute  ne  donne  ce  nom  qu'aui  cas  obliques,  Sauream  {  V.  70, 
357,  3GG ,  449 ,  564  )  et  Saareœ  (  V.  328 ,  335)  j  mais  le  nominatif  est  Saureas. 

(14)  Pro  Chrislianis ,  p.  59  ,  éd.  Dechair. 
(16)  Corp.  Inscr.  no8l2. 

(16)  Marmor  sandwic.  in  Corp. /n s cr.n"  158. 


488  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

introduit  l'usage  de  ces  noms  abrégés ,  on  leur  aura  donné  l'accent 
circonflexe,  d'après  l'analogie  seulement,  car  il  est  douteux  qu'on  les 
ait  jamais  terminés  pareaç,  en  écrivant  Myjveaç,  ÉTraoppeaç,  Ao'x^.yj- 
Tïéaç,  etc.  / 

Pour  revenir  au  nom  de  Kho'fâç ,  il  fournit  un  nouvel  exemple  de 
Juifs  portant  un  nom  grec  ou  romain  ;  tels  quHérode,  AnUpaler, 
Arcliélaiis,  Aristobule,  Bérénice,  Agrippa  et  d'autres,  cités  par 
Josèphe;  et  plus  anciennement  encore;  puisque,  parmi  les  soixante- 
douze  Juifs  qui,  selon  le  faux  Aristéas,  traduisirent  en  grec  le  Pen- 
taleuque,  par  l'ordre  de  Ptolémée  Philadelphe,  il  y  en  a  cinq  qui 
portent  les  noms  de  Théophile,  de  Jason,  de  Théodole,  de  Théodose, 
et  de  Dosilhée;  il  est  vrai  que  quatre  de  ces  noms  pourraient  être  la 
traduction  grecque  d'un  nom  propre  hébreu;  mais  on  ne  peut  le  dire 
ni  de  Jason,  ni  surtout  de  Dionysios ,  nom  tout  païen  que  porte 
un  Juif  dans  une  inscription  de  Ouadi  Genesseh,  sur  la  roule  de  Bé- 
rénice (1).  On  peut  citer  encore  Ayjaàç  (pour  Ayj^y^rptoç  ou  Avî/:jiap;)^oç) 
nom  d'un  compagnon  de  saint  Paul;  sans  compter  les  évangélistes 
saint  Marc  (Map/o^),  et  saint  Luc,  dont  le  nom  grec,  Aouzàç, 
dérive  de  Aoyzavoç;  et  Silas  (lilâç,  non  SAaç,  comme  il  est  écrit 
dans  le  texte  de  l'évangéliste),  compagnon  de  saint  Paul,  dont  le 
nom  dérive  de  Hàovxvoç  (Sylvamis),  Il  se  pourrait  donc  que  les  noms 
d'Eapolémiis,  à' Aristéas ,  d'Hécalée^  de  Démélrius,  qui  désignent  les 
auteurs  de  certains  écrits  fabriqués  par  des  Juifs  hellénistes,  soient, 
non  pas  des  pseudonymes  grecs,  comme  l'a  pensé  Vaickenaër  (2), 
mais  les  véritables  noms  de  ces  écrivains. 

Quant  à  Cléophas  ,  dans  le  texte  grec  (et  la  version  copte)  des 
deux  évangélistes,  le  nom  se  rencontre  sous  les  formes  Kléonaç,  qu'il 
faut  lire  KXeoTTàç  (3),et  KAcoTTàç  (4).  Hégésippe  (5),  Eusèbe  (6), 
saint  Épiphane  (7) ,  Nicéphore  (8),  et  ceux  des  Pères  grecs  qui  citent 
ce  nom  ,  n'adoptent  que  l'une  de  ces  deux  formes  ;  Kho(^aç  leur  est 
inconnu.  Ce  n'est  que  dans  les  versions  ladnes  du  Nouveau  Testa- 

(t)  Dans  le  tome  II  de  mon  Recueil  d'inscriptions   grecques  et  latines  de 
V Egypte.  Sous  presse). 
(2/  De  Arhlobalo  judœo ,  p.  18  ,  19. 
(3^  "ft  ovo/xa  K/£07raç.  Saint  Luc  ,  XXIV,  18. 
(4)  Ma^ta  -h  Toy  K;.w7r5.  Saint  Job ,  XIX  ,25. 
(5    A  p.  Euseb.  tii&t.  eccl.  111,32,  IV,  22. 

(6)  Jiisl.eccL  III,  11. 

(7)  Hœres.  66,  19,  78,  79. 

(8)  hisL  eccL  ÏU,9. 


f 


NOMS  GRECS  DE  CLÉOPHAS  ET  DE  CLÈOPAS.       489 

ment  et  dans  les  Pères  latins  (l),  que  Ton  trouve  la  forme  Cleo- 
phas,  adoptée  par  l'Église  catholique.  Ou«^''d  on  n'aurait  que  ce  seul 
indice,  il  serait  difficile  de  douter  que  KhoTiàq  ou  Klomàç  ne  soit  le 
véritable  nom  de  ce  saint  personnage  ,  et  que  ce  nom  n'ait  été  légè- 
rement altéré  par  les  anciens  traducteurs  latins;  peut-être  à  cause  de 
l'extrême  rareté  du  nom  de  Cléopas;  car  jusqu'ici  on  n'en  avait  décou- 
vert aucun  exemple  excepté  celui  qui  est  fourni  par  les  textes  de 
saint  Luc  et  de  saint  Jean;  tandis  que  CléophaSy  ainsi  qu'on  Ta  vu, 
se  rencontre  assez  fréquemment;  or,  s'il  arrive  souvent  aux  copistes 
de  changer  un  nom  inconnu  contre  un  autre  qui  est  fréquent ,  le 
contraire  ne  leur  arrive  jamais.  Cette  raison  achève  de  montrer  que 
le  véritable  nom  est  Cléopas,  non  Cléophas;  en  conséquence ,  que 
les  textes  grecs  des  deux  évangélistes  sont  les  originaux  ,  et  tous 
les  autres  des  versions. 

On  a  voulu  faire  de  ce  nom  si  rare,  Khonaç ,  soit  un  nom  hébreu , 
soit  un  nom  grec,  composé  de  x)ioç  et  de  Tiàg  (2);  mais  ainsi  que 
l'a  vu  M.  Winer  (3) ,  c'est  évidemment  un  dérivé  ou  un  abrégé  de 
KleÔTiocrpoç,  comme  Avr n:dç  l'est  de  Avunarpoç;  et,  par  les  raisons  qui 
viennent  d'être  données,  ÀvriTraç  des  manuscrits  de  l'Apocalypse  (4) 
et  de  Josèphe  (5),  est  une  faute  des  copistes,  qu'on  doit  hardiment 
changer  en  AvriTraç.  Ainsi  les  deux  noms  Cléophas  et  Cléopas,  qui 
peu^ent  si  facilement  se  confondre,  puisqu'ils  ne  diffèrent  que  par 
l'aspiration,  sont,  en  effet,  très-différents  par  leur  composition. 

Au  reste,  la  réalité  de  ce  nom  de  KleoTidg  ne  repose  pas  seule- 
ment sur  la  vraisemblance  de  l'étymologie ,  et  sur  le  texte  grec  des 
deux  évangélistes;  j'ai  découvert  récemment  un  exemple  alexandrin 
de  ce  môme  nom,  dans  la  leçon  altérée  d'une  inscription  de  Philes 
en  Egypte. 

Cette  inscription  a  été  tracée  à  la  gauche  du  bras  étendu  d'une 
des  figures  sculptées  sur  le  pylône  du  grand  temple,  qui  est  une 
de  celles  dont  l'exécution  est  postérieure  aux  inscriptions  grecques. 
Le  ciseau  du  sculpteur  égyptien  a  enlevé  une  partie  des  lettres  et 

(1)  Entre  autres,  saint  Jérôme,  De  locis  Hebraïcis,  V.  Emmaûs;  (Epistol  108, 
8,  ad  i?MS<oc/i/MW  );  saint  Jean  Chrysoslome  et  Theodoret  (  Comment  in  Epist. 
ad  Galatas  ,c.  l  ). 

(2)  Srhlousner,  JVov.  Leœicon,  h.  v. 

(V)  Bibl.  Reàl-Wœrlerhuch,  I,  p.  783. 

(4)  II,  13. 

(5)  .^nt.Jud,  XVII,  3,  1  ;  9,  h',l\,k,BeU,  Jud.  I,  28,  4;  32  ,  7;  33  ,  7;  II, 
2,  3;  IV,  3,4. 


490  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

l'a  réduite  à  l'état  de  mutilation  où  elle  se  trouve.  Copiée  déjà  par 
M.  Gau  (1  ),  elle  l'a  été  ensuite  plus  complètement  par  M.  Lenormant. 
C'est  un  prosctjnème  ou  acte  dadoralion  fait  par  plusieurs  visiteurs  ou 
bien  par  un  seul,  qui  rapporte  les  noms  de  ses  amis,  prenant  part  à 
cet  hommage  religieux.  Tous  ces  noms  sont  fort  distincts ,  à  l'excep- 
tion d'un  seul,  caché  dans  ce  passage  :  TOrAAeAa>OTnANICKIQNOC 
[KÂI]  TOYAAeAcE>OTKACOnATOC  que  je  lis  :  Ka\  zov  dMrfov  UavKT- 
xiwvoç  (2),  y.ccï  Toî)  à^eXcpoO  KhonàTog;  car,  de  la  combinaison  des 
deux  leçons  KACOnATOC  (Lenormant),  et  K.  COnATOC  (Gau), 
sort  avec  évidence  le  nona  KACOIIATOC.  C'est  jusqu'ici  le  seul 
exemple  fourni  par  les  inscriptions  ;  mais  il  suffit  pour  justifier,  s'il 
en  était  besoin ,  la  leçon  Khotàç  dans  le  texte  grec  du  Nouveau 
Testament. 

L'origine  grecque  du  nom  de  ce  saint  personnage  me  suggère 
l'explication  d'un  autre  nom  qu'il  porte  en  d'autres  endroits. 

Il  est,  en  effet,  reconnu  que  saint  Cléophas  ou  plutôt  saint  Cleo- 
pas  est  appelé  Alphœus  {A^xtoç)  dans  saint  Marc  (3)  et  saint 
Luc  (4).  Ce  même  nom  est  donné  par  saint  Marc  (5)  au  père  de  Lévi 
(saint  Matthieu).  L'étymologie  en  est  obscure.  Les  commentateurs 
ont  essayé  de  le  ramener  à  celui  de  Cléophas,  par  le  retranchement 
du  K  [n],  et  la  métathèse  du  l  [S],  Clialphai,  Chalpai,  Chlapaiy 
Afphai,  Mais  il  serait  peut-être  assez  naturel  de  voir  dans  A}ffaïoç, 
encore  un  nom  grec ,  ou  du  moins  hébreu  grécisé ,  dérivé  de  AA(pa 
(^/fp?i hébraïque),  cette  première  lettre  des  deux  alphabets,  qui  servait, 
dans  les  deux  langues,  de  signe  numérique  à  Viinité.  Dans  ce  cas,  le 
nom  serait  tout  à  fait  analogue  aux  noms  propres  ITpwToç  ou  irpàroç, 
avec  leurs  dérivés  IIpwTaç,  Ilpancov,  UpxTocloç  jUpocTalldocç  ;  et  aux 
noms  hi'ins  Primas,  Secimdas,  Ter  dus,  etc.,  indiquant  primitivement 
l'ordre  des  naissances  dans  une  même  famille.  Je  pense  que  AA(pavoç, 
sur  une  monnaie  de  Lampsaque  (6);  et  Bnrlo)v  (7)  (qui  semble  un  dérivé 
de  Bi^Ta),  pourraient  bien  avoir  semblable  origine.  Le  frère  de  saint 


(1)  Antiq.  de  la  Nubie,  Iiiscr.  pi.  XI ,  27. 

(2)  Nom  jusqu'ici  inconnu,  un  dérivé  de  nscviVxog,  qui  se  trouve  dans  quelques 
inscriptions  d'Egypte. 

(3)  III,  18. 

(4)  VI ,  iS.;—Act.  AposU  1 ,  13. 
(6)11,14. 

(6)  Mionnet,  Méd.  gr.  Suppl.  T.  V,  p.  380. 

(7)  Ap.'Diog.  Ladrt.  IV,  54. 


NOMS  GRECS  DE  CLÈOPHAS  ET  DE  CLÉOPAS.       491 

Joseph  avait  donc  deux  noms,  ou  du  moins  un  nom  et  un  surnom, 
dont  la  réunion  devait  être  Kleo-nàç  6  Y.ai  Alc^aioç;  on  employait 
tantôt  l'un  ,  tantôt  l'autre,  pour  le  désigner.  De  là,  cette  double  dé- 
nomination qui  a  fort  embarrassé  les  commentateurs. 

C'est  ainsi  que  le  désir  d'expliquer  le  KAE04>AT0S  de  l'inscription 
de  Messénie  nous  a  conduit  à  connaître  la  vraie  étymologie  des  noms 
KXsotpàç,  de  KleoTiàç  et,  peut-être,  d'AAfparo^  ;  à  corriger  l'accentuation 
de  ces  noms  et  de  ceux  du  même  genre ,  dans  les  textes  grecs  des 
deux  évangélistes  et  dans  l'historien  Josèphe  ;  en6n  à  retrouver  la 
vraie  forme  du  nom  d'un  des  saints  de  l'Eglise. 

On  en  conclura,  je  pense,  que  les  recherches  sur  les  noms  propres 
grecs,  quelque  minutieuses  qu'elles  puissent  paraître,  ne  sont  pas 
tout  à  fait  inutiles. 

Letronne. 


INSCRIPTION  mmim  m  i842  a  marsal 

DÉPARTEMENT  DE  LA  MEURTHE. 


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Sur  cent  monuments  épigraphiques  que  restitue  le  sol  de  notre 


INSCRIPTION   DÉCOUVERTE   EN   1842.  493 

pays,  il  en  est  à  peine  un  qui  fournisse  à  l'histoire  quelque  document 
nouveau  ;  c'est  donc  une  véritable  bonne  fortune  que  la  découverte 
d'une  inscription  qui  offre  la  réunion  de  plusieurs  faits  encore  in- 
connus, et  véritablement  dignes  d'intérêt.  A  ce  compte ,  je  n'en  sais 
aucun  qui  mieux  que  l'inscription  publiée  dans  les  Mémoires  de 
l'Académie  royale  de  Metz ,  pour  l'année  1843,  mérite  d'être  étudié 
avec  attention.  L'inscription  dont  il  s'agit  est  gravée  sur  un  piédestal 
de  calcaire  grossier,  ayant  servi  de  support  à  une  statue  votive,  et 
que  les  ouvriers  employés  à  Marsal,  par  les  officiers  du  génie, 
chargés  de  construire  une  caserne  à  l'abri  de  la  bombe,  ont  extrait 
dans  les  premiers  mois  de  l'année  1842,  delà  vase  dans  laquelle  il 
était  plongé  depuis  une  longue  suite  de  siècles.  Ce  piédestal  fait  au- 
jourd'hui partie  de  la  riche  collection  lapidaire,  formée  depuis  peu 
d'années,  à  la  bibliothèque  publique  de  Metz,  et  il  y  a  été  placé  par 
les  soins  éclairés  de  M.  le  colonel  Bergère,  directeur  du  génie  en 
cette  résidence. 

Le  texte  publié  dans  les  Mémoires  académiques  précités,  ayant  été 
légèrement  altéré  en  plusieurs  points,  j'ai  dû  naturellement  lui  faire 
subir  quelques  petites  rectitications ,  dont  j'ai  constaté  la  légitimité, 
en  étudiant  le  monument  lui-même.  La  lecture  de  cette  inscription 
ne  présente  aucune  difficulté ,  et  elle  se  complète  ainsi  qu'il  suit  : 

TIBERIO  CLAUDIO 

DRUSI  FILIO ,  CiESARI 

AUGUSTO,  GERMANICO, 

PONTIFICI  MAXIMO,  TRIBUNITIA 

POTESTATE  TERTIA,  IMPERATORl  TERTIUM, 

PATRl  PATRÏiE  ,  CONSULI  DESIGNATO  , 

VICANI  MAROSA- 

-LLENSES.  PUBLICE 

DEDICATA  (sous-entendu  statua),  NONA  KALENDAS 

OCTOBRIS,  AINNO  CAII  ou  GONSULATUS 

PASSIENI  CRISPI 

SECUNDUM;  TITO  STATILIO  TAURO  CONSULE. 

La  date  précise  de  ce  monument  y  est  écrite  de  la  manière  la  plus 
explicite  :  c'est  le  9  des  kalendes  d'octobre  de  l'année  dans  laquelle 
Claude  fut  revêtu  pour  la  troisième  fois  de  la  puissance  tribunitienne; 
et  comme  cette  année  est  nécessairement  la  troisième  année  du  règne 
de  ce  prince,  c'est-à-dire  l'an  44  de  l'ère  chrétienne,  il  en  résulte 
que  la  statue  votive  dont  le  piédestal  a  été  découvert  à  Marsal  fut 


494  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

érigée  le  23  septembre  44  de  J.  C.  Le  9  des  kalendes  était  l'anni- 
versaire de  la  naissance  d'Auguste,  et  ce  fut  très-probablement  ce 
motif  qui  le  fit  choisir  pour  la  cérémonie  à  laquelle  donna  lieu  la 
dédicace  de  la  statue  de  Claude  ;  d'autant  plus  que  le  jour  natal 
d'Auguste  continua  d'être  célébré  longtemps  après  sa  mort,  puisque 
celui  de  Livic  ou  JuUa  Aiigusta,  femme  d'Auguste,  l'était  encore 
sous  le  règne  de  Galba,  en  68  de  notre  ère  (l). 

Marsal,  que  l'on  avait  jusqu'ici  considéré  comme  une  localité 
relativement  assez  moderne,  puisque  la  plus  ancienne  mention  de 
cette  ville  se  trouvait  dans  un  acte  de  donation  ,  daté  de  l'an  709  et 
passé  par  un  comte  Vulfoald  au  profit  de  l'église  de  Saint-Mihiel , 
Marsal,  dis-je,  se  trouve  ainsi  remis  en  possession  d'une  origine 
beaucoup  plus  reculée.  Dès  l'année  44  de  J.  C,  il  existait,  au  même 
point  oii  se  trouve  aujourd'hui  cette  petite  place  forte,  un  vicus 
Romain ,  portant  exactement  le  même  nom  et  décrétant  l'érection 
d'une  statue  votive  en  l'honneur  de  l'empereur  régnant.  Le  silence 
des  anciens  géographes  et  des  itinéraires  antiques  ne  peut  donc  plus 
être  invoqué  pour  prouver  que  l'origine  de  cette  ville  appartient  au 
moyen  âge. 

Chacun  sait  que  la  ville  de  Marsal  est  fondée  sur  un  radier  ar- 
tificiel entièrement  composé  de  fragments  de  terre  cuite  façonnés 
à  la  main,  et  formant  une  croûte  épaisse  et  solide,  connue  depuis 
longtemps  des  archéologues  sous  le  nom  de  briquetage  de  Marsal. 
Ce  monument  curieux  de  l'industrie  humaine  a  vivement  préoc- 
cupé les  antiquaires  du  dernier  siècle,  et  il  nous  a  valu  l'intéres- 
sant mémoire  que  d'Artezé  de  La  Sauvagère,  ingénieur  ordinaire 
du  roi ,  publia  en  1 740  pour  prouver  que  le  briquetage  était  l'œuvre 
des  Romains.  Aujourd'hui  que  l'inscription  de  l'année  44  est  acquise 
à  la  science,  il  devient  impossible  d'adopter  l'opinion  de  La  Sauvagère. 
En  effet,  un  calcul  très-simple  prouve  que  ce  briquetage,  qui  con- 
tient environ  deux  millions  de  mètres  cubes  de  fragments  de  terre 
cuite ,  a  dû  coûter  plus  de  cent  années  consécutives  d'un  travail  assidu 
de  huit  heures  par  jour,  exécuté  par  une  masse  de  quatre  mille  tra- 
vailleurs des  deux  sexes  et  de  tout  âge ,  pour  que  ses  matériaux  fus- 
sent seulement  préparés. 

Il  est  bien  évident  que  les  Romains,  dont  la  première  expé- 
dition dans  les  Gaules  n'a  précédé  que  d'un  siècle  (2)  l'érection  de  la 

(t)  Letronne,  Recueil  des  Inscriptions  grecques  et  latines  d'Egypte.  T.  I.  p.  83. 

(2)  L'expédition  de  César  contre  Orgelorix  ayant  eu  lieu  sous  le  consulat  de  Mes- 

sala  el  de  Pison,  il  en  résulte  qu'il  s'est  écoulé  un  intervalle  de  cent  cinq  ans  entre 


INSCRIPTION  DÉCOUVERTE   EN    1842.  495 

statue  décernée  à  Claude  par  les  vicanl  Marosallenses ,  ne  peuvent 
être  les  auteurs  du  briquetagc.  Il  faut,  dès  lors,  admettre  que  les 
peuplades  gauloises  établies  sur  les  bords  de  la  Seille  imaginèrent 
cet  étrange  moyen  de  solidifier  le  terrain  boueux  du  marais  où  s'élève 
Marsnl,  pour  s'y  établir  et  y  exploiter  les  eaux  saiilères  dont  la  richesse 
avait  dû  tenter  leur  cupidité  dès  l'époque  la  plus  reculée.  Le  brique- 
tage  est  donc  l'œuvre  des  Gaulois  :  ceci  est  aujourd'hui  incontestable. 

Passons  actuellement  à  l'étude  des  faits  historiques  que  nous  révèle 
l'inscription  de  Marsal.  Deux  consuls  y  sont  mentionnés ,  et  leurs 
noms  étant  écrits  à  des  cas  diiFérents,  il  en  faut  conclure  que  celui-là 
seul  dont  le  nom  est  placé  à  l'ablatif  absolu  était  revêtu  des  honneurs 
consulaires  au  moment  oii  le  monument  fut  érigé.  Si  nous  recourons 
aux  fastes  consulaires  pour  l'année  44  de  J.  C,  nous  y  trouvons  une 
très  grande  incertitude  dans  la  dénomination  des  deux  personnages 
consulaires  entrés  en  fonctions  aux  kalendes  de  janvier  de  cette 
année.  Ainsi  parmi  les  anciens,  Dion  mentionne  C.  Crispus , 
consul  pour  la  deuxième  fois,  et  Titus  Statilius  ;  Idace  cite  Crispus 
pour  la  deuxième  fois  et  Taurus  ;  enfm ,  Prosper  mentionne  Crispinus 
et  Taurus.  Parmi  les  modernes,  Noris  cite  L.  Quinctius  Cris- 
pinus II  et  M.  Statilius  Taurus  ;  Tillemont  adopte  la  même  nomen- 
clature et  les  auteurs  de  l'Art  de  vérifier  les  dates ,  ainsi  que  les  ré- 
dacteurs des  Fastes  consulaires  de  l'Encyclopédie  méthodique,  suivent 
aussi  Noris,  mais  en  ajoutant  que  Manius  iEmilius  Lepidus  fut 
substitué  au  premier  de  ces  deux  consuls. 

Toutes  ces  listes,  en  désaccord  entr'elles ,  quant  aux  prénoms  des 
consuls,  sont  en  désaccord  avec  l'inscription  de  Marsal,  et  comme  celle- 
ci  ne  peut  avoir  tort,  il  devient  nécessaire  de  rectifier  pour  cette  année 
44  les  fastes  consulaires  publiés  jusqu'à  ce  jour,  et  d'y  inscrire  Passie- 
nus Crispus,  consul  pour  la  deuxième  fois,  et  Titus  Statilius  Taurus. 

Le  nom  de  Passienus  Crispus  est  loin  d'être  inconnu  dans  l'his- 
toire. En  effet ,  nous  savons  qu  Agrippine ,  veuve  de  Domilius 
Ahenobarbus  et  mère  de  Néron  ,  rappelée  de  l'exil  auquel  l'avait 
condamnée  Caligula,  revint  à  la  cour  de  l'empereur  Claude,  et  donna 
bientôt  sa  main  au  rhéteur  Passienus  Crispus,  dont  elle  convoitait 
l'immense  fortune.  Passienus  eut  l'imprudence  de  faire  un  testament 
par  lequel  il  léguait  tous  ses  biens  à  Agrippine,  et  celle-ci  pressée 
d'hériter, empoisonna  son  mari.  Passienus  Crispus  avait  été  deux  fois 
revêtu   des  honneurs  consulaires,  et  ses  funérailles  furent  pom- 

cet  événement  et  l'année  dans  laquelle  les  vicani  Marosallenses  dédièrent  à 
l'empereur  Claude  la  statue  dont  le  piédestal  vient  d'être  retrouvé. 


496  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

peusement  célébrées  par  un  deuil  public.  On  ignorait  la  date  de  la 
mort  de  ce  personnage  dont  le  nom  ne  se  retrouvait  pas  dans  les  fastes 
consulaires,  bien  que  l'on  fut  assuré  qu'il  avait  été  deux  fois  consul  ; 
aujourd'hui  nous  sommes  en  droit  d'affirmer  que  le  deuxième  mari 
d'Agrippine  vivait  encore  au  commencement  de  l'année  4'i-;  qu'aux 
kalendes  de  janvier  de  cette  année,  il  fut  pour  la  deuxième  fois 
nommé  consul,  après  avoir  été  antérieurement  revêtu  d'un  petit 
consulat,  ou  consulat  substitué;  qu'enfin,  il  ne  mourut  empoisonné 
par  sa  femme  que  vers  le  milieu  de  l'année,  puisque  le  23  septembre 
on  savait  à  Marsal  qu'il  avait  cessé  de  vivre,  tandis  qu'en  cette  localité 
assez  éloignée  de  la  capitale  de  l'empire,  on  ne  connaissait  pas  encore 
le  nom  du  personnage  substitué  au  consul  défunt. 

F.  DE  Saulcy. 


SUR  L'EPOQUE  DU  VASE  D'ARTAXERCE 


I 


En  parlant  de  ce  curieux  monument  dans  la  dernière  livraison ,  j'ai 
laissé  en  doute  s'il  avait  été  exécuté  sous  le  premier  Artaxerce,  dit 
Longae-Main,  ou  sous  le  deuxième,  dit  Mnémon,  et  j'ai  appelé  sur 
ce  point  l'attention  et  la  critique  de  M.  Letrorme. 

J'ignorais,  lorsque  j'écrivais  mon  article,  que  cet  illustre  savant 
s'était  occupé  des  vases  égypto-perses  à  quadruple  inscription,  dans 
un  Mémoire  qu'il  a  lu  à  l'Académie  des  Inscriptions  sur  Vélat  de 
V Egypte  depuis  l'établissement  des  Grecs  dans  ce  pays  sous  Psamméli- 
chus,  jusqu'à  la  conquête  d'Alexandre.  Sans  s'appuyer,  comme  j'ai 
tâché  de  le  faire,  sur  des  considérations  tirées  de  l'examen  des  in- 
scriptions elles-mêmes,  et  en  partant  uniquement  du  point  de  vue 
historique ,  il  est  arrivé  à  des  résultats  qu'on  peut  regarder  comme 
positifs,  et  qui  me  paraisent  tels,  sur  l'âge  du  vase  d'Arlaxerce,  amsi 
que  des  monuments  de  ce  genre  oii  se  montrent  l'empreinte,  et,  en 
quelque  sorte,  le  mélange  des  deux  ci\ilisations.  M.  Letronne  ayant 
bien  voulu  me  commuinquer  le  fragment  qui  se  rapporte  à  cette 
intéressante  question ,  je  ne  puis  mieux  faire  que  de  le  transcrire 
avec  la  permission  du  savant  auteur,  que  je  m'empresse  de  remercier 
de  cette  nouvelle  preuve  de  bienveillance. 

Avant  de  transcrire  ce  fragment,  je  dirai  que  le  Mémoire  dont 
il  fait  partie  a  pour  objet  de  prouver  la  conservation  de  toutes  les 
branches  de  la  civilisation  égyptienne,  principalement  des  arts, 
qui  en  étaient  l'expression  fidèle,  et  de  réfuter  l'opiniort  de  ceux  qui 
prétendent  encore  que  la  domination  des  Perses  y  avait  porté  une 
atteinte  profonde. 

Dans  la  première  partie  de  ce  Mémoire,  l'auteur  montre  que,  sous 
les  derniers  Pharaons ,  l'Egypte  n'avait  rien  perdu  de  son  antique 
prospérité  ;  que  Psammétichus ,  Nechos  et  Amasis  exécutèrent  des 
travaux  qui,  pour  la  grandeur  et  la  perfection,  ne  le  cédaient  pas  à 
ceux  des  Thouthmosis  et  des  Rhamnsès;  et  que  les  rois  perses,  à 
part  les  excès  isolés  de  Cambyse,  ne  portèrent  aucune  atteinte,  ni 
aux  institutions  ni  aux  arts  de  l'Egypte;  que  la  religion,  dans  celte 
période,  fut  aussi  florissante,  et  les  travaux  d'art  aussi  parfaits  que 
dans  les  siècles  passés;  et  qu'on  n'a  nulle  raison  de  penser,  comme 
on  le  fait  encore ,  que  Platon  et  Eudoxe  n'ont  pas  trouvé  les  sciences 
positives,  telles  que  les  mathématiques,  la  mécanique  (1)  et  Tastro- 

(1)  Dans  la  livraison  suivante,  nous  donnerons  un  autre  fragment  de  ce  Mémoire, 
qui  concerne  la  Mécanique  des  Égyptiens. 


-^98  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

nomie,  dans  le  même  état  où  elles  furent  aux  époques  les  plus  pros- 
pères; ce  qui  fait  tomber  plus  d'un  préjugé  qui  s'appuie  encore  sur 
les  chimères  de  Bailly. 

Voici  le  fragment  relatif  au  vase  d'Arlaxerce.  II  ouvre  la  deuxième 
section  (de  la  deuxième  partie)  du  Mémoire,  intitulée  de  VÈgypte, 
depuis  la  mort  de  Darius  H  jusqu'à  V  arrivée  d  Alexandre  : 

Adrien  de  Longpérier. 

«  Cette  période  de  l'histoire  égy[)tienne  n'est  exactement  repré- 
sentée que  dans  les  extraits  de  Manéthon.  Rien  ne  pourrait  faire 
soupçonner,  dans  ce  qui  nous  reste  des  historiens  classiques  sur  cette 
époque,  que  l'Egypte,  après  la  mort  de  Darius  II,  ne  resta  point, 
comme  par  le  passé,  sous  la  domination  persane;  mais  qu'elle  fut 
exclusivement  gouvernée  par  des  rois  tirés  de  son  sein.  Ici  l'annaliste 
égyptien  est,  sur  tous  les  points,  d'accord  avec  les  monuments. 

«En  effet,  après  la  XXVIP  dynastie,  qu'il  appelle  persane^ 
composée  des  rois  persans  de  Cambyse  a  Darius  II,  Manéthon 
compte  trois  dynasties  égyptiennes  :  la  XXVI1I%  la  XX1X%  et 
la  XXX%  formées  de  neuf  règnes  successifs,  dont  la  durée  totale 
est  d'environ  soixante-quatre  ans,  et  dont  le  dernier,  celui  de  Nec- 
tanébo  II,  tinit  douze  années  seulement  avant  l'arrivée  d'Alexandre. 

c(  Le  premier  de  ces  rois  est  Amyrtéey  qui  commence  à  régner 
en  404.  Les  chronologistes  s'accordent,  en  général,  à  croire  que  c'est 
ce  même  Amyrtée  qui  s'était  retiré  dans  les  marais  du  Delta ,  après  sa 
défaite  et  la  mort  d'Inaros  en  458  ;  et  cette  opinion  est  Adoptée 
encore  par  sir  Gardner  Wilkinson  (1).  Mais  elle  n'est  pas  admissible. 
Outre  qu'il  s'est  écoulé  environ  cinquante  ans  entre  cette  défaite  et 
le  moment  où  cet  Amyrtée  reparaît  comme  roi  d'Egypte,  on  oublie 
qu'Hérodote  (2)  a  dit  formellement  que  les  Perses  ont  permis  à  son 
fils  Pausiris  de  lui  succéder.  L'Amyrtée  de  Manéthon  ne  peut  donc 
être  que  le  fds  de  ce  Pausiris,  conséquemment  le  petit-fils  de  l'Amyrtée 
d'Hérodote  et  de  Thucydide;  et  ce  n'est  pas  le  seul  exemple  qui 
montre  que,  chez  les  Egyptiens  comme  chez  les  Grecs,  les  noms 
sautaient  une  génération  et  passaient  aux  petits-fils. 

«Ce  prince  était  déjà  sorti  de  ses  marais  en  414,  se  soulevant  contre 
Darius  II.  Mais  ce  ne  fut  que  plus  de  dix  ans  après,  à  la  mort  de  ce 
roi  et  à  l'avènement  d'Artaxerce  II  ou  Mnéraon,   qu'il  se  montre 

(1)  Manners  and  cusloms ,  1. 1 ,  p.  202 ,  203. 

(2)  lU,  15. 


ÉPOQUE   DU  VASE   d'ARTAXERCE.  499 

comme  souverain  de  l'Egypte,  et  qu'on  voit  pour  la  première  fois, 
depuis  Psamménite,  reparaître  une  dynastie  nationale. 

«  Comment  ce  changement  s'est-il  opéré?  Comment  Artaxerce 
a-t-il  été  forcé  de  consentir  à  cette  modification  si  importante  dans 
les  relations  politiques  des  deux  pays?  Est-ce  sa  guerre  avec  son 
frère  Cyrus  qui  l'avait  réduit  à  cette  extrémité?  c'est  ce  que  l'histoire 
ne  nous  apprend  pas.  Mais,  si  la  cause  est  inconnue,  le  fait  est 
constant.  11  ne  l'est  pas  moins  qu'Amyrtée  eut  pour  succes- 
seurs cinq  rois ,  formant  la  dynastie  mendésienne ,  à  savoir  :  Néphé- 
rites,  qui  régna  six  ans;  Achoris,  treize  ans;  PsammiUhis  (l),  un  an; 
Néphérites  II,  quatre  mois ,  et  MiUMs,  un  an  ;  puis  trois  rois  formant 
la  dynastie  sébennytique,  à  savoir  :  Neclanébo  /''payant  régné  dix-huit 
ans  ;  Tachos,  deux  ans;  Neclanébo  II,  huit  ans;  après  quoi,  l'Egypte 
retomba  pour  douze  ans  sous  la  domination  persane.  Ainsi  les  noms 
des  rois  perses  disparaissent  des  dynasties  manéthoniennes  à  partir  de 
l'an  404,  c'est-à-dire  de  l'avènement  même  d'Artaxerce  11  ou 
Mnémon ,  qui  n'est  plus  compté  que  comme  roi  persan. 

«  La  tolérance  que  je  viens  de  signaler  de  la  part  des  rois  perses, 
entre  Cambyse  et  Darius  11,  alla  même  jusqu'à  permettre  l'emploi 
de  l'écriture  hiéroglyphique  sur  les  objets  qui  faisaient  partie  du 
mobilier  royal  en  Egypte.  Du  moins,  il  semble  que  ce  soit  ainsi  qu'on 
doive  expliquer  l'inscription  6?7m^we,  pculèlre  quadrilingue,  en  tout 
cas  quadriUtléraîe,  gravée  sur  le  fameux  vase  d'albâtre  du  Cabinet 
des  Antiques,  portant  le  nom  de  Xerxès,  écrit  à  la  fois  eu  hiéro- 
glyphes phonétiques  et  dans  les  trois  espèces  de  caractères  cunéi- 
formes; monument  dont  personne  ne  pouvait  supposer  la  grande 
valeur  paléographique,  avant  la  découverte  de  Champollion ,  et  qui 
vint  apporter  une  confirmation  si  heureuse  et  si  inattendue  à  la 
lecture  des  hiéroglyphes  phonétiques  et  de  l'écriture  cunéiforme. 
Un  second  exemple  a  été  fourni  récemment  par  un  pareil  vase 
que  sir  Gardner  Wilkinson  a  découvert  à  Venise,  dans  le  trésor  de 
Saint-Marc  (2),  portant  le  nom  d'Artaxerxe,  écrit  également  dans 
une  quadruple  inscription  de  même  nature. 

c(  Il  faut  bien  que  ces  deux  rois ,  ou  que  les  officiers  de  leur 
maison,  fissent  un  certain  cas  de  l'écriture  hiéroglyphique ,  pour 
en  ordonner  ou  du  moins  en  permettre  l'emploi  en  de  telles  circon- 
stances ;  car  ces  deux  exemples  montrent  assez  que  l'usage  de  ces 
doubles  inscriptions  sur  les  ustensiles  n'était  pas  fort  rare. 

(1)  C'est  le  Psammélichus  de  Diodore  (XIV,  35,  5). 

(2)  LUerary  Gazette,  numéro  1444;  2i  septembre  1844,  p.  610-611, 


500  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

c(  Quant  à  savoir  quel  est  cet  Àrtaxerce,  la  question  ne  saurait 
être  douteuse,  d'après  ce  qui  précède.  Ce  ne  peut  être  qu'Artaxerce  1" 
ou  Longue-Main,  puisque  le  deuxième,  n'ayant  pas  régné  en  Egypte, 
n'a  pu  avoir  dans  ce  pays  de  maison  royale,  et  conséquemment  y 
posséder  des  ustensiles  portant  leur  nom  en  hiéroglyphes;  car  on  ne 
trouvera  sans  doute  pas  fort  vraisemblable  qu'Artaxerce  Mnémon  se 
ser\ît,  en  Perse,  d'ustensiles  marqués  de  tels  signes.  Au  contraire, 
l'extrême  tolérance d'Artaxerce  V%  qui,  ainsi  qu'on  l'a  vu  plus  haut, 
rendit  le  gouvernement  du  Delta  à  l'Égyptien  Pausiris,  le  fils  du 
rebelle  Amyrtée,  explique  parfaitement  que  son  nom  ait  été,  comme 
celui  deXerxès,  inscrit  en  hiéroglyphes  sur  les  ustensiles  à  son  usage. 

«J'aperçois  là  les  indices  d'une  sorte  de  fusion  dans  les  usages 
des  deux  peuples;  et  cette  fusion  se  manifeste  encore,  comme  je  l'ai 
dit  dans  la  partie  inédile  de  mon  Mémoire  sur  la  croix  ansée,  par  les 
sujets  de  certains  cylindres  rares,  ou  de  bas-reliefs  (1)  sur  lequels  des 
symboles,  évidemment  égyptiens,  sont  mêlés  à  ceux  qui  sont  propres 
aux  peuples  de  l'Asie  occidentale.  La  présence  de  ces  symboles  doit  in- 
diquer, à  mon  avis,  que  les  monuments  où  on  les  trouve  ont  été  gravés 
en  Egypte  même,  pour  l'usage  des  Perses;  ce  qui  nous  autorise  à  en 
placer  l'exécution  dans  la  première  période  de  cent  vingt  et  un  ans, 
comprise  entre  Cambyse  et  Darius  Ochus,  de  525  à  40i  avant  notre 
ère;  époque  à  laquelle,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  l'Egypte  recouvra  ses  rois 
nationaux,  et  ne  fut  plus  qu'un  pays  tributaire  de  la  Perse. 

c(  Si  donc  on  trouve  un  jour  d'autres  vases  de  cette  espèce,  ou  des 
ustensiles  portant  des  noms  de  rois  perses  en  hiéroglyphes ,  on  peut, 
je  crois,  prédire  à  coup  sûr  que  ces  rois  appartiendront  à  cette  pre- 
mière période,  et  principalement  à  Cambyse,  Darius,  Xerxès,  et 
Artaxerce  1",  les  seuls  rois  perses  dont  jusqu'ici  les  noms  ont  été 
trouvés  écrits  hiéroglyphiquement, 

a  C'est  là,  je  crois ,  la  première  indication  chronologique  qu'on  ait 
pu  introduire  dans  la  critique  de  ces  monuments  si  dignes  d'intérêt. 
A  ce  titre,  du  moins,  elle  mérite  peut-être  l'attention  des  personnes 
qui  étudient  spécialement  ces  importants  matériaux  de  l'archéo- 
logie et  de  la  phdologie  asiatiques.  Je  la  soumets  à  leur  examen.  » 

(1)  Tel  est  le  fragment  trouvé  à  Suez  par  le  général  Dugua,  où  l'on  voit  la  tête  d'un 
roi  persan, avec  une  ligne  en  cararlères cunéiformes  et  le  globe  ailé  égyptien.  (  Uenon, 
PI.  124,  n" 3.  Cf.  Descript.  de  l'Egypte-,  Anliq.  T.  V,  pi.  29,  n"  1-4 J 


DES  DIVINITES 

ET    DES    GÉNIES    PSYGHOPOMPES 

DAIVS  L'AIVTIQUJTÉ  JLJ  AV  MOYEN  AGE. 


PREMIER  ARTICLE. 


En  exposant  l'origine  du  sujet  de  la  psychostasie,  j'ai  fait  voir  que 
saint  Michel,  l'ange  psychopompe  par  excellence  des  chrétiens,  avait 
été  substitué  au  Mercure  de  l'antiquité,  dans  les  représentations  du 
pèsement  des  âmes.  Je  me  suis  peu  étendu  sur  ce  rapprochement, 
car  je  me  proposais  d'y  revenir  plus  en  détail,  et  de  démontrer  toute 
l'étendue  de  l'analogie  existant  entre  les  idées  païennes  et  celles 
qu'adopta  le  peuple  au  moyen  âge.  Maintenant  je  vais  suivre  avec 
attention  l'enchaînement  des  croyances  qui  se  liaient  à  cette  doctrine 
de  génies,  d'anges  psychopompes.  Examinée  avec  soin,  la  trace  des 
traditions  antiques  sera  moins  méconnaissable;  le  rapprochement  pa- 
raîtra moins  étrange,  moins  hasardé  peut-être.  On  verra  que  l'homme 
a  toujours  conçu  de  la  même  manière  tout  ce  qui  touche  à  la  vie 
future;  car  l'impuissance  où  est  son  intelligence  de  se  figurer  une 
existence  foncièrement  distincte  de  la  sienne,  le  contraint  de  tourner 
dans  le  même  cercle  d'idées,  de  s'en  prendre  aux  mêmes  hypothèses 
grossières  et  matérielles. 

Il  est  sans  doute  extraordinaire,  presque  inconcevable  que  le  mes- 
sager de  l'Olympe  soit  devenu  le  chef  des  légions  de  Jéhovah.  Com- 
ment s'expliquer  qu'un  dieu  qui,  pour  les  premiers  chrétiens,  n'était 
qu'un  démon  s'arrogeant  sous  un  nom  mensonger  les  adorations  des 
hommes  qu'il  égarait  (1),  ait  été  métamorphosé  en  une  de  ces  pures 
intelligences,  ennemies  déclarées  et  incessantes  de  ce  démon  lui- 
même?  Pour  le  comprendre,  il  ne  faut  pas  opposer  la  sévère  ortho- 

(1)  On  sait  que  tous  les  premiers  chrétiens  regardaient  les  divinités  païennes 
comme  autant  de  démons,  et  s'imaginaient  même  que  ces  démons  habitaient  en 
personne  dans  les  idoles.  C'est  une  opinion  en  faveur  de  laquelle  témoignent  presque 
tous  les  Pères  et  un  grand  nombre  de  vies  de  saints.  La  manière  si  différente 
dont  la;  mythologie  grecque  et  latine  est  envisagée  par  les  antiquaires  modernes, 
même  les  plus  orthodoxes,  démontre  à  quel  point  les  opinions  ont  changé  sur  ce 
point  j  on  en  pourrait  dire  autant  de  bien  d'aulres  idées  I 

I.  33 


502  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

doxie  de  certains  fidèles  à  la  stupide  idolâtrie  de  païens  ignorants.  Il 
faut  porter  les  regards  sur  ces  sectes  nombreuses  qui  se  groupent 
autour  du  christianisme  naissant,  sur  cette  grande  famille  du  gno- 
sticisme  où  viennent  se  mêler  et  se  confondre  toutes  les  doctrines 
mystiques,  allégoriques  de  l'Orient,  et  les  fables  poétiques  et  gra- 
cieuses de  la  Grèce.  C'est  là  que  s'opérait  un  syncrétisme  immense, 
tantôt  ingénieux  et  profond,  tantôt  désordonné  et  puéril.  Là  les 
divinités  des  différentes  religions  étaient  échangées,  accouplées, 
défigurées  ;  là ,  tous  ces  dogmes  chrétiens  et  ces  mythes  antiques 
qui  se  heurtaient  ailleurs,  opéraient  une  bizarre  alliance.  Les  gnosti- 
ques  étaient  à  moitié  païens,  à  moitié  chrétiens  ;  ils  formaient  un  parti 
mixte  qui  exerçait  sur  les  partis  extrêmes  une  grande  influence.  Ils 
présentaient  toutes  les  nuances,  depuis  les  Valentiniens,  le  Basilidiens, 
si  ennemis  de  la  foi  du  Christ,  jusqu'aux  Ptoléméens,  qu'on  pouvait 
considérer  comme  quelques-unes  de  ses  brebis  indociles,  et  mutines 
parfois ,  mais  qui  cependant  suivaient  le  pasteur.  Une  foule  d'écrits 
chrétiens,  que  le  catholicisme  lui-même  a  adoptés  pour  son  enseigne- 
ment dogmatique,  portent  l'empreinte  irrécusable  des  idées  de  ces 
sectes  (1).  Et  comme  il  n'existait  pas  entre  les  diverses  communions 
chrétiennes  une  séparation  aussi  prononcée  que  certains  historiens  l'ont 
fait  croire,  comme  chaque  Eglise  gardait  ses  observances  particulières 
et  ses  interprétations  à  elle,  suivant  les  opinions  des  évoques  et  du 
clergé,  les  idées  gnostiques  pénétraient  plus  ou  moins  chez  les  ortho- 
doxes, c'est-à-dire  chez  ceux  qui  se  ralliaient,  sur  les  points  princi- 
paux, à  l'opinion  générale  (2).  Ainsi  c'est  par  le  gnosticisme,  que  les 
croyances  païennes  pénétraient  dans  la  masse  des  chrétiens;  elles 
y  étaient  apportées  par  ceux  qui  abandonnaient  cette  secte  et  ren- 
traient dans  le  sein  de  la  société  orthodoxe,  tout  en  conservant  en- 
core le  fond  de  leurs  croyances  et  de  leurs  idées.  L'homme  croit  sou- 
vent abandonner  ses  idées ,  mais  ses  idées  ne  l'abandonnent  guère  ; 
elles  tiennent  à  la  nature  même  de  son  esprit  qui  garde  toujours  son 
premier  moule.  Les  croyances,  les  dogmes  païens  arrivaient  donc 
aux  chrétiens,  déjà  transformés,  ayant  perdu  une  partie  de  leur  vête- 
ment primitif;  les  néophytes  les  acceptaient  alors  d'autant  plus  aisé- 
ment qu'ils  y  retrouvaient  moins  les  traits  qui  auraient  pu  trahir  leur 

(1)  Cf.  l'excellente  Histoire  du  Gnosticisme  de  M.  Matter,  qui  nous  a  été  d'un  si 
utile  secours,  et  dans  laquelle  tous  ces  faits  sont  démontrés  avec  évidence. 

(2)  Voyez  les  Histoires  du  Christianisme  de  MM.  Neander,  Matter,  Gfrôrer,  et  en 
général  celles  qui  appartiennent,  parles  opinions  de  leurs  auteurs,  à  l'Église 
évangélique. 


DES  DIVINITÉS  ET  DES  GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  603 

origine.  C'est  ainsi  qu'est  entré  dans  le  mythe  chrétien  de  la  psycho- 
stasie,  le  Mercure,  l'Hermès,  le  Thoth  des  religions  expirantes.  Une 
pierre  gravée  publiée  dans  Chifflet  (l),  dans  le  cabinet  Gorlée  (2)  et 
dans  le  recueil  d'inscriptions  de  Gori  (3),  va  venir  appuyer  notre  con- 
jecture. 

Cette  gemme  offre  Mercure  assis  sur  un  rocher,  ainsi  qu'il  est  fré- 
quemment représenté  sur  les  pierres  gravées  antiques.  Il  est  coiffé 
du  pétase  ailé  et  porte  un  grand  caducée  ;  devant  lui  est  un  coq  qui 
chante.  On  lit  sur  la  pierre  le  nom  de  michael.  Dans  le  champ  on 
a  tracé  deux  lettres  hébraïques  :  un  aïn  et  un  thau,  ce  qui  forme  le 
mot  'Ath  (prononcez  'Eth),  et  qui  signifie  le  temps  (4).  Ce  mot  semble 
donc  être  une  allusion  au  jugement  futur.  Le  coq,  emblème  de  la  vi- 
gilance et  des  exercices  de  la  palestre  et  du  gymnase,  figure  comme 
symbole  habituel  de  Mercure,  inventeur  des  jeux  gymnastiques  (5), 
mais  il  est  probable  qu'on  a  attribué  à  cet  oiseau  un  sens  nouveau; 
Mercure  étant  devenu  l'archange  Michel,  le  coq  est  sans  doute  repré- 
senté comme  un  emblème  du  jugement  dernier,  jour  où  la  trompette 
nous  éveillera  du  tombeau,  comme  à  l'aurore  le  chant  de  cet  oiseau 
domestique  rappelle  l'homme  à  la  vie  active  et  l'arrache  au  som- 
meil. 

C'est  Prudence  qui  nous  donne  l'explication  de  cet  emblème, 
lorsque  sa  lyre  sacrée  fait  entendre  ces  accents  : 

Aies  diei  nuncius 

Lucem  propinquam  prœcinit, 

JYos,  excilator  mentium 

Jam  Çhristus  ad  vitam  revocal  (6). 

Et  il  ajoute  pour  compléter  en  quelque  sorte  le  commentaire  de  notre 

figure  : 

T^ox  isla  qua  slrepunl  aves 
Paullo  ante  quant  lux  emicel 
lYoslri  figura  est  judicis. 

Saint  Eucher  nous  tient  un  langage  analogue  :  Galli  nomine  desi- 
gnantur,  dit-il ,  prœdicatores  sancti  qui  inter  tenebras  vitœ  prœsentis 

(1)  Chifflet,  Tab.  XXI,  flg.S^. 

(2)  Cabinet  des  pierres  gravées  de  Gorlée  et  autres  cabinets  célèbres  de  l'Europe. 
T.  II,  pi.  CCXVIII,  n°  435. 

(3)  Gori,  Inscripl.  antiq.,  I ,  p.  L.  Tab.  III,  1. 

(4)  Cf.  Osann,  Commentai,  de  Gemma  sculpta  Christiana.  Gissse,   1843, 
p.  16  et  19. 

(5)  Cf.  Creuzer,  Zur  Gemmenkunde,  p.  56  et  57. 

(6)  Cathemer.  I. 


^Oi  REVUE   4RCHÉ0L0G1QUE. 

student  venturam  lacemprœdicando  quasi  cantando  imnciare;  dicunt  enim, 
nox  prœcessU ,  dies  autem  appropinquavit ,  ahjiciamus  ergo  opéra  tene- 
hrarum(i). 

L'origine  de  cette  pierre  gravée  n'est  pas  douteuse,  c'est  une  de 
ces  nombreuses  pierres  gnostiques  monuments  curieux  de  l'asso- 
ciation de  toutes  les  divinités  et  de  tous  les  symboles  religieux 
que  je  rappelais  tout  à  l'heure.  Il  est  clair  ici  que  l'archange  a  été 
substitué  au  dieu  antique.  M.  Matier,  j'en  conviens,  a  jeté  quel- 
ques doutes  sur  l'authenticité  de  cette  gemme,  qui  est  à  ses  yeux 
l'œuvre  d'un  faussaire  italien  du  moyen  âge  (2).  Le  savant  au- 
teur se  fonde,  dans  son  opinion,  sur  le  peu  d'analogie  qu'il  y  a, 
dans  les  doctrines  gnostiques,  entre  Mercure  et  saint  Michel.  Mais 
cette  objection  perd  toute  sa  force,  actuellement  que  nous  avons  fait 
voir  l'extrême  connexité  qui  existe  entre  les  deux  personnages  (3). 
Frappés  de  l'accord  du  sujet  de  cette  pierre  et  des  faits  auxquels  nous 
avons  été  conduits  par  une  tout  autre  voie,  comment  négligerions- 
nous  une  si  curieuse  confirmation  de  nos  idées?  comment  s'expliquer, 
si  c'est  ici  l'œuvre  d'un  faussaire,  ce  rapprochement  singulier?  Et 
môme  une  main  moderne  eût-elle  fabriqué  cette  gemme  dans  le  but 
d'abuser  les  amateurs,  au  moins  doit-on  croire  qu'elle  avait  pour 
modèle  une  pierre  gnostique  analogue,  autrement  pourquoi  aurait- 
elle  inventé  un  pareil  sujet? 

Le  signe  de  la  planète  Mercure  qui  se  voit  sur  cette  pierre ,  indique 
l'assimilation  de  l'ange  au  génie  de  lastre,  assimilation  qui  n'a  rien 
que  de  très-conforme  aux  habitudes  gnostiques,  aux  idées  astrologi- 
ques qui  y  étaient  si  souvent  associées  (4). 

L'Hermès  égyptien  était  d'ailleurs  regardé  comme  un  messager  de 
la  Divinité,  comme  une  sorte  de  Christ,  de  Logos,  émanation  de  l'in- 
telligence suprême,  envoyée  pour  instruire  les  hommes.  Le  livre 
mystique  attribué  à  Pœmander,  et  qui  est  certainement  l'œuvre  de 
quelque  gnostique,  représente  ce  personnage  comme  enseignant  aux 


(1)  De  laud.,  spir.  form.,  c.  6. 

(2)  Cf.  Atlas  de  la  première  édition  de  VHist.  du  Gnosticisme ,  explication  de 
la  pi.  IX  ,  p.  95. 

(3)  Un  fait  curieux  à  noter,  et  qui  vient  encore  à  l'appui  de  notre  rapprochement, 
c'est  que  certains  temples  de  Mercure  ont  été  remplacés  dans  les  Gaules  p.ir  des 
églises  sous  l'invocation  de  saint  Michel.  Ainsi  près  du  Puy  en  Velay,  l'église  de 
Saint-Michel,  élc\ée  en  9G5,  au  sommet  d'un  pic  des  plus  escarpés,  celui  de  l'Ai- 
guille, a  été  coîistruite  sur  les  restes  d'un  temple  de  Mercure,  dont  quelques  débris 
se  voient,  dit-on  ,  encore- 

(4)  Voyez  ce  que  nous  disons  plus  bas  du  rapport  des  anges  avec  les  aslres. 


DES   DIVINITES  Et  DES  GENIES   PSYCHOPOMPES.  605 

hommes  les  dogmes  de  lai  vraie^religion  et  comme  venu  pour  leur 
annoncer  le  règne  de  la  piété  :  Hpypat  y.ripvdaELV  toïç  àyOpômoiçrorri^ 
eixjs^ciocç  xa\  rriç,  yvwo-£wç  v.lioç,  (1).  C'est  dans  cette  même  idée  qu'il 
faiit  chercher  le  sens  d'une  inscription  trouvée  jadis  à  Argos  et  dont 
M.  Osann  a  démontré  l'origine  chrétienne  (-2).  Elle  forme  le  distique 
suivant  : 

Êpiiriq  §i'/.a6ç  5i^{i)  y.cà  fAô...ij 

Cette  inscription  nous  donne  à  supposer  que  celui  qui  la  composa 
regardait  Hermès  comme  un  des  agents  de  la  rémunération  future. 

Les  pandémons  planétaires  des  gnostiques  représentés  avec  des 
ailes  aux  épaules  et  aux  hanches  et  tenant  une  balance  ou  plutôt  une 
romaine ,  pandémons  que  M.  Matter  explique  comme  ayant  une  signi- 
fication psychostasique,  avaient  certainement  une  analogie  avec 
l'Hermès  psychopompe  qui  a  aussi  quatre  ailes  et  porte  également 
une  balance.  A  l'époque  du  néoplatonisme  et  du  gnosticisme ,  la 
plupart  des  divinités  étaient  assimilées  aux  étoiles.  Mercure  avait 
alors  cela  de  commun  avec  ces  pandémons,  ces  génies  panthées, 
qu'il  était  regardé  ainsi  qu'eux,  comme  présidant  à  la  marche  d'un 
astre.  Winckelmann,  dans  sa  description  des  pierres  gravées  du 
cabinet  de  Stosch  (3) ,  cite  une  gemme  représentant  Mercure  de- 
bout, tenant  de  la  main  droite  le  caducée  et  de  la  gauche  une  ba- 
lance. Devant  lui  on  voit  le  cancer  et  derrière  lui  les  poissons  et  le 
scorpion.  Cette  pierre  a  évidemment  une  signification  astrologique; 
elle  se  rapporte  peut-être  au  voyage  zodiacal,  si  la  date  en  est  assez 
récente  pour  qu'on  puisse  la  rattacher  à  l'époque  du  néoplatonisme. 
On  ne  peut  s'empêcher  de  la  rapprocher  de  la  pierre  gnostique  publiée 
par  M.  Matter  (4),  et  sur  laquelle  on  voit  un  génie  panthce  à  quatreailes, 
un  calice  de  lotus  sur  la  tête ,  placé  entre  deux  rame.i  mystiques,  te- 
nant de  la  main  gauche  une  balance  romaine  et  de  la  main  droite  un 
scorpion.  Cet  ensemble  d'attributs  est  fort  analogu;i,  on  le  voit,  à 
ceux  du  Mercure  de  cabinet  du  Stosch.  Le  nom  d'Iao  qui  se  lit  au 
bas  de  la  pierre  gnostique  est  celui  du  génie  de  la  lune.  D'un  autre 
côté  le  planisphère  de  Bianchini  d'accord  avec  Julius  Firmicus  Ma- 


(1}  Casaubon  ,  Exercit.  ad  Baronii  Annal.  Fiancof.  1805 ,  p.  57  et  suiv 

(2)  0?,'à\\ji,Syllog.  inscr.  grœc. 

(3)  Descript.  des  pierres  gravées  de  Slosch,  p.  1)1. 

(4)  Atlas  cilé,  pi.  I ,  /fg.  9. 


606  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ternus  (l),  indique  la  lune  comme  le  premier  des  décans  qui  corres* 
pond  à  la  planète  ou  signe  de  la  balance  ;  de  plus ,  celle-ci ,  dans 
l'ordre  des  signes,  précède  immédiatement  le  scorpion ,  un  des  attri- 
buts de  Mercure  sur  un  grand  nombre  de  pierres  gravées.  Enfin 
Thoth,  qui  est  le  même  qu'Hermès,  présidait  à  la  lune  (2).  Quoi- 
qu'on ne  puisse  pas  démêler  le  sens  astrologique  de  ces  pierres,  il  est 
impossible  de  ne  pas  reconnaître  entre  elles  une  grande  analogie, 
analogie  qui  peut  nous  faire  très-légitimement  supposer  que  Mercure 
était  adopté  par  les  gnostiques  comme  un  génie  panthée  sidéral , 
rôle  qu'ils  attribuaient  aussi  à  Michel.  Dès  lors  l'échange  a  été  facile 
entre  les  deux  personnages.  Il  est  d'ailleurs  assez  remarquable  que  le 
nom  de  Michel  se  lise  encore  précisément  avec  celui  de  trois  autres 
anges,  au  revers  de  l'abraxas  en  question,  nouvelle  preuve  de  l'ana- 
logie entre  lao ,  génie  de  la  lune ,  identifié  à  Thoth-Hermès ,  génie  de 
la  même  planète  chez  les  Égyptiens,  et  l'archange  Taxiarches,  comme 
disaient  les  Grecs  (3). 

Ces  considérations  suffiront  pour  faire  comprendre  comment  eut 
lieu  l'étrange  substitution  de  saint  Michel  à  Mercure  ;  elles  montre- 
ront, je  l'espère,  que  c'est  chez  les  gnostiques  que  s'est  opérée  sur  ce 
point  la  fusion  des  idées  juives,  grecques  et  égyptiennes. La  balance 
donnée  à  la  fois  à  Mercure ,  comme  dieu  du  commerce ,  garde  des 
mesures  et  des  poids  (4)  et  comme  futur  peseur  de  nos  actions,  passa 
entre  les  mains  de  l'archange  protecteur  spécial  d'Israël.  Emblème  de 
l'inflexible  équité  de  la  mort  (5),  elle  contribua,  une  fois  adoptée  sur 
les  monuments  chrétiens,  à  nourrir  dans  l'imagination  populaire  une 
fable  dont  l'explication  tout  entière  est  dans  la  traduction  littérale 
du  terrible  Thecel  (6). 

(1)  Cf.  Letronne,  Observ.  sur  les  représent,  zodiac,  p.  98-99. 

(2)  ChampoUion,  Panlh.  égyptien,  pi.  30. 

(3)  Cf.  sur  ce  surnom  Arundell ,  Discoveries  in  Asia  minor.  T.  lï ,  p.  iHî. 

(4)  C'est  pour  celle  raison  qu'on  trouve  des  balances  dont  les  poids  représentent 
une  lêle  de  Mercure.  Cf.  Mm.  Florent.  T.  II ,  p.  153  ,  Fabrctli ,  Inscr.  c.G.a. 

(ô)  Sur  une  sardoine  antique ,  rapportée  par  Ficoroni ,  Gemmai,  antiq.  lilter. 
Tab.  VIII ,  ftg.  2  ,  on  voit  une  tête  de  mort  au  dessus  de  laquelle  est  une  balance , 
au-dessous  de  celle-ci  est  une  roue.  Celte  balance  figure  ici ,  comme  un  emblème 
du  pèsement  des  âmes,  ou  plulôl  comme  une  image  de  la  mort  dont  la  loi  est  égale 
pour  tous ,  c'est  VOmnia  mors  œqual  de  Claudien. 

La  roue  a  aussi  une  signification  funéraire.  Cf.  sur  la  roue,  de  Wilte ,  Catalogue 
de  la  Collect.  du  vicomte  Beugnot,  p.  26  et  suiv- 

(6)  Les  livres  rabbiniques  ont  reproduit  souvent  cette  comparaison  de  pèsement  : 
Comme  les  mérites  et  les  péchés  de  l'homme  sont  pesés  à  l'heure  de  la  mort 
Eischolh  Tchuvah,  eh.  3,  3,  celui  qui  commet  un  seul  péché,  fait  pencher  pourson 
propre  compte  et  pour  celui  du  monde  entier,  le  plateau  de  la  culpabilité  (en  he- 


DES  DIVINITÉS  ET  DES  GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  507 

Nous  l'avons  vu ,  pour  les  chrétiens  des  premiers  siècles  et  du 
moyen  âge,  saint  Michel  était  le  conducteur  des  âmes,  c'est  lui  qui  les 
portait  au  sein  de  Dieu.  Mais  il  n'est  pas  toujours  le  seul  auquel  ces 
fonctions  aient  été  dévolues;  saint  Gabriel  et  l'armée  tout  entière  des 
anges  les  partagent  avec  lui  :A1V  ol  //sv  ayyeloi  t/jv  ^v^-hv  Tiixpala^ou- 
reç  (XTïdyovdLV,  nous  dit  saintEphrem  (l).  Dans  certains  rites  chrétiens, 
voilà  quelles  étaient  les  paroles  qu'on  prononçait,  après  avoir  donné 
l'extrême  onction  au  malade  :  (c  Te  supplices  deprecamur  ut  suscipi 
«jubeas  animam  famuli  tui permams  sanctorum  angelorum  (2).  »  On 
pourrait  produire  un  grand  nombre  de  passages  où  se  trouve  énoncée 
la  même  idée ,  nous  nous  contenterons  d'en  citer  quelques-uns  et  des 
plus  anciens.  On  remarquera  qu'ils  sont  empruntés  aux  livres  apo- 
cryphes des  premiers  siècles ,  livres  composés  la  plupart  par  des  sectes 
hétérodoxes  dont  les  doctrines  étaient  infiniment  plus  empreintes  que 
celles  des  orthodoxes, des  idées  orientales.  Écoutons  la  prière  que  l'his- 
toire arabe  de  la  vie  du  charpentier  saint  Joseph,  place  dans  sa  bouche, 
en  le  faisant  entrer  dans  le  temple  de  Jérusalem  :  «  Si  ma  vie  est  con- 
sommée, ô  Seigneur,  si  voici  le  moment  où  je  dois  sortir  de  ce  monde, 
envoie-moi  Michel ,  le  prince  de  tes  saints  anges.  Qu'il  demeure  près 
de  moi,  pour  que  ma  pauvre  âme  sorte  en  paix,  sans  peine  et  sans 
crainte ,  de  ce  corps  de  douleur  (3).  »  Et  le  Christ  suppliant  le  Tout- 
Puissant  pour  celui  qu'il  nomme  son  père  (4) ,  s'écrie  dans  un  autre 
endroit  du  même  livre  :  «  Envoie  Michel ,  le  prince  de  tes  anges,  et 
Gabriel  qui  annonce  la  lumière  et  tous  les  anges  de  lumière,,  et  que 
leur  troupe  accompagne  l'âme  de  mon  père  Joseph,  jusqu'à  ce  qu'ils 
l'aient  conduit  vers  toi.  »  Et  on  ajoute  que  Michel  et  Gabriel  vinrent 
vers  Joseph  et  reçurent  son  âme  dans  un  linceul  éclatant  (5);  et  que 
deux  autres  anges  vinrent  ensevelir  son  corps.  Nous  allons  retrouver 
une  légende  racontée  d'une  manière  plus  circonstanciée  encore  dans 
l'histoire  des  communautés  religieuses  fondées  par  saint  Pacôme  (6). 
«  Lorsqu'un  homme  de  bien  vient  à  mourir,  y  lit-on,  quatre  anges  se 
rendent  auprès  de  lui,  et  ces  esprits  célestes  sont  toujours  d'un  rang 

breu  caph,  plateau,  bassin)  ;  celui  qui  commet  une  seule  bonne  action  fait  trébu- 
cher, en  faveur  de  lui-même  et  du  monde  entier,  la  balance  du  mérite. /b.  ch.  3,  4. 

(1)  De  secund.  advent.  ap.  Opéra  éd.  Assemani.  T.  III,  p.  273. 

(2)  Gori ,  Symbol,  litterar.  ord.  baptiz.  infirm.  ap.  Oper.  T.  ix  ,  p.  220. 

(3)  Cap.  13.  Ap.  Thilo,  Cod.  Apocnjph.  JYov.  Testam.  T.  I,  p.  23. 

(4)  C.  22. 

(5)  C.  23. 

(6)  Dulaurier,  Fragment  des  révélations  apocryphes  de  saint  Barthélémy  el 
de  l'Histoire  des  communautés  religieuses^  fondées  par  saint  Pakhome.  Paris, 
1835,  p.  16  etsuiv. 


ilOS  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

analogue  à  la  condition  de  la  personne  qui  vient  de  succomber.  Si  son 
rang  était  élevé,  les  anges  occupent  également  des  places  distinguées 
dans  la  hiérarchie  céleste  ;  si  son  rang  n'était  que  secondaire ,  ces 
anges  sont  pareillement  d'une  classe  inférieure.  Dieu  veut  par  là  que 
ses  messagers,  en  allant  visiter  l'homme,  opèrent  la  séparation  de 
l'âme  et  du  corps  avec  douceur  et  avec  bonté.  L'un  de  ces  anges  se 
tient  debout,  près  de  la  tête,  l'autre  auprès  des  pieds  du  mourant,  dans 
l'attitude  d'hommes  qui  de  leurs  mains  frotteraient  son  corps  d'huile 
jusqu'à  ce  que  l'âme  s'élève  dégagée  des  liens  du  corps.  Un  autre  tend 
un  linge  immense  et  d'une  substance  incorporelle ,  pour  y  recueillir 
cette  âme  sainte  qui ,  elle-même ,  s'y  précipite.  Un  des  anges  prend 
les  deux  extrémités  de  ce  linge  par-derrière ,  un  autre  saisit  celle  de 
devant,  de  la  même  manière  que  sur  la  terre,  les  hommes  disposent 
un  corps  qu'ils  veulent  transporter.  Un  troisième  ange  le  précède, 

chantant  des  hymnes  dans  une  langue  inconnue Le  cortège  qui 

accompagne  l'âme  s'élève  avec  elle  au  travers  des  airs  et  se  dirigeant 
vers  l'orient.  La  démarche  des  anges  ne  ressemble  point  à  celle  des 
mortels,  qui  sont  obligés  d'agiter  leurs  membres  pour  se  transporter 
d'un  lieu  à  un  autre.  Ils  s'élancent  avec  l'âme  confiée  à  leurs  soins 
vers  les  régions  de  l'atmosphère.  » 

L'auteur  de  l'assomption  de  Moïse  dit  que  :  «  Josué  étant  sur  la 
montagne  où  Moïse  mourut,  vit  deux  Moïses,  l'un  au  milieu  des  anges 
qui  montait  au  ciel,  et  l'autre  sur  la  terre  où  il  fut  enterré.  Le  premier 
Moïse  était  son  âme,  et  le  second  était  sa  dépouille  mortelle  (1).  » 

Cette  croyance  que  nous  voyons  exposée  ici  dans  ses  moindres 
détails,  est  aussi  indiquée  dans  les  livres  orthodoxes,  par  quelques 
passages,  et  les  vies  de  saints  acceptées  par  l'Église  romaine,  ren- 
ferment nombre  de  légendes  qui  y  ont  trait.  Un  des  évangiles  (2) 
nous  dit  que  l'âme  du  pauvre  Lazare  fut  portée  par  les  anges  dans 
le  sein  d'Abraham.  Saint  Antoine  rencontra  snr  son  chemin  l'âme 
de  saint  Paul,  ermite,  qui  montait  au  ciel  au  milieu  des  anges,  des 
prophètes  et  des  apôtres  (3).  Le  même  solitaire  vit,  au  dire  du 
ménologe  grec  de  l'empereur  Basile,  l'âme  de  saint  Araoun  portée 
au  ciel  par  la  main  des  anges  (4).  On  lit  dans  l'histoire  de  saint  Pierre 

(1)  Ap.  Clem.  Alex.  Stromat.,  1.  6.  JSvod.  ad  August.,  Èp.  259,  ap.  S.  Augus- 
tin. Oper. 

(2)  Luc.  XVI,  22.  Cf.  Araphiloch.  episcop.  Icon,  Oral,  de  Lazar.  âp.  Opéra. 
Paris .  1 644  ,  p.  62  et  sq.  Arnoh.  adv.  génies  Jib.  2 ,  c.  1 7. 

(3)  Bolland.  Acl.  jan.  T.  I ,  p.  606. 

(i)  Menologium  Grœcorum.  ÈJ.  Annib.  Albani,  pi.  I,  p.  94,  4  octob.  (Urbini, 
1727,in-foI.) 


DES  DIVINITÉS  ET  DES   GENIES   PSVCHOPOMPES.  509 

et  de  saint  Marcellin,  attribuée  à  Égiiihard(l),  qu'on  aperçut  leurs 
âmes  s'élever  dans  les  airs,  sous  la  figure  de  jeunes  filles  parfaitement 
belles,  ornées  de  pierreries  et  portées  par  la  milice  divine  :  «  Forma 
quasi  virginali  tectos  vere  fulgida,  auro  quoque  radiantes  ac  gemma- 
rum  lumine,  angelorum  coruscantum  circumdatos  agmine  laetabun- 
dos  cum  immensa  lucis  affluentia,  supra  cuncta  penetrando,  celsa 
mundi  sidéra  sublevatos  ad  aeterna  cœli  régna  scandere.»  D'après  le 
ménologe  grec  que  nous  venons  de  citer  (2),  l'empereur  Maximin 
aperçut  l'âme  de  saint  Alexandre  de  Thessalonique  portée  au  ciel 
par  quatre  anges.  Saint  Benoît  vit  l'âme  de  saint  Germain,  évoque 
de  Capoue ,  que  des  anges  emportaient  au  ciel ,  dans  une  sphère  de 
feu  (3).  Quand  sainte  Madeleine  de  Pazzi  mourut,  on  vit  son  âme 
entourée  d'une  foule  innombrable  d'anges  qui  la  portaient  au  ciel,  puis 
la  revêtirent  d'une  robe  dorée  et  placèrent  sur  sa  tète  une  couronne 
de  pierreries  (4).  Plusieurs  faits  de  ce  genre  sont  rapportés  dans  le 
Gyneceum  sacrum  et  d'autres  hagiologies.  On  lit  dans  la  vie  de 
saint  Bernard  qu'au  moment  oii  ce  saint  homme  expira,  on  vit  près 
du  lit  sur  lequel  il  reposait,  la  mère  de  Dieu,  sa  patronne,  à  la  tête  d'une 
grande  troupe  d'anges  qui  vinrent  chercher  son  âme  et  l'enlevèrent 
aux  cieux,  en  faisant  entendre  les  chants  les  plus  harmonieux  (5). 

Ces  chants  que  faisaient  entendre  les  esprits  célestes,  en  con- 
duisant l'âme  du  saint  abbé  de  Clairvaux,  nous  rappellent  les  hymnes 
entonnées  par  les  anges  dans  une  langue  inconnue ,  dont  il  est  parlé 
ci-dessus,  dans  l'histoire  des  communautés  de  saint  Pacôme.  Et  cette 
particularité  d'anges  chantant  n'a  rien  ici  d'insolite  ni  de  particulier. 
Au  moyen  âge  c'était  une  opinion  très-généralement  répandue  que 
l'âme  du  juste  s'élevait  aux  cieux  aux  accords  de  la  musique  céleste. 
c<  Il  faut  savoir,  dit  saint  Grégoire  dans  ses  Dialogues  (6), qu'il  arrive 
souvent  que  les   esprits  bienheureux  chantent  agréablement    les 

(1)  Bolland.  Act.  jan.  T.  II,  p.  17G.  Cf.  OEuvre  d'Éginhard,  éd.  Teulet, 
T. II,  p.  312. 
{"2)  PI.I,  p.  17G.  lYovemb. 

(3)  Cf.  S.  Gregor.,  Dialog.,  lib.  2,  c.  36;  S.  Bernard  ,  Serm.  XIII,  1,  21  mars  , 
ap.  Oper.,  tom.  I,  p.  8Gi,  et  Traclalus  anonymi  de  rémunérai,  meritorum 
7ion  dilata  ap.  script,  vêler,  nov.  collecl.  e  codic.  Fatic.  Ed.  A.  Maio,  T.  VII, 
p.  270. 

(4)  Vincent.  Pazzini ,  Fil.  bealœ  Mariœ  a  Pazzis.  Part.  I,  c.  61. 

(5)  Bolland.  AcLW,Aug.,  c.  51,p.  220.  On  pense  bien  que  ce  n'est  que  comme 
exemple  que  nous  avons  cité  les  faits  précédents.  Nous  ne  prétendons  nullement 
avoir  reproduit  tous  ceux  de  cette  nature;  on  en  rencontre  presque  à  chaque  page 
dans  les  Bollandistes. 

((5)  Lib.  Ï4,c.  14. 


510  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

louanges  de  Dieu,  lorsque  les  âmes  des  élus  sortent  de  ce  monde, 
afin  qu'occupées  à  entendre  cette  harmonie  céleste,  elles  ne  sentent 
pas  la  séparation  d'avec  leur  corps.  »  On  raconte  dans  le  même 
ouvrage  (l),  que  les  anges  enlevèrent  en  chantant  l'âme  de  saint 
Romule  au  ciel.  Juvenal,  patriarche  de  Jérusalem ,  qui  vivait  dans  le 
v°  siècle,  écrivait  à  l'empereur  Marcien  et  à  l'impératrice  Pulchérie, 
que  les  apôtres  se  relevaient  les  uns  les  autres ,  passant  le  jour  et  la 
nuit  avec  les  fidèles,  au  tombeau  de  la  Vierge  et  qu'ils  mêlaient  leurs 
voix  et  leurs  cantiques  à  ceux  des  anges  qui ,  durant  trois  jours ,  ne 
cessèrent  de  faire  entendre  la  plus  céleste  mélodie.  On  lit  dans  les 
Bollandistes  que  l'âme  de  saint  Domitien ,  évoque  d'Utrecht,  fut  con- 
duite au  ciel  par  des  anges  qui  chantaient  des  hymnes  célestes  : 
c(  Afî'uerunt  ejus  transitui  chori  angelorum  hymnidici  qui  animam 
«  ipsius  cum  laudibus  detulerunt  ad  prœmium  gaudii  (2).  »  Quand  le 
bienheureux  Silvestre,camaldule,  mourut,  les  anges  chantèrent  sur 
son  corps  et  enlevèrent  en  chantant  son  âme  au  paradis  (3).  Saint  Jean 
Silentiaire  vit  l'âme  d'un  pèlerin  que  des  anges  conduisaient  au  ciel, 
«  cum  divina  quadam  hymnodia  et  suaveolentia  (4).  Au  moment  où  les 
martyrs  expiraient,  en  confessant  la  foi,  les  anges  portaient  au  sein  de 
Dieu  leurs  âmes  victorieuses  et  chantaient  des  chants  de  triomphe 
qu'entendirent  les  bergers  carmanites,  d'après  ce  que  disent  les 
actes  des  martyrs  captifs  (5). 

Cette  croyance  poétique  rappelle  le  rôle  qu'on  attribuait  aux  sirènes, 
génies  psychopompes  qui,  d'après  les  doctrines  antiques,  menaient 
au  ciel  les  âmes  des  justes  en  les  accompagnant  de  leur  chant  mélo- 
dieux, aux  accords  de  la  voix ,  de  la  flûte  et  de  la  lyre  (6);  elles  con- 
duisaient dans  les  régions  de  l'éther  le  souffle  qui  s'échappe  du 
mourant.  «  Les  sirènes,  dit  Platon  (7),  inspirent  aux  âmes- expirantes 
l'amour  des  choses  célestes  et  divines  et  l'oubli  des  choses  mortelles. 
Elles  racontent  dans  les  enfers  tout  ce  qui  se  passe  dans  les  cieux  ; 
elles  sont  filles  de  Phorcus  qui  veille  à  l'exécution  des  loix  d'Hades.  » 
Placées  comme  les  anges,  dont  les  différentes  hiérarchies  occupaient. 


(1)  Lib.4,c.  15. 

(2)  u4c(.  sanct.  V  maii,  p.  58. 

(3)  Cecinerunl  angeli  supra  in  campanili  et  in  egressu  susceperunt  animam. 
BoUand.  ^ct.  IXjun.,  p.  258  ,  col.  2. 

(4)  Assemani ,  ^ct.  Marlijr.  orient.  Pars  I,  p.  139 ,  206. 

(5)  Bolland.  Ad.  XIII  maii,  p.  256,  col.  1. 

(6)  Sirènes  secundum  fabulam  parte  virgines  fuerunt, parte  volucres  :  harum 
una  voce ,  altéra  libiis ,  alla  lyra  canebal.  Servius  ad  jEneid.  Vers.  864. 

(7)  Ap.  Quœst.  symp.  L.  IX  ,  146. 


DES  DIVINITES  ET  DES  GENIES  PSYCHOPOMPES.  611 

d'après  certains  théologiens  du  moyen  âge  (l)  chacun  des  neuf  cieux, 
elles  étaient  assises  sur  chacun  des  huit  cercles  célestes,  mêlant  leur 
voix  à  celle  des  trois  Parques  (2). 

De  même  que  les  démons  de  l'antiquité,  les  génies  des  Grecs,  qui 
étaient  d'abord  les  âmes  elles-mêmes  et  qui  sont  devenues  plus  tard 
leurs  génies  tutélaires  (3),  les  sirènes,  après  avoir  été  les  âmes  elles- 
mêmes  chez  les  Égyptiens,  symboles  de  la  sagesse  et  de  la  science,  filles 
du  Simurgh  ou  Sirengh  de  la  Perse ,  sont  devenues  les  conductrices 
des  âmes,  leurs  guides  mélodieux  dans  l'infernal  séjour  (4).  Et  c'est 
un  trait  de  ressemblance  que  ces  génies  ont  avec  les  anges ,  esprits 
tutélaires  qui  enseignent  la  sagesse  et  la  vertu  à  l'âme  et  la  dirigent 
après  la  mort  vers  le  céleste  séjour.  L'âme  pieuse ,  à  l'ombre  de  leurs 
ailes,  s'élève  aux  cieux  comme  elle  s'y  élevait,  au  temps  d'Euripide,  sur 
les  ailes  d'or  des  sirènes. 

Xpy(7îat  5ï3   pis  TTTspu'j/sg  Trspt  voixw  xat 

Ta  22tpTQvcov  kpozvTOC  Tii^tloc  àp^oC^îrat.  Bàffo^at 

A  sç  oùQép(x.  7ro)iùv  àspOtiç,  ZrM  Trpoçat^&jv. 

Euripid.  Fragm.  ap.  S.  Clem.  Alex.  tom.  IV,  p.  543.  Fragm. 
éd.  Musgrave,  t.  II,  p.  494. 

On  retrouve  encore  ailleurs  d'autres  monuments  antiques  de  cette 
même  idée  que  l'âme  se  rend  à  l'heureux  séjour,  aux  accents  de  la 
musique.  Sur  le  bas-relief  qui  décore  l'urne  funéraire  de  Flavia  Sabina, 
au  musée  du  Louvre  (5),  on  voit  les  deux  divinités  psychopompes,  le 
génie  et  le  triton  qui  charment  les  âmes  qu'ils  conduisent  aux  îles 
fortunées,  le  premier  par  les  accords  mélodieux  de  sa  lyre,  le  second 
par  les  sons  modulés  de  sa  flûte.  Sur  un  autre  bas-relief  du  même 
musée,  on  observe  également  des  génies  accompagnant  des  sons  de 
ces  deux  instruments  le  cortège  d'une  âme  (6). 

La  musique  était  envisagée  comme  l'occupation  des  bienheureux  et 

(1)  Je  renvoie  pour  ce  sujet  au  travail  que  je  publierai  incessamment  sur  les  idées 
populaires  du  moyen  âge  relatives  au  ciel. 

(2)  Platon.  lîepub.X.  Cf.  Enripld.  Helen.  Act.  I.  v.  166-179. 

(3)  Je  développerai  ce  fait  intéressant  de  la  mythologie  antique  dans  un  grand 
travail  sur  l'histoire  des  croyances  relatives  à  la  vie  future  ,  et  dont  ce  mémoire  ne 
forme  en  quelque  sorte  qu'un  épisode. 

(4)  Ci.  sur  les  Sirènes,  Platon,  Cratyl.  403.  Proclus  in  Tim.  2S9.  Creuzer, 
^gyptiaca,  p.  246-362.  Millingen,  Ane  ined.  Monum.  Part.  16,  1.  14.  Panofka, 
Mus.  Bartholdian.  62.  Cabinel  Pourlales,  p.  76.  Annal,  de  l'Inst.  archéol.de 
Home.  T.  I,  p.  286.  Art.  de  M.  de  Laglandière. 

(5)  Comte  de  Clarac ,  Mus.  de  Sculp.  anc.  etmod.  T.  II,  PI.  I,  p-  384.  PI.  167- 
251 ,  n»  60. 

(6)  Ibid.,  p.  502  ,  PI.  207,  n°  404. 


Sl2  REVtJE   ARCHÉOLOGIQUE. 

des  anges,  d'après  cette  autre  idée  antique  qui  faisait  regarder  cet  art 
comme  divin.  Maneros  dans  lequel  était  personnifié  la  musique,  était 
fils  de  l'Eternel,  ainsi  que  l'indique  son  nom  (l).  Apollon,  accompagné 
des  Muses ,  charmait  l'assemblée  des  dieux  par  les  accords  de  sa 
lyre  {'^).  Dans  le  ciel  hindou,  les  Gandharbas  enchantent  Indra  et 
les  habitants  des  sept  swargas  ou  sphères  célestes,  par  leurs  mélodieux 
accents  (3).  Les  âmes  qui  habitaient  l'Empyrée  chantaient  dans  des 
concerts  de  louange  leur  bonheur  et  celui  des  immortels.  On  lit  dans 
les  oracles  chaldéens  qui  portent  le  nom  de  Zoroastre  :  Tb  lôyiôv  (^ri<Ji 
zàç  ij^u;^àç  oivayoïievocç  rov  iiociàcva  oiàziv  (4)  et  Pindare  a  dit  : 

W-^yaX  ^'oco-sêswv  VTroupàvtot 
Tcâa.  TTWTcÔvTat  sv  àlytat  (j>ovtotç 
Tnb  Çsûy^atç   àfùv.zotq  /.«xwv 
EOffsêécov  S  ZTZo-oodvioi  vâ-oicroci 

Fragm.  ap.  éd.  Bœckh,  t.  II.  p.  623. 
C'est  encore  le  langage  que  tiennent,  seize  siècles  plus  tard,  les 
poëtes  du  moyen  âge,  c'est  la  même  croyance  qui  fait  placer  par  les 
artistes  italiens  des  instruments  de  musique  entre  les  mains  des  anges  ; 
c'est  celle  qui  suggère  cette  réflexion  à  saint  Bernard  :  k  Osi  quis  habe- 
(c  ret  oculos  apertos  quos  orando  propheta  puero  revelavit,  videret  pro- 
«  culdubio  quemadmodum  praeveniunt  principes  conjuncti  psallenti- 
«  bus,  in  medio  juvencularum  tyrapanistriarum.  Videret,  inquam,  qua 
<(  cura,  quove  tripudio  intersunt  cantantibus  (5).  » 

Nous  avons  cité  un  grand  nombre  de  textes  à  l'appui  de 
l'existence  de  la  croyance  à  des  anges  psychagogues  dans 
le  christianisme,  nous  parlerons  maintenant  des  monu- 
ments dans  lesquels  cette  croyance  se  peint  aux  yeux  et 
auxquels  les  passages  cités  servent  véritablement  de  com- 
mentaire. A  Saint-ïrophime  d'Arles  (6),  dans  un  des  en- 
tre-colonnements  du  portail ,  on  a  représenté  deux  anges 
qui  tirent  de  la  bouche  de  saint  Etienne  son  âme,  tandis 
que  ses  persécuteurs  sont  occupés  à  le  lapider;  ces  anges 
conduisent  cette  âme  à  Dieu  qui  est  figuré  par  un  buste 

(n  Hérodot.  Il ,  79.  Creuzer,  ReMg.  de  l'antiquité,  trad.  Guigniaut,  T.  I,  p.  476. 

(2)  Hesiod.  y4sp.  Hcrc,  y  202  et  suiv. 

(3)  Cf.  Moor,  Ihe  hindu  Panthéon,  p.  65,  96,  215. 

(4)  Coray,  Ancienl  fragments ,  2«  édit.  p.  255.  Olymp.  in  PJiTdr. 

(5)  Saint  Bernard,  Episl.  78  ad  Suger.  ant.  med.,  c  6,  col.  80,  ap.  Oper.  T.  I. 

(6)  Millin,  P^oyage  dans  le  midi  de  la  France ,  atlas,  pi.  LXX,  n°  16.  Alei.  de 
Laborde  ,  Monum.  de  la  France.  T.  II ,  pi.  XXIV. 


DES  DIVINITES  ET  DES  GENIES  PSYCHOPOMPES.  613 

placé  dans  la  partie  supérieure.  Sur  la  pierre  sépulcrale  de  saint 
Goar,  on  voit  ce  saint  qui  tient  dans  sa  main  un  château,  image 
abrégée  de  la  ville  d'Allemagne  qui  porte  son  nom,  et  qui  foule  aux 
pieds  le  dragon.  Deux  anges  le  portent  aux  cieux  (l).  Au  portail  de 
l'église  de  Saint-Gilles,  on  retrouve  l'âme  portée  par  les  anges;  elle 
est  de  plus  couronnée  par  eux.  Dans  la  Bible  moralisée,  manuscrite, 
de  la  Bibliothèque  royale,  cotée  6829 ,  fol.  31,  39,  in-fol.  (2),  on 
voit  un  ange  recevarit  l'âme  qui,  sous  la  forme  d'un  petit  personnage 
nu,  s'échappe  de  la  bouche  d'un  mourant. 

A  l'abbaye  de  Cadouin  dans  le  Périgord,  parmi  les  sculptures 
qui  décorent  le  cloître ,  on  retrouve  cette  âme  portée  aux  cieux  par 
les  anges.  Sur  un  lit  composé  de  roses  et  de  fleurs,  repose  l'homme 
juste  qui  va  recevoir  la  récompense  de  ses  vertus.  Les  anges  aux  ailes 
déployées  le  soulèvent  de  sa  couche  mortelle  pour  l'enlever  vers  la  Di- 
vinité qui,  sous  l'image  du  Christ,  attend  l'âme  bienheureuse  au  milieu 
d'un  concert  exécuté  par  les  glorieux  habitants  des  cieux ,  tandis 
qu'en  regard  et  pour  former  le  pendant  du  premier  tableau,  l'artiste  a 
figuré  la  mort  du  pécheur.  Sur  un  lit  funèbre^  entouré  de  femmes  en 
longs  habits  de  deuil,  le  corps  est  enseveli.  Deux  démons  à  la  face 
horrible  cherchent  à  s'emparer  de  ce  cadavre,  et  déjà  le  bras  de  la 
victime  disparaît  dans  la  gueule  béante  d'un  de  ces  monstres.  Le  lit 
est  surmonté  d'un  dais  au-dessus  duquel  est  représentée  une  scène  de 
l'enfer  (3). 

Dans  une  des  miniatures  d'un  manuscrit  latin  du  xii^  ou  xiii* 
siècle,  miniature  due  au  pinceau  d'un  peintre  italien  de  l'école  grecque, 
on  voit  le  diable  emportant  l'âme  du  mauvais  riche  et  l'ange  celle  de 
Lazare  (4).  Dans  une  peinture  sur  bois  de  Barnabe  de  Modène 
représentant  le  crucifiement,  on  voit  au-dessus  delà  croix  du  bon 
larron  deux  anges  enlevant  dans  un  linceul  son  âme  qui  prie,  et  les 
diables  qui  viennent  chercher  celle  du  mauvais  (5).  (F.  la  PI.  ci-après.) 
Ce  linceul  nous  rappelle  le  linceul  dans  lequel  les  archanges 
Michel  et  Gabriel  reçurent  l'âme  de  saint  Joseph,  et  cet  autre  linceul, 
figuré  sur  le  mausolée  de  Dagobert  et  dans  lequel  est  portée  l'âme  de  ce 
monarque  par  saint  Denis,  saint  Martin  et  saint  Maurice,  tandis  que 


(1)  Bolland.  Acl.jul.  T.  II  ,  p.  332. 

(2)  Cf.  Calalog.  des  Manusc.  franc,  de  la  Bibl.  royale,  par  M.  P.  Paris, 
T.  II,  p.  18. 

(3)  Charrière,  Cloître  de  Cadouin,  p.  31.  Paris,  1839. 

(4)  U'Agincourt ,  ^îsi.  de  l'Art,  Peint.  PI.  CIII. 

(5)  IMd.,  pi.  CXXXII. 


614  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

des  anges  l'encensent  (l).  Nous  le  voyons  figurer  dans  le  passage 
de  l'histoire  des  communautés  de  saint  Pacôme  dont  nous  avons  parlé 


plus  haut  on  y  lit  :  Après  quoi  Michel  saisit  les  deux  bouts  d'un  tapis 
de  soie  de  grand  prix,  Gabriel  prit  les  deux  autres  extrémités  et 
embrassant  de  leurs  étreintes  l'âme  de  mon  père  Joseph,  ils  la  placèrent 


(1)  Alex,  Lenoir,  Mus,  des  Mon,  franc.  T.  I ,  p.  116. 


DES  DIVINITÉS  ET  DES  GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  5l5 

dans  ce  tapis  (1).  Cette  âme,  portée  dans  un  linceul  par  des  anges,  re- 
paraît encore  dans  une  foule  de  représentations,  dont  nous  ne  citerons 
que  quelques-unes  à  titre  d'exemples.  On  la  voit  dans  l'exaltation  de 
saint  Edmond  gravée  sur  le  sceau  de  Bury  saint  Edmond  (  V.  la  Planche 
pag.  précéd.)(2)  ;  c'est  ainsi  qu'est  portée  au  ciel  l'âme  d'Alphonse  II, 
comte  de  Provence,  sur  son  tombeau  à  Aix  (3).  Un  des  anges  l'en- 
cense, et  l'autre  le  couronne.  Dans  le  tombeau  de  l'évêque Maurice, à  la 
cathédrale  de  Rouen  (4),  tombeau  qui  date  du  xiii^  siècle  environ ,  on 
remarque  l'âme  du  prélat  portée  dans  ce  même  linceul  et  entourée  de  six 
anges  qui  tiennent  dans  leurs  mains  des  flambeaux  et  des  encensoirs. 
Sur  le  second  panneau  du  reliquaire  deMauzacdont  la  confection  est 
attribuée  à  Pierre  V,  abbé  de  Mauzac  et  rapportée  à  l'année  1298, 
on  a  représenté  sainte  Namadie  portée  par  des  anges.  Sur  le  troisième 
panneau  est  figurée  semblablement  l'âme  de  saint  Calmin  (5).  Ce  sujet 
a  été  reproduit,  môme  par  des  peintres  modernes,  à  une  époque  oii 
déjà  V expression ,  portée  aux  deux  par  les  anges  y  ne  recevait  plus  du 
plus  grand  nombre  qu'un  sens  allégorique.  Par  exemple,  dans  l'apo- 
théose de  saint  Philippe,  par  Murillo,  on  voit  l'âme  de  l'apôtre,  figurée 
par  un  petit  homme  nu,  emportée  aux  cieux  par  les  anges.  Sur  cer- 
tains tombeaux  modernes  on  a  substitué  un  cœur  à  l'âme ,  ici  l'on 
voit  commencer  l'idée  d'une  pure  allégorie  qui  succède  à  la  croyance 
matérielle.  C'est  ce  que  l'on  observe  notamment  sur  des  monuments 
chrétiens  de  la  Géorgie  d'une  époque  peu  ancienne  (6). 

Quelquefois  l'âme  est  portée  par  un  seul  ange  sur  la  main  duquel 
elle  est  assise  (7)  ;  elle  tend  alors  les  bras  vers  le  ciel  ;  c'est  ce  que  l'on 
observe  dans  une  fresque  duxiip  siècle  de  l'église  des  Trois  Fontaines, 
et  dont  le  sujet  est  la  mort  de  saint  Anastase  (8).  Cette  représentation 
rappelle  la  représentation  égyptienne  d'Horus  ofî"rant  le  petit  Horus 
à  Ammon  ou  au  dieu  Nil.  Horus  étend  la  main  droite  sur  le  plat  de 

(1)  Dulaurier,  Fragm,  des  révélations  apocryphes  de  saint  Barthélémy  et  de 
l'Histoire  des  communautés  religieuses;,  fondées  par  saint  Pachome,  p.  29. 

(2)  Dugdale,  Monasticon  anglican.  T.  III ,  pi.  XVII. 

(3)  Millin,  P^oyage  dans  le  midi  de  la  France.  T.  II,  p.  288. 

(4)  De  ville,  Tomb.  de  la  cathédrale  de  Rouen,  p.  37. 

(5)  Mallay,  Essai  sur  les  Églises  romanes  et  romano-byzantines  du  Puy-de^ 
Dôme.  PI.  XXI,  XXII,  p.  26.  Moulins,  1826. 

(6)  Cf.  le  Mémoire  de  M.  Brosset  sur  des  Inscrip.  tumul.  géorgien.,  p.  477  du 
tome  IV  des  lYouv.  Mém.  de  l'Acad.  des  Sciences  de  Saint-Pétersbourg . 

(7)  «  Angcli,  via  finita,  nosin  manibus  tollunt  ».  Saint  Bernard.  Serm.  XIII ,  1, 
col.  8G4,  T.  II  Aper.  Le  même  Père  dit  ailleurs  :  «  Arbitrer  sane  velut  duabusqui- 
«  busdam  manibus  ejusmodi  homines  interdum  abiangclis  supportari.  »  Serm.  XII, 
10,i&/d.  col.  864. 

(8)  D'Agincourt,  Peint.  Vl  XCVIII,  n"  1. 


516  REVPE  ARCHÉOLOGIQUE. 

laquelle  est  assis  le  jeune  dieu ,  tandis  que  de  la  gauche  il  semble  le 
bénir  ou  adorer  le  dieu  Nil  qui  tient  les  trois  croix  ansées  ou  signes 
de  vie  (1).  Cet  ange  unique  est  l'ange  gardien  de  l'âme,  celui  qui  a 
veillé  sur  elle  durant  sa  vie  ici-bas,  c'est  le  SuÇyyoç  des  gnostiques 
qui  forme  avec  chaque  homme  un  couple  mystique  et  entre  avec  lui 
dans  le  Plérome  (2). 

Ces  sujets  sont  très-nombreux;  je  ne  poursuivrai  pas  davantage 
leur  examen,  il  serait  facile  de  multiplier  les  exemples  (3). 

La  fonction  de  psychagognes,  dévolue  aux  anges,  est  aussi  rappelée 
dans  certaines  inscriptions  sépulcrales,  témoin  celle-ci  rapportée  par 
Orelli  (4). 

SEVERO  FILIO  DVL  //  CISSIMO  LAVRENTIVS  PATER 

BENEMERENTI  QVI  BI //XIT  ANN.  IIU.  MC.  VÎÏÏ.  DIES.  V// 
ACCERSITVS  AB  ANGELIS.  VÎT  ÏDVS  lANVA. 

Nous  avons  vu  dans  les  poésies  populaires  des  allusions  au  rôle  de 
saint  Michel,  comme  psychopompe,  nous  trouvons  également  des 
allusions  aux  fonctions  semblables  exercées  par  les  anges. 

On  lit  dans  le  roman  de  Garin  le  Lohérain  (5). 

Saint  Lou  de  Troies  nous  ont  iluec  ocjs 
La  teste  enprenent  devant  le  duc  Hervi 
L'ame  emportèrent  li  angle  en  paradis. 

(1)  Rosellini,  Monuments  delV  Egilto  e  délia  Wuhia ,  allas,  T.  II,  pi.  XXXIX. 

(2)  Matter,  Hisl.  du  Gnosiicisme ,  t.  II,  p.  389,  2*=  édit.  Nous  pensons  que  c'est 
à  cette  croyance  qu'il  faut  rapporter  le  sujet  d'une  pierre  gnostique  donnée  dans 
Gorlée,  T.  II,  pi-  CCXVIII,  430.  Au-dessous  de  la  figure  du  père  commun 
représenté  comme  le  dieu  Terme,  on  voit  deux  personnages  nus  qui  paraissent  être 
des  âmes.  Ils  sont  l'un  et  l'autre  accompagnés  d'un  génie  ailé  en  adoration  comme 
eux  devant  l'Eternel.  Sous  leurs  pieds  est  figurée  la  voûte  constellée  et  les  sphères 
célestes.  Je  pense  que  ce  sont  les  SùÇuyoi  qui  conduisent  les  âmes  dans  le  sein  du 
Plérome.  Je  ne  puis,  au  resle,  parvenir  à  découvrir  un  sens  à  la  légende  dont  les 
caractères  grecs  sont  évidemment  fort  altérés. 

(3)  Ces  représentations  exerçaient  incontestablement  une  grande  influence  sur 
l'imagination  populaire,  et  y  entretenaient  puissamment  cette  croyance.  Comment, 
par  exemple ,  ne  pas  reconnaître  dans  la  représentation  si  commune  de  l'âme 
portée  par  un  ange  ,  sous  la  figure  d'un  enfant,  la  source  de  celte  vision  de  sainte 
GertrudC;,  qui  vit  son  âme  que  son  ange  gardien  présentait  à  Dieu ,  la  portant  dans 
ses  bras  sous  la  figure  d'un  petit  enfant?  Cf  sanct.  Gertrud.  ni.  elrevel.,  lib.  III, 
c.  23.  De  même  le  sujet  de  la  psychostasie  avait  enfanté  dans  l'esprit  halluciné  de 
sainte  Rose-de-Marie  la  vision  suivante  :  «  Elle  vit  Jésus-Christ  se  montrer  à  elle, 
sur  deux  arcs-en-ciel  éclatants,  et  tenant  à  la  main  une  balance  d'or,  avec  laquelle 
il  pesait  d'un  côté  les  douleurs  que  les  hommes  pouvaient  endurer,  et  de  l'autre  les 
grâces  et  les  récompenses  infinies  qu'il  leur  proraettait.  «A^oy.  J.  B.  Feuillet, f^îc?  de 
Rose-de-Marie ,  4e  édit. ,  p.  129.  Paris,  1676. 

(4)  Insc.  lat.  sélect.  4724. 

(5)  Éd.  P.  Paris,  T.  I,  p.  41,  J" Chanson. 


DES  DIVINITÉS  ET  DES   GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  617 

On  récitait  ces  vers  dans  le  mystère  du  martyre  de  saint  Denis  et 
de  ses  compagnons  qu'on  mettait  dans  la  bouche  de  Jésus  (l). 

Mes  anges,  en  France  volez 
Quant  Denis  sera  décelez 
Le  conduisiez  à  Letrée. 

Dans  une  épître  farcie  qu'on  chantait  le  jour  de  Saint-Etienne,  on 

trouve  (2)  : 

Le  esporit  de  luy  issy 
Droit  en  paradis  l'emportèrent 
Les  anges  qui  le  coronncrent 
Et  à  Dieu  puis  le  présentèrent. 

Quelquefois  ce  n'étaient  pas  les  anges,  mais  Dieu  lui-même  qui 
venait  chercher  l'âme  de  celui  qui  expirait.  C  était  une  marque  d'une 
haute  faveur  donnée  par  le  Tout-Puissant,  et  qu'il  accorda  entre 
autres  à  la  Vierge  (3).  C'est  au  moins  ce  qu'on  a  représenté  dans  deux 
diptyques,  sur  lesquels  on  a  gravé  l'assomption,  ou,  pour  nous  ser- 
vir de  l'expression  grecque,  la  KolpL-naiç  de  la  Vierge.  On  y  voit  le 
Seigneur  qui  reçoit  entre  ses  mains  l'âme  de  sa  sainte  mère;  et  ce 
trait  est,  au  reste,  conforme  à  la  légende  copte  de  la  mort  de  la 
Vierge  (4).  Dès  qu'elle  eut  dit  amen,  rapporte  cette  légende,  la  sainte 
mère  de  Dieu  se  plaça  sur  les  linceuls  avec  des  parfums.  Elle  tourna 
le  visage  vers  l'orient,  et,  se  signant  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit,  elle  rendit  le  dernier  soupir.  A  l'instant  même  le  Sei- 
gneur vint  à  elle,  monté  sur  le  char  des  chérubins  et  précédé  par  des 
anges.  11  vint;  et,  se  tenant  au-dessus  d'elle,  il  lui  dit  :  «  Ne  crains 
pas  la  mort,  ô  ma  mèrel  celui  qui  est  la  vie  tout  entière  est  devant 
toi.  H  faut  que  tu  la  voies  seulement  une  fois  de  tes  propres  yeux,  et 
je  lui  prescrirai  de  ne  pas  t'approcher.  »  Le  Souverain  ordonna  en 
disant  :  ce  Accours,  ô  toi  qui  viens  du  côté  du  Midi  et  qui  résides 
dans  un  lieu  caché.  »  Et  aussitôt,  dès  que  la  Vierge  l'aperçut,  son 
âme  s'élança  dans  le  sein  de  son  Fils  qui  l'étreignit  de  ses  embrasse- 
ments  célestes. 

La  croyance  à  des  génies  psychopompes,  à  des  esprits  qui  venaient 
recevoir  l'âme  dès  qu'elle  s'échappait  du  corps,  n'était  pas  particu- 
lière aux  chrétiens.  Nous  avons  déjà  constaté  chez  les  juifs  l'existence 

(t)  Jubinal ,  Mystères  inédits  ,  tom.  I ,  p.  145, 
(2;  Jubinal,  op.  cil.  t.  I.  ' 

(3)  Cf.  Ludus  Convenlriœ ,  a  collection  of  mysteries,  edlt.  by  Halliwell , 
p.  393.  (Lond.,  1841.) 

4)  Dulaurier,  fragment  cité,  p.  22. 

I,  U 


I 


518  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  saint  Michel  psychopompe  ;  I  étude  de  leurs  livres  établit  que  tous 
les  anges  étaient  encore  pour  eux  des  esprits  psychagogues.  On  lit  dans 
le  Targum  du  Cantique  des  Cantiques,  que  ceux-là  seuls  iront  dans  le  pa- 
radis,qui  auront  mené  une  vie  pieuse,  et  qu'ils  y  seront  conduits  par  les 
anges;  tandis  que  le  Zohar  (l)  dit  que  les  âmes  des  impies  seront 
emmenées  par  l'ange  nommé  Douma;  ce  Douma  est,  d'après  les  rab- 
bins (2),  le  roi  des  enfers.  Le  rabbin  Eleasar  enseignait  qu'au  mo- 
ment oii  le  juste  quitte  le  monde,  trois  chœurs  d'anges  l'accompa- 
gnent (3).  A  ces  fonctions  se  rattachait  aussi  le  soin  d'appeler  au 
son  de  la  trompette  les  morts  de  leur  tombeau,  au  moment  de  la 
résurrection;  la  croyance  à  ce  singulier  appel,  qu'on  trouve  for- 
mellement exprimée  dans  l'Apocalypse,  passa  chez  les  musulmans, 
qui  chargent  de  ce  soin  l'ange  Azrafiel. 

Non-seulement  aux  yeux  des  Hébreux,  les  anges  sont  des  divinités 
psychagogues ,  ce  sont  encore  des  esprits  létldfères ,  des  ministres  de 
la  mort  ;  plusieurs  d'entre  eux  reçoivent  du  Tout-Puissant  la  mission 
de  frapper  certains  hommes  du  coup  mortel.  Cet  ange  homicide  est 
l'ange  de  la  mort,  Malacli  llammaçelh  (4),  à  l'épée  duquel  furent 
livrés  les  Israélites  murmurateurs  et  l'armée  de  Sennachérib,  cet  ange 
à  l'existence  duquel  nous  trouvons  diverses  allusions  dans  l'Ancien 
Testament.  «  Quand  il  y  aurait  mille  anges  de  mort,  dit  le  livre  de 
Job  (xxxiii,  23) ,  nul  ne  le  frapperait,  s'il  pensait  dans  son  cœur 
à  retourner  au  Seigneur.»  Et  ailleurs  (xxxvi,  14)  le  même  livre 
dit  :  c(  Si  le  pécheur  n'écoute  pas  le  Seigneur ,  la  vie  lui  sera  ôtée 
par  les  anges.  —  Le  méchant,  est- il  écrit  dans  les  Proverbes 
(xviï,  11),  ne  cherche  que  la  division  et  les  querelles,  et  l'ange 
cruel  sera  envoyé  contre  lui.»  Le  Zohar,  les  rabbins,  tiennent 
encore  le  même  langage  et  parlent  de  ce  redoutable  ministre  du 
trépas.  ((  Lorsque  l'homme,  disent-ils,  au  moment  de  quitter  ce 
monde,  vient  à  ouvrir  les  yeux,  il  aperçoit  dans  sa  maison  une  lueur 
extraordinaire,  et  devant  lui  l'ange  du  Seigneur,  vêtu  de  lumière, 
le  corps  tout  parsemé  d'yeux  et  tenant  à  la  main  une  épée  flam- 
boyante; à  cette  vue,  le  mourant  est  saisi  d'un  frisson  qui  pénètre  à 

(1)  Cf.  Extr.  du  Mém.  de  M.  Franck,  sur  V Origine  de  la  Cabale,  Compt.  rend, 
de  l'Acad.  des  Scienc.  moral,  et  politiq. ,  t.  I,  p.  280;  et  La  Kabbale,  par 
M.  Ad.  Franck,  p.  36G. 

(2)  Bartolloccio  deCcUeno,  Biblioth.  magn.  Rabbin.  Pars  I,  p.  284.  Celte  croyance 
juive  s'étendait  à  l'homme  vivant;  suivant  les  rabbins,  les  bons  anges  accompagnent 
les  justes  et  les  démons  les  méchants. 

[^  VIII,  2G. 

(4)  Bartolloccio  de  Celleno,  O.  c.  Pars  III ,  p.  620, 


DES  DIVINITÉS   ET  DES  GÉNIES   PSYCIIOPOMPES.  519 

la  fois  son  esprit  et  son  corps.  Son  âme  fuit  successivement  dans  tous 
ses  membres,  comme  un  homme  qui  voudrait  changer  de  place;  mais 
voyant  qu'il  lui  est  impossible  d'échapper,  il  regarde  en  face  celui 
qui  est  là  devant  lui,  et  se  met  tout  entier  en  sa  puissance.  Alors,  si 
c'est  un  juste,  la  divine  présence  se  montre  h  lui ,  et  aussitôt  l'âme 
s'envole  loin  du  corps.  »  Suivant  d'autres  traditions  consignées 
dans  le  Talmud,  à  l'heure  suprême  Fange  de  la  mort  se  tient  avec 
son  glaive  à  la  main ,  au-dessus  de  la  tète  du  mourant  et  dans  la 
bouche  duquel  il  fait  tomber  une  goutte  de  fiel.  Le  moribond  pâlit 
et  expire  à  l'instant.  L'ange  exterminateur  frappait  donc  le  cou- 
pable, et  saint  Michel  conduisait  son  âme  au  Seigneur,  comme  dans 
la  mythologie  antique,  le  génie  de  la  mort  exécutait  l'arrêt  de  la  des- 
tinée, et  Mercure  conduisait  l'âme  au  tribunal  du  juge  des  enfers. 
C'est  ce  que  nous  voyons  dans  le  célèbre  bas-relief  de  Prométhée 
au  Capitole  (1). 

Les  musulmans  ont  reçu  des  juifs  les  mêmes  croyances  ;  ils  ad- 
mettent aussi  un  ange  psychopompe  par  excellence;  mais,  pleins  de 
défiance  pour  saint  Michel,  auquel  ils  trouvent  une  prédilection  trop 
marquée  pour  le  peuple  juif,  ils  transférèrent  ses  fonctions  à  Az- 
rael  (2).  Ils  ont  aussi  leur  ange  de  la  mort;  chez  les  Arabes  il  se 
nomme  Abou-Iahia,  ou  bien  c'est  Azrael  lui-même;  chez  les  Per- 
sans, c'est  Mordad.  «  L'ange  de  la  mort,  dit  le  Coran  (3),  vous  ôtera 
d'abord  la  vie,  puis  vous  retournerez  à  Dieu.  »  Le  même  livre  dit  ail- 
leurs (4)  :  «Lorsque  les  deux  anges  chargés  de  recueillir  les  paroles  de 
l'homme  se  mettent  à  le  recevoir,  l'un  s'assied  à  droite  et  l'autre  à 
gauche  ;  »  ces  deux  anges  sont  Monkir  et  Nekir  substitués  à  Michel  et 
Gabriel,  que  nous  avons  vus  jouer  un  rôle  identique  dans  les  légendes 
coptes  rapportées  plus  haut.  C'est  le  Beedat  et  le  Gourât  des  Naza- 
réens (5).  Ces  deux  mêmes  anges  se  retrouvent  expressément  dans 
les  croyances  juives.  Voici  ce  que  disent  les  rabbins  (6)  :  «A  peine  le 
mort  est-il  enfermé  dans  le  sépulcre ,  que  l'âme  vient  de  nouveau 
s'unira  lui;  et,  en  ouvrant  les  yeux,  il  voit  à  ses  côtés  deux  anges 
venus  pour  le  juger.  Chacun  d'eux  tient  à  la  main  deux  verges  de 

(1)  Cf.  comte  de  Clarac,  Mws.  de  Sculpt.,  t.  II,  pi.  I,  p.  203. 

(2)  ployez  sur  l'Ange  de  la  mort,  Azrael  ou  Izrail ,  Cfironiq.  de  Tabari,  trad. 
Dubeux,  part,  i,  ch.  "26-35,  p.  GS-89.  Dans  le  chapitre  35  on  raconte  que  cet  ange 
conduisit  Edrls  dans  le  paradis  et  l'enfer,  et  lui  révéla  les  mystères  de  la  vie  future, 
comme  le  font,  dans  la  Divine  Comédie,  Virgile  et  Béatrix  pour  Dante. 

(3)  Trad.  Kasimirski,  ch.  32,  v.  11,  p.  370. 

(4)  Id.,  ch  60,  p.  477. 

(5)  Cf.  mon  Mémoire  sur  la  Psychostasie. 

(6)  Cf.  Franck,  La  Kabbale,  p.  280, 


520  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

feu  (i),  d'autres  disent  des  chaînes  de  fer,  et  Tàme  et  le  corps  sont 
jugés  en  môme  temps  pour  le  mal  qu'ils  ont  fait  ensemble.  »  Ces  deux 
anges  pourraient  fort  bien  être  ceux  que  les  saintes  femmes  rencon- 
trèrent au  tombeau  du  Christ,  et  qui  leur  apprirent  la  résurrection  de 
celui-ci  (2).  Quoi  qu'il  en  soit  d'ailleurs,  ils  ont  évidemment  une  ori- 
gine juive,  et  par  conséqueiit  orientale;  car  leur  tjpe  se  trouve  dans 
Mithra  aux  proporlions  colossales,  aux  dix  mille  yeux,  comme  les  chéru- 
bins de  la  vision  d'Ézéchiel,  comme  l'Indra  hindou,  et  dans  Raschné- 
Rast,  divinités  qui  s'emparent  toutes  deux  de  l'âme,  à  la  sortie  du  corps. 

Chez  les  Egy[)tiens,  nous  avons  reconnu  dans  Thoth  le  type  de 
Mercure  (3)  et  de  Michel  psychopompe;  nous  retrouvons  dans  Anubis 
et  dans  Horus  le  type  des  deux  anges  qui  reçoivent  le  mort  de  Monkir 
et  de  Nekir.  Sur  une  pierre  gnostique ,  rapportée  par  M.  Matter  (4), 
on  voit  ces  deux  divinités  debout  sur  la  caisse  d'une  momie,  et  pa- 
raissant s'entretenir  de  la  destinée  de  l'ûme  du  défunt.  Nous  pensons 
que  ces  dieux  nécropompes  que  les  Gnostiques  avaient  empruntés 
aux  Égyptiens,  doivent  être  identifiés  avec  Michel  et  Gabriel,  consi- 
dérés comme  les  anges  chargés  de  recueillir  l'ame  du  mort.  On  a 
sans  doute,  observé,  que  dans  les  légendes  que  nous  avons  extraites 
des  livres  apocryphes  (5),  ces  deux  espri-ts  célestes  jouent  absolument 
le  même  rôle  qu'Anubis  et  Horus ,  que  Monkir  et  Nekir.  Ce  doit 
être  encore  par  le  gnosticisme  qu'ils  seront  passés  dans  le  christia- 
nisme avec  les  fonctions  psychagogiques. 

Au  reste,  pour  les  Égyptiens,  Thoth,  Anubis,  Horus  n'étaient  pas 
les  seules  divinités  psychopompes.  Il  y  en  avait  une  troupe  aussi 

(I)  Ce  sont  les  bngueltes  des  anges  dont  nous  avons  parlé. 
(2    Luc,  XXIV,  3  5. 

(3)  Sir  J.  Gardner  Wilkinson,  dans  son  intéressant  ouvrage  intitulé:  Mannets 
andcusloms  of  ihe  ancienl  EgypUans  [2^  série,  t.  I ,  p.  442;  t.  II,  p.  10), 
disliiijiue  f'irmi'llefiietil Mercure  psy(hopon)pe, de  Tholh  ;  pour  lui,  le  premier  répond 
à  Anuliis.  Une  opinion  analogue  avail  été  émise  avant  lui,  par  M.  J.  G.  Piichard, 
dans  son  Anahjsis  vf  Ihe  Egyplian  myl!wl<.gy  (  London  ,  lSl9),  p  126.  Nous 
croyons,  avec  ces  savcnis,  qu'Anubis  a  sou>enl  été  confondu  avec  Mercure,  et 
que  gén'e  psyihopompe  ainsi  que  Tholh,  il  a  aussi  transmis  ses  caraclères  à 
l'Hermès  grec.  C'est  ainsi  que  le  caducée  se  voit  s-ur  les  pierres  gnoslicjues,  entre 
les  mains  d'Anubis  à  lète  de  chacal;  cediiu  lient  d'une  main  le  caducée  et  de 
l'autre  la  palme,  cmblènie  de  la  victoire  qu'il  vient  de  reipporter  avec  l'âme 
et  qui  l'accompagne  aux  régioiis  célestes,  (/^oyrz  Cabin.  Gorlée,  t.  Il,  pi.  CCXXXV, 
n  ôDi;  et  Matlcr,  ^Uas ,  pi.  II,  c,  iig.  i.)  Celle  représenlalion  esl  lont  à  fait  con- 
forme à  ce  que  dit  Apulée  [Melamorph.,  lib.  II  >  ;  cet  auteur  d.>nne  précisément  à 
celle  divinité  ces  deux  attributs.  Plularque  ,  de  Is.  et  Osirid.  c.  43  ,  assiuiile  éga- 
lement Anubis  à  Mercure. 

(4)  Allas  de  la  inédit,  de  VHisl.  du  Gnoslicisme ,  pi.  I,  c,  fig.  II. 

(5)  f^oyez  les  légendes  rapportées  plus  haut. 


DES   DIVINITES   ET  DES   GENIES  PSYCHOPOMPES.  Ô21 

nombreuse,  plus  nombreuse  que  celle  des  anges.  Qu'on  jette  les  re- 
gards sur  un  rituel  funéraire  égyptien,  oh  en  verra  une  foule 
qu'invoque  le  mort  ou  qu'on  invoque  pour  lui.  Les  divinités  des 
portes  de  la  contrée  occidentale,  de  la  demeure  de  Siou,  des  régions 
deMatos,  étaient  autant  de  puissances  célestes  auquel  le  défunt  de- 
mande, dans  ces  papyrus  funèbres,  de  le  faire  admettre  dans  le  ciel 
avec  les  esprits  des  dieux  grands ,  de  le  conduire  dans  les  régions  de 
Masdj  où  sont  tous  les  dieux  et  toutes  les  déesses  de  la  région  supé- 
rieure. Toutes  ces  invocations  se  mêlaient  à  celles  adressées  à  Thoth 
auquel  on  demandait  de  faire  auprès  de  l'âme  les  mêmes  fonctions 
qu'il  a  remplies  auprès  du  dieu  Osiris,  lorsque  celui-ci  mourut  dans 
sa  manifestation  sur  la  terre;  à  celles  adressées  à  Anubis,  gardien  des 
gardiens  des  portes  de  la  demeure  des  âmes,  pour  qu'il  lui  plût  de  les 
ouvrir  (1). 

Les  diables  nous  apparaissent  aussi  dans  les  idées  chrétiennes  du 
moyen  âge  ,  comme  des  génies  psychopompes.  De  même  que  les 
anges  emportent  aux  cieux  les  âmes  des  justes ,  ils  emmènent  en 
enfer  cellesdes  méchants.  Nous  avons  dit  plus  haut  qu'une  pareille  doc- 
trine était  enseignée  par  les  juifs,  lorsqu'ils  racontent  que  le  démon 
Douma  conduit  en  enfer  l'âme  des  méchants.  Dans  les  légendes 
coptes,  s'offrent  des  idées  toutes  semblables.  Une  histoire  copte  des 
dits  et  faits  de  l'abbé  Moïse,  évêque  de  Cleft,  manuscrit  dont  le  sa- 
vant Zoega  nous  a  donné  l'analyse  (2),  on  met  dans  la  bouche  de 
Jean,  disciple  de  Pisentius,  un  dialogue  qu'il  préteiid  avoir  entendu 
entre  un  mort  nommé  Oriundus  et  un  inconnu  qui  interrogeait  ce 
mort  dans  le  cimetière  où  il  reposait:  cet  Oriundus,  natif  d'Her- 
monthis,  racontait  qu'au  moment  d'expirer,  comme  il  avait  été  élevé 
dans  le  paganisme  par  ses  parents  qui  adoraient  Neptune,  les  génies 
du  monde  (3)  se  présentèrent  à  lui  et  lui  reprochèrent  ses  coupables 
actions;  ils  arrachèrent  alors  l'âme  de  son  corps,  et  l'attachè- 
rent à  la  queue  d'un  cheval  noir  immatériel,  qui  la  conduisit 
en  enfer.  Ce  cheval  psychopompe,  sur  lequel  nous  reviendrons 
bientôt,  est  la  monture  habituelle  des  diables,  et  joue  un  grand 


[i)  Ployez  F.  Cailliaud  ,  P^oyag.  à  Méroé ,  t.  IV,  p.  8  et  19. 

(2)  Zoega    Calalog.  codic.  coplic,  in  mus.  Bi.rgian.,  p.  45. 

(3)  Dans  le  texie  ropto ,  p.  48.  ou  lil  le  mot  nicro^mocralor,  qui  est  emprunté 
au  grec,  et  qui  a  élé  employé  par  saint  Paul ,  Ep.  ad  Efjfi.,  VI,  l?,  pour  dé- 
signer les  démons.  Ce  mot  est  l'expression  d'une  idée  gnostique.  Les  Ko7/j.ox.pû7opsi , 
les 'E/zciff/Atot  désignaient  chez  les  gnosliques  les  génies  ou  démons  gouverneurs  du 
monde  visible. 


522  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

rôle  dans  les  légendes  de  la  même  famille.  Nous  rappellerons ,  par 
exemple,  celle-ci,  consignée  dans  la  Chronique  de  Richer(l). 

((  Lan  mil  cinquante-deux,  raconte  ladite  Chronique,  Humbert,  car- 
dinal, ayant  obtenu  congé  du  pape,  s'accompagna  de  bonne  escorte, 
et  se  remit  en  chemin  pour  revoir  son  pays;  en  sorte  qu'étant  par- 
venu es  Alpes,  il  rencontra  une  grande  compagnie  de  chevaucheurs 
(car  ils  sembloient  être  montez  sur  des  chevaux  noirs),  lesquels  re- 
gardant de  plus  près ,  luy  semblèrent  flanboyans  et  environnez  de 
feu.  Puis  s'armant  du  signe  de  la  croix,  dit  à  ses  compagnons  :  Des- 
tournez-vous  et  les  laissez  passer,  car  vous  ne  les  connoissez.  Ce 
qu'étant  fait,  ledit  Humbert,  désireux  de  sçavoir  d'où  venoit  telle  et 
si  grande  trouppe  de  gens  à  cheval,  regarda  sur  la  queue,  en  apper- 
ceut  trois  sur  chacun  un  cheval  plus  flamboyant  que  les  autres,  aux- 
quels il  vint  à  dire  :  Par  l'indicible  puissance  de  Dieu,  je  vous  ad- 
jure de  me  dire  d'où  part  ceste  grande  trouppe  de  chevaucheurs ,  qui 
vous  êtes  et  d'oii  vous  venez  ?  Auquel  l'un  des  trois  répondant  ;  Re- 
garde, dit-il,  tous  ceux-cy  -,  nous  sommes  tous  les  messagers  de  Sa- 
than  I  —  Et  d'où  venez -vous?  Il  répondit  :  Nous  venons  de  la  cité 
de  Châlons.  — Et  quoy  faire?  répliqua  le  cardinal.  — Nous  venons 
de  quérir  l'évêque  Gebuyn  lequel  nous  emmenons.  » 

Nous  ne  rapporterons  pas  le  reste  du  dialogue,  nous  dirons  seule- 
ment que  le  cardinal  eut  grand  hâte  de  s'informer  du  crime  qu'avait 
commis  l'évêque,  ce  qui  lui  fut  dit.  11  nous  suffit  de  rapprocher  le 
cheval  des  diables  de  celui  que  nous  avons  vu  plus  haut  traîner  à 
sa  queue  l'âme  d'Oriundus.  Guillaume-le-Breton  rapporte  une  lé- 
gende analogue  (2). 

Quelquefois,  ainsi  que  nous  verrons  parla  suite,  en  rappelant  des 
idées  païennes  analogues,  les  élus  sont  portés  dans  le  ciel  par  des 
chevaux  célestes,  sur  des  chars  mystérieux  et  éthérés.  Ces  chevaux 
psychopompes  n'étaient,  au  reste,  que  la  figure  symbolique  des 
anges,  du  moins  pour  la  partie  éclairée  des  fidèles.  C'est  ce  que  nous 
rappelle  le  passage  suivant  de  saint  Bonaventure  (3)  :  «  Angeli  in 
figura  equorum  saepius  describuntur.  Nam  sicut  equus  circum  du- 
citur  freno,  sic  ipsi  divino  imperio  circumaguntur.  » 

Saint  Bernard  faisant  allusion  à  cette  croyance  populaire  l'explique 
ainsi  par  une  éloquente  interprétation  allégorique  :  «  Equi  quibus  ad 

(1)  Chroniq.  de  Richer,  moine  de.  Sennones ,  trad.  franc,  du  XVie  siècle,  pu- 
bliée par  J.  Gayon ,  lib.  2  ,  c,  19.  Nancy,  1843. 
(3)  Collect.  Guizol,  p.  218. 
(3)  De  Ecoles,  hierarch.,  pi.  III,  p.  280.  ap.  Opert.  V.  Rome ,  1696. 


DES  DIVINITÉS  ET  DES   GENIES  PSYCHOPOMPES.  523 

cœlum  evehimur,  très  sunt  :  Dolor  ex  pœnitudine ,  fcrvor  ex  reli- 
gione ,  desiderium  ex  araore  (l).  »  C'est  le  langage  d'une  superstition 
grossière ,  qu'il  emprunte  pour  rendre  une  magnifique  idée. 

Nous  ne  continuerons  pas  davantage  les  citations;  les  légendes 
dans  lesquelles  il  est  question  de  diables  emportant  des  âmes  cou- 
pables ,  sont  trop  nombreuses  pour  qu'on  ne  le  trouve  pas  à  chaque 
pas  dans  l'étude  du  moyen  âge.  Nous  rappellerons  uniquement  la  cé- 
lèbre vision  d'un  soldat  manceau  qui  vit  par  une  fenêtre  la  légion 
infernale  qui  accourait  se  saisir  de  l'âme  de  Gervais ,  archevêque  de 
Reims,  mais  qui  s'en  revint  bien  désappointée,  parce  que  saint  Denis 
et  saint  Nicaise  leur  avaient  ravi  leur  proie  (2).  Nous  noterons  aussi 
ces  deux  hideux  esprits,  ces  Zabuli  que  saint  Godric,  ermite,  voyait, 
à  sa  dernière  heure,  venir  chercher  son  âme,  avec  un  petit  berceau 
dans  lequel  ils  s'apprêtaient  à  la  placer,  mais  que  le  solitaire  mit  en 
fiiite  avec  un  signe  de  croix.  Nous  n'oublierons  pas  non  plus  le  mi- 
racle de  saint  Letard  qui  contraignit  les  diables  à  rendre  l'âme  d'une 
femme  morte  en  travail  d'enfant  et  qu'ils  conduisaient  au  plus  vite  en 
enfer  (3). 

Les  poésies  populaires  n'abondent  pas  moins  que  les  hagiologies 
en  fables  semblables,  auxquelles  plus  d'un  vers  fait  de  directes  allu- 
sions. 

On  lit  dans  la  chanson  de  Roland,  au  sujet  de  Marsilie  (4)  : 

Si  cum  pecchet  l'encumbret 
L'aninc  de  lui  as  vifs  diables  dunet. 

et  ailleurs  dans  la  même  chanson  (5)  : 

Li  païens  chet  cunlreval  à  un  quat; 
L'anme  de  lui  emporlet  salhanas  !  aoi  ! 

Dans  le  mystère  du  martyre  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  les 
diables  accourent  s'emparer  de  l'âme  de  Néron  en  criant  (6)  : 

Ha  !  ha  !  ha  !  Néron  ,  Néron 
Ou  puis  d'enfer  le  porteron. 

Dans  un  mystère  de  la  passion  du  XV^  siècle ,  dont  M.  Vallet  de 
Viriville  a  donné  une  intéressante  analyse,  on  voit  les  diables  s'em- 

(1)  Liber  Sentent.,  149.  ap.  t.  II.  Oper. ,  p.  783. 

(2)  Lenglet  Dufrosnoy,  Dnsert.  sur  les  Apparil. ,  t.  I,  part,  i,  p.  191. 

(3)  Bolland.  ylct.  XXV  maii ,  de  Iramlal.  S.  August.,  p.  442. 

(4)  Chanson  de  Roland,  éd.  Fr.  Michel ,  si.  2GG,  p.  i41. 

(5)  Ibid.,  st.  94,  p.  iO. 

(6)  Ach.  Jubinal,  Mijsl.  inéd.,  t   II ,  p.  Oi, 


524  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

parer  d'Hérode  qui,  placé  dans  son  lit,  expire  frénétique,  en  appre- 
nant que  son  propre  fils  a  été  tué  dans  le  massacre  qu'il  a  ordonné  (1  ). 
Dans  le  mystère  représenté  sur  les  curieuses  tapisseries  de  la  ville  de 
Reims,  la  scène  xxvi%  figurée  sur  la  ix"  toile,  offre  pour  sujet 
le  bon  larron  rendant  l'âme  entre  les  mains  de  Gabriel,  et  le  mauvais 
entre  celles  de  Satan  (2).  Dans  le  mystère  de  li  vengeance  (3),  les 
diables  armés  de  croix  et  de  râteaux  s'élancèrent  pour  aller  recueillir 
l'ûme  damnée  de  Pilate;  celui-ci  enfermé  dans  un  cachot,  s'est  brisé  la 
tète  contre  les  barreaux.  Nous  avons  cité  plus  haut  des  peintures  dans 
lesquelles  des  sujets  du  même  genre  ont  été  traités  :  peinture,  sculp- 
ture ,  légende  et  chanson  populaire ,  tout  nous  reflète  la  même 
croyance,  tout  respire  la  même  espérance  dans  l'ange  qui  porte  au 
ciel,  la  même  crainte  du  démon  qui  conduit  aux  enfers. 

Alfred  Maury. 

(1)  Biblioth.  de  l'École  des  Chartes,  t.  V,  p.  49 ,  1843. 
(2>  LeborUiais  et  L.  Paris,  7*0*765  peintes  el  Tapisseries  de  la  ville  de  Reims. 
Paris,  1843,in-4o,  t.  I,  p.  564. 
(3) /der»,  t.  11,734. 


RELIQUAIRE  DE  SAINÏ-CHARLEMAGNE , 

PL.  XV. 


II  existe  au  Musée  du  Louvre,  dans  une  armoire  de  la  salle  des 
émaux,  un  monument  du  XIP  siècle,  précieux  à  plus  d'un  titre. 

La  soin  avec  lequel  il  a  été  exécuté ,  le  souvenir  du  grand  roi  pour 
lequel  il  fut  fait,  l'intérêt  enfin  qui  s'attache  à  la  collection  de  por- 
traits qu'il  nous  a  conservée,  tout  concourt  à  rendre  cet  objet  extrê- 
mement remarquable. 

C'est  un  coiïret  oblong,  entièrement  recouvert  de  bas-reliefs  d'ar- 
gent doré  travaillés  au  repoussé  et  orné  d'émail.  Sur  chacune  des 
grandes  faces,  cinq  arcades  sont  soutenues  par  six  colonnettes  enga- 
gées. Entre  les  colonnettes  se  voient  cinq  figures,  que  font  reconnaître 
des  inscriptions  tracées  en  beaux  caractères  romains,  et  qui  sont  ainsi 
disposées  : 


Conrad  III. 

SCS  PETRYS 
St.  Pierre, 

IHG.    XC. 

Proloine  du 
Christ. 

SCS  PàVL? 
St.  Paul. 

j 
Frédéric 
duc  de  Souabe. 

Frédéric  Barberousse. 

SCS.  MICHAEL. 
L'ange  Michel. 

SCA.MA*IA. 
La  Vierge  te- 
nant l'enfant 
Jésus. 

ses.  GABRIEL. 
L'ange  Gabriel. 

Béatrix 
de  Bourgogne. 

Aux  deux  extrémités  l'artiste  a  placé  Louis  le  Débonnaire  et 
Othon  lîL 

Willemin  avait  dessiné  deux  de  ces  figures  dans  son  ouvrage  sur 
les  Monuments  français  inédits,  et  lorsqu'après  sa  mort  M.  André 
Pottier  fut  chargé  de  rédiger  le  texte  qui  devait  accompagner  les 
planches  de  ce  livre,  depuis  longtemps  publiées,  ce  savant  n'examina 
probablement  pas  le  monument  même,  et  n'en  put  par  conséquent 
reconnaître  toute  l'importance. 

((  Nous  ne  savons,  dit-il  en  parlant  du  reliquaire,  d'après  quelle 
((  autorité  on.  suppose  qu'il  a  contenu  un  bras  de  Charlemagne. 

((  Des  historiens  et  des  légendaires  peu  dignes  de  confiance  ont 
«  raconté  avec  des  circonstances  assez  merveilleuses  que ,  vers 
((  l'an  1000,  Othon  III ,  étant  à  Aix-la-Chapelle,  avait  voulu  s'assu- 


526  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

«  rer  de  l'endroit  où  l'on  avait  mis  le  corps  de  Charlemagne,  et 
((  qu'ayant  fait  ouvrir  son  tombeau,  il  en  avait  extrait  la  croix  d'or 
«  qui  pendait  au  cou  du  monarque.  C'est  peut-être  le  souvenir  de 
«  cette  tradition  joint  à  la  rencontre  du  portrait  d'Othon  sur  ce  reli- 
c(  quaire ,  qui  aura  fait  supposer  qu'il  avait  contenu  des  reliques  de 
«  Charlemagne.  (l).  » 

M.  Pottier  fait  observer  encore  que  les  catalogues  du  trésor  de 
l'abbaye  de  Saint-Denis  ne  consacrent  en  aucune  façon  cette  attri- 
bution. 

Rien  en  effet  n'est  plus  véritable ,  mais  il  eût ,  ce  me  semble ,  été 
nécessaire  d'ajouter  que  ces  catalogues ,  non-seulement  ne  parlent 
pas  des  reliques  de  Charlemagne,  mais  encore  ne  font  nulle  mention 
du  reliquaire  dont  j'ai  donné  plus  haut  la  description  (2j. 

11  suffit,  pour  répondre  à  ces  observations,  de  soulever  le  couvercle 
du  coffret  ;  à  l'intérieur  on  lit  ces  mots,  gravés  sur  une  plaque  d'ar- 
gent, en  majuscules  du-XP  siècle  : 

BRACHIVM   SCI   5    GLORIOSISIMI   INPERATORIS  KAROLI. 

.  Ceci  lève  toute  espèce  d'incertitude,  et  montre  que  la  tradition 
n'avait  point  tort.  Nul  doute,  par  conséquent,  que  ce  meuble  n'ait 
renfermé  le  bras  du  grand  empereur,  et  je  vais  faire  voir  qu'il  a  été 
fait  en  1166,  alors  que  Frédéric  Barberousse  ouvrit  le  tombeau 
d'Aix-la-Chapelle  pour  en  tirer  les  restes  de  Charlemagne. 

Dans  cette  hypothèse ,  la  présence  sur  ce  monument  de  tous  les 
personnages  impériaux  dont  j'ai  précédemment  indiqué  la  disposition, 
s'explique  très-facilement  par  leur  connexion  avec  l'empereur  français 
et  le  prince  qui  voulait  honorer  sa  très-glorieuse  mémoire. 

Je  reproduis,  dans  l'ordre  chronologique,  les  inscriptions  qui  sont 
tracées  au-dessus  de  chaque  figure,  et  je  les  ferai  suivre  de  quelques 
détails  sur  les  personnages  qu'elles  désignent ,  détails  qui  sont  indis- 
pensables dans  la  recherche  que  je  me  suis  proposée. 

LVD0VVIC9  iPERATOR  PÏV5.  Bustc  de  Louis  le  Débonnaire  ; 
Ce  prince  figure  ici,  non-seulement  comme  fils  de  Charlemagne, 

(1)  Monuments  français  inédits,  p.  26,  col.  2.  M.  Potlicr  d'après  les  deux 
figures  dont  il  a  vu  le  dessin  ,  pense  que  le  reliquaire  a  été  exécuté  ,  du  X'  au  XII*= 
siècle  ,  par  des  artistes  grecs. 

(2)  On  peut  consulter  non-seulement  le  chapitre  relatif  au  trésor  des  reliques  dans 
Y  Histoire  de  l'Abbaye  de  Saint-Denis ,  par  dorn  Bouillard  ;  mais  encore  le  cata- 
logue publié  par  doin  Germain  Millet  en  1G38  et  l'article  Abbaye  dans  le  Diction- 
naire de  Paris ,  par  Hurtaut  et  Magny,  1. 1 ,  p.  35. 


RELIQUAIRE   DE   SAINT-CHARLEMAGNE.  527 

mais  encore  comme  ayant  présidé  à  sa  sépulture  en  814,  et  fait 
exécuter  son  testament.  Pendant  longtemps,  le  nom  de  Louis  a  été 
écrit  Uladowims  ou  'HlodomcuSy  mais  du  vivant  même  de  Louis  le 
Débonnaire,  ainsi  que  le  prouvent  des  deniers  frappés  à  Rome,  des 
oboles  frappées  à  Reims,  à  Bourges,  en  Aquitaine,  à  Tours  et  à 
Melle,  on  supprimait  l'aspiration.  Le  surnom  de  Pins,  que  nous  tra- 
duisons par  Débonnaire,  se  trouve  sur  des  monnaies  de  Louis  fabri- 
quées à  Rome  et  à  Strasbourg.  C'était  une  réminiscence  du  règne  des 
Antonins.  La  couronne  de  Louis  est  surmontée  d'une  (leur  de  lis. 

OTTO.    BIIUABILIA   MVDÏ.    BustC  d'Otton  IIL 

Ce  jeune  empereur,  qui  mourut  en  l'an  1002,  âgé  de  vingt-deux 
ans,  et  après  dix-neuf  années  de  règne,  n'appartient  ni  à  la  famille 
de  Charlemagne ,  ni  à  celle  de  Barberousse  ;  mais ,  comme  on  l'a  déjà 
vu  ,  la  tradition  prétend  qu'en  l'an  1 000  il  avait  pénétré  dans  le  tom- 
beau de  Charlemagne,  et  qu'il  s'était  emparé  de  la  croix  d'or  de  l'il- 
lustre chef  des  Carlovingiens  (l).  Élève  du  célèbre  Gerbert,  qui  fut 
aussi  le  maître  de  Robert,  fils  de  Hugues  Capet,  Otton  avait,  comme 
le  roi  de  France ,  acquis  sous  ce  précepteur  illustre  une  science  peu 
commune  de  son  temps ,  et  qui  le  fit  surnommer  la  merveille  da  monde. 
On  remarquera  que  c'est  par  ce  titre  seulement  qu'il  est  désigné  sur 
le  reliquaire.  C'est  donc  simplement  comme  savant,  comme  l'anti- 
quaire qui  avait  eu  le  premier  l'idée  d'examiner  la  sépulture  de  Char- 
lemagne, que  l'on  a  pu  introduire  ici  Otton  de  Saxe,  et  cette  circon- 
stance me  paraît  confirmer  pleinement  l'opinion  que  la  tradition 
rapporte. 

FREDERicvs  Dvx  svAVORv.  Buste  de  Frédéric  tourné  à  droite , 
et  armé  d'une  cotte  de  mailles. 

Le  premier  duc  de  Souabe ,  de  la  maison  de  Hohenstauffen ,  fut 
Frédéric  de  Buren  (1081-1106),  qui  épousa  Agnès,  fille  de  l'empe- 
reur Henri  IV;  c'était  l'aïeul  de  Barberousse.  Son  fils  (1106-1147) 
porta  le  même  nom  que  lui  avec  le  surnom  de  Borgne  et  de  Grand 
preneur  de  villes.  Je  ne  saurais  décider  auquel  de  ces  deux  princes 
l'empereur  Frédéric  aura  voulu  faire  l'honneur  de  le  placer  sur  son 
reliquaire.  Entre  son  aïeul,  auteur  premier  de  la  grandeur  de  sa 
famille ,  et  son  père,  frère  de  l'empereur  Conrad,  tous  deux  illustres 

(1)  «  An  diesem  obgesaglen  Ort  abcr  hat  cr  geruhet  biss  in  die  352  lahr  ;  Immit- 
•I  tels  aber  ist  in  Anno  1000 ,  in  Maio,  Keyser  Olto  der  3  gen  Aach  kommen  ,  das 
«  Grab  erœffnet,  und  den  heiligenCœrper  zwar  bleiben  lassen,  etc.  »  Jean  Noppius, 
yïacher  clironick,  p.  il. 


528  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

par  leur  bravoure,  le  choix  a  dû  êlre  difficile  pour  Barberousse,  et  la 
distinction  demeure  impossible  pour  nous. 

Frédéric  de  Souabe ,  père  de  Barberousse ,  était  mort  depuis  dix- 
neuf  ans  à  l'époque  à  laquelle  je  crois  que  la  châsse  fut  faite,  et  le 
duc,  représenté  sur  ce  monument,  est  armé  d'une  cotte  de  mailles  et 
d'un  casque  conique,  absolument  enfin  avec  l'attitude  et  l'ajustement 
donnés  à  Mathieu,  duc  de  Lorraine,  sur  les  monnaies  (1)  que  ce 
prince  frappa  à  Nancy  (1155-1176).  Mathieu  était  gendre  du  second 
duc  Frédéric;  maison  ne  saurait  rien  conclure  de  ce  rapproche- 
ment, quant  à  la  distinction  entre  le  père  et  le  fils,  puisque,  quel 
que  soit  celui  des  deux  princes  que  l'on  ait  voulu  représenter, 
on  lui  aura  donné  le  costume  en  usage  en  1166;  mais  au  moins 
cette  similitude  d'ajustement  concourt  à  prouver  que  le  reliquaire 
appartient  bien  certainement  au  milieu  du  XIP  siècle.  Au  moyen  âge 
on  ne  faisait  pas  d'archaïsme,  et  un  monument  de  cette  époque  ne 
peut  être  plus  récent  que  le  costume  qu'il  représente. 

CONRAD?  II  ROxWANOR  REX.  Buste  de  Conrad. 

Conrad,  oncle  et  prédécesseur  immédiat  de  Barberousse,  n'ayant 
point  reçu  le  sacre  impérial ,  se  faisait  scrupule  de  prendre  le  titre 
d'empereur  dans  ses  chartes  ;  il  ne  dérogeait  à  cette  coutume  modeste 
que  dans  ses  relations  avec  les  empereurs  d'Orient,  afin  de  traiter  de 
pair  avec  eux.  Ici  comme  dans  les  chartes  il  ne  reçoit  que  le  litre  de 
roi.  Cette  circonstance  prouve  surabondamment  que  le  reliquaire  est 
de  travail  allemand.  S'il  eût  été  fabriqué  à  Constantinople  ou  même 
par  des  ouvriers  byzantins  venus  en  occident,  il  est  à  croire  que  Conrad 
y  eût  été  qualifié  empereur,  titre  sous  lequel  il  était  connu  par  les 
Grecs.  Le  chiffre  ordinal  lï,  dont  la  présence  est  insolite  dans  une 
légende  du  XIP  siècle,  est  là  pour  indiquer  que  c'est  bien  positive- 
ment l'oncle  de  l'empereur  que  l'on  a  eu  dessein  de  faire  entrer  dans 
cette  composition.  Conrad  de  Hohenstauffen  est  appelé  secon^Z  parce 
qu'alors  on  ne  tenait  pas  compte  de  Conrad  F'",  roi  de  Germanie. 

BEATRïx  ROMA  iPATRix  AVG^A.  Bustc  de  Béatrix,  toumé  à  gau- 
che,  tenant  de  la  m.ain  droite,  recouverte  d'une  draperie,  une  croix 
double. 

En  l'année  1156  l'empereur,  qui  avait  répudié  depuis  trois  ans 
Adèle  de  Vohbourg  sa  première  femme,  épousa  Béatrix,  fille  unique 

(1)  F.  F.  de  Saulcy.  Monnaies  des  ducs  hèrédilaires  de  Lorraine.  1841,  pi,  1, 
Huraéros  7  et  8. 


RELIQUAIRE    DE    SAINT-CIIARLEMÀGNE.  529 

et  héritière  de  Renaud  III,  comte  palatin  de  Bourgogne.  Cette  prin- 
cesse mourut  en  1185. 

FREDERICK  noMANOR  iPATOR  AVG.  Bustc  de  Frédéric  Barbe- 
rousse,  tourné  à  droite,  tenant  son  sceptre  et  le  globe  impérial. 

Barberousse  avait  voué  un  culte  véritable  à  Charlemagne,  et,  dans 
la  chaleur  de  son  enthousiasme  pour  le  fils  de  Pépin ,  dont  les  vastes 
conquêtes  étaient  l'objet  de  sa  constante  émulation,  il  avait  sollicité 
et  obtenu  du  pape  Pascal  III  (Guy  de  Crème),  qu'il  le  canonisât. 
C'est  qu'alors  cette  sanction  ecclésiastique  n'élait  en  quelque  sorte 
que  l'expression  la  plus  haute  de  l'estime  politique,  tout  comme  l'ex- 
communication n'était  qu'une  pénalité  bien  souvent  appliquée  dans 
des  circonstances  entièrement  étrangères  aux  intérêts  de  la  foi. 

Il  faut  dire  que  Guy  de  Crème  (1164-1168)  était  un  pape  créé 
par  les  Gibelins  et  que  Rome  ne  reconnaît  pas.  Cependant,  depuis 
cette  époque,  on  a  toujours  célébré  la  fête  de  Charlemagne  à  Aix  et 
en  plusieurs  autres  lieux  sans  que  l'Église  s'y  soit  opposée;  elle  accepte 
donc  tacitement  Charlemagne  comme  saint,  et  tel  est  l'avis  de  Baro- 
nius  et  de  Bellarmin.Les  Bollandistes  ont  placé  sa  fête  au  28  de  janvier. 
Une  des  cérémonies,  non  pas  indispensables,  mais  du  moins  très- 
habituelles,  qui  précédaient  la  canonisation,  c'était  la  translation  des 
reliques.  Nous  avons  un  diplôme  de  Frédéric  de  elevaùone  et  canoni- 
zadone  S.  Caroîl.  Après  avoir  éimméré  toutes  les  vertus  de  Charles, 
au  premier  rang  desquelles  figure  sa  libéralité  envers  les  églises  et  les 
abbayes,  toutes  ses  grandes  actions,  les  contrées  qu'il  a  soumises  à  la 
foi  chrétienne ,  Barberousse  ajoute  : 

(c  En  conséquence  et  attendu  que  nous  sommes  plein  de  confiance 
c(  dans  les  actes  glorieux  et  les  mérites  du  très-saint  empereur  Charles, 
(c  engagé  par  la  pressante  invitation  de  notre  très-cher  ami  Henri,  roi 
(c  d'Angleterre,  avec  l'assentiment  et  l'autorité  du  seigneur  Pascal, 
«  et  de  l'avis  de  tous  les  princes  tant  séculiers  qu'ecclésiastiques, 
«pour  l'élévation,  l'exaltation  et  la  canonisation  de  son  très-saint 
«  corps,  nous  avons  célébré  à  Aix,  le  jour  de  Noël,  une  assemblée  so- 
c(  lennelle  dans  laquelle  son  très-saint  corps  (qui  avait,  dans  la  crainte 
c(  d'ennemis  extérieurs  ou  domestiques ,  été  soigneusement  caché , 
«  mais  qui  fut  manifesté  par  une  révélation  divine  )  a  été,  au  milieu 
c(  d'une  grande  aflluence  de  princes  et  d'une  immense  multitude  de 
«  clercs  et  de  peuple ,  tous  chantant  des  hymnes  et  des  cantiques 
«spirituels,  relevé  et  exalté  par  nous  avec  crainte  et  respect,  à  la 
«  louange  et  pour  la  gloire  du  nom  du  Christ,  pour  l'aifermissement 


530  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

c(  de  l'empire  romain  et  pour  le  salut  de  notre  chère  épouse  l'impé- 
«  ratrice  Béatrix  et  de  nos  fils  Frédéric  et  Henri  (l).  » 

On  voit  par  là  que  Béatrix ,  qui  ne  quittait  guère  l'empereur,  même 
pendant  ses  expéditions  militaires,  assistait  à  la  cérémonie;  quant  à 
ses  deux  fils,  ils  devaient  être  très-jeunes,  car  Henri  l'aîné,  qui  est 
nommé  ici  le  second,  je  ne  sais  pourquoi,  était  né  en  1165. 

Henri  H,  roi  d'Angleterre  (1154-1189),  cité  dans  cette  charte, 
était  fils  de  GeolTmi  Plantagenet,  comte  d'Anjou,  et  de  Mathilde, 
veuve  de  l'empereur  Henri  V.  H  est  assez  singulier  que  Frédéric  n'ait 
pas  jugé  à  propos  de  mentionner  le  prince  français  qui  occupait  alors 
le  trône  de  Charlemagne.  Il  est  vrai  que  depuis  1159  Louis  le  Jeune 
et  l'empereur  étaient  divisés  par  des  querelles  religieuses;  ce  ne  fut 
qu'en  1171  qu'ils  signèrent  un  traité  d'alliance  à  l'efTet  d'exterminer 
des  bandits  armés  qui  dévastaient  la  France  et  l'Allemagne. 

Maintenant  que  j'ai  donné  un  aperçu  du  rôle  historique  de  chacun 
des  personnages  que  représente  le  reliquaire,  de  ses  rapports  avec 
Charlemagne  etBarberousse,  on  conviendra  avec  moi  que  ce  dernier 
seul  a  pu  avoir  la  pensée  de  réunir  leurs  images ,  et  que  cette  idée  ne 
peut  lui  avoir  été  suggérée  que  par  le  besoin  de  conserver  un  monu- 
ment de  la  grande  cérémonie  religieuse  à  laquelle  il  reconnaissait  le 
pouvoir  d'affermir  V empire  romain. 

J'ai  déjà  dit  que  je  croyais  la  châsse  de  Charlemagne  de  travail  alle- 
mand, et  il  me  paraît  nécessaire  d'insister  sur  cette  opinion  parce 
qu'il  est  à  peu  près  convenu  depuis  une  quinzaine  d'années  de  donner 
le  nom  de  byzantin  à  tous  les  monuments  que  l'art  a  produits  depuis 
le  VP  siècle  jusqu'au  commencement  du  Xni%  en  quelque  pays  que 
ce  soit.  Plus  j'étudie  les  œuvres  du  moyen  âge,  plus  je  me  convaincs 
de  l'absurdité  de  cette  appellation  banale»  Partout  au  contraire  on 
retrouve  l'imitation  plus  ou  moins  grossière  du  style  romain;  c'est 
tout  simplement  la  continuation  dégénérée  de  l'art  tel  qu'il  était  né 
dans  toute  l'Europe  sous  l'influence  du  peuple  conquérant. 

Les  gens  du  X^  et  du  XH''  siècle ,  pour  construire  et  orner  les 
grossiers  monuments  qu'ils  nous  ont  laissés,  n'ont  pas  eu  besoin  de 
l'intervention  d'artistes  grecs  ;  ils  n'avaient  rien  à  apprendre,  il  ne  leur 
a  fallu  qu'oublier. 

D'ailleurs  il  existe  des  sculptures  et  des  peintures  véritablement 
byzantines,  et  il  est  facile  de  les  comparer  avec  les  ouvrages  contem- 
porains exécutés  dans  l'occident. 

(t)  BoUand.  T.  II  de  janvier,  p.  888. 


RELIQUAIRE   DE   SAINT-CHARLEMAGNE.  531 

Par  exemple,  le  Musée  des  monuments  français  de  l'Hôtel  de  Cluny 
renferme  une  feuille  d'ivoire  sculptée  très-certainement  à  Constanti- 
nople  pour  être  envoyée  en  présent  lors  du  mariage  de  Théophanon, 
fille  de  Romain  lî  avec  l'empereur  Olton  ,  en  972  (l).  Ce  monument 
est  parfaitement  grec-oriental ,  et  le  diptyque  de  Romain  IV  et  Eu- 
doxie,  qui  doit  être  de  1068  (V.  /a  Reçue,  n°  2,  pi.  4.)  reproduit  à 
un  siècle  de  distance  le  même  type  dans  tous  ses  détails;  donc  les 
monuments  byzantins  avaient  un  caractère  bien  particulier  et  qui  se 
perpétuait. 

D'un  autre  côté,  nous  connaissons  le  retable  d'or  de  Bâle,  qui  re- 
présente l'empereur  Henri  H  et  sa  femme  Cunégonde  (1003-1024) 
aux  pieds  du  Christ '(2),  et  le  style  de  ce  monument  est  tout  différent 
de  celui  qui  distingue  les  ivoires  que  je  viens  de  citer.  L'impératrice 
Théophanon  avait  donc  pu  apporter  en  Allemagne  des  ouvrages  d'art 
grecs  sans  que  cette  circonstance  ait  influé  sur  le  faire  des  sculpteurs 
germaniques.  Le  reliquaire  de  Barberousse,  qui  offre  plus  d'un  trait 
de  ressemblance,  quant  au  travail,  avec  le  retable  de  Bâle,  a  été  cer- 
tainement aussi  fait  suivant  la  tradition  latine. 

Les  couronnes  impériales  ne  sont  pas  formées  seulement  d'un  dia- 
dème de  pierreries  portant  une  croix  sur  le  devant;  elles  sont  ferméeset 
celle  de  Louis  le  Débonnaire  est  surmontée  d'une  fleur  de  lis.  Aucun 
des  princes  représentés  ici  n'a  la  tête  entourée  du  nimbe;  ce  symbole 
de  l'existence  céleste  est  réservé  au  Christ,  à  la  Vierge  et  aux  saints 
qui  les  accompagnent. 

J'ai  dit,  en  commençant,  que  les  catalogues  du  trésor  de  l'abbaye 
de  Saint-Denis  ne  mentionnent  en  aucune  manière  le  bras  de  Char- 
lemagne.  ïl  n'est  pas  possible  d'admettre  que  l'on  eût  passé  sous 
silence  une  relique  aussi  précieuse  pour  l'abbaye  royale,  qui  considé- 
rait comme  un  de  ses  plus  grands  privilèges  l'honneur  de  donner 

(1)  Il  a  été  lithographie  dans  l'y/iÔMm,  publié  par  feu  M.  DuSomraerard,  v^  série, 
pi.  XI;  malheureusenient  le  dessinateur,  qui  paraît  n'avoir  aucune  connaissance 
de  l'alpliabet  grec,  a  tracé  les  inscriptions  d'une  manière  tellement  incorrecte  qu'on 
ne  peut  les  déchiffrer.  J'ai  eu  recours  à  l'original  qui  porte  en  caractères  très-lisi- 
bles :  OTTO  IMP  PrpAN  AVrC  {Otto  Imperalor 'VuaociSyj  «V^tto,- ) ; 
OeOOANCJ   IMP  AC  (e£o-f)âv«,/mpcTa«na;aùvoÛTTa);  KG  BOHOEI  TO 

AbA  l(jj  XCO  AMGM-  (Kû^ts,  ^o-n^zi  tw  ooWm  [^ou]  'koawïj  Xw//aryjvw .f* 
Amen.)  L'invocation  parait  être  adressée  au  Christ  par  l'artiste  auteur  de  cet  ivoire 
qui  s'est  représenté  prosterné  aux  pieds  de  l'empereur.  Le  mélange  de  latin  et  de 
grec  dénote  l'intention  de  flatter  l'empereur  occidental  en  employant  sa  langue.  Ici 
l'intention  d'écrire  du  latin  ne  saurait  être  réputée  pour  le  fait. 

(2)  Lors  de  la  découverte  de  ce  retable  dans  les  cryptes  de  l'église  cathédrale  de 
Bûie,  il  en  a  été  publié  ,  dans  cette  ville,  une  excellente  lithographie  chez  Hasler. 


532  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

un  dernier  abri  à  la  dépouille  mortelle  des  princes  français  (1). 

Les  descriptions  du  trésor  de  Notre-Dame  d'Aix-la-Chapelle  ne 
parlent  point  de  notre  reliquaire  ,  et  cependant  on  montre  dans  cette 
église  un  os  du  bras  de  Charlemagne. 

«  Barberousse  fit  déterrer  le  grand  empereur.  L'Église  a  pris  le 
«  squelette  et  l'a  dépecé  comme  saint  pour  faire  de  chaque  ossement 
((  une  relique.  Dans  la  sacristie  voisine,  un  vicaire  montre  aux  pas- 
«  sants,  et  j'ai  vu,  pour  trois  francs  soixante-quinze  centimes,  prix 
«  fixe,  le  bras  de  Charlemagne,  ce  bras  qui  a  tenu  la  boule  du  monde, 
«  vénérable  ossement  qui  porte  sur  ses  téguments  desséchés  cette 
«  inscription  écrite  pour  quelques  liards  par  un  scribe  du  XIP  siècle  : 
c(  Brachium  sancli  CaroU  magni  (2).  » 

J'ai  vu ,  comme  l'illustre  poëte  à  qui  j'emprunte  ces  lignes,  cet  os 
carlovingien;  il  est  placé  dans  une  châsse  de  vermeil  en  forme  de 
bras ,  de  travail  moderne.  Nous  savons  positivement  que  ce  bras  de 
métal  existait  en  1736  (3),  autrement  on  aurait  pu  supposer  que 
M.  de  Wailly,  commissaire  du  gouvernement  (lorsqu'il  transporta  à 
Paris  le  sarcophage  antique  représentant  l'enlèvement  de  Proserpine, 
dans  lequel  Charlemagne  avait  eu  les  jambes  plongées  pendant  trois 
siècles  et  demi),  avait  aussi  emporté  le  reliquaire  actuellement  au 
Louvre,  et  que  l'os  seul  aurait  été  restitué  à  l'église  d'Aix  avec  le 
sarcophage  (4). 

Peut-être  aussi  les  deux  bras  ont-ils  été  détachés  du  corps  et  ont-ils 
reçu  des  enveloppes  métalliques  à  des  époques  diiïérentes.  Dans  ce 
cas  on  ne  saurait  ce  qu'est  devenu  l'os  qui  a  occupé  le  reliquaire  que 
j'ai  décrit.  Il  est  impossible  d'acquérir  maintenant  d'éclaircissements 
à  cet  égard,  puisque  la  grande  châsse  qui  contient  le  squelette  de 
Charlemagne  ne  s'ouvre  jamais.  AuraEN  de  LoiNOpérieii. 

(1)  L'historien  de  l'abbaye  dom  Bouillard,  parle  même  du  désir  que  Ch;irlemagne 
avait  témoigné  d'être  enterré  à  Saint-Denis,  près  de  î*épin,et  il  cite  une  charte  à 
l'appui.  Hisl.  de  VAbb.  p.  xxxij ,  n"  xLvn. 

(2)  Victor  Hugo,  <e  M*n,  t.  I,  p.  177. 

(3;  Délices  des  t  ays-Bas  ^i.  III,  article  d'Aix.  —  Amusements  des  eaux  d'Aix- 
la-Chapelle,  173G,  pi.  XX,  n»  16. 

(4)  Un  des  custodes  de  l'église  raconte  comment  le  sarcophage  a  été  enlevé  par 
Marat  et  Robespierre;  un  autre  m'assura  que  ce  monument  était  re\enu  tout  seul 
et  de  lui-même  Ces  gens,  au  reste,  sont  encouragés  par  l'exemple  de  leurs  supé- 
rieurs. Le  vicaire  dont  parle  M.  Victor  Hugo  me  lit  voir  une  magnilique  sarduine 
travaillée  en  camée  et  représentant  Sepiime  Sévère  en  face  de  Caracallà  ,  qu'il  affir- 
mait être  Constantin  et  sa  femme;  tandis  que  d'une  tête  de  Bacchus  en  aniéthysle, 
il  faisait  une  sainte  Hélène.  J'en  ai  Conclu  qu'à  Aix-la-Chapelle  la  science  archéo- 
logique est  renfermée,  avec  les  grandes  reliques ,  dans  la  chasse  que  l'on  n'ouvre 
que  pour  les  têks  couronnées,  suivant  l'expression  du  montreur. 


NOUVELLES    OBSERVATIONS 

SUR 

L'AGE  DU  PORCHE  DE  KOTRE-DAME-DIS-DOMNS. 


Dans  le  dernier  numéro  de  la  Reçue,  M.  Jules  Courtet  a  essayé  de 
déterminer,  par  des  probabilités  historiques,  l'époque  à  laquelle  au- 
rait été  construit  le  porche  de  Notre-Dame-des-Domns.  Persuadé 
qu'un  édifice  aussi  remarquable  ne  peut  appartenir  qu'à  une  sorte.de 
renaissance  de  l'art,  et,  par  conséquent,  à  une  époque  de  paix  et  de 
prospérité  pour  la  Provence,  il  s'est  occupé  de  rechercher  cette  épo- 
que ,  et  l'a  trouvée  vers  la  fin  du  IX*  siècle  et  le  commencement 
du  XIP.  Quelques  considérations  tirées  des  caractères  archi tectoni- 
ques du  monument  m'avaient  conduit,  il  y  a  plusieurs  années,  à  pro- 
poser une  date  encore  plus  reculée,  dans  mes  Noies  d'un  Voyage  dans 
le  midi  de  la  France.  Je  ne  viens  pas  défendre  aujourd'hui  cette  opi- 
nion ;  je  dois  la  combattre ,  au  contraire ,  et  probablement  ce  n'est 
pas  la  dernière  fois  que  l'expérience  m'obligera  de  rectifier  mes  pre- 
miers jugements.  L'examen  d'une  église  curieuse  du  département  de 
la  Drôme,  que  je  ne  connais  que  depuis  deux  ou  trois  ans,  m'a  paru 
fournir  quelques  lumières  nouvelles  pour  la  solution  du  problème 
que  M.  Courtet  vient  de  reproduire.  Je  veux  parler  de  l'église  de 
Saint-Restitut ,  à  une  lieue  environ  de  Saint-Paul-Trois-Châteaux. 
Elle  a  aussi  son  porche,  semblable  de  tous  points  à  celui  de  Notre- 
Dame-des-Domns  ;  mêmes  profils ,  mêmes  détails  de  construction, 
même  apparence  antique.  Toutes  les  questions  que  font  naître  les 
porches  de  Pernes  et  d'Avignon  se  présentent  à  Saint-Restitut.  Là , 
heureusement  le  champ  des  conjectures  est  moins  vaste,  et  nous 
trouvons  quelques  faits  positifs  qui  peuvent  servir  de  base  à  une  étude 
nouvelle  de  la  question. 

Lanefetlechœur  de  Saint-Restitut  appartiennent,  sans  aucun  doute, 
à  une  époque  avancée  du  style  Roman-Fleuri  de  la  Provence.  La 
disposition  générale,  l'ornementation,  les  arcs  doubleaux  en  ogive, 
les  contre-forts  saillants,  les  chapiteaux  à  feuillage  fantastique,  les 
riches  moulures ,  indiquent  à  toute  personne  familiarisée  avec  l'ar- 
ia 35 


634  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

chitecture  du  moyen  âge  le  commencement  du  XIP  siècle  ou  la  fin 
du  siècle  précédent.  Quant  au  porche,  on  ne  peut  supposer  qu'il 
ait  fait  partie  d'une  construction  plus  ancienne.  En  effet,  un  de  ses 
angles  s'appuie  à  un  bâtiment  carré,  placé  à  l'occident  de  l'église,  et 
incontestablement  très-antérieur  en  date  à  celle-ci. 


d^ss^/h 


Je  ne  m'occuperai  pas  ici  à  rechercher  sa  destination  primitive  ; 
c'est  aujourd'hui  une  chapelle  affectée  à  une  confrérie  de  Pénitents. 
Ses  murs  très-épais,  à  petit  appareil ,  sauf  la  rudesse  de  l'exécution, 
rappellent  les  constructions  romaines  les  plus  communes  de  la  Provence. 
A  dix  mètres  du  sol  environ,  règne  sur  les  quatre  faces  une  espèce  de 
frise  plate,  encastrée  entre  des  pierres  taillées  en  losanges  et  en  trian- 
gles et  scellées  avec  un  <',iment  rouge.  On  distingue  sur  la  face  occi- 
dentale un  Christ  nimbé,  assis  sur  un  trône,  vers  lequel  se  dirige  une 
espèce  de  procession,  interrompue  çà  et  là  par  des  animaux  farjtasti- 
ques  et  quelques  ornements  bizarres.  La  frise  se  com[»ose  d'une  suite 
de  dalles,  ayant  chacune  d'une  à  quatre  figures  encadrées  dans  une 
petite  bordure  en  relief.  Rien  de  plus  barbare,  de  plus  grotesque  que 


PORCHE   DE   NOTRE-DAME-DES-DOMNS.  535 

cette  sculpture  d'une  très -faible  saillie.  Il  est  difficile  de  n'y  pas  voir 
le  début  encore  informe  d'un  art  qui  a  perdu  toutes  les  traditions  de 
l'antiquité. 

Les  murs  de  l'église ,  en  s*appliquant  sur  la  chapelle  des  Péni- 
tents, ont  masqué  en  partie  la  bande  orientale  de  la  frise,  mais  à 


l'intérieur  de  la  nef,  on  la  voit  reparaître ,  et  la  juxtaposition  des 
deux  constructions  est  bien  évidente.  L'un  des  angles  du  porche, 
ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit ,  entame  le  côté  sud  de  la  frise.  Il  faut  de 
toute  nécessité  reconnaître  que  la  chapelle  est  antérieure  à  l'église 
et  au  porche.  Maintenant,  peut-on  supposer  que  le  porche  appartenait 
à  un  monument  détruit  aujourd'hui,  lequel  aurait  été  postérieur  à  la 
chapelle,  mais  antérieur  à  l'église?  — Une  hypothèse  analogue  est 
admise  pour  Avignon  etPernes.  A  Saint-Restitut,  elle  est  démentie 
par  la  liaison  intime  que  l'on  observe  entre  l'église  et  le  porche.  Nulle 
trace  d'ailleurs  d'une  bâtisse  préexistante,  sinon  la  chapelle  des  Pé- 
nitents ,  laquelle  est  un  édifice  complet  en  son  genre  et  d'un  style 
tout  particulier. 

Mais,  dira-t-on,  le  porche  de  Saint-Restitut  peut  être  du  XP  siè- 
cle, sans  qu'il  s'ensuive  comme  une  conséquence  que  les  porches 
d'Avignon  et  de  Pernes  soient  du  même  temps.  Pourquoi  celui  de 
Saint-Restitut  ne  serait-il  pas  une  copie  de  l'un  des  deux  autres ,  copie 
exécutée  d'après  un  type  célèbre  depuis  longtemps  dans  le  pays?  — 
Sans  doute  cette  supposition  ne  doit  pas  être  rejelée  uniquement, 


536  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

parce  qu'elle  n'est  pas  appuyée  sur  des  preuves  historiques.  Toutefois 
il  est  facile  de  faire  voir  combien  elle  manque  de  vraisemblance.  —  Si 
l'on  observe  dans  le  moyen  âge  des  imitations  évidentes  de  l'antique,  ces 
imitations  appartiennent  presque  toutes  à  une  époque  de  renaissance 
bien  connue,  au  XI^  et  au  XIP  siècle.  Elles  se  bornent  d'ailleurs 
en  général  à  des  détails  d'ornementation,  modifiés  encore  par  le  goût 
ou  le  caprice  des  ouvriers.  Je  ne  connais  pas  d'exemple  d'une  copie 
exacte,  servile,  d'un  type  ancien,  qui  se  rapporte  à  une  époque  oii 
l'art  avait  une  impulsion  bien  caractérisée,  oii  il  était  soumis  aux  lois 
d'une  école.  On  sait,  au  contraire,  et  les  preuves  abondent  dans 
toutes  nos  provinces,  qu'un  monument  considérable  était ^  presque 
aussitôt  après  sa  construction ,  adopté  comme  type  dans  un  rayon  plus 
ou  moins  étendu.  L'église  principale  d'une  grande  ville  était  copiée 
immédiatement  par  les  villes  voisines.  Voilà  pourquoi   les  églises   de 
Beaune  et  de  Saulieu  reproduisent  les  caractères  architectoniques  et 
jusqu'aux  fautes  de   construction  de  Saint  Lazare  d'Autun.    Voilà 
pourquoi  les  églises  du  Poitou  semblent  toutes  bâties  sur  le  même 
plan  ;  pourquoi  Saint-Césaire  d'Angoulême  a  produit  dans  la  Cha- 
rente tant  d'églises  à  coupole.  Bref,  les  formes  architecturales  avaient, 
comme  le  pouvoir  féodal,  leur  circonscription  déterminée,  et  d'ordi- 
naire, de  la  ressemblance  de  ces  formes ,  on  est  en  droit  de  conclure 
une  conformité  de  dates. 

Tout  le  monde  sait  que  les  différents  styles  d'architecture,  que 
leurs  formes  caractéristiques  n'ont  eu  que  peu  de  durée,  et  cette  con- 
sidération seule  suffirait  peut-être  pour  faire  assigner  une  date  com- 
mune aux  porches  d'Avignon ,  de  Pernes  et  de  Saint-Restitut  ;  mais 
cette  présomption  sera  encore  fortifiée  si  l'on  détermine  approxima- 
tivement l'âge  de  la  chapelle  des  Pénitents.  —  Il  est  bien  évident  que 
ce  n'est  pas  une  construction  romaine.  Quelque  grossières  que  soient 
es  sculptures  de  sa  frise ,  elles  me  semblent  indiquer  une  époque 
postérieure  à  la  fin  du  VHP  siècle,  car  aucun  des  monuments  carlo- 
vingiens  que  j'ai  pu  examiner  ne  m'a  offert  de  traces  d'une  semblable 
ornementation.  Aix-la-Chapelle,  Ottmarsheim,  Ma urmoutier,  Ville- 
neuve et  Celleneuve  près  de  Montpellier,  Aniane,  etc.,  sont  dépour- 
vus de  bas-reliefs.  Ce  n'est  guère  qu'à  la  fin  du  IX^  siècle  que  la 
sculpture  et  surtout  les  grandes  compositions  en  bas-relief  commen- 
cent à  prendre  place  dans  l'ornementation.  L'un  des  caractères  les 
plus  remarquables  de  la  sculpture  romane  à  son  début,  c'est  le  peu 
de  saillie  des  figures.  J'ai  déjà  signalé  ce  caractère  dans  la  chapelle 
des  Pénitents.  Je  ne  pense  donc  pas  qu'il  soit  possible  de  lui  donner 


PORCHE   DE   NOTRE-DAME-DES-DOMNS.  537 

une  date  antérieure  à  la  fin  du  IX"  siècle,  et  peut-être  est-elle 
plus  moderne  encore.  Quelle  que  soit  l'époque  que  l'on  pré- 
fère, pour  que  de  cette  barbarie  l'art  s'élève  à  des  monuments 
tels  que  les  porches  d'Avignon  et  de  Pernes,  il  faut  bien  suppo- 
ser un  intervalle  de  temps  considérable,  et  nous  sommes  encore  rame- 
nés au  XP  siècle.  —  En  résumé,  c'est  faute  d'un  type  intermédiaire 
entre  l'architecture  romaine  et  celle  du  XP  siècle  qu'on  a  pu  attri- 
buer une  date  très-ancienne  au  porche  de  Notre-Dame-des-Domns; 
mais  puisque  ce  type  intermédiaire  existe  dans  le  midi  de  la  France , 
il  n'y  a  plus  de  raison  pour  supposer  dans  ce  pays  une  renaissance 
locale  de  l'art ,  que  la  barbarie  aurait  étouffée  presque  aussitôt. 

Un  mot  encore  sur  la  chapelle  de  Saint-Quénin  à  Vaison ,  que 
M.  Courtet rapproche,  à  tort,  suivant  moi,  des  édifices  précédents. 
Je  ne  pense  pas  que  les  arguments  dont  je  viens  de  me  servir  trouvent 
ici  leur  application.  En  effet,  à  Saint-Quénin  nous  ne  voyons  pas, 
comme  à  Avignon ,  comme  à  Saint-Restitut,  un  plan ,  une  composi- 
tion plus  ou  moins  exactement  copiés  d'après  l'antique.  Au  contraire, 
le  plan  de  Saint-Quénin  est  de  la  barbarie  la  plus  étrange,  et  l'or- 
nementation est,  sous  le  rapport  de  l'exécution,  d'une  grossièreté  re- 
marquable. Sans  doute  on  y  surprend  çà  et  là  une  imitation  curieuse 
de  quelques  détails  antiques,  imitation  bien  naturelle ,  je  dirai  même 
inévitable  au  milieu  des  ruines  d'une  ville  romaine.  On  sent  que  la 
différence  est  grande  entre  l'imitation  de  quelques  détails  et  celle  de 
la  disposition  générale.  La  première  doit  se  rencontrer  dans  le  midi 
de  la  France  à  toutes  les  époques ,  l'autre  au  contraire  ne  peut  être 
rapportée  qu'à  un  temps  oii  l'art  a  pris  un  développement  très-consi- 
dérable. Je  regarde  donc  comme  la  plus  probable  la  date  proposée 
pour  Saint-Quénin  (le  VHP  siècle)  par  mon  savant  ami  M.  Lenor- 
mant,  dans  sa  lettre  à  M.  de  Caumont  sur  l'origine  de  l'ogive. 

P.  Mérimée,  de  l'Institut. 


NOTICE 


SUR 


U^E  COUPE  ARABE, 


COMSERYEK 


AU  DÉPARTEMENT  DES  ANTIQUES  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  ROYALE. 

PL.  XVI. 

On  est  si  acoutumé  à  recourir  aux  textes  pour  expliquer  les  mo- 
numents, qu'il  paraîtra  peut-ôtre  intéressant  de  voir  une  fois  par 
hasard  employer  une  méthode  tout  opposée,  c'est-à-dire  tenter  d'in- 
terpréter un  texte  obscur  à  l'aide  d'un  monument  figuré.  On  ne 
pourra,  je  l'espère,  se  refuser  à  l'évidence  de  faits,  qui  concourent  à 
prouver  l'utilité  de  l'archéologie. 

Dans  le  Regesium  de  l'empereur  Frédéric  ÏI,  publié  par  Carcani  eu 
1786,  on  lit  le  passage  suivant  d'une  lettre  de  ce  prince: 

<cMandamus....  eligas  très  de  leopardis  tue  cure  commissis  meliores 
c(  et  melius  affaytatos  et  très  alios  non  affaycatos  [sic)  meliores  qui 
«  tamen  sciant  equitare  et  habiliores  sint  ad  affaytandum.  »  (l). 

Des  léopards  qui  sciant  equitare  pouvaient  paraître  au  premier  abord 
assez  extraordinaires,  mais  un  habile  écrivain  auquel  nous  devons  une 
histoire  de  la  lutte  des  Papes  et  des  Empereurs  de  la  maison  de 
Souabe,  en  me  faisant  l'honneur  de  me  consulter  sur  cette  difficulté, 
m'a  fourni  l'occasion  de  lui  indiquer  un  monument  qui  la  résout. 
M.  de  Cherrier  en  acceptant  mon  explication  lui  donne  une  autorité 
qui  m'engage  à  la  faire  connaître. 

Chacun  sait  que  les  Orientaux  dressent  pour  la  chasse,  des  lions, 
des  onces  et  des  léopards,  qu'ils  portent  en  croupe  et  lancent  sur  le 
gibier  lorsqu'ils  sont  à  portée  convenable  (2).  Ces  animaux  doivent  donc 
être  habitués  de  bonne  heure  à  se  tenir  sur  le  cheval,  c'est  ce  que  le 
Regestum  exprime  par  scire  equitare. 

(1)  Naples ,  1786,  F»,  p.  308.  L'ordre  est  adressé  :  Renaldino  de  Panormo  val- 
leclo, 

(2)  Voy.  les  détails  rassemblés  par  M.  Reinaiid  :  Monuments  arabes,  persans,  etc. 
T.  II,  p.  426. 


NOTICE   SUR  UNE  COUPE  ARA.BE.  639 

On  trouve  sur  un  vase  à  boire ,  contemporain  je  crois  de  Frédéric , 
des  cavaliers  qui  portent,  sur  la  croupe  de  leur  cheval,  des  animaux 
féroces  de  la  race  féline. 

La  coupe  qui  nous  montre  ces  chasseurs,  trouvée  en  1 838  à  Fano, 
dans  le  duché  d'Urbin,  et  acquise  pour  la  Bibliothèque  royale,  par 
M.  Charles  Lenormant,  est  faite  d'une  combinaison  de  cuivre  et  d'étain 
fondus,  que  l'on  appelle  vulgairement  métal  de  cloche;  elle  est  toute 
couverte  de  riches  et  gracieuses  incrustations  d'or  et  d'argent  fixées  au 
marteau,  avec  une  habileté  qui  étonne,  car  le  moindre  coup  mal  appli- 
qué pourrait  briser  le  métal  extrêmement  aigre  qui  forment  le  calice. 

La  panse  de  la  coupe  est  ornée  de  six  médaillons  déterminés  par  un 
entourage  formé  de  six  cintres  et  de  deux  ogives  ;  ces  médaillons,  qui 
contiennent  chacun  un  cavalier,  sont  séparés  par  six  petites  rosaces 
incrustées  d'or.  L'un  des  médaillons  a  été  à  demi  emporté  par  une 
fracture.  Le  premier  qui  vient  à  la  suite  représente  un  personnage 
nimbé,  à  cheval,  tenant  de  la  main  gauche  une  épée  ;  sur  la  croupe 
du  cheval  est  placé  un  lion.  (Voy.  pi.  XVI,  n°  1.  ) 

Le  second  médaillon  contient  un  cavalier  tirant  de  l'arc  (pi.  XVI, 
n°  3  ),  le  troisième  un  autre  cavalier  nimbé  qui  frappe  avec  une  masse 
d'arme  une  biche  placée  au-dessus  du  cheval  (c'est-à  dire  dans  un  plan 
plus  éloigné).  Le  chasseur  du  quatrième  médaillon,  la  tête  couverte 
d'une  espèce  de  casque  ou  de  turban  toujours  avec  un  nimbe,  tient  de 
la  main  droite  les  rênes  de  son  cheval  ;  de  la  gauche  il  lance  un  léo- 
pard qu'il  portait  en  croupe.  (  PI.  XVI ,  n°  2.  )  Le  cinquième  médail- 
lon est  rempli  par  un  personnage  à  cheval  ayant  un  faucon  sur  son 
poing  muni  d'un  de  ces  gants  particuliers  dont  les  veneurs  du  moyen 
âge  se  servaient  pour  tenir  les  oiseaux  de  vol  (1).  Entre  les  jambes  du 
cheval,  court  un  chien  le  cou  entouré  d'un  collier.  (PI.  XVI,  n"  4.  ) 

Au  dessous  des  chasseurs,  deux  lignes  d'argent  laissent  entre  elles  un 
bandeau  étroit  divisé  par  six  petites  rosaces  incrustées  d'or  et  conte- 
nant six  groupes  composés  chacun  de  deux  animaux  ;  à  savoir:  une 
antilope  poursuivie  par  une  panthère,  un  éléphant  percé  par  une  li- 
corne, un  loup  qui  se  retourne  vers  un  léopard,  un  bœuf  bossu  qui 
fuit  devant  un  lion;  un  lièvre  atteint  par  un  lévrier  ,  et  enfin  un 
sphinx  ailé  et  nimbé  que  suit  un  griffon. 

Sur  le  fut  qui  soutient  la  coupe,  au-dessous  d'un  renflement  en 


(1)  «  Débet  autem  falco  erigi  super  pedes  suos  et  collocari  super  manura  investi- 
tam  chirolhecâ.  »  De  arle  venandi  cum  avibus  ,  livre  écrit  par  l'empereur  Frédé- 
ric II.  Édit.  de  1596,  p.  208. 


640  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

forme  d'anneau,  on  voit  une  inscription  en  grands  et  beaux  caractères 


d'argent  qui  se  détachent  sur  un  élégant  arabesque  et  que  je  lis  : 
^^•^iil  ^Uî  ^Uî  c'est-à-dire  :  le  pieux,  le  pieux,  VexcelleriL 

Les  deux  premiers  mots  sont  séparés  par  une  fleur,  entourée  d'un 
filet  d'argent,  formant  un  médaillon  qui  se  répète  de  l'autre  côté  à  la 
fin  de  la  légende.  (  Voy.  pi.  XVI,  n*»  5.  ) 

La  base  circulaire  de  laiton  battu  qui  supporte  le  fût,  nous  montre 
la  phrase  suivante ,  quatre  fois  répétée  ;  on  reconnaît  à  la  première 


inspection  le  titre  àe  pieux  que  j'ai  indiqué  tout  à  l'heure,  suivi  de 
l'épithète  éleçéd^^  ^Uî.  Après  ces  mots,  vient  un  médaillon  repro- 
duit un  même  nombre  de  fois,  et  contenant  le  nom  royal  ô^-^i^î  dlUi 


el  malek  el  Aschraf. 

Plusieurs  princes  arabes  ont  porté  ce  nom  et  j'entrerai  à  cet  égard 
dans  quelques  détails  un  peu  plus  loin.  Je  dois  d'abord  achever  la 
description  de  la  coupe  et  il  me  reste  précisément  à  signaler  une  par- 
ticularité tout  à  fait  intéressante;  lorsque  j'étudiai  minutieusement  ce 
vase  et  que  j'en  dessinai  les  inscriptions  et  quelques  autres  parties, 
afin  de  les  mieux  apprécier,  je  fus  frappé  de  la  tournure  étrange  des 


NOTICE  SUR  UNE  COUPE  ARABE. 


541 


personnages  et  des  animaux  qui  ornent  la  frise  régnant  au  bord  su- 
périeur ;  les  jambes  surtout  me  paraissaient  d'une  roideur  extraordi- 
naire. A  force  d'examiner  cette  frise,  j'acquis  la  conviction  que  toutes 
ces  figures  de  guerriers,  de  chasseurs,  d'animaux  et  d'oiseaux  de  proie 
déguisent  une  longue  légende  qu'à  la  fin  je  finis  par  déchiffrer  et 
que  je  transcris  en  caractères  courants  : 

j\i^\  UJî  jus^id  jj^^^  ^îjJî  jjjî 

Ak-*UJl  »:>\jcmJÎ    xjwÎ^Î  ^tis.L*xJt 

Ces  six  phrases,  qui  ainsi  qu'on  le  voit  riment  deux  à  deux,  sont 
séparées  par  des  rosaces  incrustées  d'or,  semblables  à  celles  qui  se 
voient  au-dessous ,  sur  la  panse.  Voici  la  traduction  du  tout  :  Hon- 
neur durable  et  victoire  ;  prospérité,  vie  longue ,  puissance  ;  bénédiction 
et  salut;  félicité  et  santé  ;  faveur  (i),  éléçalionj  bonheur  complet.  Ces 
mots,  qui  se  voient  plus  ou  moins  nombreux  et  diversement  com- 
binés sur  d'autres  vases  décrits  par  M.  Reinaud,  s'adressent  à  celui 
auquel  la  coupe  devait  appartenir,  et  leur  présence  sur  ce  vase  n'a  rien 
que  de  très-habituel,  tandis  que  la  forme  humaine  des  caractères  est 
un  fait  que  je  crois  véritablement  nouveau  dans  la  paléographie  arabe. 
Je  me  contente  de  donner,  comme  échantillon,  la  première  des  phrases 


rapportées  plus  haut,  qui  servira  à  faire  juger  des  autres.  Tous  les 
personnages  qui  paraissent  dans  cette  frise  sont  nimbés  ;  leurs  jambes 
ne  suffisant  pas  pour  tracer  au  complet  les  caractères,  il  a  fallu  faire 
intervenir  des  animaux  réels  ou  fantastiques  dont  les  formes  bizarres 
^e  prêtent  à  l'expression  des  traits  courbes.  C'est  ainsi  que  le  \ ,  le  :> 
et  le  ^^  des  mots^/t-?ioJî  yxl\  sont  figurés  par  un  canard,  un  oiseau 


(1)  Voy.  la  remarque  faite  sur  ce  ce  mot  qui  veut  dire  robe  de  soie,  dans  l'ouvrage 
de  M.  Reinaud,  intitulé  :  Monuments  arabes,  persans  et  turcs  du  cabinet  de  M.  le 
duc  de  Blacas.  T.  II,  p.  424;  note. 


542  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

à  queue  de  poisson  et  un  griffon  ailé ,  tandis  que  dans  le  mot  j^^ai  les 
deux  dernières  lettres  sont  représentées  par  deux  serpents  entrelacés. 

On  sait  que  pendant  tout  le  cours  du  XIP  siècle  et  le  commence- 
ment du  XI 11%  les  sulthans  Ortokides  et  les  Atabeks  de  l'Iraq  mar- 
quèrent de  types  animés  très-variés  les  monnaies  de  cuivre  qu'ils  frap- 
paient à  Mardin ,  à  Miafarkin,  à  Amida,  à  Djézireh,  à  Mossoul,  à 
Alep,  etc.  Le  prince  Ayoubite  Malek  el  Ascbraf ,  ayant  obtenu  de 
son  frère  Malek  el  Kamel  la  ville  de  Miafarkin,  enlevée  auxTurco- 
mans,  y  frappa  monnaie  en  612  et  617  de  l'hégire  (1215  et  1220 
de  J.  C.  ),  et  quoique  de  race  arabe  il  paraît  ne  s'être  fait  aucun 
scrupule  d'imiter  les  Ortokides  en  ce  qui  regarde  les  monnaies.  Les 
siennes  ont  pour  type  une  figure  royale  assise  les  jambes  croisées  et 
ayant  la  tête  nimbée  (1),  circonstance  qu'il  est  important  de  noter  en 
passant.  Avant  la  moitié  du  XIIl"  siècle  les  princes  musulmans 
turcs,  avaient  cessé  de  placer  des  représentations  d'êtres  animés  sur 
leurs  monnaies.  Quant  aux  sulthans  Ayoubites  ou  aux  Mamlouks 
d'Egypte ,  ils  ne  commirent  jamais  cette  infraction  à  la  loi  du  pro- 
phète. 

La  présence  de  personnages  sur  les  vases  chargés  d'inscriptions 
arabes,  doit  être,  ce  me  semble,  attribuée  à  la  même  influence  à  la- 
quelle les  types  figurés  des  monnaies  musulmanes  durent  leur  origine. 

C'est  ce  qui  se  prouverait  par  les  exemples  que  nous  fournissent  ceux 
des  monuments  figurés  dont  la  date  est  connue;  tels  sont  entre  autres 
le  vase  de  M.  le  duc  de  Blacas,  et  le  miroir  de  l'abbé  de  Tersan  (2). 
Le  premier  de  ces  monuments ,  fabriqué  à  Mossoul  par  Schodja,  fils 
de  Hanfar,  en  l'année  629  (1230  de  J.  C);  le  second ,  portant  les 
noms  et  les  titres  du  sulthan  de  Kaïfa  Abou'lfadl  Ortok-Schah,  con- 
firment d'autant  mieux  l'opinion  que  je  viens  d'avancer  que  les  sujets 
qu'ils  représentent  sont  tout  à  fait  traités  de  la  même  manière  que  les 
types  monétaires  dont  j'ai  parlé  ;  âge  et  style ,  tout  semble  commun. 

Si  j'insiste  autant  sur  ce  point,  c'est  que  par  ce  moyen  je  crois  arri- 
vera déterminer  la  date  de  notre  coupe.  Si  l'on  attache,  ainsi  que  moi, 
quelque  importance  aux  rapprochements  que  j'ai  tenté  d'établir,  on 
admettra  probablement  que  ce  monument  a  dû,  ainsi  que  le  vase  de 
M.  le  duc  de  Blacas  avec  lequel  il  oflVe  tant  d'analogie,  être  fait  en 
Mésopotamie,  sous  l'influence  turcomane  et  dans  la  première  moitié  du 
XIII*  siècle ,  par  conséquent  pour  l'un  des  deux  premiers  princes  qui 

(1)  V.  Marsden:  Numismala  orientalia.  PI.  IX,  n"  CXLIII. 

(2)  Reinaud  :  Monuments  arabes,  etc.  T.  11,  p.  404  et  424. 


I 


NOTICE  SUR   UNE  COUPE   ARABE.  543 

portèrent  le  surnom  d'Aschraf,  mot  qui  se  lit  sur  le  pied  de  la  coupe 
ainsi  que  je  lai  dit  précédemment. 

El  Malek  el  Aschraf,  dont  j'ai  déjà  parlé,  fils  de  Malek  el  Adel  Séif- 
eddin  Aboubekr,  neveu  du  célèbre  Selah-eddin ,  avait  reçu  de  son 
frère,  Malek  el  Kamel  quelques  terres  en  Syrie  ;  il  joua  un  rôle  im- 
portant dans  les  guerres  de  la  troisième  croisade  et  fut  en  relations 
avec  l'empereur  Frédéric  II, 

El  Malek  el  Aschraf,  fils  de  Malek  el  Rhazi,  neveu  du  premier, 
sulthan  de  Miafarkin,  fut  assiégé  et  pris  dans  cette  place  par  l'armée 
deHoulagou,  qui  le  fit  mourir  l'an  658  (1259),  deux  ans  après  la 
prise  de  Bagdad  par  les  Mongols  (l). 

Ce  fut  le  18  février  1229  qu'une  trêve  fut  conclue  entre  Malek  el 
Kamel,  son  frère  Malek  el  Aschraf  et  l'empereur  Frédéric.  Depuis, 
l'union  entre  ces  princes  ne  fit  qu'augmenter,  et  ils  se  firent  parfois 
de  magnifiques  présents,  Le  sulthan  expédiait  au  césar  un  éléphant, 
des  dromadaires,  des  singes  et  d'autres  raretés.  Frédéric  envoyait  des 
objets  d'art,  des  fourrures ,  des  chevaux;  c'est  peut-être  par  suite  de 
cet  échange  de  présents  que  la  coupe  du  cabinet  des  antiques  est  arri- 
vée en  Italie. 

On  pourrait  donner  à  ce  monument  une  autre  patrie,  sans  cepen- 
dant modifier  en  aucune  façon  l'âge  que  je  lui  ai  assigné  en  m'ap- 
puyant  sur  des  considérations  qu'il  est  difficile  d'écarter.  On  a  pu 
remarquer  que  la  forme  de  C8  vase,  monté  sur  un  pied  élevé,  a  quel- 
que chose  d'occidental  qui  le  distingue  de  tous  les  ustensiles  de 
même  nature  qui  sont  jusqu'à  présent  rassemblés  dans  les  collections 
d'Europe.  Une  autre  particularité  qui  ne  frappera  que  les  orienta- 
listes, c'est  la  nature  des  titres  inscrits  sur  le  pied.  En  effet,  jusqu'à 
présent,  les  mots  (sy^^  ^^^^  ^^  se  rencontrent  dans  aucune  in- 
scription composée  en  Orient ,  et  ne  se  montrent  que  sur  les  vases 
et  les  ornements  impériaux  fabriqués  en  Sicile  par  les  Musulmans  qui 


(t)  Les  autres  princes  qui  ont  porté  ce  titre  sont  :  1  °  El  Malek  el  Aschraf  Mousa,  flis 
d'Youssouf  (  C68-G42),  suilhan  ayoubite  d'Egypte,  expulsé  par  les  Mamlouks. 

2°  El  Malek  el  Aschraf,  fils  de  Malek  el  Mansour,  oncîe  de  Selaheddin.  de  la  race 
de  Schirgoueh ,  le  dernier  des  cinq  princes  de  cette  famille  qui  régnèrent  à  Emese  ; 
il  mourut  en  00 1. 

3*  El  Malek  el  Aschraf,  fils  de  Kélaoun  (G89-693),  huitiènne  roi  de  la  première  dy- 
nastie des  Mamlouks  en  Egypte,  qui  prit  Ptolémais  sur  les  Francs  en  690. 

40  El  Malek  el  Aschraf  aia  eddin  Kudjouk  (742). 

5°  El  Malek  el  Aschraf  Schaban  (764-778;,  tous  deux  sullhans  mamlouks.  Dans  la 
seconde  dynastie  des  Mamlouks,  six  sulthans  depuis  825  (1421  )  jusqu'en  923  (1517), 
ont  ajouté  à  leurs  noms  celui  d'El  Aschraf. 


544  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

vivaient  sous  la  protection  de  l'empereur  (l).  Je  trouve  dans  la  frise 
qui  borde  la  coupe  un  aigle  qui  enlève  un  lièvre  dans  ses  serres, 
groupe  si  connu  dans  la  numismatique  sicilienne  qu'il  n'est  pas  né- 
cessaire d'en  citer  même  un  seul  exemple.  Serait-il  trop  hardi  d'attri- 
buer cet  ouvrage  à  quelque  Sarrasin  de  Lucera?  Il  est  évident  que 
l'on  fabriquait  en  Occident  (les  vases  de  même  style  à  l'époque  à  la- 
quelle le  moine  Théophile  écrivait  son  Traité  (2),  c'est  à-dire  au  com- 
mencement du  XIIP  siècle.  Voici  comment  cet  auteur  s'exprime  à  ce 
sujet  : 

(c  Fiunt  et  imagines  regum  et  equitum  eodem  opère  in  ferro  ex 
«  quibus  auricalco  Hispanico  impressis  ornantur  pelves  ,  quibus 
<(  aqua  in  manibus  funditur,  eodem  modo  quo  ornantur  scyphi  auro 
«  et  argento  cum  suis  limbis  ejusdem  metalli ,  in  quibus  stant 
«  bestiolœ  vel  aves  et  flosculi,  qui  tamen  non  figuntur  sed  stagno  so- 
«  lidantur.  » 

Non  seulement  les  artistes  arabes  de  Lucera  pouvaient  avoir  reçu 
du  Diarbekr  ou  de  la  Palestine  des  modèles  qu'ils  imitaient  avec 
quelques  modifications,  mais  ils  pouvaient  encore,  sans  avoir  recours 
à  des  inspirations  venues  de  si  loin ,  retracer  des  sujets  tels  que  ceux 
dont  j'ai  donné  la  description  en  reproduisant  les  scènes  de  chasse 
qu'ils  avaient  fréquemment  sous  les  yeux ,  en  copiant  les  animaux 
exotiques  nourris  dans  les  ménageries  de  Frédéric  (3).  L'usage  de 
peindre  sur  les  vases  des  rangées  processionnelles  d'animaux  naturels 
ou  fabuleux  paraît  avoir  été  introduit  en  Italie  par  les  Phéniciens  à 
une  époque  fort  reculée.  Les  Musulmans  ont  sans  doute  pris  pour  des 
réalités  quelques  compositions  symboliques  du  genre  de  celles  que 
nous  montrent  les  vases  de  Corneto  ou  de  Théra  (4).  C'est  un  fait 

(1)  V.  Gregorio  :  Rerura  arabicarum  quae  ad  Siculam  spectant  collectio.  Palerme. 
1790.  Fol.  p.  178,  182  et  suivantes. 

«  Les  inscriptions,  dit  M.  Reinaud,  en  parlant  de  vases  arabes  (  voy.  ouvrage  pré- 
«  cité,  t.  II,  p.  423),  sont  quelquefois  incomplètes  ou  tellement  défigurées  qu'il  est 
«  impossible  d'y  rien  entendre  ;  il  paraît  encore  que  plusieurs  des  objets  sur  lesquels 
«  on  les  lit,  ne  sont  pas  l'ouvrage  d'artistes  musulmans,  mais  d'ouvriers  qui  ne  com- 
«  prenaient  pas  ce  qu'ils  marquaient,  d'où  l'on  peut  induire  que  plusieurs  de  ces 
«  objets  ont  été  travaillés  en  Europe.  » 

(5)  Diversarun  arlium  schedula,  édit.  dé  M.  le  comte  de  l'Escalopier,  p.  244, 

(3)  Voy.  Huillard-Bréholles,  Monuments  et  histoire  des  Normands  et  de  la 
maison  de  Souabe  en  Italie,  p.  109.  Les  éléphants  étaient  connus  du  temps  des 
Normands;  V.  dans  le  même  ouvrage, pK  x,  le  siège  de  l'archevêque  Urso  (1089) 
conservé  dans  l'église  de  Canosa  et  dont  les  pieds  sont  formés  par  deux  de  ces  ani-  " 
maux.  Ce  siège  est  signé  par  le  sculpteur  ROMOALDVS. 

(4)  J.DeWitle.  Catalogue  Durand,  n""^  879,  880,  899,  900,  944,  945,  947  à 950, 
966,960,  986  et  989. 


NOTICE  SUR  UNE  COUPE  ARABE.  545 

positif,  qu'ils  ont  enrichi  le  règne  animal  d'une  foule  d'êtres  bizarres 
dont  la  collection  nous  est  conservée  dans  le  c:>bi^Ai^l  <-^l:é.  cjU^s 
(Liçre  des  Meri^eilles  des  Créatures)  du  célèbre  Cazouini;  ils  transpor- 
tent même  les  animaux  symboliques  dans  leurs  croyances  religieuses 
et  représentent ,  avec  la  tête  et  le  sein  d'une  femme  ,  des  ailes  et  une 
couronne,  la  jument  sur  laquelle  l'ange  Gabriel  enleva  le  prophète  (l). 
Il  est,  comme  on  le  voit,  très-difficile  d'asseoir  solidement  une 
opinion  définitive  sur  les  arguments  divers  que  j'ai  présentés.  D'un 
côté,  le  rapport  évident  qui  existe  entre  les  ornements  de  notre  coupe 
et  ceux  d'un  vase  certainement  fabriqué  à  Mossoul  en  l'an  1230;  de 
l'autre,  la  forme  européenne  de  ce  monumeut  et  la  présence  sur  son 
pied  de  mots  qui  ne  se  voient  que  dans  des  inscriptions  siciliennes; 
tels  sont  en  somme ,  les  moyens  de  critiques  auxquels  je  suis  réduit. 
Dans  tous  les  cas,  ce  qui  me  paraît  résulter  incontestablement  de  mes 
recherches,  c'est  l'âge  delà  coupe  de  Fano,  qui  fut  certainement 
exécutée  à  une  époque  oii  Frédéric  II  écrivait  le  passage  auquel  elle 
sert  de  commentaire. 

Adrien  de  Longpérier. 

(1)  V.  Mouradja  d'Ohsson  ;  Tableau  de  Terapire  ottoman.  PI.  II,  p.  67. 


UN  DERNIER  MOT 

SUR 

LE  PRÉTENDU  COEUR  DE  SAINT-LOUIS 


On  lit,  dans  \e,  Moniteur  du  jeudi  24  octobre,  cette  note,  que  tous 
les  journaux  ont  répétée  le  lendemain  : 

«  Mardi  dernier,  sur  l'invitation  de  M.  le  ministre  des  travaux  pu- 
blics, M.  l'archevêque  de  Paris  a  délégué  M.  l'abbé  Églée,  un  de  ses 
vicaires-généraux,  pour  procéder,  de  concert  avec  M.  Letronne, 
garde-général  des  Archives  du  royaume,  à  la  remise  dans  les  mains 
de  M.  Duban,  architecte  de  la  Sainte-Chapelle,  de  la  boîte  et  de  tous 
les  objets  qu'elle  contenait,  trouvés  le  15  mai  1843,  dans  l'abside 
de  cette  église. 

«  Cette  boîte  avait  été  jusqu'ici  confiée  àM.  le  garde-général,  scellée 
du  double  sceau  de  l'archevêque  et  du  ministre  des  travaux  publics , 
et  déposée  dans  l'armoire  de  fer  ;  à  l'ouverture  de  chaque  séance  de 
la  commission,  chargée  d'examiner  ces  restes,  et  de  dire  son  avis  sur 
la  question  de  savoir  s'ils  appartiennent  à  saint  Louis,  les  scellés 
étaient  levés  en  présence  de  l'archevêque  et  de  nouveaux  apposés  à 
l'issue  de  la  séance. 

c<  Après  l'examen  approfondi  qui  a  été  fait  de  cette  question  ,  les 
scellés  viennent  d'être  levés  pour  la  dernière  fois,  et  la  boîte  ouverte 
a  été  remise  à  M.  Duban,  pour  être  replacée  dans  l'abside,  à  l'endroit 
même  où  elle  avait  été  trouvée.  L'architecte  et  ses  deux  inspecteurs 
sont  chargés  seuls  de  cette  opération ,  l'autorité  ecclésiastique  ayant 
déclaré  qu'elle  n'avait  pas  à  y  prendre  part. 

«  Ainsi  s  est  terminée  cette  affaire,  qui  a  tant  occupé  depuis  dix- 
huit  mois.  La  solution  qu'elle  reçoit  se  trouve  être  justement  celle 
que  lui  avait  donnée,  il  y  a  quarante-un  an,  le  garde-général  des 
Archives ,  Camus ,  lors  de  la  première  découverte  de  ces  restes  hu- 
mains. » 

On  voit,  par  cette  note  officielle,  que  l'autorité  ecclésiastique  s'est 
prononcée  sur  le  question  du  prétendu  cœur  de  saint  Louis.  Tant  que 
celte  question  a  été  pendante,  M.  l'archevêque  a  continué  de  tenir  à 
ce  que  la  boîte  contenant  ce  reste  humain  fût  scellée  du  sceau  de  1  ar- 


^       LE    PRÉTENDU  COEUR  DE   SAINT-LOUIS.  547 

chevêche.  A  présent,  cette  formalité  ne  lui  paraît  plus  nécessaire;  la 
boîte  est  remise  ouverte  à  l'architecte,  pour  qu'il  ait  à  la  replacer,  lui 
et  ses  inspecteurs,  conformément  à  l'ordre  du  ministre,  dans  l'ouver- 
ture d'où  elle  a  été  tirée.  Ce  n'est  pas  tout,  le  clergé  abandonne  ce  reste 
humain;  il  ne  juge  pas  nécessaire  son  assistance  dans  la  re'-inhumaùon  ; 
la  boîte  sera  ré-enterrée  purement  et  simplement ,  sans  prières  ni  cé- 
rémonies aucunes.  Or,  si  l'autorité  ecclésiastique  eût  conservé  le 
moindre  doute  sur  la  question  agitée  depuis  dix-huit  mois,  aurait-elle 
montré  ce  renoncement  complet  ?  n'aurait-elle  pas  fait  quelque  réserve? 
Le  simple  soupçon  que  ce  cœur  pourrait  être  le  cœur  de  saint  Louis 
appelait  quelque  mesure  différente  de  la  part  tant  du  ministre  que  du 
clergé  ;  ceci  est  une  preuve  manifeste  qu'aux  yeux  de  l'un  et  de  l'autre 
la  question  ne  présente  plus  nulle  incertitude;  que  l'hésitation  de 
l'Académie  des  Inscriptions  sur  ce  point  ne  les  a  pas  arrêtés,  et  que 
la  solution  toute  négative,  présentée  par  M.  Letronne ,  dans  son  rap- 
port du  24  mai  et  dans  son  Examen  critique,  que  ce  cœur  ne  peut 
être  celui  de  saint  Louis ,  a  été  adoptée  par  les  deux  autorités,  par 
celle  principalement  qu'on  pouvait  croire  le  plus  disposée  à  se  réunir 
à  une  de  ces  opinions  mixtes ,  qui ,  n'engageant  à  rien ,  laissent 
tout  en  suspens. 

Il  semble  donc  qu'en  cette  grave  circonstance  les  rôles  ont  été  in- 
tervertis. L'Académie  d'Histoire  et  de  critique,  malgré  l'avis  de  ses 
membres  les  plus  éclairés,  nous  paraît  avoir  laissé  prendre  le  sien  au 
clergé,  qui  a  montré,  en  toute  cette  affaire,  une  réserve,  une  sin- 
cérité et  une  critique  vraiment  remarquables. 

Quoique  la  noie  insérée  au  Moniteur  soit  rédigée  avec  une  grande 
modération,  qu'en  s'y  soit  même  abstenu  de  tout  jugement  et  borné  à 
une  simple  exposition  des  faits,  M.  Le  Prévost  a  cru  devoir  réclamer 
quelques  jours  après,  dans  \e  Moniteur,  contre  l'expression  :  Ainsi  s  est 
terminée  celte  affaire .  Il  veut  que  Yaffaire  ne  soit  pas  terminée,  attendu 
que  l'Académie  ne  s'est  pas  décidée.  Nous  nous  sommes  déjà  expli- 
qués sur  cette  hésitation  du  corps  savant  et  sur  le  motif  respectable 
qu'on  peut  en  donner.  Nous  nous  trompons  fort,  ou,  à  l'heure  qu'il 
est,  il  reste  quatre  personnes,  ni  plus  ni  moins,  dans  cet  illustre  corps, 
qui  persistent  à  ne  pas  croire  que  la  question  aoli  résolue  ;  naturelle- 
ment M.  Le  Prévost  est  de  ce  nombre,  et  nous  ajouterons  qu'il  en 
sera  toujours  ainsi  de  MM.  Lenormant,  Paris  et  Berger  de  Xivrey. 
Mais  le  docte  académicien  fait  ici  confusion  entre  Yaffaire  et  la  ques- 
tion; quand  même  il  persisterait  à  croire  que  celle-ci  n'est  pas  réso- 
we ,  il  lui  est  impossible  de  nier  que  Yaffaire  ne  soit  terminée ,  par  le 


548  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

ré- enterrement  pur  et  simple  de  la  boîte  ;  car  personne  n'en  parlera 
plus  désormais ,  jusqu'à  ce  que  M.  Le  Prévost ,  ou  tout  autre  , 
trouve  un  fait  concluant;  ce  qui  n'aura  pas  lieu  de  sitôt  :  on  peut 
même ,  dès  à  présent ,  leur  donner  le  conseil  d'en  appeler  au  juge- 
ment dernier. 

M.  le  Prévost  paraît  donc  n'avoir  pas  voulu  comprendre  la  note 
officielle  du  Moniteur,  dont  tous  les  termes  paraissent  avoir  été  pesés 
avec  une  précaution  vraiment  administrative. 

Quant  à  nous,  qui  avons  pris  tout  d'abord  un  parti  dans  cette  dis- 
cussion, et  qui  nous  sommes  prononcés  sans  hésiter  pour  l'opinion 
et  le  livre  de  M.  Letronne ,  nous  ne  pouvons  que  nous  applaudir  de 
voir  notre  jugement,  et  celui  des  organes  les  plus  sérieux  de  la  presse, 
confirmés  par  l'autorité  si  grave  et  si  compétente  du  clergé.  LUni- 
vers  religieux f  le  Journal  des  Débats,  la  Reçue  de  Paris,  le  Cour- 
rier, le  Droit ,  le  Siècle ,  le  National ,  la  Gazette  et  la  Reme  de  l In- 
struction publique,  notre  Revue,  etc.,  en  rendant  compte  du  livre 
de  M.  Letronne,  ont  été  unanimes  pour  déclarer,  avant  que  Vaffaire 
ne  fût  terminée,  que  la  question  était  résolue.  11  y  a  donc  encore  du 
bon  sens  dans  notre  beau  pays  de  France  (i). 

(i)  Dans  l'étranger,  le  livre  de  M.  Letronne  est  apprécié  comme  en  France.  Un 
des  meilleurs  journaux  littéraires  de  l'Allemagne ,  le  journal  de  Critique  scienti- 
fique de  Berlin  (août  1844),  contient  un  ariicle  aussi  savant  que  spirituel,  où  le 
livre  et  la  question  sont  jugés  avec  une  grande  finesse  de  vues;  et  précisément 
dans  le  sens  que  nous  avons  tous  adopté.  L'auteur,  M.  le  docteur  H.  Weil,fait 
surtout  ressortir  les  avantages  de  la  méthode  de  critique  que  M.  Letronne  a.  suivie 
dans  cet  ouvrage,  comme  dans  ceux  qu'il  a  publiés  sur  les  diverses  branches  de 
l'antiqnité. 


COMMISSION  DES  MONUMENTS  HISTORIQUES 

INSTITUÉE   AU  MINISTÈRE  DE   l'iNTÉRIBUR. 
TRAVAUX.       ' 

DEUXIÈME  ARTICLE. 

On  compte  en  France  un  bien  petit  nombre  de  monuments 
romans  de  la  première  période  :  aussi  la  commission  des  monuments 
historiques  a-t-elle  apporté  le  plus  grand  soin  à  en  rechercher  l'exis- 
tence et  à  conserveries  plus  remarquables  de  ceux  que  nous  possédons. 

L'église  de  la  Basse  -  OEuvre ,  à  Beauvais,  appartient  à  cette 
classe  intéressante  de  monuments  ;  elle  était  destinée  à  être  démolie 
si  la  cathédrale  eût  été  achevée.  Située  sur  l'emplacement  que  devait 
occuper  la  nef,  elle  se  trouve  dans  un  axe  différent  de  celui  du 
chœur. 

Un  particulier  auquel  'cet  édifice  religieux  appartenait  l'avait 
coupé  en  plusieurs  étages  pour  en  faire  des  magasins  de  ma- 
tières combustibles,  en  sorte  que,  non  content  de  défigurer  cette 
église,  il  mettait  encore  en  danger  la  cathédrale,  qui  en  est  voi- 
sine. Ces  constructions  parasites  avaient  dénaturé  l'aspect  exté- 
rieur de  l'édifice  primitif,  dont  néanmoins  on  retrouve  l'ancien 
appareil  dans  les  murs  des  façades  latérales  qui  sont  parfaitement  con- 
servés. Enfin  la  Basse  OEuvre  fut  achetée  par  l'État ,  dégagée  des 
hors  d'œuvre  qui  lui  ôtaient  son  caractère  monumental  ;  et  on  pourvoit 
à  sa  consolidation.  Maintenant  M.  le  ministre  de  l'intérieur  se  pro- 
pose de  la  rendre  au  culte,  comme  chapelle  annexe  de  la  cathé- 
drale, lorsque  le  ministre  de  la  justice  et  des  cultes  aura  consenti  à 
faire  les  frais  de  son  appropriation  à  cet  usage. 

Plus  anciennement,  l'édifice  connu  sous  le  nom  de  temple  Saint- 
Jean  ,  àPoitiers,  avait  été  sauvé  d'une  ruine  imminente  par  les  soins  de 
M.  le  ministre  de  l'intérieur.  En  1830,  le  percement  d'une  rue  nou- 
velle dans  l'axe  de  laquelle  se  trouvait  ce  monument,  avait  été  auto- 
risé par  une  ordonnance  royale.  M.Vitet ,  alors  inspecteur  général  des 
monuments  historiques,  passa  à  Poitiers  sur  ces  entrefaites  ;  il  recon- 
nut l'importance  architecturale  de  cette  église,  et  obtint  la  modifi- 
cation de  l'alignement  déjà  adopté.  Cet  édifice,  qui  a  probablement 
servi  d'oratoire  ou  de  baptistère,  car  on  y  a  retrouvé  sous  le  pavé  les 
I.  36 


550  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

traces  d'une  piscine  octogonale ,  est  un  des  plus  anciens  monuments 
religieux  qui  existe  en  France:  c'est  du  moins  l'opinion  de  M.  de 
Caumont  qui  a  reproduit  celle  de  Tabbé  Lebœuf.  Ces  archéo- 
logues le  font  remonter  au  V*'  ou  VP  siècle.  Le  principal  corps  de 
bâtiment  est  sur  un  plan  parallélogramme  ayant  IS^jSO  sur  8", 30, 
sans  y  comprendre  l'addition  faite  au  XP  siècle.  Les  deux  pignons 
sont  en  petit  appareil  avec  des  ornements  en  briques  incrustées.  Les 
murs  sont  en  petit  appareil  aussi,  mais  de  pierres  plus  larges  que 
hautes  et  séparées  par  des  zones  de  briques.  A  l'intérieur,  les  archi- 
voltes des  trois  arcades  inégales  qui  existent  dans  chacune  des  faces 
sont  supportées  par  des  colonnes  de  marbre  présentant  chacune  un 
caractère  dilTérent,  et  probablement  arrachées  à  des  édifices  plus 
anciens.  Le  style  des  chapiteaux  varie  pour  chacun  d'eux.  L'édifice  a 
été  transformé  en  musée  et  renferme  les  fragments  précieux  recueillis 
par  la  Société  des  antiquaires  de  l'Ouest. 

L'église  de  Savenières  est  aussi  en  voie  de  restauration.  Le 
chœur  ne  peut  être  reporté  au  delà  du  XP  ou  du  XIP  siècle;  mais 
la  façade  et  une  partie  des  murs  latéraux  paraissent  être  du  VP  ou 
VIP  siècle.  Le  parement  des  murs  de  cette  façade  est  en  pierres  car- 
rées, noires  ou  grises,  de  marbre  et  de  silex,  comme  dans  les  construc- 
tions en  petit  appareil.  On  remarque  à  différentes  hauteurs  six  larges 
zones  de  briques  posées  en  feuilles  de  fougère,  et  trois  petits  cordons 
composés  seulement  d'un  double  rang  de  briques  posées  à  plat  ;  deux 
fenêtres  plein  cintre  avec  leurs  archivoltes  garnies  de  briques,  et  dans 
le  pignon  on  remarque  une  ouverture  triangulaire  formée  de  la 
même  matière. 

La  crypte  de  Jouarre  est  aussi  un  monument  d'une  haute  anti- 
quité. Sa  fondation  remonte  à  l'an  630  ou  640.  Elle  se  compose 
de  deux  chapelles  souterraines,  l'une  dédiée  à  saint  Paul  eriiiite,  et 
l'autre  à  saint  Ebrigésile,  évoque  de  Meaux,  qui  y  fut  enterré  vers 
l'an  700.  Le  tombeau  de  sainte  Telchide,  première  abbesse  de  la  célè- 
bre abbaye  de  Jouarre,  qui  y  fut  enterrée  en  660,  prouve  que  cette 
chapelle  existait  déjà  vers  le  milieu  du  VIP  siècle.  Ce  tombeau  est 
parfaitement  conservé;  des  travaux  d'assainissement  et  de  consolida- 
tion ont  été  habilement  exécutés  sous  la  direction  de  M.  Garez,  et 
ont  ainsi  assuré  la  conservation  de  cet  édifice,  qui  est  du  plus  haut 
intérêt. 

Des  travaux  de  même  nature  ont  été  exécutés  à  la  crypte d'Andlau.  ' 
Celle  crypte  ne  remonte  qu'au  IX^  siècle  ;  et  elle  fut  en  partie  recon- 
struite avec  l'église  au  XP.  Ce  monument  des  plus  remarquables  de 


I 


COMMISSION  DES  MONUMENTS   HISTORIQUES.  55l 

l'Alsace,  l'abbaye  d'Anteloha  (Andlau),  avait  été  fondé  par  Charles 
le  Gros,  pendant  son  séjour  à  la  résidence  impériale  de  Kirkeim;  l'im- 
pératrice Richarde  s'y  retira,  victime  des  calomnies  que  ses  ennemis 
avaient  répandues  contre  elle  auprès  de  son  époux.  L'église  fut  en 
partie  reconstruite  par  l'abbesse  Mathilde,  sœur  de  l'empereur 
Conrad  II,  et  dédiée  par  le  pape  Léon  IX;  mais  la  crypte  et  une 
partie  du  portail  remontent  à  l'époque  de  sa  fondation. 

Si  de  ces  édifices  appartenant  à  une  époque  qu'on  pourrait  appeler 
romane  primitive,  on  passe  à  celle  qui  s'étend  du  X**  au  XIIP  siècle, 
et  dans  laquelle  on  peut  comprendre  le  style  de  transition ,  on  ren- 
contre un  certain  nombre  d'édifices  qui  ont  été  l'objet  de  la  sollicitude 
du  Ministre  de  l'Intérieur  et  que  nous  énumérerons,  en  suivant 
l'ordre  d'importance  des  travaux  qui  y  ont  été  exécutés. 

On  doit  placer  en  première  ligne  l'église  de  l'ancienne  abbaye  de 
Vezelay.  Cette  église  avait  été  fondée  au  IX*  siècle,  mais  il  ne  reste 
presque  rien  de  sa  première  construction  :  en  1008 ,  le  duc  Henri  de 
Bourgogne  chargea  l'abbé  G  uillaume  du  rétablissement  de  l'église,  c'est 
de  cette  époque  que  datent  la  nef  et  la  crypte;  le  portique  dit  des 
Catéchumènes,  oii  l'ogive  est  mêlée  au  plein  cintre,  doit  appartenir  au 
XIP  siècle;  le  chœur,  qui  avait  été  brûlé  en  1165,  fut  seulement 
reconstruit  au  XIIP  siècle.  Les  proportions  de  cet  édifice  sont  immen- 
ses; la  longueur, depuis  le  portail  jusqu'à  labside  hors  d'œuvre,est  de 
123", 40.  Cette  église,  dont  l'entretien  était  abandonné  aux  faibles 
ressources  d'une  ville  qui  ne  compte  que  mille  âmes  etqui  est  dépourvue 
d'industrie,  tombait  en  ruine,  faute  de  réparations;  les  dévastations  de 
la  terreur  et  celles  plus  anciennes  des  guerres  de  religion ,  dont  les 
traces  n'ont  jamais  été  entièrement  effacées,  avaient  en  partie  détruit 
l'édifice;  quelques  années  d'abandon  auraient  suffi  pour  amener 
sa  ruine  complète,  et  tel  était  son  état  de  délabrement  que  les 
travaux  de  restauration  exécutés  sous  la  direction  de  M.  Viollet  le 
Duc,  bien  que  conduits  avec  la  plus  stricte  économie,  ont  absorbé 
des  sommes  considérables.  Heureusement,  le  succès  a  couronné  une 
entreprise  qui  présentait  de  grandes  difficultés.  Les  murs  étaient 
déjetés ,  fendus  et  pourris  par  l'humidité;  on  avait  peine  à  compren- 
dre que  la  voûte,  toute  crevassée,  subsistât  encore  ;  trois  travées  ont 
été  reconstruites  entièrement,  plusieurs  piliers  ont  été  repris  en  sous- 
œuvre,  les  corniches  et  les  soubassements  ont  été  refaits  à  neuf 
sur  tout  le  développement  du  périmètre  extérieur  ;  bref,  le  monu- 
ment est  actuellement  à  l'abri  de  tout  danger,  et  incessamment  il 
aura  repris  toute  son  ancienne  splendeur. 


552  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Les  églises  d'Tssoire  et  de  Notre-Dame-du-Port  à  Clermont,  ont 
été  aussi  l'objet  de  réparations  importantes,  sous  la  direction  de 
M.  Mallay,  architecte  de  la  localité.  Ces  édifices  peuvent  servir  de 
types  au  style  des  églises  paroissiales  ou  conventuelles  les  plus  an- 
ciennes de  l'Auvergne  avec  Saint  Julien  de  Brioude,  qui  est  aussi  en 
voie  de  restauration  ;  ils  ont  des  absides  rondes  avec  des  plates-ban- 
des, des  tours  sur  la  croix  des  axes,  et  leur  appareil  extérieur  est 
décoré  d'une  ornementation  bicolore. 

ïous  les  bâtiments  de  l'ancienne  abbaye  de  Montmajor,  près 
d'Arles,  ont  été  achetés  par  l'État  et  consolidés.  La  consolidation  de 
l'église  de  l'ancienne  abbaye  de  Saint-Benoît-sur-Loire,  présentait 
de  grandes  difficultés  qui  ont  été  surmontées  avec  habileté  par 
M.  Delton.  Cet  édifice  n'est  plus  celui  qui  fut  bâti  vers  le  milieu  du 
VIP  siècle  sur  les  fondements  de  l'ancien  Castellum  de  Fîeiiry,  il  fut 
démoli  de  fond  en  comble,  par  les  Normands,  dans  le  IX^  siècle;  des 
incendies  au  X*  siècle  et  au  commencement  du  XP,  détruisirent 
encore  les  bâtiments  qui  avaient  été  reconstruits,  en  sorte  que  le 
monument  actuel  ne  remonte  qu'au  XP  siècle.  Le  porche  et  la  crypte 
sont  particulièrement  dignes  de  remarque.  Quelques  antiquaires  à  la 
vue  du  grand  appareil  du  porche  principal,  ont  cru  que  sa  construc- 
tion remontait  à  l'époque  de  la  fondation  de  l'abbaye.  Toutefois  le 
caractère  des  chapiteaux  historiés  est  une  preuve  évidente  d'une  ori- 
gine relativement  plus  moderne. 

Auprès  de  Saint-Benoît,  la  petite  église  de  Germigny  présentait  un 
exemple  unique  en  France  d'une  voûte  en  cul-defour  orné  de  mosaï- 
ques. Elle  a  été  aussi  restaurée. 

L'église  de  Souillac  dans  le  département  du  Lot,  est  comme  la 
cathédrale  de  Périgueux,  l'église  de  la  cité  de  la  même  ville,  et  la 
cathédrale  de  Cahors,  voûtée  en  coupole  à  l'exemple  de  Saint-Marc  de 
Venise.  Ces  spécimens  sont  rares  en  France,  et  l'église  de  Souillac 
était  dans  un  état  qui  nécessitait  de  promptes  réparations:  elles  ont 
été  faites  sous  la  direction  de  M.  Questel.  Le  même  architecte  a 
dirigé  la  restauration  complète  du  beau  cloître  de  l'ancienne  abbaye 
de  Moissac.  On  y  avait  ajouté,  au  XVP  siècle,  des  voûtes  dont  le  poids 
avait  déversé  sur  le  préau  le  mur  des  arcades,  malgré  les  contre-forts 
informes  qu'on  y  avait  ajoutés,  et  qui  défiguraient  tout  l'édifice.  La 
voûte  a  été  supprimée,  ce  qui  a  permis  d'enlever  les  contre-forts  et 
de  rendre  au  cloître  tout  son  aspect  primitif,  et  sa  couverture 
en  appentis  soutenu  par  des  charpentes  apparentes.  Les  longues  sui- 
tes d'arcades  sont  supportées  par  des  colonnettes  accouplées  aux 


COMMISSION  DES  MONUMENTS  HISTORIQUES.  553 

chapiteaux  chargés  de  figures  ;  et  le  pavé  se  compose  de  carreaux , 
décorés  d'ornements  reproduits  avec  fidélité  d'après  les  parties  an- 
ciennes qui  avaient  été  conservées. 

Dans  la  Drôme ,  M.  Questel  a  encore  dirigé  les  réparations  de 
l'église  deSaint-Paul-Trois-Châteaux,  édifice  roman  très-remarquable 
par  les  détails  qui  présentent  tous  les  caractères  de  la  plus  belle  archi- 
tecture romane,  celle  de  Saint-Restitut,  du  même  style,  mais  avec 
une  annexe  composée  de  deux  étages,  et  qui  est  d'une  é^  oque  évi- 
demment antérieure,  et  enfin  l'église  Saint-Bernard  de  Romans,  non 
moins  remarquable  que  les  deux  autres.  Dans  l'Isère,  il  a  conduit 
avec  bonheur  des  travaux  importants  exécutés  à  la  voûte  de  l'église 
Saint-Maurice  de  Vienne,  et  a  restauré  complètement  le  portail  de 
Sainte-Trophime  à  Arles,  et  l'église  de  Saint-Gilles  (Gard).  Cet  édi- 
fice n'a  jamais  été  terminé  ;  les  fondations  du  chœur  sont  seulement 
recouvertes  de  quelques  amorces  élevées  jusqu'à  une  certaine  hau- 
teur ,  et  parmi  lesquelles  on  remarque  un  escalier  dont  la  coupe  des 
pierres  est  un  chef-d'œuvre  de  stéréotomie  connu  ^ous  le  nom 
de  vis  de  saint  Gilles.  Le  portail  est  de  ce  style  roman  inspiré  direc- 
tement par  l'architecture  antique,  dont  on  ne  trouve  d'exemples 
que  dans  le  Midi  ;  des  constructions  parasites  avaient  encombré  cet 
édifice  remarquable  de  tous  les  côtés.  Il  a  été  dégagé;  la  surface  du 
sol  sur  l'emplacement  du  chœur  a  été  déblayée,  fermée  par  des 
grilles  et  sert  de  musée  en  plein  air;  le  portail,  débarrassé  d'une 
maison  qui  l'obstruait,  a  retrouvé  l'élégance  de  ses  proportions,  et  des 
fouilles  récentes  ont  fait  retrouver  les  fragments  d'un  ornement  en 
saillie,  semblable  à  un  porche  découvert  composé  de  colonnes  surmon- 
tées d'un  entablement ,  et  dont  les  piédestaux  seulement  étaient  restés 
debout.  Ces  fragments  ont  été  soigneusement  réunis,  complétés,  et 
le  monument  a  repris  tout  son  aspect  primitif. 

C'est  encore  à  M.  Questel  qu'on  doit  de  belles  études  sur  les 
anciennes  abbayes  de  Syh^acane  et  du  ïhoronet,  et  les  églises  des 
Saintes-Mariés (Bouches-du-Rhône),  deMarmans  (Isère),  de  Rieux- 
Mérinville  (Aude),  sur  le  plan  de  Saint-Etienne-le-Rond,  à  Rome; 
et  enfin,  de  Saint-Philibert-de-Tournus,  dont  la  restauration  va  être 
commencée  cette  année. 

Plusieurs  édifices  romans ,  du  département  de  la  Vienne ,  étaient 
en  voie  de  restauration  ,  sous  la  direction  de  M.  Lion  jeune,  archi- 
tecte plein  de  talents,  lorsqu'une  mort  inopinée  est  venue  le  frapper 
au  milieu  de  ses  travaux.  Ils  ont  été  continués  par  M.  Jolly,  archi- 
tecte de  Sauraur,  que  des  études  sérieuses  sur  les  monuments  de  son 


554  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

département  avaient  fait  apprécier.  Je  citerai  la  belle  église  de  Civray, 
dont  la  façade  est,  avec  celle  de  Notre  Dame  de  Poitiers,  une  des 
plus  richement  ornées  de  tous  les  édifices  romans  si  remarquables  que 
renferment  les  départements  de  la  Vienne  et  des  Deux-Sèvres.  La 
coupole  de  Charroux,  seul  reste  d'une  ancienne  église  abbatiale 
d'une  grande  importance,  et  qui  a  été  consolidée;  Saint-Pierre  de 
Chavigny,  dont  les  chapiteaux  historiés  sont  du  plus  haut  intérêt;  eï 
enfin  l'église  de  Saint-Savin,  avec  sa  nef  romane,  ornée  de  pein- 
tures qui  vont  être  publiées  par  le  ministère  de  l'Instruction  publi- 
que ;  les  dessins  en  ont  été  exécutés  avec  talent  sur  les  échafauds 
destinés  aux  travaux  de  restauration,  par  M.  Gérard  Seguin.  La  tour 
du  XII r  siècle  sur  la  face  a  été  aussi  reprise  en  sous-œuvre  avec 
une  grande  hardiesse,  entreprise  qui  a  été  cauronnée  d'un  plein 
succès. 

Dans  le  département  des  Deux-Sèvres,  M.  Segrelain,  architecte 
de  Niort,  a  dirigé  avec  habileté  les  travaux  de  consolidation  à  l'église 
de  Saint- Ge^eroux  ,  dont  quelques  parties  sont  antérieures  au 
X"  siècle,  et  à  celle  d'Airvaux  et  d'Oiron. 

L'église  Sainte-Marie-des-Dames,  à  Saintes,  fondée  par  les  com- 
tes d'Anjou,  avec  l'abbaye  de  ce  nom,  a  été  commencée  en  1047  et 
achevée  dans  le  siècle  suivant  :  bien  qu'ayant  subi  quelques  transfor- 
mations, cet  édifice  est  encore  fort  remarquable;  la  tour  et  l'abside 
sont  du  XP  siècle.  La  façade  offre  trois  portes  richement  ornées,  et 
que  l'on  peut  attribuer  à  la  première  partie  du  XIP  siècle.  Cette 
église,  depuis  1793,  a  été  convertie  en  magasin  affecté  au  service 
d'un  quartier  de  cavalerie ,  et  en  1839  elle  devait  être  démolie  ;  M.  le 
Ministre  de  l'Intérieur  a  entamé  avec  l'administration  de  la  guerre  des 
négociations  qui  ont  abouti  à  un  échange  dont  les  bases  sont 
maintenant  arrêtées,  et  qui  assurent  la  conservation  de  cet  édifice 
curieux.  Le  cloître  de  l'ancienne  abbaye  de  Fontfroide  (Aude),  monu- 
ment excessivement  remarquable  de  la  même  époque,  appartenant  à 
un  particulier,  va  être  restauré  sous  l'habile  direction  de  M.  Viollet- 
le-Duc.  Un  acte  passé  avec  le  propriétaire,  l'engagera  ainsi  que  ses 
héritiers  ou  acquéreurs  à  conserver  l'édifice  à  perpétuité  dans  l'état 
actuel,  sans  pouvoir  l'aliéner  ou  le  modifier  en  quelque  manière  que 
ce  soit,  même  dans  un  but  de  restauration  qui  ne  serait  pas  admise 
par  la  Commission  des  monuments  historiques. 

L'église  Saint-Pierre  de  Touques  (Calvados),  a  été  restaurée  avec 
talent  par  M.  Danjoy.  Cet  édifice ,  dont  quelques  parties  paraissent 
remonter  à  une  époque  antérieure  au  XP  siècle,  est  en  grande  par- 


COMMISSION  DES  MONUMENTS  HISTORIQUES.  555 

tie  d'un  style  roman ,  dont  le  caractère  est  d'autant  plus  curieux,  qu'il 
offre  moins  d'analogie  avec  celui  des  autres  édrfices  de  la  même  épo- 
que dans  la  Normandie.  Dans  le  môme  département  et  sous  la  direc- 
tion du  même  architecte,  le  cliâleau  de  Falaise,  aussi  remarquable 
sous  le  rapport  de  l'art  que  pour  les  événements  historiques  dont  il  a 
été  le  théâtre,  a  été  l'objet  d'importants  travaux.  La  chapelle  Saint- 
Gabriel  a  été  achetée  par  l'Elat,  et  consolidée  ainsi  que  plusieurs 
églises  communales  de  la  même  époque.  Enfin,  auprès  de  Rouen, 
l'église  de  l'ancienne  abbaye  de  Saint-Georges  de  Boscherville  est  en 
voie  de  restauration  sous  la  direction  de  M.  Grégoire.  Telle  est  la 
liste  de  la  plupart  des  édifices  romans  ou  byzantins,  dont  la  conserva- 
tion a  été  assurée  par  d'importants  travaux  dans  ces  quatre  dernières 
années,  avec  les  fonds  mis  à  la  disposition  du  Ministre  de  l'Intérieur 
pour  ce  service.  Dans  un  prochain  article,  je  donnerai  celle  des 
monuments  ogivaux  et  de  la  renaissance,  dont  la  réparation  a  été 
également  commencée  pendant  cette  période,  et  ensuite  je  me  pro- 
pose de  donner  des  détails  plus  complets  sur  les  nouvelles  restaura- 
tions qui  seront  entreprises  ou  terminées,  à  mesure  que  ces  travaux 
seront  ordonnés. 

E.  Grille  de  Beuzelin. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


—  On  lit  dans  VArcMologische  Zeitung,  6*  livraison,  l'extrait  d'une 
lettre  écrite  de  Rhodes,  par  M.  L.  Ross  le  30  mai  1844. 

Le  savant  antiquaire  nous  apprend  qu'il  a  découvert  dans  l'île  de 
Côs,  parmi  les  ruines  de  la  ville  d'isthmos  qui  étaient  demeurées  jus- 
qu'alors inconnues,  les  restes  assez  considérables  d'un  temple  dorique 
consacré  à  Cérès  Augusta,  et  dans  une  autre  partie  de  l'île,  de  magni- 
fiques débris  d'un  heroon  d'ordre  ionique.  A  Halicarnasse,  M.  Ross  a 
été  moins  heureux ,  il  a  toutefois  remarqué  quatre  beaux  fragments 
de  frise  encastrés  dans  le  mur  du  fort  situé  du  côté  du  port;  ces  dé- 
bris lui  font  soupçonner  que  c'est  peut-être  là  l'emplacement  du  cé- 
lèbre mausolée.  Il  s'y  trouva  aussi  des  colonnes  ioniques  d'un  mètre 
vingt-deux  centimètres  de  diamètre.  Dans  l'île  de  Telos,  M.  Ross  a 
découvert  les  restes  d'un  temple  de  Minerve-Poliade  et  de  Jupiter- 
Polieus,  avec  d'intéressantes  inscriptions  qu'il  a  envoyées  à  M.  Bôckh. 
A  Rhodes,  dans  l'emplacement  du  temple  d'Apollon-Erethimios,  qu'il 
avait  mis  au  jour  l'année  dernière,  il  n'a  trouvé  que  deux  nouveaux 
fragments  d'inscriptions  présentant  le  nom  du  Dieu.  L'une  d'elles 
porte  : 

AnOAAnNIEP    I    E0IMI    j    fil 
I  YIEPAT  I  EY2A2 

A  Linde,  cet  antiquaire  a  découvert  les  ruines  de  deux  temples, 
l'un  de  Minerve-Lindia  et  l'autre  de  Jupiter- Polieus,  ainsi  qu'un 
grand  nombre  d'inscriptions  nouvelles  dont  plus  d'une  demi- dou- 
zaine fait  connaître  des  noms  nouveaux  d'artistes  de  l'école  rho- 
dienne. 

—  Voici  encore  un  reste  de  l'antique  Icosium  que  le  hasard  vient 
de  mettre  au  jour  dans  cette  partie  d'Alger,  située  sur  l'emplacement 
de  la  ville  romaine.  En  creusant,  pour  établir  les  fondations  du  pory 
tail  de  la  cathédrale  de  Saint-Philippe,  on  a  trouvé,  à  quatre  mètres 
environ  au-dessous  du  sol  actuel,  une  belle  mosaïque  romaine  parfai- 
tement conservée.  Les  ouvriers  en  avaient  brisé  une  faible  partie 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  557 

lorsque  ceux  qui  dirigeaient  les  travaux  s'en  sont  aperçus  et  ont  pris 
des  mesures  pour  la  conservation  de  ce  reste  précieux. 

On  a  continué  de  creuser  à  l'endroit  où  la  mosaïque  a  été  déjà  dé- 
gradée ,  et  après  avoir  rencontré  quelques  médailles  et  une  main  de 
bronze,  on  a  découvert  une  magnifique  citerne  dont  l'étendue  en  lon- 
gueur ne  paraît  pas  encore  bien  déterminée,  et  où  il  y  avait  de  l'eau 
à  une  hauteur  d'un  mètre  cinquante  centimètres.  La  parfaite  con- 
servation de  l'enduit  de  cette  citerne,  la  profondeur  à  laquelle  l'ex- 
haussement du  sol  l'avait  enfouie ,  permettent  de  penser  que  depuis 
plusieurs  siècles  cette  eau  existe  là  sans  aucune  communication  avec 
l'extérieur.  Les  fondations  des  constructions  mauresques  élevées  en 
cet  endroit  s'appuyaient  immédiatement  sur  la  mosaïque. 

— Des  ouvriers  ont  découvert,  en  creusant  le  sol,  aux  environs  de 
Ciudad-Real,  un  beau  pavé  en  mosaïque,  des  tombeaux  romains,  des 
amphores  et  quelques  vases  en  argile,  dont  le  travail  atteste  une  haute 
antiquité.  Il  a  été  reconnu  que  ces  magnifiques  débris  appartenaient 
à  une  ville  du  nom  d'Alascos,  qui  existait  sous  la  domination  romaine, 
et  sur  l'emplacement  de  laquelle  avait  été  bâti  le  fameux  château 
servant  de  point  de  réunion  aux  chevaliers  de  l'ordre  de  Calatrava. 

—  Les  fouilles  commencées  en  1 840  à  Steenbosch ,  commune  de 
Fouron-le-Comle,  par  M.  Henri  Delvaux,  ont  été  reprises  le  9  du  mois 
dernier,  aux  frais  du  gouvernement  belge  et  sous  la  direction  du  môme 
antiquaire,  conjointement  avec  M.  Guyot,  ingénieur  en  chef  des 
ponts  et  chaussées  à  Hasselt.  Les  pièces  d'appartements  découvertes 
étaient  alors  au  nombre  de  douze,  et  les  objets  trouvés  furent  envoyés 
à  l'Académie  royale  de  Bruxelles.  Aujourd'hui  on  a  encore  mis  à  dé- 
couvert une  vingtaine  de  nouveaux  appartements,  le  fourneau  et  les 
piliers  ronds  et  carrés  de  terre  cuite  qui  indiquent  un  hypocauste; 
un  grand  nombre  de  morceaux  de  marbre  poli  de  deux  à  trois  déci- 
mètres, une  grande  quantité  de  plomb  en  partie  fondu  par  un  incen- 
die, du  cuivre,  des  débris  de  poterie  romaine ,  des  ossements  brûlés, 
des  charbons  de  bois,  des  clous,  férailles,  des  verres  à  vitres  de  quatre 
millimètres  d'épaisseur,  deux  broches  bien  conservées,  etc.  On  y 
remarque  surtout  un  canal  de  plus  de  quarante  mètres  de  longueur, 
et  formé  de  briques  à  rebords  conduisant  l'eau  dans  un  puits. 

—  Le  31  octobre,  les  ouvriers  occupés  à  creuser  les  fondations 
de  la  chapelle  de  Notre-Dame ,  située  derrière  le  maître-autel  de 


558  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

la  cathédrale  de  Troyes,  pour  y  placer  Taiilel  en  marbre  blanc,  sculpté 
par  MM.  Desprey  frères,  sur  les  dessins  de  M.  Baltard,  ont  trouvé,  à 
un  mètre  environ  de  profondeur,  deux  tombeaux  placés  à  la  suite  l'un 
de  l'autre:  l'un  renfermant  les  restes  d'Henri  I^',  dit  \g Libéral, comte 
deChampagne  et  deBrie,  mort  en  1180,  à  son  retour  de  la  terre 
sainte;  l'autre  contenant  les  ossements  du  comte  Thibault  III ,  mort 
en  i  200  ou  1 201 ,  au  moment  où  il  se  préparait  à  aller  faire  la  guerre 
en  Palestine.  Ces  tombes  ont  été  placées,  lors  de  la  destruction  de  la 
collégiale  Saint-Etienne,  sous  les  dalles  de  la  chapelle  Nutre-Dame. 
Les  ouvriers,  en  continuant  les  fouilles  ,  ont  trouvé  immédiatement, 
sous  la  tombe  de  Thibault,  le  cercueil  de  pierre  renfermant,  si  l'on 
s'en  rapporte  aux  traditions  et  aux  données  des  auteurs  qui  se  sont 
occupés  de  l'histoire  de  la  Champagne,  les  restes  de  l'évêque  Hervée, 
eO''  évêque  de  Troyes,  dont  l'épiscopat  a  duré  depuis  1206  jusqu'en 
1223. 

La  couverture  du  cercueil  a  été  soulevée  en  présence  de  M.  l'évêque 
de  Troyes,  de  quelques  chanoines,  de  M.  Arnault,  antiquaire,  et  de 
M.  Bouché,  architecte  du  département.  On  a  trouvé  divers  objets 
d'art ,  entre  autres  des  débris  de  soierie  ouvrée ,  qui  composaient  le 
costume  d'Hervée  ;  des  fragments  de  broderies  circulaires  provenant, 
suivant  toute  vraisemblance,  des  gants  épiscopaux  et  représentant 
une  main  bénissant,  entourée  de  cette  légende  :  In  nomine  Patris  et 
Filii  et  Spiritus  sandi,  et  un  agneau  auprès  d'une  croix,  avec  la  for- 
mule Agnus  Dei,  On  a  trouvé  aussi  plusieurs  objets  d'orfèvrerie  : 
10  une  crosse  en  argent  doré  et  émaillé,  montée  sur  une  hampe  en 
sapin,  n'excédant  que  de  quelques  centimètres  la  longueur  d'une  canne 
ordinaire;  cette  crosse  est  composée  d'un  serpent  et  d'un  lion  fort 
délicatement  exécutés;  des  chimères,  des  lézards  et  des  serpents 
ciselés  à  jour  et  en  saillie  sur  la  croix  de  la  crosse  et  dans  la 
partie  intérieure,  la  complètent;  2°  un  calice  en  vermeil;  3°  une 
patène  en  même  métal;  4"  un  anneau  d'or  surmonté  d'un  très- 
beau  saphir;  5°  une  fiole  de  verre  et  beaucoup  de  galons  bien  con- 
servés. 

Ces  objets  ont  été  extraits  de  la  tombe  et  déposés  provisoirement  à 
l'évêché. 

—  Un  habitant  d'Arville,  village  situé  dans  la  province  de  Luxem- 
bourg, entre  le  château  de  Mirwart  et  Saint-Hubert,  vient  de  décou- 
vrir dans  le  bois  d'Arville  une  épée  remarquable  par  son  travail.  La 
garde  de  cuivre  doré  est  en  forme  de  coquille,  entièrement  ciselée  à 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  550 

jour,  avec  de  petites  figures  d'un  travail  exquis.  Le  pommeau  ,  fort 
gros  et  ciselé  à  jour,  présente  d'un  côté  trois  personnages  en  costume 
du  moyen  âge  :  c'est  un  seigneur  à  cheval  suivi  de  son  écuyer;  un 
vassal  à  genoux  lui  rend  hommage  -,  de  l'autre  côté  du  pommeau,  on 
remarque  deux  cavaliers  qui  se  donnent  la  main.  La  dorure  est  assez 
bien  conservée,  surtout  sur  la  coquille.  Celte  arme  qui  paraît  être  do 
la  tin  du  XVI"  siècle ,  a  été  achetée  par  M.  le  major  Geoffroy  qui 
s'occupe  de  recherches  archéologiques  dans  les  Ardennes. 

—  Lors  de  l'incendie  de  la  flèche  de  l'horloge  de  Notre-Dame  de 
Laon,  événement  dont  la  Revue  a  rendu  compte  dans  le  numéro  du 
15  mai  dernier,  l'ange  qui  dominait  la  (lèche  tomba  et  eut  la  tête  sé- 
parée du  corps.  Les  ouvriers  qui  travaillaient  à  réparer  cette  statue 
viennent  de  découvrir  dans  l'intérieur  de  la  tête  une  petite  boîte  de 

'  plomb  ayant  la  forme  d'un  tombeau.  Cette  boîte  renfermait  quel- 
ques ossements  entourés  de  rubans  fort  détériorés  par  le  temps.  L'ange 
de  la  flèche  était  fort  ancien;  avant  la  révolution  de  89,  il  était  placé 
au-dessus  d'une  tourelle  dépendant  du  palais  épiscopal  de  Laon  ,  et 
que  l'on  a  transformé  depuis  en  palais  de  justice. 

—  Un  des  plus  beaux  monuments  historiques  de  la  ville  de  Tours, 
la  belle  église  abbatiale  de  Saint-Julien,  qui  fait  l'admiration  de  tous 
les  étrangers,  est  dans  ce  moment  à  vendre  ou  h  louer.  Cet  édifice, 
qui  date  du  Xll^  siècle,  est  dans  un  état  de  conservation  parfait. 
Il  sert  d'écurie  et  remise  à  un  hôtel  y  attenant. 

—  Dans  les  travaux  qui  s'exécutent  en  ce  moment  sous  la  direc- 
tion de  M.  Charles,  architecte  de  la  ville,  dans  l'ancien  couvent  des 
Célestins,  détruit  en  grande  partie  pendant  la  révolution,  on  a  décou- 
vert deux  charmants  petits  chapiteaux  du  XVÏ*'  siècle  provenant  du 
cloître 'qui  était  un  des  plus  beaux  de  Paris,  à  cause  de  la  délicatesse 
des  sculptures  dont  ses  arcades  étaient  ornées.  L'habile  architecte  a 
fait  transporter  ces  précieux  débris  au  Musée  des  Thermes. 

— Un  de  nos  écrivains  les  plus  distingués,  M.  J.  J.  Ampère,  membre 
de  l'Institut,  va  partir  incessamment  pour  l'Egypte,  oii  il  se  propose 
de  passer  tout  l'hiver,  et  de  poursuivre  les  études  qu'il  a  commencées 
sur  les  hiéroglyphes.  M.  Ampère  sera  accompagné  d'un  dessinateur 
que  lui  adjoint  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique.  On  doit 
d'autant  plus  attendre  les  meilleurs  résultats  de  cette  excursion,  que 
le  savant  critique  l'entreprend  avec  une  véritable  passion. 


BIBLIOGRAPHIE. 


L'archéologie  reposant  en  partie  sur  l'étude  des  textes ,  la  con- 
naissance des  livres  est  indispensable  à  ceux  qui  la  cultivent.  Or,  si 
nous  ajoutons  que  l'antiquaire,  non-seulement  pour  se  tenir  au  cou- 
rant de  la  science ,  mais  encore  sous  peine  de  commettre  des  erreurs, 
ou  de  suivre  une  fausse  route,  doit  être  instruit  de  tout  ce  qui  se 
publie  chaque  jour  dans  les  diverses  parties  du  monde  civilisé,  on  sera 
forcé  de  convenir,  que  la  bibliographie  est  le  plus  puissant  auxiliaire 
des  recherches  archéologiques. 

Convaincus  de  cette  vérité ,  nous  croyons  être  utiles  à  nos  lec- 
teurs en  leur  donnant,  chaque  mois,  la  liste  de  tous  les  ouvrages 
qui  ont  trait  à  l'archéologie ,  et  qui  paraissent  tant  en  France  qu'à 
l'étranger. 

Aujourd'hui,  nous  commençons  par  l'Allemagne,  parce  que  nous 
savons  avec  quel  zèle  on  s'occupe  dans  ce  pays  du  moyen  âge  et  de 
l'antiquité.  On  nous  pardonnera  de  faire  remonter  notre  catalogue  à 
l'année  1842,  lorsqu'on  aura  remarqué  que,  si  de  simples  titres  de 
livres  suffisent  pour  faire  connaître  quelles  sont  les  questions  dont 
les  antiquaires  de  nos  jours  se  préoccupent  particulièrement,  ce  n'est 
que  quand  cette  énumération  embrasse  un  certain  laps  de  temps. 

Les  numéros  de  la  Revue  qui  doivent  suivre  contiendront  la  liste 
des  ouvrages  publiés  en  Angleterre,  en  Italie,  en  France,  etc.,  etc. 
Nous  y  joindrons  un  catalogue  spécial  dans  lequel  nous  indiquerons 
les  travaux  relatifs  au  moyen  âge. 

Nous  espérons  qu'on  voudra  reconnaître  ici  une  nouvelle  preuve 
de  notre  désir  d'offrir  aux  hommes  studieux  une  publication  qui 
puisse  contribuer  réellement  aux  progrès  de  l'archéologie. 


ALLEMAGNE. 


Ambrosch  (S.  Ath.)  :  Die  Religionslehrbiicher  der  Romer  (  Ab- 
druckaus  der  Zeitschrift  fiir  kathol.  Theol.  ).  Bonn,  1843,  8. 

Arnetii  (  Jos.  )  :  Synopsis  nummorum  Romanorum,  qui  in  Museo 
Cœsareo  Vindob.  adservantur.  (Syn.  num.  antiq.  M.  Vindob.  pars  II) 
Vindob.  1842,  in -4. 


BIBLIOGRAPHIE.  561 

Becker  (Guil.  Ad.  )  :  De  Romae  veteris  mûris  atque  portis.  Lips. 
i842,  2  Taf.  in-8. 

Bekgk  (Th.)  und  César  (  J.  )  :  Zeitschrift  fur  Alterthuras- 
wiçsenschaft.  Cassel,  1843,  1844,  4°. 

BÔTTiCHER  (C.)  :  Die  Tektonik  der  Hellenen.  Erster.  Band  Ein- 
leitung  und  Dorika.  Potsdam,  1844. 

Braun  (Emil.)  :  Artemis  Ilymnia  und  Apollon  mit  dem  Armband; 
eine  Spiegelzeichnung.  Rom,  1 842,  fol.  1  Taf. 

Brunn  (Henr.)  :  Artificum  liberae  Grœciae  tempora.  Diss.  Bonn, 
1843,  1  Taf.  in'4. 

BuRCKHARDT  (Gust.  Emil.  )  :  Handbuch  der  Klassichen  Mytholo- 
gie nach  genelischen  Grundsâtzen  fur  hôhere  Lehranstalten  undzum 
Selbststudium.  I  Abth.  Griechische Mythologie.  1  Bd.  Die  Mythologie 
des  Homer  und  Hesiod.  Leipz.  1844,  in-8. 

Creuzer  (  F.)  :  Symbolik  und  Mythologie  der  alten  Volker ,  be- 
sonders  der  Griechen.  Dritte  verb.  Ausgabe.  Th.  III,  IV.  Leipz.  und 
Darmstadt  1842,  7  und  8  Taf. 

— Katalog  einerPrivatantikensammlung.  Leipz.  undDarmst.  1843. 

CuRTius  (Ern.  )  :  De  portubus  Athenarum  commentatio.  Addita 
est  tabula  geographica.  Hal.  1842,  in-8,  1  Taf. 

—  Anecdota  Delphica.  Berol.  1843,  2  Taf.  in-4. 

— -Inscriptiones  Atticae  nuper  repertae  duodecim.  Berol.  1843,  in-8. 

Denkmale  :  Des  Alterthums  und  der  alten  Kunst  im  Kgr.  Wur- 
temberg, zusammengestellt  von  demkgl.  statist.  topograph.  Bureau. 
(Besonder  Abdruck  aus  den  Wiïrtt  Jahrbr.  1841.)  Heft  I.  Stutt- 
gart u.    Tiibing.  1843. 

FoRCHAMMER  (  Pet.  W.  )  :  Topographie  von  Athen.  Mit  einem 
Plane  der  alten  Stad.  —  Riel,  1842,  8^ 

—  Die  Geburt  der  Athene.  Eine  archàoîogische  Abhandlung.  Mit 
einer  lithogr.  Tafel.  Riel,  1842,  4\ 

Hermann(K.  Fr.)  ;  Schéma  akademischer  Vortrâge  ùber  Archao- 
logie  oder  Geschichte  der  Kunst  des  klassischen  Alterthums.  Gôt- 
tingen,  1844,  in-8. 

KiEPERT  (H.)  :  Topographisch-historischer  Atlas  von  Hellas  und 
den  hellen.  Kolonien.  In  24  Blattern.  Unter  Mitwirkung  des  Prof. 
K.Ritter  bearbeilet.  Zweites  Heft  enth.  Blatt  4,  5,  12,  15,  16,  17, 
18,  20.  Berlin.  Querfolio. 

Lasaulx  (von)  :  Proraetheus,  die  Sage  und  ihr  Sinn.  WiJrzb. 
1843. 

Lepsius  (R.)  :  Ueber  die  tyrrhenischen  Pelasger  in  Etrurien  und 


562  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ûber  die  Verbreitung  des  italischen  Mûnzsystems  von  Etrurien  aus. 
ZweiAbhandlungen.  Leipz.  1842,  in-8. 

—  Das  Todtenbuch  der  ^gypter  nach  dem  hieroglyphischen  Pa- 
pyrus in  Turin  mit  einem  Vorwort  zum  erstenmale  herausgeg.  Leipz. 

1842,  79  Tafeln.  in-4. 

M.EUCKER  ;  DasPrincip  desBosen  nach  denBegrifl'en  der Griechen. 
Berl.  1842,  in  8. 

Menke  (Theod.)  Lydiaca.  Dissertatio  ethnographica.  Berol.  1843. 

MiNUTOLï  (H.  C.  von)  ;  Topographische Uebersicht  der  Ausgra- 
bungeri  romischer,  arabischer  und  andrer  Miinzen  und  Kunstgegen- 
stânde,  wie  solche  zu  versclùedenen  Zeiten  in  den  Kiisterlàndern  des 
Baltischen  Meeres  stattgehabt.  Berl.  1843. 

MoRGENSTERN  (K.)  :  Eiklârungsversuche  einer  noch  nicht  bekannt 
gemachten  Abraxasgemme.  An  Hrn,  Staatsr.  und  Ritler  J.  F.  von 
Recke  in  Mitau.  Dorpat  u.  Leipz.  1843. 

NiTZSCH  (Guil.)  :  De  Eleusiniorum  ratione  publica  commentatio. 
Kiel,  1842,  in-4. 

Nork(J.  )  :EtymoIogisch-symbolisch-mythologisches  Real-Wôr- 
terbuch.  Bd.  L  u.  2  Lief.  Stuttg.  1843. 

Olshausen  (J.  )  :  Die  Pehlewi-Legenden  auf  den  Miinzen  der 
letzten  Sâsâniden  aof  den  alteslen  Miinzen  arabischer  Chalifen,  etc. 
zum  ersten  malegelesen  und  erklart.  Kopenhag.  1843. 

— Panofka,  Theod.  Griechinnen  u.  Griechen  nachAnliken  skizzirt. 
Mit  56  bildlichen  Darstellungen.  Berlin,  1844,  2  Taf.  gr.  in-4. 

—  Calalog  der  Gypsabgiisse  im  Kgl.  Muséum  zu  Berlin.  Berlin, 
1844,  in-8. 

Pinder  (M.)  und  J.  Friedl^ivder  :  Die  Miinzen  Justianians. 
Berlin,  1843,  VI,  Kpf.,  in-8. 

Preller  (L.)  :  Uber  die  Bedeutung  des  Schwarzen  Meeres  fiir  den 
Handel  und  Verkehr  der  alten  Welt.  Rede  gehalten  am  Krônungs- 
feste  Sr.  Kaiserl.  Majestât.  Dorpat,  1842,  in-8. 

—  Nummorum  graecorum  qui  in  Museo  Academico  asservantur 
recensus  Spécimen,  L  Dorpati,  1842,  in-4. 

RiciiTER  :  Ueber  Ursprung  und  erste  Bedeutung  der  griechischen 
und  romischen  Hauptgottheiten.  Programm.  Quedlinburg  1841. 

RiTSCHL  (T.)  :  Commentatio  de  Porta  Metia.  Bonn.  1842,  in-4. 

RoAiRERG  (J.  E.)  und  F.  Sïeger  :  Geschichte  der  Baukunstvon 
den  àltesten  Zeiten  bis  auf  die  Gegenwart.    Erster  Band.  Leipz. 

1843,  in-4. 

ScHNAASE  (Cari)  ;  Geschichte  der  bildenden Kûnste  bei  den  Alten. 


BIBLIOGRAPHIE.  563 

Bd.  1  Vôlker  des  Orients,  Bd.  2.  Griochen  und  Romer.  Dûsseldorf, 
18i3,  in-8. 

Scbroer(F.G.)  :  Archaeologia  Graecorum  et  Romanorum.  Posen, 
1843. 

ScHWARTZ  (Fr.  Guii.)  :  De  antiquissima  Apollinis  natura.  Berol. 
1843,  in-8. 

ScHWARTZ  (  M.  G.  )  :  Das  alte  iEgypten  oder  Sprache,  Geschichti?, 
Religion  und  Verfassung  des  alten  vEgyptans.  1  ïheil,  1  Abtheil. 
Leipz.  J843,  gr.  4". 

ScHREiBER  (Heinrich)  :  Die  Maralhesschiacht  bei  Clastidium, 
Mosaikgemàlde  in  der  casa  di Goethe  zu  Pompeji.  Ein  archaologischer 
Versuch.  Freiburg,  1843.  4  Lithograph.  4°. 

Seyffarth  (  G.  )  :  Die  Grundsatze  der  Mythologie  und  der  alten 
Religionsgeschichte.  Leipz.  1843. 

Stephani  (  L.  )  :  Der  Kampf  zwischen  Theseus  und  Minotauros. 
Eine  kunstgeschichtl.  Abhandlung.  Leipz.  1842,  10  ïafeln,  in-fol. 

—  Reise  durch  einige  Gegenden  des  nôrdlichen  Griechenlands. 
Leipz.  1843,  in-8. 

Stedb  :  Ueber  die  Urbewohner  Rhâtiens  und  ihren  Zasammen- 
hang  mit  den  Etraskern.  Miinchen  1843. 

Strack  (H.)  :  Das altgrieschiche  Theatergebâude.  Nach  sàmnit- 
lichen  bekannlen  Ueberresten  dargestellt  auf  9  Tafeln.  Potsdam, 
1843. 

Thisqcen  (Fr.  Guil.  )  :  Phocaica  Diss.  inaug.  Bonn,  1842,  in-8. 

Verzeichmss  einer  Antiquitàlensammlung  in  Bronce,  Eisen, 
Blei,  Marmor,  Silber,  Elfenbein,  in  gebrannter  Erde  und  Gemmen 
in  Gold  gefasst.  Gotha,  1844,  8  lith.  Taf.  4°. 

Weïske  (J.  g.  )  :  Prometheus  und  sein  Mythenkreis.  Mit  Be- 
ziehung  auf  die  Geschichte  der  griechisclien  Philosophie,  Poésie  und 
Kunst.  dargestellt,  Nach  dem  Tode  des  Verfassers,  herausgegeb.  von 
H.  Leyser.  Leipz.  1843. 

WiESLERfFr.J  :  Adversaria  in iEschyli  Prometheum  vinctum  et 
Aristophanis  aves  [jhilologica,  atque  archaîologica.  Gôtt.  1844,  in-8. 

—  Die  ara  Gazali.  Eine  archaologische  Abhandl.  Nebst  4  Tafeln. 
Golt.  1844,  in-8. 

VoGEL  :  Geschichte  der  Entstehung  undFortbildung  der  Baukunst. 
Leipz.  1843. 

WiiiTTE  :  De  rébus  Chiorum  publicis.  Addita  est  enumeratio 
nummorum  Chiorum  omnium.  Kopenh.  1838. 

Zahn  (W.)  ;  Die  schonsten  Ornaraente  und  nnierkwùrdigsten  Ge- 


564  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

mâlde  aus  Pompeji,  Herculanum  undStabiae.  Zweite  Folge.  Berlin, 
1843,  in-fol. 

—  Auserlesene  Verzieningen  aus  dem  Gesammtgebiet  der  bilden- 
den  Kunst.  Heft  1-4,  Berlin,  1843. 

—  Ornamente  aller  klassischen  Kunstepochen.  Heft  10,  Berlin, 
1843. 


ERRATA. 

Page  440,  ligne  14,  au  lieu  de  :  OAHM,  lisez  :  OAAM. 
443,  15,  au  lieu  de  :  (ô  ê-h/j.),  lisez  .-  {bSScfi) 

443,  il ,  au  lieu  de  ;  ô  Sr,y.oi,  lisez  .-  ô  êàfxog 

462 ,  6 ,  au  lieu  de  :  Historischen  Vor  iind  Mitmelw,  lises  :  Historischen 

Yor  und-Milwelt 
467,  note  4  ,  ligne  ^  :  au  lieu  de  -.  Hispalena,  lisez  :  Hispalensis 
471 ,  noie  2 ,  au  lieu  de  .-  Hisloire  du  Mogol ,  lisez  ;  Hisloire  des  Mongols. 

480,  dans  l'article  bibliographique  sur  les  annales  de  l'Inslilut  archéolo- 

gique, nous  avons  omis  de  citer  les  noms  de  MM.  Ph.  Le  Bas,  Ch.  Le- 
normant  et  L.  De  la  Saussaye  parmi  les  membres  composant  le  comité 
de  rédaction  de  la  section  française. 

481 ,  ligne  21,  au  lieu  de  :  Ex  lemporalia ,  lisez  -.  Exlemporalia 

481 ,  33,  au  lieu  de  :  Gréco-Égyptienne ,  lisez  ;  Gréco- Phénicienne 

482,  4,  au  lieu  de  :  ypuswdv,  lisez  :  y^pvco'ù-j 

482,  6,  au  lieu  de  ;  M.  De  Wilte,  lisez  :  M,  Rathgebcr 

482,  6,  au  lieu  de  :  x^offouv,  lisez  -.  ^p^^ow 


LES  TUMULUS  DE  DJEBEL  EL  AKHDHAR, 

DANS  LA  PROVINCE  D'ORAN 

(MAURITANIE  CÉSARIENNE.) 


Les  recherches  des  archéologues  n'ont  pas  encore  complètement 
déterminé  quelle  était  la  destination  de  certaines  collines  factices, 
formées  de  terre  sa  moncelées  et  quelquefois  revêtues  de  pierres, 
qui  se  voient  en  divers  points  des  Gaules  et  de  la  Grande-Bretagne. 
L'opinion  la  plus  commune  donne  à  ces  monuments  une  origine 
Celtique  ou  Gallo-Romaine,  et  les  fouilles  pratiquées  en  plusieurs 
lieux  ont  amené  quelques  découvertes  qui  indiquent  des  sépultures. 
Les  Tiimulas  de  l'Italie  sont  mieux  connus  et  plus  faciles  à  ap- 
précier (l).  L'état  de  conservation  parfait  dans  lequel  sont  restés  les 
tombeaux  coniques  de  l'Étrurie  a  permis  de  juger  avec  certitude  de 
l'usage  pour  lequel  ils  avaient  été  édifiés.  Sur  les  bords  de  la  mer 
Noire,  dans  les  contrées  que  peuplèrent  les  Scythes,  on  retrouve  les 
tumulus  funéraires  dont  la  Grèce  et  l'Asie  Mineure  présentent  aussi 
quelques  exemples.  Dans  l'Inde  enfin  et  dans  l'Afghanistan ,  partout 
où  le  Bouddhisme  a  porté  ses  doctrines  on  découvre  des  monuments 
circulaires  connus  sous  le  nom  de  Stoupas  ou  Topes  (2),  qui  pa- 
raissent avoir  été  érigés  pour  conserver  des  restes  mortels  ou  des 
reliques. 

D'après  le  récit  de  quelques  voyageurs  nous  savions  que  dans 
l'Afrique  septentrionale  il  existait  deux  tombeaux  célèbres.  Celui 
dont  Peyssonnel,  cité  par  M.  Dureau  de  la  Malle  (3),  donne  une 
description  détaillée,  est  un  grand  corps  de  bâtiment  rond,  de 
deux  cents  mètres  de  circonférence ,  qui  se  termine  en  pyramide  par 
trente-deux  degrés  de  pierre;  il  est  situé  à  Médrachem,  à  une  di- 
zaine de  lieues  au  nord-ouest  de  Lamba  (l'antique  Lambasa),  dans 
la  province  de  ConStantine.  L'autre  appelé  communément  Qobeur 

(1)  Micali,  Monumenti  per  servire  alla  Sloria  degli  ant.  pop.  Italiani. 
PI.  LXII,  n°  7  et  8.  V.  dans  le  même  ouvrage  le  JYouraghe  d'Isili,  pi.  LXXI,  no4. 

(2)  Masson.  Memoir  on  the  topes  and  sepulchral  monuments  of  Afghanistan, 
Ariana  antiqua.  London ,  1841,  p.  65.  —  Ritter;  die  Stupas. 

;3)  Recueil  de  renseignements  pour  réxpédilion  dans  la  province  de  Conslantinc 
1837,  p.  212  et  suiv. 

1.  37 


666  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

er'  Roumiah  (le  tombeau  de  la  chrétienne),  est  à  l'ouest  de  Coléah. 
Il  est  comme  le  premier  haut  de  trente  mètres,  posé  sur  une  base 
cylindrique  et  se  termine  aussi  en  pyramide. 

Un  officier  français,  M.  Azéma  de  Montgravier,  envoyé  avec  la 
division  de  Mascara  dans  le  Sersou  (  nom  que  les  Turcs  ont  donné 
aux  plateaux  dans  lesquels  prennent  leurs  sources  les  rivières  qui 
coulent  au  nord),  a  singulièrement  accru  les  notions  que  nous  pos- 
sédions sur  l'architecture  africaine,  et  les  principaux  monuments 
qu'il  signais  sont  des  tumulus  qui  ressemblent  de  la  manière  la 
plus  frappante  à  ceux  de  l'Inde,  plus  encore  peut  être  qu'aux  con- 
structions du  même  genre  que  nous  avons  pu  examiner  en  France. 
M.  Hase  a  reçu,  du  savant  officier,  des  dessins  très-habilement  faits, 
accompagnés  d'un  rapport  fort  intéressant  dont  nous  allons  extraire 
les  renseignements  nécessaires  à  la  complète  intelligence  des  figures 
que  nous  avons  fait  graver. 

La  campagne  de  1843  permit  à  M.  de  Montgravier  d'explorer 
toute  la  portion  du  Sersou  comprise  entre  la  chaîne  du  Djébel-Nador, 
la  haute  Mina  et  les  Keffs ,  dans  une  longueur  d'environ  dix  myria- 
mètres.  L'armée,  partie  de  Tiaret,  longea  successivement  tous  les 
côtés  de  ce  vaste  rectangle  qu'elle  parcourut  plusieurs  fois  en  divers 
sens.  Les  monuments  qui  existent  dans  cette  région  peuvent  être  clas- 
sés en  deux  catégories  bien  distinctes  :  1°  Les  postes  romains;  2°  les 
cités  barbares  protégées  par  ces  postes  et  les  monuments  tumulaires 
voisins  de  ces  cités  ;  c'est  ce  qui  se  voit  à  Tiaret,  à  Loha,  à  Mérat  sur 
les  Keffs,  àKennouda  et  à  Bentnçara  sur  le  cours  de  la  Mina.  Dans 
chacun  de  ces  points  on  remarque  en  dehors  de  l'oppidum  romain 
une  enceinte  continue  en  maçonnerie ,  et  dans  l'espace  qu'elle  ren- 
ferme, des  débris  confus  auxquels  on  pourrait  donner  le  nom  de 
cité  barbare.  Sur  les  crêtes  du  Djébel-Nador,  à  chaque  source  prin- 
cipale, à  côté  du  poste  romain  se  trouvent  des  vestiges  de  forteresses 
barbares  ;  on  reconnaît  dès  l'abord  que  ceux  qui  les  ont  élevées  n'ont 
pas  toujours  eu  à  leur  disposition  les  instruments  nécessaires  pour 
la  taille  des  pierres  ni  le  ciment  pour  les  assembler.  De  larges  dalles 
en  forment  le  sol ,  et  leurs  débris  couvrent  les  flancs  des  mamelons. 
Il  ne  reste  d'intact  que  certaines  constructions  gigantesques  qui 
rappellent  les  pierres  de  Rarnac  et  nos  autres  monuments  druidiques. 
Parmi  les  points  explorés,  Kennouda  est  un  de  ceux  qui  offrent  le 
plus  d'intérêt  par  la  réunion  de  la  cité  à  la  nécropole.  Là ,  par  un 
examen  attentif,  il  est  facile  de  reconnaître  un  bâtiment  central  de 
forme  circulaire,  situé  au  milieu  d'un  carrefour  auquel  viennent 


LES  TUMULUS  DE   DJEBEL   EL   AKHDHAR.  667 

aboutir  les  lignes  principales  des  rues  ou  habitations  particulières. 
Les  fouilles  ont  démontré  que  le  mode  de  construction  de  ces 
étranges  monuments  consistait  en  pierres  sèches,  formant  deux  pare- 
ments, l'un  intérieur,  l'autre  extérieur,  entre  lesquels  était  jeté  un 
blocage  de  moellons  de  petites  dimensions. 

A  l'intérieur  de  la  ville ,  on  trouve  la  nécropole,  oii  l'on  remarque 
des  pierres  colossales,  disposées  comme  nos  dolmen.  Un  de  ces  mo- 
numents a  quatre  mètres  de  long  sur  deux  de  large  et  deux  de 
hauteur.  La  pierre  supérieure  est  percée  de  trois  augets  communi- 
quant entre  eux  par  un  canal.  Deux  cavités  rondes ,  placées  symé- 
triquement, semblent  avoir  été  creusées  pour  recevoir  les  hampes 
de  lances  ou  les  supports  d'un  baldaquin  dans  une  cérémonie  reli- 
gieuse, et,  si  cette  hypothèse  ne  devait  pas  paraître  trop  hardie,  on 
pourrait  déclarer  que  cet  autel  barbare  est  un  véritable  dolmen.  Il 
serait  certainement  fort  intéressant  de  retrouver  sur  les  confins  du 
désert  un  monument  qui  semble  établir  quelque  analogie  entre  les 
usages  des  peuples  de  la  Gaule  et  ceux  des  habitants  de  l'Afrique  sep- 
tentrionale avant  l'occupation  romaine. 

M.  de  Montgravier,  en  remontant  la  vallée  de  la  Mina,  au  delàde 
Kennouda,  arriva  à  Bentnçara,  lieu  marqué  sur  la  carte  comme 
étant  le  point  de  rencontre  de  deux  affluents  principaux  de  la  Mina 
dans  ces  régions  élevées,  savoir  :  l'Oued  Tisnouna  à  l'ouest,  et 
l'Oued  el  Djad  à  l'est.  Bentnçara,  en  arabe,  signifie  la  fille  des  chré- 
tiens; on  y  remarque  de  nombreuses  ruines.  L'acropole  n'est  autre 
chose  qu'un  de  ces  camps  construits  par  les  légions,  dans  tous  les 
lieux  soumis  au  pouvoir  des  Romains,  depuis  l'extrémité  de  la 
Grande-Bretagne  jusqu'au  pied  de  l'Atlas;  le  temps  n'a  pu  faire 
complètement  disparaître  la  trace  des  remparts,  des  tours,  des 
portes  et  du  prétoire,  puissantes  constructions  de  pierre  détaille, 
réunies  entre  elles  par  des  crampons  de  fer  et  un  excellent  ciment. 

Autour  du  camp ,  une  immense  quantité  de  débris  de  poteries  et 
des  matériaux  de  tout  genre,  confusément  épars  sur  le  sol,  révèlent 
une  cité  romaine  barbare  et  deux  races  différentes,  dont  les  généra- 
tions ont  pendant  plusieurs  siècles  confondu  leurs  cendre^,  Les  fouilles 
exécutées  sur  ce  point  n'ont  laissé  aucun  doute  à  cet  égard;  elles  ont 
fait  découvrir  autant  de  monnaies  mauritaniennes  de  plomb  à  la  figure 
de  Jupiter  Animon  (1)  que  de  médailles  romaines  ;  et  même  quelques 

(1)  Nous  avons  conservé  les  propres  expressions  de  M.  de  Montgravier,  quoique 
nous  lie  sachions  pas  de  quelle  espèce  de  monnaies  il  a  entendu  parler.  En  général, 
les  pièces  de  plomb  antiques  qui  nous  sont  parvenues  ne  sont  pas  des  monnaies 
proprement  dites,  mais  des  tessères. 


568  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

inscriptions  tumulaires  portant  des  noms  barbares  précédés  de  pré- 
noms romains. 

A  Bentnçara,  comme  à  Kennouda,  la  nécropole  couvre  un  espace 
de  terrain  considérable  ;  elle  s'étend  le  long  de  l'Oued  Tisnouna  jus- 
qu'auprès du  Djebel  el  Akhdhar,  au  sommet  duquel  on  aperçoit  les 
tumulus  que  nous  allons  décrire,  et  qui  se  dressant  sur  les  trois  prin- 
cipaux pitons  de  cette  montagne,  paraissent  de  loin  une  énorme 
masse  de  rochers. 

Dans  une  forêt  de  chênes,  sorte  de  bois  sacré,  qui ,  suivant  la  tra- 
dition, couvrait  autrefois  la  contrée,  prêtant  son  ombrage  mystérieux 
aux  sources  de  la  Mina  et  aux  sépultures  d'El  Akhdhar,  s'élèvent 
trois  collines;  en  suivant  le  chemin  qui  conduit  à  la  plus  élevée,  l'on 
trouve  à  l'un  des  contours  du  sentier  un  magnifique  monument  por- 
tant dans  sa  construction  elle-même  le  témoignage  de  son  antiquité. 


C'est  un  parallélépipède  dont  la  base  a  50  mètres  de  côté  et  la  hau- 
teur 10  mètres.  Il  sert  de  soubassement  à  une  pyramide,  dont  le 
parement  extérieur  est  construit  en  belles  pierres  de  taille  en  gradins, 
comme  celles  des  pyramides  d'Egypte,  et  qui  devait  se  terminer  par 
un  monolithe.  La  hauteur  totale  du  monument  est  de  30  mètres.  Il 
est  orienté ,  et  la  face  tournée  vers  l'est,  sur  laquelle  devait  se  trou- 
ver l'entrée,  indique  par  des  éboulements  considérables ,  les  efforts 
que  l'on  a  tentés,  à  diverses  époques,  pour  pénétrer  dans  l'intérieur. 
La  pyramide  n'offre  pas  d'inscriptions;  mais  les  pierres  de  la  base  en 
sont  chargées. 

Le  deuxième  tumulus  est  absolument  semblable  au  premier,  quant 
à  la  forme,  mais  de  plus  petite  dimension;  il  ne  porte  aucune  in- 
scription. 

Le  troisième  monument,  situé  sur  une  colline  voisine,  présente 
un  rapport  frappant  avec  les  deux  autres.  Le  plateau  sur  lequel  il  est 


LES  TUMULUS  DE  DJEBEL  EL  AKHDHAR.  569 

construit  est  tout  entier  couvert  de  matériaux  éboulés  (1).  On  devait 
arriver  au  tumulus  par  un  vestibule  à  ciel  ouvert  ;  un  premier  escalier 
rachetait  la  pente  entre  la  partie  la  plus  basse  du  vestibule  et  la 
deuxième  enceinte  ;  mais  à  partir  de  celle-ci  commençait  un  deuxième 


I 


vestibule  couvert,  renfermé  dans  le  premier,  d'où  un  autre  escalier 
descendait  vers  le  monument.  Ces  deux  vestibules  furent  déblayés  et 
l'on  put  reconnaître  la  situation  des  lieux.  A  leur  point  de  jonction 
avec  les  murs  du  monument  se  trouvait  l'entrée  ;  elle  a  1  mètre 
50  centimètres  de  largeur  et  s'ouvre  sur  un  troisième  escalier  qui 
descend  par  une  pente  rapide  sous  le  monument  lui-même.  Cette 
ouverture  et  la  galerie  souterraine  ont  pu  être  examinées,  mais 
l'étranglement  de  cette  dernière  et  les  matériaux  qui  l'obstruaient  ren- 
dirent inutiles  les  efforts  que  firent  les  officiers  pour  y  pénétrer.  Ce- 
pendant une  excavation  qui  existait  sur  la  pyramide,  permit  à  un 
homme  qui  s'y  introduisit  de  reconnaître  les  annonces  de  deux  gale- 
ries se  dirigeant  à  droite  et  à  gauche  à  partir  de  la  galerie  princi- 
pale. Les  fouilles  ne  purent  en  enseigner  davantage  sur  la  disposi- 
tion intérieure  du  tumulus.  Quant  à  sa  construction  extérieure,  voici 
les  particularités  qu'elle  présente. 

Le  plateau  est  entouré  d'un  mur  en  bonne  maçonnerie,  flanqué 
de  quatre  tours  carrées.  Un  deuxième  mur,  beaucoup  plus  rapproché 
du  monument,  le  circonscrit  d'une  manière  régulière;  il  est  formé 
de  deux  parements  de  pierres  de  taille  de  grande  dimension,  par- 
faitement travaillés.  L'intervalle  entre  ces  deux  parements  est  com- 
blé par  une  excellente  maçonnerie  :  les  tours  offrent  la  même  na- 
ture de  construction ,  ainsi  que  le  parallélépipède  servant  de  sou- 

(1)  Cette  construction  a  la  plus  grande  analogie  avec  la  pyramide  de  Meydoun, 
au  midi  de  Sakkarah.  (Y.  Appendix  to  opérations  carried  on  ai  Ihe  pyramids  of 
Gizeh,  vol.  III,  p.  78.) 


570 


REVUE  ARCHEOLOGIQUE, 


bassement  à  la  pyramide.  Enfin  les  matériaux  qui  composent  la 
pyramide  elle-même  sont  réunis  entre  eux  par  un  ciment  solide,  dans 
lequel  sont  engagées  les  pierres  de  taille  disposées  en  gradins. 

Le  tumulus  ,  que  nous  venons  de  décrire,  diffère  donc  du  premier 
en  ce  qu'il  repose  sur  une  triple  base  dont  les  arêtes  et  la  majeure 
partie  sont  conservées.  Il  est  construit  sur  une  plate-forme  figurant, 


ainsi  qu'on  peut  le  voir  dans  le  plan  ci-dessus ,  exécuté  à  2  milli- 
mètres, un  long  rectangle  flanqué  aux  quatre  coins  de  constructions 
carrées;  sur  un  des  longs  côtés  du  rectangle  est  pratiquée  la  voie  qui 
conduit  à  l'entrée;  à  12  mètres  environ  de  distance  se  trouvent  les 
premiers  degrés  qui  conduisent  sur  la  plate-forme;  de  la  plate-forme  un 
second  degré  conduit  sur  la  seconde  base  ;  la  troisième  base  est  occu- 
pée dans  toute  sa  largeur  par  un  degré  en  haut  duquel  se  trouve  pra- 
tiquée l'entrée  qui  se  compose  de  fortes  assises  de  pierres  ;  les  deux 
d'en  haut  se  rapprochent  de  manière  à  donner  à  la  partie  supérieure 
la  forme  d'une  ogive  ouverte  par  sa  pointe  ;  de  chaque  côté  est  percé 


LES  TUMULUS  DE  DJEBEL  EL  AKHDHAR.  571 

un  trou  cylindrique ,  et  trois  assises  de  pierre  grandissant  graduelle- 
ment forment  le  gigantesque  linteau  de  cette  porte.  Il  est  très-inté- 
ressant de  retrouver  cette  sorte  d'ogive  dans  un  monument  africain 
bien  antérieur  sans  contredit  à  toutes  les  ogives  européennes.  Ne 
peut-on  pas  voir  là  en  quelque  sorte  le  germe  de  cette  architecture 
que  les  Maures  transportèrent  en  Espagne,  et  qui  a  eu  peut-être  sur 
le  style  des  monuments  de  l'Occident  plus  d'influence  que  l'on  ne 
s'est  jusqu'ici  accordé  à  lui  en  reconnaître? 

Malgré  la  petitesse  de  nos  dessins,  on  aura  pu  remarquer  sur  la 
base  du  premier  tumulus  les  inscriptions  qui  se  trouvent  réparties  au 
centre  de  chaque  pierre  de  taille.  Ce  sont  des  monogrammes  tant  soit 
peu  barbares,  de  courts  groupes  de  caractères  dans  lesquels  les 
lettres  romaines  se  mêlent  à  des  signes  qui  présentent  une  ressem- 
blance éloignée  avec  les  caractères  qui  se  voient  en  si  grand  nombre 
sur  les  rochers  du  mont  Sinaï  (1).  Quoi  qu'il  en  soit,  on  ne  saurait 
attacher  une  bien  grande  importance  à  des  inscriptions  si  peu  expli- 
cites. Ce  sont  ou  des  marques  qui  ont  servi  aux  ouvriers  à  désigner 
la  place  que  devaient  occuper  les  pierres,  ou  des  signes  indiquant  le 
nom  de  ces  mêmes  ouvriers ,  ou  bien  encore  des  signatures  abrégées 
laissées  par  des  visiteurs  ou  des  pèlerins  ;  il  serait  possible,  en  effet, 
que  de  même  que  les  stoupas  de  l'Inde  ou  les  dagobas  de  Ceylan ,  ces 
tumulus  africains  eussent  recouvert  des  corps  de  personnages  vénérés. 
On  sait  que  dans  le  même  pays  on  vient  actuellement  de  tous  côtés 
pour  rendre  hommage  aux  dômes  qui  servent  de  sépultures  à  des  ma- 
rabouts et  qui  sont  connus  sous  le  nom  de  qohhah.  Quant  aux  deux 
inscriptions  qui  se  trouvent  sur  les  faces  sud  et  nord  du  même  tu- 
mulus, elles  se  composent,  l'une  de  deux  lignes ,  l'autre  de  quatre, 
donnant  en  tout  une  trentaine  de  caractères  appartenant  à  un  alpha- 
bet inconnu.  Il  y  aurait  certainement  quelque  profit  pour  la  science 
à  tenter  le  déchiffrement  de  ces  deux  inscriptions;  mais  dans  tous  les 
cas  il  n'est  guère  probable  que  l'on  y  retrouve  le  canon  des  dynasties 
mauritaniennes  dont  M.  de  Montgravier  pense  que  les  noms  royaux 
existent  sur  ces  monuments.  Nous  croyons  que  l'opinion  de  Pompo- 
nius  Mêla  (2),  qui  désigne  le  Qobeur  er'  Roumiah  par  ces  mots  :  Mo- 
numenlum  commune  regiœ  gentis,  ne  repose  que  sur  une  tradition  sans 

(1)  Béer.  Sludia  asialica.  Leipsig,  1840-4°.  Inscriptiones  velereslitteris  et  lingua 
hucusqueincognitisad  montera  Sinaï  magno  numéro  servatae;  cum  tabulis  lithogra- 
phicis  XVI.  Ce  fascicule,  qui  offre  le  résultat  de  découvertes  pleines  d'intérêt, 
devait  être  suivi  de  plusieurs  autres  dont  la  mort  prématurée  de  Béer  nous  a  privés. 

(2)  L  YI,  10. 


672  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

preuve ,  et  que  le  nom  de  ce  tumulus  (  qu'il  faudrait ,  pour  plus 
d'exactitude  peut-être,  traduire  ipar tombeau  de  la  Romaine {i))  est 
un  indice  d'origine  comparativement  moderne. 

(1)  Il  est  évident  que  si ,  dans  le  langage  actuel ,  surtout  dans  l'acception  popu- 
laire ,  roumi  signifie  un  chrétien  ,  ce  mot  veut  dire  aussi  un  Romain  chez  les  habi- 
tants de  l'Afrique  septentrionale  ,  et  un  Grec  chez  les  Turcs  et  les  Arabes  de  Syrie. 
En  traduisant  Qobeur  er'  Roumiah  par  tombeau  de  la  chrétienne ,  les  voyageurs 
se  sont  donc  plutôt  appliqués  à  exprimer  l'idée  que  les  musulmans  actuels  attachent 
à  ces  mots,  que  le  sens  qu'ils  représentaient  dans  l'origine.  Le  grand  mausolée  cir- 
culaire de  Médrachem  a  pu  être ,  comme  le  monument  si  connu  de  Csecilia  Metella  , 
élevé  pour  quelque  Romaine  de  distinction. 

Adrien  de  Longpérier. 


EXTRAITS 

DES  DERMÉRES  LETTRES  DU  DOCTEUR  LEPSIUS. 


Nous  nous  empressons  de  donner  des  extraits  de  ces  lettres, 
publiées  le  mois  d'octobre  dernier  par  la  Gazette  universelle  de 
Prusse,  dans  la  persuasion  où  nous  sommes  que  tout  ce  qui  se  rat- 
tache au  voyage  scientifique  du  célèbre  professeur  allemand  est 
destiné  à  exciter,  parmi  les  lecteurs  de  la  Revue  Archéologique,  un 
vif  sentiment  d'intérêt  et  de  curiosité.  Dans  la  partie  de  ces  lettres 
que  nous  traduisons ,  nos  lecteurs  remarqueront  plusieurs  obser- 
vations intéressantes  relatives  aux  anciens  idiomes  de  ces  contrées. 
M.  Letronne  a  bien  voulu  mettre  quelques  éclaircissements  au  bas 
des  pages  de  cet  extrait. 

E.   V; 

Pyramides  de  Méroé ,  22  avril ,  et  Gebel  Barkal ,  3  mai. 

Étant  arrivés  le  même  jour,  un  peu  avant  le  coucher  du  soleil ,  à 
Begeranie,  nous  nous  sommes  dirigés,  à  cheval,  vers  les  Pyramides, 
et  nous  y  avons  retrouvé  tous  nos  compagnons  de  voyage  en  parfaite 
santé.  Abeken  a  passé  la  nuit  ici;  quant  à  moi,  j'ai  profité  du  clair  de 
lune  pour  retourner  vers  notre  barque,  que  j'ai  rejointe  à  minuit.  Le 
lendemain,  j'ai  fait  apporter  notre  bagage  aux  Pyramides. 

On  a  copié  avec  le  plus  grand  soin  kNaga  et  à  Ouadi-Sofra,  le 
costume  pompeux  des  dieux  et  des  rois,  qui  forme  la  décoration 
principale  des  temples  Ethiopiens,  monuments  ornés  avec  richesse, 
mais  dépourvus  de  style.  —  Reproduit  par  le  crayon ,  ce  costume 
est  d'un  elTet  remarquable,  et  contribuera  singulièrement  à  enrichir 
nos  portefeuilles.  —  D'activés  recherches,  dans  les  chambres  des 
pvramides,  remplies  de  décombres,  nous  ont  permis  de  faire  quelques 
découvertes.  Il  n'y  a  rien  de  certain.  Le  nom  de  Candace  ne  s'est  pas 
confirmé  (1),  à  moins  qu'on  n'admette  une  erreur  plusieurs  fois  répétée 
de  la  part  du  graveur  qui,  à  cette  époque  reculée,  devait  être  fort 

(1)  Ceci  se  rapporte  à  une  observation  faite  par  M.  Lepsius  dans  une  lettre  anté- 
rieure {Gaz.  univ.  de  Prusse  du  P'  juillet).  Il  croyait  avoir  lu  sur  un  bloc  le  nom 
de  Kentake,  qui  lui  paraissait  le  même  que  celui  de  Candace ,  porté  par  plusieurs 


674  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

ignorant.  Ainsi,  par  exemple,  le  signe  1i|F  n'a  point  d'appendice; 
une  fois  il  se  montre  avec  un  quadrilatère  au  milieu  >^,  ce  qui 
change  totalement  la  signification.  —  Le  nom  d'Ergamène  existe, 
sans  aucun  doute,  mais  il  ne  désigne  pas  le  roi,  comme  dans  l'his- 
toire (l).  Ce  nom  aura  été  usurpé  par  les  princes  Éthiopiens  venus 
plus  tard,  et  jaloux  de  se  faire  apppeler  comme  leur  glorieux  pré- 
décesseur (2). 


.  .  .  .  Depuis  mon  retour,  je  me  suis  occupé,  sans  relâche, 
des  Pyramides,  et  de  leurs  inscriptions,  j'ai  fait  fouiller  plusieurs 
chambres,  et  me  suis  appliqué  à  décrire  chaque  pyramide  avec 
exactitude. 

J'ai  trouvé  trente  noms  différents  de  rois  et  de  reines  de  l'Ethiopie, 
lesquels,  par  malheur,  ne  sont  point  disposés  dans  un  ordre  chrono- 
logique. La  suite  de  ces  inscriptions  fait  voir  quel  était  le  mode  de 
succession  au  trône,  et  la  forme  de  gouvernement.  Le  prince  dont 


remes Éthiopiennes.  (Simbon,  XVII,  p. 820,  821;— ^c«.  ^post.\U,  27.Cf.Ludolf, 
Comm.  ad  Hist.  /Elhiop.  p.  89  et  suiv.)  Il  remarquait  déjà  que  le  deuxième  K  lui 
semblait  fort  douteux  ;  et  il  espérait  que  bientôt  ce  doute  serait  éclairci  par  la  dé- 
couverte d'autres  exemples  de  ce  nom.  On  voit  que  son  espoir  ne  s'est  pas  réalisé. 

— L. 
(1)  Diodore  de  Sicile  fait  mention  d'un  roi  de  ^^  ft 

Méroé,  Erg  amené ,  qui  doit  avoir  été  contem-  ^ 
porain  de  Ptolémée  Philadelphe,  Jusqu'ici  or\f 
n'avait  trouvé  son  nom  qu'au  temple  de  Dekkeh 
ou  Pselcis  en  Nubie,  sous  la  forme  de  Erkmen 
ou  Erkamen  ,  dont  a  est  le  prénom  et  h  le 
cartouche  nom  propre,  qui  se  lit  :  Erkmen  tou- 
jours vivant,  aimé  d'Isis. 


La  découverte  du  nom  d'Erkamen  sur  les 
monuments  de  Méroé  est  un  fait  important ,  qui 
confirme  d'une  manière  remarquable  le  témoi- 
gnage de  Diodore.  La  présence  de  ce  même 
nom  sur  le  temple  égyptien  de  Dekkeii ,  dont 
Ergamène  paraît  avoir  commencé  la  construc- 
tion ,  comme  un  autre  roi,  Alharamon,  celle i 
du  temple  de  Debout,  en  Nubie ,  atteste  à 
Ptolémées,  la  basse  Nubie  était  au  pouvoir  des  rois  éthiopiens,  et  que  ces  rois  se 
servaient  de  l'écriture,  et  professaient  la  religion  égyptienne.  Ces  faits,  établis 
dans  mon  Recueil  des  Inscriptions  de  l'Egypte  (t.  I,  p.  12  et  39;  t.  II,  p.  220- 
228) ,  rcssortent  avec  évidence  des  nouvelles  observations  du  docteur  Lepsius-  —  L, 

(?)  Peut-être  que  le  nom  d'Erkamen  ou  Erkamon  a  été  porté  par   plusieurs 
princes  ;  comme  celui  de  Ptolémée  par  les  Lagides. 


que 


premiers 


EXPÉDITION  SCIENTIFIQUE  EN  EGYPTE.  675 

le  nom  est  inscrit  sur  la  pyramide  du  sud-ouest,  appelée  Mem 
onMeroua^  était  aussi  grand  prêtre  d'Ammon.  En  cas  de  mort,  sa 
femme  devait  s'emparer  de  l'autorité,  mais, à  la  condition  de  la  par- 
tager avec  l'héritier  môle  de  la  couronne,  qui  n'occupait  alors  que  la 
seconde  place  de  l'Etat.  Puis  le  fils  du  roi ,  qui  durant  la  vie  de  son 
prédécesseur  était  second  prêtre  d'Ammon ,  portait  le  bouclier  royal, 
et  prenant  le  titre  de  souverain,  devenait  enfin  seul  possesseur  de 
l'autorité  suprême. 

Les  inscriptions  d'un  grand  nombre  de  pyramides  démontrent  que  lors 
de  la  construction  de  ces  monuments  on  n'avait  plus  la  complète  intel- 
ligence des  hiéroglyphes ,  et  que  très-souvent  on  employait  ceux-ci 
dans  le  seul  but  de  décorer  un  édifice.  C'est  ce  qui  m'a  empêché , 
tout  d'abord,  de  reconnaître  quels  sont  les  trois  princes  qui  ont  érigé 
les  temples  de  iVa^a,  BenNagaei  Ouadi  Temed.  Je  suppose  seulement, 
et  avec  toute  probabilité,  qu'ils  appartiennent  à  la  plus  brillante 
période  de  l'empire  de  Méroé(l)-  —  Du  reste,  il  m'est  prouvé  que 
les  pyramides  où  se  trouvent  les  salles  voûtées  en  plein  cintre  ro- 
main ,  dans  lesquelles  Ferlini  a  découvert  un  trésor,  sont  l'œuvre 
des  rois  guerriers  et  puissants  que  l'on  voit  à  Naga^  avec  une  riche 
parure  et  des  ongles  pointus  d'un  demi-pouce  de  long,  ce  qui 
était ,  à  cette  époque,  comme  de  nos  jours,  la  marque  d'une  noble 
oisiveté. 

L'écriture  la  plus  usitée,  la  plus  généralement  connue  dans  ce 
temps,  c'était  une  écriture  ElMopico-Demotique,  analogue  à  l'écri- 
ture égyptio-démotique  d'oii  elle  a  tiré  la  plupart  de  ses  caractères, 
et  probablement  aussi  son  origine.  Son  alphabet,  très-peu  riche 
d'ailleurs ,  se  compose  de  quatorze  ou  quinze  signes  au  plus ,  qui  se 
Visent  comme  Y égyptio-démolique,  de  droite  à  gauche,  mais  en  sé- 
parant davantage  les  mots  à  l'aide  de  deux  points.  —  J'ai  recueilli 
vingt-six  inscriptions  démotiques,  soit  sur  des  stalles,  soit  sur  des 
tables  à  libation,  soit  dans  les  chambres  des  pyramides,  au-dessus  de 
ces  personnages  qui  vont  processionnellement  en  portant  des  palmes 
au-devant  des  rois  défunts ,  soit  enfin  sur  les  espaces  nus  des  pyra- 

(1)  Dans  une  lettre  antérieure ,  déjà  citée,  le  docteur  Lepsius  déclare  que  les 
plus  anciennes  sculptures  des  monuments  de  Méroé  remontent  tout  au  plus  au 
temps  des  premiers  Ptolémées.  Les  pyramides  ne  lui  paraissent  pas  plus  anciennes. 
C'est  la  théorie  que  j'ai  professée  dans  mes  cours  du  collège  de  France,  où  j'ai 
toujours  soutenu,  contre  l'opinion  d'Hoskins  (Travels  in  jElhiopia,  p.  73  et  suiv.), 
que  les  monuments  de  Méroé  sont  postérieurs  aux  temps  pharaoniques.  Je  me  fon- 
dais sur  le  style  des  sculptures ,  sur  le  mode  de  bâtisse ,  et  sur  l'époque  évidemment 
récente  des  objets  précieux  trouvés  par  Ferlini  dans  une  des  pyramides. 


576  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

mides ,  et  la  disposition  de  ces  inscriptions  m'autorise  à  dire  qu'elles 
ne  sont  point  d'une  date  postérieure  aux  représentations  qu'elles 
accompagnent. 

Des  recherches  plus  approfondies  nous  mettront  peut-être  à  même 
de  déchiffrer  cette  écriture  avec  moins  de  difficulté,  et  nous  saurons 
ainsi  quels  étaient  les  signes  phonétiques  de  la  langue  que  parlaient 
alors  les  Éthiopiens.  Il  y  a  là  un  moyen  de  s'éclairer  sur  les  rapports 
réels  de  cette  môme  langue  avec  la  langue  égyptienne.  Et  ceci  mé- 
rite avec  d'autant  plus  de  raison  d'être  signalé  que,  jusqu'à  ce  jour, 
la  similitude  presque  parfaite  des  hiéroglyphes  de  l'Egypte  et  de 
l'Ethiopie  n'a  pas  suffi  pour  démontrer  l'étroite  relation  des  deux 
idiomes  :  même  on  pouvait  [croire,  ce  qui  d'ailleurs  ne  saurait  être 
l'objet  d'un  doute,  en  ce  qui  concerne  la  dernière  époque  de  Méroé, 
qu'en  Ethiopie  on  employait  les  hiéroglyphes  sans  modification  au- 
cune ,  et  uniquement  parce  que  c'était  l'écriture  monumentale  et  re- 
ligieuse de  l'Egypte. 

La  répétition  des  mêmes  signes ,  en  même  temps  qu'elle  aide  à  dé- 
chiffrer cette  écriture,  prouve  aussi  qu'elle  est  alphabétique  :  quant 
au  mode  de  séparation  des  mots ,  il  est  peut-être  emprunté  aux  in- 
scriptions romaines.  Du  reste,  l'analogie  devient  encore  plus  marquée 
si  on  envisage  les  changements  apportés  par  le  temps  dans  les  deux 
écritures  ;  ainsi  l'écriture  éthiopico- démotique  devient  plus  tard  élhio- 
pico-grecqae ,  et  par  là  se  rapproche  de  l'écriture  copte  à  laquelle 
nous  lui  voyons  faire  quelques  emprunts.  On  remarque,  en  effet ,  six 
caractères  coptes,  sans  compter  quelques  noms  propres,  dans  les 
inscriptions  trouvées  à  Soha  et  sur  les  murs  des  temples  minés  de 
Ouady-Sofra. 

Comme  en  Egypte,  nous  avons  deux  écritures  empruntées  sans 
doute  l'une  de  l'autre,  et  qui  contiennent  le  dialecte  local,  propre- 
ment éthiopien.  Nous  observerons ,  en  passant,  qu'on  se  tromperait, 
si  on  confondait  l'éthiopien,  qui  n'est  qu'un  dialecte  sémitique,  avec 
l'ancienne  langue  gées  abyssinienne.  J'ai  aussi  trouvé,  dans  la  chambre 
d'une  des  pyramides,  une  inscription  en  purs  caractères  gees ,  qui  a 
été  évidemment  tracée  à  une  époque  récente.  Nous  possédons  l'ori- 
ginal de  l'inscription  latine  de  Ouady-Sofra,  copiée  (l),  en  partie, 

(1)  Dans  la  copie  de  Caîlliaud  ,  la  première  ligne  de  cette  inscription  manquait; 
et  il  était  impossible  de  la  restituer.  Le  premier  mot  paraissait  être  VICINA.  Il  n'y 
avait  rien  après  le  quantième.  La  copie  du  docteur  Lepsius  permet  de  lire,  sans  nul 
doute ,  les  lignes  qu'il  a  données  ;  il  est  bien  dommage  que  le  savant  voyageur 
n'ait  rien  aperçu  au  delà  du  nom  de  Tacilus,  qui  a  dû  être  suivi  de  quelque  qua- 
lification. 


EXPÉDITION  SCIENTIFIQUE  EN  EGYPTE.  677 

par  Cailliaud,  et  complétée  parLetronne.  La  voici  dans  son  entier: 

BONA  .  FORTVNA  (1) .  DOMINiE 

REGINiE  .  IN  .  MVLTOS  .  AN  . 

NOS  .  FELICITER  .  VENU 

E  .  VRBE  (2) .  MENSE  .  APR  . 

DIE  .  XVIII  .  TACI 

TVS  . 

Du  reste,  le  nom  placé  à  la  fin  laisse  quelques  doutes  :  le  dernier 
jambage  du  chiffre  est  si  voisin  du  T  qu'on  croirait  plutôt  qu'il  s'unit 
à  cette  lettre  pour  former  un  FI  grec  (3). 

L'étude  des  inscriptions  indigènes,  jointe  à  celle  de  la  langue 
usuelle,  pourra,  je  l'espère,  jeter  quelque  lumière  sur  les  rapports 
mutuels  des  peuples  de  l'Ethiopie.  Le  nom  d'Éthiopien ,  qui  avait 
chez  les  anciens  des  acceptions  très-diverses ,  marquait  surtout  la  sé- 
paration d'avec  la  race  nègre.  Les  antiques  habitants  de  toute  la  val- 
lée du  Nil,  et  ceux  des  rives  du  Nil  Bleu,  à  l'exception  du  petit  coin 
de  terre  de  Fazogloii,  et  les  peuplades  du  désert ,  à  l'est  du  Nil,  ainsi 
que  les  Abyssins,  différaient  encore  plus  des  nègres  que  maintenant,  à 
raison  de  leur. origine  caucasienne.  Les  Éthiopiens  deMéroé,  le  ber- 
ceau de  ces  peuples,  selon  les  anciens,  avaient,  comme  aujourd'hui, 
la  peau  d'un  rouge-brun,  semblable  à  celle  des  Égyptiens,  mais  un 
peu  plus  foncée,  comme  encore  maintenant.  Cette  observation  se 
trouve  confirmée  par  les  monuments  sur  lesquels  j'ai  remarqué  plus 
d'une  fois,  dans  les  figures  des  rois  et  des  reines ,  la  teinte  rouge  des 
chairs.  En  Egypte,  dans  ces  temps  reculés  qui  précèdent  l'union  de 
ce  pays  avec  l'Ethiopie,  dans  la  période  des  Hycsos,  les  artistes 
donnèrent  aux  chairs  des  femmes  cette  teinte  jaune  que  l'on  aperçoit 

(1)  BONA.  FORTUNA.  est  singulier,  siée  n'est  pas  une  faute.  Le  sens  est  sans 
doute  Pro  bonâ  forlunà.  Les  mots  Dominœ  reginœ  sont  à  remarquer.  S'agU-il 
d'une  impératrice  romaine,  pour  laquelle  le  voyageur  fait  des  vœux  au  terme  de 
son  voyage?  ou  bien  celte  reine  n'est-elle  que  la  Souveraine  du  pays ,  qui  régnait 
lors  du  voyage  de  Tacitus?  c'est  ce  que  je  ne  déciderai  pas.  Je  penche  toutefois 
pour  la  seconde  hypothèse.  Il  me  semble  que  notre  Romain  ne  pouvait  manquer 
de  dire  le  nom  de  l'impératrice.  Ce  serait  là  un  indice  à  l'appui  de  tant  d'autres, 
qui  montrent  que  le  sceptre  de  l'empire  de  Méroé  tombait  souvent  en  quenouille. 

Pourquoi  donc  ce  Tacilus ,  qui  a  si  bien  précisé  le  mois  et  le  jour,  ne  nous  a- 
l-il  pas  dit  \ année  de  son  voyage  ?  c'est  par  là  qu'il  aurait  dû  commencer.— L. 

(2)  Il  est  incertain  si  Urhs  désigne  \ç\Rome,  et  non  Alexandrie  qui,  en  Egypte, 
s'appelait  aussi,  par  excellence,  Urbs  et  rjTzàhq. — L. 

(3)  Rien  de  si  commun  que  cette  proximité  du  chitTre  avec  le  nom  suivant.  II  y 
a  donc  peu  de  doute  à  former  sur  le  nom  de  Tacitus.  L'absence  du  prénom  in- 
dique une  époque  récente. 


578  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

encore  à  présent,  mais  plus  fortement  indiquée  chez  les  Égyptiennes, 
qui  s'étiolent  dans  les  harems.  A  partir  de  la  18'  dynastie,  on  em- 
ploya des  tons  rouges  pour  les  figures  de  femmes ,  et  il  est  hors  de 
doute  que  cet  usage  n'a  pas  varié  depuis ,  à  l'égard  des  Ethiopiennes. 

Il  paraît  que  c'est  dans  les  veines  de  la  race  berbère ,  plus  nom- 
breuse qu'autrefois,  qu'il  faut  chercher  le  vieux  sang  éthiopien.  De 
plus ,  la  langue  de  ce  peuple  peut  être  d'une  très-grande  utilité  pour 
nos  études.  C'est  sans  doute  l'ancienne  langue  nubienne  y  qui  s'est 
même  conservée  sous  ce  nom  dans  quelques  localités  éloignées,  situées 
du  côté  de  l'ouest,  oii  les  débris  du  peuple  nubien  trouvèrent  un 
asile  au  moyen  âge.  Ajoutons  qu'au  sud  et  au  nord  du  Cordofan  la 
langue  nubienne  a  de  grands  rapports  avec  la  langue  berbère. 

Les  noms  de  pays  fournissent  aussi  la  preuve  que  la  langue  ber- 
bère ou  nubienne ,  qui  se  parle  depuis  ^550Man  jusqu'à  Schaikie,  au 
sud  de  Dongola,  là  où  le  fleuve  forme  une  courbe ,  a  été  adoptée  dans 
les  provinces  berbères  de  l'île  de  Méroé.  Les  réponses  des  fakirs  à 
mes  nombreuses  questions  m'ont  prouvé  que  les  noms  de  villages  re^ 
cueillis  par  Cailîiaud  n'ont  point  été  changés.  On  trouve  sur  les  bords 
du  fleuve,  à  très-peu  de  distance  des  ruines  de  Méroé,  dans  la  direction 
du  sud,  d'abord  Marouga,  puis  Danghileh,  puis  Es  Sour.  Or,  comme 
ces  localités  sont  comprises  toutes  trois  sous  la  dénomination  de  Bé- 
géranie,  il  en  est  résulté  que,  dans  le  langage  usuel,  on  emploie  le 
plus  souvent  ce  dernier  nom.  A  cinq  minutes  au  nord  d*Es'  Sour,  on 
trouve  le  village  de  Galleh,  et  à  dix  minutes  plus  loin  El  Gnes,  por- 
tant tous  deux  le  nom  de  Xabine  (j'exprime  par  le  X  le  ch  doux).  A 
une  heure  au  nord,  on  aperçoit  les  deux  villages  de  Marouga,  peu  dis- 
tants l'un  de  l'autre,  et  déjà  abandonnés  avant  la  conquête,  et,  un  peu 
plus  à  l'ouest,  à  l'endroit  où  les  montagnes  font  saillies  sur  le  fleuve, 
on  voit  un  troisième  village,  que  l'on  nomme  le  village  (de  la  Mon- 
tagne). 

Cailîiaud  ne  connaît  que  le  plus  méridional  des  Trois-Marouga,  situé 
près  des  ruines  du  plus  grand  des  temples  ruinés  de  Méroé.  Ce  nom 
de  Maroao-a,  qui  l'a  frappé  à  cause  de  son  analogie  avec  celui  de  Mé- 
roéf  l'aurait  frappé  bien  davantage  s'il  avait  su  que  Marou  est  ici  la 
véritable  dénomination  ,  et  que  le  ga  est  tout  simplement  une  forme 
de  substantif  ou  de  l'adjectif  que  l'on  ajoute  ou  que  l'on  supprime, 
suivant  que  la  grammaire  l'exige,  et  qui  n  a  aucune  valeur  dans  cer- 
tains mots.  En  outre,  le  ga  final  des  dialectes  de  Malass  et  à^Soucot 
se  change  en  ghi  dans  le  dialecte  de  Kenous  et  de  Dongola. 
Lorsque,  avec  notre  domestique  6er6ère,  j'examinai  les  noms  divers 


EXPÉDITION   SCIENTIFIQUE   EN  EGYPTE.  579 

des  localités,  j'appris  que  Maro  ou  Marogi  dans  un  dialecte,  et  Marou 
ovi  Marouga  dans  l'autre,  désignent  une  terre  antique,  une  colline  dé- 
gradée, un  temple  détruit.  Marogi  est  le  nom  des  ruines  de  l'ancienne 
ville  de  Syène ,  et  de  celle  de  l'île  de  Philœ.  Du  reste,  ce  mot  diffère 
entièrement  d'un  autre  mot  berbère,  de  if eroaa  qui  se  prononce  aussi 
Meraoai,  et  par  lequel  ils  désignent  ce  qui  frappe  les  regards  :  une 
roche  blanche,  une  pierre  blanche,  un  vieux  château  blanc  à  l'appa- 
rence. Par  exemple,  on  indique  ,  dans  le  dialecte  berbère,  par  le  nom 
ù'Abe  n-Àrli,  c'est-à-dire  l'île  à'Àbe,  une  roche  blanche,  située  dans 
le  voisinage  d'Assouan,  sur  la  rive  occidentale  du  Nil,  proche  d'un 
village  nommé  El  Djéziret,  l'Ile ,  bien  qu'ici  il  n'y  ait  point  d'île.  On 
remarquera  d'ailleurs  que  de  même  que  l'arabe ,  le  berbère  renverse 
l'ordre  naturel  dans  les  compositions  des  mots.  C'est  ainsi  que  l'île 
à'Argo,  El  Djéziret  Argo,  se  nomme  en  berbère ,  Argo-n-Ar(i  ou  Argo- 
n-Artigi,  Argo  l'île  ,  et  que  l'île  de  Philae  que  les  Arabes  appellent 
Kasr-Erinas-el-Oadjoudy  le  château  des  hommes  d'Oudjoud,  est  dé- 
signée par  les  mots  Birbe-n-Ard ,  le  Temple-Ile,  c'est-à-dire  l'île  du 
Temple. 

En  somme,  il  est  clair  que  le  mot  àeMaroiiga  n'a  rien  de  commun 
avec  Méroé,  car  on  ne  donne  pas  le  nom  de  Clté-des-Raines  à  une 
ville  que  l'on  fonde. Celui  de  Meroua^onàe  Maraoui  (la  roche  blan- 
che), serait,  au  contraire,  fort  applicable  dans  certaines  circonstan- 
ces ,  et  conviendrait ,  par  exemple ,  à  une  ville  située  près  du  mont 
Burkal;  mais  ce  n'est  pas  ici  le  cas 

De  Naga  on  n'a  rien  pu  emporter  dans  le  désert  à  cause  de  la  diffi- 
culté des  transports  ;  joint  à  cela  qu'en  ce  moment  je  ne  me  trouvais 
pas  sur  les  lieux.  Nous  avons  remarqué  ici  plusieurs  objets  dignes  d'in- 
térêt, entres  autres  une  figure  assise  de  face,  dont  une  couronne  radiée 
surmonte  l'ondoyante  chevelure.  Cette  figure  élève  le  bras  gauche  à 
angle  droit,  en  dirigeant  vers  le  ciel  le  doigt  indicateur  et  le  doigt  du 
milieu,  absolument  comme  le  Christ  des  artistes  byzantins  (l),  tandis 

(1)  Ce  fait  très-curieux conOrme  ce  que  j'ai  avancé,  il  y  a  déjà  quinze  ans,  en 
recherchant  par  quelle  voie,  et  à  quelle  époque,  la  langue  grecque  s'était  introduite 
en  Nubie,  jusqu'à  Méroé;  j'ai  dit  alors  qu'on  ne  trouve  aucune  inscription  grecque 
païenne  au  delà  de  Meharrakah  (l'anc.  Hiera-Sycaminos  Mém,  de  VAcad.  des 
Inscriptions,  t.  X;  Matériaux  pour  V Histoire  du  Christianisme ,  p.  56-58); 
fait  que  les  observations  de  M.  Lepsius  (exposées  dans  ses  lettres  antérieures)  ont  déjà 
confirmé  ;  j'ai  ajouté  que  toutes  celles  qu'on  a  rencontrées  plus  haut  sont  de 
l'époque  chrétienne ,  sauf  peut-être  quelque  proscynème  d'un  voyageur  isolé,  comme 
l'inscription  de  Tacitus.  Enfin,  j'ai  montré,  d'après  divers  indices  qui  m'ont  semblé 
palpables ,  que  tout,  dans  les  inscriptions  chrétiennes  et  les  débris  d'églises  qu'on 
trouve  en  ces  contrées ,  portant  l'empreinte  évidente  de  l'influence  byzantine , 


580  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

que  de  la  droite  elle  appuie  sur  la  terre ,  à  peu  près  comme  saint 
Jean-Baptiste,  un  long  bûton.  Cette  figure,  si  peu  dans  l'habitude  de 
l'art  égyptien ,  a  été  sans  doute  apportée  ici.  11  doit  en  être  de  même 
d'une  autre  figure  d'un  caractère  moins  nouveau.  Celle-ci  qui ,  par 
son  aspect,  rappelle  un  Jupiter  romain,  porte  une  barbe  avec  de  belles 
boucles.  La  fusion  des  deux  religions  fut  si  étroite  dans  les  derniers 
temps  que  je  ne  serais  point  étonné  si  des  recherches  ultérieures  ve- 
naient établir  que  les  rois  d'Ethiopie  donnèrent  place  parmi  leurs 
dieux  à  Jupiter  et  au  Christ...... 

Nous  avons  accompli  le  voyage  du  désert;  le  premier  jour,  accom- 
pagné d'un  guide  et  d'un  domestique ,  je  suis  allé  visiter  à  cheval  les 
pyramides  de  Nouri,  afin  de  voir  par  moi-même  s'il  y  avait  là  matière 
à  nos  recherches.  Notre  retour  sur  les  rives  du  tleuve  a  précédé 
d'une  nuit  l'arrivée  de  nos  amis.  J'ai  trouvé  à  une  lieue  du  Nil,  dans 
la  vallée  d'Aboukom,  les  ruines  d'un  ancien  cloître,^.et,  au  milieu  des 
débris  de  l'église  de  la  communauté ,  un  grand  nombre  d'inscriptions 
grecques  et  coptes.  A  la  vérité,  celles  du  côté  du  sud  sont  déjà  con- 
nues. Comme  je  n'avais  rien  emporté  avec  moi ,  j'ai  eu  la  pensée  de 
revenir  pour  voir  plus  attentivement  ce  qui  a  le  moins  soull'ert.  Plu- 
sieurs de  ces  inscriptions  sont  gravées  sur  la  pierre,  d'autres  sont  tra- 
cées sur  des  plaques  d'argile  passées  au  feu.  Un  examen  plus  appro- 
fondi nous  donnera  des  renseignements  plus  étendus  sur  ce  cloître 
dont  il  existe  encore  de  nombreuses  ruines. 

Les  pyramides  àe  Nouri,  presque  entièrement  détruites  ou  perdues 
dans  le  sable ,  n'offrent  plus ,  du  moins  aujourd'hui,  aucune  trace  de 
salles  intérieures,  ni  même  de  sculptures;  aussi  n'avons-nous  ici  rien 
à  faire.  Tenter  des  fouilles  serait  inutile  à  cause  du  grès  dont  ces 
monuments  sont  construits ,  car  le  seul  contact  de  l'air  suffit  pour  le 
réduire  en  poussière. 

aUcsle  les  relations  constantes  qui ,  même  après  la  conquête  des  Arabes,  unirent  la 
Nubie  chrétienne  avec  les  patriarcats  d'Alexandrie  et  de  Conslanlinople. 

Toutes  ces  vues,  qui  ne  reposaient  alors  que  sur  un  certain  nombre  défaits, 
sont  à  présent  confirmées  par  les  remarques  du  docteur  Lepsius.  L'influence  byzantine 
se  montre  dans  le  Christ  de  Naga.  Je  ne  doute  pas  qu'elle  ne  se  montre  aussi  dans 
tous  les  autres  vestiges  du  christianisme  primitif  que  ce  savant  voyageur  aura 
recueillis,  et  que  nous  connaîtrons  plus  tard.  —  L. 


DES  DIVINITES 

ET    DES    GÉNIES    PSYGHOPOMPES 

DANS  L'AI\TI<,>UITÉ  ET  AU  MOYEN  AGE  (1). 

SECOND  ARTICLE. 

Nous  avons  constaté  la  croyance  à  des  esprits  conducteurs  des 
âmes  durant  tout  le  cours  du  moyen  âge  ;  nous  avons  retrouvé  ensuite 
cette  même  croyance  chez  les  Hébreux,  auxquels  les  chrétiens  l'avaient 
empruntée,  en  partie  du  moins.  11  nous  reste  à  poursuivre  la  recher- 
che des  idées  analogues  qui  peuvent  s'offrir  chez  d'autres  peuples  ; 
ces  rapprochements  nous  permettront  de  reconnaître  si  la  doctrine  des 
génies  psychopompes  ne  se  lie  pas  à  tout  un  système  théogonique  qui, 
sorti  de  l'Asie,  a  rayonné  en  différentes  directions,  s'est  incorporé  aux 
religions  de  divers  peuples,  en  conservant  toutefois ,  dans  cette  fu- 
sion, la  plus  grande  partie  de  ses  premiers  linéaments.  En  un  mot, 
nous  devons  examiner  si  toutes  ces  croyances  n'émanent  pas  d'une 
source  commune,  ne  sortent  pas  d'une  même  contrée,  de  celle  oii  l'es- 
prit de  Fhomme  s'est  éveillé  pour  la  première  fois  à  la  pensée  de 
l'autre  vie.  Il  y  a  dans  cette  étude  quelque  chose  qui  intéresse  à  la 
fois  le  philosophe  et  l'antiquaire,  l'érudit  et  le  penseur.  Démêler  la 

(i)  On  se  demandera  peut-être  pourquoi  nous  avons  intitulé  ce  travail  :  desDm- 
nilés  psychopompes.  Les  anges,  dira-l-on ,  n'étaient  pas  des  divinités;  les  Grecs 
refusaient  le  nom  de  dieux  à  leurs  démons.  En  adoptant  ce  mot,  nous  lui  avons 
restitué  son  sens  véritable.  Divinité  n'a  pas  toujours  voulu  dire  le  dieu  suprême,  dieu 
au-dessus  duquel  rien  n'existe,  dieu  tout-puissant,  la  divinité  n'a  été  pour  tous  les 
peuples  de  l'antiquité ,  dans  son  acception  générale,  qu'un  être  supérieur  à  l'homme, 
à  l'existence  duquel  celui-ci  croit ,  qu'il  invoque  ou  qu'il  conjure.  C'est  en  adoptant 
ce  sens  du  mot  divinité  ,  qu'il  est  permis  de  dire  que  les  Égyptiens  ,  les  Indiens ,  les 
Grecs  adoraient  plusieurs  divinités,  plusieurs  dieux.  Autrement  il  faudrait  recon- 
naître en  eux  des  Monothéistes,  ce  qui  n'est  pas  vrai  absolument.  Les  anges  et 
les  diables  du  christianisme,  entendus  dans  ce  sens,  sont  donc  de  véritables  divi- 
nités. C'est  au  fond  ce  qui  ressort  des  définitions  adoptées  par  les  Pères  eux- 
mêmes  :  O  6zbi  W5  àpy^Yj  twv  leyofxé-juv  ôswv,  à'/'/eiwv  fvifJ-l  xoù  à'jOpd^TZuv  Si/.xiwj,  écrit 
saint  Maxime,  S'chol.  in  S.  Dionys.Ar.  Cœlest.  hierarch.  c  1,  p.  7,  éd.  Corder.; 
elOrigènedit  d'une  façon  plus  explicite  encore  :  «  Angeles  igilur  quibus  regendas 
«  gentes  commisit  Excelsus,  vel  deos  appellari  et  dominos  constat:  deos  quasi  a 
«  Deo  datos  et  dominos  quasi  a  Domino  sortit!  sint  potestatem.  Unde  et  Dominus 
«  dicebat  ad  angelos  qui  non  servaverunt  suum  principatum  :  Ego  dixi,  dii  estis  et 
«  fîlii  excelsi  omnes,etc.  »  Hom.  in  Exod.  ap.  Oper.  éd.  Delarue ,  t.  Il ,  p.  157. 
I.  '    38 


682  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

filiation  des  dogmes,  la  parenté  des  monuments  qui  les  peignent  aux 
yeux,  et  cela  dans  une  matière  qui  se  rattache  à  l'éternel  problème  de 
notre  destinée,  c'est  servir  à  la  fois  plusieurs  causes,  c'est  agrandir  le 
domaine  de  l'archéologie ,  en  transportant  sur  son  terrain  les  plus 
hautes  questions  qui  puissent  préoccuper  notre  intelligence.  Cepen- 
dant c'est  avec  une  certaine  timidité  que  nous  allons  proposer  nos 
idées;  nous  sentons  combien  notre  curiosité  va  paraître  indiscrète  à 
ceux  qui  ne  veulent  pas  aller  au  delà  de  l'inscription  gravée  sur  la 
pierre  tumulaire,  et  qui  craignent  qu'on  ne  soulève  celle-ci,  pour  cher- 
cher quels  restes  elle  dérobe  aux  regards.  Pour  les  antiquaires,  esti- 
mables et  savants  d'ailleurs ,  qui  croient  que  dans  les  travaux  archéolo- 
giques, il  faut  s'arrêter  à  la  description  approfondie  du  monument , 
et  ne  point  s'occuper  ensuite  de  la  pensée  sous  l'empire  de  laquelle 
s'est  élevé  ce  monument  lui-même,  le  genre  des  études  auxquel- 
les nous  nous  livrons  ne  saurait  convenir.  Ces  archéologues  s'en 
tiennent  prudemment  à  la  lettre ,  de  l'examen  de  laquelle  ils  tirent 
tout  ce  qu'ils  peuvent  tirer,  mais  sans  jamais  franchir  l'espace  qui  les 
sépare  du  monde  des  idées.  Nous  n'ayons  pas  cette  prudence ,  et  le 
désir  d'arriver  à  des  solutions  d'un  ordre  plus  élevé,  à  des  considéra- 
tions d'une  utilité  plus  réelle,  nous  a  rendu  moins  réservé.  A  ceux- 
là  seuls  nous  nous  adressons,  qui  joignent  l'indépendance  de  la  pensée 
à  une  plus  haute  opinion  de  l'archéologie,  de  la  symbolique;  toute- 
fois ce  n'est  ni  une  dissertation  métaphysique,  ni  un  écrit  de  contro- 
verse et  de  polémique,  que  nous  présentons  au  lecteur,  ce  sont  des 
rapprochements  de  faits  de  la  nature  de  ceux  que  se  sont  permis,  en 
tout  temps,  les  antiquaires,  quoique  la  classe  à  laquelle  ces  rappro- 
chements-ci appartiennent  ait  été  rarement  l'objet  de  leur  attention, 
de  leur  examen  raisonné. 

Nous  avons  exclu  de  nos  recherches  tout  ce  qui  aurait  pu  offrir  un 
caractère  purement  hypothétique ,  et  les  inductions  auxquelles  nous 
avons  été  amené,  sont  celles  auxquelles  aurait  été  invinciblement  con- 
duite toute  personne  qui,  sans  prévention  antérieure,  sans  système 
adopté  d'avance,  aurait  étudié  la  question.  Et  cependant,  nous  Je 
répétons,  ce  n'est  encore  qu'avec  une  extrême  réserve,  en  protestant 
contre  toute  conséquence  tirée  de  ce  travail  qui  aurait  pour  effet  de 
nous  attribuer  un  but  que  nous  ne  poursuivons  pas,  une  doctrine  de 
négations  qui  est  loin  d'être  la  nôtre ,  que  nous  entreprenons  cette 
investigation  attentive  de  croyances  pieuses  et  naïves  qui  achèvent 
d'expliquer  les  monuments  dont  nous  avons  traité  dans  notre  premier 
article. 


DES   DIVINITES   ET   DES    GENIES   PSYCHOPOMPES.  583 

L'antiquité  grecque  présente  un  système  de  divinités  psychopompes 
fort  analogues  aux  anges  des  chrétiens  du  moyen  âge.  C'est  d'abord 
Mercure,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  en  traitant  de  la  psychostasie , 
et  qui  s'oflre  à  nous  précisément  sous  les  couleurs  qu'on  a  attribuées 
aux  anges  et  aux  démons.  Homère  lui-môme  appelle  Hermès  du  nom 
que  les  néophytes  de  la  Grèce  donnaient  aux  esprits  célestes ,  il  le 
nomme  kyyzloc,  àôavarwv.  Comme  les  anges,  ce  dieu  mène  les 
âmes  des  morts,  dàcjù.cc  y.a^-ovroiVf  il  conduit  dans  le  sein  des  immor- 
tels les  héros,  c'est-à-dire  les  justes  qui,  à  l'instar  d'Hercule  et  de 
Pollux,  ont  obtenu  par  leurs  vertus,  de  s'asseoir  à  côté  des  dieux  : 

Hac  arle  Pollux  et  vagus  Hercules 
Enisus  arces  atligit  igneas  -, 
Quos  inler  Auguslus  recumbens 
Purpureo  Mbit  ore  nectar, 

Horat.  Od.  3.  lib.  HI. 

Comme  les  diables ,  il  conduit  aux  enfers  ceux  auxquels  leurs  ac- 
tions coupables  ont  mérité  des  châtiments. 

Oç  '^U/^àç  ôvoTwv  y.arayst;  itTzb  'jiprspoc  yuir,; 

Oç  TTaoà  ÏUp(7Z(f6'j'cç  tepôv  oôu.o-j  at/œnTro/j^si; 
Atvoaôootç  •^■'j^oc.ï^  TTOt/Tro;  zaTà  y(x,ïcx.'j  ÛTrap^wv. 

Orph.  IJymn,  LYII  (  sive  LVI) ,  p.  323  ,  éd.  Hermann. 

En  lisant ,  au  sujet  de  Mercure ,  ces  mots ,  dans  Lucien ,  dQpoov^ 
oc'jTov'ç  xTi  p^cêc^w  aoêcov  (1),  nesereprésente-t-on  pas  ces  diables  qui, 
dans  les  bas-reliefs  des  jugements  derniers  de  nos  cathédrales,  chas- 
sent devant  eux  la  foule  innombrable  des  damnés  : 

Dal  vecchio  ponte  guardavam  la  traccia 
Chc  venia  verso  noi  daU'altra  banda 
E  che  la  ferza  similmenle  schiaccia. 

Infern.  XVIII. 

a  dit  le  Dante ,  en  nous  décrivant  un  tableau  de  ce  genre ,  dans  son 
immortelle  épopée. 

La  jeunesse  du  dieu  psychopompe  des  grecs,  sa  blonde  chevelure, 
ses  ailes,  sa  baguette,  tout  rappelle  les  attributs  que  les  peintres 
chrétiens  ont  donnés  aux  anges  messagers  du  Très-Haut  (2). 

(1)  Lucian.  Catapl.  c.  3. 

(2)  Cf.  sur  le  costume  des  anges,  S.  Gregor.  Naz.  Oral.  XXIII,  25;  et  surtout 
l'excellent  ouvrage  du  docteur  J.  Chr.  Wilh.  Augusli,  intitulé  :  Denkwurdigkeiten 
aus  der  Chrisllichen  jirchœologie,  t.  XII,  p.  266  et  suiv. 


684  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Un  lien  nouveau  rattache  Mercure  à  ces  mêmes  génies  bienfai- 
sants ,  ce  sont  ses  fonctions  d'évocateur  des  ombres,  de  K-npvl  chargé 
de  rappeler  dans  les  corps ,  les  âmes  qui  ont  accompli  une  première 
expiation.  Cette  croyance  était  empruntée  au  dogme  égyptien  de  la 
métempsycose.  Lorsque  les  âmes  avaient  expié  leurs  crimes  dans  les 
enfers,  effacé  leurs  souillures  terrestres,  elles  revenaient  sur  terre  ac- 
complir une  seconde  existence,  et  c'était  Mercure  qui  les  ramenait  à 
la  vie  ;  il  est  le  dieu  auquel  Virgile  h\t  allusion  lorsqu'il  dit  : 

Has  omncs  ubi  mille  rolam  volvere  per  annos 
Lelhœum  ad  ftuvium  Deus  evocat  agminc  magno. 

Mneid.  VI,  744-749. 

C'est  ce  môme  Hermès  qui  conduit  les  âmes  au  fleuve  Léthé,  dont, 
selon  Platon,  les  eaux  ont  la  propriété  de  faire  oublier  les  faits  de 
l'existence  antérieure  (1).  Pythagore  enseignait  que  cette  divinité  qui 
exerce  son  autorité  sur  les  âmes,  ramenait  celles  qui  sont  pures  dans 
les  régions  supérieures  et  livrait  les  impures  aux  Érinnyes  pour  les 
enchaîner  (2). 

Hermès  présidait  à  la  naissance,  ainsi  qu'à  la  mort  ;  et  il  apparaît 

plusieurs  fois  sur  les  monuments,  comme  divinité  généthliaque.  C'est 

ainsi  que  nous  le  voyons  recueillir  le  jeune  dieu  Bacchus,  au  moment 

oii  il  vient  au  monde,  le  conduire  sur  les  flancs  du  mont  Nysa  (3), 

prendre  Pandore  naissante  des  mains  d'Épiméthée  (4),  et  porter  par 

ses  ailes  de  papillon,  la  symbolique  Psyché  (5).  Mercure  figure  à  la 

fois  le  dieu  qui  conduit  les  âmes  au  séjour  des  morts  et  celui  qui  les 

ramène  la  vie.  C'est  bien  là  celui  dont  Virgile  a  dit  : 

Has  animas  ille  evocat  Orco 
Pallentes ,  alias  sub  trislia  Tarlara  millit. 

JEneid.  IV,  242-243. 

Mercure,  qui  ramène  les  âmes  sur  terre,  est  celui  qui  avait  reçu 
chez  les  Romains ,  le  surnom  de  Redux.  Ce  côté  sous  lequel  s'offre  à 
nous  le  dieu  psychopompe ,  paraît  avoir  été  un  des  plus  fréquem- 
ment représentés  par  les  artistes.  Les  pierres  gravées  nous  fournis- 
sent bien  des  fois  ce  sujet  curieux.  Nous  citerons  entre  autres  une 
sardoine  rouge  du  Musée  de  Florence  (6),  une  pierre  gravée  publiée 

(1)  Platon  ,  Rcpub.  X,  514-615  (620-621  ).  Cf.  Phedr.  et  Tira. 

(2)  Dlogen.  Laert.  VIII,  32. 

(3)  Cf.  Pausan,  III,  18,  7.  Eustath.  ad  Homer.  p.  871,  40;  181G,  4;  Nonn. 
Vionys.  XIII,  140.  Apollon.  Argon.  IV,  1137. 

(4)  Hésiod.  E|oy.  73. 

(5)  Hirt,  Bilderbuch  fur  Mythologie,  taf.  VIII ,  8. 

(6)  Voyez  Reale  galleria  di  Firenze  itlustrata,  série  V.  Cammei  ed  Inlagli , 
1824,pl.  V,  nM. 


DES  DIVINITÉS   ET  DES   GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  685 

parLippert(l),  et  une  autre  qu'adonnée  Winckelmann,  dans  ses  Mo- 
numents Inédits  (2).  Lachau  et  Leblond,  dans  leur  description  des 
pierres  gravées  du  cabinet  du  duc  d'Orléans  (3),  ont  publié  une  agate 
onyx  sur  laquelle  se  voit  Mercure  coiffé  du  pétase,  tenant  le  caducée 
de  la  main  droite  et  tirant  de  terre,  c'est-à-dire  de  l'enfer,  par  la 
main  gauche,  un  personnage  dont  la  moitié  du  corps  est  déjà  visible. 
D'autres  fois,  c'est  de  leur  tombeau,  d'une  urne  funéraire  et  non  de 
terre ,  que  le  dieu  psychopompe  fait  sortir  l'âme  qu'il  ramène  à  la 
vie;  un  papillon,  voltigeant  sur  l'urne,  achève  d'expliquer  le  sens 
symbolique  caché  sous  cette  représentation  (4).  Nous  mettons  ici 
sous  les  yeux  une  sardoine  brune  et  une  chalcédoine  qui  offrent  le 
même  sujet  avec  quelques  variantes,  et  qui  proviennent  de  la  riche 
collection  de  M.  Badeigts  de  Laborde,  à  l'obligeance  duquel  nous 
devons  les  empreintes  d'après  lesquelles  ont  été  exécutés  les  dessins. 
Sur  une  sardoine  blonde  de  la  même  collection,  dont  nous  joignons 


la  figure  aux  précédentes ,  le  dieu  évoque  l'âme  représentée  par  un 
petit  personnage  ailé,  qui  est  à  ses  genoux  et  semble  l'implorer.  Le 
dieu  tient  à  la  main  une  branche  d  olivier  ou  de  laurier*.  Enfin ,  sur 
une  chalcédoine  appartenant  également  à  M.  de  Laborde,  Mercure 
courbé,  tient  son  caducée  de  la  main  droite,  et  de  la  gauche  il  amène 
à  lui  pour  l'interroger,  l'âme  dont  on  n'a  dessiné  que  la  tête.  Ce  sujet 
si  curieux  de  Mercure  Redux  s'observe  aussi  sur  quelques  mé- 
dailles :  on  voit,  par  exemple,  Mercure  dans  cet  office,  devant 
Sérapis,  sur  une  médaille  alexandrine  de  Trajan  (5). 

Les  anges  rappellent  également  les  âmes  à  la  vie.  Ce  sont  eux  qui, 
à  la  fin  du  monde,  au  moment  où  une  existence  nouvelle  commencera 
pour  la  créature,  ramèneront  les  âmes  dans  les  corps  dont  ils  auront 

(1)  Lippert ,  Daktyl.  stipplem.  n"  205^. 

(2)  Monum.  ined.  39. 

(3)  T.  I .  p.  99. 

(4)  Voyez  un  scarabée  étrusque,  dans  les  Impront.  gemm.  delV  Instit.  di  Corr, 
arch.  Cent.  I,  n°  36. 

(5)  Cf.  Neuman,  iVMm.  inéd.  \.  H,  p.  102;  et  Zoega^  Nam.  .Egypl.  iinp.  mus. 
Borg.  p.  69 ,  n»  76. 


586  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

rassemblé  les  débris  épars,  les  restes  décomposés,  auxquels  ils  auront 
rendu  leur  forme  première,  en  répandant  dessus  une  splendeur  incon- 
nue :  c(  Ministerio  itaque  sanctorum  angelorum  dispositione  agentium 
ce  tiet  suscitatio  mortuorum,  quoscineres  angeli  colligunt  et  suscitatos 
((  ad  judicii  locum  perducent;  reprobos  ab  electis  segregabunt  et  dam- 
c(  natos  in  pœnas  retrudent» ,  a  dit  un  théologien  célèbre  (l).  Voilà 
bien  les  anges  conduisant  les  âmes  dans  les  régions  célestes  et  livrant 
aux  Erinnyes,  transformées  en  démons,  les  méchants  pour  les  en- 
chaîner. C'est  précisément  la  doctrine  que  le  philosophe  de  Samos 
avait  rapportée  d'Egypte.  Et  ce  n'est  pas  seulement  au  dernier  jour 
que  les  anges  s'acquitteront  de  ce  solennel  office  :  quand  par  l'effet 
d'un  miracle  prodigieux,  Dieu  rappelle  dans  le  corps  l'âme  qui  l'avait 
abandonné,  ce  sont  les  mêmes  esprits  qui  l'y  réintroduisent.  On  lit, 
par  exemple,  dans  la  vie  de  saint  Comgall,  que  les  anges  apportèrent, 
sur  l'ordre  du  Tout-Puissant,  l'âme  du  moine  Enanus,  dans  son 
corps  que  le  saint  venait  de  ressusciter  (2). 

Les  anges  président  aussi  à  la  naissance  et  sont  comme  Mercure 
de  véritables  divinités  généthliaques.  TertuUien  dit  que  ce  sont  des 
êtres  (c  commissa  hominibus  utero  ferendi,  struendi,  fingendi  paratura 
«cdivinis  officiis»  (3),  idée  qui  était  aussi  celle  de  Philon,  lorsqu'il  sup- 
posait la  préexistence  des  âmes  à  la  naissance  et  affirmait  que  les 
anges  les  amènent  dans  l'embryon  au  moment  de  la  fécondation  (4). 
Origène  allait  même  jusqu'à  faire  présider  ces  esprits  divins  à  la 
naissance  des  animaux ,  des  plantes  et  à  la  germination  des  bour- 
geons (5) ,  idée  dont  l'origine  est  évidemment  persane  (6). 

Les  anges  sont  envoyés  sur  la  terre  pour  conduire  les  mortels  à 
une  fin ,  à  un  but  qui  leur  est  assigné  par  Dieu.  Raphaël  conduit 
ainsi  le  fils  de  Tobie  (7);  l'ange  mène  de  la  sorte  saint  Jean-Baptiste 
dans  le  désert  (8)  ;  de  même  les  anciens  nous  représentaient  Mercure 
Hegémonios  servant  de  guide  aux  mortels,  conduisant,  par  exemple, 
Priam  dans  la  tente  d'Achille  (9). 

Il  n'est  pas  jusqu'à  la  manière  dont  le  dieu  psychopompe  porte  les 

(1)  s.  Dionys.  Carlhus.  Enarr.  in  Evang.  c.  xiii,  art.  ^0 ,  p.  88. 

(2)  Bolland.  Act.  X  maii ,  p.  584. 

(3)  De  Anima,  c.  37. 

(4)  De  Conf.  ling.  p.  346,  éd.  Francof. 

(5)  InNumer,  Hom.  XIV.  Ap.  Oper.  éd.  Delarue,  t.  II,  p.  323. 

(6)  Ce  sont  les  ferouers  persans.  Cf.  Zend-Avesta,  trad.  Anq.  Duper,  t.  II,  p.  249 
etsq. 

(7)  Tob.  XII,25. 

(8)  Cf.  Gori,  Thesaur.  veter.  diplych.  t.  III,  p.  350. 

(9)  ifîad.XXIV,  461. 


DES  DIVINITES  ET  DES  GENIES  PSYCHOPOMPES. 


587 


âmes  des  êtres  qu'il  amène  à  la  vie ,  qui  ne  rappelle  les  représenta- 
tion analogues  des  chrétiens  et  qui  ne  semble  avoir  été  le  type  imité 
parles  artistes.  Nous  sommes  frappés ,  par  exemple,  de  ces  petites 
figures  entourées  de  bandelettes ,  images  de  l'âme  que  Dieu  ou  les 
anges  portent  dans  leurs  bras.  C'était  surtout  de  la  sorte  que  la  re- 
présentaient les  artistes  byzantins,  tandis  que  les  artistes  occidentaux 
la  peignaient  plutôt  nue.  Cette  figurine  emmaillottée  représente  l'âme 
de  Marie  et  est  entre  les  mains  du  Christ  sur  des  diptyques  offrant 
la  xoip/](7tg  de  la  Vierge  (1) ,  et  sur  une  peinture  ruthénique  du 
X®  siècle,  où  l'on  voit  le  môme  sujet  (2).  Les  âmes  de  saint  Amoun, 
de  saint  Alexandre  emportées  par  les  anges,  sont  exprimées  de  même 
dans  le  Ménologe  grec  de  l'empereur  Basile  (3). 


Mercure  et  Iris  (4) ,  dieux-anges  des  anciens ,  divinités  psycho- 
pompes et  messagères,  portent  absolument  de  la  sorte,  entourés  de 
bandelettes,  Bacchus  (5)  et  Plutus(6). 

(1)  Gori,  Themur.  vêler,  diptych.  t.  III ,  pi. 

(2)  D'Agincourt,  Hist.  de  l'Art,  Peint.,  PI.  GXIII. 

(3)  Part.  I,  p.  94,  19G. 

(4)  Iris  était  aussi  une  divinité  psychopompe  comme  Mercure.  Voyez  l'Enéide,  IV, 
G93,  c'était  comme  ce  dieu  un  véritable  ange.  Cf.  Platon,  IV,  Leg.  717. 

(5)  Cf.  Inghirami ,  f^asi  fitiiii ,  lab.  LXV,  Stackelberg ,  die  Grœber  der  Hel- 
lenen,  taf.  XXI.Cf.  sur  le  génie  de  la  naissance  ,  R.Rochette,Ores(àde,  par.  8,  p.  2; 

(G)  Pausan.  1 ,  83.  Cf.  Ed.  Gerhard  ,  Aus.  griech.  rasenbilder,  iiî,  LXXXIII, 
t.  II  >  p.  15. 


688  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

C'était  également  sous  la  forme  d'un  enfant  environné  de  bande- 
lettes ,  que  les  Egyptiens  représentaient  les  âmes.  C'est  ainsi  qu'on 
voit  le  défunt,  sur  la  caisse  de  la  célèbre  momie  de  Pétaménoph,  pré- 
senté par  Anubis,  reconnaissable  à  sa  tête  de  chacal,  coiffé  du  pschent, 
à  Osiris-Péthempamentes  ou  infernal,  et  à  la  déesse  Isis  (l).  Ces 
bandelettes,  dont  on  a  entouré  Pétaménoph,  rappellent  l'idée  de  la 
momie;  ce  savant  entourage  de  linges  et  de  substances  antisep- 
tiques qui  conservait  les  restes  du  mort,  était,  comme  on  sait, 
pour  le  peuple,  l'image  de  la  nature  impérissable  de  notre  âme.  Il 
est  donc  probable  que  c'est  aux  Égyptiens,  que  cette  manière  de  re- 
présenter l'âme  a  dû  être  empruntée. 

Dans  le  christianisme,  on  aura  substitué  les  anges  gardiens  à  Mer- 
cure et  à  Osiris,  et  cette  figure  d'enfant  aura  été  adoptée  d'autant 
mieux  pour  représenter  l'âme,  qu'elle  semblait  une  allusion  aux 
paroles  du  Christ  :  «  Nisi  efficiamini  sicut  parvuli,  non  intrabitis 
c<  in  regnum  cœlorum.  » 

Mercure  Psychopompe  et  Redux  ne  sont  pas  les  seuls  types  antiques 
que  nous  puissions  rapprocher  des  anges  psychopompes.  L'étude  des 
monuments  nous  fournit  d'autres  personnages  non  moins  analogues 
à  ceux-ci.  Il  suffit  de  comparer  les  représentations  figurées  de  l'âme 
enlevée  au  ciel  par  les  esprits  célestes,  avec  celle  du  défunt  porté  au 
cieux  par  des  génies,  sujet  si  fréquemment  reproduit  sur  les  sarco- 
phages antiques,  pour  reconnaître  qu'il  y  a  dans  ces  monuments 
d'âges  si  différents,  une  fort  grande  ressemblance  d'intention  et 
d'idée.  Ici  c'est  l'âme  d'un  mort  qui  est  représentée  par  un  petit  per- 
sonnage nu  porté  dans  le  ciel,  par  des  génies  ailés;  là  c'est  le  buste 
du  défunt  qui  est  placé  dans  une  sorte  de  médaillon  ou  sur  un  bou- 
clier, et  porté  pareillement  au  ciel  par  des  génies  aussi  ailés;  la 
presque  identité  de  sujets  sur  des  monuments  tous  deux  funéraires, 
fait  très-légitimement  supposer  la  connexité  des  croyances  qui  ont 
guidé  la  main  de  l'un  et  l'autre  artiste;  et  une  réflexion  bien  naturelle 
naîtra  de  ce  simple  examen ,  c'est  que  les  païens  et  les  chrétiens  ont 
cru  tous  deux  que  les  âmes  étaient  transportées  dans  les  régions  éthé- 
rées  par  des  divinités  ailées  (2),  aériennes.  En  outre  si  l'on  remar- 
que que  c'est  souvent  dans  une  sorte  de  cadre  rond  ou  elliptique 
que  l'âme  chrétienne  est  placée  (3) ,  et  que  les  anges  soutiennent 

(1)  Cailliaud  ,  Foyage  à  Méroé ,  pi.  LXVII,  n»  3,  t  III,  p.  46. 

(2)  Ces  ailes  données  aux  anges  ne  sont  pas,  comme  on  serait  tenté  de  le  croire , 
une  pure  convention  iconographique.  Cf.  Isaie,  VI,  2.  Daniel,  IX,  21.  Apocalyps. 
XIV,  6,  XIX,  17. 

(3)  Voyez,  par  exemple,  l'âme  de  saint  Martin ,  représentée  dans  une  auréole 


DES  DIVINITÉS  ET  DES  GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  689 

cette  auréole  absolument  comme  les  génies  portent  le  bouclier  ou 
médaillon,  on  sera  bien  plus  frappé  de  l'analogie,  et  l'on  sera 
porté  par  là  à  admettre  un  point  de  ressemblance  encore  plus  étroit  ; 
or  cette  auréole  ,  ce  médaillon  avait  été  adopté  par  les  païens  et 
les  chrétiens,  par  suite  d'une  pure  convention  iconographique, 
il  était  l'expression  d'un  fait  admis  matériellement.  La  première 
supposition,  pour  l'antiquité,  est  la  plus  probable,  nous  dirons 
presque  la  seule  admissible,  car  on  ne  retrouve  chez  les  an- 
ciens ,  dans  les  mythographes  comme  chez  les  philosophes ,  au- 
cune trace  de  cette  auréole  dans  laquelle  l'âme  aurait  été  logée  ,  en 
allant  au  ciel.  Mais  pour  le  moyen  âge,  il  en  est  tout  autrement,  cette 
auréole  est  bien  réellement  l'expression  d'une  croyance  à  laquelle 
mainte  allusion  s'offre  dans  les  légendes,  c'est  la  représentation  d'une 
croyance  formelle.  C'est  dans  une  sphère  ou  auréole  de  feu,  par 
exemple,  que  les  anges  conduisirent  dans  les  cieux  l'âme  de  saint  Ger- 
main, évoque  de  Capoue  (1),  et  celle  de  saint  Robert,  abbé  de 
Cîteaux  (2). 

Il  est  vrai  que  dans  les  monuments  chrétiens,  les  anges  n'ont  pas 
tout  à  fait  les  mêmes  traits  que  les  génies  antiques.  Ceux-ci  sont  nus, 
les  premiers  sont  vêtus.  Mais  outre  que  cette  légère  différence  s'ex- 
plique fort  bien  parles  scrupules  pudiques  des  chrétiens,  il  est  à  re- 
marquer que  dans  certains  sarcophages  chrétiens  appartenant  pré- 
cisément aux  temps  primitifs  de  la  foi,  les  anges  sont  nus  et  tout 
semblables  aux  génies  païens.  Nous  citerons,  par  exemple,  un  sar- 
cophage tiré  du  cimetière  de  Sainte-Lucine  (3),  un  du  cimetière  de 
Sainte- Calixte  (4) ,  un  du  cimetière  de  Sainte-Agnès  (5) ,  un  sarco- 
phage de  Vérone  ,  et  un  de  saint  Ambroise  de  Milan  qui  passe  poar 
avoir  été  le  cercueil  de  Stilicon  (6).  Les  anges  sont,  sur  ces  sarco- 
phages, si  semblables  aux  génies  païens,  qu'on  ne  saurait  dire,  si  le 

elliptique  sur  un  vitrail  de  la  cathédrale  de  Chartres.  Cf.  Didron,  Iconogr.  chrct., 
p,  104  ;  Jésus-Christ ,  la  Vierge,  sont  aussi  représentés  dans  des  auréoles  elliptiques 
portées  par  des  anges;  c'est  ainsi  qu'on  voit,  par  exemple,  le  premier  sur  les 
portes  Rorsouniennes  de  Sainte-Sophie  de  Novogorod.  Cf.  Adelung,  die  Korssun- 
schen  Thûrcn,  taf.  VI,  la  seconde  sur  plusieurs  sceaux  et  notamment  sur  celui 
des  Frères  prêcheurs  de  Florence.  Cf.  Manni,  Osservaz.  islorichi  sopra  i  sigiUi 
antichi ,  t.  I,  p.  l. 

(1)  Voyez,  plus  haut,  p.  509. 

(2)  Bolland.  7  jun.  p.  49 ,  col.  1. 

(3)  BoUari,  Pitture ,  t.  I,  tav.  XXII,  XLI,  p.  48.  T.  II,  tav.  LXXXVI,  p.  94. 

(4)  Boltari  ,  t.  II,  tav.  LXXXV. 

(5)  Botlari .  t.  III ,  tav.  CXXXI ,  p.  3-4. 

(6)  Raoul -Rochette,  3«  Mém.  sur  les  Anliq.  chrét.  p.  709. 


590  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

reste  du  monument  ne  l'indiquait,  à  quelle  religion  appartenait  l'ar- 
tiste. On  ne  peut  donc  douter  que  ce  sujet  d'âmes  emportées  dans  des 
auréoles  lumineuses  par  les  anges,  n'ait  été  emprunté  aux  artistes 
paiens,  et  que  d'une  simple  allégorie  qu'il  était  pour  ceux-ci,  il  ne 
soit  devenu  ,  pour  les  artistes  chrétiens ,  pour  le  moyen  âge  tout  en- 
tier ,  aux  yeux  duquel  toute  allégorie  était  matérialisée ,  l'expres- 
sion bien  réelle  d'un  miracle  qui  s'accomplissait  à  la  mort  de  certains 
saints. 

Au  reste ,  cet  emprunt  fait  à  l'antiquité  a  été  constaté  par  les  plus 
célèbres  antiquaires.  Il  suffira  de  citer  les  noms  de  Marangoni,  MalTei, 
Allegranza,  Buonarotti,  Bottari. 

Déjà  dans  trois  excellents  Mémoires  publiés  dans  le  Recueil  de 
V  Académie  des  Inscriptions  et  Belles -Lettres,  M.  Raoul-Rochette  (l) 
avait  établi  ce  fait,  avec  tout  le  degré  d'évidence  qu'on  pouvait  attendre 
de  son  savoir.  «  Il  résulte  de  mon  travail ,  dit  cet  habile  antiquaire , 
que  plusieurs  des  figures  allégoriques  qui  avaient  été  consacrées,  sur 
les  sarcophages  des  anciens,  à  exprimer  certaines  intentions  funéraires 
ou  symboliques,  durent  être  adoptées  par  les  chrétiens,  quand  ils 
eurent  à  rendre  les  mêmes  idées  ou  des  idées  équivalentes.  De  ce 
nombre  furent  certainement  ces  petites  figures  de  génies  nus  et  ailés, 
soutenant  de  leurs  mains  dans  une  position  inclinée,  tantôt  le  bou- 
clier avec  l'image  du  défunt,  tantôt  le  cartel  avec  l'inscription ,  tels 
qu'on  les  voit  sur  une  foule  de  sacophages.  » 

Le  génie  de  l'éternité,  bien  qu'allégorique,  semble  avoir  été,  dans 
l'art,  un  des  types  des  anges,  car,  hâtons-nous  de  le  dire,  si  les  chré- 
tiens ont  reçu  des  Hébreux  la  croyance  des  anges,  ils  n'en  peuvent  du 
moins  tenir  les  images ,  puisque  ce  peuple  condamnait  toutes  les  fi- 
gures comme  des  idoles.  Ce  ne  peut  donc  être  qu'à  l'antiquité  païenne 
qu'ils  ont  demandé  les  modèles  qu'ils  ont  ensuite  modifiés,  en  leur  at- 
tribuant un  sens  plus  ou  moins  différent  de  celui  qui  leur  était  assigné 
primitivement.  Nous  disions  que  le  génie  de  l'antiquité  apparaît 
comme  un  ange  psychopompe.  Jetons  en  effet  les  regards  sur  le  bas- 
relief  de  la  base  de  la  colonne  Antonine  oii  l'on  voit  Antonin-Pie  et 
Faustine  portés  aux  cieux  sur  les  grandes  ailes  du  génie  de  l'éter- 
nité (2)  ;  regardons  cette  peinture  des  Thermes  de  Trajan  et  d'Hadrien 
où  l'on  voit  Faustine  conduite  dans  les  cieux  par  le  même  génie  (3), 

(1)  Mém.  cité,  p.  709. 

(2)  Voy.  Visconti,  Mus.  Pio-Clem.  t.  V,  p.  29,  O.  Muller  et  Ch.  Oesterley, 
Monum.  de  VAH  antiq.  n"  392,  pi.  LXXI.  Hizt,  Bilderb.  fiir  Mythologie , 
taf.  XVI ,  2. 

(3)  Bellori ,  Pict,  veter.  in  çrypt,  roman,  lab.  IX. 


DES  DIVINITÉS  ET  DES  GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  691 

OU  ces  médailles  des  Faustine  présentant  le  môme  sujet  (1),  ne  serons- 
nous  pas  frappés  de  l'analogie  qui  existe  entre  ce  sujet  et  celui  de 
l'ange  abritant  de  ses  ailes  l'âme  qu'il  conduit  aux  cieux  et  qu'il  pro- 
tège contre  les  démons;  sujet  qui,  avant  d'avoir  été  traité  par  les  ar- 
tistes ,  se  trouvait  exprimé  tout  entier  dans  ces  paroles  de  Sophro- 
nius  : 

«  Iterum,  Michael,  te  oro,  ute  vitae  hujus  curriculo  exituro  laetus 
«  pacatusqueappareas,mequesubhonorato  alarum  tuarum  velamine 
((  abscondas,  atque  ex  angustis  obscurisque  inferorum  locis  ereptum 
«  in  loca  tabernaculi  admirabilis  constitiias  deducens  usque  ad  do- 
((  mura  Dei  (2).  » 

Pourpeuqu'oncberche  à  établir,  entre  les  représentations  antiques 
et  celles  du  moyen  âge,  des  comparaisons  telles  que  nous  venons  de 
les  établir,  on  sera  surtout  frappé  du  diptyque  consulaire  du  cabinet 
du  comte  de  Gherardesca,  représentant  l'apothéose  de  Romulus,  et 
qu'a  publié  Gori  (3).  Il  est  difficile  de  n'y  pas  retrouver  précisé- 
ment le  sujet  de  l'âme  portée  aux  cieux  par  les  anges. 


Sur  ce  diptyque  ,  on  voit  le  premier  roi  de  Rome  que  les  génies 
ailés  portent  aux  cieux.  Au-dessus  de  sa  tôte  sont  figurés  les  signes 
du  zodiaque  et  les  dieux  qui  s'apprêtent  à  recevoir  celui  qui  désor- 
mais : 

In  cœlo,  cum  diis  genitalibus  œvum 
Degit. 

Ennius ,  ap.  Servium  ad  VI  Eneid. 

Ce  zodiaque  rappelle  que,  d'après  les  croyances  égyptiennes,  c'était 

(1)  Rasche,  Lexic.reinumar.  1. 1,  p.  171. 

(S)  Sophronii  Oral.  ap.  Bibliolh.  P.  P.  Max.  t.  XII ,  p.  210. 

(3)  Thesaur.  veter:diplych.  t.  II,  p.  121 ,  tab.  XIX. 


592  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

cette  bande  céleste  que  les  âmes  suivaient  dans  leur  asceiision  aux 
cieux.  Elles  prenaient  la  route  formée  par  les  douze  constellations,  et, 
guidées  parOphiucus  (l),  génie  psychopompe,  analogue  à  Hermès, 
entraient  par  la  porte  des  hommes,  située  à  la  constellation  du  capri- 
corne, et  revenaient  à  la  vie  par  celle  des  dieux  placée  à  la  constella- 
tion du  cancer  (2). 

L'expression  Raplas  a  dubiis^  qui  se  trouve  dans  tant  d'inscriptions 
funéraires,  à  la  suite  du  nom  du  défunt  (3),  joue  absolument  le  môme 
rôle  que  celle  à'Accersitas  ah  angelis  que  nous  avons  rappelée  précé- 
demment. La  formule  païenne  Cujus  spiritus  inler  deos  receptus  est  se 
lit  môme  sur  des  monuments  chrétiens,  en  tôte  desquels  est  le  sigle 
antique  :  D.  M. ,  Diis  manibus  (4).  M.  Raoul-Rochette  a  rapproché 
cette  formule  de  celle:  Cujas  anima  mm  sanctos  in  pace,  qui  offre  avec 
elle  une  fort  grande  analogie  ;  il  a  poursuivi  ce  travail  de  rapproche- 
ment entre  le  christianisme  et  le  paganisme,  pour  un  grand  nombre 
d'autres  inscriptions.  Tous  ces  faits  sont  autant  de  preuves  de 
l'échange  qui  s'opérait  entre  les  deux  ordres  d'idées.  Elles  ajoutent 
encore  plus  de  probabilité  à  la  conjecture  que  nous  avons  développée 
ci-dessus. 

Et  comment  pourrait-on  nier  ce  passage  des  idées  païennes  aux 
idées  chrétiennes,  quand  certains  monuments  conservent,  d'une  ma- 
nière encore  plus  évidente,  l'empreinte  de  cet  emprunt  singulier;  quand 
non-seulement  les  monuments  du  moyen  âge  nous  offrent  des  re- 
présentations analogues  à  celles  des  monuments  antiques,  et  auxquelles 
les  chrétiens  paraissent  avoir  attribué  à  peu  près  le  même  sens  que 
les  anciens  attribuaient  aux  leurs,  mais  quand  ils  nous  présentent 
l'image  de  croyances  absolument  identiques.  Pour  en  fournir  un 
des  exemples  qui  nous  semblent  les  plus  frappants,  ne  voyons-nous 
pas  la  barque  du  vieux  Caron  reproduite  sur  les  monuments  chré- 
tiens? Jetons  les  yeux  sur  ce  bas- relief  de  l'église  de  Semur,  dont  le 
sujet  est  la  mort  de  Dalmacius,  et  que  fit  faire,  comme  expression  de 
son  remords ,  celui  qui  fut  à  la  fois  le  gendre  et  le  meurtrier  de  la  vic- 
time, Robert  le  Vieux,  duc  de  Bourgogne  (5).  Ne  voyons-nous  pas 

(1)  Ophiucus  rappelle  aussi  saint  Michel,  il  triomphe  comme  lui  du  serpent, 
emblème  du  mal,  et  conduit  les  âmes  aux  cieux. 

(2)  Cf.  Macrob.  lib.  I,  c  15.  Isid.  Hispal.  Origin.  lib.  III,  c.  34,  p.  904.  Porphyr. 
de  antro  JVymph.  p.  124.  Lobeck,  Aglaophamus ^  Orphie,  lib.  II ,  p.  93?. 

(3)  Orelli,  Insc.  latin,  sélect.  n°  4G08. 

(4)  Cf.  2'  Mém.  de  M.  Raoul-Rochette ,  dans  le  t.  XIII  des  Mém.  de  l'Acad. 
des  Inscr.  et  Belles-Lelt.  p.  194  etsuiv. 

(5)  Voy.  Laborde ,  iWonwm.  de  la  France,  t.  II ,  pi.  161. 


DES  DIVINITES  ET   DES   GENIES  PSYCHOPOMPES.  693 

l'âme  de  celui-ci  conduite  en  paradis  dans  la  barque  antique  immor- 
talisée par  Virgile  ? 

Si  nous  portoîis  nos  regards  sur  un  autre  monument  funéraire,  sur  le 
célèbre  tombeau  de  Dagobert  et  de  Nanthilde ,  ne  remarquons-nous 
pas  encore  l'âme  du  monarque  naviguant  sur  une  barque  dans  la- 
quelle il  est  tourmenté  par  les  démons  (l)? 

Ces  représentations  ne  nous  font-elles  pas  penser  à  la  barque  que 
les  anges  conduisaient  eux-mêmes ,  et  dont  il  est  question  dans  la 
vie  de  saint  Probatius  (2)?  Ne  nous  reporterons-nous  pas  en  es- 
prit à  cette  vision  de  saint  Arsène ,  dans  laquelle  l'anacborète  voyait 
son  âme  et  celle  de  Moïse  naviguant  sur  le  Nil  dans  une  barque 
menée  par  des  anges  et  des  démons  (3)?  Dans  les  déserts  de  l'Egypte , 
l'image  de  cette  bari  funèbre,  conduite  sur  le  Nil  céleste,  par 
les  cynocéphales  (4),  et  qui  figure  si  fréquemment  sur  les  monu- 
ments de  cette  contrée,  ne  pouvait-elle  pas  s'offrir  à  l'imagination  du 
solitaire?  En  comparant  du  moins  ce  sujet  égyptien  et  celui  du  tom- 
beau de  saint  Denis,  en  observant  quelle  ressemblance  les  démons 
qui  assaillissent  le  roi  de  France  ont  avec  les  singes  sacrés,  on  n'est 
pas  éloigné  de  croire  qu'il  peut  y  avoir  eu  là  quelque  imitation  étran- 
gère, quelque  provenance  exotique.  La  bari  égyptienne  elle-même 
n'était-elle  pas  le  type  primitif  de  la  barque  du  nocher  Charon  (5)  ? 

Ainsi,  ce  n'est  pas  par  une  inadvertance ,  comme  on  l'a  souvent  ré- 
pété, mais  pour  obéir  à  une  croyance  encore  subsistante  à  son  époque, 
que  Michel-Ange  a  placé,  dans  son  tableau  du  jugement  dernier,  la 
barque  du  Styx. 

Il  est  à  remarquer  que  l'époque  à  laquelle  apparaissent  sur  tous 
les  monuments  funéraires  antiques,  dont  nous  parlions  plus  haut,  les 
figures  de  génies,  à'érôteSy  d'amours,  regardées  par  les  antiquaires 
comme  des  personnifications  des  affections,  des  passions,  des  goûts, 
des  plaisirs,  ou  bien  d'un  pays,  d'une  ville,  que  cette  époque,  disons- 
nous,  est  celle  à  laquelle  la  doctrine  des  démons,  des  génies ,  se  ré- 
pandit dans  le  monde  grec  et  latin.  Sur  les  bas-reliefs,  les  génies 
sont  représentés  comme  des  agents ,  des  ministres  de  la  divinité  ; 
tantôt  ils  portent  le  casque  et  les  armes  de  Mars ,  tantôt  ils  soulèvent 
la  massue  d'Hercule  ;  ils  nous  offrent  évidemment  des  images  allégori- 

(0  PI.  153. 

(2]  Bolland.Act.  IV  Fehr.  p.  564. 

(3)  Marin  ,  Fies  des  Pères  du  désert  d'Orient,  p.  4G7,  Fie  de  saint  Arsène, 

(4)  ChampoUion,  Lettres  sur  V Egypte  ,  p.  141. 

(5)  Cf.  Gardn.  Wilkinson ,  Cusloms  and  Manners  of  the  ancient  Egyplians  , 
t.  II,  p.  482. 


594  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ques  des  puissances  intermédiaires  entre  l'homme  et  les  dieux ,  et  qui 
servent  de  ministres  à  ceux-ci.  En  un  mot,  c'est  au  fond  le  même  sens 
attribué  aux  anges,  que  l'on  donnait  à  ces  génies  qui  semblent  pour- 
tant à  la  première  vue  se  relier  à  un  tout  autre  ordre  d'idées.  Quelques 
antiquaires  n'ont  voulu  voir  dans  les  génies ,  les  amours  des  bas-re- 
liefs romains,  que  de  purs  jeux  de  l'imagination,  et  ils  ont  formelle- 
ment distingué  entre  les  génies  romains  et  les  âoity.oveq  des  Grecs. 
11  se  peut  que,  dans  la  pensée  de  quelques  artistes,  ces  génies  n'aient 
plus  été  que  de  pures  figures  de  fantaisie,  mais  il  est  bien  certain  qu'à 
l'origine,  elles  répondaient  à  une  idée,  à  une  croyance  nettement  dé- 
terminée. Les  anges  et  les  diables,  dans  une  foule  de  compositions 
de  la  renaissance,  ne  sont  plus  que  des  figures  destinées  à  l'embel- 
lissement, des  personnages  placés  uniquement  pour  animer  la  scène, 
et  cependant  cela  n'empêche  pas  que  ces  images  ne  répondissent 
originairement  à  des  êtres  très-réels.  M.  le  comte  de  Clarac  (1),  qui  a 
soutenu  dans  son  excellent  ouvrage  sur  le  musée ,  l'opinion  que  nous 
combattons  en  partie ,  n'a  peut-être  pas  assez  distingué  entre  les 
(îai|jL0VÊç  des  premiers  siècles  de  la  civilisation  grecque,  ceux  d'Hé- 
siode, par  exemple,  qui  ne  sont  que  les  dieux,  les  êtres  supérieurs, 
les  dems  hindous,  et  les  âalaûveg  des  platoniciens,  des  néoplatoniciens, 
dont  la  doctrine  devint  extrêmement  populaire,  précisément  à  l'époque 
de  l'avènement  du  christianisme,  et  qui  appartenaient  à  un  autre  sys- 
tème théogonique.  Remarquons  de  plu^  que  des  génies  tels  que  les 
admettaient  les  néoplatoniciens,  étaient  souvent  de  véritables  person- 
nifications des  passions  ou  des  états  de  l'homme  ;  par  exemple ,  pour 
Apulée,  l'amour  et  le  sommeil  sont  deux  démons  :  ce  Sunt  autem  non 
«  posteriore  numéro,  prestantiori  longe  dignitate  superius  aliud  au- 
«  gustiusque  genus  dœmonum ,  qui  semper  a  corporis  compedibus 
c(  et  nexibus  liberi,  certis  potestatibus  curant,  quorum  numéro Somnus 
<(  atque  Amor  (2).  »  Quanta  nous ,  frappé  de  la  présence  des  géin'es 
sur  les  monuments ,  justement  alors  que  l'on  croyait  à  l'existence 
d'êtres  semblables  répandus  dans  toute  la  nature,  il  nous  est  difficile 
de  ne  pas  regarder  ces  deux  circonstances  comme  une  preuve  de  l'in- 
fluence exercée  sur  les  artistes  par  le  système  démonologiquc  en 
vigueur.  Si,  d'un  autre  côté ,  nous  ajoutons  que  les  chrétiens  ont 
reproduit  sur  leurs  propres  monuments  les  génies  figurés  par  les 
Grecs,  en  les  modifiant  légèrement,  et  qu'ils  professaient  en  même 

(1)  Cf.  Mus.  de  Sculpl.  anc.  et  mod.  t.  II,  part.  I ,  p.  169. 

(2)  Apul.  de  deo  Socrat.  ap.  Oper.  éd.  Bipont.  t.  II ,  p.  237.  Cf.  Platon. 
Conviv.  178. 


.DES  DIVINITES  ET  DES  GENIES  PSYCHOPOMPES.  695 

temps  un  système  angélologique  tout  à  fait  analogue  au  système 
démonologique  des  païens ,  il  ne  nous  sera  pas  difficile  d'admettre 
que  ce  n'était  pas  seulement  de  la  part  des  artistes  chrétiens  une 
imitation  provenant  de  l'absence  de  modèles  et  de  types,  une  imitation 
non-raisonnée ,  mais  au  contraire,  le  résultat  de  la  similitude  dans 
les  croyances  et  les  idées  attachées  à  ces  figures  elles-mêmes.  Un 
pareil  emprunt  une  fois  admis,  une  fois  constaté,  on  s'expliquera  alors 
naturellement  la  métamorphose  insensible  de  toutes  les  idées  sur  les 
génies  psychopompes  des  païens,  en  idées  chrétiennes.  Les  chrétiens 
qui  avaient  reçu  des  juifs  un  système  démonologique  analogue  à  celui 
qu'adoptaient  les  platoniciens,  ne  virent  chez  ceux-ci  que  des 
croyances  qu'ils  partageaient  et  ne  répugnèrent  en  aucune  façon  à 
leur  emprunter  certains  détails,  certaines  particularités  de  dogmes 
qui  étaient  inconnus  aux  juifs  dont  ils  tiraient  le  fond  des  dogmes 
eux-mêmes. 

Afin  qu'il  ne  reste  dans  l'esprit  du  lecteur  aucune  incertitude 
à  cet  égard,  nous  devons  compléter  cette  démonstration,  en  prouvant 
ce  que  nous  n'avons  fait  qu'avancer,  ou  au  moins  que  démontrer  pour 
le  seul  Mercure,  à  savoir  que  tous  les  traits  sous  lesquels  les  anciens 
nous  peignent  les  âal^oveç,  s'appliquent  parfaitement  aux  anges  et 
aux  diables  des  chrétiens. 

Pour  les  premiers  Grecs,  les  ^xlixovsç  n'étaient  que  les  âmes  des 
hommes  vertueux  auxquelles  ils  rendaient  un  culte,  parce  qu'ils  s'ima- 
ginaient que  ces  âmes  devenaient  des  divinités  protectrices  des  mor- 
tels (l).  C'est  ainsi  que  nous  les  représente  Hésiode  : 

ToL^ïv  doûaûvéç  zlai  Ato;  ^zyukou  §ià.  |3ou/àf 

Ot  poi  tfolôf.rjtjovavi  t2  ^i/.aq  y.cd  G/ixlia.  tpya. 

liépa.  zrT<7(x.^îVQi ,  TrâvTïj  ^oitwvtsç  stc*  aia-j 

n/oKTo^orai.  Épy.  121  et  sq. 

Ce  culte  des  âmes  des  ancêtres  est  un  des  plus  anciens  auxquels  se 
soit  attaché  le  sentiment  religieux  de  l'homme  ;  on  sait  que  c'est 
celui  que  la  Chine  nous  offre  dans  les  temps  les  plus  reculés  ;  il 
se  retrouve  aussi  chez  plusieurs  peuples  sauvages.  Plus  tard  les 
(Jat/y-ov£ç  furent  considérés  différemment  de  la  part  des  Grecs,  parce 
qu'une  nouvelle  doctrine  démonologique  fut  apportée  de  l'Orient  et 
de  l'Egypte  où  elle  était  depuis  longtemps  en  vigueur. 

Ce  nouveau  système  démonologique  apparaît  avec  Pythagore  et 

(1)  Cf.  Plutarch.  de  deo  Socrat.  Platon.  Crûtyl.  48. 


596  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Platon.  Ce  dernier  philosophe  nous  peint  dans  sonBanquet  (1)  les  dé- 
mons comme  des  êtres  nombreux  et  de  dllFérentes  classes,  t:o)1o\  zal 
TioMToàcL-Koi  j  qui  sont  les  interprètes  et  les  entremetteurs  entre  les 
hommes  et  les  dieux,  qui  apportent  au  ciel  les  vœux  et  les  sacrifices 
des  mortels ,  et  rapportent  à  ceux-ci  les  ordres  des  dieux  et  les  ré- 
compenses qu'ils  leur  accordent  pour  leurs  sacriGces.  Ils  entretiennent 
par  là  l'harmonie  entre  les  deux  sphères.  Maxime  de  Tyr  (2)  dit  que  les 
démons  sont  moins  puissants  que  les  dieux ,  mais  plus  puissants  que 
les  hommes;  ils  sont  les  ministres  et  les  assistants  des  humains; 
àvQpwTTwv  àï  iruaroLToLiy  très-voisins  des  dieux,  et  cependant  très  préoc- 
cupés du  soin  des  hommes,  Gcwv  [kzv  lùcnaiakaToi  y  àvBpomoiw  ôï 
im^ekiaxoLzoï,  Il  nous  représente  leur  nombre  comme  très-grand, 
TToAXyj  ^£  -h  ècciiJ,QV(ùv  àyil'f]  (3).  Plutarque,  Apulée  tiennent  le  même 
langage.  Le  premier  voit,  avec  Platon,  son  guide,  dans  le  démon, 
l'être  intermédiaire  qui  lie  l'homme  à  la  divinité  (4).  Le  second 
développe  la  même  idée:  ce  Sunt  enim  (Daemones)  inter  nos  ac 
<(  Deos,  ut  loco  regionis,  ita  ingenio  intersiti,  habentes  communera 
«  cum  superis  immortalitatem,  cum  inferis  passionem  (5).  »  Por^ 
phyre  (6)  écrit  comme  Platon  que  les  démons  portent  nos  prières  aux 
dieux,  tandis  qu'ils  rapportent  aux  hommes  les  avertissements  des 
immortels. 

Ces  démons  sont  répandus  dans  l'air  où  ils  voltigent  sans  cesse, 
Eivat  TÊ  Tiavra  tov  àspa  ^u^^v  'éimltow ,  zai  Tomovq  èoLiy.O'vàç  ts 
xai  yjpwaç  vcpî^scÔa ,  enseignait  Pythagore  (7)  ,  Alcinoiis  (8) 
disait  qu'il  y  a  des  démons  dans  la  terre,  dans  le  feu,  dans 
l'air,  dans  l'eau,  sur  le  sol.  Heraclite  professait  les  mêmes  doc- 
trines (9).  Posidonius  (10)  pensait  de  même  que  toute  la  terre  est 
remplie  d'esprits  immortels ,  et  il  assurait  que  les  démons  étaient 
d'une  nature  éthérée  (il).  Selon  Plotin  (12),  ces  démons  tiennent 
le  milieu  entre  les  dieux  et  les  hommes,  et  ont  pour  cette  rai- 
son un  corps  aérien  ou  igné.  «Daemones  generi  animalia,  ingenio 

(I)  Platon.  Conviv.  202-203,  éd.  Bek.  p.  428. 

l2>  Maxim.  Tyr.  Dissertât.  \l\,  p.  266,  éd.  Reiskc. 

(3)  /dcr/i.  p.  268. 

(4)  De  deo  Socrat. 

(5j  De  deo  Socrat.  p.  235 ,  éd.  Bipont. 

(6)  De  abstinent,  lib.  II ,  c.  38. 

(7)  Diogen.  Laerl.  VIII ,  p.  887,  éd.  Casaub. 

(8)  De  Doctr.  Platon,  c.  15. 

(9)  Diogen.  Lacrt  IX,  7.  Origen.  Cont.  Cels.  VII,  p.  738. 

(10)  Cicer.  de  Divinat.  1.  I ,  c.  15. 

(II)  Posidonii  Reliq.  éd.  Bake  ,  p.  45. 
(12)  Ennead.  3  L.  5 ,  n*  6 ,  p.  298. 


DES  DIVINITÉS   ET  DES   GÉNIES  PSYCllOPOMPES.  5^/^ 

«  ratlonabilia,  animo  passiva,  corpore  aeria,  tempôre  œternâ,'T)  écri- 
vait Apulée  (l).  On  s'imaginait  que  ces  démons  se  nourrissaient  de 
vapeurs  et  de  la  fumée  des  sacrifices  (2),  croyance  que, Lucien  a  per- 
siflée en  plus  d'un  endroit.  Ils  envoyaient  aux  hommes  les  songes  et 
les  maladies  ;  c'est  encore  Pythagore  qui  nous  le  dit  :  Kat  ii-no  Totirwv 
7r£jH7T£(T0at  avGpcoTToiç  TO-jç,  7£  ovslpovç  v.cfX  TOC  aTiU-Ucc  vérjo-j  72  "Àpà 
'jyidoLz  (3). 

Il  n'est  pas  un  seul  de  ces  caractères  qui  n'appartienne ,  soit  aux 
anges,  soit  aux  diables  des  chrétiens.  Les  anges  sont  dés  esprits  su- 
périeurs aux  hommes,  sans  être  les  égaux  de  Dieu  (4).  Us  sont  les 
ministres  des  volontés  du  Créateur,  servent  d'intermédiaire  entre  lui 
et  les  humains  (5).  Us  ont  des  corps,  mais  ces  corps  ne  sont  pas  de 
chair  et  d'os  comme  les  nôtres  (6);  ils  sont  d'une  substance  élhérée 
qui  tient  le  milieu  entre  la  matière  et  l'essence  immatérielle  de  la  Divi- 
nité(7).Ils  sont  en  quelque  sorte  d'une  nature  matérielle  spiritualisée. 
«  Angeli  spiritu  materiali  constituerunt,  »  dit  Tertullien  (8),  un 
corps  d'une  nature  propre,  «  habent  corpus  sui  generis(9))).  Les 
séraphins  sont  d'une  nature  ignée  (10).  Théodote  qui  écrivait  au 
II"  siècle,  dit  que  les  démons  sont  incorporels,  non  parce  qu'ils 
n'ont  point  de  corps ,  car  ils  ont  une  figure  par  laquelle  ils  sont  sus- 
ceptibles de  punition ,  mais  seulement  par  comparaison  avec  les  au- 
tres corps,  près  desquels  ils  ne  sont  que  comme  des  ombres.  Quant 
aux  anges,  ils  ont,  ajoute-t-il,  des  corps  puisqu'ils  sont  visibles  (11). 
Cette  opinion ,  soutenue  par  Origène ,  saint  Basile,  saint  Athanase , 
saint  Methodius,  se  trouve  d'ailleurs  consignée  dans  le  cinquième  acte 
du  second  concile  de  Nicée  (12). 

Les  anges  présentent  à  Dieu  les  prières  des  hommes;  ce  sont  prin- 
cipalement les  archanges  qui  sont  chargés  de  ce  soin  (13).  Tertullien 

(1)  Dedeo  Socral.  p.  nô ,  Oper.,l. Il,  éd.  Bipont. 

(2)  Porphyr.  de  Ahslin.  lib.  II,  c.  42. 

(3)  Diog.  Laerl.  1.  c. 
(4;  MaUh.  XXIV,  26. 

(5)  Jud.  XIII,  16,  20.  Tob.  XII,  19.  Epi$l.  ad  Hebr.  î,  U.  S.  Basil,  de  $p.  s, 
e.  c.  16  ,  38.  Origen.  Reg,  fid.  in  proem.  deprincip.  1.  I,  c.  6,  7. 

(6)  Hug.  de  S.  Victor,  De  Anima,  lib.  Il ,  e.  3  ,  ap.  Oper,  l.  IIIV  p.  t^- 

(7)  Alhenag.  Légat,  p.  Christian,  c,  22. 

(8)  Adv.  Marc.  II,  c.  8.  \l 

(9)  De  Oirn.  Christ,  c.  8. 

(JO)  S.  Bernard,  Serm.  IV,  col.  94.  Ap.  Oper.,  éd.  Mabillon,  t.  ï. 
(t  1)  Theodot.  Eclog.  Fabric.  t.  V,  p.  l44. 

(12)  Voyez  la  note  de  Delarue  dans  le  tome  III ,  p.  813  de  son  édition  d'Origéuc. 

(13)  Tob.  XII ,  25.  Jos.  V,  14.  Jud.  XIII,  19.  Apoc.  XIX,  lO.  XXII,  19.  Epist. 
ad  Colon.  II,  I8.  OraL  Mcetœ,  m  laudal.  sancl.  archang.  éd.  Possin,  p,  15. 

I.  3& 


598  ,  _  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

distingue  paêroeuïi  ange  spécial  de  la  prière  (1).  Cet  ange  figure 
dans  plnsieurs  visions ,  par  exemple  dans  celle  du  frère  Gérard  de 
Saint-Germain-d'Auxerre,  qui  le  vit  sous  la  figure  d'un  jeune 
homme  vêtu  de  blanc,  portant  dans  ses  mains  un  morceau  d'étoffe 
d'une  grande  blancheur,  dans  laquelle  il  recevait  les  prières  (^j| 
Saint  Jean  Chrysostôme  s'écrie  en  parlant  de  ces  êtres  mystérieux  : 
Tyjv  èedTTOTYiv  TrapaxaAoOdiv  v-nep  tyjç  àvQpomtv^nç  (j^ixrecxx;  (3).  «  Credi- 
((  mus  angelos  sanctos  adstare  orantibus,  offerre  Deo  preces  et  vota 
c(  homihum ,  »  écrit  saint  Bernard  (4). 

Le  nombre  des  anges  est  infini  (5),  c'était  au  moins  ce  qu'admettait 
la  majorité  des  docteurs,  en  s'appuyant  sur  les  paroles  de  Daniel  ? 
<(  Mille  millia  ministrabaht  ei  et  decies  millia  dena  millia  adsislebant 
«  ei  (6).-Numerus  angeiorum  excedit  omnem  numerum  corporalium,» 
dit  saint  Thomas  (7).  Ces  anges  sont  répandus  dans  tout  lair  :  Ô  Ârip 
àyyélcùv  s/^xTrsTriyjarrai,  dit  saint  Jean  Chrysostôme  (8),  et  le  poëte  Pru- 
dence développe  cette  idée  dans  les  vers  suivants  : 

.     .    Cmn  portis ,  domibus  y  thermis ,  stdbuUs,  iolealù, 
■  r  ^tô'ftl'jjtdsignare  suos  genios ,  perque  vmnia  membra 
Vrbis  perque  loeos ,  geyiiorum  millia  multa       q 
Fingere  ,ne  propria  vacei  angulus  ullus  ab  umhra» 

ÎI,  Ad.  Symmach. 

Saint  Paul  a  exprimé  la  même  croyance ,  quant  aux  démons.  Il 
s'imaginait  que  tous  ces  esprits  de  ténèbres  voltigeaient. dans  l'atmo- 
sphère (9) ,  doctrine  qui  est  aussi  celle  de  saint  Alhanase  (t  0)  ;  saint 
Prosper  veut  que  l'air  dans  lequel  sont  emprisonnés  les  démons,  soit 
l'air  épais  (11).  Tout  le  moyen  âge  a  admis  cette  bizarre  idée  :  Alcuin 
voit  les  démons  errer  sans  cesse  dans  les  airs,  occupés  à  épier 
l'homme  pour  le  tenter  :  Diabolus  mm  suis  complicibus  per  istum 
vagatar  aerem,  insidians  salati  fideUam{i2),  Albert  le  Grand  dit  que 

[i]  De  Orat.c.U. 

(2)  Chroniq.  de  Raoul  Glaber,  collect.  Guîzot,  p.  334,  liv.  V,  c.  1. 

(3)  Hom.  3  de  incomp.  Dei  natur.  Ap.  Opef.,é(i.Montf.  1. 1,  p.  468. 

(4)  Serm.  VIII,  tn  Canlic.  ap.  Oper.  t.  II ,  col.  1283. 

(6)  S  Dionys.  Areop.  de  Cœlest.  hierarch.  c.  14,  p.  187,  éd.  Cordierî. 
(6)  Dan.  VII,  10.  Cf.  S.  Cyrill.  Calech.  Xrdejud.  post.  c.  24. 
(T)  S.  Thom.  Aq.  Summ.  theol  Part.  I ,  quaesî.  50,  art.  3. 
{8)  In  Asccns.  J.  C-  Ap.  Oper.  t.  II,  p. 4 48,  éd.  Montfaucon. 

(9)  lEp.  Corinlh.  VI.  12. 

(10)  De  incarnat,  verb.  Dei,  c.  2Ô.  Ap.  Opçr.  ét^.Congr.  S.  Maur,  1. 1,  p.  68,  et 
^tt.  *y.  ^n(o?i.  c.  21,  p.  812.        -.         ,,,:,.,, 

(11)  Çaliginpsi  aeris  earcere^devit.  -CovUempU  lib.  III,  c.  2, 
(^?^  f  9M««-  nd.  c.  2J&.  Ap.  Oper.  t.  iv,  p.  405. 


DES  DIVINITES  ET  DES  GENIES  PSYCHOPOMPES. 

leur  troupe  parcourt  à  tout  instant  l'atmosphère  qui  entoure  notre 
globe  (1).  De  môme  que  les  démons  étaient  regardés  par  plusieurs, 
conformément  à  l'ancienne  croyance ,  comme  des  hommes  admis  aux 
cîeux  pour  leurs  vertus  ,  certains  Pères,  Origène  et  Philaslre  à  leur 
tête,  ont  cru  que  les  anges  étaient  les  âmes  des  justes.  ïertullien 
a  dit  que  les  âmes  des  méchants  deviennent  des  démons  (2). 

La  persuasion  oii  l'on  a  été  pendant  tout  le  cours  du  moyen  âge, 
de  la  présence  des  démons  dans  l'air,  c'est-à  dire  dans  toute  la  na- 
ture, puisque  Tair  pénètre  pour  ainsi  dire  tous  les  objets,  a  donné 
naissance  à  la  classification  de  Psellus  (3),  en  démons  aériens,  terres- 
tres, aquatiques,  marins,  souterrains,  etc.,  etc. 

Par  une  croyance  absolument  semblable  à  celle  qui  faisait  croire 
que  les  (^aî'povsç  se  nourrissaient  d'une  matière  plus  subtile  que  celle 
qui  constitue  les  aliments  de  l'homme,  telle  par  exemple  que  la  fumée, 
Saint-Justin  (4),  Saint-Clément  d'Alexandrie  (5),  Minucius  Félix  (6) 
et  d'autres  Pères  de  l'Église  ont  admis  que  les  anges  vivaient,  dans 
le  ciel,  d'une  nourriture  particulière  appropriée  à  leur  constitution 
éthérée.  On  admettait  une  nourriture  analogue  pour  les  diables  (7). 
Les  (^atf/ovsç  forment ,  chez  les  Grecs,  le  cortège  habituel  de  la 
divinité.  Proclus  assure  que  les  dieux  étaient  toujours  accompagnés 
d'une  grande  suite  de  démons  (8).  C'est  aussi  environné  des  célestes 
légions,  qu'apparaît  le  Tout-Puissant;  c'est  ainsi  que  nous  l'of- 
frent sans   cesse  les   monuments  figurés.  Les   inscriptions   chré- 
tiennes parlent  fréquemment  du  roi  de  l'univers  qu'escortent  les  lé- 
gions invisibles  des  anges  (9).  C'est  dans  ce  cortège  que  certains 
esprits  s'attendent  encore  à  voir  Dieu  paraître  à  la  fin  du  monde. 
Les  anges  sont  de  véritables  àaâiiQvzq  Tïohovpy^ot.  Les  démons  pro- 
tègent les  villes,  les  peuples,  les  individus.  Chaque  cité,  chaque  lieu 
a  son  génie  auquel  font  allusion  tant  d'inscriptions  (10).  Rome  recon- 

(1)  Summ,  theolog.  part.  2  ,  quaist.  7.  ^p.  Oper,  t.  XVIII,  p.  75. 

(2)  Cf.  Note  de  Delarue,  t.  IV,  p.  202,  de  son  édilioa  d'Origène,  et  Huet,  Orige' 
nianor.y  lib.  II,  p.  166.  ap.  eamd.  édition. 

(3)  De  Opérât.  Dminon^  c.  10. 

{4j  Dialog.  cumTryphon.  p.  170,  éd.  Jebb, 

(5)  S  Clem.  Alexand.  Paedagog.  lib.  î,Ap.  Opéra,  éd.  Potter,  1. 1,  p.  122-123. 

(6)  Oclavius,  c.  27. 

(7)  Pselli  de  Opérât.  Dœmon,  c.  151. 

(8)  Cf.  Gale  in  Jamblich.  de  Myster,  I.  V,  c.  10. 

(9)  Voyez,  par  exemple,  une  inscription  et  une  mosaïque  du  monastère  de  Glié- 
lalhi ,  rapportées  par  M.  Dubois  de  Monlpéreux,  dans  son  savant  f^oyageau  Cau- 
case,  t.  II,  p.  186.  Allas,  Part.  Archéol.  PI.  XXI,  fig.  1. 

(10)  Cf.  Orelli,  Inscr.  latin,  sélect,  passim. 


600  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

naissait  un  génie  tutélaire,  comme  Israël  avait  son  ange.  Daniel 
nous  parle  de  l'ange  des  Perses  et  de  celui  des  Grecs.  L'Apoca- 
lypse attribue  un  ange  protecteur  à  chaque  église.  Eo-Ty^crsv  6  Bsb^'^ 
ccyyéXo'Jç  xarà  roc  yJ^xoL-za.  tv^ç  oiy.oviiévnç  eva  eyotarov  i-KLzpoTiéveiv , 
dit  saint  Jean  Chysostôme  (l).  Saint  Denis  l'Aréopagite  nous  tient 
le  même  langage  (2)  ;  ce  Non  solum  episcopos  ad  tuendum  gregem 
((  Dominus  ordinavit,  sed  eliam  aiigelos  destinavit  »,  écrJtsaint  Am- 
broise  (3).  Et  c'est  cette  idée  qui  fit  parfois  imposer  aux  évoques  le 
surnom  à'Ecclesiœ  angeli  (4).  Enfin  saint  Thomas  d'Aquin  saacr 
lionne  cette  doctrine  de  tout  le  poids  de  son  autcfité  théologique  : 
c(  Angeli  custodiunt  particulares  homines,  dit-il,  archangeli  pro- 
((  vincias,  principatus,  totam  naturam  humanam,  virtutes,  corpora, 
((  potestates  supra  daemones,  sed  dominationes  supra  bonos  spiritus 
((  habent  custodiam  (5).  » 

Origène  (6)  assimile  si  bien  les  anges  à  des  gouverneurs  de  pro- 
vince, qu'il  va  jusqu'à  avancer  que  dans  le  ciel  ils  tirent  au  sort 
pour  savoir  de  quelle  nation ,  de  quelle  province  et  de  quelle  per- 
sonne ils  seront  les  gardiens.  On  sait  que  cette  assimilation  fut  au 
moyen  âge  et  dans  les  temps  modernes  poussée  plus  loin  encore,  et 
que  Carlo  Fabri  ne  craignit  pas  dédire  que  les  sept  électeurs  de  l'em- 
pire germanique  avaient  pour  protecteurs  les  sept  archanges  Michel, 
Gabriel ,  Raphaël ,  Scealtel ,  Uriel ,  et  Ferediel  (7). 

Les  démons  du  paganisme  se  divisaient  en  bons  et  méchants;  cette 
même  division  fut  adoptée  pour  les  anges.  Les  bons  démons  s'attachent 
aux  hommes  vertueux  qu'ils  guident  de  leurs  conseils,  éclairent  de  leurs 
lumières  (8);  les  méchants  sont  ennemis  de  l'homme  (9).  Heureux 
ceux  qui  écoutent  les  avis  salutaires  des  bons  démons ,  ils  atteignent 
le  bonheur  suprême  (10)  et  causent  la  joie  de  leurs  célestes  guides. 
La  même  félicité  est  réservée  à  celui  qui  se  remet  aux  mains  de  son 

(i)  Ap.  Photii  Biblioth.  éd.  Bekker,  p.  1544.  P.  517,  col.  2. 

(2)  De  Cœlesl.  hierarch.  éd.  Cordicri,  t.  II,  p.  136. 

(3)  S.  Ambros. Oper.,  édit.  Congr.  S.  Maur.,  t.  I,  col.  976. 

(4)  Augusli,  Dcnkwûrdigkeil.  etc.  t.  X ,  p.  124. 

(5)  S.  Thom.  Aq.  Summ.  theol.  19,  113,  3,  c. 

'(6j  Orig.  in  gêner.  Hom.  IX,  p.  86;  t.  II,  éd.  Delarue,  p.  157.  Ibid.  In  ExGd. 
et  Hom,  XXIII.  In  librum  Jesu  narc,  p.  451.  Ibid.  U  II ,  éd.  Delarue. 

(7)  Cf.  Barbeyrac,  Delà  nature  du  sort,  p.  102;  et  Oaffarel,  Curios.  inouïes, 
C.  10,  p.  440. 

(8)  Chalcidir  in  Tim,  Platon.  Corn.  p.  226.  S.  Clem.  Alçx.  Stmna^Aibimi, 
c.2,p.  382.  "'  ',    '".    ;^  ■ 

(9)  Porphyr.  de  Absiin.  Hb.  II,  c.  40. 

(10)  Cf.  Fabriciusm./^c(.  s. /o/ia?iw.  c.  17. 


DES  DIVINITES  ET  DES  GENIES  PSYCHOPOMPES.  601 

ange;  méprise-t-il$u  Contraire  ses  conseils ,  l'ange  en  gémit, 
pleure  sur  ses  péchés  et  le  fuit  comme  les  abeilles  fuient  la  fumée  et 
les  colombes  la  puanteur  (1). 

Les  méchants  démons ,  nous  dit  Xénocrate,  sont  terribles  et  puis- 
sants; ils  sont  ennemis  de  l'homme;  ils  sont  chargés  de  punir  les 
impies  et  les  coupables  (2).  liyMpol  dciiy.oveç  olg  ol  Beol  àr,ijloiq 
yj^wjxoLi  •Aoly.azodç,  iizi  Tohq  'œjoaio-jq  v.ai  à^Jiy.our^  àvOpMirovÇf  dit  Chry- 
sippe,  dans  Plularque  (3),  qui  les  appelle  ailleurs  uTTcpr.cpavwv,  xa« 
lJ.eyxlavjziiJ.(ùpGvç,  Dans  ces  génies,  occupés  à  punir  l'orgueil  et  1q 
crime  des  habitants  de  la  terre,  on  reconnaît  la  copie  ou  le  modèle 
des  diables  chrétiens;  des  anges  exterminateurs  des  Hébreux.  Tout 
le  portrait  que  l'on  trace  de  ces  méchants  démons  répond  trait  pour 
trait  à  celui  des  diables.  Us  sont  faux  et  menteurs ,  inspirent  aux 
hommes  des  opinions  mensongères  et  coupables,  les  poussent  aux 
plaisirs  des  sens,  cherchent  à  s'attirer  les  adorations  de  l'homme  et  à 
usurper  un  culte  qui  n'appartient  qu'aux  dieux  (4). 

(1)  s.  Basil,  in  Psalm,  XXIII,  p.  220   Ap.  Opéra,  t.  I ,  p.  220. 

(2)  Cf.  Origon.  Comment,  in  Math.  X.  Ap.  Opéra,  éd.  Delarue,  t.  III,  p.  4.^6. 

(3)  De  Oracul.  defect.  p.  417. 

(4)  Porphyr.  de  Abstin.  lib.  II,  c.  39  ,  40.  Jamblich.  de  Myster.  I ,  c.  9. 

(La  suite  au  numéro  prochain.) 


NOUVELLES    OBSERVATIONS 


SUR 


l'AGE  DU  PORCHE  DE  NOTRE-DAME-DES-DOMS. 


DEUXIÈME  ARTICLE. 


En  revenant  sur  une  question  aussi  intéressante,  notre  intention 
n*est  pas  pius  de  provoquer  une  discussion  qui  pourrait  néanmoins 
profiter  à  l'art,  que  de  constater  l'erreur  dans  laquelle  seraient  tombés 
les  savants  les  plus  recommandabies.  Loin  de  nous  une  pareille  pré- 
tention !  Notre  plume,  humble  et  faible,  n'entendra  jamais  battre  en 
brèche  les  œuvres  ou  les  opinions  des  princes  de  la  science.  C'est  déjà 
trop  pour  elle  d'avoir  mis  l'historien  de  nos  monuments  nationaux  à 
même  de  combattre  une  ancienne  opinion,  et  d'avouer  que  ce  ne  sera 
pas  la  dernière  fois  que  l'expérience  l'obligera  de  rectifier  ses  pre- 
miers jugements.  On  ne  saurait  demander  plus  à  la  franchise  et  au 
talent. 

Des  inductions  archéologiques  autant  qu'historiques  m'ont  amené 
à  penser  que  quelques  parties  de  monuments  du  département  de  Vau- 
cluse,  et  entre  autres  le  porche  de  la  métropole  d'Avignon,  datent  de 
la  fin  du  IX*  et  du  commencement  du  X^  siècle.  Dans  le  dernier  nu- 
méro de  la  Reme,  M.  Mérimée  cherche  à  combattre  cette  opinion  en 
donnant  une  description  du  porche  de  Saint-Restitut  qu'il  fait  dater 
du  XP  au  XI P  siècle.  Or,  une  objection  se  présentait  tout  naturelle- 
ment :  Pourquoi  le  porche  de  Saint-Restitut  ne  serait-il  pas  une  copie 
de  celui  d'Avignon ,  copie  exécutée  d'après  un  type  célèbre  depuis 
longtemps  dans  le  pays?  Cette  objection,  la  sagacité  de  M.  Mérimée 
n'a  pas  manqué  de  la  lui  faire  prévoir;  mais  je  crains  qu'il  n'ait  été 
moins  heureux  en  disant  que  cette  supposition  manquait  de  vraisem- 
blance. 

Une  chose  qui  contribue  beaucoup  à  jeter  dans  l'embarras  les  ar- 
chéologues du  nord ,  relativement  aux  monuments  du  midi ,  "c'est  de 
vouloir  embrasser  toutes  nos  antiquités  nationales  dans  un  seul  et 
même  cadre,  de  les  juger  avec  le  même  critérium,  si  je  puis  m'expri- 
mer  ainsi.  Pourquoi  faire  pour  l'archéologie  ce  qu'on  ne  ferait  pas 
pour  l'histoire,  pour  la  politique,  pour  la  législation?  Il  y  a  autant  de 
différence  entre  le  midi  et  le  nord  de  la  France  qu'entre  les  Romains 
et  les  Celtes,  entre  les  Burgondes,  les  Ostrogoths  et  les  Franks,  entre 
la  civilisation  et  la  barbarie.  Le  nord  fut  vaincu  et  absorbé,  le  midi 


PORCHE  DE  NOTRE-DAME-DES-DOMS.  tt| 

conquit  et  absorba  ses  vainqueurs.  Là,  tout  disparut  dans  la  con- 
quête. Il  se  fit  une  longue  nuit  de  ténèbres  et  de  barbarie  que  dissipa 
à  peine,  au  bout  de  six  cents  ans,  le  soleil  de  la  renaisslance.  Dans  le 
midi,  au  contraire,  les  Barbares,  ceux  du  moins  qui  s'y  fixèrent, 
s'amollirent  au  contact  de  la  civilisation.  L'histoire  est  là  pour  nous 
prouver  que  tous  leurs  efforts  tendirent  à  s'assimiler  aux  vaincus. 
Cédèrent-ils  aux  attraits  d'un  beau  ciel  ou  d'une  société  plus  rafBnéet 
Ce  qui  est  positif,  c'est  qu'ils  respectèrent  tout  :  croyances,  mœurs, 
administrations,  préjugés,  législation,  beaux-arts.  C'est  des  forêts  du 
nord  que  fondaient  ces  bandes  affamées  qui  venaient  porter  dans  le 
midi  la  désolation  et  l'effroi.  Les  Franks  de  Clovis  et  de  Charles 
Martel  lui  firent  infiniment  plus  de  mal  que  les  Sarrasins  et  que  les 
Northmans.  Aussi,  autant  par  haine  de  ces  sauvages  ennemis,  autant 
par  antagonisme  de  races  que  par  une  conséquence  des  rapports  inces- 
sants et  fraternels  entre  les  peuples  du  midi  de  la  France  et  les  peu- 
ples d'Italie  et  d'Espagne,  il  s'établit  entre  ceux-ci  une  solidarité  de 
principes  qui  ne  tarda  pas  à  réagir  dans  le  domaine  de  l'art.  Fidèles  à 
la  tradition  romaine  dans  le  cercle  administratif  et  gouvernemental, 
ils  ne  répudièrent  point  l'art  païen ,  alors  mfême  que  l'esprit  religieux 
vint  rompre  avec  les  souvenirs  de  l'antiquité;  et  quand  plus  tard  le 
génie  du  catholicisme  trouve  un  nouveau  système  d'architecture,  ca- 
pricieux et  hardi  symbole  de  sa  foi  ;  quand ,  danâ  le  nord,  l'imagina- 
tion, plus  rêveuse  et  plus  fantastique,  court  après  les  mille  caprices  de 
l'ornementation,  les  combine  et  les  transforme  à  l'infini ,  les  artistes 
méridionaux,  stationnaires  pour  ainsi  dire,  semblent  abandonner  à 
regret  les  vieilles  traditions  du  passé  et  rompre  avec  peine  a^eç  les 
souvenirs  de  l'art  païen.  : ." 

Il  ne  faudrait  rien  préjuger  de  la  présence  de  l'ogive  dans  nos  mo- 
numents du  XP  et  même  du  X^  siècle.  Elle  s'y  rencontre  dans  une 
position  tout  à  fait  secondaire,  comme  moyen  de  solidité  quand  les 
arcs  doivent  avoir  une  grande  portée,  mais  jamais  comme  ornementa- 
tion. Dans  le  nord,  l'ogive  est  le  symbole  d'une  ère  nouvelle,  d'une 
époque  de  régénération  politique  et  artistique.  Elle  marche,  elle  pro- 
gresse avec  la  sécularisation  de  l'art,  elle  coïncide  avec  ce  qu'on  appelle 
l'affranchissement  des  communes.  La  pensée  ayant  germé  sous  tous 
les  fronts,  ayant  éclos  dans  toutes  les  intelligences,  il  devait  se  faire 
un  traité  de  paix  et  d'union  entre  les  architectes  prêtres  et  les  arcbi- 
tectes  laïques.  Le  plein  cintre  et  l'ogive  se  donnèrent  la  main  sans  que 
l'un  dominât  Fautre,  jusqu'à  ce  que,  par  suite  de  l'émancipation  poli- 
tique ,  l'ogive  triomphât  définitivement  de  son  antique  rival.  Le 


604  ;|r,,^J|5VUE  ARCHEOLOGIQUE.  ,  , 

XIIP  siècle  fut  la  brillante  apogée  du  système  ogival,  Il  n'en  fut  pas 
ainsi  dans  le  midi.  Ici,  comme  nous  venons  de  le  dire,  et  comme  nous 
le  prouvons  IpngAiement  dans  notre  Statistique  générale  du  départe- 
ment de  Vaucluse,  la  conquête  n'éteignit  aucun  des  vieux  souvenirs  ro- 
ma,ins.  La  législation  et  les  arts  du  grand  peuple  avaient  laissé  dans 
le  sol  et  dans  les  mœurs  de  profondes  et  de  vivaces  racines.  La  Curie 
n'avait  jamais  disparu  :  elle  avait  été  continuée  par  la  Commune. 
Nos  comtes  et  nos  vicomtes  se  disaient  les  proconsuls  de  la  Curie.  Le 
midi  put  donc  accueillir  l'ogive  de  bonne  heure  comme  la  personnifi- 
cation,de  la  nouvelle  puissance  laïque,  comme  le  développement  d'une 
forme  employée  par  les  constructeurs  rivaux  des  prêtres  et  des  moines. 
Il  put  lui  donner  tout  d'abord  l'hospitalité,  c'est-à-dire  une  pince  se- 
condaire ;  mais  bientôt-  la  vieille  rancune  contre  le  nord  se  réveilla. 
Par  haine  de  tout  ce  qui  venait  de  ce  pays ,  haine  qui  nous  est  bien 
et  dûment  attestée  par  les  chroniqueurs,  peut-être  aussi  un  peu  par 
l'influence  de  l'ancienne  civilisation  païenne,  ou  par  un  simple  motif 
d'esthétique  et  de  goût,  le  midi  resta  fidèle  au  système  de  la  ligne  ho- 
rizontale, et  ne  permit  pas  au  système  curviligne  de  chercher,  comme 
dans  le  nord,  son  p)us  complet  développement.  C'est  ce  qui  nous  ex- 
plique la  présence  craintive  de  l'ogive  durant  la  période  romano-by- 
zantine,  sa  disparition  au  XIIP  siècle,  époque  de  la  grande  lutte 
albigeoise,  de  cette  guerre  atroce  du  nord  contre  le  midi ,  et  sa  réap- 
parition, au  siècle  suivant,  à  la  suite  d'un  pouvoir  qui,  sur  nos  bords 
du  Rhône,  fut  à  la  fois  temporel  et  spirituel.  Et  pourtant,  même 
alors,  l'ogive  n'osa  pas  s'élever  triomphalement,  comme  elle  avait  fait 
dans  le  nord!  Sous  le  ciel  du  midi,  les  souvenirs  antiques  empêchè- 
rent toujours  la  ligne  perpendiculaire  de  prendre  un  noble  essor 
vers  les  cieux.     •     n 

De  tout  ce  qm  précède,  il  résulte  pour  moi  que  le  midi  ne  pouvait 
avoir  son  époque  de  renaissance  du  XP  au  XII''  siècle,  époque  à  la- 
quelle il  l^iut,  sufvant  M.  Mérimée,  rapporter  les  imitations  évidentes 
de  l'antique.  L'art  n'avait  pas  besoin  d'y  renaître,  puisque  l'art  n'y 
avait  jamais  péri  totalement,  puisque  les  peuples  conquérants  avaient 
tout  respecté,  et  que  les  seuls  et  véritables  Barbares  furent  les  hordes 
de  la  grande  invasion  et  les  Franks  du  VP  au  VHP  siècle.  La  Pro- 
vence et  l'Italie  ne  formèrent  pendant  longtemps  qu'un  seul  et  même 
pays.  Les  mœurs  et  les  arts  de  l'une  furent  les  mœurs  et  les  arts  de 
l'autre.  On  sait  que  le  style  antique  romain  se  maintint  fort  tard  en 
Italie  jusqu'à  la  (in  dû  X*  siècle.  Or,  quand  l'évêqueFulchérius,  au- 
quel des  chartes  donnent  le  titre  de  Grand,  à  cause  de  sa  vertu,  de 


PORCHE  DE  NOTRE-DAME-DES-DOMS.  605 

sa  piété  et  de  ses  libéralités  envers  les  églises  de  son  diocèse(l),  quand 
le  conseiller  et  le  favori  de  Louis  l'Aveugle  entreprit,  au  commence- 
ment du  X''  siècle,  de  faire  bâtir  une  église  dans  Avignon ,  et  de  ré- 
parer celles  qui  étaient  ruinées  et  abandonnées  parleurs  moines,  quel 
type  devait-il  et  pouvait-il  imiter?  Le  type  romain  seul  était  là  devant 
ses  yeux;  les  débris  des  temples  païens  existaient  sans  doute  encore 
à  cette  époque  dans  la  contrée.  Pourquoi  l'église  ne  se  serait-elle  pas 
modelée  sur  le  temple,  sauf  les  modifications  convenables?  Le  porche 
est-il  autre  chose  que  la  partie  qui  précédait  l'entrée  delace//a,  le 
Tcpovor.oç,  le  Tzpoâoaoq,  Yanlicum  des  Latins?  Les  pilastres  des  autres 
ont  changé  de  place  avec  les  colonnes;  on  a  fermé  les  entre-colonne- 
ments  latéraux.  Voilà  tout.  — Si  le  porche  de  Saint-Restitut  est  du 
XP  au  XIP  siècle,  c'est  une  copie  du  porche  de  Notre-Dame -des- 
Doms,  copié  lui-même  sur  le  type  primordial  des  temples  antiques.  Il 
est  à  remarquer  que  les  façades  de  nos  plus  anciennes  églises,  comme 
celles  de  Vaison ,  de  Cavailloy,  d'Orange  et  d'Apt ,  ont  toutes  été  re- 
faites dans  les  temps  modernes.  Conservées  ,  quelques-unes  d'entre 
elles  nous  eussent  évidemment  présenté  des  porches  à  peu  près  sem- 
blables à  celui  d'Avignon,  ainsi  qu'on  peut  en  juger  par  le  porche  la- 
téral de  l'église  de  Thor.  Celui  de  Notre  Dame-des-Doms  devait  les 
précéder,  parce  que  c'était  à  la  métropole  à  donner  l'exemple,  et  que 
son  évoque  disposait  de  grandes  richesses  dues  à  sa  position  et  à  sa 
considération  personnelle.  Le  luxe  qu'il  déploya  dut  moins  ressortir 
des  fantaisies  de  l'ornementation  et  des  détails  de  sculpture,  peu  usités 
à  cette  époque,  que  de  cette  sévère  ordonnance  antique,  relevée  par  de 
riches  moulures  dorées,  et  par  ces  peintures  dont  les  débris  seulement 
ont  suffi  à  d'éminents  artistes  pour  croire  à  la  collaboration  des  pein- 
tres byzantins  (2).  Jules  Courtet. 

(1)  Le  P.  Nouguier,  dans  son  Hist,  de  l'Eglise  et  des  évêques  d'Avignon, 
donne  deux  Fulchérius ,  évêques ,  c'est  à  la  date  de  835  et  l'autre  à  la  date  de  911  ; 
le  premier,  grand  favori  de  l'empereur  Louis  le  Débonnaire,  et  l'autre  de  Louis 
l'Aveugle,  dont  il  reçut  de  grandes  faveurs.  Or  ces  deux  évêques  ne  sont  qu'une 
seule  et  même  personne.  Par  une  erreur  commune  de  son  temps  et  bien  prouvée 
aujourd'hui ,  le  P-  Nouguier  attribuait  à  Louis  le  Débonnaire  une  charte  qui  est  de 
Louis  Bozon ,  et  dont  l'original  est  aux  Archives  de  la  préfecture,  cart.  Avenion. 
vol.  III,  n'7. 

(2)  Il  n'est  question  ici  que  des  peintures  du  porche ,  débris  admirables  d'un  faire 
large  et  moelleux,  et  non  des  maigres  silbouettes  de  l'entrée  de  l'église ,  lesquelles 
accusent  les  tâtonnements  des  artistes  du  XIV«  siècle.  —  (quelques  erreurs  typo- 
graphiques se  sont  glissées  dans  notre  premier  article;  nous  relèverons sculemenl  les 
principales.  Ainsi, à  la  ligne  9  de  la  note,  lisez  :  echinus  ;  à  la  ligne  il  :  arc  pour 
ove;  à  la  ligne  16  :  le  pour  la.  Page  474,  ligne  4,  après  le  mot  démolUiun,  ajoutez 
du  clocher;  ligne  12,  lisez  :  les  tambours.  .  .  .  engagés;  lignes  17  et  18,  lisez: 
les  fous  contemporains;  page  475,  ligne  2,  lisez:  rentrent.  Dans  l'arlicU  de 
M.  Mérimée,  p.  â-O^Î,  ligne  8  ,  lisez:  X«  au  lieu  de  XII». 


f.Qb 


EXPLICATION 

DU  VITRAIL   DE   SAINT-DENIS, 

REBRËSENTANÏ  L'ÂBB&iiuGEt), 


Depuis  que  les  représentations  figurées  du  moyen  âge  ,  étudiées 
avec  plus  de  soin  qu^'elles  n'avaient  été  jusqu'alors,  ont  donné  nais- 
sance à  une  branche  nouvelle  de  l'archéologie,  l'iconographie  chré- 
tienne, les  vitraux  de  nos  églises,  si  riches  en  sujets  symboliques  et 
historiques  de  toute  sorte ,  ont  dû  fixer  l'attention  plus  particulière 
des  antiquaires.  Au  nombre  des  plus  magnifiques  verrières  que  nos 
temples  aient  possédées,  se  placent  incontestablement  celles  de  l'ab-* 
baye  de  Saint-Denis.  Ces  immenses  vitrages,  si  multipliés  que  quel- 
ques-uns avaient  pu  dire  avec  raison  qu'il  y  avait  à  Saint-Denis  plus 
de  vitres  que  de  bâtiments,  ne  laissaient  pénétrer  dans  l'intérieur 
qu'un  jour  sombre  et  mystérieux,  qui  ajoutait  encore  au  caractère 
imposant  de  l'édifice  (1).  Ces  vitres  (écrit  Dom  Doublet,  l'historien 
de  l'abbaye),  sont  les  plus  riches,  les  plus  magnifiques  et  les  plus  ex^ 
quises  qui  soient  en  Europe,  tant  pour  la  matière  que  pour  les  vives 
couleurs  dont  elles  sont  composées.  Cette  profusion  de  vitraux  avait 
fait  donner  à  cette  basilique  le  surnom  de  Lucerna ,  Lanterne  (2). 
C'était  à  la  magnificence  et  au  goût  éclairé  pour  les  arts  de  l'immortel 
Suger,  qu'on  était  redevable  de  ces  admirables  verrières.  Du  petit 
nombre  d'ornements  qui  étaient  restés  de  la  reconstruction  du  mi- 
nistre de  Louis  yil,  et  qu'avait  laissés  en  leur  place  l'abbé  Eudes  de 
Clément  dans  ses  immenses  travaux,  ces  chefs-d'œuvre  de  la  pein* 
ture  sur  verre  ne  trouvèrent  point  grâce  devant  la  fureur  dévasta- 
trice de  à3.  Pliisieurs  néanmoins  furent  arrachés  au  vandalisme  ré- 
volutionnaire par  le  zèle  et  le  dévouement  d'Alexandre  Lenoir. 

Quoique  les  annales  de  l'abbaye  de  Saint- Denis  ne  nous  aient  con- 
servé que  bien  peu  de  renseignements  sur  les  vitraux  en  question, 
plusieurs  témoignages  formels  cependant  établissent  que  Suger  avait 

(1)  L'abbé  Lebeuf,  JJist.  du  diotèse  de  Paris,  t.  III,  p.  183. 

(2)  D.  Doublet,  antiquités  et  Histoire  de  l'Abbaye  de  Saint-Denis ,  p.  28G, 


EXPLICATION  DU  VITRAIL  DE  SAINT-DENIS.  Cdt 

apporté  un  soin  tout  particulier  à  la  décoration  des  fenêtres  de  Tédi- 
fice  (l).  Unde  quia  magni  constant  mirifico  opère,  dit  le  livre  de  l'ad- 
ministration de  Suger,  attribué  à  cet  abbé  lui-même ,  mais  qui  paraît 
avoir  été  plutôt  de  Guillaume ,  religieux  de  Saint-Denis  (2) ,  auteur 
de  sa  vie.  Sumptuque  profecto  vitrl  vestiti  et  saphiroram  materia  tuitioni 
et  refectioni  earum  ministerialem  magistnim  sicut  etiam  ornamentis  au- 
reis  et  argenleis  perilum  auri  fabriim  constituimus  ;  et  ailleurs  on 
ajoute  :  Qui  enim  inter  alia  majora  etiam  admirandamm  vitrearum 
operarios  et  materiem  saphirorum  locupletem  adminislrabit. 

Nous  apprenons  par  le  même  livre  que  ces  peintures  formaient  une 
suite  nombreuse  et  variée,  commençant  par  Y  Arbre  de  Jessé  qui  se 
trouvait  au  chevet  de  l'église  et  finissant  au  vitrail  placé  sur  la  porte 
principale.  Suger  avait  chargé  de  leur  exécution  les  maîtres  les  plus 
habiles,  dont  plusieurs  avaient  même  été  appelés,  dans  ce  dessein,  des 
pays  étrangers. 

Nous  sommes  heureux  que  dans  le  petit  nombre  des  verrières  que 
nous  possédons  encore,  se  trouve  précisén^ent  un  sujet  qui  établit 
d'une  manière  incontestable  l'époque  de  leur  exécution;  il  nous  four- 
nit de  plus  la  preuve  de  Tattention  toute  particulière  dont  les  pein- 
tures avaient  été  l'objet  pour  Suger,  ainsi  que  le  <lémontrent  nos 
textes  que  nous  venons  de  citer.  Sur  l'un  des  panneaux  du  double  vi- 
trail, seul  reste  de  tant  de  chefs-d'œuvre ,  on  remarque  la  figure  de 
Suger  lui-même.  Cette  particularité  d'un  puissant  intérêt  fiistorique 
nous  a  déterminés  à  donner  aux  lecteurs  de  la  Revue  la  reproduction 
de  ce  panneau;  la  planche  XVIII  pourra  servir  en  même  temps  de 
spécimen  de  la  fenêtre,  qui,  selon  l'expression  dont  se  sert  M.  Ferdi- 
nand de  Lasteyrie  dans  son  excellent  ouvrage  (3),  réunit  tous  les  ca- 
ractères de  l'ornementation  le  plus  en  usage  à  cette  époque,  et  peut  être 
considérée  comme  un  résumé  de  la  peinture  sur  verre  auXlI«  siècle. 

Notre  panneau  représente  Y  Annonciation.  Aux  pieds  de  la  Vierge^ 
on  voit  Suger  dans  son  costume  d'abbé,  la  crosse  entre  les  bras.  L'in- 
scription Sugerias  abas  (sic)  ne  nous  permet  pas  de  douter  de  l'iden- 
tité de  ce  personnage  avec  le  ministre  de  Louis  VIL  Son  visage  est  fort 
laid  et  ne  répond,  en  aucune  façon,  à  l'idée  qu'on  se  serait  faite  de  celui 
d'un  homme  d'un  si  noble  caractère  et  d'une  si  haute  intelligence.  Il 
implore  la  protection  de  l'auguste  mère  du  Sauveur,  patronne  de  toute 

(1)  Cf.  Félibien,  Hist.  de  l'Abbaye  de  Saint-Denis ,  liv.  II,  p,  57.  Monlfaucon, 
Anliq.  expliq.  t.  I ,  p  177,  pi.  XXIV. 

(2)  D.  Doublet,  o.  c.  p.  285. 

(3)  Histoire  de  la  Peinture  $ur/cerre» 


60$  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

église,  OU  plutôt  il  lui  rend  grâce  pour  la  protection  qu'elle  a  ac- 
cordée à  l'édification  de  la  basilique.  Rien  n'est  au  reste  plus  ordi- 
naire que  la  présence  sur  un  vitrage  du  personnage  qui  l'avait 
consacré,  et  le  peuple,  au  moyen  ûge,  ne  nourrissait  pas  ces  sus- 
ceptibilités religieuses  qui  forçaient  Phidias  à  s'exiler,  pour  avoir 
sculpté  sa  figure  parmi  les  guerriers  du  bouclier  de  la  Minerve  dû 
Parthénon. 

L'ange  Gabriel,  portant  une  sorte  de  sceptre  de  la  main  gauche, 
bénit  de  la  main  droite  Marie  et  lui  adresse  les  mots  Açe  Maria,  qu'on 
lit  au  haut  du  champ  du  vitrail.  Ses  ailes  sont  couleur  de  feu,  comme 
celles  que  l'on  donne  aux  séraphins  et  aux  membres  élevés  de  la  hié- 
rarchie céleste.  Sa  tunique  verte  est  recouverte  d'un  palliumblanc(l). 
La  tête  de  l'archange  est  environnée  d'une  auréole  de  feu  comme 
les  ailes.  La  Vierge,  le  front  ceint  d'une  semblable  auréole,  se  lève 
de  son  grand  fauteuil  devant  le  messager  divin ,  témoignant  d'une 
sorte  d'embarras  mêlé  de  timidité,  comme  l'indique  surtout  le 
geste  de  sa  main  droite.  Elle  s'apprête  à  recevoir  l'Esprit  saint  qui 
s'échappe  d'une  sphère  lumineuse,  image  du  ciel,  et  se  dirige  vers 
son  oreille ,  d'après  une  croyance  dont  nous  avons  déjà  parlé  à  propos 
d'une  autre  peinture  de  \ Annonciation.  ] 

Ce  panneau ,  comme  tous  ceux  qui  composent  la  fenêtre,  est  placé 
dans  un  médaillon  rouge,  à  lisérés  perlés,  se  détachant  au  milieu 
d'un  réticulaire  formé  par  des  baguettes  rouges  à  intersections 
blanches  sur  un  fond  du  bleu  le  plus  vif.  Il  se  trouve  le  premier  à 
gauche ,  en  partant  des  trois  magnifiques  rosaces  qui  occupent  le 
sommet  de  la  fenêtre,  et  fait  pendant  à  un  autre  médaillon  représen- 
tant \ Adoration  des  Mages.  Aux  quatre  coins  de  ces  deux  médaillons 
s'en  trouvent  d'autres  plus  petits,  offrant  en  bustes  des  figures  d'anges 
à  tunique  rouge  et  à  ailes  vertes.  Tel  est  le  panneau,  qu'on  peut  ap- 
peler consécratif.  Il  a  été  replacé,  avec  le  vitrail  auquel  il  appar- 
tient, à  la  fenêtre  qu'il  décorait  jadis.  Il  figure  à  côté  des  vitraux 
modernes  dus  à  la  manufacture  de  Ghoisy-lé-Roi,  et  il  forme  au- 
jourd'hui l'un  des  plus  riches  ornements  de  la  royale  basilique. 
Grâce  aux  soins  intelligents  de  l'habile  et  savant  architecte,  qui,  de- 
puis plus  de  trente  ans,  s'est  consacré  à  la  restauration  de  ce  magni- 
fique monument,  l'église  de  Saint-Denis  ne  laissera  plus  bientôf  re- 
connaître la   moindre  trace  des  profimations  du  sans-culoîliî^me. 

,)h^>iy,iiHKi'.^  .  .'■  ■'.  ■  .-■  ;',;  .i'.'-.i  .  a  .. ;..■/!  .'!::)  [-^ 

(li  Cf.  sur  !<•  cosiumo  donné  aux  archange*,  r>a;br,  Symboiik  dcs.M(r^ttï*sheu 
CuUus,  t.  I  ,  p.  339  (Heidelb.,  I8:}7;. 


EXPLICATION   DU   VITRAIL  DE   SAINT-DENIS.  609 

Préoccupé  avant  tout  du  désir  de  reproduire  l'esprit  et  les  détails  de 
l'ancienne  construction,  M.  Debret  a  appelé  à  son  secours  aussi  bien 
l'étude  attentive  de  chaque  partie  de  l'édifice  que  l'examen  minutieux 
des  archives.  Dans  cette  tâche  pénible,  qu'il  a  poursuivie  avec  au- 
tant de  zèle  que  de  conscience,  il  n'a  rien  négligé  pour  que  sa  res 
tauration  fût  empreinte  du  goût  de  l'époque  qui  avait  vu  naître 
l'abbaye.  Quelques  archéologues,  mus  peut-être  davantage  par  les 
idées  systématiques  qu'ils  s'étaient  formées  sur  l'architecture  du 
moyen  âge,  que  conduits,  par  un  sentiment  réel  des  règles  de  l'art  et 
des  nécessités  qu'entraînaient  les  parties  subsistantes  de  l'ancienne 
construction ,  ont  critiqué  avec  amertume  plusieurs  détails  de  la  res- 
tauration. S'il  est  vrai ,  ce  qu'il  nous  est  difficile  de  croire ,  que 
M.  Debret  ait  manqué  à  certaines  observances  des  maîtres  construc- 
teurs du  XIP  siècle,  il  a  su  du  moins,  tout  en  conservant  le  plan 
général  primitif,  ne  pas  compromettre  l'élégance  et  le  bon  goût,  et 
reproduire,  dans  son  ensemble,  un  monument  sur  lequel  nul  ne  peut 
avoir  d'opinion  plus  assurée  que  lui. 

A.  M. 


à 


NOTE 


SUR 

UNE  GRAVURE  EIV  BOIS 

RÉPRÉSENTANT 

LA  VIERGE  ET   L'ENFANTî 

jé-  Jliîi  AVEC  LA  DATE  1418. 


'*Xa  gravure  avec  la  date  la  plus  ancienne  qu'on  connaisse ,  repré- 
sente saint  Christophe  portant  l'enfant  Jésus  sur  ses  épaules  (1).  Elle 
est  marquée  du  millésime  1423. 

On  ne  signale  que  trois  épreuves  de  cette  pièce  :  celle  du  Cabinet 
des  estampes  de  la  Bibliothèque  royale,  à  Paris,  que  M.  Léon  de  la 
Borde  regarde  comme  une  copie ,  l'épreuve  coloriée  de  la  biblio- 
thèque de  lord  Spencer;  une  troisième  restée  en  Allemagne,  celle 
probablement  que  C.-H.  de  Heinecken, auteur  classique  en  fait  d'arts 
du  dessin,  découvrit  dans  la  Chartreuse  de  Buxheim,  près  de  Mem- 
mingen  (2). 

De  Murr  en  a  donné  un  fac-similé  qu'on  retrouve  dans  V Essai  sur 
ï origine  de  la  gravure,  de  Jansen,  t.  I,  pi.  IV,  p.  106;  d'autres  fac- 
simile  sont  dans  la  Bibliotheca  spenceriana,  de  Dibdin,  t.  I,  p.  115, 
et  dans  \e  Mémoire  de  M.  L.  de  la  Borde  sur  V  Origine  de  Vimprimerie 
à  Mayence,  Paris,  1840,  in-4°.  Une  copie  réduite  en  contre-partie  a 
été  insérée  dans  le  Magasin  pittoresque ,  2^  année,  1834,  p.  404; 
consulter  aussi  d'Agincourt,  Histoire  de  Vart,  pi.  CLXIX,  n''  8, 

(1)  Sur  saint  Christophe,  voir  Molanus,  De  HistoriaSS.  imaginum,  lib.  III, 
c.  "27  ;  Revue  anglo-française,  1 ,  356,  M.  Alfred  Maury,  Essai  sur  les  légendes 
pieuses  du  moyen  âge,  p.  52  ;  L  -J.  Guenebault,  Dictionnaire  iconogr.  des  Mo- 
numents, p.  276-77;  et  surtout  Die  Atlrihulen  der  Heiligen.  Hanovcren.  1843, 
ouvrage  dont  MM.  Moreliet  et  Thomas,  professeurs  au  collège  de  Colmar,  nous  pro- 
meUeritune  traduction  corrigée  et  complétée.  M.  Ch.  Heideloff  de  Nuremberg,  dans 
son  recueil  intitulé:  Les  Ornements  du  Moyen  Age ,  w"  partie,  1844  ,  p.  31, 
pi.  IV,  fig.  d,  décrit  le  collier  de  la  confrérie  de  saint  Christophe,  fondée  en 
14^0,  par  le  comte  Guillaume  de  Henneberg,  et  à  laquelle  M.  Bechslein  se  propose 
de  consacrer  quelques  pages  de  son  grand  ouvrage  sur  les  monuments  de  la  Fran- 
conieetde  la  Thuringe. 

(2)  Idée  générale  d'une  Collection  complète  d'estampes  ;  Leipzig  filTi,  in-8, 
p.  250. 


NOTE   SUR  UNE   gravure;   EN  BOIS.  611 

section  Peinture;  et  le  Voyage  deDibdin  en  France,  t.  III,  p.  103 
et  suivantes,  etc.    ^       '„^^^,  ,^ 

Cette  planche  in-folio  est  du  genre  de  celles  des  dominotiers,  qui 
procédaient  des  cartiers,  comme  les  graveurs  sur  cuivre  procédèrent 
plus  tard  des  orfèvres.  Ces  dominotiers  s'appliquaient  en  italien  le 
mot  qui  sert  à  exprimer  les  opérations  typographiques,  à  une  époque 
ou  l'imprimerie  était  encore  ignorée.  Une  requête  des  cartiers  de 
Venise,  présentée  au  sénat  de  la  république,  le  11  octobre  1441^ 
contient  ces  mots  :  Carte  e  figure  stampide  che  sifanno  in  Venezid; 
manière  de  parler  usitée  également  dans  les  Pays-Bas ,  et  qui  suffit 
pour  faire  tomber  les  arguments  de  Des  Roches  et  de  son  auxiliaire 
F.-J.-J.Mols(l). 

De  pareilles  images  sur  bois  et  enluminées  étaient  fort  communes 
au  XV''  siècle.  On  raconte  que  l'une  de  celles  que  les  moines  dis- 
tribuaient dans  les  processions,  décida  la  vocation  de  Quentin 
Metseys. 

Mais  si  elles  abondaient  alors,  elles  disparaissaient  avec  facilité. 
Rien  ne  les  protégeait  contre  la  destruction,  ni  leur  mérite,  ni  leur 
prix,  ni  leur  forme.  De  là  vient  que  des  objets  sans  valeur  à  cette 
époque  sont  devenus  pour  nous  des  raretés  du  premier  ordre. 

C'était  donc  à  1423  que  s'étaient  arrêtées  les  investigations  les 
plus  favorisées.  Là ,  les  annales  de  la  gravure  avaient  fixé  leur  pre- 
mier jalon  ,  l^ur  point  de  départ. 

Un  hasard  propice  est  venu  faire  reculer  cette  limite  de  cinq 
années  : 

Il  y  a  quelques  semaines,  on  allait  briser  à  Malines  un  vîeuî^.coffre 
dont  on  avait  extrait  des  archives  moisies.  Dans  l'intérieur  du  cou- 
vercle était  collée  une  estampe  à  peine  visible.  Par  bonheur  il  se  trou- 
vait là  un  curieux  (2)  qui  en  détacha  les  fragments,  les  réunit  ensuite 
avec  adresse  et  comprit,  à  l'inspection  de  la  date  de  1418,  qui  y  est 
clairement  exprimée ,  que  cette  feuille  pouvait  intéresser  l'histoire 
de  l'art. 

On  détacha  à  peu  près  ainsi,  à  Bruges,  au  mois  d'août  1841 , 
quelques  autres  gravures  sur  bois  collées  dans  des  sépultures  en  ma- 
çonnerie de  l'église  cathédrale  de  Saint-Sauveur  (3),  mais  ces  der- 
nières étaient  beaucoup  plus  modernes. 

(1)  Celui-ci  a  cependant  soin  d'aller  au-devant  de  notre  objection.  Voyez  son 
Mémoire  dans  le  Bulletin  du  Bibliopli.  belge,  1,78., 

(2)  M.  J.  B.  De  Noter,  peintre  et  archllecte. 

(3)  O.  Delepierre ,  Wolice  sur  les  Tombes  découvertes  en  août  1841 ,  etc.,  in-8 
d«  8  pages  avec  un  fac-sirail«  in-plano. 


612  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

'  Attentif  à  ne  pas  laisser  sortir  de  notre  pays  les  choses  précieuses 
qui  s'y  découvrent,  nous  sommes  parvenu  à  acquérir  ce  trésor,  au 
prix  de  500  francs,  véritable  bagatelle  pour  un  morceau  de  cette  im- 
portance, unique  et  inédit. 

En  voici  la  description ,  en  attendant  que  nous  en  puissions  pu-' 
blier  une  copie  exacte. 

L'estampe,  qui  ajuste  40  centimètres  de  hauteur  sur  âô  centi- 
mètres et  demi  de  largeur,  et  qui  a  contracté  par  le  temps  une  teinte 
jaunâtre,  a  été  déchirée  en  plusieurs  endroits  ;  elle  offre  des  piqûres  de 
vers,  et  le  bas  a  même  été  enlevé,  mais  avec  du  papier  de  la  même 
époque  et  pris  dans  le  même  coffre,  on  l'a  habilement  raccomm.odée, 
en  laissant  cependant  aux  amateurs  la  faculté  de  la  bien  examiner 
des  deux  côtés. 

La  marque  du  papier ,  dont  les  pontuseaux  suivent  la  direction 
horizontale,  est  une  ancre  posée  en  face  vers  la  partie  supérieure. 
Or,  cette  marque  ne  se  voit  point  parmi  celles  qu'a  rassemblées 
Jansen. 

L'image  a  été  coloriée  suivant  l'ancien  usage  ;  toutefois  il  n'y  a 
guère  que  le  rouge  et  un  peu  de  vert  et  de  bistre  qui  aient  résisté. 

Dans  le  haut,  trois  anges  tendent  des  deux  mains  des  couronnes 
de  fleurs.  Deux  colombes  voltigent  au-dessous  d'eux.  Au  centre  d'un 
cercle  palissade,  semblable  à  celui  du  jardin  de  la  Pucelle  de  Hol- 
lande, est  assise  entre  deux  arbres  la  Vierge  avec  l'enfant  Jésus. 
Celui-ci  se  tourne  à  droite  vers  sainte  Catherine,  qui  a  pour  attri- 
buts un  glaive  et  une  roue.  Sur  l'extrémité  de  la  palissade  voisine  de 
l'épaule  droite  de  la  sainte  est  perché  un  oiseau,  une  colombe  en- 
core, peut-être.  A  gauche  est  sainte  Barbe,  tenant  une  tour;  sur  le 
premier  plan ,  à  droite ,  sainte  Dorothée ,  avec  un  bouquet  de  fleurs 
et  un  panier  de  fruits;  au  milieu  le  serpent  ou  dragon,  dont  la  Vierge 
doit  écraser  la  tête  ;  à  gauche,  sainte  Marguerite ,  qui  tient  une  croix 
et  un  livre.  La  palissade  est  fermée  par  une  barrière ,  et,  en  dehors, 
vers  la  gauche,  on  aperçoit  un  lapin  en  entier,  tandis  que  dans  l'es- 
tampe de  saint  Christophe,  le  lapin  est  presque  entièrement  caché 
dans  son  terrier. 

Si  l'image  que  nous  décrivons  est  plus  ancienne  qUe'îè  saint 
Christophe,  elle  est  aussi  infiniment  supérieure  pour  l'exécution.  En 
effet,  l'ordonnance  en  est  ingénieuse,  les  attitudes  sont  simples  et 
naturelles,  les  draperies  indiquées  dans  le  style  des  miniatures  de 
l'époque,  à  plis  larges  et  empesés,  et  le  dessin  ne  manque  pas  d'une 
certaine  correction. 


NOTE   SUR  UNE    GRAVURE   SUR   BOIS.  613 

La  gravure  n'est  qu'un  simple  contour  d'une  profondeur  remar- 
quable, et  qui  se  fait  sentir  en  repoussoir  par  derrière.  L'impression 
paraît  exécutée,  d'après  la  pratique  ordinaire,  avec  une  espèce  de 
détrempe  pâle  ou  plutôt  grise.  Le  papier  doit  avoir  été  appliqué  sur 
la  planche  et  frotté  fortement  au  revers,  ce  qui  explique  la  vivacité 
de  l'empreinte. 

Toutes  les  têtes  sont  nimbées ,  mais  le  nimbe  de  l'enfant  Jésus 
est  seul  crucifère ,  cette  sorte  d'ornement  étant  réservé  à  la  divinité. 

La  Vierge  porte  une  couronne  impériale;  sainte  Catherine,  une 
couronne  de  reine;  sainte  Dorothée,  une  couronne  de  fleurs,  ce  Vir- 
«  ginum  imaginibus,  ditMolanus,  IV,  31 ,  coronam  ex  floribus  con- 
«  sertam  imponimus,  quia  et  virginitatis  est  florem  carpere  et  ex 
((  eo  favum  et  mel  componere ,  de  quo  dicitur  :  Favus  distillans  labia 
«  tua  ,  sponsa  ;  mel  et  lac  sub  lingua  tua.  Cyprianus  etiam  virginita- 
«  tem  ipsam  florem  appeflat  in  tract atu  ad  Demetrianum.  » 

Les  cheveux  de  la  Vierge  sont  relevés,  ceux  des  quatre  saintes 
flottent  sur  leurs  épaules;  quatre  légendes ,  dans  des  phylactères, 
ofl"rent  les  noms  de  celles-ci  en  caractères  gothiques  :  Sca  Katerina , 
Sca  Barharay  Sca  Theorettisa  (?),  Sca  Margarita.  Chacune  des  figures 
est  assise. 

Sur  la  première  traverse  de  la  barrière  est  l'inscription  capitale,  le 
millésime  de  MCCCCXVIII,  et  il  y  est  d'une  manière  nette,  précise, 
incontestable. 

Voilà  donc  Bruxelles  en  possession  d'un  monument  qui  n'existe 
nulle  part  ailleurs,  et  qui,  selon  toute  apparence ,  est  un  monument 
national,  l'œuvre  de  nos  anciens  jpnmer5.  L'école  flamande  de  pein- 
ture s'y  montre  en  effet  avec  son  caractère  natif  et  individuel.  Raison 
de  plus  pt)ur  nous  applaudir  de  cette  conquête. 

Le  baron  de  Reiffenberg,  Corresp,  de  l Institut  : 


40 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


—  Une  ordonnance  royale  vient  d'ouvrir  un  crédit  de  50,000  fr. 
afin  d'acquitter  les  dépenses  faites  et  à  faire  sur  le  sol  de  l'ancienne 
Ninive  en  Mésopotamie ,  pour  y  recueillir  lès  débris  les  plus  pré- 
cieux des  monuments  qui  y  sont  enfouis.  Cent  soixante  ouvriers 
sont  maintenant  employés  à  ces  fouilles  exécutées  sous  la  direction 
de  notre  consul  M.  Botta. 

—  Un  voyageur  ,  tout  récemment  arrivé  d'Egypte ,  annonce 
qn  on  vient  de  découvrir  à  Alexandrie  dans  le  quartier  du  Bruchion , 
un  large  piédestal  portant  deux  inscriptions  grecques. 

—  On  est  occupé  à  consolider  le  massif  qui  doit  supporter  l'arc 
romain  de  Saintes,  dont  la  restauration  s'accomplira  ensuite  avec 
rapidité.  Cet  arc ,  construit  en  superbe  appareil,  a  pu  être  démonté 
sans  aucun  accident,  et  va  être  rétabli  dans  une  position  analogue  à 
celle  qu'il  occupait  à  l'époque  de  sa  fondation ,  par  rapport  à  la  Cha- 
rente dont  le  lit  a  changé  de  place.  Le  soubassement  découvert  dans 
l'intérieur  de  la  pile,  et  le  sol  antique  dont  le  niveau  est  à  peine  su- 
périeure celui  des  eaux  du  fleuve,  prouvent  suffisamment  qu'il  n'avait 
pas  été  originairement  élevé  sur  un  pont,  mais  à  quelque  distance 
des  bords  de  la  Charente.  Le  conseil  municipal  de  la  ville  de  Saintes 
a  eu  la  malheureuse  idée  de  vouloir  rétablir  une  passerelle  dans  l'axe 
de  l'arc.  M.  le  Ministre  de  l'intérieur  s'est  opposé  à  ce  que  ce  passage 
suspendu  sur  des  pieds  droits  élevés  fût  placé  en  face  du  monument, 
ou  tout  au  moins  a  exigé  que  les  chaînes  fussent  presque  horizontales 
et  comprises  dans  des  massifs  d'un  mètre  au  plus  de  hauteur.  Mais 
il  faut  encore  espérer  que  la  ville  abandonnera  ce  projet,  destiné  seu- 
lement à  satisfaire  des  exigences  particulières,  dont  le  but  serait  d'ail- 
leurs manqué,  attendu  que  la  circulation  se  porte  nécessairement  à 
100  mètres  plus  bas  sur  le  nouveau  pont  et  la  grande  route  deBordeaux. 

—  On  a  trouvé  récemment  à  Nogent ,  près  de  Chevilly,  un  vase  en 
terre,  que  maladroitement  on  a  brisé,  et  qui  contenait  plus  de  200  mé- 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


615 


dailles  romaines  de  Gallien,  Salonlne,  Postume,  Victorin,  etc. 
Presque  toutes  ces  médailles,  d'une  assez  belle  conservation,  sont  de 
petit-bronze  ou  de  bronze-saucé. 

—  Un  de  nos  collaborateurs  ,  en 
explorant  la  ville  de  Tours,  a  remar- 
qué à  la  Porte  du  change ,  dans  une 
niche  qui  surmonte  l'ouverture  prin- 
cipale, une  peinture  qui  paraît  re- 
monter au  XV^  siècle  ou  tout  au 
moins    au   XVP,    et    représentant 
à  n'en  pas  douter  l'ancien   château 
de    Tours,    avec    ses    fortifications 
et  son  pont-levis.   Cette    peinture, 
que    recouvre  une    épaisse    couche 
de  crasse  et  de  poussière,  pourrait 
être  facilement  nettoyée ,  et  il  serait 
important  d'en  prendre  une  copie, 
avant  que  l'humidité  et  le  soleil  en 
aient  fait  disparaître   les  couleurs. 
Nous   signalerons  aussi  au  zèle  de 
la  Société  archéologique    de   Tours 
un   monument    de  la   sculpture  du 
XV^  siècle,  qui  offre  un  véritable 
problème  à  résoudre.  Dans  la  rue  du 
Grand-Marché,   on  remarque  sur  la 
façade  d'une  antique  maison,  habitée 
par  M.  Roulleau,  un  montant  de  bois 
sur  lequel  est  figuré,  en  assez  haut 
relief,  le  sujet  singulier  que  nous  re- 
produisons  ici.  Un  pauvre  Diable, 
aux  longues  dents,  aux  pieds  four- 
chus,  dont    la    poitrine   décharnée 
montre  des  côtes  protubérantes,  est 
placé  la  tête  en  bas.  Un  fol  lui  tient 
les  griffes,  tandis  que  deux  bourgeoises, 
les  pieds  posés  sur  ses  épaules,  ar- 
mées de  coutelas,  semblent  le  dépecer  ou  même  lui  faire  l'horrible 
opération  qu'Origène  crut  devoir  s'imposer  dans  un  moment  d'exalta- 


616  REVUlî   ARCHÉOLOGIQUE. 

tion  scholastique  ;  la  femme  placée  à  gauche  a  tout  l'avant-bras 
cassé  et  le  visage  emporté,  mais  on  retrouve  néanmoins  le  mouve- 
ment de  sa  personne. 

Ce  groupe  bizarre  était-il  une  enseigne ,  ou  un  rébus  ou  la  repré- 
sentation d'une  iégende  locale,  ou  bien  enfin  une  satire  contre  le  sexe 
féminin?  C'est  aux  archéologues  et  surtout  à  ceux  qui  habitent  la 
ville  de  Tours  qu'il  appartient  de  répondre  à  cette  question. 

—  La  collection  des  médailles  de  la  Bactriane  et  de  l'Inde ,  faite 
par  le  général  Allard  à  son  retour  dans  le  Pendjab ,  apportée  en 
France  après  la  mort  de  cet  officier  par  son  frère,  va  être  vendue, 
dans  les  derniers  jours  de  janvier ,  par  l'administration  de  V Alliance 
des  Arts.  Le  Catalogue  se  distribue  rue  Montmartre,  n°  178. 

—  Sur  la  proposition  de  la  Commission  des  monuments  historiques, 
M.  le  Ministre  de  l'intérieur  vient  d'adresser  la  médaille  frappée  à 
l'occasion  de  l'établissement  de  ce  service,  à  M.  Gouin,  député,  an- 
cien ministre ,  qui  a  acheté  et  restauré  à  ses  frais,  à  Tours,  une  mai- 
son du  XV''  siècle,  remarquable  sous  le  rapport  de  l'art;  à  M.  Bou- 
tarel,  inspecteur  des  eaux  et  forêts  dans  le  département  du  Mor- 
bihan, qui  a  fait  hommage  au  musée  des  Thermes  et  de  Cluny 
d'objets  antiques  trouvés  dans  des  fouilles  qu'il  avait  dirigées  lui- 
même  avec  autant  de  bonheur  que  d'habileté;  et  à  M.  de  Sévelinge, 
qui  a  fait  hommage  au  même  musée  de  fragments  de  fresques  du 
XIIP  siècle ,  enlevés  par  liii-même  au  réfectoire  de  l'abbaye  de  Char- 
Ziew(  Loire),  lors  de  la  démolition  de  cet  édifice,  devetme  inévitable. 
La  même  distinction  a  été  accordée  au  maire  de  Tréguier  (  Côtes- 
du-Nord),  qui  a  fait  des  avances  considérables  pour  la  réparation 
de  l'église  de  cette  ville,  dont  la  coiiservation  est  désormais  assurée 
par  des  travaux  exécutés  aux  frais  de  l'État. 

—  En  travaillant  à  l'église  de  Saint-Spire  à  Corbeil ,  on  vient  de 
découvrir  une  porte  de  sacristie  du  XIIP  siècle.  Dans  le  tympan,  en- 
touré d'un  trèfle  très-délicat,  se  trouve  une  peinture  assez  bien 
conservée,  représentant  sainte  Anne,  qui  fait  l'éducation  de  la  Vierge. 
11  est  à  souhaiter  que  l'on  s'abstienne  de  restaurer  Cette  peinture 
avant  qu'elle  ait  été  examinée  par  des  archéologues  instruits.  Il 
appartient  à  la  Commission  du  Ministère  de  l'Intérieur  de  sauver  cet 
ouvrage  d'art.  Nous  signalerons  encore  à  son  attention  des  réparations 
assez  peu  solides  qui  s'exécutent  dans  la  même  église ,  notamment 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES.  617 

l'emploi  du  plâtre  dans  les  travaux  extérieurs.  Quant  au  déplace- 
ment du  mausolée  de  Jacques  Bourgoin,  capitaine  de  Louis  XIV, 
nous  regrettons  que  l'âge  récent  de  ce  monument  ne  nous  permette 
pas  de  nous  en  occuper. 

—  On  vient  de  restaurer  le  curieux  portail  de  l'église  de  Mailly 
(Somme).  M.  H.  Pusevel,  membre  de  la  Société  des  Antiquaires,  qui 
l'a  visité,  a  reconnu  dans  les  statues  dont  le  principal  porche  est 
orné ,  les  divers  patrons  des  membres  de  l'illustre  famille  de  Mailly, 
qui  vivaient  à  l'époque  où  cette  église  fut  construite.  La  découverte 
de  M.  Dusevel  n'est  pas  sans  importance  pour  l'étude  des  monuments 
du  moyen  âge;  il  en  résulte,  en  effet,  que,  comme  l'ont  avancé  plu- 
sieurs savants,  les  familles  nobles,  parle  soin  desquelles  s'élevait  un 
monument  religieux ,  y  faisaient  ordinairement  placer  les  images  des 
saints  qu'elles  avaient  choisis  pour  patrons.  Quelquefois  même  ces 
saints  étaient  représentés  sous  les  plus  riches  costumes,  sous  les  vê- 
tements les  plus  somptueux. 

—  Le  Cabinet  des  Antiques  de  la  Bibliothèque  royale  ne  cesse  de 
s'enrichir  de  monuments  de  tous  les  genres.  Dernièrement  M.  Dé- 
paulis  a  fait  don  à  cet  établissement  d'amulettes  ou  ex  voto  très- 
singuliers,  que  l'on  a  découverts  aux  sources  de  la  Seine;  ce  sont  de 
petites  plaques  de  bronze  découpées  et  travaillées  au  repoussé ,  re- 
présentant soit  une  paire  d'yeux ,  soit  la  partie  inférieure  du  corps 
humain  avec  le  sexe  masculin  bien  indiqué.  Il  est  assez  vraisemblable 
que  l'on  jetait  dans  les  sources  du  fleuve  ces  ex-voto ,  afin  d'obtenir 
la  guérison  des  portions  du  corps  qu'ils  figurent. — Le  même  établisse- 
ment vient  de  faire  l'acquisition  très-importante  des  riches  collections 
de  pierres  gravées  et  autres  monuments  orientaux  qui  appartenaient 
à  feu  M.  le  marquis  deFortia  d'Urban,  membre  de  d'Institut.  On  re- 
marque parmi  ces  antiquités,  outre  des  fragments  de  bas-reliefs  ap- 
portés de  Persépolis,  des  briques  babyloniennes  de  la  plus  parfaite 
conservation  et  des  entailles  gravées  sous  les  trois  dynasties  qui  ré- 
gnaient sur  l'antique  Perse;  une  série  de  soixante-quatre  cylindres 
persépolitains,  babyloniens  et  égyptiens,  ce  qui  porte  le  nombre  des 
monuments  de  cette  nature  que  possède  la  Bibliothèque  royale  à 
cent  quatre-vingt-cinq.  — Le  Cabinet  des  Antiques  vient  aussi  d'ache- 
ter la  double  figure  de  lion  trouvée  à  Ninive,  que  nous  avons  publiée 
dans  un  numéro  précédent. 


BIBLIOGRAPHIE. 


ANALYSE  D'UNE  DISSERTATION  DU  PROFESSEUR  FR.  KUGLER ,  Intiti  léf.  : 
VORLESUNG  VBER  DIE  SYSTEM  DES  KIRCHENBAUES.  Berlin,  1843. 

M.  Kugler,  professeur  des  beaux-arts  à  TAcadémie  royale  de  Ber- 
lin, jouit  en  Allemagne  d'une  juste  célébrité.  Depuis  longtemps  les 
antiquaires  d'outre-Rhin  ont  apprécié  ses  nombreux  écrits  sur  les 
arts.  Les  archéologues  français  n'ont  point  oublié  ses  curieuses  re- 
cherches sur  l'architecture /)oZi/c/irome.  Voilà  plus  d'un  motif  pour  nous 
autoriser  à  donner  aux  lecteurs  de  la  Reme  archéolcglque  l'analyse 
d'un  nouvel  opuscule  de  cet  écrivain. 

M.  Kugler,  dans  ce  travail,  se  propose  d'examiner  les  divers  types 
de  la  basilique  chrétienne.  On  ne  peut  qu'applaudir  à  ce  dessein.  Non- 
seulement  le  sujet  est  plein  d'intérêt,  mais  personne  n'est  plus  ca- 
pable que  l'habile  professeur  de  le  traiter  avec  un  succès  réel.  Artiste 
et  savant,  M.  Kugler  est  surtout  homme  de  goût,  et  c'est  un  mérite 
bien  rare  parmi  les  critiques  de  profession. 

On  sait  combien  les  édifices  religieux  du  nord  et  du  midi  de  l'Eu- 
rope diffèrent  d'aspect.  Les  goûts  les  plus  opposés,  les  tendances  les 
plus  contraires  semblent  leur  avoir  donné  naissance  :  ici  les  larges 
coupoles,  là-bas  les  grandes  flèches  pointues.  Cette  diversité  étonne 
quand  on  songe  que  ces  monuments  se  sont  élevés  sous  le  règne  de 
la  puissante  unité  catholique,  tandis  que  les  temples  du  paganisme, 
ce  mot  dit  tout,  présentent  le  plus  souvent  une  remarquable  uni- 
formité. 

Quoi  qu'il  en  soit,  M.  Kugler  a  cru  qu'une  origine  commune  se 
dissimulait  sous  ces  contrastes,  et  il  a  cherché  cette  origine  dans  les 
basiliques  des  premiers  âges  de  la  chrétienté.  Selon  lui ,  on  trouve 
toujours  dans  ces  édifices  quelque  chose  qui  rappelle  l'Italie  de 
Constantin  ou  la  Grèce  du  Bas-Empire. 

De  ces  considérations  intéressantes  sur  un  sujet  assez  peu  étudié, 
il  est  résulté  un  cours  d'histoire  de  l'architecture  ou  plutôt  d'esthé- 
tique, pour  nous  servir  de  l'expression  consacrée  en  Allemagne. 

Si  nous  osions  faire  quelques  observations  au  savant  auteur  de  cet 
ouvrage,  nous  commencerions  par  le  prier  de  se  montrer  moins  ex- 
clusif dans  le  choix  de  ses  exemples.  Tous  les  monuments  dont  il 


BIBLIOGRAPHIE.  619 

parle  appartiennent  à  l'Allemagne  ;  pourquoi  donc  exclure  la  France 
et  l'Angleterre,  si  riches  en  édifices  gothiques,  et  dans  lesquels  il 
aurait  pu  trouver  de  nombreux  points  de  comparaison? 

L'autre  reproche  est  plus  grave.  M.  Kugler  nous  paraît  bien  peu  ex- 
plicite en  ce  qui  touche  l'origine  des  basiliques.  Il  y  a  ici  une  question 
d'étymologie  et  d'histoire  que  M.  Kugler  résout  sèchement  en  se  con- 
tentant de  dire  que  la  basilique  chrétienne  est  l'imitation  de  la  basilique 
païenne.  Mais  pourquoi  les  chrétiens  donnèrent-ils  ce  nom  à  leurs 
sanctuaires?  Avaient-ils  commencé  par  s'assembler  dans  la  basilique 
romaine  avant  de  rien  construire?  Quelque  idée  métaphysique  se 
serait-elle  glissée  ici,  par  exemple  un  rapprochement  entre  la  sou- 
veraineté judiciaire,  dont  la  basilique  était  jadis  le  siège,  et  la  sou- 
veraineté ecclésiastique?  Tout  cela  est  plus  ou  moins  plausible,  mais 
enfin  le  problème  n'est  point  encore  résolu. 

Un  fait  paraît  avoir  frappé  M.  Kugler.  Dès  son  entrée  en  matière, 
il  s'indigne  contre  l'architecture  religieuse  contemporaine;  il  la 
trouve  froide,  insignifiante,  vulgaire;  en  cela  nous  sommes  tous  de 
son  avis.  Il  désespérerait  presque  de  l'avenir  de  l'art  sans  une  pensée 
consolante  ;  c'est  que  le  siècle  n'a  point  encore  rempli  sa  mission.  Un 
jour  viendra,  nous  dit  le  savant  professeur,  oii  la  forme  sera  la  véri- 
table expression  de  l'esprit. 

En  attendant  que  cette  brillante  prédiction  se  réalise,  suivons 
M.  Kugler  dans  la  route  qu'il  s'est  tracée. 

A  ses  yeux,  trois  systèmes  se  partagent  le  domaine  de  l'art  :  le 
premier  substitue  le  sentiment  individuel,  ou  si  l'on  veut  le  caprice, 
à  l'autorité  de  l'exemple.  On  ne  tient  compte  que  des  conditions  ma- 
térielles dont  l'art  ne  saurait  s'affranchir.  On  oublie  ce  grand  prin- 
cipe que  dans  les  monuments  mêmes,  où  la  nationalité  d'un  peuple 
s'est  gravée  en  traits  ineffaçables,  les  lois  générales  de  convenance 
et  d'harmonie  ont  été  fidèlement  observées.  Ces  idées,  oiî  il  y  a  plus 
d'indépendance  que  de  justesse,  triomphent  aujourd'hui. 

L'autre  système  préconise  avant  tout  l'imitation  ;  fimitation  des 
Grecs  et  des  Romains,  l'imitation  du  moyen  âge.  Mais  qu'il  est  dif- 
ficile d'appliquer  certains  types,  enfantés  dans  certaines  circonstances 
spéciales,  aux  besoins  d'une  tout  autre  civilisation.  Voyez-vous  l'ar- 
tiste réduit  à  faire  un  choix  au  milieu  de  ces  éléments  hétérogènes  ! 
Que  d'écueils  sur  lesquels  son  talent  peut  foire  naufrage  ! 

Il  y  a  entre  ces  deux  directions  opposées  une  autre  route,  que 
M.  Kugler  rapproche  avec  esprit  d'une  ligne  politique  fameuse,  car, 
à  ses  yeux,  l'architecture  n'est  qu'une  des  faces  du  développement 


620  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

social.  Ceux  qui  suivent  cette  xoiedw  milieu,  reconnaissent  l'existence 
de  certains  rapports  nécessaires,  de  certaines  lois  harmoniques  uni- 
verselles dont  il  faut  se  préoccuper  exclusivement,  loin  de  se  laisser 
enflammer  par  les  variations  du  goût  ou  de  se  traîner  sous  le  joug 
des  traditions. 

Cette  doctrine  a  toutes  les  préférences  de  M.  Kugler.  Selon  lui, 
l'artiste  qui  veut  enfanter  une  œuvre  grave,  une  œuvre  qui  aille  droit 
au  but  sans  blesser  aucune  convenance  d'époque,  n'en  peut  profes- 
ser d'autre.  Les  règles  qu'elle  pose  laissent  l'invention  s'exercer  en 
toute  liberté.  C'est  dans  cette  voie  que  marchèrent  les  peuples  de 
l'Europe  pendant  plusieurs  siècles  ;  car  pour  s'expliquer  l'effet  puis- 
sant de  leurs  monuments  religieux,  il  faut  se  rappeler  qu'ils  ne  les 
marquèrent  pas  seulement  de  l'empreinte  de  leur  génie  ou  de  leurs 
mœurs,  et  qu'ils  puisèrent  à  des  sources  plus  hautes  que  celles  de  la 
tradition  ou  de  la  nationalité.  Aussi,  voyez  dans  la  construction  de 
leurs  sanctuaires,  quelle  admirable  variété  de  formes,  quelle  richesse 
d'invention  1 

M.  Kugler  fait  deux  classes  de  tous  les  monuments  du  monde: 
dans  la  première,  il  place  ceux  où  l'ordonnance  à  colonnes  prédo- 
mine; dans  la  seconde,  ceux  que  l'arc  ou  la  voûte  caractérisent  plus 
particulièrement.  A  la  colonne,  l'architecture  doit  l'élégance,  la  ré- 
gularité, la  vie-,  l'antiquité  l'adopta.  L'arc  ne  se  montra  qu'excep- 
tionnellement dans  les  monuments  des  anciens.  L'art  chrétien  donna 
à  la  voûte  sa  plus  grande  perfection. 

N'oublions  pas  que  les  premiers  temples  chrétiens  étaient  ornés 
de  colonnes;  que  des  toits  plats,  une  symétrie  rectiligne  les  faisaient 
ressembler  aux  autres  édifices  profanes  de  Rome  ou  d'Athènes.  En 
effet,  à  l'époque  où  l'exercice  du  christianisme  devint  public,  les 
arts,  ainsi  que  la  société,  touchaient  à  leur  ruine.  Il  fallait  inventer 
un  genre  d'édifice  en  harmonie  avec  la  religion  nouvelle;  or,  l'inspi- 
ration fit  défaut  aux  architectes  chrétiens,  et  ils  se  contentèrent  d'imi- 
ter la  basilique  païenne.  Ce  genre  d'édifice,  par  sa  destination,  était 
susceptible  de  renfermer  dans  son  sein  l'assemblée  des  fidèles.  On  ne 
pouvait  tirer  nul  parti  du  temple  grec  ou  romain  ;  restreint  à  l'excès, 

l'intérieur  pouvait  contenir  à  peine  quelques  prêtres le 

peuple  se  tenait  sous  les  portiques. 

La  destination  de  la  basilique ,  au  contraire ,  était  de  conte- 
nir la  foule;  elle  servait  de  bourse  et  de  tribunal.  C'était  une  salle 
en  forme  de  carré  long,  entourée  de  colonnes  qui  soutenaient  des 
galeries,  ou  plutôt  c'était  une  cour,  car  tout  fait  croire  que,  dans  cette 


BIBLIOGRAPHIE.  621 

sorte  de  monuments,  le  milieu  de  l'édifice  était  à  découvert.  En  face 
de  la  porte  d'entrée,  à  l'autre  extrémité,  et  dans  un  hémicycle,  on 
voyait  le  siège  du  magistrat. 

Les  chrétiens  imitèrent  ses  dispositions,  ils  conservèrent  le  nom  de 
l'édifice  et  respectèrent  les  colonnes  et  l'hémicycle.  Là,  ils  placèrent 
le  prêtre,  puis  en  face  ils  élevèrent  l'autel. 

Mais  le  goût  change,  les  galeries  supérieures  disparaissent,  une 
muraille  s'élève  à  la  place,  le  vaisseau  de  l'édifice  semble  emprisonné, 
la  lumière  n'arrive  plus  que  par  des  fenêtres.  Cette  disposition  est 
peu  antique,  elle  est  elle-même  contraire  au  bon  sens,  car  elle  fait 
supporter  des  murs  épais  par  de  faibles  appuis  destinés,  dans  le  prin- 
cipe, à  n'avoir  pour  tout  fardeau  qu'une  charpente  légère.  Quelques 
basiliques  encore  debout,  soit  à  Rome,  soit  à  Ravenne,  attestent  cette 
dégénérescence  du  goût. 

Dans  d'autres  monuments  de  cet  âge,  on  ne  retrouve  plus  les 
lignes  si  grandes  et  si  simples  de  l'architrave.  Des  arcades  aux  formes 
élastiques  les  remplacent;  c'est  un  adieu  à  la  pureté  grave  de  l'art 
hellénique.  Saint-Paul-hors-des-Murs  est  un  des  plus  curieux  mo- 
numents de  ce  style. 


Basilique  antique.  Église  de  Saint-Paul,  à  Rome. 

La  basilique,  dans  ces  temps,  apparaît  comme  un  champ  de  bataille 
où  se  trouvent  en  présence  le  goût  antique  et  le  goût  nouveau.  L'in- 
novation triompha,  et  il  faut  convenir  que  ce  ne  fut  pas  sans  profit 
pour  l'effet  architectural.  La  suppression  des  galeries  donna  de  la 
grandeur  au  vaisseau  ;  les  bas  côtés  firent  paraître  la  nef  plus  élevée  ; 
une  idée  de  solidité  et  de  puissance  s'attachait  à  ses  arcades  multi- 
pliées; l'œil  était  satisfait  des  rapports  qu'elles  établissaient  avec  le 
grand  arc  de  l'hémicycle.  A  la  vérité,  des  murs  pesants,  un  plafond 


622 


REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 


rectiligne,  à  côté  de  ces  sinuosités  continuelles,  produisaient  un  con- 
traste bien  étrange  !  Du  reste ,  ce  style  n'en  est  pas  un,  c'est  le  germe 
d'une  phase  brillante  de  l'art. 

L'usage  de  construire  des  basiliques  se  répandit  dans  toute  l'Eu- 
rope. Il  y  régna;  et  particulièrement  en  Allemagne,  jusqu'au  XIIP  siè- 
cle ,  la  Saxe  et  la  frontière  nord  du  Hartz,  ont  conservé  de  nombreux 
débris  de  cette  architecture.  Mais  trop  souvent,  au  lieu  de  retrouver, 
ainsi  qu'il  Tespérait,  des  vestiges  de  l'ordonnance  primitive,  l'anti- 
quaire en  est  réduite  se  contenter  de  quelques  ruines  pittoresques. 

Comme  la  vie  de  cette  époque  se  reproduit  admirablement  dans 
ces  constructions  oii  l'empreinte  originelle  est  encore  toute  fraîche  ! 
Comme  elles  sont  fantasques,  fastueuses,  barbares,  telles  enfin  que 
ceifx  qui  les  ont  faites!  En  remplaçant  la  colonne  par  le  pilier,  l'archi- 
tecture allemande  signale  le  premier  pas  vers  une  ère  remarquable. 

Le  pilier  est  fait  pour  résister,  pour  soutenir  les  murs  de  la  nef, 
pour  opposer  sa  masse  énorme  à  ce  poids  énorme.  De  là  vient  l'éner- 
gie du  style  de  la  basilique  à  piliers. 

Cependant,  la  sève  d'innovation  qui  bouillonnait  alors  engendrait 
sans  cesse  des  modifications  nouvelles  :  pour  varier  les  aspects,  on 
plaça  des  colonnes  entre  les  piliers.  Dans  quelques  cas,  une  vaste 
arcade  s'appuie  sur  ces  piliers  et  surmonte  d'autres  arcades  de 
moindre  dimension,  qui  retombent  sur  les  chapiteaux  des  colonnes. 
De  cette  disposition,  qui  établit  dans  toutes  les  parties  de  l'édifice  un 
juste  équilibre  entre  la  pression  et  la  résistance,  résulte  peut-être  le 
modèle  le  plus  accompli  de  la  hasilique.  Mais  qui  pourra  nous  dire 
par  quelles  causes  ces  belles  combinaisons  architectoniques  obtinrent 
si  peu  de  faveur  I  On  ne  connaît  que  deux  basiliques  de  ce  style,  bâ- 
ties dans  le  Hartz  vers  la  fin  du  XP  siècle.  M.  Kugler  cite  l'église  du 


Église  du  monastère  de  Huysehurg, 


BIBLIOGRAPHIE. 


623 


cloître  de  Huyseburg,  près  Halberstadt  (Saxe  prussienne),  comme 
un  des  édifices  les  mieux  conservés  de  l'Allemagne  et  comme  le  type 
parfait  de  cette  architecture. 

La  forme  de  croix  donnée  à  la  basilique,  par  suite  de  l'ouverture 
d'une  nef  transversale,  la  disposition  du  chœur,  élevé  au-dessus  du 
sol,  l'existence  d'une  crypte,  sont  autant  de  modifications  de  détail 
qui  n'altèrent  en  rien  les  bases  du  sy^stème. 

Mais  du  XP  au  XIP'  siècle,  tout  change.  Des  courbes  élégantes 
remplacent  la  monotonie  rectiligne  du  plafond;  de  puissants  arceaux 
se  déploient  dans  des  directions  contraires  ;  on  a  trouvé  la  voûte  croi- 
sée qui,  reliant  les  deux  côtés  de  l'édifice,  s'élève  aurdessus  de  la  nef 
avec  une  majestueuse  hardiesse. 

Cette  invention  renfermait  d'innombrables  changements.  La  soli- 
dité de  l'édifice,  l'unité  de  sa  décoration  voulaient  que  la  colonne  exis- 
tât définitivement.  Le  pilier  demeurait  :  les  vieux  architectes  du 
moyen  âge  cherchèrent  à  lui  donner  quelque  élégance.  A  peine  dans 
ce  pilier,  qui  s'élève  et  s'unit  aux  voûtes  de  la  basilique,  reconnaî- 
triez-vous  le  grossier  support  des  siècles  précédents. 

Ce  système  ouvrait  une  vaste  carrière  aux  artistes.  Ainsi ,  le  plus 
ou  moins  d'espace  accordé  aux  galeries,  ainsi,  les  caractères  divers 
de  l'ornementation  firent  éclore  mille  combinaisons  capables  de  satis- 
faire le  goût  le  plus  décidé  pour  la  variété.  La  cathédrale  de  Spire 
est  bien  de  ce  temps ,   c'est  une  couvre   où  tout  est  grand ,  où 


Cathédrale  de  Spire. 

tout  est  noble,  mais  dans  laquelle  la  forme  est  d'une  sécheresse  ex- 
trême à  force  de  précision. 


624  REVUE  ÀRCHÉOI.OGIQUE. 

On  a  nommé  cette  architecture,  architecture  byzantine,  et,  plus 
tard,  avec  moins  d'inexactitude,  architecture  romane.  Elle  fut  rem^ 
placée,  au  XIIP  siècle,  par  l'architecture  gothique;  autant  qu'on 
peut  en  juger,  ce  style  a  pris  naissance  en  Orient,  Les  Arabes  firent 
emploi  de  la  forme  ogivale  ;  on  trouve  l'ogive  dans  les  monuments  de 
la  Sicile ,  sur  laquelle  ils  exercèrent  leur  domination  pendant  une 
centaine  d'années.  Adoptée  du  reste  de  l'Europe,  l'ogive  modifia  par 
degrés  toutes  les  autres  formes;  elle  a  donné  à  l'architecture  gothique 
un  cachet  inimitable. 

Mais  de  ce  que  l'architecture  gothique,  au  point  de  vue  de  l'his- 
toire, semblerait  s'appuyer  sur  une  origine  étrangère,  devons-nous  la 
considérer  comme  un  type  radicalement  nouveau,  ou,  pour  parler 
plus  exactement,  serait-ce  une  architecture  sans  précédents  en  Eu- 
rope? 

Nullement,  bien  s'en  faut  même,  car  s'il  y  a  lieu  de  croire  M.  Ku- 
gler,  que  nous  suivons  pas  à  pas,  on  reconnaîtra  dans  la  cathédrale 
gothique  le  développement  de  la  basilique  romane.  Or,  la  basilique 
romane  est  une  application  des  principes  généraux  sur  lesquels  l'art 
est  fondé.  Voilà,  sans  doute,  ce  qui  prête  un  admirable  caractère  à 
l'architecture  gothique,  ce  qui  la  met  au  rang  des  beaux  ouvrages 
sortis  de  la  main  des  hommes.  Voyez  les  artistes  de  cet  âge,  ces 
hommes  de  génie  dont  la  postérité  a  oublié  les  noms,  avec  quelle 
supériorité  ils  s'emparent  de  l'œuvre  de  leurs  devanciers,  comme  ils 
la  remanient I  Le  pilier  s'amincit,  la  colonnette  se  groupe  autour  de 
ses  flancs,  et,  s'élançant  comme  un  jet  vigoureux  jusqu'aux  sommités 
de  l'édifice,  dessine  ses  nervures  entrelacées  à  la  surface  des  voûtes. 
A  la  place  des  murs,  des  vitraux  étincelants  encadrés  dans  des  feuil- 
lages de  pierre  rappellent  les  créations  de  la  féerie.  L'âme  s'exalte  à 
la  vue  de  cette  heureuse  alliance  du  mouvement  et  du  repos,  de  la 
noblesse  et  de  la  force.  Quel  lieu  de  prière  qu'une  église  gothique, 
s'écrie  M.  Kugler,  lorsque  le  monument  lui-même  semble  s'élever 
comme  une  hymne  vers  le  trône  de  TEternel  !  On  peut  voir,  dans  la 
cathédrale  de  Cologne  le  type  splendide  du  gothique  allemand. 

Le  règne  de  l'architecture  gothique  eut  peu  de  durée  ;  l'enthou- 
siasme pour  les  lettres  grecques  et  latines  à  la  renaissance  fit  aban- 
donner un  type  adopté  dans  des  temps  presque  barbares.  Clarté , 
simplicité,  voilà  ce  qu'on  demandait  à  l'art,  c'était  ce  qu'on  trouvait 
dans  les  chefs-d'œuvre  antiques.  De  là  une  architecture  savante, 
mais  peu  propre  à  exprimer  les  idées  religieuses.  Si  la  basilique 
conserva  ses  voûtes,  c'est  qu'elles  suivirent  les  courbes  du  plein  cin- 


BIBLIOGÎlAPttlE. 


655 


tre  roitiairt»  Parfois  aussi  on  la  couronna  de  la  coupole,  et  ces  dispo- 
sitions nouvelles  commandèrent  à  l'architecte  d'accroître  encore  la 


*  Cathëdmh  de  Cologne. 

solidité  de  l'édifice;  aussi  le  pilier  redevint-il  massif.  Il  est  curieux 
de  voir  comment  les  artistes  classiques  de  cette  époque  obéirent  à  ces 
exigences,  et  comment  la  colonne,  le  pilastre,  l'architrave  et  la  frise 
reparurent  sur  la  scène.  Saint-Pierre  de  Rome  est  le  type  de  cette 
architecture  :  imposant  par  sa  masse,  il  est  dénué  d'une  véritable 
grandeur. 

Ce  style  a  dominé  l'art  moderne.  Les  changements  qu'on  a  essayé 
d'introduire  dans  la  première  moitié  du  XVIIP  siècle  ont  prouvé  seu- 
lement à  quel  point  on  sentait  la  nécessité  d'une  architecture  moins 
pauvre  de  formes  et  d'un  effet  plus  puissant. 

Quant  au  style  byzantin,  son  point  de  départ,  aux  yeux  de  M.  Ku- 
gler,  est  dans  le  baptistère.  Déjà,  dans  les  premiers  âges  du  chris- 
tianisme, on  avait  donné  à  ces  édifices  tout  spéciaux  une  forme  dif- 
férente de  la  hasiUqiie.  Le  baptistère  s'élevait  sur  un  plan  circulaire 
ou  le  plus  souvent  dans  la  forme  d'un  octogone  régulier  ;  un  toit  plat 


626  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

et  une  coupole  le  surmontaient;  on  l'entoura  de  galeries  pareilles  aux 


Saint-Pierre  de  Rome. 

bas  côtés  d'une  basilique,  et  qui  lui  donnèrent  une  physionomie  à 


£glise  de  Saint-Vital,  à  Ravenne, 


BIBLIOGRAPHIE.  627 

part.  Ce  mode  de  construction  fut  surtout  en  usage  dans  l'empire 
grec.  Sous  Justinien,  on  éleva  de  vastes  édifices,  empreints  d'un  ca- 
ractère grandiose,  qui  devinrent,  grâce  à  quelques  annexes,  de  véri- 
tables basiliques.  Bientôt  la  manie  des  constructions  difficiles  se  fit 
sentir  ;  alors  prit  naissance  l'emploi  des  coupoles  surhaussées  sur  des 
arcades.  Sainte-Sophie  est  un  type  de  ces  tours  de  force  architecto- 
niques.  Puis  des  idées  de  perfectionnement  survinrent,  et  l'on  fit  sup- 
porter par  des  arcades,  soutenues  par  des  piliers,  une  coupole  hémi- 
sphérique. Saint -Vital  de  Ravenne,  bâti  sous  Justinien,  est  un 
modèle  de  ce  style,  et  peut-être  serait-il  plus  exact  de  dire  que  ce 
monument  marque  l'apogée  de  l'architecture  byzantine. 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  l'analyse.  Cette  esquisse  des 
opinions  et  même  de  la  méthode  d'exposition  de  M.  Kugler  suffit.  On 
peut  contester  sa  manière  de  voir,  mais  on  doit  convenir,  ce  nous 
semble,  qu'il  sait  la  développer  d'une  façon  ingénieuse  et  pleine  de 
talent.  Le  conseil  qu'en  terminant  il  donne  aux  architectes  sera, 
nous  le  croyons,  généralement  goûté.  Là,  du  reste,  se  résume  tout 
son  système.  Si  vous  voulez,  leur  dit-il,  construire  des  églises  en  rap- 
port avec  nos  sentiments  et  nos  mœurs,  étudiez  les  monuments  que 
quinze  siècles  vous  ont  légués,  afin  d'y  découvrir  sous  la  masse  d'idées 
empruntées  au  climat,  aux  institutions,  à  la  civilisation,  les  règles 
éternelles  de  l'harmonie,  des  convenances  et  du  beau. 

E.  V. 


WOCVEIiliES  PUBIilCAXIOlVS  ARCHËOIiOCIQUKI». 

FRAXCE. 

Lenormant  et  De  Wille  :  Élite  des  Monuments  céramographiques, 
matériaux  pour  servir  à  l'histoire  des  religions  et  des  mœurs  de  l'an- 
tiquité. Mise  en  vente  de  la  61*  livraison  ,  qui  complète  le  premier 
volume.  Paris,  Leleux,  édit.  ;  fig.  noires,  4  fr.;  col.,  6  fr.  50. 

Robert  :  Recherches  sur  les  Monnaies  des  évêques  de  Toul.  Paris, 
Rollin,  1844,  in-4  orné  de  10  planches,  10  fr. 

Sansonnelti  :  Description  de  l'Église  des  Antonistes,  maintenant 
paroisse  Saint-Martin  de  Pont-à-Mousson.  Vues,  plans,  coupes,  détails, 
in-4  ,  fig.  noires  ,  10  fr.  ;  sur  Chine  ,12  fr.  Paris  ,  Leleux  ;  Nancy, 
Grimblot  et  comp^ 


628  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

ANGLETERRE. 

Àinsworth  (W,  F.)  ;  Travels  and  researches  in  Asia  Minor,  Me- 
sopotamia,  Chaldea  and  Armenia.  London,  i842,  8, 

Birch  [Sam,)  :  Gallery  of  antiquities  selected  from  the  Britisli 
Muséum  by  F.  Arundale,  archt.  and  J.  Bonomi,  sculptor.  Part.  III. 
London,  1843,  37  pi.,  4. 

Mure  (  William  of  Caldwell)  :  Journal  of  a  tour  in  Greece  and 
the  lonian  islands,  2  vol.  Lond.  1842. 

Smith  :  Dictionary  of  Greek  and  Roman  raythology,  by  varions 
writers.  Lond.  1843.  Part.  I. 

Stewart  (J.  Roh.)  :  Description  of  some  ancient  monuments  with 
inscriptions  still  existing  in  Lydia  and  Phrygia,  several  of  which  are 
supposed  to  be  tombs  of  the  early  kings.  Illustrated  with  17  plates 
frora  sketches  made  on  the  spot.  London,  1842,  gr.  fol. 

StruU  {A.)  :  A  pedestrian  tour  in  Calabria  and  Sicilia.  London> 
1843. 

Vyse  (J.)  :  Appendix  to  opérations  carried  on  in  the  Pyramids  of 
Gizeh  in  1837*  London,  1842. 

Walthen  :  Arts,  antiquities  and  chronology  of  ancient  Egypt. 
London,  1843. 

Àkerman  (J.  Y.)  :  Coins  of  the  Romans  relating  to  Britain  des- 
cribed  and  illustrated.  London,  1844,  87  pi. 

Gwilt  :  An  Encyclopedia  of  Architecture ,  historical ,  practical  and 
theoretical.  London,  1842. 

Hamilton  (Gray  mss.  )  ;  Studies  of  Etruria.  Part.  I.  London, 
1843,  8. —•  Tour  to  the  sepulchres  of  Etruria.  3  éd.  London, 
1843,  8. 

ALLEMAGNE. 

Wieseler  :  Dr.  Frieds.  Prof,  zu  Gœttingen  :  Die  Nymphesht ,  la 
Nymphe  Echo  :  Dissertation  archéologique,  gr.  in-4 ,  avec  une 
Planche.  Novembre  1844. 

Schœman  (  G.  F.)  :  Dissertatio  de  Titanibus  Hesiodeis.  Gryphis- 
waldiœ. 

Nota.  Tous  les  ouvrages  allemands  que  nous  annonçons  dans  la  partie  biblio- 
graphique de  la  Reloue  se  trouvent  à  la  librairie  de  Frank,  successeur  de  Brockhaus 
et  d'Avenarius,  rue  de  Richelieu,  n*  G9.  Et  les  ouvrages  italiens  et  anglais  à  la 
librairie  de  Benjamin  Dupral,  rue  du  Cloître  Saint-Benoît ,  n»  7. 


VOYAGES  ET  RECHERCHES  ARGHEOLOGIOUES 

DE  M.   LEBAS,   MEMBRE  DE   L'INSTITUT  , 

EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE, 

PENDANT  IJBS  ANNEES  J845  ET   1844. 


SIXIÈME  RAPPORT  A  M.  LE  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE. 


CINQ  JOURS  DE  RECHERCHES  A  SPARTE  ET  SUR  SON  TERRITOIRE;  CAUSES  DU  PETIT  NOMBRE 
d'inscriptions  TROUVÉES.  —  LISTE  DE  VAINQUEURS  DANS  DES  JEUX  PUBLICS;  LISTE 
COMPLÈTE  DES  PATRONOMES  ET  CONSÉQUENCES  IMPORTANTES  QUI  EN  RÉSULTENT  POUR 
l'histoire  DE  LA  CONSTITUTION  DE  SPARTE.  —  A  MISTRA  ET  DANS  LES  ENVIRONS  , 
AUTRES  LISTES  DE  MAGISTRATS  ;  INSCRIPTIONS  DIVERSES ,  FRAGMENTAIRES.  —  A  SKLAVO- 
KHORIO  OU  AMYCLES  ,  PLUS  QUE  DEUX  INSCRIPTIONS.  —  MONUMENTS  DE  LA  DOMINATION 
VÉNITIENNE,   A  MISTRA   SURTOUT.   —  TOTAL  DES   INSCRIPTIONS   DÉCOUVERTES. 

Monsieur  le  Ministre, 

Les  ruines  de  la  Grèce  n'offrent  pas  seulenient  d'admirables  mo- 
dèles à  l'artiste,  d'utiles  documents  à  l'historien,  d'intéressantes  notions 
à  l'antiquaire,  elles  sont  aussi  pour  les  peuples  de  grandes  leçons,  de 
sublimes  enseignements.  Forte  par  ses  lois  et  par  sa  mâle  population, 
Sparte  ne  vécut  longtemps  que  pour  la  guerre  et  pour  la  conquête. 
La  Messénie,  l'Argolide,  l'Arcadie,  le  Péloponèse,  Athènes  elle- 
même,  le  monde  grec  tout  entier  durent  successivement  subir  son 
joug  de  fer.  Et  cependant  que  reste- t-il  aujourd'hui  de  cette  ville  si 
importante?  Si  l'on  excepte  son  théâtre  de  marbre  et  quelques  tom- 
beaux ,  rien  que  d'insignifiants  débris  de  l'époque  romaine  ou  même 
de  temps  plus  récents.  Nulle  trace  de  son  antique  grandeur!  Que  sont 
devenus  le  portique  construit  avec  les  dépouilles  des  Perses,  le  pa- 
lais du  sénat,  l'Agora  décorée  de  tant  de  statues,  de  tant  de  sanc- 
tuaires, le  Plataniste,  le  temple  de  Diane  Orthia,  celui  de  Minerve 
Chalciœcos,  et  ces  innombrables  monuments  que  Pausanias  put 
admirer  encore?  Tout  a  disparu  avec  le  nom  môme  de  Sparte  sous 
les  alluvions  successives  des  torrents  dévastateurs  qui  ont  ravagé 
l'Europe.  La  ville  des  Messéniens,  au  contraire,  des  Messéniens 
si  longtemps  opprimés,  dispersés,  subsiste  encore  dans  presque  toute 
1.  41 


630  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

sa  beauté  première;  le  temps  et  les  conquérants  l'ont  respectée.  C'est 
surtout  lorsque  quittant  Messène  on  arrive  dans  la  plaine  oii  fut 
Sparte ,  campos  ubi  Troja  fuit ,  que  ce  contraste  paraît  plus  sensible. 
Si  les  cimes  élevées  du  Taygète  ne  dominaient  pas  ces  lieux ,  si  l'Eu- 
rotas  aux  beaux  roseaux,  aux  rives  ombragées  de  lauriers-roses  ne 
serpentait  pas  dans  ces  champs  qu'il  fertilise ,  on  chercherait  vaine- 
ment où  s'éleva  le  siège  principal  de  cette  racedorienne  si  dure,  si 
opiniâtre.  Mais  le  Taygète  avec  sa  double  cime,  est  là;  on  comprend 
encore,  à  cette  vue  tout  à  la  fois  imposante  et  terrible,  que  les 
hommes  qui  peuplèrent  ces  montagnes  sauvages,  escarpées,  durent 
être  des  hommes  énergiques  et  braves,  comme  aussi  à  Athènes,  on 
comprend  du  haut  des  propylées  que  le  peuple  qui  avait  sans 
cesse  sous  les  yeux  une  mer  si  belle ,  des  lignes  de  montagnes  si  har- 
monieuses, éclairées  par  un  ciel  si  azuré,  par  un  soleil  si  brillant, 
dut  avoir  au  plus  haut  degré  le  sentiment  du  beau,  l'amour  des  arts, 
de  la  poésie  et  des  lettres. 

Malgré  les  désastres  successifs  dont  Sparte  fut  la  victime  on  y 
voyait  encore  du  temps  de  Fourmont  plus  de  300  inscriptions,  même 
sans  y  comprendre  celles  dont  l'authenticité  a  été  révoquée  en  doute. 
Ce  qui  échappa  au  marteau  destructeur  de  ce  nouveau  vandale,  ce 
qui  fut  déterré  depuis  son  passage,  venait  d'être,  par  les  soins  de 
M.  Ross,  rassemblé  dans  la  demeure  du  gouverneur  de  la  province 
pour  former,  avec  quelques  objets  d'art,  les  premiers  éléments  d'un 
musée  local ,  quand  un  incendie  détruisit  tout.  Depuis  lors  les  décou- 
vertes sont  devenues  presque  impossibles.  On  a  voulu ,  fort  à  tort 
selon  moi,  rendre  une  ville  de  Sparte  à  la  Grèce,  qui  pouvait  fort 
bien  s'en  passer  et  se  contenter  de  Mistra,  lieu  beaucoup  plus  sa- 
lubre,  possédant  des  eaux  plus  pures  et  plus  abondantes  que  celui 
qu'on  a  choisi  pour  l'emplacement  de  la  capitale  de  la  province  de 
Laconie;  or,  les  ouvriers  employés  à  la  construction  de  la  nouvelle 
ville  ont  converti  en  chaux  tous  les  marbres  qu'ils  ont  découverts 
dans  les  tranchées  pratiquées  à  cet  effet,  sans  s'inquiéter  de  la  va- 
leur qu'ils  pouvaient  avoir  aux  yeux  de  l'artiste  ou  de  l'antiquaire.  Il 
m'a  donc  été  impossible,  à  mon  très-grand  regret,  de  trouver  aucun 
monument  à  opposer  aux  savants  qui  regardent  comme  fausses  les 
inscriptions  en  caractères  archaïques  rapportées  de  ces  lieux  par 
Fourmont;  mais  il  reste  hors  de  doute,  pour  moi,  que  mon  prédé- 
cesseur, dans  l'investigation  des  monuments  écrits  de  Lacédémone, 
n'est  pas  le  seul  barbare  qui  ait  fait  disparaître  les  richesses  scienti- 
fiques de  la  ville  de  Lycurgue.  En  ce  moment  encore ,  les  maçons 


VOYAGES   EN   GRÈCE   ET   EN   ASIE   MINEURE.  631 

occupés  à  construire  l'église  archiépiscopale  s'en  donnent  tout  à  leur 
aise,  et,  sans  prendre,  comme  Fourmont,  la  précaution  de  copier 
ce  qu'ils  anéantissent,  mutilent,  brisent,  brûlent  chaque  jour  co- 
lonnes, bas-reliefs,  inscriptions,  etc.  J'ai  vu,  pour  ma  part,  de  très- 
belles  colonnes  ioniques  déjà  mises  en  morceaux  pour  être  jetées 
dans  le  four.  J'en  ai  témoigné  mon  indignation  à  l'archevêque  et  au 
gouverneur.  Ce  dernier  m'a  promis  d'aviser  à  ce  que  le  fait  ne  se 
reproduisît  plus  ;  mais  n'ayant  à  sa  disposition  aucuns  fonds  parti- 
culiers consacrés  à  la  conservation  des  monuments  antiques ,  que 
pourra-t-il  faire? 

Mes  découvertes  à  Sparte ,  sous  le  rapport  de  l'épigraphie ,  n'ont 
donc  pas  été  aussi  nombreuses  que  je  l'avais  espéré.  Vous  pourrez 
en  juger,  monsieur  le  Ministre,  car  je  vais  vous  les  faire  connaître; 
et  cependant  j'ai  scruté  avec  soin  tous  les  lieux  désignés  par  Four- 
mont  :  Magoula ,  Mistra ,  Kérami ,  Parori ,  Sklavokhorio  (  Amyclse  ), 
Nitza,  Goudena,  Barsoba,  etc.  Commençons  par  Sparte. 

Le  premier  monument  que  j'aie  copié  dans  cette  ville  est  une  stèle, 
existant  dans  la  demeure  archiépiscopale.  Elle  est  en  pierre  rouge 
et  ne  doit  peut-être  sa  conservation  qu'à  cette  seule  circonstance. 
On  y  lit  : 

(1)  KAAAIKPATH 

KAIPE 

AIOKAIA 
KAIPE 

AtoxX  [s]  iCL    ^cd^z. 

Le  deuxième  est  un  fragment  sauvé  par  le  gouverneur  d'entre  les 
mains  des  constructeurs  de  l'église  métropolitaine  : 

(2)  OY 
OEINnK' 

MOY^XA 
[NOIMOOYACAKOI] 

Le  troisième,  trouvé  dans  les  fouilles  pratiquées  pour  la  construc- 
tion de  la  fabrique  de  soie  fondée  par  mon  honorable  ami,  M.  Dou- 
routis,  et  se  trouvant  aujourd'hui  dans  la  caserne  qu'occupe  la  gar- 
nison, est  gravé  sur  une  base  circulaire  et  ainsi  conçu  : 


REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

(3)    r      ATToKPAYopi 
^  KAICAPI         ^ 

AAPIAN^^CE 

AÙToz-paTopt  Kaldapt  A(^ptavco  SsêaffT^  Sa)r:^pi. 

C'est  des  mêmes  fouilles  que  provient  une  stèle  portant  ce  seul 
mot  : 

(4)  01AOYCA 

Dans  les  jardins  attenants  à  l'édifice  en  question  on  a  déterré,  le 
jour  de  mon  départ,  un  fragment  de  grande  base  sur  lequel  sont 
inscrites  les  quatre  lignes  suivantes  dont  je  remplis  les  lacunes  à  l'aide 
des  numéros  1363  et  14  64  du  Corpus, 

(5)  [Ol/k  OjnATPi]A02Ain[NIOY] 

[Ar]0PANnAEI2T0N[EIK0Y] 
[  rjl  APAA02:OYKAIAPI2T[OY] 

EAAHNflN 

dpy^iepéMç  Tov  SeêacToO  y.cà  rwv  Qeioiv  r^poyôvwj  ocvTOVy  (^LloY,iXL(7apoç 
zat  cpt]Xo[7raTpt]<3'o^  j  ata)[vtoy  ày^op(Xv6(^iJ.ov') ^  T:l£i(Jzov\jrA.O'j  ttjcc- 
pxâoiov  7.0LI  àpi(7T[oy]  EAXvivwv. 

Dans  la  cour  de  la  demeure  du  gouverneur,  sur  la  face  anté- 
rieure d'un  petit  autel  ayant  0,355  de  hauteur  sur  0,22  de  largeur, 
et  0,24  d'épaisseur,  on  lit  : 

(6)  AYTOKPA 

TOPIAAPIA 
NCOKAICAPI 
CeBACTCO 
CCOTHPI 


VOYAGES   EN   GRECE   ET   EN    ASIE   MINEURE.  633 

Et  sur  la  face  latérale  droite  : 

(7)  ZANie 

Aevoepi 

OIANTW 

NCiNOI 

CCaTHPI 

2av\  EAeu0&pt[w]  Avtwv£iv[&)]  Swr/jpt. 

Celte  dernière  inscription  se  retrouve  reproduite  presque  dans  les 
mêmes  termes,  mais  dans  des  dimensions  diff 'rentes,  sur  plusieurs 
monuments  qui  diffèrent  également  de  forme.  D'abord  sur  une  plaque 
engagée  dans  la  façade  de  la  maison  Matalas  : 


(8)  ZANIEAEY 

OEPIOIAN 
THNEINOI 
SflTHRI 


c^ 


<5 


Puis  sur  une  colonne  à  demi-cannelée  encastrée  dans  la  porte  de 
l'école  publique  ; 

(9)  [ZIANI 

[ElAeVOG 
[PIIOIKAI 
[OlAYMni 
[01]ANTU)N[EI] 
[NJOI2C0H 
PI 


634  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Puis  enfin  sur  une  base  qui  forme  une  des  pierres  d'angle  d'une 
cabane  au  nord  de  l'Agora  : 

(10)  ZANIEAGYO 

EPIOIANTHNEI 
Nni2ntHPI 

Que  conclure,  monsieur  le  Ministre,  de  ces  témoignages  de  gratitude 
répétés  si  souvent  car  Fourmont  en  avait  vu  deux  autres  encore 
et  le  recueil  de  M.  Ross,  indépendamment  des  deux  derniers  que  je 
viens  de  rapporter,  en  contient  quatre  autres  sous  les  numéros  37, 
38,  39,  et  40?  Qu'Antonin  avait  par  quelque  acte  de  la  munificence 
impériale  bien  mérité  de  Sparte ,  et  que  dans  chaque  temple  on  avait 
consacré  son  image  en  l'assimilant  à  Jupiter  sauveur,  à  Jupiter  libé- 
rateur, à  Jupiter  olympien,  genre  d'adulation  qui  ne  coûtait  plus 
rien  alors,  même  aux  Spartiates;  que  peut-être  même,  sous  ce  nom, 
il  figurait  près  des  dieux  pénates  dans  l'intérieur  des  maisons  parti- 
culières. 

J'ai  encore  trouvé  dans  la  cour  du  gouverneur  l'inscription  sui- 
vante gravée  sur  une  plaque  dont  la  partie  supérieure  manque  : 

(H)  [Yn]EPTnN[KAI2APnN] 

2nTHPIA2AP12T0KAH2 
METATH2rYNAIK02KAI 
TnNTEKNnNTYXHEnH 
KOnTONBOMONANEOM 
KEN 

[YTiJèp  Twv  \Kcct(jdpo:tv]  acùTYiptaç  Api(iTOY,lriç  iietoc  ttjç  yuvaixoç 
y.ûà  TWV  TExvwv  Tu^^yj  ÈTryjxow  tov  (Sw^ov  àvéQnytev, 

C'est  encore  une  preuve  de  l'attachement  des  Grecs  pour  la  fa- 
mille des  Antonins. 

Sur  l'emplacement  présumé  de  l'Agora,  j'ai  trouvé,  dans  un  état  de 
mutilation  récente,  l'inscription  suivante,  que  sans  doute  la  veille  on 
aurait  pu  lire  beaucoup  plus  intacte,  à  en  juger  par  la  copie  que 
M.  Ross  en  a  donnée  sous  le  nM  3  de  son  recueil.  On  ne  saurait 
le  nier  en  présence  de  tels  faits  :  le  gouvernement  grec,  malgré  la 
rigueur  de  ses  lois,  restera  impuissant  pour  conserver  les  monu- 
ments antiques  tant  que  les  populations,  à  très-peu  d'exceptions  près, 
resteront  assez  ignorantes  du  passé  et  assez  peu  jalouses  de  la  gloire 


VOYAGES   EN   GRÈCE   ET   EN   ASIE   MINEURE  635 

des  ancêtres  pour  préférer  quelques  sacs  de  chaux  à  tous  les  monu- 
ments écrits  ou  sculptés.  Je  remplis  immédiatement  les  lacunes. 

\   (12)  AnOAII 

igrAIAI0NAAIV10KPATIA[ANT0N] 
AAKANAPIAAAPXIEPEATLOY] 
2EBA2T0YKAITnN0E[inN] 
nPOrONHN  AYTOYf  I AO] 
KAI2APAKAI0IAOnAT[PINAI] 
[nNIlONArOPANOMON 
[nAEI]2T0NEIKHN[nAPAA0] 
[  '50N]KAIAPI2[T0NEAAHNnN] 

A  TToAtç  U6(7:liov)  Aïhov  Aa|uiozpaTt(^[av  tov]  ÂlKOCvâplâa  àpy^iepioc 
t[oOJ  SgêacTou  xal  twv  ôspcov]  TTpoyJvwv  amov  [cpiXoJxato'apa  aol 
^iXo7raT[piv]j  aimiov  àyopavo/ji[ov]  ,  TrXstCTOvstV.yjv  [TrapaJ^o^ov  y.où 
(xpLŒ[rov  ÈTlrivcxiv]. 

A  l'époque  oii  M.  Ross  a  vu  cette  base  on  y  lisait  de  plus  une 
partie  des  trois  lignes  suivantes  : 

KAAn2nEnOAEIT[EYME] 
[N]0NKAIAAB0N[TATA2] 
[TH2AP]l2T[OnOAEITEIA2l 
[TIIVIA2KATAT0NN0M0N] 

Kalcùç  7r£7roAeiT[£vpt.£v]ov  xai  XaêoWa  ràç  [r^ç  àp]t(TT[oTroX£iT£iaç 
Tijuiàç  xarà  tov  vopiov]. 

Le  personnage  dont  il  est  question  sur  cette  base  honprifique  est 
connu  déjà  par  les  n*"'  1363  et  1364  a  6  du  Corpus,  qui  ont  été  co- 
piés, le  premier  par  Cyriaque  d'Ancône,  le  deuxième  par  Fourmont. 
J'ai  tiré  de  là  des  facilités  pour  remplir  les  lacunes  que  présente  no- 
tre monument.  Je  crois  pouvoir  par  la  suite  établir  que  ces  trois  in- 
scriptions nous  font  connaître  quatre  personnages  d'une  famille 
importante  de  Sparte,  contemporains  des  Antonins,  et  portant  alter- 
nativement les  noms  d'Alcandridas  et  de  Damocratidas,  suivant  l'u- 
sage grec.  L'Auguste  dont  il  est  ici  question  doit  être  Commode  ou 
Marc-Aurèle. 

L'inscription  suivante  a  été  copiée  par  Fourmont,  et,  plus  tard, 
par  M.  Ravoisier,  mais  comme  elle  est  de  grande  dimension  et  se 


636  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

rencontre  à  l'est  de  l'acropole,  fort  loin  des  constructions  nou- 
velles, elle  a  été  jusqu'ici  respectée  : 

HnOAI2 

Wmemmionaa 

mâph^memmi 

0y2iaektayi0n 

KAAninEnoAi 

TEYMENONAA 
B0NTATA2TH2 
API2TOnOAITE, 
A2T1MA2KATAT0N 

NOMON 

H  TToXiç  TloÇnho)/)  Meaptov  ù^aiJiap'n  lioÇTiliov)  Mepp'ou  SiJ'exTa  vî6v, 

TOV  voi^ov. 

J'ai  parlé  assez  longuement  de  cette  inscription  (t.  II,  p.  67  de 
V Expédition  de  Morée ,  t.  I ,  p.  97  du  tirage  à  part  in-8**),  cela  me 
dispense  d'entrer  ici  dans  aucun  détail. 

Non  loin  du  théâtre ,  sur  la  pente  orientale  de  l'acropole,  on  trouve 
des  ruines  d'assises  qui  doivent  avoir  appartenu  à  un  édicule  funèbre, 
à  en  juger  par  le  fragment  d'inscription  qui  suit,  lequel  était  gravé 
sur  l'une  des  moitiés  du  fronton  : 


(14) 


AANOHPn 
N  AAnMAA 

eAoymenh^ 

THIAnE 


Cette  inscription  est  encore  connue.  M.  Bœckh  la  publiée  sous 
le  n"  1398  d'après  deux  copies,  l'une  de  Fourmont,  l'autre  de 
Dodwell.  Je  ne  la  reproduis  ici  que  parce  qu'il  me  semble  qu'elle 


VOYAGES  EN   GRÈCE   ET   EN  ASIE   MINEURE.  637 

peut  être  restituée  plus  symétriquement  et  d'une  manière  plus  com- 
plète qu'elle  ne  l'a  été  dans  le  Corpus  : 

AnO[AI2 

[rA]iniOYAi[ni hp 

K]AANnHPn[IAOY2H2TO 
A]NAAnMAAY[TH2KAIEni 

M]EA0YMENH2I[ 

TH2ANELIKHT0Y 

A  T:6[hç  r]atw  ioyAi[M Hp>t]Xavw  •^pw[t  Mcrnç  rb  àjva^wpa 

ocv[Triç  zoà  è-niy^elovixéwig  [rriç  âeïvog]  rrig  Av£[tx7^T0u]. 

C'est-à-dire  :  la  ville  à  C,  Juliiis  (Festiis  ou  tout  autre  nom )  I/er- 
culams,  une  telle  fille  d'Anicetus  faisant  les  frais  et  se  chargeant  de 
veiller  à  Vexécution  des  travaux. 

C'est  encore  non  loin  du  théâtre  au  nord  de  l'acropole,  près  de 
l'emplacement  oii  dut  être  le  stade,  que  j'ai  lu  les  lignes  ci-dessous , 
contenant  une  liste  de  vainqueurs  dans  des  combats  publics  : 

NEKAEO 
AIPEI201NIKA2ANT2MAX 
2NIK0KPATH2K  BA2 

KIAA2O1A02TPAT0Y 
MENH^EHiKTHTOY 
mniAAJEniKPATOYl 

YNIK02 

nANAP02TPYa>nN02 
KYAANOlinnAPXOY 
KAAAIKPATH2OIA02TPAT0Y 
AAMinnOS  TIM0KPAT0Y2 
KAE0MAK02K 
EYAAIM0KAH2EYAAM0Y 
2n2TPAT02  OEOAOPOY 
ÎENAKONANTIBIOY. 


638  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

La  restitution  suivante  ne  doit  pas  s'écarter  beaucoup  du  monu- 
ment dans  son  état  primitif  : 

0IEniME]NEKAE0[Y2TnNArENE 
inNAEK]ATPE120INIKA2AN[TE]2MAX 
rAIO]2NIKOKPATH2 1<^  BA2 

AIA]KIAA2OIA02TPAT0Y 

Eni]MENH2EniKTHT0Y 

c|>IA]inniAA2EniKPAT0Y2 

E1YNIK02 

2]nANAPO2TPY0nNO2 

KYAAN02innAPX0Y 

KAAAIKPATH20IAO2TPATOY 

AAMinn02TIM0KPAT0Y2 

KAE0MA[X]02K 

EYAAIM0KAH2EYAAM0Y 

2n2TPAT020E0AnP0Y 

EENAKONANTIBIOY 

[rato]ç]Ntzoxparyjç  Nt>co>tpaTou 

^iXjinr.iâocç  ÉTrtzparouç 

[EJuvïxoç 

[Sjwav^J'poç  Tpu(j)&)Voç 
Kvâavoç  Inndp^ov 
KaHiy.poirY}ç  ^iloŒrpdrov 

àcH^LTÏTÏOÇ  TljULOXpaTOUÇ 

Kleoiioc^oç  Kleo[xd^ov 

'Evâaiiio-alriç  Eyc^a^oy 
ScoorpaToç  Seoâdipov 
Sievd)(MV  AvTtêiou. 

Ce  monument  n'est  pas  sans  intérêt  si  j'en  ai  bien  saisi  le  sens. 
C'est  le  seul  exemple  d'une  liste  de  vainqueurs  dans  des  jeux  publics 
qu'on  ait  rencontré  jusqu'à  ce  jour.  Quel  était  ce  combat  royal , 
(xdyr)  ^OLGiliKYit  Serait-ce  les  MéyiaTo.  OhpdvKX  Ssêadreia  Nepouavt Jeta 


VOYAGES   EN  GRÈCE   ET  EN  ASIE   MINEURE.  639 

dont  il  est  question  au  n°  1424  du  Corpus ,  et  qui  eurent  lieu  égale- 
ment sous  le  patronomat  de  Ménéclès?  C'est  une  question  qui  méri- 
terait la  peine  d'être  examinée,  mais  que  ne  peut  résoudre  im- 
médiatement un  voyageur  campé  à  la  belle  étoile  sur  les  ruines  de 
l'anciene  Thouria.  Tout  ce  qu'on  peut  affirmer  c'est  que  c'étaient  des 
jeux  guerriers  auxquels  les  combattants  se  préparaient  en  se  frottant 
d'huile;  ce  que  démontrent  clairement,  selon  moi,  le  vase,  le  bouclier 
et  la  palme  gravés  au  bas  des  treize  noms.  Il  est ,  du  reste,  à  remar- 
quer que  les  quatre  premiers  vainqueurs  sont  distingués  des  neuf 
autres  par  la  disposition  même  des  lignes ,  et  que  les  noms  de  Ni- 
cocrate,  de  Philostrate,  (M  Soandre,  d'Hipparque,  de  Callicrate, 
de  Damippus,  d'Eudœmoclès,  de  Sostrate,  de  Théodore  et  deXénacon 
se  rencontrent  sur  d'autres  monuments  de  Sparte ,  tous  comme  ce- 
lui-ci de  l'époque  romaine. 

La  liste  qui  vient  ensuite  est  d'une  tout  autre  nature,  elle  est 
gravée  sur  une  stèle  à  fronton  et  à  antéfixes  trouvée  récemment  par 
Nicolas  Touros  de  Magoula,  et  sur  laquelle  les  A  ont  le  chevron  brisé, 
et,  le  plus  souvent,  des  apices  : 

(Î6)      KABHNIAAIANAPONIKOY 
nATP0N0M02AAM0XAPH2 
MEAANinnOYnATPONO 
M02nPAT0NIK02Eni 
5  2TPAT0YnATP0N0M02 

KAAAIKPATIAA2TIM0ZEN0Y 
nATP0N0M02TIIVI0EEN02 
OIA0KAE02  nATP0N0M02 
AAM0XAPI2  TIMOZENOY 
10  nATP0N0M02  ZYNAPXOI 

API2T0KPATH2EYTEAIAA 
EYAAMIAA2  KAEONYMOY 
TIMAPI2T02  AAMnN02 

innAPX02  ropnnnoY 

15  O1A0ZEN02  AAMOAA 

nA2ITEAH2  KAEANoP02 

p-A2nTHPIAA2ArA00KAE02 

YnOf^AAPI2TOKAH22nKPATIA 

EYTYXIAA2  YnHPEEYTYX02 

Kaêomd'aç  Av^povUov  y  Tiaxpové^oq' 
àcciioy^aprig  MsIocvltiiïov  y  izolt^ovÔiioc' 


640  REVUE   ARCHÉOj:.OGIQUE. 

nparovixoç  ETriorparou,  Tiocrpovofxoç' 
KaXAtzpaTt^aç  Ti^o'^évoVy  iiocTpovoixoç' 
TilÂO^evoç  ^iloTtléoçy  Trarpovo/utoç* 
^oL^oyjipii;  TiiJ.o'^évoVy  T.oLXpQv6iJ,oç. 
Suvap^^ot* 
Apto-Toxparyîç  'EÀjxùJ.àa.y 

l7:7:ap;^oç  ropyiTTTTou, 
^ilo^evoç  ùiaiJ.61(Xy       » 
na(TtT£7y5ç  KXeavopoç. 

Tpa([jLixaTeTjç)' 
^(ùTYîpiâoiç  kyoL^oylioç, 

T7:oypoc{pLiJ.aT£Lçy 
Api(7T07t}.yiç  y  ^ompaTiaçy 

XiznpzTriq, 
Evrvyoç. 

Ce  monument  d  une  admirable  conservation  est  sans  aucun  doute 
le  plus  important  de  tous  ceux  que  j'ai  recueillis  à  Sparte.  Il  résout 
en  effet  une  question  restée  incertaine  jusqu'à  ce  jour  :  il  nous 
apprend  quel  était  le  nombre  des  magistrats  que  Cléomène  institua 
sous  le  nom  de  patronymes  pour  remplacer  le  pouvoir  tyrannique  des 
éphores  (voy.  Bœckh,  Corpus  Inscr.  gr.  1. 1,  p.  605,  col.  2).  D'après 
le  n**  1356  du  Corpus ,  M.  Bœckh  avait  conjecturé  qu'ils  étaient 
plusieurs.  Mais  combien?  et  puis,  que  fallait-il  entendre  par  ces 
mots  du  n**  dont  il  vient  d'être  question  :  ol  a-ovdpyovzzq  rviç  Trarpovo- 
p'aç?  Notre  inscription  répond  pleinement  à  ces  deux  questions.  Il 
y  avait  six  patronomes  en  titres  assistés  de  six  suppléants  ou  adjoints 
Gvvap^oi.  Le  premier  des  patronomes,  comme  on  le  sait  déjà,  était 
éponyme.  Les  six  patronomes  se  partageaient  sans  doute  les  difleren- 
tes  branches  de  l'administration ,  comme  les  trois  premiers  archontes 
à  Athènes,  et  peut-être  les  six  avvoLpyoi  veillaient-ils  à  la  réforme 
des  lois  comme  les  six  derniers  archontes,  les  thesmothètes  d'Athè- 
nes. Il  est  très-naturel  de  croire  que  Cléomène,  partisan  des  prin- 
cipes démocratiques ,  ait  emprunté  beaucoup  dans  sa  réforme  poli- 
tique à  la  constitution  de  l'État  démocratique,  par  excellence, 
d'Athènes,   tout  en  ayant  égard  aux  exigences  locales.  Ainsi,  le 


VOYAGES   EN   GRECE    ET   EN   ASIE   MINEURE.  641 

peuple  étant  divisé  en  quatre  tribus,  il  y  eut  douze  patronomes,  trois, 
sans  doute  pour  chaque  tribu;  mais,  comme  à  Athènes  les  gardiens 
des  lois ,  les  législateurs  furent  au  nombre  de  six.  Nous  apprenons 
de  plus,  qu'à  ce  corps  constitué  était  attaché  un  secrétaire  en  chef, 
trois  secrétaires  en  second  et  un  huissier  ;  ce  qui  était  resté  égale- 
ment douteux  jusqu'à  ce  jour  {voyez  Bœckh,  t.  I,  p.  611 ,  col.  2). 
Ces  trois  fonctions  sont  indiquées  par  trois  sigles ,  dont  les  deux 
premières  sont,  je  crois,  sans  exemple,  et  dont  la  dernière  n'est 
qu'une  simple  abréviation. 

D'après  tout  ce  qui  précède,  il  me  paraît  hors  de  doute  que  le 
11°  1256  du  Corpus  ne  doit  pas  être  considéré  comme  un  monument 
unique ,  mais  comme  se  composant  de  deux  inscriptions  bien  dis- 
tinctes, dont  la  première  était,  comme  la  nôtre,  une  liste  de  ma- 
gistrats élus  pour  une  année.  Seulement,  les  noms  des  six  premiers 
patronomes  et  celui  du  premier  synarque  manquent,  effacés  par  le 
temps ,  et  le  graveur  a  oublié  les  noms  de  trois  sous-secrétaires ,  si 
toutefois  il  n'est  pas  plus  naturel  d'admettre  qu'ils  précédaient  le 
mot  YIIHPETHS  ,  mais  qu'ayant  été  effacés  parle  temps,  Fourmont 
a  oublié  d'indiquer  une  lacune  dans  cet  endroit. 

C'est  encore  à  la  môme  classe  de  monuments  qu'il  faut  rattacher 
le  n"  23  du  recueil  de  M.  Ross.  Quelque  mutilé  que  soit  ce  monu- 
ment, le  mot  STNAPXON[TES]  ,  équivalent  du  2TNAPX0I  de  notre 
inscription,  ne  peut  laisser  d'hésitation  à  cet  égard.  Les  quatre 
premières  lignes,  si  la  partie  supérieure  de  la  pierre  était  intacte, 
devaient  contenir  les  noms  des  six  premiers  patronomes,  les  lignes 
6  et  8  les  noms  des  six  synarques,  la  neuvième  celui  du  secrétaire; 
puis ,  venait  celui  de  l'huissier  précédé  du  mot  [ï]IIHPET[HS]  dont 
cinq  lettres  subsistent  encore.  Peut-être  les  trois  sous-secrétaires  ne 
venaient-ils  qu'après? 

Je  ferai  encore  remarquer  que  les  dwdpx^vzeç  sont  aussi  au  nom- 
bre de  six  dans  le  n"  1341.  Pratolaos,  auquel  ils  décernent  une 
statue,  ne  fait  pas  partie  de  leur  collège  puisqu'il  est  patronome,  et 
c'est  à  tort  que  M.  Bœckh  a  supposé  qu'ils  étaient  sept  en  le  com- 
prenant. 

En  résumé ,  notre  inscription  doit  être  considérée  comme  une 
heureuse  découverte  puisqu'elle  décide ,  d'une  manière  concluante , 
un  point  très-important  de  la  constitution  de  Sparte  à  l'époque  ro- 
maine; et  j'aime  à  croire,  monsieur  le  Ministre,  que  le  monde  savant 
en  appréciera  toute  l'importance. 

(La  éuUe  du  G*  rapport  au  numéro  prochain.) 


I 


SUR 

lA  IIIÉCANIQUE  DES  ANCIENS  ÉGYPTIENS. 


Ce  fragment,  comme  celui  que  nous  avons  déjà  publié  [sur  V époque 
du  vase  â! Artaxerce),  est  extrait  d'un  Mémoire  de  M.  Letronne,  sur 
VÉtat  de  la  cwilisation  de  V Egypte  pendant  la  domination  des  Perses, 
lu  récemment  à  l'Académie  des  Inscriptions.  Nous  avons  pensé  que 
cette  vue  nouvelle  sur  la  Mécanique  des  Egyptiens  intéresserait  les 
lecteurs  de  la  Reme  Archéologique. 

Après  avoir  tracé  le  tableau  du  règne  des  derniers  Pharaons,  et  parlé 
des  travaux  d'architecture  et  de  sculpture  qu'ils  avaient  exécutés, 
l'auteur  termine  ainsi  l'exposé  de  ceux  d'Amasis  : 

«  Mais  ce  qu'Hérodote  admire  encore  plus  que  tous  ces  grands 
travaux,  c'est  une  chambre  monolithe,  ayant  21  coudées  (il  mètres) 
de  long  ;  14  coudées  (7  met.  38)  de  large  et  8  de  haut  (4  mètr.  216), 
ou  344  mètres  cubes,  qui  devaient  peser  conséquemment  près  de 
2  millions  de  kilogrammes,  et  environ  500,000  kilogrammes  (le 
double  de  l'obélisque  de  Louqsor)  après  avoir  été  taillé  et  évidé. 

«  Outre  ces  immenses  ouvrages,  les  monuments  attestent  qu'Ama- 
sis  en  exécuta  beaucoup  d'autres  dont  l'histoire  ne  fait  pas  men- 
tion. Thèbes  et  d'autres  lieux  en  ont  conservé  beaucoup  de  traces. 
A  Tel  et  Mui ,  l'ancienne  Thmuis ,  dans  le  Delta ,  se  trouve  un  mo- 
nolithe tout  à  fait  semblable  à  celui  dont  parle  Hérodote,  et  d'une 
assez  grande  dimension,  puisqu'il  a  7  mètres  de  haut,  3  mètres  95 
de  large,  3  mètres  21  dans  l'autre  sens,  selon  les  mesures  de  Chana- 
leilles  et  de  Girard  (l);  M.  Burton  y  a  lu  le  nom  d'Amasis.  D'après 
cela,  on  voit  qu'Hérodote  a  seulement  parlé  de  ce  qu'Amasis  avait  fait 
de  plus  remarquable,  et  que  ce  prince  montrait  un  goût  décidé  pour  ces 
monolithes  de  granit,  qu'il  tirait  à  grands  frais  de  Syène  etd'Éléphan- 
tine  (2).  Au  témoignage  de  sir  G.  Wilkinson,  les  carrières  de  Syène 
portent  encore  plusieurs  inscriptions  qui  annoncent  que  ce  roi  en  a 
tiré  des  blocs  pour  les  édifices  qu'il  voulait  élever  dans  la  vallée  du 
Nil  (3).  Ainsi  les  monuments  eux-mêmes  viennent  confirmer  le  té- 

(1)  Jollois  et  Dnbois  Aymé,   Description  des  ruines  situées  dans  le  Delta 
{Description  de  l'Egypte,  ch.  xxvi),  p.  10. 

(2)  Description  de  V  Egypte-,  antiquités,  t.  V,  pi.  XXIX,  n»  16  à  19* 

(3)  Wilkinson,  Manners  and  Customs ,  I,  191 ,  192. 


SUR  LA.   MÉCANIQUE   DES   ANCIENS   ÉGYPTIENS.  643 

moignage  d'Hérodote  sur  les  travaux  exécutés  par  Amasis  peu  d'an- 
nées avant  l'arrivée  de  Cambyse. 

«  Le  ressort  énergique  qui  avait  élevé  les  immenses  constructions 
de  Thèbes,  dix  ou  douze  siècles  auparavant,  ne  s'était  nullement 
affaibli  ;  le  goût  pour  ces  grands  ouvrages  subsistait  dans  toute  sa 
force  ;  et  l'on  savait  encore  transporter  et  élever  des  masses  d'un 
poids  énorme. 

«  Le  grand  monolithe  d'Amasis,  même  avant  d'être  évidé,  ne  pe- 
sait pas  beaucoup  plus  qu'une  des  énormes  pierres  qu'on  trouve  en- 
core dans  les  ruines  de  Balbeck.  Plusieurs  ont  58  pieds  de  long,  et 
Volney  (1)  en  a  mesuré  une  de  69  pieds  2  pouces  de  long,  de  12  à 
1 3  pieds  dans  les  deux  autres  sens  ;  cette  pierre,  qui  est  une  espèce 
de  granit,  doit  peser  de  8  à  900,000  kilogrammes,  et  elle  provient, 
comme  toutes  les  autres ,  d'une  carrière  située  dans  la  montagne  ad- 
jacente à  la  ville,  d'où  les  Romains  ont  su ,  à  l'époque  des  Antonins, 
l'amener  sur  le  sol  du  temple  par  un  chemin  inégal  et  montueux. 

Ils  n'ont  pas  été  plus  embarrassés  pour  dresser  à  Rome  (  comme  les 
Grecs  avaient  su  le  faire  à  Alexandrie)  les  plus  grands  obélisques  égyp- 
tiens, ainsi  que  la  fameuse  colonne  dite  de  Pompée,  élevée  en  l'honneur 
de  Dioclétien,  et  tant  d'autres  colonnes  triomphales  d'égale  dimension 
qu'ils  tiraient  des  carrières  du  montClaudianus,  dans  le  désert  à  l'est  de 
l'Egypte  (2).  Ces  travaux  furent  au  moins  égalés  par  celui  que  les 
Ostrogoths  exécutèrent  à  Ravenne,  au  tombeau  de  Théodoric.  Le  toit 
monolithe  de  ce  tombeau  a  été  taillé  dans  un  bloc  de  pierre  d'Istrie 
qui  pesait,  selon  les  calculs  de  Soufflet,  plus  de  2,300,000  livres.  En 
supposant  qu'il  eût  été  évidé  dans  la  carrière  même,  autant  qu'il  le 
fallait  pour  en  diminuer  le  poids  sans  qu'il  courût  le  risque  de  se  bri- 
ser, on  trouve  qu'il  pesait  au  moins  940  milliers  lorsqu'il  a  été  trans- 
porté des  carrières  de  l'Istrie  à  travers  le  golfe  Adriatique ,  voiture 
dans  les  environs  de  Ravenne ,  près  du  tombeau ,  et  élevé  sur  les  murs 
de  face,  à  40  pieds  de  hauteur  (3),  c'est-à-dire  à  une  élévation  trois 
fois  plus  grande  que  celle  des  piédestaux  sur  lesquels  sont  placés  les 
colosses  de  Thèbes.  Assurément  ni  les  Grecs  ni  les  Romains,  encore 
moins  les  Ostrogoths,  ne  possédaient  les  puissants  engins  dont  dispo- 
sent les  modernes;  tout  annonce  cependant  qu'ils  étaient  plus  avancés 
que  les  Égyptiens  en  mécanique. 

a  Je  suis  étonné  autant  que  personne  de  la  patience  et  de  l'adresse 

(1)  Volney,  p.  258  de  ses  OEuvres  (éd.  de  F  Didot). 

(S)  V.  mon  Recueil  des  Inscriptions  grecques  de  V Egypte ,  t.  I,  p.  177  et  suiv- 
ra) Soufflot,  cité  par  Caylus.  (Acad.  des  Inscriplions,  t.  XXXI,  Hist.  p.  39,  40.) 


644  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

que  ceux-ci  ont  déployées  en  ces  occasions;  mais  j'ai  toujours  été  fort 
éloigné  de  leur  attribuer,  comme  on  l'a  fait  souvent,  une  mécanique 
aussi  perfectionnée,  pour  le  moins,  que  celle  des  modernes.  S'ils  avaient 
eu  de  telles  ressources,  les  Grecs  en  auraient  eu  connaissance,  eux 
qui,  depuis  Psammitichus,  parcourant  librement  l'Egypte,  furent  les 
témoins  des  immenses  travaux  de  ce  prince  et  de  ses  successeurs.  Or, 
que  la  mécanique  des  Grecs  fut  encore  à  cette  époque  dans  l'enfance, 
cela  résulte  du  moyen  grossier  qu'employa  Chersiphron,  l'architecte 
du  premier  temple  d'Éphèse,  commencé  au  temps  de  Crésusetd'Ama- 
sis  (1).  N'ayant  point  de  machine  pour  élever  les  énormes  architraves 
de  cet  édifice,  à  la  grande  hauteur  où  elles  devaient  être  portées,  il  fut 
réduit  à  enterrer  les  colonnes  au  moyen  de  sacs  de  sable  (2),  formant  un 
plan  incliné,  sur  lequel  les  architraves  étaient  roulées  à  force  de  bras. 
Ce  passage  de  Pline  est  une  autorité  historique  en  faveur  de 
l'usage  que  les  Égyptiens  eux-mêmes  faisaient  du  plan  incliné  pour 
porter  les  lourds  fardeaux  à  un  niveau  élevé  ;  car  il  est  impossible  que 
s'ils  avaient  eu  un  moyen  plus  perfectionné  et  moins  pénible,  les 
Grecs  de  ce  temps  ne  l'eussent  point  connu.  C'est  à  l'aide  de  ce  procédé 
que  purent  être  élevés  facilement  les  tambours  des  colonnes  de  la 
salle  hypostyle  de  Karnak,  qui  ont  21  mètres  de  haut,  et  10  mètres 
de  tour,  ainsi  que  leurs  énormes  architraves.  On  enterrait  toutes 
les  colonnes  à  mesure  qu'elles  s'élevaient,  et  l'on  allongeait  gra- 
duellement le  plan  incliné  oti  l'on  en  augmentait  le  nombre  des 
rampes.  Une  application  du  même  procédé,  c'est-à-dire  un  plan 
incliné  en  spirale ,  à  peu  près  tel  que  l'avait  conçu  Huyot  (3), 
a  fourni  le  moyen  de  dresser  les  obélisques,  et  cela  sans  autre 
secours  que  celui  des  leviers  et  d'une  multitude  de  bras  habilement 
combinés.  C'est  ainsi  que  Rhamessès  avait  employé  120,000  hom- 
mes pour  dresser  un  des  obélisques  de  Thèbes;  fait  qui  seul  annon- 
cerait l'extrême  imperfection  ou  plutôt  l'absence  totale  de  la  mécani- 
que (4).  Et,  en  effet,  dans  aucune  peinture  égyptienne  on  n'aperçoit 
ni  poulies,  ni  moufles,  ni  cabestans ,  ni  machines  quelconques. 
Si  les  Égyptiens  en  avaient  eu  l'usage,  on  en  trouverait  la  trace 
dans  un  bas-relief  (5),  qui  nous  représente  le  transport  d'un  co- 

(1)  Ce  synchronisme  résulte  pour  moi  de  ce  que  ,  selon  Hérodote  (  I,  92) ,  Crésus 
avait  fourni  la  plupart  des  colonnes  de  ce  temple. 

(2)  Plin.  XXXVI,  21  (14). 

(3)  Son  dessin  est  déposé  à  rÉcole  des  Beaux- Arts. 

(4)  Id.  XXXVI ,  9. 

(5)  Publié  d'abord  par  Cailliaud,  puis  par  Champolliun  et  Rosellini,  en  dernier 
lieu  ,  par  Wilkinson ,  Manners  and  Cusloms,  III ,  326. 


SUR   LA  MÉCANIQUE  DES  ANCIENS  ÉGYPTIENS.  645 

losse  :  on  le  voit  entouré  de  cordages,  et  tiré  immédiatement  par 
plusieurs  rangées  d'hommes  attachés  à  des  câbles;  d'autres  por- 
tent des  seaux  pour  mouiller  les  cordes  et  graisser  le  sol  factice  sur 
lequel  le  colosse  est  traîné.  La  force  tractive  de  leurs  bras  était 
concentrée  dans  un  effort  unique ,  au  moyen  d'un  chant  ou  d'un 
battement  rhythmé ,  qu'exécute  un  homme  monté  sur  les  genoux  du 
colosse.  Si  1,000  hommes  ne  suffisaient  pas,  on  en  prenait  10,000, 
autant  qu'on  en  pouvait  réunir  sur  un  même  point  et  pour  une 
même  action.  Ce  bas-relief  remarquable  fait  tomber  bien  des  préju- 
gés, en  nous  montrant  que  la  mécanique  des  Egyptiens,  comme  celle 
des  Indiens  actuels  et  des  Mexicains  (1)  a  dû  consister  dans  l'emploi 
de  procédés  très-simples,  indéfiniment  multipliés,  et  coordonnés  ha- 
bilement par  l'effet  d'une  longue  habitude  de  remuer  les  très- 
lourdes  masses  (2). 


(1)  Pierre  Martyr,  de  Orbe  novo,  decad.  5,  cap.  10.  Cité  par  Prescott  dans  son 
Hislory  of  Mexico, 

(2)  M.  Prisse,  qui  connaît  si  bien  les  monuments  égyptiens,  après  m'avoir  entendu 
lire  celte  partie  de  mon  mémoire  ,  m'a  adressé  la  lettre  suivante  qui  confirme,  par 
un  fait  tout  nouveau,  mes  vues  sur  l'usage  du  plan  incliné  : 

Paris,  7  décembre  1844. 
.Monsieur, 

«  Entre  les  traits  qui  m'ont  frappé  en  vous  entendant  lire  à  l'Académie  votre  mé- 
moire sur  Vélal  de  l'Égyple  pendant  la  domination  des  Perses,  j'ai  surtout  re- 
marqué ce  que  vous  dites  de  la  Mécanique  des  anciens  Égyptiens ,-  vous  avez 
reporté  ma  pensée  sur  une  observation  que  j'avais  faite  dernièrement  à  Karnac, 
relative  à  l'emploi  que  les  Egyptiens  ont  dû  faire  du  plan  incliné,  pour  élever  de 
grosses  masses  ,  et  en  général ,  à  la  simplicité  des  moyens  mis  en  usage  par  leurs 
architectes  pour  élever  ces  blocs  colossaui  qu'on  remarque  dans  tous  leurs  mo- 
numents. 

«  L'entrée  du  grand  palais  des  Pharaons  à  Karnak  s'annonce  par  un  gigantesque 
pylône  dont  les  deux  môles  n'ont  jamais  été  terminés.  La  construction  paraît  en  avoir 
été  commencée  par  Amoun4e~P ehor  de  la  vingtième  dynastie  ,  qui  en  fit  sculpter 
une  élévation  parmi  les  bas-reliefs  qui  décorent  le  temple  de  Khons.  Ces  masses 
pyramidales  malgré  l'absence  de  leur  couronnement  ont  chacune  environ  45  mètres 
de  hauteur  sur  114  de  largeur  à  leur  base.  Ils  sont  bâtis  de  gros  blocs  distribués  en 
assises  irrégulières  et  dont  les  joints  n'ont  été  dressés  que  sur  les  bords.  On  remarque 
tle  chaque  côté  de  ce  pylône,  tant  à  l'extérieur  qu'à  l'intérieur  de  la  cour,  des 
massifs  d'énormes  briques  crues  adossés  à  ces  bâtisses  de  pierre,  au  pied  desquelles 
ils  forment  maintenant  un  immense  monticule.  A  l'intérieur,  ces  massifs  rie  briques 
sont  encore  nssez  bien  conservés  et  s'élèvent  du  côté  du  nord  sur  un  petit  édifice 
isolé  composé  dé  trois  salles  dont  les  murs  sont  couverts  de  bas-reliefs  portant  les 
légendes  de  iMénephtah  II.  Les  énormes  travées  de  pierre  qui  couvrent  ce  petit  édi- 
fice antérieur  à  la  construction  du  pylône,  n'ont  pu  résister  pendant  des  siècles  au 
poids  des  massifs  de  briques  dont  on  les  avait  surchargées  et  se  sont  écroulées.  Le 
I.  42 


646  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

temps  (qui  use  lout,  même  en  Egypte)  a  lellcmeiit  décomposé  ces  construclious  de 
briques  qu'elles  ressemblent  à  des  monticules  de  décombres  couveris  de  tessons  de 
poterie.  Mais  des  fouilles  entreprises  dernièrement  pour  subvenir  aux  besoins  de  la 
salpêtricre  de  Karnak,  m'ont  fait  apercevoir  un  plan  incliné  construit  d'énormes 
briques  crues  dont  les  assises  consécutives  ont  dû  être  superposées  au  fur  et  à  mesure 
de  la  nécessité  d'augmenter  la  hauteur  de  ces  rampes,  dans  un  rapport  constant  avec 
la  hauteur  de  la  bâtisse.  Le  système  adopté  m'a  paru  avoir  été  disposé  de  manière  à 
former  plusieurs  angles  qui  devaient  probablement  se  reposer  symétriquement  sur 
les  deux  môles  du  pylône-  Du  reste,  exploitées  depuis  des  siècles  pour  subvenir  aux 
besoins  des  huttes  du  voisinage,  ces  constructions  de  terre  n'atteignent  plus  aujour- 
d'hui qu'à  la  moitié  de  la  hauteur  du  pylône. 

o  Celle  observation  qui  a  échappé  je  crois  à  tous  les  voyageurs,  acquiert  mainte- 
nant quelque  intérêt  de  vos  savantes  et  curieuses  vues  sur  ce  point.  » 


SCENES 


PSYCHOSTASIE   HOMERIQUE 


L'idée  du  pèsement  des  âmes  ou  des  destinées  telle  qu'on  la  trouve 
dans  Ylliade  a  fourni  peu  de  sujets  à  l'art  ancien.  M.  Alfred  Maury, 
dans  deux  savants  articles  {Revue  archéologique,  p.  235  et  suiv.,  et 
p.  291  et  suiv.),  a  tâché  de  rattacher  à  une  pensée  commune  tout 
ce  qu'on  trouve,  en  représentations  figurées  ou  en  textes  écrits, 
dans  l'antiquité  et  au  moyen  âge  sur  la  psychostasie  ou  pesée  des 
âmes.  On  comprend  facilement  que  XÈquilé  ou  la  Justice  aient  été 
représentées  tenant  des  balances  à  la  main.  La  balance  que  porte  la 
Justice  avait  donné  lieu  à  un  proverbe  grec  :  At/vatorspov  oraj^aV/jç 
ou  Atzatorepov  Tpuravyjç  (Suid.  suh  verb.),plus  juste  quum  balance. 
Ensuite  il  n'y  a  rien  d'étonnant  non  plus  que  l'idée  de  peser  les  ac- 
tions humaines ,  pour  en  punir  ou  récompenser  leurs  auteurs  ,  se 
retrouve  chez  les  peuples  tant  anciens  que  modernes  qui  ont  admis 
le  dogme  d'une  autre  vie  ou  celui  de  la  métempsycose.  Mais  il  y  a 
loin  de  l'idée  d'une  pesée  matérielle  aux  métaphores  par  lesquelles  les 
Pères  de  l'Église  ont  quelquefois  désigné  la  justice  divine.  Je  n  exa- 
mine pas  ici  la  question  de  savoir  à  quelles  sources  les  Grecs  avaient 
emprunté  leur  manière  de  figurer  le  pèsement  des  âmes  ou  des  des- 
tinées. Ces  sortes  d'images  leur  étaient  venues,  sans  doute,  de  l'Orient 
aussi  bien  que  les  idées  qui  s'y  rattachent.  Mais  comme  j'espère 
pouvoir  le  démontrer,  autre  chose  est  la  psychostasie  homérique, 
autre  chose  la  psychostasie  chez  les  Égyptiens ,  peuple  chez  lequel 
des  notions  d'une  autre  vie  faisaient  partie  des  croyances  religieuses. 
Dans  Homère ,  rien  n'indique  que  la  psychostasie  se  rattache  à  une 
vie  future ,  aux  peines  ou  aux  récompenses  qui  y  attendent  l'homme. 
Au  contraire ,  dans  les  deux  endroits  oii  il  est  question  des  balances 
d'or  de  Jupiter  et  des  kères  ou  destinées  que  le  souverain  des  Dieux 
pose  dans  les  bassins ,  il  ne  s'agit  que  de  décider  de  l'issue  d'un 
combat  entre  deux  armées  ou  bien  entre  deux  guerriers.  La  lutte  se 
passe  sur  la  terre  ;  la  pesée  des  sorts  ou  des  âmes  se  fait  dans  les 
régions  célestes ,  mais  cette  pesée  n'a  d'autre  but  que  de  résoudre 


648  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

une  contestation  matérielle  et  terrestre.  C'est  l'armée  ou  le  guerrier 
qui  triomphe  dont  le  sort  s*élève  vers  le  ciel  ;  le  bassin  dans  lequel  se 
trouve  la  ker  du  vaincu  descend  jusqu'à  terre.  Il  faut  faire  bien 
attention  à  ceci,  c'est  le  poids  le  plus  léger  qui  indique  le  vainqueur, 
le  bassin  le  plus  chargé  entraîne  la  défaite  et  la  mort. 

Pour  se  convaincre  de  ce  que  j'avance  ici ,  on  n'a  qu'à  jeter  un 
coup  d'œil  sur  les  vers  d'Homère. 

Dans  le  premier  passage  nous  voyons  Jupiter  assis  sur  le  mont 
Ida;  le  père  des  Dieux  et  des  hommes  contemple  les  Grecs  et  les 
Troyens  qui  vont  en  venir  aux  mains. 

Kat  T0T2  Sr}  xpxiceia,  Tturrip  ertraivs  râloc-j'ccc' 
Év  B'kziQzi  S\)o  y.inps  ra.vrfks'^éoi;  ©avccToto , 
Tpcôwv  G't7r7ro^â|xwv  xat  A;^atwv  ^a).xo^iTwv6Jv 
EV/2  Sï  jjiéa-ffa  )ia6wv  pértî  B'^cdai^o-^  ripiap  A;^atwv. 
At  iiï-j  Ap^atwv  y.9)pîi;  kni  ;^6ovt  7rou)iu6oTSÎpY3 
EÇéffôïjv,  Tpwwv  Se  Trpoç  ovpoc-jbv  sùpùv  a.îpQs-j. 

{lUad^Q,  69-74.) 

a  Alors  le  père  souverain  déploie  ses  balances  d'or;  il  y  met  les 
«  deux  hères  qui  amènent  le  long  sommeil  de  la  mort,  celles  des 
«  Troyens  habiles  à  dompter  les  chevaux  et  des  Grecs  aux  cuirasses 
«  d'airain.  11  prend  la  balance  par  le  milieu.  Le  malheur  des  Grecs 
((  se  déclare  ;  leurs  hères  descendent  jusque  sur  la  terre  verdoyante, 
a  tandis  que  celles  des  Troyens  s'élèvent  jusqu'à  la  voûte  du  ciel.  » 

Dans  le  second  endroit,  Jupiter,  du  haut  de  l'Olympe,  suit  des  yeux 
Achille  et  Hector.  Les  deux  héros  arrivent  pour  la  quatrième  fois  aux 
sources  du  Scamandre. 

Kat  TÔTS  5ï3  ;^|DOffsta  Traryjp  èriTaivs  râ^avra' 
Èv  ^'ÈTiÔît  5t3o  /t^ps  Tavï3^S7éoç  Gavàroio, 
Tïjv  jxèv  A^i^^^oç,  Tïjv  ^'ExTopoç  vKTcoSd^Loia' 
^\v.i  Sï  [LiddOL  ^aêwv  psTrs  âxxTopoç  atcri^ov  ■h^a.pf 

Ût;^eTO  ^'sîç  At^ao 

(/hacl.,X,  209-13.) 

«  Alors  le  père  des  Dieux  déploie  ses  balances  d'or  ;  il  y  place  les 
«  deux  hères  qui  amènent  le  long  sommeil  de  la  mort,  celle  d'Achille 
«  et  celle  d'Hector,  habile  à  dompter  les  chevaux.  Il  prend  la  balance 
<(  par  le  milieu  ;  l'heure  fatale  d'Hector  se  déclare  ;  son  bassin  des- 
«  cend  jusqu'aux  enfers.  » 

Virgile  emploie  le  même  langage  quand  il  fait  peser  par  Jupiter 
les  destinées  [fata]  d'Énée  et  de  Turnus. 


PSYCHOSTASIE   HOMÉRIQUE.  040 

Juppiter  ipsc  duas  œquato  examine  lances 
Suslinel,  et  fala  imponil  diversa  duorum; 
Quem  damnet  labor,  et  quo  vergat  pondère  lethum. 

{^n.  XII ,  725-27.) 

«  Jupiter  lui-même  tient  dans  sa  main  les  deux  bassins  d'une  bâ- 
te lance  en  équilibre,  et  y  place  les  destinées  différentes  des  deux 
«  héros ,  pour  savoir  à  qui  le  combat  doit  être  fatal ,  et  de  quel  cêté 
c<  penchera  le  poids  du  trépas.  » 

Enfin  Quintus  de  Smyrne  nous  représente  les  kères  d'Achille  et 
de  Memnon  pesées  par  Éris. 

Éptç  5'tOuve  Tâ).avTa 

T(Tp.ivy3ç  à)veysiva*  rà^'  obx  trt  Icra  irilo'jro. 

{Paralipom.  Il,  539-40.) 

((  Alors  Éris  déploie  les  balances  fatales  du  combat;  mais  déjà  les 
<(  bassins  ne  sont  plus  en  équilibre.  » 

En  effet ,  Achille  vient  de  percer  Memnon  qui  tombe  baigné  dans 
son  sang. 

On  voit  par  ce  qui  précède  que  la  charge  la  plus  pesante  entraîne 
la  perte  du  guerrier  dont  la  destinée  ou  la  kère  descend  vers  la  terre. 
C'est  pourquoi  Servius ,  dans  son  commentaire  sur  Virgile  ,  ajoute , 
au  mot  vergat  :  Bene  vergat  :  nam  morientes  inferos  petunt.  (Ad 
jEn,  XII,  727.)  Remarquons  aussi  que  dans  les  deux  passages  de 
Ylliade  que  j'ai  cités,  le  poëte  emploie  exactement  les  mêmes  expres- 
sions pour  décrire  les  deux  scènes  où  il  est  question  du  pèsement  des 
destinées.  Ce  sont  les  mêmes  vers  qui  servent  à  peindre  le  sort  réservé 
aux  Grecs  et  le  sort  destiné  à  Hector;  seulement  dans  le  premier  pas- 
sage le  bassin  qui  porte  les  kères  des  vaincus  s'abaisse  vers  la  terre 
(èm  x^ovt),  tandis  que  dans  le  second  endroit  l'image  est  plus  forte 
et  plus  expressive;  le  bassin  d'Hector  descend  jusqu'aux  enfers 
(sic  Atâao), 

Nous  savons  d'une  manière  positive,  par  le  témoignage  de  Plu- 
tarque  (1),  que  le  pèsement  des  destinées  s'appellait  Wv^ocrrocdia, 
La  lutte  d'Achille  et  de  Memnon  avait  fourni  à  Eschyle  le  sujet  d'une 
tragédie  aujourd'hui  perdue.  Après  avoir  cité  les  vers  d'Homère  dans 
lesquels  il  est  question  des  sorts  d'Achille  et  d'Hector,  Plutarque 
ajoute:  Tpaycùdiccv  6  Aicyyloç  ohiv  t^  f/v9&)  TrepisÔyixsv,  èntypoi^xç 
Wv^o(JTa,<7Lxv,  xai  7rapaa-r/i<r«ç  touç  lïldcŒziyli  toû  Atoç,  svQsv  ptsv 
T'hv  OsTiv,  ëvBsv  de  w  Hw,  Jso/uiEvaç  vTiep  twv  yiswv  i}.o(.-/oiJ.iv(ùV , 
«  Eschyle  avait  adapté  à  ce  mythe  une  tragédie  qu'il  avait  intitulée  : 

(1)  De  Aud:  Poel.  T.  VI ,  p.  59,  éd.  Reiske. 


650  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

«  la  Psychostasie  ;  il  y  avait  représenté  près  des  balances  de  Jupiter, 
«  d'un  côté  Thétis ,  de  l'autre  l'Aurore  qui  suppliaient  le  maître  des 
«  Dieux  en  faveur  de  leurs  fils,  pendant  qu'ils  combattaient.  » 

Trois  monuments  nous  offrent  d'une  manière  non  douteuse  des 
scènes  de  la  psycbostasie  telle  qu'on  la  trouve  dans  Homère  et  chez 
les  poëtes  qui  l'ont  suivi.  Le  premier  est  le  miroir  étrusque  publié 
par Winckelmann  (1)  et  sur  lequel  paraît  Mercure  (  Tiirs)  assis;  le 
dieu  tient  la  balance  dans  les  bassins  de  laquelle  sont  placées  deux 
figures  vêtues  de  tuniques  et  représentant  les  hères  d'Achille  (Achle) 
etdeMemnon  (Efas  ou  Evas),  Les  bassins  ne  penchent  ni  de  l'un 
ni  de  l'autre  côté;  cependant  on  dirait  que  Mercure  appuie  sa  main 
sur  celui  dans  lequel  est  placé  la  ker  de  Memnon.  Apollon  {Aplu), 
assis  en  face  de  Mercure,  fait  un  geste  d'équilibre  ou  de  pondération 
en  relevant  par-dessus  sa  tète  un  bout  de  sa  chlamyde  et  en  accom- 
pagnant ce  geste  d'un  mouvement  de  sa  main  droite  ouverte. 

Je  n'ai  pas  jugé  à  propos  de  reproduire  ici  ce  curieux  miroir, 
parce  qu'il  se  trouve  figuré  dans  un  des  articles  de  M.  Maury  (p.  297), 
où  les  lecteurs  de  la  Reçue  pourront  prendre  connaissance  du  sujet. 

Quant  aux  deux  autres  scènes  relatives  à  la  psychostasie ,  ce  sont 


(1)  Mon,  ined.  IZZ;  Lanzi ,  Saggio  de  lingua  etrusca,  II,  tar.  XII,  4,  éd.  de 
Florence.  u. 


PSYCHOSTASIE   HOMÉRIQUE.  651 

deux  vases  peints;  l'un  connu  sous  le  nom  de  Vase  du  Sladhouder,  et 
que  j'ai  eu  occasion  d'examiner  à  Amsterdam ,  en  1 840 ,  a  été 
publié  par  Millin  (l). 

On  y  voit  le  combat  d'Acbille  et  de  Memnon  tel  qu'il  est  repré- 
senté sur  une  foule  de  vases  où  des  inscriptions  ne  laissent  subsister 
aucune  incertitude  à  l'égard  du  sens  du  sujet  (2). 

Achille  vient  de  percer  Memnon  d'un  javelot  qui  fait  jaillir  le  sang 
de  la  poitrine;  le  guerrier  est  tombé  sur  ses  genoux  et  s'appuie 
encore  sur  un  javelot  qui  s'est  brisé  sous  le  poids  de  son  corps.  Au- 
dessus  de  cette  scène  de  combat,  on  voit  Mercure  assis,  reconnais- 
sable  au  pétase  et  au  caducée  sur  lequel  il  pose  sa  main.  Devant  le 
messager  des  Dieux  est  un  arbre  auquel  est  suspendue  une  balance 
dans  les  bassins  de  laquelle  paraissent  deux  petits  génies,  nus  et 
ailés,  peints  en  blanc  (3).  Le  bassin  qui  est  au-dessus  de  la  lôte 
d'Achille  s'élève  vers  le  ciel ,  tandis  que  l'autre  qui  porte  la  ker  de 
Memnon  descend  vers  la  terre.  Nous  trouvons  donc  ici  l'image  exacte 
que  nous  fournissent  les  vers  de  l'Iliade.  Le  bassin  du  vainqueur 
s'élève,  celui  du  vaincu  s'abaisse.  Une  déesse  voilée,  et  la  léte 
ornée  d'une  couronne  élevée,  se  tient  du  côté  d'Achille  et  dirige  ses 
regards  vers  la  balance;  c'est  Thétis,  la  mère  du  héros.  De  l'autre 
côté,  derrière  Mercure,  une  déesse  s'enfuit  avec  les  signes  du  plus 
violent  désespoir;  elle  s'arrache  les  cheveux  tout  en  retournant  la 
tête  vers  la  psychostasie.  Il  faut  reconnaître  ici  l'Aurore  dont  les 
larmes ,  dans  le  langage  poétique ,  forment  la  rosée. 

Tout  dans  ce  tableau  est  d'accord  avec  les  données  homériques, 
rien  ici  n'annonce  une  rémunération  ou  des  peines  réservées  à  une 
autre  vie.  Il  s'agit  simplement  de  la  décision  d'une  lutte  entre  deux 
guerriers.  Quant  à  la  présence  des  deux  déesses,  nous  avons  ici  sous 
les  yeux  une  des  scènes  de  la  tragédie  d'Eschyle  ;  nous  avons  vu  plus 
haut  que  le  poëte  avait  fait  intervenir  la  mère  d'Achille  et  celle  de 
Memnon  ,  au  moment  où  Jupiter  pesait  les  destinées  des  deux  héros. 

Un  magnifique  cratère  récemment  publié  par  M.  Raphaël  Politi  (4), 

(1)  Fases  peints,  U  I ,  pi.  XIX;  Galcr.  mylh.  CLXIV,  597.  Cf.  Passeri,  Pict. 
Elrusc  in  Fasc.  lab.  CCLXII. 

(2)  Voir  mon  Cal.  Magnoncour,  n"  59.  Cf.  les  Monuments  inédits  de  l'inst. 
arch.  t.  lï  ,  pi.  XXXVIIf.  Sur  le  coffre  de  Cypsélus,  on  voyait  le  combat  d'Achille 
et  de  Memnon  ;  auprès  se  tenaient  leurs  mères.  A^'llv.  os  xal  Ms//vovi  y.v.xoixiyoi<; 
Tïocpî^TT./.wjrj  ai  tj.Y,ripii.  Faus.  V,  19,  1. 

(3)  la  balance  a  été  reproduite  seule  dans  le  second  article  de  M.  Maury,  p  288. 

(4)  La  Concordia ,  Giornale  Siciliano ,  anno  secondo,  n"  IS,  p.  lOT  scg. 
Çinque  vasi  di  premio  rinvenuli  in  un  sepolcro  agrigentino. 


652  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

et  reproduit  dans  le  Bulîelin  archéologique  napolitain  (l),  et  dans  l'ou- 
vrage de  M.  Raoul-Rochette,  sur  les  peintures  de  Pompéi  (2),  repré- 
sente Jupiter,  lÉVS,  imploré  par  Thétis ,  OETIS,  et  par  l'Aurore  , 
HE  OS.  C'est  la  scène  qui  précède  celle  du  combat  d'Achille  et  de 
Memnon  (3). 

Les  Àpolloniates  avaient  dédié  à  Olympie  des  statues  placées  sur 
une  base  en  forme  d'hémicycle  ;  au  milieu  était  Jupiter  imploré  par 
Thétis  et  par  Héméra  ;  aux  deux  extrémités  on  voyait  Achille  et 
Memnon  préparés  au  combat  (4).  Le  beau  vase  d'Agrigente  publié 
par  M.  Politi  reproduit  le  groupe  qui  occupait  le  centre  dans  l'of- 
frande des  Apolloniates. 

Le  second  tableau,  qui  offre  une  psychostasie ,  n'est  pas  moins 
curieux  que  le  premier,  c'est  un  fragment  de  vase  qui  fait  partie  de 
la  collection  de  M.  le  duc  de  Luynes  (5). 


(1)  N-ÏI,  p.  16. 

(2)  Choix  de  Peintures  de  Pompéi,  p.  5 ,  vignette  1 ,  et  p.  1 1 ,  note  6. 

(3)  L'autre  peinture  de  ce  magnifique  vase  montre  Triplolème,  Ipitcroliu-oi ,  sur 
son  char  ailé,  entouré  de  Démêler,  às/xerep,  de  Phéréphassa,  ^epsfasx  (sic),  de 
Céléus,  Ke^iso....,  et  d*Mippolhoon  t  VLmnoQov  {sic), 

(4)  Paus.  Y,  22  ,  2. 

(5)  Monuments  inédits  de  l'Inst.  arch.  t.  II ,  pL  X  ,  fr. 


PSYCHOSTASIE   HOMÉRIQUE.  653 

Le  savant  possesseur  de  ce  beau  fragment  (1)  croit  y  reconnaître 
la  scène  du  vingt-deuxième  livre  de  l'Iliade,  oii  les  Dieux  délibèrent 
entre  eux  (2)  sur  le  sort  d'Achille  et  d'Hector.  Le  combat  de  Dieux 
qui  était  peint  au  revers  du  vase ,  et  dont  il  reste  malheureusement 
bien  peu  de  débris,  s'expliquerait,  d'après  cette  hypothèse,  par  le 
combat  décrit  vers  la  fin  du  vingt-unième  livre ,  là  oii  le  poëte  nous 
représente  les  Dieux  entrant  en  lice;  chacun  va  pour  secourir  le 
peuple  qu'il  protège,  après  que  Vulcain  a  desséché  la  plaine  d'Ilion 
inondée  par  le  Xanthus  (3). 

Dans  la  peinture  que  nous  avons  sous  les  yeux,  Hermès,  barbu,  re- 
connaissableau  caducée  qu'il  élève  au-dessus  de  sa  tète,  tient  la  balance 
dans  les  bassins  de  laquelle  sont  placés  deux  petits  hoplites  qui  vibrent 
la  lance;  ces  deux  hoplites  sont  colorés  en  violet.  Ici  les  bassins  sont 
égaux,  comme  sur  le  miroir  étrusque  dont  il  a  été  question  plus  haut; 
le  sort  des  guerriers  dont  on  pèse  les  kéres  ou  destinées  n'est  pas 
encore  résolu.  A  gauche  de  la  psychostasiè  est  Jupiter  armé  du 
foudre  et  appuyé  sur  un  bâton  noueux.  Une  couronne,  formée  de 
feuilles  de  smilax  (4),  entoure  sa  tète.  A  droite  du  tableau  on  voit 
une  déesse  revêtue  d'une  tunique  talaire  et  d'un  ample  péplus.  De  la 
main  gauche  elle  relève  un  bout  de  sa  tunique ,  tandis  que  de  la 
droite,  levée  et  ouverte,  elle  fait  un  geste  de  libération  ou  de  réus- 
site (5).  Dans  l'Iliade ,  nous  ne  voyons  intervenir  directement  que  la 
seule  Athéné  (6).  Cependant  aucun  symbole,  dans  la  peinture  que 
nous  examinons ,  ne  peut  servir  à  reconnaître  cette  déesse.  Il  faut 
avouer,  toutefois,  que  bien  souvent  Minerve  paraît  sans  aucun 
attribut  (7).  Il  serait  possible  également  qu'ici  le  peintre  eût  voulu 
représenter  Thétis ,  la  mère  du  héros  destiné  à  remporter  la  victoire 
sur  Hector. 

J'ai  dans  plusieurs  occasions  (8)  fait  remarquer  la  différence  que 
les  artistes  anciens  apportaient  dans  les  représentations  de  l'âme.  Sur 

(1)  Cf.  les  Annales  de  l'Inst.  arch.  t.  VI,  p.  296. 

(2)  Iliad.  X,  166,  sqq. 

(3)  Iliad.  ^,  342-501. 

(4)  Voir  Gerhard,  Griechische  Fasenhilder,  I,  S.  82  und  83 j  cf.  mon  Cat. 
Beugnot,  p.  8. 

(5)  Voir  V Élite  des  Monuments  céramographiques ,  t.  I,  p.  46,  185,  198, 
277,  286.  Cf.  aussi  ce  qui  a  été  dit  dans  la  Nouvelle  galerie  mythologique,  p.  39. 

(6)  Iliad.  X  ,  177. 

(7)  Voir  l'Élite  des  Mon.  céramographiques  ^  1. 1 ,  p.  174. 

(8)  Annales  de  l'Inst.  arch.  t.  V,  p.  313  et  sulv.;  Cat.  étrusque,  n"  139  ;  Cat. 
Magnoncour,  n°  108.  Cf.  également  VÉUte  des  Mon.  céramographiques ,  1. 1, 
p.  23. 


654  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

le  miroir  étrusque  {Reme  archéologique,  p.  297),  ce  sont  de  petits 
hommes  simplement  revêtus  de  tuniques  courtes,  serrées  au-dessus 
de  la  taille  au  moyen  d'une  ceinture.  Sur  le  vase  du  Stadhouder  les 
hères  sont  figurées  par  des  génies  ailés  et  nus,  semblables  aux  images 
de  l'Amour  (l).  Enfin,  sur  le  fragment  de  vase  de  la  collection  de 
M.  le  duc  de  Luynes,  ce  sont  de  petits  guerriers,  de  véritables 
hoplites  qui  représentent  les  âmes. 

La  forme  la  plus  habituelle  sous  laquelle  on  a  figuré  l'âme ,  tant 
chez  les  Égyptiens  (2)  que  chez  les  Grecs,  est  celle  d'un  oiseau  à 
tête  humaine;  c'est  aussi  la  forme  que  l'art  grec,  avec  plus  ou  moins 
de  modifications,  a  donné  aux  Sirènes  (3).  Sur  un  vase  qui  repré- 
sente la  mort  de  Procris  (4),  on  voit  l'âme  qui  s'envole  sous  la  forme 
d'une  Sirène  ;  la  même  forme  est  donnée  à  l'âme  du  taureau  de  Crète, 
sur  une  amphore  à  figures  noires  du  Cabinet  des  médailles  (5).  On  sait 
que,  suivant  la  doctrine  de  Zoroastre,  on  reconnaissait  aux  animaux  une 
âme  aussi  bien  qu'aux  hommes.  Quelquefois  on  voit  aussi  de  simples 
oiseaux  qui  semblent  indiquer  l'âme ,  comme,  par  exemple,  dans  plu- 
sieurs scènes  du  combat  de  Thésée  et  du  Minotaure  (6)  et  dans  une 
peinture  qui  représente  la  lutte  d'Hercule  et  de  Géryon  (7).  Un  oiseau 
qui  vole  au-dessus  du  sanglier  de  Calydon,  attaqué  par  Méléagre,  pour- 
rait bien  n'avoir  d'autre  objet  que  de  désigner  l'âme  du  sanglier  (8). 

(1)  Ce  sont  plutôt  des  Aiiiouvty  que  des  Itères  qu'il  faut  reconnaître  dans  une 
peinture  de  vase  que  j'ai  décrite  dans  mou  Catalogue  Durand,  n°  G55.  Ces  petits 
amours  sont  pesés  dans  une  balance  que  tient  une  femme. 

(2)  On  connaît  une  foule  d'amulettes  soit  en  or,  soit  en  pierre  dure  ,  ou  en  pâte 
émaillée  qui  représentent  l'âme  sous  la  forme  d'un  oiseau  à  tête  humaine. 

(3;  M.  Panofka  a  cité  des  exemples  de  toutes  les  formes  que  l'art  grec  a  données 
aux  Sirènes  dans  son  bel  ouvrage  sur  \t^\Antiquei  du  Cabinel  de  M.  le  comte  de 
Pourtalh,  p.  73  etsuiv. 

(4)  D'Hancarvillc,  rases  d'IIamillon,  t.  H,  pi.  CXXVI;  UWWngen  ,  Ane. 
uned.  mon.  pi.  XIV. 

(h)  Cf.  mon  Cat.  étrusque,  n"  139,  note  1.  Quelquefois  on  voit  des  oiseaux  à 
tête  liuniaine  vnlant  au-dessus  des  chevaux  qui  traînent  un  quadrige  [Cal.  Durand, 
no  290;  Cal.  Magnoncour,  n"  39.  Cf.  l'Élite  des  Mon.  céramographiques ,  t.  I, 
p.  220;  3Ion.  inéd.  de  l'Insl.  arch.  t.  III,  pi.  XLV);  d'autres  fois,  ce  sont  des 
oiseaux  ordinaires  qui  paraissent  au-dessus  de  scènes  de  combat  ou  au-dessus  des 
quadriges.  Ces  dernières  représentations  se  rapportent  sans  doute  aux  augures. 
jMais  il  règne  encore  une  grande  incerliludc  à  l'égard  de  l'explication  la  plus  pro- 
bable des  oiseaux  eu  Sirènes ,  qui  se  trouvent  figurés  dans  une  foule  de  peintures 
de  vases,  surtout  de  ceux  de  l'Étrurie. 

(ii)  mcAVi,  Sloria  degli  anL  pop.  ilal.  tav.  XXII.  Cf.  mon  Cat.  étrusque, 
n«  13!)  ,  n.  t. 

(7)  Cal.  étrusque,  w"  iZ9.  ^ 

(S;  Cat.  MagnoncouT,  n*  lOR.  Cf.  Ph.  Lebas,  Monuments  d'antiquité  figurée 
recueillis  en  Morée,^.  150  et  152. 


PSYCHOSTASIE   HOMÉRIQUE.  655 

D'autres  fois  ce  sont  des  génies  ailés ,  comme  on  vient  de  le  voir. 
C'est  également  un  petit  génie  ailé  qui  désigne  l'âme  du  géant  Al- 
cyonée,  sur  quelques  rares  peintures  de  vases  (1).  Les  Danaïdes  sont 
figurées  sous  une  forme  analogue  dans  une  peinture  de  vase  qui  re- 
présente les  supplices  des  enfers  (2). 

Nous  avons  vu  aussi  que  l'âme  est  représentée  par  un  hoplile  ; 
quelquefois  cet  hoplite  est  ailé  ,  comme  dans  quelques  peintures  qui 
représentent  Achille  traînant  le  corps  d'Hector  autour  du  tombeau  de 
Patrocle;  l'ombre  de  l'ami  d'Achille  est  représentée  au-dessus  du 
tumulus,  sous  la  forme  d'un  petit  guerrier  accroupi  et  ailé  (3). 

Le  papillon,  ou  une  jeune  fille  avec  des  ailes  de  papillon  attachées 
aux  épaules ,  sont  des  formes  relativement  récentes  employées  pour 
figurer  l'âme.  On  ne  trouve  pas  à  une  époque  fort  reculée ,  par 
exemple,  au  temps  le  plus  florissant  de  l'art  grec,  la  figure  de  Psyché, 
telle  que  des  monuments  de  l'époque  romaine  la  représentent. 

Les  ombres  (ei'^'wXa,  cxtai  J  sont  quelquefois  figurées  par  des  per- 
sonnages voilés ,  la  tête  couverte  de  leurs  manteaux  ou  bien  de  lin- 
ceuls. C'est  ainsi  que  l'on  voit  l'ombre  de  Protésilas  sur  un  sarco- 
phage publié  par  Winckelmann  (4),  et  sur  plusieurs  autres  monu- 

(1)  Voir  mon  article  intitulé  :  La  mort  d'y/lcyonér  dans  les  annales  de  l'Inst. 
arch.  t.  V,  p.  308  et  suiv.  Je  saisis  celte  occasion  pour  ajouter  ici  la  description 
d'une  coupe  fragmentée  de  la  collection  de  M.  le  duc  de  I,uynes.  Cette  coupe  à 
figures  rouges  représentait  le  combat  d'Hercule  contre  Alcyonée.  Le  héros  thébain 
est  nu  ,  le  bras  gauche  couvert  de  la  dépouille  du  lion  et  la  main  droite  armée  de  4a 
massue  dont  il  va  décharger  un  coup  sur  Alcyonée ,  étendu  par  terre;  une  peau  de 
lion  ,  à  ce  qu'il  paraît ,  enveloppe  les  jambes  du  géant;  le  bras  gauche  tï Alcyonée 
qui  existe  encore  indique  qu'il  était  déjà  terrassé  ou  du  moins  couché.  Un  génie  nu 
et  ailé  plane  au-dessus  de  sa  poitrino.  Dorrière  Hercule  se  tient  Athéné  debout. 
Plusieurs  autres  personnages  complétaient  la  scène. — .l'ai  décrit  dans  mon  Catalogue 
étrusque ,  n-  91  ,  une  hydrie  à  figures  noires  qui  représente  Hercule  et  Alcyonée; 
là  on  ne  voit  pas  le  petit  génie  ailé.  Certaines  de  ces  peintures  semblent  se  rap- 
porter à  l'aventure  qu'Hercule  eut  avec  Cacus  au  mont  Aventin  ,  entre  autres  celle 
d'une  hydrie  à  figures  noires  du  Musée  Grégorien.  Muséum  FAruscum  Gregoria- 
num,  vol.  II,  tab.  XVI. 

(2)  Inghiranii ,  Pilture  di  vasi  fitlili ,  tav.  CXXXV.  Ce  sont  également  de  petits 
génies  ailés  qui  représentent  les  ombres  voltigeant  autour  de  la  barque  de  Charon. 
Stackelbeig,  die  Grœber  der  Hellenen,  ïaf.  XLVIII. 

{Z]  Raoul-Uochctte,  Iklon.  inéd.  pi.  XVII  et  XVIII.  Cf.  mon  Cal  Durand, 
n"  38S.  Voir  aussi  Cat.  duprince  de  Canino ,  n"  627,  p.  51  ;  Panofka,  Recherches 
sur  tes  noms  des  vases  grecs,  p.  41  ,  note  5.  M.  Ed.  Gerhard  {Griechische 
Fasenbilder,  Taf.  CXCVIII)  vient  de  publier  une  curieuse  peinture  qui  repré- 
sente les  jeux  célébrés  en  l'honneur  de  Patrocle.  L'ombre  est  figurée  comme  sur 
les  autres  vases  relatifs  à  Patrocle,  c'est-à-dire  sous  la  forme  d'un  hoplite  ailé. 
L'ombre  d'Achille  enfin  dans  une  belle  peinture  qui  décore  une  hydrie  à  figures 
noires,  probablement  à  la  pinacothèque  à  Munich  (  Cal.  étrusque,  n«  148)  est  re- 
présentée par  un  petit  hoplite  sans  ailes. 

(4)  Mon.  inéd.  123  ;  Visconti,  Mus.  Pio  Clem.  V,  tav.  XVIH. 


656  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ments  anciens,  parmi  lesquels  je  me  contente  de  citer  ici  une  coupe 
peinte  qui  m'appartient ,  les  ombres  sont  figurées  de  môme.  Cette 
coupe  inédite,  à  figures  rouges,  représente  l'âme  ou  l'ombre  d'un 
héros  conduite  aux  enfers  par  Hermès  Psychopompe  (l). 

Ce  serait  un  travail  intéressait  de  réunir  et  de  comparer  toutes  les 
formes  que  les  artistes  anciens  ont  données  aux  représentations  de 
l'âme  humaine  ou  des  ombres  des  morts. 

J.    DE  WiTTE. 


■  (t)  Cal,  Durand,  n"  204.  L'ombre  de  Clytemnestre  voilée  paraît  aussi  sur  plu- 
sieurs vases  où  l'on  voit  Oreste  poursuivi  par  les  Furies.  Raoul-Rochctte,  Mon, 
inéd.  pi.  XXXV.  Je  compte  publier  bienlAt  une  très-belle  peinture  de  vase  qui 
montre  l'expiation  d'Oreste.  Là  ,  l'ombre  de  Clytemnestre  voilée  vient  réveiller  les 
Furies  endormies.  —  Ceci  était  imprimé  quand  j'ai  eu  connaissance  d'un  Mémoire 
de  M.  A.  Feuerbach  qui  a  publié  dans  le  Kunslblatl  de  1841 ,  n°»  84-88,  le  bel 
Oxybaphon  sur  lequel  je  prépare  un  nouveau  travail  pour  les  Annales  de  l'Insti- 
tut archéologique. 


DES  DIVINITES 

ET    DES    GÉNIES    PSYGHOPOMPES 

DANS  L'ANTIQUITÉ  ET  AU  MOYEN  AGE. 

SECOND  ARTICLE  {Suite.) 

Pour  achever  cette  démonstration,  nous  ferons  remarquer  que  les 
expressions,  anges  et  démons,  ont  été  plusieurs  fois  échangées  entre 
elles  par  des  auteurs  païens  eux-mêmes  :  Orphée  (1),  Plutarque(2), 
Aristide  (3),  Stobée  (4)  emploient  indifféremment  ces  deux  qualifi- 
cations. 

Martianus  Capeila  nous  dit (5)  :  «  Nam  et  populi  genio,  quum  ge- 
((  neralis  poscitur  supplicatur  et  unusquisque  gubernatori  proprio  de- 
ce  pendit  obsequium.ldeoquegeniusdicitur,quoniamquumquis  homi- 
c(  num  genitus  fuerit,  moxeidemcopulatur.  Hictutelatorfidissimusque 
a  germanus  animos  omnium  mentesque  custodit.  Et  quoniam  cogitatio- 
((  num  arcana  superae  annuntiat  potestati,  etiam  angélus  poterit  nun- 
«  cupari.  Hos  omnesgraeci  ^ali^ovaç  dicunt,  ànoTov  è'a-niJLovaç  ehoci.» 
Philon  a  identifié  de  môme  les  deux  genres  de  divinité ,  ou  pour  parler 
plus  exactement ,  il  a  reconnu  lui-même  l'identité  que  nous  ve- 
nons de  chercher  à  rendre  évidente  à  tous  les  yeux  :  TavTaç  âaii^ovxg 
lûvol  QcTloL  (fikocToooi,  oùelepbç  loyoçàyyé'ko-jç  srwôs  zaXetv,  Tipoo-cpuso"- 
Tspw^^pw^evoçovo^ari*  xai  yàpràçTou  irarpoç  èTzi-nelevasiçroïç  èy.yovoiç 
■/.ocL  Ttxç  Twv  èy,y6v(t)V  /pstaç  rw  lïocTpl  âtayyéllovcjL  (6], 

Mais  ce  qui  apporte  à  nos  preuves  toute  la  puissance  de  l'évidence, 
c'est  que  non-seulement  les  caractères  sous  lesquels  s'offrent  à  nous 
les  âûciixQveç  des  Grecs,  sont  ceux  que  nous  rencontrons  chez  les  anges 
et  les  diables  chrétiens,  que  les  termes  d'ccyyeloi,  de  âaliJLovsç  ont  été 
fréquemment  synonymes  (7),  mais  c'est  que  de  plus,  les  Pères  de  l'Église 

(1)  Ap.  Lobeck.  Aglaoph.  p.  456.  Orphie. 
(5)  De  Orac.  dffect.  p.  417. 

(3)  M\.  Aristidis  Orat.  Ek  Âôvjvàv,  p.  10,  éd.  Jebb,  t.  I. 

(4)  Slobœi  Eclog.  lib.  V,  c.  52,  t.  II ,  p.  904  ,  éd    Hceren. 

(5)  De  nupl.  Philolog.  et  Mercur.  lib.  II ,  par.  152,  153  ,  p.  500,  éd.  Ropp. 

(6)  DeSomniis,  lib.  I ,  p.  04.  Ap.  Philonis,  Opéra  éd.  Pfeiffer,  t.  IV. 

(7)  Saint  Paul  emploie  pour  désigner  les  anges  l'expression  JûvK/xt?,  àôpxro; 


658  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

n'ont  fait  aucune  difficulté  de  reconnaître  que  les  démons  des  païens 
étaient  les  mêmes  que  les  leurs ,  et  qu'ils  ont  soutenu  que  les  poëtes 
et  les  philosophes  grecs  leur  avaient  imposé  des  noms  avant  eux. 
Ecoutons  Lactance  :  il  prend  si  bien  ce  mot  àaii^ùv,   comme  ayant 
désigné  chez  les  Grecs  les   mêmes  êtres  que  les   chrétiens  nom- 
ment démons,  qu'il  prétend  conclure  de  certaines  réponses  d'ora- 
cles, l'aveu  fait   par  les  dieux  païens  qu'ils  n'étaient  que  des  dé- 
mons; et  pourquoi?  parce  que  dans  ces  réponses  prétendues,  le  nom 
de  (Jaipwv  a  été  appliqué  aux  dieux  mêmes,  conformément  à  l'accep- 
tion générale  de  ce  mot  antérieure  à  l'adoption  du  système  démono- 
logique  des  platoniciens  :  ce  Denique  in  aliis  responsis  daemonem  se 
«  esse  confessus  est,  nam  quum  interrogaretur  quomodo  sibi  'sup- 
«  plicari  vellet,  ita  respondit  :  Havcocps,  iiavroâiâay.z^  evoXoi<7Tpoçp£ 
((  yJylvOt  ^odi^-ov.  Item  rursus  quum  preces  in  ApoUinem  Smyntheum 
«  rogatus  expromeret  ab  hoc  versu  exorsus  est  :  Apixovi/i  y.6(s^oio 
«  (pascrcpops  xai  aoçps  (Jat|t/,ov.  Quid  ergo  superest  nisi  ut  sua  confes- 
«  sione  verberibus  veri  Dei  ac  pœnae  subjaceat  sempiternae  (1)?  » 
Saint  Clément  d'Alexandrie  est  plus  explicite  encore  à  propos  du 
passage  de  saint  Mathieu  :  il  s'appuie  sur  les  paroles  tirées  de  la  ré- 
publique de  Platon  :  Èneiù-h  (J'oùv  nadaç  zàç  ^u;)^àç  zohç  ,6touç  f,pY}(jBoci 
MCTiep  '{koL-/0Vy  £V  Ta^st  npoŒiévoci  irpoç  zw  IS.ckyz(JiV  ivMvw  à'iy.ck(JZb^  6v 
eïXzzo  oa.Lfi.ova.  zovzov  (ovlay^a  ^U|ui7r£p.7ï£iv  zov  (3iOJ  y.a\  àTroTrXyjpwTyjv  twv 
alpeQévzm ,  (2)  pour  établir  que  nous  avons  un  ange  gardien  :  il  parle 
du  génie  de  Socrate  comme  étant  cet  ange  ;  il  prétend  que  Platon  a  dé- 
signé le  diable  sous  le  nom  de  y.ayJepyoç  ^vx'^7  ^^  ^^  P^^  P^^s  ^o*"»  ^^ 
rapproche  la  doctrine  de  ce  philosophe  de  celle  de  saint  Paul  sur  le 
même  sujet  (3).  Il  dit  que  Phocylide  reconnaissait  de  bons  et  de  mé- 
chants démons,  que  les  premiers  sont  les  mêmes  que  les  anges,  il 
ajoute  cependant  :  èi^û  yal  ■riiJ.eïç  aTiodzâzaq  zivàç  r.apzCkfioau.î.v  (4). 
Nous  pourrions  citer  bien  d'autres  témoignages ,  nous  y  joindrons 
seulement  celui  de  Minucius  Félix,  qui  suffira  pour  convaincre  à  ce 
sujet  le  lecteur.  «  Il  existe,  dit-il,  des  esprits  pervers  et  vagabonds 
qui  ont  dégradé  leur  origine  céleste  par  les  passions  et  les  désordres 
qui  souillent  la  terre  :  ces  esprits ,  après  avoir  perdu  les  avantages  de 

^ûviz/jitç  qu'emploient  aussi  Philon  et  les  ^néoplatoniciens.  Cf.  Porphyr.  de  Anlr. 
JVymph.  c.  7,  et  Salluslius,  de  Dits  cl  mundo ,  e.  15. 

(1)  De  falsa  religionc  ,  lib.  I ,  p.  17,  éd.  Cantabrig.  1685. 

(2)  Republ.,  lib.  X ,  p.  228  ,  éd.  Londin.  1826. 

(3)  Cf.  s.  Cleni.  Alex.  Slromat.  lib.  V,  par.  253.  Ap.  Opcr.  éd.  Potier,  t.  Il, 
p.  701. 

(4)  Jhid.  p.  2G0  ,  p.  725. 


DES   DIVIMTÉS    ET   DES   GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  659 

leur  nature  et  s'être  plongés  dans  le  plus  incurable  excès  du  vice, 
tachent  pour  alléger  leur  infortune,  d'y  précipiter  les  autres;  comme 
ils  sont  corrompus,  ils  ne  cherchent  qu'à  corrompre,  et  séparés  de 
Dieu,  ils  en  éloignent  les  autres ,  en  introduisant  de  fausses  croyances 
reJigieuses.  Que  ces  esprits  soient  des  démons,  les  poètes  n'en  dou- 
tent pas,  les  philosophes  l'enseignent  {eos  spiritiis  dœmônas  essepoelœ 
sciunt , philo sophi  dissemnl),  et  Socrate  lui  môme  en  était  persuadé, 
lui  qui  dans  tout  ce  qu'il  faisait  ou  s'abstenait  défaire,  suivait  l'insti- 
gation d'un  démon  familier  ou  cédait  à  sa  volonté.  »  Puis  il  ajoute  en 
parlantdu  magicien  Hostanès(l)  :  a  11  rend  au  vrai  dieu  l'hommage  qui 
lui  est  dû,  et  reconnaît  qu'il  y  a  des  anges,  c'est-à-dire  des  ministres 
et  envoyés  du  vrai  Dieu,  qui  se  tiennent  auprès  de  lui  pour  l'adorer, 
et  qui,  saisis  de  crainte  à  son  aspect,  tremblent  au  moindre  signe  de 
leur  maître.  Ce  même  magicien  reconnaît  encore  que  les  démons  sont 
des  esprits  terrestres,  vagabonds,  ennemis  de  l'espèce  humaine.  Que 
dirai-je  de  Platon ,  lui  qui  se  décide  avec  tant  de  peine  à  reconnaître 
un  dieu,  et  qui  reconnaît  sans  peine  les  anges  et  les  démons?  Ne  fait- 
il  pas  tous  ses  efforts  dans  son  dialogue  du  Banquet,  pour  déterminer 
la  nature  des  démons?  Suivant  lui,  c'est  une  substance  moyenne  entre 
celles  des  dieux  et  des  hommes  ,  c'est-à-dire  entre  le  corps  et  l'es- 
prit, etc.  »  Et  plus  loin  :  «  Les  esprits  impurs  qui  d'après  les  philoso- 
phes, les  mages  et  Platon  lui-même,  sont  des  démons,  remplissent,  sans 
être  visibles,  les  statues  et  les  figures  symboliques  que  la  superstition 
a  consacrées  (2).  » 

Ainsi  il  ne  saurait  plus  y  avoir  de  doutes ,  les  anges  et  les  diables 
du  christianisme  ne  sont  décidément  plus  que  les  âalu-oveç  des  Grecs. 
Non-seulement  les  monuments ,  en  offrant  sous  des  traits  analogues 
les  génies  et  les  puissances  célestes,  nous  indiquent  un  emprunt  fait 
par  les  chrétiens  à  l'antiquité ,  ils  ne  sont  bien  réellement  pour  nous 
maintenant,  après  les  rapprochements  auxquels  nous  nous  sommes 
livré,  que  des  images  d'êtres  identiques. 

Actuellement  une  question  grave  s'offre  à  notre  examen  ;  en  ad- 
mettant cette  communauté  de  croyances ,  faut-il  pour  cela  dire  avec 
Miimcius  Félix  qui  vient  de  nous  fournir  un  si  puissant  argument  ? 
((  Animadvertis  philosophes  eademdisputarc  quae  dicimus,  non,  quod 
<(  nos  simus  eorum  vestigia  subsecuti,  sed  quod  illi ,  de  divinis  prae- 
«  dictionibus  prophetarum,  umbram   interpolatae   veritatis,  imitati 

(1)  Cf.  ce  que  dit  saint  Cyprien  ,  de  Idol.  van.  p.  526 ,  éd.  BalHz. 

(2)  Octavius ,  c.  26-27.  Afin  de  ne  pas  fatiguer  le  lecteur  par  une  trop  longue  ci- 
tation latine ,  nous  nous  sommes  servi  de  l'eslimable  traduction  do  M.  A.  Féricaud . 


660  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

(i  sunt  (t).  »  Ce  serait  fatiguer  le  lecteur,  en  remettant  sous  ses  yeui 
les  pièces  d'un  procès  qui  a  été  déjà  jugé  et  gagné  cent  fois  par  ceux 
qui  ont  soutenu  que  le  platonisme  ne  devait  rien  aux  Hébreux.  Nous 
n'ajouterons  à  ce  sujet  que  quelques  considérations  propres  à  rappeler 
les  éléments  principaux  du  jugement  que  l'érudition  indépendante  a 
rendu  en  faveur  des  philosophes  grecs. 

Sans  doute  il  faut  reconnaître  que  ce  fut  surtout  à  l'époque  du 
néoplatonisme  alexandrin  que  la  doctrine  des  démons  se  répandit  dans 
les  esprits ,  mais  elle  avait  été  enseignée  par  Pythagore ,  Chrysippe , 
Xénocrate,  Heraclite,  Platon,  Posidonius,  bien  antérieurement  à 
notre  ère.  En  l'exposant,  Plutarque,  Apulée,  Proclus ,  Plotin,  Jam- 
blique ,  Porphyre  n'ont  fait  que  développer  les  doctrines  de  ces  phi- 
losophes. Le  néoplatonisme  ne  peut  donc  pas  d'abord  être  accusé 
d'avoir  fait  un  emprunt  au  christianisme,  son  rival,  puisqu'il  tenait 
ladémonologied'unedoctrineplus  ancienne  que  lui.  S'ilyaeuemprunt, 
il  n'a  pu  être  fait  qu'aux  Juifs.  Or,  l'époque  à  laquelle,  dans  cette  hy- 
pothèse, l'emprunt  aurait  eu  lieu,  est  celle  de  Pythagore  et  de  Platon, 
c'est-à-dire  une  époque  à  laquelle  les  livres  hébreux  n'étaient  ni  tra- 
duits dans  la  langue  des  Hellènes,  ni  connus  de  ceux-ci.  Nulle  trace, 
nulle  tradition  n'indique  que  les  Grecs  aient  été  le  moins  du  monde 
initiés  aux  secrets  de  la  religion  d'Israël,  tandis  qu'on  sait,  au  con- 
traire, que  c'était  dans  l'Egypte,  dans  la  Perse,  dans  l'Inde,  trois 
contrées  dont  les  systèmes  religieux  offrent  de  fréquents  points  com- 
muns ,  que  les  philosophes  avaient  été  puiser  leurs  idées.  N'est-il 
donc  pas  naturel  d'admettre  que  ce  fut  de  ces  pays  que  vint  à  la  Grèce 
le  système  démonologique  dont  il  est  ici  question,  surtout  quand 
l'étude  des  antiques  croyances  des  peuples  qui  les  habitent,  nous  en 
fait  retrouver  chez  elles  les  racines  évidentes. 

Les  anciens  eux-mêmes,  malgré  l'obscurité  qui  régna  plus  tard  en 
général,  pour  eux,  sur  les  origines  de  cette  croyance,  inclinaient  à 
penser  qu'elle  leur  venait  des  mages  et  des  Egyptiens,  alors  qu'elle 
rencontrait  autant  de  foi  que  les  dogmes  nationaux.  Plutarque 
suppose  que  la  croyance  aux  démons  peut  avoir  été  empruntée 
aux  mages ,  à  Zoroastre ,  à  Orphée ,  aux  Égyptiens  ou  aux  Phry- 
giens (2).  Saint  Clément  d'Alexandrie  dit  formellement  que  les  anges 
et  les  démons  étaient  adorés  par  les  mages  :  Aarpeucuo-tv  àyyéloiç  yioci 
âociiJ.o(jiv  (3).  Minucius  Félix  cite  les  mages  parmi  ceux  qui  croyaient 

(1)  Oclavius  ,  c.  34. 

(2)  Plularch.  De  OracuL  defect.  p.  699 ,  de  Isid.  p.  477,  éd.  Wyltemb* 
(3;  S.  Clem.  Alex*  Slromal.  lib.  III,  c.  6.  Oper.  éd.  PoUer,  p.  44fi. 


DKS   DlViNITKS   ET   DKS   GKiNir.S   PSYCIIOPOMPES.  001 

aux  démons  (1).  Or,  c'est  précisément  à  ces  mages  que  les  Juifs,  de 
leur  aveu,  avaient  emprunté  cette  doctrine.  Le  ïalmud  dit  que  c'est 
à  Babylone  que  les  Juifs  ont  appris  le  nom  des  anges  (2).  On  ne 
trouve  aucune  trace  de  la  hiérarchie  angélique  dans  les  plus  anciens 
livres  de  la  Bible,  et  le  savant  et  orthodoxe  D.  Calmet  est  forcé  de 
dire  dans  sa  dissertation  sur  Asmodée  (3)  :  «Les  anciens  Juifs,  avant 
la  captivité  de  Babylone ,  ne  paraissent  pas  avoir  beaucoup  porté 
leurs  études  du  côté  des  anges.  Nous  ne  remarquons  pas  qu'ils  aient 
exercé  aucun  culte,  ni  vrai,  ni  faux,  ni  légitime,  ni  superstitieux 
envers  eux;  ils  ne  s'étaient  pas  même  avisés  de  leur  donner  un  nom. 
Aussi  ces  noms  venaient  des  Chaldéens.  Les  démons  ne  leur  étaient 
pas  mieux  connus  que  les  anges.  Le  nom  de  Sathan,  qui  se  trouve 
en  quelques  endroits,  signifie  un  adversaire.  Belzébuth  est  un  nom 
d'idole  ;  Isaie  parle  de  Lucifer  ;  mais  ce  nom  ne  signifie  que  l'étoile 
du  matin,  et  si  on  le  donne  au  démon,  ce  n'est  que  dans  le  sens 
figuré.  » 

Enfin  la  meilleure  preuve  de  l'emprunt  fait  par  les  Juifs  à  la  reli- 
gion mazdéenne,  c'est  que  la  cabbale  qui  exerça  une  si  grande  in- 
lluence  sur  les  opinions  de  ce  peuple,  et  dont  les  premières  traces 
apparaissent  dans  le  phariséisme,  contemporain  du  Christ,  est  puisé 
tout  entier  à  la  source  persane,  dont  elle  a  conservé  l'irrécusable 
empreinte  (4). 

On  ne  saurait  donc  méconnaître  la  source  orientale  des  anges  et 
des  démons,  dont  il  faut  aller  chercher  les  types  dans  les  Amscha- 
pands ,  les  Izeds ,  les  Ferouers  et  les  Dews  du  Zend-Avesta ,  dans 
les  Parzuphim,  les  Melachim,  les  Elohim,les  Ben-Elohim,  les  Sephi- 
roth  de  la  cabbale.  A  Babylone,  la  doctrine  zoroastérienne  (5)  devait 
donc  être  nécessairement  professée  par  une  partie  de  la  population 
assyrienne,  sans  doute  la  partie  savante,  et  les  lynges]  (6)  paraissent 
avoir  été  les  analogues  des  esprits  du  mazdéisme. 

Une  invasion  des  idées  orientales  dans  l'Occident  a  donc  doté  le 


(1)  Octavius,c.  37. 

(2)  Hyde ,  Hislor.  religion,  vêler,  persar.  c.  20 ,  p.  273. 

(3)  Dissertations  sur  l'Écriture  sainte,  t.  II ,  p.  262  (1720,  in-4). 

(4)  Voyez  la  déraonstralion  de  ce  fait  dans  l'excellent  ouvrage  de  M.  Franck  sur 
la  cabbale. 

(6)  Cf.  Matter,  Histoire  du  Gnosticisme ,  2«  édit.  1. 1,  p.  150  et  suiv. 

(6)  Cf.  les  Oracles  de  Zoroaslre  dans  les  Oracula  Sibyllina  de  Galaeus  et  les 
Ancient  fragments  de  Cory.  Si  l'on  admet  l'assertion  de  Psellus  dans  son  commen- 
taire, les  Chaldéens  reconnaissaient  formellement  deux  ordres  d'anges,  les  bons  et 
los  mauvais. 

1.  43 


662  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

christianisme  de  tout  ce  cortège  de  génies,  d'esprits  bons  ou  mal- 
faisants, à  la  classe  desquels  appartiennent  les  divinités  psychopompes 
qui  fixent  actuellement  notre  attention.  C'est  un  fait  curieux  qui 
occupe  incontestablement  une  grande  place  dans  l'histoire  intellec- 
tuelle des  premiers  siècles  de  notre  ère.  Un  des  grands  écrivains  de 
notre  époque  en  a  retracé  le  tableau  avec  son  éloquence  accoutumée. 
La  vivacité  avec  laquelle  M.  Villemain  a  décrit  cette  phase  des  an- 
nales de  l'esprit  humain ,  la  manière  heureuse  dont  il  résume  tous 
les  faits  que  nous  avons  péniblement  prouvés ,  nous  fait  un  devoir 
de  le  citer,  en  partie  du  moins  :  «  Les  dogmes  simples  de  Zoroastre , 
transmis  de  proche  en  proche ,  défigurés  par  l'ignorance  de  leurs  der- 
niers sectateurs,  étaient  devenus  une  nouvelle  idolâtrie.  Les  génies 
remplaçaient  les  dieux,  c'était  une  autre  erreur  plus  abstraite,  plus 
contemplative,  plus  rêveuse  que  celle  du  paganisme  romain,  mais 
également  faite  pour  troubler  1  âme  par  la  superstition  et  la  crainte. 
Ces  génies  de  l'Orijent,  ces  intelligences  émanées  du  Très-Haut,  ces 
puissances  intermédiaires  et  rebelles,  n'avaient  point  de  temples  ni  de 
statues;  mais  le  dévot  oriental  se  croyait  sans  cesse  en  leur  pouvoir, 
les  redoutait  partout,  les  sentait,  les  souffrait  en  lui-même;  de  là 
ces  possessions  si  communes  dans  l'histoire  de  cette  époque.  Ce  n'était 
plus  cette  fureur  divine  attribuée  par  les  païens  aux  interprètes  de 
leurs  dieux.  Ils  vénéraient  la  Pythie  ;  on  exorcisait  un  possédé  de  Na- 
zareth ou  de  Samarie.  Ce  n'était  pas  non  plus  ces  furies  vengeresses 
qui,  dans  le  polythéisme  grec ,  s'attachaient  à  la  suite  des  grands  cou- 
pables. Les  malfaisants  génies,  dont  parle  la  Michna ,  rôdaient  au- 
tour de  l'innocence  ;  le  monde  était  plein  de  leurs  embûches  ;  ils  tour- 
mentaient les  corps  et  les  âmes;  cette  superstition  rendait  fou  (1).  » 

Enfin  pour  achever  un  rapprochement  dont  l'évidence  est  peut- 
être  déjà  complète,  remarquons  que  la  doctrine  de  l'ange  gardien , 
qui  forme  l'une  des  croyances  les  plus  touchantes  du  catholicisme, 
se  trouve  formellement  énoncée  dans  le  système  démonologique  an- 
tique. 

Chacun  de  nous  a ,  d'après  les  enseignements  de  l'Église  catholique 
romaine,  un  ange  qui  le  conduit,  l'instruit,  veille  sur  lui  et  le  pro- 
tège contre  les  méchants.  Cette  idée  apparaît  dans  l'évangile  de  saint 
Mathieu  (2)  ;  elle  a  été  ensuite  professée  par  tous  les  Pères  :  «  Magna 
«  dignitas  est  animarum,  »  écrit  saint  Jérôme,  «  ut  unaquaeque  habeat 

(1)  Villemain,  Du  Polythéisme  dans  le  premier  siècle  de  noire  ère ,  t.  Il, 
p.  267  des  Mélanges  littéraires. 


DES  DIVINITJÉS  ET  DES  GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  663 

abortiinativitatisiiicustodiam  sui  angelumdliigentem(l).))Théodoret 
écrit  de  même  :  At^aaxOjasOa  tolvvv  Èy,  tojtov   wç  twv  àyyéloiv  piv 

(^vlctTrei-J  Y.OU  twv  Toviiov-npoù  àatuovoç  £7:têou)wv  ànaïXâzzeiv  (2).  Ori- 
gène  (3)  tient  le  même  langage.  Nous  pourrions  citer  une  foule 
d'autres  témoignages;  nous  nous  contenterons  de  rapporter  les  pa- 
roles de  saint  Bernard,  qui  expose  ce  dogme  consolant  avec  le  charme 
habituel  de  sa  parole  :  «  Angélus  ej  us,))  dit-il,  «qui  unus  est  de  soda- 
ce  libus  sponsi,  in  hoc  ipsum  deputatus,  minister  profecto  et  arbiter 
((  secretae  mutuœque  salutationis,  is  inquam  angélus  quomodo  tre- 

ccpudiat,  quomodo  coll?etatur  et  condelectatur fidelis  paranym- 

«phus,  qui  mutui  amoris  conscius,  sed  non  invidus,  non  suam 
«  quœrit  sed  domini  gratiam  ;  discurrit  médius  inter  dilectum  et 
((  dilectam ,  vota  offerens ,  referens  dona  (4).  » 

Tous  ces  passages  semblent  empruntés  aux  auteurs  anciens.  Mé- 
nandre  nous  disait  déjà  : 

kya.Q6ç  (5). 

Plutarque,  qui  nous  a  conservé  ces  vers  curieux,  énonce  les 
mêmes  idées;  il  nous  représente  chaque  génie  aimant  à  secourir  l'âme 
qui  lui  est  confiée  (6).  Censorinus  (7),  Hiéroclès  (8),  nous  entre- 
tiennent du  même  génie  que  nous  rappellent  les  vers  si  connus 
d'Horace  : 

Scit  genius,  natale  cornes  qui  tempérât  astrum. 
Natures  deus  humanœ. 

Epist.  II,  lib.  II,  V.  187-88. 

Hermias,  dans  son  commentaire  sur  le  Phèdre  de  Platon,  parle 
du  démon  Eçpopoç  rriç  Çwyjç  (9).  Sur  ce  chapitre,  on  peut  dire  que  le 
platonisme  était  véritablement  chrétien  ;  en  lisant  tous  ces  témoignages 
antiques,  on  croit  lire  des  passages  tirés  des  Pères  ;  le  savant  Creuzer 

(1)  InMalh.  XVIII,10. 

(2)  In  c.  10  Dan.  p.  672. 

(3)  Hom.  XX ,  in  JYum.  ap.  Oper.  éd.  Delarue ,  t.  H  ,  p.  350. 

(4)  In  Canlic.  Serm.  XXXI ,  5  col.  Ap.  Oper.  t.  H  ,  col.  1381. 

(5)  Plutarch.  De  Tranquil.  anim.  IG. 

(6)  Plutarch.  De  Genio  Socrat. 

(7)  Censorin.  De  Die  natal,  c.  3. 

(8)  Hierocles,  De  Provid.  p.  277,  éd.  Needham. 

(9)  Cf.  Animadv.  ad  Porphyr.  de  Antro  Nympharum,  éd.  Van  Goens,  p.  94. 


G64  IIEVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

la  remarque  avant  nous  (l),  ce  sont  les  mêmes  pensées  et  souvent  les 
mêmes  expressions  :  quand  saint  Basile  parle  des  anges  donnés  à  chaque 
croyant  comme  précepteur  et  pasteur,  Traicîaywyoç,  ttoi/jlt'v,  quand  saint 
Athanase  les  désigne  sous  le  nom  de  àvÔpwTrcov  âi^diaKaloi ,  on  croit 
entendre  parler  Platon  qui  a  fait,  avant  ces  Pères,  usage  de  ces 
dénominations  pour  les  génies  familiers  des  mortels. 

De  même  que  certains  philosophes,  certains  écrivains  tels  qu'Em- 
pédocle  (2),  Euclide  (3),  Plutarque  (4),  Servius  (5),  admirent  deux 
génies  pour  chaque  homme,  l'un  bon  qui  le  conduit  et  leclaire, 
l'autre  qui  cherche  à  le  tromper  et  à  le  séduire  (6),  de  même  certains 
auteurs  sacrés  et  précisément  ceux  qui ,  par  l'époque  à  laquelle  ils 
vivaient,  se  rapprochent  des  temps  où  florissait  cette  doctrine  chez 
les  païens ,  admettent  la  même  croyance.  Dans  le  Testament  des 
douze  patriarches  (7),  dont  au  reste  l'auteur  semble  avoir  été  gnosti- 
que,  il  est  question  de  l'esprit  de  vérité  et  de  celui  d'erreur  qui  cher- 
chent à  diriger  l'homme.  Hermas,  dans  son  livre  du  Pasteur  (8),  parle 
plus  expressément  de  ces  deux  anges  dont  l'un  est  bon  et  l'autre 
méchant.  On  trouve  des  passages  non  moins  explicites  à  cet  égard 
dans  VOpus  imperfectum  in  Matlhœum  (9),  dans  Origène  (10),  dans 
Cassien  (11),  Theodoret  (12),  et  autres.  Cette  doctrine  a  reparu  au 
moyen  âge  chez  certains  docteurs  :  (cHabetenim  quaelibet  anima  duos 
«  angelos,  »  dit  saint  Bonaventure  (1 3),  (c  unum  bonum  ad  custodiam , 
<(  alium  malum  ad  exercitium.  »  Quelquefois  même,  quoique  rarement, 
il  est  question  de  deux  anges  gardiens.  Ce  sont  ces  deux  anges  que 
sainte  Humilité,  abbesse,  avait  sans  cesse  devant  les  yeux  (14). 

Pour  que  rien  ne  manque  à  la  ressemblance  entre  la  démonologie 

(1)  Relig.  de  l'Antiquité,  trad.  Guigniaut,  t.  III, part.  I ,  p.  38  et  suiv. 

(2)  Ap.  Plutarch.  De  Tranquill.  anim.  15. 

(3)  Ritter,  Hist.  de  la  Philosophie,  II,  2G. 

(4)  L.  c.  Cf.  Huetii  Origenian.,  lib.  2,  p.  171, 6d.  Delarue. 

(5)  «  Quum  nasciraur,  duos  genios  sortimur,  unus  est  qui  hortatur  ad  bona  ;  aller 
«  qui  dépravât  ad  mala.  »  Serv.  ad  ^neid.  lib.  VI,  v.  140. 

(6)  Cf.  Huetii  Quœslion.  alnet.  de  Concord.  rationis  et  fidei.  lib.  2,  p.  134 
(in-4,  1690). 

(7)  Giab.Spicileg.  I,  18;  etFabricii  Cod.  Novi  Testam.  t.  II. 

(8)  Lib.  II,  c.  6;  lib.  III,  c.  G,c.  2,  3. 

(9)  Cf.  Petavii  de  Angelis,  p.  74  et  suiv.  Ap.  Opéra. 

(10)  Origen.  In  Lucam,  Hom.  XII,  et  Hom.  XXXV,  ap.  t.  III,  p.  945,  973,  éd. 
Delarue. 

(11)  Collai.  8,  cap.  17. 

(12)  Lib.  3. 

(13)  Compend.  theolog.  verit.  lib.  II ,  c.  27. 
(H)  Bolland.  Act.n  maii ,  p.  213,  col.  2. 


DES  DIVINITÉS  ET    DES   GÉNIES   PSYCHOFOMPES.  665 

platonicienne  et  l'angélologie  chrétienne ,  nous  ferons  observer  qu'on 
trouve  dans  la  première,  jusqu'à  l'ange  psychagoguequi  présente  notre 
âme  au  Seigneur  et  nous  transporte  au  ciel,  ainsi  que  nous  l'ensei- 
gnent les  docteurs  de  l'Eglise.  Asysrat  âl  oiizo^q,  dit  Platon  dans  son 
Phédon  (1),  àç  apa.  relevrridavza  e-aadTov  6  £za(7Tou  àoiijxd^v  ofSTtzp 
Çwvra  zikh'/zi  ovtoç  ayeiif,  èTuy/ipei  elq  ^y?  riva  rénov  y  oi  ^£l  zohç 
(Tvlleyé'jTaç  âiaâir/.(X(TaiJ.ivGvç  sic  a$ov  7:opzv£<7Qixiy  etc.  Hiéroclès  nous 
enseigne  également  que  le  génie  qui  veille  sur  chacun  de  nous,  nous 
conduit  aux  enfers  après  notre  mort  :  Kai  (jLsrà  vhv  TeAeyryiv  elq  aàou 
-Kopda.  IJ.STOC  Yiyeixovoç  rov  zriv  Çw7)V  v^awv  £ÎXy};^oToç  âocliJ.ovoç  (2) ,  et 
Plotin  tient  le  môme  langage  (3)  qui  se  retrouve  presque  mot  pour 
mot  dans  la  bouche  d'Origène ,  quand  il  nous  entretient  des  anges  : 
((  Quos  etiam  venire  ad  judicium  cum  hominibus  (4).  » 

Le  système  démonologique,  à  l'exposé  duquel  nous  venons  de  con- 
sacrer les  pages  précédentes ,  avait  poussé  dans  l'antiquité  de  si  pro- 
fondes racines  qu'il  n'était  pour  ainsi  dire  pas  de  religions  qui  n'en 
fussent  pénétrées.  Les  génies  psychopompes,  chez  les  Étrusques,  par 
exemple,  s'offrent  à  nous  avec  les  couleurs  sous  lesquelles  ces 
mêmes  génies  ont  déjà  été  rencontrés  par  nous  dans  le  polythéisme 
grec  et  le  christianisme.  Les  Étrusques  ont  eu  leur  ange  extermina- 
teur, celui  qu'on  a  désigné  sous  le  nom  de  Charon  étrusque  (5).  Cet 
ange  figure  sans  cesse  sur  les  monuments  (6)  funéraires  de  ce  peuple. 
On  le  voit  entre  autres  sur  une  urne  en  marbre  publiée  par  Micali  ; 
il  est  armé  d'un  marteau,  guette  deux  guerriers  qui  combattent  et 
s'apprête  à  frapper  celui  des  deux  qui  succombera  dans  la  lutte  ;  ce 
sujet  se  retrouve  sur  des  monuments  du  Musée  de  Chiusi  (7). 

Ce  Charon  étrusque,  qui  n'est  très- probablement  que  le  genius 
infernus  qui  figure  si  souvent  sur  les  inscriptions  tumulaires  (8),  est 
un  véritable  ancêtre  de  nos  diables:  sa  figure  est  repoussante,  sa  cheve- 
lure et  sa  barbe  hérissées,  son  front  estgarni  de  serpents  (9)  ;  sesoreilles 
pointues  rappellent  celles  des  satyres  qui  en  furent  ainsi  pourvus,  sans 
doute  par  imitation  (10).  Il  veille  à  l'entrée  des  enfers,  accompagne 

(1)  Platon  Phedon,  c.  par.  130,  edit.  Londin-,  p.  359, 

(2)  Hiéroclès,  De Providenlia,  p.  178,  éd.  Needham. 

(3)  Ennead.  3,  lib.  IV,  c.  6. 

(4)  Hom.  XXIV,  p.  365,  ap.  Opéra,  éd.  Delarue,  t.  II. 

(6)  Voyez  J.  A.  Ambrosch  ,  De  Charonte  elrusco,  Vratislav.  1B37. 

(6)  Micali ,  Storia  degli  antichi  popoli italiani.  Atlas ,  2*  éd.  tav.  LIX ,  fig.  3,  5. 

(7)  Inghirami  e  Valeriani,  Elrusco  Museo  Chiusino,  t.  I,  tav.  XXVII. 

(8)  Fabrelti,  Inscript.  II,  n»  71,  p.  73.  Orelli ,  Inscr.  lalin.  selcct.  n""  J726. 

(9)  Ambrosch,  1.  c.  p.  4. 

(10)  Voyez  mon  Essai  sur  If  s  Légendes  du  moyen  âge ,  p.  136. 


666  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

la  mort  avec  un  autre  génie;  dans  ce  cas ,  il  joue  tout  à  fait  le  rôle 
de  psychopompe.  Ce  sont  les  génies  dont  Aufustius  a  dit  :  Deorum 
filii  et  parentes  homimim  (l)';  ce  sont  réellement  les  c^at^oveç  grecs  qui 
avaient  été  aussi  à  l'origine  les  âmes  des  morts  divinisés  (2).  Sur  une 
grande  urne  étrusque,  on  voit  les  deux  génies  infernaux  figurer  dans 
le  scène  des  derniers  moments  d'une  épouse.  D'un  côté,  un  génie 
femme  ailée  cherche  à  attirer  doucement  à  lui  la  mourante,  au 
moment  où  celle-ci  adresse  à  son  mari  ses  derniers  entretiens.  De 
l'autre  côté,  Charon,  ou  plutôt  le  mauvais  ange,  tenant  une  tenaille 
d'une  main  et  un  flambeau  de  l'autre ,  s'apprête  à  accompagner  la 
défunte  dans  l'empire  des  ombres  (3). 

On  sculptait  la  figure  de  ces  deux  génies  aux  portes*  des  tom- 
beaux (4),  comme  au  moyen  âge  on  peignait  celle  de  saint  Michel  à 
l'entrée  des  cimetières.  Sans  doute  que  les  Étrusques  s'imaginaient 
que  c'étaient  ces  démons  qui  ouvraient  le  sépulcre  au  moment  oii  le 
mort  se  rendait  dans  le  monde  infernal,  absolument  comme  on  se 
figurait  que  l'archange  Michel  soulevait  la  pierre  des  tombes  pour  lais- 
ser ressusciter  l'âme  sortie  de  son  sommeil  (5). 

Souvent  les  génies  psychopompes  étrusques  s'offrent  tout  à  fait 
sous  les  traits  des  furies.  Ainsi,  sur  un  sarcophage  publié  par  Mi- 
cali  (6),  on  voit  un  guerrier  que  les  génies  tourmentent;  l'artiste  a 
donné  à  ceux-ci  des  têtes  de  bélier,  sans  doute  pour  exagérer  leur  lai- 
deur; sur  le  second  plan,  de  véritables  furies,  des  serpents,  enroulés 
autour  des  bras,  harcèlent  la  victime ,'  et  lui  présentent  la  tête  de 
ces  reptiles  ;  or  cette  attitude  est  précisément  celle  que  dans  les 
monuments,  on  donne  à  Tisiphone  et  à  ses  sœurs.  Sur  une  autre 
urne  (7),  une  sorte  de  furie  assaillit  une  ombre  qu'entraîne  par  la 
main  un  génie  funèbre. 

On  voit  par  là  que  le  mythe  juif  de  l'ange  exterminateur  existait 
aussi  chez  les  Étrusques  sous  les  traits  de  ce  Charon  nécropompe. 
Nous  disons  le  mythe  juif,  car,  en  effet,  l'idée  de  l'ange  extermina- 
teur à  disparu  peu  à  peu,  à  mesure  que  le  christianisme  s'est 
répandu;  on  le  trouve  cependant  encore  dans  quelques  livres  des 

(1)  Festus,  De  Verhor.  signif.^y.  Genius. 

(2)  O.  Millier,  Die  Elrusker,  III,  4,  5;  7. 

(3)  Micall ,  Sloria,  etc.  Atlas,  t  LX. 

(4)  Ibid.  tav.  CIV. 

(5)  Par  exemple,  d'après  le  livreinlilulé  :  j4icensio  Isaiœ  vatis  (édit.  Grofrer, 
p.  9),  c'est  saint  Michel  qui  ouvrit  la  pierre  du  sépulcre  du  Christ. 

(6)  Micali,  o.  c.  tav.  XLIX,fig.  1. 
*  (7)  Ibid.  tav.  XLVIII.fig.  i. 


DES  DIVINITÉS  ET  DES   GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  667 

premiers  siècles ,  par  exemple  dans  les  Actes  de  saint  André  (1). 
Saint  Amphiloque  parle  de  Oepiaràç  àyyélovç  (2),  qui  sont  de  véri- 
tables exterminateurs,  et  qui  rappellent  ce  sujet  accepté  sur  les  sarco- 
phages païens  de  génies  moissonnant  et  vendangeant  (3),  image  allé- 
gorique par  lesquelles  les  chrétiens  adoucissaient  déjà  la  rigueur 
du  dogme  hébreu. 

Nous  n'avons  pas  parlé  de  démon  exterminateur  chez  les  anciens;  il 
ne  faut  pas  croire  cependant  que  ce  mythe  leur  fût  inconnu,  et  il  est 
facile  de  le  retrouver,  quoique  sous  une  forme  un  peu  détournée.  Chez 
lesGrecs,  l'ange  exterminateur,  c'est  d'abord  Némésis,  que  Platon  ap- 
pelle âyyeloç  Ar/yjç  (4),  l'ange  de  la  justice  divine;  c'est  aussi  le 
AaiiJLMV  dont  il  est  fréquemment  question  dans  les  inscriptions  ainsi 
conçues  :  ^ocIijmv  d(^apv:aiaç  (5),  ou  Bao-zavoç  ripTiocde  i^aiiJLCùV  (6). 
Enfin,  ces  esprits  exterminateurs  se  retrouvent  encore  dans  le  génie 
de  la  mort ,  Thanatos  (7) ,  le  génie  du  tombeau ,  Sopo(Jai^wv  (8) , 
qui  n'est  évidemment  que  l'ange  de  la  mort  de  l'Orient. 

Le  caractère  de  l'ange  exterminateur,  confondu  avec  celui  du  dé- 
mon, se  retrouve  également  chez  les  Uolvoct  des  Grecs,  les  dirœ 
uîtricesdes  Latins  (9),  les  Erinnyes,  qui,  comme  les  diables,  conduisent 
dans  l'Érèbe  les  âmes  coupables  (1 0);  chez  les  Kères  enfin,  représentées 
les  cheveux  en  désordre,  la  barbe  touffue,  la  figure  hideuse,  les  mains 
crochues,  les  ailes  attachées  au  dos.  Il  est  impossible,  en  jetant  les 
yeux  sur  les  vases  peints,  les  bas-reliefs  et  les  figurines  qui  nous  four- 
nissent l'image  de  ces  divinités  meurtrières ,  de  ne  pas  penser  aux 
diables.  On  croirait  que  les  artistes  du  moyen  âge,  aussi  bien  que  les 
poëtes, Dante  comme  Orgagna,  avaient  sous  les  yeux  ce  portrait 
qu'Hésiode  (il)  nous  fait  de  ces  kères  noires,  affreuses,  terribles, 
jetant  leurs  ongles  acérés  sur  les  infortunés  qui  succombent  et  en- 
voyant leurs  âmes  dans  le  froid  Tartare.  On  peut  dire  que  dans  TOc- 

(1)  Act.  s.  Andr.  IX ,  26 ,  ap.  Fabricii  Cod.  pseud.  JYovi  Testam. 

(2)  Serm.  in  occursum  Domini ,  p.  15,  ap.  Oper.  éd.  Combefls. 

(3)  Cf.  Bottari,  Scullure  e  Pillure  sagre  délia  Roma  soUerranea,  tav.  CXXXII 
et  t.  I,p.  125. 

(4)  Cratyl.  407, 

(6)  Bœckh  ,  Corpus  inscript,  grœe.  n»  710,  p.  508. 

(6)  ^nlholog.  l'alat.  Paralipom.  III,  m,  7,  760,  éd.  Jacobs. 

(7)  Cf.  RaQiil  Rochelle,  Oresléide,  p.  222-258,  note. 

(8)  Plutarch.  de  Puer.  educ.  13, 11. 

(9)  Voyez  l'ouvrage  de  Bœltiger  sur  les  Furies ,  traduit  par  Winckler,  et  Atn- 
brosch ,  ouv.  cil.  p.  28  ,  29. 

(10)  Axioch.  21. 

(11)  Asp.  Herc.  250  et  10. 


G68  «EVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

cident,  les  kéres  ont  été  transformées  en  diables^  tandis  que  dans 
le  Nord  elles  étaient  changées  en  valkyrics.  En  lisant  ce  tableau  de 
Stace,  ne  se  représente-ton  pas  l'armée  des  légions  sataniques,  qui, 
dans  les  légendes  chrétiennes,  entourent  les  damnés,  les  enchaînent 
et  les  torturent  de  mille  façons  : 

Forte  sedens  média  regni  infelicis  in  arec 
Dux  Erehi,  populos  poscebat  crimina  vilœ  ; 
Nil  hominum  miser  ans  ,  iratusque  omnibus  umbris. 
Stant  Furias  circum ,  variœque  ex  ordine  mortes 
Sœvaque  muUisonas  exercet  pœna  calenas; 
Fata  ferunt  animas  et  eodem  pollice  damnant. 

Thcbaid.  VIII,  21  et  sq. 

Le  diable,  les  monuments  nous  le  font  sentir,  est  du  même  sang 
que  le  génie  de  la  mort,  tel  que  nous  l'a  peint  l'antiquité.  On  le  re- 
connaît dans  cette  figure  noire,  d'un  aspect  horrible,  avec  une  lon- 
gue barbe,  les  cheveux  en  désordre,  qui  apparut  à  Brutus  avant  la 
bataille  de  Philippes  (1);  dans  une  figure  semblable  que  décrit' Va- 
lère  Maxime  (2),  lorsqu'il  dit  :  «  Hominum  ingentis  magniti\dinis, 
«coloris  nigri,  squalidum  barba,  et  capillo  dimisso.  »  C'est  encore  elle 
dont  Lucien  a  écrit  (3)  :  Ay;i^pi7îpoç  xal  y^ùœ/iz^nq  %oli  ixelavrepoç  rov 
i^o^^ov  '  expressions  qui  nous  reportent  tout  de  suite  à  l'épithète  de 
Ço(pw(^£?ç  j  qui  a  été  donnée  par  les  Pères  aux  diables  (4),  Ces  descrip- 
tions s'appliquent  parfaitement  aux  figures  du  démon  antérieures  au 
XIIP  siècle  (5)  ;  ces  apparitions  du  génie  de  la  mort  sont  absolument 
celles  que  Raoul  Glaber  décrit  dans  sa  chronique,  comme  les  spectres 
diaboliques  dont  les  moines  de  son  temps  étaient  assaillis. 

Les  Chrétiens  se  sont  inspirés  si  souvent  des  idées  païennes  dans 
toute  la  psychagogie,  qu'il  suffit  d'étudier  avec  quelque  soin  chacun 
des  monuments  qui  s'y  rapportent,  pour  découvrir,  en  quelque  sorte, 
à  chaque  pas,  la  trace  antique.  On  sait  que,  sur  un  grand  nombre  de 
bas-reliefs,  de  peintures,  de  pierres  gravées,  l'âme  est  figurée  symboli- 

(1)  VluluTch' Brut.  36. 

(2)  1,7,7. 

(3)  Lucian.  Philops,  VII ,  31,  p.  283  ,  éd.  Bip.  Cf.  Dion  Cassius,  LXXVIII,  9. 

(4)  S.  Amphiioch.  Serm.  de  Pœnitenlia,  éd.  Combcfis,  p.  107. 

(5;  A  partir  du  XII«  au  XIII'  siècle ,  le  diable  perdit  son  caractère  archaïque  qui 
le  rapprochait  du  Bû^jutqç  des  anciens  et  revêtit  une  forme  toute  fantastique.  Voyez 
sur  les  anciennes  figures  du  diable  ,  Trésor  de  Numismatique  et  de  Glyptique, 
bas-reliefs  et  monuments,  pi.  XX.  Gori,  Thesaur.  Vêler,  diplych.  T.  III, 
lab.  XXXII.  D'Agincourt,  Hist.  de  VArt,  peint.  PI.  42,  fe  Missel  de  Worms , 
manuscrit  de  la  Biblioth.  de  l'Arsenal,  un  Manuscrit  de  la  Biblioth.  royale,  in-4, 
n-^  75,  anc.  fonds. 


DES  DIVINITÉS  ET  DES  GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  669 

quementpar  un  personnage  placé  dans  un  char;  quelquefois  ce  person- 
nage est  ailé  (l).  Il  est  traîné  tantôt  par  des  grillons  (2),  tantôt  par  de 
véritables  chevaux  (3),  souvent  aussi  par  deux  génies  à  ailes  de  papil- 
lon (4),  ou  dont  l'un  est  blanc  et  l'autre  noir  (5).  Parfois  encore,  avec  la 
même  intention  symbolique,  on  représentait  sur  les  sarcophages  l'en- 
lèvement de  Proserpine,  dans  lequel  on  voit  Pluton  plaçant  sa  future 
épouse  sur  le  char  funèbre  (6);  ce  char,  qui  rappelle  celui  delà  des- 
tinée (7),  est  une  sorte  de  véhicule  psychique  (8). 

Des  tombeaux  païens  ces  sujets  passèrent  sur  les  sarcophages 
chrétiens;  cet  emprunt,  comme  les  emprunts  semblables  dont 
nous  avons  déjà  parlé,  a  une  cause  complexe  :  il  provient  de  ce  que 
les  chrétiens  se  servirent  de  sarcophages  fabriqués  et  sculptés  par 
des  artistes  païens,  en  sorte  que  les  sujets  païens  furent  introduits , 
presque  à  l'insu  des  fidèles,  sur  les  monuments  appartenant  au  nou- 
veau culte.  Une  fois  reçus  par  les  chrétiens,  ils  devinrent,  par  suite 
de  la  routine  et  de  l'esprit  imitateur  naturels  à  l'homme,  l'objet  d'une 
imitation  plus  ou  moins  intelligente.  Reproduits  sans  cesse,  les  néo- 
phytes qui  les  avaient  sous  les  yeux,  n'étant  plus  nourris  des  traditions 
antiques,  repoussant  toutes  les  idées  païennes  avec  horreur,  n'en 
pouvaient  saisir  l'esprit  primitif;  ils  durent  donc  leur  attribuer  des 
sens  nouveaux,  plus  en  harmonie  avec  les  dogmes  qu'ils  professaient; 
mais,  comme  leurs  interprétations  étaient  nécessairement  subordon- 
nées aux  sujets  eux-mêmes,  en  quelque  sorte  enchaînées  par  eux,  ceux 
ci  réagissaient  à  leur  tour  sur  les  opinions  destinées  à  les  expliquer, 
et  le  paganisme  n'en  continuait  pas  moins  d'exercer  ainsi  sur  les 
croyances  nouvelles,  à  l'aide  de  ses  monuments,  une  influence  re- 
marquable. 

Nous  ne  chercherons  même  pas  à  démontrer  le  premier  point,  ce- 
lui de  l'usage  fait  par  les  chrétiens  des  monuments  païens,  c'est  un 
tait  acquis  à  l'histoire  archéologique,  et  que,  dans  ces  derniers  temps, 
M.  Raoul  Rochelte  a  achevé  de  mettre  hors  de  doute  dans  ses  nom- 


(1)  Gori ,  Inscr.  anliq.  Part.  I,  p.  197.  Part.  III ,  pi.  XV. 

(2)  Monum.  delV  Instit.  archeol.  di  Roma ,  t.  I,  tav.  XVIII. 

(3)  Micali,  Monumenli  inedili,  pi.  VI ,  n'  2. 

(4)  Gorlée,  Pierr.  grav.  n''  479,  pi.  CGXXX. 

(5)  Micali ,  Storia  degli  antichi,  etc.  Allas  ,  S''  ediz.  tav.  LXV. 

(6)  Voyez  pour  la  liste  des  nombreux  monuments  sur  lesquels  se  trouve  ce  sujet, 
comte  de  Clarac,  Musée  de  Sculpl.  anc.  et  mod.  bas-reliefs,  n'  13,  p.  209 
et  suiv. 

(7)  Raoul  Rochelle ,  Oresléide,  p.  215.  Voss ,  Mytholog.  Brief.  1 ,  76,  79. 
(S)  Cf.  Inghiramî,  rasifiltili,  t.  III,  p.  47,  tav.  CCXVIl, 


670  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

breux  Mémoires  sur  les  antiquités  chrétiennes.  Quant  à  l'analogie 
qui  en  est  résultée,  pour  le  polythéisme  et  le  christianisme,  dans  les 
idées  relatives  à  l'enlèvemement  de  l'âme  sur  un  char,  c'est  une  as- 
sertion qui  demande  quelque  développement. 

Les  anciens  se  représentaient  les  dieux,  les  immortels,  montés  sur 
des  chars  d'or  et  de  feu.  Toute  la  poésie  grecque  et  latine  en  fait  foi, 
depuis  le  tableau  que  nous  fait  Hésiode  (1),  de  Mars  vaincu  par  Her- 
cule, remontant  aux  cieux  sur  son  char,  conduit  par  la  Terreur  et  la 
Crainte,  jusqu'aux  vers  de  Stace,  dans  ses  Sylves  : 

Al  lu  seu  rapidum  poli  per  axem 
Famœ  curribus  arduis  levalui 
Qua  surgunl  animœ  polenliores 
Terras  despicis  et  sepulcra  rides. 

Lib.  II. 

Platon  a  comparé  l'âme  aux  forces  réunies  d'un  attelage  ailé  et 
d'un  cocher  (2). 

Les  Chrétiens  ont  admis  plusieurs  faits  qui  offrent  avec  ces  idées  un 
grand  point  de  ressemblance.  Ils  croyaient  que  certains  personnages 
avaient  été  enlevés  aux  cieux  sur  des  chars  de  feu.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  qu'Élie  avait  été  transporté  dans  le  sein  de  Dieu.  Il  est  à 
remarquer  que  le  sujet  de  l'enlèvement  d'Élie  se  montre  fréquemnwnt 
sur  les  sarcophages  chrétiens,  précisément  à  l'époque  où  le  paga- 
nisme était  encore  plein  de  vie,  et  par  conséquent,  alors  que  l'échange 
des  idées  païennes  et  chrétiennes  était  rendu  plus  facile.  Le  prophète 
est  représenté  tout  à  fait  sous  les  traits  du  Soleil,  son  char,  à  quatre 
chevaux,  est  absolument  le  même  que  celui  que  les  artistes  païens 
donnent  à  Phœbus  (3).  Il  n'est  pas  jusqu'à  l'usage  de  figurer  les 
fleuves  par  des  divinités  assises ,  appuyées  sur  une  urne  d'où  l'eau 
s'échappe,  et  le  front  couronné  de  roseaux ,  qui  n'ait  été  suivi  pour 
peindre  le  Jourdain  (4).  En  sorte  que  tout  fait  croire  que  le  sujet,  tel 
qu'il  apparaît  sur  les  monuments  de  la  foi  nouvelle,  n'était  autre  que 
celui  du  lever  du  soleil,  que  les  Chrétiens  avaient  transformé  pour  en 
faire  l'enlèvement  du  prophète.  Ne  sait-on  pas  que  le  lever  du  soleil 

(1)  Asp.  Herc.  465  et  sulv. 
(?j  Phed.  1324. 

(3)  Voy.  Boltari,  ScuU.  e  PilL  sagr.  tav.  XXVII,  XXIX  ,  LU,  LXX,  Clarac, 
Catalng.  du  Louvre,  n''  777  bis. 

(4)  Au  moyen  âge  les  fleuves  continuèrent  d'être  représentés  souvent  sous  figure 
humaine ,  comme  oh  le  voit  par  la  Diversarum  Arlium  scheduln  de  Théophile. 
On  lit  au  chap.  ux  au  sujet  de  l'encensoir  baltu  :  «i  In  quibus  sedeant  quatuor  flu- 
«  mina  Paradysi  humana  speciecum  suis  amphoris,  quibus  eflTundalur  quasi  species 
n  fluentis  aquae.  »  Edit.  Lescalopier  et  Guichard ,  p.  SOS. 


DES   DIVINITES   ET  DES  GENIES  PSYCHOPOMPES.  671 

était  pour  les  païens  l'emblème  de  rimmortallté  (l  ),  que  les  chars  du 
Soleil  et  de  la  Nuit,  figurés  sur  les  tombeaux,  font  allusion  à  la  brièveté 
de  la  vie.  Le  nom  d'Elie  rappelait«te  plus,  pour  les  Chrétiens,  le  nom 
grec  du  soleil,  et  ils  allaient  même  jusqu'à  vouloir  que  ce  dernier 
nom  fût  dérivé  de  celui  de  leur  prophète  :  —  Je  crois,  s'écrie  saint  Jean 
Chrysostome  (2)  en  parlant  de  l'enlèvement  d'Élie ,  que  c'est  de  là  que 
les  poëtes  et  les  peintres  ont  emprunté  cette  image  du  soleil  monté  sur 
un  char  étincelant  et  qu'entraînent  des  coursiers  éclatants  de  flammes, 
s'élevant  radieux  du  sein  des  flots  de  l'océan ,  à  travers  les  cimes 
escarpées  des  montagnes ,  et  qui  semble  comme  lui  monter  à  la  céleste 
demeure  environné  de  lumières. 

Sedulius  fait  le  môme  rapprochement  entre  le  mot  helios,  soleil, 
et  le  nom  d'Élie  ; 

Çuam  bene  fulminei  prœlucens  semila  cœli 
Convenu  Eliœ,  meriloque  et  nomine  fulgens 
Mac  ope  dignus  erat,  quoniam  sermonis  Achivi 
Una  per  accenlum  mutclur  litlera,  sol  est. 

Lib.  I ,  de  Helia,  v.  168  et  sq. 

Aujourd'hui,  dans  la  Grèce,  la  plupart  des  montagnes,  dont  les 
cimes  étaient  jadis  consacrées  à  l'astre  qui  les  dorait  de  ses  feux, 
portent  le  nom  de  saint  Élie. 

On  peut  donc  sans  témérité,  puisque  c'est  saint  Jean  Chrysostome 
lui-même  qui  nous  le  dit,  reconnaître  dans  Élie  porté  aux  deux,  l'an- 
cienne imagedu  soleil  qui  s'élève  de  l'aurore  vers  le  midi,  ou  bien  encore 
celle  de  Bacchus  qu'on  voit  sur  les  bas-reliefs  antiques,  la  tête  radiée, 
conduire  aussi  un  char,  comme  symbole  du  solstice  d'hiver  (3).  Il  y  a 
dans  ce  sujet  chrétien  une  association  évidente  de  l'idée  païenne 
d'apothéose  et  du  dogme  chrétien  de  la  résurrection  ;  il  suffit,  pour 
s'en  convaincre,  de  jeter  les  yeux  sur  certaines  médailles  représentant 
l'apothéose  de  Constantin,  et  sur  lesquelles  figure  ce  même  prodige 
de  l'enlèvement  d'Élie  au  ciel. 

Les  légendes  qui  se  rencontrent  chez  les  Chrétiens  de  l'enlèvement 
des  âmes  dans  l'empyrée,  au  moyen  d'un  char  céleste,  sont  nées  de 
cette  association,  et  l'histoire  du  ravissement  d'Élie  en  forme  en  quel- 
que sorte  le  type.  Un  des  plus  anciens  écrits  qui  en  rapportent  de  ce 
genre  est  un  livre  fort  curieux,  intitulé  :  AiaÔwyj  xov  àiuiiviTox)  zat 

(1)  Raoul  Rochette  ,  Monum.  inéd.  PI.  LXXII,  p.  396  et  «uiv. 

(2)  Hom.Ul,de  EL^l. 

(3)  Millin  ,  Galcr.  Mylhol.  PI.  LX. 


I 


672  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

-îzolvx^loîj  y.oci  iiocY.ixpiov  Iwê,  ouvrage  apocryphe,  c'est-à-dire  qui 
n'est  nullement  du  Job  de  l'Écriture,  mais  dont  la  date  est  incon- 
testablement fort  ancienne ,  puisqu'il  en  est  question  dans  le  décret 
du  pape  Gelase  (1).  Il  a  été  publié  par  Angelo  Maio  (2).  On  y 
lit  qu'au  bout  de  trois  jours  de  maladie,  Job,  couché  sur  son  lit,  vit 
venir  à  lui  les  saints  anges,  qui  s'apprêtaient  à  recevoir  son  âme  ; 
qu'alors  il  se  leva,  prit  sa  harpe  et  la  donna  à  sa  fille  Hemera;  il 
donna  un  encensoir  à  sa  fille  Cassia,  et  lui  mit  aussi  entre  les  mains  un 
tambour,  afin  que  ses  filles  chantassent  et  jouassent  de  la  musique  à 
l'arrivée  des  esprits  bienheureux  ;  et  celles-ci  se  mirent  à  chanter  les 
louanges  du  Seigneur,  en  s'accompagnant  de  ces  instruments  ;  et 
l'ange  vint,  monté  sur  un  grand  char,  il  embrassa  Job ,  prit  son  âme, 
la  fit  monter  sur  le  char  et  la  ravit  au  ciel. 

Plusieurs  saints,  au  dire  des  hagiographes,  furent  ravis  au  ciel  sur 
des  chars  de  feu.  Nous  citerons,  entre  autres,  le  célèbre  saint  François 
d'Assise  (3).  * 

La  croyance  à  un  char  qui  porte  les  âmes  au  ciel  (Seelwagen, 
Zielwagen)  existe  dans  plusieurs  contrées  germaniques.  En  Flandre,  le 
peuple  s'imaginele  voir,  la  veille  du  jour  des  morts,  parcourir  le  ciel  (4). 
A  Noël,  on  voit  ce  même  char  (Heliwagen)  apparaître  pendant  douze 
nuits  consécutives.  Dans  l'Odenwald ,  on  croit  également  apercevoir 
au  ciel  ce  char  de  feu  (5).  Les  frères  Grimm  ont  aussi  donné,  dans 
leur  Recueil,  l'histoire  d'un  char  mystérieux  qui  portait  des  moines 
aux  vêtements  noirs  et  qui  se  trouvaient  être  des  ombres ,  histoire 
empruntée  à  Georges  Sabinus  et  à  Wierus,  et  qui  a  son  origine 
dans  les  mêmes  croyances  (6).  La  grande  ourse,  que  presque  tous 
les  peuples  de  l'Occident  ont  désignée  sous  le  nom  de  chariot,  fut 
regardée  plusieurs  fois  comme  ce  char  mystérieux  (7). 

Après  tous  ces  rapprochements ,  le  lecteur  sera  moins  éloigné  de 
croire  que  ces  légendes  d'âmes  enlevées  au  ciel  sur  des  chars  ne  pro- 
cédassent autant  du  mythe  biblique  d'Élie  que  des  sujets  des  sarco- 
phages païens.  Il  ne  serait  pas  même  impossible,  quoique  nous  sen- 
tions combien  cela  est  contestable ,  que  la  scène  d'un  caractère 
mythologique  si  évident  de  l'enlèvement  de  Proserpine  ne  fût  devenu, 

(i)  Collect.  Concil.  Mansii ,  t.  VIII,  col.  169. 

(2)  Ap.  Scriplor.  vêler,  nov.  collai.  T.  VIII ,  p.  191 ,  par.  35  (in-4  ,  1839). 

(3)  Barlholom.  Pis.  Liber  aureus,  etc.,  col.  liS. 

(4)  Voy.  Coremans,  L'année  de  l'ancienne  Belgique,  p.  33. 

(5}  Grlmin,  Tradil.  popul.  de  l'Allemagne,  trad.  Thcil.  t.  I ,  p.  439. 

(6)  Jbid.,  p.  436. 

(7)  Grimm  ,  Deutsche  mythologie ,  p  686-687,  nouv.  édit. 


DES  DIVINITÉS  ET  DES  GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  G73 

dans  l'esprit  des  Chrétiens ,  l'image  de  quelque  histoire  pieuse  et  que 
Proserpine  n'eut  été  transformée  dans  le  personnage  de  la  mère  du 
Sauveur. Proserpine  n'est  pas,  en  efl'et,  sans  quelque  analogie  avec 
Marie,  et  les  anciens  l'invoquaient,  comme  le  faisaient  les  Chrétiens 
au  moyen  âge,  pour  Notre-Dame ,  afin  de  conduire  l'âme  au  séjour 
de  la  félicité ,  comme  le  rappelle  l'inscription  trouvée  à  Venise  : 

De  même  que  les  païens  plaçaient  leurs  divinités  sur  un  char  en- 
flammé ,  les  Juifs  et  les  Chrétiens  s'imaginaient  voir  le  Tout-Puissant 
parcourir  le  firmament  porté  sur  un  semblable  véhicule.  Les  visions 
d'Ézéchiel  et  de  Daniel  en  font  foi,  et  nous  voyons,  par  la  vie  de 
saint SiméonStylite,  que  cet  ascète,  dans  ses  hallucinations,  apercevait 
Dieu  dans  ce  majestueux  cortège  (2).  Ce  n'est  que  plus  tard  que  toutes 
ces  croyances  ne  devinrent  que  des  allégories  aux  yeux  plus  éclairés 
des  Chrétiens  et  que  le  char  ne  fut  plus  conçu  que  dans  un  sens  figuré; 
si  bien  qu'Honorius  d'Autun  a  été  jusqu'à  dire  :  «  Christus  mundum 
((  intravit,  dum  chorus  prophetarum  cecinerunt,curruScripturae  vec- 
c(  tus,  sanctorum  ordinibus  comitatus  (3).  »  Métaphore  hardie  qui 
se  reproduisit  dans  l'art  et  fit  sculpter  parfois  l'Église  traînée  dans  un 
char  par  les  Évangélistes  ou  les  Pères ,  et  qui  semble  empruntée  à 
l'idée  indienne  du  char  de  Sourya,  tiré  par  les  trois  Védas  (4). 

C'était  quelquefois  seulement  sur  un  cheval  et  non  sur  un  char 
que  l'âme  était  conduite  dans  l'autre  monde.  Chez  les  Chrétiens, 
ainsi  que  nous  l'avons  déjà  fait  observer,  ce  noble  animal  était  re- 
gardé comme  la  monture  du  diable  et  de  la  Mort,  avec  laquelle  le 
diable  fut,  comme  l'on  sait,  si  fréquemment  identifié  (5).  On  se 
rappelle  la  légende  copte  d'Oriundus ,  que  nous  avons  rapportée  dans 
la  première  partie  de  notre  travail.  Les  chevaux  de  feu  sont ,  dans 
les  idées  cabalistiques,  la  monture  des  anges  (6).  Saint  Hilarion  ap- 

(1)  Muséum  Feronense ,  p.  ccclxxv.  (  Veron.  1745.) 

(2)  Bolland.  Act.  24  maii ,  p.  263. 

(3)  Gemmœ  animœ  de  Anliq.  Rit.  Missar.  Lib.  I,  c.  G.  Ap.  La  Bigne,  CoUecL 
Pair.  p.  1047,  col.  1.  Cf.  S.  Bernard,  in  Canlic.  Serm.  XXXIX,  5«  col.  1407,  ap. 
Oper.  t.  II. 

(4)  Bhagavata-Pourana ,  liv.  V,  Irad.  E.  Burnouf,  t.  H  ,  p.  475. 

(5)  Nous  renvoyons ,  pour  le  développement  de  celle  idée  ,  au  travail  que  nous 
publierons  incessamment  sur  le  personnage  de  la  Mort. 

(6)  CÎ.Prolegom.  ad  libr.  JTetzirah,  p.  16,  Serait.  III,  éd.  Riltangel.  (Anailel. 
Jf)42.) 


674  ftEVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

pelait  toujours  lediabie,  le  charretier  infernal;  il  s'imaginait  le  voir 
monté  sur  un  des  chevaux  enflammés  ou  traîné  sur  un  chariot  (1),  et 
prétendait  justifier  cette  vision  par  plusieurs  passages  de  l'Écriture, 
tels  que  ceux-ci  ;  «  Il  a  précipité  dans  la  mer  le  cheval  et  le  cava- 
c<  lier  (2),  »  ou  cet  autre  :  a  Ils  se  glorident  en  leurs  chariots  et 
«leurs  chevaux,  mais  nous,  nous  glorifierons  au  nom  du  Sei- 
«  gneur  (3).  »  Saint  Cyrille  comparait  le  diable  au  cheval  hennis- 
sant, equiis  adliinniens  (4). 

Dans  l'Apocalypse,  Oxvocrog  est  monté  sur  un  cheval  pâle  et  suivi 
par  Hadès. 

Cette  signification  symbolique  et  funèbre  du  cheval  a  été  reconnue 
par  toute  l'antiquité  (5).  Les  monuments  étrusques  nous  en  four- 
nissent une  preuve  incontestable.  Sur  une  urne,  rapportée  par  Micali 
et  Inghirami,  et  que  nous  reproduisons  pi.  XVII,  fig.  1,  on  voit  une 
ombre ,  reconnaissable  au  voile  qui  lui  cache  le  visage,  montée  sur  un 
cheval  ;  elle  est  conduite  par  le  Charon  étrusque ,  armé  de  son  lourd 
marteau,  et  est  suivie  d'un  personnage  portant  sur  l'épaule  un  havre- 
sac,  dans  lequel  M.  Inghirami  (6)  reconnaît  le  Genius  famulus  ou 
ange  gardien  du  mort,  pour  nous  servir  de  l'expression  chrétienne 
destinée  à  rendre  ce  personnage  tutélaire. 

Chez  ces  mêmes  Étrusques,  les  génies  funéraires  étaient  repré- 
sentés par  des  jeunes  gens  vêtus  d'une  simple  tunique,  arrêtant  de» 
coursiers  ailés  (7).  Des  représentations  analogues  se  trouvent  sur  les 
vases  de  la  Grande-Grèce  (8),  sur  des  marbres  grecs  et  romains  (9); 
d'où  l'on  peut  conclure ,  dit  M.  Ph.  Le  Bas,  que,  sur  tous  ces  monu- 
ments, le  cheval  appartenait  à  la  Mort  et  non  pas  au  mort  (10). 

Le  mythe  de  Pégase  paraît  s'être  même  rattaché  à  ces  idées  sym- 
boliques. C'est,  montées  sur  ce  céleste  coursier,  que  les  âmes  s'éle- 
vaient au  séjour  des  immortels.  Dans  cet  emblème,  le  cheval  père  de 

(1)  Arnauld  d'Andîlly,  f^ies  des  Pères  du  désert,  4*  édil.  t.  ï,  p.  126. 

(2)  Exod.,XV,  19. 

(3)  Psalm.  XIX,  8. 

(4)  S.  Cyrill.  Hieros.  Arch.  Cateàk.  ÎX,  c.  13 ,  p.  132  ;  Oper.  éd.  Touttée. 

(6)  Voyez  sur  le  cheval  employé  comme  symbole  funèbre,  Buonarotti,  Osserv. 
sopra  alcuni  Medaglioni,  p.  42  et  suiv.  Fabretli,  Inscript,  dynast,  c.  3  ,  29, 
p.  161-16?.  Gori,  Mus.  etrusc.  t.  III,  p.  174-175. 

(6)  Monumen.  elruse.  tav.  VU. 

(7)  Micali ,  Monumen.  ined.  t.  XIX ,  2. 

(8)  Judica  ,  ^ntiq.  d'ocrée,  pi.  XXVII,  XXVIII.  i 

(9)  Inghirami ,  Mon.  etrusc.  ser.  VI ,  tav-  B ,  2. 

(10)  rii.  Le  Bas,  Monum,  d'anliq,  figurée  recueitUpar  la  Commission  de 
Morée,  2*cali.p.  93. 


DES   DIVINITÉS   ET   DES    GÉNIES  PSYCHOPOMPES.  675 

l'Hippocrène  était  tout  à  fait  une  divinité  psychopompe.  Sur  l'agate 
de  la  Sainte-Chapelle,  on  voit  Auguste  porté  au  ciel  par  Pégase  (1). 
Sur  une  pierre  gravée  trouvée  dans  une  vigne,  près  du  CUms  Cinnœ, 
on  a  figuré  un  héros  vêtu  de  la  cuirasse  et  qui  est  porté  au  ciel  sur  des 
chevaux  ailés;  Jupiter  s'apprête  à  le  recevoir  (2).  Sur  la  célèbre 
gemme  tibérine,  Drusus  Germanicus  est  porté  au  ciel  sur  un  coursier 
ailé.  Sur  une  monnaie  de  Smyrne,  on  voit  Mercure  amener  à  Anti- 
nous, Pégase,  qu'il  retient  par  le  frein,  pour  qu'il  porte  aux  cieux  le 
favori  d'Hadrien  (3). 

C'est  à  ce  Pégase  psychopompe,  à  ce  cheval  emblème  de  l'âme,  que 
font  allusion  les  vers  d'Apollonius  de  Thyane,  rapportés  par  Philo- 
strate  (4). 

AôàvaTOç  -^yp^ï]  icoO  )(^pri^(X.<Ti  aùv  alla.  Trpovotyj; 
H  jxsrà  (TW]:za  ^ccpcc-jQiv,  ocx*  iv.  ^sc^wv  ôoOç  ltztvoç 
Vt)i§Luq  irpoQMpovacCf  xspàvvvTat  ^ept  xoûyw 
Asivïjv  xai  7ro).TJT>73Tov  à;ro<TTépÇa(Ta  ^arpetïjv  (5). 

Dans  la  poésie  du  moyen  âge,  oii  se  sont  conservés  comme  les  der- 
niers reflets  des  croyances  païennes,  dit  M.  Ph.Le  Bas  dans  une  excel- 
lente dissertation  sur  ce  sujet,  à  laquelle  nous  empruntons  les  détails 
qui  vont  suivre,  la  Mort  emporte  souvent  le  mort  sur  un  cheval.  Chez 
les  Grecs  modernes,  Caron,  le  nocher  des  enfers,  est  devenu  Xâpoç  ou 
XoipoTJTaçy  le  messager  de  la  Mort;  il  parcourt  les  montagnes  sur  son 
cheval,  faisant  marcher  les  jeunes  gens  devant  lui,  les  vieillards  derrière, 
et  emportant  les  tendres  petits  enfants  rangés  de  file  sur  sa  selle  : 

Sspvst  Toùç  air'  linzpouzà ,  toùç  yépo-JTa.q  zaTÔTrt 

Ta  rpuyspàTrat^ÔTTOuXa  'ç  tyjv  ciW  àpp(x.§LOi(TpLi-j(x.  (6). 

Le  savant  Jacob  Grimm  regarde  comme  le  résultat  d'une  influence 
toute  païenne  les  traditions  germaniques  oii  la  Mort  est  représentée 
emportant  sur  son  cheval  ceux  qui  ont  cessé  de  vivre.  On  sait  que 
c'est  le  refrain  d'une  chanson  populaire  très-répandue  : 

Der  Mond  scheint  hell 
Die  Todlen  reilen  schnell 

quia  inspiré  à  Biirger  sa  célèbre  ballade  de  Lenor,  où  un  amant,  mort 

(1)  M.  du  Mersan,  Hist.  du  Cabinet  des  Médailles,  p.  37. 

(2)  Bellori,  Pict.  vêler,  in  crypl.  roman,  lab.  IX. 

(3)  Cf.  Graevfus,  Tliesaur.  Mom.  anliq.  vol.  XI ,  p.  1887. 

(4)  Fit.  Apollon.  VIII,  31. 

(5)  Cf.  Thorlacius,  de  Pegasi  mythol.  anliq.  grœc.  Havniae,  1814  ,  in  4. 
(G)  Fauriel ,  Chants  populaires  de  la  Grèce  moderne ,  t.  H,  p.  228. 


G76  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

dans  les  pays  lointains,  vient,  à  minuit,  sur  son  cheval,  emporter  sa 
maîtresse;  légende  qui,  comme  le  remarque  le  mêmeérudit,  se  re- 
trouve dans  le  Wunderhorn ,  les  Kindermaehrchen  ,  les  Svenskavisar 
et  dans  les  traditions  serviennes  (l).  Hel,  le  dieu  de  la  mort,  chez  les 
anciens  Germains,  avait  un  cheval  ainsi  que  son  messager.  Ce  cheval 
est  encore  désigné,  en  Danemark,  sous  le  nom  de  Helhesten  (2). 
L'Ynglinga  Saga  appelle  Héla  la  déesse  à  cheval  (3). 

C'est  à  cheval  que  les  valkyries  remplissaient  leur  ministère  fu- 
nèbre. Plusieurs  expressions  proverbiales,  qui  se  sont  maintenues 
jusqu'à  nos  jours  dans  la  bouche  du  peuple,  font  allusion  à  cette 
croyance  :  ce  Quand  la  mort  çenré  graisse  no  holé,  quand  la  mort 
viendra  graisser  nos  bottes,  »  dit  un  vieux  proverbe  bourguignon.  Il 
a  offert  un  boisseau  d'avoine  à  la  Mort,  dit-on  encore  aujourd'hui  en 
Danemark,  en  parlant  d'un  individu  qui  s'est  rétabli  d'une  maladie 
dangereuse. 

Nous  ajouterons  de  nouvelles  preuves  à  l'appui  de  ces  rapproche- 
ments, que  nous  empruntons  à  MM.  J.  Grimm  et  Ph.  Le  Bas.  Dans 
diverses  parties  de  la  Belgique,  on  appelle  la  Libellule,  le  cheval  du 
diable  (4).  En  certaines  contrées,  en  effet,  le  diable  a  remplacé  la 
Mort;  on  l'a  vu  par  la  légende  que  nous  a  fournie  le  chroniqueur 
Richer.  Plusieurs  esprits  apparaissent  montés  sur  de  noirs  coursiers; 
par  exemple  les  Albs  ou  Elfs,  qui  galoppent  sur  les  chevaux  de  nuit 
(Nachtmeire)  (5),  et  le  Phooka,  se  fait  voir  aux  superstitieux  Ir- 
landais sous  la  forme  d'un  noir  destrier  (6).  C'est  sous  les  traits  d'un 
cavalier  que,  dans  maints  Sagen  allemands,  le  diable  enlève  sa 
proie  (7).  Chez  les  Scandinaves,  les  spectres  des  morts  chevauchent 
la  nuit  sur  de  ténébreuses  montures,  comme  le  fait  Sigurd,  le  meur- 
trier de  Fafner  : 

Enn  blacka  Mar 
Hest  uin  hral'-faera 

(1)  Grimm,  Deutsche  Mythologie ,  l' tAM.  p.  803. 

(2)  Cf.  Lexicon  myUiolog.  T.  III  de  VEdda  Rhythmica,  v»  Hela. 
(3;  G.  20. 

^4)  Coremans,  ouv.  cit.  p.  152. 

(5)  Coremans,  p.  99. 

(6)  Crofton  Croker ,  Fairy  Legends  of  Ireland,  p.  H. 

(7)  Voyez  la  légende  intitulée  :  Pf'ie  der  Tcufeleine  Prinzessin entfûhrte,  t.  II, 
p.  165  du  recueil  publié  par  Leibroek,  sous  le  litre  de  Die  Sagen  des  Harzes 
(Nordhausen,  1843),  et  l'histoire  rapportée  par  Godelmann  de  la  fiancée  infidèle 
que  deux  diables  vinrent  prendre  sous  la  figure  de  cavaliers,  Voy.  t.  I,  p.  161-162, 
de  F.  V.  Dobeneck,  Des  deulschen  Mittelallers  P^olksglauben  und  Heroensagen 
her.  von  Jean  Paul  (Berlin  ,  1815), 


DKS   DIVINITÉS    F.T    DKS   GKMF.S   PSYCHOPOMPKS.  077 

(lit  le  Gudrunar-llvat  (st.  18).  Ce  cheval  noir  pourrait  bien  èlie 
l'Alastor  des  Grecs. 

A  l'époque  à  laquelle  la  croyance  aux  îles  Fortunées,  séjour  où  étaient 
transportées  les  âmes  des  bienheureux,  se  fut  répandue  dans  le  monde 
païen,  on  associa  au  cheval  funéraire  le  cheval  marin,  qui  partagea  dès 
lors  avec  lui  les  fonctions  psychopompiques.  C'est  montée  sur  cet  am- 
phibie, qu'une  urne  étrusque  de  Volterra,  rapportée  par  Inghirami, 
dans  ses  monuments  étrusques  (l), offre  l'âme  qui,  dans  d'autres  mo- 
numents, est  placée  sur  un  quadrupède.  Nous  donnons,  fig.  2,  pi.  1 7, 
ce  curieux  bas-relief,  qui  indique  la  transition  des  idées  orientales  à 
un  ordre  de  croyance  dont  nous  ferons  connaître  l'origine  occidentale 
dans  un  travail  spécial  que  nous  préparons  depuis  longtemps  sur  les 
croyances  à  l'autre  vie,  dans  l'antiquité  et  au  moyen  âge  (2).  Ce  sujet 
qui  se  retrouve  sur  d'autres  monuments ,  explique  la  présence  des 
hippocampes  au  nombre  des  divinités,  figurant  sur  les  monuments, 
le  voyage  de  l'âme  aux  îles  Fortunées  (3). 

Alfred  Maury 

(l)Tav.  6,t.  I. 

(2)  Voy.  Lucernœ  ficliles  Musei  Passerini y  t.  III,  tav.  53. 
[■i)  Nous  profitons  de  celte  occasion  qui  nous  est  offerte  de  revenir  sur  la  navigation 
de  l'âme  pour  l'autre  vie,  dont  nous  avons  dit  quelques  mots  plus  haut,  pour  pré- 
venir le  lecteur  que,  lorsque  nous  avons  cité  à  ce  propos  le  bas-relief  de  la  mort  de 
Dalmacius,  à  Sémur,  que  nous  ne  connaissions  que  par  l'ouvrage  de  Laborde,  nous 
ne  savions  pas  qu'il  eût  été  récemment,  de  la  part  de  M.  Maillard  de  Chambure , 
l'objet  d'une  nouvelle  interprétation.  Cet  antiquaire  y  voit  la  mort  de  l'apôtre  saint 
Thomas.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  discuter  cette  opinion,  qui  a  été  adoptée  par 
M.  Didron  et  d'autres  archéologues.  Cette  explication  admise,  elle  ne  porterait 
d'ailleurs  aucune  alleinte  à  nos  idées;  et,  quand  nous  traiterons  tout  le  sujet  des 
idées  sur  la  vie  future,  nous  produirons  d'irrécusables  témoignages,  à  l'appui  de 
la  croyance  à  la  barque  des  ombres  ,  pendant  le  moyen-âge. 

Puisque  nous  sommes  ici  en  voie  de  rectification,  nous  nous  en  permettrons  encore 
une,  relativement  à  un  fait ,  au  reste  fort  insignifiant  pour  le  fond  de  notre  travail , 
mais  sur  lequel  VeslimablG  Auleur  d\\ Dictionnaire  Iconographique,  M.  GuenebaiuU, 
a  attiré  notre  attention  :  c'est  le  bas-relief  de  la  cathédrale  d'Arles,  représentant  la 
lapidation  d'un  saint,  de  la  bouche  duquel  l'âme  s'échappe  ,  portée  par  les  anges. 
Nous  avons  dit,  sur  la  foi  d'Alexandre  Lenoir,  de  Millin,  de  Laborde  et  plusieurs 
savants  ^Tuteurs,  que  c'est  saint  Etienne  j  M.  Guenebault  fait  judicieusement  ob- 
server que  le  costume  guerrier  donné  au  martyr,  le  glaive  qu'il  porte  au  côté, 
ferait  supposer  un  autre  personnage  qu'un  diacre;  nous  le  croyons  aussi ,  mais  il 
importe  au  reste  peu  à  notre  sujet,  de  chercher  qui  ce  peut  être,  il  nous  a  suffi  de 
voir  que  les  anges  emportaient  l'àme  du  saint.  Nous  laissons,  pour  l'instant,  à 
■L  l'érudition  iconographique  de  M.  Guenebault,  le  soin  de  déterminer  quel  est  ce  mar- 
W^    tyr,  sur  lequel  nous  aurons  au  reste  plus  tard  l'occasion  de  revenir. 


1.  44 


EXTRAITS 

D'DXE  LETTRE   DU   DOCT.  LEPSIUS  A  M.  LETRONNE. 


Cette  lettre,  une  des  plus  intéressantes  que  le  savant  voyageur  ait 
écrites,  est  en  français,  datée  de  Thèbes,  du  l^''  décembre.  Elle  a  été 
mise  à  notre  disposition-  par  M.  Lelronne,  qui  nous  a  indiqué  les 
passages  contenant  des  renseignements  utiles  à  l'histoire  ou  à  l'ar- 
chéologie, auxquels  il  a  joint  quelques  remarques.  Nous  avons  pris 
sur  nous  d'ajouter  aux  passages  que  ce  savant  nous  avait  signalés, 
celui  qui  contient  le  jugement  du  docteur  Lepsius,  sur  le  premier  vo- 
lume du  Recueil  des  Inscriptions  grecques  de  V Egypte.  Il  nous  a  paru 
que  nos  lecteurs  verraient  avec  plaisir  ce  témoignage  rendu  par  un 
voyageur,  qui,  sur  les  lieux  mêmes  vérifie  et  confirme  les  résultats  que 
l'érudit  devine  du  fond  de  son  cabinet.  A  ce  sujet,  nous  nous  sommes 
souvenu  de  ce  que  M.  Letronne  dit  lui-môme  dans  l'introduction  de 
son  ouvrage  (pi.  XL).  «  On  a  tant  abusé  de  l'érudition,  et  certains 
(c  esprits  aventureux  en  abusent  encore  tellement  de  nos  jours,  que 
«  nous  voyons  un  grand  nombre  de  personnes  instruites  et  judicieuses 
((  l'estimer  fort  peu,  dans  l'idée  qu'elle  mène  le  plus  souvent  à  des 
«  résultats  arbitraires  ou  capricieux,  à  des  hypothèses  sans  réalité, 
«  ni  fondement.  Il  n'est  donc  pas  inutile  de  saisir  les  occasions  de 
«  montrer  qu'elle  a  des  procédés  susceptibles  de  toute  la  rigueur  qu'on 
«  reconnaît  à  ceux  des  autres  sciences.  »  E.  V. 

a  .......  Je  me  hâte  maintenant  de  répondre  à  votre  lettre  et 

de  vous  dire  bien  des  remercîments  pour  votre  excellent  ouvrage , 
le  premier  volume  de  vos  Inscriptions  de  V Egypte, 

(( Permettez -moi  de  vous  exprimer  toute  l'admiration 

et  tout  le  plaisir  que  je  sens  toujours  de  nouveau  chaque  fois  que  je 
prends  votre  ouvrage  à  la  main.  Il  m'est  arrivé  plus  d'une  fois  de  véri- 
fier vos  conjectures  ou  vos  restaurations,  et  je  les  ai  presque  toujours 
trouvées  ou  littéralement  ou  essentiellement  vraies.  C'est  là,  sans 
doute,  la  meilleure  preuve  de  la  finesse  et  de  l'autorité,  si  je  puis 
m'exprimer  ainsi,  de  votre  critique;  c'est  pourtant  le  parti  que  vous 
en   tirez  que  l'on  suit  encore  avec  plus  déplaisir;  car  l'érudition 


LETTRE  DU   DOCTEUR  LEPSIUS  A   M.   LETRONNE.  679 

aussi  vaste  que  solide  avec  laquelle  vous  mettez  chacun  de  ces  nom- 
breux faits,  comme  autant  de  pierres  précieuses,   à  sa  place  dans  le 
grand  tissu  de  l'histoire,  vient  toujours  si  à  propos  et  semble  si  natu- 
relle que,  loin  de  nuire  à  la  clarté  de  l'exposition,  elle  contribue 
plutôt  essentiellement  par  sa  grande  variété  à  faire  de  ce  livre  si 
profond  à  la  fois  un  livre  agréable  et  amusant.  11  vous  paraîtra  peut- 
être  bien  superflu  d'entendre  de  ma  bouche  des  éloges  qui  vous  auront 
été  offerts  par  tant  de  personnes  dont  le  jugement  a  tout  un  autre 
poids  que  le  mien  ;  mais  je  crois ,  d'un  autre  côté ,  qu'il  y  aura  peu  de 
personnes  pour  lesquelles  votre  livre  soit  venu  aussi  à  propos  que  pour 
moi,  et  qui  aient  eu  l'occasion  de  le  lire  sous  de  pareilles  impressions, 
c'est-à  dire  en  face  des  originaux  mêmes  que  vous  décrivez,  commen- 
tez ,  restaurez,  et  qui  par  conséquent  aient  pu  immédiatement  pro- 
fiter autant  que  moi  de  l'érudition  rare ,  saine  et  applicable  à  tant 
d'autres  sujets  qui  m'occupent.  C'est  donc  un  sentiment  sincère  aussi 
bien  d'admiration  que  de  gratitude  qui  m'a  engagé  à  vous  redire  ce 
que  vous  aurez  entendu  sortir  de  bouches  beaucoup  plus  éloquentes 
et  plus  compétentes  que  la  mienne. 

« J'ai  lu,   il  y  a  peu  de  temps,  dans  la    Gazette  de 

Prusse,  votre  article  sur  le  décret  de  l'ihscription  de  Rosette,  que  j'ai 
trouvé  snrnn  mur  palimpseste  à  Philes;  jen'ai  pas  reçu  celui  du  jour- 
nal anglais,  et  comme  M.  Bunsen  ne  m'a  jamais  donné  d'éclaircisse- 
ments sur  le  malentendu  bien  étrange  qui  doit  avoir  eu  lieu  dans  la 
publication  de  la  Gazette,  je  ne  puis  pas  vous  l'expliquer  non  plus. 
Mais  vous  vous  serez  probablement  déjà  aperçu  que  ce  n'est  pas  moi 
qui  ai  pu  donner  occasion  à  cet  article  (l).... 

«  Voici  le  passage  liltéralement  traduit  de  ma  lettre  à  cet  illustre 
ami ,  que  je  trouve  heureusement  dans  mon  copy-book  :  «A  Philes, 
((j'ai  fait  la  découverte  d'une  copie  du  décret  de  l'inscription  de  Ro- 
((  sette;  la  partie  hiéroglyphique  a  déjà  été  observée  par  Sait,  comme 
((j'ai  vu  après;  le  texte  démolique  n'a  été  mentionné  par  personne, 
((autant  que  je  sache;  Champollion  n'en  dit  rien  dans  ses  lettres; 
((  il  semble  qu'il  n'y  a  pas  fait  attention  ;  cette  inscription  est  d'une 
((  grande  importance ,  parce  qu'elle  répète  le  décret  mot  à  mot  et 

(1)  Ceci  se  rapporte  à  la  nouvelle  donnée  par  la  Literary  Gazelle  ,  que  M.  Lep- 
sius  avait  retrouvé  un  nouvel  exemplaire  de  Y  inscription  de  Roselte  à  Méroé. 
J'avais  annoncé,  dans  le  Journal  des  Débats ,  que  la  circonstance  de  Méroé  était 
fausse  ;  ce  qui  fut  reconnu  plus  tard.  Le  passage  de  la  lettre  du  docteur  Lepsius  n'en 
est  pas  moins  curieux,  parce  qu'il  explique  très-clairement  en  quoi  consiste  la  dé- 
couverte du  docteur  Lepsius ,  que  Sait  avait  déjà  soupçonnée.  On  trouvera  dans  la 
Eevue  (liv.  I ,  p.  62  et  suiv.  )  tout  ce  qui  ?e  rapporte  à  cet  incident.  —  L. 


G80  RRVUK    AHCHKOLOGIQUK. 

«  même  en  conservant  la  môme  longueur  des  lignes;  aussi  la  fin  du 
«  décret,  relative  à  l'écriture  triple,  s'y  trouve,  quoique  le  texte  grec 
«  ne  soit  pas  ajouté,  à  moins  qu'il  n'ait  été  mis  au  bas  en  lettres  peintes 
«  en  rouge,  qui  se  seront  effacées.  Une  bonne  partie  du  coin  qui  man- 
«  que  au  bas  de  la  pierre  de  Rosette  pourra  être  restaurée  d'après 
«  notre  inscription,  ce  qui  sera  toujours  un  grand  avantage  pour  la 
«  philologie  égyptienne;  la  partie  démotique  est  aussi  très-bien  con- 
c(  servée  partout  où  les  lettres  ne  sont  pas  enlevées  par  les  hiéroglyphes 
c(  que  Ptolémée  Dionysos  11(1)  a  mis  par-dessus  (2).  A  côté  de  ce  décret 
((  est  un  autre  également  bilingue ,  et  avec  la  même  fin  relative  aux 
c(  trois  écritures  (3),  mais  avec  l'indication  d'un  autre  endroit  où  ce 
((  décret  devait  trouver  sa  place  dans  les  temples.  J'ai  trouvé  ^dans 
<(  celui-ci,  pour  la  première  lois ,  le  nom  de  la  ville  d'Alexandrie.  Je 
((  ferai  dessiner  des  inscriptions  d'après  les  empreintes  que  j'en  ai 
«  prises;  après,  je  pourrai  en  dire  davantage.  »  Je  serai  bien  aise,  si 
vous  trouviez  une  occasion  de  revenir  sur  la  communication  faite  de 
la  Literary  Gazette,  qui  devait  beaucoup  me  surprendre;  car  je  n'ai- 
merais point  que  le  public  me  crût  capable  dans  un  seul  cas  de  le 
mystifier  par  des  exagérations  ou  même  par  des  inventions  pareilles... 
«  Vous  aurez  peut-être  lu  j[4)  que  j'ai  trouvé  sur  la  base  de  l'obé- 
lisque que  M.  Bankes  a  laissé  à  Philes,  les  traces  d'une  quatrième 
inscription  grecque,  en  grandes  lettres  peintes,  de  cinq  ou  six  lignes 
au  moins.  Malheureusement  l'existence  d'une  telle  inscription  est  tout 
ce  qu'on  peut  affirmer;  il  sera  toujours  impossible  de  la  déchiffrer; 

(1)  Ce  roi  est  Ptolémée  Xlf ,  quia  régné  avec  sa  sœur,  la  fameuse  Cléopâtre,  dans 
les  années  52  à  48  avant  notre  ère.  C'est  à  torique  les  chronologistes  l'avaient  ap- 
pelé Dionysos,  comme  je  l'ai  fait  voir  dans  mon  second  volume  (inédit),  p.  85- 
95.  —  L. 

(?)  Ce  iaii  d'hiéroglyphes  gravés,  au  temps  de  Ptolémée  XII,  par-dessus  une  in- 
scription démotique  du  temps  à'Iipiphane,  est  des  plus  curieux,  et  jusqu'à  présent 
unique.  Mais  il  ne  surprendra  point  ceux  qui  connaissent  les  bas-reliefs  égyptiens 
sculptés  par-dessusdes  inscriptions  grecques  du  temps  de  Ptolémée  Dionysos,  au  grand 
pylône  de  Philes.  —  L. 

(3)  Ceci  se  rapporte  à  la  dernière  phrase  de  l'inscription  de  Piosette,  où  il  est  dit 
que  le  décret  doit  être  gravé  en  trois  caractères  :  sacrés,  locaux  et  grecs. 

(4)  Je  n'avais  pas  connaissance  de  ce  fait;  mais  il  n'a  rien  que  de  fort  naturel.  Sur 
le  piédestal  de  l'obélisque  sont  trois  inscriptions  :  1»  la  pétition  des  prêtres  de 
Philes  ;  2»  le  rescript  royal  qui  leur  accorde  leur  demande;  3°  la  lellre  d'avis  de 
répistolographe(V.  mon  Recueil  des  Inscriptions,  t.  I,  n°' XXVI  et  XXVII").  Il 
manquait  donc  la  réponse  des  prêtres  soit  au  roi  soit  à  Vépislolographe,  contenant 
l'expression  de  leur  gratitude.  C'est  sans  doute  là  le  sujet  de  la  quatrième  inscription 
trouvée  sur  la  base  de  l'obélisque,  malheureusement,  à  ce  qu'il  parait,  dans  un 
état  désespéré.  —  L. 


LETTRE   DU  DOCTEUR  LEPSIUS  A   M.   LETROJ\i\E.  681 

je  m'en  suis  convaincu  de  nouveau  pendant  notre  dernier  séjour  à 
Philes. 

«  Vous  reprendrez  peut-être  un  jour  votre  intéressante  et  judi- 
cieuse discussion  sur  le  possesseur  du  nom  d'Eupator  (l)...  Je  crois 
avoir  trouvé  dans  les  inscriptions  hiéroglyphiques  non-seulement 
Eupator  (seul  et  sans  femme),  avant  les  Philométores ,  mais  encore 
un  Ptolémée  Philopator,  non  marié  après  les  Philométores  et  avant 
les  Evergètes,  qui  ne  saurait  être  un  autre  que  le  fils  de  Philométor, 
tué  parÉvergète  III;  enfin,  il  y  a  aussi  des  monuments  d'un  Ptolémée 
Évergète,  fils  d'Evergète  II,  qui  ne  peut  être  que  le  Memphites  des 
écrivains,  et  qui  doit  avoir  régné  depuis  132  à  127  avec  sa  mère 
Cléopâtre  II,  pendant  que  son  père  était  chassé  de  l'Egypte. 

«  Notre  collection  d'inscriptions  de  tout  genre  gagne  tous  les  jours. 
Je  ne  sais  pas  combien  de  centaines  d'inscriptions  grecques  il  y  a 
déjà  dans  nos  caisses,  dont  six  ou  sept  ne  contiennent  que  des  em- 
preintes en  papier.  Elles  sont  pour  la  plupart  déjà  déposées  au  Caire; 
mais  je  me  ferai  un  grand  plaisir  de  vous  communiquer  après  mon 
retour  tout  ce  que  vous  voudriez  me  désigner  de  particulier  pour 
compléter  votre  travail  et  pour  aider  vos  recherches  sur  une  partie  de 
l'antiquité  égyptienne ,  dont  la  conquête,  pour  ainsi  dire ,  ne  vous 
sera  jamais  disputée  par  personne. 

«  Vous  avez  désiré  que  je  vous  indiquasse  la  place  des  inscrip- 
tions gravées  au  côté  gauche  du  grand  pylône  de  Philes.  Nous  avions 
cette  île  déjà  derrière  nous  lorsque  j'ai  reçu  votre  lettre;  mais  j'avais 
pensé  moi-même  à  l'utilité  d'une  telle  indication,  et  je  vous  envoie  le 
calque  d'une  esquisse  que  j'ai  fait  faire  à  cet  effet  avec  le  commence- 
ment des  inscriptions  (2). 

«Philes  (dont  j'ai  trouvé  le  nom  hiéroglyphique  P-i-lek  en  toutes 
lettres,  sans  et  avec  l'article  P)  est  sans  doute  l'endroit  le  plus  riche 
en  inscriptions ,  après  Thèbes ,  et,  quoique  nous  ayons  tâché  d'être 
complet,  sous  ce  rapport,  il  y  en  aura  pourtant  encore  qui  nous  seront 


(1)  Cette  observation  est  relative  au  nom  du  dieu  Eupator  qui  se  trouve  dans  la 
liste  des  Ptolémées,  en  tête  des  actes  officiels,  placé  tantôt  avan^  tantôt  après  Phi- 
lométor. Elle  tend  à  montrer,  comme  l'avait  pensé  M.  ChampoUion-Figeac,  que 
cet  Eupator  est  réellement  le  Gis  de  Philométor,  tué  par  Évergète  II.  J'avais  cru 
que  ce  nom  était  un  double  titre  de  Philométor.  Les  difficultés  qui  m'avaient  arrêté 
subsistent  encore. —  L. 

(2)  Ce  calque  indique  la  place  relative  des  inscriptions  du  pylône.  Quoique 
cette  partie  de  mon  ouvrage  soit  imprimée  et  tirée  ,  dans  mon  second  volume 
(p.18-124),  le  calque  arrive  assczâ  temps  pour  prendre  sa  place  dans  l'AUas.  —  L. 


68-2  UEVUi;   ARCHÉOLOGIQUE. 

échappées.  Vous  aurez  probablement  l'intéressante  inscription  chré- 
tienne (l)  sur  l'érection  du  quai  oriental  de  l'île,  ainsi  que  les  deux 
incriptions  bilingues  (grecques  et  démotiques)  (2)  d'un  certain 
Ap-nxYidLç  Aap.wviOLi  (si  je  me  rappelle  bien);  un  proscynème  fait  au 
nom  d'un  roi  éthiopien,  dont  le  nom  est  assez  barbare  (3)  ;  trois  ou 
quatre  inscriptions  ptolémaïques  (i)  appartenant  aux  plus  anciennes 
de  l'île,  qui  se  trouvent  employées  comme  matériaux  dans  le  quai  occi- 
dental. J'ai  quarante-six  inscriptions  (5)  d'un  petit  temple  creusé  dans 
le  roc,  sur  la  route  d'Edfou  aux  mines  d'émeraude,  à  une  journée  du 
fleuve.  Les  inscriptions  les  plus  méridionales  que  nous  ayons  trouvées 
sont  du  Ouadi-Sofra  (Meçaurad  de  Cailliaud),  un  peu  au  midi  de 
Chendi,  dans  le  désert,  et  une  vingtaine  à  peu  près  d'inscriptions 
grecques  et  coptes  funéraires  (6)j  d'un  couvent  dans  le  désert,  vis-à- 
vis  de  Barkal,  à  quelques  heures  du  fleuve.  Je  suis  très-curieux  de 
connaître  votre  opinion  sur  l'inscription  très-curieuse  d'Abou  Simbel, 
que  je  n'ai  pas  vue,  à  ce  que  je  sache,  dans  le  Corp.  inscr.  de  Boeckh 
(mais  peut-être  je  me  trompe)  (7),  quoiqu'elle  appartienne  aux  plus 
anciennes,  peut-être  la  plus  ancienne  de  toutes,  si  elle  appartient 
réellement,  comme  elle  le  prétend,  au  règne  de  Psammétique;  aussi 
les  inscriptions  deGertassi  sont  un  genre  à  part;  vous  les  avez  peut- 
être  déjà   publiées.   Est-ce  que  vous    connaissez   une  inscription  , 

(i)  Non-seulement  j'ai  celle  inscriplion,  découverte  par  M.  Lenormant,  mais  je 
l'ai  publiée  et  expliquée  il  y  a  quinze  ans,  dans  un  Mémoire  lu  à  l'Académie  en 
mars  1830,  et  publiée  dans  le  l.  X  (  p.  lOo)  de  ses  Mémoires.  —  L. 

(2)  Elles  avaient  été  copiées  déjà  par  M.  Gau  et  M.  Lenormant;  elles  sont  expli- 
quées p.  184-186  de  mon  deuxième  volume.  Quant  au  texte  déniolique,  il  existe 
dans  les  notes  deChampollion,  que  l'on  imprime  en  ce  moment.  —  L. 

(3)  Sir  G.  Wilkinson  me  l'a  fait  connaître,  et  je  l'ai  expliqué  (p.  224-228  de  mon 
second  volume).  —  L. 

(4)  Celles-ci ,  je  ne  les  connais  pas  ;  elles  n'avaient,  je  crois ,  été  vues  par  aucun 
voyageur.  —  L. 

(5)  Cailliaud  a  le  premier  appelé  l'altention  sur  ce  lieu,  nommé  par  les  anciens 
l'Hydreuma  du  Panium  (à  présent  Ouadi  Genisseh),  s'ilué  à  l'entrée  d'une  route 
transversale  qui  d'Edfou  se  rendait  aux  mines  d'émeraude.  Il  avait  copié  cinq  des 
inscriptions  gravées  sur  les  parois  d'un  petit  temple  ;  les  autres  ont  été  copiées  par 
Sir  G.  Wilkinson  ,  qui  me  les  a^communiquées  ,  au  nombre  de  vingt-six  ;  elles  >.ont 
expliquées  dans  mon  second  volume ,  dont  elles  occupent  les  p.  239  à  255.  Le  docteur 
Lepsius  dit  en  avoir  copié  quaranle-six ;  c'est  vingt  de  plus  que  je  n'en  connais. — L. 

(G)  Noire  savant  voyageur  ne  dit  pas  si  elles  sont  de  l'époque  chrétienne.  Pour 
moi ,  je  n'en  doute  guère.  —  L. 

(7)  On  ne  la  rencontre  pas,  en  elTet,  dans  le  Corpus.  Elle  n'était  pas  connue  lors 
de  l'impression  du  premier  volume  de  cet  ouvrage.  Elle  a  été  publiée  pour  la  première 
fois  en  1827,  par  M.  le  colonel  Lcake  {Principaux  monuments  égypl.  du  British 
muséum,  p.  25).  M.  Lepsius  paraît  en  soupçonner  l'époque.  —  L. 


LETTRE   DU  DOCTEUR  LEPSIUS  A  M.   LETRONNE.  683 

aussi  barbare  dans  son  langage  quelle  est  nette  et  belle  dans  ses  traits, 
que  j'ai  trouvée  à  Kalabsché?  Elle  conamence  ainsi  : 

£niO0N01Na>YAAPX0  rAMATIOANTyeNOAnCI  (C), 

suivent  encore  quinze  lignes  ;  j'en  ai  envoyé  dernièrement  une  copie 
à  M.  Boeckh,  à  l'occasion  d'une  lettre  de  remercîments  pour  l'hon- 
neur que  l'Académie  de  Berlin  m'a  fait,  en  me  nommant  son  membre 
correspondant  (1). 

«  J'ai  rassemblé  enfin  un  très-grand  nombre  d'inscriptions  démo- 
tiques et,  ce  qui  est  plus  important,  d'inscriptions  éthiopiennes.  Je 
me  crois  autorisé  à  les  appeler  ainsi,  après  avoir  acquis  la  conviction 
qu'elles  contiennent  le  langage  des  habitants  de  Méroé  à  l'époque  de 
sa  splendeur^  J'ai  trouvé  ces  inscriptions  dans  les  pyramides  de  Méroé, 
appartenant  aux  représentations  mêmes  des  chambres;  elles  s'y  trou- 
vent quelquefois  à  côté  d'inscriptions  hiéroglyphiques  assez  barbares. 
La  population  de  l'ancienne  Méroé  (dont  les  monuments  sont  irré- 
vocablement ce  qu'il  y  a  de  plus  moderne  parmi  les  antiquités  de  la 
haute  vallée  du  Nil)  descendait  jusqu'aux  frontières  de  l'Egypte;  j'ai 
trouvé  un  temple  éthiopien  érigé  par  les  mêmes  rois  et  reines  qui  bâ- 
tissaient les  temples  de  Naga  et  les  pyramides  de  Méroé ,  dans  le  pays 
des  Cataractes,  à  Amara,  et  des  représentations  avec  leurs  inscrip- 
tions, jusqu'à  Philes.  Je  crois  même  pouvoir  prouver,  et  j'en  ai  donné 
les  raisons  générales  dans  un  Mémoire  envoyé  à  l'Académie  de  Berlin, 
que  la  langue  éthiopienne  de  l'ancienne  Méroé  existe  encore,  et  quelle 
est  parlée  par  la  population  très-étendue  de  Bicharîba  (en  arabe  Bicha- 
reîn),  qui  occupe  toutes  les  contrées  de  l'est,  depuis  le  23"  jusqu'au 
1 5",  et  les  provinces  fertiles  de  Taka,  qui  s'étaient  révoltées  dernière- 
ment contre  les  Turcs,  pendant  que  nous  étions  là-haut.  J'ai  étudié 
autant  que  j'ai  pu,  pendant  les  dix  mois  que  j'ai  passés  en  Ethiopie, 
les  langues  principales  de  ces  pays,  notamment  le  nubien,  dans  la 
vallée  du  Nil,  depuis  Assouan  jusqu'à  la  frontière  deDongola ,  le  kon- 
gara  des  gens  du  Darfour,  et  le  béga  des  Bicharîba;  et  j'ai  trouvé  que 
cette  dernière  langue  est  une  branche  très-intéressante  de  la  famille 
caucasienne^  quoiqu'elle  s'éloigne  beaucoup  de  la  langue  égyptieime. 
Je  me  suis  aussi  parfaitement  convaincu  que  les  Éthiopiens,  du  temps 
des  anciens  Pharaons,  n'avaient  presque  rien  de  commun  avec  les 
Égyptiens  comme  peuple,  et  que  les  anciennes  traditions  de  la  haute 

(1)  Je  viens  de  voir  une  copie  de  ceUe  inscription  dans  le  Rapport  mensuel  de 
V Académie  de  Berlin  nov.  1844).  Elle  est  pour  moi ,  comme  pour  le  docteur  Lep- 
sius,  une  énigme ,  quant  à  présent,  indéchiffrable. —L. 


684  UEVLE   ARCHÉOLOGIQUE. 

civilisation  éthiopienne  s'explique  maintenant  d'une  manière  très- 
difl'érente,  mais  assez  satisfaisante,  par  le  rôle  important  que  la  civi- 
lisation égyptienne  jouait  en  Ethiopie  depuis  2,000  ans  avant  J.-C. 

((  J'ai  parcouru  l'Ethiopie  jusqu'au  13**  (les  pays  au-dessous  de 
Khartoum  avec  un  seul  ami  )  ;  mais  quoique  nous  nous  soyons  trouvés 
une  fois  presque  au  milieu  d'un  grand  soulèvement  des  nègres  de 
l'armée  et  des  esclaves  du  Sennaar,  et  que  nous  eussions  à  supporter 
ABarkal  une  chaleur  de  40"  Réaumur,  à  l'ombre  (le  saBle  en  avait 
54),  nous  avons  toujpurs  été  en  bonne  santé  et  en  bonne  humeur, 
grâce  à  Dieu. 

((  Je  ne  crois  pas  que  nous  pourrons  quitter  Thèbes  avant  la  fin  du 
mois  de  février;  nous  ne  sommes  qu'au  commencement  de  l'exploi- 
tation du  côté  ouest,  après  le  premier  mois.  J'avais  commencé  par 
faire  des  fouilles  dans  le  palais  de  Rhamsès,  que  je  regarde  encore 

comme  l'original  de  la  description  d'Hératée  (l) Toute 

la  partie  postérieure  était  encore  parfaitement  inconnue;  les  parois 
et  les  colonnes  avaient  entièrement  disparu;  mais  nous  avons  re- 
trouvé les  fondements  dans  le  rocher,  de  manière  que  nous  avons  pu 
refaire  tout  le  plan  sans  aucune  conjecture.  La  commission  de  l'Egypte 
l'avait  supposé  beaucoup  trop  long,  M.  Wilkinson,  trop  court.  Après 
l'hypostyle  suivent  trois  chambres  égales,  à  huit  colonnes,  et  une  qua- 
trième à  quatre  colonnes,  toutes  entourées  de  petites  chambres  et  de 
corridors  à  piliers  (2);  mais,  ce  qui  est  bien  curieux,  nous  avons  trouvé, 
dans  toute  cette  partie  du  temple  une  infinité  de  tombeaux  creusés  dans 
le  roc,  au-dessous  des  fondations,  contemporains,  postérieurs,  et 
même  quelquefois  antérieurs ^  à  l'érection  du  temple  ;  de  même,  les 
grandes  constructions  voûtées  en  briques  sont  toutes  remplies  de  tom- 
beaux, et,  en  partie  au  moins,  du  temps  desRhamessides;  les  construc- 
tions mêmes  appartiennent  réellement,  dans  toutes  ces  parties,  au 
temps  de  Rhamsès  (3)  ;  car,  ce  qui  paraît  avoir  échappé  à  Champollion 


(1)  Il  s'agit  du  fameux  tombeau  d'Osymandyas.  Que  sa  description  dans  Diodore 
de  Sicile  convienne  mieux  au  ^/lamuséum  qu'aux  autres  édifices  de  Thèbes,  je 
ne  l'ai  jamais  mis  en  doute;  mais  que  ce  ne  soit  pas  le  Jthamuséum ,  cela  résulte 
des  différences  entre  les  deux  descriptions,  et  surtout  de  cette  circonstance  qu'Hé- 
catéc  et  Diodore  de  Sicile,  ont  donné  le  tombeau  d'Osymandyas  comme  un  monu- 
ment déjà  détruit  au  temps  de  rtoléméc  Lagus.  —  L. 

(2)  Toute  celte  description  paraît  assez  conforme  au  plan  de  Huyot  dressé  pour  mon 
Mémoire  sur  le  Tombeau  d'Osymandyas.  On  n'apprécierait  bien  les  différences  que 
si  l'on  avait  sous  les  yeux  le  plan  du  docteur  Lepsius.  —  L. 

(3;)  Ce  renseignement  est  très-curieux.  Il  confirme  mon  idée  sur  la  destination 
funéraire  du  Rhamessétim.  [Sur  le  tomb.  d'Osymandyas,  p.  16.  )  —  L. 


LETTRE    DU   DOCTEUR  LEPSIUS   A   M.   LETROIVNE.  685 

et  à  Wilkinson,  qui  n'en  disent  rien  (l),  partout  les  briques  portent  le 
cachet  de  RhamsèsMiamun,  tantôt  avec,  tantôt  sans  Tépithète  :  «  Ap- 
prouvé par  le  Soleil.  »  Aussi  les  autres  pièces,  les  enceintes  des  pre- 
mières cours  et  de  l'hypostyle  ont  un  peu  changé,  ainsi  que  Tarrange- 
ment  des  colonnades  de  la  première  cour,  dans  laquelle  s'ouvrait,  du 
côté  sud-ouest,  un  autre  petit  temple  du  même  temps  que  le  grand; 
un  troisième  s'adossait  du  côté  nord -ouest. 

« Je   croyais  avoir  trouvé  quatre  différents  canons  des 

proportions  humaines,  dont  j'appelais  les  deux  derniers  le  canon  grec 
et  le  canon  romain  ;  je  dois  rectifier  cela,  en  ce  que  j'ai  trouvé,  à 
mon  retour  à  Ombos,  que  ces  deux  canons  reviennent  au  même,  si  on 
les  considère  comme  il  faut;  tous  les  deux  s'accordent  parfaitement 
avec  le  canon  de  Diodore,  de  vingt-et-une  parties  et  un  quart,  parce 
qu'il  faut  compter,  comme  dans  les  canons  anciens,  seulement  jus- 
qu'au front;  mais  le  pied  n'était  plus  l'unité  comme  autrefois. 

((  Quanta  votre  intéressantchapitresurles  honneurs  divins  quePto- 
lémée  Philadelphe  accordait  à  ses  parents,  notamment  aussi  à  sa  se- 
conde sœur,  Philotéra,  je  puis  vous  dire  que  j'ai  trouvé  à  Edfou 
Évergète  II  adorant  Philadelphe  et  Arsinoé,  et,  immédiatement  au- 
dessous,  le  même  adorant  Philadelphe  et  Philotéra,  et  que  je  con- 
naissais déjà  auparavant  une  stèle,  au  musée  Britannique,  sur  laquelle 
un  prêtre  (prophète)  de  Philotéra  est  mentionné  (2) » 

(1)  Ces  cartouches  n'avaient  pas  échappé  à  Huyot;  il  les  a  indiqués  ,  si  je  ne  me 
trompe,  sur  un  de  ses  dessins.  —  L. 

(2)  Dans  mon  premier  volume  (p.  184  et  suiv.),  j'avais  montré  que  Philadelphe 
avait  eu  une  autre  sœur  qu'Arsinoé  ;  que  celte  sœur  nommée  Philotéra  avait,  comme 
l'autre,  été  chérie  de  son  frère,  qui  lui  avait  fait  rendre  aussi  des  honneurs  divins,  et 
avait  donné  son  nom  à  trois  des  villes  qu'il  fonda  en  différentes  contrées.  Ce  sont 
ces  résultats,  fondes  en  grande  partie  sur  le  passage  d'un  historien  contemporain 
(Lycus) ,  caché  dans  une  scolie  corrompue  de  Théocrite,  que  le  docteur  Lepsius  a 
trouvés  confirmés  par  les  monuments  égyptiens  qu'il  cite.  —  L. 


A  M.  L'EDITEUR  DE  LA  REVUE  ARCHEOLOGIQUE. 

Paris,  le  2  janvier  1845. 

Monsieur  , 

Quelques  jours  après  mon  retour  de  la  mission  que  je  viens  de  rem- 
plir dans  le  Levant,  je  me  suis  empressé  de  parcourir  l'intéressante 
Revue  dont  vous  avez  entrepris  la  publication  ,  et  j'y  ai  lu  avec  un 
grand  intérêt,  dans  le  second  numéro  publié  au  mois  de  mai  1844, 
le  rapport  adressé  à  M.  Villemain,  le  3  août  1843,  par  M.  Egger, 
secrétaire  du  Comité  chargé  de  proposer  le  plan  et  les  principales  di- 
visions d'un  recueil  général  des  inscriptions  latines;  toutefois  je  n'ai 
pu  voir,  sans  quelque  surprise,  que  mon  nom  n'y  était  cité  qu'à  l'oc- 
casion de  mes  découvertes  récentes ,  bien  que  j'eusse  des  droits  à 
l'honneur  d'une  tout  autre  mention,  comme  ayant,  depuis  dix  ans, 
tenté  publiquement  de  réaliser  un  projet  offrant  la  plus  grande 
analogie  avec  celui  qui  est  aujourd'hui  en  voie  d'exécution  par  les 
soins  du  savant  rapporteur.  En  effet,  monsieur,  dès  le  30  avril  1835, 
j'avais  proposé  à  M.  Guizot,  alors  ministre  de  l'instruction  publique , 
de  joindre  à  la  collection  de  documents  relatifs  à  notre  histoire  na- 
tionale un  recueil  complet  de  toutes  les  inscriptions  relatives  soit  à 
la  Gaule,  soit  à  la  France.  Mon  projet,  soumis  à  l'Académie  des 
Inscriptions ,  avait  été  approuvé ,  à  quelques  modifications  près,  et 
M.  Guizot  paraissait  disposé  à  y  donner  suite,  quand  des  circonstan- 
ces inattendues  l'empêchèrent  de  réaliser  ses  bonnes  intentions. 
Mon  idée  fut  reprise  plus  tard,  en  1839,  par  le  Comité  des  Beaux- 
Arts,  que  M.  de  Salvandy  venait  de  créer,  ce  qui  donna  lieu  à  une 
juste  réclamation  de  la  part  du  Comité  des  Chartes,  Diplômes  et  In- 
scriptions dont  je  faisais  partie ,  et  amena  une  polémique  courtoise  en- 
tre M.  Mérimée  et  moi,  dans  le  Journal  Général  de  l Instruction  publi- 
que,  dont  M.  Egger  était  déjà  à  cette  époque  un  des  rédacteurs  les 
plus  actifs.  Mes  collègues  me  demandèrent  alors  un  plan  de  publi- 
cation; je  m'empressai  de  répondre  à.  leur  désir.  Mes  propositions 
furent  adoptées  dans  la  séance  du  10  mai  1839,  et  M.  le  ministre 
fut  prié  de  vouloir  bien  me  charge;^  de  la  publication  du  recueil 
projeté. 

L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  instruite  de  ce  pro- 
jet, en  revendiqua  l'exécution  comme  lui  appartenant  à  plus  d'un 
titre.  Une  commission  fut  nommée  pour  lui  présenter  un  rapport  à 


A   M.    L'ÉDITEUR   DE   LA   REVUE   ARCHÉOLOGIQUE.  687 

cet  égard  ;  j'en  faisais  partie ,  et  fus  choisi  à  l'unanimité  par  mes  collè- 
gues pour  proposer  à  la  compagnie  la  marche  à  suivre  dans  l'exécution 
du  travail  qui  devait  paraître  sous  ses  auspices.  Mon  rapport,  lu  dans 
la  séance  du  l*''"  juin,  reproduisait  la  plupart  des  faits  contenus  dans 
celui  que  j'avais  présenté  deux  mois  avant  au  Comité  des  Chartes, 
Diplômes  et  Inscriptions;  il  fut  écouté  favorablement,  mais  une  dis- 
cussion s'engagea  sur  la  nature  même  de  l'ouvrage  en  question.  Plu- 
sieurs membres,  dont  l'opinion  était  parfaitement  d'accord  avec  la 
mienne,  pensèrent  que  ce  n'était  pas  un  recueil  des  inscriptions  latines 
delà  Gaule  et  de  la  France  qu'il  l^illait  entreprendre,  mais  bien  un 
Corpus  inscriplionum  latinaram  à  l'instar  du  Corpus  inscriplionuin  grœ- 
caruïïiy  publié  par  M.  Boeckh  au  nom  et  aux  frais  de  l'Académie  de 
Berlin.  On  parut  s'arrêter  à  cet  avis,  plusieurs  de  mes  confrères  se  le 
rappellent  encore;  et  c'est  sous  l'influence  de  cette  idée  que  mon  rap- 
port fut  renvoyé  à  la  commission  des  travaux  littéraires  pour  qu'elle 
s'occupât  de  présenter  des  renseignements  positifs  sur  les  moyens  de 
pourvoir  aux  dépenses  qu'exigeait  une  aussi  vaste  entreprise.  C'est  aussi 
sous  l'influence  de  cette  idée  que,  parcourant  l'Italie  quelques  mois  plus 
tard,  j'entretins  du  projet  de  l'Académie  les  plus  habiles  épigraphistes 
de  la  péninsule:  Gazzera,  à  Turin  ;  Labus,  à  Milan;  Orti,  à  Vérone; 
Furlanetto,  à  Padoue;  Schiassi,  à  Bologne;  Borghesi,  à  San  Marino; 
Sec^hi,  Marchi,  Melchiori,  Visconti ,  Sarti,  Campana,  à  Rome; 
Avellino,  Gervasio,  Minervini,  à  Naples;  le  duc  Serra  di  Falco,  à 
Palerme.  Tous  s'en  réjouirent  et  me  promirent  leur  coopération;  tous 
s'en  souviennent  encore  et  l'ont  rappelé  récertiment ,  et  d'une  ma- 
nière fort  honorable  pour  moi ,  à  un  savant  voyageur  dont  je  pour- 
rais citer  au  besoin  le  nom. 

Vous  concevrez,  monsieur,  qu'après  de  tels  précédents,  j'aie  quel- 
que peine  à  m'expliquer  comment  tous  les  faits  dont  je  viens  de  parler 
ont  été  omis  dans  le  rapport  de  M.Egger,  qui  avait  pu  cependant  en 
prendre  connaissance,  soit  dans  le  Journal  Général  de  V Instruction 
publique,  dont,  je  le  répète,  il  était  déjà  rédacteur  en  1839,  soit  à 
l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres ,  aux  séances  de  laquelle 
il  assiste  fort  régulièrement.  M.  Egger,  à  qui  j'ai  cru  devoir  en  dire 
ma  pensée,  m'a  affirmé  qu'il  n'avait  jamais  rien  su  de  tout  cela,  bien 
qu'il  se  tienne  fort  au  courant  de  toutes  les  nouvelles  scientifiques.  Je 
dois  croire  à  sa  parole.  Il  n'a  rien  su  non  plus,  quoique  secrétaire 
et  par  conséquent  archiviste  du  comité,  d'une  lettre  que,  le  23  août 
1843,  j'écrivis  de  Cléones  à  M.  le  ministre  de  l'Instruction  publique, 
et  où,  après  avoir  rappelé  tout  le  passé,  je  lui  exprimais  combien 


688  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

j'étais  affligé,  surtout  dans  les  circonstances  présentes,  de  n'avoir 
pas  vu  mon  nom  figurer  sur  la  liste  de  la  commission  qu'il  avait 
nommée  pour  surveiller  la  publication  dont  il  s'agit.  Il  n'a  également 
rien  su  de  la  réponse  obligeante  que  m'adressa  quinze  jours  plus  tard 
M.  Villemain.  Il  croit  seulement  se  souvenir  que  mon  nom  fut  dans  le 
principe  prononcé  en  sa  présence,  quand  il  s'agit  de  nommer  la  com- 
mission dont  il  est  le  secrétaire,  et  qu'on  objecta  alors  que  je  m'oc- 
cupais exclusivement  d'épigraphie  grecque,  ce  à  quoi  il  ne  trouva 
rien  à  objecter.  Nouveau  sujet  d'étonnement ,  car  si  M.  Egger  n'a  ja- 
mais su  que,  par  une  distinction  flatteuse,  M.  le  général  de  Marmora 
s'est  adressé,  lui  Italien,  à  moi  Français,  pour  expliquer,  dans  le 
deuxième  volume  de  son  Voyage  en  Sardaigne ,  les  inscni^iiions ,  tant 
latines  que  grecques ,  gravées  sur  la  grotte  de  la  Vipère  près  de  Ca- 
gliari  ;  il  ne  peut  avoir  la  mémoire  assez  courte  pour  avoir  oublié  que 
dans  mon  Explication  des  inscriptions  de  la  Morée  figurent  plusieurs 
monuments  latins  sur  lesquels  il  a  bien  voulu  s'arrêter  en  rendant 
compte  de  mon  livre,  le  9  mai  1840,  précisément  dans  le  Journal 
Général  de  V Instruction  publique  ;  qu3  dans  ma  thèse  pour  le  doctorat, 
à  laquelle  il  a  fait  allusion  en  plus  d'une  circonstance ,  j'ai  résumé 
l'histoire  de  l'épigraphie  latine  ;  que  ,  dans  mes  Notes  sur  Eumathe, 
dans  mon  Commentaire  sur  Tite-Live,  j'ai  expliqué  plus  d'un  passage 
difficile  à  l'aide  des  inscriptions  de  Rome  et  de  l'Italie;  que  mèxne, 
dans  le  recueil  périodique  auquel  il  consacre  souvent  sa  plume  et  son 
érudition,  il  a  pu  lire  et  il  a  lu  bien  certainement,  le  7  août  1836,', 
au  sujet  de  quelques  inscriptions  trouvées  en  Afrique ,  un  Mémoire  de 
moi,  dont  les  conclusions  furent  quelque  temps  après  adoptées  par 
mon  savant  confrère  M.  Hase.  Et  d'ailleurs  comment  M.  Egger  pour- 
rait-il ignorer  \q  Ijen  étroit  qui  unit  l'épigraphie  grecque  à  l'épigra- 
phie latine ,  lui  qui ,  tout  occupé  qu'il  est  d'un  recueil  complet  de  tou- 
tes les  inscriptions  latines  connues ,  trouve  encore  le  temps  de  publier 
des  Specimina  selectaepigrapMces  grœcœ,  et  d'expliquer  ces  monuments 
à  son  cours  de  la  Faculté  des  Lettres  pendant  le  présent  semestre 
d'hiver? 

Mais  ce  qui  a  lieu  de  me  surprendre  bien  plus  encore  que  l'oubli 
de  mes  travaux,  ou  que  l'omission  de  mon  nom  dans  un  travail 
où  il  aurait  du  trouver  place ,  et  ce  qui  en  même  temps  cicatrise 
un  peu  la  blessure  que  peut  avoir  reçue  mon  amour-propre,  c'est  que 
le  plan  proposé  par  M.  Egger  est,  à  de  très-légères  nuances  près, 
celui  que  j'avais  soumis  à  l'Académie.  En  effet,  dans  mon  rapport 
que  j'ai  conservé ,  j'émettais  l'opinion  qu'il  convenait  de  classer  les 


\  M.  l'Éditeur  de  la.  r«vue  archéologique.        689 

monuments  dans  l'ordre  géographique  et  non  dans  l'ordre  systémati- 
que dont  je  faisais  ressortir  tous  les  inconvénients  ;  je  voulais  que  cette 
disposition  une  fois  arrêtée,  on  suivît  autant  que  possible  l'ordre  chro- 
nologique pour  les  détails  comme  pour  l'ensemble ,  c'est-à-dire  que  les 
inscriptions  de  chaque  ville  fussent  disposées  le  plus  chronologiquement 
possible,  et  que  même  les  provinces  fussent  soumises  à  cette  classifi- 
cation et  fussent  rangées  dans  l'ordre  des  temps  où  elles  commencent 
à  apparaître  dans  l'histoire.  Ainsi  je  voulais,  comme  je  le  rappelais  à 
M.  Villemain  dans  ma  lettre  en  date  du  23  août  1843 ,  que  l'on  com- 
mençât par  Rome ,  que  l'on  passât  ensuite  aux  provinces  italiques 
dans  l'ordre  de  leur  conquête ,  et  ainsi  de  suite  pour  les  autres  par- 
ties du  monde  romain.  Du  reste ,  il  était  bien  convenu  qu'à  l'exem- 
ple de  M.  Boeckh  on  s'attacherait  à  suivre  pour  chaque  localité  un 
ordre  tout  à  la  fois  systématique  et  chronologique ,  en  ce  sens  que 
dans  chaque  article  les  monuments  publics  précéderaient  les  monu- 
ments privés,  et  que  les  uns  et  les  autres  seraient  rangés  suivant  leur 
date  certaine  ou  présumée  ;  et  enfin ,  il  était  également  arrêté  que 
l'ordre  systématique  serait  rétabli  dans  des  tables  nombreuses  qui 
trouveraient  place  à  la  fin  de  l'ouvrage. 

Ces  idées,  monsieur,  et  d'autres  encore,  telles  que  la  proposition  de 
s'en  tenir  à  des  notes  très-courtes  tendant  plutôt  à  établir  le  texte  qu'à 
l'expliquer,  se  retrouvent  toutes  exprimées,  en  fort  meilleurs  termes, 
il  est  vrai ,  dans  le  rapport  de  M.  Egger.  Mais  là  ne  se  borne  pas  la 
conformité  de  ce  travail  avec  le  mien.  Une  des  plus  grandes  diffi- 
cultés que  présentent  les  recueils  épigraphiques ,  c'est  de  donner  aux 
lecteurs  une  idée  exacte  de  la  forme  qu'ont  les  lettres  sur  les  monu- 
ments souvent  très-divers  qu'on  leur  fait  passer  en  revue.  C'était  là 
une  des  plus  fortes  objections  que  m'adressait  M.  Mérimée,  a  Vous  ne 
pouvez,  me  disait-il,  sans  des  frais  exorbitants  donner  toutes  les  in- 
scriptions en  fac-similé,  —  Non ,  lui  répondis-je ,  mais  qui  empêche 
de  réunir  sur  un  nombre  limité  de  planches  les  formes  les  plus  remar- 
quables de  récriture  épigraphique  aux  différentes  époques ,  de  les  numé- 
roter et  d'y  renvoyer  dans  le  courant  de  V ouvrage?  Telle  est,  ajoutais-je, 
la  méthode  qu'ont  adoptée  les  savants  qui  publient  des  catalogues  de  vases 
peints  :  dans  l'impossibilité  de  retracer  la  forme  de  chaque  vase  en  parti- 
culier y  ils  réunissent  sur  une  même  planche  les  différentes  formes  dont  il 
peut  être  question  dans  leur  livre ,  et  un  simple  numéro  les  dispense 
d'une  longue  description»  » 

Quel  sera  le  moyen  employé  par  M.  Egger?  A  peu  de  chose  près  le 
même.  On  a  eu,  dit-il ,  Vidée  de  faire  graver  les  principauno  types  de 


690  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

monuments  qui  offrent  des  inscriptions  latines  et  d'en  former  comme  un 
répertoire  où  Von  renverra  le  lecteur  par  des  numéros  joints  à  toutes  les 
inscriptions  pour  lesquelles  ce  renvoi  sera  possible.  Grâce  à  ce  procédé, 
déjà  appliqué  dans  les  recueils  de  céramographie ,  on  n  aura  plus  à  dé- 
crire en  détail  que  les  monuments  dune  forme  exceptionnelle.  Vous  le 
voyez,  monsieur  :  M.  Egger  veut  faire  pour  la  forme  même  des  mo- 
numents ce  que  je  proposais  pour  la  forme  des  lettres,  et  il  procède 
d'après  la  môme  analogie.  Sans  examiner  jusqu'à  quel  point  l'un  serait 
plus  utile  que  l'autre;  jusqu'à  quel  point  la  forme  d'un  monument  est 
un  indice  plus  sur  de  î  époque  à  laquelle  il  appartient  que  celle  des 
lettres  qui  y  sont  gravées  ;  jusqu'à  quel  point  enfin  il  sera  possible 
dans  un  ouvrage  aussi  long  et  aussi  dispendieux  de  donner  des  dessins 
de  temples,  d'arcs  de  triomphe,  de  portiques,  de  ponts,  etc.;  car,  on 
lit  des  inscriptions  sur  un  grand  nombre  d'édifices  de  ce  genre,  je  n'en 
reste  pas  moins  étonné  et  flatté  de  m'être  rencontré  par  anticipation 
avec  M.  Egger,  qui  n'a  jamais  eu,  il  le  dit  et  je  le  crois,  la  moindre 
connaissance  de  mes  rapports. 

Quoi  qu'il  en  soit,  monsieur,  que  le  plan  de  M.  Egger  soit  exclusive- 
ment l'ouvrage  de  ce  savant,  ou  qu'il  soit  uniquement ,  ce  qui  est  pos- 
sible, le  reflet  des  opinions  émises  devant  lui  par  les  membres  du 
comité  pour  lequel  il  tient  la  plume,  et  dont  quelques-uns,  qui  ap- 
partiennent à  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  faisaient 
partie  de  la  commission  au  nom  de  laquelle  j'ai  parlé  à  cette  com- 
pagnie ;  quoi  qu'il  en  soit,  dis-je,  comme  je  vais  avoir  à  publier  un 
recueil  de  près  de  4,000  inscriptions  grecques  recueillies  par  moi  tant 
en  Grèce  qu'en  Asie  Mineure;  comme  dans  cette  publication  je  sui- 
vrai la  marche  que  j'ai  tracée  dès  1839;  que  je  classerai  les  monuments 
dans  l'ordre  géographique  ;  que  j'aurai  recours,  pour  indiquer  autant 
que  possible  la  forme  des  lettres,  au  procédé  paléographique  dont  j'ai 
parlé  plus  haut ,  je  tiens  à  constater  que  ce  plan  m'appartient  bien  en 
propre,  qu'il  ne  doit  rien  à  M.  Egger,  qu'il  reçoit  seulement  une  nou- 
velle valeur  de  la  conformité  remarquable  que  le  projet  de  cet  érudit 
ofl*re  sous  tant  de  rapports  avec  le  mien.  Tel  est  le  but  de  cette  lettre, 
monsieur  ;  j'attends  de  votre  impartialité  et  de  votre  respect  pour  les 
droits  de  chacun  que  vous  voudrez  bien  la  rendre  publique. 

Agréez ,  etc. 

Ph,  Le  Bas. 


TABLEAU  DE  SAINT  LOUIS. 

PL.  XX. 


Le  département  des  estampes  de  la  Bibliothèque  royale  possède 
un  recueil  de  dessins,  acquis  après  la  mort  de  Millin,  qui  l'avait 
formé  pendant  ses  voyages  en  Italie  et  dans  le  midi  de  la  France. 
C'est  de  ce  précieux  volume  qu'est  extraite  la  composition  intéres- 
sante que  reproduit  la  pi.  XX.  Les  mots  :  Tableau  de  saint  Louis, 
qui  sont,  comme  ici,  placés  sous  le  dessin  original ,  auraient  pu  faire 
supposer  que  nous  avions  la  un  portrait  du  roi  saint  Louis  repré* 
sente  aux  genoux  d'un  pape  ou  d'un  évêque  (1),  supposition  que 
l'encadrement  de  fleurs  de  lis  semblerait  autoriser  au  premier  coup 
d'œil.  Mais  une  seule  réflexion  suffira  pour  faire  rejeter  cette  idée.  Le 
tableau  original  ne  peut  certainement  pas  avoir  été  exécuté  sous  le 
règne  du  saint  roi  ;  ce  n'est  pas  là  en  eflet  le  style  du  XIII«  siècle, 
eût-il  été  fait  après  la  canonisation  ,  le  prince  y  eût  reçu  le  nimbe 
ou  quelque  marque  distinctive  ;  enfin  le  sujet  que  représente  la  pein- 
ture serait  inexplicable,  s'il  fallait  y  voir  la  figure  du  roi  de  France. 

Si  l'on  examine  avec  attention  la  figure  mitrée  que  deux  anges 
couronnent,  on  remarquera  que  sous  la  riche  chape  de  prélat  dont 
elle  est  revêtue,  elle  porte  un  froc  de  moine,  lié  autour  des  reins  par 
une  grosse  corde  à  nœuds.  La  chape  est  agrafée  par  une  large  bou- 
cle circulaire,  sur  laquelle  on  distingue  les  armqiries  bien  connues 
des  comtes  de  Provence:  parti  d'argent  à  la  croix  potencée  d'or, 
cantonnée  de  quatre  croisettes  de  même,  qui  est  de  Jérusalem  et  d'azur 
aux  fleurs  de  lis  d'or  sans  nombre,  chargé  d'un  lambel  de  gueulles, 
qui  est  d'Anjou  (2).  Or,  on  sait  que  saint  Louis,  évêque  de  Toulouse, 

(1)  La  flgure  de  saint  Louis  est  trop  connue  pour  pouvoir  s'y  méprendre  ;  le  cos- 
tume que  nous  voyons  ici  est  trop  étranger  à  celui  que  porte  habituellement  ce 
prince  pour  pouvoir  rester  longtemps  dans  le  doute  à  cet  égard.  La  manière  d(»ntse 
fait  ici  le  sacre  nous  semble  encore  une  raison  de  plus  de  douter;  les  différentes 
miniatures  ou  peintures  sur  verre  qui  offrent  le  sacre  de  saint  Louis,  nous  montrent 
ordinairement  ce  prince  sur  un  trône,  quelquefois  debout;  l'évêque  consécrateur 
également  debout,  mais  accompagne  de  plusieurs  prêtres  et  de  nombreux  assiglanls. 
Voir  les  représentations  que  nous  en  indiquons  dans  notre  Dictionnaire  Icono^ 
graphique  des  Monuments ,  etc.,  aux  mots  Louis  et  Sacre.) 

(2)  Un  florin  d'or  qui  a  été  gravé  dans  le  recueil  de  Fauris  de  Saint-Vincent  et 
de  Duby,  porte  au  revers  de  la  tète  de  la  reine  Jeanne  les  armoiries  d'Anjou-Jéru- 


002  KEVUK    ARCHKOLOGÏQUE. 

était  de  la  maison  de  Provence  ,  et  fds  de  Charles  II,  roi  de  Naples, 
et  de  Marie  de  Hongrie,  Ce  prince  naquit  à  Brignoles  ou  à  Nocera , 
dans  le  royaume  de  Naples ,  et  fut  donné,  avec  ses  frères,  en  otage  à 
Jacques  d'Aragon  qui  avait  fait  leur  père  prisonnier;  à  son  retour  en 
Provence,  il  prit  l'habit  de  Saint-François;  et,  quelque  temps  après, 
le  papeBoniface  VIII  le  fit  évêque  de  Toulouse,  quoiqu'il  n'eut  pas 
l'âge  requis.  Fort  peu  de  temps  après ,  en  1 297,  le  jeune  Louis  meurt 
à  Brignoles  ;  il  n'était  âgé  que  de  vingt-trois  ans.  Le  pape  Jean  XXII 
le  canonisa  en  1317,  et  le  corps  fut  transporté  à  Marseille  deux  ans 
plus  tard.  Cette  translation  des  reliques  fut  célèbre  par  le  grand  nom- 
bre de  miracles  qu'elle  opéra.  Le  roi  Robert  y  assistait ,  et  composa 
en  l'honneur  de  son  frère  un  office  que  le  pape  Sixte  IV  approuva, 
et  dont  les  religieux  de  l'ordre  de  Saint-François  ont  fait  usage  jus- 
qu'à la  réforme  introduite  par  le  concile  de  Trente. 

Un  siècle  plus  tard,  en  1423,  le  roi  Don  Alphonse  d'Aragon, 
revenant  de  Sicile,  attaqua  Marseille  et  enleva  le  corps  de  saint  Louis, 
seul  fruit  de  cette  expédition  singulière.  Il  le  transporta  en  Espa- 
gne où  il  se  trouve  encore. 

Revenons  au  tableau  que  nous  avons  entrepris  d'expliquer.  Il  y  a 
véritablement  tout  lieu  de  croire  que  c'est  celui  que  le  savant  Milliu 
avait  vu  à  Aix,  et  qu'il  mentionne  dans  son  Voyage  dans  le  midi  de 
la  France  (l).  Il  visitait  alors  la  riche  collection  du  président  Fauris 
de  Saint- Vincent,  et  chez  cet  habile  antiquaire  se  trouvait,  au  mi- 
lieu de  tableaux  précieux,  «  un  portrait  de  saint  Louis,  évêque  de 
((  Toulouse  en  1296,  ayant  à  ses  pieds  son  frère  le  roi  Robert,  fils  de 
((  Charles  II  dit  le  Boiteux,  roi  de  Naples ,  et  la  reine  Sancie,  fille 
((  de  Jaime  I ,  roi  de  Majorque ,  son  épouse.  Ce  portrait  est  très- 
ce  précieux  parce  qu'il  est  du  Giotto ,  et  par  conséquent  un  monument 
((  de  la  peinture  au  XllP  ou  au  XIV''  siècle.  On  sait  que  le  Giotto 
(c  avait  été  appelé  à  Naples  par  le  roi  Robert  (2).  » 

salem  circonscrites  dans  un  cercle,  complètement  semblables  à  celles  que  montre 
l'agrafe  de  saint  Louis.  Cette  ressemblance  est  bien  plus  saisissable  lorsque  l'on 
voit  le  florin  réel  qui  existe  à  la  Bibliothèque  royale;  car  les  gravures  des  auteurs 
que  nous  avons  cités  sont  assez  médiocres. 

(1)  T.  II,  p.  266. 

(2)  L'histoire  nous  apprend  encore  que  ce  fut  à  l'instigation  du  célèbre  Boccace 
que  le  roi  Robert,  fit  venir  Giotto,  à  qui  il  commanda  plusieurs  peintures  qui  font 
l'ornement  de  Naples  et  en  particulier  de  l'église  Sainte-Glaire.  Ge  roi  Robert  a 
été  jugé  bien  différemment  par  les  écrivains  de  son  siècle.  Plusieurs  en  font  un 
homme  familiarisé  avec  les  diverses  branches  des  sciences  et  dont  le  règne  fut  re- 
marquable par  une  politique  ferme  et  éclairée  et  la  protection  accordée  aui  sa- 
vants. Dante  le  représente,  au  contraire,  comme  un  prince  d'un  esprit  faible  et 


TABLEAU   DE   SAÏ]\T    LOUIS.  693 

Il  reste  une  difficulté  à  résoudre ,  celle  qui  résulte  de  la  dispari- 
tion de  la  figure  de  Sancie.  Peut-être  était-elle  peinte  sur  un  volet  qui 
n'aura  pas  été  dessiné  par  l'artiste  qui  accompagnait  Millin.  Autre- 
ment comment  pourrions-nous  supposer  que  Millin  décrirait  ainsi 
qu'il  l'a  fait,  sans  prévenir  autrement  le  lecteur,  un  tableau  qui 
aurait  été  mutilé  entre  le  moment  où  il  le  vit  et  celui  oii  il  le  fit 
copier?  Il  est  très-important  de  comparer  le  portrait  du  roi  Robert, 
tel  que  nous  le  voyons  ici ,  avec  celui  qui  se  trouve  sur  les  mon- 
naies d'assez  grand  module  que  fit  frapper  ce  prince  (Fauris  Saint- 
Vincent,  plane.  VI ,  n°  7  ;  Duby,  plane.  XCVI,  n°  5);  la  ressem- 
blance est  frappante,  et  ne  laisse  aucun  doute  sur  l'authenticité  de 
la  peinture.  Le  style  de  cette  composition,  le  dessin  des  figures  rap- 
pellent fort  bien  les  autres  ouvrages  du  Giotto.  Ce  peintre  arriva  à 
Avignon  en  1306,  et  y  resta  jusqu'à  la  mort  de  Clément  V,  en  1316. 
C'est  alors  qu'il  se  rendit  à  Naples,  et  nous  avons  dit  précédemment 
que  la  canonisation  de  Louis  de  Provence  eut  lieu  en  1317.  Il  est 
tout  naturel  que  Robert  ait  fait  retracer  une  scène  qui  exprimait  si 
bien  les  sentiments  d'affection  et  de  piété  qu'il  avait  voués  à  son  frère. 
Le  roi  de  Naples  est  en  effet  représenté  humblement  agenouillé  aux 
pieds  de  l'évêque ,  qui  va  lui  poser  sur  la  tête  une  couronne  fleur- 
delisée ;  c'est  une   investiture  morale  que  nous  devons  reconnaître 
ici ,  et  non  pas  un  sacre  réel ,  puisque  nous  savons,  d'une  part ,  que 
Louis   était  mort  avant  son  père  en  1297;  et  que,  d'un  autre 
côté ,  Villani  nous  apprend  que  ce  fut  le  pape  Clément  V  qui  cou- 
ronna Robert  à  Avignon,  le  8  septembre  1309,  huit  ans  avant  la 
canonisation.  Saint  Louis  est  représenté  nimbé;  deux  anges  soutien- 
nent au-dessus  de  sa  tête  une  couronne  fleurdelisée ,  et  cet  empiéte- 
ment des  insignes  nobiliaires  mondains,  dans  une  peinture  destinée  à 
exprimer  la  promotion  célesle  de  l'évêque  de  Toulouse,  n'est  pas  un  des 
traits  les  moins  caractéristiques  qui  distinguent  cet  intéressant  tableau. 
Le  trône  épiscopal,  terminé  en  griffes  de  lion  (l) ,  et  qu'une  draperie 


sans  capacités  ,  c'est  ainsi  du  moins  qu'il  en  parle  dans  sa  divine  comédie.  Parad. 
Cant.  VIII,  V.  147.  Le  magnifique  tombeau  de  ce  prince  qui  voulut  aussi  mourir 
sous  l'habit  de  l'ordre  de  Saint-François,  est  un  des  plus  beaux  mausolées  connus. 
Valéry,  J^oyage  en  Ilalie ,  t.  III ,  p.  S35,  en  donne  la  description. 

(1)  Ce  trône  est  terminé  par  deux  griffes  de  lion  ,  conformément  à  ce  que  nous 
voyons  sur  une  foule  de  sceaux  de  cette  époque  dont  beaucoup  offrent  des  figures 
entières  de  lions  servant  de  supports  au  siège.  Ces  griffes  ne  feraient-elles  pas  ici 
allusion  à  la  vigilance  des  évêques ,  que  les  liturgistes  comparent  aux  lions ,  supposés 
par  les  anciens  dormir  les  yeux  ouverts,  leones  dicuntur  oculis  apcrtis 
dormire.  Voir  aussi  Université  catholique,  t.  VI,  p.  273. 

I.  45 


694  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

cache  en  partie,  avait  très-probablement  deux  têtes  du  même  animal 
pour  accotoirs.  Cette  sorte  de  siège ,  que  nous  voyons  si  souvent  sur  les 
sceaux  et  sur  les  monnaies,  notamment  sur  celles  de  Charles  H  et  de 
Robert,  comtes  de  Provence,  était  une  imitation  de  la  chaise  curule 
romaine ,  dont  le  siège  si  connu  de  Dagobert  nous  a  conservé  le  plus 
beau  modèle. 

Le  cordon  de  Saint  François  sert  de  ceinture  au  jeune  saint  Louis. 
Nous  avons  dit  que  Robert  voulut  être  enterré  sous  l'habit  du  même 
ordre.  C'est  un  usage  qui  se  conserva  bien  longtemps,  et  au  XVI**  siè- 
cle eiicore  les  princes  l'adoptaient  fréquemment.  Nous  n'insisterons 
pas  davantage  sur  les  accessoires,  tels  qtie  crosse,  mitre,  etc.,  qui 
se  remarquent  dans  le  tableau  de  saint  Louis. 

Le  point  important  était  de  faire  connaître  le  sujet  qu'il  repré- 
sente (1),  et  de  donner  une  date  et  une  origine  à  cette  curieuse 
peinture,  que  le  recueil  de  Millin  nous  a  transmise  sans  aucun  ren- 
seignemeiit,  sans  aucune  noie  qui  pût  satisûnre  la  curiosité  bien 
légitime  des  artistes  et  des  archéologues. 

L,  -J.    GUENEBAULT. 

{V,  Les  B>llandist( s  ont  reproduit  (août.  t.  III,  p.  789) ,  un  buste  raitré  de  saint 
Louis  ,  évèquo  de  Toulouse,  dont  ie  visage  est  tout  à  fait  celui  que  nous  montre  le 
tableau  aUribué  au  Giolto.  Ces  aulrurs  disent  avoir  tiré  coUe  figure  de  l'ouvrage 
de  Kodulpbius  :  HUloriarwn  Seraphicœ  religionis  liber,  dans  lequel  elle  se 
trouve  foL  120  verso. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


M.  E.  Prisse  vient  de  faire  don  à  la  Bibliothèque  Royale,  par  l'en- 
tremise de  M.  leMinistre  de  l'Instruction  publique»  d'un  superbe  pa- 
pyrus égyptien  d'environ  25  pieds  de  longueur.  Il  est  écrit  en  carac- 
tères hiératiques,  et  contient  les  noms  de  trois  Pharaons  des  premières 
dynasties. 


Ce  papyrus  n'est  malheureusement  pas  complet  :  quelques  pages , 
qui  conservent  encore  les  traces  d'anciens  caractères,  ont  élé  effacées 
pour  recevoir  probablement  une  nouvelle  écriture.  La  dernière  par- 
tie, qui  est  parfaitement  conservée,  date  du  règne  d'Assa,  dont  on 
a  retrouvé  les  cartouches  dans  les  hypogées  de  Sakkara.  C'est  le  plus 
ancien  manuscrit  égyptien  qu'on  connaisse  jusqu'à  ce  jour;  le  papy- 
rus du  Musée  Royal  de  Turin  ne  date  que  de  la  cinquième  année  du 
règne  de  Thoutmes  III. 

M.  le  Ministre  de  l'instruction  publique,  avant  de  faire  remettre  ce 
manuscrit  à  la  Bibliothèque  Royale,  a  ordonné  de  prendre  toutes  les 
mesures  nécessaires  pour  assurer  sa  parfaite  conservation. 

— Une  grande  entreprise  architecturale  sera  prochainement  exécu- 
tée à  Trêves  (Prusse).  Le  roi  a  ordonné  que  l'antique  édifice,  dit 


696  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

palais  Constantiiiien,  qui,  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  était  la  ré- 
sidence de  rarchevêque  de  Trêves,  et  qui  actuellement  sert  de  caserne 
d'infanterie,  sera  rétabli  dans  sa  forme  primitive.  Cet  édifice  était, 
dans  son  origine,  une  des  plus  grandes  basiliques  romaines  qui  ait 
existé  dans  la  Germanie.  Il  a  180  pieds  de  longueur  sur  88  de  largeur. 
Les  murs  qui  se  composent  des  meilleures  briques  romaines,  ont 
9  pieds  d'épaisseur  ;  ils  sont  percés  de  deux  rangs  de  croisées  ayant 
12  pieds  de  hauteur.  Plusieurs  des  principales  parties  de  l'antique 
basilique  y  sont  encore  intactes,  notamment  le  tribunal  et  la  presque 
totalité  des  galeries.  Après  sa  restauration  complète,  cet  édifice,  qui 
donnera  une  idée  de  ces  vastes  temples  où  les  chrétiens  des  premiers 
siècles  exerçaient  leur  culte ,  servira  d'église  protestante. 

—  Une  belle  mosaïque,  d'environ  5  à  6  mètres  de  longueur,  a  été 
trouvée  récemment  dans  un  champ  qui  borde  la  route  de  Pau  à  Gan, 
à  peu  de  distance  du  ruisseau  le  Nez.  11  y  a  quelques  années  on  avait 
déjà  découvert  des  fragments  semblables  d'antiquités  dans  une  prai- 
rie voisine  appartenant  à  M.  le  général  Larrieu.  Ce  fait  mérite  d'ap- 
peler l'attention  des  archéologues.  On  pense  que  ces  mosaïques  fai- 
saient partie  d'un  établissement  de  bains.  Des  fouilles  vont  être 
entreprises  en  cet  endroit  et  pourront  amener  des  découvertes  im- 
portantes. 

—  Les  travaux  entrepris  pour  le  curage  du  port  antique  de  Cher- 
chell  ont  fait  découvrir  un  bateau  romain  très-bien  conservé.  Il  est 
très-plat,  n'a  pas  de  murailles,  et ,  à  cela  près,  ressemble  à  nos  cha- 
lands-, sa  courbure  est  de  70  centimètres  environ,  long  de  1 1  mètres 
et  large  de  4", 50;  il  offre  des  membrures  en  chêne  de  25  à  30  cen- 
timètres, qui  paraissent  être  d'une  seule  pièce,  et  dont  l'échantillon 
peut  être  comparé  à  celui  des  membrures  d'un  brick  de  100  ton- 
neaux. On  aperçoit  dans  la  carlingue  l'entaille  destinée  à  recevoir 
l'empâture  d'un  mât,  ce  qui  indique  que  ce  bateau  devait  marcher  à 
la  voile.  On  remarque  l'absence  complète  de  fer  dans  la  construction 
de  ce  navire  ;  la  même  observation  a  été  faite  sur  d'autres  bâtiments 
romains  trouvés  dans  le  bassin.  Toutes  les  chevilles  sont  en  chêne  et 
ont  été  employées  avec  profusion.  Quoique  la  forme  et  les  bois  ne 
soient  pas  détériorés ,  on  ne  peut  guère  espérer  de  conserver  ce  ba- 
teau, car  le  contact  de  l'air,  en  le  desséchant ,  le  désajusterait  com- 
plètement. 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  697 

—  On  nous  écrit  qu'il  est  question  de  restaurer  la  belle  église  de 
Munster  (Meurthe).  M.  V.  de  Sansonnetti  vient  d'être  chargé  par 
le  préfet  de  relever  les  plans ,  coupes  et  détails  de  ce  monument 
pour  les  soumettre  à  la  Commission  des  monuments  historiques  au 
Ministère  de  l'Intérieur,  pour  avoir  son  avis  avant  de  commencer  les 
travaux. 

—  L'Académie  des  Inscriptions  vient  de  recevoir  des  nouvelles  de 
M.  Botta  et  de  ses  découvertes.  Dans  une  lettre  adressée  à  M.  Jules 
MohI ,  notre  consul  fait  part  de  l'état  où  sont  parvenus  ses  travaux. 
Déjà  une  façade  immense  a  été  mise  entièrement  à  découvert  ;  au 
centre  se  voit  un  portique  composé  de  quatre  taureaux  de  face  entre 
lesquels  sont  placés  deux  taureaux  de  profil;  ces  animaux  de  gran- 
deur colossale  offrent  un  aspect  magnifique.  Malheureusement  il  a 
fallu  les  scier  pour  les  transporter  en  France  où  bientôt  nous  allons 
posséder  le  plus  étonnant  musée  assyrien  que  l'imagination  puisse 
concevoir.  M.  Flandin,  dessinateur,  envoyé  pour  aider  M.  Botta, 
a  maintenant  en  portefeuille  220  planches;  il  a  relevé  des  plans, 
des  cartes  et  M.  Botta  a  pour  sa  part  non-seulement  copié  deux  cents 
inscriptions,  mais  a  pris  des  empreintes  en  papier  de  presque  toutes, 
mettant  ainsi  les  critiques  à  môme  d'exercer  leur  sagacité  sur  des 
documents  d'une  authenticité  irrécusable.  A  la  partie  postérieure  de 
toutes  les  dalles  sur  lesquelles  sont  sculptés  les  bas-reliefs,  existe  une 
inscription  cunéiforme ,  toujours  la  môme,  mais  présentant  cepen- 
dant des  variantes  pour  certains  caractères.  M.  Botta  en  a  copié 
quinze  dont  l'examen  sera  très -précieux  pour  le  déchiffrement  que 
vont  tenter  nos  érudits.  Ces  inscriptions  portent  à  croire  que  l'on  s'est 
servi,  pour  tailler  les  bas-reliefs,  de  pierres  empruntées  à  d'anciens 
édifices.  Cette  circonstance  vient  à  l'appui  des  suppositions  faites  par 
un  de  nos  collaborateurs  touchant  l'époque  des  constructions  retrou- 
vées à  Khorsabad. 

—  Le  10  janvier,  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  a 
procédé  au  renouvellement  de  son  bureau.  M.  Pardessus  a  été  nommé 
président  pour  l'année  1845,  et  M.  Naudet ,  vice-président;  dans  sa 
séance  du  20  décembre,  cette  compagnie  a  nommé  à  cinq  places  de 
correspondants,  devenues  vacantes  dans  le  cours  de  l'année,  trois  fran- 
çais et  deux  étrangers  :  ce  sont  MM.  le  docteur  Lautard,  à  Marseille, 
qui  a  publié  des  lettres  archéologiques  et  une  histoire  de  l'Académie 
de  celte  ville;  de  Cadalvène,  à  Conslantinople,  à  qui  l'on  doit  un 


698  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

excellent  volume  sur  la  numismatique  grecque  et  deux  ouvrages  sur 
rOrient;  de  la  Plane,  àSisteron,  auteur  de  l'Histoire  municipale  de 
cette  ville,  ouvrage  plein  de  conscience  et  de  mérite;  le  pèreSecchi, 
à  Rome,  l'un  des  antiquaires  les  plus  éminents  de  l'Italie,  enfin 
M.  Rawlinson,  consul  d'Angleterre  cà  Bagdad,  fort  connu  par  les 
promesses  qu'il  a  si  souvent  répétées  de  publier  une  traduction  com- 
plète de  toutes  les  inscriptions  cunéiformes  et  pehivi  de  la  Perse  et 
de  l'Assyrie.  11  faut  espérer  que  le  nouveau  litre  conféré  à  M.  Raw- 
linson le  déterminera  à  faire  connaître  aux  érudits  de  l'Europe  des 
travaux  qui  ne  peuvent  manquer  d'être  si  profitables  à  leur  in- 
struction. 

Dans  sa  séance  du  17  janvier,  l'Académie  de  Inscriptions  a  élu 
MM.  La  Boulaye  et  de  la  Saussaye  en  remplacement  de  MM.  Fauriel 
et  Mollevaut ,  décédés. 

—  M.  Gilbert  Charleuf  qui  avait  l'année  dernière  découvert  un 
temple  antique  à  Saiiil-Révérien,  vient.de  faire  contmuer  les  fouilles 
et  elles  ont  été  couronrïéi>s  de  succès.  Un  massif  de  grès  avait  été 
laissé  debout  au  milieu  de  l'enceinte  du  temple;  en  le  renversant  on 
reconnut  que  c'était  une  sorte  de  coffre  contenant  des  tisons,  quatre 
lames  de  verre  de  cmquante  centimètres  de  longueur;  cinq  médailles 
dont  malheureusement  les  types  ne  nous  sont  pas  indiqués,  un  tau- 
reau à  trois  cornes  et  un  sanglier  de  bronze. 

A  Autun  le  même  archéologue  a  trouvé  un  beau  morceau  de 
sculpture  représentant  quatre  femmes  adossées,  hautes  d'un  mètre; 
dans  le  même  lieu  était  l'inscription  suivante  : 

LICNOS  •  CoN 

TEXTOS • lEVRV 

ANVALoNNACV 

CANECo  SEDLON 

dans  laquelle  M.  G.  Charleuf  croit  retrouver  les  noms  d'Avallon  et 
de  Saulieu  {Sedlonam). 

—  M.  Edouard  Grasset,  consul  de  France  à  Janina ,  dans  une 
excursion  qu'il  vient  défaire  sur  l'emplacement  de  l'antique  Apollo- 
nie ,  vient  de  découvrir  des  statues ,  des  inscriptions  et  des  médailles 
qu'il  se  propose  de  publier  dans  la  Reçue.  Nous  nous  empresserons 
de  faire  connaître  à  nos  lecteurs  ces  monuments  qui  pourront  certai- 
nement jeter  quelque  jour  sur  l'histoire  si  obscure  de  l'Épire. 


BIBLIOGRAPHIE 


TERRACOTTEN  DES  KOENIGLICHEN  MUSEUM  ZU  BERLIN ,  etc.  —  Description 
des  terres  cuites  du  musée  de  Berlin,  par  Théodor  Panofka,  membre  de 
l'Académie  des  Sciences  de  Berlin.  Berlin,  1842.  A  Paris,  chez  Franck,  successeur 
de  Brockhaus  et  Avenarius,  rue  de  Richelieu,  n"  G9,  et  chez  Leleux ,  éditeur- 
libraire,  rue  Pierre-Sarrazin,  n"9.  In-foL,  de  vni  —  1G3  pages,  avec  64  planches 
lithographiées. 

Le  nom  et  les  travaux  de  M.  Panofka  sont  trop  célèbres  pour  que 
Tattentioii  du  public  savant  ne  se  fixe  pas  sur  tout  ce  que  publie  cet 
éminent  archéologue.  D'ailleurs  le  livre  que  nous  annonçons  possède 
en  lui-même  plus  qu'il  n'est  nécessaire  pour  intéresser  vivement  les 
antiquaires  et  pour  plaire  aux  artistes  et  aux  hommes  de  goût. 

Et  d'abord  hâtons-nous  de  dire  que  la  collection  des  terres  cuites  du 
musée  de  Berlin  est  une  des  plus  belles  de  l'Europe.  Puis,  ce  qui 
ajoute  encore  à  l'intérêt  du  travail  de  M.  Panofka  c'est  qu'une  classe  de 
monuments,  dont  les  antiquaires  jusqu'ici  ne  se  sont  point  occupés 
d'une  manière  spéciale,  en  fait  l'unique  objet.  Les  rayons  de  nos  bi- 
bliothèques plient  sous  le  poids  des  volumes  consacrés  aux  médailles, 
aux  bronzes  et  aux  marbres ,  tandis  qu'il  y  a  deux  ans  à  peine ,  avant 
l'apparition  du  livre  de  M.  Panofka,  les  publications  relatives  aux 
terres  cuites  se  bornaient  aux  recueils  de  d'Agincourt,  de  Taylor- 
Combe,  et  à  quelques  planches  éparses  dans  Caylus,  Millengen, 
Gerhard,  Stakelberg,  etc.  (1). 

Cette  sorte  d'oubli  des  œuvres  de  h  plastique  a  droit  de  nous  sur- 
prendre. Cet  art  cultivé  en  Étrurie  dès  les  temps  les  plus  reculés  a 
devancé  chez  les  Grecs  tous  les  arts  du  dessin  :  Maler  slaliiariœ, 
scalpturœ  et  celalurœ.  C'est  lui  qui  fournissait  les  modèles  et  les 
formes.  Les  plus  anciennes  statues  des  dieux  étaient  en  terre  cuite 
coloriée,  comme  si  l'on  eût  voulu  racheter  par  la  couleur  l'insuffisance 
de  l'exécution.  Là,  nous  retrouvons  pour  ainsi  dire  les  commence- 
ments de  la  peinture.  Des  bas-reliefs,  des  ornements  d'argile  déco- 
raient les  habitations  particulières,  les  places  publiques  et  les  temples. 

(1)  A  peu  prés  à  la  même  époque  on  a  commencé  à  publier,  à  Rome,  un  ouvrage 
sous  ce  liire  :  Anlichc  opère  in  Plaslica  discoperlc  ,  raccoUe ,  e  dichiaralc  da 
Gio.  Pielro  Camjmna.  Il  n'a  paru  jusqu'ici  qu'un  assez  petit  uombre  de  liviaisou» 
de  ce  livre  important  sur  lequel  nous  nous  proposons  de  revenir. 


700  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

Les  images  des  divinités  funèbres,  que  l'on  trouve  encore  en  si  grand 
nombre  dans  les  tombeaux,  étaient  en  terre  cuite.  L'habileté  d'Athènes 
et  de  Corinthe  dans  la  plastique  était  célèbre  dans  le  monde  entier. 

C'est  un  des  privilèges  de  l'art  grec  que  de  savoir  tirer  parti  des 
matériaux  les  plus  modestes  et  de  produire  de  grands  effets  avec  les 
moyens  les  plus  simples. 

Les  terres  cuites  que  nous  possédons  attestent  un  goût  exquis ,  le 
sentiment  le  plus  délicat  des  formes;  souvent ,  malgré  la  petitesse  ha- 
bituelle des  dimensions,  on  y  distingue  un  certain  caractère  de  gran- 
deur et  de  puissance.  C'est  que  la  pensée  du  sculpteur  s'y  manifeste 
dans  toute  sa  verve ,  dans  toute  sa  liberté ,  et  sans  être  affaiblie  par  un 
long  et  pénible  travail.  On  comprend  tout  l'intérêt  qui  s'attache  à  ces 
ébauches  dont  la  date  remonte  à  quelques  milliers  d'années. 

Ces  monuments  qui  passionnent  l'artiste  méritent  au  plus  haut  degré 
l'attention  du  savant  ;  où  le  premier  trouve  à  admirer,  le  second  trouve 
à  s'instruire.  Aux  yeux  de  quelques  archéologues,  très-expérimentés, 
il  n'existe  pas  de  débris  de  l'antiquité  dont  on  puisse  tirer  plus  de 
lumière  pour  la  connaissance  des  religions  de  la  Grèce.  C'est  surtout 
sous  ce  point  de  vue  que  M.  Panofka  s'occupe  des  terres  cuites  du 
musée  de  Berlin. 

M.  Panofka  appartient  à  l'école  symbolique ,  c'est-à-dire  à  cette 
école  qui  accorde  un  sens  élevé ,  une  signification  sérieuse  aux  fables 
du  polythéisme.  De  même  que  l'illustre  Creuzer  qui  l'a  fondée,  de 
même  que  le  savant  et  infortuné  K.-O.  Muller,  et  M.  Welcker,  et 
M.  Gerhard,  et  beaucoup  d'autres  antiquaires  éminents,  soit  de 
l'Allemagne,  soit  de  notre  pays,  M.  Panofka  voit  dans  les  idées  reli- 
gieuses la  base  de  la  mythologie.  Mais  ce  qui  lui  a  valu  une  place  à 
part  parmi  les  archéologues ,  c'est  l'application  qu'il  a  faite  de  ce  prin- 
cipe ,  et  Ja  hardiesse  de  ses  interprétations. 

M.  Panofka  est  un  érudit  doué  d'une  sagacité  supérieure  ;  il  est 
aussi  un  homme  d'imagination.  Il  a  vécu  en  Italie  au  milieu  des  chefs- 
d'œuvre  de  l'art  antique.  Voilà  sans  doute  ce  qui  a  influencé  sa  ma- 
nière d'étudier  les  anciens.  Il  est  très-probable  que  s'il  fut  resté  tou- 
jours avec  ses  livres ,  ses  idées  eussent  pris  une  autre  direction. 

Par  exemple ,  à  la  différence  de  beaucoup  de  ses  émules  en  science 
et  en  érudition ,  M.  Panofka  ne  perd  pas  courage  lorsque  le  passage 
classique  qui  lui  est  nécessaire  ne  se  trouve  pas  sous  sa  main,  ou  qui 
pis  est  n'existe  point.  Il  ne  s'en  tient  pas  simplement  à  la  comparaison 
des  monuments  avec  les  textes;  les  mille  détails  d'une  œuvre  d'art  lui 
servent  à  rechercher  ce  qu'elle  signifie  ;  analogie  de  formes,  coiffure. 


BIBLIOGRAPHIE.  701 

vêteipents,  gestes,  pose,  tout  ou  presque  tout  avec  lui  obtient  une 
valeur  mythologique  et  religieuse,  et  parle  ce  qu'il  nomme  justement 
la  langue  symbolique  de  l'antiquité. 

11  est  vrai  que  quelques  antiquaires  timorés  se  sont  élevés  contre  ce 
système,  ou  plutôt  contre  ce  qu'ils  croient  en  être  l'abus.  Selon  eux, 
vouloir  remonter  au  sens  primitif  d'un  mythe,  en  prenant  souvent  pour 
point  de  départ  une  terre  cuite  informe,  une  anse  de  vase ,  ou  quelque 
chose  d'approchant,  c'est  risquerde  s'égarer.  L'art,  à  toutes  les  époques, 
ajoute-t-on ,  a-t-il  été  si  étroitement  enchaîné  par  la  religion  qu'il 
faille,  de  toute  nécessité,  prendre  au  sérieux  une  foule  de  sujets  dans 
lesquels  des  yeux  non  prévenus  ne  pourraient  voir  que  de  simples  ba- 
dinages  d'artiste?  La  saine  critique  permet-elle  de  soulever  un  pro- 
blème mythologique  à  propos  d'une  coiffure  ou  d'un  geste?  Supposer 
en  outre,  que  des  peintres  de  vases,  que  des  graveurs  sur  pierre,  que 
des  sculpteurs  travaillant,  le  plus  souvent,  pour  le  commerce  et  pour 
le  luxe,  se  soient  enfoncés  dans  les  profondeurs  de  la  mythologie 
mythique,  cosmique  ou  orphique,  n'est-ce  pas  là  une  idée  un  peu  plus 
allemande  que  grecque  ? 

Nous  ne  nous  dissimulons  point  la  gravité  de  ces  critiques,  que  du 
reste  nous  n'avons  aujourd'hui  ni  le  temps  ni  la  volonté  d'apprécier. Tout 
ce  que  nous  pouvons  dire,  c'est  qu'elles  n'ont  point  ébranlé  le  crédit  de 
M.  Panofka  dans  le  monde  archéologique,  crédit  fondé  sur  une  con- 
naissance profonde  des  traditions  mythologiques  et  des  monuments. 
D'ailleurs,  il  faut  le  reconnaître,  on  voit  dans  le  savant  antiquaire  de 
Berlin  un  esprit  philosophique,  et,  ce  qu'on  ne  trouve  pas  toujours 
chez  les  érudits,  le  mérite  de  l'originalité.  M.  Panofka  a  fait  école. 

Ces  réflexions  pourront  suffire  peut-être  pour  faire  connaître  quels 
sont  l'esprit  et  la  portée  du  livre  que  nous  signalons.  Maintenant, 
voyons  de  quelle  manière  il  est  exécuté. 

L'auteur  publie  quatre  sortes  de  monuments  :  ceux  de  l'art  grec 
ancien  ;  ceux  qui  montrent  cet  art  arrivé  à  sa  plus  haute  perfection  ; 
les  monuments  du  style  primitif  italien;  enfin  ceux  de  fabrication 
romaine.  L'ordre,  ou  plutôt  le  désordre  dans  lequel  il  les  publie, 
n'est  ni  chronologique  ni  même  rigoureusement  mythologique. 
Ainsi ,  par  exemple ,  on  trouve  à  la  fin  des  planches  quelques  figu- 
rines dont  la  place,  conformément  aux  idées  de  M.  Panofka,  devrait 
être  au  commencement. 

Nous  avons  regretté  vivement,  en  parcourant  ce  volume,  de  ne 
pouvoir  détailler  toutes  les  richesses  archéologiques  qu'il  renferme. 
Nous  allons  essayer  d'indiquer  ce  qui  nous  a  paru  le  plus  remarquable. 


702  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

M.  Panofka  débute  par  mettre  sous  les  yeux  des  antiquaires  un 
groupe  des  plus  intéressants,  non  pas  tant  par  sa  rareté  que  parce 
que  jusqu'à  ce  jour  on  s'est  mépris  sur  sa  signification.  Dans  ce 
groupe,  le  savant  archéologue  reconnaît  deux  divinités  grecques, 
le  bon  génie,  Aat^&jv  AyaBoç,  et  l'heureuse  fortune  ;  Tv-)(ri  AyaQ-riy 
c'est-à-dire  la  double  personnification,  masculine  et  féminine,  des 
richesses  que  la  terre  renferme  en  son  sein.  Cette  vue  neuve  et  judi- 
cieuse, au  sujet  d'une  représentation  mythologique  dont  plusieurs 
monuments  nous  offrent  des  variantes  (  pi.  XLIX),  est  appuyée  sur 
des  rapprochements  aussi  savants  qu'ingénieux. 

Un  monument  reproduit  sous  diverses  faces  (  pi.  IIÏj  IV,  V  )  qui 
représente  une  femme  tenant  un  pavot  et  assise  sur  un  trône  sou- 
tenu par  des  sphinx,  se  recommande  par  ses  dimensions,  chose  assez 
rare  dans  ce  qui  nous  reste  des  œuvres  de  la  plastique.  Il  a  été  trouvé 
à  Chiusi ,  l'ancierme  Clusium.  C'est  un  curieux  spécimen  de  la  ma- 
nière quelque  peu  barbare  dont  Tart  étrusque  imitait  l'art  grec. 
M.  Panofka  donne  à  cette  figure  le  nom  de  Proserpine.  N'oublions 
pas  non  plus  une  tête  de  Minerve  (  pi.  VIII  ),  dont  une  guirlande  de 
lierre  orne  le  casque,  particularité  qui  rappelle  à  M.  Panofka  la 
Minerve  au  lierre,  AQriVnKtGfyocioc,  adorée  à  Épidaure. 

Nous  arrêterons  l'attention  des  lecteurs  sur  un  de  ces  monuments 
malheureusement  trop  rares,  et  qui  jettent  de  vives  clartés  sur  un 
point  d'histoire  de  l'art,  ou  de  mythologie.  Nous  voulons  parler 
d'une  terre  cuite  peinte,  représentant  une  tête  de  femme  coiffée 
d'une  peau  de  chevreau  (  pi.  X).  M.  Panofka  reconnaît  dans  cette 
figure  la  Janon  Caprotine  des  Latins.  C'est  par  des  investigations 
pleines  de  science  ,  et  dans  lesquelles  il  fait  voir  tous  les  rapports  de 
Junon  avec  la  chèvre,  qu'il  établit  cette  heureuse  interprétation. 
Cette  figure,  qui  appartient  à  la  sculpture  italiotc  primitive,  rappelle 
au  premier  aspect  le  style  égyptien. 

M.  Panofka  reconnaît  dans  une  figure  de  femme  assise  sur  un  dau- 
phin/no Pa5Jo/ia<?(pl.  XI), justement  parla  manièredontelleappuiesa 
main  droite  sur  la  queue  de  ce  dauphin  qui  est  terminée  en  croissant. 
Ceci,  dit-il,  dénote  une  divinité  de  la  lumière.  N'est-il  pas  à  craindre 
que  cette  opinion  ne  paraisse  trop  parfaitement  symbolique?  Il  est 
encore  possible  que  le  même  doute  accueille  la  dénomination  de  Dia- 
Hebe ,  déesse  tellurique ,  épouse  de  Dionysus  Hebon,  attribuée  à  une 
figure  de  jeune  fille,  principalement  parce  qu'elle  a  les  jambes  croi- 
sées, attitude  qui  exprime  le  repos  et  par  suite  des  idées  funèbres. 

Plusieurs  planches  (  de  XIV  à  XXlil  )  fournissent  à  M.  Panofka 


BIBLIOGRAPHIE.  703 

diverses  explications ,  dont  le  résultat  serait  d'enrichir  le  domaine 
de  l'anliquilé  figurée  d'un  assez  grand  nombre  de  représentations 
relatives  au  mjthe  de  Vénus.  Ainsi,  dans  plusieurs  statuettes  du 
musée  de  Berlin,  il  reconnaît  Aphrodite,  Ambologera ,  liera,  Ca- 
tascopia,  Délia,  Cythereia,  Erycina,  etc.,  etc.,  noms  sous  lesquels, 
pour  la  plupart,  cette  déesse  était  honorée  dans  différentes  localités. 
Le  peu  d'espace  qui  nous  est  accordé  nous  met  dnns  l'impossibi- 
lité de  suivre  pas  à  pas  les  savantes  recherches  de  l'auteur.  Aussi 
nous  bornerons-nous  à  observer  combien  il  est  difficile  de  caracté- 
riser quelques-unes  de  ces  figures  en  l'absence  de  tout  attribut  signi- 
ficatif. Avouons  toutefois  que,  pour  M.  Panofka,  cette  tâche  est 
bien  moins  lourde  que  pour  tout  autre,  grâce  à  sa  vaste  érudition, 
et  au  merveilleux  parti  qu'il  sait  tirer  de  la  symbolique  du  geste  et 
du  costume. 

Nous  sommes  obligés  de  passer  rapidement  sur  plusieurs  monu- 
ments d'un  intérêt  réel ,  tels  par  exemple  que  ces  figures  de  jeunes 
hommes  ailés  (pl.XVlII,  XXII, XXY),  qu'on  n'avait  vus  jusqu'alors 
que  dans  les  peintures  de  vases.  Les  antiquaires,  faute  d'un  autre 
nom,  les  désignent  ordinairement  sous  celui  de  génies  hermaphro- 
dites, M.  Panofka  inclinerait  à  voir  dans  ces  figures  la  personnifica- 
tion de  PolhoSy  un  des  compagnons  de  Vénus.  Nous  ne  pouvons  aussi 
indiquer  qu'en  passant  un  buste  remarquable  représentant  Bacchus 
enfant,  et  dont  le  doigt  placé  mystérieusement  sur  la  bouche  rappelle 
Harpocrate,  ou  plutôt  encore  Télesphore,  le  génie  des  mystères.  Ici 
M.  Panofka  verrait  Bacchus  Mystes,  c'est-à-dire  le  dieu  qui  initie  aux 
mystères.  Nous  indiquerons  encore  une  terre  cuite  peinte  que  l'on 
peut  rapprocher  du  monument  de  Janon  Caprodne;  c'est  le  masque 
à'Acratus,  compagnon  de  Bacchus,  tel  qu'il  s'est  offert  peut-être 
aux  yeux  de  Pausanias  dans  la  maison  de  Polydon  ,  à  Athènes. 

Enfin,  nous  renvoyons  les  archéologues  à  l'ouvrage  même,  en 
leur  laissant  le  soin  d'apprécier  les  curieux  rapprochements  a  l'aide 
desquels  M.  Panofka  reconnaît,  dans  plusieurs  des  terres  cuites  du 
musée  de  Berlin,  Aydistis,  Plutus,  Bacchus,  Licnites  et  Kechenos; 
Demeter,  Melophoros,  7  hesmophoros  ei  Chloé;  Ariane,  Thyone,  etc. 

Nous  l'avons  déjà  dit,  ce  livre,  indispensable  aux  antiquaires,  est 
fait  pour  exciter  chez  les  artistes  un  vif  sentiment  d'intérêt  et  de  cu- 
riosité ;  et  ce  qui  doit  lui  assurer  leur  faveur ,  c'est  l'excellente  exécu- 
tion des  lithographies.  Il  est  impossible  de  reproduire  avec  plus  de 
fidélité  ces  heureuses  négligences,  cette  mollesse  d'exécution  par- 
fois si  gracieuse  qui  caractérisent  les  œuvres  de  la  plastique. 


704  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

Il  est  fâcheux  que  les  bornes  d'une  notice  nous  privent  du  plaisir 
de  signaler  à  leur  attention  /  non-seulement  le  beau  vase  à  reliefs 
colorés  découvert  à  Centorbi,  un  des  monuments  les  plus  curieux 
de  la  céramique,  mais  encore  une  foule  d'autres  petits  chefs-d'œuvre. 
En  effet,  les  statuettes  d'Aphrodite,  Pohjmnia,  de  Dia-IIebe,  de 
Pothos ,  de  Thyone,  de  Némésis,  les  groupes  si  voluptueux  ou  si 
naïfs  inspirés  par  le  culte  de  Bacchus,  et  puis  cds  magnifiques  têtes 
de  Gorgone  si  variées,  sont  dignes  de  prendre  place  parmi  tout  ce  que 
l'art  grec  nous  oHre  de  plus  fin,  de  plus  noble ,  ou  de  plus  délicat. 

On  peut  regretter  vivement  que  des  publications  pareilles  à  celle 
de  M.  Panofka  deviennent  une  rareté  dans  un  pays  comme  le  nôtre, 
oii  les  monuments  abondent,  et  qui  peut  à  si  bon  droit  se  glorifier 
des  savants  qu'il  possède  ;  mais  comment  s'en  étonner  quand  on  songe 
que  depuis  plus  de  vingt  ans  la  plupart  des  collections  archéologiques 
du  Louvre  attendent  un  Catalogue? 

E.  V. 


ALLEMAGNE. 

Ueher  die  Minerçenidole ,  etc.,  etc.  De  la  manière  dont  on  repré- 
sentait Minerve  à  Athènes,  par  Edouard  Gerhard,  extrait  des 
Mémoires  de  l'Académie  des  Sciences  de  Berlin.  In-4,  avec  5  plan- 
ches,  1844. 

Archdologische  Aufsdlze,  etc.  etc.  Mémoires  archéologiques,  par 
Otto  Jahn.  Greifswald,  1845.  In-8,  avec  3  planches. 

Die  mythologie,  etc.,  etc.  La  Mythologie  des  Grecs  et  des  Ro- 
mains,  par  le  docteur  Heffter.  1'*'  livraison.  Brandeburg ,  1845. 
In-8. 


VOYAGES  ET  RECHERCHES  ARCHEOLOGIQUES 

DE  M.  LE  BAS ,  MEMBRE  DE  l'iNSTITUT  , 

EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE, 

PENDANT  IJBS  ANNÉES  1845  ET  1844. 


SUITE  DÛ  SIXIÈME  RAPPORT  A  M.  LE  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION 

PUBLIQUE. 

(Voyez  la  dixième  livraison  ,  p.  6â9  et  suiv.) 


Le  fragment  que  je  vais  transcrire  provient  encore  de  Magoula;  il 
est  gravé  sur  la  gaine  d'un  hermès  très-mutilé  : 

(1^)  Al 

OA 
TO 
ONA 

Tnc 

OYN 
Al 

T 

La  première  ligne  contenait,  suivant  toute  vraisemblance,  la 
formule  AIIOAIS ,  le  reste  est  trop  vague  pour  qu'il  soit  possible 
d'en  tenter  une  restitution.  Ce  monument  est  inédit;  mais  qu'y  ga- 
gnons-nous? un  fragment  de  sculpture  d'assez  bon  style;  voilà  tout. 

Instruit,  le  jour  même  de  mon  départ ,  que  quelques  débris  des 
monuments  détruits  par  l'incendie  du  musée  avaient  été  déposés  dans 
la  cour  du  juge  de  paix,  M.  Parthénopoulo  de  Hydra,  ancien  ensei- 
gne de  vaisseau  de  la  marine  française,  je  me  transportai  aussitôt 
sur  les  lieux  et  copiai  huit  fragments  que  je  reproduis ,  car  rien , 
quoi  qu'on  en  dise ,  n'est  à  négliger  dans  ces  sortes  de  monuments. 

(18)        TATPO 
TOEEni 
PONMAYP 

EYEAni2T  1 

BIAEOY 
I.  46 


706  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Les  lignes  de  ce  monument  ne  doivent  pas  avoir  eu  beaucoup  plus 
de  largeur  et  peuvent  être  restituées  ainsi  : 

[n]ATPO[N] 
TOEEni[nAT] 
PONMAYP['] 
[E]YEAni2T[0Y] 
BIAEOY 

[H  TTÔhg  Tov  ùeïvûc  toO  ^£ryos...]7r«rpovofjioi»  rb  s  in\  îrarpovofxou 
M.  Aùp.  EùeAm'o'Tou,  (3t^eou. 

Cette  inscription  qui  rentre  dans  la  classe  des  dédicaces  honori- 
fiques ne  se  trouve  ni  dans  le  recueil  de  M.  Bœckh  ,  ni  dans  celui 
de  M.  Ross.  Il  est  fort  à  regretter  quelle  soit  mutilée,  car  même 
dans  cet  état,  elle  ajoute  à  nos  connaissances  le  nom  d'un  patronome 
éponyme,  M.  Aarelias  Evelpistus  qui ^  à  ce  qu'il  paraît,  était  en  même 
temps  surveillant  des  jeux;  car  on  sait  par  Pausanias  (lïl,  11,2) 
que  les  Biâeoi  présidaient  particulièrement  aux  jeux  des  Ephèbes. 

Le  nom  d'Èvelpistus  se  rencontre  deux  fois  dans  le  Corpus, 
n""  1377  et  1423  ,  mais  les  personnages  qui  le  portent  n'appartien- 
nent pas  à  la  famille  Aurélia. 

(19)  [Î]EN0TIM[02] 

[E]ENAPXOY 
(20)  PAYP  (21)  _||C  (22)        |N 

MOY  ZAAY  lY 

o^EYT 
M 

J'ai  vainement  parcouru  le  Corpus,  et  le  premier  fascicule  de 
M.  Ross  pour  trouver  les  inscriptions  auxquelles  ont  survécu  ces 
trois  fragments.  Je  n'en  dirai  pas  autant  des  huit  lignes  qui  sui- 
vent; c'est,  à  quelques  nouvelles  mutilations  près,  le  fragment  pu- 
blié dans  le  Corpus  sous  le  n«  1285. 
(23)  02 

N102I 

AAMON 

PHMANOY 

ZnilMAAN 

YnOAA 

<1>IAHT 

2r 


VOYAGES   EN  GRÈCE   ET   EN   ASIE   MINEURE.  707 

Voici  dans  quel  état  était  ce  monument  quand  Fourmont  l'a 
copié  : 

/SliqPKIv:, 

ZAAYPAPinN3       ' 

02EYTYXÂAY 
NI02KAMEINA1 
AAMONIKOYA 
PnMANOYA^ 
ZnilMAAY 
YnOAAEE 
0IAH 
20 

On  ne  peut  tirer  de  là  que  des  noms  propres  : 

[rAI]02[n]0PKI[02].  .  . 
[2n]ZAAYPAPinN3o  .  . 
...  02EYTYXAAY[.    .    . 

NI02KAME1NAI[ 

AAMONIKOYA[ 

POMANOYAY[P 

Zn2IMAAY[P 

YHOAAEËANAPOYTOY 

0IAHT[OY 

2n 

[rat]oç  [n]opya[oç....  Sw]Çà, 
Aiip,  Aptwv  Aptcovoç  , 
....  oç  "EvTvy^âj 
Au[p]..,.  vioç  Kapietva, 

I ^cciiovUov , 

A Pw^avûOj 

Au[p,] Zcûdipt-a^ 

Hp.}.... , 

Ttto  Ah[ioivâpov  70V 

^iTcnrov 

Sc.)[(^a],  etc. 

L'inscription  suivante  était  gravée  sur  un  hermès  parfaitement 
intact  à  l'époque  oii  M.  Ross  en  a  pris  la  copie  qu'il  a  publiée  dans 
le  premier  cahier  de  ses  Inscriptiones  gr,  ined.  sous  le  n^'âQ. 


708  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Je  donne  ici  en  regard  l'état  actuel  et  1  état  primitif. 
(24) 


Ect>HB 

SYNEc&HBOI 

PATOY 

AAM0KPAT0Y2 

KPATHNL 

AAMOKPATHNE 

MEIANilOI 

ONEPMEIANYION 

HOIAMOI 

AIOKAHO2AM0I 

2IN2T 

nAAAI2TPAI2IN2H 

IETEPAI2 

2AMENHMETEPAI2 

NIKATOI 

nAIAE2ANIKATOI 

IKPATE 

20ENAP0IKPATE 

0HBOI 

POI2HNE0HBOI 

EPMAHNIOEn 

Haeic   .   .   . 

HAEIONArAAAO 

MENOIBOYAAI 

MENOIBOYAAI 

IN.  .  .  TOlOO 

2INniNYTOIO0l 

AOYMENOYOSHAI 

NAAAnNE2TIN 

ONAAAONEITIN 

lISTATEONrY 

EniITATEHNrY 

IA2IAI2nPYTAN 

MNA2IAI2nPYTAN 

Voici  la  transcription  en  caractères  courants  de  cette  épigr  amme 
consistant  en  trois  distiques  élégiaques  : 

AaaO/tpary)  j  véov  Épueiixv,  vlbv  ùnoylrto^y 

Aix(f>\  Tïcx.lûcidTpocKîtv  cr/^tfa^ev  Yiixzrépaiç^ 
Uoûâeç  àvUoLTOL ,  aBevapoi,  xparepot  (7uv£(fyjéoï , 

Ep/xawvt  0£w  TiXdov  àyoù.'koiizvoi^ 
BouAaîctv  TTivuroto  <[>iXo'J|ul£Vol»  ,  oç,  Tiléov  dAhjVJ 

Ecrriv  èiziŒzixréMV  yv^ivûcdiaiç  Trpyraviç. 

Les  Synéphèbes  de  Damocrate, 

Nous,  enfants  invincibles ,  robustes,  vigoureux  synéphèbes,  fiers 
du  culte  particulier  que  nous  rendons  à  Hermès ,  nous  avons  élevé  dans 
notre  palestre  cette  image  deDamocrate,  nouvel  Hermès,  d'après  les 
conseils  du  sage  Philumène ,  qui  tient  le  premier  rang  parmi  les  ma- 
gistrats quiprésident  aux  exercices  du  gymnase, 

M.  Ross  n'entend  pas  comme  moi  les  mots  h  tiUov  éùlm^  etc.  ; 
suivant  lui  ils  signiiient  :  qui  alios  (  gymnasiorum  )  prœfectos  dex* 


VOYAGES  EN  GRECE   ET   EN  ASIE  MINEURE.  709 

teritate  in  exercitationibus  gijmnasticis  antecellit.  Mais  je  crois  que  cette 
longue  périphrase  n'a  pour  but  que  de  désigner,  d'une  manière  poé- 
tique ,  le  rang  de  Philumène  qui  devait  être  Trpeo-êuç  ^idiciv,  comme 
Publius  iElius  Alcandridas  du  n°  1364  a. 

Le  n°  1330  qui,  à  l'époque  où  Fourraont  l'a  copié,  se  composait  de 
trente-cinq  lignes,  et  se  trouvait  à  Mistra  dans  le  vestibule  de  l'église 
appelée  UEpihmoç,  n'en  avait  plus  que  quatre  quand  M.  Ross  l'a 
vue  au  musée  de  Sparte.  L'incendie  ne  pouvait  plus  guère  trouver 
prise  sur  cette  pierre;  les  quatre  lignes  existent  encore. 

(25)  HTYXH 
NOTATON 
AIOTATON 

ONnAYAEINON 

Il  est  impossible  de  ne  pas  voir  dans  l'état  actuel  de  ce  monument 
une  nouvelle  preuve  des  mutilations  dont  Fourmont  s'est  rendu 
coupable  et  dont  il  se  faisait  gloire. 

Le  fragment  suivant  appartenait  encore  à  une  inscription  que 
M.  Ross  a  fait  connaître  le  premier  ;  c'est  le  n°  43  de  son  recueil. 

(26)  TACHPOJCXr: 
eNeiPHNHI 
NeiACXAPIN 

Elle  était  alors  complète  et  conçue  en  ces  termes  : 

KATIACHPOJCXAlPeen 

OIHCeNeiPHNHIAICOANA  (sic) 
APIMNeiACXAPINKAUeiMHC 

K5£[p]Tiaç  Tîpwç  ;)(at'p£.  ÉTXOLYjaev  Eip-rim  lùiù)  dv^pl  uml(Xç  yjx.^i)f 
y.OLi  rziij:riç. 

Au  lieu  du  nom  de  Kauaç  qui  laisse  des  doutes  à  M.  Ross ,  le 
lapicide  avait  peut-être  eu  à  écrire  Kocpriaç  qui  serait  alors  de  la  même 
famille  que  Kapn^aixag  et  Kapn'vtzoç  qu'on  trouve  dans  le  Corpus. 

Pour  ne  rien  oublier  je  rapporterai  encore  les  sept  lettres  sui- 
vantes qu'on  lit  sur  le  bord  gauche  du  cadre  d'un  bas-relief  brisé  : 

(27)  O 
A 
A 

r 
o 
I 
p 


710  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Je  passe  maintenant  à  Mistra ,  à  ce  long  spectre  de  ville  dont  il 
ne  subsiste  plus  que  le  linceul ,  comme  pour  rappeler  le  souvenir 
des  chevaliers  français  qui  y  avaient  établi  le  siège  de  leur  puissance , 
et  qui  du  haut  de  cette  aire  dominaient  au  loin  tout  le  Péloponèse. 
Sur  ces  murs ,  bâtis  avec  les  ruines  de  Sparte ,  on  lisait  autrefois  de 
nombreuses  inscriptions  antiques  ;  je  n'y  ai  plus  retrouvé  que  celles 
dont  je  vais  parler. 

La  première  a  déjà  été  publiée  dans  le  grand  ouvrage  de  Morée , 
d'après  une  copie  qui  avait  été  prise  dans  V Agora  sur  l'Acropole  ; 
ce  qui  ne  peut  être  une  indication  exacte.  Elle  a  fait  beaucoup 
de  chemin  depuis,  car  elle  se  trouve  aujourd'hui  à  Mistra,  dans 
l'église  neuve  de  Saint-Georges. 

(28)  AEOHTIBKA 

IK0NBPA2IAC 
DAOrnTATON 
NnPnTONlEP 
IH2APXIEPEA 
EBA2TnNKAI 

DNnpnroNO 

~TnnnAr>¥<>- 

La  seule  variante  que  présentent  les  deux  copies  sont  0  au  lieu  de 
0  à  la  troisième  lettre  de  la  ligne  r%  BPASIAO  au  lieu  de  BPASIAE, 
ligne  2,1a  ligne  6  tout  entière  qui  manque  sur  la  première  copie, 
et  la  fin  de  la  ligne  7  qui  permet  de  lire  [APIS]TOnOAE[l]  >¥<  C'est- 
à-dire  àpicrroTToXsiTSUopsvov. 

Je  changerais  peu  de  chose  au  commentaire  que  j'ai  publié  sur  ce 
monument  [Expéd.  de  Morée,  t.  II,  p.  75;  t.I,  p.  133  du  tirage  in-8); 
seulement  je  distribuerais  un  peu  différemment  les  lignes,  et  aux  mots 
[TH2  2EBA2]TH2,  je  substituerais  [0EA2PnM]H2. 

.  .  .  AE0HTIBKA[AYA10N] 
[APM0N]IK0NBPA2IA[0YT0N] 
[AZIO]AOrnTATON[BOYArON] 
[KAI]nPnT0NIEP[EA0EA2] 
[PnM]H2APXlEPEA^AETnN] 
[2jEBA2TnNKAI[TnN] 

[OEin]NnporoNn[NAYTnN] 

[API2]TOnOAE[l]i^[MENON]  etc. 

Sans  doute  ensuite  venaient  les  autres  formules  qu'on  rencontre 
sur  les  monuments  du  même  genre  loi^ovzocràç  triq  (xpiàToizoleiTeiag 


VOYAGES   EN  GRECE  ET  EN  ASIE  MINEURE,  711 

zi^jAç  xarà  zov  voiiov.  Du  reste,  les  quatre  premières  lettres  ont 
cessé  d'être  pour  moi  une  énigme  insoluble  :  il  faut  lire  comme  au 
nM242,  ligne  21 

[T0N2YNAIK0NT0N] 

[EniTlAEOH . 

^   Tov  (jxivdmov  TGV  iv:\  rà  eQyj. 

Le  fragment  qui  vient  ensuite  se  trouve  sur  une  fontaine.  Il  a  été 
publié  par  M.  Ross,  n°  31;  mais  le  savant  éditeur  n'a  pas  jugé  con- 
venable de  l'expliquer. 

(29)  0P12 

IMATO 
Eni^l 
RHIOY 
2YN' 
YX02N 
D0P02 

La  copie  que  j'ai  prise  et  celle  de  M.  Ross  portent,  ligne  1 ,  OPIS, 
l'estampage  laisse  de  l'incertitude  et  porterait  à  lire  OPIA.  Ce  marbre 
appartenait  évidemment  à  un  catalogue  de  magistrats  dans  le  genre 
de  ceux  que  contient  le  Corpus,  ïf  1237  et  suivants  et  particuliè- 
rement n°  1242.  A  l'aide  de  ce  secours  on  peut  en  proposer  la  resti- 
tution suivante  : 

....  Eni] 

[ArHT]OPIA[AEninEIOY] 
[rPAM]MATO[0YAAZAIABE] 
[TH2]Eni2[EZT0Y] 
[nOM]nHIOY[AAMAPOY] 
2YNAP[X0NTE2] 

[M0YN]YX02N 

[NEIKH10OPO2 

STÛ  AyyjTJopt J[a ,  ènl  Ueiov  ypa]/:x/uiaTo[(puAa?, 

JiaêeVyjç]  Im.  S[£^Toy  no//]7ry3toLi  Aa/Jiapoug. 

[Uovv]v)(^oç  N 

[Nïixvîjfpopoç 

Toutes  mes  restitutions  sont  faciles  à  justifier.  Agétoridas,  Pius, 
Sextus  Pompée  Damarès  sont  des  patronomes  éponymes  dont  les 


712  REVUE  ARCHEOLOGIQUE. 

noms  figurent  sur  des  monuments  datant  d'une  même  époque.  Voyez 
pour  Agétoridas  les  n°*  1239,  3,  8,  18;  1380,  19  ;  1354,  12; 
pour  Usioç  le  n''  1242,  21,  et  pour  Sextus  Pompée  Damarès  le 
n°  1242,  27,  où  il  n'est  encore  mentionné  que  comme  evaiToç; 
et  le  n'*  1267,  bien  que  provenant  d'Amycles. 

Les  deux  lignes  qui  forment  le  n"  30  sont  encastrées  dans  la  mu- 
raille extérieure  d'une  maison  particulière,  celle  de  M.  Emmanuel 
Manoussaki.  Elles  faisaient  également  partie  d'une  liste  de  magistrats. 

(30)  AA0YnNnPE2 
THMnN 

\ol  vo/xocpuAaxeç ,   èm] 

[no.  Me/tx^iou,  UpocTojloiov  wv  7rpeo-[6vç] 
A]yyî|uiwy 

Ayriixm  est  aussi  un  nom  Spartiate  qu'on  rencontre  au  n"  1280, 
ligne  9. 
Les  quatre  suivantes  proviennent  de  l'église  de  Saint-Spiridion  : 

(31)  MAKEAC 
EYN0IA7 
l2THNnA 

AA      A 
Je  proposerais  la  restitution  suivante  : 

[HnOAI2.  ^ ]  MAKEAO 

[NA ]EYN0IA2 

[ENEKENTH2E]l2THNnA 
[TPIlAA        A 

[H  Tioliç ]  Ma)t£(Jo[va  tov  dzïvoç]  îvvolccç  [svsîtsv  t'^ç  zi]ç  ttîv 

TiûclypQâa. ,  etc. 

Cette  inscription  a  été  publiée,  par  M.  Ross,  sous  le  n«  28  :  le 
savant  professeur  n'a  pas  jugé  convenable  d'en  remplir  les  lacunes. 
Le  n°  32  est  connu  depuis  longtemps;  mais  il  s'est  bien  amoindri  : 
État  ancien  :  État  actuel  : 

(^2)    KABIAI02ArA0ANrE         (32)    IABIAI02AI 
A02NIKH2A2ATE  A02NIKH2 

NEinNnAAHNEni  NEIflNnAA 

ArnNOOETOYTON  AmNOGEl 

MEfAAONEYPYKAE  MEfAAONL 

ONrAHOYANTinA  ONfAHOYA 

TP0YT0YAY2IKPA 
T0Y2AAKEAAIM0N 
02  niTANATH2 


VOYAGES  EN  GRECE  ET  EN  ASIE  MINEURE.  713 

C'est  le  n°  1425  du  Corpus,  Fourmont  l'a  lue  à  Sparte  près  de  la 
porte  septentrionale;  elle  avait  alors  en  plus  trois  lignes  et  six  let- 
tres environ  à  chaque  ligne.  Qui  a  mis  ce  monument  dans  l'état  où  il 
est  aujourd'hui? 

(33)  TONt 

ATONKI 

Peut-être  faut-il  il  suppléer  tov  è[vâo'i6r']ûirou  z[at ,  mais  le  temps 
et  la  patience  me  manquent  pour  vérifier  si  ces  quelques  lettres  ap- 
partiennent à  un  monument  déjà  publié. 

Vient  enfin  le  n°  1409  du  Corpus  dont  voici  une  copie  fidèle,  que 
celles  de  Fourmont  et  de  M.  Benthylos  de  Smyrne  rendent  encore  né- 
cessaire, et  qui  confirme  toutes  les  corrections  de  M.  Bœckh. 

(34)  TONKAYTONHrE 
M0NHAXAPEI2I0N 
ANOETOKOYPA 
2nAPTA2AnPnTA 
nHNEAOnElAhEA 

.  NMErAXAPMAHATPA 
.  nAPTIATlKOSHE^H 
2EN     KYAAAIM02 
.  ENETnPKYAAAIMA 
OYrATPA 

(Ici  un  Phallus.) 

AlivHTPlOYIOYSrAYOH 
Les  n"'  35  et  36  se  trouvent  dans  l'ancienne  église  catholique  au- 
jourd'hui en  ruines. 

(35)  OY  .  ENOimTHPI 
020ENIAA2nEI2IA 
ANAPOlEYnOPOY 

OOKAHSOIAinnOY 
KPATHIAfA 

C'est  une  suite  de  noms  faciles  à  restituer. 

[ct)[A]0Y[M]EN022nTHPI[AA] 
[AHM]02GENlAA2nEI2IA 
[MEN]ANAPQ2EYnOPOY 
[ArA]OOKAH2ct5lAinnOY 
[Eni]KPATH2ArA.  •  . 


714  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Ayj/xJoaQevic^aç  Ueiaioc , 
Mév](xv^poç  EvTTopov, 

ÉTTtJxparyjç  Ay«.... 

Le  n«  36  est  une  inscription  funéraire  déjà  publiée  dans  le  Corpus 
sous  le  n°  1501 ,  d'après  une  copie  de  Fourraont,  et,  par  moi,  dans 
l'ouvrage  deMorée  (t.  II,  p.  72;  1. 1,  p.  118  du  tirage  in-S").  Une 
représentation  bien  fidèle  de  ce  monument  était  encore  à  désirer,  la 
voici  : 

K 

(36)  Aoroc 

XAIPE 
NEiKAE 
YC 
ETHN 
MB 
TAYKCON 
XAIPe 

La  correction  [EujAoyoç  que  j'avais  proposée  n'est  pas  soutenable  ; 
K  est  la  deuxième  lettre  d'une  formule  bien  connue,  S(eoïç)  K(aTa- 
yBovLoiç)  j  Diis  manïbiis,  dont  la  première  lettre  a  disparu. 

J'ai  aussi  trouvé  dans  le  pavé  de  cette  église  une  inscription  la- 
tine de  l'époque  vénitienne.  Je  la  rapporterai  plus  loin. 

Dans  l'église  de  la  Ilavixyia  «Travco  j'ai  lu  au-dessous  d'un  petit 
triglyphe 

(37)  HRAIEYS 

Les  ruines  d'une  maison  m'ont  encore  offert  les  fragments  qui  sui- 
vent : 

(38)  KAAAIK 
NEIKIAA 
AI0NY2 
AinjTPA 

AI02 

(39)  OYArOPA 

Le  premier  appartenait  à  une  liste  de  noms  propres. 


VOYAGES  EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE.  716 

KAAAIKLAH2]  Ka^tyM^ 

NEIKIAA  Ns.x.'(J«, 

AI0NY2I02  ^lovvmoç 

A[En]2TPA[T0Y]  Aso^arparou , 

[2IMY1AI02  St^uAtoç  [tou  âeîvoc]. 

(40)  En  caractères  archaïques 

T  p 

Au  premier  étage  de  ladite  maison  : 

(41)  HnOAIl 

0MnnNI0NAPI2TEANAAKA2T0Y 
KAEIAHNKAIAI02KOYPIAHNBOArON 
ETHNAnOAEKTHNEniMEAHTHN 
NXPHMATnNArnNOOÇ 
TON     NO Y 

rmn 

H   TTo'Xtç 

[Fa.  nJop.TToSvtov  AptoTsav  Al^dfjrov 
HpaJzAei^Tjv  y.au  ^i,o(JY.ovpt^nv,  ^toocyQV  , 

^taêjsr/jv,  àiio^éy,Tnv ,  èmiielnr-hv 

[twv  aywvo0£Ti>tco]v  y^pniJ.drMV,  dyoiVoQér- 

fyjv] Tov....  vou 

[TTpoo'Je^a/xgvou  to  «vaAw/xa  ropJytTTTT  [ou] 

Je  ne  doute  pas  de  la  sûreté  des  restitutions  des  deux  premières 
lignes.  On  connaissait  déjà  par  le  n''  1351  un  autre  fils  d'Alcaste, 
C.  Pomponius  Agis,  qui  figure  n°'  1239  et  1240  parmi  les  nomo- 
phylaces,  et  qui  paraît  même  avoir  été  patronome  ;  le  nôtre  fait  valoir 
plus  de  titres,  mais  d'un  ordre  moins  élevé.  Il  descend  d'Hercule  et  des 
Dioscures,  sans  doute  parce  qu'il  appartient  à  l'une  de  ces  familles  sa- 
cerdotales qui  faisaient  remonter  leur  originejusqu'à  ces  héros.  {Voyez 
len°134oî  hpéoc  y.a.i'âTXoyovov  Iloattooç,  n°1374.)  Sur  les  fonctions 
gymnastiques  de  ^oayogeiàe  ^toc^éz-nç,  qui  étaient  les  premières  par 
lesquelles  on  débutait,  on  peut  consulter  M.  Boeckh  (t.  I,  p.  611 
et  612).  De  plus  C.  Pomponius  était  chargé  de  la  recette  et  de  l'em 


716  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

ploi  des  fonds  relatifs  aux  jeux  publics,  fonctions  auxquelles  on  peut 
voir  une  allusion  dans  le  nM  378,  où  l'on  fait  un  mérite  à  un  certain 
M.  Aurélius  Cléomène  d'avoir  rendu  à  l'État,  dens  leur  intégrité,  les 
excédants  des  fonds  dont  il  s'agit  :  r/iv  Tiepiddelocv  drioâoiiç  iidctxocv  rfi 

Un  peu  plus  loin,  à  la  porte  d'une  église,  on  lit  : 
(42)  eARI  AAMIAC  ACO) 

xAipe  xAipe  ctpat 

eTHBlCOCAC 

Xoûpe»      xoûipt.       ÏTfi  Picoo-aç  [....p^atpej. 

En  descendant  de  la  forteresse,  dans  les  ruines  de  la  mosquée  turque 
on  lit,  en  caractères  très-rectangulaires,  imitant,  sans  la  reproduire, 
récriture  archaïque  ; 

(43)  EPOIEBE 

ÉTTOtyîQyj 

C'est  encore  une  preuve  à  ajouter  à  beaucoup  d'autres  de  l'usage , 
très-répandu  à  l'époque  romaine ,  de  fabriquer  des  titres  antiques. 

Nous  voici  parvenus  à  l'église  métropolitaine,  dont  l'ancien  mo- 
nastère était  autrefois  riche  et  célèbre,  et  qui  n'est  plus  habité  que 
par  un  moine,  frère  de  l'archevêque  actuel,  et  cumulant  les  fonctions 
de  prêtre  avec  celles  de  vétérinaire.  Le  long  de  la  porte  du  parvis  sont 
encastrées  deux  pierres  qui  n'ont  point  échappé  à  M.  Ross ,  et  qui 
forment  le  n»  32,  a,  6,  de  son  recueil,  bien  qu'elles  proviennent  à  n'en 
point  douter,  d'après  la  forme  des  lettres,  de  deux  monuments  bien 
distincts. 


(44)                        inONM 

OYAAMO 
2KAIET 
^        EIAX 

[in]nONI[K02 

nVAAMOrkPA 

[i7r]7Tovt[xos 

..••.ou  AccwoiïtoaToulc 

T0Y]2KAIET[EAPX 
EIAX 

zai  'èéx[ec(.px\dG(.q 

VOYAGE   EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE.  717 

Cette  restitution  que  je  crois  préférable  à  celle  de  mon  devancier 
me  laisse  encore  quelques  doutes,  l'usage  de  joindre  le  nom  de  la  mère 
à  celui  du  père  n'ayant  pas  pour  lui  beaucoup  d'exemples ,  bien  qu'on 
en  trouve  un  dans  le  numéro  qui  suit  immédiatement.  Le  génitif  qui 
précède  Aa^o/^parouç  devait  être  un  prénom  romain. 

(45)  KA102 

KENAH 
KPEIOY 
KAI2K0 

C'est  environ  la  sixième  partie  du  n"  1373.  Voici  ce  qu'il  était 
quand  Fourmont  l'a  copié  : 

AnOAI2_ 
ONASinnONTIB 
KAAYAIOYAAMO 
NE1K0Y2KAIETY 
M0KAHAEIA2TH2 
20IÏITEA0Y2YI 
0NAPETA2KAIAI 
KAI02YNA2ENE 
KENAnOrONON 
KPElOYKAIMEfATA 
KAI2K0nEA0Y 

Maintenant  quittons  Mistra  pour  ses  environs ,  et  transportons- 
nous  à  la  belle  fontaine  de  Kéramos.  Nous  y  trouverons  un  marbre 
fort  difficile  à  déchiffrer.  M.  Ross  l'a  publié  sous  le  n°  27  ;  mais  il  est 
loin  d'en  avoir  tiré  tout  ce  qu'on  en  peut  lire.  Voici  les  deux  copies 
comparées  : 

Copie  de  M.  Ross.  Nouvelle  copie. 

(46) 

!..  02     NM 

.  12EI^20IH  .  AAA 

TIATOI  IK02APXITEA 

.  .  .  KAEIAA2ni2T0Y  TnKAEIAA2ni2T0Y 

AinNTIM0ct>ANE02  AinNTIM0cJ>ANE02 

OAinNANAPONIKOY  •  lOAinNAAPONlKOY 

KAAIMAX02I/  KAAAIMAX02V 

IAIAI2KinP02  HAlAllKynPOS 


.GHNinN 


718  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Le  savant  professeur  tire  de  celte  copie  les  quatre  lignes  suivantes  : 

......  'ithi$ix(;  lïtcTToO? 

Atwv  Tipio(pav£oç  , 

A  l'aide  de  ma  copie ,  on  peut  arriver  à  une  plus  grande  exacti- 
tude et  gagner  encore  quelques  noms.  Suivant  moi,  les  sept  premières 
lignes  doivent  être  lues  ainsi  : 

[OIA]02[n]NM.  .  .  , 
[2]n2EI[A]20IZ[l]AAA 
K]T[P]AT0[N]IK02APXITEA[E02] 
[2inKAEIAA2ni2T0Y 
AinNTIMOOANEOl 
[n]IOA2nNANAPONIKOY 
KAAAIMAXOIV 

Cette  sigle  V>  M.  Ross  l'a  parfaitement  vu ,  est  l'équivalent,  sous 
une  forme  nouvelle,  des  signes  3  ,  K,  ST,  <,  etc.  {wy.  M.  Boeckh, 
Corpus  inscrip,,  t.  I,  p.  613,  col.  2],  qui  indiquent  que  le  mot  qui  la 
précède  doit  être  répété  au  génitif. 

Restent  les  deux  dernières  lignes,  les  lignes  8  et  9.  La  hui- 
tième m'a  donné  quelque  peine.  La  pierre  est  par  trop  lisible 
en  cet  endroit  pour  qu'on  .puisse  y  supposer  quelque  altération. 
Mais  comment  un  K  et  un  y  peuvent-ils  se  trouver  de  suite? 
Évidemment  il  manque  entre  ces  deux  lettres  une  voyelle  qui  ne  peut 
être  qu'un  0,  et  il  est  permis  de  supposer,  en  regardant  le  marbre 
de  près,  qu'un  0  de  très-petite  dimension  était  écrit  au-dessus  de  la 
partie  supérieure  du  K  (K)  comme  on  le  rencontre  au-dessus  du  N  (N) 
dans  les  abréviations  des  mots  terminés  par  N0M02.  Alors  on  pour- 
rait lire  Jl(xidi(jy.6i\)(ùpoç;  mais  ce  nom  ,  en  le  supposant  admissible, 
sentirait  par  trop  son  mauvais  lieu.  Et  puis  d'ailleurs  une  pareille 
abréviation  au  milieu  d'un  nom  n'était  pas  dans  l'habitude  des  lapi- 
cides  d'une  bonne  époque.  Il  vaut  mieux  y  voir  la  désignation  d'une 
classe  particulière  d'individus  dont  les  noms  sont  ajoutés  à  la  liste 
principale.  Les  lignes  8  et  9  pourraient  donc ,  selon  moi ,  être  resti- 
tuées de  la  manière  suivante  : 

[n]AiAi2[K]ynpo2 

[AlOHNinN 


VOYAGES  EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE.  719 

Ainsi  tout  le  monument  conçu  en  ces  termes  : 

[$iX]off[w]v  M , 

[Sjw(j£i[a]ç  Oi^[i]acJa, 
[S]T[p]aTo[v] ixoç  Ap^irél\_eoç]f 

Aiwv  Tt|uio(pav£oç  y  r 

[Il]i0aarwv  AvJpoviV-ou, 
Kalliixa)(pç  ILaXkiii.a.'/pyj , 

■[A]0yîvtcov. 

Le  pauvre  ^wpoç  (  5ca6er  )  n'a  pas  un  bien  beau  nom  ;  mais  en 
revanche  son  compagnon  porte  un  nom  célèbre  dans  l'histoire  des 
esclaves. 

Il  me  reste  encore  à  justifier  quelques-uns  des  noms  que  j'ai  réta- 
blis dans  les  six  premières  lignes.  ^tXocwv  a  pour  lui  l'autorité  du 
n°  1576  ;  Sp.)0'£iaç ,  celle  de  Swataç,  if  1512  ,  pour  ne  citer  qu'un 
seul  exemple  emprunté  aux  inscriptions  de  Sparte.  OiiidàoLq  n'est  pas 
plus  contraire  à  l'analogie  que  Kryio-ia^aç  (n°'  163,  45).  ^(^vleÙaq 
ou2&jnXt(Jaç  est  un  nom  Spartiate  qu'on  lit  au  n*^  1262,  ligne  10. 
Enfin  IIiGao-cov  est  formé  d'après  les  mêmes  lois  que  Ovao-wv  et 
Kr/jaccov,  Mvao-wv,  etc. 

A  quelle  classe  de  monuments  appartient  cette  inscription?  C'est 
une  question  qui  mérite  d'être  examinée.  Si  les  deux  nçms  qui  sui- 
vent TzoLiàiav.oi  étaient  suivis  comme  les  autres  d'un  nom  au  génitif  on 
pourrait  voir  dans  notre  marbre  une  liste  d'éphèbes  (veavtcxoi)  et 
déjeunes  enfants  vainqueurs  dans  des  jeux  publics.  Le  n*'  1279 
(  col.  21,  l.  8  )  prêterait  beaucoup  de  force  à  cette  conjecture.  Du 
reste  il  pourrait  se  faire  que  l'on  se  fût  contenté  de  désigner  les  pe- 
tits enfants  par  leur  simple  nom.  Cela  est  d'autant  plus  admissible 
que  dans  l'inscription  que  je  viens  de  citer  tous  les  vzcx.viGy.oi ,  à 
l'exception  d'un  seul ,  sont  ainsi  indiqués ,  ou  bien  encore  on  ajoute 
une  désignation  tirée  de  l'âge,  Aa^-oxparviç  irpso-êurspoç.  Une  seule 
chose  me  laisse  de  l'incertitude  ;  comment  un  enfant  de  condition 
libre  a-t-il  pu  recevoir  en  naissant  l'horrible  nom  de  ^wpoç?  Le  temps 
me  manque  pour  faire  quelques  recherches  à  cet  égard ,  mais  l'ono- 
matologie  latine ,  à  défaut  de  la  grecque ,  pourrait  fournir  plus  d'un 
exemple  de  noms  tirés  d'une  maladie,  d'une  infirmité,  ou  d'un  dé- 
faut de  conformation. 


720  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Mistra  visitée ,  j'entrepris  le  voyage  d'Amycles,  aujourd'hui  Skla- 
vokhorio.  J'espérais  que  là  je  serais  plus  heureux  qu'à  Sparte,  relati- 
vement à  la  question  soulevée  par  les  inscriptions  de  Fourmont.  Mais 
dans  ce  lieu  la  destruction  a  été  poussée  plus  loin  encore  qu'à  Sparte. 
Il  n'y  reste  plus  que  deux  inscriptions.  L'une  d'elles  (47),  que  ses 
grandes  dimensions  ont  seules  empêchée  d'être  détruite,  a  été  copiée 
par  plusieurs  voyageurs,  publiée  dans  le  Corpus  sous  le  n*'  1445,  et 
expliquée  par  moi  dans  le  t.  III  de  Y  Expédition  se.  de  M,  (t.  I,  p.  157 
du  tirage  in-8°).  L'estampage  que  j'en  ai  pris  prouve  que  le  monu- 
ment est  resté  ce  qu'il  était  lors  du  passage  de  M.  Ch.  Lenormant. 
L'autre  est ,  je  pense ,  inédite  ;  elle  a  servi  à  la  construction  d'une 
cabane. 

(48)  ONOEOnPOniON 

NEA2HAIKIA2 
VIAPETH2EnEI 
TAPTH 
....  ôv  GeoTipoTTiov  véccç  rihy^locç.*.»  [>ta]t  àpETriÇy  etc. 

Oracle  da  jeune  âge  (  modèle  de  science  )  et  de  vertu. 

J'abandonne  le  reste  à  un  plus  habile.  On  peut  toutefois  rappro- 
cher de  ce  monument  le  n**  1376. 

Il  est  encore.  Monsieur  le  Ministre,  une  classe  de  monuments 
que  je  n'ai  pas  cru  devoir  négliger,  ce  sont  ceux  qui  peuvent  servir 
à  l'histoire  du  moyen  âge  ou  même  à  l'histoire  moderne.  C'est  sur- 
tout à  Mistra  que  la  moisson  en  ce  genre  est  fructueuse.  Comme 
cette  lettre  est  déjà  bien  longue,  je  ne  transcrirai  ici  que  l'inscription 
latine  dont  je  vous  ai  parlé  plus  haut.  Elle  trouvera  sans  doute  place 
un  jour  dans  le  recueil  du  savant  éditeur  des  inscriptions  des  églises 
vénitiennes,  M.  Cicogna. 

(49)  D  0  M 

TEMPLVM  HOC 

PRiESENTATIONIS-  DEIPARAE-  DICATVM 

SVB 

MARCO  LAVRETANO  PRO^^  GENLI.  PELOPONENSI 

MARCHÏONI-  NICOLAOMELI  PR.EFF?  LACONI 

ANTONIO  GRITTI  PRETTORl  SPARTtE 

_NEC  NON 

DEVONE  :  ALIVM  FIDELIVMAFVNDISE 

R.  R.  F.  F.  MIN  :  OBSERV  :  S  :  FRANCISCl  COMC 

ANNO-  SALVTIS-  MDC. 


VOYAGES  EN  GRÈCE   ET  EN  ASIE  MINEURE.  721 

Je  me  bornerai  à  mentionner  le  reste  : 

(50)  L'inscription  de  la  fontaine  de  Krebata,  publiée  par  moidans 
l'ouvrage  de  Morée  (t.  II,  p.  79  et  8;  1. 1,  p.  152  du  tirage in-8**). 
L'estampage  que  j'en  rapporte  justifie  presque  toutes  mes  conjectures 
et  permettra  de  préciser  la  date  de  ce  monument  qui  ne  remonte  pas 
au  delà  du  siècle  dernier. 

(51)  L'inscription  de  la  fontaine  qu'on  voit  dans  la  cour  de  l'église 
métropolitaine.  Je  l'ai  également  publiée  (t.  II,  p.  80  de  l'ouvrage  cité  ; 
t.  I,  p.  156  du  tirage  in-8°). 

(52)  Les  vers  qu'on  lit  sur  le  linteau  de  la  porte  du  temple. 

(53)  Une  inscription  gravée  sur  une  plaque  encastrée  dans  la  mu- 
raille latérale  droite. 

(54,  55,  56)  Les  inscriptions  fort  longues,  gravées  sur  trois  des 
colonnes  intérieures  de  l'église. 

(57)  Une  inscription  qu'on  lit  sur  une  fontaine  en  ruine  près  de 
Keramos. 

Ainsi,  Monsieur  le  Ministre ,  57  inscriptions  formant  deux  classes, 
48  anciennes  et  9  modernes,  et  parmi  les  48 ,  20  déjà  connues  et 
28  inédites ,  de  môme  que  parmi  les  récentes  2  connues  et  5  à  faire 
connaître ,  voilà  tout  ce  que  j'ai  pu  recueillir  dans  cinq  jours  de  re- 
cherches attentives  ;  le  reste  du  temps  que  j'ai  passé  à  Sparte  ayant 
été  consacré  à  vous  écrire.  Môme  en  ajoutant  aux  48  inscriptions 
copiées  par  moi  les  300  inscriptions  environ  dues  à  Fourmont,  et  les 
1 4  rapportées  par  les  membres  de  la  commission  de  Morée,  pourra-t-on 
comparer  ces  titres  à  ceux  que  présente  Athènes?  Avais-je  donc 
tort  de  dire  en  commençant  qu'il  ne  reste  plus  rien ,  à  la  surface 
du  sol ,  de  l'antique  grandeur  de  Sparte?  Ne  semble-t-il  pas  qu'un 
génie  vengeur  des  peuples  qu'elle  a  si  longtemps  opprimés  ait 
conspiré  contre  sa  gloire  et  n'ait  voulu  laisser  subsister  d'elle  que 
des  monuments  rappelant  et  l'époque  où  elle  tremblait  sous  des  pro- 
consuls romains  et  celle  où  elle  subissait  le  joug  des  peuples  de  l'Occi- 
dent? N'y  a-t-il  pas  là  de  grands  enseignements? 

Si  mes  découvertes  à  Sparte ,  sous  le  rapport  des  marbres  d'une 
antiquité  respectable,  n'ont  pas  été  aussi  satisfaisantes  que  je  l'aurais 
désiré,  j'ai  été  plus  heureux  à  d'autres  égards.  Dans  un  petit  lot  de  mé- 
dailles et  d'objets  en  bronze  dont  j'ai  fait  emplette  à  Mistra,  se  trouve  une 
sorte  de  patère  antique  sur  le  bord  intérieur  de  laquelle  a  été  ciselé 
le  mot  AIWNATI^  [h^vàcziç)  ce  qui,  indépendamment  de  certains  in- 
dices qui  annoncent  que  ce  meuble  n'a  jamais  été  isolé ,  mais  tenait 
par  la  partie  convexe  à  un  autre  objet ,  me  porterait  à  croire  que  la 
I.  47 


722  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

patère  en  question  appartenait  à  un  candélabre  du  temple  de  Diane 
Limnatide  ou  Orthia,  nom  identique,  comme  l'a  prouvé  M.  Ross, 
p.  21  de  son  Voyage  dans  le  Péloponèse.  Dans  le  même  lot,  j'ai  acquis 
un  couvercle  de  vase  en  bronze ,  sur  la  partie  intérieure  duquel  est 
gravée  à  la  pointe  une  inscription,  également  en  caractères  archaïques, 
que  je  n'ai  pas  encore  eu  le  loisir  de  déchiffrer.  J'ai  en  outre  fait  em- 
piète au  village  de  Magoula  d'un  objet  d'art  très-important,  selon 
moi  ;  c'est  un  fragment  en  terre  cuite  qui ,  à  en  juger  par  sa  cour- 
bure, devait  appartenir  à  un  vase  de  forme  circulaire,  ayant  au  moins 
de  60  à  70  centimètres  de  diamètre.  Le  fragment  en  question  devait 
former  la  partie  principale  de  ce  vase,  car  il  représente  le  sujet  connu 
de  la  Guerre  des  sept  chefs  ^  au  moment  oii  les  deux  frères  ennemis  en 
viennent  aux  mains.  Polynice  est  armé  du  bouclier  argien;  Étéocle, 
du  bouclier  thébain.  Un  guerrier  est  étendu  mort  à  leurs  pieds.  Deux 
autres  se  tiennent  debout  derrière  les  deux  combattants,  dans  des 
attitudes  diverses ,  mais  se  rapportant  au  sujet.  Le  style  du  monument 
est  archaïque  et  de  tout  point  semblable  à  celui  des  vases  peints  à 
figures  noires.  Il  y  a  de  là,  si  je  ne  me  trompe,  plus  d'une  conséquence 
à  tirer  :  l**  Sparte  n'a  pas  poussé  aussi  loin  qu'on  le  pense  communé- 
ment l'aversion  pour  les  beaux-arts ,  même  à  l'époque  de  la  plus 
grande  sévérité  de  ses  mœurs ,  car  la  terre  cuite  en  question  est  cer- 
tainement antérieure  au  V^  siècle  avant  notre  ère;  2°  les  vases  peints 
dans  le  principe  étaient  peut-être  souvent  la  reproduction  de  sculp- 
tures célèbres ,  ou  réciproquement,  ce  qui  me  paraît  du  reste  moins 
probable. 

Dans  ma  prochaine  lettre,  Monsieur  le  Ministre,  je  vous  entre- 
tiendrai des  résultats  de  mon  voyage  à  Geronthrae  et  à  Gythium,  et 
j'aime  à  croire  que  vous  penserez  avec  moi  qu'ils  sont  au  nombre  des 
plus  importants  que  présente  jusqu'ici  mon  voyage. 

Je  suis  avec  respect. 

Monsieur  le  Ministre , 

Votre  dévoué  serviteur, 
Ph.  Le  Bas. 

NAuplie,  le  15aoûtl84S. 


ARCHEOLOGIE   EGYPTIENNE. 
LETTRE  A  M.  GHAMPOLLION-FIGEAG  (''. 

DuThouthmoséiuin de  Karnac ,  le 27  mai  1843. 

Monsieur  , 

Je  n'ai  pu  attendre  au  Kaire  votre  réponse  à  ma  dernière 
lettre.  Des  voyageurs  m'ayant  appris  qu'on  exploitait  de  nou- 
veau les  ruines  de  Karnac,  je  rae  suis  empressé  de  remonter  le  Nil 
pour  sauver  de  cette  débâcle  la  petite  salle  des  ancêtres  de  Thout- 
mès  III. 

J'ai  voulu  aussi  utiliser  ce  nouveau  voyage ,  et  au  lieu  de  fatiguer 
mes  matelots  à  la  cordelle,  j'ai  profité  de  tous  les  moments  de  calme 
pour  faire  quelques  excursions  et  augmenter  mes  notes  et  mon  por- 
tefeuille. La  vieille  Egypte  a  toujours  pour  vous  tant  d'intérêt , 
Monsieur,  que  je  crois  devoir  vous  communiquer  le  résultat  de  ces 
travaux,  interrompus  souvent  mal  à  propos  parle  vent,  mais  aux- 
quels je  reviendrai ,  j'espère,  plus  tard,  à  loisir. 

Parti  du  Kaire  le  14  avril,  au  coucher  du  soleil,  j'arrivai  à  Fechn 
le  16  à  onze  heures  du  matin,  et,  malgré  la  chaleur  excessive,  je 
fis  une  excursion  dans  un  village  des  environs  nommé  Ekfas,  où  un 
ouléma  de  ma  connaissance  m'avait  assuré  qu'il  y  avait  une  pierre 
bilingae,  enchâssée  dans  le  mihrab  delà  mosquée.  Après  cinq  longues 
heures  de  marche  au  grand  soleil,  j'arrivai  à  Ekfas,  où,  sans  ap- 
préhension, grâce  à  mon  costume,  j'allai  me  reposer  dans  la  misé- 
rable mosquée  du  lieu.  J'y  trouvai  une  pierre  blanche  couverte  de 
vieux  caractères  arabes  méconnaissables,  inintelligibles,  même  pour 
l'iman  qui  m'accompagnait  et  qui  m'indiqua  de  l'autre  côté  un  frag- 
ment d'inscription  romaine.  J'en  ai  pris  une  bonne  empreinte  dont 
je  joins  ici  la  copie  (2),  \ 

(1)  Celte  lettre  avait  déjà  été  publiée  par  M.  Ch.  F.  dans  le  Moniteur,  mais 
comme  elle  contrent  plusieurs  nouveaui  noms  royaux,  nous  avons  cru  devoir  la  re- 
produire dans  la  Revue  avec  toutes  les  légendes  hiéroglyphiques  qui  étaient  restées 
inédites,  et  sur  lesquelles  nous  comptons  revenir  dans  le  prochain  numéro. 

(2)  Cette  inscription  a  été  remise  à  M.  Letronne  pour  son  recueil  des  inscriptions 
grecques  et  latines  de  l'Egypte. 


i 


724  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Le  village  d'Ekfas  ne  présente  à  la  surface  du  sol  aucun  autre 
fragment  antique  ;  mais  les  monticules  sur  lesquels  il  est  Mti  indi- 
quent assez  l'emplacement  d'une  ancienne  bourgade  égyptienne. 

Fench ,  l'ancienne  Fenchi,  n'a  conservé  d'autre  souvenir  de  l'anti- 
quité que  son  nom.  Mais  un  peu  au-dessus  de  cette  petite  ville,  sur 
l'autre  rive ,  dans  une  anse  de  la  chaîne  arabique,  on  remarque  deux 
petits  hameaux  appelés  Heheh  et  Ahji,  Les  débris  de  l'ancienne  ville 
égyptienne  sur  lesquels  ils  sont  bâtis  sont  connus  sous  le  nom  de 
Medinet  el-Giahel  y  c'est-à-dire  la  ville  de  l'impie.  C'était  la  résidence 
d'un  roi  nommé  Sanderous,  au  dire  d'un  prêtre  copte  du  voisinage, 
qui  avait  lu  ce  nom  dans  une  vieille  légende  arabe  dont  il  ne  put  me 
citer  le  titre.  Cette  ancienne  bourgade,  dont  les  ruines  furent  décou- 
vertes en  1818  par  M.  Linant,  ne  présente  plus  que  des  monticules 
couverts  de  tessons  et  de  pierres ,  un  hypogée  entouré  d'un  mur 
de  briques,  et,  sur  le  rivage,  les  débris  d'un  quai,  près  duquel  on 
voit  trois  bases  de  colonnes  (  1  mètre  60  centim.  de  diamètre  )  qui 
doivent  être  les  restes  d'un  temple.  La  ville  était  ceinte  d'un  énorme 
mur  de  briques  crues,  qui  sont  d'une  étonnante  conservation.  Les 
démolitions  des  paysans  qui  viennent  y  chercher  des  matériaux  pour 
leurs  misérables  huttes  ont  mis  au  jour  l'intérieur  du  mur,  dans  lequel 
ils  ont  trouvé  quelques  momies  grossièrement  ensevelies.  Entre  les 
assises  de  ces  larges  murailles ,  on  remarque  en  plusieurs  endroits 
des  lits  de  joncs  et  de  Mlfa  (l)  qui  paraissent  avoir  servi  à  asseoir  la 
maçonnerie.  Les  briques  qui  entrent  dans 
cette  construction  sont  énormes  :  elles  ont 
40  centimètres  de  long ,  sur  20  de  large 
et  11  d'épaisseur.  La  plupart  portent,  es- 
tampés sur  leur  méplat,  des  légendes  et  des 
cartouches  déjà  publiés,  mais  d'une  manière 
si  incorrecte  qu'on  ne  peut  en  tirer  aucun 
parti ,  ce  qui  m'engage  à  vous  en  donner  de 
nouvelles  copies. 

L'une  d'elles  (A)  porte  le  nom  d'un  grand 
prêtre  d'Ammon ,  Pihmé  ou  Pischam ,  le 
même  sans  doute  qui  fit  sculpter  les  pylônes 


[ULTLrj 


(1)  Poa  cynosyroides^ 


LETTRE  A  M.   CHAMPOLLION*FIGEAC.  725 

du  temple  de  Khons  à  Karnac.  Une  autre  brique  (D)  porte  deux 


.Î3) 


^imi 


D 


cartouches  qu'on  ne  savait  encore  où  placer;  mais  de  nouvelles 
recherches  à  Thèbes  m'ont  appris  que  cet  Isemhét  (l)  était  le  fils  et  le 
successeur  de  Pihmé ,  pontife  souverain  sur  lequel  j'ai  recueilli  quel- 
ques documents  intéressants.  Ces  deux  pharaons  ont  succédé  à 
Amounse-Pehor ,  chef  de  la  XX"  dynastie,  qui  paraît  se  composer 
principalement  de  rois  tirés  de  la  caste  sacerdotale. 

Un  fragment  de  stèle  funéraire,  qui  gît  parmi  les  décombres  de 
Medinet  el-Giahel,  m'a  donné,  je  crois,  le  nom  de  cette  bourgade 

En  J  ©qui  était  le  même  que  celui  de  la  capitale  de  la  Grande  Oasis. 

Du  reste ,  pas  "Une  pierre  ne  rappelle  le  nom  de  la  divinité  qu'on  y 
révérait. 

Le  18  mai,  nous  étions  à  Zaoïiyéh  el-Mayetin,  oii  quelques  écri- 
vains ont  placé  l'ancienne  Alabastron.  A  côté  de  ce  petit  village,  on 
remarque  un  large  cimetière  oii  les  habitants  de  Myniéh  et  des  en- 
virons viennent  enterrer  leurs  morts;  ce  qui  a  fait  donner  à  cet  en- 
droit le  nom  de  Zaouyéh  el-Mayetin,qui  signifie  V oratoire  des  morts, 
A  en  juger  par  les  hypogées  du  voisinage,  et  quelques  tombeaux 
coptes,  ce  petit  village  a  hérité,  depuis  bien  des  siècles,  et  sous  des 
cultes  fort  divers,  du  privilège  de  recevoir  les  morts.  La  fête  funéraire 
qu'on  célèbre  annuellement,  le  passage  sur  une  barque  du  cadavre, 

(1)  Depuis  que  celle  lettre  est  écrite  ,  on  a  découvert  en  creusant  le  canal  de 
Louqsor  à  Bayadieh  ,  les  restes  d'une  muraille  construite  en  briques  crues  dont  la 
plupart  portent  les  légendes  royales  ou  sacerdotales  de  ce  pharaon.  Les  deux  car- 
touches de  la  légende  royale  contiennent,  le  premier,  un  groupe  qui  se  lit  :  le  soulen 
et  le  Hét  de  V Egypte  stipérieure  et  v^férieure;  le  second,  soleil  stabiliteur  du 
monde. 


7-26 


REVUE  ARCHEOLOGIQUE. 


accompagné  des  parents  éplorés ,  de  femmes  souillées  de  poussière 
et  de  pleureuses,  poussant  leurs  longues  ululations,  rappellent  les 
vieilles  cérémonies  égyptiennes.  Les  petits  hypogées  appartenaient 
sans  doute  à  une  ancienne  ville  à  laquelle  Mynie'h  ihn-Khacyb,  con- 
nue des  Coptes  sous  le  nom  de  Thmoné,  a  succédé  sans  garder  aucun 
souvenir  de  l'ancienne  Egypte. 

Quoique  les  hypogées  de  Zaouyéh  et  de  Koum  el-Àhmar  soient 
bien  connus ,  je  m'y  arrêtai  pour  revoir  quelques  inscriptions.  Des- 
cendu à  terre,  je  trouvai  ces  vieux  tombeaux  abandonnés  aux  mains 
des  carriers  qui  les  exploitaient  pour  le  compte  du  gouvernement. 
Les  uns  étaient  occupés  à  faire  jouer  la  mine  dans  les  tombeaux  les 
plus  rapprochés  ;  les  autres  équarrissaient  des  blocs  destinés  à  con- 
struire un  pont  sur  le  canal  de  Myniéh.  Je  me  hâtai  de  revoir  encore 
une  fois ,  et  probablement  la  dernière ,  ces  intéressants  hypogées,  que 
la  civilisation  à  l'européenne  va  faire  disparaître  pour  toujours. 

La  plupart  de  ces  hypogées  sont  d'une  époque  fort  ancienne ,  à 
en  juger  par  le  bandeau  cylindrique  qui  décore  leur  entrée ,  par  le 
style  des  bas-reliefs  et  les  cartouches  qu'on  y 
voit.  La  majeure  partie  remonte  à  l'époque  de 
Papi  ou  Apap ,  dont  on  voit  souvent  le  nom 
isolé  ,  et  à  celle  d'un  autre  roi,  Toti,  dont 
je  fus  assez  heureux  de  trouver  le  cartouche 
inédit  à  l'entrée  d'un  tombeau  inachevé  (l). 

Papi.  Toti. 

Trois  ou  quatre  de  ces  tombeaux,  qui  ont  appartenu  à  de  hauts 
fonctionnaires,  sont  entièrement  ornés  ;  les  autres  portent  seulement 
des  sculptures  aux  chambranles  des  portes,  et  quelques  tablettes  en 
forme  de  naos,  qui  indiquent  toujours  l'emplacement  des  puits  funé- 
raires. Deux  de  ces  hypogées  sont  soutenus  par  des  pilastres  dont  la 
face  principale  est  ornée  d'une  colonnette  à  bouton  de  lotus  épanoui. 
C'est  la  même  idée  qu'on  retrouve  plus  tard  dans  quelques  chapiteaux 


(0\ 


(1)  Un  petit  hypogée,  à  demi  ruiné  et  situé  un  peu  au  nord  de  celui-ci ,  parait 
^,1-1,^  contenir  un  autre  cartouche  inconnu;  le  signe  initial  est  indéchif- 
^^^^^       frable,  mais  le  ^  qui  suit  indique  bien  qu'il  n'appartient  pas  à 

Papi,  et  je  crois  qu'il  faudrait  restituer  un  TàJiT  po^r   premier 

caractère.  Au  reste  ,  ces  hiéroglyphes  étant  gravés  en  creux  dans  un 
calcaire  coquillier  très-friable,  je  n'ose  rien  affirmer,  mais  j'ai  cru 
devoirnoter  ce  cartouche,  afin  que  si  d'autres  découvertes  le  ren- 
dent moins  stérile ,  on  puisse  en  retrouver  à  peu  prés  l'époque. 


LETTRE   A   M.   CHAMPOLLION-FIGEAC. 


727 


ptolémaïques  d'Edfou  et  de  Philae.  Ces  deux  hypogées  contiennent 
des  scènes  variées,  travaux  agricoles,  chasse,  pêche,  arts  et  mé- 


tiers, etc.,  d'un  style  archaïque  fort  remarquable.  Les  formes  sont 
plus  prononcées,  les  muscles  plus  accusés  qu'ailleurs;  et  l'un  de  ces 
bas-reliefs  qui  représente  des  mariniers  qui  se  battent  à  coups  de 
gaffes  et  d'avirons  sur  des  barques  légères  formées  de  tiges  de  papyrus, 
est  un  chef-d'œuvre  de  l'art  égyptien.  Je  n'ai  vu  nulle  part,  même 
dans  les  plus  belles  scènes  militaires  des  pharaons  de  la  XVIIP  dy- 
nastie, autant  de  vérité  et  d'animation.  J'ai  passé  la  journée  à  des- 
siner et  à  prendre  des  empreintes  ;  j'aurais  voulu  avoir  le  loisir  d'y 


■28 


REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 


passer  quelques  jours  pour  arracher  à  la  barbarie  tout  ce  que  ces 
monuments  contiennent  de  plus  intéressant  ;  j'aurais  voulu  surtout 
mouler  en  plâtre  le  combat  des  mariniers  pour  en  orner  le  Musée. 

11  est  remarquable  que ,  dans  la  plupart  des  tombeaux  de  cette 
époque  reculée,  on  ne  trouve  presque  aucune  représentation  reli- 
gieuse. Osiris,  roi  de  l'Amenti,  et  quelques  autres  dieux  qui  for- 
maient son  cortège  dans  le  séjour  des  âmes,  y  sont  souvent  nommés, 
mais  bien  rarement  figurés.  Le  principal  tableau  est  toujours  une 
scène  de  chasse  et  de  pêche,  amusement  favori  des  anciens  Égyp- 
tiens. Une  énorme  touffe  de  papyrus  et  de  joncs  sur  lesquels  sont 
posés  ou  nichés  des  oiseaux  d'espèces  fort  variées ,  s'élève  au  milieu 
d'un  marais  et  sépare  d'ordinaire  le  sujet  en  deux  parties.  Debout 
sur  une  barque  légère,  le  défunt,  accompagné  souvent  de  toute  sa 
famille,  et  quelquefois  d'un  chat,  dressé  comme  nos  chiens  rappor- 
teurs, est  représenté  aux  deux  extrémités  du  tableau,  d'un  côté, 
occupé  à  percer  d'énormes  poissons  avec  une  espèce  de  bident ,  de 
l'autre ,  à  chasser  divers  oiseaux  aquatiques  avec  un  bâton  courbé , 
semblable  au  Boumerang  des  Australiens.  On  a  peine  à  se  faire  une 
idée  de  la  portée  et  de  l'effet  d'un  pareil  projectile  sans  en  avoir  été 
témoin.  Cette  sorte  d'instrument  est  de  nos  jours  employée  au  même 
usage  par  les  paysans  irlandais,  et  la  dextérité  que  plusieurs  d'entre 
eux  déploient  dans  l'usage  de  ce  projectile  est  vraiment  surprenante, 
tant  par  la  distance  qu'ils  atteignent  que  par  la  précision  de 
leur  visé. 

Le  20,  je  m'arrêtai  aux  hypogées  de  Berché  et  de  Cheik-Sayd, 
en  partie  visités  par  N.  Lhôte,  qui  a  donné  une  copie  incomplète  de 
deux  cartouches  (1),  malheureusement  à  demi  effacés,  qui  se  trouvent 
dans  un  de  ces  tombeaux.  Une  empreinte  en 
papier  estampée  sur  le  bas-relief,  et  soumise 
à  tous  les  effets  de  la  lumière,  m'a  permis  de 
rétablir  les  signes  initiaux  de  ces  deux  noms  ; 
le  premier  qu'on  n'a  rencontré  jusqu'à  pré- 
sent nulle  part  ailleurs ,  pourrait  bien  appar- 
tenir au  chef  de  la  IV*"  dynastie,  si  le  second 
est  incontestablement  celui  de  Schoufou 
comme  tout  semble  l'attester. 
Les  hypogées  du  voisinage  ont  beaucoup  souffert  :  ils  ont  déjà  été 


(1)  Lettres  écrites  d'Egypte  en  1838  et  1839,  p.  51 


LETTRE   A   M.   CHAMPOLLION-FIGEAC.  729 

explorés  par  divers  voyageurs.  Cependant  l'un  d'eux  m'a  fourni  une 


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730  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

donnée  historique  fort  intéressante  et,  je  crois,  inédite.  Une  tablette 
funéraire  gravée  sur  une  de  ses  parois,  contient  un  acte  d'adoration 
à  Anubis  et  à  Osiris  sous  tous  leurs  titres,  et  rappelle  le  nom  des 
pharaons  Papi  et  Toti,  qui  paraissent  avoir  régné  successivement. 
A  côté  de  cette  tablette,  et  au-dessus  de  la  tête  du  défunt  on  a  gravé, 
après  coup,  à  la  pointe  sèche  et  d'une  manière  fort  cursive,  l'inscrip- 
tion suivante  (  Voy.  ci-contre  )  : 

Ce  tableau  ne  laisse  aucun  doute  sur  l'époque  du  roi  Toti,  qui 
doit  être  le  même  pharaon  dont  le  cartouche  se  retrouve  sur  la  table 
des  ancêtres  de  Thoutmès  III.  Le  cartouche  qui  précède  celui  de 
Papi  n'a  conservé  sur  cette  liste  généalogique  que  la  voyelle  finale, 
qui  est  la  même  que  celle  du  cartouche  ci-dessus. 

La  plupart  de  ces  hypogées  ont  servi  de  retraite  à  d'iconoclastes 
cénobites  qui  ont  peu  ménagé  les  dieux  égyptiens ,  et  guère  davan- 
tage les  innocentes  représentations  des  occupations  et  des  amusements 
des  personnages  qui  leur  donnaient  l'hospitalité.  Quelques-uns  de 
ces  tombeaux  conservent  pourtant  encore  des  sculptures  intéres- 
santes :  la  chasse  et  la  pêche  au  filet ,  le  transport  du  gibier,  la 
manière  d'apprêter  et  de  sécher  le  poisson,  l'éducation  des  bestiaux, 
un  combat  de  taureaux,  etc.,  etc. 

Nous  passâmes  en  face  à'Achmouneyn  le  23  mai;  c'est,  comme 
vous  le  savez.  Monsieur,  dans  le  grand  ouvrage  d'Egypte  qu'il  faut 
chercher  aujourd'hui  le  magnifique  et  colossal  portique  qui  avait 
frappé  nos  savants  d'admiration ,  et  qui  a  été  détruit  il  y  a  quelques 
années.  J'ai  vu,  à  Roudah,  un  cube  de  granit  provenant  des  fouilles 
d'Achmouneyn  et  portant  sur  ses  quatre  faces  une  légende  composée 
de  deux  lignes,  qui  donne  les  noms  et  prénoms  à'Àten-Re  Bakhan, 
celui  de  sa  femme  et  de  ses  deux  filles,  les  mêmes  qu'on  trouve  à 
Tounéh  et  à  Tel-Amarna.  Cet  autel,  d'un  superbe  travail,  doit  avoir 

servi  au  culte  oublié  du  soleil,    Ia*^^    qui,  à  certaine  époque , 

semble  avoir  été  dominant  en  Egypte. 

Le  25,  nous  étions  à  Souadj,  Pendant  que  mes  matelots  étaient 
occupés  à  renouveler  quelques  provisions  indispensables,  j'allai  vi- 
siter la  mosquée  pour  y  chercher  des  inscriptions  hiéroglyphiques. 
Je  profitai  de  l'occasion  pour  visiter  le  tombeau  de  ce  fameux  Mou- 
rad-Bey,  mort  de  la  peste  au  commencement  de  1801 ,  lorsque,  sur 
l'invitation  du  général  Belliard,  il  s'approchait  du  Caire  pour  re- 
pousser l'armée  anglo-turque.  Ce  héros,  que  sa  lutte  constante  avec 


LETTRE  A   M.   CHAMPOLLION-FIGEAC.  731 

Desaix,  son  courage,  sa  loyauté  avaient  fait  estimer  et  chérir  des 
Français,  est  inhumé  mesquinement  dans  un  sale  réduit  de  la 
mosquée  d'EI-Arif.  Le  tombeau  du  bey  souverain  ne  se  distingue  pas 
de  celui  d'un  simple  fellah,  tandis  qu'à  ses  côtés  la  dernière  demeure 
d'un  obscur  santon  est  magnifique,  brillante  d'incrustations  et  de 
tapis.  Pour  honorer  la  mémoire  de  leur  chef,  ses  mamelouks  bri- 
sèrent ses  armes  et  brûlèrent  ses  vêtements  sur  sa  tombe  ;  mais  on 
s'étonne  que  la  femme  de  Mourad-Bey,  cette  Sitté  Néficeh ,  si  ac- 
complie au  dire  de  tous,  ait  laissé  ainsi  négligée  la  tombe  de  son 
époux.  Sa  meilleure  excuse  est  sans  doute  l'indigence  à  laquelle  elle 
fut  réduite,  et  dans  laquelle  elle  mourut  le  22  décembre  1815  (1). 

En  sortant  de  la  mosquée,  je  passai  près  de  longs  tas  de  pierres 
amoncelées  sur  les  bords  du  fleuve,  et  destinées  depuis  trois  ans  à  élever 
un  pont  et  une  digue  sur  le  canal  de  Souhadj.  Ce  projet,  comme 
tant  d'autres,  n'a  pas  encore  reçu  d'exécution  faute  de  bras.  Au 
premier  coup  d'oeil,  je  m'aperçus  que  la  plupart  de  ces  pierres  étaient 
couvertes  d'hiéroglyphes,  les  unes  du  plus  beau  travail  du  temps  de 
ïhoutmès  111,  dont  je  retrouvai  plusieurs  fois  les  cartouches ,  les 
autres  d'une  sculpture  grossière  du  temps  des  Ptolémées.  Aucun  de 
ces  fragments  ne  put  me  donner  le  nom  de  la  divinité  en  l'honneur 
de  laquelle  ces  pierres  avaient  été  taillées,  pour  laquelle  Thoutmès 
et  Safré,  dame  des  lettres  et  de  YArcMtectare,  construisirent  une  de- 
meure en  pierre  bonne  et  blanche,  au  dire  d'un  fragment  de  dédicace. 
Un  habitant  du  lieu  m'apprit  que  tous  ces  matériaux  provenaient, 
les  uns  des  fouilles  faites  à  Akhmin,  les  autres  au  village  de  Baçouné, 
sis  à  deux  lieues  au  nord  de  Souhadj. 

Au  delà  de  HâoUy  oh  je  passai  le  28 ,  je  fis  arrêter  à  Qasr  el-Sayad, 
bâti  sur  l'emplacement  de  Scheneset,  la  Chenoboscion  des  Grecs.  Il  ne 
reste  plus  qu'un  quai  ruiné >  quelques  pierres  qui  portent  encore, 
l'une,  les  vestiges  d'une  inscription  grecque  illisible,  et  les  autres, 
des  légendes  hiéroglyphiques  très-frustes.  Ce  sont  probablement  les 
restes  d'un  petit  temple  placé  sur  le  rivage  du  Nil ,  et  que  les  anciens 
appelaient  le  Lien  de  Sérapis  (2).  Chenoboscion  était  renommée  jadis 
pour  les  oies  qu'on  y  prenait  en  grand  nombre ,  et  c'est  sans  doute 
par  tradition  que  le  village  arabe  qui  lui  a  succédé  porte  le  nom 
de  Qasr  el-Sayad(/e  Château  des  Chasseurs),  Quelques  antiquaires 


(1)  Le  général  en  chef  Menou ,  au  nom  du  gouvernement  français,  avait  donné  à 
la  veuve  de  Mourad-Bey  une  pension  de  60,000  livres.  (G.  F.) 

(2)  Quatremère,  1. 1,  p.  448. 


732 


REVUE  ARCHEOLOGIQUE 


supposent  qu'on  nourrissait  en  ce  lieu  les  oies  offertes  dans  les  diffé- 
rents temples  d'Isis  (l). 

Curieux  de  consulter  les  légendes  des  trois  vieux  pharaons ,  et 
n'ayant  point  avec  moi  les  notes  d'une  excursion  faite  à  Chenoboscion 
il  y  a  environ  cinq  ans,  j'allai  revoir  quelques  hypogées  peu  connus 
et  situés  à  une  lieue  de  Qasr  el-Sayad ,  derrière  un  cap  avancé  de  la 
chaîne  arabique  qui  arrive  ici  jusqu'au  Nil.  La  plupart  de  ces  tom- 
beaux ne  consistent  qu'en  une  étroite  syringe  taillée  en  pente,  qui 
conduisait  à  un  puits  ou  aboutissait  à  une  chambre  funéraire  comblée 
par  le  temps.  Deux  de  ces  hypogées,  plus  vastes  que  les  autres,  ont 
servi  de  sépulture  à  de  hauts  personnages  qui  paraissent  avoir  gou- 
verné cette  province;  ils  sont  décorés  de  bas-reliefs  coloriés,  représen- 
tant des  scènes  rurales  et  domestiques ,  peu  intéressantes  après  celles 
de  Beni-Hassen ,  mais  remarquables  en  ce  que,  comme  les  hypogées 
de  Zaouyéh  et  de  Berché ,  dont  ils  rappellent  les  cartouches ,  ils  ne 
représentent  aucune  des  scènes  funéraires  si  communes  dans  les 
tombeaux  d'une  époque  plus  récente.  Les  tableaux  sont  d'un  relief 
très-bas,  d'un  style  et  d'un  travail  qui  se  ressentent  de  leur  époque 
reculée.  Les  figures  ont  beaucoup  de  roideur  et  des  yeux  démesurés  ; 
les  animaux,  quoique  représentés  dans  des  postures  variées,  se  res- 
sentent plus  encore  de  l'enfance  de  l'art.  Les  artistes  de  cette  époque  se 
sont  bornés  à  creuser  le  contour  extérieur  des  figures,  sans  se  donner  la 
peine  d'enlever  le  champ  du  tableau  qui  est  resté  de  niveau  avec  le  relief. 

Quoique  d'une  antiquité  reculée  qui  ne  le  cède  qu'aux  pyramides 
et  aux  lombes  de  leur  voisinage,  ces  hypogées  ne  peuvent  intéresser 
que  l'antiquaire  ;  il  reconnaît  avec  plaisir  dans  les  légendes  qui  les 
décorent  trois  vieux  cartouches  dénués  de  préfixs,  et  placés  dans  un 
ordre  chronologique  qui  diffère  dans  les  deux  hypogées.  Voici  la 
copie  dune  inscription  assez  fruste,  qui  se  répète  de  chaque  côté  de 
l'entrée  du  tombeau  à'Atso  ou  Atosou  : 


SDrïlÀftllrî'iHl 


(iii2iÀPnin*î0u« 


easfÀfiii 


(i)  yoyez  Herod.,  t.  Il ,  45. 


LETTRE  A  M.   CHÀMPOLLION-FIGEAC. 


733 


Dans  le  tombeau  de  Fouta  ou  Fioula  (1  ) ,  on  voit  au-dessus 
de  la  tête  du  défunt  l'inscription  suivante  qui  est  très-bien  con- 
servée : 


un 


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2b^^ 


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ir 


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Aî 

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Dans  aucune  de  ces  inscriptions  les  cartouches  n'ont  été  surchar- 
gés, et  le  plus  minutieux  examen  me  fait  croire  qu'il  y  a  erreur  dans 
l'assertion  de  Sir  G.  Wilkinson,  qui  prétend  que  le  nom  de  Papi  a 
été  sculpté  sur  celui  de  Remdi  ou  Maire  (2).  Du  reste  les  cartouches 
de  ces  deux  rois  se  rencontrent  si  fréquemment  sur  un  même  monu- 
ment qu'ils  doivent  être  de  la  même  époque,  s'ils  n'appartiennent 
pas  à  un  seul  personnage. 

Quelques  petits  proscynèmes  décorent  la  porte  de  ces  deux  hypo- 
gées. Les  actes  d'adoration  qui  contiennent  des  cartouches  n'ont  mal- 
heureusement point  de  dates  ;  cependant  j'ai  copié  ceux  qui  m'ont 
paru  les  plus  intéressants. 

Le  29  mai,  je  profitai  du  calme  pour  revoir  le  temple  de  Dendé- 
rah  dont  le  magnifique  pronaos  sert  aujourd'hui  à'étable  aux  bœufs 
qu'on  envoie  de  Sennâr  pour  remplacer  ceux  qu'a  décimés  l'effrayante 
épizootie  qui  règne  depuis  plus  de  six  mois  dans  la  haute  et  basse 
Egypte.  Comme  nous  possédons  en  France  le  zodiaque  circulaire ,  il 
serait  intéressant ,  je  crois ,  d'avoir  une  copie  exacte  de  la  chambre  à 
laquelle  il  servait  de  plafond.  Ce  travail  exigerait  un  mois  de  labeur 


(1)  La  valeur  phonétique  du  premier  caractère  de  ce  nom  est  encore  fort  in- 
certaine. 

(2)  Voyez  fFilkinson's  Manners  and  customs  of  the  ancient  EgypUans , 
t.  III,  p.  281. 


734  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

assidu ,  et  je  n'ose  l'entreprendre  avant  de  savoir  s'il  n'a  pas  été  fait 
par  votre  illustre  frère  qui  paraît  avoir  laissé  bien  peu  à  glaner. 

Je  suis  arrivé  à  Thèbes,  Monsieur,  depuis  le  V  juin,  et  j'ai  établi 
ma  demeure  dans  les  petites  salles  du  Thouthmoséium,qui  termine  le 
splendide  palais  des  pharaons ,  afin  de  surveiller  les  travaux  de  la 
chambre  des  rois.  Tout  va  bien ,  et  ma  conquête  est  désormais  aussi 
sûre  que  facile.  Ma  prochaine  lettre  vous  annoncera  mon  départ,  et 
vous  donnera  des  détails  sur  mes  recherches  à  Karnac ,  où  j'ai  été 
assez  heureux  pour  retrouver  quelques  légendes  royales,  inconnues, 
je  crois,  jusqu'à  ce  jour. 

Agréez,  je  vous  prie,  etc. 

E.  Prisse  d'Avesnes. 


LETTRE  A  M.  LETRONNE 


SUR  LES 


ACTES  D'ADOMTIOM,  OU  PROSCYNEMES, 

REDIGES 

m  LANGUE  ÉGYPTIENNE  ET  TRACES  EN  EGRITIRE  DÉMOTIQIJE. 

Mon  cher  confrère, 

Vous  avez  bien  voulu  me  témoigner  de  la  manière  la  plus  flatteuse 
l'intérêt  que  vous  preniez  au  succès  de  mes  recherches  sur  la  langue 
et  l'écriture  vulgaires  de  l'antique  Egypte.  Une  occasion  s'ofl're  à  moi 
de  vous  exprimer  ma  sincère  reconnaissance ,  et  je  la  saisis  avec  em- 
pressement. Cette  occasion  d'ailleurs  se  présente  comme  elle  devait 
se  présenter,  c'est-à-dire  que  le  disciple  vient  consulter  le  maître  et 
lui  soumettre  les  premiers  résultats  d'un  travail  difficile.  Vous  accueil- 
lerez avec  indulgence,  j'en  suis  sûr,  mon  cher  confrère,  l'hom- 
mage de  ce  travail,  qui,  si  je  ne  me  fais  pas  illusion,  n'est  pas  dé- 
nué de  toute  espèce  d'importance ,  et  les  remercîments  que  je  vous 
adresse  dès  aujourd'hui  en  réclamant  quelques  moments  de  ce  temps 
précieux  que  vous  savez  si  dignement  employer,  j'espère  que  vous  vou- 
drez bien  les  accepter  aussi  avec  bienveillance. 

Parmi  les  textes  épigraphiques  grecs  recueillis  sur  les  monuments 
de  l'antique  Egypte ,  et  que  vous  avez  commentés  avec  tant  d'érudi- 
tion, il  en  est  un  très-grand  nombre  qui  rentre  dans  une  seule  et 
même  classe  aujourd'hui  bien  connue,  grâce  à  vos  magnifiques  tra- 
vaux :  ce  sont  les  proscynèmes ,  Trpoo-xyvvî/jiaTa  dont  les  soubas- 
sements des  temples  sont  chargés ,  et  qui  sont  destinés  à  constater 
que  tel  jour,  tel  individu  est  venu  accomplir  un  acte  d'adoration  de- 
vant la  divinité  ouïes  divinités,  Qsol  Gvvmot,  auxquelles  le  temple  est 
consacré.  Cette  classe  d'inscriptions,  en  apparence  peu  propres  à  four- 
nir des  documents  importants  pour  l'histoire  du  pays ,  vous  a  néan- 
moins procuré  tant  de  faits  neufs  et  intéressants ,  qu'il  y  a  tout  lieu 
d'espérer  que  les  textes  égyptiens  du  même  genre,  s'ils  se  rencon- 
traient et  s'ils  étaient  expliqués,  rendraient  les  mêmes  services  à 


736  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

l'histoire,  en  même  temps  qu'ils  jetteraient  de  nouvelles  lumières  sur 
la  science  des  écritures  égyptiennes. 

Beaucoup  des  proscynèmes  grecs ,  émanant  de  gens  d'une  con- 
dition médiocre,  de  soldats  ou  d'hommes  du  peuple,  qui  se  char- 
geaient probablement  de  tracer  eux-mêmes  sur  les  murailles  l'in- 
scription qui  devait  conserver  la  mémoire  de  leur  pieuse  visite, 
il  est  fort  présumable  que  les  Égyptiens  de  la  classe  du  peuple, 
lorsqu'ils  accomplissaient  les  mêmes  devoirs  religieux ,  se  confor- 
maient à  l'usage  reçu,  et  prenaient  le  soin  de  constater  leur  dévotion 
par  des  inscriptions  conçues  dans  la  langue  et  dans  l'écriture  qui  leur 
étaient  familières.  Si  cette  hypothèse  est  raisonnable,  l'espérance  de 
retrouver  sur  les  murailles  des  temples  des  proscynèmes  rédigés  en 
dialecte  vulgaire  et  en  écriture  enchoriale  ou  démotique,  ne  peut  être 
illusoire.  Effectivement,  notre  savant  confrère,  M.  Ch.  Lenormant, 
en  parcourant  les  ruines  des  édifices  sacrés  de  l'Egypte ,  a  reconnu 
l'existence  d'un  grand  nombre  de  petites  inscriptions  démotiques  ;  mais 
celles-ci  ont  été  malheureusement  négligées  par  les  compagnons  de 
l'illustre  Champollion ,  parce  que  tout  leur  temps  était  loin  de  suffire  à 
l'étude  des  textes  sacrés  ou  hiéroglyphiques  dont  l'interprétation,  déjà 
fort  avancée,  promettait  une  plus  ample  moisson  de  découvertes  his- 
toriques et  philologiques.  H  faut  donc  attendre  que  quelque  nouveau 
voyageur  porte  spécialement  son  attention  sur  cette  classe  de  monu- 
ments que  l'on  n'a  pas  encore  interrogés,  et  dont  le  mutisme  pourra 
cesser  un  jour. 

Notre  ami  M.  Ampère  est  parti  avec  le  dessein  formel  de  re- 
cueillir des  copies  et  de  bons  estampages  de  tous  les  proscynèmes 
démotiques  qu'il  rencontrera  chemin  faisant;  nous  avons  donc  le  droit 
de  penser  que  bientôt  nous  serons  en  possession  de  nombreux  docu- 
ments propres  à  jeter  tout  au  moins  un  très-grand  jour  sur  l'idiome 
parlé  par  les  peuples  de  l'Egypte,  à  des  époques  qu'il  sera  peut-être  pos- 
sible de  préciser,  grâce  aux  dates  dont  ces  proscynèmes  pourront  être 
munis,  comme  le  sont  beaucoup  de  proscynèmes  grecs  déjà  publiés. 

On  voit  tout  d'abord  de  quelle  importance  doit  être  l'étude  de  ces 
monuments,  puisqu'il  y  a  tout  lieu  d'espérer  que  de  cette  étude  sur- 
gira l'histoire,  pour  ainsi  dire  palpable,  des  phases  qu'ont  subies  la 
langue  et  l'écriture  vulgaires  des  Égyptiens  pour  devenir  du  copte 
tel  que  nous  le  font  connaître  les  livres  chrétiens.  Sans  doute  les 
textes  de  ce  genre ,  une  fois  classés  par  ordre  chronologique,  nous 
révéleront  la  marche  qu'a  suivie  l'altération  de  la  langue  égyptienne, 
qui,  après  avoir  vécu  pendant  des  milliers  d'années  peut-être,  sous 


ACTES  d'adoration,   OU  PROSCYNÈMES.  737 

une  forme   purement  logique,   a  fini  par  dépouiller  ce  caractère 
qui  lui  était  propre,  pour  se  surcharger  d'une  foule  de  particules  d'un 
usage  relativement  moderne.  A  quelle  époque  les  règles  de  position 
qui  suffisaient  pour  déterminer  le  sens  des  propositions  dans  l'an- 
tique idiome  égyptien,  ont-elles  été,  je  ne  dirai  pas  abandonnées 
comme  vicieuses,  mais  profondément  modifiées  par  l'introduction 
des  particules  dont  je  viens  de  parler?  L'usage  de  celles-ci  a-t-il  été 
introduit  uniformément  partout  et  dans  le  môme  temps?  et  s'il  n'en 
est  pas  ainsi ,  en  quels  points  de  l'Egypte  cette  transformation  du 
langage  populaire  s'est-elle  manifestée  d'abord,  avant  d'être  générale- 
ment adoptée?  A  quel  moment  enfin  les  trois  dialectes  distincts  de  la 
langue  copte  ont-ils  divisé  l'idiome  primitif  du  pays?  Ont-ils  coexisté 
de  toute  ancienneté ,  ou  bien  ne  sont-ils  nés  que  de  l'introduction  de 
l'alphabet  grec,  dont  l'emploi  fut  substitué,  sans  règles  absolues  et 
bien  définies,  à  l'emploi  de  Talphabet  démotique? 

Il  serait  facile  de  multiplier  ici  les  questions  philologiques  dont  la 
solution  naîtra  peut-être  de  la  simple  lecture  des  proscynèmes  écrits 
en  langage  vulgaire,  et  le  peu  que  je  viens  de  dire,  suffira  pour  faire 
sentir  tout  le  prix  qu'il  faut  attacher  à  la  connaissance  de  ces  textes 
épigraphiques.  Dans  quelques  mois  les  matériaux  indispensables 
pour  entreprendre  cette  étude  seront  abondants  entre  nos  mains,  et  leur 
comparaison  permettra  de  faire  un  grand  pas  de  plus  dans  la  science 
égyptienne  ;  mais  en  attendant  ce  moment  favorable,  nous  ne  devons 
pas  hésiter  à  utiliser  autant  qu'il  est  en  notre  pouvoir  les  matériaux 
de  ce  genre  qui  sont  déjà  rassemblés,  et  c'est  ce  que  je  vais  m'effor- 
cer  de  faire. 

Je  ne  crains  pas  d'affirmer  que  pour  copier  avec  quelque  chance 
de  succès  un  texte  épigraphique  quelconque,  il  faut  avoir  au  préala- 
ble une  idée  sinon  parfaite ,  du  moins  assez  exacte  ,  de  l'idiome  et 
de  l'écriture  employés  dans  ce  texte.  Faute  de  cette  connaissance 
nécessaire,  il  est  à  peu  près  certain  que  la  copie  exécutée,  quelle  que 
soit  l'habileté  du  dessinateur,  n'aura  pas  la  moindre  valeur  et  ne 
pourra  guère  servir  qu'à  gêner  la  marche  des  investigateurs  tentés 
den  débrouiller  le  sens.  Qu'en  résulte-t-il?  que  toutes  les  copies  de 
proscynèmes  démotiques  recueillies  et  publiées  jusqu'à  ce  jour,  sont 
tellement  inextricables  que  leur  étude  ne  saurait  mener  à  rien.  C'est 
donc  aux  estampages  seuls  qu'il  est  raisonnable  de  donner  une  atten- 
tion sérieuse,  parce  que  le  papier  au  moyen  de  la  pression  qu'il 
subit,  reproduit  tout  ce  qu'il  recouvre,  sans  rien  ajouter,  sans  rien 
omettre. 


738  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Un  ardent  explorateur  des  antiquités  égyptiennes ,  que  les  fati- 
gues et  les  privations  les  plus  cruelles,  affrontées  à  deux  repri- 
ses et  coup  sur  coup,  ont  enlevé  si  jeune  à  la  science,  Nestor 
Lhôte  avait  recueilli  un  certain  nombre  de  notes  sur  les  textes  dé- 
motiques rencontrés  par  lui  dans  ses  voyages.  Ces  notes  sont  inté- 
ressantes, sans  aucun  doute  ;  mais  je  crains  bien  que  le  travail  qu'il  avait 
consacré  aux  transcriptions  manuelles  de  ces  textes,  ne  demeure  sté- 
rile. D'autres  fois ,  au  contraire,  il  a  eu  sagement  recours  au  procédé 
de  l'estampage,  dont  il  savait  tirer  un  très-grand  parti,  et  les  textes 
recueillis  ainsi  sont  dignes  de  toute  l'attention  des  philologues.  Ces 
estampages  rapportés  par  Nestor  Lhôte,  j'ai  pu  les  compulser  à  loisir, 
grâceà  votre  obligeance  extrême,  et,  après  avoir  constaté  dans  ces  pré- 
cieux papiers  l'existencede  textes  démotiques  fortimportants,  mais  d'une 
étendue  beaucoup  trop  considérable  pour  que  je  pusse  entreprendre 
d'en  opérer  sur-le-champ  la  transcription,  j'ai  cru  devoir  donner  la 
préférence  à  quelques  textes,  relativement  très-courts ,  dans  lesquels 
j'avais  tout  d'abord  reconnu  ce  que  je  désirais  ardemment  rencontrer, 
c'est-à-dire  des  proscynèmes  ou  actes  d'adoration.  Ces  proscynèmes, 
au  nombre  de  dix,  je  les  ai  transcrits  le  plus  exactement  qu'il  m'a  été 
possible  de  le  faire,  et,  cette  opération  terminée,  je  me  suis  efforcé  de 
me  rendre  compte  de  leur  contenu.  J'espère  y  être  parvenu  pour  le 
plus  grand  nombre  d'entre  eux,  et  c'est  du  résultat  de  mon  travail  que 
je  viens  vous  entretenir  aujourd'hui. 

Les  proscynèmes  dont  les  estampages  ont  été  recueillis  par  Nestor 
Lhôte,  existent  dans  la  localité  appelée  el-Hammamât  (  route  de  Qos- 
seyr),  ouàPhiles.  Les  premiers  (ceux  d'el-Hammamàt)  sont  au  nombre 
de  sept;  ceux  de  Philes  au  nombre  de  trois,  et,  parmi  ces  derniers, 
il  s'en  trouve  un  dont  quelques  mots  seulement  sont  restés  lisibles. 
Pour  opérer  plus  aisément  l'étude  comparative  de  ces  textes,  j'ai  pris 
le  parti  de  leur  assigner  un  numéro  d'ordre ,  de  telle  sorte  que  les 
sept  premiers  numéros  désignent  les  proscynèmes  d'el-Hammamât  et 
les  trois  derniers  les  proscynèmes  de  Philes. 

Ce  qu'il  importe  d'abord,  c'est  de  bien  reconnaître  les  parties  com- 
munes de  ces  textes ,  parce  qu'évidemment  ils  doivent  constituer  des 
propositions  formulaires,  dont  l'une  est  vraisemblablement  destinée  à 
faire  la  contre- partie  de  la  désignation  7:po(7/.uvy3|^^a ,  qui  d'ordi- 
naire est  placée  en  tète  des  épigraphes  grecques  de  cette  classe.  L'in- 
spection des  dix  textes  que  j'avais  à  mîn  disposition  m'a  fait  immédia- 
tement reconnaître  un  ensemble  de  deux  groupes  qui  se  rencontrent, 
tantôt  au  commencement  même  des  inscriptions,  tantôt  après  d'autres 


passa^ 


ACTES   d'adoration,   OU  PROSCYNEMES.  739 

groupes  qu'il  s'agira  d'expliquer  plus  tard.  Quoi  qu'il  en  soit,  par 
cela  même  qu'ils  sont  plusieurs  fois  placés  en  tête  du  texte,  ces 
groupes  forment  probablement  une  expression  correspondante  au 
grec  T:po(7y,vv'nu.cic.  De  plus,  ils  doivent  être  distingués  l'un  de  l'autre, 
puisque,  dans  le  n°  7,  ils  sont  séparés  parle  groupe  démotique  bien 
connu  qui  représente  l'idée  roi.  Il  faut  donc  voir  quelles  sont  les  va- 
riantes de  celte  formule  démotique ,  et  quand  elles  seront  bien 
déterminées,  nous  chercherons  à  en  obtenir  le  sens  par  la  lecture. 
(Fo?/.  PI.  VI.  A.) 

Voici  les  remarques  que  suggère  l'étude  matérielle  de  ces  différents 
ges. 

1"  La  teneur  du  texte  8  nous  prouve  que  le  premier  groupe 
(PL  VI.  1.)  comporte  un  sens  indépendant  du  second  (PI.  VI.  2.), 
puisqu'il  y  est  isolé. 

2"  Le  second  groupe  (PI.  VI.  2.)  ainsi  que  le  prouve  le  passage 
extrait  de  l'inscription  7,  ne  comporte  pas  nécessairement  le  signe 
final  (P1.VL3.)  qui  l'accompagne  partout  ailleurs;  celui-ci  par 
conséquent  n'est  pas  l'image  d'une  articulation  essentielle. 

3"  Ce  signe  final  est  remplacé  dans  l'inscription  2  par  un  signe 
(PI.  VI.  4.)  qui,  dans  le  manuscrit  de  Leyde  à  transcriptions  grec- 
ques, constitue  un  caractère  final  imprononçable,  placé  fréquemment 
à  la  suite  de  groupes  réellement  phonétiques.  Ces  deux  signes 
pouvant  se  remplacer  l'un  l'autre  dans  les  testes  démotiques ,  et  l'un 
d'eux  étant  imprononçable,  tous  les  deux  le  sont. 

Ceci  posé ,  procédons  à  l'analyse  alphabétique  des  deux  groupes 
essentiels  en  question.  Le  premier  se  transcrit  en  lettres  coptes 
2.6x  5  et  le  second  irpaj. 

Dans  le  texte  3 ,  les  deux  mots  sont  séparés  par  la  particule  de 
llexion  it;  nous  lisons  donc  alors  2.6Ï   iv  TTpOj. 

Dans  le  texte  2 ,  le  second  groupe  se  termine  par  une  finale  qui 
se  lit  o^y  ainsi  que  le  démontrent  une  foule  de  transcriptions  grecques 
du  manuscrit  de  Leyde.  Nous  lisons  donc  cette  fois  l>.6l   T\pcxjO'5f . 

Les  textes  4  et  9  se  lisent  l>6i  TTpcg. 

Le  n**  7  porte  2.6s  JUi^Ttuz^p   irpcy. 

Et  enfin  le  n"  8,  2.65  seulement. 

Cherchons  le  sens  de  ces  mots. 

Le  mot  l>6l  est  l'impératif  du  verbe  copte  01  ou  :kî  5  signifiant 


740  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

accipere,  ou  du  verbe  !^e  ,  '^m ,  signifiant  dicere»  Toutefois  la 
forme  de  l'impératif  de  !^aT ,  comporte  un  c  final,  et  devient 
2s':^XC  ,  quand  le  verbe  n'étant  pas  accompagné  d'un  régime  direct , 
devient  un  véritable  verbe  neutre. 

!^î  5  T.  B.  5î  5  M.  signifie  acdpere ,  hahere,  capere ,  d'où 
^l  IV,  T.  particeps  esse  alicujus  rel,  !^s  ^po,  T.  convenir e 
alicui;  Exemple:  Gc^X  Epos^  id  convenu  mihi,  medecet,  etc. 
Le  sens  de  ce  mot  2>m  est  donc  accipe,  ou  particeps  esto\oTS(i\x[\  est 

suivi  de  la  particule  u.* 

D'un  autre  côté  je  dois  faire  observer  qu'il  existe  ,  en  copte,  une 
particule  qui,  placée  devant  les  radicaux,  les  change  en  substantifs 
désignant  l'action,  ou  la  présence  de  l'action  exprimée  par  le  radical. 
Cette  particule  est  OUK  pour  le  dialecte  thébain ,  ^îîv  pour  le 
dialecte  memphitique.  De  telle  sorte  que  les  radicaux  CtUTJW. , 
cy2>.!i^E  5  signifiant  écouter,  parler,  les  mots  composés  '^UK  ou 
6swca\T^.«,5  îXSK  ou  muojZsti^E  3  signifient  l'action  d'écou- 
ter, l'action  de  parler. 

Je  ne  puis  me  défendre  de  regarder  cette  particule  î^xn  ou  6îU 
comme  formée  de  notre  radical  6î  ou  îxï^  accipere  et  acceptio,  et 
dé  la  particule  de  flexion  k;  ce  qui  nous  donne  pour  le  sens  littéral 
du  mot  !^Xî\cg2>.::^E ,  pai'  exemple,  la  prise  de  la  parole. 

Si  la  liaison  que  je  n'hésite  pas  à  reconnaître  entre  le  radical  pri- 
mitif :^\  ,  et  la  formule  dérivée  i^xit  n'est  pas  illusoire,  il  y  a 
quelque  lieu  de  s'étonner  de  ce  que  le  dialecte  thébain,  qui  comporte 
l'orthographe  '^\  du  radical ,  a  conservé  la  forme  5xn  de  la  par- 
ticule ,  tandis  que  la  particule  du  dialecte  memphitique  est  !^iu , 
le  radical  s'écrivant  6s  dans  ce  même  dialecte.  Je  ne  me  charge  pas 
de  donner  une  explication  quelque  peu  satisfaisante  de  ce  singulier 
échange  de  prononciation  des  mêmes  mots. 

Le  second  groupe  de  notre  formule  se  lit  immédiatement  TTpC, 
Tipoj  ;  cherchons-en  le  sens. 

Tipaj,  TTEpojj  iraipcg,  t.  b.  cj^aipcg  ?  M,  signifie, 


ACTES  d'adoration,   OU  PROSCYNKMES.  741 

exlendere,  sternere,  prosternere,  strare,  slerni,  prostemi,  exlendere,  etc. 
II  faudrait  être  plus  que  difficile  pour  ne  pas  trouver  entre  ce  mot  et  le 
grec  TipoTKÎiv/i^cx.  une  liaison  intime. 

Dans  le  texte  8  le  mot  z>.5s  est  isolé  ;  cette  fois  il  doit  signifier 
accipe;  il  est  donc  tout  naturel  de  voir  dans  l'ensemble  des  deux  mots 
l>6\   Tiaipcg  ,  ou  2s5s    wi\^\^'^  y  \e  sens  accipe prostradonem. 

Laclionde  se  prosterner,  se  dirait  en  copte  m^TTaipaj  ;  je  dois 
donc  faire  observer  l'analogie  très-grande  de  ce  mot  avec  l'expression 
que  nous  fournit  notamment  le  texte  3,  dans  lequel  nous  lisons  en  toutes 
lettres  ^<5iUTTa^îpaj.  L'expression  égyptienne  est-elle  identifiable 
avec  l'expression  copte?  c'est  ce  que  je  ne  me  permettrai  pas  de  dé- 
cider ;  j'avoue  cependant  que,  pour  ma  part,  je  donne  sans  hésiter  la 
préférence  à  la  traduction  littérale  accipe  prostrationem»  Je  vais 
essayer  tout  à  l'heure  de  justifier  cette  prédilection. 

Mais  avant  je  dois  émettre  une  hypothèse  que  je  regarde  comme 
assez  naturelle  et  que  je  vous  soumets  en  toute  humilité.  Nous  avons 
vu  que  les  deux  mots  z>,6\  et  TT^Upaj  sont,  à  une  seule  excep- 
tion près,  suivis  constamment  d'un  signe  qui  est  parfois  de  dimensions 
plus  grandes  que  les  lettres  courantes  du  texte  ;  ce  signe  est  comparable 
au  signe  hiéroglyphique  représentant  deux  bras  élevés ,  lequel  sert 
de  déterminatif  ordinaire  aux  idées,  oflrande,  prière,  et  aux  verbes 
relatifs  à  ces  idées.  Il  n'est  pas  impossible  que  ce  signe  consacré , 
l'un  de  ceux  que  tous  les  Égyptiens,  sans  exception,  devaient  con- 
naître à  cause  du  caractère  éminemment  religieux  de  la  nation,  ait 
passé  dans  l'écriture  démotique ,  lorsqu'il  s'agissait  de  constater  sur 
les  murailles  des  temples  l'accomplissement  d'une  prière  ou  de  tout 
autre  acte  d'adoration.  J'ai  déjà  fait  observer,  à  propos  du  texte  7, 
que  ce  signe  devait  être  considéré  comme  imprononçable,  puisqu'il 
pouvait  être  supprimé  sans  qu'il  en  résultât  aucune  altération  de 
sens  ;  je  crois  donc  devoir  maintenir  l'explication  que  je  viens  de 
donner  de  la  présence  de  ce  signe  hiéroglyphique,  introduit  dans 
l'écriture  vulgaire,  dans  le  cas  tout  spécial  où  il  s'agissait  d'expressions 
relatives  à  des  actes  éminemment  religieux. 

Nous  allons  voir  maintenant  comment  l'étude  des  mots  qui,  dans  les 
textes  2  et  9,  précèdent  la  formule  z>-6l  TTCUpcxj  ,  justifie  la  leçon 
que  j'ai  proposée  pour  ces  deux  mots. 

Le  texte  n**  2  commence  par  une  série  de  huit  signes  (PI.  VI.  5.), 
et  le  texte  n"  9  ,  par  cinq  signes  seulement  (PI.  VI.  6.)  que  suivent 


742  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

immédiatement  les  mots  déjà  transcrits  et  expliqués  l>6i  TTCUpaj . 
Cherchons  à  nous  rendre  compte  de  ces  deux,  commencements  de 
phrase. 

Ils  comportent  une  partie  commune  (PI.  VI.  7.)  dont  la  lecture 
nous  est  heureusement  fournie  par  le  texte  démotique  du  décret  de 
Rosette,  Nous  trouvons  en  effet  dans  ce  décret  les  expressions  vie 
et  vivant,  rendus  par  le  même  mot  égyptien  (PI.  VI.  8.)  i>.^z  .  qui 

est  immédiatement  comparable  au  mot  copte  qui  comporte  le  même 
sens. 

Ce  mot  signifie  donc  également  ici  :  vie  ou  vivant.  Il  est  précédé 
d'un  signe  qui  représente  une  voyelle  a  ou  o  ,  que  nous  retrouvons 
dans  des  noms  propres  et  dans  une  foule  de  mots  démotiques  dont  la 
lecture  est  indubitable ,  soit  parce  que  leur  sens  est  déterminé  forcé- 
ment ,  soit  parce  qu'ils  sont  transcrits  dans  le  manuscrit  de  Leyde. 

Voyons  quel  sens  il  faut  donner  aux  monosyllables  a  ,  o ,  ou  ô. 

2s ,  T  ;  M  ,  M  ;  veut  dire  :  faire  ou  être. 

O  ,   T  ;  05  ,  M  ;  être. 

av  ,  B  ;  (LUI ,  M  ;  être. 

Enfin  ai  et  a\aT,  T  ;  concipere,  d'oii  a\aî  et  6sNa.V,  concepdo. 

Dans  maint  passage  du  décret  de  Rosette ,  le  radical  o  ,  tu  ^  être, 
étant  représenté  par  une  lettre  démotique  (PI.  Vï.  9.)  toute  diffé- 
rente, à  l'exclusion  de  toute  autre,  je  n'hésite  pas  à  donner  un  sens 
distinct  au  radical  représenté  par  le  caractère  que  nous  trouvons  ici  ; 
c'est-à-dire  que  je  préfère  y  voir  l'idée  faire  ou  concevoir  ;  nous  pour- 
rions dans  ce  cas  traduire  le  groupe  (PI.  VI.  7.)  i>.  i>^Zy  CXV 
2>.  s^E  j  par,  qui  fait  la  vie,  qui  conçoit  ou  engendre  la  vie. 

Poursuivons  notre  analyse  : 

Dans  le  texte  2 ,  le  groupe  que  je  viens  d'étudier  est  précédé  de 
deux  mots  (PI.  VI.  10.),  et  il  suffit  de  comparer  entre  eux,  même  su- 
perficiellement ,  les  dix  proscynèmes  rapportés  par  Nestor  Lhôte  pour 
reconnaître  que  le  nom  de  la  divinité  à  laquelle  sont  adressés  ces  ac- 
tes d'adoration,  y  est  représenté  par  le  premier  de  ces  mots,  qui  offre 
différentes  formes  plus  ou  moins  altérées  par  le  caprice  du  scribe. 
(PI.  VLB.) 

Les  formes  extraites  des  textes  4  et  8  ne  peuvent  nous  laisser  de 
doute  sur  la  composition  de  ce  groupe  démotique ,  dans  lequel  entre 


ACTES  d'adoration,   OU  PUOSCYNÊMES.  743 

un  s  hiéroglyphique  placé  au-dessus  d'un  support  et  accompagné 
de  l'indice  qui  suit  toutes  les  sigles  divines.  Or,  les  textes  sa- 
crés ou  hiéroglyphiques  nous  offrent  exactement  le  même  groupe 
désignant  Ammon  Générateur,  ou  Mendès ,  divinité  que  les  Grecs 
et  les  Romains  avaient  assimilée  à  Pan  ou  au  Priape  de  la  théo- 
gonie qui  leur  était  propre,  divinité,  enfin,  dont  Champollion  a 
donné  la  figure  dans  la  planche  4  de  son  Panthéon  égyptien.  Ce  savant 
voyait  dans  le  S  placé  au-dessus  du  support,  l'initiale  du  verbe  caiq, 
coq,  CEq,  CCJLïaiq,  COOq,  contaminare ,  pollaere ,  violare. 
J'aime  mieux  n'y  voir  que  l'initiale  du  mot  CU:\î\T  ;  ckt:  ,  creare , 
formare.  Comme  les  proscynèmes  grecs  en  l'honneur  de  Pan  se  re- 
trouvent très-fréquemment  sur  les  monuments  religieux  de  la  même 
contrée  qui  nous  a  fourni  nos  proscynèmes  démotiques,  c'est  avec 
toute  raison  que  nous  adoptons  pour  la  sigle  démotique  qui  représente 
le  nom  de  la  divinité  à  laquelle  l'adoration  s'adresse ,  le  nom  de  la 
divinité  égyptienne  assimilée  au  dieu  Pan,  c'est-à-dire  d'Aramon  Gé- 
nérateur ou  Créateur. 

Dans  l'impossibilité  où  je  suis  d'affirmer  que  le  mot  CCLUïT 
nous  donne  la  vraie  prononciation  de  cette  sigle  divine, je  la  rempla- 
cerai par  le  nom  d'Ammon  Générateur.  Ceci  posé,  le  texte  2,  com- 
mençant par  cette  sigle  conventionnelle  ,  il  est  clair  que  ce  texte 
comporte  une  invocation  directe  à  la  divinité  dont  il  s'agit.  Cette  sigle 
est  suivie  d'un  groupe  bilittère  (PI.  VI.  11.),  qui  se  lit  sans  diffi- 
culté o'^CLT  aussi  bien  que  Bitu  ou  qm.  Le  radical  O'îCav  signifie 
germe,  puisque  de  ce  mot  viennent  '^O'^av,  T-  M.,  germinare , 
prodiicere,  germen,  propago,  et  !^xo'^av ,  T.  germen,  incrementum  ; 
£1.0  ou  qo  signifierait  canal ,  conduit  ;  la  première  leçon  étant  tout 
à  fait  convenable  ici ,  nous  avons ,  en  définitive ,  dans  le  commence- 
ment du  texte  2 ,  les  idées  suivantes  : 

0  Ammon  !  germe  producteur,  générateur  de  la  vie ,  reçois  l'adora- 
tion  

Quant  au  texte  9,  le  signe  initial  étant  un  S,  il  est  très-possible 
que  l'auteur  du  proscynème  et  de  l'inscription  se  soit  contenté,  pour 
abréger  son  travail,  d'écrire  le  S  de  la  sigle  image  conventionnelle  du 
nom  égyptien  d'Ammon  Générateur  (1).  Dans  ce  cas,  nous  avons 

(1)  A  ce  sujet  je  ne  puis  me  dispenser  de  vous  faire  remarquer,  Monsieur  et  cher 
confrère,  que  dans  le  texte  démotique  du  décret  de  Rosette,  le  S  en  forme  de  croix 


744  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

encore,  en  prenant  pour  un  signe  de  ponctuation  le  petit  trait  obli- 
que qui  précède  le  mot  z^bl  : 

0  Ammon  Générateur!  prodactear  de  la  vie,  reçois  V adoration,,,. 

Il  est  bien  entendu  que  les  mots  français  reçois  V adoration  ne  sont 
pas  la  traduction  littérale  des  mots  égyptiens  2>o\  TTOiipaj  5  puis- 
que ceux-ci  signifient  à  la  lettre  accipe prostrationem ,  de  même  que  le 
grec  TiooayLvvnikoi  représente  l'action  de  se  prosterner. 

Puisque  les  mots  qui  précèdent  l'expression  formulaire  i>.t\ 
TTCLVpoj  ne  sont  autre  chose  que  le  nom  propre  et  les  épithètes  ca- 
ractéristiques de  la  divinité  à  laquelle  l'acte  d'adoration  s'adresse, 
j'ai ,  ce  me  semble ,  eu  raison  de  considérer  le  mot  7>d\  comme 
l'impératif  du  verbe  b\  5  accipere.  L'analyse  que  je  viens  de  faire 
des  deux  membres  de  phrase  qui  commencent  les  textes  2  et  9,  nous 
rend  immédiatement  compte  du  texte  7,  qui  se  lit  i>^6l  Jt3^l>ri^\i>.p 
iTtupaj  et  se  traduit  :  Reçois,  ô  roi!  V  adoration  y  etc.  En  etîet, 
le  groupe  démotique  (PI.  VI.  12.),  signifiant  roi ,  dont  je  donnerai 
l'explication  détaillée  dans  mon  analyse  du  texte  démotique  du  décret 
de  Rosette ,  se  lit  matôar  ,  et  signifie  à  la  lettre  ,  grand  ou  chef  dans 
la  multitude ,  c'est-à  dire  roi. 

Il  faudrait  maintenant  deviner  le  sens  des  groupes  suivants  qui 
complètent  la  formule  que  je  viens  d'examiner  (voy.  PI.  VI.  C), 
mais,  cette  fois,  les  résultats  de  l'analyse  sont  moins  précis. 

Le  texte  n°  4  nous  fournit  immédiatement,  pour  le  groupe  que  je 
viens  de  copier,  la  transcription  suivante  en  lettres  coptes  dr)2>.T^^X  , 
et  ce  mot  est  suivi  du  signe  hiéroglyphique  les  deux  bras  étendus. 

Le  n**  7  nous  donne  UEpO'^XJUE. 

Le  n*"  2  nous  donne  *TJW-C  5  suivi  du  signe  final  imprononçable 


et  isolé,  tel  qu'il  se  retrouve  au  commencement  du  proscynème  9,  correspond  au 
signe  hiéroglyphique  le  maillet  dans  lequel  Salvolini  a  ,  grâce  à  l'élude  des  varian- 
tes, reconnu  l'initiale  du  mot  complet  Cî^^  5  CCUKTT,  creare ,  efformare , 

invigilare  (voyez  analyse,  etc.,  H ,  3,  5,  p.  243  et  suiv.)*  H  est  donc  tout  naturel 
de  donner  ici  la  même  signification  au  même  signe ,  et  par  suite  l'hypothèse  que 
j'ai  émise  sur  le  vrai  sens  du  S  placé  sur  le  support  dans  le  groupe  symbolique  qui 
accompagne, d'ordinaire  Ammon  Générateur,  celte  hypothèse,  dis-je,  acquiert  une 
assez  grande  vraisemblance. 


ACTES  D'ADORATION  ,  OU  PROSCYNÊMES.  745 

composé  d'un  petit  cercle  surmonté  d'un  trait,  si  fréquent  dans  le 
manuscrit  de  Leyde. 

Le  n°  9  nous  donne  nr^^-pnr-W^  et  le  même  signe  final  que  dans 
le  n°  2.  Cette  fois  se  présente  pour  l'articulation  R  un  caractère 
(P.  VI.  13.)  qui  ne  se  rencontre  jamais,  que  je  sache,  dans  les  con- 
trais, non  plus  que  dans  le  décret  de  Rosette,  mais  qui  se  trouve  à 
chaque  instant  dans  le  manuscrit  de  Leyde,  où  nous  lisons  en- 
tre autres  (PI.  VL  14.  ligne  19,  colonne  XII),  un  mot  qui  est 

transcrit  en  lettres  grecques  Tîpz^T.  La  valeur  de  ce  signe  ne  sau- 
rait donc  être  douteuse  ,  et  il  représente  l'articulation  R,  p  copte. 
Ce  signe  n'est  d'ailleurs  que  la  reproduction  fidèle  d'un  signe  hiéro- 
glyphique qui  a  la  même  valeur,  ainsi  que  Salvolini  l'a  constatée  plu- 
sieurs fois  (n**242  de  son  catalogue  des  hiéroglyphes  déjà  détermi- 
nés). Le  signe  en  question  ne  se  trouvant  dans  aucun  texte  ancien, 
comme  celui  du  décret  de  Rosette  et  ceux  des  contrats ,  il  en  faut,  je 
crois,  conclure  que  les  proscynèmes  qui  le  contiennent  ont  été  écrits 
à  une  époque  postérieure  et  probablement  voisine  de  celle  à  laquelle 
le  manuscrit  de  Leyde  fut  rédigé. 

Enfin,  le  texte  du  proscynème  n''  3  nous  fournit  le  mot  nrJW^pT^JW^E 
suivi  du  déterminatif  ou  symbole  religieux ,  les  deux  bras.  Il  s'agit 
maintenant  de  se  rendre  compte  de  ces  diverses  expressions. 

Ces  groupes  nous  fournissent,  par  la  transcription,  les  mots  sui- 
vants :  Idzs'Tjue,     nEpoTJW-E,     TJU^c  5     nfJap"TA5-    et 

^JULp^JU-E, 

Examinons  d'abord  l'expression  î:)^nfJt5-E.  H  existe  dans  les  trois 
dialectes  coptes,  une  particule  s>^>,  sur  le  compte  de  laquelle  Pey- 
ron  s'exprime  ainsi  dans  son  lexique  :  Metaphorice  notai  qiiod  sum- 
mum est  in  ciliqua  re;  sic  ^1>.Z00^ ,  summe  gloriosus.  Cette  par- 
ticule est-elle  distincte  de  la  préposition  S'^^.  T.  ÎD5..  M.?  je  ne 
le  pense  pas.  Dans  tous  les  cas,  notre  mot  (PI.  VI.  15.),  î:)2>.  est 
certainement  identique  avec  un  mot  >  2» ,  puisqu'il  n'en  diffère  que 
par  l'emploi  du  JbEX  memphitique  à  la  place  du  ^opsthébain; 
il  est  donc  permis ,  je  crois,  de  retrouver  dans  ce  mot  Jb^  ^^  pré- 
position ordinaire  >^5  ^^y  ou  la  particule  dont  le  rôle  a  été 


746  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

défini  par  Peyron,  ainsi  que  je  l'ai  dit  plus  haut.  Reste  alors  à  trou- 
ver le  sens  du  groupe  t^julç. 

J'avais  pensé  d'abord  au  mot  féminin  jux,  signifiant  vérité,  jus- 
lice,  à  cause  de  la  fréquence  de  l'emploi  de  l'épithète  juste,  sincère, 
attribuée  aux  offrandes  religieuses  et  représentée  par  la  plume  hiéro- 
glyphique dont  la  transcription  n'est  plus  douteuse.  Mais  le  T-  <• , 
qui  commence  le  mot  en  question ,  peut-il  être  l'article  féminin  que 
nous  voyons  si  constamment  rejeté  après  les  substantifs  qu'il  carac- 
térise ,  dans  les  textes  démotiques  ?  j'ai  quelque  peine  à  le  croire ,  et 
dès  lors  il  faut  chercher  autre  chose  que  le  substantif  ju^e  muni  de 
son  article.  Les  mots  qTa\.0-X  et  Eq^OOJU^E  signifient  comenit, 
decetf  eidecens,  conçeniens.  C'est  évidemment  la  troisième  personne 
du  présent  d'un  verbe  ^a\Ji5- ,  tt^ujulx  ,  ayant  le  sens  de  convenir, 
d'être  convenable.  Je  suis  bien  tenté  de  retrouver  ce  verbe  dans  le  mot 
égyptien  ^âxz  ,  et  d'attribuer  à  l'expression  en  question  le  sens  de 
convenable.  Nous  aurions  ainsi  :  Accepte  Vadoration  faite  ainsi  qu'il 
convient,  ou  souverainement  convenable.  Si,  du  reste,  l'on  aime  mieux 
retrouver  ici  le  mot  jU-e  des  textes  sacrés ,  on  peut  attribuer  à  la 
particule  h^z>  le  sens  que  lui  attribue  Peyron  ,  et  traduire  :  Reçois 
l'acte  d'adoration  souverainement  sincère,  souverainement  juste ,  de,  etc. 
Je  n'ose  me  prononcer  entre  ces  deux  sens  différents,  et  je  crois  plus 
prudent  d'attendre  qu'il  soit  possible  de  comparer  de  nouveaux  textes. 

Le  texte  du  proscynème  n°  2  porte  t:^c.  Si  cette  transcription 
est  juste ,  ce  que  je  ne  voudrais  pas  affirmer,  il  devient  difficile  de  se 
rendre  compte  de  la  présence  de  cet  S  final  à  la  place  de  la  voyelle 
que  présente  deux  fois  de  suite  le  texte  du  n"  4.  On  trouve  bien  à  la 
vérité  dans  le  copte  des  exemples  de  l'emploi  d'un  c  paragogique 
sans  influence  sur  le  sens  du  radical  qui  s'en  trouve  muni,  mais  j'ai 
peu  de  propension  à  user  de  cette  ressource  pour  me  débarrasser 
d'une  lettre  dont  la  présence  n'est  pas  naturelle.  Peut-être  ,  au  lieu 
d'un  S  démotique  (  PI.  VL  16.),  faudrait-il  voir  un  I  (PI.  VL  17.) 
dont  le  dernier  trait  aurait  été  mal  tracé,  et  nous  retomberions  alors 
sur  le  mot  ^çjuji5-S,  obtenu  plus  haut  et  signifiant  :  décent,  con- 
venable. Dans  ce  cas ,  le  proscynème  2  commencerait  par  les  mots  : 
0  Ammon  Générateur  l  germe  producteur  de  la  vie ,  reçois  l 'acte 
d'adoration  convenable  de ,  etc.  Si  cette  fois  encore  on  préfère  voir 


ACTES  d'adoration,  OU  PROSCYNÈMES.  747 

le  substantif  Jt5X ,  on  aura:  Reçois  V  adoration  sincère  y  ou  juste 
de,  etc. 

Le  texte  n**  7  nous  a  fourni  le  mot  I^EponfAiE  ,  qui  se  décom- 
pose en  — ,  N,  îv,  de;  Epo,  mot  composé  lui-même  de  la  par- 
ticule E,  caractéristique  du  datif  et  du  substantif  po  ,  bouche, 
composé  qui,  dans  le  copte,  signifie  chez  ,  et,  par  extension ,  ce  qui 
est  dû,  ce  dont  on  est  débiteur.  En  effet,  OO'^ÎV  Epo.  M-  O'^U 
Epo,  T.  a  le  sens  positif:  devoir  être  débiteur,  et  E^Epo,  T.  M- 
signifie  dette,  ce  que  l'on  doit.  On  peut  donc,  en  réalité  ,  voir  dans 
l'expression  KEpOT^JW^E  le  sens  littéral  :  de  ce  qui  est  du  convena- 
blement, de  la  dette  juste.  Dès  lors  le  début  de  ce  proscynème  n°  7 
se  transcrit  l>6l  Jtxhrjm^p  TTaipcg  î\Epo  "TCUJW-X  et  se 
traduit  :  Beçois ,  ô  roi!  V adoration  qui  f  est  justement  due  par,  etc. 

Restent  enfin  les  proscynèmes  3  et  9,  qui  nous  donnent  l'expres- 
sion   "T^JULp^JW,    ou   TJIL5-pT^JU-E. 

^1>ÂXZ  ,  T.  M.  B.  "T^Z^Xf  Z..  B.  T^^XJ-0.  T.  M-  signifie 
nunciare,  ostendere,  narrare,  significare.  Ce  mot,  muni  d'un  p 
paragogique,  nous  donnerait  TZ-W-Ep  ,  que  l'on  pourrait  sans 
inconvénient  traduire  par  :  manifestation ,  démonstration  ;  de  telle 
sorte  que  nr2.JU.Ep  Ta\JW-i  représenterait  à  la  rigueur  l'idée 
démonstralion  convenable  ou  juste. 

Vous  comprendrez  ,  mon  cher  confrère  ,  toute  la  réserve  que  je 
dois  m'imposer  lorsque  je  ne  puis  offrir  une  explication  plus  claire 
et  plus  simple  de  ces  mots  égyptiens.  Je  déclare  donc  ne  tenir 
en  aucune  façon  à  cette  traduction  des  diverses  expressions  finales 
que  je  viens  d'examiner,  et  je  me  bornerai  à  répéter  ce  que  j'ai  dit 
avant  de  les  aborder,  que  cette  fois  les  résultats  de  l'analyse  me  pa- 
raissent beaucoup  moins  précis  que  lorsqu'il  s'agissait  d'interpréter  la 
formule  2>.6l  iiaTpaj.  L'étude  comparative  d'un  plus  grand  nombre 
de  textes  analogues  me  semble  absolument  indispensable  pour  que 
l'intelligence  de  cette  phrase  formulaire  devienne  complète;  on  me 
pardonnera  donc,  j'espère,  de  n'avoir  pas  su  tirer  un  plus  grand 
parti  des  seuls  textes  que  j'avais  à  ma  disposition. 

F,  DE  Saulcy,  de  V  Institut. 
(  La  suite  au  numéro  prochain.) 


LETTRE  A  M.  DE  SAULGY 

SUR 

L'ÉPOQUE  DTIV  PROSCYÎVÈME  DÉIOTIQUE  ' . 

Paris,  le  22  janvier  18'i5. 

J'ai  lu ,  mon  cher  confrère,  avec  un  grand  intérêt  votre  Mémoire 
sur  les  Proscynèmes  démotiques  que  Nestor  Lhôte  a  copiés  dans  la 
vallée  d'el-Hammamât ,  sur  la  route  de  Qosseyr.  J'ai  suivi,  avec 
soin ,  l'analyse  détaillée  que  vous  avez  donnée  des  éléments  dont 
chacune  de  ces  inscriptions  se  compose  ;  il  m'a  paru  que  cette  ana- 
lyse, conduite  avec  beaucoup  de  réserve  et  de  finesse,  a  de  quoi  sa- 
tisfaire un  esprit  raisonnable,  et  lui  donner  pleine  confiance,  au 
moins  dans  tout  ce  qui  est  essentiel. 

Les  traductions ,  qui  résultent  de  l'application  de  votre  méthode , 
me  paraissent  claires,  précises  et  d'une  teneur  très- vraisemblable. 

Mais ,  dans  les  travaux  de  ce  genre ,  où  l'on  est  souvent  obligé  de 
donner  beaucoup  à  la  conjecture,  où  les  résultats  ne  s'obtiennent  pas 
directement,  mais  sortent,  l'un  après  l'autre,  de  tâtonnements  et 
d'inductions  délicates,  on  n'est  vraiment  sûr  de  quelque  chose  que 
lorsqu'on  peut  se  placer  sur  le  terrain  historique;  c'est-à-dire,  lorsque 
des  traductions ,  amenées  par  la  seule  analyse  philologique ,  peuvent 
être  confirmées  par  d'autres  données  uniquement  tirées  de  l'histoire. 

Je  crois  avoir  été  assez  heureux  pour  découvrir,  dans  votre  inté- 
ressant travail ,  plusieurs  confirmations  de  ce  genre,  d'autant  plus 
remarquables  que  vous  n'y  avez  pas  pensé  ;  et  que  vous  vous  êtes 
laissé  guider  uniquement  par  votre  méthode  de  lecture. 

Plusieurs  de  ces  proscynèmes  sont  adressés  à  une  divinité  dont 
vous  avez  exprimé  le  nom  par  celui  à'Ammon  Générateur. 

Cette  traduction  ne  peut  qu'être  exacte.  J'ai  sous  les  yeux  une 
soixantaine  d'inscriptions  grecques,  contenant  des  proscynèmes, 
copiés  dans  la  vallée  d'el-Hammamât,  les  uns  par  Nestor  Lhôte,  les 
autres  par  sir  Gardner  Wilkinson.  Ce  sont ,  pour  la  plupart ,  des 
actes  d'adoration  en  l'honneur  du  Dieu  principal.  Partout,  ce  Dieu 

(1)  Cette  lettre  se  rapporte  à  un  proscynème  dont  on  trouvera  l'analyse  dans  le 
second  article  de  M.  de  Saulcy.  Nous  n'avons  pas  voulu  différer  à  publier  cette  lettre, 
parce  qu'elle  est  propre  à  donner  confiance  dans  les  résultats  de  ses  recherches. 

[If Ole  de  V Editeur.) 


LETTRE  DE   M.   LETRON^E   A  31.   DE   SAULCY.  749 

est  représenté  dans  l'attitude  ithyphallique  reconnue  pour  être  celle 
d'Ammon  Khem  ou  Générateur.  Dans  les  inscriptions  grecques, 
il  est  toujours  désigné  sous  le  nom  de  Ilàv,  avec  l'épithète  de  Qeoç 
^syLCzoç'j  et  l'on  sait  que  les  Grecs,  par  l'effet  d'une  de  ces  assimi- 
lations factices ,  sur  lesquelles  reposent  les  rapports  des  deux  reli- 
gions, ont  toujours  identifié  YAmmon  Générateur  des  Égyptiens  avec 
leur  dieu  Pa/i,  qui,  dans  son  essence,  en  différait  complètement. 
Ce  sont  les  rêveurs  alexandrins,  dont  Macrobe  est  l'écho,  qui,  en  abu- 
sant d'une  fausse  étymologie  du  nom  de  Pan ,  ont  fait  de  ce  Dieu , 
ou  plutôt  de  ce  Héros  (l)  ou  demi-dieu,  le  grand  tout,  Vâme  uni- 
verselle; et,  comme  d'Hercule ,  une  divinité  solaire  et  cosmique , 
dont  les  anciens  Grecs  n'avaient  jamais  entendu  parler. 

En  vous  amenant  à  lire,  dans  ces  inscriptions  démotiques,  le  nom 
d'Ammon  Générateur,  votre  méthode  vous  a  donc  conduit  justement 
à  trouver  le  Dieu ,  qui  doit ,  sans  nul  doute ,  y  être  désigné  ;  et  cela , 
sans  que  vous  puissiez  vous  douter  de  ce  que  les  inscriptions  grec- 
ques ,  que  vous  ne  connaissiez  pas ,  m'avaient  appris  depuis  long- 
temps. 

Une  autre  coïncidence  de  ce  genre,  et  plus  frappante  encore,  se 
reconnaît  dans  un  des  proscynèmes. 

Votre  analyse  vous  a  conduit  à  cette  traduction  : 

ce  L'an  Si6  du  roi  Ptolémée,  fds  de  Ptolémée,  le  4  de  Tobi,  Terp- 
((  senammon ,  fils  d'Eiméré ,  a  offert  des  libations  en  ce  lieu,  selon 
c(  les  rits  prescrits,  au  roi  Aridée ,  fils  d'Arsinoe.  » 

Voilà  réunies  plusieurs  circonstances  historiques  qui  peuvent  servir 
de  pierre  de  touche  à  votre  système. 

Et  d'abord,  il  n'y  a  qu'un  seul  des  Lagides  qui  ait  pu  être  qualifié 
ainsi  :  le  roi  Ptolémée,  fils  de  Ptolémée,  sans  autre  désignation  ;  c'est 
le  successeur  de  Ptolémée  Soter,  du  premier  des  Lagides ,  à  savoir 
son  fils  Ptolémée  Philadelphe.  C'est  ainsi  qu'il  a  été  désigné  dans 
une  inscription  delphique,  publiée  par  M.  Curtius  ;  BaathvovTog 
IlToAepatoy  rov  IlToAspaioL»  p^ccGiléoiç  (2). 

Cette  expression  porte  donc,  en  elle-même,  un  caractère  histo- 
rique qui  concilie  d'abord  la  confiance  à  votre  traduction.  La  date 
de  l'an  26 ,  présente  une  coïncidence  remarquable  avec  le  premier 

(1)  C'est  ainsi  qu'il  est  appelé  dans  une  inscription  métrique  de  Ouadi  Genisseh 
(désert  à  l'est  d'Edfou);  elle  commence  ainsi  :  Isï-jo'j  ny-n^av-rsç,  bSonzôpoi,  r^poix 
To'vos ,  Euooov.  La  divinité  adorée  en  ce  lieu  est  aussi,  comme  à  el-Hammamât, 
AmmonKhemou  Géïîérafewr,  appelé  constamment  dans  ces  inscriptions;  Mv  Mqç, 

{'2)  Anecdola  Delphica,  n»  5G,  p.  81. 


750  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

fait  ;  car  Ptolémée  Philadelphe  est  justement  un  des  quatre  Lagides 
dont  le  règne  a  dépassé  ce  nombre  d'années.  Le  quantième ,  le  4  de 
Tobi ,  vient  bien  à  la  place  qu  occupe  ordinairement  cette  indication, 
La  date  précise  de  notre  proscynème  répond  au  24  février  (Julien 
proleptique)  de  l'an  259  avant  J.  C. 

Les  deux  noms  qui  viennent  ensuite,  ont  une  physionomie  com- 
plètement égyptienne ,  Terpsenammon ,  iWs  à' Eiméré  ;  le  premier  est 
un  de  ces  noms  composés  d'un  nom  de  dieu,  avec  le  préfix  sen  ou 
psen,  comme  Psenosiris,  Psemmonthès ,  Psenchonsis ,  etc.,  précédé 
ici  du  mot  ter  qui  signifie  Dieu.  Quant  à  Eiméré,  c'est  le  nom  connu 
Eimei  (  personnage  dont  le  tombeau  est  près  de  la  grande  pyramide) , 
suivi  de  RéoyiPhré,  le  soleil,  comme  Menkaré  et  d'autres. 

Jusqu'ici  votre  méthode  vous  a  conduit  au  but,  ce  me  semble;  et, 
quand  l'inscription  s'arrêterait  là,  ou  du  moins  ne  donnerait  pas  lieu 
à  d'autres  rapprochements,  le  plus  sévère  critique  pourrait  déjà  se 
montrer  satisfait  ;  mais  il  s'y  trouve  un  dernier  renseignement  qui 
permet  d  aller  jusqu'à  essayer  de  compléter  l'histoire  sur  un  détail 
assez  curieux. 

Ce  n'est  pas  à  la  divinité  du  lieu  que  Terpsenammon  adresse  son 
hommage;  c'est  à  l'effigie  d'un  roi  divinisé,  dont  vous  lisez  le  nom  roi 
Aritée  ou  Aridée.  Ce  nom  nous  reporte  encore  dans  l'histoire; 
car  il  ne  peut  être  que  Philippe  Aridée  ou  Arrhidée ,  le  fils  naturel 
de  Philippe,  le  frère  et  successeur  d'Alexandre.  L'orthographe  grecque 
flotte  entre  AppLâcx.ïo  et  Apiàaïoçy  ce  qui  revient  au  même,  l'aug- 
mentatif àpt  se  disant  aussi  <xppL  (i).  Mais  il  est  à  remarquer  que  la 
première  orthographe  n'existe  que  dans  Arrien,  et  en  un  seul  endroit 
de  Plutarque  ;  la  deuxième  ,  qui  est  celle  de  votre  proscynème  démo- 
tique, se  trouve  dans  les  textes  de  Dicéarque,  de  Ptolémée  (de  Mé- 
galopolis),  d'Arrien ,  de  Dexippe,  de  Strabon ,  de  Pausanias,  etc. 
D'ailleurs ,  les  exemples  des  noms  propres  avec  le  préfix  dpi  sont 
bien  plus  nombreux  que  les  autres;  et  quant  aux  adjectifs  précédés  de 
cette  particule ,  le  lexique  si  complet  de  Passow  n'en  présente  aucun 
exemple.  Ainsi ,  vous  avez  pour  votre  leçon  le  plus  grand  nombre 
des  autorités  et  l'usage  ordinaire  de  la  langue. 

A  ce  sujet,  je  me  rappelle  la  perplexité  oii  je  vis  Champollion, 
lorsque  l'application  de  son  alphabet  l'eut  conduit  à  lire  sur  des 
monuments  égyptiens  à  Thèbes  et  à  Aschmounein  le  nom  de  P/u- 

(1)  "AptScfÀoç  OU  'kphi^vXo:  doit  signifier  vaillant ,  belliqueux  (de  à/si  ou  àppt  et  de 
ostvç),  à  pe^ï  près  comme  n7ohy.KXoç ,  dérivé  de  nTp;ie//.oî ,  forme  poétique  de  T^ôXep^oi, 


LETTRE   DE   M.    LETRONNE  A   M.   DE   SAULCY.  751 

lippe ,  accompagné  des  titres  divins ,  comme  les  noms  des  autres  rois. 
Il  ne  savait  d'abord  comment  expliquer  que  Philippe,  père  d'Alexan- 
dre, fût  au  nombre  des  rois  au  nom  desquels  avaient  été  construits 
ou  réparés  des  édifices  égyptiens.  Mais  bientôt  il  se  souvint  que 
parmi  les  souverains  effectifs  de  l'Egypte ,  il  fallait  compter  Philippe 
Aridée.  La  difficulté  était  résolue.  En  effet,  ce  prince ,  fils  naturel 
de  Philippe ,  et  frère  d'Alexandre ,  avait  été  investi  à  Babylone  du 
pouvoir  royal  ;  ses  droits  furent  reconnus  par  tous  les  généraux  ;  et 
en  Egypte,  particulièrement,  sa  royauté  fut  si  bien  admise  que  le 
canon  des  rois  divise  le  règne  de  Ptolémée  Soter  en  trois  parties  ;  la 
première  de  sept  ans  est  donnée  à  Philippe  Arrhidée  ;  la  deuxième 
de  douze  ans,  à  Alexandre,  fils  posthume  d'Alexandre  et  de  Roxane  ; 
la  troisième  de  vingt  ans,  à  Ptolémée  Soter;  ainsi',  pendant  les  dix- 
neuf  premières  années,  ce  prince  régna  sous  les  noms  d' Aridée  et 
d'Alexandre ,  et  ne  fut  roi  que  lorsque  la  mort  du  fils  et  du  frère  du 
conquérant  lui  permit  de  prendre  ce  titre. 

Ce  fait,  si  bien  constaté  par  l'histoire,  explique  la  présence  des 
noms  de  Philippe  et  d'Alexandre  sur  les  monuments  égyptiens ,  répa- 
rés ou  construits  de  324  à  317,  ou  de  317  à  305  avant  notre  ère;  et 
l'on  peut  être ,  à  présent ,  assuré  que,  si  l'on  découvrait  un  jour  des 
inscriptions  ou  des  papyrus  appartenant  à  l'un  de  ces  deux  inter- 
valles, on  les  trouverait  datés  non  du  règne  de  Soter,  mais  de  ceux 
de  Philippe  Arrhidée  ou  d'Alexandre. 

La  présence  du  nom  d' Arrhidée  dans  le  proscynème  d'el-Hamma- 
màt  est  un  fait  du  môme  ordre.  Ce  prince  est  qualifié  de  roi,  parce 
qu'en  effet  il  le  fut  ;  il  est  traité  comme  une  divinité  à  laquelle  on 
rend  un  culte,  parce  qu'en  effet  les  rois  grecs  en  Egypte,  comme 
les  anciens  pharaons,  furent  divinisés  même  de  leur  vivant;  aussi 
les  divers  cartels  hiéroglyphiques  de  Philippe  Arrhidée  et  d'Alexan- 
dre sont-ils  accompagnés,  comme  tous  les  autres,  des  titres  divins. 
Votre  proscynème  s'y  coordonne  de  la  manière  la  plus  satisfaisante. 

La  date,  qui  est  celle  de  l'an  26  de  Philadelphe,  n'est  postérieure 
à  la  mort  d'Arrhidée  que  d'environ  cinquante-huit  ans. 

Cet  intervalle  n'a  rien  d'invraisemblable.  On  comprend  que  l'Égyp- 
tien Terpsenammon  voyageant  sur  la  route  de  Qosseyr,  et  passant 
à  el-Hammamât,  ait  trouvé  sur  quelque  monument  une  image  d'Ar- 
rhidée, prince  qui  était  peut-être  le  bienfaiteur  de  son  père  ou  de 
tout  autre  membre  de  sa  famille;  et  qu'il  ait  saisi  cette  occasion  de 
lui  donner  une  marque  de  sa  vénération  et  de  sa  reconnaissance.  Il 
suffirait  même  que  notre  Égyptien  eût ,  à  cette  époque ,  soixante- 


752  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

quinze  ans ,  pour  qu'il  eut  connu  Arrhidée ,  éprouvé  personnelle- 
ment sa  générosité ,  ou  reçu  le  service  qu'il  a  voulu  reconnaître. 
Nous  voyons  par  là  que  si ,  sur  les  monuments  publics ,  ce  prince 
portait  le  nom  de  Philippe  y  son  vrai  nom  Arrhidée  lui  avait  été  con- 
servé par  ses  contemporains ,  et  pouvait  paraître  seul  dans  les  actes 
privés. 

J'arrive  à  la  dernière  circonstance ,  qui  est  le  nom  de  la  mère 
d' Arrhidée.  D'après  votre  traduction ,  il  était  fils  (ÏArsinoe,  Je  re- 
marque d'abord  combien  ce  nom  grec  vient  à  propos ,  après  un  nom 
d'homme  grec;  c'est  ainsi  que  plus  haut,  les  deux  noms  grecs  de 
Piolémée  se  suivent  ,  comme  ensuite  les  deux  noms  égyptiens 
Terpsenammon  et  Eiméré;  votre  méthode  donne  toujours  ce  qu'il  faut. 

Quant  au  nom  lui-même,  Arsinoe,  il  est  impossible  que  le  hasard 
seul  l'amène;  pour  ma  part,  je  suis  aussi  certain  que  ce  nom  est 
écrit  dans  l'inscription  que  s'il  y  était  marqué  en  lettres  grecques  ; 
et  ce  proscynème  tout  entier  me  paraît  aussi  clair  que  si  nous  avions 
à   côté   son  expression  grecque  à   peu  près   de  cette  manière  : 

BoLGilevovroç  U^olsixoûov  tov  Urolzit-OLioVy  'érovç  Kç,  roêi  A,  Trip'^svdi^- 
yMV  Toîf  'Ely.epÉMÇj  tw  ^ocfjileï  AppLÙaio)  t?iç  ApGi-jé'riç  y  ràç  anov^aç, , 
zarà  rà  vo^Lt/ma  ,  (TuvsTe'AvîO'c. 

La  leçon  étant  bien  constatée ,  on  peut  à  présent  la  prendre  avec 
confiance  pour  base  d'observation. 

Ce  qui  me  frappe  d'abord ,  c'est  que  notre  Égyptien  nomme  la 
mère  d'Arrhidée,  et  ne  parle  pas  de  son  père.  S'il  n'y  avait  pas  d'autre 
désignation  de  ce  genre  dans  le  proscynème ,  celle-ci  ne  me  sur- 
prendrait pas  ;  car  on  sait  que  c'était  f  usage  égyptien  de  désigner  les 
individus  par  le  nom  de  leur  mère.  Mais  pourquoi  a-t-il  suivi  l'usage 
grec  à  propos  du  roi  Ptolémée  et  de  lui-même,  tandis  qu'il  suit 
l'usage  égyptien  en  parlant  d'Arrhidée?  Voila  ce  qui  me  semble  sin- 
gulier; mais  le  fait  est  constant,  et  peut-être  n'est-il  pas  impossible 
(l'en  découvrir  la  cause. 

Quelle  est  cette  Arsinoe,  mère  d'Arrhidée?  ce  sera  sans  doute 
quelque  concubine  de  Philippe,  puisque  Arrhidée  était  fils  naturel 
de  ce  roi. 

Or,  précisément,  au  nombre  des  concubines  de  Philippe,  l'histoire 
compte  une  Arsinoe,  femme  d'un  rang  élevé,  puisqu'elle  était  fille 
de  Méléagre,  et  de  la  race  des  Héraclides  (1).  Philippe  la  maria  à 
fun  de  ses  officiers ,  Lagus ,  lorsqu'elle  était  déjà  enceinte  de  Ptolé- 

(1)  Saint-Martin,  dans  la  Biographie  universelle,  t.  XXXVI,  p.  187, 


LETTRE   DE   M.    LETRONNE   A   M.   DE   SAULCY.  753 

mée,  depuis  Soter  (l);  en  sorte  que  le  fondateur  de  la  dynastie  des 
Lagides,  qui  passait  pour  le  fils  de  Lagus,  était  réellement  fils  de 
Philippe,  et  frère  d'Alexandre  comme  Arrhidée  (2). 

N'est-il  pas  bien  naturel  de  voir  dans  cette  Àrsinoe  h  mère  de 
Philippe  Arrhidée  ?  Ce  serait  donc  un  fils  qu'elle  aurait  eu  de  Phi- 
lippe ,  avant  qu'il  la  fît  épouser  à  Lagus. 

Mais  ici  une  grave  difficulté  se  présente. 

L'histoire  donne  pour  mère  à  Arrhidée  une  autre  concubine  de 
Philippe,  nommée  Philina  ou  Philima.  Le  fait  a  pour  garants  un 
auteur  presque  contemporain,  Dicéarque,  disciple  d'Aristpte  (3), 
puis  Ptolémée  de  Mégalopolis  (4)  (qui  florissait  sous  Philopator 
ou  à  peu  près  ).  Les  historiens  postérieurs  Arrien  (5) ,  Plutarque  (6) 
etDexippe  (7),  prononcent  tous  le  même  nom,  et  aucun  d'eux  ne 
nomme  Arsinoe,  Cette  Philinna  était  une  danseuse  de  Larisse  en 
Thessalie ,  que  Philippe,  passionné  pour  les  femmes,  et  fort  peu 
délicat  dans  ses  choix,  ne  craignit  pas  d'élever  jusqu'à  lui ,  comme 
le  dit  Ptolémée  de  Mégalopolis;  Plutarque  va  même  jusqu'à  la  qua- 
lifier de  vile  prostituée,  ywh  a^o^oç  xoà  TtoiTri, 

Ces  autorités  sont  nombreuses  et  graves,  mais  l'inscription  est 
aussi  une  autorité  bien  imposante  qu'on  ne  peut  soupçonner  d'erreur. 
Car  notre  Égyptien  ne  pouvait  se  tromper  sur  le  nom  de  la  mère  du 
roi;  du  moins  il  n'a  pu  exprimer  que  l'opinion  qui  avait  cours  en 

Egypte. 

On  sait  que  l'élection  d'Arrhidée,  comme  successeur  d'Alexandre, 
ne  fut  point  unanime.  Elle  trompait  trop  d'ambitions  pour  qu  elle 
n'eût  pas  plus  d'un  adversaire.  Ptolémée  surtout  se  déclarait  contre 
cette  élection  (8)  pour  différentes  causes,  opposant  à  Arrhidée  Yinfa- 
mie  de  sa  mère  (propter  maternas  sordes).  11  est  bien  à  présumer  que 
la  médisance  et  même  la  calomnie  furent  mises  enjeu  contre  lui,  et 
qu'on  tâcha  de  le  déconsidérer  de  toutes  manières  jusqu'au  moment 
où  il  succomba  sous  les  embûches  d'Olympias.  Or,  un  des  moyens 
qu'on  dut  employer  fut  d'attaquer  sa  naissance.  Philippe  l'avait  re- 
connu pour  son  fils,  on  ne  pouvait  le  nier;  mais  on  diminuait  cet 

(1)  Suidas,  V.  "E'/zapTcoç. 

(2)  Pausan.  1,  62.  Curt.  IX ,  8  ,  22. 

(3)  Ap.  Alhen.  p.  557,  c.  Aocpti^aXn  ^O.jwk,  I?  r7;  'A/5t5«tov  èts/.vwt-. 

(4)  /6id.,  p.  578,  a. 

(5)  Ap.  Phol.,  p.  69  a,  éd.  Bekk. 

(6)  In  Alexandr,  c.  77  fin. 

(7)  Ap.  PhoL  p.  64,  a. 

(8)  Justin,  XIII,  2. 

I.  49 


754  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

avantage  en  soutenant  qu'il  était  fils  d'une  vile  baladine,  d'une  de 
ces  femmes  publiques  avec  lesquelles  la  paternité  est  toujours  chose 
fort  incertaine.  Voilà  ce  qui  se  disait  contre  Arrhidée,  et  ce  que  les 
historiens. ont  recueilli.  L'imputation  était-elle  fausse,  était-elle  vraie? 
Était-il  recollement  né  d'une  telle  femme,  obscure  et  à  tout  venant 
(ccdoloç  Y,ou  y,om),^  Était-il  né  d'une  autre,  et,  par  exemple,  de 
cette  Arsinoe  qui  devint  ensuite  la  femme  de  Lagus?  En  tout  cas,  il 
a  pu,  dans  l'intérêt  de  sa  position,  il  a  du  rejeter  une  origine  si 
peu  honorable  et  soutenir  qu'il  devait  la  naissance  à  une  descendante 
des  Héraclides. 

Le  proscynème  démotique  nous  aurait  donc  conservé  le  nom  de  la 
mère  que  se  donnait  Arrhidée,  soit  quelle  le  fut  réellement,  soit 
que  ce  ne  fût  de  sa  part  qu'une  prétention  conseillée  par  la  politique. 
L'histoire  ne  nous  aura  peut-être  ici  conservé  qu'un  article  de  la 
chronique  scandaleuse  du  temps.  On  expliquerait  par  là  pourquoi 
notre  Égyptien  n'a  fait  mention  que  de  la  mère  d'Arrhidée.  Personne 
ne  mettait  en  doute  qu'il  ne  fût  le  fils  de  Philippe;  mais  comme  on  lui 
contestait  son  origine  maternelle,  il  tenait  d'autant  plus  à  la  constater 
en  tous  lieux.  De  son  vivant,  c'était  lui  faire  sa  cour  que  d'accoler  à 
son  nom  celui  à' Arsinoe;  et,  après  sa  mort,  ceux  qui  voulaient  ho- 
norer sa  mémoire  ,  avaient  bien  soin  de  lui  conserver  cette  origine 
qu'on  avait  voulu  lui  contester. 

Voilà ,  mon  cher  confrère ,  en  attendant  mieux ,  mon  explication 
de  cette  difficulté  historique.  Tout  cela  tient ,  comme  vous  le  voyez , 
au  seul  nom  d'Arsinoe  ;  mais  du  moment  que  la  leçon  est  cer- 
taine (et  comment  pourrait-elle  ne  pas  l'être?),  elle  devient  un  fait 
historique  qu'on  expliquera  comme  on  pourra ,  mais  qu'il  est  aussi 
impossible  de  mettre  de  côté  que  l'autre  fait,  transmis  par  le  témoi- 
gnage des  historiens.  Dès  lors ,  on  ne  peut  plus  hésiter  que  sur  le 
moyen  de  concilier  ces  autorités  contradictoires. 

Ce  qui  résulte  de  cette  longue  lettre ,  c'est  que  le  proscynème 
devient  un  document  qui ,  sur  la  plupart  des  points,  se  lie  parfaite- 
ment avec  l'histoire ,  et  qui  peut-être  sert  à  la  compléter  sur  le  seul 
point  qui  semble  y  être  contraire. 

Je  souhaite,  mon  cher  confrère,  que  ces  résultats  augmentent  votre 
confiance  dans  l'instrument  dont  vous  savez  faire  un  tel  usage ,  et 
qu'ils  soutiennent  votre  persévérance  dans  la  poursuite  de  ces  re- 
cherches arides  et  difficiles  oiî  l'on  a  tant  besoin  d'être  encouragé 
par  la  perspective  d'une  heureuse  issue. 

Letronne. 


EXPLICATION  DES  PLANCHES. 

PL.  XXI  ET  XXII. 

BOISERIE  DU  XV^  SIÈCLE,  REPRÉSENTANT  L  ARBRE  DE  JESSÉ  ET  PRO- 
VENANT DE  l'ancienne  abbaye  DE  SAINT-SAUVEDR,  A  NEVERS. 
—  VITRAIL  DE   l'abbaye   DE    SAINT-DENIS. 

Le  sujet  qui  nous  est  offert  par  cette  boiserie  et  qui  est  connu 
sous  le  nom  d'Arbre  de  Jessé,  est  un  de  ceux  pour  lesquels  les  pein- 
très  et  imagiers  du  moyen  âge  ont  témoigné  le  plus  de  prédilection. 
Il  rendait  en  effet  sensible  aux  yeux  du  vulgaire  l'accomplissement  de 
la  prophétie  qui  avait  annoncé  que  le  Christ  sortirait  de  la  race  de 
David,  et  montrait,  d'une  manière  symbolique,  la  suite  des  aïeux  de 
Marie,  depuis  Isaï  ou  Jessé,  le  vieillard  de  Bethléem,  David  étant, 
comme  on  sait,  le  huitième  fils  de  ce  vénérable  Israélite.  Si  les 
artistes  ne  faisaient  pas  commencer  la  généalogie  à  David,  quoique 
ce  saint  roi  ouvrît  la  seconde  des  trois  séries  dans  lesquelles 
l'Evangéliste  a  divisé  la  succession  des  ancêtres  de  Joseph ,  c'est 
certainement  qu'ils  voulaient  réaliser  figurativement  la  parole 
d'Isaïe  :  «  Et  egredietur  virga  de  radice  Jesse  et  flos  de  radice 
<(  ejus  ascendet.  »  (XI,  1.)  Cette  parole  était  regardée  par  les 
chrétiens  comme  une  prophétie  qui  annonçait  la  venue  du  Christ  : 
(cHujus  (Jesse)  Déus  ex  semine,  secundum  promissionem  eduxit 
«  Israël  salvatorem  Jesum,  »  disent  les  Actes  des  Apôtres  (XIII, 
23.)  Il  fallait  donc  placer  Jessé  à  la  racine  de  l'arbre,  du  rameau 
prophétique  (virga) ,  comme  il  fallait  placer  Marie  et  son  précieux 
enfant  dans  la  fleur  qui  le  termine.  C'est  ce  que  le  sculpteur  de 
notre  boiserie  a  représenté  :  la  mère  du  Sauveur  s'échappe ,  en- 
tourée de  feux  célestes,  de  la  corolle  qui  s'épanouit  à  la  cime  de 
l'arbre  emblématique  ;  sur  les  rameaux  latéraux  sont  placés,  sortant 
chacun  également  du  milieu  d'une  fleur,  les  royaux  ancêtres  de  Ma- 
rie. L'artiste  n'a  pu  naturellement  les  placer  tous;  ces  deux  fois  qua- 
torze générations  dont  parlent  saint  Mathieu  et  saint  Luc  eussent 
occupé  un  trop  grand  espace  pour  trouver  facilement  place  sur  la 
boiserie,  aussi  n'en  a-t-il  figuré  que  douze,  auxquels  il  n'a  donné 
d'autre  attribut  qu'un  sceptre  dans  la  main  droite.  Il  est  donc  im- 
possible de  découvrir  quels  sont  ceux  des  aïeux  du  Christ  que  l'on  a 
voulu  plus  particulièrement  représenter.  Il  est  assez  remarquable  que 


756  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

l'on  n  ait  pas  mis  au  moins  entre  les  bras  de  David  sa  harpe  accou- 
tumée; c'est  en  effet  le  signe  qui  le  différencie  des  autres  personnages 
dans  bon  nombre  de  sujets  semblables  ;  nous  citerons  comme  exemple 
d'arbres  de  Jessé  chez  lesquels  le  roi  d'Israël  a  été  ainsi  caractérisé  : 
le  bas-relief  qui  décore  le  maître-autel  de  l'église  du  Christ  à  Twy  neham 
(Hampshire)  (1);  le  vitrail  de  Saint-Étienne  deBeauvais,  peint  par 
Angrand  ou  Engerrand  Le  Prince  (2).  Salomon  n'est  reconnaissable 
également  à  aucun  caractère  particulier.  Je  serais  néanmoins  porté  à 
admettre  que  ces  deux  rois  sont  les  deux  personnages  de  la  première 
branche  de  droite,  branche  qui,  étant  celle  qui  sort  du  point  le  plus  bas 
de  la  tige,  doit  nécessairement  être  parcourue  la  première  quand  on 
s'élève  du  tronc  au  sommet.  Ce  qui  me  semble  une  sorte  de  conGrma- 
tion  de  cette  hypothèse,  c'est  qu'outre  que  ces  deux  monarques  sont 
fils  et  petit-fils  de  Jessé,  le  second  sur  la  branche ,  Salomon  est  le  seul , 
avec  un  autre  placé  plus  haut,  entre  tous  les  aïeux  de  Marie  ici  repré- 
sentés ,  qui  n'indique  pas  de  sa  main  la  figure  de  celle-ci  placée  à  la 
cime  de  l'arbre.  Ce  geste,  emblème  de  l'enseignement ,  lui  aura  sans 
doute  été  refusé,  à  raison  des  erreurs  dans  lesquelles  il  est  tombé  à  la 
fin  de  sa  vie.  Le  second  personnage,  qui  comme  celui  que  je  suppose 
être  Salomon ,  abaisse  sa  main  sur  sa  tunique,  au  lieu  de  l'élever  vers 
Marie,  serait  sans  doute  Sadoc  que  l'on  a  regardé  ici,  suivant  une  opi- 
nion assez  répandue,  comme  le  chef  de  la  secte  des  Saducéens,  dont 
les  doctrines  étaient  si  fort  en  opposition  avec  le  christianisme.  Il  est 
vrai  que,  pour  accepter  cette  désignation  des  personnages  de  notre 
boiserie,  il  faut  admettre  la  généalogie  donnée  par  saint  Mathieu,  qui 
n'est  pas  d'accord  avec  celle  de  l'Evangile  de  saint  Luc,  puisque,  dans 
la  dernière ,  Salomon  n'entre  pas ,  et  est  remplacé  par  son  frère  aîné 
Nathan.  Mais  l'on  sait  qu'au  moyen  âge,  la  première  était  presque  la 
seule  qui  eût  cours,  d'abord  à  raison  de  sa  place  dans  l'Évangile, 
puisque  elle  est  tout  à  fait  en  tête  de  ce  livre,  ensuite  parce  que  c'est 
la  seule  qui  comptât  ce  roi  lui-même,  dont  le  nom,  devenu  si  populaire, 
devait,  pour  cette  raison,  nécessairement  entrer  dans  cette  suite  de 
noms  israélites  moins  familiers  au  vulgaire. 

On  pourrait  ajouter  à  ces  motifs,  que  la  généalogie  de  saint 
Mathieu  est  la  seule  qui  suive  l'ordre  ascendant  donné  par  la  dispo- 
sition de  l'arbre,  tandis  que  saint  Luc  a  adopté  l'ordre  inverse. 

Il  est  très-probable  que  le  dernier  personnage  de  l'arbre,  celui  qui, 

(1)  Carter,  Ancient  Painting  and  Sculpture  in  England,  PI.  XXXII,  p.  44. 
Cf.  Dugdalec,  Monast.  anglican.  T.  I,  p.  140. 

(2)  F.  de  Lasteyrie,  Hisl.  de  la  Peinture  sur  verre  en  France,  PI,  LXXïV. 


EXPLICATION  DES   PLANCHES.  757 

placé  près  de  Marie  sur  un  rameau  plus  élevé  que  les  autres,  tient 
^e  îa  droite  l'auréole  dont  celle-ci  est  environnée ,  est  saint  Joseph. 
C%st  en  effet  beaucoup  plutôt  ce  saint,  dont  l'Évangile  donne  la  suc- 
cession des  aïeux ,  que  la  Vierge,  qui  n'est  pas  même  nommée  dans 
saint  Luc.  Le  Christ  semble,  d'après  la  lettre  même  des  Évangiles, 
ne  descendre  en  ligne  directe  de  David  que  par  son  père  putatif  Jo- 
seph. Etipse  Jésus  erat,  lUpiitabatur,  filius  Joseph  qui  fuilHeli,  qui  fuit 
Mathatan,  etc.,  comme  dit  formellement  saint  Luc  (lll,  23).  Quoi  qu'il 
en  soit  de  cette  singularité  qui  a  beaucoup  embarrassé  les  commenta- 
teurs du  Nouveau  Testament,  il  est  difficile  de  ne  pas  reconnaître 
saint  Joseph  dans  le  personnage  en  question.  Il  porte  il  est  vrai  un 
sceptre  et  une  couronne,  mais  ces  insignes  sont  loin  d'indiquer 
que  tous  ceux  auxquels  ils  sont  attribués,  aient  régné  sur  Israël  ; 
on  ne  peut  les  regarder  que  comme  destinés  à  faire  voir  que  tous  les 
personnages  représentés  étaient  issus  de  race  royale.  L'espèce  de 
sceptre  que  porte  l'époux  de  Marie  pourrait  bien  être  d'ailleurs  le 
fameux  rameau  qui  reverdit  dans  ses  mains ,  et  le  désigna  à  la  main 
de  la  fille  de  Joachim,  au  moment  où  une  colombe  prophétique  s'ar- 
rêta sur  sa  tête.  Cette  légende  était  fort  accréditée  au  moyen  âge; 
elle  est  tirée  des  apocryphes  et  consignée  dans  le  \i\rede  Ortu  Virgirds, 
attribué  à  saint  Jérôme  (l).  Il  est  de  plus  à  noter  qu'on  la  justifiait 
précisément  par  la  prophétie  d'Isaïe  que  nous  avons  citée. 

Jessé  a  été  représenté,  suivant  l'usage,  comme  un  patriarche  ;  il  n'a 
rien  dans  la  main,  et  l'artiste  ne  lui  a  pas  donné  pour  marque  distinc- 
tive  le  compas ,  emblème  singulier  qui  lui  a  été  attribué  ailleurs,  sur 
un  vitrail  de  Notre-Dame  d'Alençon,  par  exemple  (2).  Pourquoi  le 
vieillard  de  Bethléem  est-il  figuré  dormant?  Peut-être  l'artiste  a-t-il 
voulu  montrer  comment  il  vit  en  songe  la  postérité  glorieuse  qui  lui 
était  réservée,  ou  plutôt  est-ce  pour  établir  une  analogie  avec  Adam, 
de  la  côte  duquel  Dieu  tira,  durant  son  sommeil,  Eve,  la  mère  de 
l'humanité. 

L'arbre  dont  le  tronc  sort  du  sein  de  Jessé ,  malgré  la  forme  un 
peu  fantastique  de  ses  feuilles ,  doit  être  reconnu  pour  une  vigne  ; 
c'était  en  effet  cet  arbre  que  l'on  choisissait  de  préférence  pour 
image  de  l'arbre  généalogique  du  Sauveur.  C'est  cette  forme  de  vigne 


(1)  Cf.  s.  Josephi  viiœ  histor.  auct.  Carol.  Strengelio,  1616,  in-18,  p.  635. 
S.  Damacen.  Oral  1,  de  dormit.  Virgin,  et  S.  German.  arch.  Cohst.  de  Obt, 
Firginis  in  Templo. 

(2)  De  la  Sicotière,  Notice  sur  les  vitraux  de  l'église  Noire-Dame  d'Alençon. 
T.  VIII ,  p.  105  du  Bulletin  monumental. 


758  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

qui  contribuait  à  faire  placer  l'arbre  de  Jessé  sur  le  tympan  du 
portail  des  églises,  comme  cela  s'observe  à  la  cathédrale  de  Rouen  (l), 
entre  autres,  par  imitation  de  la  vigne  d'or  qui  se  voyait  au  temple 
de  Jérusalem ,  au-dessus  de  la  porte  du  vestibule  (2).  La  vigne  avait, 
pour  les  premiers  chrétiens,  une  signification  symbolique;  elle  était 
pour  eux  l'emblème  de  Marie  et  de  l'Église,  comme  dans  ces  paroles 
du  Psalmiste  (LXXIX,  15)  :  Respice  de  cœlo  et  vide  et  visita  vineam 
islam.  Isaïe  avait  chanté  la  vigne  qui  prospère  dans  un  terrain  gras 
et  fertile  (V.  1  et  19),  et  ses  chants  parurent  plus  tard  une  prophé- 
tie.qui  contribua  à  accréditer  ce  symbole.  Le  Sauveur  lui-même  ne 
s'était-il  pas  comparé  à  la  vigne  :  Egosum  vilis  vera,  dit-il  dans  l'Evan- 
gile de  saint  Jean  (XV,  1  ). 

Si  l'on  rapproche  le  symbole  de  l'arbre  de  Jessé  des  figures  de  lan- 
gage qui  ont  été  les  plus  familières  aux  écrivains  sacrés,  on  verra 
qu'il  en  est  peu  qui  soient  mieux  justifiées  par  les  nombreuses  méta- 
phores que  la  langue  théologique  a  empruntées  au  style  oriental.  Marie 
nous  est  toujours  offerte  comme  une  fleur  qui  s'épanouit ,  comme  une 
racine  qui  pousse  un  magnifique  rameau.  Ne  lui  appliquait-on  pas 
ces  paroles  d'Isaïe  :  «Et ascendet  sicut  virgultum coram  eo,  et  sicut 
<( de  terra  sitienti  ( LÏIL  2.).  »  ùc,  darelov  (jp^irov,  wç  pî^a tyiç-kol^BzvUç, 
dit  à  son  sujet  saint  Amphiloque  (3).  Les  nombreux  sermons  qui 
ont  été  composés  à  la  louange  de  la  Vierge ,  par  exemple  ceux  de 
saint  Épiphane,  de  saint  Éphrem,de  saint  Ghrysostome,  de  saint 
Damascène ,  de  saint  André  de  Crète,  de  saint  Pierre  Chrysologue , 
de  saint  Bernard,  fourmillent  d'expressions  de  ce  genre.  La  Vierge 
est  pour  eux  tout  à  la  fois  la  fleur  et  le  fruit,  le  rameau  verdoyant 
qui  réjouit  la  vue  ,  le  fruit,  la  vigne  nourrissante  qui  fait  vivre.  La 
poésie  du  moyen  âge  a  souvent  été  un  reflet  de  ces  images  sacrées , 
témoin  ces  vers  de  Rulebeuf ,  dans  ses  Neuf  joies  de  Notre-Dame  : 

Tu  iez  la  verge  de  fumée 
D'aromat  remis  en  ardeure 
Qui  par  le  désert  iez  montée 
El  ciel  seur  toute  créature 
Vigne  de  noble  fruit  chargée 
Sanz  humaine  culliveure. 

OEuv.  édil,  Jubinal,  t.  II,  p.  12-13. 

Marie  semblait  un  arbre  sur  lequel  la  fleur  du  Seigneur  s'était  épa- 

(1)  Gilbert,  Descripl.  de  la  cath.  de  Rouen,  a^  éd.  p.  34. 

(2)  Cf.  Joseph.  Bell.  Jud.  V,  5 ,  par.  5.  Tacit.  Hislor.  V,  i». 

(3)  Serm.  in  Domin.  occurs.  p.  24 ,  éd.  Combef. 


EXPLICATION  DES  PLANCHES.  759 

nouie  pour  embaumer  l'univers  de  son  divin  parfum ,  comme  nous 
l'explique  le  passage  suivant  de  saint  Maxime  de  Turin ,  qui  me  sem- 
ble un  des  meilleurs  commentaires  de  notre  représentation  : 

((  Floruit  autem  caro  Domini,  cum  primum  de  Mariœ  Virginis  illi- 
«  bâta  vulva  processit  sicut  ait  Esaias  :  Exibit  virga  de  radice  Jesse 
«  et  flos  de  radice  ejus  ascendet.  Refloruit  autem  cum  succiso  per 
«  Judaeos  corporis  flore,  rediviva  de  sepulchro  résurrection is  gloria 
«  germinavit  et  in  floris  modum  odorem  paritcr  et  nitorem  cunctis 
«  hominibus  immortalitatis  afflavit  odorem  ,  bonorum  operum  suavi- 
((  tatem ,  circumferens  nitorem  incorruptelam  perpétuée  divinitatis 
«  ostendens  (i).  » 

L'arbre  de  Jessé  était  l'ornement  le  plus  habituel  des  magnifiques 
verrières  qui,  au  moyen  âge,  ornaient  toutes  nos  basiliques  et  nos 
cathédrales.  C'est  ainsi  que  les  églises  d'Amiens  (2),  Beauvais  (3), 
Alençon  (4),  et  une  foule  d'autre^,  en  sont  encore  décorées.  L'ab- 
baye de  Saint-Denis,  dont  nous  avons  fait  connaître  une  verrière 
dans  un  article  précédent  (5),  comptait,  ainsi  que  nous  l'avons 
dit,  ce  sujet  au  nombre  de  ceux  dont  la  munificence  de  Suger 
avait  embelli  ses  fenêtres.  Peut-être  était-ce  à  ce  vitrail  qu'apparte- 
nait le  fragment  dont  nous  donnons  ici  la  planche  (PI.  XXH).  Le 
personnage  qui  y  est  figuré  a  le  costume  biblique,  et  est  assis  sur  des 
feuillages  qui  pourraient  bien  avoir  appartenu  à  cet  arbre;  cependant 
il  lui  manque  le  sceptre.  Suger,  mieux  instruit  de  l'histoire  sainte ,  ne 
l'avait  peut-être  pas  laissé  donner  à  tous  les  ancêtres  de  Joseph.  Au 
reste,  il  est  difficile  de  rien  décider  à  cet  égard.  M.  Debret,  dans  ses 
restaurations,  a  fait  reproduire  ce  sujet  de  l'arbre  de  Jessé  à  la  grande 
rose  du  nord.  Je  doute  que  ce  fut  là  qu'il  se  trouvât  dans  les  verrières 
primitives. 

La  boiserie  que  nous  venons  de  décrire  appartient  au  cabinet  de 
M.  Gallois  ,  une  des  personnes  du  Nivernais  qui  montre  le  plus  de 
zèle  pour  la  conservation  de  nos  antiquités  nationales,  et  qui  a  bien 
voulu  nous  en  communiquer  un  dessin,  d'après  lequel  a  été  exécutée 
notre  planche. 

Alfhed  Maury. 

(1)  Uomil.  œsiiv.  F  de  fest.  Paschœ. 

(2)  Lasleyrle,  Hisl.  de  la  Peint,  sur  verre,  ^.  Ï49. 

(3)  Jbid.  PI.  LXXiV. 

•   (4)  De  la  Sicolière  ,  ap.  Ballet,  mon.  1.  c. 
(5)  Revue  Archéologique ,  t.  H,  p.  607. 


LETTRE  DE  M.  EGGER 

A  M.  L'ÉDITEUR  DE  LA  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Monsieur  , 

J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  quelques  lignes  en  réponse  à  une 
lettre  de  M.  Le  Bas ,  insérée  dans  le  dernier  numéro  de  votre  Reme, 
Malgré  les  restrictions  qui  la  terminent,  cette  lettre  tendrait  à  m'at- 
tribuer  dans  la  rédaction  du  projet  d'un  Corpus  inscriptionum  lalinarum 
et  du  rapport  où  ce  projet  est  développé,  une  autorité  et  une  respon- 
sabilité que  je  n'ai  jamais  eues.  Secrétaire  d'un  comité (i)  spécial  choisi 
par  M.  le  Ministre,  dans  le  seiiv  même  de  la  Commission  épigra- 
phique  (2),  et  dont  tous  les  membres  appartenaient  à  l'Institut,  j'ai 
tenu  la  plume  sous  la  dictée  de  M.  Letronne  et  de  ses  savants 
confrères,  et  c'est  en  leur  nom  que  j'ai  soumis  le  plan  de  ce  vaste  tra- 
vail à  la  Commission,  assemblée  sous  la  présidence  de  M.  Villemain. 

La  lettre  de  M.  Le  Bas,  écrite  au  retour  d'un  long  voyage,  d'après 
des  informations  incomplètes,  renferme  encore  quelques  assertions  que 
je  croirais  devoir  discuter,  si,  mieux  instruit  aujourd'hui  des  cir- 
constances toutes  fortuites  qui  nous  ont  privés  du  concours  de  ses 
lumières,  M.  Le  Bas  ne  m'autorisait  à  désavouer  ici  en  son  nom  toute 
interprétation  malveillante  que  ses  paroles  pourraient  recevoir.  Je 
renonce  donc,  Monsieur,  à  prolonger  devant  vos  lecteurs  un  débat  au- 
quel la  science  ne  gagnerait  rien,  mais  dont  le  point  principal  ne  pou- 
vait rester  indécis. 

Agréez,  etc. 

E.  Egger. 

(1)  Membres  du  Comité  :  MM.  Letronne,  président,  Naudet,  Burnouf  père ,  Vic- 
tor Le  Clerc,  Hase,  Dureau  de  la  Malle,  Am.  Thierry,  Patin,  Ch.  Giraud ,  Le- 
prévost. 

(2;  Membres  de  la  Commission  épigraphique,  MM.  Letronne,  Naudet,  Bur- 
nouf père,  Leprévost,  Victor  Le  Clerc,  Hase,  Dureau  de  la  Malle,  Am.  Thierry, 
Patin,  Ch.  Giraud,  Mérimée,  F.  Dûbner,  D.  Nisard,  Danton,  Piinn ,  Gibon  , 
Géruzez  ,  Havet,  Quicherat  aîné,  Egger. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


—  En  me  rendant  de  la  Toscane  à  Rome,  j'ai  parcouru  la  voie 
Émilienne,  que  je  connaissais  déjà.  A  mon  passage  par  Pérouse,  j'ai 
voulu  examiner  les  nouvelles  fouilles  exécutées  à  peu  de  distance  de 
la  ville,  par  les  soins  et  aux  frais  de  mon  respectable  ami  M.  Bene- 
detto  Baglioni.  Je  puis  vous  assurer  qu'aucune  grotte  ne  m'a  jamais 
fait  autant  de  plaisir  à  visiter  que  celle  qu'on  vient  d'ouvrir  sur  les 
flancs  d'une  colline,  près  de  la  route  dite  Slrada  Gre^oriana,  laquelle 
conduit  de  Pérouse  à  Spoleto.  Ceci  n'est  pas  étonnant,  puisque  M.  Ba- 
glioni a  eu  la  précaution  de  conserver  à  leur  place  tous  les  objets  qui 
avaient  été  déposés  dans  le  tombeau,  de  sorte  qu'on  le  voit  dans  l'état 
oii  il  était  il  y  a  maintenant  vingt  siècles.  Ce  n'est  pas  seulement  la 
disposition  et  l'arrangement,  mais  aussi  la  beauté  des  monuments 
qui  est  admirable.  Presque  tous  ces  monuments  se  rapportent  aux 
croyances  sur  l'état  des  âmes  dans  un  autre  monde.  Parmi  les  divers 
emblèmes  hiératiques  qu'on  remarque  dans  ce  tombeau ,  domine  le 
symbole  du  Gorgonium,  qui  est  répété,  pour  ainsi  dire,  dans  toutes  les 
parties  de  la  tombe.  Tout  ceci  me  confirme  bien  les  précieuses  obser- 
vations de  M.  le  duc  de  Luynes,  observations  exposées  avec  une 
grande  érudition  dans  son  excellent  travail  sur  le  culte  d'Hécate, 

(Lettre  de  M,P,  Gargallo  à  M,  de  Witte,  décembre  1844.) 

—  Dans  le  courant  du  mois  d'août  prochain,  on  vendra  à  Paris  une 
collection  de  vases  peints,  composée  d'une  centaine  de  pièces  qui  vien- 
nent toutes  des  fouilles  de  feu  le  prince  de  Canino.  Ces  vases  sont 
les  derniers  débris  de  ces  magnifiques  collections  tirées  des  hypogées 
étrusques  ;  les  découvertes  faites  par  le  prince  de  Canino  ont  acquis 
une  grande  célébrité,  dès  l'époque  des  premières  fouilles  entreprises 
en  1828  et  1 829.  Il  ne  reste  plus  rien  du  vaste  musée  du  prince',  qui 
a  été  dispersé,  et  dont  les  monuments  sont  allés  enrichir  les  collec- 
tions tant  publiques  que  particulières  qu'on  admire  en  Europe.  Les 
fouilles  de  l'Étrurie  semblent  épuisées  ;  les  tombeaux  ne  livrent  plus 
rien  à  l'avidité  toujours  croissante  des  archéologues.  On  peut  donc 
dire  que  la  collection  dont  on  annonce  la  vente ,  et  qui  réunit  une 
foule  de  sujets  intéressants,  peut  être  considérée  comme  le  dernier 
reflet  de  ces  belles  collections  de  vases  vendues  à  Paris  depuis  une 
dizaine  d'années. 


762  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

—  Un  Anglais  nommé  Lloyd,  qui  paraît  atteint  de  folie ,  vient  de 
briser,  à  l'aide  d'un  fragment  de  granit,  le  célèbre  vase  Portiand,  Ce 
monument  fut  découvert  au  XVP  siècle  dans  un  sarcophage  que  l'on 
avait  extrait  d'une  chambre  sépulcrale  située  sous  le  Monte del  Grano 
colline  qui  se  voit  sur  la  route  de  Rome  à  Frascati.  D'abord  propriété 
de  la  famille  Barberini,  il  fut  vendu  il  y  a  environ  cinquante  ans  à  sir 
William  Hamilton ,  qui  le  céda  ensuite  à  la  duchesse  de  Portiand.  C'est 
le  fils  de  cette  dernière  qui  a  déposé  en  1810,  au  Brislish  muséum ,  le 
vase  qui  vient  d'être  réduit  en  pièces.  Ce  beau  vase  de  pâte  de  verre 
bleu  foncé  est  décoré  de  bas-reliefs  en  biscuit  blanc,  qui  représentent, 
d'un  côté  les  noces  deThétis  et  Pelée,  et  de  l'autre  une  femme  couchée, 
tenant  un  (lambeau  renversé,  qui  était  restée  sans  explication,  et  que 
M.  Charles  Lenormant  a  le  premier  reconnue  pour  une  Ariadne  aban- 
donnée dans  l'île  de  Naxos.  On  a  prétendu  pendant  longtemps  que  le 
sarcophage  de  Monte  del  Grano,  aujourd'hui  au  Capitole,  avait  ren- 
fermé les  cendres  d'Alexandre  Sévère  et  de  Mamée.  Visconti  a  dé- 
montré que  c'est  une  erreur  et  que  les  deux  statues  couchées  qui  le 
surmontent  sont  celles  de  riches  particuliers. 

—  M.  Etienne  Quatremère  a  communiqué  à  l'Académie  des 
inscriptions  une  lettre  par  laquelle  M.  Pacifique  Delaporte,  gérant 
du  consulat  général  de  France  à  Tunis,  lui  faisait  connaître  la 
découverte  d'un  anneau  d'or,  qui  paraît  remonter  à  l'époque  oii 
l'Afrique  était  encore  au  pouvoir  des  Grecs  byzantins;  ce  monu- 
ment pèse  environ  une  once;  il  esta  huit  pans,  et  sur  le  chaton  on 
voit  le  Christ  entre  deux  apôtres.  Sur  chacune  des  autres  faces  est 
représenté  un  des  sept  sacrements;  aut(Mir  de  l'anneau  règne  une 
inscription  grecque,  composée  de  deux  lignes  précédées  chacune 
d'une  croix.  Cet  ornement  a  été  trouvé  par  un  nègre  employé  à 
extraire  des  pierres  au  pied  même  du  monticule  sur  lequel  s'élève 
la  chapelle  érigée  en  l'honneur  de  saint  Louis. 

—  M.  Champoiseau,  qui  s'occupe  avec  le  plus  louable  zèle 
d'étudier  les  antiquités  que  renferme  la  ville  de  Tours,  donne  dans 
ses  Tableaux  chronologiques  de  Vhistoire  de  Touraine  quelques  dé- 
tails intéressants  sur  la  maison  du  xv**  siècle  que  l'on  croit,  à  Tours, 
avoir  été  habitée  par  Tristan  l'Ermite  ;  cette  tradition  peut  ne  pas 
être  dénuée  de  fondement,  sans  cependant  que  l'on  doive  l'appuyer 
sur  la  présence,  dans  les  ornements  de  la  façade,  d'une  corde  à 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  763 

nœuds,  ou  cordelière  qui  n'a  rien  de  commun  avec  la  hart  dont  le 
compère  de  Louis  XI  faisait  un  si  terrible  emploi. 

«  L'escalier,  dit  M.  Champoiseau ,  dont  les  parois ,  le  noyau  et 
«  la  voûte  sont  en  briques  merveilleusement  appareillées,  est  un 
«  véritable  chef-d'œuvre;  derrière  la  porte,  un  petit  caisson,  logé 
«  dans  le  briquetage  du  plafond,  représente  un  archer;  à  côté,  un 
(c  autre  bas-relief,  placé  au-dessus  de  l'entrée  de  la  cave ,  offre  un 
a  sauvage  qui  soutient  un  écusson  et  s'appuie  sur  une  branche 
«  d'arbre,  sans  écorce  et  sans  feuilles,  qui  m'a  conduit  à  reconnaître 
«  la  famille  à  laquelle  on  doit  la  construction  de  l'hôtel- 

c(  En  effet ,  cette  pierre  fut  introduite  dans  l'écusson  de  la  maison 
((de  Beauvau  :  d'argent  à  quatre  lions  de  gueules,  couronnés, 
((armés  et  lampassés  d'or,  par  Mathieu,  puîné  de  cette  maison; 
((  il  le  brisa  d'un  tronc  d'arbre  d'azur,  péri  en  bande,  tiré  de  la  devise 
((  de  Beauvau ,  composée  de  deux  troncs  d'arbres,  liés  l'un  avec 
((  l'autre  par  deux  pointes  de  fer,  avec  ces  mots:  sans  départir. 
((  Deux  sauvages  au  naturel,  armés  de  massues,  servent  de  support 
((  à  l'écusson,  dont  le  cimier  est  une  hure  de  sanglier.  Mathieu  fut 
((  la  souche  de  la  branche  des  seigneurs  de  la  Bessière  et  du  Rivau, 
((en  Touraine.  Le  tronc  d'arbre  péri,  les  lions,  les  sauvages  au 
((naturel,  armés  de  massues,  qui  figurent  dans  ses  armoiries,  et 
((que  nous  retrouvons  ici,  la  cordelière,  symbole  de  veuvage,  ne 
((  permettent  pas  de  douter  que  notre  hôtel  n'ait  été  construit  par 
((  Anne  de  Fontenay,  dame  du  Rivau  et  baronne  de  Saint  Gassien; 
((  elle  était  veuve  de  Pierre  de  Beauvau,  seigneur  de  la  Bessière  et 
((  du  Bois-Barré,  premier  chambellan  de  Charles  VII.  » 

Cette  attribution  s'accorde  fort  bien  avec  le  style  du  monument; 
nous  devons  faire  observer  simplement  que  les  sauvages  qui  servent 
de  supports  à  l'écu  des  Beauvau  n'ont  rien  de  commun  avec  le  blason 
de  cette  famille.  Les  sauvages  sont  très-communs  comme  supports 
dans  toute  l'Europe,  surtout  en  France  et  en  Allemagne  où  le 
Wïldemann  se  voit  partout.  Ils  portent  toujours  un  arbre  déraciné 
en  guise  de  bâton,  et  cette  particularité  a  l'origine  la  plus  antique. 
Une  famille  peut  toujours  changer  de  supports  sans  altérer  en  rien  ses 
armoiries;  le  cimier  a  plus  d'importance,  et,  principalement  en  An- 
gleterre et  en  Allemagne,  il  peut,  sur  un  monument,  servir  à  dé- 
terminer un  propriétaire. 


BIBLIOGRAPHIE 


INTRODUCTION   A  L'HISTOIRE  DU  BUDDHISME  INDIEN ,  par  M.  Eugène  Bur- 
NOUF,  membre  de  rinslilut.  Tomel.  Paris,  1844,  in-4. 


II  n'y  a  pas  encore  bien  longtemps  que  le  mot  antiquité  ne  réveil- 
lait dans  notre  imagination  que  le  souvenir  des  deux  grands  peuples 
qui  ont  laissé  sur  notre  sol  européen  tant  de  monuments  de  leur 
puissance  et  de  leur  génie.  Aussi  ces  monuments  formaient-ils 
l'unique  objet  qui  attirât  l'attention  de  l'antiquaire ,  dont  les  études 
s'arrêtaient  là  oii  les  Grecs  et  les  Romains  n'avaient  point  laissé  de 
vestiges.  Pour  les  érudits  de  l'autre  siècle,  au  delà  du  cercle  tracé 
par  le  compas  des  géographes  anciens,  comme  les  bornes  du  monde, 
il  n'y  avait  plus  que  mystère  et  obscurité.  On  eût  dit  que  les  diverses 
contrées  de  l'univers  n'avaient  commencé  d'exister  qu'au  moment  où 
elles  avaient  été  connues  des  peuples  occidentaux.  Il  y  a  à  peine 
soixante  ans  que  le  champ  archéologique  s'est  agrandi ,  et  qu'un  peu 
de  lumière  est  venu  percer  les  ténèbres  qui  nous  dérobaient  le  berceau 
de  l'Orient.  C'est  aux  établissements  européens  dans  l'Inde  qu'est 
due  en  grande  partie  cette  heureuse  extension  des  limites  de  nos 
connaissances  historiques.  Cette  Inde  nous  apparut  alors  pour  la  pre- 
mière fois,  avec  sa  langue  sacrée,  mère  de  la  plupart  des  idiomes 
européens,  avec  sa  religion  oii  s'annoncent  déjà  les  mythes  que  d'autres 
peuples  se  sont  appropriés  plus  tard,  avec  ses  institutions  portant 
la  trace  incontestable  de  leur  vieillesse  et  de  leur  originalité.  Une 
antiquité  se  révélait ,  plus  antique  que  celle  à  laquelle  nous  étions 
habitués  de  donner  ce  nom,  et  les  nations  dont  les  origines  nous 
avaient  paru  si  reculées,  n'étaient  plus  que  de  modernes  habitants  du 
globe.  Après  une  pareille  rénovation  dans  les  idées  qu'on  s'était  for- 
mées de  l'histoire  ancienne,  l'archéologie,  si  elle  voulait  rester 
fidèle  à  son  nom,  à  son  véritable  but,  devait  étendre  assez  la  sphère 
de  ses  connaissances  pour  y  faire  entrer  les  monuments  de  cette  autre 
antiquité  qu'elle  était  jadis  loin  de  soupçonner.  Elle  devait  embrasser 
désormais  l'étude  tout  entière  de  ces  nouveaux  peuples,  comme  elle 
avait  embrassé  la  vie  tout  entière  des  Grecs  et  des  Romains,  dans  le 


BIBLIOGRAPHIE.  765 

but  de  déchiffrer  leurs  inscriptions  et  d'expliquer  leurs  monuments. 
Voilà  comment  les  études  orientales  ont  pénétré  dans  l'archéologie^ 
et  sont  devenues  indispensables  à  celui  qui  veut  étudier  l'ensemble  de 
cette  science,  et  remonter  aux  origines,  aux  origines  qui  ajoutent  tant 
de  prix  aux  faits  les  plus  insignifiants  en  apparence,  tant  d'intérêt  aux 
plus  arides.  Or,  parmi  les  objets  qui  doivent  fixer  davantage  l'attention 
de  l'antiquaire,  dans  la  voie  qui  s'ouvre  si  large  devant  lui  du  côté  de 
l'Orient,  se  place  sans  contredit  la  religion.  Dans  l'Asie,  dans  l'Inde 
surtout  la  religion  est  presque  la  seule  histoire  des  peuples,  car  c'est 
à  elle  que  tous  les  événements  sont  rapportés ,  c'est  par  elle  que  tout 
s'enchaîne,  que  tout  subsiste,  que  tout  est  expliqué.  Malheureusement, 
au  début  des  travaux  dont  l'Inde  a  été  le  sujet,  sa  religion  n'était 
encore,  aux  yeuxdes  savants  européens,  qu'un  chaosde  fables  ridicules, 
un  assemblage  informe  de  mythes,  de  rites,  de  croyances  dont  l'éru- 
dition démêlait  mal  la  liaison  et  le  sens.  Ce  n'est  que  bien  récemment 
qu'on  a  vu  la  mythologie  indoue  sortir  des  incertitudes  dans  lesquelles 
elle  avait  jusqu'alors  marché.  Un  fait  capital  est  ressorti  des  recher- 
ches nouvelles,  c'est  la  distinction  entre  les  deux  grandes  religions  de 
l'Inde,  le  brahmanisme  et  le  buddhisme.  D'abord  confondues  comme 
deux  sectes  d'un  même  culte,  puis  regardées  comme  issues  l'une  de 
l'autre ,  sans  qu'on  s'accordât  sur  celle  à  laquelle  appartenait  l'anté- 
riorité, ces  deux  doctrines  religieuses,  si  différentes  cependant  dans 
leurs  dogmes,  dans  leurs  principes,  dans  l'influence  sociale  qu'elles  ont 
exercée,  peuvent  maintenant  être  étudiées  sous  leur  véritable  jour  par 
le  mythographe  et  l'antiquaire.  Les  difficultés  qui  ont  jusqu'à  pré- 
sent éloigné  ces  deux  ordres  de  savants  de  leur  examen,  ont  en  grande 
partie  disparu.  Un  orientaliste,  le  seul,  nous  pouvons  le  dire  sans 
exagération,  auquel  cette  tâche  fût  abordable,  a  entrepris  de  jeter 
les  fondements  des  études  buddhiques.  Dans  le  livre  que  nous  annon- 
çons, M.  Eug.  Burnouf  a,  non  pas  écrit  l'histoire  actuellement  impos- 
sible à  écrire,  de  cette  importante  religion,  mais  il  a  éclairci  presque 
tous  les  points  fondamentaux,  sans  lesquels  on  ne  saurait  avoir  une 
connaissance  réelle  des  principes  qui  la  constitue.  Nous  ne  possédons 
encore  que  le  premier  volume  de  cet  ouvrage,  qui  est  un  des  livres  les 
plus  remarquables  dont  l'Orient  ait  été  l'objet  depuis  longues  années 
néanmmoins,  tout  incomplet  qu'il  est,  il  donne  déjà  la  solution  inat- 
tendue et  péremptoire  d'une  foule  de  questions  d'un  puissant  intérêt. 
Une  courte  analyse  va  faire  suffisamment  comprendre  tout  ce  que  sa 
lecture  peut  apprendre  et  éclaircir. 
Grâce  au  zèle  et  à  la  libéralité  d'un  savant  naturaliste  anglais, 


766  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

M.  Hodgson,  M.  Burnouf  a  eu  à  sa  disposition  une  collection  consi- 
dérable de  manuscrits  sanscrits  renfermant  les  livres  principaux  de 
la  religion  buddhique  ;  c'est  l'examen ,  l'étude  approfondie  de  ces  pré- 
cieux textes  qui  lui  a  fourni  le  moyen  et  l'occasion  de  composer  l'ou- 
vrage dont  nous  venons  de  parler;  c'est  à  force  de  les  compulser,  de 
les  soumettre  à  une  comparaison  attentive,  qu'il  est  arrivé  à  se  faire 
du  buddhisme  une  idée  infiniment  plus  exacte  que  tous  les  orienta- 
listes qui  l'avaient  précédé  dans  ce  genre  de  travaux,  et  qu'il  a  pu  opérer 
entre  cette  religion  et  le  brahmanisme,  dont  elle  est  issue,  ce  départ  si 
difficile  et  si  curieux  qui  ne  permet  plus  désormais  la  moindre  con- 
fusion. La  méthode  que  l'auteur  a  adoptée  dans  la  composition  de  son 
livre,  est  la  même  que  celle  qu'il  avait  suivie  dans  ses  études  prépara- 
toires; c'est  en  faisant  analyser  au  lecteur  les  ouvrages  de  la  collection 
du  Népûl,  qu'il  le  conduit,  par  des  résumés  lumineux  et  substantiels, 
aux  idées  générales  qu'on  doit  se  former  des  points  principaux.  En  agis- 
sant ainsi ,  M.  E.  Burnouf  fait  passer  dans  l'esprit  d'autrui  une  con- 
viction qui  ne  serait  pas  sortie  peut-être  d'une  exposition  dog- 
matique, en  donnant  en  même  temps  la  mesure  de  la  sévérité  de  sa 
critique,  de  la  sûreté  de  sa  méthode  qu'on  n'eût  pas  autrement 
soupçonnées. 

Remarquons  encore,  avant  d'entrer  dans  l'analyse  des  faits  qu'il 
nous  fait  connaître,  combien  l'auteur,  en  abordant  l'étude  du  bud- 
dhisme par  le  côté  sanscrit,  s'est  placé  de  prime  abord  sur  un  terrain 
plus  sûr  et  plus  productif  que  les  orientalistes  qui  avaient  avant  lui 
tenté  l'examen  de  cette  religion.  C'est  dans  l'Inde  qu'est  né  le  bud- 
dhisme, c'est  sous  l'empire  des  idées  de  ce  pays  qu'il  s'est  développé, 
c'est  en  sanscrit  ou  en  pâli ,  qu'ont  été  composés  ses  plus  anciens 
livres  canoniques,  c'était  donc,  ainsi  que  l'a  fait  M.  Burnouf,  par  son 
côté  indien  qu'il  fallait  commencer  son  étude,  et  non  comme  l'ont 
fait  d'autres  savants  ,  par  la  recherche  de  ses  transformations  dans  le 
Tibet,  la  Chine,  Java  ou  la  Mongolie,  pays  où  les  traits  primitifs  de 
cette  religion  ont  pu  s'eflacer.  Ce  n'était  pas  dans  les  livres  tibétains, 
chinois,  javanais,  mongols  qu'on  devait  puiser  les  faits  et  les  idées  les 
plus  propres  à  nous  donner  la  physionomie  de  cette  doctrine,  puisque 
ces  livres  ne  sont  que  des  traductions  dans  lesquelles,  aux  altérations 
provenant  nécessairement  du  transport  d'une  langue  dans  une  autre, 
viennent  s'ajouter  les  difficultés  qui  naissent  du  sens  réel  de  m'ots 
pris  dans  les  acceptions  buddhiques  ;  et  que  de  plus,  il  était  impossible 
d'arriver  à  les  bien  comprendre,  sans  le  secours  de  la  langue  même  dans 
laquelle  ces  sens  nouveaux  avaient  pris  naissance.  On  voit  par  ces 


BIBLIOGRAPHIE.  767 

considérations  qu'il  n'y  avait  réellement  que  l'étude  des  livres  sanscrits 
ou  pâlis  qui  put  jeter  de  la  lumière  sur  cette  question  obscure  du  bud- 
dhisme;  que,  sans  eux,  il  était  impossible  de  sortir  des  difficultés  aux- 
quelles on  était  arrêté I  Et  cela  est  si  vrai  que,  bien  loin  d'avoir 
appuyé  son  livre  sur  les  recherches  antérieures  d'un  AbeIRémsat,  d'un 
Schmidt,  d'un  Csoma  de  Coros,  d'un  G.  de  Humboldt,  M.  E.  Bur- 
nouf  est  venu,  au  contraire,  apportera  leurs  travaux  si  importants  et 
si  estimables,  du  reste,  une  base  qui  leur  manquait,  un  point  de  rallie- 
ment, un  moyen  de  contrôle  qui  donne  une  utilité  nouvelle  à  leurs 
investigations,  peut-êtrejusqu'à  ce  jour  restées  un  peu  incohérentes; 
et  c'est  là  ce  qui  fait  tout  à  la  fois  l'originalité,  le  mérite  de  ce  livre 
et  la  démonstration  de  la  grande  supériorité  des  sources  auxquelles  il 
est  composé.  Loin  de  s'aider  des  travaux  de  ses  devanciers,  son  auteur 
n'a  en  quelque  sorte  besoin  de  les  citer,  que  pour  rectifier  leurs  erreurs, 
compléter  leurs  idées  ou  en  d 'montrer  la  justesse  par  des  considéra- 
tions que  ces  orientalistes  n'avaient  pu  soupçonner.  Cette  remarque 
fait  deviner  combien  de  faits  nouveaux  Y Inlrodaction  à  Vhislcire  du 
buddhisme  renferme,  et  combien  elle  est  loin,  tant  par  la  forme  que  par 
le  fond,  d'appartenir  à  la  nombreuse  catégorie  des  compilations  sa- 
vantes chez  lesquelles  des  faits  mille  fois  répétés  sont  remis  au  jour 
sous  l'habile  déguisement  d'une  vaste  érudition  :  nous  serions  fâché 
que  ces  observations  pussent  ne  paraître  aux  yeux  de  quelques-uns 
que  des  éloges,  nous  ne  voulons  nullement  faire  ici  l'apologie  d'un 
savant  au  mérite  incontesté  duquel  une  apologie  sortie  de  notre 
bouche  ne  peut  absolument  rien  ajouter  :  ce  ne  sont  que  des  remarques 
destinées  à  faire  entrevoir  au  public  tout  ce  qu'il  aura  à  apprendre 
dans  la  lecture  de  cet  ouvrage. 

Envisagés  quant  à  leur  forme  et  à  la  nature  de  leur  contenu ,  et, 
comparés  à  ceux  qui  composent  la  collection  tibétaine  analysée  par 
Csoma,  les  ouvrages  de  la  collection  du  Népal  peuvent  être  rapportés  à 
quatre  grandes  classes  :Les  premiers  traitent  de  l'histoire  merveilleuse 
de  la  prédication  de  Çakyamuni;  cène  sont  pas  des  livres  méthodiques 
de  l'enseignement  buddhique,  mais  des  recueils  de  légendes  dans  les- 
quelles sont  exposés ,  sous  la  forme  d'un  dialogue  entre  Çakya  et  ses 
disciples,  les  principes  de  la  nouvelle  religion  ;  on  les  nomme  généra- 
lement Sûtras,  et  leur  rédaction  est  attribuée  au  dernier  Buddha.  Les 
seconds  traitent  du  Vinaya  ou  de  la  discipline;  les  troisièmes,  de 
l'Abhidharma  ou  de  la  métaphysique;  enfin  les  quatrièmes ,  qui  con- 
stituent une  classe  réellement  à  part  et  qui  sont  désignés  sous  le  nom 
de  Tantras,  sont  des  espèces  de  rituels  des  pratiques  civaïtes  qui  se 


768  REVUK   ARCHÉOLOGIQUE. 

sont  mêlées  au  buddhisme,  et  n'appartiennent  plus  par  conséquent  à 
la  classe  des  livres  exclusivement  buddhiques. 

Les  Sûtras ,  avons-nous  dit,  sont  rédigés  sous  la  forme  d'un  dia- 
logue entre  le  grand  réformateur  et  un  ou  plusieurs  de  ses  disciples, 
et  dont  le  fond  roule  sur  la  morale  et  la  philosophie.  On  ne  retrouve 
pas  dans  ces  traités  cette  forme  concise  qui  est  si  familière  à  l'en- 
seignement brahmanique  :  aux  répétitions  fréquentes ,  aux  dévelop- 
pements étendus  jusqu'à  produire  une  diffusion  fatigante,  on  recon- 
naît la  forme  d'une  véritable  prédication  ;  on  sent  tout  de  suite  la 
différence  qui  sépare  le  buddhisme ,  religion  de  prosélytisme ,  parce 
qu'elle  est  une  religion  de  charité,  du  brahmanisme,  religion  exclu- 
sive dont  les  enseignements  ne  s'adressent  qu'à  un  petit  nombre 
d'initiés. 

En  soumettant  les  Sùtras  à  un  examen  pareil  à  celui  qu'il  avait 
fait  subir  à  tous  les  livres  de  la  collection  du  Népal  ensemble, 
M.  E.  Burnouf  saisit  bientôt  entre  les  divers  traités  qui  portent  ce 
titre  un  caractère  différent  bien  tranché.  Les  uns  s'offrent  à  lui  avec 
un  cachet  tout  particulier  de  simplicité  dans  le  style,  de  sobriété 
dans  les  faits  énoncés  ;  les  autres,  enrichis  de  fables  nombreuses,  pré- 
sentent de  larges  développements  poétiques.  De  plus,  dans  les  pre- 
miers, les  stances  qui  y  sont  fréquemment  introduites  ne  se  dis- 
tinguent pas,  quant  au  langage,  du  corps  même  du  traité,  qui  est 
rédigé  en  prose  ;  ces  vers  et  cette  prose  sont  également  en  sanscrit. 
Dans  les  seconds ,  au  contraire ,  les  parties  poétiques  sont  écrites  en 
un  sanscrit  presque  barbare,  oii  paraissent  confondues  des  formes  de 
tous  les  âges,  sanscrites,  pâlies  et  prâcrites.  Notre  auteur  établit 
par  ces  caractères  mêmes  ,  comment  il  faut  en  conclure  que  les 
Sûtras,  quoique  tous  attribués  à  Buddha,  sont  loin  d'être  tous  de  la 
même  date,  et  il  nous  montre  clairement  l'antériorité  des  Sûtras 
simples  sur  les  Sûtras  composés ,  dont  les  parties  qui  portent  la  trace 
si  incontestable  d'une  époque  moins  ancienne ,  ont  dû  avoir  été  ré- 
digées hors  de  l'Inde,  par  exemple  dans  les  contrées  situées  en  deçà 
de  rindus  et  dans  le  Kachemire.' 

La  seule  analyse  de  ces  Sûtras  est,  pour  M.  E.  Burnouf,  une 
occasion  d'exposer  nettement  tous  les  grands  principes  de  la  religion 
buddhique,  principes  dont  nous  connaissions  à  peine  même  les  plus 
fondamentaux.  C'est  ainsi  qu'il  nous  explique  ce  que  nous  devons 
entendre  au  juste  par  ce  terme  si  célèbre  de  bôdhisattva ,  que  ,  dans 
l'ignorance  profonde  où  l'on  a  été  longtemps  de  toutes  ces  matières, 
l'on  a  été  jusqu'à  prendre  pour  un  nom  propre.  Le  bôdhisattva, 


BIBLIOGRAPHIE.  769 

c'est-à-dire  celui  qui  possède  l'intelligence  d'un  Buddha,  est  le  titre 
de  l'homme  que  la  pratique  de  toutes  les  vertus  et  l'exercice  de  la 
méditation  ont  mûri  pour  Tacquisition  de  l'état  suprême  de  Buddha 
parfaitement  accompli.  Celui  qui,  durant  plusieurs  existences  suc- 
cessives ,  a  mérité  les  faveurs  des  anciens  Buddhas,  va  dans  les  cieux 
attendre,  sous  le  titre  de  bôdhisattva ,  le  moment  de  sa  venue  dans  le 
monde;  il  redescend  sur  la  terre  et,  après  avoir  traversé  les  épreuves 
et  accompli  les  devoirs  les  plus  élevés ,  pénétré  par  la  science  les 
vérités  les  plus  sublimes,  il  devient  Buddha.  Alors  il  est  capable 
de  délivrer  les  hommes  des  conditions  de  la  transmigration,  en  leur 
enseignant  la  charité  et  en  leur  montrant  que  celui  qui  pratique  du- 
rant cette  vie  les  devoirs  de  la  morale,  et  s'efforce  d'arriver  à  la  science, 
peut  un  jour  parvenir  à  l'état  suprême  de  Buddha.  Puis,  quand  il  a 
ainsi  enseigné  la  loi,  il  entre  dans  le  Nirvana,  c'est-à-dire  l'anéan- 
tissement complet. 

Il  résulte  de  la  définition  donnée  par  les  buddhistes  du  buddha  et 
du  bôdhisattva,  que  ces  deux  êtres  sacrés  ne  peuvent  exister  simulta- 
nément., l'unité  de  Buddha  formant  le  dogme  fondamental  de  la  re- 
ligion de  Çakyamuni. 

M.  E.  Burnoufnous  donne  sur  les  plus  célèbres  bôdhisattvas,  sur 
ceux  qui  sont  de  la  part  des  buddhistes ,  l'objet  d'une  dévotion  parti- 
culière, des  détails  qui  seront  recueillis  avec  d'autant  plus  d'intérêt 
par  le  mythographe ,  que  leur  histoire  constitue  le  côté  le  plus  my- 
thologique de  cette  curieuse  religion.  Cet  examen  le  conduit  à  celui 
du  système  des  dhyâni  buddhas  ou  bôdhisattvas  surhumains ,  et  à  la 
question  si  importante  de  l'Adibuddha  ou  Buddha  primitif.  M.  Hodgson 
avait  signalé  dans  le  Népal  une  école  théiste,  qui,  au-dessus  du 
Buddha,  véritable  homme  fait  dieu,  et  admis  du  consentement 
général ,  reconnaissait  encore  des  buddhas  célestes  surhumains  et  un 
Buddha  primitif,  Adibuddha ,  être  qui  joue  exactement  le  même 
rôle  dans  cette  école,  que  Brahma,  l'être  absolu  et  impersonnel 
chez  les  brahmanes.  Cette  conception ,  qui ,  si  elle  avait  appartenu 
à  la  donnée  du  buddhisme ,  le  faisait  rentrer  dans  la  vaste  classe 
des  religions  théistes,  M.  E.  Burnouf  ne  la  retrouve  en  aucune 
façon  dans  les  Sùtras  primitifs,  les Sûtras  simples.  Il  ne  constate 
dans  ces  plus  anciens  monuments  de  la  doctrine  de  Çakyamuni,  que 
l'athéisme  de  l'école  des  svâbhàvikas,  c'est-à-dire  de  ceux  qui  sou- 
tiennent que  toutes  choses ,  les  dieux  comme  les  hommes ,  sont  nés 
de  Svâbhâva  ou  de  leur  nature  propre,  et,  en  cela,  ses  idées  sont 
d'accord  avec  celles  auxquelles  l'examen  des  livres  mongols  avait 
I.  50 


770  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

conduit  M.  Schmidt.  Ainsi  se  trouve  confirmé  ce  fait  capital,  et 
qu'on  pourrait  appeler  le  paradoxe  religieux,  une  religion  de  cha- 
rité, une  religion  civilisatrice,  qui  n  a  pas  de  dieu  ,  qui  repose  sur  la 
parole  seule  d'un  horame,  Çakyamuni,  prêchant,  quoi?  le  néant, 
Nirvana. 

C'est  dans  les  Sùtras  simples  que  le  buddhisme  apparaît  surtout 
avec  ce  caractère  de  charité,  de  pureté,  de  mansuétude;  en  un 
mot,  avec  ces  caractères  si  chrétiens  pourrions -nous  dire  ,  s'ils  ne 
découlaient  dans  la  religion  indienne  de  principes  si  opposés  au 
christianisme.  Là ,  comme  dans  l'Évangile ,  le  dogme  occupe  peu  de 
place;  c'est  un  sage  qui  prêche  au  sein  d'une  sociélé  corrompue  des 
vertus  qu'enseigne  la  morale  la  plus  élevée.  Dans  les  Sûtras  dév  e- 
loppés,  la  métaphysique  joue  un  plus  grand  rôle,  le  cadre  est  plus 
large ,  mais  les  dogmes  n'y  sont  pas  moins  les  mêmes  ;  on  y  retrouve 
des  idées  semblables  touchant  la  transmigration,  les  p  13  nés  et  les 
récompenses  futures.  Dans  les  Sûtras  simples,  Çakyamuni  s'adresse 
à  des  brahmanes  et  à  des  marchands;  dans  les  Sûtras  développés , 
ses  interlocuteurs  sont  des  bôdhisaltvas  fabuleux  ;  en  sorte  qu'on 
retrou\e  clairement  dans  ceux-ci,  l'image  d'une  société  qui  a  em- 
brassé la  religion  nouvelle,  chez  laquelle  cette  religion  a  atteint  tout 
son  développement ,  tandis  que  dans  les  premiers  on  ne  voit  encore 
qu'une  société  à  convertir;  c'est  une  lutte  religieuse  entre  les  brah- 
manes et  Çakya.  Celte  différence  vient  puissamment  corroborer  d'un 
autre  côté  l'antériorité  des  Sûtras  simples  à  laquelle  M.  E.  Burnouf 
avait  été  conduit  déjà  par  la  seule  comparaison  des  textes. 

Cette  question  ainsi  éclaircie ,  avec  toute  l'évidence  qu'on  peut  rai- 
sonnablement demander  dans  de  pareilles  matières  ,  tranche  en  même 
temps  un  des  points  les  plus  importants  que  l'étude  du  buddhisme 
eût  soulevé  :  c'est  celui  de  l'antériorité  du  brahmanisme  sur  cette 
doctrine  religieuse.  Maintenant  que  les  Sûtras  simples  nous  ont  offert 
Çakyamuni  prêchant  la  foi  nouvelle  au  sein  d'un  monde  brahma- 
nique, il  n'y  a  plus  moyen  de  douter  que  le  buddhisme  ne  soit  une 
réforme  de  l'antique  religion  de  Brahma.  Fait  capital  qui  n'intéres- 
sera pas  moins  l'antiquaire  que  l'historien  ,  quand  il  se  rappellera 
que  les  plus  anciens  monuments  épigraphiques  de  l'Indosthan  appar- 
tiennent au  buddhisme,  et  donnaient  par  là  à  la  thèse  opposée,  quelque 
apparence  de  vérité.  Les  inscriptions  pâlies  ne  prouveront  plus  qu'une 
chose,  c'est  que  le  sentiment  et  les  procédés  de  l'histoire  se  sont  pro- 
duits et  appliqués  plus  tôt  chez  les  buddhistes  que  chez  les  brah- 
manes. Et  ce  brahmanisme^  en  face  duquel  se  place,  dès  sa  naissance, 


BCBLfOGRAPHIE.  771 

lebucldhismc,  s'offre  à  nous  avec  un  caractère  marqué  d'antiquité.  Ce 
n'est  pas  le  brahmanisme  des  Pouranas ,  si  riche  en  fictions  et  en 
divinités ,  c'est  un  brahmanisme  presque  aussi  primitif  que  celui  des 
Védas  et  dans  lequel  on  ne  voit  pas  apparaître,  par  exemple,  la  mo- 
derne fissure  de  Crichna,dans  lequel  Indra  se  montre  comme  le  grand 
dieu  ,  celui  auquel  s'adressent,  avant  tout,  les  adorations,  de  môme 
que  dans  les  compositions  attribuées  à  Vyasa.  M.  E.  Burnouf 
a  lait  sortir  de  l'analyse  des  Siitras  le  tableau  animé  et  attachant 
des  premiers  temps  de  la  religion  nouvelle.  Sous  sa  plume  élégante, 
sans  cesser  d'être  aussi  sévère  que  l'exige  son  sujet,  revivent  en 
quelque  sorte  ces  âges  primitifs  de  l'Inde  dont  l'Européen  se  faisait 
à  peine  une  idée.  Écoulons  plutôt,  pour  nous  en  convaincre,  le  por- 
trait qu'il  trace  du  réformateur,  après  avoir  fait  passer  sous  les  yeux 
la  société  dans  laquelle  il  apparaissait, 

«  C'est  au  milieu  d'une  société  ainsi  constituée  que  naquit,  dans 
une  famille  de  Kchattriyas ,  celle  des  Çakyas  de  Kapilavastu,  qui  se 
prétendait  issue  de  l'antique  race  solaire  de  l'Inde,  un  jeune  prince 
qui,  renonçant  au  monde  à  l'âge  de  vingt-neuf  ans,  se  fit  religieux 
sous  le  nom  de  Çakyamuni,  ou  encore  de  Çramana  Gâutama.  Sa  doc- 
trine qui,  selon  les  Sûtras,  était  plus  morale  que  métaphysique,  au 
moins  dans  son  principe ,  reposait  sur  une  opinion  admise  comme  un 
fait  et  sur  une  espérance  présentée  comme  une  certitude.  Cette  opi- 
nion ,  c'est  que  le  monde  visible  est  dans  un  perpétuel  changement  ; 
que  la  mort  succède  à  la  vie  et  la  vie  à  la  mort;  que  l'homme,  comme 
tout  ce  qui  l'entoure ,  roule  dans  le  cercle  éternel  de  la  transmigra- 
tion; qu'il  passe  successivement  par  toutes  les  formes  de  la  vie,  de- 
puis Mes  plus  élémentaires  jusqu'aux  plus  parfaites  ;  que  la  place 
qu'il  occupe  dans  la  vaste  échelle  des  êtres  vivants  dépend  du  mérite 
des  actions  qu'il  accomplit  en  ce  monde  ,  et  qu'ainsi  l'homme  ver- 
tueux doit,  après  cette  vie ,  renaître  avec  un  corps  divin ,  et  le  cou- 
pable avec  un  corps  de  damné;  que  les  récompenses  du  ciel  et  les 
punitions  de  l'enfer  n'ont  qu'une  durée  limitée  ,  comme  tout  ce  qui 
est  dans  le  monde  ;  que  le  temps  épuise  le  mérite  des  actions  vertueu- 
ses tout  de  même  qu'il  efface  la  faute  des  mauvaises,  et  que  la  loi  fa- 
tale du  changement  ramène  sur  la  terre  et  le  dieu  et  le  damné  pour 
les  mettre  de  nouveau  l'un  et  l'autre  à  l'épreuve ,  et  leur  faire  par- 
courir une  suite  nouvelle  de  transformations.  L'espérance  que  Çakya- 
muni apportait  aux  hommes,  c'était  la  possibilité  d'échapper  à  la 
loi  de  la  transmigration ,  en  entrant  dans  ce  qu'il  appelle  le  Nirvana, 
c'est-à-dire  l'anéantissement.  Le  signe  définitif  de  cet  anéantissement 


772  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

était  la  mort;  mais  un  signe  précurseur  annonçait  dès  cette  vie 
l'homme  prédestiné  à  cette  suprême  délivrance  ;  c'était  la  possession 
d'une  science  illimitée  qui  lui  donnait  la  vue  nette  du  monde   tel 
qu'il  est,  c'est-à-dire  la  connaissance  des  lois  physiques  et  morales, 
et ,  pour  tout  dire  en  un  mot ,  c'était  la  pratique  des  six  perfections 
transcendantes  ;  celle  de  l'aumône ,  de  la  morale ,  de  la  science ,  de 
l'énergie,  de  la  patience  et  de  la  charité.  L'autorité  sur  laquelle  le 
religieux  de  la  race  de  Çakya  appuyait  son  enseignement  était  toute 
personnelle  ;  elle  se  formait  de  deux  éléments  :  l'un  réel  et  l'autre 
idéal.  Le  premier  était  la  régularité  et  la  sainteté  de  la  conduite,  dont 
la  chasteté,  la  patience  et  la  charité  formaient  les  traits  principaux  ; 
le  second  était  la  prétention  qu'il  avait  d'être  Buddha ,  c'est-à-dire 
éclairé ,  et  comme  tel  de  posséder  une  science  et  une  puissance  sur- 
humaines. Avec  sa  puissance ,  il  opérait  des  miracles  ;  avec  sa  science, 
il  représentait,  sous  une  forme  claire  et  complète,  le  passé  et  l'ave- 
nir. Par  là,  il  pouvait  raconter  tout  ce  que  chaque  homme  avait  fait 
dans  ses  existences  antérieures,  et  il  affirmait  ainsi  qu'un  nombre 
infini  d'êtres  avaient  jadis  atteint  comme  lui ,  par  la  pratique  des  mê- 
mes vertus,  à  la  dignité  de  buddha,  avant  d'entrer  dans  l'anéantis- 
sement complet.  Il  se  présentait  enfin  aux  hommes  comme  leur  sau- 
veur, et  il  leur  promettait  que  sa  mort  n'anéantirait  pas  sa  doctrine; 
mais  que  cette  doctrine  devait  durer  après  lui  un  grand  nombre  de 
siècles,  et  que,  quand  son  action  salutaire  aurait  cessé,  il  viendrait 
au  monde  un  nouveau  Buddha ,  qu'il  annonçait  par  son  nom ,  et 
qu'avant  de  descendre  sur  la  terre  il  avait,  disent  les  légendes,  sacré 
lui-même  dans  le  ciel ,  en  qualité  de  Buddha  futur.  )> 

Il  ne  faut  pas  croire  cependant  que  le  buddhisme  vînt  faire  table 
vase  avec  le  brahmanisme  et  lui  substituer  un  corps  entier  de  croyan- 
ces nouvelles  ;  bien  au  contraire,  il  admettait  tout  le  panthéon  brah- 
manique ,  mais  en  le  soumettant  à  son  Buddha.  Il  acceptait  une 
grande  partie  des  mythes  de  l'Inde ,  mais  en  y  associant  un  dogme 
nouveau  ;  il  changeait  leur  sens  ou  leur  enlevait  plutôt  leur  significa- 
tion et  leur  importance.  Le  buddhisme,  en  un  mot ,  faisait  ce  qu'ont 
fait  toutes  les  religions  nouvelles,  qui ,  faute  de  pouvoir  anéantir  les 
divinités  anciennes,  en  ont  fait  des  divinités  secondaires.  Dans  la 
religion  des  Ases,  Thor,  l'ancien  grand  dieu  des  Scandinaves ,  n'est 
plus  qu'un  dieu  inférieur  à  Odin  ;  pour  les  chrétiens ,  les  dieux  des 
païens  que  des  démons;  pour  les  musulmans,  Jésus-Christ  qu'un 
prophète  inférieur  à  Mahomet.  Çakya  était  d'ailleurs  sorti  de  l'école 
des  brahmanes  ;  il  admettait  avec  eux  un  grand  nombre  de  points 


BIBLIOGRAPHIE.  773 

fondamentaux ,  mais  il  s'en  séparait  du  moment  qu'il  s'agissait  de 
tirer  les  conséquences  de  ces  vérités  et  de  déterminer  les  conditions 
de  salut,  but  et  efforts  de  l'homme,  puisqu'il  substituait  Fanéantis- 
sement  et  le  vide  au  Brahma  unique  dans  la  substance  duquel  ses 
adversaires  faisaient  rendre  le  monde  et  l'humanité.  Çakya  appelait 
tous  les  hommes  à  la  délivrance  et  il  effaçait  ainsi  la  distinction  des 
castes. 

Nous  ne  pouvons  suivre  M.  E.  Burnouf  dans  le  développement 
qu'il  donne  à  toutes  ces  questions,  et  dans  lesquelles,  tour  à  tour 
historien  ou  traducteur,  il  nous  fait  passer  sans  cesse  du  récit  à  la 
peinture  du  sujet. 

C'est  dans  l'examen  du  Vinaya,  ou  de  la  discipline  buddhique,  que 
notre  auteur  nous  présente  surtout  le  buddhisme  sous  son  côté  moral. 
Il  retrouve  les  règles  de  la  vie  religieuse  au  milieu  des  légendes ,  et  il 
nous  les  montre  nées  des  idées  les  plus  belles  et  les  plus  grandes  que 
les  Orientaux  se  soient  formé  de  l'hospitalité,  de  la  charité  ;  il  nous  fait 
sentir  encore  par  ce  côté  nouveau  la  postériorité  du  buddhisme  carac- 
térisée par  cette  prédominance  de  la  morale  pratique  sur  ces  spécu- 
lations philosophiques,  cette  mythologie  délirante  qui  occupent  dans  le 
brahmanisme  une  place  si  exclusive.  Si,  en  effet,  dit-il ,  les  systèmes 
moraux  ne  sont  nés  qu'à  la  suite  des  systèmes  ontologiques,  ce  qui  est 
établi  de  la  manière  la  plus  positive  par  l'histoire  de  la  philosophie 
grecque,  le  buddhisme  doit  nécessairement,  et  si  l'on  peut  s'exprimer 
ainsi,  génétiquement  être  postérieur  au  brahmanisme.  A  cette  morale 
si  pure  est  associé  un  culte  extrêmement  simple  qui  ennoblit  l'in- 
telligence, en  tenant  sans  cesse  présente  à  celle-ci  la  pensée  reli- 
gieuse, sans  l'étouffer  sous  l'étreinte  abrutissante  de  supersti- 
tieuses pratiques.  Les  cérémonies  consistent  en  offrandes  de  fleurs  et 
de  parfums ,  que  Ton  accompagne  du  bruit  des  instruments  et  de  la 
récitation  de  chants  et  de  prières  pieuses.  Aucune  trace  de  sacrifices 
sanglants,  de  l'usage  du  feu.  Le  culte,  en  effet,  ne  s'adresse  pas,  chez 
les  buddhistes,  à  un  dieu  unique  ou  à  une  foule  d'êtres  divins  que 
l'imagination  du  brahmane  entrevoit,  le  premier,  caché  dans  le  monde, 
les  seconds,  dispersés  dans  les  éléments;  il  n'a  que  deux  objets  :  la 
représentation  figurée  de  Çakyamuni,  le  fondateur  de  la  doctrine,  et 
les  édifices  qui  renferment  une  portion  de  ses  os  ;  une  image  et  des 
reliques,  voilà  tout  ce  qu'adorent,  disons  plutôt  ce  qu'honorent  les 
buddhistes  ;  car  il  n'y  a  vraiment  chez  eux  que  ce  que  les  chrétiens 
ont  appelé  un  culte  de  dalie  et  non  ce  qu'on  nomme  latrie;  aussi, 
dans  le  buddhisme,  le  culte  s'appelle-t-il  pûdja  ou  honneur,  tandis 


774  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

que  chez  les  brahmanes  il  se  nomme  yadjnâ  ou  sacrifice.  C'est  dans 
l'histoire  de  ce  culte  que  l'antiquaire  trouvera  le  plus  de  détails  pro- 
pres à  l'intéresser  ;  les  considérations  sur  l'image  de  Buddha ,  sur  les 
topes  pu  stupas,  monuments  destinés  à  renfermer  les  reliques  des 
saints  et  à  consacrer  leur  mémoire  :  ce  sont  là  des  objets  qui  sont  plus 
particulièrement  du  domaine  de  l'archéologie.  Sans  doute  M.  E.  Bur- 
nouf  est  encore  dans  l'impossibilité  d'éclaircir  bien  des  points,  il 
manque  de  données  suffisantes  pour  la  solution  d'une  foule  de  ques- 
tions, mais  les  matériaux  qu'il  fait  connaître,  les  conséquences  qu'il 
en  tire,  si  elles  ne  disent  pas  tout,  en  disent  déjà  beaucoup,  et  ga- 
rantiront les  futurs  explorateurs  de  l'Indosthan  d'un  foule  d'erreurs , 
en  précisant  les  objets  qui  doivent  fixer  leur  attention.  De  l'étude  de 
la  discipline  buddhique  que  lui  fournit  l'examen  des  avadanas  ou  lé- 
gendes, M.  E.  Burnouf  passe  à  l'analyse  de  X àbhidharma  ou  de  la 
métaphysique.  Cette  matière,  qui  est  une  de  celles  dans  laquelle 
l'auteur  a  le  plus  déployé  cet  esprit  de  pénétration  qu'il  possède  à 
un  si  rare  degré ,  nous  amène  sur  un  sujet  qui  est  peu  du  ressort 
des  travaux  auxquels  cette  revue  est  consacrée.  Aussi  nous  éten- 
drons-nous moins  sur  cette  partie  du  livre  :  disons  seulement  qu'au 
milieu  de  ce  savant  exposé  des  doctrines  professées  par  chacune 
des  écoles  buddhiques,  le  scepticisme  le  plus  profond,  le  nihi- 
lisme le  plus  dogmatique  se  retrouve  sans  cesse,  à  travers  les  appa- 
rences nombreuses  dont  il  se  revêt,  sous  les  formes  réelles  qu'il 
n'évoque  que  comme  des  fantômes  pour  les  faire  évanouir  par  la  triste 
pensée  du  néant.  Toutes  nos  connaissances  sont  ramenées  à  ïavidyâ, 
le  non  être,  le  non-savoir,  et  la  doctrine  de  la  transmigration  n'est 
pour  le  buddhisme,  que  l'enfantement  d'un  naturalisme  désolant.  Par 
sa  métaphysique,  monument  le  plus  hardi  de  la  négation  humaine, 
nous  dirons  presque  de  son  orgueil ,  puisqu'il  détruit  Dieu  pour  le 
remplacer  par  un  homme  déifié,  Buddha,  le  buddhisme  se  place  en- 
core en  opposition  au  brahmanisme.  Ce  qu'il  nie,  c'est  le  dieu  éternel 
des  brahmanes  et  la  nature  éternelle  des  sâmkhyas;  ce  qu'il  admet, 
c'est  la  multiplicité  et  l'individualité  des  âmes  humaines  des  sâmkhyas 
et  la  transmigration  des  brahmanes.  Mais  ces  développements  méta- 
physiques, désolante  conséquence  d'une  doctrine  athée,  exposés  dans 
la  Pradjnâ  pâramitâ  et  les  autres  ouvrages  qui  s'appuient  sur  ce  re- 
cueil, n'ont  pris  naissance  qu'après  que  la  doctrine  nouvelle  eut  été 
fondée;  aussi  n'en  Irouve-t-on  presque  aucune  trace  dans  les  Sûtras 
émanés  de  la  prédication  de  Çakya. 
Après  avoir  fait  connaître  les  trois  classes  principales  auxquelles  les 


BIBLIOGRAPHIE.  775 

écrits  buddhiques  peuvent  être  rattachés,  M.  E.  Buruouf  passe  à  l'exa- 
men d'une  quatrième  classe,  lesTantras,  genre  de  composition  qui 
n'offre  plus,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  obsever,  ce  caractère  exclusi- 
vement buddhique  qui  se  décèle  dans  les  classes  précédentes.  Dans  ces 
traités,  le  culte  des  dieux  et  des  déesses  bizarres  et  terribles  du  çivaïsme 
s'allie  au  système  monothéistique  et  aux  autres  développements  du 
buddhisme  septentrional.  L'étude  des  Tantras  a  donc  fourni  naturelle- 
ment l'occasion  à  notre  auteur  de  traiter  le  point  important  de  l'al- 
liance du  buddhisme  et  çivaïsme.  Cette  question,  outre  l'intérêt 
qu'elle  a  par  elle-même,  en  présente  un  nouveau  à  l'archéologue,  qui 
n'a  point  oublié  que  ce  sont  les  temples  hypogées  de  l'Indosthan  qui 
nous  ont  offert  les  premiers  des  images  figurées  de  cette  étonnante 
association. 

Les  Tantras  réunissent  pour  ainsi  dire  tous  les  buddhismes  repré- 
sentés chacun  par  leurs  symboles ,  toutes  les  données  théologiques 
associées  aux  spéculations  métaphysiques  de  l'ordre  le  plus  abstrait, 
mêlées  au  culte  idolâtre  des  çaktis  ou  énergies  femelles.  Il  résulte 
du  lumineux  aperçu  que  M.  Burnouf  donne  des  Tantras,  qu'on 
ne  doit  pas  voir  dans  ce  qui  a  été  appelé  la  fusion  entre  le  çi- 
vaïsme et  le  buddhisme,  un  syncrétisme  dogmatique  composant  une 
doctrine  par  l'accouplement  bizarre  de  deux  systèmes  disparates  ;  les 
Tantras  nous  montrent  seulement  les  pratiques  propres  aux  ado- 
rateurs de  Çiva  adoptées  par  des  buddhistes ,  recommandées  au 
nom  de  Buddha  lui-même.  Il  n'y  a  donc  pas  eu  de  fusion  réelle, 
mais  une  simple  admission  de  certains  rites  çi\aïtes  dans  le  bud- 
dhisme; sans  doute  que  le  sectateur  de  Çakyamuni  a  cru  à  leur  vertu, 
par  des  préjugés  superstitieux  indépendants  du  buddhisme  lui  même; 
il  s'est  efforcé  de  justifier  ensuite  cet  emprunt  fait  à  des  croyances 
étrangères,  en  faisant  enseigner  ces  rites  eux-mêmes  par  Buddha,  dans 
les  traités  nommés  Tantras.  Dans  l'histoire  de  la  collection  du  Népal 
qui  termine  le  premier  volume  du  grand  ouvrage  dont  nous  venons  d'es- 
quisser les  traits  principaux,  M.  E.  Burnouf  a  jeté  les  premiers  fon- 
dements de  l'essai  historique  auquel  doit  être  consacrée  une  partie  de 
son  second  volume,  et  cet  essai  se  présentera  comme  conséquence 
du  rapprochement  que  l'auteur  établira  entre  les  deux  collections  du 
Népal  et  de  Ceylan.  Déjà, en  nous  montrant  les  trois  conciles  qui  ont 
fixé  la  foi  buddhique,  en  faisant  voir  l'extiême  vraisemblance  de 
l'hypothèse  qui  rapporterait  au  premier  concile  la  rédaction  des  Sû- 
tras  simples  et  au  troisième  celui  des  Sûtras  composés ,  M.  Burnouf 
a  posé  les  premiers  jalons  qui  indiquent  la  marche  qu'il  se  propose 


776  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

de  suivre  :  les  conciles  s'offrent  déjà  à  nous  comme  marquant  les 
temps  primitifs  du  buddhisme,  tandis  que  dans  les  siècles  suivants 
commence  ce  qu'on  peut  appeler  son  moyen  âge. 

C'est  dans  ce  second  volume,  que  les  preuves  historiques  achè- 
veront la  démonstration  que  M.  E.  Burnouf  a  donnée  avec  un  rare 
talent,  de  l'origine  toute  indienne  du  buddhisme  et  de  son  antiquité. 
On  s'étonne,  en  lisant  son  livre,  d'une  connaissance  si  profonde,  si 
familière  des  langues  indiennes ,  si  familière  que  les  matériaux  qu'il 
met  en  œuvre  lui  sont  d'un  usage  aussi  facile ,  que  s'ils  eussent  été 
écrits  dans  sa  propre  langue.  Disons  de  plus  que,  par  un  mérite 
rare  dans  des  œuvres  qui  sont  le  fruit  de  l'érudition,  on  cherche  vai- 
nement dans  les  pages  qu'il  écrit,  cet  effort  de  la  science  que  le  savant 
met  sans  cesse  son  orgueil  à  laisser  sentir  au  lecteur,  pour  l'en  ac- 
cabler en  quelque  sorte.  C'est  que  M.  E.  Burnouf  n'a  pas  plaidé  une 
opinion,  soutenu  une  thèse,  ne  s'est  pas  posé  en  champion  d'un  parti  ; 
il  a  mieux  fait ,  il  a  simplement  raconté  ce  qui  a  été ,  établi  des  faits 
incontestables  ;  tout  ce  qui  manque  encore  à  son  livre,  c'est  le  second 
volume  qui  nous  le  réserve  ;  c'est  là  qu'arriveront  les  derniers,  nous 
dirons  presque  les  plus  décisifs  éclaircissements;  c'est  alors  que  le 
buddhisme  apparaîtra  clairement  comme  né  sur   le  sol  indien  et 
s'étant  développé  sous  l'influence  seule  des  idées  indiennes.  Ce  se- 
cond volume  sera  désormais  l'objet  d'une  vive  attente  pour  ceux  qui 
auront  lu  le  premier.  D'ici  là,  historiens,  archéologues,  mytho- 
graphes,  philosophes,  moralistes,  trouveront  dans  ce  que  M.  E.  Bur- 
nouf vient  de  donner  au  public,  une  source  aussi  féconde  d'utiles 
méditations  que  de  conquêtes  intellectuelles. 

Alfred  Maurv. 


ÉLITE  DES  MONUMENTS  CÉRAMOGRAPHIQUES ,  matériaux  pour  servir  a  l'his- 
toire des  religions  et  des  mœurs  de  l'antiquité ,  expliqués  et  commentés  par 
MM.  Ch.  Lenormant  et  J.  De  Witte.  —  Paris,  Leleux,  in-4,  tome  I". 

PI.  XIX  (1). 

C'est  assurément  une  heureuse  idée  que  celle  de  réunir  dans  un 
même  livre,  de  format  commode,  tous  les  sujets  intéressants  inédits  ou 
connus  que  représentent  les  vases  peints  de  l'antiquité.  Cette  vaste 
et  utile  entreprise  réclamait  de  la  part  des  auteurs,  non-seulement 

(1)  Celte  Planche  est  composée  de  vases  qui  lous  existent  au  Musée  céramique  de 
Sèvres  et  les  figures  en  sont  empruntées  à  diverses  planches  du  bel  ouvrage,  actuel- 
lement sous  presse ,  dans  lequel  MM.  Brongniarl  et  Riocreux  décrivent  celte  riche 
collection. 


BIBLIOGRAPHIE.  777 

une  érudition  riche  et  féconde,  mais  encore  une  patience,  un  cou- 
rage bien  rares  de  notre  temps.  Pour  qui  ne  connaît  pas  personnel- 
lement les  deux  savants  qui  promettaient  il  y  a  quelques  années  d'ac- 
complir cette  tâche,  le  doute  était  permis,  tant  elle  semblait  rude; 
mais  aujourd'hui  un  premier  volume,  tout  à  fait  conforme  au  plan 
indiqué  par  le  Prospectus,  vient  servir  de  réponse  à  qui  mettrait  le 
succès  en  question.  Hâtons-nous  de  dire  que  nous  n'avons  cessé  d'ac- 
compagner de  tous  nos  vœux  un  travail  dont  le  résultat  immédiat  est 
de  rendre  accessible  au  grand  nombre  l'étude  d'une  branche  extrême- 
ment importante  de  l'archéologie.  Réduire  en  quatre  volumes  in-4° 
la  matière  de  cinquante  volumes  grand  in-folio,  classer  tous  les  sujets 
dans  un  ordre  méthodique  ou  rigoureux ,  n'est-ce  pas  là ,  quand  les 
auteurs  n'eussent  pas  fait  plus,  un  service  immense  rendu  au  public 
studieux?  Qui  pourrait  regretter  l'incommensurable  appareil  scienti- 
fique dont  cet  ouvrage  dispense?  Qui  donc  préférerait  encombrer  ses 
pages  de  citations  des  cenitirages  à  part,  impossibles  à  trouver,  plutôt 
que  de  faire  usage  d'un  livre  que  chacun  peut  consulter  aisément? 
Nous  ne  pensons  pas  qu'il  existe  un  seul  antiquaire  qui  ne  soit  pas 
de  notre  opinion  à  cet  égard;  il  faudrait  qu'il  eût  oublié  que  le  pre- 
mier devoir  du  savant  est  de  vulgariser  les  moyens  d'instruction,  et 
que  c'est  la  seule  ressource  qu'il  ait  pour  se  faire  pardonner  l'auréole 
d'ennui  dont  l'entoure  sa  spécialilé,  lorsqu'il  est  assez  malheureux 
pour  en  avoir  une. 

Les  auteurs  de  ÏÉlite  des  monuments  céramographiques  ont  em- 
ployé, pour  désigner  la  forme  des  vases ,  le  vocabulaire  formé  il  y  a 
quinze  ans  par  le  savant  Théodor  Panofka,  et  nous  déclarons  tout 
d'abord  avec  franchise  que  nous  croyons  qu'il  eût  été  nécessaire  d'éta- 
blir des  restrictions  au  système  de  dénomination  qui  a  été,  comme 
chacun  le  sait,  combattu  avec  tant  de  force  par  M.  Letronne.  Un 
grand  nombre  de  lecteurs  de  la  Reçue  nous  ayant  témoigné  le  désir 
de  trouver  ici  des  renseignements  sur  l'état  de  la  question ,  comme 
aussi  sur  les  différentes  fabriques,  nous  avons  réuni  quelques  notions 
sur  cette  matière  et  nous  les  exposerons  brièvement  avant  de  passer 
à  l'examen  du  livre  de  MM.  Lenormant  et  J.  de  Witte. 

Fabrique  phénicienne  (  pi.  XIX,  n"'  4  et  5  ).  On  a  longtemps 
considéré  comme  égyptiens  des  vases  de  terre  jaunâtre  terne,  de  forme 
écrasée,  ornés  de  figures  brunes  ou  noires,  rehaussées  de  rouge  et 
de  violet.  Ces  vases,  qui  se  trouvent  en  Grèce,  dans  les  îles  de  la 
Méditerranée  et  en  Étrurie,  représentent  soit  des  rangées  procession- 
nelles d'animaux  réels  ou  fabuleux,  soit  un  oiseau  aux  ailes  im- 


778  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

menses  qui  enveloppent  pour  ainsi  dire  toute  la  surface  du  monu- 
ment ,  soit  encore  une  femme  tenant  par  le  col  deux  oies  qu'elle 
paraît  étrangler.  L'orifice  s'élargit  singulièrement  et  rappelle  le  tail- 
loir des  colonnes  de  Pestum.  Du  reste,  rien  qui  ressemble  aux  com- 
positions si  caractérisées  de  l'Egypte  :  point  d'attributs  symboliques, 
point  de  figures  d'hommes  à  tête  d'animal  ;  on  y  remarque  au  contraire 
des  représentations  d'animaux  à  tête  humaine,  combinaison  vérita- 
blement assiatique,  dont  les  colosses  de  Persépolis  et  deKhorsabad, 
les  cylindres  babyloniens  et  perses ,  l'Ecriture  sainte  nous  ont  fourni 
tant  d'exemples.  Sur  les  vases  dont  nous  parlons  les  hommes  et  les 
animaux  sont  presque  toujours  ailés,  et  à  ce  trait  encore  on  recon- 
naîtra l'influence  cananéenne  ou  arienne.  Une  observation  fort  ingé- 
nieuse a  été  faite  au  sujet  de  ces  vases  par  M.  Raoul  Rochette.  Ce 
savant  a  remarqué  que  tous  étaient  parsemés  de  rosaces  à  cinq  ou 
six  pétales  et  que  cette  rosace  se  retrouve  exactement  semblable  sur 
un  des  deux  fragments  de  briques  émaillées  rapportés  des  ruines  de 
Babylone  par  l'abbé  de  Beauchamp.  Toutes  ces  considérations  ont  fait 
abandonner  depuis  quelques  années  la  dénomination  d'égyptiens  à 
laquelle  a  succédé  celle  de  tirrhéno -phéniciens ,  ou  simplement />/ie- 
niciens.  Ces  vases  sont  très-anciens  (celui  que  M.  Dodwell  a  trouvé 
près  de  Corinthe  porte  une  inscription  dont  les  caractères  paraissent 
remontera  la  50^  olimpiade  (Vl^  siècle  avant  J. C),  suivant  Ottfried 
Millier).  On  ne  prétend  pas  dire  qu'ils  aient  tous  été  fabriqués  par 
des  ouvriers  phéniciens,  et  celui  que  nous  venons  de  citer  serait  la 
preuve  du  contraire;  mais  ils  doivent  avoir  été  faits  à  l'imitation  de 
ceux  que  le  commerce  maritime  apportait  de  ïyr  et  de  Sidon ,  dans 
les  îles  de  la  Grèce  et  sur  les  côtes  de  l'Italie. 

Ona  trouvé  dans  la  grande  Grèce,  et  jusqu'à  Corneto,  un  grand 
nombre  de  vases  qui  procèdent  dire^ement  de  ceux  que  les  Phéni- 
ciens avaient  mis  en  usage,  et  qui  sont  aux  vases  grecs  ce  qu'au 
moyen  âge  les  monuments  de  la  sculpture  du  X"  siècle  sont  aux  œuvres 
d'art  du  XllP.  M.  Panofka  a  donné  le  nom  à'aryballos  au  n°  4  de 
notre  planche  XIX,  et  celui  de  bomhylios  au  n**  5.  M.  Letronne 
paraît  admettre  la  première  de  ces  dénominations ,  mais  il  repousse 
la  seconde.  Nous  pensons  que  ce  vase  doit  être  classé  parmi  les  ala- 
haslron. 

Fabrique  grecque  (PI.  XIX,  n"'  2,  3,  7,  9).  Le  vase  figuré 
sous  le  n**  2  est  essentiellement  attique.  On  en  voit  plusieurs  de  cette 
forme  dans  le  tombeau  d'enfant,  découvert  à  Athènes,  que  la  Revue  à 
publié  (PI.  Xï,  numéro  de  septembre  1844  ).  Souvent  le  fond  blanc 


BIBLIOGRAPHIE.  779 

de  la  partie  cylindrique  est  orné  de  dessins  au  trait,  d'un  rouge  pâle 
et  généralement  d'un  grand  style.  M.  Grasset,  consul  de  France  à 
Janina,  avait  apporté  à  Paris  un  vase  à  fond  blanc  chargé  de  figures 
peintes  de  diverses  couleurs  très-brillantes.  Ce  merveilleux  monument 
de  la  peinture  antique  avait  été  trouvé  à  Salamine  et  fut  publié  par 
M.  Raoul  Rochette(l).  Il  a  été  depuis  acquis  parle  Musée  britan- 
nique. C'est  très-certainement  une  des  variétés  de  la  famille  des  lecy- 
thus,  sans  que  l'on  puisse  affirmer,  ainsi  que  le  fait  observer  M.Le- 
tronne,  que  ce  soit  le  lecylhus  par  excellence. 

Laphiale  qui  vient  ensuite  (n°  3),  est  de  terre  brune,  enduite  d'une 
couverte  d'un  noir  trouble.  C'est  un  de  ces  vases  que  l'on  trouve  dans 
la  grande  Grèce,  et  que  M.  de  Witte  nomme  vases  grecs  à  reliefs  (cat. 
Dur.,  p.  336  )  ;  en  effet,  divers  sujets  se  détachent  sur  le  fond  inté- 
rieur. Plusieurs  pbiales  représentent  des  courses  de  chars  montés  par 
des  dieux  que  guident  des  victoires  et  au-devant  desquels  volent  des 
figures  ailées,  en  rapport  avec  le  caractère  de  chacun  d'eux.  11  y  a  là 
entre  la  divinité  et  le  génie  qui  plane  au-dessus  d'elle  une  connexion 
qui  rappelle  les  férouers  des  sculpteurs  de  l'Orient,  êtres  mystiques  qui 
accompagnent  le  roi-dieu.  Dans  la  phiale  du  Musée  de  Sèvres  nous 
voyons  cinq  fois  le  soleil,  dont  la  tête  radiée  est  placée  entre  deux  che- 
vaux dont  la  disposition  offre  une  analogie  frappante  avec  les  chapi- 
teaux du  tombeau  bien  connu  de  Nakschi-Roustam. 

Le  vase  n"  7  est  d'une  forme  très-rare  (2)  ;  M.  Panofka,  qui  en 
connaissait  un  semblable  dans  le  cabinet  de  M.  le  duc  de  Blacas,  le 
croyait  unique;  le  premier  a  été,  comme  celui  que  nous  venons  de 
citer,  trouvé  àÉgine;  la  Bibliothèque  royale  en  possède  un  troisième, 
rapporté  de  Grèce  par  M.  le  baron  Rouen.  Le  fond  jaune  pâle,  avec 
des  zones  et  des  stries  rouges  et  noires,  distingue  les  vases  des  îles  ;  c'est 
ainsi  que  la  poterie  de  Milo,  de  Théra  présente  les  mêmes  ornements. 
M.  Panoilia  regardait  le  vase  que  nous  décrivons  comme  une  thermo- 
polis, c'est-à-dire  un  vaisseau  destiné  à  contenir  des  boissons  chaudes; 
cette  dénomination ,  qui  n'avait  alors  pour  base  que  la  présence  du 
couvercle,  pouvait  alors  ne  pas  paraître  bien  certaine.  Aujourd'hui 
nous  pensons  avoir  pour  l'adopter  la  raison  que  voici  : 

Suivant  Athénée  (  XI,  783  ),  ïanaphœa  était  chez  les  Cretois  une 

(1)  Peintures  antiques  inédites ,  p.  415,  PI.  VIII ,  IX  ,  X  et  XI. 

(2)  Les  poteries  d'Égine  étaient  réputées  pour  leur  légèreté;  ce  vase  est  d'une 
Onesse  remarquable.  Il  est  fait  d'une  terre  en  grande  partie  composée  de  carapaces 
ou  lest  siliceux  d'animaux  raiscroscopiques  infusoires.  Brongniart,  Traité  des  Arts 
céramiques,  1. 1 ,  p.  576. 


780  RKVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

thermopolis  :  Àuacfoâoc  -h  Bepfj.onorlç  Tiapà  Kpyjdiv.  Or,  les  monnaies 
d'Anaphé,  petite  île  de  la  mer  Egée,  voisine  de  Crète,  ont  pour  type  un 
vase  que  le  savant  Célestino  Cuvedoni  n'a  pas  hésité  à  regarder  comme 
yanaphœa(i),\o'ici  tout  au  moins  une  variété  de  thermopotis  qui  nous 
est  connue,  et  nous  devons  dire  qu'elle  ressemble  beaucoup  à  notre 
vase  n°  7,  excepté  que  les  anses  sont  placées  dans  le  sens  horizontal. 
On  rencontre  assez  fréquemment  dans  les  îles  de  petits  fourneaux  de 
terre  jaune  décorés  de  méandres,  de  stries,  de  zones  brunes  et  rouges 
et  sur  lesquels  les  vases  de  l'espèce  que  je  viens  de  décrire  s'ajustent 
d'une  façon  qui  ne  saurait  être  l'effet  du  hasard;  cette  circonstance, 
jointe  à  l'argument  que  nous  tirons  de  la  monnaie  d'Anaphé  et  qui 
nous  paraît  très-concluant ,  nous  porte  à  admettre ,  dans  la  no- 
menclature céramique  applicable ,  la  thermopotis  ou  vase  à  boisson 
chaude. 

Nous  voici  enfin  arrivé  à  la  description  d'un  de  ces  vases  classiques 
à  fond  noir  brillant  et  à  figures  rouges,  quç  l'on  a  longtemps  confon- 
dus avec  les  vases  étrusques  (2).  Le  n°  9  est  de  fabrique  agrigentine, 
c'est  le  vaso  a  colonnette  de  la  grande  Grèce.  Le  nom  de  Kélehé  par 
lequel  on  le  désigne,  est,  comme  l'a  démontré  M.  Letronne,tout  à  fait 
impropre  et  peut  s'appliquer  à  des  vaisseaux  de  formes  très-éloignées 
de  celle  que  nous  avons  sous  les  yeux,  et  qui  rentre  bien  plutôt  dans 
le  genre  cratères,  car  ce  dernier  terme  nous  paraît  en  général  em- 
ployé pour  indiquer  les  vases  de  grande  dimension. 

Les  vases  à  colonneltes,  qui  se  recommandent  surtout  pour  leur 
belle  fabrique  et  leur  grand  style,  ne  nous  ont,  pour  la  plupart,  con- 
servé que  des  scènes  assez  peu  instructives.  Sur  celui-ci  on  voit  un 
éphèbe  nu  qui  s'apprête  à  assommer  d'un  coup  de  massue  un  tau- 
reau qu'il  a  saisi  par  les  cornes;  devant  lui,  une  femme,  vêtue  d'une 
tunique  talaire  et  d'un  péplum,  court  en  retournant  la  tête;  elle  tient 
dans  la  main  gauche  une  pierre  ou  des  crotales.  On  peut  voir  dans 
cette  composition  Thésée  qui  se  prépare  à  immoler  en  l'honneur 
d'Apollon  delphinien  le  taureau  de  Marathon,  qu'il  vient  de  dompter, 
ou  un  sacrifice  à  Bacchus  du  taureau  dionysiaque,  précédé  par  une 
ménade. 

Une  autre  classe  de  vases,  que  l'on  trouve  très-nombreux  dans  les 
sépultures  de  Nola,  présente  plusieurs  points  de  ressemblance  avec 
les  amphores  d'Agrigente.  C'est  le  même  vernis  luisant,  la  même 


(J)  Spicilego  numismalico,  p.  115. 

(2)  Voyez  Revue ,  numéro  de  mai  1844 ,  p.  82. 


BIBLIOGRAPHIE.  781 

élégance  dans  les  formes.  Les  sujets  que  représentent  ces  monu- 
ments sont  le  plus  souvent  bachiques  ou  erotiques;  mais  ils  con- 
servent ordinairement  une  certaine  majesté  qui  leur  donne  un  cou- 
vert hiératique.  On  a  recueilli  aussi  à  Nola  une  quantité  considérable 
de  poteries  de  toutes  formes  et  de  toutes  grandeurs,  entièrement 
noires,  dont  le  galbe  toujours  très-pur  est  remarquable  par  son  hel- 
lénisme. 

Fabrique  étrusque  (PI.  XIX ,  n°'  6,  8  et  11  ).  M.  Lenormant 
a  fait  voir  dans  ce  journal  (1)  que  si  l'on  ne  doit  pas  appeler  étrusques 
tous  les  vases  qui  se  découvrent  en  Toscane,  il  fallait  réserver  ce 
nom  à  quelques  monuments  céramiques  contemporains  de  la  prépon- 
dérance tyrrhénienne  en  Italie.  C'est  à  Chiusi  que  l'on  a  formé  les 
plus  belles  collections  de  vases  de  ce  genre ,  dont  le  n°  6  est  un  échan- 
tillon. L'argile  qui  le  compose  est  noire  à  l'intérieur  comme  à  l'ex- 
térieur; la  coupe,  très-épaisse  et  par  conséquent  fort  lourde,  est 
ornée  de  bas-reliefs  imprimés  à  l'aide  d'un  cylindre  dont  le  roulement 
reproduit  plusieurs  fois  la  même  scène.  Les  sujets  empreints  sur  les 
vases  de  Chiusi  sont  tout  à  fait  orientaux,  et  l'on  se  souvient,  en 
les  voyant ,  de  ces  cylindres  de  pierre  dure  que  l'on  rapporte  des 
environs  de  Babylone  et  de  Ninive. 

Nous  avons  vu  à  Albano ,  chez  un  maître  d'école ,  une  prodigieuse 
quantité  de  poteries  noires,  trouvées  près  du  lac,  au  fond  d'une  tour- 
bière. Ces  monuments,  de  l'avis  des  plus  savants  antiquaires,  re- 
montent à  l'époque  la  plus  reculée  de  l'histoire  italiote.  M.  de  Witte 
a  déjà  fait  mention  {Revue,  p.  309)  des  cabanes  funéraires  qui  fai- 
saient partie  de  la  découverte  dont  nous  parlons.  Ce  sont  de  petites 
maisons  de  terre  cuite  noire,  d'environ  trente  centimètres  de  long  sur 
vingt  de  large.  Ces  édifices  en  miniature  contiennent  des  cendres  et 
des  ossements  calcinés. 

Il  semble  que  les  Tyrrhéniens ,  lorsqu'ils  s'établirent  en  Italie , 
aient  continué  la  fabrication  en  usage  chez  les  Aborigènes,  en  amé- 
liorant l'art  de  la  cuisson  et  en  introduisant  le  vernis  et  l'emploi  du 
cylindre  pour  décorer  les  surfaces  planes.  On  a  donné  à  la  coupe 
étrusque  qui  est  figurée  dans  notre  planche  le  nom  à'holcion ,  OAxsîov 
ou  OAxtoy,  qui  n'a  pu  se  faire  accepter  parla  science.  En  effet,  à  part 
l'incertitude  qui  règne  sur  la  forme  de  l'hoîcion ,  en  ne  consultant 
que  le  texte  des  auteurs  qui  le  citent,  ne  doit-on  pas  hésiter  à  pro- 
poser un  terme  grec  pour  exprimer  le  nom  d'un  ustensile  purement 
étrusque  ? 
(1)  Revue,  p.  82. 


782  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Le  vase  n"  8  provient  des  fouilles  de  Vulci;  c'est  le  produit  d'un 
art  d'imitation  qui  puise  ses  inspirations  dans  l'hellénisme.  Ce  qui 
appartient  presque  exclusivement  à  la  localité,  c'est  le  grand  œil  qui 
se  voit  sur  tant  d'autres  monuments  découverts  dans  le  même  lieu. 
Nous  avons  expliqué  ailleurs  (l)  les  raisons  qui  nous  font  considérer 
cette  représentation  comme  un  symbole  funéraire.  Son  intime  asso- 
ciation avec  \e  gorgoniiim,  qui  orne  presque  toujours  le  fond  des  coupes 
sur  lesquelles  ce  type  existe,  association  qui  devient  encore  plus  évi- 
dente sur  le  vase  de  M.  le  colonel  W.-M.  Leake,  qui  nous  montre 
\e  gorgoniam  servant  de  prunelle  à  quatre  grands  yeux  ,  nous  a  fait 
croire  que  l'intention  des  artistes  de  Vulci  avait  été  de  figurer  une 
Kopvj  mystique.  Suivant  Plutarque,  la  mort  est,  dans  la  lune  ,  sou- 
mise à  Proserpine  (Kopyj)  :  Sâi^ûCToç ^'èv  rn  ael-riv/}  tyiç  Uep^re-' 

(foV/jç  (2).  Je  ne  reviendrai  pas  sur  l'assimilation  de  la  lune  au  gor- 
gonium  ,  question  si  bien  Iraiiée  par  M.  le  ducde  Luynes,  et  je  me 
bornerai  à  répéter  que  j'attribue  la  présence  de  l'œil  sur  des  vases 
placés  dans  des  tombeaux,  à  la  môme  intention  quia  fait  sculpter  l'en- 
lèvement de  Proserpine  sur  des  sarcophages. 

Au  reste,  dans  un  bas-relief  sculpté  sur  un  tombeau  étrusque,  on 
remarque  un  génie  infernal,  sur  l'aile  duquel  est  tracé  un  œil  sem- 
blable à  ceux  des  vases  peints  (3). 

La  tasse  de  Vulci  (  n°  8 }  est ,  suivant  M.  Ed.  Gerhard ,  une  cyathis, 
et  M.  Letronne  s'oppose  à  l'emploi  de  cette  dénomination.  La  hau- 
teur de  l'anse  nous  fait  croire  que  cette  tasse  servait  à  puiser  un  li- 
quide contenu  dans  un  vase  plus  grand,  action  exprimée  par  les 
verbes  a^uw,  «cpucrdo)  (4),  d'où  le  substantif  ««purtç ,  vase  à  puiser. 
Quoique  ce  mot  ne  se  trouve  pas  dans  les  lexiques ,  nous  n'en  croyons 
pas  moins  qu'il  ait  dû  exister;  car  sur  les  monnaies  de  la  ville  d'Aphy- 
tis  de  Macédoine,  nous  voyons  un  canthare  à  anses  élevées  qui  nous 
paraît  merveilleusement  propre  à  l'usage  qu'exprime  le  nom  de  la 
ville.  Si  nous  ne  craignions  d'être  suspecté  de  partialité,  nous  dirions 
que  la  numismatique  otfre  à  notre  sens  pour  la  recherche  du  nom 
des  vases ,  un  secours  puissant  auquel  on  aurait  dû  plus  tôt  recourir. 
Ainsi,  lorsque  l'on  voit  sur  les  monnaies  de  Thasos  et  de  Chios  des 
amphores  parfaitement  semblables,  que  M.  Cavedoni  rapproche  avec 
sa  critique  habituelle  du  passage  de  Strabon  ;  Kepajuiov  rs  ^dciov  xat 

(1)  Revue  JYumismalique ,  1843,  p.  421. 

(2)  De  facie  in  orbe  lunœ,  cap.  XXVII. 

(3)  Micali ,  Monum.  per  Serv.  alla  stor.'degli  ant.  pop,  PI.  CV. 

(4)  Odyss,  XXIII,  305. 


BIBLIOGRAPHIE.  783 

Xiov,  on  aurait  pu  faire  intervenir  ces  types  pour  fournir  la  forme 
que  les  lexicographes  ne  décrivent  pas.  Photius  a  dit  :  Srapyia,  rà 
9cx(7ix  y,ep!xij.ix,  et  dans  Hésychius  le  •Stamnion  est  donné  comme 
synonyme  du  Kdcroç;  Horace  (III,  Od.  19,  5),  à  son  tour  parle  du 
Cadus  Chias.  D'après  cela  n'est-il  pas  permis  d'induire  que  les  monu- 
ments numismatiques  de  Thasos  et  de  Chios  nous  ont  conservé  la 
figure  du  Stamnos?  Or  cette  forme  est  précisément  celle  du  vase  à 
vin  qui  se  découvre  dans  les  caves  de  Pompéi  et  de  toutes  les  villes 
antiques  dont  on  déblaye  les  substruclions.  C'est  ainsi  encore,  que  la 
forme  particulière  de  ï amphore  de  Corcyre,  nous  semble  très-claire- 
ment illustrée  par  la  monnaie  de  celte  île  représentant  un  satyre 
versant  du  vin  d'un  diota  dans  un  autre.  [Eclikel,  t.  II,  p.  180.) 

On  voit  dans  la  Planche  XIX  (n°  11),  un  vase  étrusque,  c'est-à- 
dire  fabriqué  en  Étrurie,  à  l'imitation  des  produits  de  l'art  grec. 
Celui-ci  est  YAmphore  bachique  de  Canino.  Le  combat  qu'il  repré- 
sente est  une  de  ces  scènes  homériques  que  les  peintres  et  les  sculp- 
teurs de  l'antiquité  se  plaisaient  à  multiplier.  Les  vases  de  cette 
espèce  ne  sont  pas  aussi  anciens  qu'on  pourrait  le  supposer;  la 
forme  des  armes ,  les  figures  noires  sur  fond  jaune,  l'emploi  du  blanc 
pour  teinter  les  chairs  de  femmes,  sont  des  traits  d'archaïsme  aux- 
quels il  ne  faut  pas  se  méprendre. 

Fabrique  de  la  Basilicate  (PI.  XIX,  n°*  1  et  10).  Rien  de 
plus  varié  que  la  forme  et  les  ornements  qui  rendent  les  vases  de 
cette  partie  de  l'Italie  si  remarquables.  Leurs  dinrensions  extraordi- 
naires semblent  défier  les  efforts  des  imitateurs  modernes.  Le  vernis 
en  est  toujours  noir;  les  personnages  et  les  ornements  rouges  ou  jaunes 
avec  des  retouches  épaisses  rouges,  blanches,  violettes,  jaune  clair 
et  quelquefois  même  dorées.  Le  dessin  des  figures  est  souvent  détes- 
table et  toujours  maniéré.  Les  compositions  qui  décorent  ces  vases, 
principalement  les  plus  grands,  sont  empruntées  soit  au  théâtre,  soit 
à  un  système  d'initiations  des  plus  compliqués,  dans  lequel  l'herma- 
phroditisme  joue  un  rôle  important.  Toutes  les  scènes  peuvent  être 
ramenées  à  un  sens  funéraire.  Ces  monuments  considérés  absolument 
tendraient  à  déplacer  singulièrement  certaines  données  mythologiques. 
11  serait  peut-être  utile  de  restreindre  délicatement  les  inductions  aux- 
quelles ils  conduisent,  en  leur  assignant,  dans  l'histoire  des  croyances 
grecques  et  latines,  une  valeur  à  peu  près  égale  à  celle  que  l'on  ac- 
corde sans  hésiter  aux  symboles  gnostiques  dans  l'étude  des  théologies 
égyptienne  et  chrétienne.  Le  n°  1  montre  une  tête  de  Vénus,  abrégé 
de  la  déesse  qui  est  placée  près  d'un  cippe  ou  d'un  édicule  funèbres, 


784  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

sur  tant  d'autres  vases  de  la  môme  provenance.  Le  n**  10,  qui  appar- 
tient au  ^enre  lécythus,  représente  une  femme  portant  un  plat  (phiale) 
chargé  d'offrandes  destinées  aux  morts,  sujet  qui  se  répète  de  cent 
manières,  et  qui  n'offre  qu'un  faible  degré  d'intérêt. 

Dans  un  prochain  article  nous  exposerons  le  système  de  classiGca- 
tion  adopté  par  les  auteurs  de  Y  Élite  des  monuments  céramographiques, 

A.  L, 


]¥OUVEliliES  PlJBl<ICATIO^!»  ARCHKOIiOaiQUEII. 

ITALIE. 

Açellino  {F.  M,)  :  Notizia  di  un  busto  di  Demostene,  con  greca 
epigrafe.  Napoli,  1843.  4. 

Betti(F.)  :  Catalogo  délia  collezione  di  piètre  usate  dagli  antichi 
per  construire  ed  adornare  le  loro  fabbriche  gia  di  uno  advocalo,  ora 
posseduta  dal  conte  S,  Karolisi.  Roma,  1842.  8. 

Campana  (P.)  :  Di  due  sepolcri  romani  del  secolo  d'Augusto. 
Roma,  1842. 

Capranesi  :  Description  des  sculptures  anciennes  qui  existent  dans 
la  galerie  de  la  villa  de  S.  E.  M,  le  prince  Antoine  Buoncompagni- 
Ludovisi.  Rome,  184-^.  8. 

Cavedoni  [C.)  :  Indicazione  antiquaria  dei  monumenti  principali 
del  Museo  Eslenzea  Cataio.  Modena,  1842.  8. 

—  Osservazioni  sopra  un  sepolcro  scoperto  nella  collina  Modenese. 
Modena,  1843. 

FiorelU  :  Osservazioni  sopra  talune  monete  rare  di  città  greche. 
Napoli,  1343.  4. 

Guarini  (Raim.)  :  Fasti  Duumvirali  ed  Annali  délia  colonia  di 
Pompei.  Napoli,  1842.  8. 

Micali  (Gius.):  Monumenti  inediti  ad  illustrazione délia storiadegli 
antichi  popoli  italiani.  Firenze.  In-fol. 

Minemni  (Giulio)  :  11  mito  di  Ercole  e  di  Jule  illustrato  cogli  an- 
tichi scrittori  e  coi  monumenti.  Memoria  lettaall' AcademiaErcolanese 
neir  anno  1840.  Napoli,  1842. 

Musei  Etrusci  quod  Gregorius  XVI,  pont,  max.,  in  aedibus  Vati- 
canis  constituit  monumenta  linearis  picturae,  exemplis  expressa  et  in 
utilitatem  studiosorum  antiquitatum  et  bonarum  artium  publici  juris 
facta.  Pars  i,  ii,  ex  sedibus  Valicanis,  1842. 


LETTRE  A  M.  LETRONNE 


SUR  LES 


ACTES  D'ADORATION,  OU  PROSCYIVÈIES , 


REDIGES 


m  LANGUE  ÉGYPTIENNE  ET  TRACÉS  EN  ÉCRITURE  DÉMOTIQUE. 

(Suite,) 

Je  passe  actuellement  à  la  seconde  phrase  formulaire  que  présen- 
tent les  proscynèmes  démotiques  rapportés  par  Nestor  L'Hôte,  et  j'es- 
père cette  fois  arriver  à  une  connaissance  plus  intime  du  sens  qu'elle 
comporte. 

Cette  seconde  formule  se  présente  avec  les  variantes  suivantes 
(PI.  VII,  A.). 

En  étudiant  ces  variantes,  nous  remarquons  d'abord  que  tous 
nos  proscynèmes,  à  une  seule  exception  près,  se  terminent  par 
une  expression  que  nous  fournit  le  texte  démotique  du  décret 
de  Rosette ,  et  dont  le  sens  est  bien  déterminé  ;  elle  se  com- 
pose des  deux  mots  aj2>.  !^E^E,  jusqu'à  lapermanence,  jusquà 
Véternitë,  à  toujours.  Ici,  l'orthographe  démotique  de  cette  expression 
est  double;  ainsi  nous  trouvons  deux  formes  distinctes  de  la  lettre 
cheï;  et  le  mot  cjje  du  décret  de  Rosette  s'écrit  uniformément 
OjZs,  ou  ojo,  dans  nos  proscynèmes  d'el-Hammamat  et  de  Philes. 
Le  texte  des  n"'  9,  7,4,  2,  nous  donne  l'expression  ojXs  y^c,  au 
lieu  de  OJZ.  '^'^,  En  copte,  r^XCE,  :i^XCX ,  ^i^OCE,  ^1>G  ^ 
signifie,  eleçare,  exaltare,  seseefferre;  le  substantif  î:^SCE;  î^5Cî , 
signifie  altitudo,  suhlimitas,  altum,  d'oii  TT1K5CE  îiîV^OO'*^,  Ion- 
gœvilasy  ETT'^XCE»  superius,  JULTT!^iCE,  supra,  etc.  Comme  il 
y  a  une  liaison  assez  apparente  entre  ces  différentes  idées  et  l'idée  de 
durée,  de  permanence,  d'éternité,  il  n'y  a  rien  de  bien  étonnant  à  ce 
que  nous  rencontrions  cette  expression  à  la  place  de  l'expression  plus 
ordinaire  ojXn  5$ete,  dont  la  forme  hiéroglyphique  est  cg^S- 
I.  M 


786  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

!^^U  OU  ajXs^^T^p  Nous  pouvons  donc,  quelle  que  soit  l'expres- 
sion employée,  traduire  le  double  groupe  final  de  tous  nos  pros- 
cynèmes,  par  les  mots  français  à  toujours,  sans  craindre  de  nous 
tromper. 

Voyons  maintenant  ce  que  nous  fournit  l'analyse  des  autres  mots 
qui  composent  la  seconde  phrase  formulaire.  De  l'étude  comparative 
des  variantes  de  cette  phrase,  il  résulte  que  le  mot  initial  se  pré- 
sente deux  fois  sous  la  forme  (PI.  VII,  1)  (1  et  2);  une  fois  sous  la 
forme  V\.  VII,  2)  (7) ,  deux  fois  sous  la  forme  (PI.  VII,  3)  (4  et  8), 
et  enfin  deux  fois  sous  la  forme  (PI.  VII,  4)  (6  et  10). 

L'étude  du  texte  démolique  du  décret  de  Rosette  nous  démontre  que 
les  verbes  prenaient  en  suffixe  le  pronom  personnel  faisant  fonction  de 
sujet ,  de  telle  sorte  que  si  le  mot  (PI.  VII,  3)  représente  un  verbe,  et 
le  signe  (PI. VII,  5),  le  pronom  personnel  de  la  troisième  personne,  le 
mot  (PI.  VII,  l),  peut  être  la  troisième  personne  du  singulier  du  pré- 
térit de  ce  verbe.  Par  suite  de  la  même  règle  grammaticale,  la  forme 
(PI.  VII,  2),  que  nousdonne  le  texte  n**  7,  est  celle  de  la  première  per- 
sonne du  singulier  du  prétérit.  En  effet,  on  sait  que  le  q  et  le  T, 
sont  encore  en  copte  des  pronoms  suffixes  de  la  troisième  et  de  la  pre- 
mière personne.  La  forme  (PI.  VII,  3),  dépourvue  de  pronom  suffixe, 
est  encore  la  troisième  personne  du  singulier  du  prétérit,  mais  qui 
cette  fois,  si  la  règle  est  vraie,  doit  comporter  un  sujet  exprimé  et 
écrit  en  toutes  lettres.  Quant  à  la  dernière  forme,  elle  n'est  pas  en- 
core suffisamment  déterminée  parce  qu'elle  ne  se  rencontre  que  dans 
deux  proscynèmes,  dont  l'un  est  presque  entièrement  illisible;  le  pre- 
mier signe  d'ailleurs  est  un  fois  l'article  singulier  masculin,  et 
semble  une  autre  fois  être  la  lettre  a,  image  d'un  radical  ayant  la 
signification  faire,  accomplir.  Il  faut  donc  attendre  que  de  nouveaux 
textes  à  comparer  npus  permettent  de  raisonner  sur  une  forme  bien 
nette  et  bien  précise.  Nous  verrons ,  en  poursuivant  notre  analyse ,  si 
le  contexte  des  proscynèmes  étudiés  s'accorde  avec  les  indications 
que  nous  fournit  la  règle  grammaticale  que  je  crois  avoir  entrevue, 
et  que  je  viens  de  rappeler. 

Cherchons  ce  que  peut  signifier  le  mot  (PI.  VII,  3).  Les  deux  lettres 
qui  le  composent  nous  sont  connues,  ce  sont  un  t  et  un  r.  Nous 
avons  donc  un  mot  t  f,  dont  il  s'agit  de  trouver  l'analogue  en  copte. 
Remarquons  d'abord  que  le  t  est  surmonté  d'une  petite  barre  qui 
très-certainement  n'a  pas  été  mise  là  sans  dessein.  Comme  il  est  assez 
raisonnable  d'admettre  que  la  barre  qui  surmonte  les  lettres  de  l'ai- 


ACTES   D'ADORATION,   OU  PROSCYNÈMES.  787 

phabet  copte  moderne,  dans  certains  cas  déterminés,  et  qui  n'a  pas 
été  empruntée  à  l'écriture  grecque,  n'a  pas  eu  d'autre  but  et  d'autre 
origine  que  la  petite  barre  employée  de  tout  temps  dans  l'alphabet 
démotique,  on  peut  supposer  que  sa  présence  indique  ici  que  le  T 
qui  en  est  surmonté  doit,  comme  en  copte,  être  affecté  d'une  voyelle  à 
placer  avant  le  t  ou  avant  le  f.  Ceci  posé,  et  abstraction  faite 
de  la  voyelle  indiquée  par  la  barre,  nous  avons  à  chercher  l'analogue 
copte  d'un  mot  T  F  ou  tb,  parce  que  le  q  démotiq^e  représente 
aussi  bien  un  b  qu'un  f. 

Deux  mots  coptes  composés  de  ces  mêmes  articulations  essentielles 
nous  offrent  des  sens  convenables.  Ce  sont  : 

1"  a\T^c|)  5  OTTT ,  ferre,  portare  (  PI.  VII,  6),  des  textes  sacrés, 
dans  lesquels  il  signifie  constamment  offrir^  donner,  présenter,  ou 
offrande,  don,  présent. 

2°  Ta\^,  nro£i;  "TaimÊLE,  "TOOÊiB,  ^a\ÊE,  reddere, 
sohere,  exsohere,  retribuere,  rependere.  Nous  pouvons  choisir  entre 
ces  deux  mots,  et  traduire,  dans  le  premier  cas,  par  II  a  offert,  il 
a  présenté;  »  dans  le  second  cas,  par  //  a  acquitté,  rendu,  payé. 

Le  régime  constant  de  ce  verbe  nous  est  donné  par  un  mot  dont  le 
tracé  présente  plusieurs  variantes.  C'est  le  mot  (PI.  VII,  7),  que  nous 
trouvons  écrit  ainsi  simplement  dans  le  texte  7,  tandis  que  les  textes 
1,3,4,6,  nous  l'offrent  compliqué  d'un  signe  (PI.  VII, 8), et  enfin  le  texte 
8,  sous  la  même  forme ,  mais  suivi  de  deux  signes  de  plus  (PI.  VII,  9). 
Les  lettres  essentielles  qui  constituent  la  première  variante  se  lisent 
Ojcg.  La  seconde  forme  comporte  un  signe  final  qui  n'est  pas  une 
lettre  démotique  connue  dans  les  anciens  textes ,  mais  qui  se  trouve 
fréquemment  employé  dans  le  manuscrit  de  Leyde ,  oii  il  est  une 
fois  (colonne  ix,  ligne  9),  transcrit  HX.  Malheureusement  cette  tran- 
scription ne  me  paraît  pas  parfaitement  sûre.  Je  n'hésite  donc  pas  à 
déclarer  que  j'ignore  encore  la  consonnance  qui  appartient  à  ce  signe, 
si  toutefois  il  en  comporte  une,  puisqu'il  manque  une  fois.  La  der- 
nière forme  extraite  du  texte  rf  8  est  munie  du  caraâtère  final  im- 
prononçable (PI.  VII,  10)  précédé  d'un  i,  et  du  signe  mdéterminé  en 
question,  mais  qui  cette  fois  se  rapproche  d'une  manière  frappante  du 
signe  qui  dans  les  noms  propres  représente  le  radical  OJE,  fils.  Si 
cette   hypothèse  était  juste,  nous  aurions  dans  ce  cas   le   mot 

Cherchons  maintenant  ce  que  peut  signifier  ce  mot.  En  copte, 


788  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

cgo'^ojo'îf  veut  dire  laudare,  laus,  gloria;  mais  ce  qui  vaut  mieux 
encore,  ajaiO'^fajX,  et  UjO'^cyaiO'^cgx,  veut  dire  «am^cium , 
d'où  cyoxojo'îfajs ,  adorare,  Tipoaxvveiv ,  ojO'îfcyXs'^ajx  , 
sacrificmm,  holocaustum,  EpojaïOnfOjx,  et  Epcyo'^Oja^O'^ajx, 
sacra  facere,  sacrificare,  et  enfin  JUiisitEpajaiO'ï^ajx,  et 
AJ-x.nEpojo'îfajaiO'^ajx,  altare,  ecclesia. 

Il  y  a,  je  crois,  peu  de  témérité  à  voir  dans  le  mot  ojmO'^ajs 
l'analogue  du  mot  égyptien  que  je  viens  d'isoler  pour  l'étudier.  Je 
n'hésite  donc  pas  à  traduire  les  premiers  mots  de  la  phrase  formulaire 
dont  je  m'occupe  par  :  «  Il  a  offert  son  adoration  ;  »  ou  par  :  «  Il  a 
payé,  il  a  acquitté  son  adoration;»  expression  en  tout  semblable  à 
notre  expression  française  :  Rendre  hommage, 

11  est  inutile ,  je  pense ,  de  faire  observer  la  structure  du  mot 
ojajcys ,  extrait  du  texte  n°  8 ,  et  la  parfaite  identité  qui  existerait 
entre  le  copte  OjovojaiO'îfajï  et  le  mot  égyptien,  s'il  était  lu 
d'une  manière  certaine. 

Je  passe  actuellement  au  mot  qui  suit  ceux  que  je  viens  d'analyser. 
Ce  mot  se  lit  sept  fois  xyi>^,  et  une  fois  seulement  ^l>^  (texte  1). 
Sa  signification  nous  est  fournie  par  les  contrats  et  par  le  décret  de 
Rosette ,  dans  lesquels  le  titre  Athlophore  est  rendu  par  les  mots 
(PI.  VII,  11)  qEXHE  pmsp  XtmKmoj  ^5.^,  suivis  d'un 
Tiom  royal.  Une  analyse  tout  au  moins  bien  probable  démontre  que 
ces  mots  égyptiens  signifient  littéralement  :  «  Celui  qui  porte  le  fouet 
de  la  puissance  devant,  etc.  »  Le  copte  a  conservé  ce  mot  dans  le 
thébain  ^z>^  ,  duquel  Peyron  dit:  Incertam,  fartasse  est  mem- 
phuicum  xxo^,  aspectus;  âxâxi>^  notât  datimm,  quasi  con- 
spectal.  Ce  savant  grammairien  donne  alors  les  exemples  suivants,  qui 
ont  une  liaison  fort  intime  avec  la  phrase  même  que  je  cherche  à  ex- 
pliquer :  z^q-r^KAcq  E^pM  î\6l\x?;  J^JW-i.^  TT-^OEÏC 
oblulit  eiim  holocaustum..,.  Domino.  Z>x^l>.?\OOX  E>p2^.\,.. 
M 5  î\\/\    x^MXi>^   TT^OEX  C ,  obti^lerunt  eum  holocaustum  Domino . 

^'^ESpE  îV^EX^é^XxA. .  .  ,  JU.JW-2>>  IT'^OEXC,  fecerant  holo- 
causta,..  Domino.  Probablement  notre  mot  égyptien  (PI.  Vil,  12)  et 
le  copte  thébain  axz»^  sont  identiques. 


ACTES  D'ADORATtON,  OU  PROSCYNÈMES.  789 

Mais  comment  se  fait-il  qu'une  fois,  au  lieu  de  jw-S.^  ,  nous  lisions 
^^è  '  ^*  ^^  ^^^  "^^^  P^^  composé  d'une  préposition  Jtf.,qui  peut  se 
changer  sans  inconvénient  en  K,  et  d'un  radical  5-^  (PI.  VII, 
13)?  Nous  connaissons  très-bien  déjà  sous  cette  même  forme  le 
substantif  qui  représente  l'idée,  la  vie,  et  qui  est  identique  avec  le 
copte  2»>E,  ayant  la  même  signification.  Quelle  liaison  peut-il 
exister  entre  les  mots  dans,  ou  à  la  vie,  et  une  particule  caractéristique 
du  datif?  A  cela  je  répondrai  que  i>^z>  veut  dire  non-seulement 
vita  et  vivere,  mais  encore  stare,  sistere  se,  manere;  de  sorte  que 
jul2>.>E  et  î^2>^>E ,  signifient  réellement  dans  la  station,  à  la  sta- 
tion, pour  au  point  où  se  tient,  où  demeure;  avec  ce  second  sens 
du  mot  Z>>E,  notre  expression  égyptienne  devient  juste,  l'origine 
de  l'expression  copte  s'éclaircit,  et  la  règle  de  la  persistance  de 
l'orthographe  démotique  se  vérifie.  En  résumé,  notre  mot  signifie 
certainement,  au  point  où  se  tient,  ou  en  présence,  pour  deçant,  et 
nous  avons  reconnu  l'expression  de  l'idée  :  «  Il  a  offert  son  adoration 
à;  »  ou,  c(  il  s'est  acquitté  de  son  adoration,  en  présence  de,  etc.  »  Il 
est  clair  maintenant  que  si  cette  traduction  est  légitime,  nous  devons 
immédiatement  après  le  mot  ju.2>.  s^  trouver  le  nom  de  la  divinité 
à  laquelle  le  proscynème  est  adressé.  Or,  c'est  précisément  ce  qui 
arrive  avec  une  régularité  parfaite.  Notre  mot  égyptien  xxi>S>^ 
(PI.  VII,  1 2)  paraît  dans  huit  des  dix  proscynèmes  recueillis  par  Nestor 
L'Hôte,  et  les  huit  fois,  sans  exception,  il  est  suivi  de  la  sigle  divine 
dont  je  me  suis  occupé  plus  haut,  et  qui  s'applique  à  Ammon  géfié- 
rateur  Inutile  de  revenir  ici  sur  la  composition  de  cette  sigle  dont 
la  signification  nous  est  bien  connue,  sans  qu'il  soit  possible  d'émettre 
autre  chose  que  des  hypothèses  plus  ou  moins  probables  sur  sa  pro- 
nonciation. 

Passons  à  l'analyse  des  groupes  qui  séparent  ce  nom  divin  de  l'ex- 
pression déjà  expliquée  (PI.  VII,  14),  ojXn  !^e^E,  à  toujours. 

Dans  le  proscynème  n**  1 ,  aussitôt  après  la  sigle  d'Aramon  créateur, 
vient  un  groupe  qui  est  parfaitement  déterminé,  parce  qu'il  se  ren- 
contre à  chaque  instant  dans  le  décret  de  Rosette  et  dans  les  contrats. 
C'est  le  groupe  Dieux,  au  pluriel;  il  est  suivi  d'un  groupe  dont  je  ne 
me  rends  pas  compte ,  mais  qui ,  je  le  suppose,  forme  avec  le  précé- 
dent une  expression  analogue  à  celle  de  ôzolc  (jvvvocoiç^  que  nous 


790  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

oflrent  parfois  les  proscynèraes  grecs.  Peut-être  l'expression  égyp- 
tienne s'éclaircira-t-elle  plus  tard,  quand  de  nouveaux  textes  seront" 
venus  à  notre  secours. 

Les  différentes  expressions  intercalaires  en  question  (PL  VII ,  b) 
se  lisent  : 

N°  3,  irav  Ti'^roE  ou  imo'^E. 

N°  4,  nm  TTTro-^E. 

N''  7,  irav,  suivi  de  l'indice. 

N»  8,  Tîm    TTTO'^E. 

L'article  singulier  masculin  n'est  pas  méconnaissable  dans  ces  di- 
verses expressions  ;  nous  avons  donc  certainement  deux  mots  distincts 
à  étudier  séparément  :  cxv,  et  T^c^^E,  lesquels  d'ailleurs  sont  sé- 
parés à  dessein,  dans  le  texte  3,  par  une  petitebarre  faisant  fonction  de 
signe  de  ponctuation.  a\,  a\av,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  vu, 
signifie  :  concevoir,  produire;  conception,  production,  c'est  donc  le 
créateur,  le  producteur  que  signifie  ce  mot  muni  de  l'article.  Remar- 
quons en  passant  que  cette  interprétation  du  groupe  (PI.  VII,  15) 
tend  à  prouver  que  c'est  bien  le  sens  de  faire  qu'il  faut  appliquer  au 
radical  (PL  VII,  16),  quand  il  précède  le  mot  (PL  VII,  13)  dans  les 
invocations  initiales  des  textes  9  et  2. 

Quant  au  mot  nrOE ,  TO'^^E ,  c'est  le  copta  ts.'^e  ,  T5.Y0 , 
nfO'îfOj  TîxO'^X».,  ^Xl>^O^Z,  "^z^o^OfProdiicere,  emittere,  à 
propos  duquel  Peyron  dit  :  Componitur  a  nr,  dare  et  c^^CLV,  germen, 
quasi  germen  emittere.  Il  serait  difficile,  je  crois,  de  trouver  un  verbe 
qui  fût  en  relation  plus  directe  avec  l'attribut  -caractéristique  de 
l'Ammon  générateur. 

Maintenant  que  nous  sommes  arrivés  à  l'analyse  complète  de  la 
deuxième  phrase  formulaire  des  proscynèmes,  nous  devons  aborder 
franchement  ces  textes  démotiques,  et  nous  efforcer  de  les  éclaicir 
par  eux-mêmes;  car  le  précieux  secours  de  la  comparaison  nous 
échappe.  En  opérant  ainsi ,  on  peut  bien  espérer  sans  doute  de  faire 
quelques  pas  de  plus  en  avant;  mais  on  ne  doit  pas  se  flatter  d'arriver 
à  l'intelligence  parfaite  des  textes  en  si  petit  nombre  que  nous 
avons  sous  les  yeux.  J'espère  donc,  moucher  Confrère,  que  vous 
voudrez  bien  me  tenir  compte  de  mes  efforts,  en  perdant  de  vue  la 
médiocrité  des  résultats  auxquels  je  vais  parvenir. 


ou  PROSCYNÈMES.  791 

Puisque  rien  ne  peut  plus  éclairer  notre  nnarche,  il  n'y  a  plus  de 
raison  pour  intervertir  l'ordre  que  j'ai  assigné  aux  monuments  qu'il 
s'agit  d'expliquer;  je  vais  donc  commencer  par  le  proscynème  d'el- 
Hammamat,  dont  le  texte  porte  le  n°  1  ;  et  quand  j'en  aurai  tiré 
toute  la  lumière  qu'il  m'est  permis  d'en  tirer,  je  passerai  au  second, 
et  ainsi  de  suite. 

El'Hammamat  (  route  de  Qossejr),  n°  1. 

Le  texte  de  ce  proscynème  débute  par  un  groupe  (PI. VII,  17) 
dans  lequel  il.  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître  sur-le-champ  une 
date  d'année,  comme  en  contiennent  tous  les  contrats  démotiques  et 
le  décret  de  Rosette  lui-même.  Il  suffit  d'ouvrir  le  savant  livre  de 
Kosegarten  pour  s'en  assurer.  En  effet,  tous  les  protocoles  des 
contrats  commencent  par  un  groupe  non  phonétique  (PI.  VII,  18), 
suivi  d'un  chiffre,  comme  cela  se  présente  dans  notre  proscynème. 
Je  traduis  donc,  sans  crainte  de  me  tromper,  le  premier  groupe  par 
Vannée^  Quant  au  chiffre  représenté  par  les  deux  signes  superposés 
(PI.  VII,  19),  il  se  lit  26,  ainsi  que  le  constate  le  tableau  rédigé 
par  Young  et  publié  depuis  sa  mort. 

La  date  du  proscynème  n°  1  est  donc  l'année  26  ;  vient  ensuite 

la  particule  de  flexion  — ,  k  ;  puis  le  mot  JUL2s^a\2>.p,  Roi,  et  le 

nom  propre  TTTpo^W-EXC  n  TTTpO^ESC.  Ces  noms,  qui  ne 
sont  pas  accompagnés  cette  fois  des  rudiments  du  cartouche  royal, 
sont  suivis  d'un  groupe  (PI.  VII,  20)  se  transcrivant  immédiatement 
NTF,  ou  NTB  R.  3  (plus)  1  ;  c'cst  évidemment  là  la  date  du  jour; 
TF  ou  TB ,  c'est  le  mois  de  tôby ,  u  c'est  le  mot  ra  ,  soleil  pour 
jour,  et  les  deux  chiffres  juxtaposés  3  et  1  nous  donnent  le  nombre  4. 
Nous  avons  donc  en  définitive  pour  le  commencement  de  notre  pros- 
cynème: c(  L'an  26  du  Roi  Ptolémée  fils  de  Ptolémée,  de  tôby  le  4.))  Je 
n'ai  pas  connaissance  d'une  seule  autre  date  égyptienne  où  le  nom  du 
mois  soit  écrit  en  toutes  lettres,  les  mois  étant  d'ordinaire  désignés 
par  un  chiffre  d'ordre  et  le  nom  de  la  tétraménie  à  laquelle  ils  appar- 
tenaient. Je  crois  ne  pas  me  tromper  en  voyant  dans  l'ensemble  des 
douze  signes  qui  suivent  cette  date  le  nom  propre  de  l'auteur  du 
proscynème  et  celui  de  son  père,  liés  entre  eux,  comme  plus  haut  les 
deux  noms  Ptolémée,  par  la  simple  particule  de  flexion,  faisant  cette 
fois  fonction  de  l'indice  de  filiation.  Ici  l'embarras  devient  très- grand 
pour  quiconque  veut  essayer  de  transcrire  ce  texte.  En  effet,  les 


792  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

noms  propres  démotiques  sont  presque  toujours  plus  que  difficiles  à 
prononcer  et  même  à  comprendre;  et  sans  les  nombreuses  transcrip- 
tions des  noms  de  ce  genre  obtenues  par  l'heureuse  rencontre  des  an- 
tigraphes grecs  de  certains  contrats  démotiques,  nous  serions,  pour 
les  noms  les  mieux  connus  aujourd'hui,  réduits  encore  à  exprimer  la 
même  incertitude  que  lorsqu'il  s'agit  de  noms  s'oiTrant  à  nous  pour  la 
première  fois.  Je  n'hésite  donc  pas  à  déclarer  franchement  que  la 
lecture  des  noms  propres  démotiques  est  infiniment  plus  difficile  que 
celle  des  mots  d'un  texte  courant,  parce  que  ces  noms,  presque  tou- 
jours munis  d'une  signification  religieuse,  comportent  une  foule  de 
sigles  conventionnelles  dont  il  serait  ridicule  de  chercher  a  priori 
le  sens  et  la  prononciation.  Il  faut  donc  se  contenter  le  plus  souvent 
de  reconnaître  dans  ces  noms  propres  quelques-unes  des  parties  qui 
les  composent. 

Ici  le  premier  nom ,  c'est-à-dire  le  nom  de  l'auteur  du  pros- 
cynème,  se  compose  des  six  signes  (PI.  VII,  21),  dans  lesquels 
je  crois  reconnaître  d'abord  le  symbole  Dieu,  puis  le  mot  ITCJJE 
le  fils,  et  enfin  la  sigie  connue  du  nom  divin  Ammon;  nous  aurions  ainsi 
le  nom  '^HpTTajEnSy.Jm-OX^jTerpsenammon,  le  Dieu  fils  d  Ammon 
Je  le  répète,  je  ne  prétends  en  aucune  façon  donner  cette  lecture 
pour  certaine;  c'est  un  essai  que  je  propose,  rien  de  plus.  Quant  au 
nom  du  père,  il  est  composé  de  signes  mal  définis  (PI.  Vil,  22), 
et  je  n'en  devine  pas  la  consonnance  :  ce  nom  commence  bien  par  la 
lettre  a  ,  e  ou  i  que  semblent  suivre  un  m  et  un  i ,  puis  la  sigle 
de  Rè,  ce  qui  donnerait  ejule,  \JUle,  îjulS,  la  science, ne  de  Rè. 
Mais  cette  explication  est  par  trop  douteuse  pour  que  j'y  tienne 
en  aucune  façon. 

Les  caractères  qui  suivent  ces  noms  propres  sont  les  suivants 
(PI.   VII,  23). 

Leur  transcription  en  lettres  coptes  nous  donne  OTît  ^ïï  -W- 
UUTî.  En  effet,  les  cinq  premiers  signes  ont  des  valeurs  indubita- 
bles et  bien  déterminées  ;  le  sixième,  qui  offre  une  analogie  frappante 
avec  le  chiffre  démotique  7,  reconnu  et  publié  par  Young,  ne  peut 
guère  avoir  ici  cette  valeur  ;  et  s'il  en  est  ainsi ,  il  devient  probable 
que  ce  signe  constitue  une  ligature  des  deux  caractères  distincts 
(PI.  Vil ,  24),  dont  le  premier  est  l'article  pluriel  et  le  second  la  particule 
de  flexion;  les  deux  derniers  sont  de  transcription  certaine.  Or,  si 
nous  coupons  cet  ensemble  de  lettres  de  la  manière  suivante  : 


ACTES  D'ADORATION  ,  OU  PROSCYNÈMES.  793 

Onrit  HTK  JULUnnri  ,  nous  pouvons  en  trouver  le  sens.  En  efl'et, 
le  premier  mot  est  comparable  au  copte  O'^aiTU  E^O?^,  lihare  , 
effundere,  libatio;  TH  est  le  copte  "T^K ,  ihi,  illic,  illo  in  loco  ;  jw. 

esl  la  préposition  in  ;  et  le  groupe  rt  w^S ,  si  nous  en  détachons  les  si- 
gnes caractéristiques  du  pluriel  (PI.  VII,  25),  nous  fournit  un  mot 
(PL  VII,  26),  composé  de  la  particule  k  et  du  radical  t  ,  faire  ac- 
complir. 

En  conséquence  je  traduirais  ce  passage  ainsi  qu'il  suit  :  «A  fait  des 
libations  en  ce  lieu,  comme  elles  doivent  être  accomplies  (littérale- 
ment :  dans  les  choses  à  accomplir).  » 

Le  sens  que  je  donne  au  mot  JU.nuTî  est ,  en  quelque  sorte , 
justifié  par  l'existence  des  composés  analogues  que  j'extrais  du  décret 
,de  Rosette ,   îVJULnKHA5-Bp  ,  les  dedans  pour  ceux  de  V Egypte , 

pour  les  habitants  de  V Egypte  ;  ^Jtx^^h.wc^'iX^ ,  les  choses  dedans 
de  la  loi  à  accomplir,  pour  les  cérémonies  instituées  à  accomplir. 

Le  mot  qui  suit  et  qui  termine  la  ligne  est  le  mot  wz>z>d{P\.\U, 
27),  limage,  tel  que  nous  l'offre  le  décret  de  Rosette,  mais  suivi 
de  l'indice  et  d'une  figure  carrée  qui  est  très-probablement  le 
symbole  déterminatif  d'une  pierre,  symbole  qui ,  dans  le  décret  de 
Rosette,  accompagne  les  mots  O'^EXT  et  !;^EpîK  par  lesquels  le 
rédacteur  a  désigné  la  sorte  de  pierre  dure  qui  devait  recevoir  le 
décret  trilingue. 

Vient  ensuite  le  mot  ^2>.^a.\2sp,  Roi,  précédé  de  la  particule 
de  flexion.  Ici  nous  devons  nous  attendre  à  trouver  le  nom  du  per- 
sonnage royal  devant  l'image  duquel  les  libations  ont  été  faites,  et 
nous  lisons  : 

ARTEI   EN   ARSNE. 

Chacun  des  deux  noms  propres  étant  suivi  de  l'indice  ordinaire ,  le 
troisième  caractère,  c'est-à-dire  celui  qui  est  souscrit  à  I'r  du  pre- 
mier nom  ^  est  incertain  ;  ce  peut  être  un  p,  un  k,  mais  c'est  plutôt 
un  T.  Ce  premier  nom  peut  donc  se  lire  artei  ou  arpei,  arkei; 
de  plus,  la  voyelle  initiale  est  une  de  ces  voyelles  vagues  dont  le 
son  n'est  pas  déterminé ,  et  qui  peut  se  lire  aussi  bien  e  et  o  que  a. 
Quant  au  second  nom,  c'est  certainement  le  nom  Arsinoe,  dont 


794  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

toutes  les  articulations  essentielles  ont  été  tracées  ;  le  premier  pré- 
sente de  l'analogie  avec  les  noms  Orphée ,  Alphée,  et  Aridée,  Quel 
est  le  prince  qui  est  ainsi  désigné?  je  l'ignore. 

Le  verbe  0'<^UL\^ît  n'est  pas  accompagné  du  pronom  affixe  q 
de  la  troisième  personne,  parce  que  le  sujet  qui  le  régit  le  précède 
immédiatement.  La  règle  que  j'ai  eu  l'occasion  de  citer  plus  haut  sur 
l'emploi  des  pronoms  sujets  placés  en  suffixes  se  vérifie  donc  en  ce 
point. 

En  résumé,  la  première  phrase  du  proscynème  en  question  se 
transcrit  : 

L'année  26  k  JW-5.niav^p   TTnrpo^ESC    K    TTT^pOJULEXC  , 

TK  JULKmrx  i\i>i.6z.  ît  JW-Xs-T^atisp  3y.pT^Ex  k  3y.pcnE. 
et  se  traduit  : 

(c  L'année  26  du  roi  Ptolémée ,  fils  de  Ptolémée ,  de  tôby  le  qua- 
«tre,  Terpsenammon?  fils  d'Eimiré?a  offert  des  libations  en  ce 
(clieu,  selon  les  rites  prescrits,  à  l'image  du  roi  Ariteï?  fils 
c(  d'Arsinoë.  » 

La  phrase  qui  suit  a  déjà  été  expliquée  ;  elle  se  transcrit  : 

Tai^iq  ojaio'^ajEX  xv  ^.^e  C.  nnrHpo**-  ???  cjgz.  !:^ete 
et  se  traduit  : 

«  Il  a  offert  ou  acquitté  son  adoration  à  Ammon  générateur ,  et 
((  aux  dieux  du  temple?  à  toujours.  » 

Ce  proscynème  est  terminé  par  deux  groupes  (PI.  VII,  28), 
qui  ne  se  trouvent  dans  aucun  autre,  après  la  formule  de  clôture 
OJX.  •i^ETE. 

Cherchons  le  sens  de  ces  mots.  La  première  lettre  est  un  r  ;  la 
deuxième  est  une  voyelle  a,  e  ou  i,  et  c'est  ce  groupe  formé  d'un  r 
et  de  la  voyelle  ainsi  longuement  prolongée  au-dessous  de  la  ligne 
courante ,  qui  dans  les  textes  représente  les  idées  écrire  et  scribe. 

Ainsi,  par  exemple,  dans  la  suscription  du  papyrus  36  de  Berlin, 

nous  lisons  (  PL  VII, 29)  pXs  UIp  xv  (:\i>-Bi.Z\,scripsitOrusfilius 
Phahilis,  De  même  dans  le  texte  du  décret  de  Rosette  nous  trouvons 
le  même  mot  (  PI.  VII ,  30)  dans  le  nom  des  hiérogrammates  et  des 
ptérophores. 

Pi^  en  copte  veut  dire  facere;    Ta\D ,    T^ED,    T^aï^Ej 


ACTES  D'ADORATION,  OU  PROSCYNÈMES.  795 

Ta\a\6t5  signiûe  adjmgere ,  affigere,  plahtare,  et  avec  la  particule 

EÊoA  ,  ajfigere  charlam  seu  edidiim  in  loco  puhlico  ;  le  substantif 
de  la  même  forme  a  du  nécessairement  exister,  et  par  suite  l'ensemble 
des  deux  mots  signifie  très-probablement  :  a  II  a  écrit  cette  afflche, 
il  a  tracé  cette  inscription.  »  Ici  le  pronom  sufGxe  ne  paraît  pas.  Cela 
tient-il  à  ce  que  le  sujet  est  le  même  que  pour  le  membre  de  phrase 
qui  précède ,  et  l'emploi  de  ce  pronom  suffixe  n'était-il  obligatoire  que 
dans  les  cas  oii  le  sujet  changeait,  comme  cela  a  lieu  pour  la  particule 
cJ  arabe?  c'est  ce  que  je  ne  me  permettrai  pas  de  décider. 

Le  sens  général  que  je  viens  d'obtenir  pour  le  proscynème  n"  1  me 
paraît  assez  simple  et  assez  naturel  pour  que  je  croie  pouvoir  le  pro- 
poser avec  quelque  conûance  (l).  Je  passe  au  n«  2. 

El-Hammamat  (route  de  Qosseyr) ,  n"*  2. 

Cette  fois,  sauf  le  nom  de  l'auteur  du  proscynème  ,  tout  nous  est 
déjà  connu.  Ce  nom  commence  par  la  sigle  Ammon  ;  mais  les  signes 
de  la  fin  en  sont  tout  à  fait  incertains.  Le  nom  du  père  semble  écrit 
Uj[2>.TTî\T^E  ;  mais  je  ne  me  charge  pas  plus  de  le  prononcer  que  de 
l'expliquer.  Ce  proscynème  se  transcrit  donc  : 

C.  o'^av   05.^E  5^5î  TTpoj  ^raTJULEC  (ounraiJW-s)  îy 

et  se  traduit  : 

«0  Ammon,  générateur,  germe  créateur  delà  vie,  reçois  l'ado - 
«ration  convenable  d'Ammon....  fils  de  Chapente?  à  toujours.  » 

Cette  fois  le  texte  du  proscynème  ne  nous  fournit  aucune  date. 

El-Hammamat  (route  de  Qosseyr),  n^  3. 

Il  en  est  de  ce  proscynème  comme  du  précédent  ;  tout  est  déjà 
transcrit  et  traduit,  à  l'exception  du  nom  propre  de  son  auteur  Les 
caractères  qui  composent  ce  nom  nous  sont  tous  bien  connus ,  nous 
lisons  donc  sans  hésitation 

Le  premier  nom  est  suivi  de  la  lettre  (PI.  VII,  31)'p,  qui  dans  le 

(1)  C'est  ce  proscynème  qui  a  fourni  à  M.  Letronne  le  sujet  de  l'intéressante  lettre 
que  ûous  avons  offerte  à  nos  lecteurs  dans  le  numéro  précédent.  ÇS^otede  V éditeur.) 


796  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

texte  même  du  décret  de  Rosette  suit  tous  les  noms  propres  autres  que 
les  noms  royaux ,  et  qui  pour  cette  raison  me  paraît  l'initiale  du  mot 
égyptien  et  copte  p5.l\ ,  qui  signifie  nom.  Le  nom  du  père  est 
suivi  de  l'indice  ordinaire. 

Ce  proscynème  se  transcrit  donc  : 

nraïqq   cgaioYujES  -w-^^  C.  iTa\aT  ttx^o-^e   cys. 

!KE"TE. 

«Reçois  l'adoration,  action  convenable  de  Phibo,  fils  de  Fima- 
«  gué  ;  il  a  offert  ou  acquitté  son  adoration  à  Ammon  générateur,  le 
«  Dieu  qui  conçoit ,  le  Dieu  qui  produit ,  à  toujours.  » 

El-Hammamat  (route  de  Qosseyr) ,  n°  4. 

Ce  proscynème  commence  par  la  phrase  : 

2>.5î  TTaipaj  Jbx-  TaTJW-E 

«Reçois  l'adoration  souverainement  juste  ou  convenable.  » 

Les  cinq  derniers  signes  de  la  première  ligne  et  les  sept  premiers 
de  la  ligne  suivante  constituent  vraisemblablement  les  noms  de 
l'auteur  du  proscynème*  Ces  noms,  je  ne  les  déchiffre  pas.  Vient  en- 
suite un  groupe  de  trois  lettres,  suivi  de  la  particule  ,  de  flexion  et 
de  la  même  expression,  TTa\paj  ^2>.  TtUJU-E;  l'adoration  sou- 
verainement juste. 

Après  ces  mots  vient  le  chiffre  6  (PI.  VII,  32)  ;  ce  qui  me  fait  pré- 
sumer que  le  groupe  trilittère  qui  commence  la  phrase  en  question  est 
l'image  d'un  verbe  actif  dont  le  mot  iTUJpOj  est  le  régime  direct, 
comme  faire,  accomplir;  nous  aurions  ainsi  une  phrase:  il  a  fait 
K  iraipcg  Jbz^T^aTJU-E  CO,  c'est-à-dire  il  a  accompli  six 
proscynèmes.  On  peut  objecter  que  dans  le  copte  le  seul  nombre  qui 
suive  le  nom  auquel  il  se  rapporte  est  le  nombre  deux ,  tous  les 
autres  se  plaçant  devant;  ceci  est  très-juste  sans  doute;  mais  si  une 
exception  pour  le  nombre  deux  existe  encore,  il  y  a  ,  ce  me  semble, 
moins  de  témérité  à  supposer  que  la  même  règle  de  position  a  pu 
être  en  usage  pour  les  autres  nombres ,  dans  un  temps  beaucoup 
plus  reculé,  et  quand  la  langue  égyptienne  était  moins  altérée. 

Je  ne  saisis  ensuite  que  quelques  mots  ;  mais  si  je  n'ai  pas  été 


ACTES  d'adoration,  OU   PROSCYNÈMES.  797 

assez  heureux  jusqu'ici  pour  en  trouver  la  liaison ,  je  ne  désespère 
pas  dy  parvenir  quelque  jour.  Voici,  en  attendant  mieux,  ce  que  je 
reconnais  avec  certitude  :  après  le  signe  qui  me  paraît  être  le 
chiffre  6  vient  la  particule  (PI.  VII,  33),  image  du  pronom  relatif 
qui,  que,  et  formative  des  participes;  le  radical  auquel  est  jointe  cette 
particule  se  compose  d'une  seule  lettre  bien  connue  dont  la  valeur 
est  T.  11  faut  donc  lire  Enrnr,  et  le  sens  de  ce  mot,  fourni  par  le 
décret  de  Rosette,  est  ^wctm.  Aussitôt  après  paraît  le  mot  JW.2>.nra\2>.p, 
Roi,  et  ce  mot  est  évidemment  au  vocatif;  c'est  le  titre  donné  au 
Dieu  du  temple  par  l'auteur  du  proscynème  dans  sa  prière.  La  fin  de 
cette  ligne,  bien  qu'à  peu  d'exceptions  près  tous  les  signes  en  soient 
connus,  ne  me  fournit  aucun  sens  probable. 

La  ligne  suivante  commence  très -certainement  par  le  mot 
î^O'^^EUm,  les  Grecs;  un  peu  plus  loin  se  trouve  la  sigle  d'Am- 
mon  générateur,  puis  une  nouvelle  série  de  mots  que  je  ne  lis  pas. 

Vient  enfin  la  cinquième  ligne  que  nous  avons  analysée  déjà  tout 
entière  et  qui  se  lit  : 

"xaiq  ojaio'^aîEx  ^^^  C.  TiaT  îtx^to'^e  ojx.  î^ete. 

«  Il  a  offert  ou  acquitté  son  adoration  à  Ammon  le  créateur,  le 
«  producteur  à  toujours.  » 

Il  est  bon  de  remarquer  que  ce  proscynème  est  clos  par  une  croix , 
négligemment  tracée,  et  dont  évidemment  le  rôle  est  celui  d'un  simple 
signe  final  imprononçable. 

El-Hammamat ,  n°  5 , 

Le  proscynème  que  je  vais  actuellement  analyser  présente  quelques 
parties  dont  l'interprétation  est  certaine,  et  quelques  autres  sur  le 
compte  desquelles  je  ne  puis  et  ne  veux  m'exprimer  qu'avec  une 
entière  réserve. 

Le  premier  groupe  se  lit  inp2>.  ,  et  nous  avons  vu  déjà  que  ce 
mot  pis  y  avec  l'orthographe  qui  se  retrouve  ici ,  avait  dû  signifier 
écrire.  Il  y  a  pour  ce  mot  deux  sens  possibles  entre  lesquels  je  n'ose 
choisir.  En  effet  il  peut  offrir  :  la  première  personne  du  futur 
ESî^^^p^-  y]  écrirai,  comparable  au  futur  (PI.  VII,  '^^) ,  je  jetterai , 
qui ,  dans  le  manuscrit  de  Leyde ,  remplace  le  mot  grec  Trpoo-ps^'w 
de  l'imprécation  suivante  (col.  viii,  lignes  25-29). 

Myî  /me  ^twxe  o^z  olvo-^  7r«7rtTreTov  asTovêavsç  (Sao-raÇw  ttîv  T«cpy;v 


798  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Tov  Offtpswç  /ai  £7ray w  zaTacrQyjffat  «yryjv  eç  (sic)  a^idoç  xaTaoryjdat 
£iç  T«ç  rocç  (sic),  y.ai  zaTaôecOai  sic....  ocy^xç  eav  f^oi  o^e  xoirouç 
Trapao'^y)  7rpûO'p£if'w  «uttîv  «utw. 

Les  lignes  29  à  31  de  cette  même  colonne,  écrites  en  caractères 
démotiques  sont  sans  aucun  doute  la  traduction  de  l'imprécation 
grecque,  ainsi  que  Leemans  et  Reuvens  l'ont  soupçonné;  et  il  est 
possible  de  s'en  convaincre,  bien  que  tout  ne  soit  pas  clair  dans  la 
transcription  et  dans  la  traduction  de  ce  passage. 

Le  dernier  membre  de  la  phrase  égyptienne  (PI.  VII,  35) 
doit  correspondre  au  grec  Trpoapg^w  amnv  «vtcù  ;  le  premier  mot 
(  PI.  VII,  34)  se  transcrit  immédiatement  ESXt^O'^X.  Or  le  verbe 
copte  ^XOX\.  M.  >xo'^E.  T.  s\gn\ï\e  percutere ,  injicere,  proji- 
cere,  la  première  personne  du  singulier  du  futur  de  ce  verbe  serait 
EXUis^IO'îfS  ,  et  c'est  précisément  ce  que  nous  offre  notre  groupe 

égyptien  ;  celui-ci  signifie  donc  injiciam;  quant  à  Trpoo-ps^J^w ,  ce  n'est 
pas  un  mot  grec  régulier  et  connu;  car  ptTiTw  qui  veut  dire  jor^ci- 
piter,  jeter  en  bas,  lancer,  fait  au  futur  pt^w  ;  il  est  d'ailleurs  probable 
que  le  TrpodpE^'w  du  manuscrit  avait  la  même  signification  que 
l'égyptien   ExnXs^îO'^X. 

Si  l'on  remarque  l'identité  de  ce  futur  démotique  et  du  futur  copte, 
on  est  en  droit  d'en  conclure  que  le  «^inuscrit  de  Leyde  est  plus 
moderne  que  tous  les  autres  textes  démotiques  connus.  Comparons 
maintenant  le  futur  Em^>XO'*S  au  groupe  EiîtZspx.;  ces  deux 
formes  sont  identiques  à  cela  près  que  la  particule  £ ,  indicative  du 
présent,  ne  se  trouve  pas  dans  le  mot  extrait  du  proscynème;  est-il 
permis  dès  lors  de  voir  dans  celui-ci  un  futur  de  même  forme?  c'est  ce 
que  je  ne  me  permettrai  pas  de  décider.  Si  c'est  un  futur  nous  avons 
le  sens  :  f  écrirai  ;  si  ce  n'est  pas  un  futur  nous  avons  alors  les  trois 

mots  E5   K    ^B^fje  viens  ou  je  suis  venu  pour  écrire;  on  peut  choisir 
entre  ces  deux  leçons. 

_  Vient  ensuite  un  petit  trait  qui  peut  être  ou  la  particule  de  flexion 
K  ou  un  simple  signe  de  ponctuation  ;  puis  le  groupe  ordinaire  Roi, 
Je  n'hésite  pas,  pour  ma  part,  à  considérer  ce  mot  comme  un  titre 
au  vocatif  donné  à  la  divinité,  et  dès  lors  je  traduis  :f  écrirai ,  ou 
mieux  :  je  suis  venu  pour  écrire,  ô  Roi!  etc. 
La  fin  de  la  première  ligne  se  transcrit  E<^  EiTEq,  et  le  commen- 


ACTES  d'adoration,   OU  PROSCYNÊMES.  799 

ment  de  la  deuxième  contient  le  chiffre  6  (PI.  VII,  32),  suivi  d'un  trait 
et  de  l'indice  final.  Le  copte  nous  fournit  un  mot  et\E<^,  qui,  placé 
devant  un  nombre ,  indique  le  chiffre  ordinal  d'un  jour  ;  de  telle 
sorte  que ,  si  nous  trouvons  ici  le  même  mot ,  nous  avons  pour 
les  groupes  ETTEq  6  (plus)  1  (oj^-cgq) ,  le  sens  :  le  septième  jour , 
EC^  signifie  proprement  est,  il  est;  il  devient  donc  possible  de  don- 
ner au  membre  de  phrase  égyptien  le  sens  :  le  septième  jour  est,  pour 
est  venu.  Si ,  en  analysant  le  proscynème  n°  4,  je  ne  me  suis  pas 
trompé ,  j'y  ai  trouvé  la  mention  de  six  actes  d'adoration  exécutés 
successivement  ;  il  n'y  a  donc  rien  de  plus  étrange  à  retrouver  ici 
une  indication  de  sept  jours ,  pendant  lesquels  l'auteur  du  proscy- 
nème aurait  accompli  ses  devoirs  religieux.  L'indice  semble  d'ailleurs 
destiné  à  clore  la  phrase,  et  nous  allons  voir  qu'il  joue  le  même  rôle 
plusieurs  fois  de  suite. 
Les  groupes  qui  viennent  après,  jusqu'au  premier  indice  final, 

sont  facilesà  transcrire  :  ils  se  lisent  TTa\ciï  JU  OSOJE.  L'orthographe 
du  mot  TTa\  est  exactement  la  même  que  celle  de  l'épithète  donnée 
à  Ammon  générateur  dans  le  proscynème  4.  Cette  épithète  a  le  sens 
de  créateur,  car  elle  signifie  à  la  lettre  celui  qui  conçoit.  Quant  au 
groupe  julOI  cyE,  je  n'hésite  pas  à  y  retrouver  la  particule  copte 
optative  x%.oi ,  signifiant  littéralement  da,  date,  et  par  extension,  wfi- 
liam.  Le  texte  démotique  du  décret  de  Rosette  nous  offre  fréquemment 
une  particule  homophone  (PI.  VII,  36),  jw-Oî,  qui  précède  tous  les 
impératifs  et  qui  ne  diffère  de  celle  qui  se  reficontre  ici  que  par  la 
substitution  du  signe  (PI.  VII,  37)  à  son  équivalent  (PI.  VII,  38). 
Quant  au  radical  oj ,  j'y  vois  le  copte  cgE,  ire,  venire,  dont  l'impé- 
ratif est  JUL2>.aîE.  Nous  avons  donc  :  ce  Que  le  créateur  ou  que 
((  celui  qui  conçoit  vienne. 

Les  mots  suivants  semblent  se  transcrire  :  TTEXît  tcujul  ,  et  le 
dernier  est  terminé  par  le  signe  (PI.  VII,  10)  accompagné  de  l'indice. 
Le  groupe  TTES  signifie  très-probablement  la  venue,  le  voyage,  c'est  le 
copte  ES,  advenlus,  de  ES,  ire,  venire  :  ce  substantif  est  des  deux 
genres,  puisque  Peyron  {Lex-.,  p.  30)  lui  assigne  les  deux  articles 
^  et  TT.  La  particule  suivante  N  étant  placée  devant  un  verbe  peut 
se  rendre  par  le  latin  ad.  nrat^^  signifie  claudere,  TaïA^pcu^ 


800  REVUE  ARCHEOLOGIQUE. 

TJW-pW-T,  silentium  imponere  (littéralement /èrmerZa  bouche).  Le  signe, 
d'ordinaire  imprononçable  (PI.  VU,  10),  suivi  de  l'indice  qui  comporte 
le  son  tu ,  doit-il  se  prononcer  cette  fois  ?  La  présence  simultanée 
de  deux  signes  imprononçables  semble  légitimer  cette  hypothèse,  et, 
dans  ce  cas,  nous  aurions  pour  le  mot  ^a\JUt-pai  le  sens  ferme  la 
bouche,  impose  silence,  ou  fais  taire.  Peut-être  encore  n'est-ce  pas 
la  lettre  isolée  K  qu'il  faut  voir  après  le  groupe  j\z\ ,  mais  bien  le 
radical  K^.,  venir,  aller,  qui  sert  de  particule  formative  du 
futur.  En  ce  cas,  nous  aurions  le  sens  :  a  Sa  venue  fermera  ma 
bouche.  »  En  résumé,  tout  le  début  de  ce  proscynème  me  paraît  com- 
porter le  sens  suivant  : 

c<  J'écrirai  ou  je  viens  écrire  :  0  Dieu  souverain,  voilà  le  septième 
(c  jour  que  je  t'implore;  que  le  Créateur  vienne  à  mon  aide,  et  sa 
c(  venue  m'imposera  silence.  » 

Le  reste  de  la  troisième  ligne  se  compose  de  deux  noms  propres 
dont  le  premier  (  PI.  VII,  39)  est  connu  par  les  contrats  démoti- 
ques; c'est  le  nom  Phibis  sous  sa  forme  grécisée  (ij  ;  il  est  suivi  de 
la  particule  de  flexion ,  indice  de  fdiation,  et  d'un  nom  propre  com- 
posé, dont  la  dernière  partie  est  la  sigle  du  nom  Rè,  Quant  à  la 
première  partie ,  je  renonce  prudemment  à  la  deviner.  Ce  nom  est 
suivi  de  l'indice.  Le  dernier  signe  de  cette  ligne  est  la  voyelle 
(PL  VII,   38),  2s,  caractéristique  du  prétérit,   ou  expression  de 

l'idée  faire.  Comme  le  premier  mot  de  la  ligne  suivante  est  -U-C , 
ou  ÂSJ^y  et  que  julouji  signifie  ire,  iter  facere,  abire,  je  pense 
que  nous  devons  voir  ici  le  prétérit  ZxJUlqojs  (qui  en  copte  mo- 
derne serait  i>.qji^ocyx  )  avec  le  sens  iter  fecit,  ou  dbiit. 

Les  deux  signes  suivants  sont,  le  premier,  la  préposition  Jtf.,  dans; 
le  deuxième  est  très-certainemement  le  groupe  bien  connu  par  le 
décret  de  Rosette  et  signifiant  mois.  Viennent  ensuite  les  mots 

KH^T^K;  "T2>.^05  TZs^e.  t.  m.  ^^>^T>,  t.  B.  signifie  con- 
stilutio ,  institutio ,  slalutum.  Et  il  peut  très-bien  se  faire  que  le  K 

(1)  Dans  le  papyrus  30  de  Berlin  {Kosegarten,  pi.  XI),  ce  même  nom  est  écrit 
(PI.  VII,  40  ),  FBI  (I\an).  Il  n'y  a  donc  de  différence  que  dans  la  position  de  la 
voyelle  I, 


ACTES   d'adoration,   OU   PROSCYNEMES.  801 

final  ne  soit  autre  chose  qu'une  consonne  finale  tombée  avec  ie  temps 
et  qui  se  trouve  à  n'en  pouvoir  douter  dans  les  mots  égyptiens 
(PI.  VII,  41),  DJROK,  victoire,  en  copte  !^po;  (PI.  VII,  42), 
DJRiK,  stèle,  copte  !^Kpx  ;  (PI.  VII,  43),  trek,  vautour,  copte 
nrpE  :  nous  aurions  en  ce  cas  le  mois  constitué,  établi;  ce  fait  est 
du  reste  d'autant  plus  probable  que  ce  groupe  doit  certainement  com- 
porter un  qualificatif  du  mois  en  question,  puisqu'il  se  trouve  in- 
terposé entre   le  groupe  mois  et  le  nom  môme  de  ce  mois.  En 

effet,  nous  lisons,  immédiatement  après,  les  mots  K   îT    p    l., 

U5.  K  P^^  if  de  la  venue  du  soleil  1 .  Ce  mois  est  le  premier  de  la 
première  tétraménie,  c'est-à-dire  thot;  la  date  du  jour  est  fournie 
par  les  signes  (PI.  VII,  44),  P^.  3,  jour  troisième,  et  cette  date 
est  close  comme  les  membres  de  phrase  précédents,  par  l'indice  or- 
dinaire. 

Récapitulons  ce  qui  résulte  de  notre  analyse;  nous  avons  :  a  Fibi, 
fils  de  ...prè  s'est  mis  en  route  dans  le  mois  consacré,  le  3  de  thôt.  » 

Le  trait  suivant  est  nécessairement  par  sa  position  un  signe  de 
ponctuation. 

Le  dernier  groupe  de  cette  ligne  est  le  mot  (  PI.  VII,  45),  dans 
lequel  nous  reconnaissons  immédiatement  notre  mot  formulaire 
TTCUpoj  au  pluriel,  mais  en  tête  duquel  ne  se  trouve  pas  placé 
l'article  pluriel  des  deux  genres  n  ,  u. 

Passons  à  l'analyse  de  la  dernière  ligne,  le  premier  mot  se  lit 
ojEq.  J'y  vois  un  radical  cgE  suivi  du  pronom  suffixe  de  la  troi» 
sième  personne  du  singulier.  Or,  cyç  ou  oji  si^iù^e  metiri, pon- 
derare,  munerare,  mensura,  numerus;  cy2s  signifie  festum,  d'où  pcgs  ^ 
Epuj2>.,  diem  festum  agere,  celehrare;  on  peut  donc  entrevoir  ici  le 
sens  numeravit  ou  celebravit,  et  traduire  :  «  Il  a  compté  ou  célébré 
ses  actes  d'adoration.  »  Le  mot  suivant  est  la  particule  (PI.  VII,  46), 
Jt>-2s,  qui,  dans  le  décret  de  Rosette,  signifie  certainement  erga  , 
envers,  puis  reparaît  le  groupe  JU-Z>.^a\2»p  qui  remplace,  comme 
au  commencement  du  proscynème,  le  nom  du  Dieu  Eponyme. 
Le  texte  se  termine  enfin  par  plusieurs  mots  qui  se  transcrivent  : 


802  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Les  deux  derniers  groupes  nous  sont  bien  connus;  ils  signifient 
grand,  éternel;  resterait  donc  à  couper  convenablement  les  groupes 
qui  les  précèdent;  mais  l'incertitude  de  trait  des  caractères  qui  les 
constituent  m'impose  l'obligation  de  ne  rien  proposer  sur  leur  compte, 
qu'avec  la  plus  entière  réserve.  Si  donc  cette  transcription  est  exacte 
OD  pourrait  lire  : 

TK     pour      TaîK ,  fortem  reddidit,  conprmavit,  affirmavit 

£a\0'*^  —    gloriam  ejus 

OTE         —    imicam 

CL\Hp       —    maximam 

2STXt       —    (Bternam 

Je  le  répète,  je  ne  propose  ces  coupures  et  ces  traductions  qu'avec 
la  plus  grande  réserve  et  sans  prétendre  en  rien  commander  la  con- 
viction de  personne.  Je  me  bornerai  à  faire  observer  que  le  mot  •:^*Tît 
est  écrit  entièrement  en  caractères  hiéroglyphiques,  et  que  cette  circon- 
stance me  paraît  démontrer  la  réalité  de  l'introduction  de  toutes  pièces, 
dans  l'écriture  démolique,  du  groupe  sacré  signifiant  éternité,  ou 
éternel. 

En  résumé,  le  proscynème  que  je  viens  d'étudier  me  paraît  offrir 
le  sens  suivant  : 

«  J'écrirai  ou  je  suis  venu  écrire  :  0  Dieu  souverain ,  voilà  le  sep- 
((  tième  jour  que  je  t'implore  :  que  le  Dieu  créateur  me  vienne  en 
«  aide,  et  sa  venue  fermera  ma  bouche.  Phibis,  fils  de  ...pré,  est  parti 
«dans  le  mois  consacré  de  thôt,  le  troisième  jour.  Il  a  accompli  ou 
«  compté  ses  actes  d'adoration  envers  le  Dieu  souverain ,  et  il  a  cé- 
«  lébré  sa  gloire  unique,  immense,  éternelle.  » 

Espérons  que  cette  traduction  se  confirmera  ou  se  modifiera  conve- 
nablement, à  l'aide  des  nouveaux  matériaux  dont  nous  sommes  en  droit 
d'attendre  la  venue. 

El-Hammamat ,  n"  6. 

C'est  après  une  grande  hésitation  que  je  me  suis  décidé  à  proposer 
la  traduction  suivante  de  ce  proscynème  dont  le  sens  me  paraît  un  peu 
trop  raffiné  pour  être  le  véritable.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  dois  en  toute 
humilité  faire  connaître  tous  les  résultats  qu'une  étude  opiniâtre  m'a 
fait  obtenir,  lors  même  queje  suis  obligé,  comme  cette  fois,  de  dire  for- 
mellement que  je  n'y  attache  aucune  importance;  en  le  faisant,  j'espère 


ACTES  d'adoration,   OU  PROSCYNÈMES.  80S 

aider  de  plus  heureux  à  trouver  mieux,  et  je  prouve  d«  moins  que  je 
sais  faire  abnégation  complète  de  mon  amour-propre.  Du  reste,  la 
transcription  en  lettres  coptes  de  ce  proscyiième  ne  présente  aucune 
incertitude,  puisque  tous  les  caraclères  qu'il  contient  nous  sont 
connus;  c'est  dans  la  coupure  des  mots  que  gît  toute  la  difficulté; 
voici  donc  cette  transcription  lettre  pour  lettre  : 

cyoj  K  JU-2»^  C.  cgxs  2SETe. 

Nous  avons  vu  dans  presque  tous  les  proscynèmes  étudiés  jusqu'ici 
le  verbe  (  PI.  VII,  47)  a\nrq  ou  T:a\qcya\0'îfajx,  offrir  ou  ac- 
complir un  acte  d'adoration.  Ici  les  deux  éléments  de  cette  expression 
sont  séparés  par  une  série  de  plusieurs  mots,  et  le  radical  (PI.  VU,  3) 
a.\Tc\  ou  ^a\q  est  précédé  de  l'article  singulier  masculin  tt;  il* 
exprime  donc  forcément  celte  fois  un  substantif.  En  l'isolant,  nous 
avons  TTa\T^q  ou  T\n:^\^tl  offre  ouïacquittement,  le  solde, l'acconi' 

plissement.  Vient   ensuite  la  particule  de  flexion  ît,  de;   puis  la 

lettre  ex  ou  X  ,  suivie  de  la  particule  ît.   tî;   X   veut  dire  venir, 

allée  ou  arrivée,  voyage,  La  particule  qui  suit  peut  être  le  pro- 
nom possessif  de  la  première  personne  du  pluriel,  et  je  suis  d'autant 
plus  porté  à  le  croire  que  ce  signe  possessif  se  retrouve  un  peu  plus 

loin  entre  les  deux  mots  (PI.  VII,  8),  ajaiO'^ajX  et  (PI.  VII,  12), 
JU-&.^,  qui  d'ordinaire  se  suivent  sans  signe  intercalaire.  Si 
cette  supposition  est  juste  exk  signifie  notre  venue,  notre  voyage, 
comme  oja^O'^^ajXK  signifie  notre  adoration.  Vient  ensuite  un 
groupe  (PI.  VII,  48),  que  je  lis  ejutteh  et  que  je  compare  au  copte 
EJW.TTEU ,  ut  non,  ne.  Le  groupe  (PI.  VII,  49).  n  t,  forme  le 
squelette  d'un  mot  copte  x\E2^T ,  terminus,  finis.  En  adoptant  la 
légitimité  de  toutes  ces  coupures,  notre  texte  égyptien  deviendrait  : 

TiaîTq  ou  TixTaîq   K  Exu  ejw-hen  m  xxe&t  Ti&Ci 

et  se  traduirait  littéralement  : 

«  L'offre  ou  l'accomplissement  de  notre  voyage  (  a  eu  lieu  )  pour 


804  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

«  que  nous  Pasont  nous  ne  missions  pas  de  fin  (c'est-à-dire  pour 
«  continuer)  à  nos  actes  d'adoration  envers  Ammon  générateur,  à 
«  toujours.  » 

J'ai  dit  en  commençant  que  je  n'avais  guère  de  confiance  en  cette 
traduction  -,  je  la  livre  donc  au  lecteur  pour  ce  qu'elle  vaut ,  et  sans 
y.  tenir  autrement. 

Du  reste  il  est  certain  que  ce  proscynème  doit  être  considéré 
comme  constituant  une  formule  distincte  de  celles  que  nous  avons 
déjà  étudiées.  Ce  qui  me  paraît  démontrer  l'existence  d'une  classe 
de  proscynèmes  démotiques  conçus  comme  celui  qui  précède ,  c'est 
la  forme  du  n°  10  dont  quelques  parties  seulement  sont  lisibles. 
En  effet  la  première  ligne  commence  par  les  mots  iraiTq  ou 
TîS^CLTq  K.  c(  L'offre  ou  l'accomplissement  de....  »  Et  la  dernière 
ligne  se  compose  de  cinq  groupes  (  PI.  VII,  50) ,  qui  se  lisent  : 

îT  Ji>-2»>    C.    OjXs  !^ETB  >  et  se  traduisent  : 

(( Nos,  envers  Ammon  générateur,  à  toujours.  » 

Vraisemblablement  ce  proscynème  est  rédigé  sur  la  même  formule 
que  le  sixième  d'el-Hammamat.  Un  avenir  prochain  nous  mettra,  je 
l'espère,  en  possession  de  textes  qui  pourront  décider  si  j'ai  raison, 
et  qui  confirmeront  ou  renverseront  la  lecture  que  je  viens  de  tenter. 

El-Hammamat ,  n°  7. 

Le  commencement  et  la  fin  de  ce  proscyn  ème  ont  déjà  été  analysés, 
ils  se  transcrivent  : 

^6s    ^^s^avi^p  TTaTpcjj  îv  Ep^  TaïJUt-E.... 
a\^q"T  ou  "xaïqT  ojaio'îfaîEX  ju-x»^  C.  n^Hp  aim 
^aj2.  :^ETE. 

En  effet ,  c'est  le  groupe  symbolique  Dieu  qui  suit  la  sigle  nomi- 
nale d'Ammon  générateur.  Ces  phrases  se  traduisent  ainsi  : 

«Reçois,  6   Roi,   l'adoration    qui   t'est  justement  due J'ai 

(C  offert  ou  acquitté  mon  acte  d'adoration  à  Ammon  générateur   le 
«  Dieu  producteur,  à  toujours.  » 

La  portion  de  texte  qui  réunit  ces  deux  phrases  et  qui  par  suite 
complète  la  teneur  du  proscynème,  se  compose  encore  de  deux 


ACTES  d'adoration,  OU  PROSCYNÈMES.  805 

groupes  séparés  par  la  particule  n  indice  de  filiation  (l).  Ce  sont  donc 
très-vraisemblablement  le  nom  de  l'auteur  du  proscynème  et  celui  de 
son  père.  Les  caractères  sont  incertains  parce  qu'ils  sont  mal  tracés 
et  cependant  je  regarde  comme  très-probable  que  le  premier  nom 
doit  se  lire  Petearpche,  En  effet  dans  ce  nom  (PI.  VII,  51),  la  sigle 
d'Horus,  (PI.  VII,  52),  et  le  mot  (PI.  VU,  53),  Venfant,  le  fils  sont 
reconnaissables,  et  d'une  autre  part  nous  savons  par  les  contrats  démo- 
tiques avec  anligraphe  grec ,  que  le  nom  grécisé  neTzapnoy^parnc 
s'écrivait  (PI.  VII,  54),  et  se  prononçait  TT2»CJL\pTTCET  ,  et  signi- 
fiait probablement  celui  qui  appartient  à  Horus  sauveur.  Quant  au 
nom  du  père,  (PI.  VII,  55),  on  y  distingue  d'abord  la  sigle 
d'Horus,  et  le  nom  5jul,  pour  ':g^OJ(^j  5oJt>-,  de  l'Hercule  égyptien. 
La  première  partie  du  nom  se  compose  d'une  lettre,  qui  sert  d'ini- 
tiale aux  noms  démotiques,  Snachomès,  Spotus,  Zminis,  Zthe- 
naëtes,   etc.;   c'est   donc  un  S  suivi   d'une   voyelle,    a,   e,   i; 

C2>. ,  CE  5  veut  dire  beau;  ce  nom  CE^^péoJU- ,  signifierait  donc 
le  beau  fJoras-Gom.  Il  n'y  a  rien  qui  doive  nous  surprendre  dans  la 
composition  de  ce  nom,  et  son  caractère  est  parfaitement  égyptien. 
L'auteur  du  proscynème  en  question  se  nommait  donc  Paorpche,  fils 
de  Saôrgom, 

Philes ,  N°  8. 

Ce  proscynème  présente,  ainsi  qu'on  va  le  voir,  une  forme  toute 
nouvelle. 

Le  premier  mot  dont  nous  avons  déjà  reconnu  le  sens  est  le  mot 
a\^q  ou  ^oiq,  ohtulit  ou  solvit,  précédé  d'un  sorte  d'étoile  que 
je  considère  comme  un  signe  initial  imprononçable,  et  dont  la  pré- 
sence d'ailleurs  ne  peut  en  rien  modifier  le  sens  de  la  première 
phrase;  ce  mot  est  suivi  d'un  groupe  qui  doit  constituer  évidemment 
un  nom  propre,  puisqu'il  est  composé  de  la  sigle  d'Ammon  généra- 
teur, et  d'une  particule  dont  la  lecture  n'est  pas  certaine ,  mais  qui 
cependant  offre  le  son  n2>..  Ce  nom  se  lisait  donc  probablement 

(1)  Je  lis  cette  particule  K  ,  et  cependant  je  ne  dois  pas  omettre  de  mentionner 
ici  le  nom  Arsi.esis  extrait  du  contrat  36  de  Berlin ,  et  dans  lequel  les  siglcs  bien 
reconnaissables  d'Horus  et  d'Isis  sont  séparées  par  la  môme  particule  x  se  pronon- 
çant, ainsi  que  l'indique  la  transcription  grecque,  CX  ^^  non  n  *  Cl  CiJE  j 
signifie;  fils  de. 


806  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

TTZ>^CU:Tnnr  ;  mais  il  n'est  pas  possible  de  raffirmer,  surtout  à  cause 
de  l'orthographe  insolite  de  la  particule  jxh.  n  qui  dans  tous  les  autres 
noms  connus  est  invariablement  écrite  (PI.  VII,  56)  et  non  comme 
ici  (PI.  VII,  57).  Après  ce  nom  propre  se  lit  en  toutes  lettres  un  mot 
JW.JULi.0  ,  qui  est  comparable  au  copte  J^J(Xl>t ,  illic,  ihi,  ou  à  la 
particule  ^juio,  caractéristique  de  l'accusatif.  Vient  ensuite  le  sub- 
stantif déjà  reconnu  ujaiO^fOîX  ou  UjO'^OîaTO'^^ajX ,  adoration, 
Trpoo-zvvyjjULa ,  suivi  d'abord  d'une  voyelle,  III,  qui  cette  fois  semble 
jouer  le  rôle  d'un  simple  indice  de  pluralité ,  et  enfin  du  signe  impro- 
nonçable ordinaire  (PI.  VII,  10);  le  reste  de  la  phrase  se  lit  immé- 
diatement :] 

Nous  avons  donc  pour  le  sens  de  cette  première  phrase  : 

«  Pasont  a  offert  ou  accompli  ici  ?  des  actes  d'adoration  devant 
«  Ammon  générateur,  le  créateur,  le  producteur,  à  toujours.  » 

La  phrase  suivante  contient  nécessairement  la  prière  de  l'auteur  du 
proscynème,  puisqu'elle  commence  par  le  participe  connu  (PI.  VU,  58), 
E^nr2>.VE ,  disant;  le  reste  de  cette  seconde  ligne  est  fort  difficile 
à  traduire ,  et  je  n'ai  conservé  aucun  espoir  d'y  parvenir  d'une  façon 
satisfaisante;  quant  à  la  transcription  matérielle  elle  est  presque 
sûre.  La  voici  : 

'T^.^c  îtqpM  î^  n^p  (ou  ^^)  M  nr^5  ojex  ^>6i. 

Ces  deux  derniers  mots  ont  pour  caractéristique  le  signe  que  j*ai 
cru  devoir  comparer  au  déterminatif  hiéroglyphique,  les  deux  bras 
élevés ,  des  mots  ayant  le  sens ,  offrande  ou  offrir.  Peut-être  pour- 
rait-on couper  cette  phrase  de  la  manière  suivante  : 

t:&  juloouje    k  qp^.x    U  TpM   ou  ^XS-l>\   'TSXO 

Et  l'on  y  trouverait  alors  le  sens  :  «  Je  suis  venu  à  Philes  de  Trai? 
«ou  Tmaï?  pour  honorer  ta  statue;  accepte  (sous-entendu  mon 
«  hommage  ).  » 

Je  déclare  du  reste  que  je  n'ai  aucune  espèce  de  confiance  dans 
cette  traduction. 


ACTES  D*ADORATION,  OU  PROSCYNÈMES.  807 

D  abord  il  n'y  a  rien  de  sûr  dans  le  sens  que  je  donne  au  mot  ta 
(PI.  VII,  59)  parce  que  je  le  compare  à  tort  peut-être  (à  cause  du 
trait  qui  surmonte  le  t  ),  au  mot  égyptien  (PI.  VII,  6  \)  payer,  donner, 
du  décret  de  Rosette;  tXs  jW-OOOJE,  signifierait  donc  à  la  lettre 

soM  ou  solçit  iter.  Quant  aux  groupes  que  je  lis  it  qpM  k  Tpi.I 
T&\ ,  si  leur  transcription  est  certaine,  leur  traduction  est  peut-être 
à  cent  lieues  de  ce  que ,  en  désespoir  de  cause ,  j'ai  pensé  que  l'on 
pourrait  y  voir.  Je  le  répète  donc  en  toute  humilité,  je  ne  crois  pas 
à  la  justesse  de  cette  traduction  que  j'abandonnerais  bien  volontiers 
pour  toute  autre  qui  serait  plus  vraisemblable. 

Reste  à  chercher  ce  que  peut  contenir  la  dernière  ligne  de  ce 
texte. 

Nous  lisons  d'abord  un  mot  EnriTE  ,  c'est,  je  crois,  le  participe 
présent  du  verbe  T  ,  donner,  écrit  sans  voyelle  finale  ;  ce  mot  est 
accompagné  de  la  caractéristique  tte  des  verbes ,  caractéristique 
dont  l'existence,  dans  l'idiome  vulgaire,  remonte  certainement  au 
delà  de  l'époque  où  le  décret  de  Rosette  fut  rédigé.  Vient  ensuite  un 
signe  dans  lequel  il  n'est  pas  possible  de  méconnaître  la  hache , 
symbole  divin,  et  un  mot  qui  se  lit  en  toutes  lettres  KO'^qp  5 
c'est  très-probablement  le  copte  KO'^^^E  5  KO<^pE  ,  bonus,  utilis. 
Après  ce  mot  nous  retrouvons  le  radical  cunrc^  ou  nrtLiq ,  suivi 
d'une  voyelle  |  finale  ;  ce  mot  représente  donc  un  substantif  au  pluriel 
et  il  désigne  les  dons  ou  les  rémunérations,  les  récompenses  ;  vient 
ensuite  une  série  de  lettres  JU,nrT?\E   ^'^l  que  je  coupe  et  lis  ain§i 

XX  nr   ^^.Ae     a\nrqES   on   ^a\qES  ,  mot  à  mot  :  dans  faire 
Voblation  de  mes  offrandes,  puis  on  lit  : 

tÎde   îî  Ait  K  îtETTî  ,  que  je  coupe  ainsi  : 
T    3b ME    K    Aa\lT    (pour    }\mc\  corrumpi,  ntiari)  ttM 
KEITEÎ. 

c(  Faire  la  fin  de  la  corruption  parmi  les  hommes.  » 

Le  reste  du  proscynème  est  impossible  à  lire  ;  j'y  vois  cependant  le 
mot  (PI.  VII,  61),  il  a  e'cnV,  que  suivait  peut-être  le  mot  (PL  VII,  62) 


B08  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

nro^E  pour  former  l'expression  que  nous  avons  déjà  rencontrée  à 
la  fin  du  proscynème  n"  1* 
Nous  avons  donc  en  résumé  pour  le  sens  de  ce  proscynème  : 
ce  Pasont  a  accompli  ici  ?  des  actes  d'adoration  devant  Ammon  gé- 
nérateur, le  créateur,  le  producteur,  à  toujours  ;  disant  Je  suis  venu 
à  Phiies  de  Tmaï???  pour  honorer  ta  statue  ;  accepte  (mon  hommage), 
m'accordant,  ô  Dieu  bon,  en  rémunération  de  l'oblation  de  mes  of- 
frandes, la  purification  des  hommes.  Il  a  tracé  cette  inscription. 

Phiies,  îs"  9. 

Les  deux  noms  propres  seuls  ont  besoin  d'être  transcrits  dans*  ce 
proscynème  que  nous  avons  analysé  déjà  par  partie.  Ces  deux  noms 
tomposent  la  troisième  ligne  du  texte  (PI.  VII,  63  ). 

Le  premier  se  transcrit  panpe,  et  le  second  mfone  ou  mbone. 
Quel  mot  faut-il  voir  dans  les  lettres  (PI.  VII,  64),  npe?  c'est  ce 
que  je  ne  me  charge  pas  de  préciser;  TTilE  veut  dire  du  ciel, 
î\sqx  ,  souffle,  no'^qE  ,  hon ,  î\HÊl  ,  seigneur.  On  pourrait  choisir 
entre  ces  quatre  mots  sans  être  pour  cela  certain  le  moins  du  monde 
d'avoir  découvert  le  sens  de  ce  nom  propre.  Je  renonce  donc  prudem- 
ment à  en  tenter  l'explication,  en  me  contentant  de  le  transcrire 
lettre  pour  lettre.  Le  second  nom  se  lit  Jt5-C^0îtE  ou  .W-fiOnE  5  en 
copte  JW-fiOW,  EA5-fiOît,  signifie  colère  (l),  fureur,  et  ce  mot  est 
en  liaison  évidente  avec  le  nom  îkONC  de  l'une  des  divinités 
égyptiennes ,  puisque  !:^OîCC  ,  signifie  violence, 

(1)  Remarquons  en  passant  que  l'existence  de  ce  mot  copte  pourrait ,  jusqu'à  un 
certain  point,  servir  à  constater  l'emploi  de  la  particule  antique  j^l  ^y^^^^'  ïe  sens 
de  in,  dans.  Eu  effet  JU-^OUE  '  <1"^  signifie  colère,  se  décompose  immédiate- 
ment en  Ax ,  dans ,  et  KoOUE  ,  Ka.m  ,  £lOKX  ,  ^al^s ,  noxim,  fœ- 
dus,  et  ^ONS  5  .Ê-OOnE  ,  noxa.  De  cette  composition  naît  ce  sens  littéral  : 
in  noxa,  in  malo ,  in  noxio,in  fœdo.  Cette  expression  peut  très-bien  s'appliquer 
à  la  colère ,  à  la  fureur;  mais  ici  malheureusement  la  particule  Jt^,  peut  être  aussi 
considérée  comme  la  particule  de  flexion  j^  ,  changée  en  xs^ ,  par  l'influence  du 
El  qui  la  suit. 


ACTES  D*ADORATION,  OU  PROSCYNÈMES.  809 

Ce  proscynèrae  se  transcrit  : 

z>6\  Tiaipaj  T^K^Ep  Ta\A^E 

TT^UTIE    XV    JW.£iOXVE 

et  se  traduit  : 

<c  0  créateur,  générateur  de  la  vie , 
((  Reçois  l'adoration ,  acte  juste , 
«  De  Panpe,  fils  de  Emboné 
«  A  toujours.  » 

Voilà,  mon  cher  confrère ,  ce  que  l'analyse  obstinée  de  ces  pré- 
cieux textes  démotiques,  m'a  fourni  jusqu'à  présent.  Sans  doute 
tout  cela  est  bien  incomplet,  bien  imparfait;  mais  vous  voudrez 
bien ,  je  l'espère ,  penser  que  je  me  suis  le  premier  hasardé  sur 
un  sol  vierge  ;  si  donc  je  n'y  marche  qu'à  tâtons ,  c'est  que  je  m'y 
trouve  seul  et  qu'il  me  faut  à  chaque  pas  que  je  fais,  déblayer  péni- 
blement le  terrain  sur  lequel  je  dois  ensuite  poser  le  pied.  Mieux  que 
personne  vous  apprécierez  les  difficultés  sans  nombre ,  qui  me  font 
obstacle,  et  peut-être  alors  serez-vous  moins  étonné  de  la  médio- 
crité des  résultats  philologiques  auxquels  je  suis  parvenu  et  que  je 
me  suis  permis  de  vous  présenter,  ne  îût-ce  que  pour  éviter  à  d'autres 
les  erreurs  oii  je  pourrais  être  tombé  moi-même. 

Veuillez  agréer,  etc. 


Paris,  10  janvier  184à. 


F.  DE  Saulcy,  de  V Institut. 


LETTRE  A  M.  HASE, 

MEMBRE  DE  l'iNSTITUT, 

SUR  LES  ANTIQUITÉS  DE  LA  RÉGENCE  DE  TUNIS, 

PAR   M.    E.  PELLISSIER ,   CONSUL  DE  FRANCE   A   SOUSSA   (1). 

S0BS8A,  le  18  Jain  1844. 

Monsieur, 

Les  marques  d'intérêt  dont  vous  avez  bien  voulu  m'honorer  pen- 
dant mon  séjour  à  Paris ,  me  permettent  d'espérer  que  vous  accueil- 
lerez avec  bonté  la  lettre  que  je  prends  la  liberté  de  vous  écrire  dans 
un  double  but  :  dans  celui  d'abord  de  me  rappeler  à  votre  souvenir, 
et  de  me  remettre,  quoiqu'un  peu  tardivement,  en  relation  avec  vous; 
puis  pour  vous  communiquer  quelques  observations  archéologiques. 

Vous  savez  mieux  que  personne ,  monsieur,  combien  le  nord  de 
l'Afrique  est  riche  en  vestiges  de  l'antiquité;  mais  aucune  partie  de 
cette  portion  du  continent  africain  n'est  aussi  bien  partagée  à  cet 
égard  que  celle  que  j'habite.  J'ai  commencé  à  l'explorer  avec  soin, 
et  voici  la  première  partie  de  mon  travail,  partie  qui  comprend  le 
caïdat  de  Monestir  et  les  trois  quarts  de  celui  de  Soussa.  Je  ne  parlerai 
pour  le  moment  que  de  ce  que  j'ai  vu ,  sans  me  livrer  encore  à  au- 
cune recherche  sur  les  synonymies  antiques  des  lieux  que  j'ai  visités. 

La  ville  de  Soussa,  dont  je  dois  d'abord  parler,  contient  dans  son 
enceinte  un  château  carré,  flanqué  de  huit  tours,  dont  une,  qui  est 
fort  élevée,  est  remarquable  par  ses  proportions  architecturales.  Cet 
édifice  est  en  bon  état  de  conservation ,  et  a  reçu  beaucoup  de  répa- 
rations et  de  modifications  modernes  ;  mais  il  est  manifeste  qu'il  est 
d'origine  ancienne.  Un  portique  composé  de  quatre  coloimes  de 
granit  d'un  module  considérable  qui  en  orne  l'entrée ,  ne  laisse  pas 
de  doute  à  cet  égard.  Les  chapiteaux  de  ces  colonnes  et  les  ornements 

(1)  Non-seulement  M.  Hase  a  bien  voulu  nous  autoriser  à  imprimer  celte  lettre 
remplie  de  détails  curieux  ;  mais  il  l'a  enrichie  de  notes  précieuses,  et  celte  double 
marque  d'intérêt  de  la  part  du  savant  helléniste  est  une  de  ces  bonnes  fortunes  que 
nos  lecteurs  apprécieront  autant  que  nous  le  faisons  nous-même. 


LETTRE  A  M.   HASE.  811 

de  la  frise  sont  du  style  byzantin  le  plus  prononcé,  et  ne  doivent  pas, 
par  conséquent,  remonter  plus  haut  que  la  période  de  la  seconde  oc- 
cupation romaine. 
A  l'exception  de  ce  château,  on  ne  trouve  dans  la  ville  même  de 
poussa,  en  fait  d'antiquités,  que  quelques  fragments  de  colonnes,  et 
le  sarcophage  dont  parle  Peysonnel ,  lequel  est  encore  placé  dans  le 
lieu  que  ce  voyageur  indique,  c'est-à-dire  sous  la  voûte  d'une  des 
portes  de  la  ville.  Il  dit  y  avoir  lu  ces  mots  :  marcelt  .  alfondi  . 
EPiscoPi.  Pour  moi,  voici  ce  que  j'y  ai  lu,  ou  plutôt  vu,  car  je  n'ai 
pu  attacher  aucun  sens  aux  caractères  ci-après  : 

ETMARIFI 
....RVMVVO 
RVMDIONI 
SSIME  (1). 

A  l'extérieur  de  Soussa,  le  sol,  jusqu'à  une  assez  grande  distance 
des  remparts,  n'est  presque  partout  qu'un  amas  de  débris  de  marbre, 
de  granit  et  de  poterie.  Comme  à  chaque  pas  on  trouve  des  indices 
de  mosaïque,  j'ai  fait  exécuter  quelques  fouilles  dans  les  lieux  qui  me 
semblaient  promettre  les  résultats  les  plus  faciles,  et  j'ai,  en  effet,  mis 
à  jour  de  cette  manière  plus  de  cent  mètres  carrés  de  mosaïques  dont 
quelques-unes  sont  fort  belles.  J'en  ai  fait  enlever  plusieurs  frag- 
ments dont  j'ai  pavé  la  chancellerie  de  mon  consulat.  Une  pièce  de 
milieu  représentant  un  intérieur  d'appartement,  avec  des  personnages 
fort  bien  conservés,  était  destinée  par  moi  à  M.  le  maréchal  Soult  ; 
mais  les  grossiers  ouvriers  que  je  suis  obligé  d'employer,  faute  d'au- 
tres, me  l'ont  brisée  en  la  transportant. 

(1)  Après  Peysonnel ,  sir  Grenville  J.  Temple,  Excursions  in  the  Mediterra- 
nean,  London ,  1835  ;  in-8,  vol.  II ,  p.  302  ,  n°  1,  avait  donné  la  même  inscrip- 
tion. Il  la  lit  ainsi  : 

ETMATBIEI 

VOTVMSVO 

RVMDIGNI 

SSIM.... 

En  nous  tenant  à  la  nouvelle  copie  que  nous  avons  reçue  de  M.  Pellissier,  on 
pourrait  essayer  la  restitution  suivante: 

Et  {on,  Flaviœ)  Mariœ  fi  [liœ 

anno  \  rum  duo- 

rum ,.  digni- 

ssimœ, 

Dignissimœ  serait  ici  le  synonyme  de  merentissimœ ^  épîtbète  donnée  quelque- 
fols  sur  les  marbres  à  des  enfants  morts  très-jeunes.  (Wote  de  M.  Haie.) 


812  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Mes  recherches  de  mosaïques  m'ont  fait  reconnaître  et  découvrir 
les  fondations  d'une  petite  maison  dont  j'ai  pu  suivre  le  plan  sur  ce 
sol.  Elle  se  composait  d'une  cour  intérieure  sur  laquelle  ouvraient 
quatre  petites  chambres.  Les  crapaudines  en  marbre  des  portes 
étaient  encore  en  place,  et  indiquaient  par  leur  position  que  ces 
portes  étaient  construites  et  fermaient  comme  celles  qui  sont  encore 
en  usage  en  Orient. 

La  petite  maison  dont  je  viens  de  parler  s'élevait  sur  un  plateau 
au  nord-ouest  de  la  ville.  Dans  la  direction  opposée  existait  une 
maison  beaucoup  plus  considérable,  ou  peut-être  un  palais.  Je  n'ai  pu 
en  découvrir  que  deux  appartements,  le  reste  nécessitant  des  travaux 
trop  considérables  pour  qu'il  me  fût  possible  de  les  entreprendre.  Ce  qui 
m'a  frappé  dans  cette  fouille ,  c'est  que  le  sol  des  appartements  dont 
je  parle,  et  où  j'ai  trouvé  les  plus  belles  mosaïques,  était  entièrement 
couvert  de  tuiles  et  autres  débris  de  toiture,  sous  lesquels  gisaient 
deux  squelettes  ;  ce  qui  semble  indiquer  que  la  destruction  de  l'édifice  n'a 
pas  été  Teffet  du  temps,  mais  bien  le  résultat  de  quelque  événement. 

En  sortant  de  Soussa  par  la  porte  de  l'Ouest,  on  rencontre,  à  quel- 
ques centaines  de  pas  de  cette  porte,  d'antiques  citernes  partagées  en 
huit  réservoirs  parallèles  de  86  mètres  de  longueur  et  6  de  largeur. 
On  voit  encore,  sur  divers  points,  les  restes  des  canaux  qui  condui- 
saient à  ces  citernes  les  eaux  pluviales  du  plateau  de  Soussa. 

Non  loin  de  là ,  dans  la  localité  que  les  Arabes  appellent  la  Pierre 
renversée,  par  la  raison  que  vous  allez  voir  à  l'instant  même,  sont,  à 
80  mètres  l'une  de  l'autre,  deux  énormes  masses  de  maçonnerie  déta- 
chées de  leurs  bases,  et  renversées  sur  le  sol,  avec  lequel  leurs  arêtes 
forment  deux  angles  de  45  degrés.  La  ligne  droite ,  qui  va  de  l'une 
à  l'autre,  est  parfaitement  tracée  par  une  suite  de  décombres  qui  in- 
diquent une  courtine  adjacente  aux  deux  tours  dont  ces  masses  sont 
sans  doute  les  débris.  En  avant ,  c'est-à-dire  dans  la  direction  de 
l'ouest,  on  voit  quelques  vestiges  d'ouvrages  avancés.  En  arrière, 
c'est-à-dire  dans  la  direction  de  la  ville ,  existe  une  aire  parfaitement 
plane,  et  limitée  par  trois  autres  lignes  de  débris  qui  complètent  le 
quadrilatère ,  ce  qui  me  fait  croire  qu'il  y  avait  là  un  fort  destiné  à 
défendre  les  abords  de  la  place. 

Sur  la  capitale  de  l'angle  de  ce  quadrilatère,  dont  le  sommet  est 
occupé  par  la  plus  considérable  des  masses  dont  je  viens  de  parler, 
et  à  cinq  à  six  cents  pas  de  distance ,  le  hasard  fit  découvrir ,  quelque 
temps  avant  mon  arrivée  à  Soussa,  un  hypogée  dans  lequel  on  trouva 
\in  sarcophage  de  marbre  blanc ,  bien  conservé  et  d'un  style  élégant. 


LETTRE  A  M.   HASE.  8l3 

M.  Saccoman ,  négociant  français ,  établi  à  Soussa ,  et  qui  en  est  de- 
venu le  propriétaire,  l'a  mis  par  mon  intermédiaire  à  la  disposition 
de  M.  le  maréchal  Soult,  qui  l'a  destiné  au  musée  d'Alger. 

Il  résulte  de  tout  ce  qui  vient  d'être  dit  que  la  ville  antique  dont 
Soussa  occupe  l'emplacement ,  présentait  infiniment  plus  de  déve- 
loppement que  celle-ci ,  et  qu'elle  s'étendait ,  non-seulement  sur  la 
déclive  qui  conduit  au  rivage  de  la  mer,  comme  la  ville  moderne, 
mais  encore  qu'elle  occupait  une  bonne  partie  du  plateau  qui  est  à 
l'ouest  de  cette  dernière. 

A  trois  quarts  de  lieue  au  sud-ouest  de  Soussa ,  sur  la  route  du 
village  de  Gouardamine,  existe  une  construction  antique  qui  mé- 
rite d'être  examinée.  C'est  un  polygone  régulier  de  quatorze  côtés, 
dont  le  cercle  inscrit  a  15  mètres  8  centimètres  de  diamètre.  Ce  po- 
lygone est  formé  par  des  murs  de  64  centimètres  d'épaisseur  et  de 
2  mètres  de  hauteur.  Au  sommet  des  angles,  à  l'intérieur,  sont  des 
massifs  en  maçonnerie  formant  des  sections  de  cône  par  des  plans 
parallèles  à  l'axe.  Les  arêtes  de  ces  sections  sont  garnies  de  rebords 
renflés,  qui  paraissent  n'être  là  que  pour  l'ornement;  à  cette  con- 
struction est  accolée,  à  l'extérieur,  une  citerne  couverte  de  6  mètres 
10  centimètres  de  longueur  et  de  3  mètres  de  largeur.  A  l'extrémité  du 
diamètre  dont  cette  citerne  occupe  un  des  bouts ,  existe  un  autre  po- 
lygone dont  le  diamètre  du  cercle  inscrit  n'a  que  4  mètres  86  centi- 
mètres. Ce  dernier  polygone  n'a  que  cinq  côtés.  Du  reste,  il  est  de 
même  construction  que  le  grand.  Ces  deux  enceintes  polygonales 
n'ont  aucune  communication  entre  elles,  ni  avec  la  citerne;  mais  elles 
communiquent  avec  l'extérieur,  chacune  par  une  ouverture  pratiquée 
sur  l'un  de  leurs  côtés.  Il  est  difficile,  pour  moi,  de  dire  à  quoi  était 
destiné  ce  système  de  bâtisse.  Les  deux  polygones  étaient-ils  simple- 
ment des  réservoirs  destinés  à  débarrasser  les  eaux  torrenteuses  de 
leur  limon,  avant  leur  entrée  dans  la  citerne?  mais  alors  pourquoi 
étaient-ils  sans  communication  avec  celle-ci?  Quoi  qu'il  en  soit,  cette 
construction  est  appelée  par  les  Arabes  la  Cilerne  bleue. 

Nous  allons  maintenant  quitter  Soussa  et  suivre  le  littoral  jusqu'à 
Sélecta.  Nous  y  reviendrons  ensuite  par  El  Djem,  le  lieu  le  plus  in- 
téressant de  la  contrée,  sous  le  point  de  vue  archéologique. 

La  villedeMoneslir,  qui  est  le  premier  centre  de  population  qui 
se  présente  sur  notre  route,  n'offre  rien  à  la  curiosité  de  l'antiquaire, 
à  l'exception  peut-être  d'un  tunnel  creusé  dans  le  roc,  et  qui  fait 
communiquer  avec  la  mer  un  petit  plateau  situé  hors  de  la  ville. 
L'eau  entrant  dans  l'extrépiité  inférieure  de  ce  tunnel  en  fait  une  salle 


814  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

de  bains  pour  la  belle  saison.  J'ai  vu  un  ouvrage  à  peu  près  de  ce 
genre  sur  le  Guadiaro,  à  Ronda  en  Andalousie.  Il  était  attribué 
aux  Maures.  Rien  n'indique  l'origine  de  celui  de  Monestir. 

Après  Manestir  viennent  les  ruines  désignées  comme  étant  celles 
àe  Leptis-Minory  au  nord  du  village  de  Larata.  On  n'y  voit  que 
des  vestiges  de  citernes  et  des  débris  confus,  couvrant  une  éten- 
due considérable  de  terrain.  J'y  ai  remarqué  des  fûts  de  colonne  de 
marbre,  et  ramassé  un  fragment  de  chapiteau,  Il  y  a  une  dizaine  d'an- 
nées qu'un  agent  anglais  y  fit  faire  quelques  fouilles.  J'ignore  ce 
qu'elles  ont  produit.  Au  village  de  Lamta  même,  on  voit  un  vieux 
lort  exactement  semblable  à  ceux  de  Guelma  et  de  Sétif  en  Algérie. 

De  Lemta  à  Dimas,  rien  n'attire  les  regards  de  l'archéologue.  Mais 
il  en  est  amplement  dédommagé  dans  cette  dernière  localité.  Je  par- 
lerai d'abord  d'une  digue  destinée  à  former  avec  les  petites  îles  du 
Djénan  et  d'El  Firan ,  un  port  aussi  vaste  que  sûr  pour  les  navires 
des  anciens.  Cette  digue,  de  146  mètres  de  longueur  et  de  10  mètres 
de  largeur,  est  formée  de  béton ,  et  d'une  construction  fort  ingé- 
nieuse. Toute  la  partie  qui  s'élève  au-dessus  du  niveau  de  l'eau  est 
percée  de  deux  étages  de  canaux,  dont  la  coupe  transversale  est  un  carré 
de  20  à  22  centimètres  de  côté.  Ces  canaux,  distants  les  uns  des  au- 
tres de  2  mètres  dans  le  sens  horizontal ,  et  de  1  mètre  dans  le  sens 
vertical,  sont  destinés  à  fournir  un  passage  aux  lames  de  la  grosse 
mer,  et  par  là  à  en  neutraliser  la  puissance  destructive.  C'est  à  cette 
savante  combinaison  qu'il  faut  attribuer  l'état  parfait  de  conservation 
de  cette  digue,  que  nous  serions  bien  heureux  que  quelque  puissance 
féerique  voulût  bien  transporter  d'un  coup  de  baguette  à  l'entrée 
du  port  d'Alger. 

Le  terrain  au  sud  de  cette  digue  est,  dans  une  étendue  d'un  kilo- 
mètre, couvert  de  ruines  considérables,  parmi  lesquelles  on  distingue 
celles  d'un  amphithéâtre ,  et  de  vastes  et  belles  citernes.  L'amphi- 
théâtre, dont  le  grand  axe  est  de  43  mètres  et  le  petit  de  32,  n'était 
formé  que  d'un  seul  étage  de  galeries,  dans  le  genre  de  celui  de  Phi- 
lippeville  en  Algérie.  Les  citernes  sont  une  réunion  de  vingt-cinq  ré- 
servoirs de  53  à  66  mètres  de  longueur  et  de  2  mètres  92  centimètres 
de  largueur,  occupant  en  superficie  un  quadrilatère  dont  deux  côtés 
sont  égaux  et  ont  90  mètres.  Les  deux  autres  côtés  sont  inégaux,  et 
ont,  l'un  66  mètres  et  l'autre  53.  L'entrée  générale  des  eaux  était 
au  quatorzième  réservoir.  C'est  un  canal  en  maçonnerie  qui  se  pro- 
longeait très-loin  dans  la  direction  du  village  de  Bokalta. 

Le  restant  des  ruines  de  Dimas  ne  consiste  qu'en  amas  confus  de 


LETTRE  A  M.   HASE.  8l5 

décombres ,  au  milieu  desquels  on  trouve  une  immense  quantité  de 
fragments  de  marbre. 

De  Dimas  à  El  Mahédiah,  rien  n'a  fixé  mon  attention.  D'après  les 
historiens  arabes,  celte  ville  d'EI  Mahédiah  aurait  été  fondée  au  com- 
mencement du  x^  siècle  de  l'ère  chrétienne  par  le  célèbre  Mahdi, 
chef  de  la  dynastie  des  Fatimiles  ;  mais  ils  omettent  de  dire  qu'd  y  avait 
eu  là  une  cité  romaine  (1)  dunomd'Aphrodisium  (2).  On  voit  à  El  Ma- 
hédiah des  ruines  de  ces  deux  périodes  d'existence.  Les  remparts,  qui 
peuvent  appartenir  à  l'une  et  à  l'autre,  sont  dans  l'état  où  les  ont  mis 
les  Espagnols,  lorsqu'ils  évacuèrent  cette  ville,  il  y  a  trois  siècles,  et 
qu'ils  les  firent  sauter  par  la  mine. 

Aux  deux  tiers  de  la  longueur  de  la  presqu'île  sur  laquelle  El  Ma- 
hédiah est  située,  existe  un  monticule  sur  le  plateau  duquel  sont  plu- 
sieurs citernes  antiques.  Deux  de  ces  citernes  sont  remarquables  par 
le  grandiose  de  leur  construction  :  ce  sont  de  vastes  réservoirs  sou- 
terrains de  25  mètres  de  longueur  sur  12  de  largeur  et  8  de  profon- 
deur. On  ne  peut  y  descendre  que  par  deux  petites  ouvertures  circu- 
laires et  au  moyen  de  cordes.  Elles  sont  assez  semblables  par  les 
détails  de  leur  construction  aux  citernes  d'Hippone,  et  ont  sur  celles- 
ci  l'avantage  d'être  en  bon  état  de  conservation. 
.  Au  sud  de  ces  citernes,  et  au  pied  du  monticule,  règne  un  bassin 
formant  un  rectangle  dont  les  grands  côtés  ont  72  mètres  et  les  pe- 
tits 37.  Ce  bassin  communique  ou  plutôt  communiquait  avec  la  mer 
par  un  chenal  de  37  mètres  de  longueur  et  de  20  de  largeur,  et  de- 
vait former  un  très-bon  port.  Il  est  encombré  maintenant,  ainsi  que 
le  chenal. 

A  une  lieue  d'EI  Mahédiah,  à  droite  de  la  route  d'EI  Djem,  on  voit 
les  ruines  d'un  monument  sarrasin  connu  dans  le  pays  sous  le  nom  de 
Bourdj-el-Arifa.  C'était  une  coupole  soutenue  par  quatre  massifs  fort 
ornés  et  unis  entre  eux  par  des  arcades.  Il  ne  reste  plus  de  ce  monu- 
mentque  les  massifs,  qui  sont  très-élégants.  C'était  sans  doute  un  mau- 
solée, car  il  existait  sous  la  coupole  un  caveau  vide  maintenant,  mais 

(1)  Il  est  fort  possible  que  des  inscriptions  découvertes  à  El  Mahédiah  confirment  un 
jour  la  conjecture  ingénieuse  de  M.  Pellissier  qui  place  dans  cette  localiîé  l'antique 
Aphrodisium.  Toutefois,  plusieurs  géographes  modernes  pensent  qu'EI  Mahédiah 
représente  la  Turris  Hannihalis  dont  il  est  question  dans  Tite-Live ,  XXXIII ,  48  ; 
et  ils  cherchent  Aphrodisium,  mentionné  par  Ptolémée  (p.  262,  liv.  XIII,  édit. 
Wilberg) ,  sur  le  golfe  de  Hammamet,  aux  environs  de  Herkia  et  au  N.-O.  de  Soussa 
qui,  sans  aucun  doute ,  représente  l'Adrumetum  des  anciens.    {lYole  de  M.  Hase.) 

(2)  Cette  opinion  a  déjà  été  émise  par  Marsden ,  qui  ne  cite  aucune  autorité  à 
l'appui.  F,  Mimismata  Orienialia,  1. 1,  p.  190, 


816  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE, 

que  tout  annonce  avoir  contenu  un  cercueil.  Ce  caveau  était  recouvert 
d'un  double  lit  de  chaux  et  de  charbon  pulvérisé,  dont  on  voit  encore 
une  partie  sur  ce  qui  reste  de  la  voûte.  Une  inscription  serpentait  au- 
tour de  ledifice  sur  la  frise  qui  régnait  au-dessus  des  archivoltes.  Je 
n'ai  pu  distinguer  dans  ce  qui  en  reste  que  ce  qui  suit  : 

U^  «K»-^  aMÎ 

(Dieuuniquc  et )  (1). 

A  Sélecta,  limite  de  cette  première  incursion  sur  le  littoral,  j'ai  re- 
marqué beaucoup  de  pans  de  murs  de  dimensions  considérables,  les 
restes  d'une  digue  unissant  entre  eux  quelques  rochers  pour  en  for- 
mer un  abri  contre  les  flots;  des  vestiges  de  citerne,  etc.  ;  mais  ces 
ruines  communes  ne  sont  rien  à  côté  d'une  magnifique  mosaïque  que 
découvrit  sous  le  sable  du  rivage,  il  y  a  peu  de  temps,  un  habitant  du 
pays.  C'est  le  fond  d'un  bassin  de  six  mètres  carrés  environ,  représen- 
tant, avec  une  grande  correction  de  dessin  et  une  admirable  vivacité 
de  couleur,  les  plus  belles  espèces  de  poissons  et  de  crustacés,  on  dirait 
le  poëme  d'Oppien  en  mosaïque.  Un  Italien,  qui  était  de  ma  compa- 
gnie, et  qui  a  visité  les  mosaïques  de  même  nature  du  palais  de  Saint- 
Jean-de-Latran  à  Rome,  regarde  celle  de  Sélecta  comme  bien  plus 
remarquable.  L'inventeur  de  celle-ci  a  enlevé  les  bords  du  bassin,  qu'il 
doit  me  céder.  Il  voulait  aussi  enlever  la  pièce  du  fond  pour  l'offrir  au 
caïd  de  Monestir  ;  mais  voyant  qu'il  ne  pouvait  le  faire  sans  la  briser, 
il  a  renoncé  à  son  projet.  11  serait  du  reste  très-facile  à  des  ouvriers 
européens  de  faire  ce  qui  a  paru  impossible  à  cet  Arabe.  Si  le  gouver- 
nement désirait  cette  belle  pièce,  je  ne  demanderais  pour  la  lui  en- 
voyer que  la  coopération  de  quelques  sapeurs  du  génie  de  la  garnison 
de  Bône.  Le  sol  est  bien  disposé  pour  que  la  mosaïque  puisse  être 
enlevée  tout  entière  en  la  prenant  par-dessous. 

Me  voici  enfin  parvenu  au  terme  de  mon  premier  voyage  archéolo- 
gique, c'est-à-dire  au  célèbre  amphithéâtre  d'EI  Djem,  le  plus  beau 
monument  d'antiquité,  sans  contredit,  du  nord  de  l'Afrique.  Vous 
en  aurez  lu,  sans  doute,  bien  des  descriptions  ;  mais  mon  récit  serait 
incomplet  si  je  n'y  ajoutais  pas  la  mienne.  Il  est  formé,  comme  le 
Colisée ,  de  trois  ordres  surmontés  d'un  attique  ;  mais  cet  attique  au 

(1)  li  est  assez  probable  que  la  phrase  entière  était  ainsi  conçue  : 

c'est-à-dire  Dieu  est  unique  et  il  n'y  a  point  de  Dieu  pour  vous  en  outre  de  lui. 
M.  Pc.llissier  n'indique  malheureusement  pas  en  quelle  espèce  de  caractère  celte  in- 
scription est  écrite. 


LETTRE   A   M.    HASE.  817 

lieu  d'être  plus  élevé  que  les  ordres,  comme  au  Colisée,  n'a  guère  que 
la  moitié  de  leur  hauteur.  Le  grand  axe  de  l'ellipse  extérieure  est 
de  i37  mètres  65  cent,  et  le  petit  de  115  mètres  90  cent.  La  hauteur 
totale  de  l'édifice  est  de  29  mètres  89  cent.  Du  reste,  c'est  la  même 
distribution  qu'au  Colisée  de  Rome.  Il  y  a  64  arcades;  mais  la  façade 
et  l'attique  manquent  en  plusieurs  endroits;  il  existe  même  à  une  des 
extrémités  du  grand  axe,  une  solution  complète  de  continuité  de 
rétendue  de  trois  arcades  ;  on  dit  généralement  que  cette  brèche  fut 
pratiquée,  à  une  époque  peu  reculée,  parle  gouvernement  tunisien, 
qui,  ayant  eu  à  combattre  des  rebelles  retranchés  dans  l'amphithéâtre, 
voulut  parce  moyen  prévenir  la  reproduction  d'un  pareil  fait;  mais  je 
n'ai  rien  trouvé  de  positif  à  cet  égard.  El  Khairouan,  le  plus  com- 
plet des  historiens  tunisiens,  n'en  dit  pas  un  mot  :  il  est  vrai  que  son 
histoire  ne  va  que  jusqu'à  la  fin  du  XVIl^  siècle.  Il  n'existe  pas  de 
traces  de  gradins  en  pierre  à  l'amphithéâtre  d'El  Djem.  Les  plans  in- 
clinés qui  devaient  les  recevoir  sont  tout  unis  et  sans  saillies.  Peut- 
être  les  sièges  étaient-ils  en  bois,  comme  le  furent  pendant  longtemps 
une  partie  de  ceux  du  Colisée.  Peut-être  aussi  faut-il  conclure  de 
cette  circonstance  que  l'édifice  n'a  jamais  été  achevé,  surtout  si  on  la 
rapproche  d'autres  circonstances  que  voici:  l'attique,  qui,  comme 
je  l'ai  dit,  n'existe  pas  partout,  manque  même  dans  des  endroits  otr 
il  n'y  a  pas  indice  de  démolition  ;  les  coupures  dans  les  solutions  de 
continuité  de  la  façade,  et  même  de  la  brèche,  sont  presque  partout 
nettes,  et  représentent  moins  des  arrachements  que  des  pierres  d'at- 
tente de  la  même  teinte  exactement  que  les  autres  ;  enfin  il  existe  au 
centre  de  chaque  archivolte  des  pierres  brutes  évidemment  destinées 
à  recevoir  des  ornements,  et  dont  deux  seulement  sont  sculptées,  l'une 
en  tête  de  lion,  et  l'autre  en  tête  de  femme  portant  la  coiffure  du 
siècle  des  Antonins. 

Il  existe  sous  l'amphithéâtre,  comme  à  celui  de  Rome,  une  gale- 
rie souterraine  qui  se  prolonge  bien  au  delà  des  limites  de  l'enceinte. 
Les  habitants  du  pays  disent  même  qu'elle  va  jusqu'à  El  Mahédiah. 
Une  telle  assertion  n'a  pas  besoin  d'être  réfutée;  mais  il  paraît  cer- 
tain, néanmoins,  que  cette  galerie  est  d'une  étendue  considérable. 
Comme  elle  est  encombrée  en  plusieurs  endroits,  et  que  mon  em- 
bonpoint ne  me  rend  pas  très-facile  la  progression  ophidienne,  j'ai 
dû  renoncer  à  en  sonder  les  profondeurs. 

A  un  demi-kilomètre  au  sud  de  l'amphithéâtre,  dans  un  lieu  que 
les  habitants  du  village  d'El  Djem  appellent  la  vieille  Ville,  existent 
de  grands  amas  de  décombres.  On  y  voit  de  tout  côté  des  tronçons  de 
T.  58 


818  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

colonnes,  des  fragments  de  chapiteaux  et  de  statues,  des  débris  de  mo- 
saïque, etc.,  et  pour  peu  qu'on  remue  le  §oî,  on  s'aperçoit  qu'il  ren- 
ferme des  richesses  archéologiques  considérables.  On  est  surpris  prin- 
cipalement de  la  profusion  avec  laquelle  le  marbre  avait  été  employé 
dans  ces  antiques  constructions.  En  disant  que,  seulement  avec  ce  qui 
s  offre  à  la  vue,  on  pourrait  construire  une  maison  à  deux  étages,  dont 
il  n'y  aurait  pas  une  pierre  qui  ne  fût  de  marbre,  je  ne  crois  pas  exa- 
gérer. M.  le  consul  général  de  France  à  Tunis  enleva  de  ces  ruines, 
il  y  a  quelques  années,  un  torse  de  marbre  qu'il  envoya  à  Paris. 
L'agent  anglais,  dont  je  parle  plus  haut,  y  découvrit  une  statue  de 
femme  dont  la  tête  était  brisée,  drapée  de  cette  manière  légère  qui 
laisse  suivre  tous  les  conteurs  du  corps;  mais  il  ne  la  fit  pas  trans- 
porter plus  loin  que  l'amphithéâtre,  oii  elle  est  encore.  J'ai  rapporté 
de  cette  mine,  pour  mon  compte,  une  petite  tête  d'enfant  en  marbre, 
et  une  inscription  prise  sur  un  piédestal  également  de  marbre;  la 
voici  : 

L.  AELIO.  AVRELIO 

COMMODO 

IMPERATOmS .  CAESA 

RIS .  T  .  AELl .  HADRI 

ANI  .  ANTONINI 

AVG.  PII.  P.P.F 

DD.  PP  (1) 

Sur  un  fragment  de  marbre  engagé  dans  le  naur  d'une  maison  de 
village,  on  lit  : 

....  GERMAN  T.  P.  XX...  (2) 

Cette  lettre ,  monsieur ,  est  déjà  bien  longue  ;  mais  je  dois  \om 

i-i)  Lisç?  :  Luciay^lio  ^urelio  Commodo,  imperatoris  Cœsa-ris  Titi  /EUi 
Hâdri-ani  ^nlonini  AugusU  palris  pcilriœ ,  filio;  decuriones  posuerunt. 
Piédestal  desliné  à  supporter  une  statue  de  l'empereur  Commode,  succéd.int  à 
Marc-Aurèle  l'an  180,  mort  en  l92.  Celle  inscription  présente  cela  de  très-sin- 
gulier que  Commode  y  figure  comme  fils  d'Antonin  le  Pieux  ;  il  faudrait  à  la  place 
de  la  lettre  F,  un  N,  initiale  de  nepos ;  dans  ce  cas  encore  il  serait  extraordinaire 
que  l'aieul  fût  nommé  à  l'exclusion  du  père.  Peut-être  était-ce  une  innovation  or- 
donnée par  le  bizarre  Commode.  (A'ote  de  M.  HçLse.). 

{T)  Ce  resie  d'inscription  indique  un  en^percur  revêtu  d^^  Ulre  ^e  Gern^anique  «jl 
qui  régnait  au  moins  depuis  vingt  années.  Celte  double  particularité  ne  peut,  ainsi 
que  l'a  fait  observer  M.  Hase,  s'appliquer  qu'au  seul  Marc-Aurèle.  En  supposant 
que  le  chiffre  XX  ne  fut  pas  suivi  de  quelques  unités,  l'inscription  aurait  été  tracée 
sous  la  viiiglième  puissance  Iribunilienne  du  Ois  d'Antonin  le  Ji^icux;  c'est  à-dirc  en 
l'an  IGG  de  l'ère  chrétienne,  910  de  Rome.  xMais  la  guerre  contre  les  Germains 


LETTRE  A   M.    HASE.  819 

(lire  cependant  encore  quelques  mots  sur  la  numismatique,  qui  pré- 
sente ici  cette  particularité  que  des  médailles  de  petit  bronze  sont  en 
circulation  monétaire  avec  la  bourbe  arabe,  monnaie  de  billon  du 
pays.  J'ai  pu  réunir  ainsi  sans  peine,  et  presque  sans  frais,  près  de 
deux  mille  médailles  en  peu  de  mois.  Celles  de  grand  et  de  moyen 
bronze  sont  infiniment  plus  rares.  Mes  petites  médailles  ne  présentent; 
pas  une  grande  variété  de  types;  mais  il  y  en  a  quelques-unes  qui 
ne  sont  pas  sans  valeur,  deux  entre  autres  de  Flavia  Constantia  (1), 
que  Mionnet  désigne  comme  n'étant  connues  que  par  le  Recueil  de 
Goltzius. 

La  glyptographie  trouve,  comme  la  numismatique,  à  faire  ici 
d'assez  bonnes  récoltes  où  l'ivraie  des  contrefaçons  est  peu  à  craindre. 
Je  n'ai  encore  réuni  que  quelques  intailles,  mais  on  m'a  assuré  qu'il 
existait  de  beaux  camées  entre  les  mains  de  divers  particuliers. 

La  céramiquî  n'est  pas  non  plus  sans  richesses  :  j'ai  déjà  en  ma 
possession  bon  nombre  de  lampes  sépulcrales,  fioles  dites  jadis  la- 
crymatoires,  vases  couverts  à  parfums,  et  autres  petits  monuments 
antiques. 

Je  serais  heureux  d'apprendre,  monsieur,  que  cette  longue  lettre 
ne  vous  a  point  trop  fatigué.  Je  le  serais  surtout  si  vous,  ainsi  que 
messieurs  vos  savants  confrères  de  l'Académie  des  Inscriptions,  vous 
vouliez  bien  donner  à  mes  recherches  subséquentes  la  direction  qui 
vous  paraîtrait  propre  à  les  faire  concourir  à  l'accroissement  de  la 
science. 

Veuillez  agréer,  monsieur,  la  respectueuse  assurance  de  ma  haute 
considération.  Pellissier. 


n'ayant  commencé  qu'en  l'année  169,  et  Marc-Aarèlc  ne  prenant  sur  les  monument* 
et  en  parliculier  sur  la  monnaie,  le  lilre  de  Germanique  qu'à  partir  de  sa  vingt- 
sixième  puissance  tiibuniliennc,  il  est  impossible  de  faire  remonter  râj;e  de  l'in- 
scripUon  découverte  par  M.  Pellissier  au  delà  de  l'an  J72  de  J.  C;  encore  pcul-on 
descendre  jusqu'en  175,  car  c'est  à  la  fin  de  celle  année-là  seulement  que  Marc- 
Aurèle,  qui  était  alors  dans  sa  vingt-neuvième  puissance  tribuniliinne,  ajouta  à  ses 
titres  celuide  Sarmalique,  qui  suivit  depuis  le  Germanicus  que  nous  voyons  seul  ici. 
(1)  Il  y  a  deux  Flavia  Constanlia  dont  les  monnaies  ne  sont  citées  que  par  Gol- 
tzius ;  la  première ,  femme  de  Licinius.  qui  l'épousa  en  313  ,  mourut  en  330;  la  se- 
conde, fille  de  Constance  et  de  Fausline,  épousa  Gralien  en  375  et  mourut  au  moii 
d'août  de  l'an  383.  Dans  le  catalogue,  rédigé  par  M.  Pellissier,  ces  monnaies  sont 

ainsi  décrites  :  TANTIA  AYG.  Tête  de  Flavia  Constanlia.  R.  guerrier  appuyé 

sur  une  pique.  Module  3. 


OBSERVATIONS  HISTORIODES  ET  6ÉOGR4PHI0UES 


SLR 


LINSCRIPTION  D  UNE    BORNE  MILLIAIRE 

QUI  EXISTE  A  TUNIS. 


Il  n'est  pas  rare  que  les  inscriptions  des  bornes  milliaires  présen- 
tent beaucoup  d'intérêt.  Les  notions  diverses  qui  s'y  trouvent  «xpri- 
mées ,  le  chiffre  itinéraire  qui  les  termine,  les  formules  impériales 
qui  les  commencent,  fournissent  assez  fréquemment  des  indications 
utiles  à  l'histoire  ou  à  la  géographie. 

Celle  que  je  vais  expliquer  m'a  paru,  sous  tous  ces  rapports,  mé- 
riter une  attention  particulière,  puisqu'elle  contribue  à  nous  faire 
connaître  l'histoire  d'une  importante  voie  romaine  entre  Carthage 
et  rinlérieur  de  la  Numidie;  et  qu'elle  confirme  ou  même  complète 
le  témoignage  de  Jules  Capitolin  et  d'Hérodien  sur  un  point  de  l'his- 
toire impériale. 

Cette  inscription  n'est  point  inédite.  Sir  Grenville  Temple  l'a  pu- 
bliée en  1835  (1);  mais  sa  copie  est  si  incomplète  qu'il  est  impossible 
de  deviner  les  curieuses  particularités  qu'elle  nous  fait  connaître.  Ce 
voyageur  l'a  trouvée  à  Tunis,  servant  à  soutenir  un  côté  de  la  porte 
principale  de  l'école ,  dite  Medres  el  Andaloiis,  a  Depuis  que  je  l'ai 
«copiée,  dit-il,  elle  a  été  endommagée  par  quelques  Francs.» 
Cependant  M.  Falbe ,  qui  l'a  copiée  ensuite,  l'a  trouvée  dans  un  si 
bon  état  qu'd  a  pu  en  tirer  une  copie  presque  complète,  tandis  que 
dans  celle  de  sir  Grenville  la  seconde  moitié  est  mutilée  à  tel  point 
que  M.  Dureau  de  Lamalle,  malgré  d'ingénieux  efforts,  n'a  pu  réussir 
à  la  restituer  (2)  ;  on  jugera  qu'il  ne  pouvait  en  être  autrement , 
quand  on  aura  sous  les  yeux  cette  copie  en  regard  de  celle  que  m'a 
communiquée  M.  Falbe,  d'après  le  fac-similé  qu'il  en  a  pris  sur  les 
lieux  mêmes  : 


'1)  Excursions  in  the  Mediterranean ,  t.  II,  p.  305,  n"  il. 
(2)  Recherches  sur  la  topographie  de  Carthage,  p.  252 ,  25.3. 


INSCRIPTION  D'UNE   BORNE  MILUAIRE, 


821 


CiESAR 

..  RVS  MAXIMINVS... 

FELIX  AVGGERMMAXSAR 

MARMAX  DACICVS  MAX  SAR 
5.    MAX  TRIB*  POTEST  III  IMP... 

CIVIBVS  VERVS  MAXIM VS.. 

BILISSÏMVS  CAES*  PRINCEPS. 

IVVENÏVTIS   GERMMAX... 

MATxWAKARTHAGINEM . . . 
10.    VIAMACARTHAGINE.... 

AD   FINES  NVMIDIiE 

..  GÏ^IONSAINCV... 

...  APTAMADQVE... 

...  RESTITVERVNT 
15.  LXX 


£âysMA)()yviM 
1feuxavgg£1max>sar: 

MAMXDACICVSMAXP 
flVlA^B-POTESliMPVI 
£MV|V£i/!MAXL® 


BUISSIMVSCAESPRINCEPvî 

ivvenTvTisgermmaxsar 

MATMAXDACICVJ"MAX 
VIAMAKARTHAGINEV5 
QVEADFINE5NVMI0IAE 
Pllv  JClAElONaAINCVP 
C^PT/IMABQVEr 

,  re^TiTvervnT 


^, 


XX 


\ 


Transcrite  et  complétée,  elle  est  ainsi  conçue  :  \Mverator  C/Esar, 
Caias  ivlivs  vervs.  maxl^iinvs.  felix.  a\qusIiis.  GERmanicus, 
MAximus.  sarmat/c«5.  MAximw^.  dacicvs.  Mwimas.  Po^TÎfex. 
MAximus.  TRiBunitia.  poTEState  iiii.  iMPerator  vi. 

CaiuS  IVLIVS.  VERVS.  MAXIMW5.  nOBILISSIMVS.  CMSar.  PRINCEPS. 
IVVENTVTIS.  GERMamCMS.  MAXimUS.  SARMATICM5.  MAXimM5.  DACICVS. 
MAxima5.    VIAM.    a.     CARTHAGINE.    VSQVE.    ad.    fines.     NVMIDIiE. 

PRoç'mcï.E.  longa.  incvria.  corrwPTAM.  ATQVE  Bilapsani.  resti- 

TVERVNT.  LXX. 

Jusqu'à  la  neuvième  ligne,  il  n'y  a  pas  grande  différence  entre  les 
deux  copies  ;  sauf  la  circonstance  qu'on  remarque  dans  la  seconde  et 
la  sixième  ligne  ,  et  sur  laquelle  je  reviendrai  plus  Bas;  sauf  encore 
le  chiffre  m  au  lieu  de  nu  après  la  puissance  tribunitienne;  mais  ce 
second  chiffre,  sur  la  copie  de  M.  Falbe,  est  confirmé  par  l'autre 
indication  ;  imp.  vi.  qui  exige  en  effet  la  iv^  puissance  tribuni- 
tienne. La  date ,  ainsi  fixée  à  la  dernière  année  du  règne  simul- 


822  UEVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

tané  de  C.  Julius  Verus  Maxiniinus,  et  de  son  fils  C.  Julius  Veras 
Maximus  ,  correspond  à  l'an  238  de  notre  ère. 

Les  lignes  9,  12,  13,  14,  dans  la  copie  de  sirGrenville  sont  en- 
tièrement corrompues  ;  et  il  était  impossible  d'en  rien  tirer  de  satis- 
faisant. Je  laisse  donc  de  côté  les  conjectures  qu'elles  avaient  sug- 
gérées à  notre  savant  confrère;  et  je  m'en  tiens  à  la  leçon  certaine 
que  j'en  viens  de  donner;  je  dis  certaine,  parce  que  je  ne  pense 
pas  qu'on  puisse  contester  la  seule  restitution  que  j'aie  dû  proposer  à 
la  ligne  quatorzième  :  Corruplam  ad  (at)  que  dilapsam{\);  le  dernier 
mot,  dont  il  ne  reste  que  m,  étant  appuyé  par  l'expression  :  viam 
Fldminianam  veluslale  dilapsamrestiluendam  curavil,  dans  une  inscrip- 
tion de  Fabretli  (2). 

Il  s'agit  donc  d'une  route  que  les  empereurs  Maximin  et  Maxime 
firent  réparer;  et  elle  en  avait,  à  ce  qu'il  paraît,  grand  besoin > 
puisque  qu'une  longue  incurie  (longa  incuria)  l'avait  réduite  dans  un 
état  déplorable  [corrupla  atque  dilapsa).  Cette  route  partait  de 
Carthage  et  aboutissait  aux  frontières  de  la  province  de  Namidie, 
Cela  est  bien  vague.  A  quel  point  des  limites  des  deux  provinces 
doit-on  prendre  ces  fines?  on  l'ignore;  on  ne  serait  pas  plus  avancé, 
si  l'on  voulait  prendre  ce  mot  de  fines  pour  le  nom  d'un  lieu  ou  d'une 
station  déterminée,  ainsi  qu'il  y  a  d'autres  stations  dans  l'itinéraire, 
auxquelles  on  avait  donné  ce  nom  de  fines;  parce  qu'elles  se  trou- 
vaient sur  la  limite  de  deux  peuples  ou  de  deux  provinces  (3).  Comme 
ce  nom  ne  se  rencontre  pas  une  seule  fois  dans  tous  les  itinéraires  de 
l'Afrique,  on  ne  pourrait  trouver  la  position  géographique  de  ces  fines 
NamidiiÈ.. 

D'ailleurs ,  en  pareil  cas ,  il  n'y  a  jamais  de  complément  après 
fines;  au  contraire,  quand  ce  nom  est  suivi  d'un  complément, 
tel  que  Marmariœ,  Aleiandriœ,  il  indique  non  pas  une  station,  mais 
une  limite  de  territoire  (4). 

11  faut  donc  entendre  ces  fines  Numidiœ  provinciœ ,  des  limites  qui 
séparaient  h  Numidie  de  la  Zeugitane;  c'est-à  dire  que  sur  une  route 
qui ,  parlant  de  Carthage ,  aboutissait  à  un  point  quelconque  de  la 
Numidie,  les  empereurs  Maximin  et  Maxime  avaient  fait  réparer  la 
partie  qui  finissait  à  la  frontière  de  la  province  ;  et  si  l'on  n'a  point 

(1)  yit  et  ad  sont  mis  souvent  l'un  pour  l'autre.  C'est  un  eEfet  naturel  de  Vàlli- 
aération,  G.  Marini,  Iscriz.  Alhan.  p.  109.    . 

(2)  C.  tO.  no43. 

(3)  llin.  vel.  p.  341,  343,  364,  370,  398,  4î1,  460,  461,  462. 
(4)i<»n.tJè(.  p.70,71. 


INSCRIPTION  d'une    BORNE   MILLIAIRE.  823 

exprimé  à  quel  point  de  la  frontière ,  c'est  que  ce  point  était  naturel- 
lennent  celui  oii  aboutissait  la  route  sur  laquelle  les  railliaires  étaient 
placés. 

Maintenant,  remarquons  que  la  borne  se  trouve  actuellement  à 
Tunis ,  c'est-à-dire  à  quatre  ou  cinq  milles  seulement  au  sud-ouest 
de  Carthage  ;  comme  elle  porte  le  chiffre  lxx  ,  à  partir  de  cette  ville, 
il  faut  reconnaître  qu'elle  a  été  nécessairement  apportée  là  d'une 
distance  de  soixante-cincj  à  soixante-six  milles  ou  d'environ  vingt- 
deux  de  nos  lieues  communes.  Mais  sur  quelle  route  fut-elle  origi- 
nairement placée?  c'est  ce  qu'il  serait  maintenant  impossible  de  savoir, 
si  d'autres  colonnes,  trouvées  en  différents  points  ,  n'en  fournissaient 
le  moyen. 

Parmi  les  voies  romaines  qui  partaient  de  Garthage ,  trois  princi- 
pales conduisaient  en  Numidie;  Tune  longeait  en  partie  la  côte  au  nord 
et  se  rendait  à  Hippo-Regkis  (Bone),  par  Udca  et  Hippo-Zarylos 
(Bizerte);  l'autre  aboutissait  à  celte  même  ville,  en  passant  par 
Cigissa,  Teglata ,  Biilla  Regia  et  ad  Aqaas;  la  troisième  tournait 
au  sud-ouest  par  Tunes,  M  asti  y  où  elle  se  partageait  en  deux  bras, 
dont  l'un  se  dirigeait  à  l'ouest  et  l'autre  au  sud-ouesl  pour  se  rendre 
à  Tlie^^este  colonia^  à  présent  Tebesa  ,  et  de  là  par  Cirta  (ou  Con- 
stantine),  aboutissait  à  Césarée.  On  a  lieu  de  croire  que  c'est  à  la 
première  partie  de  cette  route,  de  Garthage  à  T/icç^es/e,  qu'appartenait 
notre milliaire;  en  voici  la  preuve: 

Deux  autres  milliaires  ont  été  trouvés  en  un  point  très-reculé  de 
l'intérieur,  près  d'El-Knf,  à  Sidi  Bou  Atilah.  Ge  point  doit  corres- 
pondre à  la  station  de  Tliinica,  sur  la  route  de  Carthage  à  Tlm^este, 
entre  les  deux  stations  principales  Choreva  (lxvi,  m.  v.)  et  Musli 
(xciv,  Bi.  p.),  marquées  dans  l'itinéraire  d'Anlonin  (l).  La  pre- 
mière de  ces  deux  inscriptions,  copiée  par  Sir  Grenville  Temple, 
est  presque  en  tout  semblable  à  celle  qui  nous  occupe  ;  la  voici 
telle  que  la  donne  ce  voyageur  (2)  : 

(t)  liin.  vêler,  p.  26. 
(2)  N"  179,  t.  II,  p.  352. 


82i  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

IMP.    CAES 

GÏVLl VS   VERVS   M 

AXLMIANVS  (sic)  PIVS.    FEL 

AVG.    GERM.    MAX. 

SARM.    MAX.    DACÎ 

CVS.    MAX.    PONTIF. 

MAX.    T.    P.    111.    IMP.    V.    ET 

GIVLIVS.    VERVS.    MAXI 

MVS.    NOBIL.    CAES.    PR. 

IVVENTVTIS.    GERMAN 

SARM.    MAX.    DAC.    MAX. 

VIAM.    A.    KARTHAG.... 


On  peut  la  terminer  en  toute  assurance  d'après  la  première  ;  car 
elles  sont  identiques  entre  elles,  à  l'exception  de  la  date,  qui  est 
d'une  année  antérieure,  trib.  pot.  m.  imp.  v.;  mais,  comme 
l'autre  a  dû  être  posée,  ainsi  qu'on  le  verra,  avant  le  mois  de  mars 
de  l'an  238,  la  pose  de  l'une  et  dé  l'autre  peut  avoir  eu  lieu  à  quelques 
mois  seulement  d'intervalle. 

Or,  celle-ci  étant  précisément  placée  sur  la  route  de  Carlhcige  à 
Theveste ,  mùrc\uée  dans  l'itinéraire,  c'est  une  preuve  manifeste  que 
l'autre  inscription  qui  existe  à  Tunis  y  lut  transportée  d'un  point 
de  cette  voie  romaine  situé  à  soixante-dix  milles  de  Carthage. 

C'est  d'ailleurs  ce  que  semble  démontrer  la  deuxième  borne  que 
Sir  Grenville  Temple  a  vue  en  ce  même  lieu,  appelé  Abou  Atllahy 
où  il  a  trouvé  la  précédente  ;  par  conséquent  sur  la  route  de  Cjirthagc 
h  Theveste  :  il  n'en  a  copié  que  ces  cinq  lignes  : 


AVG.    PONT.    MAX.    TRIB 
POT.    VII.    COS.    IIII 

VIAM.    A.    KARTHAGINE 

HILVESTEM.    STRAV 

PIRIECIIIAVG 


Les  lacunes  de  ce  fragment  informe  se  remplissent  avec  toute  cer- 
titude au  moyen  de  deux  autres  bornes  milliaires,  trouvées  en  des 
lieux  bien  dilîérents.  La  première  a  été  vue  et  copiée  à  Tunis  même 


INSCRIPTION  D'UNE   BORNE  MILLIAIRE.  825 

par  Shaw  (1)  ,  ensuite  par  M.  Falbe,  qui  en  donne  cette  copie, 
laquelle  ne  dJiFère  de  celle  de  Shaw,  qu'en  ce  quelle  fournit  le 
chiflre  milliaire  que  le  voyageur  avait  oublié  : 

IMP.    CAESAR 
DIVI.    NERVAE.    [NEPOs] 
[dIVI.    TRAIANI.  PARTHICl.  F. 

traianvs.  hadrianvs] 

AVG.    PONT.    MAx(tRIB) 

POT.    \II   COS  lU 

VIAM.  A.  KARTHAGINE 

THEVESTEM    STRAVIT 

PER.    LEG.    III.    AVG. 

P.    METILIO.    SECVNDO 

LEG.    AVG.    PR.    PR. 

LXXXV 

La  deuxième  a  été  récemment  découverte,  lors  des  fouilles  entre- 
prises par  une  Société  française  sur  le  sol  de  Carthage.  Elle  a  été 
transportée  à  Paris  et  doit  être  ofl'erte  à  la  Bibliothèque  royale.  Les 
trois  premières  lignes  manquent;  il  ne  reste  de  la  quatrième  que  le 
bas  des  lettres  :  les  lignes  suivantes,  à  partir  de  avg.  pont.,  etc., 
sont  identiques  avec  celles  des  copies  de  Shav/  et  de  M.  Falbe.  La 
seule  diilérence  consiste  dans  le  chiflre  milliaire  qui  est  lxxxvi,  au 
lieu  de  lxxxv. 

Ces  deux  inscriptions  permettent  de  rétablir  complètement ,  au 
chifl*re  près,  celle  que  sir  Grenville  Temple  a  copiée  à  Aboii-Aûlah, 
et  dont  j'ai  transcrit  plus  haut  les  cinq  lignes  qui  restent;  on  a  donc 
maintenant  trois  bornes  milliaires  appartenant  à  la  môme  voie  ro- 
maine, qui,  partant  de  Carthage,  aboutissait  à  Theçeste  Colonia;  Y  nue 
d'elles  est  encore  en  place,  ou  du  moins  se  trouve  fort  près  du  lieu 
où  elle  dut  être  originairement  placée  ;  les  deux  autres  marquées,  l'une 
du  chiffre  lxxxv,  l'autre  du  chiffre  lxxxvi,  furent  apportées,  la 
première  à  Tunis,  où  elle  est  encore;  la  deuxième  à  Carthage,  d'où 
elle  a  été  transportée  à  Paris. 

Ces  trois  colonnes  sont  de  la  même  année,  savoir,  la  vif  d'Ha- 
drien, répondant  à  l'an  877  de  Rome,  ou  124  de  l'ère  vulgaire. 
Elles  attestent  que  la  grande  route  de  Carthage  à  Theçeste  colo- 
iiia,  iwi  pavée  et  garnie  de  ses  milliaires,  au  commencement  du 

l)  Travels,  p.  15G,  Oxford,  17 38. 


826  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE, 

règne  de  cet  empereur.  Les  travaux  furent  exécutés  par  la  troisième 
légion  Augusta ,  le  lieutenant  d'Auguste  P.  Métilius  Secundus  étant 
le  procurateur  de  la  province. 

Nos  trois  inscriptions  sont  les  plus  anciens  monuments  où  le  nom 
de  Theveste  se  rencontre.  On  ne  le  trouve  ni  dans  Mêla,  ni  dans  Pline- 
Ptolémée,  qui  écrivait  sous  Antonin,  est  le  premier  auteur  qui  la 
nomme.  C'était  donc  une  ville  nouvelle,  du  moins  une  ville  qui  ne 
prit  qu'assez  tard  de  l'importance.  Il  est  vraisemblable  que  cette  im- 
portance date  de  l'époque  où  elle  devint  colonie  romaine,  titre  qu'elle 
porte  dans  l'itinéraire  d'Antonin  et  dans  une  inscription  deGruter(l), 
et  que  cette  époque  est  celle  du  commencement  du  règne  d'Hadrien  ; 
c'est  alors  que  le  besoin  de  rendre  faciles  les  communications  engagea 
ce  prince  à  faire  exécuter  la  voie  qui  devait  unir  la  nouvelle  colo- 
nie avec  Carlhage,  la  métropole  africaine.  Ces  trois  milliaires  vont 
très-bien,  par  leur  date,  aux  autres  données  qui  concernent  ce  lieu, 
en  donnant  Hadrien  pour  le  premier  auteur  de  cette  grande  voie  de 
communication. 

Des  réparations  y  furent  faites,  environ  un  siècle  après,  la  xtx*  an- 
née d'Antonin  Caracalla,  en  960  ou  216  de  notre  ère,  ainsi  que 
l'atteste  cette  autre  inscription  trouvée  et  copiée  à  Testonr  par  sir 
Grenville,  à  quelques  milles  à  l'est  du  point  où  ont  été  trouvées  deuî 
des  précédentes  (2).  Cette  borne  forme  un  des  piliers  qui  soutiennent 
une  maison  moderne,  servant  à  une  corderie, 

CAESAR   M 
AVRELIVS 

ANTOMNVS  Cœsar  Marcus  Aarelius  Ànto- 

pivs.  AVG.  PART  niniis ,   Pins,  AugmluSy  Parlhicus 

Hicvs.  MAXIM  MaximuSy   Britannicus  Maximus 

VS.    BRITANICVS  ^  .  ,,      .  ^    ,       •  • 

., .  X. ,  «, ,..    ^  w.«  Germanicas  Maximus ,  Tribmilia 

MAXIM VS.    GER 

MANicvs.  MA  potestate  xix,  Consul  iv,  Pater 

xiMvs.  TRiBVN  Palricè,  resliluit,  lxxi  (2). 

CIA   POT.    XIX 

COS.   mi.    p.  p.  RESTITVIT 

LXXI 

(1)  Sir  Grenv.  Temple,  t.  II,  p.  308  ,  n"  19. 

(2)  Celle  borne  élait  à  un  mille  de  celle  qui  fut  transportée  à  Tunis  (plus  haut, 
p.  821)  ;  comme  elle  était  en  place  et  en  bon  état,  on  n'y  toucha  pas  lors  des  répa- 
rations ordonnées  par  Maximin. 


INSCRIPTION  D  UNE  BORNE   MILLIAIRE.  827 

Sir  Grenville  Temple  a  trouvé  les  vestiges  de  cette  voie  romaine 
entre  Kaf  et  Testour  ;  il  les  décrit  en  ces  termes  :  c<  Aussitôt  après 
«  avoir  quitté  Kaf,  j'ai  foulé  les  vestiges  d'une  ancienne  voie  ro- 
te maine.  A  mesure  que  nous  avancions,  ils  devenaient  plus  fortc- 
«raent  prononcés,  et,  en  quelques  endroits,  dans  un  état  presque 
«  parfait  de  conservation,  spécialement  entre  Sidi  Abd-er-Uabbou  et 
«Bou  Atilah.  Cette  route  n'était  pas  pavée  avec  de  grands  blocs 
«  polygones  comme  ceux  des  routes  romaines  en  Italie,  mais  avec 
«  des  matériaux  qui  ressemblent  à  ceux  qu'on  emploie  à  Londres  et 
((  à  Paris.  En  certains  endroits,  on  trouve  quelques  anciennes  bornes 
<(  milliaires  ;  mais  malheureusement  la  plupart  d'entre  elles  sont  ou 
«fracturées  ou  presque  illisibles.  J'en  ai  pourtant  copié  trois  (l).  » 
Ce  sont  les  deux  précédentes  et  une  troisième  que  voici  : 

[IMP.]  càesarM 

M.    AVRELIO 

PROBO.    PIO 

FELICI.    AVG. 

PONTIF.    MA 

XIMO.    TRIB. 
[POt...  OB.  VIAM 

RESTlT.    COL 

MP ] 

Elle  se  renferme  entre  les  années  i029-i03/^  ou  276-281  de  notre 
ère,  époque  d'environ  un  demi-siècle  postérieure  à  celle  des  tra- 
vaux ordonnés  par  Maximin. 

il  paraît  que,  depuis  cette  époque,  la  route  fut  abandonnée,  et  que, 
vingt-deux  ans  après  la  réparation  faite  par  Caracalla ,  les  empereurs 
Maximin  et  Maxime  (ou  du  moins  le  procurateur  de  la  Zeugitane  en 
leur  nom)  la  firent  réparer  dans  toute  la  partie  qui  de  Carlhage 
aboutissait  à  la  frontière  occidentale  de  la  Numidie. 

D'après  tous  ces  documents,  la  grande  route  de  Cartbage  à  The- 
veste  fut  pavée  pour  la  première  fois  sous  Hadrien ,  réparée  sous  An- 
tonin  Caracalla,  en  2  6;  négligée  depuis;  restaurée  en  237  et  238 
sous  Maximin  (au  moins  jusqu'à  la  frontière  numide),  puis  réparée 
encore  sous  Probus. 

Ils  nous  fournissent  donc  une  sorte  d'histoire  de  cette  voie  impor- 
tante dans  la  province  de  Zeugitane ,  presque  jusqu'au  temps  de 
Dioclétien. 

(1)  Sir  Grenv.  Temple,  t.  Il ,  p.  282. 


S28  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

J'arrive  maintenant  à  l'examen  d'une  circonstance  que  présente 
l'inscription  de  Tunis,  circonstance  tout  à  fait  unique  dans  l'épi- 
graphie  latine.  On  trouve  souvent  des  inscriptions  impériales 
oii  les  noms  des  empereurs  ont  été  effacés,  ce  qui  a  lieu  pour  ceux 
deCaligula,  de  Néron,  de  Domitien ,  de  Commode,  de  Géta,de 
Caracalla,  d'Héliogabale ,  de  Galère  Maximien  et  de  Julien  ;  mais  on 
n'en  connaît  jusqu'ici  aucune  où  ces  noms,  effacés  par  la  haine  ou 
la  vengeance  politique,  aient  été  remplacés  après  coup.  Il  était  im- 
possible de  se  douter  de  cette  circonstance  singulière,  d'après  la  co- 
pie de  sir  Grenville  Temple.  Mais  ce  fait  m'a  paru  évident  dès  le 
premier  coup  d'œil  jeté  sur  la  copie,  ou  fac-similé ,  que  M.  Falbe 
m'avait  communiquée.  Ce  savant  en  est  demeuré  d'accord ,  aussitôt 
que  je  lui  en  fis  faire  la  remarque;  et  il  m'a  donné  l'assurance  que 
cette  particularité  était  fort  clairement  indiquée  sur  la  pierre. 

Or,  cette  particularité  consiste  en  ce  que  la  2®  et  la  6^  ligne  oii 
se  lisent  les  noms  de  Maximinus  et  de  Maximus  présentent  un  en- 
foncement très-sensible  ;  d'où  il  résulte  avec  évidence  que  ces  noms 
en  ont  remplacé  d'autres  qui  avaient  été  grattés  ;  pour  graver  ces 
nouveaux  noms,  on  égalisa  et  l'on  polit  ensuite  la  pierre  ;  de  là  cet 
enfoncement  qui  se  remarque  en  ces  deux  endroits  seulement. 

Quels  étaient  ces  noms  que  le  ciseau  avait  effacés?  La  réponse  n'est 
pas  douteuse;  car  il  n'y  a  eu  d'effacé  que  ces  noms;  le  reste  est  de- 
meuré intact.  Or,  comme  les  titres  des  deux  empereurs  et  les  dates 
qui  les  accompagnent  ne  peuvent  absolument  convenir  qu'à  Maxi- 
minus  et  à  Maximus,  on  a  la  preuve  certaine  que  leurs  noms 
avaient  été  gravés  là  dès  l'origine  ;  d'où  il  suit  que  leurs  noms 
furent  effacés  d'abord  dans  un  intérêt  quelconque  ,  puis  rétablis 
dans  un  intérêt  opposé. 

C'est  là  une  circonstance  dont  aucune  autre  inscription  latine  ne 
fournit  d'exemple ,  mais  dont  l'histoire  nous  donne  une  explication 
complète. 

Maximus  et  son  fils  étaient  occupés  à  la  guerre  de  Pannonie , 
lorsqu'une  ville  d'Afrique,  fiTa^/rume/wm,  se  révolta  contre  leur  tyran- 
nie; la  révolte  gagna  bientôt  toute  la  province  d'Afrique.  On  mit  sur 
le  trône  Gordien  qui  était  proconsul  de  la  province  depuis  sept  ans , 
et  qui  pour  lors  se  trouvait  à  Tysdrus.  Forcé  d'accepter  ce  dange- 
reux honneur ,  il  s'associa  immédiatement  son  fils  qui  portait  le 
même  nom  que  lui.  La  haine  de  la  multitude  contre  Maximin  dé- 
posé se  manifesta  par  de  grands  excès.  Hérodien  dit  qu'on  abattit 
ses  statues ,  qu'on  détruisit  ses  images  et  les  traces  de  tous  les  bon- 


INSCRIPTION  d'une  BORNE  MILLIAIRE.  829 

neurs  qui  lui  avaient  été  conférés  (àv^pidvTeç  ovv  7,ou  eiy.6vîçy  niioci 
T£  Traçât  roît  Ma^ipvou  zarso'TrwvTo  (1). 

A  coup  sûr,  leurs  noms  gravés  dans  les  inscriptions  dédicatoires 
ne  furent  point  épargnés  ;  voilà  ce  qui  explique  pourquoi  ils  avaient 
disparu  de  notre  borne  milliaire,  et  probablement  de  toutes  celles  qui 
furent  élevées  sur  la  route  de  Carthage  à  la  frontière  de  Numidie  {ad 
fines  Numidiœ  provinciœ  ). 

Maintenant  pourquoi  y  furent-ils  replacés  de  nouveau  ?  Le  voici  : 

Maximin  avait  nommé  gouverneur  de  la  Numidie  un  certain  Capel- 
lianus ,  officier  de  distinction  qui  lui  était  tout  dévoué.  La  province, 
dit  Hérodien,  avait  besoin  d'être  fortement  gardée  contre  les  incur- 
sions des  Barbares ,  et  contre  les  mouvements  des  populations  (2)  ; 
car,  après  une  occupation  de  près  de  trois  siècles,  la  possession  du 
pays  était  peut-être  encore  moins  tranquille  qu'elle  ne  l'est  de  nos 
jours. 

Gordien  ,  une  fois  proclamé  empereur ,  était  trop  prudent  pour 
laisser  Capellien  ,  son  ennemi  naturel ,  dans  une  position  aussi  for- 
midable; il  se  hâta  donc  de  le  révoquer,  de  lui  envoyer  un  succes- 
seur, et  de  lui  enjoindre  de  quitter  le  pays  (3)  ;  mais  Capellien  qui 
sentait  sa  force,  se  garda  bien  d'obéir  à  cet  ordre.  Pour  toute  ré- 
ponse ,  il  marche  sur  Carthage  à  la  tête  de  ses  troupes  ;  il  défait  et 
tue  le  fils  de  Gordien  ;  quant  au  père,  désespérant  de  pouvoir  échap- 
per à  son  vainqueur,  il  s'étrangle  avec  sa  ceinture,  n'ayant  régné 
qu'environ  six  semaines. 

Capellien  entre  à  Carthage  ;  il  fait  périr  tous  ceux  qui  avaient  pris 
parti  contre  Maximin  ;  il  pille  les  temples  et  les  maisons  des  particu- 
liers ,  met  à  mort  ou  bannit  tous  les  membres  de  la  famille  des  Gor- 
diens (4)  ;  et  l'histoire  semble  déjà  confirmée  sur  ce  point  par  une  in- 
scription d'Afrique,  où  notre  savant  confrère  M.  Le  Bas  a  découvert 
le  nom  d'un  des  Gordiens,  Quintus  Maecius  Riisticus,  assassiné 
[fcrro  peùtas)hi  cette  époque  (5)  et  à  la  môme  occasion  (6).  Capellien 
parcourut  les  campagnes,  ravageant  toutes  les  villes  qui  avaient  dé- 

0)  Herod.  VII,  7,3. 
(2j  Idem,  VII,  9,2-4. 

(3)  Idem  ,  VII,  9,  G  vix^oy_6'i  ts  aùrèv  zTz-ii-bz  ,■  y.'xl  rou  éd->o\iç  sÇe/Osïv  s/i^.S'jTSv. 

(4)  Idein  ,  VII,  7,  8  et  9.  —  7ai.  Capit.  in  Maximinis ,  c.  19. 

(5)  ....  Omnes  Gordianos....  in  yifrica  intcremil  et  proscripsH.  Je  suis  l'in- 
terprélalioii  de  M.  Le  Bas. 

(6)  Journal  de  l'Instriict.  publique,  7  août  1836.  Son  interprétation  est  ap- 
prouvée par  M.  Hase  (Journ.  des  Savants,  juillet  1837,  p.  430,  43i  ). 


830  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

truit  les  honneurs  conférés  à  Maximin  ,  préparant  tout,  dit  Jules 
Capitolin ,  pour  arriver  lui-même  au  trône  impérial ,  si  Maximin 
venait  à  périr  (l). 

En  vengeant  ainsi  les  injures  de  Maximin  qui,  malgré  les  décisions 
du  sénat,  était  resté  à  la  tête  de  sa  formidable  armée,  en  rétablissant 
ses  honneurs ,  Capellien  ne  pouvait  oublier  que  le  nom  de  ses 
princes  avait  été  eflacé  à  l'avènement  de  Gordien,  des  inscriptions, 
principalement  de  celles  des  bornes  milliaires  sur  la  grande  roule  que 
Maximin  avait  fait  réparer.  Si  les  bornes  marquées  de  l'an  m  étaient 
de  la  fin  de  cette  année,  les  unes  et  les  autres  avaient  pu  être  dressées 
dans  l'espace  de  peu  de  mois.  Ces  colonnes ,  c'était,  à  n'en  point 
douter ,  Capellien  lui-môme  qui  les  avait  fait  placer  et  orner  d'in- 
scriptions; car  elles  étaient,  comme  on  l'a  vu ,  les  unes  de  l'an  m, 
les  autres  de  l'an  iv  de  cet  empereur.  Or  l'avènement  de  Gordien 
ayant  eu  lieu  au  mois  de  mars,  Capellien  était  dès  lors  gouverneur 
de  la  province.  En  remettant  ces  noms,  il  ne  faisait  que  rétablir  son 
propre  ouvrage. 

Ainsi ,  l'histoire  donne  une  explication  complète  de  la  particula- 
rité unique  que  j'ai  remarquée;  et,  réciproquement,  la  borne  milliaire 
de  Tunis  confirme,  par  un  témoignage  en  quelque  sorte  vivant,  ce 
détail  historique  qui  ne  repose  que  sur  les  dires  de  Jules  Capi- 
tolin et  d'Hérodien  ;  elle  les  complète  même,  puisque  ces  histo- 
riens laissent  présumer,  mais  ne  disent  expressément  ni  l'un  ni  l'au- 
tre, que  le  nom  de  Maximin  et  de  son  fils  eussent  été  elïacés  des 
monuments  ni  replacés  après  coup.  A  présent,  on  peut  en  toute 
assurance  ajouter  Maximin  et  son  fils  aux  empereurs  dont  les  noms 
eurent  à  souffrir  cette  grave  injure.  Elle  put  leur  être  infligée  dans 
toute  l'étendue  de  l'empire ,  puisque  la  haine  du  sénat  contre  ces 
tyrans  les  poursuivit  jusqu'à  leur  mort;  et  peut-être  un  jour  en 
trouvera-t-on  d'autres  exemples  en  diverses  contrées.  Mais  ce  qu'on 
ne  trouvera  jamais  qu'en  Afrique,  et  peut-être  même  que  dans  la 
seule  province  de  Numidie  ,  ce  sont  des  inscriptions  oii  le  nom  de 
ces  empereurs  détestés  aura  été  gravé  de  nouveau. 

Je  ne  doute  point  qu'il  n'en  soit  de  même  de  l'autre  borne  milliaire 
trouvée  à  Testour  et  copiée  par  sir  Grenville  Temple  ;  si  les  noms 
des  deux  empereurs  s'y  lisent  encore  ,  c'est  qu'à  coup  sûr  ils  y  ont 
été  replacés.  Sir  Grenville  n  a  pas  marqué  cette  circonstance  dans 
sa  copie  ;  mais  il  ne  l'a  pas  marquée  davantage  dans  celle  qu'il  a 

(1)  Prœludens  ad  imperiurrif  si  Maximinus  perisset» 


INSCRIPTION  d'une  BORNE  MILLIAIRE.  831 

donnée  de  l'inscription  de  Tunis  ;  et,  sans  le  fac-similé  de  M.  Falbe  , 
personne  ne  se  serait  douté  de  cette  particularité  si  curieuse.  On 
peut  donc  penser  qu'on  la  trouvera  exprimée  sur  l'autre  colonne, 
quand  on  la  reverra  sur  les  lieux. 

C'est  là  une  preuve,  entre  mille  autres ,  de  l'importance  qui  peut 
s'attacher  aux  détails  les  plus  minutieux. 

Les  partisans  du  calcul  des  probabilités  appliqué  à  l'histoire  peu- 
vent, s'ils  veulent  en  prendre  la  peine,  supputer  les  chances  de  certi- 
tude que  la  découverte  de  cette  borne  milliaire  apporte  aux  témoi- 
gnages de  Jules  Capitolin  et  d'Hérodien.  Pour  nous  autres ,  anti- 
quaires, philologues  ou  historiens,  nous  disons,  sans  avoir  besoin 
de  calcul,  que  la  certitude  est  absolue  et  complète. 


Letbqnne. 


SUR 

Il  FRAGMENT  D'UNE  DES  STATUES  DU  PARTHÉNON  "'. 


Nous  annonçons  une  heureuse  nouvelle  aux  artistes  et  aux  anti- 
quaires. Un  précieux  fragment  d'une  des  principales  statues  du  Par- 
thénon ,  une  tête  de  Phidias  est  à  Paris  ;  elle  appartient  à  un  Fran- 
çais, à  un  homme  de  goût  et  de  savoir.  Elle  n'est  point  à  vendre,  et 
par  conséquent,  elle  ne  passera  pas  la  mer  pour  aller  s'enfouir  dans 
quelque  château  inaccessible  de  l'Angleterre. 

C'est  à  Venise  que  M.  le  comte  de  Laborde,  son  heureux  proprié- 
taire, en  a  fait  la  découverte  à  la  fin  de  l'année  dernière.  Occupé 
depuis  longtemps  d'un  travail  sur  le  Parthénon ,  il  s'était  attaché  à 
recueillir  des  renseignements  précis  sur  tous  les  admirables  fragments 
dispersés  aujourd'hui  depuis  Athènes  jusqu'à  Copenhagu:î.  11  sut 
qu'une  tête  de  déesse  provenant  du  Parthénon  se  trouvait  à  Venise, 
depuis  les  campagnes  de  Morosini  en  Grèce.  Après  avoir  étudié  en 
Angleterre  les  marbres  rapportés  par  lord  Elgin  ,  et  tout  récemment , 
à  Athènes,  les  statues  respectées,  ou  plutôt  oubliées,  par  l'Écossais, 
M.  de  Laborde  se  rendit  à  Venise.  Là,  conservant  encore  la  fraîcheur 
de  ses  impressions  et  de  ses  souvenirs  ,  tout  plein  d'hellénisme,  si  je 
puis  m'exprimer  ainsi,  il  vit  la  tête  qu'il  convoitait,  et  n'eut  pas  de 
peine  à  constater  son  origine. 

On  sait  que  Morosini  assiégea  et  prit  Athènes  en  1G87.  Les 
grands  hommes  sont  de  cruels  fléaux  pour  Farchitecture.  Alexandre 
brûla  Persépolis  après  boire,  Morosini,  qui  ne  le  valait  pas ,  canonna 
le  Parthénon  ,  et  une  de  ses  bombes  y  fit  plus  de  mal  que  les  pluies 
et  les  tempêtes  de  vingt-deux  siècles.  Ce  ne  fut  pas  tout.  Obligé , 
en  1688,  d'évacuer  les  ruines  qu'il  venait  à  peine  de  conquérir,  il 
voulut  enlever  les  statues  du  fronton  pour  les  envoyer  à  Ve- 
nise. Voici  comment  il  rend  compte  de  cette  opération  dans  une 
lettre  datée  du  19  mars  1688,  que  M.  de  Laborde  a  trouvée  dans  les 
archives  de  Saint-Marc,  et  qu'il  a  bien  voulu  me  communiquer. 

(1)  Cet  arUcle  est  extrait  du  Conslitulionnel ,  et  les  dessins  qui  l'accompagnent 
nous  ont  été  fournis  par  Vmmlraiion,  [Noie  de  Védileur.) 


FRAGMENT   DUNE   STATUE   DU  PARTHENON. 


833 


«  Sur  le  point  d'abandonner  Athènes  «  (Morosini  allait  diriger  toutes 
ses  forces  contre  Négrepont),  «  je  voulus  emporter  quelques-uns  de 
«  ses  plus  nobles  ornements ,  pour  ajouter  encore  à  la  splendeur  de 
((  la  sérénissime  république.  On  essaya  de  détacher  la  figure  d'un 
«  Jupiter  y  et  deux  magnifiques  chevaux,  du  fronton  du  temple  de 
c<  Minerve,  où  l'on  voit  les  sculptures  les  plus  remarquables  (1).  A 


(1)  On  a  longtemps  cru  que  rtnlréc  du  Parthénon  était  à  roiiest,  c'est-â-dire  en 
face  des  Propylées  et  au  débouché  de  l'escalier  qui  conduit  sur  le  plateau  de  l'Acro- 
pole. Partant  de  cette  supposition  et  du  texte  de  Pausanias ,  Jes  érudils  du 
XVIIe  siècle  voulurent  voir  dans  le  fronton  de  l'ouest  la  Naissance  de  Minerve , 
et  du  côté  opposé  Neptune  et  Blinerve  se  disputanl  V^llique.  C'est  le  contraire 
de  la  vérité.  Morosini  qui  s'attaqua  au  fronton  orcidrnial ,  devait  liécrssaircmenl 
faire  de  Neptune  un  Jupiter,  et  supposer  que  la  Victoire  dans  le  char  représentait 
la  jeune  Minerve  conduite  par  son  père  dans  l'assemblée  des  dieux.  La  vérité  soup- 
çonnée par  Stuart  et  Leake  a  été  complètement  démontrée  par  M.  Ouatremère  de 
Quincy. 

I.  54 


834  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

«  peine  eut-on  mis  la  main  sur  une  grande  corniche ,  que  tout  tomba 
«  d'une  hauteur  extraordinaire  ,  et  ce  fut  un  miracle  que  les  ouvriers 
a  n'aient  pas  éprouvé  d'accidents. 

«  L'impossibilité  d'apporter  et  de  planter  dans  le  château  [Y Acro- 
«  pôle  )  des  antennes  de  galères  pour  en  faire  des  chèvres ,  n'a  pas 
((  permis  de  renouveler  ces  périlleuses  tentatives.  D'ailleurs ,  ce  qu'il 
«  y  avait  de  plus  beau  n'existe  plus  à  présent  [mancando  do  vera  di 
apia  singolare),  et  le  reste  est  fort  inférieur  et  mutilé  dans  quelques 
((  membres  par  le  temps.  » 

C'est  avec  cette  laconique  simplicité  que  le  héros  raconte  ses  déplo- 
rables exploits.  Il  lui  fallait,  à  ce  qu'il  paraît ,  des  statues  intactes; 
son  état  major  se  montra  moins  difficile.  Un  lieutenant  danois, 
nommé  Horn  ,  envoya  à  Copenhague  une  tête  détachée  d'une  mé- 
tope. Des  officiers  hessois  rapportèrent  à  Cassel  des  stèles  et  des  in- 
scriptions Venise  reçut  un  grand  nombre  de  sculptures,  entre  autres 
un  beau  fragment  de  la  frise  du  Parthénon.  Un  certain  Gallo  ,  secré- 
taire de  Morosini ,  prit  pour  sa  part  la  tête  de  la  stntue  de  la  Victoire 
sans  ailes ,  qui  faisait  partie  du  groupe  que  son  général  avait  si  mal- 
heureusement précipité  du  haut  du  fronton.  On  croyait  alors  que 
cette  statue  représentait  Minerve  conduite  par  Jupiter  dans  l'assem- 
blée des  dieux  ;  c'était  donc  la  patronne  du  temple  que  Gatlo  s'était 
réservée.  Transportée  à  Venise ,  la  tête  de  la  Victoire  demeura  dans 
la  maison  de  Gallo,  scellée  dans  une  muraille,  jusqu'à  ce  qu'on 
abattît  le  bâtiment  pour  agrandir  l'Académie.  Déjà  la  tradition  de  son 
origine  était  oubliée ,  car  elle  fut  abandonnée  à  un  de  Ces  marbriers 
qui  font  des  parquets  de  Scagliola.  Peut-être  eût-elle  été  brisée  en 
morceaux,  si  un  négociant  allemand,  M.  Weber,  informé  qu'elle 
provenait  du  Parthénon,  ne  l'eût  achetée  à  bas  prix.  Il  s'empressa 
d'annoncer  sa  découverte  dans  les  journaux  scientifiques  d'Allemagne 
et  d'Angleterre.  Malgré  les  détails  qu'il  donnait  sur  la  façon  dont  ce 
précieux  morceau  était  arrivé  à  Venise,  on  y  fit  peu  d'attention; 
tout  propriétaire  est  suspect  vantant  ce  qu'il  possède ,  et  une  détes- 
table lithographie ,  qui  accompagnait  le  factum  de  M.  Weber,  sem- 
blait suffire  seule  à  le  réfuter.  Enfin  M.  Weber,  atteint  d'une  maladie 
cruelle,  avait,  pendant  plusieurs  années,  fermé  sa  maison  aux  visi- 
teurs. Toutefois,  l'annonce  n'avait  pas  échappé  à  M.  deLaborde; 
il  voulut  voir  par  lui-même.  Dès  qu'il  eut  vu,  il  acheta;  et,  plus 
heureux  que  lord  Elgin ,  qui  a  laissé  dans  la  mer  la  moitié  de  son 
trésor,  il  a  rapporté  le  sien  intact  à  Paris. 

Uti  mot ,  maintenant ,  sur  cette  tête  qui  a  déjà  subi  l'examen  des 


i    FRAGMENT  D'UNE    STATUE   DUj^PARTHÉNON.  835 

juges  les  plus  compétents.  M.  le  duc  de  Luynes,  M.  Lenormant , 
M.  Raoul  Rochette  ne  doutent  pas  un  instant  qu'elle  ne  soit  l'cfeuvre 
de  Phidias.  Je  n'essaierai  pas  de  la  décrire.  On  sent  la  sculpture  des 
maîtres  grecs  ;  mais  des  paroles  ne  peuvent  donner  une  idée  de  ce 
qui  ne  peut  même  se  copier.  Je  me  bornerai  donc  à  quelques  obser- 


vations purement  matérielles.  La  tête  rapportée  par  M.  de  Labofda 
est ,  comme  toutes  les  statues  du  Parthénon ,  du  plus  beau  marbiNî 
penthélique.  Sa  proportion  est  presque  double  de  nature.  (Hauteur  : 
40  ou  45  centimètres;  circonférence ,  mesurée  sur  le  froiit  :  1,02). 
Ce  sont  les  proportions  qui  conviennent  à  une  statue  semblable  à 
celles  des  grandes  déesses  du  musée  de  Londres. 

Le  nez  est  fracturé ,  ainsi  que  la  partie  postérieure  de  la  coiffure. 
Sur  une  bandelette ,  qui  retient  les  cheveux ,  on  remarque  un  certain 


8.36  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

nombre  de  trous  assez  profonds ,  qui  ont  servi  à  fixer  des  ornements 
en  métal.  Les  oreilles  sont  percées  également  pour  recevoir  des  pen- 
dants. Ce  fait  est  des  plus  curieux.  En  effet,  on  peut  s'étonner  qu'on 
ait  donné  des  ornements  si  délicats  à  une  statue  élevée  à  plus  de 
cinquante  pieds  au-dessus  du  sol.  Peut-être  ces  trous  ont-ils  été  faits 
pour  recevoir  quelque  pieuse  offrande.  Si  l'on  rapproche  de  ces  pen- 
dants d'oreilles,  cet  autre  fait,  que  les  statues  du  Parthénon  sont  ter- 
minées du  côté  où  elles  étaient  appliquées  au  tympan  du  fronton ,  on 
aura  lieu  de  penser  qu'elles  ont  été  exposées  dans  une  exhibition 
publique,  pour  être  examinées  de  près,  avant  d'être  élevées  à  la 
place  pour  laquelle  elles  étaient  destinées. 

Une  circonstance  ajoute  encore  du  prix  au  fragment  de  M.  de  La- 
borde.  En  1674 ,  M.  le  marquis  de  Nointel ,  ambassadeur  de  France  à 
Constantinople ,  fit  dessiner  les  statues  des  deux  frontons  du  Parthé- 
non, par  Carey,  élève  de  Lebrun.  Il  y  avait  alors  dix-huit  statues  ayant 
leurs  têtes.  Primitivement,  il  y  en  avait  quarante-huit.  Aujourd'hui, 
une  statue  seulement ,  le  Thésée ,  rapporté  à  Londres  par  lord  Elgin, 
a  conservé  sa  tête ,  et  parmi  les  nombreux  fragments  découverts  dans 
les  fouilles  récentes  de  l'Acropole  ,  une  seule  tête  provenant  de  l'un 
des  frontons  s'est  retrouvée  ;  ces  deux  têtes  sont  horriblement  muti- 
lées. Celle  de  la  Victoire  est,  au  contraire ,  d'une  conservation  remar- 
quable, surtout  si  l'on  se  rappelle  l'horrible  chute  qu'elle  a  faite  par 
la  maladresse  des  ouvriers  de  Morosini.  Espérons  que  ses  pérégrina- 
tions sont  terminées,  et  que  si  elle  sort  du  cabinet  de  M.  de  Laborde , 
ce  ne  sera  que  pour  entrer  dans  une  de  nos  collections  nationales. 

P.  Mérimée,  de  rinstllal. 

P.  S,  S.  M.  le  roi  de  Bavière,  qui  réunit,  comme  tout  le  monde 
sait,  à  un  goût  éclairé  pour  les  arts,  la  connaissance  la  plus  appro- 
fondie de  l'antiquité  grecque ,  vient  de  faire  adresser  à  M.  le  comte 
de  Laborde,  des  offres  toutes  royales  pour  obtenir  la  tête  de  la  Vic- 
toire sans  ailes.  M.  de  Laborde  a  refusé.  Sans  doute  l'administration 
de  notre  Musée  ne  s'est  laissé  prévenir  que  parce  qu'elle  connaissait 
d'avance  l'intention  du  propriétaire  de  conserver  dans  son  cabinet  le 
précieux  fragment  qu'il  a  si  heureusement  découvert. 


lETTBE  DE  M.  lE  BAS  A  M.  lE  RÉDACIEIJR  DD  MONITEUR  GREC  ^'\ 
Monsieur  le  Rédacteur  , 

Je  lis  dans  Y  Observateur  grec  du  9  novembre  1844,  une  lettre  de 
M.  Papadopoulo-Vrétos,  que  je  ne  puis  laisser  sans  réponse,  puisque 
j'ai  été  la  cause  (  bien  involontaire,  il  est  vrai)  de  l'étrange  attaque 
que  cette  lettre  contient. 

Au  mois  d'octobre  dernier ,  sur  le  point  de  quitter  la  Grèce  pour 
rentrer  en  France,  je  voulus  visiter  la  Béotie  et  la  Phocide,  et  faire 
ainsi  mes  adieux  à  un  pays  que  j'aime ,  à  un  pays  dont  l'histoire  a 
été  et  sera  l'objet  constant  de  mes  études.  Je  parlai  de  mon  projet  à 
M.  Papadopoulo,  que  j'avais  autrefois  connu  à  Paris,  et  ne  pus  re- 
fuser l'offre  qu'il  me  fit  de  m'accompagner.  Mon  but  principal  était 
de  vérifier  à  Delphes  les  découvertes  faites  par  l'infortuné  Ch.  Ottfr. 
Millier,  et  de  m'assurer  si,  dans  le  trouble  et  les  préoccupations 
qu'avait  du  occasionner  la  maladie  de  ce  savant  archéologue,  quelque 
monument  épigraphique  n'aurait  pas  échappé  aux  investigations  de 
ses  compagnons  de  voyage.  Je  m'étais  donc  muni  en  partant  des  deux 
livres  qui  pouvaient  le  plus  efficacement  faciliter  mes  recherches, 
les  Voyages  à  Delphes,  de  feu  M.  Ulrichs,  imprimés  à  Brème  en 
1840,  et  les  Anecdota  Delphica  que  M.  Ernest  Curtius  a  fait  pa- 
raître à  Berlin  en  1843.  C'est  dans  ce  dernier  ouvrage,  qui  était  sans 
cesse  entre  mes  mains,  que  M.  Papadopoulo  a  pris  connaissance  de 
l'assertion  de  M.  de  Witte,  cojitre  laquelle  il  s'élève.  Il  y  a  appris  que  ce 
savant,  venu  à  Delphes  un  an  après  Millier,  en  société  de  MM.  Ch. 
Lenormant,  Mérimée  et  Ampère  (et  non  pas  de  M.  Raoul  Rochette, 
avec  lequel  il  n'a  jamais  voyagé,  et  qui  n'a  jamais,  que  je  sache,  vi- 
sité les  ruines  de  Delphes),  avait,  dans  une  lettre  adressée  à  M.  Rou- 
lez, son  confrère  à  l'Académie  royale  de  Bruxelles,  déclaré  qu'il 
n'avait  pu,  malgré  ses  recherches  attentives  et  celles  de  ses  trois  amis, 
retrouver  le  mur  de  soubassement  du  grand  temple  sur  lequel  l'il- 
lustre professeur  de  Gœttingue  avait  lu  les  nombreux  décrets  et  actes 
publics,  mis  plus  tardaujourparM.  Curtius,  et  en  avait  tiré  cette  con- 

(1)  Dans  une  Notice  publiée  à  la  suite  d'un  voyage  en  Grèce  ,  M.  de  WKte  qui 
avait  inutilement  cherché  à  Delphes  les  inscriptions  découvertes  par  K.  O.  Miillerj 
supposait  que  la  muraille  sur  laquelle  elles  étaient  tracées  avait  été  détruite  par  les 
gens  du  pays.  Celte  supposition  a  excité  au  plus  haut  degré  la  colère  de  M.  Papado- 
poulo-Vrétos qui  a  cru  y  voir  une  accusation  de  barbarie  dirigée  contre  toute  la 
nation  grecque.  De  là  une  attaque  aussi  inconvenante  dans  la  forme  que  pour  le 
fond.  La  lettre  que  nous  publions  aujourd'hui,  répondait  aux  allégations  malveil- 
lantes de  M.  Papadopoulo.  {IVote  de  l'éditeur.) 


838  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

séquence  que  le  mur  en  question  avait  dû  être,  couirae  cela  est  arrivé 
trop  souvent ,  employé  à  la  construction  des  nouveaux  édifices  qui 
se  sont  élevés  depuis  quelques  années  à  Castri.  De  là  l'indignation 
du  trop  irascible  M.Papadopoulo.  11  voit  dans  ces  paroles  une  accusa- 
tion de  vandalisme  dirigée  contre  tous  les  Grecs,  disons  le  ipot,  une 
calomnie  d'autant  plus  surprenante,  suivant  le  belliqueux  chevalier, 
que  M.  de  Witte  a  été  décoré  de  la  croix  du  Sauveur, 

Sans  relever  ici  tout  ce  qu'a  d'inconvenant  cette  dernière  insinua- 
tion, je  répondrai  àM.  Papadopoulo,  dussé-je,  moi  aussi,  encourir  sa 
patriotique  colère,  que  l'on  peut  être  excellent  pbilhellène  et  sup- 
poser ,  voire  même  admettre  que  des  paysans  ont  employé  à  la 
construction  de  leurs  maisons  des  matériaux  déjà  en  place  ou  d'une 
forme  plus  commode  que  des  pierres  brutes.  C'est  un  fait  qu'attestent 
tant  de  fragments  d'inscriptions,  d'architecture  et  même  de  sculptures 
encastrés  dans  les  murs  des  édifices  particuliers  ou  publics  duPélopo- 
nèse  et  du  nord  de  la  Grèce.  Nous,  non  plus,  nous  ne  sommes  pas 
des  Vandales,  et  cependant,  si  l'autorité  locale  n'y  mettait  bon  ordre, 
nos  précieuses  antiquités  romaines  ou  gallo-romaines  auraient  depuis 
longtemps  disparu.  C'est  ce  qu'ont  parfaitement  compris  les  différents 
ministères  grecs;  sans  douter  du  patriotisme  incontestable  des  habi- 
tants de  la  campagne,  et  même  des  villes,  ils  ont  bien  senti  que  de 
longtemps  encore  tous  les  Hellènes  indistinctement  ne  sauraient  pas 
apprécier  la  valeur  des  monuments  antiques,  et  voilà   pourquoi, 
dans  les  lieux  remarquables,  à  Delphes,  à  Phigalie,  etc.,  ils  ont 
placé  des  vétérans  chargés  de  veiller  à  la  conservation  des  derniers 
souvenirs  de  la  gloire  des  ancêtres. 

M.  Papadopoulo,  trop  pressé  de  faire  connaître  aux  Grecs  sa  con- 
stante soUicitade  à  les  défendre  contre  les  calomnies  de  certains  étran- 
gers ^  n'a  pas  réfléchi  que  M.  de  Witte  avait  fort  bien  pu  dire  la  vé- 
rité en  affirmant  qu'il  n'avait  pas  retrouvé  le  mur  vu  par  Millier.  Ce 
dernier,  pour  lire  les  inscriptions  qui  s'y  trouvaient  gravées,  avait  fait 
exécuter  des  fouilles.  Ne  peut-il  pas  se  faire  qu'après  son  départ  on 
ait  remblayé  les  terres  et  recouvert  le  mur  de  telle  façon  que  les 
quatre  voyageurs  français  n'aient  pu  le  découvrir,  surtout  si,  s'en  fiant 
au  plan  de  M.  Ulrichs,  ils  se  sont  abstenus  de  recourir  à  un  guide? 
•D'ailleurs,  à  l'époque  oùM.  de  Witte  vint  à  Delphes,  on  bâtissait,  dans 
le  voisinage  du  mur  en  question,  la  maison  d'un  riche  capitaine  de 
Castri,  dont  le  nom  m'échappe,  et  il  est  très -probable  que  les  ma- 
lériaqx  de  cette  construction  avaient  encombré  tous  les  alentoqr^  dp 
manièreà  rendre  lesrecherches  presque  impossibles.  Cette  supposition 


LETTRE   DE   M.    LE  BAS.  839 

est  d'autant  plusfondée  que  mon  docte  ami ,  M.  Rizo  Rangabé ,  qui 
visita  Delphes  en  1843,  fut  obligé,  pour  collationner  les  textes  lus 
par  Millier,  de  faire  déblayer  les  approches  du  mur,  et  que  moi-môme, 
venu  un  an  plus  tard,  j'ai  dû,  pour  satisfaire  ma  curiosité,  recourir 
à  un  moyen  semblable.  J'ajouterai  que,  dans  ce  travail,  les  paysans 
que  j'employais  eurent  à  déplacer  des  restes  de  chaux  éteinte,  pro- 
venant sans  doute  des  travaux  exécutés  pour  bâtir  la  maison  dont  j'ai 
parlé  plus  haut. 

Ne  résulte-t-il  pas  de  tout  ceci,  M.  le  Rédacteur,  que  M.  Papado- 
poulo,  en  s'armant  de  pied  en  cap  pour  repousser  la  chimérique  calom- 
nie de  M.  de  Witte ,  rappelle  beaucoup  le  chevalier  de  la  Triste  figure, 
prenant  des  moulins  pour  des  géants  et  d'innocentes  brebis  pour  une 
armée  de  Sarrasins,  et  que  son  zèle  pour  ses  compatriotes,  sa  haine 
pour  l'étranger  que,  soit  dit  en  passant,  il  a  moins  qu'un  autre 
raison  de  haïr ,  pourraient  trouver  à  s'exercer  d'une  manière  plus 
convenable.  Mais  interdire  la  polémique  à  M.  Papadopoulo,  c'est  lui 
imposer  une  chose  au-dessus  de  ses  forces.  La  polémique  I  mais  c'est 
sa  vie  ;  plutôt  mourir  que  de  ne  pas  faire  imprimer  tous  les  ans  quelque 
brochure,  quelque  article  contre  tel  ou  tel  adversaire,  et  de  se  faire 
tous  les  ans  quelque  nouvel  ennemi.  Après  le  tour  de  M.  de  Witte 
viendra  sans  doute  le  mien.  Je  me  résigne  d'avance  à  cet  honneur, 
tout  en  déclarant  que  je  ne  ferai  pas  à  M.  Vrétos  le  plaisir  de  croiser 
le  fer  avec  lui.  Je  n'ai  pas,  comme  lui,  pour  me  défendre,  un  Pilima 
à  l'abri  de  toutes  les  blessures. 

Sérieusement,  je  me  suis  élevé  contre  l'accusation  de  M.  Papado- 
poulo, d'abord  parce  qu'elle  est  tout  à  fait  injuste  et  qu'elle  peut 
donner  en  Europe  une  fausse  idée  du  caractère  grec;  ensuite  parce 
qu'elle  est  dirigée  contre  un  homme  honorable,  qui  n'est  pas  là  pour 
se  défendre;  et  enfin  parce  que  M.  Papadopoulo,  m'ayant  fait  part 
de  son  projet  d'attaque,  avait,  sur  mes  représentations,  promis 
formellement  d'y  renoncer.  J'avais  donc  toute  raison ,  et  comme 
philhellène,  et  comme  ennemi  de  rinjuslice,  et  comme  ami  outragé, 
d'adresser  des  reproches  publics  à  M.  Papadopoulo,  tout  en  regrettant 
de  le  voir  épuiser,  dans  des  luttes  inutiles  pour  son  pays,  dangereuses 
pour  lui-même,  un  talent  qui  ne  devrait'  se  proposer  pour  but  que 
l'intérêt  bien  entendu  de  sa  patrie.  Agréez ,  etc. 

Ph.  Le  Bas. 

-  Paris  ,  le  7  janvier  1845. 

Nous  apprenons  que  M.  Papadopoulo  a  repris  la  plume  ;  mais  cette  polémique 
doit  en  rester  là.  Sa  lettre  de  M.  Vrétos  au  Moniteur  grec  est  d'un  ridicule  s 
achevé  qu'elle  ne  mérite  pas  une  réplique. 


NOTE 

SUR 

OlElOliES  BRIOUES  VERNISSÉES   DU  JllISÉE  DE  SÈVRES. 
PI.  XXIV  (1). 

L'emploi  de  carreaux  de  terre,  enduits  d'une  couche  d'émail  coloré, 
pour  revêtir  certaines  portions  des  édifices,  remonte  à  une  antiquité 
fort  reculée.  Il  a  été  déjà  plusieurs  fois  question,  dans  ce  recueil  (2), 
des  briques  vernissées  rapportées  de  Babylone  par  l'abbé  de  Beau- 
champ,  et  nous  ajouterons  que  le  voyageur  Rich  parle  de  fragments 
de  même  nature  qui  lui  avaient  été  envoyés  de  Ninive.  Les  fouilles 
opérées  avec  tant  de  succès  par  M.  Botta ,  ont  démontré  que  l'usage 
de  ces  briques  avait  été  de  recouvrir  les  parois  intérieures  des  mu- 
railles et  non  pas  le  sol  qui,  à  Khorsabad  était,  comme  on  le  sait, 
formé  de  dalles  de  gypse  incrustées  de  caractères  cunéiformes  de 
bronze. 

S'il  paraît  certain  que  les  Romains  employèrent  des  plaques  de 
verre  et  de  marbre  précieux,  pour  orner  les  murailles  et  même  le 
plancher  de  leurs  maisons,  il  semble  qu'ils  n'ont  pas  connu  l'appli- 
cation de  l'émail  sur  les  briques.  En  examinant  leurs  vases,  on  serait 
tenté  de  croire  qu'ils  évitaient  soigneusement  de  pousser  le  degré  de 
la  cuisson  à  un  point  qui  pût  amener  la  terre  à  prendre  une  appa- 
rence vitreuse ,  que  donne  accidentellement  la  fusion  des  éléments 
ciliceux.  On  n'a,  jusqu'à  présent,  jamais  rencontré  de  carreaux  émail- 
lés  dans  les  ruines  romaines.  On  n'a  pas  non  plus  de  preuves  qu'en 
Grèce,  on  ait  fait  usage  de  ce  mode  de  décoration.  Dans  les  temps 
primitifs,  on  foulait  aux  pieds  la  terre  nue  dans  les  appartements 
dont  l'aire,  (^«tts^ov,  devait  ressembler  à  celle  de  nos  granges.  Après 
le  massacre  des  poursuivants  de  Pénélope,  Télémaque,  aidé  par  un 
bouvier  et  un  gardeur  de  pourceaux ,  fait  disparaître  les  taches  de 
sang  qui  souillaient  le  palais  paternel ,  en  ratissant  le  sol  avec  le 
/t'o-Tpov  (3).  Plus  tard  on  dalla  les  édifices,  et  Ton  employa  pour  cela 
le  marbre  et  la  pierre. 

L'usage  des  revêtements  de  briques  vernissées,  n'a  probablement 

(1)  Les  tigures  que  nous  publions  ici  sont  empruntées  à  diverses  planches  du  bel 
ouvrage  que  MM.  Bronguiart  et  Riocreux  vont  faire  paraître  prochainement. 

(2)  V.  p.  233.  et  778. 

(3)  Odyss.  XXII ,  V.  45i  et  suiv. 


BRIQUES   V'ERNISSEES   DU  MUSEE   DE   SEVRES.  841 

jamais  été  abandonné  par  les  nations  sémitiques,  qui,  en  général, 
restent  fidèles  à  toutes  leurs  coutumes. 

Toujours  est-il  que  les  Maures  d'Espagne  ornaient,  au  X*"  siècle,  les 
édifices  de  Cordoue  de  carreaux  faïences  qu'ils  nomment  zelàidj.  La 
chapelle  de  Villa-Viciosa  et  la  Giralda  de  Séville  ont  conservé  les 
plus  riches  et  les  plus  élégantes  combinaisons  de  briques  vernissées 
que  le  XII"  siècle  ait  produites.  On  voit  aussi  ces  briques  figurer  sur 
les  parois  de  la  grande  salle  du  château  de  la  Zisa ,  près  Palerme,  que 
M.  Girault  de  Prangey  croit  bâti  sous  le  roi  normand  Guillaume  11(1). 
On  remarquera  (PI.  XXIV,  n°  12),  un  carreau  recueilli  dans  les  ruines 
de  l'Alhambra;  sur  un  fond  bleu,  se  détache  un  écusson  jaune  d'or 
chargé  d'une  bande  blanche  qui  porte,  en  caractères  arabes,  la  devise 
des  rois  de  Grenade  :  //  ny  a  de  vainqueur  que  Dieu. 

C'est  fort  probablement  à  la  suite  des  rapports  qui  s'établirent 
entre  les  Arabes  et  les  princes  chrétiens  d'Espagne  et  de  France,  que 
l'usage  des  carreaux  de  faïence  s'introduisit  dans  notre  pays.  Mais, 
chose  assez  singulière,  on  se  servit  de  ces  briques,  non  plus  pour 
orner  les  murailles,  mais  pour  paver  l'aire  des  châteaux  et  des  églises. 
Nous  n'avons  aucune  indication  qui  puisse  nous  aider  à  fixer  positi- 
vement la  date  de  l'emploi  des  carrelages  de  cette  sorte ,  et  il  paraît 
seulement  constant  qu'il  était  en  vigueur  au  XIIP  siècle. 

Les  briques  figurées  sous  les  n°'  1,2,  4,  5,  (PI.  XXIV),  provien- 
nentdel'église  de  l'abbaye  de  Voulton,  près  Provins,  fondée,  dit-on,  par 
la  reine  Blanche,  mère  de  saint  Louis;  celles  qui  portent  les  n"""  3  et  6, 
ont  été  trouvées  dans  les  parties  basses  d'un  château  ruiné,  situé  au 
milieu  de  la  foret  de  Quimperlé  (  Finistère  ) ,  et  que  l'on  a  découvert 
sous  une  épaisse  végétation  ;  les  trois  carreaux  placés  sous  les  n*"*  7, 
s,  9,  faisaient  partie  du  pavé  de  l'une  des  chapelles  de  l'église  Saint- 
Étienne  d'Agen,  aujourd'hui  détruite.  Le  n*  9  est  tourné  du  côté  de 
la  face  qui  touchait  le  sol,  et  présente  des  reliefs  destinés  à  faire 
adhérer  le  mortier.  Viennent  ensuite,  (n°*  10  et  13,)  deux  briques 
sauvées  des  ruines  d'un  château  qui  fut  détruit  par  la  mer,  lorsque  les 
eaux  recouvrirent  une  petite  ville  située  à  l'embouchure  de  la  Somme, 
non  loin  du  Crotay. 

Le  n^  11  pris  à  Cosne,  dans  une  chapelle  détruite,  était  accom- 
pagné d'autres  carreaux  portant  une  tourelle,  castillo ,  et  se  rapporte 
par  conséquent  aux  règnes  de  Louis  VllI  ou  de  saint  Louis. 

Enfin,  les  trois  petits  carreaux  qui  terminent  la  planche  (n°*  14, 

(1)  Essai  sur  l'Architecture  des  Arabes ,  etc.,  explication  de  la  PI,  IX. 


842  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

15  et  16),  ont  été  déterrés  en  1835,  dans  la  galerie  des  chasses  à 
Fontainebleau,  galerie  bâtie  sous  saint  Louis. 

Il  est  à  remarquer  que  le  moine  Théophile  ne  parle  pas  dans  son 
livre,  intitulé  :  Diversarum  ardam  schediilay  des  briques  vernissées, 
quoiqu'il  enseigne  avec  détails  la  manière  de  fabriquer  les  mosaïques 
de  verre.  Ainsi  vers  la  fin  du  XIP  siècle,  ou  au  commencement  du 
XIIP,  les  ornements  que  nous  décrivons  pouvaient  ne  pas  être  encore 
en  usage  dans  nos  contrées. 

L'Opère  de  Mosy  (  Opus  musims,  la  mosaïque),  ainsi  que  le  nomme 
VYstoirede  li  Normant,  publiée  par  M.  ChampoUion-Figeac  d'après 
un  manuscrit  du  XIIP  siècle,  fut  fréquemment  employé  pour  aorner 
lo  pavement  des  églises  pendant  toute  la  durée  de  l'architecture  ro- 
mane. Dans  le  pavé  mosaïque  de  l'abbaye  de  Saint-Bertin,  près  Saint- 
Omer,  exécuté  en  1 109,  on  voit  des  pierres,  gravées  au  trait,  conte- 
nant des  creux  symétriques  dans  lesquels  un  mastic  unicolore  se  fait 
remarquer  (l).  C'est  la  transition  entre  les  dalles  de  pierre  et  les 
briques  vernissées. 

MM.  Vitet  et  Ramée  dans  leur  description  de  la  cathédrale  de 
Noyon,  actuellement  sous  presse,  publient  huit  carreaux  émaillés 
trouvés  dans  cette  église  ;  ils  portent  les  armes  de  Coucy,  et  remontent 
aussi  au  XIIP  siècle. 

Les  exemples  cités,  prouvent  qu'ils  se  répandirent  rapidement  par 
toute  la  France,  à  partir  du  XIIP  siècle,  et,  d'après  l'abbé  de  la  Rue  (2), 
le  carrelage  qui  se  voit  dans  la  grande  salle  de  l'abbaye  de  Saint- 
Étienne  à  Caen,  doit  avoir  été  fait  pendant  la  première  moitié  du 
XIV*  siècle,  ainsi  que  l'indiquent  les  armoiries  appartenant  à  des 
familles  qui  ont  fourni  des  abbés  et  des  religieux  à  ce  monastère. 

On  ne  sait  pourquoi  l'usage  des  carreaux  vernissés  se  perdit  si 
promptement.  Le  fait  est  qu'à  l'exception  du  carrelage  de  la  librairie 
de  Sienne,  et  de  quelques  briques  vernissées  de  l'évèché  de  Beauvais 
qui  peuvent  être  du  XVP  siècle,  on  ne  trouve  plus  bientôt  d'exemples 
de  ces  éléments  de  décoration ,  qui  à  notre  époque  ne  figurent  que 
dans  les  laiteries  ou  les  fourneaux. 

Certaines  églises ,  comme  Saint-Bénigne  de  Dijon,  ont  des  toitures 
formées  de  tuiles  vernissées,  dont  les  combinaisons  les  plus  riches  et 
les  plus  variées  sont  peut-être  celles  que  nous  a  conservées  la  flèche  de 
Plombière  près  Dijon. 

(1)  F.  le  Mémoire  de  M.  Hermand  ;  recueil  de  la  Soc»  des  Ani.  de  la  Morinie 
t.  V,  1841,p.75etsuiv. 

(2)  Essai  historique  sur  la  ville  de  Caen^  1820 ,  t.  U ,  p.  90. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


Nécrologie.  -^  La  Revue  vient  'de  perdre  un  de  ses  collabora- 
teurs. M.  Ernest  Grille  de  Beuzelin,  chevalier  de  la  Légion  d'hon- 
neur, chef  de  bureau  au  Ministère  de  l'Intérieur,  secrétaire  de  la 
Commission  des  monuments  historiques ,  vient  de  mourir  dans  sa 
trente-septième  année,  à  la  suite  d'une  longue  et  douloureuse  maladie. 

Ayant  fait  de  bonne  heure  des  études  d'architecture,  il  publia,  en 
1835,  un  ouvrage  intitulé  :  Essai  historique  et  archéologique  sur 
Véglise  et  le  couvent  de  Saint- Jacques  ou  Saint- Jacoh-des-Ecossois,  à 
Ratisbonne.  Cet  ouvrage ,  accompagné  de  six  planches  dessinées  par 
l'auteur,  lui  valut  une  mission  dans  les  provinces  de  l'est.  Au  mois 
d'août  de  cette  même  année,  il  partit  pour  inspecter  les  monuments 
du  département  de  la  Meurthe,  et  après  plusieurs  mois  de  recherches 
assidues,  il  adressa  à  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  un  tra- 
vail qui  fut  imprimé  deux  ans  après,  en  1837,  sous  le  titre  de  : 
Rapport  à  M,  le  Ministre  de  V Instruction  publique  sur  les  monuments 
historiques  des  arrondissements  de  Nancy  et  de  Toul ,  accompagné  de 
cartes,  plans  et  dessins.  Depuis  plusieurs  années,  M.  Grille  de  Beu- 
zelin rendait  à  l'histoire  et  à  l'archéologie  de  nombreux  services,  par 
le  zèle  et  l'intelligence  avec  lesquels  il  s'acquittait  de  ses  fonctions  au 
Ministère.  Nos  lecteurs  se  souviennent  des  comptes  rendus  qu'il  nous 
communiquait,  et  qui  donnent  une  idée  de  la  protection  que  le 
gouvernement  accorde  à  nos  monuments  historiques ,  protection  qui 
ne  peut  avoir  d'efficacité  qu'autant  qu'elle  est  secondée  par  l'activité 
des  bureaux.  La  perte  de  M.  Grille  de  Beuzelin  sera  vivement  sentie 
par  tous  ceux  qui  ont  eu  avec  lui  quelques-unes  de  ces  relations  d'af- 
faires dans  lesquelles  il  apportait  tant  d'obligeance,  plus  vivement 
sentie  par  ses  nombreux  ^mis  qui  espéraient  le  voir  longtemps  en- 
core partager  leurs  travaux. 

—  En  faisant  des  fouilles  au  nord  de  Marseille  ;  au  lieu  dit  le 
Petit  CamaSy  on  découvrit,  il  y  a  peu  de  temps;  une  dalle  de  marbre 
blanc,  d'un  beau  grain,  ornée  tout  autour  d'une  moulure  et  d'un 
élégant  arabesque,  et  portant  au  centre  une  inscription,  composée 
de  onze  lignes  de  caractères  arabes  d'une  forme  très-ancienne. 
M.  Canonville,  possesseur  de  ce  monument,  vient  de  l'apporter  à 
Paris,  et  M.  Adrien  de  Longpérieren  a  donné  la  traduction  suivante  : 

«  Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux ,  que  Dieu  soit 
a  favorable  au  prophète  Mahomet,  à  sa  famille,  à  ses  compagnons. 


844  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

«  et  qu'il  leur  accorde  le  salut.  Toute  âme  goûtera  la  mort  et  vous 
«  serez  récompensés  au  jour  de  la  résurrection;  heureux  celui  qui 
«  sera  préservé  du  feu  et  entrera  dans  le  paradis  ;  quant  à  la  vie 
c(  présente,  ce  n'est  qu'une  jouissance  illusoire.  Ce  tombeau  est 
c(  celui  du  Scheikh  Aboul  Abbas  Ahmed,  fils  de  Mohammed,  sur- 
«  nommé  Zalladj ,  il  mourut  le  lundi  quinze  de  Schaban  de  l'an 
«  cinq  cent  quatre-vingt-trois;  il  témoignera.  »  { Sous-entendu  qu'il 
n'y  a  de  Dieu  que  Dieu  unique.)  On  a  peine  à  expliquer  comment 
un  monument  funéraire  sculpté  au  XIP  siècle  (an  1187  de  J.  C.  ) 
dans  quelque  ville  d'Afrique ,  a  été  transporté  en  Provence  et  enfoui 
pendant  plusieurs  siècles.  On  pourrait  croire  que  cette  inscription 
avait  déjà  été  déterrée  au  XVIP  siècle,  et  que  c'est  là  Yépltaphe 
arabesque qne  l'historien  de  Marseille,  Ruffi,  dit  avoir  été  découverte 
dans  cette  ville.  Celle  dont  il  donne  une  transcription  fantastique 
en  caractères  latins,  accompagnée  d'une  traduction  non  moins  sin- 
gulière, conserve,  malgré  tout,  quelques  traits  qui  autorisent  cette 
supposition.  Ainsi  dans  la  phrase:  Abon  Alabes  Àmel  ben  Maamed, 
que  à  sa  contemplation  's'achemina  en  Numidie  et  mourut  en  la  ville  de 
Elomina,  le  1"  août  en  Vannée  500  de  son  prophète  Mahomed,  on 
reconnaît  les  noms  du  mort  et  de  son  père ,  mais  le  reste  est  aussi 
absurde  qu'éloigné  du  vrai  sens.  Un  peu  avant,  la  phrase  (qui  est 
ici  traduite  par  :  toute  âme  goûtera  la  mort,  etc.,  et  qui  est  un 
verset  bien  connu  de  la  m''  sourate  du  Coran),  est  rendue  ainsi  par 
Ruffi  :  Vouant  son  âme  à  Dieu  comme  fit  lorsque  mourut  Loeman 
son  frère.  L'écrivain  provençal  exprime  toute  l'indignation  que  lui 
inspire  la  présence,  sur  des  tombeaux,  du  nom  de  Yinfâme  Mahomet» 
(V.  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  liv.  XIII,  p.  316  et  317.  ) 

—  M.  le  duc  de  Luynes  vient  de  faire  don,  au  département  des 
médailles  de  la  Bibliothèque  royale,  d'un  demi-statère  d'or  d'Athènes, 
monnaie  d'ancienne  fabrique  et  d'une  très-grande  rareté.  Cette  divi- 
sion du  statère  d  or  était  la  seule  qui  manquât  dans  la  série  attique 
du  cabinet  de  France. 

—  M.  Longa  vient  d'apporter  à  Paris  un  vase  d'argent ,  contenant 
deux  cent  cinquante  monnaies  aussi  d'argent  et  une  fibule  de  même 
métal  attachée  à  une  longue  chaînette.  Le  tout  a  été  trouvé  sur  les 
bords  de  l'Adour,  à  Ayries.  Toutes  les  monnaies  présentent  le  même 
type  ;  une  sorte  de  tête  barbue  très-grossièrement  gravée  et  au  revers 
une  élévation  globuleuse  un  peu  allongée.  Comme  ces  monnaies  ne 
sont  pas  usées  par  le  frottement  on  peut  être  assuré  qu'elles  ont  été 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  845 

frappées  telles  qu'on  les  voit  maintenant.  Le  vase  est  en  forme  de 
capsule  profonde.  Ces  monuments  appartiennent  très-probablement 
à  la  civilisation  celtibérienne. 

—  M.  le  Ministère  de  l'Intérieur  vient  d'acquérir  pour  le  musée  des 
Thermes  et  de  l'hôtel  de  Cluny,  une  série  de  grands  émaux  qui  déco- 
raient autrefois  la  façade  du  château  de  Madrid ,  bâti  par  François  P' 
et  Henri  II.  Ces  pièces  sont  au  nombre  de  neuf  et  représentent  les 
dieux  de  l'Olympe  exécutés  dans  le  plus  beau  style  de  la  renaissance. 
Chacune  d'elles  est  signée  Pierre  Coiirteys  avec  ces  mots  :  Fet  à  Li- 
moges en  1559;  elles  étaient  primitivement  au  nombre  de  douze, 
mais,  lors  de  la  démolition  du  château,  on  en  transporta  trois  en 
Angleterre.  On  sait  qu'il  existe,  à  Chartres,  dans  une  chapelle  de  la 
cathédrale,  douze  grands  émaux  figurant  les  apôtres  et  qui  ornaient 
la  façade  du  château  d'Anet. 

—  L'Académie  royale  des  Sciences  de  Berlin  vient  de  décerner  le 
titre  de  correspondant  à  MM.  Ch.  Lenormant  et  J.  de  Witte. 

—  M.  J.  J.  Ampère,  membre  de  l'Institut,  qui,  ainsi  que  nous 
l'avons  annoncé,  voyage  en  Egypte,  vient  d'adresser  à  M.  le  Ministre 
de  l'Instruction  publique  un  premier  rapport  sur  le  résultat  de  ses 
opérations.  Ce  travail  qui  est  daté  de  Reneh ,  et  qui  est  fort  étendu , 
contient  des  indications  intéressantes  sur  divers  monuments  et  plu- 
sieurs inscriptions  hiéroglyphiques. 

—  Nous  avons  reçu  de  M.  Rouard,  bibliothécaire  de  la  ville  d'Aix, 
des  observations  fort  judicieuses  sur  notre  Planche  XX,  représen- 
tant le  Tableau  de  saint  Louis  et  l'article  qui  l'accompagne,  p.  691. 
Nous  en  aurions  déjà  fait  la  communication  à  nos  lecteurs  si  nous 
n'attendions  pas  de  l'un  de  nos  correspondants  d'Italie  de  nouveaux 
renseignements  sur  ce  curieux  tableau.  Nous  prions  M.  Rouard  de 
recevoir  nos  remerciements  pour  l'offre  bienveillante  qu'il  nous  a 
faite  dans  l'intérêt  de  la  Berne  Archéologique,  nous  accepterons  avec 
reconnaissance  les  documents  qu'il  voudra  bien  nous  adresser. 

. —  Nous  avons  annoncé  dans  le  dernier  numéro  de  la  Reme , 
p.  761,  la  vente  des  Vases  peints  du  prince  de  Canino.  Ce  n'est  pas 
au  mois  d'Août  prochain,  mais  bien  le  22  Ami  1845  que  seront 
vendus  à  la  Salle  des  Ventes ,  rue  des  Jeûneurs,  les  Vases  dont  nous 
avons  parlé.  L'exposition  publique  aura  lieu  le  20  et  21  à  la  Salle 
de  Vente,  et  provisoirement  on  pourra  les  voir  les  dimanche  et 
jeudi  de  1  à  4  heures,  rue  Sainte-Anne,  44. 


BIBLIOGRAPHIE. 


ÉLITE  DES  MONUMENTS  CÉRAMOGRAPHIQUES ,  matériaux  pour  servira  l'his- 
toire des  religions  et  des  mœurs  de  l'antiquité,  expliqués  et  commentés  par 
CM.  Lenormant  et  i.  nP.  Witte.  — Paris,  Leleux,  in-4'',  toîtie  I",  lMVj-304 fkâgés , 
109  planches. 

DELXIÈMf:    ARTICLE   (1). 

Nous  trouvons  en  tète  du  volume  une  introduction  savante  et  dé- 
veloppée, divisée  en  trois  chapitres;  le  premier  contient  l'exposition 
très-complète  de  tous  les  systèmes  adoptés  jusqu'à  nos  jours  par  diffé- 
rents archéologues  touchant  l'origine  des  compositions  qui  ornent  les 
vases  peints  ainsi  que  des  vases  eux-mêmes.  Toutes  ces  opinions  peu- 
vent être  ramenées  à  deux  manières  de  voir  principales;  l'une  qili 
ferait  attribuer  à  la  Grèce  les  vases  que  l'on  trouve  en  Italie,  oii  ils 
auraient  été  transportés  par  le  commerce;  l'autre  qui  accorderait  aux 
peuples  de  l'Etrurie  et  de  la  Fouille  le  mérite  d'avoir  fabriqué  ces 
élégants  vaisseaux  d'après  leurs  seules  inspirations.  Les  auteurs  de 
y  Élite  des  monuments  céramographiques  ne  se  rallient  ni  à  l'une  ni  à 
l'autre  de  ces  opinions.  Le  second  chapitre  est  consacré  à  la  démon- 
stration de  cette  supposition  ,  que  là  où  les  vases  peints  se  trouvent 
en  très- petit  nombre,  il  est  probable  qu'originairement  on  les  avait 
importés  dans  le  pays,  et  que  là,  au  contraire,  où  on  les  découvre 
en  grande  abondance,  cette  abondance  ne  s'explique  que  par  l'existence 
d'une  fabrique  locale.  Ce  système ,  tout  en  faisant  prédominer  le  fait 
de  la  multiplication  des  fabriques,  laisse  encore,  comme  on  le  voit, 
une  assez  belle  part  à  celui  de  l'importation.  Athènes,  Égine,  Co- 
rinthe  paraissent  être  les  seuls  centres  de  fabrication  dans  la  Grèce 
continentale.  Dans  l'archipel,  il  faut  citer  Milo  etSantorin.  Les  vases 

(1)  Quelques  fautes  typographiques  ont  rendu  à  peu  près  incompréhensibles  plu- 
sieurs passages  de  notre  premier  article  ;  nous  prions  le  lecteur  de  vouloir  bien 
rétablir  : 

Page  777,  ligne  12  ;  au  lieu  de  :  méthodique  ou  rigoureux;  .....  méthodique  kt 

rigoureut. 

778,  ligne  13  ;  au  lieu  de  :  tirrhéno-phéniclens  ; tyrrhêno-phéniciens. 

779,  ligne  iS  ;  au  lieu  de  :  sculpteurs;  .....  sculptures. 

780,  ligne    3  ;  au  lieu  de  -.  Cuvedoni; Cavedoni. 

783,  ligne    4  ;  au  lieu  de  •  zs^to?  ; /.v.Soi, 


BIBLIOGRAPHIE.  847 

trouvés  sur  les  bords  de  la  mer  Noire,  à  Panticapée,  offrent  des  par- 
ticularités qui  doivent  faire  croire  à  une  industrie  locale.  On  remarque 
au  musée  de  Leyde  un  petit  vase  noir  trouvé  dans  la  Cyrénaïque, 
orné  d'une  tête  de  Jupiter  Ammon,  en  relief,  type  national  à  Cyrène 
et  qui  semblerait  déterminer  le  lieu  où  fut  fait  ce  monument.  La  con- 
tribution de  la  Sicile  à  l'ensemble  des  richesses  céramographiques , 
quoique  plus  considérable  jusqu'à  présent  que  celle  de  la  Grèce,  est 
loin  de  pouvoir  se  comparer  à  ce  qu'a  fourni  l'Italie. 

Dans  cette  dernière  contrée,  il  faut  distinguer  trois  groupes  prin- 
cipaux ,  dont,  chacun  se  divise  en  plusieurs  branches  différentes.  Le 
midi  de  la  Péninsule,  désigné  sous  le  nom  de  grande  Grèce,  est  re- 
présenté par  les  fabrique  de  Locres  et  de  Tarente ,  dont  les  produits 
se  distinguent  plus  par  la  qualité  que  par  le  nombre.  On  peut  dire 
absolument  le  contraire,  comme  nous  l'avons  déjà  remarqué,  des  vases 
presque  innombrables  qu'on  découvre  dans  la  région  montueuse  de  la 
Bajiiljcate  et  dans  les  cantons  intérieurs  de  la  Pouille;  les  nécropoles 
de  Canosa  et  de  Ruvo  figurent  en  première  ligne  dans  cette  abondante 
production.  Dans  la  Campanie,  on  trouve  dans  les  sépultures  de 
Cumes  des  vases  qui,  d'après  leur  style,  paraissent  avoir  été  exécutés 
postérieurement  à  la  prise  de  cette  ville  par  les  Samniles.  Tout  le 
monde  connaît  la  finesse  des  produits  céramiques  de  Noia ,  qui  ne  le 
cèdent  qu'à  ceux  d'Athènes.  A  mesure  que  l'on  monte  vers  les  gorges 
du  Samnium,  à  Capoue,  à  Avella,  à  Santa-Agatha-de-Goli,  le  goût 
s'affaiblit  graduellement  en  une  pompe  mêlée  de  rudesse»  Si  les  vases 
de  ces  localités  conservent  quelque  supériorité  sur  ceux  de  la  Basi- 
licate,  cette  prééminence  tient  sans  doute  à  l'ancienneté  compara- 
tivement plus  grande  de  la  fabrique.  Les  villes  du  revers  de  la  Cam- 
panie tombèrent  avec  la  ligne  du  Samnium  vers  la  fin  du  IIP  siècle 
avant  notre  ère,    tandis  que  la  Lucanie  et  le  Brutium  maintinrent 
encore  leur  prospérité  jusqu'au  temps  de  la  guerre  sociale.  Or,  plus 
un  peuple  continue  longtemps  à  pratiquer  un  art,  plus  les  produits 
de  cet  art  deviennent  maniérés  et  médiocres.  Au  nord  de  Rome ,  les 
vases  peints  se  découvrent  aussi  abondamment  qu'au  midi,  depuis  Clu- 
sium  jusqu'à  Véies,  mais  surtout  à  Tarquinies  et  à  Vulci. 

MM.  Lenormant  et  deWitte  ne  s'occupent  que  des  \ases peints, 
et  c'est  à  ce  point  de  vue  qu'il  faut  juger  leurs  divisions.  Comme  ces 
monuments,  en  presque  tous  les  lieux  où  on  les  exhume,  révèlent  une 
influence  grecque,  il  est  nécessaire  d'en  découvrir  la  raison. 

La  difficulté  que  présenterait  le  transport  de  vases  si  fragiles  est 
un  grave  obstacle  à  opposer  aux  savants  qui  pensent  que  ces  monu- 


848  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ments  oiit  tous  été  fabriqués  en  Grèce.  Cette  difficulté  paraîtra  en- 
core plus  imposante  si  l'on  réfléchit  au  peu  de  relations  qui  existaient 
entre  les  divers  peuples  de  l'Italie,  ce  qui  se  comprend  lorsqu'on 
\oit  combien  différaient  les  unités  monétaires  des  villes  dont  les  ter- 
ritoires étaient  limitrophes.  C'est  à  l'exposition  de  cette  idée  qu'est 
consacré  le  troisième  chapitre ,  et  nous  recommandons  ce  morceau  à 
l'attention  des  archéologues  comme  étant  de  nature  à  jeter  le  plus 
grand  jour  sur  plusieurs  questions  très-importantes  de  la  numisma- 
tique. Les  monnaies  de  l'Italie  présentent  plus  ou  moins  la  trace  de 
l'influence  hellénique,  et  il  est  à  remarquer  que  cette  influence  est  en 
rapport  avec  celle  que  révèlent  les  peintures  des  vases  trouvés  dans 
les  lieux  où  furent  frappées  ces  monnaies.  Personne  assurément  ne 
sera  tenté  de  croire  que  les  monuments  numismatiques  de  l'Italie, 
quand  môme  ils  nous  montrent  des  légendes  grecques,  aient  été  fa- 
briqués dans  l'Attique  ou  dans  TAchaïe. 

Si  les  objets  d'art  étaient  difficiles  ou  môme  impossibles  à  trans- 
porter en  grandes  masses,  les  artistes  qui  les  exécutaient  ne  rencon- 
traient pas  individuellement  les  mêmes  obstacles.  Les  monuments 
numismatiques  sont  encore  ici  d'un  grand  secours;  car,  sans  parler 
des  signatures  d'un  seul  et  même  graveur  inscrites  sur  les  monnaies 
de  plusieurs  villes,  quelquefois  séparées  les  unes  des  autres  par  de 
grands  intervalles,  il  existe  souvent  une  telle  identité  de  style  et  de 
travail  entre  les  monnaies  appartenant  à  des  contrées  situées  à  des 
distances  considérables,  qu'on  ne  peut  s'empêcher  de  conclure  que  les 
hommes  de  talent,  partout  bien  accueillis,  n'hésitaient  pas  à  louer 
leur  industrie  à  qui  savait  la  récompenser,  en  quelque  lieu  et  sous 
quelque  gouvernement  que  ce  fût.  Ainsi  donc  le  point  capital  qui 
ressort  de  l'introduction  est  la  substitution  de  l'hypothèse  du  dépla- 
cement des  artistes,  à  l'hypothèse  du  transport  des  vases.  Il  y  a  là 
évidemment  un  grand  pas  de  fait  vers  la  vérité. 

On  sait  que  les  sujets  mythologiques  forment  la  classe  la  plus  nom- 
breuse des  peintures  de  vases. L'ouvrage  commence  par  les  mythes  des 
dieux,  que  suivront  les  mythes  des  héros.  Ces  deux  divisions  formeront 
donc  un  galerie  mythologique  aussi  complète  que  possible,  dans  son 
genre  toutefois,  puisqu'elle  est  tirée  uniquement  des  produits  de  l'art 
céramographique.  Et  ici,  qu'il  nous  soit  permis  de  dire  quelques  mots 
sur  la  manière  dont  nous  concevons  l'emploi  des  monuments  de  l'an- 
tiquité dans  les  recherches  qui  ont  pour  but  l'histoire  des  idées  reli- 
gieuses. Ainsi,  par  exemple,  il  nous  semble  que  la  plus  grande  im- 
portance doit  être  accordée  aux  bas-reliefs  ou  aux  statues  qui  ornaient 


BIBLIOGRAPHIE.  849 

les  temples;  le  simple  bon  sens  dit  que  ces  représentations  devaient 
être  empreintes  de  toute  l'orthodoxie  relative  que  Ion  peut  attendre 
des  peuples  de  l'antiquité  (nous  entendons  parler  du  monde  hellénique). 
Viennent  ensuite  les  tombeaux  qui  ont  du  être  sculptés  ou  peints  avec 
une  intention  arrêtée  et  grave;  les  monnaies  dont  les  types  ne  déno- 
tent pas ,  nous  le  croyons ,  des  idées  bien  profondes  de  la  part  des 
graveurs,  mais  qui  nous  conservent  des  copies  de  figures,  de  groupes, 
de  symboles ,  reproduites  parce  que  les  originaux  étaient  consacrés 
dans  les  temples.  Or,  ces  modèles  avaient  été  conçus,  avec  toute 
apparence,  suivant  des  idées  hiératiques.  Les  monnaies  nous  offrent 
donc  le  reflet  des  mythes,  et  on  doit  les  expliquer  dans  le  sens  reli- 
gieux, sans  pour  cela  faire  des  artistes  qui  les  ont  produites  d'ingé- 
nieux théologiens.  Nous  classons,  en  dernier  lieu,  les  peintures,  les 
sculptures  privées,  celles  que  l'on  trouve  dans  les  habitations  particu- 
lières ,  et  celles  qui  décorent  les  ustensiles  au  nombre  desquels  nous 
rangeons  les  vases.  A  coup  sûr  le  caprice  ou  l'arrangement  ont  pu 
avoir  dans  l'ornementation  de  ces  derniers  monuments  une  grande 
part ,  et  nous  croyons  qu'il  est  peut-être  utile  de  tenir  compte  de 
cette  donnée  lorsqu'on  explique  les  peintures  céramographiques. 

Si  nous  faisons  nos  réserves  pour  ce  qui  concerne  les  vases  funé- 
raires, nous  distinguons  cependant  la  destination  pieuse,  de  l'usage 
officiel. 

Ce  n'est  pas  assurément  que  nous  inclinions  vers  la  mythologie 
réduite  en  biographie,  où  les  événements  et  les  actions  se  développent 
d'une  manière  rationnelle,  en  suivant  l'ordre  possible  dans  l'existence 
humaine.  Ce  qui,  dans  la  mythologie  des  monuments,  paraît  de  la 
confusion,  tend,  en  fin  de  compte,  à  faire  prévaloir  le  dogme  de  l'unité 
dont  les  diflérentes  fables  ne  sont  que  des  expressions  variées.  La 
permutation  des  indi\idus  dans  les  scènes  religieuses  montre  que  les 
dieux  les  plus  différents  confinent  et  se  mêlent  comme  les  rameaux 
qui  appartiennent  à  une  même  souche. 

Nous  voulons  seulement  dire  que  la  signification  donnée  à  un  type 
doit  dépendre  de  la  place  qu'occupe  la  composition  qu'il  s'agit  d'ex- 
pliquer, et  qu'il  ne  serait  pas  prudent  de  modifier  la  forme  théorique 
d'un  mythe  pour  quelque  association  de  personne  fournie  par  une 
peinture  de  vase,  oii  une  dévotion  personnelle,  le  besoin  de  remplir 
un  vide  ont  pu  lui  faire  donner  un  rôle  exceptionnel. 

Les  vases  peints  n'ont  conservé  que  bien  peu  de  traces  des  divinités 
italiotes;  une  amphore  qui  existe  depuis  peu  de  temps  dans  le  cabinet 
de  M.  le  comte  de  Pourlalès,  représentant  Rhéa  qui  apporte  à  Saturne 
I.  55 


850  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

une  pierre  emmaillotée,  et  un  rhython  ,  orné  dune  Cybèle,  cité  par 
par  M.  Raoul  Rochette  (Journal  des  Savants,  nov.  184i  ),  n'ont  pu 
être  figurés  dans  le  livre  de  MM.  Lenormant  et  de  Witte,  qui  com- 
mencent leur  collection  par  les  scènes  de  la  guerre  des  dieux  et  des 
Géants  qui  occupent  les  onze  premières  planches.  Dix-sept  autres 
planches  sont  consacrées  à  la  représentation  de  Jupiter ,  soit  sous  la 
forme  humaine  et  entouré  de  quelques  divinités ,  soit  sous  la  forme 
d'aigle  ou  de  taureau,  enlevant  Thalia,  Égine,  Europe.  Dix  planches 
nous  montrent  JanoTi,  seule  ou  accompagnée-,  cette  déesse  est,  quel- 
quefois, très-difficile  à  reconnaître.  Les  sujets  relatifs  à  Vulcain  sont 
répartis  en  dix-neuf  planches,  dont  les  deux  tiers  représentent  ce  dieu 
ramené  à  l'Olympe  par  Racchus,  sujet  éminemment  funéraire.  On 
trouve  à  la  fin  de  ce  même  chapitre  deux  scènes  de  la  formation  de 
Pandore  et  de  la  naissance  des  Pallques,  Trente-neuf  planches  retra- 
cent l'histoire  àQ  Minerve;  la  seule  naissance  de  la  déesse  en  occupe 
treize.  On  conçoit  sans  peine  que  les  peintres  aient  fréquemment 
figuré  Yarlifex  par  excellence.  Quant  à  l'enfantement  mystique  de 
Jupiter,  c'est  un  de  ces  sujets  qui ,  exprimant  l'origine  de  la  vie,  de- 
vaient naturellement  être  mis  en  parallèle  avec  les  enlèvements,  allé- 
gories de  la  mort.  Les  dix  dernières  planches  du  premier  volume 
offrent  différents  types  de  la  Victoire  ,  placée  à  la  suite  de  Minerve, 
parce  qu'elle  n'est  pour  ainsi  dire  qu'un  dédoublement  de  la  déesse 
ou  plutôt  un  acolythe  si  intimement  lié  avec  elle,  que  souvent  toutes 
deux  ne  forment  qu'une  même  divinité,  devenant  alors  cette  Alhénér- 
Nice,  dont  Pausanias  vit  le  temple  sur  l'Acropolis  de  Mégare.  Une 
belle  peinture  (  PI.  XCIV),  tirée  d'un  vase  de  Hamilton,  représente 
la  Victoire  qui  érige  un  trophée.  Les  auteurs  de  YÊlile  des  monu- 
ments céramographiques ,  rapprochant  avec  raison  ce  sujet  du  type 
qui  se  voit  sur  les  tétradrachmes  d'Agathocle,  roi  de  Syracuse,  pen- 
sent que  si  le  vase  est  de  fabrique  sicilienne,  il  a  pu  être  peint  à 
l'époque  des  triomphes  de  ce  roi  sur  les  Carthaginois.  Cette  remarque 
est  très-ingénieuse,  et  nous  croyons  que  l'époque  assignée  à  ce  mo- 
nument serait  tout  à  fait  convenable  ;  car  des  types  analogues  se  re^ 
trouvent  sur  les  monnaies  de  deux  contemporains  d'Agathocle,  Sé- 
leucus  1",  roi  de  Syrie,  et  Dionysus,  tyran  d'Héraclée.  L'examen  des 
médailles  prouve  avec  quelle  régularité  le  niveau  des  idées  en  fait 
d'art  tendait  continuellement  à  s'établir  partout  ou  l'influence 
grecque  avait  accès. 

Il  est  quelquefois  très-difficile  de  classer  des  peintures  dans  les- 
quelles paraissent  plusieurs  divinités.  Par  exemple,  les  luttes  de  Ju- 


BIBLIOGRAPHIE.  861 

piter  et  d'Apollon ,  de  ce  dernier  avec  Hercule ,  avec  Neptune ,  de 
Neptune  avec  Minerve,  avec Bacchus,  peuvent  faire  ranger  les  scènes 
dont  elles  font  le  sujet  au  chapitre  de  l'un  ou  l'autre  des  personnages 
que  nous  avons  énumérés;  des  renvois  fréquents  peuvent  seuls  parer 
à  cet  inconvénient  inséparable  de  la  matière. 

MM.  Lenormant  et  de  Witte  décrivent  avec  le  plus  grand  soin  les 
compositions ,  les  figures ,  les  accessoires  qu'ils  observent  sur  les  vases. 
Ils  savent  habilement  tirer  parti  de  chaque  circonstance  pour  ratta- 
cher les  types  céramographiques  à  d'autres  monuments  figurés  ou  à 
des  textes  qui  peuvent  concourir  à  en  donner  l'intelligence.  A  coup 
sûr  la  mythologie,  telle  qu'elle  ressort  de  la  comparaison  que  permet 
d'établir  l'immense  quantité  de  vases  découverts  depuis  quelques  an- 
nées, est  essentiellement  différente  de  celle  que  l'on  s'était  faite  de- 
puis la  renaissance  des  lettres,  à  l'aide  d'Horace,  de  Virgile  et 
d'Ovide.  On  ne  voulait  voir  dans  les  croyances  antiques  qu'un  fade 
allégorisme  ou  une  obscénité  recherchée;  il  semblait  que  Demoustier 
etLachaud  avaient  dit  le  dernier  mot  sur  la  religion  de  la  Grèce  et  de 
Rome,  Aujourd'hui  on  se  trouve  en  face  d'un  arsenal  de  documents 
d'une  haute  valeur;  il  est  devenu  indispensable  de  renoncer  à  la  bio- 
graphie des  dieux  et  des  héros  ;  à  la  place  de  personnes,  on  trouve  des 
idées  qui  s'expriment  surtout  par  la  combinaison  des  individus.  Les 
dieux  ne  sont  plus  que  des  acteurs  chargés  tour  à  tour  de  représenter 
une  force  qui  témoigne  d'une  puissance  supérieure  à  l'humanilé.  L'ac- 
tion est  la  chose  importante,  le  nom  de  ceux  qui  y  prennent  part  est 
presque  indifférent.  Cette  théorie  se  déduit  nécessairement  des 
exemples  fréquents  et  certains  de  permutations  et  d'associations 
que  nous  présentent  les  scènes  mythologiques.  On  peut,  à  la  vérité, 
dire  comme  Simonide,  chargé  par  Hiéron  de  définir  la  divinité  : 
Quanlo  diatius  considero  ,  ianto  mihi  res  videUir  ohsciirior  (l).  Mais 
plus  la  mythologie  deviendra  complexe  et  obscure,  et  rebelle  à  tout 
code,  plus  selon  nous,  il  sera  possible  de  nous  faire  une  idée  de  ce 
qu'elle  était  dans  l'antiquité  chez  les  peuples  de  race  indo-germanique. 

Une  table  de  cinquante-deux  pages  à  deux  colonnes  termine  le 
volume  que  nous  analysons  ;  c'est  assez  dire  que  les  auteurs  n'ont  riea 
négligé  pour  rendre  leur  ouvrage  utile  et  instructif.  La  lecture  de 
cette  table  suffit  déjà  pour  donner  une  idée  fort  étendue  de  la  mytho- 
logie. Les  cent  neuf  planches,  qu'explique  cette  première  partie,  sont 
exécutées  avec  un  grand  soin  et  rendent  le  style  des  originaux  avec 

(1)  Cicer.,  de  lYat,  Deor,,  I,  XXII. 


852  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

beaucoup  d exactitude;  ceux  qui  ne  voudraient  considérer  la  céramo- 
graphie  qu'au  seul  point  de  vue  de  l'art,  trouveront  donc  dans  ce 
livre  de  quoi  se  satisfaire  amplement. 

Dans  quelque  esprit  que  l'on  étudie  le  travail  de  MM.  Lcnormant 
et  de  Witle ,  on  reconnaîtra  sa  grande  utilité ,  la  méthode  simple  qui 
a  présidé  à  sa  rédaction,  enlin  l'érudition  riche,  ingénieuse  que  les 
auteurs  y  ont  déployée  avec  une  bonne  foi  entière,  un  zèle  qui  ne 
s'efforce  pas  de  dissimuler  les  difficultés,  une  conscience  qui  leur 
fait  rechercher  les  exceptions.  Espérons  que  rien  ne  s'opposera  à  la 
prompte  publication  des  volumes  suivants.  A.  L. 

—  La  Revue  de  Philologie  ,  de  Littérature  et  d'Histoire 
ANCIENNE,  qui  paraît  sous  la  direction  de  M.  Léon  Rénier,  a  publié 
dans  ses  deux  premiers  numéros,  entre  autres  articles: 

Sur  l'époque  de  l'avènement  et  du  couronnement  des  Ptolémées  à 
,m'opos  d'un  passage  de  l'inscription  de  Rosette,  par  M.  Lelronne,  — 
Voyage  en  Asie-Mineure,  premier  rapport  adressé  à  M.  le  Ministre 
de  l'Instruction  publique,  par  M.  Le  Bas.  —  Sur  l'inscription  de 
Delphes,  citée  par  Pline,  par  M,  Rossignol,  —  Deux  Inscriptions 
grecques  de  Philes  relatives  à  deux  membres  d'une  confrérie  diony- 
siaque, par  M.  Lelronne.  — Sur  un  passage  de  Salluste,  par  M,  Qui- 
cherat,  —  Ce  recueil  paraît  tous  les  deux  mois  par  cahier  d'environ 
six  feuilles. 


IVOIIVUIilii:!»  PUBIilCATIOlVIS  ARCHïIOIiOCïIQUES. 

ITALIE. 

Gervasio  (Agost.):  Osservazioni  intornoalcune  antiche  inscrizioni 
cbe  sono  o  furono  in  Napoli.  Lette  nell'  Accademia  Ercolanese  nell' 
onno  1840.  Mapoli,  1842.  4. 

Scliulz  (IL  W.)  :  Ragguaglio  délie  principali  escavazioni  operate 
ultimaraente  nel  regno  di  Napoli.  Roma,  1843.  8. 

Secchi  (F.  Ciamp)  :  11  musaico  Antoniano  rappresentante  la  scuola 
degli  atleti  trasferito,  per  ordine  di  Gregorio  XVI,  dalle  terme  di  Ca- 
racalla  nel  palazzo  Lateranese.  Roma,  1843.  4. 

Studio  Sull  anfiteatro  Puteolano.  Napoli,  1842. 

Turconi  :  Fabbriche  antiche  di  Roma.  Milano,  1843. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  DES  MATIÈRES 


DU   PREMIER   VOLCIUE 


DE  LA  REVUE  ARCHEOLOGIQUE. 


Abad  ,  signification  de  ce  mot ,  note  l 234 

Abhaye  de  Monlre'al  ,   271;   —  de  Gigny , 

36g  ;  —  de  Pontigny 36"9 

Acade'mie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres, 
6*9,  338,  ^Çi":  ;  —  des  Scimces  deliru\el]es, 
rapport    sur   les    fouilles    de   Fouvin-le- 

Comte ^06 

Académie  d'HercuIanum  ;  ses  membres  dis- 
tingue'»      4' 

Actes  d'adoration.  V.  Proscrnèmes . 
Affranchis.  Recliercbes  sur  l'origine  de  leur 

nom Ii5 

Abrens  (M.)  ,  savant  cite' 3l7 

Ain  (  Recliercbes  historiques  sur  le  de'parte- 
ment  de  1'),  par  M.  de  Ja  Teysonnière.  . .   SSS 

Ainswortb  ,  savant  cité 628 

Akerman  ,  savant  cité 628 

Allemaune.  Bibliographie  des  savants  arcbe'o- 

logues  de  ce  pays 77,  56o,  618,  figC) 

Amlion  de  Saint-Laurent,  pi.  X 340 

Ames  (Pèsement  des).  V.  Pbjchostasie. 
Ammien  Marcellin  ,  sur  la  langue  biérogly- 

pbi(f  ue }  •   352 

Ampère  (M.-J.-J  ).  Son  départ  pour  l'E- 
gypte  ; ^Sg, 845 

Ampliiaraûs  prenant  congé  d'Eripbyle  ,  pein- 
ture d'un  vase  de  Nola l\%\ 

Amphore  avec  peintures  noires,  (\^1  :  —  Au- 
tres dites  bachiques,  783  ;  —  de  Corcyre,    ih. 

An.phœa  (Vase  dit).  . 779,  780 

Ancre  des  Séleucides  ,  sa  signification gS 

Ange  gardien  figurant  dans  une  scène  de  psy- 

choslasie * 3o6 

Anges  psvcbagogues,5i2; —  de  la  mort 5i8 

Anges.  Comment  représentés  par  les  agio- 
graphes,  .597  ;  —  giirdiens,  658  ;  —  confon- 
dus avec  le  génie  des  païens,  ib.;  —  exter- 
minateurs     667 

Angleterre  (Ouvrages  d'archéologie  en). . . . 

78,  420,  628 

Anjou  (Arcbives   d'),  par  M.  Marchegay, 

citées 363 

Annales  de  l'Institut ,  t.  XV,  cité 4^,^ 

Anneau  chrétien  avec  figures    762 

Annonciation.  Peinture  symbolique  du  XV« 

siècle,  4t>>  ;  —  à  l'église  Saint-Denis. . . .  606 
Antiquaire.  En  quoi  il  diffère    de  l'archéo- 
logue  • 1 

Antiquaires  de  France  (Mémoire  de  la  so- 
ci«'té  des).  Examen  critique  du  7<'  vo- 
lume  l\io 

Antiquité  (I/)  figurée i 

antiquités  chrétiennes  (Mémoires  sur  les), 
par  Raoul  Rochetle.  Cité 3o4 


PA.&ES 
Anihrnpomorphisine 12 

Aphytis  ,  vase  à  puiser 782 

Apoiliéose  de  Romulus.  Sculpture    5gr 

Ail)re  de  .Jessé.  .Sciili>inre  et  vitrail  expli- 
qués, pi.  XXI  et  XXII 755 

Arc  de  Saintes 6i4 

Arcbéoloiie  (L'),  i;  — pose  les  bases  cer- 
taines de  l'histoire,  12.  En  Allemagne,  en 
Angleterre,  en  Italie,  en  France.  V.  à  ces 
divers  noms. 

Archéologue.  En  quoi  il  diffère  de  l'anti- 
quaire         3 

Architecture  (Etude  indispensable  de  1')...      lii 

Armoire  aux  saintes  huiles  àSaint-Clérnenf, 
pi.  VU 212 

Ars  criticn   lapidaria 112 

Arlaxcrte  (Vase  d') ; 49"^ 

Aryballos  (Vases  dits) 778 

Aschraf  (Malek  el),  son  nom  sur  une  coupe  , 
540;  —  liste  des  princes  ai-abes  qui  ont 
porté  ce  nom 543 

Asie-Mineure  (  P'ayrures  archéolngiqties 
dans  /'),  par  W.  Le  Bas  :  !«'  rapport,  ^9; 
2^  rapport,  98  ;  3«  rapport,  166;  4*  rap- 
port, 277  ;  5e  rapport  ,  422  ;  6<'  rapport  , 

629,  705 

Assaut  d'une  forteresse  représenté  dans  une 
sculpture  assyrienne 224 

Association  archéologique  anglaise 72 

Athènes.  Preuves  de  son  influence  sur  les 
arts,  83;  —  ses  trois  musées,  42  ;  —  lettre 
sur  ses  antiquités.  V.  Le  Bas.  —  Frag- 
ments moulés  de  ses  antiquités ,  210;  — 
siège  de  ce.'te  vi'le,  par  Morosinl 832 

Attributs  (De><).  De  lu  Vierge,  470  ;  —  des 
saints.  Ouvrage  allemand  cité 6tn 

Autel  assyrien  avec  caractères  cunéiformes. .  217 

Autocraior.  Sur  l'absence  de  ce  mol  dans  les 
cartouches  hiéroalyphinues  du  zodiaffi'C, 
38i,.387 

Avellino ,  archéidogue  cité 784 

Axoura.  V. obélisques 

Azema  de  Monlgravier  (M  ).  Sa  lettre  .î 
M.  Hase  sur  des  inscriptions 122,  566 

Babylone.  Description  de  cette  ville  ,  par 
LÎérodote 2?.5 

Ba;hr.  V  Sfmbnlich. 

Balance  ,  symbole  de  la  justice  ,  297  ;  — an- 
tique 65o 

Barrow.  V.  PtiHt. 

Basiliques  chrétiennes.  Recherches  sur  \env.> 
types  primitifs  et  leurs  modifications,  par 
M .  Kugler 618 

Basse-OEuvrc  à  Beauvais.  mouum.   roman.   549 


854 


TABLE  ALPHABETIQUE 


PAGES 

Bassin  anticfue  à  Nîmes.  Description  et  pi. .  ^77 

Baleau  romain  retrouve' à  Cliercliell 69Ô 

Batissier.  Les  Elcmens  d'archéologie   na~ 

tinnale I^a 

Baubo.   Figure  symbolique 4^2 

Biudour  (Sainte"» 24 

Be'atrix  ,    impe'ratrice;    son  portrait 620 

Beclistein.  Sur  les  monuments  de  la  Franco- 

nie  et  de  la  Tliuringe. 610 

Benoît  (Saint-)  sur-Loire   (^Souvenirs  hislo- 

riques  sur  l'abhaye  de  ce  nom.  )  \[\0  ;  — 

ordre  de  ce  nom 36*9 

Betli  ,  arcliéolo;;ue ^8^ 

Bil)liograpLie  archéologique,  i"  Bulletin,  En 

France,  ']\  et  suiv.,  627;  en  Allemagne, 

?7,  Ô60,  704  ;  en  Angleterre,  78,  628  ;  en 
talie 79^784 

Bircli  (SatTi),  g.«lerie  d'antiquités  publiée  par 

ce  sa  vanl 628 

Bolilaye.  Son  ouvrage  sur  la  Morée,  281,  282,  288 
Boëckli.  Recueil  d'inscriptions  dece  savant.  .      [\'i 

.  iio,  317.  460,  683,  7of>,  715 

Boiserie  du  XVe  siècle  sculptée.  V.  Arbre  de 

Jessé. 

Bombylios  (Vases) 778 

Bon-Pasteur  (anciennes  représentations  du).  4"4 
Bosclierville  (Éf;lise  de)  en  restauration  ....  5â5 
Boita  (M  ).  Ses  découvertes  archéologiques., 

9'  2'5,  402,  6"97 

Bouddiiisme   indien    (Histoire    du)  ,    par 

E.    Burnouf 764 

Boulayf(M.  La),  nommé  membre  de  l'Acadé- 

niièdes  Iiisrn|'tions  et  Belles-Lettres.  .  .  ,   G68 
Braun  (M  ).  Mémoire  sur  le  tombeau  deCer- 

V(tri 3i3 

Brindes.  Objelsdécouveitsen  ce  lieu 262 

Briques  assyriennes  ,  225,  233  ;  —  de  Baby- 
lone  ,  225,  2î3,  note  1,  778 — 617; — ver- 
nissées du  Xlll* siècle, 840  ;  —  pi.  XXIV, 

de  l'Alhambra ^ 84^ 

Buchon  (M.)  JNote  communiquée  à  l'Acadé- 
mie des  Inscriptions  et  Belles- Lettres 69 

Bulletin  de  {'Institut  archéologique 3t2 

Burnouf  père.  Sa  mort  et  son  éloge i35 

Burnour(lVL  Hugène).  Son  histoire  du  Boud- 
dhisme ,  7^4;  —  ses  travaux  sur  les  in- 
scriptions cunéiformes 44*^ 

Byzantin.  Remarque  importante  sur  l'emploi 

banal  de  cette  expression 53o 

Byzantins,  Véritables  monuments  de  celte 
époque 53  ï 

Cabanes  funéraires , 781 

Cadalvène  (M.  de),  à  Constantinople,  nommé 
correspondant  de  l'Acad.  des  Inscriptions 

et  Belles-Lettres 697 

G:iHier(M.).  Sa  lettrcà  M.  Letronne 182 

Campana,  arcliéologue 784 

Cauino  (  Le  prince  de).  Sa  belle  collection ...   761 
Canon  du  siècle  de  Henri  II  retrouvé  en  Al- 
gérie       70 

Capranesi,archéologue 784 

Carbon,  peintre  du  XVI«  siècle 3a 

Carnoët  (Finistère).  Objets  trouvés  dans  la 

forêt  de  ce  nom ï33 

Carter.  AncienlPainting  andseulpture,  etc, 

à  la  note 75(> 

Cartouches  vides  du  temple  deDendera,  383, 
note  3  ;  —  carloucbes  pharaoniques 725 


PAGES 
Calacorhbes  chrétiennes  de  Milo,  69  ;  «—de 

Naples 414 

Caumont  (M    de).  Son  cours  d'antiquités 

monumentales 368 

Cavedoni ,   archéologue 784 

Cazouini,  écrivain  arahe  ;  son  livre  des  mer- 
veilles des  créatures. 545 

Cclestins.  Gliapitaux  provenant  du  cloître  de 

ce  couvent .-, 559 

Celtique   Monument  de  cette  époque  à  Marly.     68 
Cér.imographie.  Dissertation  de  M.  de  Long- 

périer. ; .  .  .    776  ,  846 

Céramourapliie  (  Monuments  de  la  )  publiés 
par  MM.  Ch.  Lenormant  et  J.  de  Witte. .   627 

Cercueils  de  bois  chez  les  Athéniens 388 

Cervetri  (Tombeau  de) 3ll 

Chaletrixf  Saint),  évécjue  de  Chartres  au  VI" 
siècle.  Ménioire  de  W.  de  BoislliibauU  sur 

la  découverte  de  son  tombeau 874 

Champs  Elisées  d'Arles.  Fouilles 127,   128 

Chatnpoisoau  (M.)  Ses  tableaux  chronolo- 
giques de  l'histoire  de  la  Touraine 762 

Cbampollion.    Ses    travaux   sur    les   hiéro- 

glyplies 62,  341 

Chanson  de  Roland.  Fragment 521 

Ciiant  des  Ai  vales 112 

Chapelle  du  collège  de  Navarre  (Rechercfies 

historiques  sur  la) 192 

Chapelle  de  Cluny ; . , ,      3o 

Chapelle  des  Pénitents 534 

Chapelle  du  prieuré  de  Morlange 267 

Char  assyrien 219,  227 

Charenle-Inférreure.    F'astes     historiques ^ 

Archéologie,  etc.,  sur  ce  dé  portement.  .    140 
Gharlemagne.   Reliquaire  et   recherches  sur 

ses  relityups  ,  pi.  XV 524,  53t 

Charlemagne  (Canonisation  de)  sous  Barbe- 
rousse  ,    par  le  p.ipe  Pascal 524 

Charleuf  (  M.  Gilbert)  ,  ses  découvertes. . . .   698 

Chasseurs  orientaux 538 

Chasuble  d'étoffes  arabes  de  la  cathédrale  de 

Coire , 408 

Chasuble  du    XIII*  siècle  à  Cnulances Ib, 

Château  des  Génois  ,  Asie-Mineure 323 

Chaussée  romaine  découverte  à  Paris 188 

Cheminées  de  l'hôtel  de  Cluny 38 

Cheval  emblème  de  la   Mort 674,  675 

Cheval  vainqueur  couronné  par  son  maître. 

Épisème  d'une  médaille 93 

Chevaux  assyi  iens 219,  227 

Chimère  ,  sculptée  sur  un  tombeau 66 

Christ  de  Naga, .....    ; 579,  58o 

Ciel  (La  déesse),  représentée  sur  le  zodiaque.  38l 
Clarac(M.le  comte  de).  Musée  de  sculp- 
ture antiq.  et  mod.  3o2,  5  (  [  (  note  )  594  ; 

—  Inscriptions  grecques  du  musée,  ib. 

—  son  Catalogue  des  Artistes   de   l'anti- 
quité  338 

Clément  (Saint),  d'Alexandrie,  cité  à  pro- 
pos de  la  langue  hiéroglyphique,  353  ;  — , 
cité  à  propos  des  anges  gardiens 658 

Cléophas  et  Cléopas.  Remarques  sur  ces  deux, 
noms 485 

Cloches ,  leur  origine ia8 

Cloître  .converti  en  musée  à  Barcelone,  72; 

—  de  Cadouin ,  sculpture    de    ce  monu- 
ment  5l3 

Cluny  (Hôtel  de),  son  musëe;  voir  ce  mot. 
Plan 23 


DES  MATIÈRES. 


855 


PAGES 

C(]eur  43e  saint  Louis.  Examen  de  l'autbenti* 

cite  de  celte  de'couverie 269,  3go,  546 

Collège  de  Navarre.  Voir  Chapelle. 
Collier  gaulois   1 24  ;  — ■  Collier  de  la  confré- 
rie de  saint  Christophe  (noie  i) ÉJîo 

Cjlognt-  (Cathe'drale  de) 6i5 

Combat  d'Achille  et  dp  Memnon 65l 

Commission  des  monuments  historiques,  54, 
201,  5i|9;  —  Archéologique  du  de'parte- 
menl  du  Nord,  129; — des  antiquités  de 
la  France,  3fi3;  —  du  prix  de  numisma- 
tique , 378 

Comte-Evêque  (Notice  sur  le)  ;  par  Géraud, 

citée 3^5 

Comt(  s  de  Flandre  (  Histoire  des) ,  citée. . .  .   3ot) 

Cônes  assyriens 218 

Conrad  ,  oncle  de  ParLerousse,  son  portrait.   528 

Copie  ,  ancienne  langue  égyptienne. B^C) 

Corpus    insiiiptioniim  de  Boëckh  ,  cité  4?-»  3l6 

Costumes  présumés  d'eunuques. 222 

Coupe  sassanide,  3i2  ;  —  sa  description,  483} 

arabe  ,  sa  description 538 

Coupole  du  tombeau  de  Théodoric 6^3 

Courtet  (  Jules).  Sur  un  porche  roman 474 

Croix  ansée  (De  la)  égyptienne,  imitée  par 

lés  chrétiens 4°^ 

Croix.  Son  apparition  dans  les  types  des 
monnaies  ,  9^;  —  processionale  ,  i3o  j  — 
dans  les  mains  de  la  Victoire  des  monnaies 

antiques 9" 

Crotales  ,  observation  sur  ce  mot Uil 

Crypies  du  Vil'"  et  IX»  siètlcs o5o 

Cunéiformes  (Caractères).  Systèmes  perse, 
assyrien,  babylonien,  arménien,  234,  444- 

Voir  aussi  Jiitels 217,  233,  23^,  697 

Cuve  baptismale 129 

Ku/zoTOxo;.  mot  grec  signalé  comme  inédit. .    "il 6 

Cyathis  (Vase  dit) 782 

Cylindres  babyloniens,  leur  importance.  12,617 

Cypsélus  (  Vase  de) 4^4 

Dalmacius.  Bas-relief  de  Sémur 677 

Daniel,  grave  sur  des  monuments  des  pre- 
miers siècles  du  christianisme    125 

Dauphin  ,   emblème   chrétien  ;  —  d'Arion  ; 

—  de  Taras 4^^ 

Debret  (  M.).  Architecte  injustement  attaqué 
pour  sa  restauration  de  l'église  Saint- 
Denis ,. 609 

Delaquerièie(M.)   V. Eglise  Saint-Ouen. 
Démarate  (Je  Corinthien).  Ce  que  lui  doit 

l'art  en  Etrurie 87 

Démons  chez  les  chrétiens  et  les  païens 669 

Dépaulis  (M.)-  Don  de  divers  objets  au  Ca- 
binet des  Antiques 617 

Diable  (Le)  comment  envisagé  ?  et  repré- 
senté (note  5) 668 

Dialecte  sacré ,  distinct  du  dialecte  vul- 
gaire ,  344  ;  —  de  Thessalie 3 16 

Dictionnaire  des  monuments  de  l'antiquité 
chrétienne  et  du  moyen  âge  de  M.  L.-J. 

Guénebault \l\i,  l\\^,  610,  677 

Diodore  de  Sicile  sur  l'éciiture  hiérogly- 
phique   35o 

Diptyque  de  Besaiiçon  ;  PL  IV,  ï44  '  """  *" 

ivoire  du  musée  de  Cluny ^3l 

Divinités  (  Des)  psychopompes  dans  l'anti- 
quité et  le  moyen  âge  ;  par  M.  A.  Maury. 
Voir  PsychOstasie. 
I>ïé,  dieu  damai 294 


PAGES 

Druides  (Monuments des). Broote  découvert.  1 17 
Dubeux  (M.).  Sa  traduction  de  la  Chronique 

de  'labari 294 

Dubois   de  Monpereux.   Voyage    au  mont 

Caucase  (note  9) 599 

Dujardin  (doct.).  Critique  de  Cliampoïlion 

réfuté 341 

Dumas  (M.),  chimiste,  son  rapport  sur  le 

prétendu  cœur  de  saint  Louis Sgg 

Durand ,  sa  Collection  célèbre 3 10 

Édit  de  Dioclélien 1 12 

Ijlgger  (  M.),  sa  lettre  en  réponse  i  M.  Lebas.  760 

Egine  (  Vases  d'  ) 779 

Égypie.  Importance  de  l'élude  de  ses  monu- 
ments ,  8,9,  10;  —  Ouvrages  cités  sur  ce 
pays  et  ses  antiquités,  291,  2Ç)2  ,  293, 
3oi  ; — Explorée,  par  M.  Prisse  d'Avesnes.  723 
Eléphant ,  vu  en  songe  par  la  mère  de  Boud- 
dha ,  93  ;  —  support  d'un  siège  épiscopal.  544 

Eleusis  (Ville  d'),  ses  inscriptions _. . .     4^ 

Elie,  son  enlèvement:  comment  envisagé,  670, 
()n{  •  .^  l'histoire  de  ce  prophète  regardé 

,  comme  un  mythe ».   672 

Email  (  Peinture  sur).  Ouvrage  de  M.  Dus- 

,  sieux ....    143 

Emaux  du  château  de  Madrid 845 

Emprunts  (  Des)  faits  aux  monuments  païens 

par  les  chrétiens 669 

Epigraphie  (Science  de  1'),  sa  définition.  ,  ..      14 
Episcopus  du  XI*  siècle.  Voir  Siège  épisco' 

pal. 
Escalopier  (M.  de    1').   Sa    traduction  du 

moine  Théophile,  citée  avec  éloge 372 

Estampage.   Importance   et  pratique    de  ce 

procédé ....      4^ 

Éth  lopiens.  Costumes  des  rois  de  ce  pays  .5-'i; 

—  observations  sur  la  forme  de  leur  écri- 

,  ture 576 

Etienne  (Saint)  lapidé-  5 12; —  observa- 
tions sur  le  costume  inusité  de  cette  figure 
,  (note  3) -677 

Etrusques  (Les).  Vases  qu'on  leur  attri- 
bue     82,  87,  781 

Eudamidas,  fils  de  Perdiccas,  figure  debronze 
de  ce  personnage  ,  pi.  XJII 4^9 

Eulo^ie.  Vase  chrétien 4*^^ 

Junuques.  Voir  Costume. 

Evêque  d'Amiens  (M.  1'  ),  sa  circulaire  sur 
la  conservation  des  monuments SBg 

Expiation  d'Oreste,  peinture  (à  la  note).  .  .   656 

Fabrique  phénicienne  des  vases  peints,  777  ; 

—  fabrique   grecque,   778;    —    fabrique 
étrusque  ,  'jSt  ;  —  de  la  Basilicate 783 

Familles  Romaines  (Monnaies  des),  par 

M .  Gennaro  Riccio 38o 

Fano  (Coupe  arabe  trouvée  à  ). , 539 

Fata  (  Les  trois),  déesses  de  la  destinée 298 

Fellows  ,  savant  anglais  son  exp.  à  Xanthe.     66 
Ferret    et  Galinier.  "V.  Obélisque  d'Axoum. 
Figurine  de  bronze   Conjecture  à  ce  sujet. .  4^8 
Fiorelli  (  Joseph).  Son  ouvrage  sur  les  mon- 
naies grecques 93,  38o,  784 

Firoux.  Ce  roi  perse  représentésur  Une  coupe  264 
Flandre.   Voir  Comtes  de. 

Fortunées  (  Iles).  Séjour  des  âmes 677 

Fortia  d'Urban   (M.  de).   Sa   collection  de 

pierres  gravées •   617 

Fourmont.  Hommage  tendu  à  son  exacti- 
tude   100,  10*4,  ïo5 


S56 


TABLE  ALPHABETIQUE 


PAGES 

France  (publications  archéologiques)  7/J, 
140 ,  211,  269 ,   338 ,   409»  480 ,  627,  764 

Franz.  Eiemenla  epigraphU  e»*  grœca 019 

Fre'dëric  Barberousse  ,  son  portrait  ,  629;  — 
duc  de  Souabe,  son  portrait,  627  ;  —  Fre'- 

déric  II  ;  ses  chasses 538 

Fulche'rius,    e'véque   d'Avignon 47^ 

Gabriel  (L'ange).  Psyehopompe,  3o3;  —  re- 

pre'sente'  sur  un  autel  du  XII«  siècle 47<' 

Gaillon.  De'couverte  du  nom  de  l'architecte 
de  son  portique 69 

Galeron.  Statisticfue  du  Calvados 117 

Gallo-Roraain.  Monuments  de  ce  style i33 

Gammarus ,  tessère  représentant  ce  crusta- 
ce' 261,  4o5 

Gargailo(M.  P.).  Lettreà  M.de  Witte  sur 
un  tombeau  tiécouvert  près  de  Pe'rouse. .   761 

Ge'npalogie  de  Je'sus-Ghrist ,  756  ;  —  de  la 
Vierge 767 

Génies  (  Des  ).  Psychopompes  dans  l'anti- 
quité,    etc 5oo,  657 

Geoffroy  de  Beaulieu,  confesseur  de  saint 
Louis 270 

Georges  d'Amboise.  Cloche  de  la  cathédrale 
de  Rouen 36 

Géoi^ie.  Monuments  chrétiens  de  ce  pays, 
noie  6 5l5 

Géraud  (Hercule).  Eloge  de  ce  savant.  Voy. 
Ingeburge, 

Gerhard  (Edouard).  Son  ouvrage  sur  la  Mi- 
nerve d'.Athènes 704 

Germain-  (îfainl-)  l'Auxerrois.  Lettre  de 
M.  Troche  sur  les  restaurations  de  cette 
église 254 

Gilbert  (M.  ),  antiquaire.  Mémoire  sur  le 
pavé  de  Paris  ,  etc. 188 

Gilles  (  M.  Florent),  conservateur  des  mu- 
sées de  Russie  fait  don  d'une  collection  de 
plâtres  à  la  Bibliothèque  royale 402 

Glanum  ou  Saint-Remy.  Ville  citée  pour 
ses  beaux  monuments SyB 

Glaucus.  Mémoire  sur  ce  mythe 483 

Globe  céleste  sur  la  tête  de  Firouz 266 

Gnosticisme.  (  Histoire  du  ^.  S .  Matter. 

Gorgoniiim  (  symbole  du  ) 761,  782 

Goriée.  Monurri.  du  gnosticisrae ,  note  2. . . .  696 

Grasset  (M.  Edouard).  Ses  découvertes...   698 

Gravure  sur  bois  de  1423.  Détails  à  ce  sujet,  b'io 

Grèce  (antique  et  moderne),  39.  V.  Asie~ 
Mineure,  —  Septentrionale.  P'.  Leake. 

Gréijoire  XVI.  V.  Musée  Grégorien. 

Greifwald  (Ott  Joh.)  Mémoires  archéolog.  704 

Grifi  (lechev.).    Sut-  les   monuments  de 

Cœre  ,  3i2;  —  Lettre  sur  un  Vase  peint.  326 

Grille  de  Beuzelin  (  M.  ).  Rapports  sur  les 
travaux  de  la  Commission  des  monuments 
historiques ,  54  ,  549  ;  —  sa  mort,  ses  ou- 
vrages  843 

Grouchy  (M.  de).  Ses  découvertes 121 

Guarini.  Archéologue   784 

Guénebaull  (L.-J.).  Dictionnaire  des  Mo- 
numents, etc.,  l4l,  4'5;  — sur  le  tableau 
dit  de  saint  Louis 691 

Guerrier  de  Marathon  ,  planche  1 49 

Guichard(M.  Marie).  Son  introduction  en 
tête  de  l'édition  du  moine  Théophile. . . .  374 

Guigniaut  (M.)  Mythologie,  i45  ;  —  son  ou- 
vrage sur  les  religions  de  l'antiquité 253 

Guy  de  Crème,  pape , 629 


PAGES 

Gwilt.  Savant i 628 

Hagenhach.  Savant  numismate 1 13 

Hamilton.  Savant 628 

Harnaciiemcnt  des  chevaux  assyriens..  219,  228 
Harpies  (Fable  des  ).  Peinte  sur  un  vase  grec.  48 1 

Hathor.  Divinité  égyptienne. 2()8 

Hébreux.  Leurs  livres 660 

Heffler  (docteur).  Mythologie    grecque  et 

romaine 704 

Hel.  Dieu  de  la  mort  chez  les  Germains    . . .  076 

Hellénisme  (Définition  de  1') 84,  87 

Henri  VII,  roi  d'Angleterre.  Bas-relief  de 

son  tombeau 3o5 

Herculanum.  Son  Académie.  F.  ce' mot. 

Hermès  ,  psychopompe 3oo 

Héroïques  (  Temps).  Ce  qu'on  en  connaît. .  .      11 
Hérouval  (Oise).  Objets  trouvés  près  de  ce 

village i33 

Hiérodules 278 

Hiéroglyphes  (  Les  )  ,  ou  réponse  à  une  cri- 
tique de  ta  grammaire  de  M.  Cliampollion, 
34 1  ;  — •  de   quoi  se  compose    cette    écri- 
ture ,  35 1  ;  —  ce  qu'en  disent  les  anciens.    35a 
liieroglyphical  collections  oflhe  Egyptian 

Society 292 

Holcion  (Vase  dit) 781 

Horace.  Origine  du  nom  de  ce  poêle 114 

Horloge  de  la  cathédrale  de  Laon  incendiée.    i34 
Huyseburg.  Basilique  remarquable  de  ce  mo- 
nastère     622 

Hypogées  détruits  ,  726  ;  —  avec  peintures 
de  travaux  agric,  727  ; — autres ,  729,  732,  733 

Icosium  (  Mosaïque  trouvée  à  ) 556 

Ingeburge (  La  reine).  INotice  historique  de 

M.  Géraud  ,  citée  avec  éloge 375 

Innocent  111,  défenseur  de  ia  reine  Inge- 
burge. Ses  lettres  publiées  par  M.   De  la 

Porte  du  Theil 376 

Inscriptions  (Plan  du  recueil  général  des 
inscriptions  latines).  Rapport  à  ce  sujet 

par  M .  Egger 107 

Inscriptions  de  Rosette.  Détails  à  ce  sujet, 
62  ; —découverte  d'un  exemplaire  com- 
plet de  ce  monument ,  62  ;  —  inscription 

latine  trouvée  à  Marsal ,  492 

Inscriptions  de  Niuive,  697  ;  —  d'une  borne 

milliaire  à  Tunis 828 

Inscription  arabe  funér.  trouvée  à  Marseille.  843 

Inscription  greco-ilalienne  découverte 481 

Inscriptions  romaines  ne  iiacna  ,  176; — dé- 
couverte à  Avignon 479 

Inscriptions  grecques  reproduites,  4'  et 
suiv.;  — 99  et  suiv.;  —  1(19  el  suiv.;  — 
279  et  suiv  ;  —  3 1 4  .  4^4  *'  suiv.  ;  —  63 1 
et  suiv.;  —  705  et  suiv. 

Institut   archéologique   3 1 2 

Institut  de  correspondance  archéologique.  .   480 
Instruments  de  musique  connus  des  anciens. 

(Observations  sur  quelques  ) 4^2 

Italie.    Publications    archéologiques    de    ce 

pays 79,784,  854 

Ithôme  (C  ouvent  d') 4^6' 

Jenkins   (  Patère  de  ) 2()6 

Jeux  funèlires  sur  un  vase 655 

Jonas,  ses  paroles,  citées,  2i3  ; — explication 
du  chiffre  de  la  population  de  Winive,  in- 
diquée par  lui 2l5 

Jorio  (  Le  chanoine  André  de  ),  Guida  per 
le  cataçombe  di  Napoli 4'4 


DES  MATIERES. 


857 


PAGES 

Jouarre,  restauration  de  la  crypte. .......   55o 

Journal  des  Semants  ,  cité  au  sujet  du  tom- 

lieau  de  Cervefii 3 12 

Journal  archéologique  d'Àthenes.  Inscrip- 
tions altiques ^^% 

Jugement  dernier  de  Michel-Ange 5()3 

Justice  (Fif>iire  de  h).  V .  Manc/iede sceau. 
Justinien   l^^.    Reclierches  sur  les  monnaies 

de  cet  empereur 378 

Karnak.   Palais  des  Pharaons 645 

Kennouda  (Afrique),  ne'cropole  de'couverte 

en  ce  lieu 566 

Ke'res  (Les)  ou  desline'es,  647,  648;  — por- 
tant des  ailes 65^ 

Kiopsiock.  Sa  Messiade 248 

Khorsah;id.   Recherche  sur  cette  ville 234 

t^éléhé  (Vase  dit  ) 780 

Kuoler  (M.  le  professeur).  Sa  dissertation 
sur  les  divers  types  des  hasiliques  chré- 
tiennes  618 

Kutayah.  Tomheaux.  ,  planches  et  texte..  . .   320 

Lhaam  ,  dieu  du  bien 294 

Laclance ,  cité  sur  les  démons 658 

Lan^ieais  (  Château  de).  Notice  sur  ce  monu- 
ment . .  . 140 

Langues  (Etude  des)  indispensables l3 

Langues  asiatiques.  Leur  enseignement  at- 
taqué par  un  député 268 

Lassen  (Christian),  ses  travaux  sur  les  in- 
scriptions cunéiformes 44^ 

Lasteyrie  (Le  comte  de).  Son  histoire  de  la 

Peinture  sur  verre t><)7,  756 

Latinités  anciennes.  Recueil  à  ce  sujet  par 

M.    Egger 940 

Lautard  (M.  le  docteur)  à  Marseille,  nommé 

corresp.  de  l'Acad.  des  Jns.  et  Bell.-Letl.  697 
Leakc.   Foyage  dans  la  Grèce  septentrio- 
nale   317 

Le  Bas  (M.).  Ses  travaux  scientifiques,  39, 
98  ,  167,  277  ,  421  ,  629,  705  ;  —  lettres 
sur  les  antiquités  d'Athènes ,  3i4;  —  sa 
réclamation  contre  M.   Egger,  686;  — sa 

lettre  contre  M.  Papadopoulo-Vrélos 837 

Lécylhus   (Vase  dit  ) 779,  784 

Légendes   impériales    du    temple   de  Den- 

derali 383 

Leherennus.  Divinité  romaine 25o 

I,enormant  (Charles).  V.   Vases  antiques l 

—  Mémoires  sur  l'OEon  d'Hadrumète  , 
g5  ;  —  Musée  des  Antiquités  égyptien- 
nes ,  V.  à  ce  nom  ;  —  Rapport  au  nom  de 
la  Commission  des  Antiquités  de  la  France, 
1>63  ;  —  nommé  nicmhre  de  l'Acad.  royale 

de  Sciences  de  Berlin 845 

Léopardâ,  qui  sciant  equitare 538 

iiCpsius  (docteur).  Extraits  de  ses  lettres  de 
vovages  aux  Pyramides,  573;  —  sa  lettie 
sur  le.  Recueil  des   inscriptions  grecques 

de   1  Egypte 678 

Leli'Onne(M,).  Son  rapport  sur  l'inscript.  de 
Rosette  prétendue  ,  trouvée  ik  Mcroé  ,  62; 

—  Lettre  de  ce  savant  qui  rectifie  cette 
découverte,  65;  — sur  deux  colonnes 
milliair<'S ,  1H4  ;  —  sa  réfutation  sur  la 
découverte  du  cœur  de  saint  Louis  ,  2S9  ; 

—  sur  la  Croix  ansée.  V.  à  ce  nom  ;  — 
sur  le  Zodiaque  de  Dendéra,  38 1;  — sa 
réfutation  à  une  assertion  de  M.  Raoul 
Rochette  ,  439;  —  sur  les  noms  de  Cléo- 


PAGES 
phas  et  Cléopas,  485;  —  recueil  des  inscrip. 
grecques  de  l'Egypte  ,  678  ;  —  sa  lettre  à 
M.  de  Saulcy  sur  les   proscynèmes,  748; 

—  ses  observations  historiques  et  géogra- 
phitfues  sur  l'inscriplidn  d'une  borne  rail- 
îiaire  qui  existe  à  Tunis 820 

Libellule,  cheval  du  diable 676 

Licorne  ,  symbole  du  sauveur 4^^i  4^ 

Lions  do  bronze  cl  de  lapis  lazuli  trouvés  à 

î*inive 232  et  6(7 

Lion  porté  en  croupe 539 

Lit  funèbre 3 1 1 

L iure  noir 364 

Lobeck,  .savant 3lO 

Longpérier  M.  de)  \ .  Numismatique,  Ni- 
nive  et  Khorsabad.  —  Son  travail  sur  les 
médailles  des  trois  i-aces  persannes,  266  ; 

—  sur  les  monnaies  sassanides,  ib.\  — sur 
les  noms  de  rois  perses  écrits  sur  des  vases, 
444  î  —  Figurine  n'Eudamidas  ,  458  ;  — 
sur  la  châsse  de  Charlemagne,  525  ;  —  sur 
une  coupe  arabe  ,  528;  — sur  des  tumulus 
de  la  Mauritanie,  555  ;  —  sur  les  vases  an- 
tiques, 776  et  846;  —  son  application 
d'une  coupe  sassanide ,  483  ;  —  sa  tra- 
duction d'une  inscription  arabe  funéraire.  SiS 

Louis  (Saint).  Divers  articles  sur  la  préten- 
due découverte  de  son  cœur. .  . .  267,  390,  54? 

Louis  (Saini),  évêque  de  Toulouse •   6gi 

Louis  cl  Charles  d'Or  éans;  leurinfluencesur 
les  arts,  la  littérature,  etc.,  par  M.  Cbam- 

pollion-Figeac ;  . .  419 

louis  le  Débonnaire.  Son  poi trait    02.^ 

Luynes  (  M.  le  duc  de)  ,  fait  don  au  Cabinet 
des  Antiques  d'une  coupe  perse,  263;  — 
d'une,  médaille  d'or  d'Athènes,  844  5  — 
Ses  Eludes  sur  le  culte  d'Hécate  ^  "^Gi, 
782  ;  —  son  Mémoire  sur  Phinée  délivré 

par  les  Harpies 481 

Maftëi  (Scipion).  Défaut  de  son  ouvrage. .. .    ïi2 
Mailly.  Statues  de  personnages  de  cette  fa- 
mille au  portail  d'une  église Qin 

Maisons   de   Rouen    (Description  historique 

des),  par  M.  de  la  Quérière 3yt 

Malo  (Saint-).Objets  découverts  près  de  cette 

V  ille 263 

Manche  de  sceau  d'ivoire,  pi.  IX 33^ 

Marathon  (Ville  de),  5i  ;  — guerrier  de,  pi.  I; 

—  Taureau  de  (offert  en  sacrifice),  780.  V. 
Guerrier  e\  Théi.ée. 

Marcadier  (Notice  sur),  parGéraud S^S 

Marchegay  (M.) 364 

Marsal  (Meurthe).  Inscription  trouvée  en  ce 

lieu :    492 

Marficboras,  monstre  à    face   humaine,  note  23l 
Masson.  Mém.  sur  les  topes  de  l'Afghanistan.  565 

Matler(M.).  Histoire  du  Gnosticisme 620 

Maury  (M.  Alfred).  Sur  une  peinture  symbo- 
lique, 4t>2;  —  sur  les  représentations  psv- 
chostasiques,  235  et  291  ;  —  recherches  sur 
les  divinités  psycbopompes,  5ot,  58l,  657; 

—  sur  deux  leprcsenlalions  de  l'arbre  de 
Jessé ; • ^55 

Mécanique  des  anciens  Égyptiens 642 

Médailles  (Etude  des).   V.  Numismatique. 
Mercure  pesant  les  âmes  d'Achille  et  deMcm 

non,  296; —  conducteur  des  âmes 3o3 

Mérimée  (M.),  de  l'inslitul.  V.  Inscriptions 

romoiriç.<ideHoçna,  J76;   ■■»  bas  relief  du 


858 


TABLK  ALPHABETIQUE 


PAGES 
musée    de  Strasbourg  ,    25o  ;   —  Notre- 
Dame-des-Doms ,  .'>33  ;  —  sur  un   frag- 
ment rl'une  des  statues  du  Part lie'non 832 

Me'roé.  Epoque  exacte  de  la  construction   de 

ses  monuments 675 

Messine.  Inscription  découverte  aux  envi- 
rons   4-^^ 

Micali  (savant) ^55,  78^ 

Michel,  archange.  Représentation  de  ce  per- 
sonnage sur  divers  monuments 237 

Millin.  rases  antiques 29Ô,  297 

Minervini.  archéologue 78a 

Minutius  Félix.  Sur  1'ex.istence  du  démon..  o5o 
Miroir  de  Jenkins,  296  ;  — collection  de.  . .   3i  l 
Mœris,  Bas-relief  des  ancêtres  de  ce  roi.  Con- 
duit en  France 25o 

Moïse.  Son  ^ssomption 5o8 

Monnaies  (Elude des).  V.  Numismatique',  — 
leur  imitation  au  moyen  âge  ,  97  ;  —  leur 
histoire, 372  ;  — des  évêfTnes  de  Tout, 627  ; 
—  des  villes  grecques.  "V.  Fiorelli.  Trou- 
vées sur  les  Lords  de  l'Adour .   844 

Monigravier  (M.  de).  V.  Azema. 

Monligny  (Denier  mérovingien  frappéà)..   338 

Monuments  figurés.   Quand   ils  commencent 

à  être  él  ud  iés .' 12 

Morcelli,  savant  numismate Ii3 

Morée  (Recherches  géographiques  sur  le»  rui- 
nes de  la) • 28 1 

Morini,  savant  numismate. n3 

Morlange  ;  son  prieuré 267 

Morusini ,  assiège    Athènes 832 

Mort  (  La).  Comment  représentée 673,  (>74 

Morts  emportés  sur  le  cheval  infernal 675 

Mossoul,  ville  d'Assyrie 2 14 

Moulages  de  divers  fragments  d'art  de  la  ville 

d'Athènes 210 

Muralori.  Sur  les  inscriptions 1 10 

Moyen  âge  ;  difficulté  d'en  fixer  l'époque. . .  .    107 
Murs  d'Athènes.  Inscription  grecque  sur  leur 

reconstruction 3l^ 

Musée  des  Thermes  et  de  l'hôtel  deCluny,  18, 
i32,  479,  ')59  ,.  845  ;  —  des  Petits- .-luguE- 
lins,  19;  —  d'Eleusis.  45  ;  — des  Antiques, 
à  Barcelone,  72  ;  — de  Strasbourg,  25o  ;  — 
Grégorien  ,  à  Rome,  3o8  ;  —  du  Louvre, 
323";  —  de  Nîmes,  374  ;  —  de  Berlin. .  .  699 
Musée  de  Sculpture  ancienne  et   moderne. 

V.  Clarac. 
Musée    des   j4ntiquités    égyptiennes  ,   par 

M.  Cli.   Lencrmant 292,  386 

Muséum  Cortoncnse,  296; — Veronens,  3o4  ; 

Gregonanum 3i2 

Mythe.  Définition  de  ce  mot i45,  148 

Mythologie  envisagée  comme  science i45 

!Naples.  (Création  d'une  commission  histo- 
rique à  ) 71 

Naudet  (M.),  nommé  vice-président  del'A- 
cadéiine  des  Inscriptions  et  Bel  les- Lettres.   697 

j^aumachie  antique  retrouvée  à  îiîmes 1 18 

!Nehallenia,  déesse  zélandaise 25 1 

jNeuvy-Pailloux  (Indre).   Découverte   faite 

près  de  ce  village i^'jd 

!Nicétas   Eugénianus.  Traduct.  franc,  de  cet 

auteur 4^7 

jNielles,  ou  Niellures  allégoriques  représen- 
tant des  scènes  de  l'ancien  et  du  nouveau 
Testament  exécutées  au  Xil*  siècle  dans 
ym  cloître. . . , , , 24^ 


PAGES 

Niai  ve  et  Khorsabad.  BecKercbes  sur  ces  deux 

villes,  par  M.   de  Longpérier 2i3 

.Nivernais   (Le).    Album    historique,   par 

M.  Morellet 3;73 

Wola  (Vases  et  tombeaux  de) 484i  780 

JSolre-Dame  de  Paris.   Architectes  nommés 

pour  la  restauration  de  cette  église 129 

Notre-Dame-dcs-Doms.  Recherches  sur  l'é- 
poque de  son    porche 4?^»   533,  602 

Notre-Dame  d' À jaccio.  Histoire  et  légendes  419 
Wubie  (  Monuments  de  la),  par  M.  Champol- 

lion-Figeac 384 

Numismatique.    Importance   de  son  étude, 

par  M.  de  Longpérier i5,     89 

Numismatique  (  Rapport  de  la  commission 
de  l'Académie  des  Inscriptions  sur   divers 

ouvrages  de  ) 878 

Nympbi,  ville  de  l'Asie-Mineure  ;  son  châ- 
teau féodal,  323  ;  —  tombeau,  pi.  "VII. 

Oannès  figuré  sur  un  cône  de  Ninive 219 

Obélisque  d'Axum  ,  publié,  pi.  III,  et  ex- 

plïqué 33l 

Odon  ,  comte  de  Champagne  ;   épisode  de  sa 

vie aAi 

OEil.  Symbole  funéraire  sur  les  vases 782 

Ogive  ouverte  ,  dans  un  monument  antique 

de  la  Mauritanie 570 

Olympie  (Ville  célèbre) 286 

Oratoire  des  Templiers,  à  Metz 267 

Orphanolrophéion  (L')  d'Egine loi 

Ordre  de  la  Paix,  en  Prusse 394 

Osymandias  (Tombeau  d').  Remarque  sur  ce 

monument 684 

Olhon  III  Son  portrait 627 

Ouen  (Saint-)  de  Rouen.  La  restauration  de 
celte  église,  Q.'S'j  ;   —  bas-relief  de  cette 
église,  pi.  ViiJ. 
Ouvrages  archéologiques.  V.  archéologie. 

Palais  à  Trêves.  Sa  restauration •   696 

Paléographie  (f.,a)  ;  sa  définition l5 

Palladium  (Enlèvement  du).  Commentaire  à 

ce  sujet 326 

Panofka.  Recherches  sur  les  noms  des  vases 
grecs,  655,  (à  la  note  3)  ;  — description  des 
terres  cuites  du  musée  de  Berlin,  699;  — 

sa  dénomination  des  vases  antiques 777 

Papadapoulo-Vrétos  (M.)  ,  réponse  de  M.  Le 

Bas  à  sa  critique 83' 

Papi  (Cartouche de) 7 

Parasol  assyrien  sur  un  bas-relief 

Pardessus  (M  ),  nommé   présiitent  de  l'Aca- 
démie des  Inscriptions  et  Belles-Lettres..  697 
Parlhénon  (  Fragment  d'une  des  statues  du) .   832 

Passeri.  Monuments  étrusques 296 

Patère  de  Jenkins 296 

Patronomes,  magistrats  grecs H'^o 

Pavé  de  Paris  (Sur  l'ancien), par  M   Gilbert.   188 

Pectoral  d'or 3 1 1 

Pédagogue  (Le)  des  Niobides.  Statue  du  mu- 
sée du  Louvre 335 

Pégase.  Sa  fonction,  674  ;  -—  psychopompe.  675 
Peinture  du  XV«  siècle  représentant  une  an- 

nonciation 1^62 

Peinture  assyrienne 224 

Peintures  sur  verre  de  l'église   Saint-Denis, 

606,  759,  et  pi.  XVIIl  et  XXII. 
Pellissier  (M.).  Sa  lettre  à  M.  Hase  sur  I9» 

antiquités  de  la  régence  de  Tunis .,.,,,..  81O 
Pcrdiccas.  Y<  Ëudamidas» 


5 

219 


DES  MATIÈRES. 


S59 


PAGES 

Pèsenoent  des  âmes.  V.  Psycostasie. 

Pelit-Barow  de'couvert , .  , . .   20g 

Phidias  (Sculpture de) 833 

Phiale  (Vase  dit) 779 

Philippe-Auguste  l'ait  paver  Paris 189 

Pliilippe,  monnaie  gauloise 1^4 

Philologie  (Science  de  la).  Sa  de'finition. .  i3,      l4 
Phine'e  de'iivre' par  les  llar()ies  (Me'moire). .   ^81 

Phlha,  divinité'  égyptienne 208 

Pierre  tumulaire  avec  inscriplion 126 

Pierre   (Saint-)  de  Borne;  —  type  d'église.  626 
Plane  (M.  de  la)  à  Sisteron,  nomme'  corres- 
pondant de  l'Acad.des  Inscript,  et  B.-L. .  698 
Plastique.  (Sur  l'art  de  la)  à  Athènes  et  à  Co- 

rinl  Le 69Q 

Poissons  symboliques,  monuments  chrétiens.  l\o5 

Pôly  t  liéisme 90 

Ponfpoinl  (Oise).  Découverte  faite  près  de  ce 

-village. 479 

Pouzzuole.  Objets  découverts  en  ce  lieu.  .  .    261 
Porche  roman  de  Nptre-Dame-desrrDoms  ,  à 

Avignon 47* 

Préféricules 328 

Prisse  d' A vesnes;  sa  Lettre  à  M.  Champol- 
lion-Figeac  sur  diverses  inscriptions  égyp- 
tiennes   723 

Proscynèmes.  Actes  d'Adoration  en  langue 
égyptienne  et  en  écriture  démotique, 
735,    786;  r —  démotique    expliqué   par 

M.  Le  t  ronne ^54 

Proserpine.  Son  analogie  avec  Marie;  son  ea^ 

ractère  funéraire 673 

Proverbe  hourguignon  sur  la  mort 697 

Psychostasie  (Recherches  sur  la)  chez  les  di- 
vers peuples  ,  235,  291,  5oi,  681,657  et 
suiv.  ;  —  scènes  de  psychostasie  liomérique  6^7 
Publications  a»-cliéologiques  en  France  ,  74, 
i/jjO,  211,  269,  338,  /(«^f),  627,  ')&j^  ;  —  en 
Italie,  79,  -84  ; — en  Allemagne,  77,  56'q, 

618,  699;  —  eu  Angleterre,  78,  4^0 628 

Pythaules.  Observation  sur  ce  mot 4'-^ 

Baugabé  (M.).  Ses  travaux 4^ 

Bapt  de  Proserpine  représenté  sur  un  sarco- 
phage       68 

Baoul  Rochette  (M  )•  V.  antiquités  chré- 
tiennes ,'  — allégories  chrétiennes,  669  ;  — 
Sa  publication  des  peintnresantiques  inéd.  779 
Bappori   de  M.  Lenormant,  au    nom  de  la 

Commission  des  Antiquités  de  la  France. .   363 
Bawlinson  (  M.  )  à  Bagdad,  nommé  corresp. 

de  l'Aca'^.  des  Inscript,  et  B.-L 698 

Piegesium  de  l'empereur  Frédéric  II 538 

Beiilenberg  (  Le  baron  de).  IMotice  sur  une 

ancienne  gravure  sur  bois 610 

Beinaud.  Moniim.  du  Cab.  du  duc  deBla- 

cus 297,  3oi,  5'|0,  541 

Reliquiœ  selevtœ  latini  sermonis,  etc.  Publi- 
cation de  M.   Kgger 4^9 

Bémond  (Pierre),  emailleur  du  XV^  siècle.   i33 
Bénier(i'Vl.    Léon).  Sur  diverses  inscriptions 

thessaliennes 3 14 

Béservoirs  romains  découverts  à  Nîmes 477 

Bestauration  de  monuments,  129,  202,  254, 
257,  267,  479.  55o,  5^9. 

Bestauration  des  ^-ases  dans  l'antiquité 3ro 

Bestitul  ( Église  de  Saint-) 532 

Bétable  d'or  de  Bâie 52i 

Rhamesseion  ,  monument 684 

Robert,  Sur  les  monnaies  de  Toul 627 


PAGES 

Roi  chassant.  Coupe  d'argent  ciseltie .  « 2& 

Bomoaldus,  sculpteur  du  XI*  siècle 54 

Boss.  Becueild'inscriptionsparcesavant. ... 

Rosette  (  Inscription  do)  retrouvée 68 1 

Boue  (  La  ).  Sa.  signification  funéraire  (  à  la 

note  5  ) 5o6 

Bouen  (Histoire  de)  sous  l'époque  communale  365 

Boulez  (  archéologue  à  Gand  ) h9& 

Routiers  (  Notice  sur  les^,  par  M.  Géraud. .   075 
Saint-Pierre  de  Borne,  (  Eglise  de),  626  ;  — 
Sain t-Zacha rie  ,  à  Eleusis,  église  transfor- 
mée en  musée   4^ 

Saint-Révérien  ;  fouilles  faites  en  ce  lieu. .  698 
Sain  longe.  (  Lettres  his t.  arcfiéol. ,  etc.  sac  la)   140 
Sancie ,  femme  de  Bobert,  roi  de  Naplc» ....  692 
Sansonnetti  (M.  V.  de)  son  ouvrage,  627;  — 
relève  les  plans  pour  la   restauration    de 

l'église  de  Munster 697 

Sarcophage  de  Charlemagne,  68  ;  —  do  thés» 
salonique  au  musée  du  Louvre,  336;  — 
prétendu  d'Alexandre  Sévère,  erreur  re- 
levée par  Visconti 76a 

Sassanide.  Coupe  ,  264  ;  —  pierre  gravée  du 

du  cabinet  de  Munich  ,  note a3l 

Saulcy  (M.  de).  Défense  de  M.  Champollion, 
341  ;  —  rapport  au  nom  de  la  commission 
de  numismatique,  378;  —  sur  une  in- 
scription bilingue.  481  ;  —  inscription 
trouvée  à  Marsal,  492  ;  —  lettre  à  M.  Le- 

tronne  sur  les  proscynèmes ^35 

Saussaye  (M.  de    la)    nommé   membre  de 

l'Acad.  des  Inscript,  et  B.-L 698 

Sauvages  sur  des  armoiries;  leur  accoutrement, 

29  ;  —  représentés  dans  des  armoiries ....    763 
Savenières  ,    restauration  de  son  église....   55o 

Saverne  (  Découverte  à) * 120 

Scandinaves    Leurs  divinités  funèbres 676 

Sceau  de  saint  Edmond 5l4 

Sceaux  as.,yrienà,  232  ;  —  égyptiens  cités  par 

Hérodol  e. ?.32,  not.  3. 

Schlegel  (Aug.-Guil.  de).  Vers  sur  la  dé- 
couverte du  cœur  de  saint  Louis 390 

Schreman,  Savant  cité 628 

Schweiiihajuser   Mort  et  éloge  de  ce  savant . .     73 
Secciii  (Le  P.).  Antiquaire  de  Bome,  nommé 
correspondant  de  l'Académie  des  Jnscript. 

et  Belles-Lettres 69$ 

Séguier    ( Jean-Franç.)  Son  travail   sur   les 

inscriptions .....,., iil,II2 

Sésostris.  Son  portrait  sculpté  sur  un  rocher, 

229 ,  324 
Sicotière  (M,  de  la).  Sa  Notice  sur  les  vi- 
traux  d'une  église 767 

Siège  épiscopai    de   l'église  Saint-Césaire  à 

Bonje ,   planche  II 80 

Siéj^e  d'une  ville  assyrienne 224 

Styles  monétaires  sur  les  monnaies  bysaa- 

tines 378 

Smith.  Savant  cité 6a8 

Sparte.  Etat  présent  de  cette  ville,  63o;  — 

inscriptions  qu'on  y  trouve 63l 

Spire  (  Cathédrale  de  )    628 

Squelette  de  bronze  dédié  par  Hippocrate ,  . 

4;")9;t^  conservé  dans  le  musée  Kirchcr.  461 
Scrupt  (  Haute-Marne).  Objets  trouvés  près 

de  ce  village 70 

Stammion  ou  Stamnos  (  Vase  dit  ) 783 

Statue  d'un  dieu  cpnsacrée  à  un  autre  dieu. .   qSo 
Statues  de  rois  d'Egypte  au  nausée  du  Louvre  335 


860 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  DES  MATIERES. 


TAGES 

Stewart.  Savant  cité 628 

Stoupas  ou  Topes.  Monuments  indiens 565 

SiruU.  Savant  cité , 628 

Suger,  représenté  sur  un  vitrail,  pi.  XVIII 

et  texte 6'«)6 

Sylla.  Mémoire  sur  ce  mylbe !\S'i 

Symbolik  des  Mnsnïsvhen  cultus  de  Bcehr.  608 
Symbolique  de  l'Orient.  Abus  qu'en    font 

les  savants ^82 

Tal)le  d'Abydos,  2t)i  ;  —  iliaque 027 

Tableau  dit  de  saint  Louis,  691,  84^  »  *' 
pi.  XX; —  tableaux   cbronologiques    de 

l'bistoire  de  Touraine 76a 

Talair  (tunique  dite) 653 

0xi&v»ffàv6eia.  Mot  composé  remarquable..   ^^6 

Taureau  a  tête  bumaine.  Mote  i 23i 

Temple  antique  retrouvé  à  Vienne 1 18 

Templiers.  V.  Oratoire. 

Temps  béroiquL'S.  \ .  Héroïques . 

Terres  cuites  dans  l'antiquité 700 

Tesèrts  cbiétiennes,  [^o!\  ;  —  ol  scènes,  92; 

—  de  plomb,  567  ;  —  tbéâtrale 261 

Testament  politique  d'Auguste  retrouvé  et 

publié 4'° 

Tête  d'ange  renfermant  un  petit  tombeau.   559 
Texier  (M.  j.  Sur  deux  tombeaux  du  moyen 

âge 320 

Tbeccl.  Mot  propbélique 245 

Tbéopbanon  ,  femme  d'Otbon  ;  son  portrait 

sur  un  dyptique 53 1 

Théopbile  (  Le  moine  ).    Son  livre  sur  les 

arts,  traduit  et  publié 872 

Tbermes  (  Les  )  de  Julien 18 

Thermopotis  (  Va^e  dit  ) 779 

Tbésée  immolant  un  taureau.  V.  Marathon. 

Tbol  h  ,  psycbopompe 291 

Tyrrliéno-Pbéniciens  (Vases) 778 

Tombeau  d'un  enfant  à  Albènes.  PI.  XII..   3d8 
Tombeaux    du    moyen    âge  à   Kutuyab   et 

Wympbi,  PI.  V  et  VU 3ao 

Tombes  dei  comtes  de  Champagne  retrouvées 

à  Troyes 558 

Torques  ,  collier  j:aulois l2/i 

Toti  (Cartouche  de) 726 

Toul(Evêques  de).  Leurs  monnaies.  V.  Ro- 
bert . 

Tour  Magne  à  Nîmes,  restaurée 20a 

Tour  du  Palais  de  Justice,  à  Paris.  Sa  pein- 
ture murale i3i 

Tours  (  Peinture  de  la  porte  du  Change  à  ), 
6i5  ;  —  bas-relief  de  bois  ,  6i5  ;  —  mai- 
son dite  de  Trislan-l'Krmite 762 

Translation  de  reliques  ;  bas-relief  de  Saint- 

Ouen,  à  Rouen,  pi.  VUI. 
Troche  (M.).  V.  Germain-  (Saint-)  l'Ju- 

xerrois.  Collège  de  Navaire. 
Troyes.  Dérouverte  faite  dans  une  chapelle 

de  la  cathédrale 55^ 

Tumuluï  de  Djebel  cl  Akhdbar 565 

Tunis  (Antiquités  de  la  régence  de) 810 


Type  numismatique 89 

Types  parlant  des  monnaies 92,  94,  9^ 

Types  accessoires 93 

Urnes  funéraires,  avec  des  noms  expliqués  par 

Hcrmann 4^^ 

Vase  égyptien  portant  le  nom  de  Xerxès,  l\(\!\  ; 

—  autre  portant  le  nom  d'Artaxerce ,    à 
Venise 44^ 

Vase  de  Nola  avec  peinture  historique,   4^4» 

—  vase  de  Portland,  brisé,  762  ;  —  expli- 
qué par  M.  Lenormant,  ibid. 

Vases  antiques  et  peints  trouvés  dans  un  tom- 
beau d'enfant ,  38ç),  et  la  pi.  Xli. 
Vases  chrétiens  (Des)  trouvés  dans  les   cata- 
combes, 4')5; — Céramographiques.  V.  Cè- 
ra  mog  rapide. 
Vases  funèbres  dans  les  tombeaux.  V.  2'om- 

beaux. 
Vases  de  la  BasiUcale  comparés  aux  monu- 
ments  gnostiques 78^ 

Vases  grecs    Leurs  noms,  V.  Panofka. 

Vases  peints  du  musée  Grégorien 3oQ 

Ventes  d'antiquités 616,  761,  845 

Vfzelay  (Notice  sur  l'église  de) 65 1 

Vigne  iSon  emploi  syniltolique 767 

Villa  antique,  retrouvée»  Saverne 120 

Vital  (Église  Saint-) 626 

P'itraux  de  Bourges  (Description  des),  368  ; 

—  de  Saint-Denis.  V .  arbre  de  Jessé,  Suger. 
Volkes,  peuplade  qui  a  habité  le  midi  de  la 

France 479 

Volterre.  Objets  antiques  trouvés  près  decelte 

ville 67 

Voullon  (Restauration  de  l'église  de) 479 

Foyages  archéologiques  en  Grèce  et  dans 
I'j4ste-Mineure ,  par  M.  Le  Bas,  39,  98, 
167,  277,421.  629   705. 
Vulcano  (Monastère  de).   Ignorance   de  ses 

moines 4^6 

Vulri  (Tombeau  de) 3o8 

Vyse  (M.),  savant  cité 628 

Wallhen  (M  ),  savant   cité 628 

Way  (M.  Albert),  antiquaire  anglais  cité. . .   3o9 

Wieseler  (W),  savant  cité 628 

"Wilkinson(SirGardner),  savant  anglais  cité. 

4'|5,  520,  733 

William  Mure  (M),  savant  cité 628 

Witte  (M.  J.de).  Musée  Grégorien,  3o8;  — 
psychostasie  homérique  ,  647  ;  —  nommé 
membre  de  l'Académie  roy.  des  Sciences 

de  Berlin 845 

Xantbus  de  Lycie.  Prise  decelte  ville  figurée 
sur  une  frise  ,  226  ;  —  bas-rcliels  peints 

que  l'on  y  a  trouvé 221 

Xerxès.  Figure  de  ce  roi  à  Per.^épolis  ,  22r, 
226,  229;  —  Ibnne  assyrienne  de  sou 
nom ,  234  ;  —  vase  avec  le  nom  de  ce  rui . .    444 

7âcharie  (Eglise  Saint-),  à  Eleusis 4^ 

Zodiaque    d'un  dypt  iqiie 59 1 


FIN  m  LA  TABLE  ALPHABETIQUE  DU  PREMIER  VOLUME. 


ô\i  ly/u 


ce       Revue  archéolo  Ique 
3 

année  1 


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